Recueil de décisions du Président Peter Milliken 2001 - 2011

Le programme quotidien / Affaires courantes ordinaires

Motions : article 56.1 du Règlement; utilisé pour contourner le processus décisionnel habituel de la Chambre

Débats, p. 5256-5258

Contexte

Le 12 juin 2001, Peter MacKay (Pictou–Antigonish–Guysborough) invoque le Règlement au sujet d’une motion présentée plus tôt en journée par Don Boudria (leader du gouvernement à la Chambre des communes) et adoptée en vertu de l’article 56.1 du Règlement[1]. M. MacKay prétend qu’on a abusé du processus d’une manière qui constitue une dérogation aux règles ainsi qu’à l’intention et à l’interprétation de celles-ci. La motion en question portait sur le déroulement des travaux des deux derniers jours de séance avant le congé d’été, y compris les modalités de vote à suivre le dernier jour des subsides. M. MacKay attire l’attention sur le dernier paragraphe de la motion, qui détermine d’avance le résultat de tous les votes sur le budget consécutifs au premier vote par appel nominal. Il soutient que la dépense de deniers publics est une question de fond que la Chambre elle-même doit trancher et que la motion prive la Chambre de son droit d’en décider. Il ajoute que le recours à l’article 56.1 du Règlement est limité aux questions liées à « toute motion pour affaire courante » et demande au Président d’invalider la motion. Après avoir entendu d’autres députés, le Président déclare que la motion s’appliquerait, étant donné qu’elle a été adoptée en matinée sans que 25 députés se lèvent (le Règlement prévoit que si 25 députés ou plus se lèvent, la motion est réputée retirée) et sans objection quant à son acceptabilité sur le plan de la procédure. Il ajoute que la présidence est prête à revoir l’article du Règlement en cause ainsi que l’interprétation qu’on pourrait en faire, qu’il réfléchira à tout ce qui lui a été soumis et qu’il informera la Chambre de sa décision en temps et lieu[2].

Résolution

Le Président rend sa décision le 18 septembre 2001. Il rappelle à la Chambre qu’il avait autorisé la motion, le 12 juin 2001, parce qu’elle avait été adoptée sans objection et que près de huit heures s’étaient écoulées avant que M. MacKay soulève le rappel au Règlement. Il fait remarquer qu’au moment de l’adoption de l’article 56.1, l’intention était de l’utiliser uniquement dans le cas des motions pour Affaires courantes, comme l’énonce l’alinéa 56.1(1)b) du Règlement. Il cite ensuite des exemples de ce qu’il qualifie de « tendance inquiétante » selon laquelle on a recours à l’article en question pour adopter des motions moins aisément qualifiables de motions pour Affaires courantes. Après un examen minutieux des précédents et des cas plus récents où l’on s’est servi de l’article 56.1 pour contourner le processus décisionnel de la Chambre, le Président déclare que si on lui avait présenté plus rapidement les objections à la motion du 12 juin 2001, il aurait été enclin à l’invalider, car elle dépassait largement l’intention originale de l’article, qui n’avait jamais été utilisé non plus pour se substituer aux décisions que la Chambre elle-même doit prendre sur des questions de fond. Il ajoute que, par conséquent, la motion ne doit pas être considérée comme un précédent, et suggère qu’il serait bon que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre examine la bonne utilisation de l’article 56.1 du Règlement.

Décision de la présidence

Le Président : À l’ordre, s’il vous plaît. J’aimerais maintenant rendre ma décision sur le rappel au Règlement soulevé le 12 juin 2001 par l’honorable député de Pictou–Antigonish–Guysborough au sujet de l’application de l’article 56.1 du Règlement. L’honorable député a soutenu dans son intervention qu’on avait « abusé du processus d’une manière qui constitue une dérogation aux règles ainsi qu’à l’intention et à l’interprétation de celles-ci » lorsque, plus tôt ce jour-là, le gouvernement avait invoqué l’article 56.1 du Règlement pour présenter une motion qui n’avait pas reçu le consentement unanime de la Chambre. Cette motion avait trait au déroulement des travaux lors des deux derniers jours de séance avant le congé d’été, y compris les modalités de vote à suivre le dernier jour des subsides de la période se terminant le 23 juin 2001.

J’aimerais remercier l’honorable leader du gouvernement à la Chambre, l’honorable député de Yorkton–Melville, l’honorable député de Winnipeg–Transcona et l’honorable secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre de leurs interventions sur cette question.

J’avais, à cette occasion, décidé de permettre que la motion aille de l’avant, puisque la Chambre l’avait adoptée près de huit heures avant que l’honorable député soulève le rappel au Règlement. Toutefois, j’avais également fait état de mon intention de revenir à la Chambre cet automne avec une décision sur l’usage de l’article 56.1 et je suis maintenant prêt à la présenter.

On retrouve, à la page 571 de l’ouvrage intitulé La procédure et les usages de la Chambre des communes, la description suivante de l’article 56.1 :

Si, à un moment quelconque au cours d’une séance de la Chambre, le consentement unanime est refusé pour la présentation d’une « motion pour affaire courante », un ministre peut demander à la présidence, pendant les Affaires courantes, de mettre la motion aux voix. À ces fins, l’expression « motion pour affaire courante » désigne les motions qui peuvent s’imposer pour l’observation du décorum de la Chambre, le maintien de son autorité, l’administration de ses affaires, l’agencement de ses travaux, la détermination des pouvoirs de ses comités, l’exactitude de ses archives ou la fixation des jours où elle tient ses séances ainsi que des heures où elle les ouvre ou les ajourne. La motion, qui ne peut être ni débattue ni modifiée, est immédiatement mise aux voix par le Président. Si 25 députés ou plus s’opposent à la motion, elle est réputée retirée; sinon elle est adoptée.

L’article 56.1 a été adopté par la Chambre en avril 1991. Au moment de son adoption, certains ont exprimé des inquiétudes quant aux conséquences que pourrait avoir une disposition permettant une dérogation au principe d’unanimité du mécanisme de consentement unanime qu’utilise fréquemment la Chambre pour achever expéditivement ses travaux. Dans sa décision du 9 avril 1991, le Président Fraser a indiqué, à la page 19236 des Débats :

Toutefois, si j’ai bien compris, la disposition dérogatoire ne peut s’appliquer qu’à un éventail défini et très limité de motions proposées par un ministre à un moment bien précis de notre programme journalier. […] Compte tenu du fait qu’il existe déjà des procédures semblables pour d’autres espèces de motions et vu que la proposition n’aurait qu’une application fort limitée, la présidence ne peut accéder à la demande […] que le paragraphe 20 de la motion relative à la modification du Règlement soit déclarée irrecevable.

Il importe de souligner qu’au moment de l’adoption de cet article, l’intention était de ne l’utiliser qu’à l’égard des « motions pour affaires courantes », selon la définition prévue à l’alinéa 56.1(1)b) du Règlement.

Examinons maintenant la façon dont cet article a été appliqué depuis son adoption il y a quelque dix ans. Le gouvernement a essayé de s’en prévaloir à 17 reprises et a échoué par deux fois.

Entre 1991 et 1995, l’article 56.1 a été utilisé six fois pour autoriser les déplacements de comités, ce qui s’inscrit nettement dans son champ d’application. De 1995 à 1997, il a été utilisé à quatre reprises pour l’organisation des séances de la Chambre : en mars 1995 et en avril 1997, pour suspendre la séance de la Chambre afin que les députés assistent à une cérémonie de sanction royale; en mars 1995, pour permettre à la Chambre de siéger pendant la fin de semaine afin d’étudier un ordre émanant du gouvernement, soit le projet de loi C-77, Loi prévoyant le maintien des services ferroviaires et des services auxiliaires, qui faisait déjà l’objet d’une attribution de temps; et en juin 1995, pour prolonger la séance afin que la Chambre puisse étudier les Affaires émanant du gouvernement au-delà de la prolongation déjà autorisée aux termes du paragraphe 27(1) du Règlement.

Ces quatre exemples illustrent eux aussi l’intention originale de l’article 56.1, c’est-à-dire l’utiliser pour les affaires courantes de la Chambre telles que la fixation de l’heure de ses séances ou des ajournements et l’agencement de ses travaux.

Depuis 1997, il semble se dessiner une tendance inquiétante selon laquelle on utilise ou tente d’utiliser l’article 56.1 pour adopter des motions moins aisément qualifiables de motions pour affaires courantes. Examinons des exemples concrets de cette tendance.

Le 1er décembre 1997, l’article 56.1 a été invoqué pour la première fois afin d’adopter, à toutes les étapes, un projet de loi ordonnant la reprise du travail, le projet de loi C-24, Loi prévoyant la reprise et le maintien des services postaux. En mars 1999, le gouvernement a tenté d’utiliser le même article pour l’adoption du projet de loi C-76, Loi prévoyant la reprise et le maintien des services gouvernementaux. Cette tentative a échoué, tout comme une seconde tentative trois jours plus tard. Par la suite, le projet de loi a fait l’objet d’un ordre spécial après que le gouvernement eut présenté la même motion qu’il avait inscrite au Feuilleton sous les Ordres émanant du gouvernement.

En juin 1998, le gouvernement a tenté d’invoquer l’article 56.1 pour faire annuler une décision antérieure de la Chambre concernant l’article 57 et le paragraphe 78(3) du Règlement. La tentative ayant échoué, certains députés ont soulevé des objections sur cet usage particulier de l’article 56.1. Ils ont fait valoir que l’annulation d’une décision unanime de la Chambre ne constituait pas une motion pour affaire courante et ne pouvait donc comme telle être permise en vertu de cet article. Le Président a tout de même donné son aval avec certaines réserves et il a demandé au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre de se pencher sur l’utilisation judicieuse de l’article 56.1.

Il y a eu deux autres situations bien moins problématiques où l’article 56.1 a été invoqué pour permettre à la Chambre de tenir des débats exploratoires et ainsi prolonger la séance au-delà de l’heure habituelle : en février 1998, pour discuter de la participation du Canada à une intervention militaire éventuelle dans le Moyen-Orient, la guerre du Golfe; et en avril 1999 pour examiner la situation au Kosovo. Tant que nous continuons à respecter la distinction entre les débats d’urgence au titre de l’article 52 du Règlement et les débats exploratoires, le fait de se prévaloir de l’article 56.1 du Règlement pour l’agencement des travaux ne semble pas contrevenir à l’esprit du Règlement.

En juin 2001, le gouvernement a invoqué de nouveau l’article 56.1 pour adopter, à toutes les étapes, le projet de loi C-28, Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada, la Loi sur les allocations de retraite des parlementaires et la Loi sur les traitements.

Enfin, le 12 juin 2001, le gouvernement a présenté, en vertu de l’article 56.1, une motion proposant l’achèvement des travaux au cours des deux jours de séance suivants. On y prévoyait la troisième lecture du projet de loi C-11, Loi concernant l’immigration au Canada et l’asile conféré aux personnes déplacées, persécutées ou en danger, et du projet de loi C-24, Loi modifiant le Code criminel (crime organisé et application de la loi) et d’autres lois en conséquence, ainsi que l’Affaire émanant du gouvernement no 7 (motion d’ajournement pour l’été).

La motion précisait également qu’après tout vote par appel nominal sur un poste du budget principal des dépenses, toutes les motions subséquentes portant adoption d’un crédit ou des crédits du budget principal soient réputées proposées et appuyées et que la question soit réputée mise aux voix et adoptée avec dissidence. Le résultat est qu’il y a eu un seul vote par appel nominal pour le premier des 190 postes faisant l’objet d’opposition qui étaient inscrits au Feuilleton et que tous les autres postes ont été réputés adoptés avec dissidence.

À ce moment-ci, j’aimerais porter à l’attention des honorables députés le passage suivant de La procédure et les usages de la Chambre des communes, aux pages 571 et 572 :

Le 9 avril 1991, le Président Fraser, tout en faisant observer que l’éventail des motions auxquelles la procédure proposée s’appliquerait était très limité, a exprimé l’idée que le nouvel article du Règlement devait s’interpréter comme un autre mécanisme, acceptable au plan de la procédure, pour limiter le débat : « Il y a aussi d’autres ressemblances entre la proposition et l’actuel article 78 du Règlement, relatif à l’attribution de temps, en ce que les deux font appel à une approche par échelons, dépendant du degré d’accord possible, pour garantir le droit de présenter une motion. »

Je demanderais aux honorables députés de faire preuve de beaucoup de circonspection à la lecture de ce passage. Dans sa décision, le Président Fraser a fait le parallèle entre l’article 56.1 du Règlement, qui exige une tentative préalable en vue d’obtenir le consentement unanime, et l’article 78, la règle d’attribution de temps, qui exige un avis ou une consultation préalable. Or, il me semble douteux, après la lecture du texte complet de la décision, que le Président Fraser ait vraiment eu l’intention de laisser entendre que l’article 56.1 devait s’interpréter comme un autre mécanisme, acceptable au plan de la procédure, pour limiter le débat.

Le recours accru à l’article 56.1 depuis 1997 est une source de sérieuses préoccupations pour le Président. Le gouvernement dispose déjà, en vertu des articles 57 et 78, de plusieurs options pour limiter le débat. L’article 56.1 est censé être réservé aux motions pour affaires courantes, telles les motions visant l’agencement des travaux de la Chambre. Il n’a jamais été destiné à servir pour l’adoption d’un projet de loi à ses diverses étapes et surtout pas un projet de loi qui n’entre pas dans la catégorie des projets de loi envisagés par le Règlement dans les « cas d’urgence ou de circonstances extraordinaires ». C’est l’article 71 qui, dans de tels cas, prévoit qu’un projet de loi peut franchir plus d’une étape le même jour.

De même, la motion visant à renverser une décision unanime de la Chambre est une affaire sérieuse et ne peut être considérée d’aucune façon comme une motion pour affaire courante. Jamais n’a-t-on envisagé que l’article 56.1 serait utilisé pour renverser les décisions de la Chambre prises par consentement unanime.

Dans le cadre de la dernière tentative d’utilisation de l’article 56.1, une motion, qui proposait un vote par appel nominal pour le premier poste faisant l’objet d’opposition dans le budget principal des dépenses, a été adoptée. Par le fait même, tous les postes subséquents faisant l’objet d’opposition ont été réputés proposés et adoptés. La motion adoptée en vertu de l’article 56.1 a eu pour effet de déterminer d’avance les résultats de tous les votes consécutifs au premier vote par appel nominal. Il me semble évident que cette application de l’article 56.1 dépasse largement son intention originale, c’est-à-dire la présentation de motions pour affaires courantes selon la définition qu’en donne l’alinéa 56.1(1)b).

L’article 56.1 n’a jamais été utilisé pour se substituer aux décisions que la Chambre elle-même doit prendre sur des questions importantes. De plus, si la Chambre devait à l’occasion s’entendre sur une façon de procéder par consentement unanime, comme, par exemple, pour l’application des votes, on ne pourrait supposer que de telles ententes entreraient automatiquement dans la catégorie des affaires courantes au sens de l’article 56.1.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, j’ai permis que la motion adoptée le 12 juin 2001 aille de l’avant parce qu’aucune objection n’avait été soulevée au moment de sa présentation. Lorsque les honorables députés ont fait part de leurs préoccupations à la présidence quelque huit heures plus tard, celle-ci n’a eu d’autre choix que de procéder selon les termes de la motion. Mais, à vrai dire, si l’objection avait été soulevée en temps opportun, j’aurais été enclin à déclarer la motion irrecevable. Cette situation démontre une fois de plus aux députés à quel point il est important de soulever les questions de procédure le plus rapidement possible.

Depuis que mon prédécesseur a demandé au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre de se pencher sur la question de l’utilisation judicieuse de l’article 56.1, il y a trois ans, nous remarquons que la tendance à s’éloigner de l’intention originale de cet article prend de l’ampleur. Il semble que ce soit là une raison de plus pour que le Comité procède à l’étude de l’article 56.1 à brève échéance.

Entre-temps, après un examen minutieux des précédents et de la situation la plus récente où l’article 56.1 a été utilisé pour contourner le processus décisionnel de la Chambre, je dois porter à l’attention de l’ensemble de la Chambre que la motion adoptée le 12 juin 2001 ne sera pas considérée comme un précédent. Je recommande à tous les honorables députés de faire preuve de vigilance lorsqu’il est question d’utiliser ce mécanisme, car la présidence a bien l’intention d’y porter une attention bien particulière.

Je tiens à remercier tous les honorables députés qui sont intervenus dans cette affaire à la Chambre.

Certains sites Web de tiers peuvent ne pas être compatibles avec les technologies d’assistance. Si vous avez besoin d’aide pour consulter les documents qu’ils contiennent, veuillez communiquer avec accessible@parl.gc.ca.

[1] Journaux, 12 juin 2001, p. 535-536.

[2] Débats, 12 juin 2001, p. 5027-5031.

Pour des questions au sujet de la procédure parlementaire, communiquez avec la Direction des recherches pour le Bureau

Haut de la page