Recueil de décisions du Président Peter Milliken 2001 - 2011

Les affaires émanant des députés / Affaires semblables

Projets de loi émanant des députés : affaires semblables inscrites à l’ordre de priorité

Débats, p. 4785-86

Contexte

Le 1er novembre 2006, Derek Lee (Scarborough–Rouge River) invoque le Règlement au sujet du projet de loi C-257, Loi modifiant le Code canadien du travail (travailleurs de remplacement), inscrit au nom de Richard Nadeau (Gatineau), qui a déjà reçu deuxième lecture, et du projet de loi C-295, Loi modifiant le Code canadien du travail (travailleurs de remplacement), inscrit à l’ordre de priorité au nom de Catherine Bell (Île de Vancouver-Nord). Les textes visent tous deux à modifier le Code canadien du travail relativement aux briseurs de grève. M. Lee soutient qu’à part de légères différences quant aux amendes, les deux projets de loi sont pratiquement identiques et que cela pourrait semer la confusion. À son avis, comme il se pourrait que le projet de loi C-257 soit rejeté, on ne devrait pas retirer totalement le projet de loi C-295, mais plutôt le mettre en attente sur le plan de la procédure, au cas où le projet de loi C-257 serait rejeté ou rayé du Feuilleton : dans ce cas, on pourrait de nouveau examiner le projet de loi C-295 de façon conforme à la procédure. Libby Davies (Vancouver-Est) intervient pour dire que les deux projets de loi, bien que leurs différences soient minimes, sont néanmoins distincts. Cela pourrait créer, avance-t-elle, un précédent indésirable si un député dont l’affaire figure à l’ordre de priorité perdait sa place suite à une décision d’une tierce partie. Elle conclut qu’étant donné que les projets de loi sont maintenant la propriété de la Chambre, il ne conviendrait pas que le Président en écarte un. Le Président prend la question en délibéré[1].

Résolution

Le Président rend sa décision le 7 novembre 2006. Il déclare qu’à part de légères différences, notamment en ce qui a trait au montant des amendes, les deux projets de loi sont à ses yeux identiques sur le plan de leurs effets législatifs et procéduraux et qu’ils atteignent leur objectif de la même façon. Laisser les deux projets de loi au Feuilleton compromettrait, ajoute-t-il, un principe clé de la procédure parlementaire, à savoir qu’on ne peut remettre en question une décision déjà prise, laquelle représente le jugement de la Chambre. Le Président hésite toutefois à retirer le projet de loi C-295, car ce pourrait être la seule chance pour Mme Bell de faire inscrire une affaire dans l’ordre de priorité. Il ordonne donc que le projet de loi C-295 soit reporté au bas de l’ordre de priorité afin de donner au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre le temps de trouver une solution. S’il n’en trouve pas, fait valoir le Président, lorsque le projet de loi C-295 reviendra en tête de la liste de priorité, il ordonnera que le débat n’ait pas lieu, que l’ordre portant étude soit révoqué et que le projet de loi soit rayé du Feuilleton.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur le rappel au Règlement soulevé le 1er novembre 2006 par le député de Scarborough–Rouge River, au sujet du projet de loi C-257, inscrit au nom du député de Gatineau, et du projet de loi C-295, inscrit au nom de la députée d’Île de Vancouver-Nord. Les deux projets de loi visent à modifier le Code canadien du travail en ce qui a trait aux travailleurs de remplacement.

Je veux tout d’abord remercier l’honorable député de Scarborough–Rouge River d’avoir soulevé cette question ainsi que l’honorable députée de Vancouver-Est de son intervention.

Dans sa présentation, le député de Scarborough–Rouge River explique que ces projets de loi sont identiques quant au fond, hormis des différences mineures en ce qui concerne les amendes. Comme la Chambre a décidé, le 18 octobre 2006, d’adopter le projet de loi C-257 en deuxième lecture et de le renvoyer à un comité, le député fait valoir que le débat sur le projet de loi C-295 ne devrait pas se poursuivre et que le projet de loi devrait être rayé de l’ordre de priorité.

Pour sa part, la députée de Vancouver-Est estime que, bien que les deux projets de loi portent sur le même sujet, ils sont différents et que le projet de loi C-295 ne devrait pas être rayé de l’ordre de priorité.

Permettez-moi tout d’abord d’expliquer les usages applicables aux Affaires émanant des députés qui sont similaires. Le paragraphe 86(4) du Règlement est libellé ainsi :

Le Président a la responsabilité de décider si deux affaires ou plus se ressemblent assez pour être substantiellement identiques. Il en informe alors les députés dont l’affaire a été reçue en dernier et ladite affaire leur est retournée sans avoir paru au Feuilleton des avis.

Lorsque ce paragraphe du Règlement a été adopté, l’étude des initiatives parlementaires ne se faisait pas du tout comme aujourd’hui. Le Règlement prévoyait que seulement 20 projets de loi d’initiative parlementaire pouvaient être tirés au sort pour être inscrits à l’ordre de priorité et que de ce nombre, trois seulement étaient mis aux voix. En réalité, il y avait peu de chances que des projets de loi considérés comme identiques quant au fond soient tirés au sort et inscrits en même temps à l’ordre de priorité et, à plus forte raison, qu’ils fassent tous deux l’objet d’un débat et d’un vote. Ces probabilités ont fait que le paragraphe 86(4) a rarement été invoqué: un projet de loi n’était refusé que lorsqu’il était identique à un autre qui avait déjà été présenté. Cette interprétation large du paragraphe est signalée dans la décision du 2 novembre 1989 du Président Fraser, qui se trouve aux pages 5474-5475 des Débats et où le Président déclare :

Je dois dire que, de l’avis de la présidence, deux affaires ou plus sont substantiellement identiques si, d’une part, elles ont le même but et, d’autre part, elles visent à atteindre ce but par les mêmes moyens.
On pourrait donc avoir plusieurs projets de loi portant sur le même sujet, mais si leur façon d’aborder la question était différente, la présidence jugerait qu’elles diffèrent assez pour ne pas constituer des affaires substantiellement identiques. […] 
La nouvelle règle visait à donner aux députés la possibilité de saisir la Chambre d’affaires qui les préoccupent, mais aussi à empêcher qu’un grand nombre de projets de loi identiques soient présentés  […] 

Dans la pratique, comme le Président Fraser l’a expliqué, cette interprétation avait pour effet de donner au député la possibilité de présenter un projet de loi sur n’importe quel sujet, quoi que fassent les autres députés. Cette pratique a bien servi les députés jusqu’à ce que se présente le cas qui nous occupe aujourd’hui.

Le Règlement actuel, qui a été adopté à titre provisoire en mai 2003, ne prévoit qu’un seul tirage au sort des noms de tous les députés au début de la législature. Au 20e jour de séance après le tirage, les 30 premiers députés de la liste qui ont déposé un projet de loi ou donné avis d’une motion dans le Feuilleton des avis forment l’ordre de priorité. Après le tirage, le Sous-comité des affaires émanant des députés se réunit pour déterminer si les affaires inscrites peuvent ou non faire l’objet d’un vote en application de l’article 91.1 du Règlement. Pour déterminer si c’est le cas, le Sous-comité vérifie si les projets de loi et les motions sont identiques quant au fond à ceux qui ont déjà fait l’objet d’un vote à la Chambre des communes depuis le début de la session courante.

Dans le cas présent, un examen attentif des deux projets de loi a révélé qu’ils ont exactement le même objectif, soit d’interdire aux employeurs visés par le Code canadien du travail d’embaucher des travailleurs de remplacement pour remplir les fonctions des employés en grève ou en lock-out. Les deux projets de loi se distinguent par les légères différences suivantes : premièrement, le projet de loi C-257 prévoit une amende maximale de 1 000 $ pour chaque jour où se commet l’infraction, alors que le projet de loi C-295 prévoit plutôt une amende maximale de 10 000 $; deuxièmement, le projet de loi C-257 propose, à l’article 2, d’ajouter au Code l’alinéa 94(2.1)f), qui interdirait de faire affaire avec des travailleurs de remplacement et qui est absent du projet de loi C-295; troisièmement, le paragraphe (2.2) qu’ajouterait le projet de loi C-257 porte le numéro (2.9) dans le projet de loi C-295.

Si on fait abstraction de ces trois différences, les deux projets de loi sont identiques sur le plan de leurs effets législatifs et procéduraux. La seule différence concrète qui les distingue a trait au montant des amendes. Bien qu’il s’agisse d’une question importante, elle ne fait pas de ces projets de loi deux mesures législatives véritablement différentes. La présidence doit donc conclure que les deux projets de loi sont identiques quant au fond et qu’ils atteignent leur objectif de la même façon.

Il s’agit maintenant de savoir si la Chambre doit poursuivre l’étude du projet de loi C-295.

La présidence estime assez risqué de permettre que deux projets de loi identiques quant au fond soient débattus. Cela compromettrait en effet un principe clé de la procédure parlementaire, à savoir qu’on ne peut remettre en question une décision déjà prise, laquelle représente le jugement de la Chambre.

Comme La procédure et les usages de la Chambre des communes l’explique à la page 495, ce principe existe pour une très bonne raison :

éviter que le temps de la Chambre ne serve à discuter de motions de même nature, avec la possibilité d’arriver à des décisions contradictoires au cours d’une même session.

Le cas qui nous occupe se caractérise par une coïncidence inhabituelle de circonstances. Non seulement les projets de loi parrainés par les députés de Gatineau et de l’Île de Vancouver-Nord ont été tous deux inscrits au Feuilleton des avis, mais en plus, ces députés ont été parmi les 30 premiers tirés au sort pour établir la liste de priorité. En outre, le Sous-comité des affaires émanant des députés n’a pu considérer qu’un des projets de loi ne pouvait pas faire l’objet d’un vote du fait que la Chambre n’avait pas encore commencé à débattre des initiatives parlementaires ni pris de décision à leur égard.

Cela étant, la présidence se retrouve maintenant dans une situation sans précédent. Je considère que le projet de loi C-295 est identique au projet de loi C-257 quant au fond. Normalement, j’ordonnerais qu’il soit rayé du Feuilleton, conformément à notre Règlement. Pourtant, comme cette situation ne s’est encore jamais présentée, j’hésite à rendre une décision finale, car il se pourrait que la députée de l’Île de Vancouver-Nord n’ait plus d’autre occasion, au cours de la présente législature, de faire inscrire une affaire dans l’ordre de priorité. Mais la présidence ne peut pas non plus permettre que le projet de loi reçoive la dernière heure de débat prévue et soit soumis au vote qui suivrait.

Au lieu de cela, et conformément au paragraphe 94(1) du Règlement, qui donne au Président le pouvoir de prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer le déroulement ordonné des initiatives parlementaires, j’ordonne que le projet de loi C-295 soit reporté au bas de l’ordre de priorité.

Ce report de l’étude du projet de loi C-295 vise à donner au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre assez de temps pour examiner l’affaire et y proposer une solution à la députée qui parraine le projet de loi. Le Comité devrait également évaluer si nos usages quant à l’application du paragraphe 86(4) du Règlement répondent toujours aux besoins de la Chambre avec efficacité, dans la mesure où nos règles relatives aux initiatives parlementaires ont évolué depuis l’adoption de ce paragraphe.

À défaut de trouver une solution aux difficultés auxquelles fait face l’auteure du projet de loi C-295, la présidence n’aura d’autre choix, lorsque celui-ci reviendra en tête de la liste de priorité, que d’ordonner que le débat n’ait pas lieu, que l’ordre portant étude du projet de loi soit révoqué et que le projet de loi soit rayé du Feuilleton.

Je voudrais remercier de nouveau les députés de Scarborough–Rouge River et de Vancouver-Est d’avoir porté cette question à l’attention de la présidence et de la Chambre, car elle contribue de façon importante à faire évoluer la procédure régissant les initiatives parlementaires.

Je crois qu’en raison de cette décision, il n’y aura pas de période consacrée aux initiatives parlementaires ce soir.

Post-scriptum

Dans son 23e rapport, déposé à la Chambre et adopté le 27 novembre 2006, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre recommande que l’on donne trois choix à Mme Bell relativement au projet de loi C-295 : faire retirer le projet de loi et s’en tenir là; tenir à la Chambre des communes une deuxième heure de débat sur le projet de loi, sans qu’il fasse l’objet d’un vote; ou aviser le Président par écrit, dans les cinq jours suivant l’adoption du rapport du Comité qu’elle souhaite faire retirer le projet de loi et annuler l’ordre portant deuxième lecture, après quoi elle disposerait de 20 jours de séance à compter de la date d’adoption du rapport du Comité pour choisir une autre affaire émanant des députés à faire étudier. Cette affaire, nonobstant tout autre article du Règlement, serait immédiatement placée au bas de l’ordre de priorité et, sous réserve des articles 86 à 99 du Règlement, serait débattue pendant deux heures et ferait l’objet d’un vote[2].

Le 6 décembre 2006, le Président annonce que Mme Bell a choisi de faire annuler l’ordre portant deuxième lecture du projet de loi C-295 et de retirer le projet de loi afin de pouvoir, conformément à la recommandation formulée par le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre dans son 23e rapport, donner avis d’une autre affaire émanant des députés (motion no 262), qui a été inscrite au bas de l’ordre de priorité[3].

Note de la rédaction

Le 1er mai 2007, Peter Van Loan (leader du gouvernement à la Chambre des communes et ministre de la Réforme démocratique) invoque le Règlement pour demander que l’on interrompe l’étude du projet de loi C-415, Loi modifiant le Code canadien du travail (travailleurs de remplacement), inscrit au nom de Mario Silva (Davenport), au motif qu’il est pratiquement identique au projet de loi C-257. Entre autres arguments, M. Van Loan fait allusion à la décision sur la ressemblance entre les projets de loi C-257 et C-295[4]. Le 7 mai 2007, le Président décide que la Chambre peut poursuivre l’étude du projet de loi C-415, du fait qu’il contient une disposition portant sur les services essentiels et qu’il est, par conséquent, de portée plus vaste que le projet de loi C-257. Il conclut que le débat sur le projet de loi C-415 n’entraînerait pas les mêmes difficultés que la Chambre aurait connues si les projets de loi C-257 et C-295 étaient tous deux demeurés à l’étude[5].

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[1] Débats, 1er novembre 2006, p. 4544-4545.

[2] Vingt-troisième rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, présenté à la Chambre et adopté le 27 novembre 2006 (Journaux, p. 810).

[3] Voir Débats, 6 décembre 2006, p. 5697.

[4] Débats, 1er mai 2007, p. 8934-8935.

[5] Débats, 7 mai 2007, p. 9131-9132.

Pour des questions au sujet de la procédure parlementaire, communiquez avec la Direction des recherches pour le Bureau

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