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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 3 mai 1995

.1540

[Traduction]

Le président: Je déclare la séance ouverte.

Avant de commencer, je voudrais remercier les employés du Parlement qui travaillent dans la traduction, parce qu'ils sont exposés en ce moment à des conditions très difficiles, et je crois qu'il faut en prendre note.

Quelqu'un a fumé dans leur cabine, ce qui a laissé une odeur extrêmement désagréable. Ils ont accepté de continuer pour l'instant. Lorsqu'ils en auront assez, qu'ils me le fassent savoir et je lèverai l'audience. Entre temps, nous vous sommes très reconnaissants de continuer à travailler dans ces conditions très pénibles. Vous avez toutes nos excuses.

Notre premier témoin de l'après-midi est le Syndicat national des employées et employés généraux du secteur public, représenté par M. Larry Brown, secrétaire-trésorier national, etM. Derek Fudge, représentant national. Bienvenue, messieurs. Excusez-nous du retard.

M. Larry Brown (secrétaire-trésorier national, Syndicat national des employées et employés généraux du secteur public): Il n'y a pas de mal. Merci.

Nous nous excusons auprès des membres du comité de nos limitations linguistiques. Il nous aurait été certainement difficile de nous passer de traduction.

Nous remercions également le comité de nous donner l'occasion d'être ici aujourd'hui et de lui exprimer notre opinion sur le projet de loi C-76.

Nous avons déjà comparu devant le comité dans d'autres circonstances, et je présenterai donc brièvement notre syndicat national. Nous représentons plus de 310 000 travailleuses et travailleurs canadiens dans tout le pays. Nous avons commencé comme un syndicat de fonctionnaires provinciaux, mais nous avons élargi notre base. Environ 59 p. 100 de nos membres travaillent maintenant directement pour les gouvernements provinciaux, et 41 p. 100 travaillent dans une gamme variée d'autres secteurs de l'économie, depuis les confiseries et les brasseries jusqu'aux hôtels et aux banques. Nous représentons des gens qui travaillent dans les secteurs variés.

Environ 85 000 de nos membres travaillent directement sous l'égide de ce qui est aujourd'hui le RAPC, à la prestation des services sociaux au Canada, et 70 000 autres participent directement à la prestation de soins de santé à un degré ou à un autre pour les gouvernements provinciaux, ou travaillent dans les hôpitaux et d'autres lieux du même genre. Environ 35 000 de nos membres travaillent directement à la prestation de l'éducation postsecondaire.

Nous donnons ces chiffres pour montrer que nous ne sommes pas seulement des représentants d'une tranche considérable de la population, mais aussi d'un très grand nombre de Canadiens qui sont directement visés par le projet de loi.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, nous voudrions dire deux choses. Nous sommes reconnaissants au comité de ce qu'il tient des audiences. Nous ne voulons pas venir ici pour simplement nous plaindre. Cependant, nous sommes préoccupés, et je suis sûr que nous ne sommes pas les premiers, par cette compartimentalisation que vous exigez et qui est fondée sur votre désir d'expédier les délibérations.

C'est un peu gênant pour une organisation comme la nôtre, qui représente des fonctionnaires, et qui pourrait très facilement s'exprimer sur les réductions d'effectifs dans la fonction publique fédérale, d'avoir à choisir entre l'un et l'autre sujet. En fait, un très grand nombre de nos membres sont dans l'Ouest canadien, si bien que nous aurions aimé pouvoir dire un mot aussi des répercussions sur l'agriculture et du tarif du Nid-de-Corbeau.

Le président: Vous pouvez parler sur tous les aspects du budget.

.1545

M. Brown: Merci.

Il serait difficile de vous en vouloir, vu les délais serrés qui vous ont été imposés par le gouvernement. Cependant, le projet de loi C-76 soulève beaucoup d'inquiétude dans le pays, et la vitesse à laquelle vous devez conduire vos délibérations rendra les choses très difficiles.

En fait, si vous songez à l'histoire du Canada et que vous regardez les répercussions des changements proposés en conséquence de ce budget ainsi que toutes les commissions royales, la masse des rapports et les travaux de recherche qui ont été faits par Newton Rowell, Leonard Marsh, Emmett Hall, Erik Neilsen et Keith Spicer, et tout le travail que ces gens ont fait pour construire les systèmes qui sont maintenant modifiés sensiblement d'un trait de plume budgétaire, et tout ça dans des délais très courts, pour les audiences d'un comité, il nous semble qu'il y a comme un déséquilibre. Il nous semble que la quantité et l'importance des changements qu'il est proposé de faire au mode de fonctionnement du système canadien et que la quantité de travail qui a été investie dans la constitution de ce système sont sans commune mesure avec la précipitation avec laquelle on veut démanteler certains aspects de ce système et modifier son mode de fonctionnement.

Nous préférerions de beaucoup un processus qui fasse une place beaucoup plus grande à la consultation des Canadiens, pas très différent du processus de consultation suivi avant la réalisation du dernier budget fédéral. Nous n'étions pas entièrement satisfaits de ce processus, mais du moins comportait-il une consultation avant la décision, plutôt que pendant une très courte période après que la proposition ait déjà été faite, avec la conséquence que toutes les préoccupations et opinions se trouvent téléscopées en un seul bref exposé.

Au risque de sembler vouloir soulever une polémique, nous vous ferions remarquer que deux importantes consultations de la population ont eu lieu au cours des dernières années, et que dans aucun des deux cas les Canadiennes et les Canadiens se sont prononcés en faveur de l'orientation exprimée par le projet de loi C-76. Dans un cas, il s'agissait de la dernière élection fédérale, qui est la forme de consultation la plus fondamentale dans une démocratie. Au cours de cette élection, aucun parti politique n'avait de programme qui ressemblait au projet de loi C-76. Lorsqu'on a demandé aux Canadiennes et aux Canadiens de s'exprimer sur l'avenir de leur pays, ils n'ont pas choisi cette direction.

L'accord de Charlottetown a également comporté une forme de consultation extrêmement poussée. En fait, les Canadiennes et les Canadiens ont eu l'occasion de voter sur un exercice de décentralisation massif et sur la transformation fondamentale d'un système fédéral en un système plus provincial. Si nous nous souvenons bien, l'orientation proposée par les puissances du moment a été rejetée par la population canadienne, et pourtant ce projet de loi va essentiellement dans le même sens. Ce qu'on n'a pas pu faire sur le plan constitutionnel et avec un référendum sur la Constitution, on le fait sur le plan financier et dans le cadre de la gestion financière. Nous considérons que ce projet de loi relève dans une très grande mesure du même esprit que celui que les Canadiennes et les Canadiens ont rejeté lorsqu'ils ont voté contre l'accord de Charlottetown.

En ce qui concerne plus précisément le projet de loi, nous avons fait diffuser par notre personnel un document de notre cru intitulé «Divided We Fall», qui donne peut-être une idée de ce que nous pensons du projet de loi C-76. Le titre avait été choisi pour cela.

Nous croyons que ces changements vont aboutir à un accroissement considérable de la fragmentation et des disparités entre les programmes sociaux provinciaux, y compris dans le secteur des soins de santé. Cela nous inquiète beaucoup. Nous croyons, en outre, que le financement fédéral ne suffira pas à permettre à ces programmes de fonctionner correctement. Le montant soustrait des transferts fédéraux-provinciaux par ce projet de loi, qui s'élève à 7 milliards de dollars, somme dont la plupart des gens saisissent mal l'ampleur, est vraiment impressionnant quand on songe qu'il s'ajoute aux réductions successives pratiquées par les conservateurs fédéraux en 9 ans de pouvoir.

On se rappelle alors toutes les fois que les partis de l'opposition ont reproché aux conservateurs fédéraux de réduire la capacité des provinces à fournir ces services. Et en plus de toutes ces coupes, qui ont été vertement critiquées en leur temps, en voici une autre de 7 milliards de dollars qu'on demande aux gouvernements provinciaux d'absorber.

Nos membres travaillent pour ces gouvernements provinciaux, et nous pouvons vous dire avec une absolue certitude que la capacité de ces gouvernements provinciaux à continuer de fournir ces programmes sera compromise. C'est une cause entendue, et la question ne se pose même plus. Il s'agit de savoir dans quelle mesure elle sera compromise.

Le problème, c'est que certains gouvernements agiront de façon plus radicale que d'autres. Les répercussions, sur la capacité des gouvernements provinciaux à fournir les services sociaux que les Canadiennes et les Canadiens tiennent pour acquis, seront considérables.

Nous croyons donc qu'il y a lieu de s'interroger sur l'importante question de l'applicabilité des normes nationales qui découleraient de ce projet de loi. Nous remarquons que la législation réduit spécifiquement la marge de manoeuvre et la liberté d'innovation laissées aux provinces, tout en faisant une certaine place à la possibilité de normes nationales. Cependant, la possibilité d'adopter des normes nationales est beaucoup moins nettement affirmée que la marge de manoeuvre des provinces.

.1550

Il nous semble que deux domaines différents sont en cause. Le premier est celui des soins de santé, où la législation définit sept points. Quand il s'agit des soins de santé, cependant, il nous semble que l'applicabilité des normes nationales est tout à fait en péril. En préparant notre exposé, nous avons fait beaucoup de recherches pour acquérir nous-mêmes une certitude sur la question.

J'ai lu ce matin dans le Globe and Mail, avant de rentrer au bureau, un article de Keith Banting, directeur des études politiques à l'Université Queen's, qui disait en susbstance que le gouvernement fédéral est en fait en train d'abroger, en douce et peu à peu, la Loi sur les soins de santé. Nous sommes tout à fait d'accord.

Le gouvernement fédéral soutient dans le projet de loi qu'il sera toujours en mesure d'appliquer le régime public d'assurance-maladie dans le pays. Mais si vous examinez de près cette prétention, vous verrez qu'elle ne tient pas debout, parce que, d'abord et avant tout, il existe un montant global pour la santé, l'éducation et l'aide sociale. En théorie, si un gouvernement provincial ne respecte pas les normes nationales du régime public d'assurance-maladie fixées par la Loi canadienne sur la santé, ce montant peut être réduit. Ça veut dire que les provinces peuvent réduire les sommes qu'elles versent à l'éducation et, dans certains cas, celles qu'elles consacrent à l'aide sociale, ce qui serait peut-être parfois beaucoup plus populaire, et absorber ces réductions sans qu'elles n'aient aucun effet sur le système d'assurance-maladie lui-même.

Deuxièmement, ceux d'entre nous qui n'ont pas la responsabilité directe de la mise en oeuvre de l'assurance-maladie, ont déjà vu que la volonté politique d'appliquer le régime public d'assurance-maladie, même dans le cadre du système actuel, n'est pas toujours là. Nous avons vu le ministre de la Santé actuel menacer pendant, je crois, près de deux ans, de faire quelque chose au sujet de l'Alberta. Si c'était si facile à faire dans le système actuel, il nous semble, à nous qui voyons les choses de l'extérieur, que ça aurait été fait. Après deux ans, la menace d'une action imminente a tendance à s'émousser.

Si le système actuel est très difficile à appliquer, le nouveau système le sera encore plus parce que le gouvernement fédéral verra un problème marginal avec l'assurance-maladie et se demandera s'il doit couper une somme que les provinces déduiront à leur tour des chèques de bien-être et des budgets universitaires, bref, un jeu politique bien connu. À notre avis, ça marchera en théorie, mais rarement en pratique.

Enfin, le problème c'est bien sûr que cette somme est réduite progressivement de toute façon et que le jour viendra où on n'aura plus les moyens nécessaires de faire respecter les normes du régime public d'assurance-maladie. C'est un argument auquel nous n'avons encore jamais entendu de réponse satisfaisante.

Le principal outil dont dispose le gouvernement fédéral pour imposer l'assurance-maladie, c'est l'argent. Nous sommes retournés aux bases et avons lu la Constitution. Les droits provinciaux incluent les soins de santé. Le seul moyen d'action dont dispose le gouvernement fédéral pour les faire mettre en oeuvre, c'est l'argent, et lorsqu'il n'y aura plus d'argent, nous nous demandons comment la chose pourra se faire. On n'a jamais répondu à cette question.

Il nous semble donc évident que le nouveau système sera moins facile à mettre en oeuvre. En pratique, les provinces vont se cacher derrière l'éducation et l'aide sociale. Elles vont dire que les réductions de leurs ressources se répercuteront sur les chèques de bien-être et sur les budgets de l'éducation. Nous ne voyons pas comment on pourra dire en fin de compte que c'est toujours applicable alors qu'il n'y aura plus d'argent pour faire appliquer. Sur le plan des programmes sociaux, il est beaucoup plus évident pour nous que le gouvernement n'a pas l'intention d'adopter des nouvelles normes nationales.

Nous en étions venus à cette conclusion avant d'entendre M. Martin, hier, dire à la Chambre qu'il allait amender le projet de loi pour le rendre encore plus clair sur ce point. Cependant, à notre avis, il n'avait pas particulièrement besoin d'être amendé parce que, si nous le comprenons bien, il prévoit une seule norme pour tout ce qui n'est pas l'assurance-maladie, le lieu de résidence. Il y a une norme, point final, et la possibilité d'autres normes s'il y a unanimité parmi les 11 ressorts, unanimité entre le Québec et l'Île-du-Prince-Édouard, et entre l'Alberta et la Colombie-Britannique. J'ai vécu assez longtemps pour savoir que le jour n'est pas près d'arriver où le gouvernement fédéral et des dix provinces pourront parvenir à l'unanimité sur ce point.

D'après le projet de loi C-76, s'il n'y a pas d'unanimité, il n'y a pas de nouvelles normes. Le projet de loi stipule: «Avec le consentement mutuel des provinces». Juridiquement, cela veut dire l'unanimité.

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Je regrette, mais il nous semble que la possibilité que les gouvernements - dix provinciaux et un fédéral - s'entendent sur quoi que ce soit de tant soit peu substantiel quant à une nouvelle norme nationale de notre vivant est assez éloignée.

Le président: Nous avons déjà l'accord du Québec. Il nous suffit d'obtenir celui des autres.

M. Brown: C'est là le problème. Encore dix.

Je présume que les gouvernments changeront un jour en Alberta et en Colombie-Britannique, mais ils nous offrent dès maintenant des exemples intéressants. À l'heure actuelle, il faudrait que le gouvernement de la Colombie-Britannique et celui de l'Alberta s'entendent sur une nouvelle norme nationale pour que celle-ci puisse être invoquée. Nous aimerions bien voir ça.

Nous craignons que les gouvernements provinciaux refilent leurs problèmes à d'autres. Ce qui est intéressant, c'est que ce qu'on présente aux Canadiens comme une solution au problème de la dette consiste en fait à le passer à d'autres. Le gouvernement fédéral ne le résout pas; il le refile aux provinces. Les provinces ne le résolvent pas; elles le repassent aux municipalités ou aux universités. Les universités le traduisent à leur tour en frais d'utilisation, en mesures de privatisation, etc.

Nous craignons que le TCSPS ne prive l'économie d'un stabilisateur économique, de l'effet «réinflationniste» que le RAPC avait sur l'économie sera supprimé. Puis viendra le prochain ralentissement de l'économie, qui, d'après les observateurs, est pratiquement déjà là. Plutôt que de voir alors le gouvernement fédéral verser de l'argent aux provinces, argent qui serait recyclé dans l'économie et la maintiendrait à flot, nous le verrons réduire son financement automatiquement, quoi qu'il arrive à l'économie. C'est la même erreur que celle qui a été commise dans les années trente, autant qu'on s'en souvienne, lorsqu'en réponse à une déflation de l'économie, les gouvernements ont réduit l'inflation encore davantage. Nous sommes très inquiets de ce que ça va donner.

Enfin, nous tenons à revenir sur le fait que ce projet correspond vraiment au genre de conception décentralisée de la fédération qu'à notre avis la population a rejetée lorsqu'elle a eu la chance de se prononcer directement par scrutin à son sujet. Nous ne sommes pas certains qu'il soit plus acceptable de parvenir à ce résultat par le biais d'une formule financière très compliquée que par un mécanisme constitutionnel clair.

Nous serions reconnaissants au comité de bien vouloir transmettre au gouvernement fédéral du moins de notre part et de celle des Canadiens que nous représentons et que nous avons consultés dans tout le pays, le message qu'à notre avis ce procédé n'est pas acceptable. Que le gouvernement fédéral et le ministre des Finances parlent d'abord au peuple s'ils sont certains de la justice de leur action et s'ils sont certains qu'ils sont sur la bonne voie. Qu'ils se donnent une marge de manoeuvre avant de dire, voilà ce que nous allons faire; qu'en pensez-vous; vous avez trois semaines. À notre avis, ce genre de modification radicale du mode de fonctionnement du pays ne doit pas être accompli par des artifices budgétaires avec un temps de réponse très court parce qu'on a décidé d'aller de l'avant de toute façon. Cela ne nous paraît pas satisfaisant.

Nous vous remercions de votre attention.

Le président: Monsieur Brown, vos propos sont toujours aussi percutants.

[Français]

Monsieur Loubier, vous êtes d'accord sur le manque de normes nationales?

M. Loubier (Saint-Hyacinthe-Bagot): Non. Je serais d'accord sur le manque de normes des libéraux. Mais, pas sur...

Messieurs Brown et Fudge, bienvenue au Comité des finances. J'ai d'abord une petite remarque à faire. Contrairement à ce que vous avez mentionné, nous sommes convaincus qu'il va y avoir des normes nationales. D'ailleurs, rappelez-vous les déclarations du ministre du Développment des ressources humaines, déclarations récentes, à l'effet que s'il n'y avait pas de consensus entre les provinces pour l'imposition de nouvelles normes, l'avenir demeurerait ambigu. On ne savait pas ce qui se passerait. Lui-même ne savait pas ce qui se passerait.

Hier même, lorsque le ministre des Finances a déposé, de façon inusitée, quelques changements qu'il pourrait apporter au projet de loi C-76, au regard de ce qu'il a présenté comme amendement, c'est de la pacotille. C'est factice. On parle de consentement mutuel. Mais, comment définit-on le consentement mutuel? Comment arrive-t-on à concilier le fait que le ministre des Finances et le premier ministre disent qu'il n'y aura pas d'entente forcée et le fait que Lloyd Axworthy a dit récemment que l'avenir restait ambigu s'il n'y avait pas d'entente? Alors, d'après nous, il y aura entente. Et si c'était la situation, ce serait une entente imposée, des normes nationales imposées dans les secteurs de la santé et des nouvelles normes en ce qui concerne les autres programmes sociaux.

.1600

Si c'était la situation, ne croyez-vous pas qu'on prépare un affrontement en règle, entre le gouvernement fédéral, aux visées centralisatrices, et les provinces, en particulier le Québec, puisqu'il est question d'imposer des normes nationales dans le secteur de l'éducation?

Vous avez assisté à tous les grands débats, celui de Meech et celui de Charlottetown. Je pense que vous comprenez le sens de ma question.

[Traduction]

M. Brown: Je crois qu'il y a ici un problème de définition des objectifs. Je dois être clair à ce sujet. Notre syndicat estime, de même qu'un certain nombre d'autres organisations, que des normes nationales sont essentielles dans les domaines de la santé, des programmes sociaux et de l'éducation. Nous croyons que le Canada est un pays, et qu'il n'est pas acceptable que les normes d'éducation ou les normes de services sociaux soient totalement différentes en Colombie-Britannique et, par exemple, à Terre-Neuve.

Ça aurait toutes sortes de conséquences. Par exemple, la régionalisation de l'éducation, les habitants d'une province ne pouvant suivre les programmes éducatifs d'une autre province. L'assurance-maladie publique sera morcelée en fonction du lieu de résidence et on ne pourra aller dans une autre province pour y subir une opération ou y recevoir un soin quelconque.

C'est ce qui se produira si nous n'avons pas de normes nationales, parce que les habitants de chaque province diront à leur gouvernement de gérer l'argent de ses contribuables, pas celui de ceux de la Colombie-Britannique ou de l'Alberta; qu'ils veulent que le produit de leur contribution soit utilisé pour eux. Nous croyons très fortement que lorsque vous vivez dans un pays, vous devez accepter et attendre un certain niveau d'éducation, de soins de santé et de services sociaux uniformes dans tout le pays.

C'est peut-être une position un peu controversée aujourd'hui. Nous soutenons depuis trois ou quatre ans que lorsqu'il s'agit du Québec, il y a assez de différences pour justifier une négocation séparée avec cette province.

Nous disons qu'autant qu'on puisse en juger, lorsque les Canadiens ont rejeté l'accord de Charlottetown, ils ont dit en substance, comme nous, qu'il devrait y avoir des normes nationales bien définies dans tous ces secteurs. Notre position est que la question doit être traitée différemment dans la province de Québec. Elle a une culture, une histoire et une tradition différente, une population différente. À notre avis, l'exigence de normes nationales bien définies doit s'adapter lorsqu'il s'agit du Québec, avec l'approbation et la permission de la population du Québec.

[Français]

M. Loubier: Vous conviendrez que le contenu du projet de loi C-76, à l'heure actuelle et jusqu'à nouvel ordre, hormis les amendements factices présentés hier par le ministre des Finances, ce n'est pas ce que vous présentez. On pourrait faire du chantage auprès des provinces qui ne respecteraient pas les normes nationales imposées, car le projet de loi ne requiert pas du tout le consentement des provinces sur l'application de nouvelles normes. On les menacerait et on ferait du chantage à chaque fois qu'elles décideraient, et en particulier le Québec, de ne pas appliquer ces normes nationales.

Dans le secteur de l'éducation, par exemple, je vous dirais que je ne partage pas votre point de vue, même si je le respecte, savoir l'idée qu'on est un grand pays et qu'il n'y a qu'une politique qui doit s'appliquer en matière d'éducation, domaine qui est un des piliers des traits culturels particuliers du Québec.

C'est pourquoi je vous dis qu'on prépare un affrontement terrible. On admettrait très mal au Québec qu'il y ait des normes nationales qui soient imposées dans l'éducation, autrement dit, que 75 p. 100 de la population canadienne détermine pour une partie non négligeable ce que serait l'éducation au Québec, ce vers quoi l'enseignement nous mènerait et quels seraient les objectifs et les normes de cet enseignement.

Ce serait inadmissible et vous le savez. Nous nous rencontrons depuis une douzaine d'années à propos du débat constitutionnel. Tout de suite au point de départ, ce serait un coup de force extraodinaire par rapport à ce qu'on a vécu comme débat par le passé.

Je vous pose donc la question: le projet de loi que nous avons là, non pas les intentions exprimées à gauche et à droite, ou même vos convictions personnelles, mais le projet de loi tel qu'il est rédigé ne prépare-t-il pas un affrontement en permettant de faire du chantage quant aux versements du gouvernement fédéral qui diminuent déjà comme peau de chagrin, année après année, dans les secteurs de la santé, de l'éducation postsecondaire et de l'aide sociale?

[Traduction]

M. Brown: Le projet de loi, monsieur, tel que nous le comprenons, est extrêmement clair sur deux points. Il est extrêmement clair sur les normes nationales précises qui s'appliqueront au régime public d'assurance-maladie. Nous croyons que le projet de loi ne contient pas ses propres mécanismes de mise en application, mais au moins les normes sont claires.

.1605

Nous dirions cependant volontiers aussi que, pour ce qui est du reste, de l'éducation postsecondaire et des services sociaux, il n'y aura qu'une seule norme qui sera imposée, le lieu de résidence, et que les chances pour que les provinces s'entendent unanimement sur d'autres normes quelconques sont très faibles. Nous croyons que dans le cas de la santé, le projet de loi contient des normes nationales, que pour l'éducation et les services sociaux, il n'en contient pas, et qu'il est très improbable qu'il y en ait.

Nous croyons qu'il est tout à fait concevable, parce que c'est toujours une possibilité dans une démocratie parlementaire, qu'après que les parties ne seront pas parvenues à s'entendre, une nouvelle loi sera adoptée, qui imposera de nouvelles normes. Mais ce projet de loi en lui-même n'en contient pas.

Le président: Quelles sont les normes nationales qui s'appliquent aujourd'hui aux transferts en matière d'éducation postsecondaire et de programmes sociaux, à part de la résidence dans le cas de l'aide sociale?

M. Brown: Pour ce qui est de l'éducation postsecondaire, il y en a très peu. En fait, il serait probablement plus exact de dire qu'il n'y en a pas. Ceux de nos membres qui travaillent dans le domaine de l'éducation pourraient vous dire en tous cas qu'il devrait y en avoir plus.

Le président: Vous plaidez pour beaucoup plus de normes qu'il y en a à l'heure actuelle. Je vois.

M. Brown: Mais, monsieur, pour ce qui est du RAPC, je dirais qu'il y a un certain nombre de normes.

Le président: Être résident et être dans le besoin.

M. Brown: Nous pouvons vous fournir une liste. Les choses sont un peu plus compliquées que cela, avec le RAPC.

Le président: Mais avons-nous le pouvoir de forcer une province à verser des prestations de bien-être à quelqu'un?

M. Brown: Pas comme tel, mais il y a un certain nombre de normes.

Le président: Mais si une province décide de ne pas payer une prestation de bien-être, nous n'aurons pas le pouvoir de la forcer. Tout ce que nous pouvons faire, c'est de verser des montants équivalents aux siens.

M. Brown: Nous avons dressé la liste des dispositions pertinentes à la page 2 du document «Divided We Fall», et il y en a un certain nombre. Le versement d'un montant équivalent, ou moindre dans le cas de l'Alberta, de la Colombie-Britannique et de l'Ontario, par le gouvernement fédéral ne va pas de soi. Il faut que la province respecte certaines conditions. Il y a donc un certain nombre de critères dans le RAPC.

M. Grubel (Capilano - Howe Sound): Monsieur Brown, vous avez dit que lors de la dernière élection, aucun parti n'avait de programme qui prévoyait ce genre de coupes. Permettez-moi de corriger votre erreur. Le programme fondamental du Parti réformiste était que, pour sauver ces programmes que vous voyez aujourd'hui menacés, il faudrait procéder à des réductions, que nous envisagions de la même manière que celles qui sont faites actuellement, de travers.

Cependant, je suis d'accord avec vous quant au fait que les Canadiens sont très déçus par le Parti libéral, et avec raison. Les libéraux ont fait toutes sortes de promesses qu'ils n'ont pas tenues. On peut se demander si c'était parce qu'ils savaient que ces coupes devaient être faites et qu'ils l'ont caché à la population, ou parce qu'ils étaient simplement incompétents et qu'ils ne savaient pas ce que le Parti réformiste savait. Probablement un peu les deux.

J'allais vous poser la même question que M. Peterson. Vous avez d'abord dit, et je vous ai écouté très attentivement, que sans normes d'éducation, il n'y a pas de pays. Il se trouve, monsieur, qu'il n'y a pas de normes d'éducation. Les provinces pousseraient les hauts cris si nous tentions d'imposer des normes d'éducation, et je crois qu'elles auraient raison. Ceci est pour montrer combien est faux ce mythe que sans normes nationales, il n'y a pas de pays. Pourquoi n'y aurait-il pas de pays?

Permettez-moi de vous poser une question. Croyez-vous qu'un individu soit le mieux à même de savoir comment dépenser son argent? Oui ou non.

Le président: Ma femmme le sait mieux que moi.

M. Brown: Lorsque vous aurez fini de poser votre question, je voudrais répondre à un ou deux autres points que vous avez avancés.

.1610

M. Grubel: Encore un petit instant.

La plupart des gens seront entièrement d'accord pour dire que le gouvernement n'a pas à se mêler de la façon dont les gens dépensent leur argent tant que ce n'est pas pour nuire aux autres.

M. Brown: Il est difficile de répondre à cette question par oui ou par non sans tomber dans un petit piège logique intéressant. En fait, il faut tenir compte de toutes sortes de conditions, par exemple, de savoir s'il s'agit d'impôts.

M. Grubel: Pas du tout. Si je dépense mon argent en achetant un véhicule qui n'est pas sécuritaire ou qui est dangereux pour les autres, alors, il faudrait m'en empêcher. Dans ce sens, nous approuvons ce genre de loi. En dehors de cela, je crois que la proposition est presque universellement acceptée.

Par conséquent, je vous demande, si dix personnes décident de se cotiser pour acheter un bien qu'elles partageront, est-ce que ça n'améliore pas le bien-être de chacun par rapport à ce qu'il serait s'il restait seul?

Qui a-t-il de mal que les petites localités, les provinces, décident des normes de santé qu'elles veulent avoir? Si elles ne veulent pas des normes de santé imposées par leur gouvernement, elles ont la possibilité d'en élire un autre. Que pouvez-vous donc faire, vous, le gouvernement fédéral, que les gens eux-mêmes, qui payent pour ces services et les exigent, ne peuvent faire eux-mêmes localement?

M. Brown: Permettez-moi de revenir sur votre premier argument, qui est que les libéraux connaissaient la vérité et qu'ils l'ont cachée à la population, ou qu'ils ne la connaissaient pas et auraient dû la connaître. Il y a une troisième possibilité, qui est que ces coupes ne sont pas et n'ont jamais été nécessaires et qu'elles sont une question de choix politique, et pas un impératif économique. Logiquement, vous devez aussi tenir compte de cette option.

M. Grubel: Non, la question est de savoir pourquoi ils ne tiennent pas leur promesse.

M. Brown: Oui, mais vous excluez la possibilité qu'ils se sont trompés depuis et que rien de tout cela ne s'impose.

La question quelque peu philosophique que vous avez posée à la fin fait réfléchir, mais il me semble, monsieur, avec tout le respect que je vous dois, qu'elle ne tient pas compte de la réalité.

Si vous habité à Corner Brook, Terre-Neuve, et que vous ne recevez pas une compensation adéquate d'une autre partie du Canada pour vous permettre de faire le même genre de choix que si vous viviez dans une région relativement plus prospère du pays comme Markham, en Ontario, alors, prétendre qu'il s'agit d'une simple liberté de choix et que les normes nationales ne s'imposent pas devient un argument purement abstrait. De toute évidence, Corner Brook, Terre-Neuve, ne peut se payer le même genre de soins de santé que Markham, Ontario.

Un financement national et des normes nationales servent à établir une certaine uniformité de traitement dans tout le pays. Un Canadien de l'Ontario et un Canadien de Corner Brook, à Terre-Neuve, n'ont peut-être pas exactement les mêmes soins de santé. Ce serait un peu trop demandé. Mais ils ont des soins de santé équivalents. Et c'est ce que nous voyons abandonner par ce projet de loi. Nous pensons que c'est très dur à accepter.

Bien sûr, nous pourrions quand même avoir un pays; mais quel genre de pays, et est-ce que les Canadiens voudraient d'un pays comme cela? Toute la question est là.

M. Grubel: Je serais fondamentalement en faveur d'un pays plus libre. Les gens feraient ce qu'ils veulent du fruit de leur travail et pas ce que quelqu'un d'autre leur dit de faire. C'est là un élément essentiel de la qualité de vie pour un grand nombre de Canadiens.

M. Brown: Le riche et le pauvre auraient la même liberté d'avoir faim et de coucher sous les ponts, monsieur.

Mme Brushett (Cumberland - Colchester): Vous m'avez, avec l'honorable député du Parti réformiste, coupé l'herbe sous les pieds. Je voudrais ajouter quelque chose au sujet de ce que vous avez dit sur la promesse non tenue du gouvernement libéral. Je voudrais vous rappeler que la promesse fondamentale était que nous nous attaquerions au déficit du pays. Nous avons tenu cette promesse.

Vous avez également soulevé le point que les normes seront absentes de ce nouveau projet de loi C-76. Je me permets de vous contredire. Il n'y avait pas de normes, en tout premier lieu, en matière de bien-être social et d'éducation. Nous avons la Loi canadienne sur la santé, les cinq principes dont elle procède et qu'elle complète. Cela ne changera pas. La seule autre disposition est celle du lieu de résidence, dans le cas de l'aide sociale.

.1615

Je crois que beaucoup de Canadiens, du moins ceux que j'ai rencontrés dans mes réunions dans les hôtels de ville et dans les communautés rurales, estiment qu'il serait à peu près impossible et, en tout cas, difficilement acceptable, d'essayer d'imposer une norme nationale d'éducation quand on est si loin des gens concernés. J'aimerais avoir votre avis là-dessus.

M. Brown: Plutôt que d'exploiter l'argument de promesses non tenues, nous avons fait une analyse du Livre rouge, que nous pouvons vous faire parvenir. Nous pourrions peut-être être d'accord pour ne pas être d'accord là-dessus.

Pour ce qui est des normes nationales, lorsque le gouvernement fédéral a été critiqué par les Nations Unies, il n'y a pas très longtemps, pour la raison qu'il existe une pauvreté considérable dans un pays aussi riche que le Canada, l'une des réponses du gouvernement fédéral était que la législation impose certaines normes aux provinces en ce qui a trait au bien-être social. Cette législation était le RAPC.

Si je peux me permettre, je dirai qu'on ne peut pas jouer sur les deux tableaux. Si le gouvernement utilise ça comme moyen de défense sur la scène internationale, alors ça ne peut pas être aussi une absence de norme. Lorsque l'ONU critiquait le Canada, le RAPC constituait une réponse suffisante, et le Canada a dit qu'il avait légiféré pour établir des normes dans tout le pays; aucune province ne peut fournir moins que ce que prévoient ces normes, alors comment pouvez-vous oser nous critiquer pour avoir beaucoup de pauvreté?

Dès que ce projet de loi entrera en vigueur, le RAPC sera chose au passé, tout comme l'argument du Canada. Nous nous permettons donc de dire qu'à notre avis, non seulement le RAPC fixe des normes que les provinces doivent observer, mais aussi que c'est ce qu'a dit le gouvernement fédéral lorsqu'il se défendait sur la scène internationale.

Mme Brushett: Sur ce point, je crois que dans la province de Nouvelle-Écosse - où j'ai eu aussi l'expérience du gouvernement municipal - c'était une combinaison de responsabilités municipales et provinciales et des paiements de transfert fédéraux dans le cadre du RAPC. Mais, une fois de plus, il n'y a pas de normes. On a pu dire, et je l'ai dit moi-même dans le passé, que le gouvernement fédéral ne peut pas vraiment imposer de normes quand c'est aux provinces et aux municipalités de faire face à une situation et d'adopter des politiques.

M. Derek Fudge (directeur de recherche, Syndicat national des employées et employés généraux du secteur public): On peut dire aussi à propos du RAPC qu'il incite les gouvernements et les municipalités à offrir des services. Une petite administration municipale de la Nouvelle-Écosse pourrait monter un foyer de transition en sachant qu'elle touchera de l'argent - 50 p. 100 - pour financer ce foyer.

À notre avis, ce qui va se passer dans les provinces comme la Nouvelle-Écosse ou Terre-Neuve, où les conditions économiques sont plus difficiles que dans le Canada central, c'est qu'ils vont dire qu'ils ne peuvent plus se permettre d'avoir des foyers de transition. C'est un luxe qu'ils ne peuvent plus se permettre. C'est peut-être dans les moyens des administrations du centre-ville de Toronto ou de Markham, mais pas dans ceux de l'administration de Digby, Nouvelle-Écosse, par exemple. Les services disponibles au centre-ville de Toronto ne le seront pas à Digby, parce qu'en période de ralentissement économique, les gouvernements ne peuvent plus se permettre de fournir ce genre de service.

Ils savent qu'ils doivent fournir des soins de santé. Ils doivent respecter la norme universelle. Le peu qu'ils toucheront sur le financement global ira aux soins de santé, dont les coûts augmentent. Il ne restera plus rien pour les services communautaires. Les provinces et les administrations municipales ne seront pas incitées à créer ce genre de services.

Ainsi, nous estimons qu'on va assister, dans tout le Canada, à l'apparition d'une mosaïque de systèmes de services sociaux variant considérablement d'une communauté à l'autre. C'est injuste et, à notre avis, ce n'est pas canadien. Si on ne peut garantir le même niveau de service dans toutes les communautés, cela va créer davantage de tension et de confrontation entre les gens.

Le président: Merci, madame Brushett.

Monsieur Fudge et monsieur Brown, vous avez résumé de façon claire et percutante le débat sur la question des transferts aux provinces. Évidemment, tous ceux qui sont ici présents ne sont pas nécessairement d'accord sur cette question. Mais je vous remercie encore d'un exposé très soigné.

M. Brown: Merci beaucoup.

.1620

Le président: Notre témoin suivant représente le groupe d'intervention Action santé, qui, je crois, est une organisation à but non lucratif inscrite aux termes de la Loi sur les corporations canadiennes. Nous avons le Dr Pierre Ritchie, directeur exécutif du Canadian Register of Health Service Providers in Psychology; le Dr Léopold Landry, secrétaire général, Association des médecins du Canada; et Sharon Sholzbert-Gray, directrice exécutive, Association canadienne des soins à long terme.

Je crois que ce qui nous intéressera surtout, c'est de voir en quoi Sharon Gray ne sera pas d'accord avec son mari.

Dr Pierre Ritchie (directeur exécutif, Canadian Register of Health Service Providers in Psychology): Monsieur le président, je crois qu'il aura la sagesse d'être d'accord avec sa femme.

Le président: Monsieur Ritchie, nous vous accueillons avec plaisir. Merci d'avoir accepté notre invitation. Je suis désolé d'avoir oublié de mentionner quelques noms.

[Français]

M. Pierre Ritchie (Membre, Groupe d'intervention action santé; membre, Société canadienne de psychologie): Monsieur le président, je vais les présenter. D'abord, au nom du Groupe d'intervention action santé ou HEAL, nous vous remercions de nous avoir accordé cette audience cet après-midi.

Je crois que vous avez déjà présenté Mme Miskell, de l'Association des consommateurs du Canada, Mme Sholzberg-Gray, de l'Association canadienne des soins à long terme, et leDr Léo-Paul Landry, de l'Association médicale du Canada. J'aimerais aussi vous présenter M. Bill Tholl, économiste et conseiller de notre groupe dans le domaine fiscal. Dans la salle, il y a également des représentants de quelques-unes des 27 différentes associations affiliées à HEAL. Je suis leDr Pierre Ritchie et je représente aujourd'hui la Société canadienne de psychologie.

Le Groupe d'intervention action santé ou HEAL est une coalition d'organismes nationaux du secteur de la santé et de défense du consommateur qui se voue à protéger et renforcer le système de soins de santé canadien. Il représente plus d'un demi-million de fournisseurs et de consommateurs de soins de santé.

Le président: En quelle année est-ce que votre groupe a été établi?

Dr Ritchie: En 1991. Ça fait quatre ans à peu près.

Le président: Merci.

Dr Ritchie: Le groupe a été fondé peu après le budget fédéral de 1991. C'est ce budget qui a donné la raison d'être du groupe à ce moment-là.

[Traduction]

Il y a quelques mois à peine, en novembre, HEAL a eu l'occasion de présenter un mémoire au comité. La question qui nous préoccupait surtout, comme elle nous avait d'ailleurs toujours préoccupés depuis la création de HEAL en 1991, était le besoin d'obtenir la certitude d'un engagement financier fédéral important et stable à long terme envers les programmes d'assurance-santé publique du Canada.

La plupart des membres du comité étaient absents cet après-midi pour avoir été appelés en Chambre à voter, mais j'espère que la plupart ont eu l'occasion d'examiner notre mémoire. Nous sommes heureux d'avoir aujourd'hui la possibilité de nous adresser de nouveau au comité sans que les cloches se fassent entendre.

Un certain nombre de choses se sont passées depuis novembre, surtout bien sûr le budget fédéral du 27 février. Ce qui nous intéresse plus particulièrement dans ce budget, c'est le projet de transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux ou TCSPS. Là encore, nous avons préparé un exposé écrit de notre opinion, et, en fait, de nos préoccupations grandissantes quant à l'avenir du financement de la santé par le gouvernement fédéral et ce qui restera des programmes de santé nationaux.

Je voudrais aujourd'hui résumer les principaux éléments de notre mémoire, en respectant l'ordre dans lequel ils ont été rédigés. Nous espérons que beaucoup d'entre vous, et peut-être tous, voudront prendre connaissance du mémoire lui-même.

Notre but pour cet après-midi est donc d'exprimer nos préoccupations ainsi que les stratégies que nous demanderions au comité d'adopter en conséquence. Nous serons également heureux de répondre aux questions éventuelles des membres du comité sur notre mémoire et notre exposé. J'espère que la délégation sera en mesure de répondre à tous les points que vous pourrez soulever.

Nous commençons avec le postulat suivant: L'assurance-maladie publique est maintenant le principal facteur social et politique d'identité nationale et un élément essentiel de la compétitivité internationale du Canada en tant que nation commerciale. Le corollaire est que le gouvernement fédéral a le devoir de faire tout ce qu'il peut pour préserver et protéger l'assurance-maladie publique d'un bout du pays à l'autre.

.1625

Avant leur élection, les libéraux ont dit que leur gouvernement aurait comme priorité la préservation et la protection de notre système de soins de santé universel et la préservation des valeurs qui le sous-tendent.

L'annonce du transfert canadien en matière de soins de santé et de programmes sociaux, dans le budget du 27 février déposé par M. Martin, a conforté le groupe dans sa conviction que le gouvernement fédéral avait l'intention de procéder à un examen en profondeur de son rôle dans le système de santé canadien. Nous estimons que le gouvernement fédéral doit être présent financièrement dans le système de santé pour garantir sa préservation dans son intégralité ainsi que son développement permanent.

Les réformes importantes entreprises dans les systèmes provinciaux et territoriaux sont en train de transformer l'assurance-maladie publique, des réformes qui ont commencé en 1985 et 1986. Il est essentiel que le gouvernement fédéral donne aux provinces et aux territoires un financement suffisant pour leur permettre de procéder à ces changements de façon rationnelle et coordonnée. Dans le cas contraire, le gouvernement fédéral perdra sa crédibilité en ce qui a trait à la mise en application des normes nationales.

HEAL considère que tout nouveau mécanisme de financement de la santé doit à tout le moins tenir compte des questions et préoccupations précises suivantes.

Premièrement, garantir un financement équitable et stable pour la santé. Le TCSPS entérine le retrait, par le fédéral, de son financement aux provinces et territoires en matière de santé, en dépit du programme de péréquation. Les provinces pauvres continueront d'avoir des difficultés à compenser cette perte, ou renonceront tout simplement à le faire, ce qui conduira à de nouvelles inéquités dans les services de santé du pays. Le TCSPS, tel qu'il est actuellement conçu, ne fera qu'aggraver la situation. L'effet de ces réductions se fera plus particulièrement sentir sur les consommateurs de soins de santé et sur les professionnels de la santé.

Deuxièmement, le besoin de préserver des normes nationales. Le gouvernement dit qu'il pourra préserver des normes nationales dans le domaine de la santé, mais il faut qu'il aille au-delà de ce que des ministres provinciaux ont appelé l'affirmation théorique de principes nationaux. Avec la réduction substantielle du financement des régimes d'assurance-maladie dans le cadre du TCSPS, le gouvernement fédéral perdra de cette crédibilité et de ce pouvoir d'influence dont il a besoin pour faire respecter les principes. Si le gouvernement fédéral ne prend pas un engagement financier ferme, à long terme, en faveur des soins de santé, le TCSPS sapera les fondements de la légitimité du gouvernement fédéral en tant que gardien des principes nationaux.

Il est important de souligner à cet égard que le gouvernement n'avait pas besoin de créer le TCSPS pour sauvegarder les principes nationaux, puisqu'il disposait déjà, dans le projet de loi C-20, d'un mécanisme permettant de suspendre le financement dans les cas d'infractions à la Loi canadienne sur la santé. Il semble que le TCSPS vise fondamentalement à contribuer à la réduction du déficit. Le gouvernement fédéral, s'il a l'intention d'aller de l'avant avec ce projet, doit énoncer clairement ses intentions aux Canadiens.

Troisièmement, nous croyons qu'il faut que des comptes soient rendus au Parlement sur cette question. Nous estimons que le projet de TCSPS présente une lacune grave en ce qui a trait à la reddition de comptes et aux responsabilités envers le Parlement. Les contribuables fédéraux envoient leur argent à Ottawa avec certaines attentes quant à la façon dont il sera utilisé. Le transfert global, par définition n'est pas transparent. Il n'indique pas l'ampleur de l'engagement du gouvernement fédéral en faveur de la santé dans le contexte du récent examen des programmes du gouvernement effectué par M. Massé.

[Français]

Quatrièmement, le Groupe a déjà indiqué que le système de santé canadien devrait être examiné dans une perspective à long terme.

Nous avons aussi affirmé le besoin d'un cadre de planification pluriannuel et stable. Nous avons apporté notre soutien au Forum national sur la santé, convoqué par le premier ministre.

Malheureusement, le mécanisme proposé va à l'encontre des efforts, engagés lors du début du Forum, de concevoir le système de santé canadien sous un nouvel angle et de définir les priorités pour l'avenir.

Certes, le gouvernement a prévenu les provinces un an à l'avance quant aux changements prévus, mais une grande incertitude demeure à propos du financement qui sera accordé en 1997-1998 et au-delà.

Il sera donc très difficile aux provinces et territoires de préparer leur réforme et de la mettre en oeuvre d'une façon rationnelle et efficace.

.1630

Cinquièmement, le Groupe est convaincu que les négociations fédérales-provinciales sur l'avenir du financement des programmes sociaux du Canada ne doivent pas se tenir à huis clos. Elles doivent être menées avec tous les intéressés, non seulement avec les ministres des Finances fédéral et provinciaux. Les Canadiens ont indiqué clairement, au cours des dernières anées, qu'ils n'accepteraient plus qu'un petit groupe de négociateurs prennent des décisions capitales pour le développement de leur pays.

Par contre, le Groupe était heureux d'apprendre que le Comité permanent des finances avait recommandé au ministre des Finances de ne pas réduire les transferts effectués aux provinces au titre des soins de santé.

[Traduction]

Pour ce qui est de nos attentes en rapport avec le projet de loi C-76, nous demanderions au comité de faire preuve de la même détermination et de recommander au ministre des Finances, dans les termes les plus nets possible, que les éléments suivants soient intégrés dans tout nouveau mécanisme de transfert du système de la santé pour garantir une forte présence fédérale dans le domaine de la santé à l'avenir.

Premièrement, les contribuables ont le droit de savoir comment leur argent est dépensé. Si une partie du transfert n'est pas nominalement réservée à la santé, le ministre de la Santé n'aura pas de compte à rendre au Parlement sur la façon dont les fonds sont dépensés. HEAL estime qu'il est important que la santé soit traitée à part dans le cadre du TCSPS.

Deuxièmement, le débat sur l'avenir du régime public d'assurance-maladie va prendre une ampleur considérable au cours 12 prochains mois. La crédibilité du gouvernement fédéral sera en jeu s'il ne prend pas l'engagement d'assurer un financement à long terme, qui lui permettra de diriger le débat. Le gouvernement doit déclarer son engagement à transférer aux provinces et aux territoires, de façon constante, des montants importants. Le gouvernement ne peut attendre pour se prononcer sur cette question jusqu'au printemps 1997.

Troisièmement, HEAL a toujours plaidé pour l'existence d'un cadre de planification et de financement stable pour les systèmes de soins de santé provinciaux et territoriaux. Nous croyons fermement qu'un accord quinquennal doit être passé avec les provinces et les territoires, et un accord qui ne peut être modifié unilatéralement.

Enfin, au cours des mois qui viennent, il faudra procéder à des consultations sur plusieurs questions importantes, telles que la détermination d'une nouvelle formule de financement des transferts en matière de santé et de services sociaux. HEAL estime que ces processus ne doivent pas être isolés les uns des autres et appliqués sans l'avis des principaux intervenants non gouvernementaux. Par exemple, il y a un certain nombre d'importants services de santé qui sont présentement financés dans le cadre du RAPC, tels que le soutien à domicile et les soins résidentiels, et ils doivent être pris en considération car ils ont un effet sur la prestation et le financement des services de santé.

[Français]

En résumé, le Budget de 1995-1996 et la Loi d'exécution du Budget qui l'accompagne représentent l'amorce d'un grand changement touchant le financement des soins de santé au Canada par le gouvernement fédéral. Si celui-ci ne fait rien pour préserver son rôle, sa contribution aux programmes sociaux et de santé se trouvera sensiblement réduite au cours des prochaines années. Sa crédibilité sera gravement atteinte s'il décide de se joindre au débat de plus en plus animé sur l'assurance-maladie, sans d'abord s'engager à apporter un soutien financier important et soutenu au système de santé pour l'avenir.

Tandis que le gouvernement fédéral est fermement engagé à tenir ses promesses en matière budgétaire et fiscale, il doit agir de la même manière pour ce qui est de préserver et de protéger l'intégrité de notre système de santé national.

Le ministre des Finances a indiqué sa volonté d'étudier toute idée nouvelle sur la façon de restructurer ou de rationaliser les transferts pour atteindre à la fois les objectifs budgétaires à court terme et, à long terme, ceux qui touchent aux programmes du gouvernement fédéral au chapitre de la santé. Le Groupe a justement quelques nouvelles idées à proposer à l'appui de sa position, position selon laquelle il est impératif d'établir, pour la santé proprement dite, une contribution en espèces minimale qui soit à la fois sûre et durable. Nous comptons travailler avec les pouvoirs publics et d'autres intervenants pour y parvenir.

[Traduction]

Monsieur le président, voilà qui termine notre exposé. Nous serions très heureux de répondre aux questions ou aux commentaires des membres du comité.

Le président: Merci beaucoup, docteur Ritchie.

[Français]

M. Loubier: J'ai deux questions à vous poser. Vous semblez, tout au long de votre mémoire que j'ai eu l'occasion de lire en vous écoutant... on peut faire deux choses en même temps: marcher et mâcher de la gomme. Si je me souviens bien, c'est ce que disait Lyndon Johnson aux États-Unis... je l'ai trouvé fort intéressant.

.1635

Il ressort une chose: est-ce que vous êtes soucieux d'une bonne entente entre le gouvernement fédéral et les provinces? Comment se fait-il que vous ayez appuyé la tenue d'un forum national sur la santé, alors que les provinces, le premier acteur concerné sur le plan de la répartition des pouvoirs, n'ont pas su être ralliées par le gouvernement libéral sur la tenue de ce forum national et les objectifs qu'on y poursuivait? C'est ma première question.

Dr Ritchie: D'abord, je crois que c'était une promesse électorale du Parti libéral de convoquer un forum national sur la santé. Dans ce sens, nous respectons le fait que c'est la prérogative du gouvernement actuel de convoquer ce forum parce qu'en le faisant, il peut respecter sa promesse électorale.

M. Loubier: Docteur Ritchie, vous êtes d'accord sur le fait que, depuis ce temps, les tensions entre les provinces et le gouvernement fédéral, en ce qui a trait à la gestion des soins de santé et aux nouvelles discussions qui pourraient survenir sur une allocation en espèces ou en points d'impôts, sont plus difficiles?

Dr Ritchie: Je ne sais pas ce que sous-tend la question.

M. Loubier: Si vous êtes si soucieux de la stabilité, de la bonne entente et du bon fonctionnement du système de santé au Canada, pourquoi avoir accepté de participer à un forum national, alors que les provinces, qui sont les premières concernées au niveau de la gestion et de la saine gestion de la durabilité, de la stabilité des soins de santé, ont refusé d'y participer parce que les objectifs qui y étaient présentés et le mode de fonctionnement ne leur convenaient pas? Finalement, le forum national a abouti à un échec et il ne va pas aider les relations entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux pour assurer les objectifs que vous poursuivez relativement au système de santé.

Dr Ritchie: Mon collègue aimerait répondre.

Dr Léo-Paul Landry (secrétaire général, Association des médecins du Canada): Premièrement, monsieur le président, nous reconnaissons la conjoncture économique excessivement difficile que nous tous avons vécue depuis quelques années.

Deuxièmement, nous reconnaissons aussi l'importance du système de santé et de la question de la santé pour l'ensemble des Canadiens, d'un océan à l'autre, d'après tous les sondages qu'on a faits, indépendamment des orientations politiques. L'importance du système de santé pour les Canadiens est une constante qui ressort. Quand le gouvernement fédéral nous dit qu'il reconnaît cette importance et qu'il la reconnaît à tel point qu'il veut prendre l'engagement de regarder froidement, objectivement, avec des experts, en consultation avec la population, la base même de notre système de santé et que les Canadiens d'un bout à l'autre du pays nous ont dit que c'était absolument essentiel pour eux de garder leur système de santé, il me semble que le minimum qu'on puisse faire, c'est, au départ, de l'endosser, d'y participer et de faire le maximum qu'on est capable de faire pour revoir cette question afin de respecter la volonté des citoyens d'un bout à l'autre du pays. C'est dans cette optique qu'on a pris l'engagement d'appuyer cette idée de forum de la santé. Ce qui est arrivé par après, l'évolution des dossiers, c'est une chose à laquelle il vous appartient bien plus qu'à nous de répondre.

M. Loubier: Cela ne vous dérange pas que le premier acteur concerné par la gestion des soins de santé ait été absent et ait dénoncé d'un bout à l'autre du pays le forum, ses objectifs et la façon dont le gouvernement fédéral a procédé en l'écartant du dossier?

M. Landry: Qui est le premier acteur?

M. Loubier: Les provinces. Ce sont elles qui s'occupent de la gestion du système de santé.

M. Landry: Je me demandais si vous vouliez dire le patient ou les provinces. Comme je vous l'ai dit, c'est la même question que tout à l'heure; on n'a pas l'intention d'aborder cela. C'est la dynamique qui vous concerne. Tout ce qu'on dit, c'est que l'importance du système de santé pour tous les Canadiens d'un bout à l'autre du pays se reflète dans toutes les enquêtes qui ont été faites.

Deuxièmement, nous nous sommes engagés à préserver le système de santé et à répondre à la volonté, aux attentes de la population.

Dr Ritchie: La seule chose que je pourrais ajouter à la réponse est la suivante: nous reconnaissons - et c'est la situation depuis plusieurs décennies mêmes - que nous sommes en train de débattre de nouveau notre régime constitutionnel. À l'heure actuelle, nous avons un régime constitutionnel.

Le gouvernement a le pouvoir de dépenser et, à l'intérieur de ce pouvoir, nous avons décidé de plaider le mieux possible pour un système meilleur pour tous les citoyens du pays tel que constitué à l'heure actuelle. Même s'il y avait un changement constitutionnel basé sur le fait d'assumer qu'il y aura toujours un lien économique à travers les juridictions qui existent à l'heure actuelle, il serait important pour la rentabilité économique de toutes les régions du pays de maintenir l'intégrité du système de santé.

M. Loubier: Docteur Ritchie, ce n'était pas le sens de ma question. Il n'y a pas que le Québec qui a refusé de participer au forum national. Les gouvernements des provinces ont refusé.

Je vais passer tout de suite à ma deuxième question, parce que j'aimerais avoir un éclaircissement. Quand vous parlez de stabilité dans le financement du gouvernement fédéral et d'engagement au cours des prochaines années à maintenir ce financement, pourquoi parlez-vous de financement en espèces et non pas de transferts de points d'impôt, ce qui est une plus grande sécurité que les transferts en espèces auprès des provinces?

[Traduction]

M. Bill Tholl (représentant, Groupe d'intervention Action santé): Nous reconnaissons le transfert de points d'impôt. Il s'agit de recettes auxquelles renonce le gouvernement fédéral. Dans notre proposition détaillée à M. Martin et aux responsables des Finances, nous avons explicitement reconnu le transfert de points d'impôt.

Mais pour ce qui est de faire respecter les normes de santé nationales, si vous examiner la Loi canadienne sur la santé, ce sont les versements en espèces qui compte. Vous ne pouvez retenir la valeur d'un transfert de points d'impôt. Il n'y a rien dans ce projet de loi qui garantit à long terme des versements en espèces dans le cadre du TCSPS.

Nous sommes particulièrement inquiets de l'incertitude que ce projet de loi entraînerait après la deuxième année. En fait, il est reconnu dans une des dispositions du projet de loi lui-même que le financement tombera à zéro. L'article 14, à la page 24, parle d'un «exédent éventuel» subsistant après l'effet d'éviction des transferts fiscaux. Cet effet d'éviction se produira de temps à autre. Le gouvernement a trouvé le moyen de gagner du temps. Mais inévitablement, si rien ne change, le financement tombera à zéro. À ce moment-là, avec le TCSPS, les principes de l'assurance-santé nationale deviennent inapplicables.

M. Grubel: Je voudrais qu'on s'attarde sur un point pour un instant. Je voudrais savoir ce que vous pensez, avec les compétences qui sont les vôtres, de l'idée partagée par presque tous les économistes de la santé et selon laquelle l'un des principaux problèmes que nous avons au Canada, aux États-Unis et dans les autres pays industrialisés, est la surconsommation de services de soins de santé en raison de l'absence de franchises et de coassurance.

Bon, je connais l'argument contre les franchises: il y a des pauvres qui n'ont pas les moyens de payer une franchise de 500$ sur leur consommation annuelle de services médicaux.

Aux États-Unis, si je peux me servir de cet exemple, les assureurs privés ont modifié leur système de franchise en créant ce qu'ils appellent des comptes de prévoyance médicale. Vous connaissez? Pour ceux qui ne savent pas ce que c'est, disons que ça consiste à verser 500$ ou 1 000$ aux assurés au début de l'année. Toute consommation de services médicaux pendant l'année qui suit doit être financée sur les 1 000$ qui leur ont été versés au début de façon à ce qu'ils ne puissent pas dire, je n'ai pas pu aller chez le docteur parce que je n'avais pas d'argent. À la fin de l'année, ils sont autorisés à conserver à titre de revenu toute somme qui n'a pas servie à des visites médicales. Au delà de ces 1 000$, les frais sont couverts comme au Canada.

Maintenant, ce qui est intéressant, c'est qu'après la restauration des mécanismes du marché, des mécanismes normaux qui entrent en jeu dans la consommation de tous produits et services au pays, la demande de services médicaux a baissé radicalement dans le cas des compagnies qui ont adopté ce système.

.1645

À mon avis, il serait possible de faire quelque chose du genre au Canada, et ça supprimerait instantanément un facteur qui pousse à la demande de services qui en sont maintenant presque au point de ne plus pouvoir fournir.

Je me demande ce que vous pensez, en tant qu'expert, de l'adoption éventuelle de cette idée au Canada.

Dr Ritchie: Je demanderais à M. Tholl de faire un commentaire d'un point de vue technique.

Pour moi-même, parlant du point de vue des fournisseurs de services, je crois que nous devons faire très très attention - je dis ceci pour avoir travaillé dans les deux systèmes, américain et canadien - quand on fait des généralisations d'un système à l'autre, parce que notre tradition, en matière de soins de santé, est très différente de celle des États-Unis. Nous n'avons pas un système à deux voies, un système bilatéral pour les riches d'un côté et les pauvres de l'autre.

En tant que fournisseur de soins de santé, je crois qu'il faut abandonner ce mythe que les Canadiens sont des surconsommateurs de leur système de santé.

Deuxièmement, les données que j'ai vues laissent penser que ça ne marche pas, que si le but est de décourager les abus, ce qui est en soi un but raisonnable, ce système ne marche pas.

M. Grubel: Pourquoi ne pas laisser la parole à celui qui en sait quelque chose? Ce n'est visiblement pas votre cas.

Dr Ritchie: Libre à vous de le penser, monsieur.

M. Grubel: Ce sont les dernières données sur les comptes de prévoyance. Il y a bien quelques économistes de la santé qui partagent votre point de vue. C'est un fait, empiriquement établi et vérifiable, que lorsque vous donnez de l'argent aux gens et que vous leur dites qu'ils peuvent le conserver s'ils ne l'utilisent pas en soins de santé, il y aura une baisse sensible de la consommation. Cela n'a rien à voir avec le système américain. Ce sont des compagnies d'assurance qui font cela, de leur propre intiative. Cela n'a rien à voir avec l'ensemble du système.

Je voudrais savoir ce que l'expert en pense.

M. Landry: Puisque vous avez l'air d'en savoir autant là-dessus, peut-être que vous pouvez nous dire pourquoi vous pensez que la réduction de la demande est une bonne chose et quelles en seront les répercussions sur la santé.

M. Grubel: Parce que pour les particuliers comme pour la société dans son ensemble, il n'est pas possible de tout avoir gratuitement.

Lorsque le gouvernement de la Colombie-Britannique a lancé l'idée qu'il faut réparer la moindre égratignure sur une automobile parce que, autrement, ça pourrait endommager la voiture et que ça coûtera moins cher à long terme pour les compagnies d'assurance de Colombie-Britannique de permettre la réparation gratuite de chaque petit problème sans versement d'une franchise et sans coassurance, le programme a dû être abandonné au bout de six mois parce qu'il y avait une surconsommation.

C'est la même chose pour la santé. Quand les gens savent que ce n'est pas gratuit, ils doivent se modérer d'une façon ou d'une autre.

Mme Sharon Sholzberg-Gray (directrice exécutive, Association canadienne des soins à long terme, Groupe d'intervention Action-Santé): Je voudrais juste dire un mot, évidemment pas comme économiste de la santé, mais comme quelqu'un qui essaie d'aider les personnes âgées de ce pays.

Je trouve incroyable qu'on puisse proposer que les personnes âgées, par exemple, qui dépensent plus de 1 000$ par an en soins de santé, en particulier lorsqu'elles souffrent de problèmes chroniques, soient encouragées à ne pas demander les soins dont elles ont besoin et de rester à la maison sans soins à domicile et sans le genre d'assistance dont elles ont besoin. Qu'est-ce qui va se passer si vous leur donnez un montant forfaitaire de 1 000$? La plupart des personnes âgées sont d'une génération qui a un tel sens de l'économie qu'elles essaieront probablement de ne pas dépenser l'argent et de le passer à leurs petits-enfants. Ça pose tout un problème.

Je ne sais pas si votre étude et si les études de tous ces experts ont analysé combien il faudra dépenser en plus pour le système de santé parce que des gens se seront privés de soins pour empocher des 1 000$, avec pour résultat des maladies plus sérieuses en bout de ligne.

Je ne veux pas me mêler de ce débat parce qu'il est abstrait, et toute la question est de savoir si l'on va économiser de l'argent en fin de compte. Cependant, il semble que dans l'hypothèse où votre système fonctionne, vous en viendrez à verser des sommes d'argent différentes à différents groupes de population en fonction de l'état de santé qu'ils ont à un âge donné, si bien qu'en dernière analyse, ça reviendra au même.

Le président: Je suis content que vous vous soyez mêlé du débat. Merci beaucoup.

M. Campbell (St. Paul's): Le temps nous pressant, j'aimerais revenir aux questions que vous avez abordées. Nous pouvons réserver la recherche pour un autre jour. Dans votre exposé, vous mettez l'accent sur la reddition de comptes au Parlement, ce qui n'est pas étonnant, puisque vous êtes ici pour ça, et vous parlez de la possibilité de réserver nominalement un certain montant pour la santé dans le transfert. Pouvez-vous en dire un peu plus là-dessus? Est-ce que vous voulez dire que vous seriez prêts à envisager un système de transfert global, mais dans lequel il y aurait une certaine ventilation qui vous permettrait de dire que tel montant est destiné à la santé? Quelles seraient les conséquences de cet arrangement, et qu'est-ce que vous espéreriez obtenir avec ça?

.1650

M. Tholl: Je veux dire un mot là-dessus. Le comité n'ignore pas que le mécanisme de FPE antérieur comprenait une allocation nominale séparant la santé de l'éducation postsecondaire. En fait, pendant des années et dans bien des budgets, la santé était traitée séparément. Je ne remonte pas à l'époque du contrôle des prix et des salaires.

Il y a un précédent pour le traitement séparé de la santé. C'est ce que notre groupe demande au comité de prendre en considération. En fait, nous avons proposé quelque chose de détaillée; nous serions heureux de discuter des rouages du mécanisme avec le comité, le greffier et le ministère des Finances.

En gros, il s'agit d'un financement global de FPE élargi, et pas d'un financement global du genre TCSPS. Plutôt qu'une répartition de 67,9 et 32,1 p. 100 respectivement pour la santé et l'éducation postsecondaire, les points d'impôt et les liquidités seraient répartis proportionnellement entre les trois programmes, ce qui les rendraient disponibles, soit dit en passant, quel que soit le montant des versements en espèces. Nous serions en faveur d'une contribution en espèces importante, que nous n'avons pas définie. Mais cela marcherait. Cela serait nominal en ceci qu'un chèque serait toujours remis aux provinces. C'est un point qui souvent fait diversion dans ce domaine. Nous ne sommes pas intéressés de savoir combien de chèques traversent la rue Sparks pour passer des comptes fédéraux à ceux des provinces.

Ce que nous intéresse, c'est de savoir qui se lève à la Chambre des communes et répond à la question, combien le gouvernement fédéral dépense-t-il pour nos programmes publics d'assurance-maladie? Avec ce projet de loi, la réponse est tout ou rien. Vous aurez toute la gamme des possibilités tant les gens se battront pour les 10,3 milliards de dollars restant en liquidités après que la poussière sera retombée.

M. Campbell: On pourrait tout aussi bien reprocher aux provinces de ne pas dépenser la même somme pour la santé.

Mme Scholzberg-Gray: Nous savons tous que les provinces dépensent plus pour la santé que le gouvernement fédéral ne transfère dans tous les cas. En fait, c'est là un des problèmes: le pourcentage de la contribution fédérale n'a cessé de baisser. Vous vous souviendrez peut-être que lorsque le gouvernement fédéral a lancé l'assurance-maladie publique - je suis juste assez vieille pour m'en rappeler - c'était sur une base de partage des coûts à 50-50. Bien sûr, la proportion fédérale s'est progressivement érodée. La question est de savoir, dans quelle mesure le gouvernement fédéral doit-il être présent pour pouvoir faire respecter ses normes nationales?

Deuxièment, le gouvernement fédéral ne devrait-il pas jouer un rôle positif, plutôt qu'un rôle punitif? Il ne devrait pas dire, si vous ne faites pas ceci, on vous enlève cela, et on pourrait en verser plus pour faire bonne mesure. Il devrait plutôt demander ce qu'il peut faire de positif pour aider au financement, à la conception et à réalisation du système de soins de santé de l'avenir que les Canadiens et les provinces et le gouvernement fédéral décideront d'avoir. Il doit être positif, il me semble. Je ne suis pas sûre que l'esprit de ce transfert soit aussi positif qu'il ne devrait l'être. J'ai l'impression au contraire que la pénalité a été rendue plus lourde.

Par ailleurs, le gouvernement fédéral fait payer des impôts fédéraux aux Canadiens dans un but précis, celui de fournir des services comparables dans certains secteurs. Il a certaines priorités. En fait, le présent gouvernement a été très strict quant à ses priorités, aux comptes qu'il doit rendre à leur sujet et à la décision de ce que le gouvernement fédéral doit faire et ne pas faire.

Dans ces conditions, s'il estime que l'assurance-maladie publique est importante pour des raisons de santé et de compétitivité économique et toutes les autres raisons souvent citées, alors il doit dire combien il est prêt à y mettre. Il ne peut pas dire qu'il ne sait pas exactement, que cela dépend des provinces, qu'elles répartissent les fonds comme elles l'entendent, qu'elles n'ont qu'à respecter les normes et qu'elles ne s'occupent pas du reste.

Je suis bien d'accord qu'on ne peut pas tout comptabiliser au dollar près. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Je crois que l'affectation nominale qui existait dans le passé est très importante pour l'avenir.

En fait, si vous regardez le budget de 1994 - pas celui de 1995 - l'approche est totalement différente. En 1994, l'éducation était traitée différemment de la santé. La clause d'indexation du transfert de santé allait être restaurée. Le transfert du RPC était également traité entièrement différemment, le gouvernement indiquant qu'il voulait des réformes, dans les services sociaux et le bien-être, qui permettent d'économiser tant.

Le gouvernement a donc divisé ces trois éléments et dit comment il voulait que cela soit traité. Et l'année suivante, il dit qu'il vaudrait mieux les traiter globalement. Je crois qu'il devrait y penser de nouveau et voir si des affectations nominales ne seraient pas le meilleur moyen d'atteindre ses buts.

M. Campbell: Merci.

Le président: Merci, monsieur Campbell.

L'une des choses qui me frappe dans votre rapport, c'est que vous n'êtes pas venus ici pour vous plaindre de notre besoin de réduire le déficit et de la façon dont nous avons traité l'ensemble du secteur. Vous ne vous êtes pas plaints. Quand je regarde ce que vous dites à propos de la façon dont les coupes ont été faites dans le secteur de la santé, je vois que vous parlez au nom d'un groupe remarquablement représentatif des fournisseurs de services de soins de santé dans notre pays.

Mme Scholzberg-Gray: Et des consommateurs.

Le président: Et des consommateurs, et Herb Grubel.

Je crois que vous avez de bons arguments à propos de la reddition de comptes. On connaît la musique. Des citoyens se plaignent de ce qu'il n'y a pas assez d'argent pour l'éducation postsecondaire, et je leur dis que ce n'est pas de notre faute. Ils se plaignent de la province et la province leur dit que c'est la faute du gouvernement fédéral. Je crois que la question de savoir qui est responsable en fin de compte sur le plan politique se posera de plus en plus fréquemment dans l'évolution de notre fédéralisme.

.1655

Je crois que vous soulevez un point très important. Que faire? Personnellement, je serais intéressé à voir le rapport plus en détails que vous avez remis à M. Martin. Je suis sûr qu'il en est de même pour les autres membres.

Dr Ritchie: Nous en avons un exemplaire pour vous. Nous croyons vraiment que c'est un rapport sérieux et très bien pensé. Je dirais qu'il intègre une bonne expertise, parce qu'en tant que fournisseurs de soins de santé, nous ne prétendons pas être des fiscalistes.

Mais je soulignerai une chose que nous avons clairement débattue entre nous, non sans un peu d'animation, comme vous pouvez l'imaginer. L'une des autres choses qui nous inquiète vraiment dans cette question, c'est l'ampleur des coupes déjà faites. Nous avons délibérément décidé de ne pas venir ici pour vous dire que nous avons déjà subi des coupes de dizaines de milliards de dollars au cours des sept dernières années.

Les dépenses de santé se sont stabilisées. Nous sommes sortis de cette période d'indexation sans limite et de spirales exponentielles. Cela fait déjà maintenant plusieurs années. La cure d'amaigrissement a été faite, c'est le moins qu'on puisse dire.

Nous acceptons notre part de responsabilité dans la tâche qui consiste à nous attaquer, tous en tant que citoyens, au besoin de stabiliser les budgets et d'assainir le système financier. Nous voulons simplement qu'on ne prenne pas l'accessoire pour l'essentiel lorsqu'il s'agira d'apporter les mesures correctives nécessaires. Je crois que c'est dans cet esprit que nous sommes venus ici aujourd'hui. Il s'agit vraiment d'être constructifs, de faire ce qu'il y a à faire efficacement.

Le président: Merci beaucoup de nous avoir fait part de cette approche très constructive.

Il y aura une pause de deux minutes.

.1700

PAUSE

.1705

Le président: Nous accueillons maintenant le Bureau des métiers de la construction et ses représentants, Guy Dumoulin, secrétaire exécutif; Phil Benson, directeur de la Recherche et des affaires législatives; et Joseph Maloney, adjoint au secrétaire exécutif.

Messieurs, vous n'êtes pas des étrangers pour le comité. Nous vous avons probablement vu plus souvent que quiconque. Nous vous remercions encore d'avoir pris le temps de venir témoigner. Bienvenue.

M. Guy Dumoulin (secrétaire exécutif, Bureau des métiers de la construction): Monsieur le président, nous sommes très heureux d'être ici. Notre exposé, ce soir, sera très bref, ce qui ne veut pas dire qu'il sera sans substance. Nous répondrons après aux questions que vous pourriez vouloir nous poser.

Le Bureau des métiers de la construction est une organisation du monde du travail constituée par 14 syndicats internationaux affiliés représentants plus de 400 000 travailleurs hautement spécialisés de l'industrie du bâtiment et de la construction. Je ne vous donnerai pas la liste; vous pourrez la lire par vous-mêmes si vous le souhaitez.

Nous remercions le Comité permanent des finances de nous donner cette occasion de faire cet exposé.

Nous avons fait quatre suggestions principales dans notre mémoire au comité pendant les consultations prébudgétaires. Nous avons suggéré une taxe minimale sur les bénéfices des sociétés. Le gouvernement a effectivement augmenté l'impôt sur les sociétés, et c'est un bon début. Nous sommes toujours en faveur d'un taxe minimale sur les bénéfices des sociétés. Nous estimons également qu'il faut examiner soigneusement les échappatoires et les déductions et les supprimer progressivement.

Nous avons demandé au gouvernement de laisser la réforme de l'assurance-chômage au processus en cours dirigé par le ministre Axworthy et de ne pas réduire spécifiquement l'assurance-chômage dans le budget. Nous lui avons demandé de ne pas imposer de nouveaux impôts sur les régimes de santé et de prestations. Enfin, nous lui avons demandé d'agir pour lutter contre l'économie souterraine dans l'industrie de la construction.

Depuis ces quelques années que nous comparaissons devant ces comités, c'est vraiment une première. Dans l'ensemble, nous tenons à remercier le comité et le ministre de nous écouter, nous et les autres Canadiens qui partagent nos préoccupations. Cela fait plaisir de voir le processus de consultation validé par des résultats concrets.

Comme vous le savez sans doute, les métiers de la construction participent pleinement au processus de réforme de l'assurance-chômage. Nous travaillons avec le ministre Axworthy et avec les représentants du ministère à apporter de nouvelles solutions à de vieux problèmes. Le budget a peut-être fixé quelques lignes directrices financières, mais il semble ne pas avoir touché au processus de réforme, ce qui est bien.

Nous espérons qu'à l'avenir, une nouvelle forme de gestion tripartite de l'assuranc-chômage rendra inutile notre comparution devant ce comité pour discuter de cette question. Nous ne nous opposons pas à l'excédent du fonds de l'assurance-chômage, mais nous voudrions vous rappeler que l'assurance-chômage est financée entièrement par les travailleurs et les employés. Cet argent n'appartient pas au gouvernement.

.1710

Nous comprenons le problème que le déficit pose au gouvernement. Nous craignons, avec nos membres, que l'imposition des régimes de santé et de prestations puisse passer pour une source lucrative de nouvelles recettes fiscales, mais les conséquences de l'affaiblissement des régimes et de la réduction des soins de santé n'en valent pas la peine. Nous sommes très heureux que le comité nous ait appuyés ainsi que les autres Canadiens en rejetant cette idée. Peut-être que, contrairement à d'autres groupes qui ont comparu devant vous, nous n'avons pas proposé de nouvelles sources de revenu au gouvernement. Nous avons demandé que le gouvernement perçoive chaque dollar qui lui est dû avant de faire des coupes. Nous lui avons demandé de s'attaquer à l'économie souterraine dans l'industrie de la construction, et c'est ce qu'il fait.

Les métiers de la construction collaborent avec le gouvernement depuis qu'il est arrivé au pouvoir pour trouver des solutions à ce problème. Nous sommes heureux de constater que la motion de voies et moyens contient en substance l'une de nos recommandations. Elle concerne les individus qui utilisent la sous-traitance pour participer à l'économie souterraine dans l'industrie de la construction.

On nous a demandé de prendre part au processus de consultations avant l'adoption de la loi, qui devrait se produire plus tard au cours de l'année. Nous allons le faire. Nous offrons notre aide au comité, et nous ferons tout notre possible pour mettre un terme à l'économie souterraine dans notre industrie.

Nous avons fait part de nos suggestions et recommandations au comité dans le passé, et nous le faisons encore aujourd'hui. Le tableau suivant contient plusieurs méthodes pour créer une piste documentaire susceptible d'aider Revenu Canada à débusquer les fraudeurs. Nous croyons que cela marcherait sans augmenter les coûts, et sans imposer un fardeau supplémentaire aux contribuables canadiens honnêtes.

Ici, je dois laisser Joe Maloney expliquer notre plan d'action, puisque c'est lui qui parcourt le pays pour l'expliquer à nos membres.

M. Joseph Maloney (adjoint au secrétaire exécutif, Bureau des métiers de la construction): Merci. En effet, nous ne voulons pas imposer un fardeau supplémentaire aux employeurs honnêtes qui respectent le système. Nous avons parlé dans le passé de la possibilité d'imposer une retenue d'impôt à la source ou quelque chose de ce genre. Cela a été rejeté par l'industrie, parce que cela rogne sa marge brute d'autofinancement. Nous essayons donc constamment de trouver de nouvelles manières de dresser des obstacles devant ceux qui opèrent dans l'économie souterraine de l'industrie de la construction.

Un point sur lequel je voudrais insister, c'est celui de la piste documentaire, que nous souhaiterions voir créer sous une forme ou une autre. Tous ceux qui travaillent dans l'industrie de la construction travaillent à titre d'entrepreneurs, spécialisés ou indépendants. Nous disons que tous les entrepreneurs de l'industrie de la construction doivent être agréés à ce titre par une association professionnelle, propre à cette industrie ou non. Il y a des associations d'entrepreneurs dans tout le pays. Cette association serait chargée d'inscrire les entrepreneurs et de leur donner des numéros d'identité, des espèces de cartes d'identité, portant un numéro d'assurance sociale ou un numéro de TPS, ou quelque chose du genre.

Le gouvernement pourrait alors adopter une loi obligeant les acheteurs de construction à ne faire affaire qu'avec des entrepreneurs inscrits. Seuls les entrepreneurs inscrits seraient autorisés à acheter des matériaux de construction à des fins professionnelles. En d'autres termes, ceux qui iraient au magasin acheter du bois ou des matériaux de construction devraient, au moment de payer, préciser si c'est à des fins commerciales ou à des fins personnelles. Si c'est à des fins commerciales, ils devraient montrer leur carte d'identité et indiquer où les matériaux seront installés, et ils devraient signer la facture sur laquelle serait indiquée ces renseignements, ce qui permettrait de créer une piste documentaire. Et si c'est à des fins personnelles, on n'aurait qu'à le préciser, à signer, et cela aussi créerait aussi une piste documentaire.

Nous voudrions que la facture porte un avertissement quant aux conséquences du travail au noir. Nous croyons que la grande majorité des Canadiens sont des gens honnêtes et que lorsqu'ils verront ce genre d'avertissement sur les factures, ils penseront deux fois avant de faire quelque chose d'illégale. Nous ne disons pas que c'est la solution ultime au problème de l'économie souterraine, mais nous disons que c'est un moyen d'y faire obstacle. Cela ne coûte rien à personne; il s'agit simplement de mettre en place l'administration nécessaire.

.1715

Si le gouvernement adopte de telles mesures, nous serons bien placés pour le renseigner dans l'industrie de la construction. Si on crée un numéro 1-800 pour les plaintes, nous pourrons vous dire qui se livre au travail au noir parce que nous voulons nous débarrasser de ce genre d'individu autant que vous. Il ruine tout nos plans, il fausse le régime de l'assurance-chômage et de tout le reste.

Ce n'est qu'une autre idée que nous soumettons au comité, et qui pourrait être transmise à Revenu Canada, qui la compléterait avec les siennes propres, et nous en aurons d'autres. S'il est possible de mettre au point quelque chose, nous serions très heureux d'apporter notre aide.

M. Dumoulin: Quelque chose nous préoccupe tout particulièrement au sujet du budget, et nous sommes sûrs que c'est un point dont le comité a bien conscience. L'adoption d'un financement global pour les programmes sociaux est inquiétante. Nous craignons vraiment que le financement global conduise à l'apparition d'une mosaïque de services sociaux dans le pays. Le service aux Canadiens s'en trouvera détérioré.

Nous craignons que l'adoption d'un financement global sape vraiment les efforts que nous déployons pour créer des normes nationales de formation et d'apprentissage dans l'industrie de la construction. Les normes de formation nationales sont une partie importante de la réforme de l'assurance-chômage et sont appuyées par l'industrie. Nous ne voudrions pas que la formation soit fragmentée et que le financement global vienne fragiliser les normes qui sont proposées. Nous demandons au comité d'examiner cette question et de nous dire si le financement global pourrait entraîner le retrait du gouvernement hors de ce secteur.

Nous sommes particulièrement inquiets au sujet du régime public d'assurance-maladie. Tous les Canadiens y tiennent. Le Livre rouge déclare qu'il est une expression de l'attachement du Canada à la dignité humaine. En outre, le gouvernement fédéral ne peut et ne doit pas, à lui seul, dicter toutes les réponses et les solutions. Cependant, le Parti libéral estime que le gouvernement fédéral doit faire en sorte que les priorités nationales des Canadiens soient cernées et que des efforts concertés soient faits pour s'y attaquer. Il prévoit également la convocation d'un forum national sur la santé pour examiner la prestation de ce régime.

L'adoption du financement global peut imposer des limites financières à la réforme de la politique sociale, mais elle peut également fixer l'orientation de ces réformes. La privatisation ou un système à deux voies sont impensables. Si le gouvernement fédéral perd son moyen de pression en adoptant le financement global, cela pourrait arriver. Ce serait regrettable, compte tenu des engagements pris dans le Livre rouge et aussi, si nos craintes sont fondées, toutes menaces à l'universalité de la protection doit être condamnées.

Pour notre part, nous avons exprimé nos préoccupations très clairement au comité et au gouvernement. Les métiers de la construction surveilleront la situation de très près pour le compte de nos organisations affiliées et de nos membres.

Nous remercions le comité de nous avoir invités à comparaître devant lui. Nous espérons sincèrement que vous tiendrez compte de nos recommandations et de nos préoccupations lorsque vous ferez votre rapport au Parlement. Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Dumoulin. Monsieur Grubel.

M. Grubel: Monsieur Maloney, j'ai entendu dire récemment, et je n'en sais pas plus, qu'en Australie, pour s'attaquer au problème de l'économie souterraine, ils obligent les gens qui achètent les services de réparations domiciliaires et des choses de ce genre à transmettre la TPS équivalent à leurs achats au gouvernement.

En d'autres termes, la raison pour laquelle on s'en tire si souvent à bon compte, c'est que les gens qui achètent les services de travail au noir restent en dehors du coup. Ils laissent le risque aux autres. Apparemment, c'était une façon de lutter contre ça. Est-ce que vous étiez au courant?

M. Maloney: Pas exactement, mais c'est un fait que les gens, quand ils achètent les matériaux de construction, payent la TPS au point de vente. L'économie souterraine tourne grâce au comptant. Si vous voulez faire agrandir ou rénover votre maison, vous demanderez quel prix on vous fera si vous payez comptant. La personne qui fait le travail achète les matériaux et paie la TPS sur ces matériaux, mais le travail même...

.1720

Le président: J'en appelle au Règlement, monsieur Maloney. Je préférerais que vous ne disiez pas à Herb comment il peut éviter de payer la TPS.

M. Maloney: D'accord.

Le président: Je remarque qu'il s'empresse de prendre des notes.

M. Grubel: En tant que membre du Comité des finances, nous savons déjà tout cela pour avoir participé aux audiences sur la TPS.

Je me demandais si vous connaissiez cette nouvelle démarche adoptée par certains pays aux prises avec le même problème.

M. Dumoulin: Nous sommes au courant de certaines des démarches adoptées par d'autres pays. La retenue d'impôt dont a parlé M. Maloney est l'une des méthodes utilisées dans certains de ces pays.

Nous semblons avoir de la difficulté à convaincre nos homologues que cette solution pourrait convenir. C'est pourquoi nous explorons d'autres possibilités.

M. Maloney: Nous ne voulons pas bloquer les fonds des personnes qui respectent la loi, et c'est ce que nous risquons de faire en effectuant une retenue d'impôt.

M. Dumoulin: Je ne sais pas si vous le savez, mais l'économie souterraine représente des milliards de dollars. Certains citoyens de notre pays ne paient pas leur juste part, ce qui est tout à fait inacceptable. Et parce que ces gens-là ne paient pas leur dû, c'est le reste de la population qui doit payer pour eux. C'est pourquoi nous avons un problème de taille à régler.

M. Grubel: Puisque vous insistez, laissez-moi vous dire que j'ai assisté à une conférence sur l'économie souterraine, où j'ai appris qu'il y avait une différence entre la valeur brute du montant des réparations domiciliaires dont on entend toujours parler. La valeur brute comprend les cloisons sèches, les appareils sanitaires et d'autres choses de ce genre sur lesquelles est prélevée la TPS et pour lesquelles on ne peut obtenir un remboursement. Ce n'est qu'au niveau de la valeur ajoutée qu'il y a vraiment un problème, c'est-à-dire la partie des services de réparation qui ont trait à la main-d'oeuvre. Il s'agit, dans le cas des secteurs d'activité qu'on associe le plus fréquemment à l'économie souterraine, des réparations d'automobiles, des réparations domiciliaires, de la cordonnerie et de quelques autres services de ce genre. Ensemble, ils représentent au plus 2 ou 3 p. 100 du PIB.

On a l'impression qu'il s'agit de dizaines de milliards de dollars, mais lorsqu'on examine les chiffres qui nous intéressent vraiment, c'est-à-dire la valeur ajoutée dans les industries où le problème se présente, on s'aperçoit que le montant des recettes dont est privé le gouvernement est loin d'être aussi élevé que ne le laissent croire les chiffres bruts.

M. Walker (Winnipeg-Nord-Centre): Mais 3 p. 100 du PIB représentent environ 22 milliards de dollars, si je ne me trompe?

M. Grubel: Oui, mais c'est une somme relativement peu élevée comparativement à ce que nous percevons.

M. Dumoulin: J'espère que vous n'êtes pas en train de dire que l'économie souterraine n'est pas vraiment un problème et que nous devrions passer à autre chose. J'estime qu'il s'agit d'un grave problème et que vous en sous-estimez l'ampleur. On avance toutes sortes de chiffres, et ces chiffres ne viennent pas de nous. Les estimations vont de 30 milliards de dollars à 70 milliards de dollars et dépassent parfois même les 100 milliards de dollars. Chose certaine, il s'agit d'un montant considérable.

M. Grubel: Le montant est encore plus élevé. Je connais toutes les estimations qui ont été faites à ce sujet.

M. Dumoulin: Je paie mes impôts chaque semaine, lorsque je reçois mon chèque de paie, et je trouve injuste que ces gens-là n'en fassent pas autant.

M. Grubel: Vous avez tout à fait raison.

M. Dumoulin: C'est ça qui ne me plaît pas.

M. Grubel: J'ai été provoqué par ce monsieur.

Notre intervention demeure justifiée, et je n'ai fait que vous proposer une solution.

M. Walker: J'aurais une question à vous poser à propos de l'économie souterraine. En avez-vous fait part à Revenu Canada? En avez-vous discuté avec ce ministère, ou voulez-vous que nous le fassions?

M. Dumoulin: Nous avons rencontré des représentants de Revenu Canada il y a environ un an. Ils ont pris des dispositions à ce sujet. Nous collaborons avec eux. Il s'agit d'un long processus, et la tâche n'est pas facile. Si vous pouviez leur transmettre notre message encore une fois, nous vous en serions reconnaissants. On ne pourra jamais le répéter trop souvent.

M. Walker: Le président s'en chargera.

M. Dumoulin: Nous nous sommes aperçu que plus on en discute, plus on a de chances d'obtenir des résultats.

M. Walker: Précisément!

À la page 5, vous faites part de certaines de vos préoccupations. Nous avons entendu les témoignages de plusieurs personnes qui s'inquiètent au sujet du financement global, et nous allons donc tenir compte de leur préoccupation. J'aimerais avoir des éclaircissements au sujet des normes nationales de formation. Je doute qu'il y ait quoi que ce soit dans ce que nous faisons à l'heure actuelle dans le domaine des transferts sociaux et des transferts liés à la santé qui ait trait à la question de l'apprentissage. À ce que je sache, rien dans ce que nous faisons, directement ou indirectement, ou dans ce que nous proposons, n'a une incidence sur les fonds que distribue Ressources humaines Canada pour la formation. Le cadre financier a un impact sur ces sommes, de même que sur les fonds destinés aux collèges communautaires, par exemple, mais rien n'est prévu à cet effet dans nos projets de restructuration ni dans ce projet de loi.

.1725

L'une des questions ayant trait à l'assurance-chômage que nous examinons présentement concerne la constitution d'un excédent dont on pourra se servir pour offrir de la formation et réduire les cotisations. Le débat se poursuit, et, de toute évidence, nous n'avons pas réussi à nous entendre sur ce que nous considérons comme étant la matrice parfaite. Nous sommes bien disposés à en discuter. Vous verrez que M. Axworthy, en particulier, tient beaucoup à ce qu'une bonne partie du fonds continue à être réservée à la formation. Certaines personnes pourraient ne pas être d'accord - et c'est bien souvent comme cela en politique - mais c'est ce que nous essayons de préserver. Pour ce qui est de savoir si nous avons un excédent suffisant, cela dépend de la façon dont on entrevoit l'évolution de l'économie cyclique. Nous avons vaincu une situation épouvantable la dernière fois, et le programme a failli perdre toute sa crédibilité, malheureusement. Nous voulons maintenant rétablir cette crédibilité.

Je vois ce que vous voulez dire. Je tenais tout simplement à vous certifier que nous ne faisons rien directement. Si vous entendez parler de quelque chose, faites-le-nous savoir. Avant de le déclarer publiquement, j'ai vérifié auprès des responsables, qui m'ont affirmé que nous ne faisions rien à ce sujet.

M. Dumoulin: Nous sommes ravis de l'entendre, si c'est le cas. Ce sujet nous préoccupait. Nous avons posé une question, et vous nous avez donné une réponse. Nous sommes donc très heureux d'apprendre que la formation ne sera pas affectée. Nous savons également queM. Axworthy s'occupe activement de la question de la formation. En fait, nous faisons partie d'un comité qui travaille avec lui, et c'est pourquoi nous sommes au courant.

Le président: Il est toujours agréable d'avoir le secrétaire parlementaire avec nous.

Mme Brushett: Je tiens à vous remercier pour exposé que vous avez fait cet après-midi, parce que j'ai reçu de nombreuses lettres des électeurs à propos de ces questions. Je voudrais parler de l'économie souterraine.

L'une des plaintes que j'ai reçues concerne, par exemple, les ouvriers qui installent une petite enseigne pour annoncer qu'ils font également de la plomberie. Pendant ce temps-là, les vrais plombiers, qui embauchent trois ou quatre plombiers qui sont autorisés à exercer ce métier et qui possèdent la formation voulue, perdent des clients parce que ces gens-là demandent moins cher qu'eux. Comment envisagez-vous de résoudre ce problème? Est-ce que le programme d'apprentissage vous aidera à y parvenir?

J'ai aussi reçu bien des lettres à propos des métiers de la construction, lettres dans lesquelles on propose des moyens d'empêcher le consommateur de faire faire des travaux en payant comptant. Certains travailleurs de la construction m'ont dit que nous devrions peut-être faire paraître une grande annonce dans les journaux pour informer les gens qu'on commencerait à dénoncer ceux qui font cela, etc. D'autres pensent que nous devrions peut-être faire payer le consommateur qui profite de l'économie souterraine. Je crois que nous sommes d'accord pour essayer de résoudre le problème de sorte que tout le monde ait sa juste part. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Dumoulin: En ce qui concerne votre deuxième question, je dirais que nous avons commencé à participer aux travaux du comité national des normes pour l'industrie de la construction. J'espère que ce comité sera en mesure de trouver quelques solutions. Si on exigeait une reconnaissance professionnelle pour chaque métier, les gens seraient certains au moins qu'ils font affaire avec une personne qualifiée, et non pas avec un exploitant véreux. Pour devenir charpentier, il suffit de savoir planter un clou. Vous vous attendez qu'une personne qualifiée fasse le travail.

M. Maloney dit toujours qu'il n'arrive pas à comprendre pourquoi il faut un permis pour être coiffeur, mais pas pour faire de la soudure dans une centrale nucléaire, où un travail mal fait peut occasionner la perte de millions de vies humaines. Voilà une question sur laquelle il faudra se pencher très sérieusement.

En ce qui a trait à l'économie souterraine, c'est ce que nous essayons de faire avec la piste de documentation. Ce n'est pas vraiment la meilleure façon de procéder. À notre avis, une retenue d'impôt serait préférable. Il faut tenir quelqu'un responsable. Quelqu'un doit être responsable de ces taxes. Si la personne donne du travail à quelqu'un d'autre, elle doit s'assurer que l'autre personne paie les taxes qu'elle paierait habituellement, de même que son régime de retraite, son assurance-chômage et tout ce qui doit être payé. Voilà le problème que le comité cherche à résoudre en ce qui concerne l'économie souterraine.

.1730

Nous avons un comité qui s'occupe des questions liées à l'assurance-chômage et un autre qui étudie l'économie souterraine. La tâche est énorme, mais c'est aussi un problème de taille.

Je vais laisser M. Maloney vous donner d'autres explications. Il pourrait avoir quelque chose à ajouter.

M. Maloney: En ce qui a trait à l'inscription obligatoire des entrepreneurs, si vous travaillez dans l'industrie de la construction en qualité d'entrepreneur, quelle que soit la taille de votre entreprise, vous devez vous inscrire auprès d'une association locale. Lorsque vous achetez des matériaux de construction, vous devez faire un choix au point de vente et indiquer ce à quoi serviront les matériaux, afin de créer une piste de documentation. Revenu Canada peut alors suivre cette piste au moment d'effectuer des vérifications, des contre-vérifications et des vérifications au hasard. Si Revenu Canada sait que tel ou tel entrepreneur a acheté telle quantité de matériaux, il peut alors se fonder sur quelque chose pour commencer à vérifier où les matériaux ont été installés, et à quel prix, et le montant qui lui a été remboursé pour l'installation.

Il s'agit ici d'ériger un plus grand nombre d'obstacles. On ne pourra jamais éliminer complètement l'économie souterraine dans l'industrie de la construction. On ne pourra jamais empêcher que des gens se rendent chez vous pour remplacer un lustre dans votre salon, ou fasse du troc, par exemple. Ce qu'il faut essayer d'empêcher, c'est la construction de maisons entières, de maisons flambant neuves, pour de l'argent comptant, c'est-à-dire de l'argent passé sous la table. On ne pourra jamais rien faire contre les gens qui paient comptant pour agrandir une pièce de la maison ou faire construire une terrasse dans leur cour, mais on peut certainement faire quelque chose pour les empêcher de faire construire une maison neuve ou un petit immeuble d'habitation en payant sous la table. C'est ce problème auquel nous devons nous attaquer en premier lieu.

L'autre problème est celui des ouvriers qui ne sont pas qualifiés. Par l'entremise du comité national sur les normes industrielles, qui est sur le point d'être constitué par l'industrie et le gouvernement, nous voulons en venir à ce qu'il y ait une norme nationale pour la formation de toutes les personnes appelées à travailler dans le domaine de la construction. Que vous soyez en Colombie-Britannique ou en Nouvelle-Écosse, la formation serait la même. Pour travailler dans le domaine de la construction, il faudra alors absolument être accrédité, avoir une licence.

Comme Guy l'a expliqué, en Ontario, vous avez besoin d'une licence pour être barbier ou coiffeur, mais pas pour exercer certains autres métiers, comme soudeur dans une centrale nucléaire. Il faut mettre un terme à cela.

Mme Brushett: Je suis d'accord. Nous sommes tout à fait sur la même longueur d'onde, mais faudra-t-il attendre que les normes ISO 9000 aient été mises en oeuvre et que les programmes d'apprentissage aient été établis avant d'adopter ce registre? S'agirait-il d'un registre national, d'après vos recommandations?

M. Maloney: Le problème, voyez-vous, c'est qu'il n'existe aucune uniformité à l'heure actuelle. Tout est du ressort des provinces. Chaque fois que nous proposons aux représentants d'une province d'adopter une norme nationale, ils nous disent qu'il n'y a pas de problème, pourvu que ce soit la leur. L'Alberta tient mordicus à conserver ses pouvoirs en matière de formation. L'Ontario aussi. Les directeurs des programmes d'apprentissage ne veulent rien faire lorsqu'on leur parle de normes nationales.

Il faudrait commencer par élaborer une norme nationale pour chacun des métiers de la construction, puis la faire adopter par les provinces. Il faudra le faire conjointement avec le gouvernement fédéral. Il faudra quelques années pour y parvenir. Nous avons accompli quelques progrès, du moins dans le cas de certains métiers, mais pour y arriver il faudra que tout le monde collabore. Il y a encore beaucoup de travail à faire, mais, en bout de ligne, nous devrions avoir une norme nationale pour chacun des métiers d'apprentissage de l'industrie de la construction.

Mme Fewchuk (Selkirk - Red River): Cette protection existe déjà dans certaines municipalités, grâce au conseil de planification. Sans un ouvrier qualifié, vous ne pouvez pas construire une maison, parce que vous ne pouvez pas obtenir de prêt de la Société canadienne d'hypothèques et de logement. J'étais membre du conseil. Il a été constitué en 1974, et c'est en 1987 qu'a été instaurée cette protection.

L'ouvrier doit montrer la licence qu'il a obtenue de telle ou telle municipalité, pour prouver qu'il est qualifié. La banque n'accorde pas de prêt. Si les travaux sont payés en argent comptant, lorsque l'inspecteur se présente - il se préoccupe de la façon dont ont été payés les travaux - il ne les approuve pas tant qu'il n'a pas vu le certificat. C'est comme cela qu'on fonctionne dans ma municipalité. Il y a eu beaucoup de discussions à ce sujet. Nous devions exercer un contrôle sur ces gens. Il fallait empêcher que des exploitants véreux ne viennent effectuer des travaux de plomberie ou s'occuper du système de chauffage. Nous nous y opposons toujours aujourd'hui.

Grâce aux municipalités, nous disposons déjà de certaines des solutions. La protection est là, de même que les documents dont on a besoin pour effectuer les vérifications nécessaires.

M. Dumoulin: Il existe une autre façon de procéder. Il faut attendre. Je l'ai dit et je le répète, le gouvernement fédéral devrait donner l'exemple quand il fait faire des réparations et des travaux. Il s'agit ici de milliards de dollars.

.1735

La rénovation des immeubles fédéraux, à Ottawa, contribue elle aussi à alimenter l'économie souterraine. Nous avons fourni quelques preuves; nous avons remis certains documents aux fonctionnaires à ce sujet. Il faudrait établir certaines règles pour que nous puissions au moins empêcher que cela ne se produise lorsque nous dépensons notre propre argent, car c'est de l'argent des contribuables qu'il s'agit en réalité. Ce n'est pas de l'achat d'immeubles que nous parlons. Le gouvernement fédéral devrait peut-être essayer de donner l'exemple.

M. Fewchuk: Ce n'est pas seulement cela. Nous avons vu le cas récemment d'un ouvrier qui avait une dizaine d'années d'expérience. Celui-ci devait connaître suffisamment bien son travail pour ne pas avoir besoin d'une carte de qualification. Il faut être prudent. Quand on est disposé à faire certains compromis, à ne pas se contenter d'un simple bout de papier...

M. Dumoulin: Je suis du Québec. On a fait cela parce que tout le monde doit avoir une licence pour travailler au Québec. On appelait cela la clause des droits acquis, qui était accordée à quiconque avait travaillé pendant au moins 13 ans dans l'industrie de la construction.

Le président: Ce n'est pas la première fois que vous témoignez devant notre comité. Vous nous avez toujours présenté des idées très constructives, pas nécessairement pour aider uniquement votre métier et les gens qui l'exercent, mais aussi pour améliorer le système en général. Je vous tire mon chapeau d'avoir pris la peine de sonder vos membres et d'avoir consacré autant de temps et d'efforts à la préparation du progamme que M. Maloney nous a exposé, et le fait que vous soyez disposés à travailler avec les représentants de Revenu Canada à l'avenir est tout à votre honneur. Vous pouvez nous apprendre beaucoup de choses, car vous travaillez dans le milieu et savez comment procéder.

Au nom de tous les membres, je voudrais vous remercier non seulement pour votre intervention aujourd'hui, mais aussi pour tout ce que vous faites pour nous aider à améliorer le système. Nous vous en sommes reconnaissants.

M. Dumoulin: Merci beaucoup.

Le président: Nous allons passer tout de suite au groupe suivant, la Coalition canadienne de la santé, représentée par M. Stephen Learey, coordonnateur général, et par trois membres du conseil d'administration, Edith Johnston, Sandy Scott et Laurienne Ring.

M. Stephen Learey (coordonnateur général, Coalition canadienne de la santé): La Coalition canadienne de la santé englobe quelque 600 groupes venant des quatre coins du pays, 10 coalitions provinciales et trois coalitions régionales. Nous représentons les intérêts d'un grand nombre de personnes qui s'intéressent aux questions liées à la santé. Constituée en 1979, la coalition s'efforce continuellement de préserver le régime d'assurance-maladie.

Merci beaucoup de nous avoir invités à présenter aujourd'hui notre exposé devant le comité. Je suis accompagné de trois des membres du conseil d'administration de la coalition. Leurs exposés suivront cette introduction générale servant à présenter notre mémoire sur le projet de loi C-76. Je regrette de ne pouvoir vous présenter que la version anglaise de notre mémoire, mais les ressources limitées dont dispose l'organisation ne nous permettent pas de faire traduire tous nos documents.

.1740

De toute évidence, nous pensons que le régime d'assurance-maladie est d'une importance cruciale pour nous, en tant que citoyens de ce pays. Pour bien des gens, le régime d'assurance-maladie est l'incarnation de ce que nous sommes en tant que Canadiens. La compassion et la bienveillance qui caractérisent le régime d'assurance-maladie sont considérées comme un élément essentiel de notre caractère.

À notre avis, le projet de loi C-76 vient malheureusement compromettre grandement l'avenir de notre régime d'assurance-maladie. Nous estimons que la réduction des transferts fédéraux aura un effet dévastateur sur un régime qui fait l'objet de nombreuses réductions depuis au moins 10 ans.

Nous croyons également que le regroupement de tous les transferts sociaux - santé, enseignement et aide sociale - en un seul transfert social aura des conséquences néfastes pour la Loi canadienne sur la santé et son application. Il sera plus difficile de faire respecter la loi parce qu'on s'est toujours servi des transferts de fonds aux provinces pour la faire appliquer.

Nous sommes également très préoccupés par les coupes dans les programmes sociaux, en particulier les programmes d'aide sociale et d'enseignement, qui ont été regroupés sous ce transfert. Nous croyons que la suppression des normes régissant le RAPC et les réductions incluses dans les transferts nuiront aux soins de santé. Nous considérons l'aide sociale comme un programme de santé préventive et que les sommes que l'on consacre aujourd'hui à l'aide sociale sont des sommes qu'il ne sera pas nécessaire de verser plus tard sous forme de soins de santé.

Le retrait des normes et la réduction du financement se traduiront par une augmentation du nombre d'usagers du régime d'assurance-maladie. La facture sera alors beaucoup plus élevée que l'investissement initial que l'on aurait pu faire dans ces programmes.

Le ministre fédéral de la Santé et ses homologues provinciaux et territoriaux ont sanctionné un rapport en septembre dernier, à Halifax. On mentionne dans ce rapport que le revenu, le statut social, les réseaux d'aide sociale, l'éducation, l'emploi et les conditions de travail sont au nombre des principaux facteurs qui influent sur l'état de santé des gens. Ce document, accompagné d'une lettre d'introduction, a été signé par le ministre de la Santé et approuvé par tous les ministres provinciaux de la Santé.

Il est évident que le revenu et le statut social ont une incidence sur la santé. Cela me paraît hors de doute. C'est pourquoi je répète que les réductions prévues dans le projet de loi C-76 feront certainement plus de tort que de bien.

J'aimerais aussi aborder la question des dépenses sociales du Canada par rapport à celles d'autres pays. Le Canada consacre environ 10 p. 100 de son produit intérieur brut à la santé, dont 5,8 p. 100 représentent des dépenses publiques. Le reste des fonds provient du secteur privé. Donc, en 1995, d'après les données de Statistique Canada et du système de gestion financière, les fonds publics représentent environ 5,8 p. 100 des dépenses dans le domaine de la santé. Ce pourcentage équivaut au niveau de dépenses enregistré en 1987.

Le financement public est donc demeuré stable - il a même diminué - tandis que le financement privé, qui ne peut qu'augmenter en raison des réductions continuelles dans les dépenses publiques, s'accroît et devient de plus en plus difficile à contrôler parce qu'il dépend des forces du marché. Nous croyons qu'un système public vigoureux est nécessaire pour contrôler et freiner les coûts, tant pour le gouvernement que pour la population.

.1745

J'aimerais maintenant vous présenter Mme Edith Johnston, membre du conseil d'administration et représentante du mouvement des personnes âgées.

Mme Edith Johnston (membre du conseil d'administration, Coalition canadienne de la santé): J'aimerais d'abord vous dire que les personnes âgées se souviennent très bien de l'époque où il n'y avait pas de régime d'assurance-maladie. Je crois que nous devrions tous aujourd'hui essayer de nous imaginer ce qui se passerait si nous n'avions pas de régime d'assurance-maladie.

Jadis, les agriculteurs étaient bien souvent obligés d'échanger des sacs de légumes contre une visite chez le médecin de famille, comme on l'appelait autrefois. Bien souvent, les gens ne payaient pas le médecin de famille; celui-ci comprenait la situation et se contentait bien souvent de quelques dollars ici et là.

Les personnes âgées s'inquiètent énormément des réductions effectuées par les gouvernements et craignent que celles-ci n'entraînent une détérioration de l'ensemble du système. Qu'adviendra-t-il de la santé des Canadiens?

Les personnes âgées se souviennent aussi du moment où le gouvernement a adopté les mesures législatives maintenant en vigueur. Jeunes pères et mères de famille à l'époque, les personnes âgées savaient à ce moment-là que leur famille avait besoin d'un système de santé pour pouvoir demeurer en santé. Elles savaient qu'il était beaucoup moins dispendieux d'aider les gens à rester en santé et à obtenir des soins dès les premiers symptômes de la maladie que de les hospitaliser à nouveau parce qu'ils ont reçu leur congé trop tôt la première fois. C'est ce qui arrive à l'heure actuelle avec notre système de santé.

Le Conseil des syndicats d'hôpitaux de l'Ontario vient de terminer l'étude de plus de 500 appels qu'il a reçus de personnes qui avaient des histoires d'horreur à raconter à propos des hôpitaux. Il n'y a pas assez d'infirmières pour s'occuper des malades et pas assez de préposés pour leur donner de l'eau à boire. Comme il n'y a personne pour s'occuper d'eux, ils doivent dépendre des membres de leur famille ou de leurs amis.

La situation inquiète beaucoup les personnes âgées. Elles considèrent que le projet de loi C-76 ne fait rien pour empêcher cette détérioration, notamment en raison des transferts envisagés et de l'absence de dispositions permettant de garantir que les provinces vont consacrer à la santé les sommes nécessaires.

Les personnes âgées estiment également qu'on leur reproche, à tort, le coût élevé des soins médicaux et des soins de santé. S'il faut freiner l'augmentation des coûts, que cela ne se fasse pas au détriment des personnes âgées. Par ailleurs, si les personnes âgées s'inquiètent de la détérioration du système de santé, c'est parce qu'elles y voient une menace non seulement pour elles, mais aussi pour leurs enfants, qui sont dans la quarantaine et la cinquantaine, et, en particulier, pour leurs petits-enfants.

Les personnes âgées savent que le système de santé a bien fonctionné jusqu'à maintenant. Même si je ne vous parle que de leurs inquiétudes au sujet du système de santé, sachez que les personnes âgées se préoccupent aussi des diverses autres mesures prévues dans le projet de loi C-76 et de l'impact qu'elles pourraient avoir sur nos familles, nos enfants et nos petits-enfants.

.1750

M. Learey: Laissons maintenant la parole à M. Sandy Scott, qui abordera l'aspect religieux de la question.

M. Sandy Scott (membre du conseil d'administration, Coalition canadienne de la santé): Contrairement à ce que pensent la plupart des gens, la vision chrétienne du monde est essentiellement relationnelle. Un jour que Jésus se trouvait dans le temple de Jérusalem, ce qui serait assez comparable à la colline du Parlement, un scribe s'approcha de lui...

Le président: Seriez-vous ici pour expulser les bailleurs de fonds?

Des voix: Ah, ah!

M. Scott: Comme je ne suis pas Jésus, je n'ai pas la prétention de vouloir reconstituer la scène.

Comme le scribe s'intéressait beaucoup aux commandements, il demanda à Jésus quel était le premier de tous les commandements. Jésus lui répondit: «Écoute, Israël.... Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toute ta force.» Voici le second: «Tu aimeras ton prochain comme toi-même.» Les chrétiens voient donc la réalité de cette façon-ci: il faut aimer Dieu de tout son être, et cet amour se manifeste dans nos rapports avec autrui.

La Loi canadienne sur la santé et les programmes d'assurance-maladie représentent pour les Canadiens une façon d'exprimer collectivement leur amour pour leur prochain. L'Église au sein de laquelle j'oeuvre y croit fermement. Nous avons toujours appuyé les cinq piliers du régime d'assurance-maladie prévus par la loi. Nous n'avons jamais cessé de demander au gouvernement, aux collectivités, aux syndicats et à d'autres organisations et autorités séculières de considérer la santé sous un angle holistique. Par santé, j'entends la santé de l'individu, la santé de la collectivité, la justice et la santé du gouvernement.

Nous ne sommes plus, semble-t-il, la tribune où se tient principalement le débat sur les moeurs et les valeurs. Le gouvernement semble lui aussi être tenu à l'écart de ce débat. Nous avons perdu la faveur du public, tout comme le gouvernement d'ailleurs. À notre avis, de nos jours, les valeurs sont dictées essentiellement par les entreprises, dont les médias sont le principal porte-parole. Il est temps que les administrations publiques, l'Église et les autres groupes confessionnels revendiquent à nouveau le droit de parler des valeurs dans notre société. Comme je l'ai dit, la perspective chrétienne est fondée sur les relations entre les humains. C'est pourquoi nous attachons beaucoup d'importance à la Loi canadienne sur la santé.

Dans la lettre qu'ils ont adressée au premier ministre le 5 janvier, les principaux chefs religieux ont déclaré que l'insécurité économique avait amené les Canadiens à éprouver de la colère et du ressentiment à l'endroit des bénéficiaires des programmes sociaux. Dans ce contexte, les demi-vérités, la désinformation, les allégations non fondées et les fausses perceptions à propos des pauvres peuvent exacerber le ressentiment qu'éprouvent les Canadiens. Nous sommes profondément perturbés par les divisions qui en résultent entre nos collectivités, entre les jeunes et les personnes âgées, les travailleurs et les sans-emploi, les personnes célibataires et les familles, etc. Ces divisions ne feront que détruire le tissu social qui sous-tend la société canadienne.

Il est clair, d'après les nombreuses études effectuées à ce sujet, que les programmes sociaux ne sont pas la cause du déficit fédéral. Si certaines personnes vivent dans la pauvreté ou ne travaillent pas au Canada, ce n'est pas parce qu'elles veulent être pauvres ou méritent de l'être ou parce qu'elles ne veulent pas travailler ou n'ont pas les compétences nécessaires, mais plutôt parce qu'il n'y a pas suffisamment d'emplois rémunérateurs.

En ce qui concerne les réformes proposées aux Canadiens, nous devons continuellement nous demander qui profitera des modifications envisagées. Quelles sont les valeurs qu'incarne le projet de loi? Qu'est-ce qui est le plus important pour notre pays? Nous devons nous poser ces questions. Pour être en mesure de prendre des décisions éclairées, peut-être devriez-vous vous laisser guider par les saintes écritures ou votre croyance religieuse.

Dans les huit premiers versets du chapitre 32, le prophète Isaïe médite sur la manière de gouverner un pays. Aux versets 7 et 8 du chapitre 32, Isaïe déclare: «Les armes du fourbe sont pernicieuses; il forme de coupables desseins, pour perdre les malheureux par des paroles mensongères, même quand la cause du pauvre est juste.» Il ajoute ensuite: «Mais celui qui est noble forme de nobles desseins, et il persévère dans ses nobles desseins.»

.1755

J'espère que vous saurez vous aussi faire preuve de noblesse en examinant ce projet de loi et ses répercussions sur la Loi canadienne sur la santé.

M. Learey: Je voudrais maintenant vous présenter Mme Laurienne Ring, qui vous exposera le point de vue des femmes et des organismes du secteur de la santé communautaire.

Mme Laurienne Ring (membre du conseil d'administration, Coalition canadienne de la santé): Merci de m'avoir fourni l'occasion de prendre la parole aujourd'hui. J'aimerais vous faire part de certaines de mes réflexions et inquiétudes au sujet des modifications apportées au régime d'assurance-maladie et de leur incidence sur les femmes. J'aurai aussi un commentaire général à formuler.

Lorsqu'on examine les répercussions des réductions envisagées dans le projet de loi sur les femmes par rapport aux hommes, on s'aperçoit que ce sont les femmes qui seront les plus durement touchées, non seulement en tant que bénéficiaires de soins de santé, mais aussi en tant que travailleuses du secteur de la santé et de soutiens de familles.

À mon avis, les femmes, en qualité de bénéficiaires de soins de santé, sont touchées de diverses façons. Nous savons que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à faire usage des services de santé. Il en est ainsi parce que, entre autres choses, les femmes ont besoin de soins préventifs et annuels différents de ceux des hommes, comme les soins liés à la reproduction, à la grossesse et à l'accouchement dont ont besoin les femmes qui sont en âge d'avoir des enfants, et parce que ce sont les femmes qui continuent principalement de se préoccuper de la santé mentale et de la santé physique des membres de leurs familles, en ce sens que ce sont encore elles qui se chargent de conduire leurs enfants et les membres âgés de leurs familles chez le médecin ou à l'hôpital.

Le stress incroyable qu'éprouvent les femmes et les familles de nos jours se répercute souvent sur la santé des femmes et cause toutes sortes de maladies reliées au stress qui les amènent encore une fois en contact avec le système de santé. Malheureusement, le système actuel propose trop souvent comme remède des médicaments psychotropes pour les femmes. S'il faut chercher à maîtriser les coûts, il serait préférable à mon avis que vous vous occupiez davantage de ce problème et de ce qui se passe dans l'industrie pharmaceutique et que vous teniez compte de certaines des préoccupations qui ont déjà été exprimées à propos de cette industrie, plutôt que d'effectuer des réductions qui auront de graves conséquences pour la Loi canadienne sur la santé.

J'aurais une dernière remarque à faire au sujet des femmes en tant que bénéficiaires des soins de santé: nous nous inquiétons de l'augmentation du nombre de femmes qui vivent dans la pauvreté. Nous avons déjà fait remarquer que les gens qui bénéficiaient d'un traitement équitable tout au long de leur vie vivaient plus longtemps et étaient en meilleure santé pendant les dernières années de leur vie. Si je ne me trompe, d'après certaines statistiques de Santé Canada, les Canadiens qui disposent d'un revenu adéquat tout au long de leur vie ont la chance non seulement de vivre plus longtemps, mais aussi de pouvoir vivre à la fin de leur vie huit années de plus pendant lesquelles ils risquent moins d'être malades ou de se blesser. Nous croyons qu'il est très important de chercher à préserver l'équité et que vous devriez en tenir compte dans votre étude des mesures législatives proposées.

Pour ce qui est des femmes qui travaillent dans le secteur de la santé, je dirais que si le projet de loi doit se traduire par une diminution progressive des services offerts dans le milieu hospitalier, il aura des répercussions sur des travailleurs hautement qualifiés dont les compétences font l'objet d'un investissement public considérable.

Nous signalons dans notre mémoire que l'une des façons d'envisager la question de la compression des coûts, ce serait peut-être d'aller voir du côté des autres pourvoyeurs de soins, comme les infirmières de première ligne, les cliniciens, les sages-femmes, etc. On pourrait, par exemple, leur faire jouer un rôle accru en tant que pourvoyeurs de services, et songer au paiement à l'acte pour les médecins, étant donné qu'il s'agit là d'un des secteurs dans lesquels nous nous préoccupons de l'augmentation des coûts.

.1800

Le secteur des soins infirmiers et des services de santé est un secteur dans lequel travaillent de nombreuses femmes hautement qualifiées, ayant été jusqu'à maintenant un domaine d'emploi très traditionnel pour les femmes. Si le projet de loi doit se traduire par la suppression d'un nombre sans cesse croissant de lits, cela ne pourra que causer un tort considérable aux personnes qui travaillent actuellement dans ce secteur.

Le dernier point que j'aimerais aborder concerne le rôle des femmes en tant que pourvoyeuses de soins non rémunérées. Les sommes que les provinces proposent de redistribuer dans la collectivité sont insuffisantes à notre avis, ou moins élevées que ce qu'on nous avait laissé croire. Elles semblent être en retard dans les projets qu'elles s'étaient fixés, notamment en ce qui concerne l'ouverture d'un plus grand nombre de CLSC, l'élargissement du rôle des infirmières de l'Ordre de Victoria et des infirmières visiteuses, ou encore en ce qui a trait aux services de soins à domicile. Et là où il y a augmentation des services de soins à domicile, ceux-ci ne sont pas suffisants pour répondre à la demande.

Qu'arrive-t-il lorsqu'on fait des mises à pied ou supprime des lits dans les hôpitaux? Il faut alors compter sur les membres de la famille pour prendre la relève. J'aurais quelques remarques à faire à ce sujet. Je n'ai rien contre le principe de la chirurgie d'un jour ou contre le fait qu'on veuille renvoyer les patients de l'hôpital le plus rapidement possible, mais encore faut-il s'assurer qu'il existe des organismes communautaires pouvant offrir les services qu'on ne peut plus obtenir dans les hôpitaux.

De nos jours, les patients sortent de plus en plus tôt des hôpitaux, parfois la journée même où ils ont subi une intervention chirurgicale. J'ai eu récemment une conversation avec une infirmière qui travaille ici, à Ottawa, et qui m'a dit que son hôpital - un hôpital communautaire - essayait de se préparer à affronter d'autres réductions dans quelques années. À l'heure actuelle, on pratique la chirurgie d'un jour dans 76 p. 100 des cas dans cet hôpital, et ce pourcentage devrait atteindre 90 p. 100 d'ici deux ans. La situation a énormément changé par rapport à ce qu'elle était il y a une dizaine d'années. Les gens s'attendent à demeurer à l'hôpital jusqu'à ce qu'ils soient en mesure de se débrouiller seuls ou de compter sur quelqu'un pour les aider à leur retour dans la communauté.

Rares sont ceux et celles qui peuvent se permettre de s'absenter de leur travail pendant plusieurs jours pour demeurer à la maison et aider une personne à se rétablir après une chirurgie d'un jour. Nous n'avons ni la capacité ni le désir de le faire. Je disais récemment à une collègue, en plaisantant, que si nous éprouvions tous le désir de prendre soin des malades, nous aurions tous un diplôme en sciences infirmières. Je crois que je suis la seule personne ici présente qui possède la formation voulue. Ce ne sont pas tous les gens qui ont la vocation.

Le problème avec les patients que l'on renvoie de l'hôpital de façon précoce, c'est qu'ils peuvent avoir besoin non pas simplement d'une personne pour s'occuper d'eux pendant quelques heures à la maison, mais de médicaments administrés par voie intraveineuse ou d'une dialyse, et que les membres de la famille ne sont habituellement pas habitués à prodiquer ce genre de soins à domicile.

Je suis très inquiète à l'idée que des femmes aient à effectuer à la maison d'autres tâches que celles qu'elles ont déjà à accomplir et que des travailleurs soient appelés à quitter le milieu hospitalier.

Outre les préoccupations dont je viens de vous faire part, j'aimerais également vous rappeler certains travaux exécutés dans ce domaine par Santé Canada. En fait, nous aurions préféré nous adresser à un groupe qui s'occupe des questions ayant trait à la santé plutôt que des questions financières. Nous aurions voulu vous parler un peu du document de M. Epp intitulé La Santé pour tous: plan d'ensemble pour la promotion de la santé. Son objectif était de parvenir à la santé pour tous les Canadiens et les Canadiennes d'ici à l'an 2000. Il s'agit d'une initiative importante, et le Canada a toujours joué un rôle de premier plan dans le monde dans le domaine de la santé.

Ce sont des documents de travail auxquels nous nous reportons très souvent, nous qui oeuvrons dans le secteur de la santé communautaire. Nous avons essayé de mettre cette théorie en pratique de bien des façons. On y trouve de nombreuses applications dans le travail communautaire. Ce sont des documents qui posent les bases de notre système de santé et qui sont tournés vers l'avenir. Je vous encourage vous aussi à songer à l'avenir du système de santé au Canada.

.1805

Dans ce document, il était question des défis qu'il faudrait relever dans le domaine de la santé, à savoir réduire les injustices, accroître la prévention et améliorer la capacité d'affronter les difficultés. On y proposait comme mécanismes de promotion de la santé l'autocontrôle, l'entraide et un environnement sain.

On y envisageait aussi les stratégies suivantes. Une plus grande participation du public - ce que nous espérons obtenir grâce au Forum national sur la santé, par exemple, dans un proche avenir, quoique les responsables n'aient pas encore indiqué comment ils allaient recueillir les observations de la population; le renforcement des services de santé communautaires - cette solution semble avoir été mise de côté par les provinces en raison des compressions budgétaires qu'elles ont annoncées, et c'est pourquoi nous demandons conseil au gouvernement fédéral à ce sujet; et la coordination de la politique publique en matière de santé.

Le mouvement des collectivités en bonne santé, dont bon nombre d'entre vous ont sans doute entendu parler, pose en principe que pour planifier une collectivité en bonne santé il faut commencer par examiner tout ce qui se déroule dans la collectivité. Quand on parle de la santé d'une collectivité, il faut tenir compte non seulement des facteurs sociaux environnementaux qui influent sur la santé, mais aussi de l'incidence des diverses politiques publiques.

Nous voulions aujourd'hui attirer votre attention sur ces questions parce que nous croyons que ce projet de loi pourrait compromettre grandement l'excellent travail que le Canada a accompli dans ce domaine jusqu'à maintenant.

M. Learey: Depuis le dépôt du budget, nous avons eu droit à toutes sortes de discours sur la signification de ce projet de loi. Il s'agit certainement d'une proposition très importante du gouvernement fédéral et, à notre avis, d'un changement de cap radical qui aura une incidence profonde sur le régime d'assurance-maladie.

Il ne se passe pas une journée sans qu'il soit question, dans les médias ou ailleurs, des soins de santé et de la signification de ce projet de loi. Il y avait aujourd'hui dans le Globe and Mail deux articles qui ont probablement été portés à votre connaissance. L'un rapportait les propos d'un expert en santé qui déclarait qu'Ottawa s'apprêtait à abroger discrètement la Loi canadienne sur la santé, tandis que l'autre, présenté dans le cahier sur l'économie, reprend les commentaires d'un sous-ministre des Finances et d'un vice-président de Moody's, qui affirment qu'il faut s'attendre à des réductions et que celles-ci vont se poursuivre année après année.

Nous pensons réellement que ce comité devrait tenir des audiences un peu partout au Canada en raison de l'importance de ce débat. La coalition que je représente, qui a été fondée en 1979, estime que ce projet de loi n'est surpassé que par la Loi canadienne sur la santé pour ce qui est de son incidence sur l'orientation que prendra notre système de santé.

L'an dernier, nous avons amorcé notre propre débat sur l'évolution des soins de santé au Canada. J'en présente les résultats dans le document, sous la rubrique 10 Goals for Improving Health Care for Canadians. Il nous a fallu dix mois pour rédiger ce document, qui reflète le point de vue des Canadiens des diverses régions du pays. Il représente un régime de santé complet pour les Canadiens. On y propose des moyens de réaliser des économies et aborde des questions telles que la prise en charge des soins par la collectivité, à laquelle bien des gens ne croient plus. Nous n'avons tout simplement pas l'infrastructure nécessaire pour que cela puisse se produire et fasse partie intégrante de notre système de santé.

Je souhaite de tout coeur que vous en preniez connaissance. Comme je l'ai mentionné, nous avons mis beaucoup de temps et d'efforts à préparer ce document, qui a été sanctionné par de nombreux groupes à la grandeur du pays.

Si vous avez des questions, nous nous ferons un plaisir d'y répondre.

[Français]

Le président: Je vous remercie tous les quatre.

Commençons par M. Crête.

M. Crête (Kamouraska - Rivière-du-Loup): Merci, monsieur le président.

Je vous remercie de votre exposé. Si je ne m'abuse, vous aviez déjà fait une présentation au Comité du développement des ressources humaines, dans le cadre de l'étude la réforme Axworthy. J'ai, en tout cas, l'impression de vous y avoir vus.

Vous nous avez démontré, par plusieurs exemples, la mise en péril du régime canadien de santé, tel qu'il existait et existe encore, par les mesures à venir. On parle de plusieurs millions de dollars et d'autres choses du même genre. J'aimerais, toutefois, que vous nous exposiez le scénario que vous entrevoyez au cours des prochaines années et des effets réels qu'il aura sur la population.

Il est beaucoup question de coupures pour 1996-1997 et pour 1997-1998. Mais, les citoyens n'en verront vraiment les conséquences que lorsque la province se verra obligée de couper dans les services.

.1810

J'aimerais que vous illustriez vos propos par des exemples concrets. Ça me semblerait utile par rapport à la représentation que peuvent se faire les citoyens de ce que sera la situation et pour l'explication qu'on peut leur en donner, plutôt que de leur en parler uniquement en termes de milliards de dollars.

[Traduction]

M. Learey: Les effets des coupures commencent déjà à se faire sentir, et ce, avant même l'adoption du projet de loi et des mesures de financement proposées. J'en donne des exemples dans le sommaire. Pendant qu'on ferme des hôpitaux, les frais exigés pour les services d'ambulance augmentent.

À Terre-Neuve, le service d'ambulance aérienne coûte 550$. Si le seul hôpital de votre région ferme ses portes, vous trouverez alors qu'il s'agit de frais considérables dont il faut tenir compte en tant qu'usager du système de santé.

En ce qui concerne l'assurance-médicaments, la Nouvelle-Écosse a déposé il y a environ deux semaines un budget dans lequel elle a annoncé qu'elle allait commencer à exiger des primes pour les personnes âgées. Ce système de quote-parts pourrait obliger les personnes âgées à débourser jusqu'à 450$ par année pour leurs médicaments.

À propos des services assurés par les médecins, on constate que les médecins de certaines provinces ont commencé à exiger des frais d'administration pour des services tels que le renouvellement d'une ordonnance par téléphone. Les médecins ne peuvent se faire rembourser par le gouvernement que si vous vous rendez en personne à leur cabinet. Les médecins ressentent eux aussi les effets des compressions et cherchent d'autres moyens d'augmenter leurs revenus.

Mme Ring: Nous disposons d'un certain nombre de scénarios établis par le service de recherche du Syndicat canadien de la fonction publique pour différentes provinces. Ils ont essayé d'indiquer ce que pouvaient représenter ces coupures, après avoir examiné comment se manifesterait la croissance ou l'absence de croissance dans ce secteur. Pour 1996-1997, il est question de 44 hôpitaux en tout, en Ontario, soit un hôpital sur cinq. C'est le scénario qu'ils entrevoient.

Au Québec, c'est une fois et demie le budget d'un centre local de services communautaires, juste pour cette année-là. Ils ont essayé de diverses façons de donner des exemples de ce que ces coupures pourraient représenter pour chaque province du pays. Les chiffres sont incroyables. En tout, 77 000 personnes travaillent dans des foyers pour personnes âgées, et ces coupures équivaudraient à la suppression de 78 400 lits. Ces coupures sont énormes; elles sont trop importantes pour que les provinces puissent les absorber. Les crédits d'impôt ne compensent pas pour les installations qu'il faudra mettre en place pour offrir ce genre de services.

M. Learey: Voici d'autres exemples. Prenons le cas des infirmières qui travaillent dans des hôpitaux au personnel restreint et qui sont tellement éloignées l'une de l'autre qu'elles doivent se servir d'un sifflet pour prévenir leurs collègues en cas d'urgence.

Il y a aussi le cas de cet hôpital situé à l'extérieur d'Edmonton qui a implanté un système de soins prodigués par les parents pendant 24 heures. Ce genre de système peut sembler attrayant, sauf qu'il faut que l'un des parents demeure à l'hôpital toute la nuit pour s'occuper de son enfant et prendre ses signes vitaux. Des pressions incroyables s'exercent actuellement sur le système de santé. À notre avis, les réductions comprises dans ce nouveau transfert global ne feront qu'aggraver la situation.

Mme Stewart (Brant): Merci de nous avoir fait un exposé aussi complet. C'est bien d'avoir le point de vue d'une coalition, car cela permet d'aborder les différents aspects de la question.

Quand je pense à la Loi canadienne sur la santé, dont nous sommes si fiers, je me dis qu'elle nous a très bien servis jusqu'à maintenant dans notre pays. Après avoir écouté votre exposé et les nombreuses instances qui ont été formulées aujourd'hui à propos de l'importance des soins de santé, ainsi que les commentaires qui ont été faits à propos de la détérioration des soins de santé et du régime d'assurance-maladie occasionnée par les changements proposés, je me demande si on ne pourrait pas en fait réexaminer le rôle du gouvernement fédéral de façon chronologique.

L'entrée en vigueur de la Loi canadienne sur la santé a provoqué un changement important dans la société. Ce changement est tellement important que vous nous dites maintenant que les Canadiens n'accepteront rien d'autre.

.1815

Pour faire suite aux questions posées par M. Crête, je me demande pourquoi, s'ils éprouvent un tel sentiment, les Canadiens n'en viendraient pas à se débarrasser d'un gouvernement provincial qui cherche à les priver de ce à quoi ils tiennent tant? Du point de vue de la responsabilisation, si c'est si important pour nous et s'il est possible de se défaire d'un gouvernement provincial qui ne tient pas compte des besoins de la population, de quoi avons-nous peur? Que craignons-nous?

Si cela est possible, le gouvernement fédéral serait-il alors en mesure de prendre certaines de ces mesures plus proactives tournées vers l'avenir?

Je ne comprends pas très bien la logique ici. Les exemples que vous m'avez donnés sont intéressants. Mais nous n'avons aucun contrôle réel sur ces événements. Ils se produisent malgré tout. Je ne comprends pas votre raisonnement. J'aimerais que vous m'expliquiez exactement pourquoi vous pensez que ce projet de loi aura des effets aussi néfastes.

Nous parlons des sommes en jeu; pourtant, vous dites même dans votre exposé qu'il est possible de rendre le système plus efficace. En gros, nous savons que nous dépensons beaucoup d'argent dans le secteur de la santé et que nous pourrions accroître l'efficacité du système. J'ai de la difficulté à accepter toutes ces déclarations à propos du tort que causera ce projet de loi, car je sais très bien que les personnes âgées ne sont pas sans ressources et qu'elles lutteront jusqu'au bout pour empêcher que leur gouvernement provincial ne touche à leur régime de santé.

Je sais que les chrétiens forment une grande communauté et qu'ils attachent beaucoup d'importance au système de santé, car ils y voient une façon d'exprimer le point de vue chrétien et humaniste. Mais il y a quelque chose qui m'échappe. Pourriez-vous me fournir quelques éclaircissements?

Mme Edith Johnston (membre du conseil d'administration, Coalition canadienne de la santé): C'est probablement parce que vous n'avez jamais vécu sans régime d'assurance-maladie et que vous ne pouvez vous imaginer comment c'était à l'époque.

Mme Stewart: Je ne crois pas que nous allons revivre une telle époque, en raison de la Loi canadienne sur la santé.

Mme Johnston: Vous ne savez probablement pas ce qui se passe dans la vie de tous les jours, quand de jeunes adultes conduisent un parent âgé à l'hôpital. Ils ne se contentent pas de s'asseoir et de veiller à ce que l'on prenne soin d'un vieillard de 82 ans. Les infirmières sont si peu nombreuses et si débordées de travail qu'il leur arrive de téléphoner à un membre de la famille pour se renseigner sur la qualité de vie de ce vieillard en temps normal. Devrait-on le renvoyer à la salle et le laisser partir discrètement? Devrait-on lui donner son traitement pendant qu'il est à l'hôpital? On entend toutes sortes d'histoires de ce genre, et ce sont les coupures qui en sont la cause.

Une jeune femme de 18 ans qui s'occupe d'un enfant mentalement handicapé qui est intégré à l'école et qui doit se faire enlever un caillot au cerveau sera avec lui à l'hôpital. Elle passe trois jours avec lui à l'hôpital parce que personne d'autre ne veut s'occuper d'un enfant handicapé.

Cette jeune femme de 18 ans est là pour lui prodiguer les soins nécessaires. Elle lui donne à manger, le fait boire, puis retourne à la maison et dit à sa mère que si elle n'avait pas été là l'enfant serait décédé parce qu'il n'y avait pas d'infirmières pour s'occuper de lui.

Ces choses-là arrivent vraiment, mais les politiciens ne sont pas au courant. Vous ne pouvez pas vous imaginer ce que vivent ces gens-là.

Mme Ring: Je voudrais aborder le fond de la question. Pourquoi nous adressons-nous au Comité des finances plutôt qu'au Comité des ressources humaines ou au Comité de la santé? C'est parce que ce comité est le mécanisme par lequel vous faites respecter ces normes. C'est la seule conclusion à laquelle nous pouvions arriver. Le Comité des finances est le lien entre ces scénarios personnels et ces situations.

Nous savons que vous comptez tous parmi les membres de votre famille et vos électeurs des personnes qui sont aux prises avec ce genre de difficultés. Comment le Canada a-t-il pu dans le passé faire appliquer de telles stratégies? C'est grâce à la forte présence du gouvernement fédéral. L'argent et le pouvoir vont de pair; nous savons cela. C'est pourquoi nous faisons tous ce que nous faisons. Je crois qu'il est bon de le rappeler.

Mme Stewart: Ne croyez-vous pas que les provinces s'en rendent compte elles aussi? Le gouvernement fédéral est-il le seul à le savoir?

.1820

Mme Ring: Non, les provinces le savent, bien entendu. Le graphique que Stephen a préparé pour vous dans la documentation en montre les répercussions. Toutefois, nous entrevoyons une diminution rapide de la présence du gouvernement fédéral dans chaque province d'ici à 10 ans. Le gouvernement fédéral ne sera plus là pour obliger les provinces à respecter les normes.

Mme Stewart: D'après ce que vous me dites, j'ai vraiment l'impression que vous pensez que les politiciens au niveau provincial ne se rendent pas compte de l'importance que leurs électeurs attachent au régime de santé. C'est ce qui me rend perplexe.

Mme Ring: Bien sûr qu'ils s'en rendent compte, mais je ne vois pas pourquoi les gens, les personnes âgées, auraient à s'organiser et à lutter jusqu'au bout pour préserver la norme que nous avons établie. Nous ne devrions pas avoir à revenir chaque année. Je me demande pourquoi il faudrait chercher une solution à un problème qui n'existe pas. Cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas disposés, en tant que coalition, à examiner les modifications et les améliorations qui pourraient être apportées.

Mais je ne vois pas pourquoi les gens devraient être obligés de se battre continuellement pour quelque chose qui leur appartient déjà. Je crois sincèrement que les politiciens provinciaux sont pris pour se débrouiller avec les moyens du bord. Nous sommes en train de faire ce qu'il faut pour que cela se produise. Après la santé, qu'est-ce que ce sera? L'aide sociale ou un autre programme semblable? Plutôt que de s'en remettre encore une fois au goût du jour, les élus devraient agir au mieux des intérêts des Canadiens à long terme.

M. Scott: Pour ma part, je crois que les Canadiens anglais - je pense que c'est différent au Québec - croient M. Martin. De nombreux Canadiens anglais veulent croire que M. Martin a dit la vérité quand il s'est levé à la Chambre pour présenter le budget et qu'il nous a donné des garanties réelles à propos de la Loi canadienne sur la santé. Mais quand on regarde le projet de loi portant exécution du budget, et la diminution des transferts de fonds fédéraux qui en résultent, on ne peut faire autrement que de se demander ce qui se passe vraiment. En règle générale, je crois que ceux qui s'inquiètent veulent croire M. Martin.

Le gouvernement fédéral libéral n'a jamais hésité dans le passé à s'ingérer dans les activités des provinces quand il le fallait - on n'a qu'à penser à la politique énergétique du Canada, au rapatriement de la Constitution et à l'adoption de la Loi canadienne sur la santé. Votre parti a toujours agi de manière à inciter les provinces à adopter telle ou telle mesure ou à les obliger à le faire. Je pense que les gens croient que vous allez continuer de le faire. Mais ce projet de loi nous montre que vous faites exactement le contraire et que vous allez cesser d'intervenir.

D'un autre côté, il existe à mon avis une importante minorité de gens qui ont accepté l'interprétation de Ralph Klein et de certaines autres personnes: il faut avaler le morceau, quitte à sacrifier le meilleur système de santé du monde. Certaines personnes sont prêtes à le faire. D'autres croient que le gouvernement fédéral va empêcher cela. Quant à nous, nous avons plutôt l'impression que vous ne ferez rien pour empêcher cela.

M. Fewchuk: Madame Johnston, je me souviens de ce que nous avons fait dans les années soixante-dix, où je siégeais au conseil, dans le cas de certaines personnes. Nous avons payé la note, et les municipalités l'ont ensuite refilée à leurs contribuables, ce qui est épouvantable. Ce sont finalement leurs enfants qui en ont fait les frais.

J'étais là aussi quand le régime d'assurance-maladie est entré en vigueur. J'étais très fier d'abolir les factures et de dire au secrétaire-trésorier qu'il n'était plus nécessaire de disposer de ces milliers de dollars; les gens n'ont pas d'argent; nous allons y consacrer une petite partie de notre budget une fois pour toutes.

En réponse aux autres questions, je dirais que tous ces propos, je les ai déjà entendus de la bouche même des citoyens de ma circonscription. Ils disent que nous devrions commencer par examiner ce que font certains médecins; ce sont eux qu'il faut blâmer, à cause de la surfacturation; ce sont eux qui me disent de revenir alors que je ne suis pas malade.

Je me suis rendu chez le médecin l'autre jour. Je faisais de la fièvre, mais il m'a dit de revenir dans 30 jours, ou dans 18 jours. Des personnes âgées m'ont téléphoné. Elles m'ont dit: Ron, ce n'est pas seulement tous les trois mois; il me dit maintenant de revenir dans deux mois, même si je vais bien. Je lui ai dit que je n'étais pas d'accord, mais il a insisté en me disant que c'était pour mon bien, parce que je pouvais mourir entre-temps.

Le président: Ron, ce n'est pas chez le médecin que vous êtes allé, mais chez le vétérinaire.

M. Fewchuk: Non, c'est vrai; c'est ce que les gens me disent dans la rue.

De plus, j'ai travaillé pour les trois paliers de gouvernement - municipal, fédéral et provincial. Au niveau municipal, on disait à la province de nous donner plus d'argent. La province refusait; et je crois que la province est ici partiellement à blâmer. J'ai siégé au conseil, et la province nous donnait alors l'argent dont on avait besoin pour l'année afin de payer le personnel et les frais de fonctionnement de l'hôpital. Ils décidaient ensuite d'acheter de l'équipement, mais il n'y avait pas d'argent pour faire fonctionner cet équipement. Personne ici ne jette le blâme sur la province. C'est toujours le gouvernement fédéral qui est en faute.

.1825

Je crois que certains des groupes qui viennent témoigner devant nous devraient constater ce qui se passe d'après ce que leur disent les gens et nous le dire. Ne soyez pas trop fiers d'affirmer que les gens disent que le problème réside au niveau des médecins ou de la province. Le gouvernement fédéral n'est pas Dieu. Nous ne pouvons pas tout faire.

Le président: Merci, monsieur Fewchuk, de nous avoir fait part de vos commentaires.

C'est à peu près tout le temps que nous avons. Comme l'a si bien dit Mme Stewart, il s'agit d'un exposé des plus complets, qui nous a permis de connaître le point de vue de personnes qui sont directement concernées à bien des égards et qui oeuvrent dans le domaine de la santé.

Madame Johnston, je me souviens de l'époque où il n'y avait pas de régime d'assurance-maladie. Je me rappelle qu'un jour mon père est allé à l'hôpital parce qu'il avait besoin d'une opération au dos. Comme il n'avait pas suffisamment d'argent pour payer l'opération, il a été obligé de lire les petites annonces, d'acheter une maison au téléphone de sa chambre d'hôpital et de la vendre par la suite de sa chambre d'hôpital.

Votre dévouement pour cette cause nous touche beaucoup. Il sera très difficile d'oublier vos propos lorsque nous prendrons nos décisions. Un gros merci à tous.

Mme Ring: Merci.

Le président: Les députés veulent-ils faire une courte pause, ou préfèrent-ils continuer?

Monsieur Crête, voulez-vous continuer?

[Français]

M. Crête: Je suis prêt à continuer. Je viens d'arriver.

[Traduction]

Le président: Notre groupe de témoins suivant comprend l'Association canadienne pour la promotion des services de garde à l'enfance et les Services de développement et de garde à l'enfance des TCA.

Le vice-président (M. Campbell): Bienvenue. La présidente de l'association est Mme Sue Wolstenholme. Pourriez-vous nous présenter vos collègues avant d'amorcer votre exposé?

Mme Sue Wolstenholme (coprésidente, Association canadienne pour la promotion des services de garde à l'enfance): Je suis Sue Wolstenholme, coprésidente de l'Association canadienne pour la promotion des services de garde à l'enfance. Je suis de Halifax, Nouvelle-Écosse. Je vais laisser à mes collègues le soin de se présenter elles-mêmes.

Mme Laurel Rothman (directrice, Services de garde à l'enfance, TCA): Je m'appelle Laurel Rothman. Je suis directrice des Services de garde à l'enfance des TCA, et j'habite dans la circonscription de M. Campbell.

[Français]

Mme Jocelyne Tougas (directrice générale, Association canadienne pour la promotion des services de garde à l'enfance): Bonsoir. Je suis Jocelyne Tougas. Je suis la directrice générale de l'Association canadienne pour la promotion des services de garde à l'enfance.

Le vice-président (M. Campbell): Bienvenue au Comité.

Mme Tougas: Merci.

[Traduction]

Le vice-président (M. Campbell): Si vous voulez bien maintenant nous faire votre exposé, après quoi nous passerons aux questions.

Mme Wolstenholme: Avant de commencer, j'aimerais vous dire que nous n'avons eu que deux jours pour préparer cet exposé, et que nous étions dans trois régions différentes du pays. Nous n'avons pas encore eu le temps de rédiger un mémoire, mais nous avons l'intention de vous en remettre un.

Nous aimerions tout d'abord que vous sachiez que nous nous opposons au Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, et ce, pour les raisons suivantes.

Nous nous y opposons parce que le gouvernement n'a pas reçu le mandat de céder aux provinces de tels pouvoirs de dépenser. Nous y sommes également opposés parce que le budget et le projet de loi C-76, à notre avis, tournent en dérision le processus de consultation relatif à l'examen des programmes de sécurité sociale.

.1830

D'après les nombreux rapports publiés par le gouvernement actuel, la garde de l'enfant serait l'un des éléments essentiels du renouveau économique et social. Parmi ces rapports figurent notamment le Livre rouge du Parti libéral ainsi que le rapport du Comité permanent du développement des ressources humaines.

Nous nous y opposons parce que nous craignons l'élimination progressive du pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral, laquelle se traduira par une érosion des normes nationales qui existent déjà dans le domaine de la santé. Nous sommes contre parce que le droit des citoyens canadiens à la sécurité sociale et économique risque de s'affaiblir et de ne plus être le même d'une province à l'autre.

Nous sommes contre parce que nous pensons que les programmes sociaux, qui comprennent le régime d'assurance-maladie et l'enseignement postsecondaire, seront transformés à un point tel qu'ils deviendront méconnaissables. J'aimerais ici ajouter une remarque personnelle. Je me souviens de l'époque qui a précédé la démocrétisation postsecondaire. Je n'ai pu entreprendre mes études universitaires que lorsque j'étais dans la trentaine. Comme je travaillais à temps plein, j'ai dû étudier à temps partiel pendant 14 ans pour obtenir ma maîtrise. Je ne voudrais pas que le transfert des responsabilités liées aux programmes sociaux ait un effet semblable sur mes petits-enfants.

Il est difficile à l'heure actuelle d'obtenir des services de garde à prix abordable, mais même ces services-là vont disparaître.

Nous nous y opposons parce que les sommes consacrées aux programmes sociaux varient beaucoup d'une province à l'autre. Rien dans le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux ne nous garantit que les fonds transférés pour les programmes sociaux vont bel et bien être affectés à ces programmes. À ce propos, un exemple me vient en tête. D'ailleurs, il en a été question hier à la Chambre des communes, si je ne me trompe. Il s'agit des fonds que le gouvernement fédéral a remis à la Nouvelle-Écosse pour la construction d'une route en particulier. Qu'est-il arrivé? La province s'en est servie pour faire construire une autre route.

J'aimerais en profiter ici pour répondre à une question qui a été posée au groupe précédent. Je pense que les gouvernements provinciaux vont s'efforcer de préserver les programmes sociaux, mais je suis certaine qu'il y aura des différences importantes entre chaque province. J'en suis tout à fait certaine.

Je dirais même que le fait qu'on ait pensé à inclure dans le projet de loi C-76 une disposition visant à obliger les provinces à informer la population des sommes qui ont été versées par le gouvernement fédéral nous laisse penser que le gouvernement fédéral s'inquiète de l'absence de toute obligation de rendre des comptes.

Pour ce qui est des dépenses sociales, le Canada se distingue des autres pays industrialisés, comme les pays membres de la Communauté européenne et de l'OCDE, qui consacrent de 38 à 40 p. 100 de leur produit intérieur brut aux programmes sociaux, comparativement à 34 p. 100 pour le Canada. D'après la tendance observée en ce qui concerne les dépenses de ce gouvernement et celles des gouvernements précédents, ce pourcentage ne sera plus que de 17 p. 100 au Canada en l'an 2000, soit environ deux fois moins que ce que dépenseront alors les pays membres de l'OCDE et de la Communauté européenne, d'après les prévisions actuelles.

Si la Norvège et la Suède étaient nos voisins, nous n'éprouverions pas le besoin de réduire les dépenses. Nous ne serions pas non plus obsédés par le déficit.

Pour les raisons que je viens d'exposer, nous sommes contre le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux proposé.

En revanche, nous aimerions proposer au gouvernement fédéral un mécanisme de financement pour les garderies, car, comme je l'ai dit plus tôt, nous appréhendons une érosion du financement des services de garderie sous le nouveau régime en raison de la réduction des sommes transférées aux provinces et parce que rien n'obligera celles-ci à dépenser de l'argent pour les garderies ou à rendre des comptes.

Nous proposons donc au gouvernement fédéral, comme nous l'avons recommandé dans notre mémoire sur l'examen des programmes de sécurité sociale, d'établir un fonds national spécial pour financer les services de garde d'enfants. Je crois qu'une copie du sommaire de notre mémoire, intitulé ``Taking the First Steps'', vous a été remise.

Pour pouvoir se servir des fonds, les provinces devront accepter de partager les frais et de respecter les critères énoncés dans notre mémoire, à savoir l'exhaustivité, la qualité supérieure, l'abordabilité, l'accessibilité et l'obligation de rendre des comptes.

.1835

On ne peut pas compter sur les gouvernements provinciaux pour fournir les ressources nécessaires, ou même dans certains cas pour appuyer le financement public des garderies. Bien que nous ayons enfin des garderies subventionnées par l'État dans toutes les provinces et dans tous les territoires grâce au Régime d'assistance publique du Canada, il existe encore des différences marquées entre les provinces. À Terre-Neuve, par exemple, il n'y a pas de financement pour les services de garde de nouveaunés.

Cela n'a pas été facile au cours des 27 années qui se sont écoulées depuis la création du Régime d'assistance publique du Canada. Je le sais parce que j'ai commencé à travailler dans le milieu des garderies l'année où ce programme est entré en vigueur.

Comme il existe des écarts importants entre les provinces au niveau du prix, et même de l'accès, de nombreux parents canadiens sont obligés de se contenter de services qui laissent à désirer parce qu'ils n'ont pas les moyens de se payer de meilleurs services ou parce qu'ils ne trouvent rien de mieux.

Le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux ne prévoit rien pour le financement des garderies. On nous dit que les fonds prévus à cette fin, qui nous ont été promis dans de nombreux livres et documents, sont compris dans le Fonds d'investissement dans les ressources humaines, mais rien ne nous indique qu'une partie de ces fonds doit être consacrée aux garderies. Nous constatons également que le gouvernement s'apprête à réduire le fonds en question de 40 p. 100 au cours des trois prochaines années. En fait, les services de garde à l'enfance ont toujours été l'enfant pauvre des programmes sociaux.

Les provinces seront moins portées que jamais à engager de nouvelles dépenses pour les garderies. Elles pourraient même réduire leurs dépenses afin de pouvoir réaffecter les sommes à d'autres priorités politiques. Cela se produit déjà en Alberta, à Terre-Neuve et au Nouveau-Brunswick.

Les économies qu'on cherche à réaliser aujourd'hui en limitant ou en réduisant les dépenses relatives aux garderies ne sont pas du tout de réelles économies. Le fait de ne pas avoir accès à des services de qualité à prix abordable met en péril le développement de nombreux enfants au Canada. Le problème n'a fait que s'aggraver depuis le milieu des années soixante, lorsque de plus en plus de mères ayant de jeunes enfants ont commencé à s'intégrer à la population active. Aujourd'hui, 69 p. 100 des mères ayant des enfants âgés de moins de six ans sont sur le marché du travail.

Dans notre mémoire au Comité du développement des ressources humaines, nous affirmons qu'un programme national de garderies pourrait même aider le Canada et les provinces à réduire leurs dettes en créant de nouveaux emplois durables et en permettant ainsi à un plus grand nombre de parents de s'intégrer à la population active et de payer des impôts à l'État.

Les mesures de réduction de la dette du gouvernement nous semblent plus réactives et régressives que proactives et progressistes, en ce sens que la réduction des fonds consacrés aux programmes de garderies empêche certains parents de se joindre à la population active ou, dans le cas de certaines provinces, forcent les parents à s'y intégrer, mais sans que rien soit fait pour assurer la prestation de bons services de garde à leurs enfants.

Si nous investissons dans les garderies, les retombées sociales et économiques seront telles que le programme finira par faire ses frais et qu'il ne sera plus nécessaire de réduire le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux.

En terminant, j'aimerais que vous vous reportiez à la page 2 de notre sommaire. Nous y décrivons, dans le coin supérieur gauche, notre conception des services de garde d'enfants au Canada. Je ne vous lirai pas ce passage, car je présume que vous savez tous lire, mais j'aimerais attirer votre attention sur la première phrase, qui dit que le bien-être de tous les enfants est une responsabilité sociale partagée. Ce que nous voulons dire, ce n'est pas que le bien-être des enfants en Nouvelle-Écosse est une responsabilité que doivent se partager uniquement les habitants de la Nouvelle-Écosse, mais plutôt que le bien-être de chaque enfant canadien est la responsabilité de tous les Canadiens. Et pour veiller à ce qu'il en soit ainsi, il faudra que le gouvernement fédéral intervienne dans la prestation des services de garde à ces enfants.

Merci beaucoup.

Mme Rothman: Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je voudrais faire quelques observations avant de passer ensuite aux questions.

Le président: Comme vous voulez.

Mme Rothman: Pour ceux et celles qui ne le sauraient pas déjà, les Services communautaires de développement et de garde à l'enfance des Travailleurs canadiens de l'automobile sont un organisme sans but lucratif distinct des TCA Canada qui assure des services de garde d'enfants aux membres des TCA et à la population, principalement en Ontario. Créé en 1989, notre organisme administre actuellement des programmes à Windsor et à Port Elgin et compte bientôt offrir ses services à Oshawa et à Oakville, où se trouvent les principales usines des trois grands constructeurs d'automobiles.

Je suis directrice de cet organisme, qui est une entité distincte des TCA, dont le président, Buzz Hargrove, sera ici la semaine prochaine pour vous parler d'un large éventail de questions. Je me contenterai pour ma part d'aborder la question des garderies dans le contexte du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux.

.1840

Le président: Nous sommes ravis que vous soyez ici, parce que nous allons nous ennuyer à mourir avec Buzz. Il est d'accord avec tout ce qui est proposé dans le budget.

Mme Rothman: Je ne suis pas certaine que ce soit le cas.

Des voix: Ah, ah!

Mme Rothman: Ce que je voulais dire, donc, c'est que les TCA prônent depuis longtemps l'établissement d'un système universel de qualité, pas simplement pour leurs propres travailleurs et pas simplement par voie de négociations dans le secteur privé. De concert avec le Congrès du travail du Canada, l'Association canadienne de promotion des services de garde à l'enfance et les orgnisations féminines et religieuses, les TCA n'ont cessé de préconiser l'accès à des services de garde de qualité. Par la négociation collective, nous avons réussi à obtenir des trois grands constructeurs d'automobiles des gains importants qui nous permettent d'aider - je dis bien «aider» - à offrir des services de garde de qualité à un prix abordable.

Ce qui est intéressant, c'est que cette idée de responsabilité partagée par un groupe de travailleurs se soit transformée en une association entre le secteur public et le secteur privé qui profite à un plus grand nombre de gens. Chacun des employés des trois grands et des membres des TCA verse à ce moment-ci 4,5c. l'heure. Cela nous permet d'offrir non seulement des services de garde de qualité, mais aussi de bons salaires et de bonnes conditions de travail. J'entends par là des salaires et des conditions de travail comparables à ceux offerts aux personnes qui travaillent dans les collègues communautaires et les municipalités en Ontario, et des services dont le prix est, disons, plus abordable pour les parents. Toutefois, sans la participation du secteur public, nous ne pourrions pas y arriver. Je tiens à préciser que les TCA ne considèrent aucunement que leurs initiatives pourraient remplacer un programme subventionné par l'État s'adressant à l'ensemble de la population.

Je vais maintenant essayer de résumer l'essentiel de mes propos.

Pour les TCA, les garderies représentent un enjeu économique important. Ce qui est intéressant, comme je l'ai déjà mentionné, c'est que votre gouvernement pense de la même façon. Celui-ci a en effet indiqué dans son Livre rouge qu'il voyait un moyen d'appuyer l'emploi et la création d'emplois. Il a aussi déclaré qu'investir dans les garderies représentait une façon d'investir dans l'avenir. Fait intéressant à remarquer, en plus des partenaires traditionnels que sont les syndicats, les organisations féminines, les groupes s'intéressant à la politique sociale et les organisations religieuses progressistes, d'autres groupes ont épousé notre cause au cours des cinq dernières années. Je pense notamment aux travailleurs du secteur des transports et à l'Institut canadien des recherches avancées, qui reconnaissent l'importance d'une éducation de grande qualité pour les jeunes enfants.

S'il faut faire quelque chose pour les garderies, il faut aussi faire quelque chose pour les enfants qui vivent dans la pauvreté. S'il y a des enfants pauvres dans notre pays, c'est bien souvent parce que leurs parents ne sont pas en mesure d'obtenir une formation ou un emploi convenable.

Pour les femmes certainement, les garderies demeurent la question qui les préoccupe le plus dans la vie de tous les jours.

Avant que Mme Stewart nous quitte, j'aimerais lui dire que nous comptons sur son aide. Nous avons fait pression sur votre père à maintes reprises pendant plusieurs années, et il nous disait toujours que ses filles l'avaient bien instruit sur le sujet des garderies. Je voulais juste le lui mentionner.

Mme Stewart: Mes collègues vont vous poser des questions au sujet du rôle des provinces. Veuillez m'excuser, mais je dois partir.

Mme Rothman: Nous comprenons.

C'est Rosalie Abella qui disait il y a une dizaine d'années que tout ce qu'il fallait pour assurer l'égalité d'accès au marché du travail pour les mères de famille, c'était des garderies. C'est toujours le cas aujourd'hui. Les difficultés sont cependant plus nombreuses, et le projet de loi C-76 ne fait rien pour améliorer la situation.

En fait, en écoutant les propos des représentants de la Coalition canadienne de la santé, je me suis rendu compte que notre programme n'était pas encore vraiment un programme, qu'il était encore à l'état embryonnaire. Il existe encore beaucoup d'endroits au Canada où il n'y a pas de garderie.

Je saute d'un sujet à l'autre maintenant.

Donc, malgré tous ces groupes de travail, ces études et ces commissions, y compris le premier groupe de travail fédéral, que vous avez constitué en 1984 et qui était présidé par Katie Cooke - et qui a publié le premier rapport décent sur les garderies - , la plupart des familles et des enfants au Canada n'ont pas accès à des services de garde de qualité.

Je voudrais ajouter que nous n'avons pas de régime exhaustif ni de cadre fédéral où l'on trouve des énoncés de principes et un mécanisme de financement qui permettraient d'encourager les provinces à assurer l'accès et à mettre sur pied un programme de garderies accessible à tous.

Même s'il n'est pas vraiment une solution de rechange et représente plutôt le statu quo, le Régime d'assistance publique du Canada peut contribuer jusqu'à un certain point au développement des services de garderies pour les familles à faible revenu. Mais ce mécanisme de financement est plutôt limité. Il ne tient pas compte de la qualité et de la disponibilité des services, ce dont vous avez probablement déjà entendu parler, et contraste certainement avec ce que la Loi canadienne sur la santé prévoit pour les services de garderie.

.1845

Ce que nous voulons dire finalement, c'est que la réduction des transferts fédéraux ne fera qu'intensifier les disparités qui caractérisent le système actuel. En plafonnant le Régime d'assistance publique du Canada, le gouvernement se trouve à freiner les progrès accomplis jusqu'à maintenant dans le domaine des garderies.

La plupart des familles ne sont pas conscientes de la modeste croissance enregistrée pendant les années 80. Je n'ai pas de graphique avec moi, mais l'une des personnes qui viendront faire un exposé la semaine prochaine vous montrera que la courbe d'augmentation a commencé à fléchir. Je ne suis même pas certaine qu'un enfant sur douze reçoive actuellement des services de garde de qualité au Canada.

Je pourrais vous donner les mêmes exemples que ceux que vous a donnés Sue au sujet des services limités, mais il y en a d'autres qui me viennent à l'esprit.

Les services offerts aux parents qui ont un horaire irrégulier - soit avant 7 heures et après 18 heures, ou même avant 7h30, disons - sont très limités, et ce, même si 60 p. 100 des parents ayant des enfants âgés de moins de 6 ans appartiennent à cette catégorie. Ces données sont tirées de l'étude nationale sur les garderies, qui est l'une des études les plus complètes jamais effectuées sur les préférences et les besoins des parents.

Je voudrais insister sur le fait que les services de garderie font déjà l'objet d'une forte déconcentration. Il y a un manque d'homogénéité que certains qualifieraient de souplesse. Mais nous ne croyons pas que cette souplesse vient du fait qu'on ait décidé consciemment de tenir compte des besoins de chaque région et des différences qui existent entre les régions.

Nous savons, pour en avoir discuté et nous être débattus pendant de nombreuses années, que ce manque d'homogénéité dénote plutôt l'incapacité et, dans bien des cas, la réticence des provinces à répondre aux divers besoins des familles.

Avant que vous nous demandiez si nous en avons discuté avec les provinces, j'aimerais vous dire que nous avons bel et bien fait des démarches auprès des provinces et que nous allons continuer de le faire.

En tant que défenseurs d'un système national de garderies, nous pensions que la situation allait enfin s'améliorer pour les familles canadiennes en raison des engagements contenus dans le Livre rouge - qui comprennent, comme vous le savez probablement, de nouvelles dépenses cumulatives totalisant 720 millions de dollars pour les années 1995, 1996 et 1997 - et de l'objectif qui y est clairement énoncé et qui consiste à encourager l'aménagement de nouveaux organismes de garde réglementés qui donneront aux parents des choix véritables.

Ces orientations étaient bien différentes de celles de l'ancien gouvernement de M. Mulroney, qui a implanté un régime de marché en augmentant considérablement la déduction pour frais de garde d'enfants, qui profite surtout aux Canadiens à revenu élevé, et en majorant l'allocation pour personnes à charge versée aux personnes qui participent aux programmes de formation fédéraux, laquelle équivaut ni plus ni moins à un système de bons d'échange, où on ne rend pas de comptes.

En réalité, on ne connaît pas l'utilisation qui est faite de ces fonds, et le bruit court qu'une bonne partie de cette somme est comprise dans le transfert de revenu et qu'elle ne va même pas aux garderies.

Nous étions confiants, en effet, et nous avons ensuite pris connaissance des déclarations faites dans le document intitulé La sécurité sociale dans le Canada de demain et dans le document complémentaire sur la garde d'enfants et le développement de l'enfant. Après avoir examiné le projet de loi C-76, nous arrivons à la conclusion que celui-ci a ni plus ni moins pour effet d'empêcher le gouvernement de respecter ses engagements et n'offre aucune protection contre un démantèlement total du fragile réseau de services de garderie.

Il nous faut plus de rigueur, et non pas plus de souplesse. Nous avons besoin d'un leadership national pour établir les principes directeurs, et nous appuyons ce que proposent l'Association canadienne pour la promotion des services de garde à l'enfance et de nombreux autres groupes.

Notre service n'est pas encore bien établi. Nous n'avons pas d'anciens étudiants comme les universités. Nos gens ne peuvent pas payer des frais plus élevés. Avec un peu de chance, ils ont, au début, un emploi et une carrière, et s'ils sont vraiment chanceux, ils ont aussi une formation.

.1850

Il ne faut pas oublier non plus tous ces enfants qui ont des besoins spéciaux et, bien entendu, tous ces parents qui ne travaillent pas actuellement et qui voudraient bien profiter d'une manière ou d'une autre des services de garderie. Et ces services, bien entendu, ne sont obligatoires dans aucune des provinces.

Comme l'a dit Sue, si le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux était adopté, il se pourrait très bien que le financement des services de garde finisse par disparaître complètement, sans conséquences financières apparentes. Si le financement de contrepartie n'est pas obligatoire, sait-on vraiment ce qu'il adviendra des 850 millions de dollars que les provinces consacrent actuellement aux services de garde d'enfant?

Il faut que s'exerce entre les provinces et le gouvernement fédéral ce que j'appellerais une certaine «pression créative» pour inciter les provinces à continuer de financer les garderies.

Nous craignons également qu'un mécanisme aussi flexible que celui envisagé dans le contexte du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux ne laisse la porte ouverte à l'utilisation de bons d'échange, car il est impossible de rendre compte de l'utilisation des fonds publics de cette façon. Cela ne permet pas de créer des choix pour les parents.

Nos études révèlent que des services de qualité offerts par des établissements réglementés contribuent à améliorer le développement de tous les enfants, et que des services de piètre qualité nuisent au développement de l'enfant.

Pour terminer, je voudrais dire que nous nous opposons vivement au Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. En ce qui a trait aux garderies, nous vous demandons de ne plus favoriser le système de marché préconisé par l'ancien gouvernement; de faire preuve de leadership en collaborant avec les provinces; de respecter les engagements exposés dans le Livre rouge et d'autres publications; de regrouper les dépenses actuelles, y compris l'allocation pour personnes à charge, et d'éliminer progressivement la déduction pour frais de garde d'enfants, parallèlement à l'augmentation des services; et de reconnaître «graduellement» les réalités financières: il faut commencer à bâtir un sytème qui réponde aux besoins des familles canadiennes.

Merci de m'avoir accordé autant de temps.

Le président: Merci beaucoup.

[Français]

Je vais commencer par monsieur Crête.

M. Crête: Merci, monsieur le président.

Ayant une conjointe qui a un service de garde en milieu familial où, pour 18 000$ par année, elle a de l'influence sur sept ou huit enfants - je n'en aurai probablement jamais autant au Parlement sur l'ensemble des choses - , je suis très sensible à votre argumentation.

J'aurais le goût de vous poser une question qui n'est pas nécessairement directement reliée au projet de loi C-76, mais qui m'apparaît très pertinente. Après les engagements pris depuis dix ans par les partis nationaux relativement à un régime national de garde sous toutes les formes possibles et imaginables, quelle serait aujourd'hui la façon de faire lever le couvercle qui ferait qu'on respecterait ces engagements? Je me permettrais même de dire en boutade que l'unique solution serait peut-être d'obtenir que chacun des 295 députés aille travailler une journée dans un service de garde. Ce serait peut-être une bien belle façon de leur faire apprécier ce que les gens font.

Sur la question du service de garde national, par contre, d'après ce que j'ai vu au cours de la tournée que nous avons faite avec le Comité du développement des ressources humaines, la situation est très différente d'une province à l'autre. De ce que j'ai pu voir, il y a des provinces, comme le Québec et la Colombie-Britannique, qui semblent avoir des services beuacoup plus développés que les autres provinces.

Dans un programme national, de quelle façon vous assureriez-vous que l'argent ne se transforme pas en prime au non-rendement, c'est-à-dire qu'on en dépense beaucoup plus dans les endroits où les provinces n'ont pas encore assumé leurs responsabilités que dans les provinces qui ont déjà assumé de façon significative leurs responsabiltés? Quel serait l'encouragement pour s'assurer qu'il y a davantage une prime à l'efficacité qu'une prime à l'inefficacité?

.1855

Mme Tougas: Vous avez parlé de plusieurs choses. Je voudrais revenir à la raison pour laquelle les gouvernements précédents n'ont pas rempli leur engagement. J'aurais le goût de dire que c'est peut-être parce qu'il y avait trop d'hommes dans les gouvernements précédents et qu'ils avaient passé la période où leurs enfants étaient en service de garde, ou bien qu'ils avaient l'avantage d'avoir une conjointe qui acceptait de rester à la maison et de s'occuper des enfants. C'est une boutade. Je ne pense pas que ce soit le cas de tout le monde, mais c'est quand même parfois ce qu'on croit.

Je pense aussi qu'on oublie. On voit les services de garde comme étant une dépense sèche, comme si on prenait de l'argent, le bien public, et qu'on le dépensait. On oublie qu'investir dans les services éducatifs à la petite enfance - et cela comprend les services de garde - , c'est un investissement dans l'avenir.

À l'Association, on fait une étude en vue d'établir les bénéfices, non seulement sociaux - parce que ceux-ci, on les sent - , mais aussi économiques, qu'il y a à investir dans les services à la petite enfance. Bientôt, on pourra sortir cette étude et je pense qu'elle sera très significative. On s'aperçoit que dans très peu d'années, on aura un ample rendement sur l'investissement initial. Malheureusement, je pense que seuls des arguments de type strictement économique peuvent convaincre le ministère des Finances de changer, le convaincre qu'il y a des avantages à investir dans les services de garde. Alors, on ajoutera cet argument-là aux arguments sociaux et éducatifs.

Maintenant, je vais revenir à votre question. Comment fait-on pour s'assurer que dans les provinces, étant donné qu'il y a de l'iniquité... Effectivement, chaque province est à un niveau de développement différent. Certaines provinces - je vais prendre le Québec, car je le connais bien - ont un système de garde à l'enfance qui est assez bien développé. Depuis quelques années, c'est en balance, mais c'est quand même relativement bien développé. On a de la formation pour le personnel. On a des exigences par rapport à la réglementation pour les poupons. Donc, dans un cadre de référence où on exigerait des services de garde de qualité pour investir des fonds publics, le Québec aurait à s'asseoir avec le gouvernement fédéral et voir quels seraient les niveaux de qualité qu'il faudrait améliorer. Ce ne serait peut-être pas sa priorité. Il faudrait peut-être développer l'accessibilité, au Québec. Le Québec, comme les autres provinces, n'a pas beaucoup de services de garde. La flexibilité et la souplesse des services de garde n'existent pas plus au Québec qu'ailleurs. Alors, peut-être qu'on pourrait concentrer les efforts à cet endroit.

On pourrait en discuter avec chacune des provinces. Par exemple, à Terre-Neuve, où il n'y a pas de services de garde pour les poupons ou de services de garde réglementés, cela pourrait être la première priorité. Donc, il y aurait des niveaux différents, mais on irait tous dans la même direction. On ne peut pas définir la qualité, mais on sait ce que c'est. Ceci se ferait graduellement, dans le respect des différentes communautés, parce que c'est au niveau local que cela se développe aussi. Les autochtones ont une notion de la qualité et une façon d'y parvenir qui sont très différentes des nôtres. Alors, ce serait dans le respect de ces différences-là, mais toujours en allant vers des objectifs.

Je sais que toute cette question des normes nationales et d'objectifs nationaux crée un problème. Ce n'est pas le sujet qu'on doit aborder ici, mais il n'en reste pas moins qu'actuellement, au Québec, autant que dans les autres provinces, on a certains principes et certains objectifs par rapport au développement des services de garde. Avec le bon vouloir et l'intention des gouvernements, je pense qu'il pourrait y avoir une entente pour amorcer ces discussions-là et même commencer à implanter les services.

Le président: Merci, monsieur Crête.

[Traduction]

S'il vous plaît, monsieur Campbell.

M. Campbell: Merci d'être venus de plusieurs endroits de pays pour faire cet exposé.

L'un des membres du Comité, Mme Brushett, qui ne pouvait se joindre à nous aujourd'hui, se demande si Mme Wolstenholme habite dans sa circonscription.

Mme Wolstenholme: Je demeure à Halifax.

M. Campbell: La circonscription de Mme Brushett est Colchester.

Mme Wolstenholme: Dans mon enfance, j'habitais tout près de sa circonscription.

M. Campbell: Elle m'a demandé de vous poser la question parce que votre nom lui disait quelque chose.

Je vous remercie de nous avoir parler des services de garde et de nous avoir rappelé les mesures que nous avons déclaré vouloir prendre et au sujet desquelles nous avons pris des engagements.

.1900

Je voudrais revenir sur l'un des points soulevés par Mme Stewart précédemment. Vous étiez ici dans la salle lorsque le groupe précédent a fait son exposé. En fait, Mme Tougas a fait une remarque pertinente au sujet des normes et du rôle du gouvernement fédéral, mais j'aimerais revenir sur ce qu'a dit Mme Stewart et vous demander pourquoi vous croyez que les gouvernements provinciaux ne seraient pas disposés à en faire davantage compte tenu des arguments très convaincants que vous avez présentés en faveur des services de garde.

Je trouve cela très encourageant d'entendre dire par toutes ces personnes venues des quatre coins du pays pour nous parler non seulement des services de garde, mais aussi de diverses autres questions, combien le rôle du gouvernement fédéral est important et que, sans lui, les méchantes provinces ne feraient jamais rien de bien. Je trouve cela fascinant que tant de gens au pays croient que le gouvernement fédéral doit intervenir pour établir des normes dans chaque cas, sinon les provinces ne le feront pas.

Je me souviens, dans le cas du régime d'assurance-maladie, dont nous avons discuté auparavant, qu'il s'agissait au début d'un programme provincial. La Saskatchewan accuse d'ailleurs le gouvernement fédéral de lui avoir volé ce programme.

Je ne sais pas si vous avez des commentaires à faire à ce sujet. C'est un point intéressant que vous soulevez à plusieurs reprises dans votre exposé. Notre rôle nous semble maintenant beaucoup plus important.

Mme Rothman: Je dirai d'abord qu'après tout, ce gouvernement est un gouvernement libéral et que les gens pensaient sans doute qu'ils allaient obtenir ce qu'ils avaient auparavant. Ça ne me semble pas du tout être le cas.

À propos du rôle du gouvernement fédéral, je voudrais ajouter que nous ne voulons pas que le gouvernement se contente d'intervenir pour inciter ou forcer des provinces à agir, nous voulons qu'il participe au financement des services de garde.

M. Campbell: Je vous reçois cinq sur cinq, madame.

Mme Rothman: Nous avons insisté sur les problèmes structurels du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, mais il est évident que la réduction d'environ 4 milliards de dollars prévue pour les deux prochaines années va faire une différence énorme.

M. Campbell: Nous avons entendu beaucoup de témoins ces derniers jours, et ces gens nous disent qu'ils ne font aucunement confiance aux provinces et qu'ils craignent le pire pour leur secteur d'activité ou la cause qui leur tient à coeur.

Ces gens-là n'ont pas tous raison. Ce n'est pas tout le monde qui sera perdant. Ils se plaignent ensuite qu'il y aura quelques gagnants et quelques perdants. Est-ce que vous croyez que les garderies seront perdantes lorsque la province partagera le gâteau?

Mme Rothman: Oui, mais je dois dire que je viens de l'Ontario et que, pour être juste, le gouvernement provincial actuel a cédé aux pressions et augmenté les dépenses dans le secteur des garderies, et ce, en dépit du plafonnement du RACP.

Il y a des problèmes, mais je crois franchement que nous avons été les enfants pauvres du système. Les enfants ne votent pas. Les jeunes parents - ils ne sont pas tous jeunes, mais il y en a quand même beaucoup qui le sont - sont bien souvent vulnérables et ont besoin des services de garde pour une période de deux à quatre ans.

Comme je l'ai dit, nous n'avons pas d'associations d'anciens ni de pouvoir.

M. Campbell: Malgré tout cela, et en dépit des contraintes financières que le gouvernement de l'Ontario nous reproche de lui imposer, le budget consacré à la garde des enfants a augmenté, c'est bien ce que vous me dites.

Mme Rothman: Oui, c'est exact. Ce n'est pas un mensonge. Laissez-moi vous dire que j'ai consacré beaucoup d'énergie à l'encourager à le faire.

La Colombie-Britannique, qui est l'une des trois provinces touchée par le plafonnement du RAPC, a elle aussi augmenté quelque peu son budget, je crois. Mais nous avons besoin aussi de votre aide financière, pas seulement celle de la province.

[Français]

Mme Tougas: Il vous semblera drôle d'entendre quelqu'un du Québec réagir. Il y a deux ans que je suis ici, au Canada anglais, et il y a un concept dont j'entends beaucoup parler et qui m'étonne parce que je ne savais pas que ce concept existait d'une façon aussi forte chez les Canadiens anglais. C'est le concept de la nation.

Mes amies du Canada anglais me disent qu'elles ressentent qu'un enfant du Manitoba ou de Terre-Neuve ou de la Saskatchewan est un Canadien d'abord. Elles ont une solidarité pour ces enfants-là. Cette solidarité fait qu'elles attendent du gouvernement fédéral des principes et des normes qui feront que les provinces qui sont perçues par le Canada anglais, et sans doute par les gens qui sont venus vous parler, comme des gouvernements régionaux... Bien sûr, c'est une façon qu'on a de voir ce pays-là chez les Canadiens anglais et je pense que c'est une des raisons. Vous allez avoir tous ces gens qui viennent ici et qui disent: «Oui, il faut que le gouvernement fédéral s'ingère dans la juridiction provinciale.» C'est ce que vous semblez dire. Les gens croient qu'il y a un rôle fédéral et que c'est la seule façon de garder ce fil conducteur d'une province à l'autre.

M. Campbell: Et au Québec, quelle est votre histoire?

Mme Tougas: Notre association est d'avis que le Québec aura à déterminer la position qu'il voudra prendre dans ce débat-là.

.1905

Au niveau de l'Association, nous faisons nos présentations dans le respect de ce que les Québécois et les peuples autochtones vont décider par rapport aux normes nationales.

Le président: Merci, monsieur Campbell.

[Traduction]

M. St. Denis (Algoma): Merci, mesdames, de votre présence.

M. Crête nous a mis au défi d'aller passer une journée dans une garderie pour voir ce qui s'y déroulait. Je suis heureux de dire publiquement que j'ai été l'un des parents fondateurs de la garderie coopérative de l'Université de Toronto.

Mme Rothman: Oh, c'était l'une des premières garderies au pays, si je ne me trompe.

M. St. Denis: C'était en 1971.

Mme Rothman: D'accord.

M. St. Denis: Ce fut une expérience intéressante. J'ai changé des milliers de couches pendant ces années-là.

Ma question découle d'une expérience que j'ai vécue en tant que parent à ce moment-là, et je crois qu'il s'agit d'un point important, du moins à mon avis. Je dirai d'abord que les personnes qui travaillent dans les garderies sont généralement sous-rémunérées, mais il faut dire également qu'il y avait des contraintes énormes, venant de la bureaucratie et des professionnels qui oeuvraient dans le milieu de la petite enfance, et que ces contraintes nous ont presque forcés, nous les parents, à fermer les portes de notre coopérative.

Si la ligne de conduite que semble avoir adoptée le gouvernement, comme je peux le constater dans ce budget, consiste à habiliter les provinces et, en bout de ligne, les individus, la démarche que vous préconisez ne va-t-elle pas empêcher les gens de pouvoir choisir entre les services familiaux, les services coopératifs ou les services professionnels? Les gens peuvent faire ce choix lorsqu'ils ont droit à des crédits d'impôt ou à des subventions. Si l'argent va à des garderies subventionnées par l'État, les gens auront-ils encore ce choix? Et cela ne créera-t-il pas un problème dans les régions rurales où l'infrastructure est très différente?

Mme Rothman: J'aurais un ou deux commentaires à formuler. Je laisserai ensuite la parole à Sue, qui aura probablement quelque chose à vous dire à ce sujet.

Tout d'abord, je tiens à vous dire que, moi aussi, j'ai fait partie d'une coopérative formée de parents, à la garderie de l'université York. J'ai changé de nombreuses couches et je sais...

M. St. Denis: Vous êtes plus jeune que moi. C'était probablement dans les années quatre-vingt.

Mme Rothman: Non, pas vraiment. Je vous remercie tout de même.

Le président: Elle a vraiment l'air plus jeune, en tout cas.

Mme Rothman: À propos de la bureaucratie, je crois qu'au cours des 20 dernières années les gens du milieu en sont venus à en connaître beaucoup plus au sujet des services de garde de qualité. Il faut une certaine souplesse, et non des règles ou règlements peu appropriés, il faut aussi se fonder sur certains principes en ce qui a trait à la façon d'élever des enfants.

Pour ce qui est de la question des déductions fiscales et des bons d'échange, vous n'avez pas dit bons d'échange; vous avez parlé de mesures fiscales.

M. St. Denis: Ou c'est ça.

Mme Rothman: Vous avez laissé entendre que ces mesures permettraient aux gens de choisir.

Le problème, c'est qu'aucun choix ne leur est offert à l'heure actuelle. Ils doivent se débrouiller tous seuls dans un sytème de marché qui les oblige à choisir un nom sur un babillard. C'est l'absence totale de fiabilité, de prévisibilité et de responsabilité.

Le système que nous préconisons serait conçu pour répondre à divers besoins. Je sais qu'il y a dans la circonscription de M. Peterson des garderies où l'on sert des aliments cosher, observe les règles diététiques de la loi hébraïque et offre divers services adaptés à la communauté juive. Dans d'autres circonscriptions, on offre un programme spécialement conçu pour répondre aux besoins des enfants autochtones en milieu urbain. Dans les régions rurales, on offre une combinaison de programmes. Il n'y en a pas beaucoup, mais je connais au moins un programme qui répond aux besoins saisonniers des travailleurs dans la région de Collingwood, en Ontario.

Il est possible de le faire, mais il faut pour cela de la volonté et de la planification.

Mme Wolstenholme: J'aimerais aussi soulever la question des nombreuses études qui ont été faites à propos des préférences des parents. La majorité des parents préféreraient envoyer leurs enfants dans une garderie agréée, s'ils en avaient la possibilité.

Comme l'a dit Laurel, nous envisageons un système qui permet d'offrir un éventail de services qui répondent aux besoins de divers groupes en termes de programmes, d'heures d'ouverture, d'organisation, d'emplacement, etc.

Elle a également raison de dire qu'il n'y a pas de choix à l'heure actuelle. Bien des gens ont indiqué leurs préférences pour les garderies agréées, mais ils n'y ont souvent pas accès.

M. St. Denis: Merci.

.1910

Le président: Merci, monsieur St. Denis.

[Français]

Je voudrais dire aux témoins qu'ils nous ont présenté une très bonne étude.

[Traduction]

Le document Taking the First Steps est très bien rédigé. Il nous présente l'idéal à atteindre: un régime de garderie accessible à tous, complet, de qualité, subventionné par l'État et dont il possible de rendre compte.

[Français]

Vous nous avez présenté le principe qu'une des choses les plus importantes pour notre avenir est l'investissement que nous pouvons faire aujourd'hui dans le bien-être de nos enfants. Il nous est impossible, quel que soit notre parti, de contester le but que vous nous avez suggéré.

[Traduction]

Il sera très important pour nous au cours des prochains jours de nous pencher sur la question des contraintes budgétaires et de fixer nos priorités.

Je ne pensais pas qu'un groupe comme le vôtre allait se présenter devant nous aujourd'hui ou pendant ces audiences, car je crois que nous sommes nombreux à avoir mis en veilleuse la question des garderies. Votre témoignage nous a amenés à nous intéresser à nouveau à ce domaine très négligé de la politique sociale. Comme vous l'avez fait remarquer, c'est un domaine dans lequel il pourrait être très avantageux à long terme d'effectuer dès aujourd'hui un modeste investissement.

Au nom de tous mes collègues, j'aimerais vous remercier d'être venues nous rencontrer aujourd'hui.

Avant de lever la séance, j'aimerais également remercier les interprètes d'avoir accepté de travailler dans des conditions aussi difficiles pendant quatre heures, car nous n'aurions jamais pu sans leur collaboration tenir toutes ces audiences cet après-midi.

La séance est levée. Les audiences reprendront demain, à 9h30.

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