Les procédures financières / Travaux des subsides
Phase législative : budget supplémentaire des dépenses; allégations de déclarations trompeuses
Débats, p. 8241-8243
Contexte
Le 24 septembre 2003, Garry Breitkreuz (Yorkton–Melville) soulève une question de privilège en accusant Wayne Easter (ministre de la Justice et solliciteur général du Canada) d’avoir induit la Chambre en erreur et de l’avoir ainsi empêché d’exercer ses fonctions de député[1]. La veille, le ministre a déclaré, lors d’une réponse pendant la période des questions, que les fonds se rapportant au Programme canadien des armes à feu dans le Budget supplémentaire des dépenses (A) 2003-2004 n’étaient pas de nouveaux fonds, et qu’ils avaient déjà été approuvés par le Parlement[2]. Selon M. Breitkreuz, soit les fonds sont inscrits de façon erronée, soit la déclaration du ministre est fausse, puisque les fonds en question sont inscrits dans le Budget supplémentaire des dépenses à titre de nouveau crédit. Le 25 septembre 2003, Don Boudria (leader du gouvernement à la Chambre des communes) intervient pour répondre à la question de privilège soulevée par M. Breitkreuz. Il explique que les fonds ont été approuvés, mais pas dépensés, dans un exercice précédent et qu’ils sont donc reportés dans le Budget supplémentaire des dépenses. Il fait remarquer que le report du budget de fonctionnement fait partie des pratiques reconnues de gestion des finances publiques. Le Président prend la question en délibéré[3].
Résolution
Le Président rend sa décision le 7 octobre 2003. Il explique que seule une partie des fonds approuvés par le Parlement pour financer le Centre canadien des armes à feu a été dépensée au cours de l’exercice initial, et que l’approbation des fonds devient périmée à la fin de cet exercice. Les fonds sont inscrits dans le Budget supplémentaire des dépenses à titre de nouveau crédit parce que le Parlement doit autoriser le report de l’exercice précédent afin d’approuver à nouveau l’autorisation de dépenses. Les reports facilitent simplement le transfert de fonds d’un exercice à l’autre. Le Président déclare que bien que le libellé du Budget supplémentaire des dépenses ne soit pas clair pour tous, le ministre n’a pas induit la Chambre en erreur lorsqu’il a déclaré qu’il n’y avait pas d’augmentation dans le financement global du Programme sur les deux prochains exercices.
Décision de la présidence
Le Président : Le mercredi 24 septembre 2003, le député de Yorkton–Melville a soulevé la question de privilège au sujet de la période des questions de la veille, accusant le solliciteur général d’avoir induit la Chambre en erreur et de l’avoir empêché d’exercer ses fonctions de député.
Je tiens à remercier le député de Yorkton–Melville d’avoir soulevé une question de grande importance. Il est méritoire de sa part de ne pas s’être laissé décourager par les complexités financières de cette question. Il est toutefois bien dommage qu’il ait été amené à soulever la question de privilège à la Chambre pour obtenir le genre de renseignements qui devraient être facilement accessibles à tous les députés.
Dans son intervention, le député a cité le Budget supplémentaire des dépenses (A) présenté à la Chambre le 23 septembre, en signalant qu’aux pages 14 et 88 figurent les mentions « Centre canadien des armes à feu, Nouveau crédit 10 000 000 $ » et « Centre canadien des armes à feu — Dépenses de fonctionnement […] pour prévoir un montant supplémentaire de […] 10 000 000 $ ».
Le député a ensuite comparé le texte des documents du Budget supplémentaire à une réponse donnée par le solliciteur général pendant la période des questions, réponse dans laquelle le ministre a affirmé que le gouvernement ne demandait pas de l’argent neuf pour le Programme d’enregistrement des armes à feu et que ces sommes avaient déjà été approuvées par le Parlement.
Le député de Yorkton–Melville a fait remarquer que, si le solliciteur général avait raison, c’était donc le Budget supplémentaire qui était erroné et que le Parlement approuverait le même crédit deux fois, ce qu’il ne pouvait pas faire.
En présentant l’historique des mesures prises par la Chambre à l’égard du Budget des dépenses du Programme canadien d’enregistrement des armes à feu, le député a signalé que le crédit 7a n’était pas un crédit d’un dollar — ce qui est le moyen habituel de transférer des sommes d’un programme à un autre dans le Budget —, mais qu’il était inscrit comme un nouveau crédit. Il a ajouté qu’on avait assuré à la Chambre que le budget annuel total du Programme s’élevait au montant de 113,1 millions de dollars approuvé dans le Budget principal des dépenses de 2003-2004. Il a affirmé que l’assertion du solliciteur général selon laquelle il ne s’agissait pas d’argent neuf allait à l’encontre du bon sens.
Pour terminer, le député a déclaré qu’essayer « de faire croire » aux députés que la somme de 10 millions de dollars inscrite au crédit 7a n’était pas de l’argent neuf et ne pouvait ainsi faire l’objet d’un examen ou d’une réduction était une atteinte à la dignité de la Chambre et un manque de respect pour son rôle en tant que « grand enquêteur de la nation ». Pour s’acquitter de ses fonctions, la Chambre a besoin de renseignements exacts et véridiques et, par conséquent, toute déclaration trompeuse faite à la Chambre doit être considérée comme un outrage. De l’avis du député de Yorkton–Melville, le solliciteur général a clairement trompé la Chambre, et il s’est déclaré prêt à présenter la motion appropriée si le Président jugeait la question de privilège fondée de prime abord.
L’honorable leader du gouvernement à la Chambre est alors intervenu au nom du solliciteur général et a expliqué à la Chambre l’utilisation des crédits d’un dollar dans le Budget. Il a assuré la Chambre que le solliciteur général n’avait pas trompé la Chambre et a promis de fournir un complément d’information.
Le député de Pictou–Antigonish–Guysborough et le député de St. Albert ont aussi participé à la discussion sur les crédits d’un dollar et sur la définition d’un nouveau crédit.
Le 25 septembre 2003, le leader du gouvernement à la Chambre a fourni un complément d’information sur la nature de la demande d’un montant de 10 millions de dollars. Il a expliqué que le report de sommes de budgets de fonctionnement faisait partie des pratiques reconnues de gestion des finances publiques et que le Budget supplémentaire des dépenses de l’exercice 2002-2003 comportait des demandes d’approbation de reports totalisant 629 millions de dollars pour 87 ministères et organismes. Il a ajouté que les 10 millions de dollars en question étaient une somme que le Parlement avait déjà approuvée, et je vais revenir plus tard sur ce point.
Il est normal que le député de Yorkton–Melville ait éprouvé une certaine confusion à la lecture de ce poste du Budget supplémentaire des dépenses (A). Les fonds en question sont, de toute évidence, présentés comme un nouveau crédit dans ce document.
Les députés savent déjà que le Parlement accorde des fonds au gouvernement en l’autorisant à prélever sur le Trésor des montants spécifiques à des fins précises. Dans l’octroi des fonds au gouvernement, le Parlement fixe le plafond du montant total qui peut être dépensé pour une activité ou un programme donné. Le gouvernement ne peut dépasser ce plafond qu’en demandant des fonds additionnels au Parlement, ce qu’il fait au moyen de budgets supplémentaires des dépenses.
Dans le Budget supplémentaire des dépenses (A) de 2003-2004, sous la rubrique du Solliciteur général, crédit 7a, Centre canadien des armes à feu — Dépenses de fonctionnement, à la page 88, deux montants sont demandés au Parlement : un virement de 84 840 694 $ et un « nouveau crédit » de 10 millions de dollars.
En ce qui concerne le montant du virement, il est précisé dans le Budget supplémentaire des dépenses que le gouvernement fait la demande au Parlement :
Pour autoriser le virement au présent crédit de 84 840 694 $ du crédit 1 (Justice) de la Loi de crédits no 2 pour 2003-2004 […]
Il s’agit d’un transfert de fonds déjà approuvé par la Chambre le 12 juin 2003 dans le cadre du Budget principal des dépenses pour l’exercice en cours.
Sous la rubrique « Explication du besoin », le nouveau crédit de 10 millions de dollars est présenté comme un « Report du budget de fonctionnement ». Une note explique ce poste de la façon suivante :
Ce montant représente le report du budget de fonctionnement du ministère de la Justice destiné au Centre canadien des armes à feu.
Une autre note précise ce qui suit :
En vertu des décrets C.P. 2003-555 et C.P. 2003-556 du 14 avril 2003, le Centre canadien des armes à feu a été établi à titre de portefeuille distinct et le contrôle et la supervision du Centre ont été transférés du ministre de la Justice au solliciteur général du Canada.
Il est important à ce stade-ci que les députés comprennent clairement la signification d’un report de budget de fonctionnement. Les principales caractéristiques d’un report peuvent se résumer comme suit : le report se fait d’un exercice à un autre; le report d’un budget de fonctionnement ne peut dépasser 5 p. 100 du budget de fonctionnement prévu au budget principal des dépenses de l’exercice précédent; les reports sont faits individuellement pour chaque programme et non pour l’ensemble du crédit 1 (dépenses de fonctionnement) du Budget principal des dépenses.
Maintenant, avant d’aller plus loin, il serait peut-être aussi utile d’expliquer la différence entre les reports et les crédits d’un dollar, puisque la question des crédits d’un dollar a été soulevée lors de la discussion initiale sur la question de privilège. On peut trouver l’explication suivante des crédits d’un dollar à la page 733 de La procédure et les usages de la Chambre des communes :
Les Budgets supplémentaires comprennent souvent ce qu’on appelle des « crédits d’un dollar » afin de demander de modifier la répartition des fonds autorisée dans le Budget principal. Ces crédits d’un dollar ne visent pas à obtenir de fonds nouveaux ou supplémentaires, mais plutôt à affecter différemment des crédits déjà autorisés.
Les crédits d’un dollar visent le transfert entre crédits de fonds déjà approuvés pendant l’exercice en cours. Un tel transfert permet d’utiliser les fonds à une autre fin que celle initialement autorisée. Les crédits d’un dollar ne peuvent cependant être utilisés pour les virements entre deux ministères. Les députés remarqueront que, pour le virement de fonds du ministère de la Justice au solliciteur général, mentionné précédemment, l’exacte somme transférée est indiquée plutôt que la somme symbolique de un dollar.
Les reports, par contre, visent le transfert de fonds d’un exercice à l’autre. Les fonds à reporter sont des fonds que le Parlement a déjà approuvés au cours de l’exercice précédent mais qui n’ont pas été dépensés durant cette période. Puisque l’approbation de fonds devient périmée à la fin de cet exercice, le Parlement doit autoriser le report afin de réapprouver l’autorisation de dépenses. La fin à laquelle les fonds sont destinés demeure la même.
Étant donné que les reports sont faits individuellement pour chaque programme, le report du budget de fonctionnement de Justice est correctement inscrit sous la rubrique « Solliciteur général ». Comme je l’ai déjà dit, le Programme (Centre canadien des armes à feu) a été transféré le 14 avril 2003. Il ne serait plus donc permis d’inscrire le report sous la rubrique « Justice », vu que le ministre de la Justice n’est plus responsable de ce Programme.
La situation qui nous occupe peut se résumer comme suit : au cours de l’exercice précédent (2002-2003), le gouvernement a demandé et obtenu une autorisation de dépenses pour le financement du Centre canadien des armes à feu. Pendant cet exercice, il n’a apparemment utilisé qu’une partie des fonds que le Parlement avait approuvés à cette fin. Le solde inutilisé est donc devenu périmé à la fin de l’exercice. Ces fonds restent dans le Trésor, mais le gouvernement n’a désormais plus le pouvoir de les dépenser.
En présentant le Budget supplémentaire des dépenses (A) de 2003-2004, le gouvernement demande une nouvelle autorisation de dépenser une partie des fonds de l’exercice précédent qu’il n’a pas utilisés pendant cette période.
Ainsi, en quelque sorte, la Chambre est appelée à voter deux fois sur la même chose. L’autorisation de dépenser les 10 millions de dollars pour le Centre canadien des armes à feu a été demandée et obtenue au cours de l’exercice 2002-2003. Cependant, cette somme n’a pas été utilisée et l’autorisation est devenue périmée.
C’est pourquoi le gouvernement demande maintenant une nouvelle autorisation pour dépenser ces fonds sur le Centre canadien des armes à feu au cours de l’exercice 2003-2004. La décision d’accorder ou non cette autorisation revient évidemment à la Chambre. Comme pour toute demande de fonds prévue au Budget des dépenses, la Chambre a le droit de réduire la somme demandée ou de la refuser en totalité.
À la lumière de ces faits, il m’est impossible de conclure que les remarques du solliciteur général ont induit la Chambre en erreur. À l’instar de toute organisation vaste et diversifiée, le Gouvernement du Canada a recours à de nombreux mécanismes comptables que peuvent ne pas connaître à fond ceux d’entre nous qui ne sont pas experts dans le domaine des finances publiques. Le Budget supplémentaire des dépenses (A) dit que la somme de 10 millions de dollars est un report, même si le libellé utilisé aurait pu être plus clair. Bien qu’il soit vrai que cela représente un nouveau crédit pour l’exercice en cours, rien ne montre que le solliciteur général a tort en affirmant que cette somme n’entraîne aucune augmentation, pour les deux exercices, du total des fonds destinés à ce Programme.
Il est toutefois utile de noter que le montant réel des fonds qui sont devenus périmés ne sera connu que lors du dépôt des Comptes publics. Ce n’est qu’à ce moment que les députés seront en mesure de déterminer si le report respecte les lignes directrices du Conseil du Trésor. La présente décision ne vise aucunement à porter jugement sur la disponibilité des 10 millions de dollars auxquels s’élève le report. Je suis sûr que le député de Yorkton–Melville étudiera attentivement les Comptes publics à ce sujet.
Je tiens à remercier tous les députés de leur patience dans le cas présent, qui a exigé plusieurs explications assez techniques des rouages de nos procédures financières. Cette question met en évidence la nécessité de fournir au Parlement des renseignements clairs et complets afin qu’il puisse s’acquitter de ses responsabilités. Encore une fois, je félicite le député de Yorkton–Melville d’avoir soulevé cette question. J’espère que les clarifications apportées sont à la satisfaction de tous les députés.
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[1] Débats, 24 septembre 2003, p. 7750-7752.
[3] Débats, 25 septembre 2003, p. 7781-7782.