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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 30 novembre 1995

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[Traduction]

Le vice-président (M. Richardson): La séance est ouverte.

Mes excuses aux membres du comité et à nos invités. M. Manley et un groupe de personnes m'ont tendu une embuscade dans mon propre bureau. C'est mon anniversaire de naissance demain, mais je ne m'attendais surtout pas à ce qu'on me fête ainsi. Après avoir chanté «Happy Birthday», j'ai vite pris mes documents et fait l'impossible pour être ici à temps. Croyez-le ou non, je n'ai pas d'autre excuse.

Je suis heureux de vous souhaiter la bienvenue, contre-amiral Crickard. Votre nom, vos actions et vos réalisations vous ont précédé. Au nom du comité, je vous souhaite la bienvenue et je vous invite à nous livrer votre exposé.

Le contre-amiral Fred W. Crickard (retraité), (vice-président, Association des officiers de la marine du Canada): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.

C'est pour moi un grand honneur et un privilège de pouvoir ainsi vous adresser la parole au nom de l'Association des officiers de la marine du Canada. Notre association est un organisme non gouvernemental, qui compte quelque 2 600 membres, surtout des anciens officiers de la marine provenant des forces de réserve et des forces régulières, mais également quelques officiers en service actif. En plus de nous donner la possibilité de nous rencontrer, notre association s'efforce de faire prendre conscience aux Canadiens et à leurs dirigeants - aux dirigeants du Canada, un pays maritime - du rôle que la marine et les forces aéronavales jouent dans la défense de nos intérêts vitaux nationaux.

Mon exposé portera sur la position de l'AOMC en ce qui concerne la réserve navale. Sauf erreur, vous avez en main un livre à couverture bleue intitulé The NIOBE Papers, volume 7, qui contient le compte rendu d'un colloque qui avait pour thème La réserve, la société et les rôles opérationnels: Perspectives comparatives. Ce colloque a été organisé par notre association cette année à Windsor, en Ontario, à l'occasion de notre assemblée générale annuelle. Nous avons eu la chance extraordinaire d'y accueillir une impressionnante brochette de conférenciers.

Nous sommes très fiers de cette publication parce qu'elle présente à notre avis un bilan très intéressant de l'évolution de la réserve navale depuis les dix dernières années ainsi qu'un aperçu de son cheminement actuel. Il faudra encore dix ans à la réserve, comme je vais tenter de l'expliquer dans mon exposé, pour atteindre son plein potentiel au sein de la force totale.

Ce document contient les témoignages de représentants des marines américaine, australienne et britannique qui ont tenté de nous éclairer sur la façon dont fonctionnent leurs réserves respectives. Nous avons également entendu un certain nombre de représentants de la milice. Nous avions tenu à les inviter comme conférenciers parce que nous estimions que, parmi les quatre éléments de la première réserve, la réserve navale et la milice, à cause de leur taille et de leur budget, méritaient d'être comparées.

Vous allez, je crois, être à même de constater qu'elles ont des aspects comparables. Un individu s'identifie tout autant par ce qui le différencie des autres que par ce qu'il est lui-même. Je ferai donc ressortir, dans cette comparaison, les traits qui différencient les deux réserves, car ce sont, à mon avis, des réalités dont nous devrons tous tenir compte dans l'élaboration d'une politique commune. Il existe des différences fondamentales de perspectives entre les premières réserves et la milice, et je vais vous en donner ici quelques exemples.

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Je vous recommande donc cet ouvrage, mais je vous prie d'excuser l'absence de version française. Comme organisme non gouvernemental, notre association n'avait malheureusement pas les moyens de faire traduire ces textes.

Merci, monsieur le président, de me donner la chance de vous livrer ce témoignage. Je vais me servir du rétroprojecteur, et vous avez peut-être aussi un exemplaire de mes notes d'information. Je traiterai des rôles opérationnels de la réserve, je ferai un bref historique de la réserve navale, je vous parlerai de son plan d'effectif, des fonctions qu'elle est disposée à remplir, de son programme de formation et de ses différents niveaux de capacité de défense. Je terminerai mon exposé par quelques remarques sur le rôle de la réserve navale au sein de la force totale.

Je crois que ce que nous devons surtout garder à l'esprit, c'est que la réserve navale a un rôle opérationnel précis à jouer dans la défense du Canada. Comme vous le fait voir cet acétate, le Canada est responsable de vastes zones maritimes, dont la superficie totale dépasse, en réalité, celle de notre massif terrestre. En vertu des accords canado-américains de défense, nous sommes tenus de patrouiller ces zones. Avant d'acquérir nos nouveaux bâtiments de défense côtière, nous avions passé trente ans à n'avoir, pour patrouiller nos eaux territoriales, que nos coûteux destroyers. Mais maintenant que nous avons ces bâtiments de défense côtière, dont l'équipage est formé de réservistes faisant partie intégrante de la force totale, le Canada est enfin de nouveau doté à la fois d'une défense côtière et d'une défense hauturière.

J'insiste sur le fait que la réserve navale contribue à répondre à nos besoins opérationnels de base sur le plan de notre défense maritime. On a affaire ici à tout un éventail de menaces potentielles, de nature tant militaire que non militaire, allant du maraudage et de la contrebande au mouillage de mines dans nos eaux territoriales. Or, une fois que nos douze bâtiments de défense côtière seront opérationnels avec à leur bord des équipages entièrement composés de réservistes, nous aurons, pour la première fois depuis le milieu des années 60, une capacité de sécurité maritime à deux niveaux, et cela est très important, car les menaces de nature non militaire occupent de plus en plus de place dans nos préoccupations.

De mon point de vue et du point de vue de l'AOMC, il s'agit là du volet opérationnel dont découle tout le reste.

Il n'en a pas toujours été ainsi. De la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu'aux environs de 1981-1982, lorsqu'on a entrepris la restructuration de la réserve navale dans le contexte de la force totale... Cette structuration est en cours depuis une décennie. Au cours de la première partie de la guerre froide, de 1945 aux années 60, il n'y avait pas de problème. Dans une large mesure, l'effectif de la réserve navale était formé de marins qui avaient acquis de l'expérience au cours de la Seconde Guerre mondiale. Les navires que nous utilisions entre 1945 et les années 60 étaient du même type que ceux de la Seconde Guerre mondiale. Il était donc facile pour des réservistes qui avaient fait partie des forces régulières de joindre de nouveau les troupes d'appoint à bord de bâtiments dont l'équipement était le même qu'ils avaient connu au cours de la Seconde Guerre mondiale.

Toutefois, entre la fin des années 60 et la fin des années 80, on a progressivement remplacé les navires déjà en état de détérioration avancée par une nouvelle flotte de navires à la fine pointe de la technologie, dotés de missiles hautement informatisés, etc. Il a alors fallu abandonner les anciens métiers. Les réservistes de la marine ont commencé à être laissés pour compte, n'ayant plus la compétence requise pour jouer quelque rôle opérationnel significatif que ce soit mis à part les tâches élémentaires de manoeuvriers ou de matelots. Littéralement dépassés par la technologie, ils se sont trouvés proprement incapables d'acquérir la formation nécessaire pour accomplir les nouvelles tâches, car ils n'avaient tout simplement pas le temps de se tenir à jour dans toute cette évolution technologique, accaparés qu'ils étaient par leurs autres fonctions dans la société civile.

Avec l'apparition des destroyers porte-hélicoptères et des destroyers de classe Tribal, et avec la modernisation des destroyers, les réservistes, exception faite de ceux qui exerçaient des métiers isolés, sont devenus de moins en moins aptes à obtenir des certificats de mer pour remplacer les marins de la force régulière immobilisés par la maladie, par exemple. Graduellement, les réservistes s'en sont trouvés réduits à servir sur ce que nous appelons des bâtiments garde-barrière, car ces navires étaient les seuls qui nous restaient de la Seconde Guerre mondiale. Les réservistes n'ont vraiment pas été gâtés, mais ils étaient incroyablement dévoués - comme le sont ceux d'aujourd'hui - , ces jeunes gens brillants, hommes ou femmes, qui sacrifiaient leurs fins de semaine pour se rendre sur des bâtiments semi-étanches de la Seconde Guerre mondiale afin d'y acquérir les connaissances de base nécessaires à l'exercice des métiers de matelot, de navigateur, etc.

La situation s'est mise à évoluer au début des années 80. Même les bâtiments garde-barrière, qui servaient à la formation des réservistes, ne pouvaient pas demeurer éternellement en service; il fallait les remplacer eux aussi. Par ailleurs, la situation stratégique s'étant modifiée, on s'est mis à se dire qu'il faudrait restaurer notre capacité de lutter contre les mines. Un certain nombre d'autres facteurs ayant trait à la fois à la stratégie et à la formation militaient en faveur du remplacement de la flotte de petits bâtiments.

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C'est alors qu'on a entrepris de réaliser les projets de modernisation de notre réserve navale et d'amélioration de notre défense côtière maritime. C'est dans son Livre blanc de 1987 que le gouvernement a pour la première fois manifesté son intention de restaurer la capacité de défense de notre marine côtière, et cela s'est traduit par l'acquisition de bâtiments de défense côtière.

Pour la première fois en trente ans, nous sommes en voie de regagner une très grande capacité de défense côtière, plus grande qu'on aurait pu l'espérer il y a trente ans, et ce, à cause de la guerre du flétan noir, de l'immigration illégale, des déversements de pétrole et de toutes les autres menaces non militaires auxquelles nous devons faire face sur nos côtes et ailleurs dans le monde.

Il ne s'agit donc plus seulement de mettre de nouveaux bâtiments à la disposition des réservistes pour éviter que ceux-ci en soient réduits à n'avoir plus aucun navire à leur disposition, mais de leur faire jouer un rôle véritable, un rôle qu'ils jouent maintenant, qu'il y ait guerre ou non. Voilà ce qui a été reconnu, pour ainsi dire, dans le Livre blanc de 1987, et qui est clairement réaffirmé dans le Livre blanc de 1994 sur la défense.

Dans les années 80, une autre étape a été franchie avec la publication de l'étude du comité Osbaldeston sur la fusion des flottes du gouvernement. Comme vous le savez, cette étude proposait une rationalisation beaucoup plus poussée de la flotte de navires de la garde-côtière, de la flotte de Pêches et Océans, et de la flotte du MDN. C'était une orientation très sage. Aujourd'hui, notre marine et nos forces aéronavales sont en mesure de travailler en très étroite collaboration avec ces flottes, dont l'équipage est composé de civils, à la sauvegarde de notre souveraineté maritime.

Tous ces changements ont donc été amorcés en même temps. Nous avons été témoins du début de cette évolution et nous en sommes rendus, je crois, à mi-chemin de nos objectifs. C'est il y a dix ans qu'on a entrepris de revitaliser la réserve dans le contexte de la force totale et de remédier à une véritable carence sur le plan opérationnel en ce qui concerne la sauvegarde de notre souveraineté maritime.

Venons-en à aujourd'hui. Je m'attarderai maintenant au rôle de la réserve navale en en soulignant les similarités et les différences avec la milice. Il en question dans les notes d'information que vous devriez avoir en main, je crois. Je tiens toutefois à attirer votre attention sur quelques points importants concernant la place qu'occupe la réserve navale au sein de la force totale. Ce sont ces points qui la différencient de la milice.

Je ne suis pas un expert en milice, mais dans notre façon de concevoir les opérations, nous pensons en termes d'augmentation de l'effectif au sein d'unités, et non en termes d'augmentation de l'effectif global, des pelotons ou sous-sections. Il s'agit dans notre cas d'augmentation de l'effectif de navires, donc du rôle de la réserve. C'est une augmentation de l'effectif des unités, et non une augmentation de l'effectif global. C'est là un point.

Le deuxième point c'est que l'accroissement de l'effectif de la réserve navale n'est pas subordonné à la politique de mobilisation. Comme vous le savez, la politique de mobilisation a été énoncée dans le Livre blanc de 1994 sur la défense - mise sur pied de la force, renforcement de la force, élargissement de la force, mobilisation totale.

À la différence de la milice et, d'après moi, de la réserve aérienne, la réserve navale, un peu à l'image de la réserve des communications mais de façon beaucoup plus marquée, a un rôle quotidien à jouer indépendamment de toute mobilisation. Elle n'est donc pas tributaire de la mobilisation, mais elle y réagit, comme je vais vous le montrer tout à l'heure à l'aide d'une autre diapositive. Je crois qu'il s'agit là d'une importante distinction à garder à l'esprit quand on pense à la réserve dans son ensemble. Certaines des différences fondamentales ont trait aux éléments que je vous ai décrits brièvement.

La réserve navale, je le répète, est différente de celle des autres éléments. Elle est unique. Contrairement aux autres éléments, elle a des rôles opérationnels exclusifs, qui ne font pas partie de la mission de la marine régulière. Ces rôles consistent en des opérations côtières et comprennent la défense portuaire et les opérations de contrôle du trafic maritime. Si la réserve ne s'en occupait pas, personne d'autre ne le ferait. Il s'agit non pas de rôles dont elle s'acquitte à la place des forces régulières, mais de rôles qui lui sont propres.

Comme je l'ai déjà mentionné, la réserve navale fonctionne selon le concept du déploiement des unités en temps de paix et en temps de guerre, et elle n'est pas subordonnée à la politique de mobilisation, bien qu'elle soit prête à réagir en cas de mobilisation.

La prochaine diapositive montre les quatre phases de la mobilisation. Comme vous le savez, la Commission spéciale a reçu le mandat de revoir comment la réserve serait restructurée en cas de mobilisation et d'en faire rapport. Je vous répète que la réserve navale est unique. Elle n'est pas tributaire de la mobilisation. Elle fonctionne sans égard à la mobilisation, mais elle est prête à y réagir.

En bas à gauche du tableau, je mentionne la posture de la force, les opérations quotidiennes ordinaires, puis, en descendant la colonne, je décris les diverses étapes de la mobilisation, c'est-à-dire la mise sur pied de la force, le renforcement de la force, l'élargissement de la force, et la mobilisation totale.

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Avant même qu'il y ait mobilisation, la réserve navale a un travail à accomplir. Dans le cadre des opérations nationales ordinaires, elle assure constamment, sur chacune de nos côtes est et ouest, sous les ordres de commandants de formation, le maintien de deux bâtiments de défense côtière maritime dont l'équipage est formé de réservistes. Ces navires sont en service vingt-quatre heures par jour, comme les gros bâtiments - jour après jour, semaine après semaine, année après année. Ils font partie de la formation de combat. Ils sont en service même quand il n'y a pas de mobilisation, et ce sont des réservistes qui en composent l'équipage.

Huit autres bâtiments de défense côtière seront maintenus en mer comme navires de rechange et pour accueillir le flot de réservistes qui se présentent en été. Bien que la marine s'efforce d'élargir sa base de recrutement, les réservistes proviennent encore essentiellement du milieu étudiant universitaire. Il y aura encore des cas d'augmentation individuelle, où des marins de la réserve seront affectés à des navires de guerre plus importants, comme des frégates de patrouille et des destroyers de classe Tribal, à bord desquels leur métier est en demande (manoeuvriers, signaleurs et autres métiers de même nature). La réserve a donc constamment un rôle à jouer, qu'il y ait ou non mobilisation.

Maintenant, nous voyons, dans la colonne du milieu, qu'au stade de la mise sur pied de la force - par exemple, pour les opérations de maintien de la paix et les opérations en temps de paix et de stabilisation - , certaines unités dont l'équipage est constitué de réservistes peuvent être et seront appelées à accompagner les navires de patrouille dans le cadre d'opérations de contingence dans nos eaux territoriales ou outre-mer, en raison du rôle qu'elles jouent déjà et de leur capacité de lutte contre les mines. Comme vous le savez, je crois, les navires de patrouille sont dotés de modules. Ils peuvent avoir un module de lutte contre les mines ou un module de recherche hydrographique. Il suffit d'installer un conteneur et nous avons un module de lutte contre les mines. Une semaine plus tard, si nous voulons effectuer des recherches hydrographiques, nous pouvons installer sur le navire de défense côtière un module approprié en remplacement ou en addition de l'autre module. Voilà en quoi consiste le concept modulaire.

Donc, les réservistes seront utilisés dans le futur - et ils l'ont déjà été, comme je vais vous l'expliquer - , dans le cadre d'opérations de contingence au stade de la mise sur pied de la force, à des opérations de patrouille côtière, de défense portuaire, de contrôle naval ou au sein d'unités commodores de convoi.

Je tiens à vous signaler maintenant que la marine dispose, depuis 1989, de deux navires auxiliaires de dragage de mines. Ce sont d'anciens navires d'approvisionnement hauturiers qui étaient désaffectés et que nous avons achetés. Depuis trois ou quatre ans, ces bâtiments sont maintenus en service par des réservistes et sont actuellement utilisés comme navires-écoles pour la flotte de bâtiments de défense côtière. Ces navires rendent des services inestimables. Par exemple, lors du conflit du flétan noir avec l'Espagne et l'Union européenne, l'un de ces navires auxiliaires de soutien a été posté au large des Grands Bancs de Terre-Neuve. Étant équipé à l'arrière d'un gréement de ravitaillement en carburant, il ravitaillait les navires de la marine et même les bâtiments de la garde côtière, sauf erreur. On l'a adapté de manière à ce qu'il puisse ravitailler nos bâtiments en mer pour leur permettre de garder les Espagnols à l'oeil. C'est donc dire que ces navires jouent déjà un rôle opérationnel. En principe, de telles tâches s'inscrivent dans la phase de la mise sur pied de la force, mais elles ne font pas moins partie des opérations quotidiennes ordinaires de la réserve navale.

Le rôle joué par les unités de défense portuaire est un autre exemple. Ces unités sont constituées d'équipes de plongeurs et de marins qui contrôlent les mouvements d'entrée et de sortie des navires dans un port. Lors du sommet du G-7 en juin dernier à Halifax, la marine a mis sur pied une unité de défense portuaire comprenant, entre autres, des plongeurs bien formés, pour lutter, en collaboration avec la GRC, contre le sabotage et les menaces terroristes. Ce sont là des capacités de mise sur pied de la force qui entrent en jeu au jour le jour, des exemples vécus de ce que fait la réserve.

Le tableau montre ensuite comment les unités de réserve pourraient être utilisées pour répondre aux besoins dans les autres phases de la mobilisation - renforcement de la force, élargissement de la force et mobilisation nationale. Je crois que le tableau se passe d'explications.

Toutefois, le point le plus important du tableau c'est qu'il souligne une fois de plus que la réserve navale a déjà un rôle opérationnel avant même qu'il y ait mobilisation, mais qu'elle demeure apte à réagir en cas de mobilisation et qu'elle est entraînée en conséquence. On ne se contente pas de faire participer les réservistes à des exercices désincarnés; leur formation s'inscrit dans le cadre d'activités concrètes. Telle est la nature de leur travail.

J'aimerais formuler deux ou trois remarques personnelles à propos de la disponibilité des réservistes, le prochain sujet que nous allons aborder. Je crois qu'avec les 4 000 réservistes dont la marine disposera une fois le plan d'effectif réalisé elle sera vraiment en mesure de mener ses opérations courantes ainsi que toute opération susceptible d'être mise en place au stade de la mise sur pied de la force. Ce serait le cas, par exemple, si une autre guerre du genre de la guerre du flétan noir était déclenchée ou si la réserve se voyait confier une mission spéciale de défense portuaire reliée à un événement important.

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Toutefois, puisque actuellement, tous les réservistes sont des volontaires à temps partiel, je ne suis pas sûr que nous serions à la hauteur si nous devions nous engager dans un conflit relativement long, comme la guerre du Golfe, avec des réservistes qui n'ont pas reçu de formation obligatoire. Si nous en venions au stade de l'élargissement de la force en raison d'une guerre de la gravité de celle de Corée, je ne crois pas que la mobilisation nous aiderait beaucoup. C'est mon opinion personnelle, mais je crois que nous devrions alors envisager de mettre sur pied une force spéciale du genre de celle qui a été nécessaire lors de la guerre de Corée, que cette force soit formée de réservistes ou non. C'est là mon avis, mais je n'ai pas vérifié ce qu'en pensaient mes collègues de l'Association.

Je crois que notre système actuel est approprié pour les opérations quotidiennes et pour un bon nombre de circonstances spéciales qui pourraient survenir éventuellement. Mais si nous devions nous engager dans un conflit limité mais prolongé n'importe où dans le monde, par exemple, je ne suis pas certain que le système actuel de réservistes à temps partiel et volontaires nous permettrait de disposer d'un assez grand nombre de marins pour répondre à nos besoins. Nous devons garder à l'esprit qu'il faut de temps à autre faire la rotation des équipages basés outre-mer, envisager d'éventuelles pertes de vie, etc. Nous pourrions être placés dans des situations fort différentes de celles que nous connaissons actuellement. Je ne suis pas certain non plus que le concept de mobilisation formulé dans le Livre blanc de la défense fonctionnerait.

Sans en être certain, j'ai tendance à croire que nous devrions peut-être revoir notre concept de mobilisation. Je n'en fais pas une recommandation; je suis tout simplement préoccupé par cette question. Avons-nous besoin d'un nouveau concept? Le concept actuel nous permettrait-il d'être à la hauteur si nous entrions dans une nouvelle guerre interminable, comme celle de Corée, ou relativement prolongée, comme celle du Golfe, où il pourrait y avoir des pertes de vie et des dommages matériels?

Maintenant, à propos de la disponibilité, nous avons actuellement dans la marine, comme dans le reste de la réserve, un mode de recrutement entièrement fondé sur le volontariat et sur le service à temps partiel, sans formation obligatoire. Comme vous le savez probablement déjà, la marine applique un très généreux rapport de neuf contre un pour la dotation en personnel de ses bâtiments de défense côtière. Plus de la moitié de l'effectif des 4 000 réservistes est utilisé à cette fin. Ce nombre n'a d'ailleurs pas été fixé arbitrairement. Il est fondé sur l'expérience navale accumulée au fil des ans. Dans un système fondé uniquement sur le volontariat, on peut compter sur une disponibilité de seulement 10 à 15 p. 100 du nombre total de réservistes, justement parce qu'il s'agit de volontaires. Compte tenu de cette réalité historique, nous avons donc besoin d'un rapport de neuf contre un pour garder en service deux bâtiments de défense côtière sur chaque côte et pour combler nos besoins durant la période de pointe de l'été. C'est un système qui coûte cher, mais c'est le prix à payer. À même leur contingent de 4 000 réservistes, les amiraux ont organisé les choses de façon à ce qu'il en soit ainsi.

Je me demande toutefois - et cela vaut non seulement pour la réserve navale mais aussi pour tous les réservistes de la première réserve - si nous ne devrions pas envisager la possibilité d'imposer une période quelconque de formation obligatoire. Le système australien de réserve d'appoint est décrit à la page 59. Je ne m'y attarderai pas, sauf à la période de questions. Les Australiens ont donc un tel système. Après avoir reçu une formation d'un an, les réservistes australiens sont intégrés à la réserve d'appoint. Les marins de la force régulière peuvent eux aussi joindre la réserve d'appoint. Ils sont tenus à au moins cinquante jours de service à temps partiel au cours des deux années qui suivent leur départ de la force régulière.

Cette formule n'est pas nouvelle pour les forces canadiennes. Nous avons déjà eu cette sorte de formation obligatoire pendant un certain nombre d'années pour le programme de formation des élèves officiers. Les élèves-officiers fréquentant les collèges affiliés devaient obligatoirement donner trois ou quatre ans de service. Cela n'est pas nouveau pour nous, mais c'est une hypothèse que nous devrions envisager de nouveau.

Toutefois, à l'heure actuelle, je crois que la Commission spéciale n'a pas suggéré de modifications majeures au système de volontariat et de temps partiel. Les choses étant ce qu'elles sont, le rapport de neuf contre un pour la constitution du bassin de réservistes est nécessaire pour la bonne marche des opérations. C'est tout ce que j'ai à dire là-dessus pour l'instant.

Enfin, en ce qui a trait à la formation et à la capacité de défense, je crois que la plupart des remarques contenues dans le rapport du vérificateur général de 1992, qui était excellent soit dit en passant, ont eu des suites dans le cas de la marine. Le nouveau programme de formation de la marine devrait permettre d'éliminer la plupart des anomalies signalées dans ce rapport. On m'a dit que, dans les divisions de la réserve navale, dont vingt-quatre reçoivent actuellement une formation, on a déjà commencé à mettre au point des méthodes de formation assistée par ordinateur pour l'acquisition continue du savoir. Les marins qui seront détachés sur les navires de défense côtière sur l'une ou l'autre des côtes pourront donc, grâce aux systèmes de formation assistée par ordinateur qui seront mis sur pied - ils ne sont pas tous à point, mais ils le seront, me dit-on, vers 1999 - , bénéficier, à l'intérieur même de leur unité, de séances de formation au cours desquelles on recourra notamment à des techniques de simulation pour leur permettre de se familiariser avec les métiers qu'ils exerceront lorsqu'ils seront à bord de leurs navires, qu'il s'agisse du métier de manoeuvrier, de spécialiste des communications, de mécanicien diesel, etc.

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Après avoir assimilé un certain nombre de notions de base grâce à la formation assistée par ordinateur qui leur aura été donnée dans leur division même, des équipes de réservistes de chaque division seront appelées durant l'été - en présumant toujours que la plupart des réservistes proviennent de la population étudiante - à faire partie des équipages d'un certain nombre de bâtiments. Le plan prévoit que ces équipes se rendront à l'école de la flotte à Québec pour y suivre des cours de recyclage et des sessions de formation à terre. Ce n'est qu'ensuite qu'elles iront en mer.

La marine estime que cela permettra de réduire de trois à un an, dans le cas des jeunes marins de la réserve, le temps requis pour accumuler les connaissances et les mettre en pratique en mer. À l'heure actuelle, il faut environ trois ans aux jeunes matelots pour acquérir leur formation de base comme manoeuvriers. Ils pourraient difficilement le faire en moins de temps parce qu'ils ne travaillent qu'à temps partiel et quelques semaines à la fois. Le nouveau système sera conçu de façon à ce que les jeunes matelots complètent leur formation et aillent en mer le plus rapidement possible. C'est très important pour leur motivation. Ce système coûtera cher, mais je crois que cette nouvelle méthode donne suite à l'une des remarques les plus importantes du rapport du vérificateur général.

À ce qu'on m'a dit, il faudra de quatre à cinq ans, c'est-à-dire de 1995 à quelque part en 1999, pour mettre sur pied le nouveau système. D'ici là, nous devrions remarquer des améliorations sensibles.

J'aimerais revenir à la question que nous avons abordée tout à l'heure à propos de la restructuration. La restructuration à laquelle nous assistons aujourd'hui, qui aura pour effet d'intégrer la réserve navale au sein de la force totale, a été amorcée dans les années 80. Elle est en bonne voie de réalisation. La réserve navale a maintenant ses rôles et sa stratégie propres; vers 1999, en grande partie grâce aux bâtiments de défense côtière, elle se sera taillé une place à sa mesure par rapport au reste des forces.

L'évolution en cours dans la réserve navale se sera échelonnée sur près de vingt ans. Il faut autant de temps pour acquérir les bâtiments, définir les rôles et rectifier le tir. À bien des égards, la réserve navale ressemble aux navires-citernes TGPB; elle met du temps à bouger. C'est un facteur dont il faut tenir compte en examinant ces incontournables vérifications ou rapports éclairs. Il se pourrait qu'à la lumière de notre rapport vous portiez un jugement négatif sur la situation. Je vous dirai alors en badinant que, si vous jugez que la situation est mauvaise actuellement, vous auriez dû voir ce qu'elle était il y a dix ans, c'est-à-dire avant que débute la restructuration.

J'essaie simplement de dire que ces changements prennent beaucoup de temps à se concrétiser - les changements institutionnels se font lentement. Assez ironiquement, la marine de 2005 ressemblera à bien des égards à celle de 1945. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, notre marine était la deuxième ou la troisième en importance au monde, ou quelque chose de ce genre. L'équipage des corvettes était composé de réservistes et celui des gros navires, de membres des forces régulières. Assez curieusement, je crois que nous allons revoir cela. Ce sont les réservistes qui composeront l'équipage des bâtiments de défense côtière et ce sont principalement des membres de la force régulière qui composeront l'équipage de la flotte hauturière.

Merci beaucoup, monsieur le président.

Le vice-président (M. Richardson): Merci beaucoup, amiral.

Nous allons maintenant passer à la période de questions. Je vais demander à Jim Hart de poser la première question. Oh! je m'excuse, Jim, vous allez devoir patienter un peu.

Monsieur Leroux.

[Français]

M. Leroux (Shefford): Merci beaucoup, amiral Crickard. Il me fait plaisir de vous souhaiter la bienvenue au nom de mon parti. J'ai une question à vous poser mais, auparavant, je ferai quelques commentaires afin de vous permettre de réagir à ce que je dirai.

.1605

Certaines personnes prétendent qu'il coûte presque aussi cher de maintenir une force de réserve que de maintenir une force régulière. Que répondez-vous à cela, amiral?

[Traduction]

C.-am. Crickard: Je vous avouerai franchement que je ne connais pas la réponse à cette question, car je ne sais pas trop comment évaluer ce genre de dépenses. J'imagine qu'il faudrait se demander s'il serait plus coûteux d'avoir des équipages constitués de marins de la force régulière plutôt que de marins de la réserve sur nos 12 navires de défense côtière.

Mis à part le coût des navires proprement dit, il faudrait essayer d'évaluer les coûts relatifs à la formation. Étant donné le rapport de neuf contre un dans le cas des réservistes, j'imagine qu'il faudrait former plus de réservistes que de marins de la force régulière pour équiper un bâtiment de défense côtière en personnel. Par contre, un marin de la force régulière coûte globalement plus cher en salaire qu'un marin de la réserve, bien que cet écart de rémunération s'amenuise progressivement.

Bien honnêtement, je ne connais pas la réponse à cette question. Ce serait parler pour ne rien dire que d'essayer de poursuivre cette analyse. C'est une question intéressante, et je suis sûr que les comptables pourraient avancer des chiffres, à partir de paramètres et d'hypothèses. Je m'en excuse, mais je suis incapable de vous répondre et je ne tiens pas à faire des spéculations.

[Français]

M. Leroux: C'est très bien. Quels sont, selon vous, les avantages - et je ne doute pas qu'il y en ait - à maintenir une force de réserve navale au Canada? Je pense que la force navale devrait être concentrée surtout sur les côtes du Pacifique et de l'Atlantique.

J'aimerais que vous nous expliquiez quels sont, selon vous, les avantages de maintenir une force navale comme celle que nous avons actuellement au Canada.

[Traduction]

C.-am. Crickard: L'évolution historique de la réserve navale a été largement tributaire des grandes mobilisations reliées aux deux guerres mondiales. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, par exemple, le nombre d'officiers - hommes et femmes - est passé de 1 400 à plus de 100 000. La marine n'aurait pu connaître une telle expansion si l'on n'avait pas disposé d'un bassin important de réservistes dans toutes les régions du Canada.

Si jamais on en venait à ce stade ultime de mobilisation, dans le cadre de préparatifs échelonnés sur deux ans en prévision d'un conflit majeur, il en irait alors de la réserve navale sensiblement comme de la milice. Les forces de réserve ont pour premier avantage de puiser à même un large éventail de population en cas de mobilisation.

La réserve navale présente un deuxième avantage qui vaut aussi pour la milice. Cet avantage est d'ordre plus sociologique. Ce sont les racines qu'ont les réservistes dans la collectivité. C'est un atout précieux. Tout comme cet enracinement nous a été utile durant la Seconde guerre mondiale, il l'est encore aujourd'hui, grâce à la compétence de ces réservistes qui forment l'équipage de nos bâtiments de défense côtière et qui assument la sauvegarde de notre souveraineté maritime contre les dangers qui la menacent sur nos deux côtes, qu'il s'agisse de pêche illégale, d'immigration clandestine ou d'autres activités illégales.

Le maintien de forces de réserve comporte donc deux avantages. Premièrement, il nous donne l'assurance - bien qu'on ne puisse jamais être complètement sûrs - de pouvoir mobiliser dans un délai relativement court un grand nombre de réservistes si nous devions faire face à une crise majeure. Deuxièmement, il crée avec la collectivité des liens qui sont précieux tant pour les forces armées que pour la collectivité elle-même.

[Français]

M. Leroux: Amiral, selon vous, un officier de la force de réserve qui a suivi un entraînement sérieux peut-il effectuer toutes les tâches qu'on demande à un officier de la force régulière? Est-il capable d'effectuer tout ce que ce dernier aura à effectuer dans ses tâches quotidiennes?

.1610

[Traduction]

C.-am. Crickard: Dans le cas des marins-officiers, oui. L'officier réserviste reçoit le même niveau de formation que l'officier de la force régulière pour ce qui est de la surveillance sur la passerelle. Il est aussi compétent que l'officier de la force régulière pour assurer la garde et la commande d'un navire en mer.

[Français]

M. Leroux: Actuellement, lorsqu'il y a des missions de peacekeeping, un certain pourcentage des forces affectées à ces missions vient de la force de réserve.

Comment les membres de la force de réserve sont-ils traités par ceux de la force régulière lorsqu'ils participent à une mission de paix? Pouvez-vous commenter là-dessus?

[Traduction]

C.-am. Crickard: Non, je ne puis faire de commentaires là-dessus. Je n'ai pas la compétence pour me prononcer sur ce qui se passe dans l'armée et les forces terrestres.

Quant à la marine, qu'il s'agisse de missions de maintien de la paix ou d'autres missions, à ma connaissance, aucun petit navire de guerre comportant un équipage constitué de réservistes n'a encore été déployé dans le cadre d'opérations de maintien de la paix en Haïti, sur l'Adriatique ou ailleurs, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en aura jamais. Cependant, il arrive parfois que des réservistes exerçant un métier utile dans les circonstances - celui de manoeuvrier, de signaleur, par exemple - , embarquent effectivement sur des navires qui participent à ce genre d'opération. Généralement, ils s'adaptent très bien, comme semblent le faire aussi les soldats réservistes, à ce qu'on m'a dit.

M. Leroux: Merci, monsieur le président.

C.-am. Crickard: Je regrette de n'avoir pas pu répondre à votre question sur les coûts.

Le vice-président (M. Richardson): Monsieur Hart, s'il vous plaît.

M. Hart (Okanagan - Similkameen - Merritt): Merci beaucoup.

M. Mifflin (Bonavista - Trinity - Conception): Pourriez-vous passer à notre côté en premier?

Le vice-président (M. Richardson): Oh! je suis désolé. Nous avions oublié le côté deM. Mifflin.

M. Hart: C'est la deuxième fois que vous me donnez un faux départ.

M. Mifflin (Bonavista - Trinity - Conception): C'est qu'il a eu tellement de temps hier. J'ai beaucoup de respect pour mon collègue d'en face, mais quand même...

Amiral Crickard, je tiens à vous souhaiter la bienvenue à notre comité. J'avais personnellement hâte de vous entendre, et je tiens à vous remercier chaleureusement pour votre exposé très intéressant, qui met certainement en perspective la réserve navale par rapport aux autres aspects abordés dans le rapport que nous étudions. Bien entendu, comme le rapport ne consacre que deux pages à la réserve navale, il était souhaitable qu'on nous fournisse un complément d'information.

J'ai un certain nombre de questions à vous poser. Premièrement, je déduis de vos propos que, si la réserve navale est appelée à tirer si grand profit de la restructuration proposée, de la modernisation de l'équipement et de la révision des rôles, des tâches et de l'organisation, c'est avant tout parce que si ces changements n'avaient pas eu lieu, les réservistes n'auraient simplement pas pu s'adapter à la nouvelle technologie, vu sa complexité, en raison du peu de temps dont ils disposent pour acquérir une formation propre à les rendre compétents dans les tâches à caractère hautement technologique. Y a-t-il eu d'autres facteurs qui ont joué dans la décision de revitaliser les forces de réserve, mis à part la nécessité de rattraper le retard technologique dont les causes remontent à la Seconde Guerre mondiale?

C.-am. Crickard: Oui, vous avez raison de souligner ce fait. L'à-propos de faire appel à des réservistes est devenu de moins en moins évident entre les années 40 et 80 parce qu'ils avaient pris du retard par rapport à la technologie, non pas parce qu'ils n'étaient pas compétents, mais parce qu'ils n'avaient simplement pas le temps d'être à la fois des technologistes à plein temps et des civils à plein temps.

Je pense que la revitalisation de la réserve s'imposait aussi pour des motifs stratégiques. La modification de la doctrine de l'OTAN y a certes été pour quelque chose. Cette doctrine a cessé d'être axée sur la simple existence d'une flotte imposante comme moyen de dissuasion pour se concentrer sur le renforcement et le réapprovisionnement des forces en Europe pour les garder en état de préparation au combat. Il est donc apparu nécessaire de maintenir une capacité de réaction rapide. Par ailleurs, sur le plan intérieur, on s'est rendu compte de ce que, faute d'avoir une capacité de défense à deux paliers, côtière aussi bien que hauturière, nous et nos navires commerciaux seraient par trop vulnérables, en raison de la nature des nouvelles menaces, notamment de la menace croissante qu'il y ait mouillage de mines dans nos eaux territoriales. Il y a donc eu une raison stratégique nationale et une raison stratégique découlant des décisions de l'OTAN qui ont amené les planificateurs à compter davantage sur les réserves.

Enfin, on s'est dit que, de toute façon, il fallait donner aux forces de réserve une chance raisonnable. Leurs navires étaient en voie de détérioration. On se demandait s'il fallait complètement abandonner l'idée d'avoir une réserve navale ou équiper la réserve de nouveaux navires pour pouvoir donner aux réservistes une formation de base pour les tâches de matelot et de navigateur. Il s'imposait donc de donner justice aux forces de réserve. Si nous voulions utiliser ces gens valeureux, il fallait leur donner les outils nécessaires à l'accomplissement de leurs tâches. Je crois que tous ces facteurs psychologiques et stratégiques sont entrés en ligne de compte.

Il faut dire aussi qu'à bien des égards la technologie est maintenant plus simple. Par exemple, les réservistes qui travailleront sur ces nouveaux navires se serviront de cartes maritimes électroniques, qui sont très faciles à utiliser. Quand ils iront en service, les navires de défense côtière seront les seuls à en être dotés. À bien des égards, la technologie aide les gens intelligents et compétents à progresser vraiment rapidement.

.1615

M. Mifflin: Vous songez aux modules interchangeables et à des choses de ce genre, n'est-ce pas?

C.-am. Crickard: Oui.

M. Mifflin: Toujours concernant la nouvelle mission des forces de réserve et la position relativement avantageuse qu'elles détiendraient au sein des équipages des bâtiments de défense côtière, j'aimerais, pour le bien du comité, comparer la situation du milicien qui s'entraîne durant 100, 80 ou 60 jours - la durée de l'entraînement importe peu - , qui participe à des exercices deux fois par semaine, qui peut être mobilisé pour une mission de maintien de la paix de l'OTAN et qui, à son retour de mission, continue de se faire discret, sauf pour l'entraînement, à celle d'un réserviste de la marine, stationné sur un navire qui patrouille ou est en activité 24 heures sur 24, 365 jours par année.

Comment les réservistes de la marine parviennent-ils à être à la hauteur de leur tâche compte tenu du temps dont ils disposent? Comment peut-on organiser la réserve navale de manière à ce que les réservistes trouvent le temps d'assurer le maintien en service des navires 24 heures sur 24.

C.-am. Crickard: Tout dépend de la disponibilité des réservistes. C'est le facteur numéro un. De nos jours, ce ne sont plus les réservistes qui doivent s'adapter à la manière de fonctionner de la marine. C'est le contraire. C'est la marine qui adapte son mode de fonctionnement à la situation du réserviste. Le réserviste peut partir en mission pour deux ans comme pour deux semaines.

La marine s'adapte à cette nouvelle donne. Bien sûr, autrefois, ce n'était pas le cas. Les réservistes devaient se conformer à la façon de faire de la marine. À ma connaissance, ce n'est plus le cas aujourd'hui, car les navires auxiliaires qui font du dragage de mines, les deux que nous avons actuellement et dont l'équipage est constitué de réservistes, engagent leur personnel à contrat pour des périodes qui varient selon les individus. Je pense qu'on envisage d'adopter cette procédure aussi pour les bâtiments de défense côtière, à commencer par le NCSM Kingston. Il va y avoir sur ce navire des gens à contrat pour des périodes aussi courtes que deux semaines et d'autres, pour deux ans.

En outre, le programme de formation est maintenant divisé en modules dont la durée est parfois aussi courte que deux semaines pour tenir compte de la disponibilité des réservistes qui ont des emplois dans la vie civile.

Je suis heureux de constater que la marine ajuste maintenant sa façon de faire selon la disponibilité des réservistes, plutôt que le contraire. Ce serait aller au-devant des échecs que d'agir autrement, à moins d'instituer un système de formation obligatoire ou quelque chose de ce genre. Mais si l'entraînement est obligatoire, pourquoi ne pas s'en tenir à la force régulière, peut-on se demander?

Ce sont là des questions très intéressantes, dont nous devrions discuter tout à l'heure.

M. Mifflin: C'est un bon point, dont nous devrions prendre note en vue de l'examen d'autres aspects du système des réserves au Canada.

La Commission a porté une attention toute spéciale aux rapports entre les forces de réserve et la force régulière, comme vous avez pu le constater en lisant le rapport. Pourriez-vous expliquer au comité la nature des rapports entre les réservistes et les membres des forces régulières dans la marine?

C.-am. Crickard: La Commission appelle ça l'approche des deux cultures, je crois, ou quelque chose de ce genre.

M. Mifflin: Oui, elle parle de l'approche des deux cultures et de la nécessité de décloisonner un peu ces deux groupes.

C.-am. Crickard: Vraiment?

M. Mifflin: Oui, vraiment.

C.-am. Crickard: Il y est fait allusion, dans cette publication, dans un des articles du lieutenant-commandeur Struthers. Il en est également question, dans le cas de l'armée, dans un autre document rédigé par le colonel Gibson. Ces deux auteurs donnent des exemples éloquents de la rivalité, parfois de la compétition, voire de l'hostilité qu'on observe entre les membres de la force régulière et les réservistes. Il est évidemment normal de s'attendre à une certaine part de saine concurrence entre les deux groupes.

Je ne tiens pas à faire des commentaires à propos de l'existence d'une telle division au sein de la milice. Quand j'étais dans la marine, je me souviens que les réservistes faisaient l'objet de plaisanteries lorsqu'ils montaient à bord pour la première fois. Mais après un certain temps - et ce n'était pas très long en général - ils faisaient leurs preuves et ne tardaient pas à être très à l'aise au sein de l'équipage du navire. C'est un fait indéniable. Donc, voilà ce qui en est sur une base individuelle.

.1620

Dans son article, le lieutenant-commandeur Struthers signale... Cet article est plein d'anecdotes. Aucune enquête n'a été faite à ce sujet, mais je pense que certains réservistes de la marine se disent que ces petits navires sont de bons endroits pour acquérir l'expérience du commandement. Il y en a peut-être aussi qui craignent que ces navires leur échappent, qu'ils soient éventuellement confiés aux gens de la force régulière et qu'il n'y ait alors plus de place pour eux à bord. Certains le pensent; il n'y a pas de doute là-dessus.

Mais c'est de force totale dont nous parlons après tout. Il ne devrait pas être question de se demander à qui iront les navires, aux membres de la force régulière ou aux réservistes; c'est à l'ensemble de la force qu'ils iront. Sur ces navires, il y a deux membres de la force régulière, mais dans les faits, ce sont les besoins qui prévaudront et il faudra bien faire appel au personnel requis, peu importe qu'il s'agisse de réservistes ou de membres de la force régulière. Sur les dragueurs de mines auxiliaires, par exemple, ce sont des réservistes qui sont en poste et ils font bien leur travail.

Il y aura toujours de la compétition entre les deux groupes, mais je ne crois pas qu'elle sera source de problèmes ou de division. Je ne pense pas que la compétition va...

M. Mifflin: Elle ne nuira pas.

C.-am. Crickard: ...nuire à l'efficacité opérationnelle, bien honnêtement. Mais les réservistes se sentent un peu les gardiens de ces bâtiments: ils considèrent que ce sont leurs navires et que les membres de la force régulière n'y ont pas leur place.

M. Mifflin: Dans un autre ordre d'idée, en plus des réservistes affectés aux bâtiments de la défense côtière, n'en y a-t-il pas qui accompagnent les équipages sur les navires de la force régulière, sur les frégates de patrouille et sur les destroyers de catégorie Tribal?

C.-am. Crickard: Vous avez raison, c'est le cas quand l'officier réserviste a la compétence appropriée ou quand il pratique un des métiers dont on a besoin à bord, manoeuvrier, expert en communications, signaleur, préposé à la surveillance sur la passerelle, etc.

M. Mifflin: J'ai une dernière question et elle ne se veut pas tendancieuse. En vous fondant sur votre expérience, dans la marine et auprès de l'Association, pouvez-vous nous dire pourquoi le centre de formation navale et les quartiers généraux des forces de réserve navales sont dans la province de Québec, dans la ville de Québec?

C.-am. Crickard: J'ai pris ma retraite il y a dix ans, en 1985. Mon dernier poste a été celui de commandant adjoint au sein du commandement maritime. Je travaillais à ce moment pour le vice-amiral Wood. Pour nous, il était clair que l'ajout de ces services à Québec répondait à des objectifs d'ordre naval. Nous perdions de bons navigateurs, de bons éléments. Les Québécois ont la mer dans le sang. L'armée était présente et l'aviation aussi, mais pas la marine. Je pense, sans l'ombre d'un doute, que nous voulions être à Québec pour inciter les Québécois à se joindre à la marine, car il y a chez les Québécois une longue tradition de navigation au long cours.

On a souvent dit que c'était une décision politique à laquelle nous tenions obstinément, et je le réfuterai toujours. Nous n'y tenions pas obstinément; nous avons demandé cette expansion parce qu'elle était logique. C'est ce que je pense personnellement.

M. Mifflin: Avez-vous du succès?

C.-am. Crickard: Oui, nous en avons. Les statistiques sont là pour le prouver. De nos jours, un francophone, pas juste un Québécois, mais un francophone, se sent chez lui dans la marine canadienne. Il ne s'y sentait certes pas... Il y 25 ans, il n'y avait pas d'ils ou d'elles, mais aujourd'hui, il ou elle s'y sent chez lui ou chez elle. Maintenant, c'est une vraie marine canadienne que nous avons. Ce qui n'était pas le cas il y a 25 ans. Nous avons atteint notre but.

M. Mifflin: Merci beaucoup, amiral Crickard. J'ai bien aimé vos réponses franches et ouvertes.

Le vice-président (M. Richardson): Merci beaucoup, monsieur Mifflin.

Je vais maintenant donner la parole à un ancien marin, Jim Hart. Jim, nous sommes enfin rendus à vous.

M. Hart: En êtes-vous sûr, monsieur le président?

Le vice-président: Cette fois-ci, c'est un départ.

M. Hart: Bienvenue à bord, amiral. Nous sommes heureux de vous avoir parmi nous aujourd'hui.

L'autre amiral en face de moi a posé la plupart de mes questions, mais peu importe.

M. Mifflin: Vous pouvez me poser une question, si vous voulez.

M. Hart: Je voulais vous en poser quelques-unes. Que pensez-vous de la loi visant à protéger les emplois dont la Commission a discuté?

C.-am. Crickard: Je suis d'accord avec les points qui ont été soulevés. D'autres l'avaient fait auparavant, et voilà qu'un autre organisme important les soulève à nouveau. J'ai l'impression que le présent système constitue une amélioration par rapport à ce qui existait sous l'ancien Comité national d'appui aux employeurs. Je pense qu'il faut poursuivre nos efforts dans le même sens. Je suis donc d'accord avec les commentaires de la Commission à ce sujet.

M. Hart: La réserve navale en particulier a-t-elle besoin d'une telle loi pour remplir le nouveau mandat que nous songeons à lui confier?

.1625

C.-am. Crickard: Dans le cadre des opérations courantes, telles qu'elles s'effectuent au jour le jour, 24 heures sur 24, à longueur d'année, avec deux bâtiments de défense côtière sur chaque côte - quatre en tout - et en faisant l'impossible pour manoeuvrer selon la disponibilité des réservistes dont les contrats s'étendent sur des périodes de deux semaines à deux ans, nous pouvons probablement nous passer de ces mesures de protection de l'emploi. Nous en aurions probablement besoin si, en plus des opérations routinières, nous avions à faire face à des incidents sérieux, à d'autres guerres du flétan noir ou à d'autres événements rendant nécessaire la défense portuaire. Avec les forces dont nous disposons, nous pourrions faire face à des incidents et à des crises, mais jusqu'à un certain point.

Mais s'il fallait à nouveau mobiliser des forces en plus grand nombre durant une période relativement longue, comme ce fut le cas au moment de la guerre du Golfe, s'il fallait renouveler les équipages au moment où il n'y a pas suffisamment de réservistes disponibles, nous aurions besoin non seulement d'une mesure de soutien aux employeurs - je parle de la marine - , mais nous pourrions aussi avoir à envisager la possibilité d'instituer une forme d'entraînement obligatoire. Si nous participions à un conflit de la gravité de la guerre de Corée, nous songerions à mobiliser à nouveau une force spéciale constituée hypothétiquement de citoyens ordinaires et de réservistes.

J'imagine que l'armée aurait des problèmes beaucoup plus complexes que la marine.

Pour résumer, disons que sans protection d'emploi, les forces de réserve navale, en tant qu'éléments faisant partie de la force totale, réussiront à combler à longueur d'année les besoins en personnel de nos quatre bâtiments de défense côtière actuels, plus six ou huit autres - probablement quatre à six au cours de l'été. C'est possible. Si nous avions à faire face à plus d'une crise en même temps durant une période relativement longue, nous commencerions à nous sentir coincés.

J'imagine que le problème de l'armée est tout autre. L'armée a probablement besoin de cette mesure plus que la marine si nous continuons à participer à des missions de maintien de la paix au rythme où nous le faisons actuellement. C'est ce que je pense. Je ne sais pas.

M. Hart: Pour le moment, je voulais m'en tenir à la marine.

À l'heure actuelle, qui fait partie de la réserve navale? De quoi ces gens ont-ils l'air? Quel âge ont-ils? Pourrait-il s'agir, par exemple, de personnes de l'intérieur de la Colombie-Britannique, qui ont déjà un emploi, qui font partie de la réserve navale et qu'on envoie à Esquimalt?

C.-am. Crickard: Oui, et ce sont des hommes et des femmes de pratiquement tous les âges. Ils se joignent à l'une des 24 divisions de réserve qui sont établies, comme vous le savez, un peu partout entre St. John's et le NCSM Malahat à Victoria.

Quant aux réservistes qui ne sont pas officiers, les plus jeunes sont presque tous encore aux études. Ils ont en général deux ou trois ans de service à leur acquis. Il n'y en a pas beaucoup qui restent et qui montent en grade. Chez les officiers, la situation est à peu près la même. Les officiers qui sont restés dans la réserve par le passé ont été mutés au contrôle de la navigation et ont éventuellement gravi les échelons supérieurs. À titre d'exemple, le commodore de la réserve navale à l'heure actuelle est le commodore Beaughiet, un réserviste.

À l'avenir, cependant, le groupe professionnel des officiers ne sera plus surtout affecté au contrôle de la navigation; il fera partie de la catégorie dite MAR SS, à laquelle sont affiliés les préposés aux opérations maritimes de surface et sous-marines. Ce changement de groupe montre bien qu'un plus grand nombre d'officiers seront affectés aux tâches de surveillance sur les passerelles ainsi qu'aux fonctions de commandement aux dépens de celles du contrôle de la navigation, ce qui est logique parce que les officiers ont maintenant sous leurs ordres les équipages de toute une flotte de bâtiments.

Mais pour répondre à votre question, disons que les réservistes viennent de tous les segments de la société, qu'on compte parmi eux des hommes et des femmes et qu'ils constituent un échantillon représentatif de la société canadienne.

M. Hart: L'application du plan de réduction des forces dans la marine a-t-il entraîné une augmentation du nombre de réservistes? Autrement dit, ceux qui se sont prévalus des avantages du plan de réduction des forces ont-ils joint la réserve navale?

C.-am. Crickard: Je ne sais pas. Je ne puis répondre à cette question car je ne sais absolument pas dans quelle mesure il y a eu de tels transferts.

La réserve d'appoint de la marine australienne est en grande partie constituée de personnes visées par le plan de réduction des forces. Je vous assure que dans la réserve d'appoint australienne - si jamais vous avez la chance d'étudier ce qui en est - les stimulants sont généreux. Les ex-membres des forces navales permanentes sont invités à se joindre à la réserve d'appoint pourvu qu'ils y consacrent 50 jours ou plus de leur temps. En contrepartie, ils reçoivent, par exemple, un bonus de 1 500$ par année complète de service, et ce, en franchise d'impôt, en plus de l'équivalent de 80 p. 100 du traitement versé à un employé ayant rang de pilote qui n'est pas aux commandes, toujours en franchise d'impôt. Il y a donc d'intéressants stimulants financiers pour les anciens marins des forces régulières qui veulent se joindre à la réserve d'appoint australienne.

M. Hart: Vous êtes donc passablement d'accord avec la recommandation contenue dans le rapport voulant qu'un membre des forces régulières qui signe un engagement soit tenu de servir pendant un certain temps dans la réserve supplémentaire.

.1630

C.-am. Crickard: En effet. Ce serait bien d'avoir des stimulants pour nous faciliter les choses comme en ont les Australiens. Je pense que la réserve attirerait beaucoup plus d'anciens militaires. Ce serait peut-être moins coûteux pour recruter des réservistes que de faire subir une formation continue à des civils et de les obliger à s'engager pour trois ans pour les voir ensuite abandonner les forces parce qu'ils subissent trop de pressions chez leur autre employeur. Cela nous ramène encore à la question des coûts à laquelle je n'ai pu répondre. Ce sont là, je crois, des questions qu'il vaudrait la peine d'examiner.

J'ai mentionné à la Commission spéciale, quand j'ai comparu devant elle, que nous devrions songer à instaurer un genre de formation obligatoire. Même si une telle formation n'est pas bon marché, elle serait moins coûteuse à long terme que le système de volontariat que nous avons actuellement et qui est caractérisé par un taux de roulement élevé. C'est un problème récurrent sur lequel nous devrions nous pencher.

M. Hart: Vous avez mentionné dans votre exposé que la marine n'était pas vraiment subordonnée au plan de mobilisation, qu'elle n'était pas dépendante de la liste des personnes devant faire partie de la réserve supplémentaire. Est-ce exact?

Si je vous pose cette question, c'est à cause de l'incidence de la technologie. Nous avons un nouveau programme d'acquisition de frégates et le Projet de révision et de modernisation des destroyers de la classe Tribal, deux types de bâtiments qui sont à la fine pointe de la technologie. Or, notre réserve navale supplémentaire est constituée à partir de facteurs tels l'âge. Une personne peut rester dans la réserve supplémentaire jusqu'à 65 ans. Je me demande donc si l'on devrait encore se baser sur l'âge pour déterminer qui peut servir sur un destroyer de classe Tribal modernisé ou sur une frégate quand c'est plutôt l'aptitude à maîtriser la technologie qui devrait compter.

C.-am. Crickard: Ce que je voulais vous faire comprendre, c'est qu'avec la flotte côtière, dont l'équipage sera constitué de réservistes - de la première réserve et non de la réserve supplémentaire, c'est-à-dire de gens plus jeunes que les membres de la réserve supplémentaire - , les réservistes seront appelés à accomplir diverses tâches dans le cadre des opérations courantes avant même qu'il y ait mobilisation. Ils n'auront donc pas besoin d'être mobilisés pour faire un travail concret.

M. Hart: Croyez-vous que le travail effectué sur les navires de défense côtière sera suffisamment intéressant pour inciter les réservistes des forces navales à demeurer dans la réserve?

C.-am. Crickard: Absolument. Ces navires sont des bijoux, et j'espère que vous aurez la chance, monsieur Hart, d'en visiter un. J'ai moi-même visité le NCSM Kingston l'autre jour, et je vous assure que ce sont des navires fascinants. Un inconvénient, c'est qu'ils ne vont pas très loin.

M. Hart: En parlant des navires de défense côtière, j'ai bien peur qu'on ait du mal à intéresser longtemps les réservistes des forces navales si on ne leur donne pas l'occasion de participer à une opération de patrouille de l'OTAN ou à une mission sur l'Adriatique. Cette question vous préoccupe-t-elle?

C.-am. Crickard: Les réservistes des forces navales continuent de contribuer à l'augmentation de la flotte des grands navires. Ils conserveront donc la possibilité de participer à des missions emballantes ou de servir par exemple sur des frégates de patrouille, des destroyers de classe Tribal ou des bâtiments de soutien. Encore faudra-t-il qu'on ait besoin d'eux, soit à cause de leur métier soit à cause de leurs compétences.

M. Hart: Quels métiers enseigne-t-on aux réservistes de la marine à l'heure actuelle? C'est peut-être une question compliquée.

C.-am. Crickard: Il en est question dans ce petit document. Il s'agirait d'y chercher la réponse, mais je suis sûr qu'elle s'y trouve. En gros, la formation donnée aux officiers porte surtout sur le contrôle de la navigation. Il y a les opérations maritimes de surface, le travail d'aumônier, etc. Quant à la formation donnée à ceux qui ne sont pas officiers, il y a le métier de mécanicien diesel et celui d'opérateur de contrôle naval, qui sont enseignés uniquement aux réservistes. Beaucoup d'autres métiers sont exercés à la fois par les réservistes et par les membres de la force régulière, ceux de manoeuvrier ou de signaleur, par exemple, qui ont de nombreux points en commun.

Il y a assez de métiers similaires exercés par les membres des autres rangs pour permettre aux réservistes qui en ont le temps et le désir d'offrir leurs services pour travailler sur un gros navire de guerre. Absolument rien ne les empêche d'accéder à ce genre de poste. En attendant, ils auront leurs propres navires, modernes, efficaces, qui seront affectés à des tâches concrètes, qui auront un important rôle à jouer en ce qui concerne la protection de notre souveraineté et de nos intérêts dans nos eaux territoriales.

M. Hart: Combien de temps seront-ils en poste sur un bâtiment de défense côtière?

C.-am. Crickard: Tout dépendra du temps dont ils disposent, deux semaines à deux ans selon les contrats.

Le vice-président (M. Richardson): Nous allons maintenant passer la parole à M. Bertrand.

.1635

M. Bertrand (Pontiac - Gatineau - Labelle): Amiral Crickard, vous avez parlé de stimulants accordés aux membres des forces régulières intéressés à faire partie de la réserve en Australie. J'ai remarqué qu'il y avait également des stimulants pour les employeurs. Pourriez-vous nous donner un peu plus de détails sur ce qu'on en dit dans votre document?

C.-am. Crickard: À propos de l'Australie?

M. Bertrand: Oui, à propos des stimulants accordés aux employeurs.

C.-am. Crickard: Malheureusement, je ne suis pas en mesure de le faire. Cet exposé a été présenté par un commandant naval australien. Je ne puis vous donner d'autres détails que ce qui est écrit dans le document que vous avez devant vous. Je ne sais rien d'autre à propos du système australien que ce qui nous a été communiqué dans ce document.

M. Bertrand: Je vais simplement vous lire le passage en question, et j'aimerais que vous me disiez si vous êtes d'accord ou non avec ce qui est écrit.

C.-am. Crickard: Très bien.

M. Bertrand: On y dit ceci:

C.-am. Crickard: Cette mesure est très généreuse, je dois dire. Naturellement, en tant que porte-parole de la réserve navale, je vous avouerai que s'il était possible d'appliquer cette mesure ici, ce serait formidable. Si le gouvernement était prêt à récompenser ainsi les employeurs, ce serait fantastique du point de vue naval.

M. Bertrand: J'en conviens. Je me porterais moi-même volontaire.

C.-am. Crickard: Oui, je vous comprends.

M. Bertrand: Savez-vous si ce système donne des résultats ou non? Répond-il à tous les besoins de l'Australie en ce qui concerne le recrutement de réservistes?

C.-am. Crickard: Pour l'instant, tout va bien. Cette mesure n'a été implantée qu'en 1991, je crois, d'après ce que dit l'article. Il y a longtemps que je l'ai lu. Je pense que la mesure a été implantée dans le cadre du projet de restructuration des forces australiennes. Le gouvernement australien a publié un Livre blanc sur la défense en 1987, comme nous l'avons fait ici. Un autre a été publié en 1994, comme ici. En 1991, cependant, le gouvernement australien a revu complètement sa structure militaire à la lumière de l'expérience de la guerre du Golfe. C'est à la suite de cette révision qu'on a décidé de constituer une réserve d'appoint. La structure n'est donc en place que depuis trois ou quatre ans.

Au sein de la marine australienne, d'après ce que mes collègues australiens m'ont dit, on semble satisfait du système. Quant à savoir si le gouvernement continuera d'accorder ces stimulants aux réservistes et aux employeurs, je l'ignore. Je n'ai par ailleurs aucune idée des chiffres en cause.

Mais je suis très content que vous m'ayez posé la question. Nous devrions examiner ce que font les Australiens. Je pense qu'il y a là une foule de leçons intéressantes à tirer de leur expérience concernant la réserve. C'est un aspect qu'il vaut la peine d'examiner, à mon avis.

M. Bertrand: Comme vous le savez sûrement, de nombreux témoins nous ont mentionné qu'ils étaient contre l'adoption de lois pour créer des emplois. Franchement, j'ai été étonné de constater le nombre de gens qui s'opposaient à une telle proposition.

J'aurais deux ou trois autres petites questions à vous poser. Utilise-t-on les forces de réserve navale à bord des sous-marins?

C.-am. Crickard: Règle générale, non. On y trouve peut-être des réservistes qui ont déjà fait partie de la force régulière. Il ne pourrait s'agir que de retraités de la force régulière qui ont acquis un étier et des compétences utiles à bord d'un sous-marin. Il n'y a pas de «purs» réservistes, si vous me permettez ce mot, à qui on enseigne un métier utile à bord d'un sous-marin. Les sous-mariniers ont tous, à un moment ou l'autre de leur carrière, nécessairement fait partie de la force régulière pour y acquérir la formation requise pour servir à bord d'un sous-marin. C'est après coup que certains ont peut-être joint la réserve. Je suis sûr qu'il y a des cas avec lesquels je ne suis pas familier.

M. Mifflin: Je sais qu'il en existe.

C.-am. Crickard: D'accord, il y en a qui naviguent en tant que membres du groupe professionnel C. Mais la réponse demeure non, car on n'y trouve pas de réservistes comme tels. Un réserviste civil qui a été formé pour servir à bord d'un sous-marin ne fait pas vraiment partie de la réserve.

M. Bertrand: Ce sera ma dernière question, monsieur le président. Combien faut-il de réservistes pour constituer l'équipage d'un navire de défense côtière?

C.-am. Crickard: Entre 33 et 36, je crois, dépendant des missions à remplir. Comme je le disais, les missions varient selon les circonstances. Il y a le travail d'exploration des fonds océaniques pour repérer la présence de mines sur les routes de navigation commerciale. Il y a le dragage de mines. Il pourrait y avoir éventuellement aussi la chasse aux mines. Enfin, il y a le travail normal de patrouille et de surveillance côtières. Comme ces missions sont effectuées dans le cadre d'opérations ponctuelles, le travail à faire et les modules varient selon les circonstances. On me dit qu'il faut entre 33 et 36 réservistes à bord de ce genre de navire. L'équipage compte aussi deux membres de la force régulière. Je ne me souviens plus du métier qu'ils exercent, mais je sais qu'il ne s'agit pas de métiers qu'on enseigne à des réservistes.

Le vice-président (M. Richardson): Y a-t-il d'autres questions?

M. Cannis (Scarborough-Centre): J'aurais une petite question. Je suis arrivé un peu en retard, amiral. Bienvenue à notre comité.

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Quelqu'un a dit qu'en l'an 2005 notre marine ressemblera à celle que nous avions en 1945. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez? Est-ce le but qu'on vise - prendre sans cesse de l'expansion - , ou bien veut-on simplement maintenir une force suffisante pour nous permettre de protéger nos eaux territoriales contre l'invasion d'intrus, qu'il s'agisse de pêcheurs illégaux ou de trafiquants de drogue, etc.?

C.-am. Crickard: C'était simplement une observation que je formulais en tant que mordu de l'histoire bien plus qu'autre chose. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la marine canadienne était la deuxième - ou la troisième - en importance au monde. Nous avions tous les types de navires, à partir des croiseurs jusqu'aux porte-avions, des destroyers jusqu'aux plus petits navires, comme ces fameuses corvettes qui protégeaient les convois au cours de la Seconde Guerre mondiale. Mais grosso modo, les membres de la force régulière naviguaient sur les gros navires, et les réservistes qui s'étaient enrôlés pour la guerre faisaient partie des équipages des petits bâtiments.

Je disais simplement que nous allons avoir une marine de gros et de petits navires pour les opérations de soutien de l'ONU en haute mer et une défense côtière. À bien des égards, la tournure que prennent les choses est plutôt étonnante. C'était ma façon à moi, monsieur, de vous présenter une vision prospective à partir des leçons de l'histoire. Il est intéressant de regarder l'évolution des choses, mais je ne pense pas qu'il faille donner à mes propos une profondeur et une importance stratégiques.

Le vice-président (M. Richardson): Monsieur O'Reilly.

M. O'Reilly (Victoria - Haliburton): Amiral Crickard, merci beaucoup de votre présence. Je dois vous féliciter pour votre document. Il m'impressionne très favorablement, et je regrette de ne pas avoir écouté tout ce que vous avez dit pendant que je le parcourais. Peut-être que je devrais garder cette lecture pour ce soir.

En analysant les recommandations, je constate qu'il est très peu question de la réserve navale dans le document que nous étudions. Avez-vous des réserves à propos de l'une ou l'autre des 41 recommandations énoncées dans ce rapport ou à propos de toutes les recommandations?

C.-am. Crickard: Non, ce n'est pas le cas. Je pense que la plupart d'entre elles portent sur des points qui avaient déjà fait l'objet de recommandations par le passé. Du point de vue de la réserve navale, aucune d'elles ne me pose problème. Il s'agit, dans la plupart des cas, de déclarations d'intention auxquelles il faudra donner suite. On y trouve des questions que le vérificateur général a déjà soulevées. Donc, du point de vue de la réserve navale, je crois qu'aucune de ces recommandations n'est vraiment mal inspirée.

M. O'Reilly: Pouvez-vous énumérer les fonctions de nature non militaire auxquelles participent les membres de la réserve navale? Vous avez parlé de fonctions non militaires. Songiez-vous à la lutte contre le trafic de la drogue ou...?

C.-am. Crickard: Oui, je parlais de toute cette panoplie de missions de soutien maritime et de tâches qu'on a vu apparaître au cours des 25 dernières années, notamment pour réparer les dégâts des déversements de pétrole, stopper l'entrée d'immigrants illégaux, lutter contre les trafics de la drogue et parfois des armes, réagir contre ceux qui enfreignent les règlements de la pêche, contrôler les rejets en mer, etc. Bien entendu, l'évolution du droit de la mer et l'utilisation croissante et souvent conflictuelle des océans rendent de plus en plus impérieuse la nécessité de maintenir l'ordre et d'exiger le respect des lois. À strictement parler, ces fonctions ne sont pas de nature militaire, car il n'y a pas d'ennemi comme tel qui essaie de nous attaquer. Mais notre sécurité et notre prospérité n'en sont pas moins menacées pour autant.

Donc, quand j'ai parlé de fonctions non militaires, je parlais de tout cet éventail de missions qu'il nous faut accomplir. La marine joue un très important rôle à cet égard, tout comme les forces aéronavales et la garde côtière, ainsi que le ministère des Pêches dans notre cas.

M. O'Reilly: À votre avis, dans combien de temps faudra-t-il renouveler ou moderniser tous les navires que vous utilisez actuellement?

C.-am. Crickard: Voulez-vous parler de...

M. O'Reilly: Ceux de la réserve.

C.-am. Crickard: Ces navires n'en sont qu'à l'étape de leur entrée en service. Le NCSM Kingston est notre premier navire de défense côtière et il est à l'essai actuellement. Le prochain sera le Glace Bay, et ils sortent ainsi un à un des chantiers maritimes. Mais je pense qu'ils seront tous opérationnels vers 1997-1998.

On ne prévoit pas avoir à les moderniser avant un bon moment. Leur coque et leurs machines seront bonnes pour très longtemps. Comme navires...

M. O'Reilly: Je songeais plutôt à la technologie.

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C.-am. Crickard: Je suppose que sur ce plan les modifications à apporter seront fonction des missions auxquelles serviront ces navires. C'est là la caractéristique la plus importante et la plus fascinante de ces bâtiments. Leur coque et leurs machines, bien sûr, sont là pour rester, mais, grâce à la technique de conteneurisation, ils peuvent être affectés à toutes sortes de missions. Leurs conteneurs peuvent toujours être mis à niveau. Un conteneur qui renferme un sonar à balayage latéral et les données informatiques des systèmes de positionnement global et de repérage des points de navigation, toutes choses nécessaires pour l'examen minutieux des routes maritimes ou pour les opérations de lutte contre les mines, doit être d'une précision supérieure à celle qui est requise pour la simple surveillance et l'arraisonnement des bateaux de pêche. La technologie va sûrement changer avec le temps, mais seule la boîte va changer. Il suffira de monter la nouvelle boîte noire à bord du navire et de la brancher.

M. O'Reilly: C'est comme mettre à niveau un ordinateur.

C.-am. Crickard: Précisément.

Et cela révolutionne complètement la façon de constituer les équipages. Plutôt que d'avoir des équipages dont les membres passent de 12 à 15 mois ensemble, dorénavant, certains seront là pour deux semaines, d'autres, pour quatre semaines. Même l'entretien sera différent. La maintenance de troisième ligne et la vérification complète de ces navires seront confiées à des civils, comme c'est déjà le cas pour les avions.

Nous assistons donc à une véritable révolution dans la façon de concevoir les opérations de la marine, en partie parce que la marine doit s'adapter aux réservistes et non le contraire.

M. O'Reilly: En tenant compte du fait que vous prévoyez avoir besoin d'un effectif de 4 000 réservistes?

C.-am. Crickard: Je crois que c'est le plafond maximal que...

M. Mifflin: Le chiffre exact est 4,300.

M. O'Reilly: Naturellement, il n'y pas que les navires, mais combien de navires en rotation pourriez-vous garder en activité avec l'effectif maximal?

C.-am. Crickard: D'après ce qu'on m'a dit, quand on aura atteint ce plafond, le personnel navigant pourra maintenir constamment en service deux navires de défense côtière sur chaque côte, et probablement de quatre à six autres dans les périodes de pointe en été. Nous en aurons alors bien sûr toujours un ou deux en carénage, mais les autres serviront au contrôle de la navigation, au commandement de convois lors d'exercices, au soutien des divisions de réserve au pays et à la défense portuaire. Les autorités de la marine pensent que si un jour la réserve dispose d'un tel effectif, elle pourra s'acquitter de toutes ces tâches.

J'ignore si ces chiffres seraient encore convenables si nous étions appelés à participer pendant une période relativement longue à une guerre comme celle de la Corée ou celle du Golfe.

M. O'Reilly: Je pense surtout aux opérations de maintien de la paix auxquelles nous participons actuellement.

Amiral Crickard, je vous remercie beaucoup. J'ai trouvé vos commentaires intéressants. Je terminerai cette fois encore, monsieur le président, en félicitant le témoin pour son exposé.

Le vice-président (M. Richardson): Merci beaucoup, monsieur O'Reilly.

Moi aussi, puisque nous nous apprêtons à clore la séance et que tous les membres du comité ont eu le temps...

M. Mifflin: Il n'a pas été question de traces...

Le vice-président (M. Richardson): Non, les vagues les ont toutes effacées.

Amiral Crickard, je tiens à vous dire sincèrement ceci - et vous pourrez transmettre mes propos aux membres de l'Association des officiers de la marine - : l'exposé que vous nous avez livré, dans lequel vous nous avez présenté une vue d'ensemble du rôle de la marine, était sans contredit bien documenté. Vous nous avez entretenus de la doctrine militaire, de la façon dont la marine fonctionne et dont elle s'acquitte de ses rôles. Vous avez parlé du personnel, de la formation et du matériel. Vous avez en outre abordé la question des rapports entre les différents éléments des forces militaires.

Je vous en félicite. C'est la première fois qu'on nous présente un menu aussi équilibré et aussi consistant. Je vous remercie beaucoup.

La séance est levée.

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