La Chambre et ses députés / Divers
Règlement : cas non prévus; documentation utile à une modification proposée du Règlement disponible dans une seule langue officielle
Débats, p. 1726-1728
Contexte
Le 1er mars 2001, André Bachand (Richmond–Arthabasca) invoque le Règlement au sujet de l’Affaire émanant du gouvernement no 2 (modification des paragraphes 76(5) et 76.1(5) du Règlement (portant sur le pouvoir du Président de choisir les amendements à l’étape du rapport)), adoptée le mardi 27 février 2001[1]. Il fait référence, en particulier, au passage suivant de la modification proposée : « Dans l’exercice de son pouvoir de choisir les motions, l’Orateur s’inspire de la pratique de la Chambre des communes du Royaume-Uni. » M. Bachand soutient qu’étant donné que les documents provenant du Royaume-Uni sont en anglais uniquement, la modification proposée au Règlement nuirait à sa capacité et à celle de tous les députés francophones de préparer des amendements à l’étape du rapport et d’avoir une chance égale de savoir et de comprendre ce qui constitue des amendements satisfaisants. Il prétend aussi que le libellé de la modification proposée contrevient à la Loi sur les langues officielles (Note de la rédaction : Le Président ne peut statuer sur des questions de droit). M. Bachand demande au Président de suspendre l’exécution de la modification du Règlement jusqu’à ce que ses droits et ceux des autres députés francophones soient protégés et respectés. Après avoir entendu d’autres députés, le Président prend la question en délibéré.
Résolution
Le Président rend sa décision le 15 mars 2001. Il précise que l’article 1 du Règlement dicte au Président de résoudre les questions de procédure qui n’ont pas été prévues ou qui ne sont pas visées par le Règlement ou un autre ordre de la Chambre en se fondant d’abord sur les usages, formules, coutumes et précédents de la Chambre des communes du Canada, puis sur la tradition parlementaire du Canada, puis sur la tradition parlementaire d’autres juridictions, dans la mesure où ils sont applicables à la Chambre. Le Président souligne que cette dernière disposition ne vise pas tant les règles des autres pays que la tradition sur laquelle ces règles reposent. Après avoir confirmé que la présidence a le devoir de protéger les droits des députés de travailler dans les deux langues officielles, il fait remarquer que la disponibilité de la documentation dans l’une ou l’autre des langues officielles importe peu, puisque c’est l’interprétation des usages que fera le Président et leur application à la Chambre dont les députés devraient se préoccuper. Le Président ajoute qu’il ne peut consentir à la demande de M. Bachand de suspendre la mise en vigueur de la modification en question, puisqu’elle fait maintenant partie du Règlement et que seule la Chambre, et non le Président, peut modifier le Règlement.
Décision de la présidence
Le Président : À l’ordre, s’il vous plaît. Je suis prêt à rendre ma décision sur le rappel au Règlement soulevé le jeudi 1er mars par l’honorable député de Richmond–Arthabaska.
Les préoccupations de l’honorable député découlent de l’adoption par la Chambre, le 27 février dernier, d’une motion du gouvernement visant à modifier les nota des paragraphes (5) des articles 76 et 76.1 du Règlement de la Chambre des communes. Comme vous le savez sans doute, ces paragraphes ont trait au pouvoir du Président de choisir les amendements à l’étape du rapport. La difficulté du député tient au fait que les nota contiennent la phrase suivante :
Dans l’exercice de son pouvoir de choisir les motions, l’Orateur s’inspire de la pratique de la Chambre des communes du Royaume-Uni.
L’honorable député soutient que pour exécuter adéquatement son travail, s’il a à rédiger des amendements, il doit pouvoir avoir accès aux règles encadrant la pratique du choix des amendements dans sa propre langue, soit en français. Il indique que les documents provenant du Royaume-Uni sont disponibles en anglais uniquement et que, de ce fait, il ne peut accomplir efficacement son travail de député puisqu’il ne peut pas bien saisir les nuances et les subtilités des règles.
Il demande la suspension de la mise en vigueur des modifications adoptées, jusqu’à ce que ses droits et ceux des autres francophones soient protégés et respectés.
J’aimerais remercier le leader du gouvernement à la Chambre, le whip du Bloc Québécois, le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes, le chef du Parti progressiste-conservateur et le député de Regina–Qu’Appelle pour leurs interventions.
Comme tous les députés le savent bien, le rôle du Président est de présider les travaux de la Chambre des communes et de se prononcer sur les questions de procédure, qu’il s’agisse d’interpréter des articles du Règlement ou de trancher des questions liées au privilège ou au décorum.
Lors de la discussion portant sur le rappel au Règlement, il a été fait renvoi à des lois particulières à plusieurs reprises. Le député de Richmond–Arthabaska s’est référé à la Loi sur les langues officielles et à la Loi constitutionnelle de 1867, alors que le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre a fait renvoi à la Loi sur le Parlement, en signalant la mention précise de la Chambre des communes du Royaume-Uni qu’on y retrouve à l’article 4.
Bien que ces renvois forment une toile de fond intéressante, il faut se rappeler que le rôle du Président n’est pas de se prononcer sur l’application des lois, mais plutôt d’examiner les questions dans la perspective de déceler toute dérogation aux usages et précédents en matière de procédure.
L’honorable député insiste sur le fait qu’il n’aura pas recours aux règles encadrant le processus de rédaction d’amendements parce que celles-ci sont « dans la langue de Shakespeare ».
Je voudrais souligner que la Chambre a tout simplement décidé de modifier les nota des paragraphes (5) des articles 76 et 76.1 du Règlement en faisant référence explicitement à la pratique de la Chambre des communes du Royaume-Uni.
Par ailleurs, l’article 1 du Règlement se lit ainsi :
Dans tous les cas non prévus par le présent Règlement ni par un autre ordre de la Chambre, les questions de procédure sont décidées par l’Orateur ou le Président, lesquels doivent fonder leurs décisions sur les usages, formules, coutumes et précédents de la Chambre des communes du Canada et sur la tradition parlementaire au Canada et dans d’autres juridictions, dans la mesure où ils sont applicables à la Chambre.
Cet article stipule que dans le cours des délibérations sur les affaires d’intérêt public, lorsque survient une question de procédure qui n’a pas été prévue ou n’est pas visée par le Règlement ou un autre ordre de la Chambre, le Président de la Chambre doit fonder sa décision au premier chef sur les usages, formules, coutumes et précédents de la Chambre des communes du Canada, ensuite sur la tradition parlementaire au Canada, puis sur celle des autres juridictions, dans la mesure où elle peut s’appliquer à la Chambre canadienne. Cette disposition ne vise pas directement les règles codifiées ni le règlement des autres juridictions, mais principalement la tradition sur laquelle ceux-ci se fondent.
L’article 1 du Règlement, qui existe depuis 1867, a reconnu que notre Parlement tirait ses origines du Parlement de Westminster et a prévu que notre Chambre serait guidée par les précédents britanniques. De 1867 à 1986, cet article le précisait explicitement de la façon suivante :
Dans tous les cas non prévus […], la Chambre suit […] les usages et coutumes de la Chambre des communes du Royaume-Uni […]
En 1986, la Chambre a modifié l’article 1 du Règlement afin de reconnaître que les pratiques parlementaires canadiennes avaient évolué à un point tel qu’elle pourrait, dans les cas non prévus, s’inspirer de la pratique d’un nombre élargi de parlements. Les membres du Comité spécial sur la réforme de la Chambre estimaient que les pratiques de la Chambre canadienne n’avaient plus besoin d’être liées par celles d’une quelconque autre assemblée ou d’un autre pays. Toutefois, ils reconnaissaient que, dans les cas non prévus, il serait toujours fort utile d’examiner les précédents et les autorités des autres législatures et parlements, en particulier ceux du Commonwealth.
Par conséquent, sur la recommandation du Comité, la Chambre adopta le libellé actuel de l’article 1 du Règlement, afin de réaffirmer qu’elle avait la liberté d’adapter sa procédure en fonction de ses propres besoins, tout en maintenant les traditions canadiennes.
Je vous ai présenté cet historique détaillé de l’article 1 du Règlement afin de vous démontrer que la Chambre des communes du Canada s’est souvent tournée vers le Royaume-Uni pour les cas non prévus. Certes, il y a eu une évolution et nous consultons maintenant d’autres juridictions dans la mesure où leurs règles ou pratiques sont applicables à la Chambre. Mais le fait demeure que si nous faisions face à une situation concernant l’étape du rapport qui n’était pas couverte par notre pratique ou par la pratique du Royaume-Uni, je serais obligé, en vertu de l’article 1 du Règlement, de me référer aux pratiques d’autres juridictions.
Cela dit, la disponibilité de la documentation dans l’une ou l’autre de nos deux langues officielles n’est pas prise en considération dans de telles situations. Or, je me permets de suggérer que c’est l’interprétation de ces pratiques et le jugement que portera la présidence sur la façon de les appliquer au sein de notre Chambre qui font principalement l’objet des préoccupations des députés.
La Chambre consulte depuis longtemps les précédents d’autres parlements qui ont suivi la tradition de Westminster et la langue dans laquelle ces textes sont disponibles n’a jamais semblé constituer une embûche. Dans notre quotidien, lors de discussions portant sur la procédure, nombre de fois nous sommes-nous inspirés des diverses éditions d’Erskine May dans l’élaboration de nos arguments. Le large éventail de documents sur les précédents parlementaires que nous consultons ne sont pas nécessairement disponibles dans les deux langues officielles, mais nous avons su fonctionner dans ce cadre.
La Chambre reconnaît que les députés ont droit à un service dans l’une ou l’autre des langues officielles. Elle fournit l’interprétation simultanée à la Chambre et dans les comités, et un service de traduction est mis gratuitement à la disposition des députés. Un des rôles de la présidence est de protéger et de défendre les droits des députés de travailler dans la langue officielle de leur choix.
À cet égard, pour donner suite à ce que j’ai dit précédemment au sujet de l’application d’autres pratiques dans cette Chambre, je suis présentement à étudier l’application des modifications aux nota des articles 76(1) et 76.1 et j’entends présenter à la Chambre une explication de l’interprétation de ces nota. Bien entendu, cette explication sera disponible dans les deux langues officielles et les députés pourront agir en conséquence.
Concernant la demande de l’honorable député de Richmond–Arthabaska de suspendre la mise en vigueur des modifications adoptées, je ne peux pas faire droit à celle-ci. Comme la motion a été adoptée par la Chambre, ces modifications font maintenant partie du Règlement de la Chambre et il est de mon devoir de me conformer aux dispositions du Règlement. Seule la Chambre peut décider de modifier le Règlement. Comme elle l’a toujours fait, la présidence agit selon les voeux de la Chambre, qui a le pouvoir de décider si et quand elle modifiera les règles qui encadrent le déroulement de ses travaux.
Je remercie l’honorable député d’avoir soulevé cette question, de même que tous les intervenants qui y sont allés de leurs commentaires utiles.
Le très hon. Joe Clark : Monsieur le Président, j’invoque le Règlement. Dois-je comprendre qu’il n’est plus nécessaire que les documents portant sur les procédures de la Chambre des communes soient rédigés dans les deux langues officielles?
Le Président : Le député pourra se reporter à la décision que la présidence vient de lire. Je crois qu’il y trouvera la réponse à sa question. Je ne veux pas l’embrouiller en donnant des réponses aux questions. À mon avis, la décision est limpide et je sais qu’il la trouvera bien claire lorsqu’il aura le temps de la lire attentivement.
M. Stéphane Bergeron (Verchères–Les Patriotes) : Monsieur le Président, j’aimerais simplement que vous m’éclairiez dans ma compréhension de ce que vous venez de dire.
Dois-je comprendre que la motion qui a été adoptée ne constitue pas en soi une modification comme telle du Règlement de la Chambre, mais bien une indication, si j’ai bien compris, à la présidence? Puis-je me permettre de vous demander, qui plus est, si l’objet de la motion en question n’implique pas un certain nombre de pratiques déjà en vigueur au Canada, ce qui, conséquemment, rendrait inopérante l’obligation de devoir examiner ce qui se passe au Royaume-Uni?
Je ne sais pas, monsieur le Président, si vous avez bien saisi mon intervention. Je vais donc clarifier ma pensée. J’aimerais que vous m’indiquiez si cette motion est simplement une motion qui doit vous guider dans vos décisions et non pas une motion modifiant le Règlement de la Chambre.
Cette même motion fait référence à une pratique qui est en vigueur au Royaume-Uni. Mais conformément à la décision que vous venez de rendre, vous dites qu’on ne réfère aux pratiques étrangères que lorsqu’il n’y a pas de pratique existante ici même au Canada.
Ma question est celle-ci : compte tenu du fait que la procédure en vigueur pour l’étape du rapport fait déjà l’objet d’une pratique courante depuis un certain nombre d’années ici au Canada, est-ce que ce que vous venez de nous dire rend inutile le besoin d’aller référer à une pratique étrangère?
Le Président : Je crois, encore une fois, que l’honorable député trouvera la réponse à sa question dans la décision de la présidence que je viens de rendre. Il pourra la lire bientôt.
J’ai également indiqué dans ma décision qu’il y aura une autre présentation de la présidence sur le sujet de l’acceptabilité des amendements à l’étape du rapport. En tout cas, il y aura quelque chose sur le sujet bientôt.
Alors, avec la décision que j’ai rendue aujourd’hui et la présentation que je ferai à la Chambre bientôt, cela satisfera sans doute l’honorable député. Je l’espère en tout cas.
Post-scriptum
Le 21 mars 2001, le Président fait une déclaration à la Chambre pour expliquer son interprétation des notes aux paragraphes 76 et 76.1 au sujet de la sélection des amendements à l’étape du rapport[2].
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[1] Débats, 27 février 2001, p. 1249-1251, Journaux, p. 139-140.
[2] Débats, 21 mars 2001, p. 1991-1993.