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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 11 mai 1995

.0907

[Traduction]

Le président: Bonjour. Nous allons attendre d'avoir le quorum avant de présenter le rapport du comité de direction. Nous allons d'abord entendre nos témoins.

Je veux encore une fois souhaiter la bienvenue à Mme Sunera Thobani, du Comité canadien d'action sur le statut de la femme, ainsi qu'à Amy Go. Si vous êtes prêtes, nous pouvons commencer.

Madame Thobani, vous avez la parole.

Mme Sunera Thobani (présidente, Comité canadien d'action sur le statut de la femme): Je tiens d'abord à m'excuser de notre retard. Je suis désolée. Nous sommes arrivées de Toronto ce matin même.

Je veux aussi remercier le comité permanent de nous avoir permis de faire cet exposé. Nous aimerions pouvoir présenter un mémoire à une date ultérieure. Nous nous contenterons maintenant d'un exposé oral, mais nous aimerions présenter un mémoire écrit prochainement.

La présidente: Vous pouvez le faire en tout temps.

Mme Thobani: Merci.

Le Comité canadien d'action sur le statut de la femme est un organisme cadre. Nous représentons plus de 600 groupes de femmes d'un bout à l'autre du pays. Parmi les groupes membres du CNA se trouvent des organisations de femmes immigrantes et réfugiées ainsi que des organisations qui sont au service des immigrantes et des réfugiées. Par conséquent, notre organisme représente d'une façon très directe les intérêts de ces femmes.

Le CCA travaille maintenant depuis un certain nombre d'années sur la question de la persécution fondée sur le sexe. Nous avons fait du lobbyisme pour obtenir que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié adopte des lignes directrices à ce sujet, ce qui a été fait en 1993. À l'époque, le CCA avait pris en charge le cas de 14 femmes qui avaient été expulsées, et avait présenté des demandes au ministre de l'Immigration de l'époque, M. Valcourt, pour qu'il révoque leur ordonnance d'expulsion.

Le CCA consacre depuis longtemps beacoup d'énergie à tenter d'établir les liens directs qui existent entre la violence faite aux femmes et la persécution dont celles-ci font l'objet en raison de leur sexe. Le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés estime qu'il y a aujourd'hui plus de 20 millions de réfugiés dans le monde. Les chiffres compilés par le mouvement international pour la défense des femmes sont beaucoup plus élevés.

Même si nous acceptons ce chiffre de 20 millions, on doit considérer que 80 p. 100 des réfugiés sont des femmes et des enfants. Pourtant, les réfugiés qui sont acceptés au Canada sont des hommes dans plus de la moitié des cas. Il est évident que le sexe constitue une immense barrière systémique qui empêche les femmes et les enfants réfugiés d'obtenir ce dont ils ont désespérément besoin.

Depuis maintenant deux décennies, le CCA demande au gouvernement du Canada de reconnaître le lien qui existe entre les inégalités dont les femmes sont victimes et la violence faite à celles-ci. La violence faite aux femmes est l'un des moyens employés dans notre société pour garder la femme soumise et perpétuer la dominance masculine.

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Lors d'une conférence des Nations Unies sur les droits de la personne tenue à Vienne, le travail du mouvement féminin international a mené à la reconnaissance du lien entre la violence faite aux femmes et les inégalités dont celles-ci sont victimes. La violence faite aux femmes a alors été définie comme une violation des droits des femmes. L'ONU reconnaît clairement ce lien et, dans sa déclaration sur l'élimination de la violence faite aux femmes, elle a établi que la violence exercée contre les femmes constituait une violation des droits et des libertés fondamentales des femmes et qu'elle réduisait ou anéantissait leurs possibilités de se prévaloir de ces droits et libertés. Les Nations Unies s'inquiètent de cette impossibilité de protéger et de promouvoir ces droits et libertés et de juguler la violence exercée contre les femmes.

La déclaration des Nations Unies se poursuit avec l'affirmation que la violence faite aux femmes est une manifestation des inégalités traditionnelles dans les relations de pouvoir entre les hommes et les femmes, qui a entraîné l'assujettissement des femmes et la discrimination à leur endroit, sans compter qu'elle a aussi empêché les femmes de s'épanouir pleinement. La déclaration précise ensuite que la violence faite aux femmes est l'un des plus importants mécanismes sociaux qui place les femmes dans une position inférieure par rapport aux hommes.

La résolution des Nations Unies fait ensuite part d'une préoccupation devant le fait que certains groupes de femmes sont particulièrement vulnérables à la violence, telles les femmes de groupes minoritaires, les femmes autochtones, les réfugiées, les immigrantes, les femmes qui vivent dans des localités rurales ou isolées, les démunies, les femmes placées en institution ou en détention, les enfants de sexe féminin, les femmes handicapées, les femmes âgées et les femmes victimes d'un conflit armé. Les Nations Unies demandent à tous les États de condamner la violence faite aux femmes et de prendre des mesures à l'échelle tant nationale qu'internationale pour éliminer cette violence.

Les Canadiens et les Canadiennes et les membres du CCA sont très fiers que le Canada ait été le premier pays du monde à reconnaître la persécution des femmes en raison de leur sexe, à reconnaître que la violence faite aux femmes intervient pour beaucoup dans cette persécution et à présenter les maintenant célèbres directives de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

Ces directives ont cependant suscité des critiques acerbes dans le climat anti-immigration qui se répand actuellement dans notre pays. Leurs opposants font remarquer que le pays sera inondé de femmes réfugiées et que les directives imposent des valeurs occidentales à d'autres cultures. Le CCA considère qu'aucun de ces deux arguments n'est valable.

Le premier vise simplement à effrayer ces gens. Les directives sont maintenant adoptées depuis deux ans et nous n'avons constaté aucune augmentation importante du nombre de demandes du statut de réfugié ou de réfugiés admis. Ce que nous avons cependant constaté, et nous n'avons que des éloges à faire à ce sujet, c'est une progression vers un traitement équitable des réfugiés de sexe féminin.

Pour ce qui est du deuxième argument, disons que l'oppression et la persécution des femmes sont une conséquence de l'inégalité des relations de pouvoir entre les deux sexes. En fermant les yeux sur cette oppression au nom de la culture, on renforce les structures qui maintiennent cette inégalité dont les femmes sont victimes. De nos jours, on trouve dans tous les pays des organisations féminines vouées à la défense des droits des femmes au sein de leur collectivité, et c'est précisément la protection de ces droits que le Canada devrait encourager avant toutes choses.

Pour ce qui est du mandat du Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration, le CCA recommande ceci.

Premièrement, qu'on donne plus de poids aux directives de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en les inscrivant dans la législation. Il faut aussi établir immédiatement des mécanismes de formation et de contrôle pour vérifier l'efficacité de ces directives.

Partant du principe qu'il faut donner plus de poids à ces directives, notre deuxième recommandation veut que les agents des visas en poste à l'étranger appliquent coûte que coûte les directives qui traitent de la persécution fondée sur le sexe lors du choix des réfugiés à l'étranger.

Une grande partie des travaux du CCA porte sur notre troisième recommandation, qui demande l'arrêt immédiat, au Canada, des expulsions de femmes victimes de violence qui demandent le droit de rester au Canada pour des raisons de persécution fondée sur le sexe. Ces femmes victimes de violence devraient être considérées comme admissibles au statut de réfugié pour des raisons humanitaires et des motifs de compassion.

En outre, nous demandons instamment au comité de reconnaître que la décision annoncée par le ministre de l'Immigration, M. Marchi, d'exiger des cautionnements de 10 000$ de la part des parrains, aura des conséquences graves pour les femmes victimes de violence qui sont parrainées par des proches. Comme la majorité des personnes parrainées par des proches sont des femmes et leurs enfants, ce cautionnement aura pour conséquence...

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Mme Clancy (Halifax): J'invoque le Règlement, madame la présidente. Je suis désolée, mais j'ai une remarque importante à faire, madame Thobani.

Comme vous le savez, sa déclaration a été mal citée. M. Marchi a dit que la question du cautionnement versé par le parrain n'avait pas encore été réglée. C'est vraiment injuste de parler d'un cautionnement de 10 000$ à verser par le parrain. Cette décision n'a pas encore été prise.

Le ministre est fort conscient du point que vous soulevé. J'apprécierais que vous reconnaissiez que le ministre a fait cette déclaration après avoir été cité de façon erronnée. Merci.

La présidente: Aimeriez-vous répondre à l'intervention, madame Thobani?

Mme Thobani: Oui. Le CCA réagit aux propos du ministre que les médias ont rapportés. Le CCA a organisé une conférence de presse lundi.

Mme Clancy: Il a vraiment fait ultérieurement la déclaration dont je vous parle.

La présidente: Mesdames Clancy et Thobani, nous aurons une période de questions un peu plus tard.

Mme Thobani: Puis-je seulement apporter une précision?

La présidente: Très rapidement.

Mme Thobani: Je serai très brève. Le CNA a tenu une conférence de presse lundi. Nous avons parlé à des représentants du ministère de l'Immigration et personne ne nous a informées que le ministre avait été mal cité. Nous n'avons vu aucune manifestation publique ayant pour but de rectifier cette erreur.

La présidente: Merci. Veuillez continuer.

Mme Thobani: Pour revenir à ce que je disais, comme la majorité des personnes parrainées par un proche sont des femmes et leurs enfants, ce cautionnement aura pour effet de rendre les femmes plus dépendantes de leur famille. Il renforcera aussi le pouvoir exercé par les parrains de sexe masculin sur ces femmes, advenant une rupture de leur relation.

Les possibilités d'exploitation et de violence contre les femmes se trouvant dans une telle situation dépassent l'imagination. Cela mettra de nombreuses femmes en danger de mort puisqu'elles n'auront pas accès aux services sociaux et aux programmes qui pourraient leur permettre d'échapper à la violence familiale.

Ce cautionnement nous ramène à l'époque où les femmes étaient assujetties aux hommes. Il aura pour effet d'assujettir les nouvelles immigrantes à leur parrain.

Nous voulons aussi demander au comité de reconnaître que la taxe d'entrée de 975$, annoncée par le Gouvernement libéral, aura pour effet de restreindre le nombre de femmes pouvant demander le droit de rester au Canada. Cette taxe d'entrée très décriée rappelle les abus dont les immigrants ont été victimes par le passé et est associée à une période honteuse de l'histoire du Canada.

En révisant cette exigence, outre qu'il stimule les sentiments anti-immigration, le gouvernement réduit les possibilités qu'ont les femmes d'échapper à des conditions de violence familiale. Les femmes ne pourront rien faire parce qu'elles n'auront tout simplement pas l'argent voulu pour quitter leur famille et présenter une demande de résidence au Canada.

Le CCA appuie aussi la recommandation de la Metro Chinese and Southeast Asian Legal Clinic voulant que le comité permanent demande au ministre de l'Immigration d'établir une série de directives pour que soient examinées de façon humanitaire les demandes des femmes victimes de violence conjugale. Cette nouvelle série de directives doit donner la priorité à la sécurité des femmes et des enfants.

Nous recommandons que le ministre sollicite l'avis des organisations féminines, surtout celles qui s'occupent des victimes de violence, lorsqu'il définira les facteurs à prendre en compte dans l'évaluation du degré de vulnérabilité d'une requérante.

Ce sont là nos recommandations. Je serai heureuse de répondre aux questions des membres du comité.

La présidente: Auriez-vous quelque chose à ajouter, madame Go?

Mme Amy Go (membre, Comité canadien d'action sur le statut de la femme): Pas pour le moment.

La présidente: Merci. Nous commencerons avec M. Nunez, d'abord avec des périodes de cinq minutes.

[Français]

M. Nunez (Bourassa): Merci beaucoup pour votre présentation, madame Thobani. J'appuie vos revendications. Dans une période où il y a un grand sentiment de dénigrement envers les réfugiés, vous êtes très courageuse de déposer vos revendications devant notre Comité et de faire cette excellente déclaration.

Je partage aussi vos appréhensions sur certains points que vous avez soulevés. J'aimerais avoir plus d'information sur la façon dont la taxe à l'immigration va restreindre la venue de femmes de tel continent, de tel pays ou de telle région du monde en particulier.

[Traduction]

Mme Go: Je pense qu'il est très clair que la majorité des immigrants parrainés viennent de plus en plus d'Asie et d'Afrique. Comme on le sait, les conditions de vie dans ces pays n'ont aucune commune mesure avec celles qu'on connaît en Amérique du Nord ou en Europe.

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Donc, le fait d'appliquer cette politique universellement sans égard à la conjoncture économique et politique des pays d'origine des immigrants parrainés aurait des conséquences graves pour ces pays en particulier.

Comme l'ont affirmé beaucoup d'intéressés et de groupes de pression militant contre la taxe d'entrée, cette taxe représente le revenu de plusieurs années dans certains pays, mais de quelques mois dans d'autres. Il est donc très important de reconnaître l'écart créé par l'application de cette mesure et son incidence variable, surtout en ce qui concerne les pays d'Asie et d'Afrique.

Les droits exigés nuiront également aux femmes réfugiées qui présentent une demande à partir du Canada et à celles qui demandent un examen de leur dossier pour des raisons humanitaires. Comme vous l'avez appris lors de l'exposé du Conseil canadien pour les réfugiés, certaines femmes ont été découragées par les sommes exigées et ont renoncé à obtenir un droit de résidence même si elles étaient admissibles au droit d'établissement en vertu des directives et des critères en vigueur.

[Français]

M. Nunez: En ce qui a trait au programme de parrainage, comme vous l'avez dit, le ministre des Finances a annoncé dans son Budget du 28 février qu'il va falloir payer des garanties. Pouvez-vous élaborer un peu sur la façon dont ces garanties constituent un obstacle sérieux pour la venue de femmes immigrantes ou réfugiées?

[Traduction]

Mme Go: Nous sommes très heureuses d'apprendre qu'on est maintenant incertains à propos de cette décision, parce que...

Mme Clancy: Ce n'est pas incertain. Excusez-moi, puis-je invoquer le Règlement, madame la présidente? J'aimerais beaucoup en discuter avec Mme Go plus tard. Il ne fait aucun doute qu'on demandera des cautions. On l'a annoncé et on le fera.

Comme vous le savez très bien toutes les deux, les immigrants parrainés par leur famille ont toujours été tenus de prendre un engagement par écrit. J'espère que personne ici ne veut insinuer que les immigrants, qui sont parmi les plus fiables pour ce qui est de s'acquitter de leurs obligations envers l'État, sont incapables de le faire ou qu'ils ne le font pas. Nous savons qu'ils s'acquittent de leurs obligations.

Le ministère, le ministre, le secrétaire d'État aux Institutions financières internationales ainsi que diverses institutions financières poursuivent actuellement leurs travaux en collaboration pour déterminer la forme que pourrait prendre cette caution. Cela n'a rien de nouveau. Ce qui est nouveau, c'est la caution elle-même.

Mme Go: D'accord.

Mme Clancy: J'espère cependant que vous, mesdames Go et Thobani, n'êtes pas en train d'insinuer que, par le passé, les immigrants ont fait peu de cas des ententes qu'ils avaient conclues avec le gouvernement.

Mme Go: Non, pas du tout. Je crois que, si c'est le cas, ce qu'il nous faut examiner, c'est toute la question des cautions. Voyons ensuite quelles sont les causes, les raisons pour lesquelles les engagements de parrainage sont parfois rompus. Nous devons aussi nous intéresser aux méthodes d'application.

Si je me souviens bien, les statistiques sur le Grand Toronto montrent que les engagements de parrainage sont rompus dans 14 p. 100 des cas. Nous devrions trouver pourquoi les ruptures en cause se sont produites. Est-ce pour des raisons d'argent? D'après ce que m'a appris mon expérience de travail auprès des communautés immigrantes, bon nombre de ces ruptures d'engagement sont attribuables à des difficultés financières, à des congédiements et ainsi de suite. Aussi, un très grand nombre d'entre elles, surtout dans le cas des immigrants parrainés, sont attribuables à des comportements violents dans la relation avec le parrain.

Je crois par conséquent que nous devons chercher les causes de cette situation. Si les méthodes d'application ou les comportements violents y sont pour quelque chose, il faut régler le problème, parce que c'est là la principale cause de rupture des engagements de parrainage. C'est la seule solution: il faut éliminer la violence, aider dans les cas de difficultés financières, veiller à ce que le plein emploi soit vrai pour tout le monde, y compris les immigrants. C'est la ligne de conduite que nous devrions suivre.

Par contre, en imposant de nouvelles exigences, que ce soit sous forme de cautionnement ou autre, on décourge les 86 p. 100 restants. On les pénalise inutilement parce que 14 p. 100 des parrains rompent leurs engagements, que ce soit par leur faute ou non.

Nous devons nous intéresser à ces raisons. Mais examinons aussi les conséquences. Qu'en est-il si l'immigrante doit demeurer dans une situation de violence pour éviter que l'engagement de parrainage ne soit rompu?

Voyons qui sont les parrains. De leur point de vue, ils peuvent penser que le gouvernement va saisir leur voiture ou que sais-je encore...

M. Nunez: Une maison par exemple.

Mme Go: Exactement, ou n'importe quoi d'autre. Dans un tel cas, je pense qu'ils exerceront davantage de pression sur la femme immigrante pour qu'elle maintienne cette relation. Encore aujourd'hui, beaucoup de femmes ont très peur de se déclarer parce qu'elles ne veulent pas mettre en danger d'autres membres de leur famille, qu'il s'agisse d'enfants ou de parents.

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En même temps, leur propre statut est une source d'inquiétude. Elles ne comprennent pas que lorsqu'elles ont obtenu le statut d'immigrant reçu, c'est définitif. Elles pensent qu'on va le leur retirer.

De nombreuses raisons me font penser que les garanties supplémentaires que nous pourrions imposer, peut-être sous forme de cautions, pourraient avoir un effet négatif sur des femmes qui sont déjà vulnérables.

La présidente: Merci. Je rappelle aux membres du comité que le sujet d'aujourd'hui porte sur les demandes d'asile fondées sur le sexe.

M. Mayfield (Cariboo - Chilcotin): Je devrais pouvoir m'en souvenir.

La présidente: Je ne pensais pas seulement à vous, monsieur Mayfield.

M. Mayfield: Je le comprends.

J'ai trouvé que le débat sur les questions fondées sur le sexe et les directives était assez frustrant. Le plus souvent, lorsqu'on discute de ces directives ou lorsqu'on s'y oppose, on se laisse influencer par des considérations politiques et on se soucie surtout de ne pas prêter le flanc à des accusations de sexisme ou de discrimination.

Je n'ai pas l'intention de m'exprimer en ces termes. Avant d'entrer en politique, j'ai oeuvré auprès de réfugiés, des hommes, des femmes, des enfants et des familles. Je pense en particulier à un jeune réfugié de la mer vietnamien. Sa première préoccupation était de faire sortir sa soeur du camp de réfugiés où elle se trouvait. J'ai éprouvé beaucoup de satisfaction, non seulement lorsqu'il est arrivé lui-même au Canada, mais également lorsqu'il a retrouvé sa soeur et qu'ils ont pu commencer leur vie ensemble.

Je pense aussi à une famille qui a réussi à échapper à une situation extrêmement difficile, la vie de ses membres étant menacée en permanence dans le cahos provoqué par les changements politiques en Iran. Ils n'ont jamais réussi à faire sortir un de leurs frères, ce qui m'a causé beaucoup de frustration. Ils craignaient qu'il ne soit renvoyé en Iran pour y être exécuté. Il a réussi à aller jusqu'en Turquie, mais le Canada a décidé qu'il ne pouvait pas aller plus loin.

Ce sont des exemples déchirants. Lorsqu'on discute de cela en termes de sexe, de race ou de nationalité, cela devient très frustrant. J'ai dit qu'il y avait 19 millions de réfugiés dans le monde. Aujourd'hui, vous nous dites qu'il y en a 20 millions. Je ne le conteste pas. Il s'agit peut-être de 20 millions.

J'aimerais savoir ce que vous pensez de la question d'égalité. Pourriez-vous développer cet aspect?

Mme Thobani: Avec plaisir, mais pour commencer, je vous signale que ce chiffre de 20 millions n'est ni de moi ni du CCA. C'est le chiffre utilisé par les Nations Unies. Au sein du mouvement international des femmes, on a plutôt tendance à se fonder sur un chiffre de près de 100 millions.

En ce qui concerne l'inégalité entre les sexes, tous les gouvernements actuels, à très peu d'exceptions près, reconnaissent que l'inégalité des femmes est véritablement inscrite dans nos structures économiques, sociales et politiques. Les Nations Unies ont fait des progrès gigantesques depuis quelques années et reconnaissent maintenant cette inégalité. On presse également les gouvernements de prendre des mesures pour lutter contre cette inégalité.

Cela dit, l'inégalité des femmes est un fait bien reconnu par la plupart des gouvernements de ce pays. Les études et analyses effectuées par les ministères de ce gouvernement même le confirment. À l'heure actuelle, au Canada, l'inégalité des femmes est un fait généralement reconnu. Je ne sais si vous pourriez prétendre qu'il n'y a pas d'inégalité fondée sur le sexe.

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Si nous vivons dans un monde où cette inégalité existe à tous les niveaux, la politique gouvernementale relative à l'immigration et aux réfugiés, et toutes les autres politiques, doivent tenir compte de cette réalité et chercher à compenser; c'est le seul moyen pour un gouvernement de protéger efficacement les droits des femmes.

Mme Clancy: Bravo.

M. Mayfield: En vous écoutant dire cela, je me demande si, à votre avis, la façon dont le Canada cherche à offrir asile et réconfort a une légitimité quelconque. À mon avis, cela devrait être offert avant tout aux personnes qui en ont le plus besoin, qui sont le plus gravement menacées.

Avec les chiffres que vous avancez, il y a certainement beaucoup de marge pour sélectionner. Penez-vous que le Canada soit justifié de tenir compte de ses propres besoins sociaux et économiques lorsqu'il choisit des immigrants, et même des réfugiés?

Mme Thobani: Pas lorsqu'il s'agit de réfugiés. À mon avis, le Canada a des obligations internationales qui doivent être respectées. Le Canada est fier de montrer l'exemple à la communauté internationale en se comportant avec humanité et compassion. Le Canada a des obligations juridiques à respecter.

En ce qui concerne les immigrants, d'innombrables études ont démontré que l'immigration apportait une contribution considérable à l'économie canadienne. Je ne connais aucun pays qui ait été appauvri par l'immigration. Ce pays s'est construit sur la base de l'immigration. En fait, le cas du Canada est peut-être exemplaire, mais de nombreux autres pays ont été construits par des immigrants également.

À mon avis, le Canada a des obligations envers les réfugiés, des obligations qui doivent être respectées. Quant aux immigrants, nous vivons actuellement, pas seulement au Canada, mais dans la plupart des pays du monde occidental, dans un climat où l'on tente de porter atteinte à des droits acquis de haute lutte par les immigrants et les réfugiés. On tend à voir dans les immigrants et les réfugiés la cause des problèmes économiques et sociaux du pays. Au Canada, c'est certainement un climat qui s'installe de plus en plus.

Mme Clancy: Madame Thobani, madame Go, en dépit de mes rappels au Règlement, je me fais un plaisir de vous souhaiter la bienvenue - votre tour viendra, Osvaldo, ne vous énervez pas - et en même temps, je tiens à vous remercier de votre exposé. J'aurai plaisir également à lire votre mémoire.

J'ai deux questions à vous poser. Premièrement, en ce qui concerne le nombre des femmes et enfants réfugiés dans le monde, je suis d'accord avec les chiffres que vous avez cités. En ce qui concerne le chiffre plus important de 100 millions de réfugiés, ne pensez-vous pas que très souvent, le principal problème des femmes qui souhaitent demander asile au Canada est un problème d'accès?

Je ne parle même pas de la possibilité de venir se présenter au Canada devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. En effet, la plupart d'entre elles n'ont pas la moindre chance, ne serait-ce que d'arriver à une mission canadienne à l'étranger, de se présenter devant un agent des visas. Je pense par exemple aux femmes kurdes et à un certain nombre de femmes en Bosnie et ailleurs.

Il y a un autre problème qui mérite certainement notre attention, un problème que tout le monde reconnaît mais auquel personne n'a encore trouvé de solution spécifique. J'aimerais que vous en discutiez dans votre mémoire.

Nous savons qu'à cause des critères employés, le processus de sélection à l'étranger tend à favoriser les jeunes hommes qui sollicitent le statut de réfugié. J'aimerais beaucoup que vos spécialistes de la politique nous donnent leur opinion sur les changements qu'on pourrait apporter à ces critères. Comment pouvons-nous les améliorer pour admettre une plus grande proportion de femmes réfugiées, du moins celles qui ont la chance d'avoir accès au processus?

Mme Go: Je suis tout à fait d'accord avec votre première observation, et la majorité...

Mme Clancy: Ne s'en rapproche pas, même de loin.

Mme Go: ...même de loin. C'est un problème qui mérite d'être approfondi.

Je suis également d'accord avec votre seconde observation; notre processus de sélection à l'étranger tend à accorder la préférence aux hommes jeunes.

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Pour faire le lien avec ce que M. Mayfield vient de mentionner, cette situation tient malheureusement à des considérations économiques, sociales et politiques et à la façon dont nous réussissons à les équilibrer.

Mme Thobani nous dit que les considérations économiques ne sont pas les seules, que nous devons également tenir compte de l'aspect humanitaire. Malheureusement, en l'absence de définitions, de critères et de directives précis sur ce qu'on entend par persécution fondée sur le sexe ou sur des considérations sociales ou politiques, nous retenons trop souvent des interprétations trop étroites fondées sur la viabilité économique et l'adaptabilité des nouveaux venus au Canada.

Nous devons étudier cela et choisir les réfugiés à l'étranger à la lumière d'hypothèses fondamentales. Toutes ces considérations économiques, sociales et politiques devraient être clairement définies. Nous pouvons dire que oui, les gens qui en ont le plus besoin devraient être choisis en priorité, et partant de là, accorder une moindre importance aux questions d'ajustement, d'adaptabilité et d'établissement.

Pour changer les critères, nous devons définir clairement les persécutions fondées sur le sexe et tenir compte également du contexte de ces persécutions. Dans les pays déchirés par la guerre, nous n'ignorons pas qu'il y a beaucoup de persécutions fondées sur le sexe, de viols systémiques et d'autres types de violations flagrantes. Tout cela doit être défini clairement dans nos directives et nos critères. Je peux vous assurer que le CCA aura à coeur d'étudier ces questions et de vous présenter un mémoire à ce sujet.

Mme Clancy: Ma seconde question me ramène à ce que vous avez dit, madame Thobani, au sujet des directives quant au sexe de la CISR et des FDRCC.

Vous n'avez pas donné à entendre que nous devrions accepter systématiquement les demandes, mais vous avez dit que nous devrions être plus sensibles à la discrimination fondée sur le sexe, en particulier lorsqu'il s'agit de violence familiale. C'est bien ce que vous avez dit? C'est ce que j'ai entendu, mais je sais bien que ce n'est pas ce que vous vouliez dire. J'ai voulu vous donner l'occasion de rectifier, c'est une chose que je fais parfois.

Mme Thobani: Il faut tenir compte des difficultés qu'ont les femmes lorsqu'elles doivent prouver...

Mme Clancy: Le fardeau de la preuve.

Mme Thobani: Exactement. Très souvent, le système fonctionne au détriment des femmes. C'est un sujet qui doit être étudié également.

Mme Clancy: Très bien. Merci beaucoup.

[Français]

Mme Debien (Laval-Est): Bonjour, mesdames Thobani et Go. Bienvenue au Comité. À la fin de votre exposé, vous avez émis un certain nombre de recommandations et j'aimerais vous poser deux questions sur deux de ces recommandations.

Premièrement, vous avez suggéré que les lignes directrices soient enchâssées dans la loi, si j'ai bien compris. Un certain nombre de témoins sont venus nous dire le contraire. Ils disaient qu'étant donné que le Canada respectait la clause du groupe social qui est incluse dans la Convention de Genève, il n'était pas nécessaire de légiférer sur ce sujet-là.

Deuxièmement, vous demandez au Comité ou au ministre d'élaborer des lignes directrices basées sur des raisons humanitaires pour les femmes victimes de violence. Selon vous, quelles seraient ces lignes directrices objectives sur lesquelles le ministre pourrait se baser quand il prend des décisions d'ordre humanitaire?

[Traduction]

Mme Thobani: Pour l'instant ces directives sont discrétionnaires. À notre avis, il faudrait leur donner plus de mordant, sinon on peut les suivre dans certains cas ou ne pas les suivre dans beaucoup d'autres cas.

En ce qui concerne la possibilité de légiférer pour faire face aux persécutions fondées sur le sexe, c'est une chose qui nous semble très importante, et c'est justement cela qui donnera du mordant aux directives actuelles.

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Comme vous le savez sans doute, ces directives sont discrétionnaires. Il est impossible de déterminer dans quelle mesure elles sont suivies ou quelle influence elles ont véritablement à l'heure actuelle.

À notre avis, la législation rendrait tout cela plus concret et on ne se contenterait plus d'accorder un pouvoir discrétionnaire à des personnes qui n'ont pas de comptes à rendre. Pour l'instant, on ne sait même pas si ces directives sont suivies.

Mme Go: C'est l'application de ce principe qu'il faut remettre en question. Pour l'instant, il s'agit d'un principe très général et nous devons chercher les moyens de le mettre en application. Comme Sunera vous l'a dit, pour l'instant, cela se fait cas par cas.

Vous avez ensuite posé une question sur les considérations humanitaires. À l'heure actuelle, il n'existe pas de définition qui permette de les évaluer. C'est à l'agent d'immigration de décider si des considérations humanitaires entrent en jeu. Malheureusement, faute de formation, à défaut de comprendre les situations violentes dans lesquelles certaines femmes vivent, c'est un risque que courent les femmes et qui n'est pas interprété.

En adoptant des directives bien claires, nous devons considérer que la sécurité des femmes est la principale préoccupation. Quant à ce risque et à sa définition, cela ne doit pas tenir compte uniquement de la demande d'asile, mais également des situations de violence qui les attendent si elles retournent dans leur pays et dans leur foyer.

C'est donc une affaire de formulation et c'est ce que nous devons préciser quand nous cherchons à situer la violence et la persécution fondées sur le sexe dans un contexte qui comprend la violence familiale.

Même avec des directives et des critères inhérents, leur application rigoureuse et la formation des personnes chargées de les faire respecter demeurent un élément clé si on veut s'assurer de recueillir les données nécessaires à l'élaboration d'un meilleur système.

Cela dit, les situations changent et nous devons sans cesse remettre ces critères en question pour ne pas écarter les femmes qui se trouvent dans des situations de risque. Beaucoup d'aspects doivent être développpés, pas seulement l'énoncé des critères, mais également tout le système d'application.

[Français]

M. Nunez: Si j'ai bien compris, vous avez fait une recommandation demandant un moratoire pour les femmes victimes de violence. Vous connaissez le comportement de ce gouvernement. Croyez-vous que votre demande sera entendue?

[Traduction]

Mme Thobani: Au départ, quand nous avons adopté 14 cas, le même argument a été avancé. À mon avis, c'est à des organismes comme le CCA de continuer à encourager le gouvernement à changer son comportement. Dans ce cas particulier, cela nous semble extrêmement urgent.

Je tiens à vous dire que lorsque le CCA a adopté ces 14 cas, il a été débordé de demandes de femmes de tout le pays, qui se tournaient vers lui pour qu'il défende leur cause.

Nous n'avons tout simplement pas les moyens de faire face à une telle demande, mais c'est notre responsabilité. Nous allons continuer à faire pression et nous nous attendons que des groupes comme le vôtre nous soutiennent quand nous faisons ces pressions. Nous attendons de vous que vous posiez les mêmes questions. Nous allons continuer à demander au gouvernement de reconnaître l'urgence de la situation de ces femmes et de cesser de les condamner à des situations où leur vie est menacée.

C'est notre travail et nous avons l'intention de continuer. Nous allons continuer à aiguillonner le gouvernement.

M. Nunez: Bonne chance.

Mme Thobani: Merci.

M. Mayfield: J'aimerais continuer là où je me suis arrêté tout à l'heure. Il s'agit des réfugiés qui attendent un abri dans d'autres parties du monde. Vous avez dit, je crois, que dans ses décisions le Canada ne devrait pas tenir compte de ses propres besoins sociaux et économiques. C'est bien ça?

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Mme Go: Vous voulez terminer?

Mme Thobani: Effectivement, en ce qui concerne les réfugiés, le Canada a des obligations qui doivent être respectées.

M. Mayfield: Je ne conteste pas cela, mais j'ai du mal à comprendre. Après tout, nous devons forcément faire une sélection, nous pouvons admettre un nombre limité de gens. Malheureusement, il y a des gens qui ne viendront pas au Canada.

Cela posé, lorsque nous choisissons 20 000 ou 25 000 réfugiés - je ne sais pas trop, mais ne me forcez pas à accepter ces chiffres - à votre avis, qui doit avoir la priorité? Comment devons-nous prendre nos décisions?

Mme Thobani: Les statistiques démontrent que dans le monde, la majeure partie des personnes déplacées ou des réfugiés sont des femmes. En prenant ses décisions d'accepter des réfugiés, le Canada devrait tenir compte de ces statistiques.

Ce sont les gens qui ont besoin de protection qui devraient avoir la priorité. Il est certain que dans le monde actuel, les femmes sont celles qui ont le plus besoin de protection et, par conséquent, elles devraient avoir la priorité. C'est en reconnaissant les persécutions fondées sur le sexe dont souffrent les femmes qu'on pourra donner cette priorité aux femmes lorsqu'elles font une demande.

Mme Go: Vous avez dit que nous ne tenions pas compte de nos besoins sociaux et économiques quand nous sélectionnons les réfugiés.

Ce que nous disons, c'est qu'aucune analyse ne démontre que les immigrants et les réfugiés représentent un fardeau pour l'économie. Au contraire, leur présence est bénéfique, elle apporte une contribution à l'économie. En fait, en les acceptant, nous contribuons déjà au bien-être socio-économique de ce pays. On aurait donc tort de penser qu'en acceptant ces réfugiés, nous renonçons à une partie de nos ressources, car cela n'a jamais été prouvé. En fait, tout indique le contraire.

Un autre aspect de cette priorité, c'est qu'il faut s'assurer que ceux qui courent les plus grands risques ont la priorité. Vous l'avez dit vous-même, comment doit-on définir ces situations? À notre avis, si le cas des femmes est évalué injustement, c'est que nous n'avons pas suffisamment de critères qui tiennent compte de la violence fondée sur le sexe, des persécutions et de l'oppression auxquelles les femmes sont exposées. Comme l'évaluation est injuste, on leur refuse l'entrée.

Il faut trouver le point d'équilibre. Il faut tenir compte de ces considérations car c'est cela qui met les gens en danger, qui fait des femmes des personnes déplacées, qui les oblige à fuir leur pays d'origine.

Pour répondre précisément à ce que vous dites, nous devons nous demander qui doit être accepté, qui est le plus menacé, nous devons remettre en question nos hypothèses et ajouter ces critères à nos directives.

M. Mayfield: Je ne voudrais pas revenir trop souvent sur mes exemples personnels, mais j'ai beaucoup de mal à penser que les femmes peuvent constituer un fardeau. Étant moi-même un mari et le père de deux filles, je vis avec trois femmes fortes dont je suis extrêmement fier, et je ne considère pas que les femmes sont des fardeaux, pas plus que je ne considère les femmes qui immigrent ou qui se réfugient chez nous comme un fardeau.

Cela dit, je les considère comme je considère les hommes et les enfants. Je pense que nous sommes tous des êtres humains. Quelle que soit votre origine, ce n'est pas vous qui l'avez choisie quand vous êtes nés, pas plus que moi. Bref, à mon avis, nous sommes tous des êtres humains.

Nous luttons et nous nous débattons pour améliorer notre sort et celui des êtres qui nous sont chers. Pour toutes ces raisons, je ne cesse de réclamer l'égalité des chances, l'égalité de considérations pour les hommes, les femmes et les enfants, bref, pour les êtres humains.

.0950

Je le répète: ne peut-on pas atteindre ces objectifs sans devoir nous en remettre à des lignes directrices préétablies sur les revendications fondées sur le sexe?

La présidente: Madame Thobani, très rapidement.

Mme Thobani: Oui, très rapidement. Je suis d'accord avec vous pour dire que nous sommes tous des êtres humains. Mais la structure socio-économique est telle que les femmes n'ont toujours pas atteint l'égalité. Si l'on ne corrige pas cette inégalité, on se trouve à la perpétuer. Voilà l'essentiel de notre argument.

Si l'on refuse de reconnaître que les femmes font l'objet d'un traitement différent et inégal dans le cadre du processus d'admission des réfugiés, on se trouve à perpétuer cette inégalité. Les lignes directrices sont un moyen de corriger cette inégalité, de faire en sorte que les hommes et les femmes soient traités de façon équitable.

Mme Terrana (Vancouver-Est): Bonjour et soyez les bienvenues. Je vous remercie de la vigueur avec laquelle vous défendez votre point de vue contre cet argument qui ne manque jamais de me hérisser. Mon expérience personnelle me permet de comprendre exactement ce qui vous motive.

Il est question de renforcer les directives contenues dans la loi, c'est-à-dire les lignes directrices, mais nous avons également entendu des témoins nous dire qu'il ne faut pas rouvrir la convention de Genève pour ne pas nous engager à nouveau dans un énorme... Qu'en pensez-vous? Ce serait sans doute la meilleure façon de s'y prendre pour que nous ayons des normes internationales quelconques en ce qui concerne les réfugiés.

Mme Thobani: L'argument que j'entends le plus souvent de la part de ceux qui ne veulent pas qu'on prenne les mesures en ce sens, c'est que, dans la conjoncture actuelle, il est plus probable que cela conduise à une définition plus étroite du terme réfugié plutôt qu'à une définition élargie qui inclurait la persécution fondée sur le sexe.

C'est un argument important, mais le Canada n'est aucunement limité par la Convention des Nations Unies. Il peut aller plus loin...

Mme Clancy: Il est allé plus loin.

Mme Thobani: Il est effectivement allé plus loin avec l'adoption de ces lignes directrices, et il devrait aller plus loin encore en les incluant dans la loi. Je crois que le Canada peut être un chef de file de la communauté internationale...

Mme Clancy: Il l'est déjà.

Mme Thobani: Oui, c'est juste, et il peut continuer à l'être. Aussi le Canada n'est aucunement limité par cette convention.

Mme Terrana: Certains trouvent que les lignes directrices sont suffisantes et d'autres pas. Qu'en pensez-vous? Que faudrait-il y ajouter, ou faudrait-il se contenter de les imposer à ceux qui admettent les réfugiés, qui déterminent le statut de réfugié?

Mme Go: Je veux me reporter au mémoire du Conseil canadien pour les réfugiés. Le conseil a clairement défini les lacunes que présentent les lignes directrices et détaillée les problèmes relatifs à la mise en oeuvre, à la formation et au manque d'application. Je crois qu'il faudrait revoir tout cela. Il ne s'agit pas simplement des lignes directrices ou du libellé, des lacunes qu'il faudrait combler ou du langage utilisé, mais c'est tout le dossier qu'il faudrait examiner. Comme l'a dit Sunera, nous serons très heureuses de vous présenter un mémoire plus détaillé où nous nous attarderons à ces questions bien précises.

Mme Terrana: Je suis également préoccupée par les bureaux à l'étranger, par ces personnes qui... J'ai reçu quelques plaintes de personnes originaires de mon pays; ce n'est pas un pays qui produit des réfugiés, mais on s'inquiète néanmoins de la façon dont ces lignes directrices sont appliquées.

Mme Clancy: Dans d'autres pays?

Mme Terrana: Oui, dans d'autres pays, mais il semble que... ce serait trop long de tout vous expliquer.

Que pensez-vous de la façon dont les agents des visas à l'étranger, dans ces autres pays, appliquent les lignes directrices concernant les revendications fondées sur le sexe? Pouvez-vous également nous dire comment vous résoudriez le problème?

Mme Go: Comme je l'ai indiqué, bien souvent, les agents des visas à l'étranger n'appliquent pas ces lignes directrices et se fondent sur des hypothèses qui vont en quelque sorte à l'encontre du but, des principes et des valeurs qui nous tiennent à coeur. Ainsi, il ne s'agit pas simplement de faire appliquer les lignes directrices, mais de veiller à ce que tout le monde comprenne qu'elles doivent être appliquées.

Il y a également le problème très réel qui se pose au chapitre de la formation et de la surveillance. Comment pouvons-nous nous assurer que tous les agents des visas reçoivent une formation convenable et qu'ils rendent compte de l'application des lignes directrices?

C'est pour cette raison que nous devons nous doter de systèmes de monitorage très efficaces pour que nous ayons l'assurance que les demandes sont examinées comme elles devraient l'être; cela nous permettrait d'assurer la responsabilisation des agents des visas de manière individuelle. Par ailleurs, nous devons exercer un droit de regard sur l'ensemble du système et veiller à ce que les groupes concernés aient accès à l'information pour que nous puissions ensemble régler les problèmes qui se posent.

M. Knutson (Elgin - Norfolk): J'ai une question assez courte à vous poser. Je siège à un sous-comité où nous entendons des témoignages selon lesquels les immigrantes, dans la mesure où elles reçoivent une bonne formation en vue de leur établissement - on entend généralement par là des cours de langue - peuvent rattraper assez rapidement les Canadiens et même les dépasser avec le temps sur le plan de leur contribution économique au Canada.

.0955

Si l'on examine la question des 975$ dans le contexte de ces témoignages et si l'on tient compte du fait nous sommes disposés à leur prêter l'argent, la question du revenu des requérantes dans leur pays d'origine n'est-elle pas sans aucun rapport puisqu'elles peuvent très bien gagner leur vie ici et qu'elles ont les moyens de payer les 975$?

Mme Go: Je suis d'accord pour dire que les immigrantes et les réfugiées font de leur mieux pour ce qui est d'apporter leur contribution à l'économie et à la société canadienne. Je crois toutefois qu'il faut examiner leurs circonstances particulières. Quand elles arrivent ici, elles se heurtent à des obstacles systémiques et, bien souvent, elles se trouvent cantonnées dans des emplois mal rémunérés, dans des emplois où les mises à pied sont fréquentes. Vous savez, ce sont les premières à être mises à pied quand une usine ferme ou qu'une situation semblable se produit.

Les immigrantes et les réfugiées font de leur mieux, j'en conviens. Par ailleurs, je ne suis pas nécessairement d'accord pour dire que la majorité d'entre elles vivent dans l'aisance. Au contraire, leur situation économique n'est guère reluisante et elles auraient justement besoin de leur famille pour les aider. Elles n'ont toutefois pas les moyens de faire venir leur famille pour qu'elles puissent les aider, les soutenir dans leurs efforts pour s'intégrer ou se réintégrer au marché du travail, pour profiter des occasions de formation qui s'offrent à elles, etc.

Il faut se rendre compte que si elles ne peuvent pas profiter de ces occasions, elles seront moins en mesure de contribuer et de participer à la vie politique, économique et sociale de la nation. Il faut donc examiner la question dans l'optique, non pas seulement des moyens financiers individuels, mais de la contribution dont nous nous privons en tant que société du fait que les immigrantes ne peuvent pas profiter des occasions qui leur sont offertes.

La présidente: Mme Thobani, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Thobani: Non, ça va. Merci.

La présidente: Merci beaucoup. Nous serons heureux de recevoir le mémoire que vous nous avez promis, tout comme les autres mémoire que vous voudrez nous présenter à l'avenir.

Mme Thobani: Je vous remercie.

Mme Go: Merci.

La présidente: Avant que nous n'invitions le groupe de témoins suivant, je voudrais, étant donné que nous avons le quorum, que nous adoptions le deuxième rapport du comité directeur dont vous avez tous reçu copie. Plaît-il au comité d'adopter le rapport?

M. Knutson: Puis-je faire une suggestion?

La présidente: Oui.

M. Knutson: Pour ce qui est de l'examen des revendications fondées sur le sexe, j'ai l'impression que ce n'est pas vraiment une question controversée. Il me semble que nous pourrions essayer de tout faire en deux séances.

La présidente: Me dispensez-vous de demander une motion? Le comité est-il d'accord? Une fois que nous aurons adopté le douzième rapport du comité directeur, nous pourrons discuter de la question que vous venez de soulever.

Oui, monsieur Nunez.

[Français]

M. Nunez: On devrait laisser le douzième rapport pour la fin afin d'avoir le temps de l'examiner.

La présidente: On a discuté de cela l'autre jour, monsieur Nunez.

M. Nunez: Les députés n'étaient pas tous là et on vient de l'avoir. Mme Debien n'était pas là. En ce qui a trait au paragraphe 1 ayant trait à M. Jean-Guy Fleury, je vais m'abstenir. je ne pourrai pas recommander sa nomination.

[Traduction]

La présidente: Qu'arrive-t-il alors? Il s'abstient.

[Français]

M. Nunez a dit qu'il allait s'abstenir de voter sur la nomination de M. Jean-Guy Fleury, si je comprends bien.

M. Nunez: Oui.

[Traduction]

M. Knutson: Je retire ce que j'ai dit si vous avez besoin de faire adopter le rapport dès maintenant. Ça va.

La présidente: Je peux donc mettre la question aux voix.

M. Mayfield: Je préférerais que nous attendions à la semaine prochaine, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.

La présidente: Je préférerais que nous réglions la question dès maintenant. Je crois que nous en avons discuté au comité directeur. Vous étiez là, à la réunion du comité directeur, monsieur Mayfield.

M. Mayfield: J'y étais, oui, et j'ai demandé moi aussi à ce que le rapport soit adopté.

La présidente: Oui, merci. Je préférerais que nous réglions cela dès maintenant, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Nous allons donc voter. Puis-je demander à ceux qui sont pour l'adoption du rapport de lever la main?

La motion est adoptée.

Mme Clancy: C'est tout? Je suis désolée, madame la présidente, mais je dois partir immédiatement pour me rendre à une collation des grades.

La présidente: Les témoins du Comité interéglises pour les réfugiés veulent-ils bien prendre place?

.1000

Je tiens à souhaiter la bienvenue à notre comité à Mme Elsa Tesfay Musa, coordonnatrice pour les réfugiés et les secours d'urgence, Fonds du Primat de l'Église épiscopale du Canada; à Mme Heather Macdonald, agente de programme, réfugiés, Immigration et relations interraciales, Division de la mission au Canada, Église unie du Canada; et à Mme Nancy Pocock, Comité Quaker pour les réfugiés.

Soyez les bienvenues. Nous commencerons quand vous serez prêtes.

Puisque vous nous avez soumis un mémoire, je vous demanderais de bien vouloir prendre le moins de temps possible pour votre exposé pour que nous ayons plus de temps pour les questions et les réponses. Qui va commencer?

Mme Heather Macdonald (membre, Comité interéglises pour les réfugiés): Je commencerai. Mes collègues se présenteront elles-mêmes et vous énuméreront leurs titres quand elles prendront la parole.

Je tiens tout d'abord à vous expliquer très brièvement ce qu'est le Comité interéglises pour les réfugiés. Nous sommes un regroupement de dix églises nationales, et nous représentons des paroisses, des congrégations et des groupes de rencontres des diverses régions du pays. Les centaines de milliers de personnes que nous représentons sont très préoccupées par le cas des réfugiés qui demandent à être réinstallés depuis l'étranger ou qui présentent une demande au Canada.

C'est essentiellement notre tradition religieuse qui nous amène à nous intéresser à ces personnes. Nous estimons qu'il faut travailler pour et avec ceux qui ont besoin de protection. Nos églises respectives ont des décennies d'expérience, depuis les années 1910, en passant par l'époque des réfugiés de la mer et depuis 1979 où nous accueillons des réfugiés de partout. Cette expérience nous permet de comprendre les réfugiés.

Nos membres qui travaillent de près dans leurs localités avec des réfugiés qui demandent leur réinstallation nous disent qu'en raison des modifications apportées au système de détermination du statut de réfugié, ils traitent avec un grand nombre de réfugiés qui essaient d'obtenir le statut de réfugié au Canada. Nous sommes donc bien informés par nos gens qui travaillent sur le terrain. Nous nous intéressons également à l'échelle nationale aux grandes orientations du gouvernement canadien et nous maintenons des liens avec des églises et des ONG du monde entier. Nous représentons le point de vue tant local que national et international.

Nous sommes ici aujourd'hui pour vous parler de la façon dont nous accomplissons notre travail. Mon domaine, c'est surtout le réétablissement. Par le passé, je me suis occupée de parrainage, j'ai travaillé pour des organismes d'établissement et j'ai travaillé comme bénévole pour mon église pendant plus de vingt ans.

Mon travail m'a permis d'apprendre à connaître certaines femmes très bien. Je veux vous parler plus particulièrement aujourd'hui d'une d'entre elles.

Elle est venue ici dans le cadre du programme Femmes en détresse. Nous blaguions elle et moi du fait que c'était un coup de chance extraordinaire qu'elle soit ici aujourd'hui. Je me suis occupée du réétablissement de Justine au Canada, et nous disions que, comme elle était mère célibataire, handicapée et noire, tout conspirait à lui interdire l'accès au Canada et que c'était absolument incroyable qu'elle ait même été choisie pour venir ici dans le cadre de ce programme-là.

Justine est aujourd'hui directrice de l'Organisation mondiale des personnes handicapées. Elle voyage dans le monde entier pour défendre les intérêts des femmes handicapées. Comme vous pouvez le constater, Justine était une exception. D'après les nouvelles règles, elle ne pourrait sans doute jamais répondre aux critères qui lui permettraient d'obtenir un prêt pour couvrir ses frais de voyage ni son droit d'établissement. Elle était une exception parce que nous avons fait une exception dans son cas. C'est là l'élément essentiel à mon avis. Les femmes en détresse ont beaucoup à offrir à la société canadienne si on leur donne la possibilité d'y contribuer.

.1005

Nous sommes très satisfaites des lignes directrices. Nous sommes heureuses de pouvoir venir vous en parler. Il faudrait toutefois que ces lignes directrices soient appliquées aussi bien au Canada que dans le cadre du programme de sélection des réfugiés à l'étranger. Je crois qu'Elsa veut maintenant vous parler de ce programme.

Mme Elsa Tesfay Musa (membre, Comité interéglises pour les réfugiés): Mes fonctions à l'Église épiscopale du Canada m'amènent à me rendre très souvent dans des camps de réfugiés à l'étranger. Je rentre tout juste d'une visite à des camps de réfugiés rwandais, soudanais et somaliens au Kenya, en Éthiopie et en Tanzanie. Ces visites sont pour moi l'occasion de rencontrer des réfugiés, de m'entretenir avec eux, mais aussi de discuter avec le personnel des bureaux des visas canadiens de nos préoccupations relatives au réétablissement.

Je m'intéresserai tout particulièrement à la partie de notre mémoire qui traite du processus de sélection des réfugiés à l'étranger. Nous décrivons dans cette partie du mémoire trois préoccupations que nous avons: la nécessité d'une politique cohérente en ce qui concerne les réfugiés; les obstacles auxquels se heurtent les femmes réfugiées; et l'importance de préserver la dimension humanitaire du processus de sélection des réfugiés. Nous faisons état dans notre mémoire de certaines incohérences entre le processus qui s'applique aux réfugiés qui sont déjà au Canada et à ceux qui sont à l'étranger. Ainsi, on tient compte des lignes directrices de la CISR dans l'examen des demandes de requérants qui se trouvent déjà au Canada, les commissaires étant tenus de motiver par écrit leurs décisions qui ne se conforment pas aux lignes directrices, tandis qu'aucune obligation de ce genre n'est faite aux agents des visas à l'étranger.

Nous signalons également que, dans le cadre du processus de sélection à l'étranger, les réfugiés n'ont pas accès au service d'un avocat ni à l'aide juridique et que la documentation relative à la détermination de leur statut est insuffisante.

En ce qui a trait aux lignes directrices de la CISR, nous considérons qu'il s'agit d'un pas dans la bonne direction, mais le Comité interéglises pour les réfugiés souligne dans son mémoire les nombreux obstacles que les réfugiées doivent surmonter avant même de pouvoir profiter de l'application de ces lignes directrices.

Nous signalons notamment que les bureaux des visas canadiens sont peu accessibles, puisqu'ils se trouvent généralement dans la capitale, et à deux ou trois jours de route des camps de réfugiés. Nous soulignons aussi que les critères permettant de juger des pespectives d'établissement témoignent manifestement d'un parti pris fondé sur le sexe et ne tiennent pas compte des compétences et de l'expérience des femmes réfugiées.

Dans la partie de notre mémoire qui porte sur le processus de sélection à l'étranger, nous formulons plusieurs recommandations visant à assurer l'intégrité du programme de manière que le processus qui s'applique au Canada et à l'étranger soit le même; nous demandons aussi une distinction claire et nette entre le processus qui s'applique aux réfugiés et celui qui s'applique aux immigrants de façon que tous nos programmes soient empreints d'une dimension humanitaire.

Je cède maintenant la parole à Mme Pocock.

Mme Nancy Pocock (membre, Comité interéglises pour les réfugiés): Je travaille surtout avec des réfugiés qui sont déja ici. Je leur offre des services de counselling et je m'occupe de leur établissement. Il y a beaucoup à faire, étant donné que, ces derniers temps, il est de plus en plus difficle d'être admis comme réfugié à partir du Canada. On a assisté à un important changement d'attitude au ministère de l'Immigration. Celui-ci a multiplié les obstacles et il a fini par imposer cette exorbitante taxe de 975$.

Les réfugiés qui doivent fuir leur pays sans préavis - ils partent sans avoir planifié quoi que ce soit - dépensent généralement tout l'argent qu'ils ont. Parfois ils n'en ont pas. Toujours est-il que, quand ils finissent par arriver au Canada, ils n'ont presque rien et doivent repartir à zéro pour se faire une vie ici.

Ceux qui réussissent à être admis comme réfugiés apprennent que, pour obtenir le statut de réfugié, ils doivent d'abord verser 500$, puis 975$. Il leur est impossible de payer un montant aussi élevé par personne. Ce n'est pas par famille, mais bien par personne. Il y a des femmes ici qui ont fui leur pays et qui ont réussi à venir au Canada, qui ont réussi à y être admises, mais qui ne peuvent pas obtenir leur statut parce qu'elles n'ont pas les moyens de payer ce qu'on leur demande. Certaines d'entre elles ont un mari et des enfants. J'en connais plusieurs dont le mari est resté là-bas. Je connais des femmes qui sont ici avec des petits enfants et qui ne peuvent absolument pas travailler; elles essaient de faire venir leur mari et leurs autres enfants.

.1010

Cette taxe leur rend la tâche absolument impossible. Elle ne peuvent pas obtenir le document définitif attestant leur statut d'immigrante reçue. Par conséquent, il y a certains emplois qu'elles ne peuvent pas accepter parce que l'employeur ne veut pas de quelqu'un qui n'est pas admis en permanence au Canada. Elles ne peuvent pas suivre des cours, parce qu'elles n'ont pas leur document définitif.

La situation de ces femmes est très difficile, plus difficile que celle des hommes, car bien souvent elles ne peuvent pas travailler parce qu'elles ont de petits enfants ou qu'elles n'ont aucune formation. Elles n'ont jamais travaillé dans leur pays. Elles n'ont jamais eu l'occasion de participer au marché du travail. J'ai travaillé avec bon nombre de femmes du Sri Lanka, qui m'ont dit que la femme n'a aucun statut dans leur pays. Elle est à la charge de son parent masculin le plus âgé.

Dans le cas d'une de ces Sri Lankaises avec qui j'ai travaillé, le mari est mort avant que le processus ne soit terminé. Il n'avait pas signé les documents définitifs pour parrainer sa femme et leurs deux enfants. Le mari était sur son lit de mort, et j'ai réussi à exercer des pressions sur le personnel à l'étranger pour qu'on envoie la femme ici avant que tous les détails n'aient été réglés. Elle est ici depuis maintenant quatre ans. Elle se débrouille très bien. Elle travaille. Les enfants réussissent très bien à l'école, et ils ont pu voir leur père avant qu'il ne meure. Le père n'avait jamais vu la plus jeune et il tenait à la voir avant de mourir. J'ai réussi à exercer des pressions sur le personnel à l'étranger pour la faire venir ici. On lui dit maintenant qu'il faudrait qu'elle retourne parce qu'elle n'a pas les documents définitifs...

La présidente: Madame Pocock, je me suis déjà prononcée par le passé pour empêcher qu'on discute de cas individuels ou qu'on nomme certains membres en particulier. Je voudrais que nous nous en tenions au sujet de notre rencontre d'aujourd'hui, à savoir l'étude des revendications du statut de réfugié fondées sur le sexe, au lieu de nous attarder aux problèmes auxquels se heurtent les réfugiés à l'arrivée ou au départ, au manque d'accès, etc. Je vous demanderais de bien vouloir vous en tenir au sujet de l'heure puisque nous avons déjà votre mémoire. Les observations que vous nous faites aujourd'hui se trouvent dans votre mémoire, alors je vous demanderais de nous dire simplement ce que vous pensez des lignes directrices et des améliorations qui pourraient y être apportées à l'avenir?

Mme Pocock: Les lignes directrices sont excellentes à mon avis. Je crois toutefois que les commissaires et les avocats ne s'y conforment pas toujours. Par ailleurs, les femmes ont tellement d'obstacles à surmonter qu'elles sont vraiment traumatisées quand elles se présentent à une audience. C'est vraiment très difficile pour elles. Je le sais pour en avoir accompagné plusieurs à leurs audiences. En arrivant dans la salle - les commissaires se trouvent généralement sur une estrade - elles sont angoissées et très peu sûres d'elles. À l'audience à laquelle j'ai assisté l'autre jour, les commissaires étaient assis au même niveau que la requérante, mais c'était la première fois que je voyais cela. Je ne sais pas si c'est le cas dans les autres salles d'audience, mais c'était comme ça dans celle-là. Quand il n'y a pas d'estrade, les femmes n'ont pas l'impression de comparaître devant un juge.

Je le répète, je trouve que les lignes directrices sont excellentes. J'estime que ceux qui sont chargés d'examiner les demandes devraient recevoir une formation plus poussée et faire preuve de plus de compassion et de compréhension. Le Canada est fier de sa réputation comme pays où la compassion est à l'honneur, mais je dois vous dire qu'il devient de plus en plus difficile de trouver quelque compassion que ce soit dans notre système.

La présidente: Avez-vous quelque chose à ajouter, mesdames Macdonald et Musa?

Un témoin: Non, merci.

La présidente: Merci beaucop. Nous commençons donc le premier tour de questions de cinq minutes avec M. Nunez.

M. Nunez: Merci de votre excellent exposé, de votre mémoire et de vos recommandations. Je suis heureux que les églises canadiennes soient représentées ici aujourd'hui par trois femmes.

[Français]

Vous avez fait un très bon travail et vous faites preuve d'un grand engagement envers les réfugiés.

.1015

Vous avez aussi beaucoup contribué à l'élaboration des politiques canadiennes sur les réfugiés. Je partage vos sentiments, vos préoccupations et vos appréhensions en ce qui a trait à la taxe à l'immigration.

C'est le premier mémoire qui examine un peu en profondeur le programme Femmes en détresse. Vous avez participé à la révision de ce programme. Vous avez aidé les femmes en détresse. Quelle est votre évaluation de ce programme? D'autres personnes ont émis des critiques à cet égard.

[Traduction]

Mme Macdonald: C'est un excellent programme à mon avis. Je suis toutefois très préoccupée par le petit nombre de femmes qui ont effectivement pu en bénéficier. Certains groupes paroissiaux attendent depuis des années qu'on leur propose des femmes en détresse qu'ils pourraient parrainer, mais je n'ai encore reçu aucun nom que je puisse leur soumettre. Des représentants du HCNUR m'ont contactée pour me proposer des personnes qui, selon eux, répondaient aux critères du programme, mais le Canada refuse de donner suite à ces recommandations. J'oriente donc les femmes vers d'autres pays parce que le danger est trop grand pour qu'elles puissent attendre bien longtemps.

Le programme est un bon programme. Je connais personnellement des femmes qui ont été admises dans le cadre de ce programme et, même s'il est impossible de mesurer exactement leur contribution financière, il reste qu'elles ont apporté une contribution énorme à la société canadienne en l'espace de quelques années seulement. J'en suis franchement étonnée. Je crois toutefois que le programme doit être appliqué.

Mme Musa: J'ajouterais à cela que l'application du programme présente un certain nombre de défauts importants. Ainsi, la longueur des délais est inacceptable. Si le programme vise à protéger les femmes qui se trouvent vraiment en détresse, le processus qui permet aux femmes de venir ici est trop long.

Il y a aussi les critères concernant les perspectives d'établissement qui font problème. Même les femmes dont la demande est examinée dans le cadre du programme Femmes en détresse sont soumises à ces critères. Elles doivent montrer à un agent des visas qu'elles peuvent bien s'intégrer à la société canadienne.

Il convient de signaler également les droits de 975$ qui ont été imposés récemment, de même qu'un certain nombre d'autres règles, notamment celles qui obligent les femmes à subir un examen médical. Ces femmes n'ont pas les moyens de réunir un montant aussi important, de sorte que le danger qui les guette s'en trouve accru.

Le programme a fait l'objet d'un examen auquel le Comité inter-églises pour les réfugiés et le Conseil canadien pour les réfugiés ont participé, mais aucune modification n'y a encore été apportée à la suite des recommandations qui ont été faites.

[Français]

M. Nunez: À la page 2 de votre présentation, vous soulevez une contradiction dans la politique canadienne ayant trait aux réfugiés. D'une part, le Canada, selon le paragraphe 6, n'a pas l'obligation en droit international de choisir des réfugiés à l'étranger. D'autre part, et vous soulevez cela à juste titre, le Canada fait tout ce qu'il peut pour décourager l'arrivée des personnes qui demanderont le statut de réfugié au Canada. J'aimerais que vous nous expliquiez comment vous vivez cette contradiction au niveau des personnes que votre Église parraine à Toronto ou dans d'autres villes du Canada.

[Traduction]

Mme Musa: J'ai aussi souligné, au paragraphe 8, la contradiction qui existe entre le processus de sélection au Canada et le processus de sélection à l'étranger.

Les réfugiés qui sont déjà au Canada n'ont qu'à prouver qu'ils répondent aux critères pour être reconnus comme réfugiés au sens de la Convention. Par contre, ceux qui passent par le processus de sélection à l'étranger doivent en outre prouver qu'ils pourront bien s'intégrer à la société canadienne. Les réfugiés qui sont déjà ici ont peut-être les mêmes antécédents que ceux qui font une demande à partir de l'étranger, mais ceux qui sont ici ont de meilleures chances d'être admis que ceux qui sont à l'étranger.

Nous parlons beaucoup des critères concernant les perspectives d'établissement. Ces critères ne s'appliquent pas uniquement aux femmes; il s'appliquent aussi aux hommes, mais ils ont un effet disproportionné sur les femmes parce qu'on tient compte des compétences linguistiques, de la connaissance de l'anglais ou du français, des antécédents scolaires, de la formation professionelle, de l'expérience de travail à l'extérieur du foyer. La plupart des femmes qui se trouvent dans les camps de réfugiés n'ont pas ces compétences, non pas en raison de leur inaptitude, mais parce qu'elles n'ont pas eu l'occasion de les acquérir dans leur pays d'orgine. Ces femmes sont donc énormément désavantagées, plus encore que celles qui présentent une demande à partir du Canada et qui n'ont pas à prouver qu'elles pourront bien s'intégrer à la société.

.1020

M. Mayfield: Bonjour.

Dans la partie de votre mémoire qui porte sur le processus de sélection à l'étranger, vous décrivez en détail les problèmes d'accès au bureau des visas canadiens à l'étranger. D'après l'expérience que vous en avez, croyez-vous que ce manque d'accès constitue un grave handicap pour les plus démunis?

Mme Musa: Oui, et je peux même vous donner un exemple. J'arrive tout juste d'un voyage au Kenya, où le gouvernement interdit aux réfugiés de vivre à l'extérieur des camps de réfugiés. Tous les réfugiés doivent obligatoirement vivre dans des camps de réfugiés. Or, la plupart de ces camps se trouvent à plusieurs jours de route de la capitale.

Les agents des visas canadiens, contrairement à leurs homologues américains, ne se rendent pas dans les camps de réfugiés. Les agents américains vont y interviewer les réfugiés. Les agents canadiens, eux, ne se déplacent pas. Ce sont les réfugiés qui doivent se rendre à Nairobi pour y être interviewés.

Comme nous le savons, la plupart des femmes n'auraient pas les moyens de se payer un aussi long voyage ni de faire garder leurs enfants, ni même de quitter le camp, tandis qu'il est bien plus facile pour les hommes de se rendre à Nairobi pour y être interviewés. Les hommes dans cette société, et nous le savons d'expérience, ont bien plus de mobilité que les femmes. Encore là, les femmes sont donc défavorisées.

Le problème pourrait être atténué si les agents des visas canadiens se rendaient régulièrement dans les camps pour y interviewer les réfugiés.

M. Mayfield: S'agit-il d'un changement d'orientation? Si je me souviens bien, il est déjà arrivé que les agents des visas se rendent dans les camps, n'est-ce pas?

Mme Musa: Ils ne le font pas de façon systématique. Quand j'ai posé la question aux agents des visas au Kenya, on m'a dit que cela se faisait mais de façon très exceptionnelle. Si, par exemple, ils recevaient des visiteurs du Canada qu'ils devaient amener dans les camps, ils profiteraient alors de l'occasion pour y interviewer des réfugiés. Ils n'ont toutefois pas l'habitude de se rendre dans les camps, car le nombre de réfugiés que nous admettons des pays d'Afrique - si nous prenons le continent africain comme exemple - n'est pas assez important; six cent cinquante réfugiés seulement passent par le processus de sélection du gouvernement. De l'avis des agents des visas et de l'ambassade du Canada, il ne serait guère raisonnable sur le plan économique que les agents se rendent dans les camps étant donné le petit nombre de réfugiés à interviewer et les sommes importantes qu'il faudrait y consacrer.

Ainsi, dans d'autres régions du monde - et il y en a en fait très peu - où le nombre de réfugiés est plus important, il se pourrait que les agents se rendent dans les camps, mais ils ne le font pas de façon systématique. C'est plutôt l'exception que la règle.

M. Mayfield: Dans les circonstances, croyez-vous que nos réfugiés seraient avantagés par une réaffectation des moyens canadiens de manière à accorder plus d'importance aux demandes faites à partir de l'étranger qu'à celles qui sont faites au Canada? Est-ce là ce que vous proposez?

Mme Musa: Je ne dirais pas qu'il faudrait consacrer plus de moyens aux demandes faites à partir de l'étranger et moins à celles qui sont faites depuis le Canada, je dirais plutôt...

M. Mayfield: C'est bien ce que j'ai voulu dire; je me suis peut-être mal exprimé.

Mme Musa: ...qu'il faudrait embaucher plus d'agents des visas pour qu'ils puissent à tout le moins se rendre de façon systématique dans les camps. Les agents des visas déjà en poste pourraient se rendre dans les camps de façon systématique si on le leur demandait.

M. Mayfield: Je passe à une autre partie de votre mémoire. Dans la section B aux pages 6 et 7, vous faites un certain nombre de recommandations. Vous proposez, par exemple, à la recommandation 3, que les examens médicaux se fassent, non pas avant le départ des réfugiés de leur pays d'origine, mais à leur arrivée au Canada. Cette recommandation s'applique-t-elle uniquement aux requérantes du programme Femmes en détresse ou proposez-vous un changement d'orientation générale?

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Mme Musa: Non, pour l'instant, notre recommandation ne s'applique qu'aux requérantes du programme Femmes en détresse.

M. Mayfield: Ne croyez-vous pas qu'il en résulterait un accroissement du coût de notre programme pour les réfugiés et que la santé des Canadiens pourrait s'en trouver menacée? Exiger un examen médical à l'étranger, n'est-ce pas, d'une certaine façon, une précaution à prendre pour protéger la santé des Canadiens?

Mme Musa: Des millions de personnes se rendent au Canada comme touristes ou comme voyageurs d'affaires. Ils peuvent y amener toutes sortes de maladies. Ils n'ont pas à se soumettre à quelque examen médical que ce soit. Comme les réfugiés ne représentent qu'une très faible minorité, je ne crois pas qu'ils posent un risque bien plus élevé que ceux qui viennent au Canada en visite. Je ne crois vraiment pas qu'ils soient une menace.

M. Mayfield: Par cette réponse, voulez-vous laisser entendre que nous devrions tenir compte des besoins médicaux des gens et les amener ici pour les soigner?

Mme Musa: Il ne s'agit pas de soigner les gens qui ont des problèmes médicaux. Les tests auxquels ils sont appelés à se soumettre visent à vérifier s'ils n'ont pas des maladies contagieuses comme la tuberculose. S'il est déterminé à l'étranger qu'ils ont la tuberculose, on leur donnerait un certain temps pour se faire soigner et se remettre de leur maladie avant de leur permettre de venir ici. Le processus serait le même si les tests étaient administrés ici. La tuberculose existe au Canada. La maladie n'y est pas encore enrayée, et nous pourrions soumettre les réfugiés aux mêmes tests et au même processus ici qu'à l'étranger.

Nous demandons que cela se fasse uniquement dans le cas des femmes en détresse, car ces femmes s'exposent à des risques si elles restent dans les camps. Elles pourraient même perdre la vie. La femme qui se présente comme femme en détresse ou qui est identifiée comme telle par le HCNUR court un risque encore plus grand du fait qu'elle dit être en détresse. Elle est déjà en péril du fait qu'elle se trouve dans un camp, le péril pouvant venir des autres réfugiés ou des bandits qui rôdent aux alentours, et le péril s'accroît lorsqu'elle reconnaît être en détresse.

Les examens médicaux et toutes les autres procédures auxquelles elle doit se soumettre prennent beaucoup de temps, de sorte que le danger augmente. Ainsi, nous disons que, si nous voulons sauver la vie de cette personne, il ne faut pas la faire attendre plus d'un mois ou deux, pas plus de trois mois en tout cas. Or, les examens médicaux prennent bien plus de temps que cela.

M. Mayfield: Je suis désolé, madame la présidente, je dois partir maintenant.

La présidente: Merci.

M. Mayfield: Je suis désolé. Je remercie les témoins et je les prie de m'excuser.

La présidente: Merci d'avoir été là.

Mme Terrana: Bonjour. Merci de votre présence ici aujourd'hui et du travail que vous faites. Je sais que nous avons déjà entendu quelques exposés de la part de votre groupe. J'ai déjà oeuvré dans le même domaine que vous, même si je ne m'y suis pas consacrée aussi entièrement que vous le faites.

Je tiens tout d'abord à vous faire mes excuses. Je ne sais pas trop pourquoi, mais je n'ai pas reçu votre mémoire et je ne l'ai pas lu. Je tiens par ailleurs à vous dire que ma circonscription, celle de Vancouver-Est, a une population qui est composée à 45 p. 100 de nouveaux immigrants. Nous avons beaucoup de réfugiés, et j'ai une personne à mon bureau de circonscription qui s'occupe uniquement de questions d'immigration; elle est spécialiste en la matière. Nous sommes en train de devenir des spécialistes par la force des choses. Je suis donc au courant des problèmes qui se posent.

Il s'agit bien sûr d'une question très difficile, car, comme vous dites, de nombreux dangers guettent la femme en détresse. D'après les exposés que nous avons entendus et d'après le vôtre aussi, il semble que les lignes directrices ne soient pas toujours appliquées de façon cohérente par la CISR.

Vous avez affirmé à maintes reprises que les lignes directrices sont excellentes. Je suis heureuse de vous l'entendre dire, puisque c'est ce que d'autres nous ont dit aussi. Que pouvons-nous faire pour régler le problème, du moins au Canada? Avez-vous une suggestion quelconque à nous faire?

Mme MacDonald: Je crois qu'il serait très important de changer l'atmosphère dans la salle d'audience. Les femmes qui demandent à être admises parce qu'elles sont victimes de persécution fondée sur le sexe ont même du mal à se considérer comme des personnes à cause de la tradition qui pèse sur elles. Elles ont encore plus de mal à expliquer pourquoi elles veulent être admises à ce titre. Admettre les témoignages sur vidéo, rendre l'atmosphère dans la salle d'audience moins intimidante, obtenir des informations plus complètes sur la situation qui a cours dans leur pays d'origine, de façon qu'on n'ait pas à s'en remettre uniquement à leurs témoignages personnels...

C'est une expérience extrêmement traumatisante pour ces femmes. Je serais traumatisée, moi aussi, et je n'ai pas la même tradition qui pèse sur moi. Les femmes que j'ai accompagnées à leur audience étaient très craintives à l'idée de ce qui allait se passer.

Mme Terrana: Les femmes en détresse seraient-elles moins intimidées, par exemple, si elles comparaissaient devant une femme?

Mme MacDonald: Absolument.

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Mme Pocock: J'estime que les commissaires devraient recevoir une formation plus poussée pour les sensibiliser au milieu dont proviennent ces femmes. Quand on a grandi au Canada, on a du mal à comprendre la situation difficile dans laquelle vivent ces femmes. Elles ont, elles aussi, du mal à prendre la parole pour dire ce qu'elles ressentent et ce à quoi elles croient avoir droit.

La présidente: Tout à fait.

Mme Musa: Nous savons que les lignes directrices sont bonnes, mais elles ne sont pas excellentes. Elles devraient être améliorées à partir de l'expérience et des leçons des quelques dernières années. Par ailleurs, les lignes directrices n'ont aucune force exécutoire, de sorte que leur application dépend entièrement de la compétence du commissaire qui a à les interpréter. Ainsi, il ne s'agit pas uniquement de former les commissaires, mais de s'assurer qu'on a de bons éléments au départ.

Mme Terrana: Vous partagez donc le point de vue des représentantes du CCA qui estiment que les lignes directrices devraient être incluses dans la législation?

Mme Musa: Rien ne nous oblige même à en faire des lignes directrices. J'ai écouté ce que disait la porte-parole du CCA, et je suis d'accord avec le Conseil, il ne serait pas sage dans le contexte actuel de demander que la Convention de Genève soit modifiée pour y inclure la persécution fondée sur le sexe. Je voudrais bien qu'on puisse le faire, mais je crois que le climat ne s'y prête pas.

Nous avons notre loi à nous, et nous n'aurions qu'à y inclure la persécution fondée sur le sexe. Les lignes directrices donnent bien plus de détails quant à ce qu'il faut entendre par la persécution fondée sur le sexe. Il faudrait qu'elle soit sans cesse élargie à partir des leçons tirées de l'expérience quotidienne. Si nous ne faisions qu'inclure la persécution fondée sur le sexe, ce serait déjà un pas dans la bonne voie.

Mme Terrana: L'autre question que je veux vous poser concerne la flexibilité. Je sais qu'on s'inquiète beaucoup du droit d'établissement, et je défends moi-même votre point de vue, ou à tout le moins celui des membres de groupes comme le vôtre, qui seront durement touchés par cette taxe.

Dans une de vos recommandations, vous préconisez l'élimination du droit d'établissement pour tous les réfugiés. Seriez-vous prête à être un peu plus flexible à cet égard?

Je suis d'accord avec des groupes comme le vôtre: quand le refugié est parrainé par un organisme privé, nous devrions en tenir compte. Qu'en est-il des autres cependant, ceux qui viennent ici et qui travaillent alors même qu'il sont des réfugiés? Pourrait-on appliquer le droit d'établissement de façon un peu plus flexible - en leur donnant par exemple le temps de rembourser le prêt ou en prévoyant d'autres mesures semblables?

Mme Musa: Nous préférerions qu'il n'y ait pas de droits d'établissement, puisqu'il s'agit d'un programme humanitaire et que nous ne devrions pas par conséquent nous attendre à ce que les réfugiés payent pour ce service. Nous sommes tenus de les aider.

Si le droit d'établissement doit absolument être maintenu, il faudrait effectivement qu'il y ait une certaine flexibilité. Nous craignons toutefois que cette flexibilité soit très aléatoire si nous nous en remettons à la personne chargée de déterminer si le réfugié répond aux critères pour obtenir un prêt.

J'ai lu récemment un article au sujet d'un Algérien qui, si je ne m'abuse, était le premier à qui on avait refusé un prêt pour payer son droit d'établissement. Il est intéressant de noter qu'on lui a refusé le prêt parce qu'il n'avait pas travaillé depuis son arrivée au Canada, mais aussi - et c'était là un facteur important - parce que sa femme, qu'il voulait faire venir d'Algérie, n'avait jamais travaillé. On lui a dit que c'était là un autre élément important qui avait joué contre lui. Je suis très préoccupée par cela, puisque les femmes sont donc défavorisées par rapport aux hommes.

Je recommanderais l'élimination pure et simple du droit d'établissement. Si toutefois il est maintenu et que nous voulions l'appliquer avec une certaine souplesse, il faudrait prévoir des mécanismes de contrôle de façon qu'on ne s'en remette pas à la discrétion d'une seule personne. Si nous accordons des prêts, il faudrait que ces prêts soient sans intérêt et qu'ils puissent être remboursés à bien plus long terme et à des conditions flexibles.

C'est un important fardeau financier, parce qu'il n'y a pas que les 975$. Il faut ajouter à ce montant les 500$ de même que les autres frais qui sont exigés, de sorte que le montant des frais engagés uniquement au Canada peut s'élever à plus de 2 300$. C'est un fardeau financier énorme pour quelqu'un qui vient tout juste d'arriver au pays.

Mme Terrana: Je veux vous poser une courte question encore.

La présidente: Je suis désolée, madame Terrana. Vous devrez attendre. Nous aurons le temps de revenir à vous.

Madame Debien.

[Français]

Mme Debien: Bienvenue, mesdames Pocock, Musa et Macdonald. À la page 6 de votre mémoire, au paragraphe 21, vous parlez du programme Femmes en détresse et des filières qui y sont adjointes, les filières A et B. Vous décrivez bien ces filières. La filière A est utilisée pour la violation des droits fondamentaux et la filière B est utilisée pour les femmes désavantagées à cause du sexisme en général.

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Vous parlez aussi du programme d'aide conjointe. Veuillez excuser mon ignorance à ce sujet, mais j'aimerais que vous nous parliez un peu de ce programme d'aide conjointe, que vous conseillez de suivre plutôt que le programme Femmes en détresse. J'aimerais savoir pourquoi.

Ensuite, à la toute fin du paragraphe, vous nous dites qu'il faudrait accorder la priorité aux femmes qui se placent dans une catégorie pouvant emprunter la filière A, c'est-à-dire violation des droits fondamentaux, plutôt que la filière B, qui a surtout trait aux problèmes liés aux questions de revendications selon le sexe. Pour moi, ce n'est pas clair.

Il y a beaucoup d'éléments concernant le programme Femmes en détresse dans ce paragraphe. J'aimerais que vous m'expliquiez bien le cheminement que vous proposez par rapport à chacune des filières et par rapport au programme d'aide conjointe.

[Traduction]

La présidente: Vous voulez des éclaircissements, madame Musa?

Mme Musa: J'attendais simplement la fin de l'interprétation.

Merci beaucoup. À ce que je vois, le paragraphe n'est pas très clair et...

Mme Debien: Non.

Mme Musa: Je tiens à préciser que nous voulions que le mémoire soit aussi court que possible pour qu'il soit lu. Nous sommes donc heureuses d'avoir cette occasion d'expliquer ce que nous voulions dire au paragraphe 21.

Les femmes qui passent par le programme Femmes en détresse suivent l'une ou l'autre de deux filières. Il y a celles de la filière A, qui ont survécu à des actes de torture, dont l'intégrité physique est gravement menacée et qui doivent, par conséquent, être immédiatement retirées du milieu où elles se trouvent. Puis, il y a les femmes de la filière B, qui sont dans des camps de réfugiés depuis plusieurs années et qui ont été laissées pour compte par les pays qui acceptent des réfugiés, parce que, le plus souvent, ces pays préfèrent prendre des hommes, des jeunes gens, qui sont censés avoir de meilleures perspectives d'établissement. Elles sont donc laissées pour compte parce qu'elles ont des enfants et pour toutes sortes d'autres raisons. Ce sont les femmes de la filière B. Comme elles ne peuvent pas entrer dans le pays, elles ont besoin d'être acceptées comme réfugiées puisque ce n'est pas une vie de vivre pendant plus de dix ans dans un camp de réfugiés. Il y a donc deux filières.

Bon, alors les réfugiées, c'est-à-dire les femmes en détresse qui suivent soit la filière A soit la filière B, passent toutes par le Programme d'aide conjointe. Si elles sont prises en charge par le gouvernement, c'est le gouvernement qui assure leur soutien financier, tandis que les églises et les ONG leur offrent d'autres formes de soutien - on peut leur offrir un soutien moral, par exemple, ou les initier à leur nouveau milieu de vie. Voilà ce qu'on entend par le Programme d'aide conjointe.

Nous disons qu'il faut donner la priorité aux réfugiées de la filière A, car elles risquent d'être tuées si on ne les retire pas immédiatement de leur milieu. Nous disons par conséquent que ce sont ces femmes de la filière A qu'il faut faire venir immédiatement au Canada dans la mesure où le nombre de réfugiés que nous sommes prêts à accepter le permet.

Les femmes de la filière B attendent depuis déjà dix ans. Elles peuvent attendre encore un an et passer par une autre procédure. J'espère que c'est clair maintenant.

La présidente: Monsieur Nunez.

[Français]

M. Nunez: À la page 8 de votre mémoire, au paragraphe 26, vous parlez de la pénurie d'information sur la situation des droits de la personne, surtout à l'égard des femmes. Cela demeure un obstacle à la protection des femmes et vous faites une recommandation.

C'est la première fois que je vois cela dans l'examen que nous faisons de ce dossier depuis quelques semaines. Vous proposez qu'il y ait plus de recherche sur les femmes persécutées ou qui craignent la persécution en raison de leur sexe. Que pourrait-on faire de plus comme recherche pour améliorer l'acceptation de ces femmes au Canada?

[Traduction]

Mme MacDonald: Il faudrait que des recherches soient faites notamment sur les moeurs du pays que la femme a quitté et sur le rôle qu'elle avait en tant que femme dans sa famille et dans sa société. Il y a bien des gens au Canada qui ont du mal à comprendre le parti pris qui s'exerce contre les femmes dans leur propre pays... et qui auront d'autant plus de difficultés à en comprendre l'existence et qui nieront même qu'il existe dans les pays d'où proviennent les réfugiés.

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Ce sont là quelques éléments clés de la documentation quand des femmes viennent nous voir pour des questions de tenue vestimentaire ou simplement parce qu'elles veulent poursuivre leurs études. Il y a le cas d'une femme qui essaie de récupérer sa fille à cause des pratiques de mutilation génitale dans son pays natal. Il faut établir clairement ces circonstances.

Mme Musa: Je tiens à insister une fois de plus sur l'importance de la documentation, parce que les membres du comité en ont absolument besoin. Nous devons nous assurer d'avoir la documentation non seulement la meilleure, mais aussi la plus à jour possible.

Les choses changent si rapidement que parfois, quand on réussit enfin à mettre la main sur des documents, il y a un pays de plus ou un cas de plus de persécution dont nous n'étions pas au courant. Nous disons donc qu'il faut renforcer la capacité. Il ne faut pas seulement faire plus de recherches, mais aussi les faire mieux.

M. Assadourian (Don Valley-Nord): Je voudrais vous poser les questions suivantes. Vous avez dit tout à l'heure que les officiels canadiens en poste à l'étranger, notamment au Kenya, ne peuvent pas se déplacer ou refusent de se déplacer pour aller dans les camps de réfugiés à cause du manque de fonds ou peut-être parce que la demande est très faible, et qu'ils n'y vont que lorsqu'un visiteur les y accompagne. Ils profitent alors de l'occasion d'y aller.

Manifestement, le gouvernement s'efforce de rogner sur tous les plans. C'est peut-être la raison. On a réduit le nombre des fonctionnaires et il n'y en a peut-être plus suffisamment à l'étranger pour assurer le même service qu'auparavant. Vous avez rédigé ce rapport et je suis certain que pour le mettre en oeuvre tel quel, il en coûtera de l'argent au gouvernement.

Mettez-vous à la place du ministre. Vous êtes le ministre et votre collègue le ministre des Finances vous dit que vous devez réduire vos programmes de 20 p. 100 dans l'ensemble. Il faut donc couper quelque part dans ce programme d'aide aux réfugiés persécutés pour leur sexe et vous êtes chargé de le faire. Quelle partie supprimeriez-vous pour vous assurer que le programme survive et qu'il permette quand même de faire ce qu'il est impératif de faire à votre avis? C'est mon premier point.

Vous avez dit par ailleurs que les travailleurs à l'étranger ne sont pas aussi conscientisés que vous et moi sur cette question. Je vous pose donc la question: quand vous présentez un document comme celui-ci, en envoyez-vous copie ou envisagez-vous d'en envoyer copie à ces gens-là afin de les conscientiser, afin qu'ils sachent de quoi nous discutons ici? Je vous demanderais de répondre à ces deux questions.

Mme Musa: D'accord.

M. Assadourian: Répondrez-vous d'abord à la deuxième ou à la première?

Mme Musa: Je vais commencer par la deuxième, à laquelle il est beaucoup plus facile de répondre.

Oui, nous leur en enverrions une copie. Nous n'avons pas songé à le faire dans ce cas-ci parce que le document était destiné aux groupes ici présents. Nous pourrions leur envoyer d'autres documents.

Par ailleurs, nous faisons tous les efforts, dans le cadre de nos déplacements, pour rendre visite au Bureau des visas canadiens à l'étranger, pour établir des liens avec les gens qui y travaillent et pour leur donner de l'information. Nous savons que nous travaillons en partenariat. Et ils n'essaient pas de saboter notre travail et nous n'essayons pas de leur mettre des bâtons dans les roues non plus. Nous devons travailler main dans la main. Dans toute la mesure du possible, nous essayons de leur rendre visite et d'échanger des renseignements, ce qui arrive très régulièrement.

Vous m'avez demandé quelles compressions je ferais si j'étais ministre des Finances. Je serais un ministre très différent parce que je ne couperais rien du tout. Si j'étais ministre de l'Immigration et que le ministre des Finances me demandait de couper, je procéderais plutôt à des réaffectations de fonds.

Maintenant, je ne suis pas ministre de l'Immigration et je ne sais donc pas vraiment combien d'argent on dépense pour cela. C'est prioritaire et je l'ai dit publiquement, comme le ministre de l'Immigration l'a dit aussi d'ailleurs. Ce que je ferais, c'est de réaffecter de l'argent de manière à m'assurer que la priorité....

M. Assadourian: Mais où prendriez-vous ces fonds pour les réaffecter?

Mme Musa: Je dis que pour le moment, j'ignore quel programme a plus d'argent, mais je prendrais l'argent consacré aux éléments moins prioritaires et le réaffecterais à ce qui est plus prioritaire, en l'occurrence ce dont nous parlons.

Ce n'est pas toujours une simple question d'argent. Il y a des façons de faire. Je pense qu'à l'étranger, si les gens dont on parle ne peuvent pas se déplacer pour faire des entrevues, ils pourraient accepter le résultat des entrevues faites par le HCNUR parce que les gens du HCNUR font des entrevues pour établir si...

M. Assadourian: Ne céderions-nous pas une partie de notre souveraineté si l'on acceptait les entrevues faites par des étrangers, en l'occurrence les gens du HCNUR? C'est mon droit souverain d'interviewer les candidats à l'immigration qui veulent venir s'établir ici. Si je vous donne ce droit, cela veut dire que je renonce à une partie de ma souveraineté.

.1045

Mme Musa: Le HCNUR effectue le même genre d'entrevues, en utilisant les mêmes conventions que le Canada, de sorte que nous n'avons pas des critères différents. La seule différence, c'est que nous nous demandons si la personne en cause pourrait bien réussir dans ses efforts d'établissement au Canada, tandis que le HCNUR ne s'interroge pas là-dessus.

Mais de toute façon, nous demandons d'éliminer cela. Si l'on supprime cet aspect et que l'on se demande seulement si la personne en cause est bel et bien un réfugié, je suppose que nous pouvons alors accepter le résultat de l'entrevue menée par le HCNUR. Tout au moins, nous n'avons pas besoin de procéder à la partie détaillée. L'agent d'immigration pourrait jeter rapidement un coup d'oeil sur l'information recueillie et si l'agent des visas estime qu'il y a lieu de poser certaines questions, on pourrait convoquer la personne en question.

Ce n'est pas une exception. J'ai lu quelque part il y a quelques années, et mon souvenir est vague là-dessus, mais je crois que les agents d'immigration ont également le pouvoir de renoncer à l'entrevue dans le cas des immigrants. Par exemple, à Hong Kong, il n'est pas nécessaire d'interviewer personnellement la personne. On peut se contenter du document et délivrer un visa à partir des renseignements qui y sont consignés. Ce n'est pas comme si cela ne s'était jamais fait nulle part.

Par ailleurs, on pourrait peut-être établir des liens avec les ONG. Beaucoup d'ONG canadiennes travaillent dans les camps. Ces gens-là pourraient travailler de concert avec les ONG ou avec d'autres gouvernements qui ont des représentants dans les camps pour faire des entrevues. Ils utilisent les mêmes critères que nous. Il y a bien d'autres manières de le faire.

M. Assadourian: Je suis d'accord avec vous sans réserve pour dire que c'est une question très importante. Tous les témoins qui viennent ici affirment que c'est important pour eux. Je suis absolument d'accord, mais en tant que membres du comité, nous devons prendre une décision et faire une recommandation. Vous devez nous aider à formuler cette recommandation. C'est pourquoi je vous ai demandé où vous couperiez et comment vous vous y prendriez.

La présidente: Je dois intervenir. Je suis désolée. Vous n'êtes pas ministre de l'Immigration. Je pense que vous avez déjà répondu à la question. Merci beaucoup.

Madame Terrana, vous avez demandé à poser une dernière question.

Mme Terrana: Oui, surtout après le dernier échange. Personnellement, j'ai toujours été d'avis que nous devrions renforcer notre réseau à l'étranger, afin d'avoir moins de gens qui échouent sur nos rives et d'établir plutôt un système ordonné et coordonné pour faire venir les réfugiés au Canada.

En me fondant sur cette conviction et sur ce que vous avez dit à propos de ces agents à l'étranger, je pose la question: pourquoi ne recommandez-vous pas que les agents des visas se déplacent ou bien qu'ils acceptent le résultat des entrevues menées par les représentants des Nations Unies? Je ne crois pas avoir lu cela dans votre mémoire.

C'est à peu près tout, merci beaucoup.

La présidente: Je vous remercie beaucoup pour votre mémoire très éclairant et nous vous reverrons peut-être à titre de future ministre. Nous comptons avoir de nouveau le plaisir de vous rencontrer.

Je remercie également tous les membres du comité. La séance est levée.

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