[Enregistrement électronique]
Le jeudi 11 mai 1995
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte.
Nous étudions le projet de loi C-76.
Nous accueillons aujourd'hui des représentants du Conseil de planification sociale d'Ottawa-Carleton en la personne de Jim Zamprelli, directeur exécutif, et d'Helen Berry, expert-conseil en politique sociale.
M. Jim Zamprelli (directeur exécutif, Conseil de planification sociale d'Ottawa-Carleton): Nous représentons le Conseil de planification sociale d'Ottawa-Carleton, organisme de planification et de défense bilingue, constitué de citoyens, et fondé en 1928. Il y a donc plus de 65 ans que nous oeuvrons avec nos membres au sein de la collectivité.
Comme conseil, nous offrons à tous les paliers de gouvernement, aux paliers local, provincial comme fédéral, un point de vue indépendant dans les critiques éclairées que nous formulons sur les systèmes d'appui social. Nous constituons un vecteur entre le citoyen et le gouvernement, le secteur public, et ce à divers échelons.
Le conseil regroupe 100 organisations et plus de 250 particuliers. Par son intermédiaire, nos membres et la collectivité au sein de laquelle nous oeuvrons peuvent cerner les enjeux économiques et sociaux cruciaux pour l'avenir de la collectivité et prendre les mesures qui s'imposent.
Par exemple, nous avons contribué à mobiliser l'opinion de la collectivité en réponse aux intentions du gouvernement fédéral de procéder à la réforme de la sécurité sociale. Nous avons effectivement comparu devant le Comité permanent du développement des ressources humaines. Nous avons fait beaucoup de recherches sur la pauvreté familiale, celle des enfants, à l'échelle de la collectivité et nous avons renseigné le public sur cette réalité en offrant ce qui pourrait constituer des solutions. Nous avons mis en lumière les lacunes des programmes d'aide sociale qui ne couvrent pas effectivement et adéquatement les besoins de ceux qui en sont tributaires, familles, enfants et particuliers.
Si je ne m'abuse, vous avez reçu notre document sur le panier de la ménagère qui pourrait vous amener à poser la question suivante: l'assistance sociale permet-elle vraiment de répondre aux besoins de ceux qui en dépendent?
Avant tout, nous servons de catalyseur pour le changement et nous defendons les intérêts de bien des couches de la collectivité, surtout ceux qui sont en marge de la société.
C'est ainsi que nous préconisons auprès du gouvernement des positions très précises et c'est ce qui nous amène ici devant vous aujourd'hui.
Le Conseil de planification sociale d'Ottawa-Carleton demande aux membres du comité de recommander qu'on apporte les amendements suivants au projet de loi C-76. S'agissant de la partie V, le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, nous recommandons vigoureusement que le paragraphe 13(1) contienne la précision suivante: pour qu'une province conserve son accès au transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, elle doit consacrer au moins 43 p. 100 des fonds à l'assistance sociale et aux services sociaux.
Ma collègue, Helen Berry, vous donnera plus de détails sur ce pourcentage.
Toujours au même paragraphe, 13(1) - et cet amendement éventuel aurait des répercussions sur le paragraphe 13(3) du projet de loi - nous recommandons instamment qu'on y ajoute ce qui suit: pour qu'une province puisse conserver son accès au transfert en matière de santé et de programmes sociaux, elle est tenue de respecter les normes et principes s'appliquant à l'assistance sociale et aux services sociaux et qui sont énoncés plus bas.
En effet, nous avons énoncés en termes très précis un certain nombre de ces normes. Il faut tout d'abord que l'assistance sociale corresponde aux besoins. Le niveau fixé pour les prestations doit prendre en compte ce qui est nécessaire pour répondre aux besoins fondamentaux des prestataires et l'on devra déterminer ce niveau à partir du panier de la ménagère.
Comme nous l'avons déjà dit, nous vous avons fait distribuer un dépliant qui explique ce calcul à partir du panier de la ménagère, à savoir, qu'on tienne compte des réalités du coût de la vie et qu'on se demande si l'assistance sociale permet à quelqu'un de joindre les deux bouts dans ces conditions. Dans la négative, les prestations devraient être augmentées.
Le droit aux services sociaux et à l'assistance sociale de même que la prestation des services doivent être uniformes dans toutes les provinces du Canada. Il s'agit donc d'une uniformité nationale, de normes nationales, quel que soit l'endroit, d'un océan à l'autre.
L'admissibilité universelle pour ceux qui en ont besoin: l'aide financière ou les services sociaux doivent être fournis à toute personne dans le besoin. Je vous demanderai de vous reporter au texte de loi actuel, auquel nous souscrivons, qui définit une personne dans le besoin comme toute personne incapable de subvenir à ses propres besoins et à ceux de sa famille pour une des raisons suivantes: impossibilité de travailler, perte du principal soutien de famille, maladie, handicap ou âge. Nous avons adapté cette définition en nous inspirant du libellé actuel.
Il faut que les gens aient le choix, qu'ils puissent compter sur des débouchés, et que l'on garantisse que tous les demandeurs et les prestataires de services sociaux et d'assistance sociale seront traités avec courtoisie et dignité. Le système doit également offrir des chances d'avancement économique et de perfectionnement à ceux qui reçoivent l'assisstance sociale, mais c'est de plein gré - et nous voulons bien souligner l'expression «de plein gré» - que ceux-ci se prévaudront de ces chances dans la mesure de leurs capacités.
Le système doit être équitable. L'équité est cruciale. Le système d'assistance sociale doit traiter chacun équitablement et de façon uniforme. La Charte des droits et libertés et le Code canadien des droits de la personne garantissent à chacun un traitement juste et équitable à l'abri de toute discrimination.
La responsabilisation: Le système doit garantir que les prestataires ont un rôle à jouer dans la prise des décisions qui les touchent directement et il faut leur assurer l'accès à des débouchés et à des sources d'appui afin qu'ils participent pleinement à la vie de la collectivité. En outre, nous tenons absolument à ce que les provinces offrent des possibilités d'appel ouvertes et accessibles à tous les demandeurs et les prestataires de l'assistance sociale.
Je vais demander à Helen Berry de vous donner une analyse plus détaillée de ces deux grandes recommandations. Je lui cède la parole.
Mme Helen Berry (expert-conseil en politique sociale, Conseil de planification sociale d'Ottawa-Carleton): Nous recommandons premièrement que les provinces consacrent au moins 43 p. 100 du transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux aux services sociaux et à l'assistance sociale. Ce chiffre s'inspire de la contribution fédérale au RAPC et au financement des programmes établis en 1993-1994, au titre de la santé et de l'éducation postsecondaire. C'est le pourcentage retenu pour le RAPC.
Nous avons tiré ce chiffre du rapport du vérificateur général pour l'année 1994.
Nous pensons qu'il est nécessaire de légiférer un pourcentage précis pour les fonds qui seront consacrés aux services sociaux et à l'assistance sociale, surtout à cause du climat qui règne et de la façon dont les choses se dessinent.
À divers niveaux, les discussions ont été nombreuses. Le premier ministre, lui-même, a dit qu'on semblait croire que la santé et l'éducation postsecondaire sont des secteurs prioritaires, alors que l'assistance sociale et les services sociaux seraient délaissés.
C'est la raison pour laquelle nous pensons qu'il faut prévoir un pourcentage prescrit dans la disposition de la loi. Nous pensons qu'il est rentable, sur le plan économique, d'appuyer l'assistance sociale et les services sociaux.
En voici quelques exemples. La pauvreté et la mauvaise santé vont main dans la main. Certaines études publiées récemment, notamment le rapport de l'Institut canadien de la santé des enfants intitulé La santé des enfants au Canada, le démontrent.
Permettez-moi de vous en citer un extrait. Le passage est assez long mais je vais le lire car j'ai l'impression qu'il prouve bien que la pauvreté est liée à la mauvaise santé.
Au Canada aujourd'hui, un pays considéré riche par rapport aux autres, plus de 1,2 million d'enfants vivent dans la pauvreté. Qu'est-ce que cela signifie pour eux? Cela signifie qu'ils n'ont pas assez à manger. Cela signifie qu'ils habitent dans des maisons délabrées, qu'ils n'ont pas de vêtements chauds en hiver, qu'ils n'ont pas accès aux installations récréatives dont les enfants ont besoin pour croître et se développer. Cela signifie qu'ils ont moins de chance de mener à bien des études secondaires et encore moins d'aller au collège ou à l'université, de sorte qu'ils ont moins de chance de trouver un travail, et c'est un travail que nous espérons tous pour nos enfants, petits-enfants et nous-mêmes.
Être né pauvre pour un enfant, cela signifie faire face à des problèmes de santé autant physiques que psychologiques; cela signifie un plus grand risque de décès, d'hospitalisation ou d'handicap. Cela signifie des difficultés scolaires ou alors des problèmes de santé mentale. Même si un enfant pauvre n'aura pas forcément des problèmes de santé, la pauvreté n'en demeure pas moins liée à l'augmentation du risque de maladie.
Comme je l'ai dit, cela est tiré d'un rapport de l'Institut canadien de la santé des enfants.
En 1993-1994, la santé et les services sociaux ont reçu quelque 7,2 milliards du gouvernement fédéral et ce, en proportion égale. Ce chiffre est aussi tiré du rapport du vérificateur général.
Toutefois, notre population est vieillissante. Les «baby boomers» se font plus vieux. La technologie médicale coûte de plus en plus cher et je pense que l'on peut dire que les coûts sur le plan de la santé vont sans doute augmenter à un rythme plus rapide que les coûts d'assistance sociale. Au fur et à mesure que le Canada connaîtra une reprise économique et que le taux de chômage baissera, l'assistance sociale va être nettement moins nécssaire. On a pu le constater après la récession de 1982-1983. En effet, les taux d'assistance sociale ont alors baissé lentement.
Toujours à propos de la pauvreté et de la mauvaise santé, nous pensons que, pour réduire les coûts de santé qui augmentent sans cesse, on devrait s'assurer que les fonds nécessaires au maintien de l'infrastructure des services sociaux préventifs sont garantis.
Ainsi, ne serait-il pas plus rentable d'aider une mère seule à bien nourrir et à bien loger ses enfants, même s'il fallait pour cela lui verser des prestations de 1 500$ par mois, plutôt que de verser la même somme par jour pour hospitaliser un de ses enfants? Il faut faire preuve de bon sens économique.
En consacrant au moins 43 p. 100 des fonds à l'assistance sociale, nous diminuons les besoins - c'est ce que nous espérons, par la création d'emplois et d'autres mesures du même genre - et les provinces pourront consacrer plus de fonds à des services sociaux prophylactiques. Là encore, cela contribuera à contenir le coût des services de santé parce que les deux sont liés.
Le Régime d'assistance publique du Canada ne servait pas uniquement au financement de l'assistance sociale mais également à celui de toute une gamme de services sociaux, notamment les services d'orientation, les services pour personnes ayant des besoins particuliers, les personnes handicapées et, dans une certaine mesure, les soins aux enfants. Au cours des 30 dernières années, le Régime d'assistance publique du Canada a permis de mettre en place toute une infrastructure. Nous craignons que cette infrastructure soit détruite à défaut d'imposer un financement minimum aux provinces.
Il ne serait pas très rentable d'essayer d'édifier de nouveau cette infrastructure ou encore de subir la conséquence de l'absence de ce que nous appelons des services sociaux prophylactiques.
Même s'il n'y a pas de corrélation à coup sûr, et que je n'ai pas pu trouver d'études qui le prouvaient, certains disent que la pauvreté est liée au crime et qu'elle a certainement quelque chose à voir avec les taux de décrochage dans les écoles et d'autres problèmes du même genre.
Bien des études montrent ces corrélation. Voilà pourquoi nous parlons de ces services comme étant des services prophylactiques. Il s'agit de coûts à court terme qui vont déboucher sur des gains à long terme.
Le Conseil de planification sociale reconnaît que le financement du RAPC et des programmes établis est plutôt compliqué à l'heure actuelle. À la lecture du rapport du vérificateur général, on a l'impression que le gouvernement fédéral ne savait pas toujours où les fonds du RAPC aboutissaient, surtout depuis qu'on a plafonné le régime en 1990. Trois des provinces estimaient qu'elles ne devaient rendre compte que de certaines sommes.
Nous pensons qu'un minimum de 43 p. 100 consacré aux services sociaux et aux programmes sociaux donnera au gouvernement fédéral de meilleures chances de surveiller les dépenses des provinces. En même temps, les provinces auront la souplesse d'adapter l'assistance sociale et les services sociaux à leurs besoins conformément aux normes nationales que nous avons énoncées, que nous estimons être primordiales.
À cet égard, notre deuxième proposition d'amendement vise l'inclusion de ces normes nationales même si nous reconnaissons qu'au paragraphe 13(3) de l'article 48 du projet de loi, il est prévu que le ministère du Développement des Ressources humaines va consulter les provinces pour dégager un consensus sur «les objectifs et les principes».
Toutefois, nous craignons énormément que le projet de loi ne soit pas amendé et que ces principes ne figurent pas dans ses dispositions. À tort ou à raison, cela nous inquiète vivement. Voilà pourquoi nous estimons qu'il est essentiel que des normes très précises à l'intention des provinces soient énoncées dès le départ.
D'autres groupes en ont dit autant, notamment lors de consultations prébudgétaires, et plus récemment, l'Organisation nationale antipauvreté et le Comité national d'action de la situation de la femme l'ont répété devant un comité des Nations Unies. Si l'on néglige d'inscrire des normes nationales pour l'assistance sociale et les sersvices sociaux dans les dispositions législatives, on risque de créer des iniquités flagrantes entre les provinces. Les grands perdants seront ceux qui doivent compter sur ces services.
Il nous faut reconnaître que le Régime d'assistance publique du Canada n'a pas nécessairement répondu aux attentes fédérales et provinciales pour le financement de l'assistance sociale et des services sociaux. Toutefois, il s'agissait-là de dispositions législatives qui sous-tendaient les droits économiques et sociaux fondamentaux des Canadiens tels qu'ils sont énoncés dans la Charte des droits et libertés et dans le Code des droits de la personne ou encore la Constitution.
Parmi ces droits, citons le droit à un revenu pour quiconque est dans le besoin, et selon certaines des normes que nous avons reprises, le droit à un recours en cas de refus. Nous reconnaissons tous sans doute que le droit fondamental d'interjeter appel est crucial en matière d'assistance sociale ou dans d'autres domaines.
Si l'on supprime le RAPC et que la loi ne prévoit pas d'autres normes, les Canadiens à faibles revenus vont perdre des droits très fondamentaux. À mon avis, tous les Canadiens, pas seulement ceux qui touchent de faibles revenus, vont perdre des droits fondamentaux.
Certains groupes y ont vu une discrimination contre les pauvres, en contravention de la Charte canadienne des droits et libertés et du Code des droits de la personne.
Parmi ces groupes, citons celui des Avocats pour une réforme juste. Il s'agit de juristes, ce que je ne suis pas, et ils ont parlé d'une discrimination potentielle dans de tels cas.
En conclusion, le Conseil de planification sociale d'Ottawa Carleton reconnaît l'incidence critique que représente la suppression du Régime d'assistance publique du Canada et les conséquences troublantes que représente la réduction de sept milliards de dollars dans le financement. À propos, nous n'avons pas beaucoup développé cet aspect-là, mais nous reconnaissons, et le comité en fait surement autant, qu'une réduction de sept milliards de dollars du budget va occasionner des changements spectaculaires.
Il est vrai que les normes nationales constituent un élément important, mais à elles seules elles ne peuvent pas créer un système adéquat et équitable de programmes sociaux et d'assistance sociale pour les Canadiens.
Nous, et sans doute aussi la collectivité dont nous faisons partie, croyons qu'il est très important d'avoir des normes nationales dans tout le pays pour que tous les Canadiens aient accès à l'aide sociale et aux programmes sociaux dont ils ont besoin.
Le président: Merci beaucoup.
[Français]
Nous allons commencer par vous, monsieur Deshaies.
[Traduction]
M. Deshaies (Abitibi): Parlez-vous français?
[Français]
Mme Berry: Oui.
M. Zamprelli: J'allais vous dire que, certainement, nous sommes contents de répondre en français.
[Traduction]
M. Deshaies: Vous pouvez parler anglais, mais...
[Français]
M. Zamprelli: Mais non, comme vous voulez.
M. Deshaies: Bon. Je vais... Nous attendrons Mme Berry.
M. Zamprelli: J'aimerais juste vous dire ceci : je ne sais pas si vous avez reçu le mémoire, mais on a des versions françaises qu'on n'avait pas tout à l'heure. Donc, si vous voulez une version française...
Le président: Monsieur Deshaies.
M. Deshaies: Rebonjour, madame Berry et monsieur Zamprelli. Je pense que vous avez donné un bon exposé pour les gens qui attendent des mesures sociales du gouvernement et surtout Mme Berry qui a souligné la nécessité de normes nationales.
Je ne suis pas complètement d'accord sur la nécessité de normes nationales puisqu'il arrive certaines contraintes qui ne pourront pas rendre réalisables ces normes nationales. Par exemple, comment concilier le fait que le Budget, d'année en année, va être décroissant, vu la dette nationale? Comment concilier ces normes-là, vu que vous n'aurez pas l'argent pour les appliquer?
Aussi, vous parlez de 43 p. 100 de la masse globale des sommes d'argent qui devraient être assignées à l'aide sociale. Là encore, c'est comme une sorte de norme, parce que je pense qu'elle est bien fondée : vous voulez assurer un certain budget aux gens, parce que vous dites que s'ils sont moins pauvres, ils vont peut-être être moins malades et c'est une roue qui va être positive plutôt que négative.
Mais encore là, si le budget total diminue, vos 43 p. 100 seront diminués; donc, vous aurez encore moins d'argent, vous allez avoir encore 43 p. 100, mais moins d'argent. Donc, ce ne sera pas encore l'objectif que vous voulez atteindre.
Aussi, comment concilier des priorités comme les grandes provinces, comme l'Ontario par rapport à l'Île-du-Prince-Édouard, qui n'ont pas les mêmes besoins sociaux ou les mêmes besoins de santé ou d'éducation? Alors, en les fixant selon les mêmes barêmes, 43 p. 100 pour l'aide sociale et le reste pour la santé et l'éducation, je pense qu'il est très difficile de concilier cela.
J'aimerais, monsieur Zamprelli, voir comment, face aux compressions qui devront se faire pendant les prochaines années, vous pouvez allier la souplesse des régions, en allant des provinces jusqu'aux régions, par rapport aux besoins nationaux.
M. Zamprelli: Peut-être que je peux commencer par dire que quand on parle de 43 p. 100, en fait, c'est juste une suggestion. Je pense que derrière cette recommandation, c'était plutôt qu'une allocation soit garantie en ce qui concerne les programmes sociaux. Parce que ce qu'on voit dans le projet de loi C-76, ce qui nous inquiète, c'est que tout à coup, toute question de services sociaux reste très vague et nébuleuse.
Donc, ce qu'on dit, c'est qu'on devrait reconnaître les besoins d'après des normes et moi, je dirais que si on parle de normes, on ne parle pas nécessairement de dépenses.
Les normes qu'on vous a présentées ce matin, jusqu'à quel point elles ont un aspect coûteux, je ne le sais pas, mais ce sont simplement les normes d'équité, savoir que tout programme soit accessible, etc. Je ne sais pas si cela va vraiment coûter plus cher.
Mais, pour en revenir aux 43 p. 100, c'est plutôt un début. Au fond, c'était pour garantir une allocation ferme en ce qui concerne les transferts.
M. Deshaies: Est-ce que vous ne pensez pas que ce serait plus logique d'avoir un énoncé de principes, savoir que l'aide sociale est une priorité au Canada?
Je vous donne des exemples : le degré de pauvreté. Quelqu'un est moins pauvre en gagnant, disons, 12 000$ en Abitibi plutôt qu'à Montréal ou à Toronto. La personne peut avoir sa petite maison à la campagne, avoir peu de dépenses de logement ou de chauffage, parce qu'il demeure près d'un boisé et qu'il peut couper son bois; à ce moment-là, le principe ne doit pas être fixé en termes de chiffres, mais en qualité de vie.
La qualité de vie de cette personne est meilleure que celle de la personne qui demeure dans un loyer insalubre de Montréal ou de Toronto. Est-ce qu'il ne s'agit pas plutôt de définir des normes qualitatives et non quantitatives?
M. Zamprelli: C'est ce qu'on a fait avec les normes qu'on a énoncées, les principes. C'est ce qu'on veut promouvoir, certainement, en vous présentant ces normes qui sont assez générales mais, pour nous, presque fixes, pour que n'importe quel prestataire en province ou dans une municipalité soit obligé de reconnaître ces normes et créer son propre système; comme vous le savez, le système actuel présente des taux tout à fait différents dans les provinces, qui répondent aux conditions locales.
Mais, nous disons que même avec ces différentes prestations, nous voulons que, n'inporte où, ce que l'on reçoit en tant que prestataire soit adéquat et respecte la réalité du coût de la vie. Ce qu'on trouve parfois, même dans une certaine localité qui, en principe, avait supposément pris en considération les réalités du coût de la vie... en fin de compte, la prestation est de beaucoup inférieure à ce qu'il faut vraiment pour mener une vie de qualité. Tout ce que nous demandons, c'est que la loi reconnaisse très spécifiquement ces normes et ces principes qui pourraient être interprétés d'une façon locale aussi, mais quand même on commence avec un barême de principes qui, pour nous, est tout à fait obligatoire.
[Traduction]
Mme Berry: Pourrais-je ajouter quelque chose? Nous préconisons une approche globale aux taux d'aide sociale. Celle-ci tiendrait compte de la situation locale, ou ce qu'on appelle les normes communautaires. Actuellement, les taux d'aide sociale tiennent compte des coûts du logement, de la taille de la famille, ce genre de choses. Le calcul global tiendrait également compte des fournitures scolaires, des vêtements, et ainsi de suite.
En Ontario, à l'heure actuelle, le téléphone est considéré comme étant un luxe; ce n'est pas un coût de base couvert par l'aide sociale. Nous pensons que, du moins dans les régions urbaines, et dans les régions rurales, en 1995, un téléphone n'est pas un luxe; c'est une nécessité. C'est surtout vrai si on a des enfants.
Ces normes ont donc été fixées par diverses provinces conformément au Régime d'assistance publique du Canada. Nous pensons qu'on devrait tenir compte des différences provinciales.
C'est un facteur important. Ce budget sera coupé de 7 milliards de dollars. Voilà pourquoi nous n'avons pas fixé de montant; nous avons fixé un pourcentage. Nous ne nous réjouissons pas de cette coupure de 7 milliards de dollars. Le système s'écroule déjà, et la pauvreté s'accroît.
Toutefois, plutôt que de parler de cela, nous avons pensé qu'avec un pourcentage, on manifesterait un certain souci de services sociaux et d'aide prophylactiques et on montrerait que l'on est conscient de leur importance dans tous les aspects de la vie des Canadiens.
Les assistés sociaux ne sont pas les seuls concernés par cette forme d'aide. L'absence d'aide sociale ne touche pas seulement la personne qui en est privée, elle a des répercussions sur l'ensemble de la société. En périodes de crise, nous sommes tous conscients du problème des sans-abri et de ce genre de chose.
Il faut donc bien comprendre que cela nous touchera tous, tous ceux d'entre nous qui ne sont pas des assistés sociaux comme ceux qui le sont. C'est une question de services d'ensemble... C'est une question de vision morale, je crois, des services sociaux que les Canadiens désirent avoir.
J'aimerais vous dire quelques mots des normes nationales. Nous avons distribué un document énonçant notre position qui a été récemment adoptée par le Conseil de la planification sociale. Je crois qu'il y en a aussi une version française.
Nous avons dû tenir compte du fait - et on en a beaucoup parlé - que maintenant que le gouvernement fédéral donne moins d'argent aux provinces, il a les coudées moins franches pour faire appliquer des normes nationales. Dans cet énoncé de position, nous évoquons un éventuel retour à une sorte de charte sociale. Tout le monde n'y voit pas la même chose. Pour nous, il s'agit de savoir ce que notre société, ce que nous les Canadiens nous voulons pour nous-mêmes et pour nos enfants.
[Français]
M. Dehaies: Excusez-moi. Le temps devait être écoulé vers 10h15. Je voulais juste finaliser. D'autres personnes veulent poser des questions. Si je vous laisse parler...
Ce que vous dites est intéressant, mais je vous dirai qu'hier, on a rencontré des groupes de gens qui travailaient dans le domaine de la santé. Ils voulaient encore un plus gros morceau. À ce moment-là, il est difficile de fixer des pourcentages, l'objectif étant davantage de rechercher la meilleure qualité de vie possible. Je laisserai la place à quelqu'un d'autre qui pourra vous poser une question. Merci, monsieur le président.
[Traduction]
M. Speaker (Lethbridge): J'ai deux questions fondamentales sur le sujet qui nous préoccupe. Premièrement, j'ai passé pas mal d'années à travailler avec des conseils de planification sociale. J'ai toujours respecté leur travail acharné pour combler les besoins sociaux.
Voici ma première question. Pendant de nombreuses années, j'ai été ministre du Bien-être social et de la santé. On parle maintenant de santé et de développement social pour voir les choses dans une perspective différente. Durant toutes ces années, des représentants du Québec et de l'Alberta à la table des ministres ont toujours fait valoir le même point de vue aux autres ministres ainsi qu'au ministre fédéral. Ce point de vue était qu'à notre avis, il fallait donner aux provinces plus de pouvoir en matière de programmes de services sociaux et leur permettre de définir plus facilement leurs orientations et leurs priorités.
Je crois comprendre que vous ne faites pas confiance aux provinces. Pourquoi?
Mme Berry: Nous ne visons certainement pas une province en particulier; ce qui nous préoccupe, c'est l'ambiance générale et la disparition de certaines formes de soutien, notamment l'aide sociale. Les services sociaux allaient assez bien, mais on a eu tendance à remettre en question la nécessité de l'aide sociale. Je crois que c'est une vision assez générale.
Il y a de bonnes raisons à cela. Nous sommes en récession. La classe moyenne a le sentiment d'être de plus en plus sollicitée par les taxes et ce genre de choses.
C'est pour cela que nous essayons d'avoir une attitude proactive. Nous essayons de faire comprendre que si l'on adopte des normes pour l'ensemble du pays... Nous estimons qu'il est parfaitement normal qu'un Canadien à Vancouver bénéficie du même type de services qu'un Canadien à St-John's.
C'est la même base.
Je crois qu'il reste encore beaucoup de souplesse. Même pour les normes nationales dont nous parlons, je pense que les provinces ont encore une bonne marge de manoeuvre.
On l'a prouvé. Le RAPC comportait certaines normes. Je sais bien qu'elles ont été établies il y a 30 ans et qu'elles sont peut-être dépassées aujourd'hui. Je sais aussi que les choses évoluent, mais je pense que les provinces disposent encore d'une souplesse considérable en matière d'aide sociale.
M. Zamprelli: J'allais dire que ce n'est pas une question de méfiance à l'égard des provinces. Nous sommes un régime fédéral. Le peuple canadien croit à certains principes. Nous disons qu'avec l'évolution, l'abandon du RAPC et la mise en place du TCSPS, il ne faut pas oublier certains éléments ou principes du RAPC initial qu'il faudrait rétablir ou même renforcer dans le nouveau dispositif.
Quand on a créé le RAPC, je pense que tout le monde était sur la même longueur d'onde, puisque c'était un programme national fédéral-provincial et qu'on pouvait appliquer partout certaines normes pertinentes qui ne menaçaient personne. Personne ne pouvait être accusé de saboter le programme.
Mais là n'est pas la question. Ce que nous disons, c'est que s'il s'agit d'un programme national au service des Canadiens d'abord et des Albertains, des Québécois etc., il faut que le programme respecte certaines normes de façon à ne pas imposer des contraintes extrêmes à certaines provinces, comme le disait monsieur, à ne pas en quelque sorte localiser et provincialiser si vous voulez le programme. Néanmoins, il faut aussi garantir à tous les Canadiens un certain service.
M. Speaker: L'autre question concerne notre situation financière. Vous y avez déjà fait allusion.
Je me souviens de l'époque où l'Alberta avait deux travailleurs sociaux. L'un d'eux a travaillé pour moi à la fin de sa carrière.
Il m'a fait voir un certain nombre de choses. Quand j'étais ministre, nous avions 1 000 travailleurs sociaux. Leur nombre est passé à 2 000 ou 2 500 maintenant en Alberta. Le budget est passé de quelque centaines de milliers de dollars à 1,2 ou à 1,3 millliard actuellement.
Les chiffres ne cessent d'augmenter avec les besoins sociaux et la demande. Ce que je me demande, c'est si nous devons continuer à dépenser de plus en plus. J'ai l'impression que nous créons plus de dépendance que d'indépendance. Avec ce projet de loi, comme dans le cas du Régime d'assistance publique du Canada, si nous préservons un certain niveau de soutien, est-ce que nous consolidons le système ou au contraire est-ce que nous ne sommes pas en train de créer une situation où nous ne pourrons plus...? Nous n'apportons pas de solution au problème.
Mme Berry: Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut réformer le régime d'aide sociale. Personnne ne le contestera. L'examen de la sécurité sociale a mis en évidence la nécessité de certains changements. Mais comme vous le dites, les besoins ne cessent d'augmenter. Il doit bien y avoir une raison à cela.
Il faut essayer de trouver des formules réalistes. Nous avons des programmes intitulés «opportunity planning» et ce genre de choses à Ottawa-Carleton. Il s'agit tout simplement d'aider les gens à saisir des occasions. Il n'est pas question de coercition, d'assistance-emploi ou de travail forcé... Mais quand on donne aux gens l'occasion de faire un vrai travail d'éducation...
Tout cela est lié au taux élevé de parents célibataires, de mères célibataires qui sont des assistées sociales. Elles ont besoin d'autres services, de garderies, de logements sociaux, qui font malheureusement défaut dans le budget.
Ces coûts d'infrastructure sont indispensables si l'on veut aider les gens à s'en sortir ou à ne pas devenir des assistés sociaux.
Encore une fois, c'est une question de vision à long terme. Je ne suis pas économiste, mais je pense qu'il faudrait investir un peu au départ pour diminer le nombre d'assistés.
Par exemple, au lieu de faire simplement signer des documents ou distribuer des chèques par les travailleurs sociaux, on leur permettrait de se tenir un peu plus au courant de ce qui se passe dans la collectivité. Ils pourraient aider les gens à connaître les services disponibles.
Actuellement, à Ottawa-Carleton, nous avons 105 dossiers par travailleur au niveau municipal et 450 dossiers par travailleur au niveau provincial. Ces employés ne peuvent rien faire d'autre que remplir des formulaires et signer des chèques. C'est un dispositif énorme qui ne fonctionne pas.
Mais je le répète, il faudrait sans doute investir au départ.
M. Zamprelli: Je voudrais ajouter quelque chose au sujet de la dépendance. Comme l'a dit Helen, dans le domaine de la promotion sociale, nous tenons à ce que l'aide sociale et la réforme de la sécurité sociale avancent. Pourtant, comme vous le savez, on l'a pratiquement laissé tomber.
Ce qui nous inquiète, c'est que par la bande, dans le cadre d'un budget ou d'un projet de loi, on poursuit la «réforme de l'aide sociale». C'est cela qui nous inquiète.
Si l'on avait poursuivi le processus tel qu'il était conçu à l'origine, on aurait pu régler des questions comme «L'aide sociale entraîne-t-elle une dépendance?» et «Comment régler le problème s'il existe?» par le biais d'une réforme adéquate, et non en se servant comme ici d'une mesure budgétaire sans une bonne préparation et un bon débat préalable.
Mme Brushett (Cumberland-Colchester): Je remercie les témoins d'être venus nous rencontrer.
Je voudrais revenir sur ce que disait Helen à propos de la pauvreté chez les enfants. Je tiens à dire clairement que notre gouvernement se préoccupe énormément de ce problème au Canada. Ceux et celles d'entre nous qui s'occupent des services aux niveaux municipal et provincial savent que ce n'est pas la quantité d'argent qu'on y consacre qui règle le problème.
Au cours de mes discussions, j'entends sans cesse dire qu'on isole les mères célibataires dans de vieux immeubles locatifs où elles n'ont aucune aide, aucune aide maternelle, aucun soutien de grands-parents, etc. Ces jeunes mères perdent alors leur éducation et leur dignité, nourrissent mal leur enfant, l'enfant part le matin à l'école affamé et malheureux, etc. Comme vous le disiez, c'est ensuite la maladie qui s'installe, et le cycle de l'ignorance se perpétue.
Ce n'est pas avec de l'argent qu'on règle le problème. Que l'on s'en tienne à 43 p. 100 ou même à 75 p. 100, on ne résoudra pas la question de cette façon. Vous ne pensez pas qu'en donnant aux provinces et aux municipalités cette souplesse, on leur donnera la possibilité d'intervenir au niveau de la communauté, de la famille, la possibilité d'intégrer ces familles et de donner une meilleure chance aux enfants?
Mme Berry: N'oubliez pas aussi que ces 43 p. 100 incluent les services de soutien; ce n'est pas seulement l'aide sociale.
Les services dont vous parlez, les garderies, le logement décent et même les réseaux de soutien communautaires, il faut les financer à la base. Ces programmes sont rentables à long terme parce qu'ils permettent aux gens de se sortir justement du cycle dont vous parlez.
Mme Brushett: Mais vous ne croyez pas que si par exemple j'ai une fille qui a un enfant à l'âge de quinze ans, je devrais jouer un certain rôle auprès d'elle, offrir une présence familiale, plutôt que d'isoler cette jeune fille de quinze ans avec un bébé alors qu'elle-même est encore une enfant?
Mme Berry: Idéalement, oui. Quand on travaille avec de jeunes mères célibataires, on voit tout de suite la distinction entre les femmes qui s'en sortent et celles qui ne s'en sortent pas. Tout dépend de l'aide qu'elle reçoit, que ce soit de la part d'un membre de la famille, de leur partenaire ou de quelqu'un d'autre. Il y a les deux côtés de la médaille.
Malheureusement, nous n'avons pas le pouvoir de créer des familles qui vont aider ces jeunes mères ou avoir la bonne attitude, et c'est pour cela qu'il faut une infrastructure sociale. Il faut essayer de rétablir cela, si tant est que cela ait jamais existé, en aidant toute la famille, car cela doit être bouleversant d'apprendre que sa propre fille va avoir un enfant à quinze ans. C'est toute la famille qui est secouée à ce moment-là.
Là encore, le Régime d'assistance publique du Canada prévoyait des services de counselling, des services préventifs qui me semblent nécessaires. On dit qu'un an de counselling vaut mieux que dix ans d'aide sociale. Je crois que ces mesures préventives sont très importantes.
Mme Brushett: Mais vous ne pensez pas que c'est la communauté plutôt que le gouvernement national qui devrait établir des normes pour nous permettre de lutter contre la pauvreté chez les enfants au Canada?
Mme Berry: Nous formulons certaines remarques très générales sur les normes.
J'ai dit que les provinces et les municipalités conserveraient une certaine souplesse. Il s'agit simplement d'un minimum élémentaire de façon à ce que les communautés qui ne sont pas prêtes à intervenir auprès des pauvres, en particulier dans les grandes villes comme Ottawa ou Toronto.... L'isolement est un problème considérable pour ce groupe.
Ça serait l'idéal, mais je ne suis pas sûre que sans un strict minimum universel... On pourra peut-être avoir ce genre de système dans 20 ans. Nous nous orientons vers des services sociaux et de santé au niveau de la communauté, et je pense que nous sommes sur la bonne voie, mais cette structure n'existe pas encore. Il faudra y consacrer encore des ressources pendant plusieurs années et élaborer certaines normes pour qu'elle puisse vraiment fonctionner, malheureusement.
Le président: Votre intervention aujourd'hui nous a une fois de plus montré à quel point il était important que notre Comité des finances entende des gens comme vous, qui travaillez avec les plus démunis, les plus défavorisés de notre société qui ont vraiment besoin de nos ressources et de notre aide. Je vous remercie donc tous de nous avoir rappelé notre devoir auprès de tous ces gens-là.
Merci beaucoup.
Mme Berry: Merci.
M. Zamprelli: Merci de nous avoir écoutés.
Le président: Nos témoins suivants sont les représentants du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier. Il s'agit de Don Holder, président; Serge Lord, adjoint du président; et Keith Newman, directeur de la recherche.
Avons-nous quelqu'un de la Confédération des syndicats nationaux?
Faisons une petite pause.
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup de votre présence.
Avez-vous un bref exposé à présenter? Nous pourrons ensuite passer aux questions.
M. Keith Newman (directeur de la recherche, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier): C'est exact.
Le président: Merci.
M. Newman: Mon collègue et moi allons lire notre mémoire qui est très bref, et nous pourrons ensuite passer aux questions.
Le projet de loi C-76 marque le début du retrait du gouvernement fédéral des services de santé, de l'aide sociale et de l'éducation. Étant donné le rôle clé que joue le gouvernement dans ces domaines, surtout les soins de santé et l'aide sociale, il est fort peu probable que ces programmes soient maintenus dans leur forme actuelle si les modifications prévues dans le projet de loi C-76 restent en vigueur pendant de nombreuses années.
L'abandon de nos principaux programmes sociaux aura des conséquences évidentes: il suffit pour s'en convaincre de voir ce qui se passe chez nos voisins du sud. Aux États-Unis, une importante sous-catégorie de personnes exclues des soins de santé et de l'aide publique a peu à peu dérivé vers une vie de désespoir, de violence et des conditions de vie semblables à celles du tiers monde. Ceux dont la situation financière est légèrement meilleure vivent dans la crainte permanente de perdre leur emploi et tous les avantages en matière de santé et d'autres domaines qui en découlent.
Il existe des solutions de rechange. Les coupes sombres effectuées dans nos programmes sociaux nationaux ont été décidées de façon unilatérale par les ayatollas économiques du ministère des Finances, lesquels estiment qu'on ne pourra résoudre le problème d'endettement du Canada qu'en réduisant considérablement les programmes sociaux.
Pourtant, Statistique Canada a déjà signalé que notre endettement est dû à une conjugaison de facteurs, comme le ralentissement économique, des taux d'intérêt extrêmement élevés et des diminutions d'impôt, mais en aucun cas aux programmes sociaux. En fait, le ministre des Finances lui-même a dit que les programmes sociaux ne sont pas la cause du problème.
Selon notre syndicat, il n'est que logique de résoudre un problème en s'attaquant à ses causes. Voilà la politique de rechange que nous suggérons.
Il est vrai qu'elle ne sera pas facile à mettre en oeuvre. Il s'agira entre autres d'augmenter l'impôt sur les sociétés et la fortune, et de maintenir les taux d'intérêt au niveau le plus faible possible. Cela suscitera sans aucun doute de vives réactions parmi certaines des sociétés les plus puissantes du pays et leurs éminents et influents défenseurs. Cette décision sera également mal reçue par les détenteurs d'obligations.
Seul un gouvernement qui prend nettement à coeur les intérêts de la population du pays plutôt que ceux des sociétés transnationales et étrangères, ainsi que des titulaires d'obligations au Canada, oserait agir ainsi.
Malheureusement, le fait de ne pas poser une telle initiative condamne notre pays à adopter un régime de programmes sociaux à la mode américaine, avec l'injustice, le chaos et la violence qui en découlent.
Venons en maintenant à la question de la fin de la stabilisation économique. Le projet de loi C-76 prévoit également que le gouvernement fédéral cessera de jouer un rôle catalyseur dans la stabilisation de notre économie.
Aux termes des ententes actuelles, le coût de l'aide sociale est partagé à part égale entre le fédéral et les provinces. En période de récession, lorsque le taux de chômage grimpe en flèche, le nombre de personnes qui ont besoin d'aide sociale augmente énormément car les gens épuisent leurs prestations d'assurance-chômage avant d'avoir pu trouver un nouvel emploi.
En vertu du nouveau transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, la formule de partage des coûts est supprimée et une proportion beaucoup plus lourde du fardeau incombera aux provinces. Lorsque la prochaine récession frappera, le gouvernement fédéral ne donnera pas un cent de plus aux provinces au titre de l'aide sociale que lorsque la situation économique est relativement bonne.
Le gouvernement espère que cette mesure mettra ses finances à l'abri de la récession et calmera les inquiétudes des organismes de quotation qui le font trembler. Cette démarche aura de très graves conséquences économiques.
La contribution fédérale à l'aide sociale a toujours eu une importante incidence économique. Les revenus fournis grâce à l'aide sociale sont dépensés dans les entreprises locales, ce qui a pour effet de stabiliser l'économie régionale et d'empêcher l'aggravation de la récession et la perte de nouveaux emplois.
Aux termes du nouveau TCSPS, les provinces devront augmenter leurs contributions financières en période de récession. Mais elles n'auront pas cet argent, c'est aussi simple que cela. Donc même si le gouvernement fédéral réussit à mettre ses programmes à l'abri de la récession, il le fera aux frais des provinces.
Le fait de laisser les provinces payer la note est tout à fait inacceptable puisque celles-ci, contrairement au gouvernement fédéral, n'exercent aucun pouvoir sur la politique monétaire. La politique monétaire détermine en partie le taux d'intérêt et influe sur la durée de la période de marrasme économique et le coût des emprunts.
Aujourd'hui encore, aux termes des ententes de financement, nous réussissons à sortir très lentement de la récession, malgré un taux de croissance économique relativement bon. Nos secteurs d'exportation ont obtenu d'excellents résultats grâce à la relance économique des États-Unis et à la faible valeur du dollar canadien, mais les choses ne sont pas aussi roses sur le marché intérieur.
Des millions de travailleurs craignent encore de perdre leur emploi et la croissance de l'emploi est à son plus faible. Pour bon nombre de jeunes Canadiens, les perspectives d'avenir sont plutôt sombres. Nous tremblons à l'idée de ce qui se produira lors de la prochaine récession lorsque les dépenses fédérales ne seront plus touchées par celle-ci. La stagnation sur le marché intérieur risque de durer pendant très longtemps.
Notre syndicat estime que le projet de loi C-76 marque un tournant important pour notre pays. Des modifications de cette ampleur doivent faire l'objet d'un débat approfondi dans tout le pays. Le comité pourrait à tout le moins tenir des audiences dans toutes les régions du Canada.
Nous demandons en outre au comité de recommander la création d'une commission royale d'enquête sur les programmes sociaux en vue de débattre en détail des questions touchant l'avenir de notre pays.
M. Serge Lord (adjoint au président, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier): Le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux proposé dans le projet de loi C-76 est l'élément clé du plan du gouvernement en vue de réduire les programmes sociaux et les services publics. En vertu du TCSPS, les fonds alloués à la santé, à l'éducation et à l'aide sociale seront regroupés en un seul financement global.
En 1994-1995, le gouvernement fédéral a débloqué 29,4 milliards de dollars en transfert en espèces et en points d'impôt et ce montant sera ramené à 25,1 milliards en 1997-1998. Même s'il s'agit-là d'une diminution considérable, elle cache la disparition rapide des paiements de transfert en espèces effectués par le fédéral aux provinces au cours de cette période. Au cours de la même période, les paiements fédéraux de transfert en espèces passeront de 17,3 à seulement 10,3 milliards de dollars.
À supposer que le gouvernement gèle le montant total du transfert canadien à 25,1 milliards de dollars après 1997-1998, il faudra à peine 10 à 15 ans avant que ce paiement de transfert disparaisse totalement. La suppression des paiements de transfert en espèces se répercutera directement sur le financement de nos programmes sociaux, ce qui se soldera par des coupes sombres. Cela ôtera également au gouvernement fédéral tout moyen efficace de faire respecter ce qu'il reste de normes nationales dans notre pays.
En ce qui a trait au TCSPS et à l'assurance-maladie, le régime public canadien de soins de santé prévoit cinq normes nationales que les provinces doivent respecter pour avoir droit à la contribution fédérale au titre des frais de santé. Les régimes de santé provinciaux doivent être intégrés, offrir une couverture universelle, être gérés par le service public, être transférables d'une province à l'autre et être accessibles à tous.
Si un régime provincial enfreint l'une de ces normes, le gouvernement fédéral peut interrompre le paiement de transfert et il l'a déjà fait pour empêcher la surfacturation et les tickets modérateurs. Le non-versement du transfert en espèces est le seul moyen dont dispose le gouvernement fédéral pour faire respecter les normes, mais le transfert canadien prévoit l'élimination graduelle des paiements de transfert en espèces au cours d'un certain nombre d'années.
Même si le projet de loi permet au gouvernement d'interrompre tout transfert de fonds aux provinces, il ne stipule pas clairement qu'il y aura automatiquement un transfert de fonds à l'égard de leurs autres programmes. Il faudra également faire preuve d'une énorme volonté politique pour retenir des fonds utilisés à d'autres fins en vue de faire respecter les normes de la Loi canadienne sur la santé.
Quant à l'orientation vers un système de soins de santé privé, à mesure que le gouvernement fédéral cessera de financer les soins médicaux, les provinces chercheront de plus en plus des façons d'économiser de l'argent. Bon nombre d'entre elles décideront de réduire la liste des services obligatoires au lieu d'augmenter les taxes et l'impôt. Les soins de santé privés feront donc un retour en force au Canada.
Une telle situation serait dramatique. Tout d'abord, on verra apparaître un système injuste de soins de santé à deux niveaux, un pour les riches et l'autre pour tous les autres. En second lieu, les soins de santé privés sont inefficaces et inutilement onéreux. Ils servent en grande partie à remplir les poches des actionnaires des compagnies d'assurance et des médecins, et à soutenir une bureaucratie inutile chargée de traiter les demandes de remboursement.
Le fait de réduire les dépenses publiques au titre de la santé ne fera qu'accroître considérablement les dépenses privées à ce chapitre. Les soins de santé privés sont injustes et coûtent beaucoup plus cher à administrer que les soins de santé publics. Il est totalement absurde de faire marche arrière pour en revenir à ce système vivement critiqué. Du point de vue des travailleurs, la privatisation des soins de santé signifie que toute augmentation salariale future servira à payer des cotisations à des services d'assurance-santé privés et inefficaces.
Aux États-Unis, l'assurance-santé est à elle seule la principale source de litige entre patronat et travailleurs. La privatisation de l'assurance-santé au Canada nuira de plus en plus aux relations de travail dans notre pays.
Notre syndicat est d'avis que le gouvernement fédéral devrait réaffirmer son attachement aux cinq normes décrites dans la Loi canadienne sur la santé. Il devrait s'engager à maintenir un financement public suffisant des soins de santé en fixant une proportion minimale du PIB qu'il doit consacrer au financement des services de santé publics dans tout le pays.
M. Newman: Le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux supprime le Régime d'assistance publique du Canada, lequel prévoyait un partage égal des frais entre le gouvernement fédéral et les provinces pour offrir un soutien de revenu aux pauvres et d'autres services sociaux comme la garde des enfants, les soins à domicile pour les personnes âgées, l'aide aux personnes handicapées, le counselling familial et la protection des enfants en danger.
Même si le RAPC est loin d'être suffisant, il a permis d'éviter à bien des gens de vivre dans la misère et sans abri. En fait, c'est l'une des raisons pour lesquelles nos taux de criminalité sont beaucoup plus faibles qu'aux États-Unis.
Avec la suppression du partage des frais, les provinces seront incitées à réduire autant que possible la liste des assistés sociaux. Bien des gens tomberont alors dans le désespoir et la misère. En fait, le projet de loi C-76 facilite les choses aux provinces pour exclure, de façon arbitraire, les gens de l'aide sociale en supprimant toutes les normes nationales visant les programmes provinciaux, sauf une, celle de l'absence de résidence.
Le TCSPS supprime la norme nationale en vertu de laquelle les provinces doivent fournir de l'aide uniquement en fonction des besoins. Les provinces seront désormais libres de refuser d'aider les chefs de famille monoparentale ou les travailleurs incapables de trouver un emploi dans les régions où le taux de chômage est très élevé.
En vertu du nouveau transfert canadien, le travail obligatoire fera rapidement son apparition, ce qui signifie que les bénéficiaires de l'aide sociale devront accepter n'importe quel travail pour continuer de toucher leurs prestations.
Le travail obligatoire ne vise pas à aider les travailleurs à s'intégrer à la population active en leur permettant de perfectionner leurs compétences et de trouver un emploi acceptable. Le travail obligatoire, c'est obliger les gens à accepter des emplois mal rémunérés et offrant de mauvaises conditions de travail.
Le travail obligatoire provoquera une forte tendance à la baisse des salaires, en bas de l'échelle et aura tendance à déplacer les autres travailleurs qui sont un peu mieux rémunérés. Mais ce n'est pas tout. En créant une vaste réserve de travailleurs mal rémunérés et désespérés, le travail obligatoire contribuera à une baisse généralisée des salaires également.
Le travail obligatoire s'inscrit très bien dans la théorie de la compétitivité fondée sur une stratégie de faible rémunération.
Notre syndicat estime que l'aide sociale devrait être offerte sans distinction à toutes les personnes dans le besoin et que le gouvernement fédéral devrait faire appliquer les normes nationales dans ce domaine.
La partie suivante s'intitule «réduction des services publics et suppression par la loi des droits à la négociation collective».
Le projet de loi C-76 met en oeuvre les compressions d'effectifs généralisées à la fonction publique fédérale. Il modifie, de façon unilatérale, la directive sur l'adaptation des effectifs, négociée en 1991, de façon très néfaste pour les fonctionnaires. La directive sur l'adaptation des effectifs, qui garantit une offre d'emploi raisonnable aux travailleurs déclarés excédentaires, vise à dédommager les fonctionnaires du secteur public visés par un gel des salaires prolongé et l'absence d'ancienneté.
Notre syndicat s'oppose vivement à la suppression unilatérale des droits à la négociation collective des fonctionnaires. Cette disposition est injuste pour ces travailleurs. Nous reconnaissons également que, si le gouvernement estime acceptable de supprimer les droits à la négociation dans le secteur public, il n'hésitera pas à faire de même dans le secteur privé.
Je voudrais simplement ajouter, qu'à notre avis, la diminution des services due à la mise à pied des 45 000 fonctionnaires fédéraux ne servira pas les intérêts supérieurs du pays. Des emplois seront supprimés au Conseil national de recherches et à Agriculture Canada. D'autres disparaîtront dans le secteur de l'inspection des aliments, de l'environnement et au Service canadien des fôrets.
Autant de choses qui ne peuvent pas être confiées à un simple gratte-papier dans un bureau. Il s'agit-là d'initiatives utiles menées sur le terrain, dans i'intérêt des Canadiens et de notre pays.
Je vous remercie.
Le président: Merci, messieurs Newman et Lord.
[Français]
Le premier intervenant sera M. Deshaies.
M. Deshaies: Bonjour, messieurs Newman et Lord.
Dans votre présentation, vous démontrez la nécessité qu'il faut maintenir, dans la meilleure qualité possible, les services de santé et les services sociaux au Canada.
Comme vous le savez, le Canada a une lourde dette et les gouvernements fédéral ou provinciaux doivent la réduire. Dans de telles circonstances, comment avoir «le beurre et l'assiette à beurre en même temps», expression qui signifie qu'on veut tout avoir sans compromis? Nous devons faire un choix en tant que société.
Vous parlez d'une commission royale d'enquête qui permettrait de définir ces choix-là. Est-ce que vous avez, en tant que responsables syndicaux, des propositions ou des solutions que cette commission devrait apporter?
M. Newman: Non, pas vraiment. C'était surtout pour regarder, globalement, dans tous nos services sociaux, quel serait l'impact de leur disparition partielle ou plutôt l'impact du retrait du gouvernement fédéral de ces services. Nous croyons que l'impact serait énorme, créant un état de choses comparable à ce qui se vit aux États-Unis présentement. Donc, nous croyons qu'il devrait y avoir une étude complète de ce genre d'approche. À notre avis, l'avenir est plutôt sombre.
M. Deshaies: Personnellement, je crois que vous êtes - tous et chacun ici - persuadés que la qualité des services devrait demeurer. Néanmoins, il faut arriver à des choses concrètes parce que si vous et moi voulons garder les mêmes services, il faut que quelqu'un, quelque part - que ce soit le patron ou le gouvernement - , paie pour cela. Il faut qu'il y ait des compromis.
Vous faites partie de la classe moyenne qui a de bons revenus, chose qui se fait rare de nos jours. Est-ce qu'il y a cette ouverture d'esprit, parmi vos travailleurs, d'écourter leur semaine de travail pourvu que l'employeur compense et que le gouvernement crée des emplois supplémentaires? Est-ce que c'est le genre d'idées qui est véhiculé parmi vos membres?
M. Lord: Je crois que notre syndicat a toujours été en faveur d'une semaine réduite de travail, pour deux raisons. Premièrement, pour que les travailleurs profitent plus de leur temps de loisir et, deuxièmement, pour répartir le travail plus équitablement, même si c'est une solution plus difficile que ça ne le paraît.
Mais, à notre avis, le fait de couper dans les programmes sociaux n'est pas une solution efficace pour régler le problème de la dette nationale, parce que beaucoup d'études le démontrent, cette dette n'est pas causée par les programmes sociaux, au contraire, ils peuvent même générer un surplus.
Lorsqu'on coupera dans les programmes sociaux, qu'on aggravera les problèmes de criminalité, que les gens dépendront du bien-être social un peu partout et qu'on se réveillera avec la même dette, peut-être qu'à ce moment-là on réalisera que la présente crise financière est plutôt une crise de revenu que de dépense.
Par crise de revenu, je ne plaide pas ici pour qu'on augmente mes impôts personnels. J'ai plutôt l'impression que le Canada est le pays où les taxes sur les corporations sont les moins élevées parmi les pays du G-7. Donc, il y aurait certainement des choses à améliorer dans ce domaine, pour éviter que notre pays soit un paradis pour les grandes banques, les multinationales, les spéculateurs, etc., et plutôt faire en sorte d'assurer le minimum vital à une société qui vote en faveur du maintien de ses programmes sociaux, car on nous en toujours fait la promesse lors des campagnes électorales. D'ailleurs, consultez le Livre rouge!
Le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier est bien conscient que le pays a une dette énorme. On est conscient, également, que la dette peut être causée en partie par une crise des revenus ou des taux d'intérêt qui sont très élevés pour financer cette dette-là.
Donc, les solutions à proposer ne sont pas nécessairement simples et on ne fera pas de démagogie ici, mais pour répondre à votre question, plus spécifiquement, si vous aviez des suggestions à apporter pour réduire les heures de travail, etc., par voie de législation, notre syndicat serait prêt à considérer de telles alternatives.
M. Deshaies: Également, d'autres propositions?
M. Newman: Absolument, oui.
En tant que directeur des services de recherche du syndicat, j'ai eu l'occasion de me pencher sur la question des heures de travail. Au Canada, au niveau du secteur privé, notre syndicat a le nombre le plus élevé de travailleurs depuis 20 ans qui ont des heures réduites dans le secteur du papier, c'est-à-dire 37 heures la semaine; dans le secteur de la chimie du pétrole, 37 heures également; dans le secteur des communications, on représente une douzaine de milliers de travailleurs qui travaillaient 36 heures par semaine, mais qui sont malheureusement retournés à 38 heures par semaine. Nous voulions conserver la semaine de 36 heures, mais l'employeur a refusé. On avait un accord temporaire à cet égard.
Les gens que nous représentons nous ont demandé de réduire les heures de travail. Il y a des arguments à cet égard qui stipulent que ce n'est peut-être pas tant l'idée de travailler moins. Il reste que, chez nous, il y a une grande demande pour réduire les heures de travail, ce qui a été réalisé.
Nous représentons environ 52 000 travailleurs qui travaillent des heures réduites. Nous avons fait du progrès à ce niveau. Nous ne sommes pas encore rendus où nous souhaiterions être, puisque c'est aux deux parties d'y mettre du leur. Nous ne sommes pas seuls à prendre ces décisions.
M. Deshaies: Merci.
Le président: Merci, monsieur Deshaies.
[Traduction]
M. Speaker: Monsieur le président, ce document soulève plusieurs questions d'ordre philosphique. Je ne voudrais pas les relever toutes mais, puisque nous sommes saisis du projet de loi, il me faut retenir un grand principe qui supplante les autres et sur lequel notre comté ne peut fermer les yeux, à savoir celui de la compétence, pour ce qui des programmes.
Vous nous recommandez de renforcer le rôle du gouvernement fédéral en matière de normes et de critères s'appliquant aux programmes destinés aux Canadiens, qu'il s'agisse des soins de santé, du RAPC ou de l'emploi au sein de la fonction publique.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez toujours autant confiance en l'appareil national qui est beaucoup plus loin de vous que ne l'est l'appareil provincial? Prenons le cas de l'Ontario qui est actuellement en campagne électorale: il vous est certainement plus facile de communiquer directement avec le gouvernement provincial et de lui faire valoir vos besoins immédiats, voire les besoins auxquels s'applique ce projet de loi-ci.
M. Lord: C'est une question intéressante et la réponse s'inscrit dans le débat philosophique.
Tout pays doit avoir une vision unique et toutes ces actions doivent aller dans le même sens. Nos programmes sociaux font partie du tissu social du Canada. Il est important qu'ils soient unifiés et identiques d'un bout à l'autre du pays. Nous comptons des membres dans toutes les provinces et nous avons des bureaux dans toutes les provinces; nous avons collectivement accepté que le gouvernement soit le gardien de notre identité nationale, et nos programmes sociaux font partie de cette identité.
Il est intéressant de noter que les Canadiens se définissent par rapport à ce qu'ils ne sont pas. Nous ne sommes pas des Américains, notamment parce que nous avons des programmes sociaux. C'est un lien commun qui nous lie.
Je sais que c'est une façon philosophique de répondre. En termes plus pratiques, on prétend que, d'après les études, nos programmes sociaux seraient excédentaires. Mais je vous fais valoir que si l'on se débarrasse d'un des programmes sociaux, on héritera de problèmes de crime, de problèmes sociaux, sans pour autant que la dette disparaisse. Cela aussi est un problème pour nous.
M. Speaker: Si j'ai bien compris, votre organisme prétend que les articles 96, 97 et 98 de l'Acte d'Amérique du Nord britannique ont tort. Autrement dit, les pères de la Confédération ont eu tort lorsqu'ils ont défini les compétences fédérales et provinciales et que nous devons redéfinir cette hypothèse de base.
M. Lord: Il est un peu tard pour tenir ce genre de débat. C'est en 1971 que vos prédécesseurs auraient dû en débattre, au moment de l'instauration du régime d'assurance-maladie. D'ailleurs je suis sûr qu'on en a beaucoup débattu à l'époque. Il est beaucoup trop tard, 25 ans après, pour débattre si le régime devrait être de compétence fédérale ou provinciale. Ce débat a déjà été résolu, et le gouvernement a agi en nous donnant des programmes qui nous distinguent de nos voisins américains et qui font partie maintenant de notre tissu social.
Il est cynique, à mon avis, de vouloir affirmer aujourd'hui que ces programmes devraient être de compétence provinciale. Ce n'est pas nécessairement vous qui êtes cyniques, mais c'est l'argument qui l'est. C'est même très injuste, car le débat a eu lieu et il a été résolu. On n'en a plus reparlé pendant 25 ans, mais tout d'un coup, comme il semblerait pratique de renvoyer les problèmes aux provinces, on dépoussière l'argument. C'est injuste.
M. Newman: C'est évidemment une excellente question, mais outre son aspect philosophique, il faut voir aussi l'aspect pratique. D'un point de vue historique, nous avons aujourd'hui un régime d'assurance-maladie grâce au fait que le gouvernement fédéral est intervenu avec ses pouvoirs et a fixé des normes nationales; au cours des 25 dernières années, il a tout fait, comme nous l'avons dit brièvement, pour maintenir ces normes en refusant de verser les paiements aux provinces qui ne les respectaient pas.
Peu importe la théorie, si nous avons aujourd'hui un régime d'assurance-maladie, c'est en pratique parce que le gouvernement fédéral a tout fait pour l'instaurer et s'en est fait le protecteur. Puisqu'il donne de bons résultats, pourquoi faudrait-il le modifier? Il donne de bons résultats et nous a bien servis. C'est même l'un des programmes les plus populaires au Canada. Vous auriez tort de vous retirer et d'en remettre une plus grande partie aux provinces.
Le président: Combien de membres compte votre syndicat? Combien de travailleurs représentez-vous?
M. Lord: Nous en représentons 150 000.
Le président: C'est beaucoup. Où vous situez-vous par rapport aux autres syndicats au Canada?
M. Lord: Nous sommes le syndicat le plus important dans le domaine des pâtes et papiers, des communications, des médias, de l'énergie, du pétrole et du gaz, et d'autres encore. Avec 200 000 membres, le syndicat des travailleurs de l'automobile est le plus gros syndicat du secteur privé. Les métallos et nous-mêmes arriverions au second rang des syndicats du secteur privé. Le SCFP compte environ 400 000, et l'Alliance de la Fonction publique du Canada, avant l'intervention du gouvernement, représentait le second syndicat en importance au Canada. Nous nous retrouvons parmi les cinq ou six grands syndicats canadiens.
Le président: Je conviens avec vous que si le gouvernement fédéral ne verse aucun paiement aux provinces, il n'a aucun moyen pour les obliger à maintenir les normes nationales. Je devrais signaler que le budget ne projetait que sur deux ou trois ans. Bien sûr, il prévoit une diminution des transferts. Ce qui ne signifie pas que ces transferts seront éventuellement abolis. Il s'agissait uniquement d'une diminution projetée sur trois ans. Vous avez raison de nous mettre en garde là-dessus.
M. Walker (Winnipeg-Nord-Centre): Pour revenir là-dessus, le comité pourrait peut-être envisager de recommander le maintien des paiements en espèces. Cette recommandation pourrait venir directement du comité.
Étant donné ce qu'avait commencé de faire l'ancien gouvernement, les Canadiens ont l'impression que nous avons nous aussi l'intention de faire cesser les paiements en espèces. Mais le projet de loi ne visait que les deux questions suivantes. Personnellement, je ne voudrais pas que vous interprétiez de travers l'esprit du projet de loi, et c'est pourquoi je précise nos intentions. Comme nous avons été muets là-dessus pour des raisons financières, on interprète mal notre silence.
Notre comité voudra peut-être le porter très sérieusement à l'attention du gouvernement. Ce n'est pas la première fois qu'on nous en fait la remarque, et nous en sommes conscients.
Le président: Les deux témoins d'aujourd'hui souscrivent sans réserve à cette opinion, que j'appuie moi aussi. Au nom de tous les membres du comité, je vous remercie de ce point de vue et aussi de votre exposé; je vous remercie également de tout le travail que vos membres et vous-mêmes effectuez dans des industries qui sont critiques pour l'avenir économique du Canada.
Avant de passer au témoin suivant, nous avons des détails d'ordre interne à régler.
M. Fewchuk (Selkirk - Red River): J'ai ici une motion qui a reçu l'aval des partis de l'opposition. Je propose que les commentaires diffamatoires des pages 10 et 11 du mémoire du 9 mai dernier de la Fédération du travail de Terre-Neuve et de Labrador soient retirés du procès-verbal.
Le président: Un bref commentaire là-dessus: Nous offrons à nos témoins une tribune tout à fait exceptionnelle leur permettant de s'exprimer en jouissant de l'immunité. Tout ce que nos témoins disent en comité est couvert par l'immunité et ne peut servir à les incriminer. Mais je ne veux pas que les témoins profitent de ce privilège et s'en servent pour diffamer qui que ce soit. Je souscris donc sans réserve à votre motion.
La motion est adoptée
Le président: Merci beaucoup.
Un autre détail de régie interne. Hier soir, nous avons siégé de 15h30 à 20h15 et notre greffier nous a gentiment commandé quelques sandwiches. Malheureusement, j'ai oublié de faire adopter une motion en ce sens. Pourriez-vous accepter à l'unanimité une motion en vertu de laquelle notre greffier serait autorisé à nous sustenter à peu de frais si nous devions siéger dans des circonstances semblables?
M. Pillitteri (Niagara Falls): Je lui demanderais également d'en acheter suffisamment pour tous.
M. Fewchuck: Et qui plus est, monsieur le président, nous devrons la prochaine fois nous arrêter tous pour manger ensemble. Ce n'est vraiment pas très courtois de manger tous au nez de notre témoin.
Le président: D'accord, nous ajouterons à la motion que tous les membres du comité devront faire preuve de bonnes manières au moment de manger.
La motion est acceptée
Le président: Merci beaucoup.
Nous accueillons maintenant les représentants de la Confédération des syndicats nationaux, soit son président, M. Pierre Paquette, et M. Jean Charest.
[Français]
C'était un plaisir de vous avoir avec nous. Merci beaucoup de votre contribution.
M. Pierre Paquette (secrétaire général, Confédération des syndicats nationaux): D'abord, je voudrais rectifier un peu ce que vous venez de dire. Je suis secrétaire général de la CSN, la Confédération des syndicats nationaux, et non pas le président.
Le président: On va lui accorder une promotion.
M. Paquette: En temps et lieu peut-être.
Jean Charest est conseiller syndical à la recherche. Il est économiste et a travaillé avec nous pour préparer le mémoire que je vais vous présenter brièvement.
J'aimerais vous rappeler que la Conférération des syndicats nationaux regroupe 250 000 membres au Québec, qui se répartissent moitié pour le privé, moitié pour le public.
En octobre dernier, la CSN a déposé un mémoire au Comité permanent sur les Finances où nous proposions une stratégie de réduction du déficit à plusieurs volets. Nous insistions sur la nécessité d'accorder la priorité à la création d'emploi et à une politique monétaire plus souple, de réintroduire une plus grande progressivité dans le régime fiscal, afin de générer les revenus additionnels nécessaires pour maintenir les programmes sociaux et de soutien économique, tout en réduisant le déficit.
Force nous est de constater que le budget fédéral du 27 février dernier ne répond à aucune de nos propositions. Ce faisant, le Budget constitue une véritable volte-face par rapport au discours tenu par le Parti libéral lors de la dernière campagne électorale. On ne parle plus, comme on le faisait abondamment dans le Livre rouge, de création d'emplois, d'équité fiscale et de protection des programmes sociaux.
On annonce plutôt des mises à pied massives, une taxation encore plus régressive, une attaque du régime d'assurance-chômage et un délestage économique à l'égard des provinces au chapitre de l'aide sociale et de la santé. Le tout se déroule sur un fond de centralisation politique à Ottawa, comme en fait foi le projet de loi C-76.
On a malheureusement dû constater que le Budget de M. Martin se résumait en un exercice de compressions de dépenses strictement soumis à l'évolution des taux d'intérêt.
Pour atteindre la nouvelle cible de réduction des dépenses, le ministre des Finances a mis l'accent sur trois mesures particulières qui ont des effets immédiats, mais qui auront aussi des effets récurrents importants au fil des ans, surtout au moment de la prochaine récession.
En premier lieu, il faut souligner la coupure de 45 000 postes dans la Fonction publique. Il s'agit d'une opération qui s'inspire des réorganisations connues dans les grandes entreprises qui ont largement pratiqué et qui pratiquent encore le downsizing de leurs effectifs pour redresser leur situation financière. La coupure du gouvernement fédéral fait disparaître un emploi sur sept - 14 p. 100 des emplois de la Fonction publique - et représentera des économies de 3 à 4 milliards de dollars sur la masse salariale annuelle.
Toutefois, il est difficile de juger de l'économie réelle pour le gouvernement, puisque ces coupures de postes se traduiront dans une certaine mesure par un recours accru aux services du secteur privé. Par ailleurs, le gouvernement estime que les mesures d'attrition se traduiront par un coût d'environ un milliard de dollars pour l'année 1995.
On doit remarquer au passage que les ténors du fédéralisme au Québec, qui agitent régulièrement le spectre des pertes d'emplois chez les fonctionnaires fédéraux dans l'éventualité de la souveraineté du Québec, n'ont pas semblé offusqués par l'annonce budgétaire du gouvernement fédéral. Probablement que ce qui constitue une hérésie, lorsqu'il est question de la souveraineté, devient un grand réalisme lorsqu'il est question de l'assainissement des finances publiques du gouvernement fédéral.
Une deuxième cible d'importance dans les compressions du gouvernement fédéral, c'est le régime d'assurance-chômage. Rappelons que le Budget de l'an dernier avait déjà porté un très dur coup - en fait le pire - au régime depuis son existence, en réduisant d'environ 10 p. 100 les dépenses d'assurance-chômage, notamment en abaissant le seuil des prestations de 57 à 55 p. 100 et en augmentant le nombre de semaines de travail nécessaires pour avoir accès aux prestations. Ces mesures ayant un effet récurrent, elles se traduisent pour la présente année budgétaire par une économie de 2,4 milliards de dollars.
Le Budget de 1995 ajoute de nouvelles coupures au régime d'assurance-chômage, pour un montant de 700 millions de dollars d'ici juillet 1996, et le ministre des Finance a indiqué que la croissance de l'emploi, ainsi que la réforme Axworthy, devraient se traduire par une autre réduction totale d'au moins 10 p. 100 de la taille du régime.
Comme on pouvait s'y attendre, la réforme Axworthy sera connue plus tard en 1995, mais les paramètres budgétaires à atteindre sont déjà donnés par le ministre des Finances. En ce sens, le Budget de 1995 constitue une opération voilée, puisque la population n'est pas en mesure de connaître les conséquences des annonces faites par le ministre des Finances.
De plus, selon les projections du ministre des Finances, le régime d'assurance-chômage dégagera un surplus de 5 milliards de dollars en 1996. Sans contribuer à la caisse, le gouvernement ne cache pas ses intentions de puiser davantage dans les surplus pour continuer d'intervenir dans la formation de la main-d'oeuvre.
À cet égard, il est très clair que le gouvernement fédéral n'a aucune intention de se rendre à la demande du gouvernement du Québec - et je dirais, de l'ensemble des partenaires socio-économiques du Québec - quant au rapatriement de l'ensemble des mesures concernant la main-d'oeuvre.
Enfin, une troisième mesure d'importance, après l'assurance-chômage et la coupure d'effectifs dans la Fonction publique, ce sont les coupures budgétaires concernant les paiements de transfert aux provinces.
Les transferts liés au Régime d'assistance publique du Canada et au Financement des programmes établis totalisent 29,7 milliards de dollars en 1995-1996; et ceux liés à la péréquation sont de 8,9 milliars de dollars.
Les modifications annoncées dans le Budget de 1995 concernent le Régime d'assistance publique du Canada et le Financement des programmes établis. Ces deux programmes seront fusionnés en une seule enveloppe nommée le Transfert social canadien, qui a la propriété particulière d'être amputé de 7 milliards de dollars pour les deux seules années 1996-1997.
Le ministre a annoncé également que le gouvernement fédéral continuera d'exiger le respect de certaines normes. Celles de la Loi canadienne sur la santé seront maintenues ainsi que certaines liées à l'aide sociale. Enfin, de nouvelles normes seront déterminées dans le cadre de la Réforme Axworthy à venir.
Compte tenu du fait que que le voile n'a pas été levé quant aux critères de distribution du nouveau transfert social canadien, il est difficile de connaître l'ampleur des coupures pour chacune des provinces. C'est là une autre stratégie du ministre Martin pour ne pas susciter une levée de boucliers trop rapide, surtout à la veille du référendum québécois. Les coupures sont chiffrées et comptabilisées, mais leur distribution viendra plus tard.
Toutefois, on peut estimer que le manque à gagner pour le Québec se situera, en moyenne par année, à un milliard de dollars. En fait, dans son Budget, mardi dernier, le ministre des Finances du Québec, M. Campeau, les chiffrait pour l'année prochaine à 650 millions de dollars et pour l'année subséquente, à 1 milliard 880 millions de dollars.
Le rétrécissement du programme d'assurance-chômage, auquel s'ajoute le retrait graduel du gouvernement fédéral en matière de financement de l'aide sociale, se traduira, et se traduit déjà, par des charges de plus en plus lourdes pour les provinces. Il s'agit là d'un désengagement accru de la part d'Ottawa dans le financement des personnes exclues du marché du travail et qui se traduira par des économies substantielles pour le gouvernement fédéral, notamment lors de la prochaine récession. En effet, ce sont les provinces et les personnes exclues du marché du travail qui vont davantage assumer les impacts de la montée du chômage.
Mentionnons enfin qu'une réforme du système de pensions publiques a également été annoncée pour plus tard en 1995, dans le cadre de la réforme Axworthy. Cette réforme devrait entrer en vigueur en 1997 et déjà le ministre des Finances indique qu'un des principes sera «une protection non réduite pour les personnes âgées les moins bien nanties». Compte tenu de l'importance que le ministre accorde à la croissance éventuelle du coût du système de pensions publiques, on peut d'ores et déjà se dire qu'il inscrira sa réforme au sceau d'une réduction graduelle de la valeur du régime et des prestations globales versées. Après son désengagement et les compressions à l'assurance-chômage, à l'éducation postsecondaire, à la santé, aux services sociaux et à l'aide sociale, le tour de piste du gouvernement fédéral atteindra le régime de pensions publiques.
Quelles sont les perspectives globales pour l'avenir? On peut comprendre, de ce dernier budget fédéral, que la vision de l'avenir des libéraux fédéraux s'inscrit plus que jamais dans une conception centralisatrice du fédéralisme au plan politique et de désengagement au plan des responsabilités financières à l'égard des provinces et des individus.
Le gouvernement fédéral conserve ses pouvoirs dans la détermination des normes nationales, maintient ses chevauchements et ses intrusions dans les juridictions provinciales telles que la formation et l'adaptation de la main-d'oeuvre. Il modifiera prochainement les grands paramètres des programmes de transferts aux provinces et aux individus, dont les pensions publiques aux personnes âgées.
D'autre part, il accélère son retrait en matière d'engagement financier dans pratiquement tous les programmes qui nécessiteront des dépenses importantes au cours des prochaines années: la santé et les services sociaux, l'éducation postsecondaire, l'aide sociale, les pensions publiques versées aux personnes âgées. En même temps, il conserve l'ensemble de l'assiette fiscale actuelle qui lui procurera graduellement des rentrées fiscales de plus en plus importantes, alors que les retombées en services à la population diminueront continuellement.
Sans vouloir jouer les prophètes de malheur, il faut souligner que toutes ces manoeuvres du gouvernement fédéral ne solutionneront ni la crise de l'emploi, ni la crise de la dette publique canadienne. En effet, le gouvernement lui-même ne donne aucune estimation de l'impact de ses mesures budgétaires sur l'emploi. Or, tant les coupures dans les emplois de la Fonction publique que l'ensemble des compressions budgétaires se traduiront sans aucun doute par un effet de contraction important sur le volume de l'emploi au pays. Ce faisant, les mesures globales du Budget Martin contribueront à un ralentissement de la croissance économique et pourraient mener l'économie canadienne à la récession beaucoup plus tôt que prévu.
Rappelons que le ministre des Finances prévoit que le déficit sera ramené à 24 milliards de dollars en 1996-1997. À ce moment, nous serons encore loin du déficit zéro et la dette continuera de croître. Nous serons près d'une récession, surtout avec les taux d'intérêt élevés et les effets dépressifs de la politique budgétaire fédérale. En conséquence, il y a fort à parier que ce seuil de déficit de 24 milliards de dollars sera le plus bas qu'on aura atteint et qu'il recommencera à croître avec la récession. Au bas mot, la dette publique fédérale aura augmenté de quelque 625 milliards de dollars en 1997-1998, soit de plus de 100 milliards de dollars au cours des quatre années du mandat des libéraux.
En conclusion, on reconnaît évidemment la gravité de l'état des finances publiques du gouvernement fédéral. La CSN soumettait, au mois d'octobre, une approche globale qui misait sur une plus grande solidarité sociale et une stratégie économique axée sur l'emploi. Nous croyons toujours que c'est la seule voie qui permettrait de redonner à la population l'espoir de reprendre en main son développement économique et social. Malheureusement, force nous est de constater que ce n'est pas la voie du gouvernement fédéral.
Pour terminer, je dirais qu'au minimum, on s'attendrait qu'avant l'adoption du projet de loi C-76, il y ait des rencontres et des travaux intensifs qui soient faits avec les différentes provinces canadiennes, en particulier le Québec, pour être en mesure d'évaluer véritablement les effets à court terme.
Je vous remercie de votre attention.
Le président: Merci beaucoup. Voulez-vous commencer les questions, s'il vous plaît?
M. Nunez (Bourassa): Pendant combien de minutes, monsieur le président?
Le président: Disons qu'il nous reste environ une demi-heure. Vous pouvez utiliser votre portion du temps.
M. Nunez: Merci, monsieur le président.
Le président: Bienvenue à notre Comité.
M. Nunez: Je tenais à être ici parce que j'ai beaucoup d'admiration pour le travail de la CSN. Vous avez accordé une promotion à M. Paquette... mais cela viendra probablement plus tard. Je félicite la CSN, M. Paquette et M. Charest, pour l'exposé et le document soumis aujourd'hui.
Comme le document le dit, dans le budget fédéral, il n'y a aucune mesure dans le domaine de la création d'emplois. Lors du premier budget libéral, il y avait au moins un plan d'infrastructures. Ce n'est pas le cas dans le deuxième budget.
En plus, le Budget annonce des coupures de 700 millions de dollars visant l'assurance-chômage pour l'année 1996. Est-ce que vous pouvez, monsieur Paquette, nous expliquer comment ces nouvelles coupures à l'assurance-chômage affecteront le Québec et dans quels secteurs? Il faut savoir que le Québec, dans le moment, contribue plus qu'il ne reçoit en matière de prestations. C'est très important. Est-ce que vous pouvez nous expliquer de quelle façon ces coupures affecteront le Québec?
M. Paquette: Oui. Je pense qu'on les ressent d'ailleurs déjà, comme je mentionnais les effets des coupures du Budget de l'an dernier. Actuellement, vous savez qu'il y a plus de 800 000 personnes bénéficiaires d'aide sociale au Québec et le rythme s'est accéléré d'environ 8 000 par mois depuis quelques mois. Nous attribuons essentiellement cette croissance aux difficultés d'avoir accès à l'assurance-chômage et, étant donné que la période d'attente est restreinte, les gens reçoivent de l'aide sociale plus rapidement qu'auparavant. Ceci pénalise particulièrement les jeunes qui occupent, comme vous le savez, des emplois souvent précaires, les femmes, en particulier dans le cadre du congé de maternité qui est financé par l'assurance-chômage, et aussi les gens qui vivent dans les régions. Étant donné les problèmes qu'on connaît, en particulier au niveau de la pêche et des forêts, les saisons sont beaucoup plus courtes qu'autrefois, ce qui fait qu'il y a maintenant des gens qui ne sont plus admissibles à l'assurance-chômage et qui reçoivent plus rapidement de l'aide sociale.
Les règles de l'aide sociale sont très restrictives. Je pense que, comme société, nous n'avons pas intérêt à utiliser ce moyen-là. L'assurance-chômage donne aux gens l'impression, dans un premier temps, de pouvoir réintégrer le marché du travail dans les semaines qui suivent, tandis que l'aide sociale est perçue socialement comme un état beaucoup plus difficile de trouver à nouveau un emploi.
J'ai travaillé à deux comités de relance dans la région de Montréal, celui de l'Est et celui du Sud-Ouest, et des patrons nous ont dit candidement - mais je pense que c'est la réalité - que lorsqu'ils recevaient un curriculum vitae d'un bénéficiaire d'aide sociale, ils l'envoyaient directement à la poubelle. On considère les personnes qui reçoivent de l'assurance-chômage comme des gens en transition, entre deux emplois, qui ont peut-être eu la malchance de se trouver au sein d'une entreprise qui a fermé ses portes ou encore qui ont peut-être été victimes de mises à pied temporaires.
Il y a un effet économique, un effet psychologique et un effet social très graves. Pour nous, c'est sûrement, au cours des dernières années, le programme qui a d'abord été le plus affecté et les coupures qu'il a subies sont celles qui ont entraîné les conséquences les plus visibles dans la société québécoise.
M. Nunez: Concernant le système d'assurance-chômage, il semble qu'il y ait des études au niveau fédéral pour modifier le système d'administration afin qu'il y ait représentation paritaire entre l'employeur, les travailleurs et le conseil d'administration, comme cela se fait en Europe.
Ce sont les syndicats, les travailleurs et les employeurs qui administrent la caisse d'assurance-chômage. Est-ce que vous avez une opinion? Il semble aussi que le gouvernement fédéral va essayer d'utiliser les fonds de l'assurance chômage pour la formation des assistés sociaux.
Nous avons posé des questions et il n'y a pas de réponses claires. Au Québec, on a discuté dans le passé, et je pense qu'on le fait aussi actuellement, du rapatriement de la caisse d'assurance-chômage. Quelle est l'opinion de la CSN à cet égard?
M. Paquette: Pour ce qui est d'un système d'assurance-chômage avec responsabilisation des partenaires sociaux, un peu comme ce qu'on a au Québec pour le régime de santé et de sécurité, on a toujours été d'accord sur cela.
Un des problèmes qui se posent très concrètement dans le cadre du régime canadien, c'est que la CSN n'est pas reconnue comme une organisation syndicale pancanadienne. Dans l'ensemble des organismes de consultation du gouvernement fédéral, on est rarement présents. C'est le Congrès du travail du Canada qui est présent, et c'est tout à fait légitime. Dans ce sens-là, on serait bien d'accord sur un régime paritaire, d'autant plus que ce sont exclusivement les employés et les employeurs qui paient la caisse d'assurance-chômage. On voudrait cependant s'assurer qu'il y ait une représentation équitable de l'ensemble des organismes représentatifs dans le grand espace canadien.
Sur le deuxième aspect, pour nous, il est extrêmement inquiétant de voir le ministre annoncer la création de surplus. Ce n'est pas tellement sur le principe, parce que sur le principe, on est tout à fait d'accord. D'ailleurs, c'est ce qu'on avait dit dans le mémoire qu'on avait présenté au Comité des finances. On voulait qu'il y ait une caisse pour stabiliser les cotisations entre les périodes de récession et d'expansion.
En ce sens, la création d'un fonds de 5 milliards de dollars pour stabiliser les cotisations nous semble tout à fait appropriée, mais l'utilisation de ce fonds nous inquiète, d'autant plus qu'à notre avis, les calculs qu'on a faits sont tout à fait sommaires. Le surplus, avec les taux de cotisation actuels, va dépasser rapidement les 5 milliards de dollars. Il y aura donc plusieurs milliards de dollars de disponibles pour le gouvernement fédéral dans le cadre du Fonds d'investissement dans les ressources humaines.
On a annoncé que ce serait de ce fonds que viendrait l'aide fédérale pour les garderies, les problèmes liés aux enfants et la formation professionnelle. Ce sont tous des champs de compétence provinciaux où le gouvernement fédéral va avoir les moyens d'intervenir, comme il le fait déjà de façon discrétionnaire.
Une autre de nos inquiétudes, c'est que le ministre Martin aime beaucoup les projets pilotes. Il y en a un dans le sud-ouest de Montréal, de même qu'au Nouveau-Brunswick. La conception de la décentralisation de l'utilisation des fonds du gouvernement fédéral, en particulier le gouvernement libéral, c'est de décentraliser en faisant une alliance stratégique entre le gouvernement fédéral et la communauté par-dessus la tête du Québec. Cela nous inquiète beaucoup.
En dernier lieu, le rapatriement de l'assurance-chômage est une vieille revendication de la CSN, mais on ne veut pas rapatrier seulement l'administration du fonds. Tant que les cotisations vont passer par la Chambre des communes, le gouvernement fédéral aura toujours la légitimé d'intervenir dans la détermination des normes.
Donc, on veut rapatrier l'administration et la juridiction de l'assurance chômage pour être en mesure d'avoir des mesures de main-d'oeuvre et de soutien du revenu qui soient complémentaires pour véritablement aider les personnes en chômage à réintégrer le marché du travail.
M. Nunez: Vous avez mis l'accent sur les coupures aux programmes sociaux. C'est terrible, ce qui se passe dans ce dossier. Les engagements du gouvernement fédéral dans ce domaine vont pénaliser les plus démunis de la société.
Dans le dernier budget, il n'y avait pas de coupures au régime des pensions, mais il y a déjà des comités qui examinent cette question, et il semble que ça viendra plus tard, après le référendum. Au Québec, le gouvernement fédéral tient compte des personnes âgées jusqu'au prochain référendum.
Il a même été question que l'âge de la retraite soit élevé à 67 ans, ce qui est incroyable parce qu'en Europe, on fait tout le contraire. Il faut abaisser l'âge de la retraite. Ici, on pense à l'augmenter. Qu'est-ce que vous pensez de ce dossier?
[Traduction]
M. Pillitteri: Monsieur le président, le dialogue a-t-il lieu ici, ou là-bas?
[Français]
M. Nunez: J'ai posé la question au témoin. Je vois que cela suscite des commentaires parmi mes amis.
M. Jean Charest (économiste et conseiller au Service de la recherche, Confédération des syndicats nationaux): Tel qu'on l'indique à la page 7 de notre mémoire, c'est une question qui nous inquiète et sur laquelle on n'est pas tellement en mesure d'élaborer. Ce qu'on en connaît à ce moment-ci, ce sont des intentions qui ont été annoncées dans le dernier discours du Budget concernant une révision prochaine du système des pensions publiques au Canada.
Donc, on indique dans notre document que cela nous inquiète. Il est évident que les personnes âgées, en particulier, sont toujours inquiètes lorsqu'on parle des pensions de vieillesse, et c'est légitime. Les gens cotisent pendant plusieurs années, payent des impôts pendant plusieurs années et, à l'approche de l'âge de la retraite ou même lorsqu'ils sont à la retraite, il est légitime qu'ils s'inquiètent d'une remise en question possible de la qualité de la protection dont ils bénéficient dans le cadre du régime actuel.
Tout le monde sait qu'il y a des pressions financières et démographiques importantes qui s'exercent sur le Régime de pensions au Canada. C'est un fait connu depuis longtemps. Je dirais que, malheureusement, au Canada, dans les années soixante, on a choisi de privilégier la préparation individuelle à la retraite, notamment par l'introduction des REER. Malheureusement, les gens qui sont à des niveaux de revenu inférieurs ont peu accès à une préparation individuelle à la retraite, donc aux REÉR. Ils sont davantage dépendants du régime public. Par conséquent, on se retrouve actuellement dans une situation où les gens, surtout les plus démunis, sont directement dépendants de la qualité du régime public de pensions.
On sait qu'il y a des pressions importantes qui s'exercent sur ces régimes, notamment des pressions démographiques liées au vieillissement de la population. Il est clair que cela va exiger des ajustements au cours des prochaines années. Ces ajustements peuvent prendre la forme d'un abaissement de la qualité de la protection ou d'un relèvement des cotisations pour qu'il y ait davantage de rentrées financières au niveau du régime public de pensions.
C'est la voie que nous privilégions, évidemment. Reporter l'âge de la pension, c'est une façon simple de régler le problème. On pourrait mettre la barrière à 67, 68 ou 70 ans. À notre avis, ce n'est pas une façon équitable de régler le problème des pensions publiques. C'est pour cela que dans le mémoire qu'on présentait au Comité permanent des finances en octobre dernier, on évoquait l'idée qu'une réforme éventuelle des pensions publiques ne pouvait pas se faire indépendemment d'une réforme de la fiscalité, plus spécifiquement d'une réforme au niveau des REÉR.
Il faut adopter une approche assez globale pour ces volets-là. Une réforme isolée du régime de pensions public nous inquiéterait. On craindrait qu'au cours des mois suivants, une réforme du fédéral survienne et abaisse de façon substentielle la qualité de la protection au niveau des régimes publics.
Oui, on est inquiet. Malheureusement, on ne peut pas en dire beaucoup plus pour le moment étant donné qu'on a fait uniquement des annonces, mais on connaît fort bien les pressions qui s'exercent.
On sait que les intentions exprimées par le ministre risquent fort de se concrétiser. On pense qu'il y aura effectivement une révision du régime public de retraite. Cette révision est inquiétante.
Pour conclure, on ne voudrait pas que le régime public de pensions connaisse le même sort que celui qu'a connu au fil des ans le régime d'assurance-chômage. On ne croit pas que ce serait une solution équitable et réconfortante pour les personnes âgées du Québec et de l'ensemble du Canada.
M. Nunez: À propos du régime fiscal, question que vous avec abordée dans votre exposé, il devrait subir des changements en profondeur pour devenir plus équitable. C'est très tangible au Canada. Il n'y a presque aucune mesure dans le Budget, sauf une taxe un peu dérisoire de 100 millions de dollars imposée aux banques. La Banque royale, à elle seule, a réalisé des profits de plus d'un milliard de dollars. Il n'y a rien qui porte sur les paradis fiscaux ou les fiducies familiales.
J'étais en Europe, il y a quelques mois. Il existe là-bas un impôt de 10 p. 100 pour les entreprises, alors qu'ici il n'existe pas d'impôt minimal. Que pensez-vous du régime fiscal?
Le président: C'est tout le programme du Bloc.
M. Nunez: Qui est plus équitable que celui du gouvernement.
M. Paquette: Je pense que l'ensemble de la population, pas seulement les syndicats, considère que le fardeau fiscal est mal réparti entre les particuliers eux-mêmes et entre les particuliers et les entreprises. De notre côté, nous demandons une révision en profondeur du régime fiscal depuis fort longtemps.
On a eu droit à la réforme Wilson dans les années quatre-vingt, laquelle a allégé le fardeau fiscal des mieux nantis au Canada. Il y a eu ensuite l'instauration de la TPS, qui est une taxe régressive. On se trouve finalement dans une situation où la classe moyenne est surtaxée. C'est ce qui provoque la grogne actuelle.
Donc, pour nous, et c'est vrai pour toutes les provinces canadiennes comme pour le gouvernement fédéral, il est extrêmement important de revoir en profondeur le régime fiscal pour le rendre plus équitable et plus progressif. Il faut que les gens qui ont les moyens de payer contribuent leur juste part au financement des outils collectifs qu'on se donne.
Or, le Budget ne comportait aucune mesure dans ce sens. Comme vous l'avez mentionné, la taxe temporaire imposée aux banques a provoqué le rire général; dans la même année, on a demandé aux banques un effort spécial de 100 millions de dollars et on a coupé 700 millions de dollars pour les chômeurs et les chômeuses. On a bien vu l'idéologie du gouvernement en place, qui est la même que celle du gouvernement précédent.
M. Nunez: Je laisse la parole à mes collègues.
Le président: Enfin. Merci beaucoup, monsieur Nunez.
[Traduction]
M. Speaker: Dans votre deuxième paragraphe, vous parlez du Livre rouge du Parti libéral. À en juger par vos propos, la crédibilité et l'intégrité du gouvernement n'ont plus la cote. Pendant la campagne électorale, le gouvernement a fait des promesses importantes qui sont maintenant mortes au champ du déshonneur et cela vous inquiète.
Peut-être pourriez-vous en dire un peu plus. C'est dans le contexte de cette loi, donc ce n'est pas une question partisane.
[Français]
Une voix: Oui, tout à fait.
Le président: Chez nous, nous ne jouons pas à la politique.
Une voix: Je pense que les contribuables vous paient pour faire de la politique.
Une voix: Je ne suis ni surpris ni choqué.
M. Charest: La réponse est de nature politique, mais au sens de la crédibilité que la population accorde au processus politique. Je pense que c'est ce à quoi votre question faisait particulièrement référence. Il est très clair que dans le cadre de la dernière campagne électorale, une majorité de Canadiens et de Canadiennes ont appuyé le Parti libéral, notamment dans la foulée du Livre rouge qui a été un instrument important dans le cadre de la campagne. Ce que nous déplorons dans notre mémoire, c'est qu'à bien des égards, le Livre rouge a été mis de côté.
Ce qui est dangereux, et c'est ce que vous soulignez, je crois, et c'est aussi notre avis, c'est que la crédibilité du processus politique est mise en cause.
Beaucoup de gens sont actuellement très cyniques vis-à-vis du processus politique et des partis politiques. Les gens disent: «Comment les partis peuvent-ils faire tant de promesses et faire tout autre chose une fois qu'ils sont élus?»
C'est inquiétant, parce qu'il y a risque de désaffection de la part de la population par rapport à la réalité politique. La crédibilité du Parti libéral, en l'occurrence, est mise en cause, mais, d'un point de vue plus large, c'est la crédibilité du processus politique, de l'univers politique, qui est mise en cause. C'est très malheureux pour l'ensemble des citoyens du Canada.
M. Paquette: Je voudrais seulement ajouter un exemple très concret dont nous avons souvent discuté avec M. Ouellet, qui est le ministre responsable du Québec. Il s'agit de la reconversion industrielle.
Les dépenses militaires sont diminuées de 1,5 milliard de dollars, dans le Budget actuel, sur les deux prochaines années. Nous applaudissons cette mesure. Dans le Livre rouge, toutefois, on avait promis que l'abolition des contrats d'hélicoptères, qu'on a appuyée d'ailleurs, parfois même à contre-courant d'une partie de l'opinion québécoise, serait assortie de la constitution d'un fonds de reconversion pour aider les industries principalement axées sur la production militaire à se réorienter vers des productions civiles.
Il n'y avait qu'un seul programme qui pouvait aider l'industrie à se reconvertir, en français le PPIMD, en anglais le DIPP. Il l'a fait par le passé. Dans le Budget actuel, non seulement les fonds ne sont pas augmentés, mais ils sont diminués et ramenés au niveau auquel le gouvernement s'était engagé au cours des années passées. Le fonds se trouve aujourd'hui à un niveau d'environ 90 millions de dollars. Or, seulement pour le Québec, nous aurions besoin de 300 millions de dollars.
En terminant, je voudrais souligner que les représentations que nous avons faites auprès de M. Ouellet et auprès de M. Manley, dans ce domaine, ont été faites conjointement avec l'industrie et la Communauté urbaine de Montréal. Comme vous le savez probablement, on est très touchés, parce qu'une grande partie de l'industrie militaire, particulièrement dans le secteur aéronautique et aussi dans la poudre, se trouvait dans la région métropolitaine de Montréal.
C'est ce genre de revirements qu'on observe chez le gouvernement actuel. Pendant la grève, M. Martin était propriétaire de Voyageur alors que j'étais président du Conseil central de Montréal, et nous nous sommes donc côtoyés à plusieurs reprises. Je le connais bien. Je suis personnellement très déçu de voir à quel point il a pu changer de discours, parce que je croyais honnêtement qu'il était homme de parole.
[Traduction]
M. Speaker: Ces promesses que le gouvernement ne respecte pas accordent tout simplement plus d'autonomie aux provinces. Le Livre rouge était un document fédéraliste, le gouvernement fédéral gardant un maximum de pouvoir. Mais certains des changements qui se sont produits ont ramené au niveau provincial des compétences et le pouvoir de dépenser. Certaines promesses n'ont donc pas été respectées, c'est vrai, mais il s'agit de savoir si c'est la chose la plus réaliste à faire pour le moment.
Je vous écoutais et, si j'ai bien compris, vous disiez qu'il faudrait élargir le champ de compétence des provinces - le Québec ou l'Alberta - mais du même souffle, vous vous demandiez si le gouvernement fédéral aurait dû violer ses promesses ou s'éloigner de cette position fédérale qu'il annonçait de façon plus ferme dans son Livre rouge.
Que pensez-vous de ce changement au niveau des compétences? Il s'agit d'une promesse non tenue, en somme.
[Français]
M. Paquette: Je peux au moins dire que, pour nous, ladite décentralisation annoncée dans le Budget n'en est pas une. On décentralise les problèmes financiers, mais on garde la mainmise sur la configuration des programmes, puisque les normes nationales vont demeurer, d'une part, mais aussi puisqu'ils sont en place, d'autre part. Dans ce sens, ce n'est pas une véritable décentralisation.
Ce qu'on verrait, ce serait plutôt une décentralisation des juridictions accompagnée des points d'impôt correspondants, et chacun s'organiserait comme il l'entendrait.
Nous ne sommes pas comme certains de nos camarades du Canada anglais, au niveau syndical et au niveau populaire, qui ont peur que les transferts des responsabilités vers les provinces affectent les programmes sociaux ou les programmes de santé. On n'a pas besoin du grand frère fédéral pour s'assurer qu'au Québec, la population fasse les pressions politiques nécessaires pour maintenir des programmes adéquats, tant en matière de santé que de soutien du revenu.
Voilà ce que serait pour nous un véritable fédéralisme décentralisé. On décentraliserait les responsabilités en décentralisant les ressources. Ce n'est pas du tout ce qui est en marche.
Je suis très inquiet. Jean Charest me faisait remarquer que l'article 39 ou 37, qui modifie l'article 13 de la loi, fait en sorte que l'ensemble de l'enveloppe du Transfert social canadien va être assujetti à l'interprétation que le ministre va faire de l'adéquation entre les programmes de la province et les normes que le gouvernement fédéral va instituer.
Est-ce que ça veut dire que si on ne s'entend pas sur certaines normes au niveau du financement postsecondaire, l'ensemble de l'enveloppe sera bloqué, entre autres pour l'aide sociale et les autres mesures prévues au programme de transfert? Ce sont des questions qui sont sans réponse pour nous.
[Traduction]
M. Speaker: Donc, vous me dites que le gouvernement n'est pas allé assez loin, même s'il a violé sa promesse.
Je représente l'Alberta depuis des années - et j'ai déjà dit ceci à mes collègues du Bloc québécois - nous avons d'ailleurs les mêmes sentiments là-bas. Nous avons exactement la même opinion: si vous nous imposez une responsabilité, donnez-nous les points d'impôt qui vont avec. On peut vivre avec ça. Et nous saurons quelles sont les priorités des gens que nous représentons. Il me semble que nous avons donc des intérêts communs.
Je vous dis cela à titre d'information, je n'attends pas de réponse.
[Français]
Le président: Est-ce que votre syndicat est souverainiste?
M. Paquette: Oui, depuis le congrès de 1990.
Le président: Je ne l'aurais jamais cru.
M. Paquette: Mais je dois vous dire que toutes les centrales québécoises sont souverainistes. Ce n'est pas une exception.
Le président: Au nom de tous les députés, je veux vous remercier de vos commentaires d'aujourd'hui.
M. Paquette: Merci de nous avoir reçus, monsieur le président.
Le président: Nos prochains témoins ne sont pas encore arrivés. Nous allons donc faire une pause de cinq minutes.
[Traduction]
La présidente suppléante (Mme Stewart): La séance est ouverte.
Nous poursuivons nos discussions sur le projet de loi C-76 et nous souhaitons la bienvenue aux représentants du Conseil national du Bien-être, M. Bruce Hardy, vice-président du conseil d'administration, et M. Steve Kerstetter, directeur par intérim.
Je vous invite à nous présenter vos remarques liminaires, après quoi nous pourrons vous poser des questions.
M. Bruce Hardy (vice-président du Conseil d'administration, Conseil national du Bien-être): Je travaille depuis environ 25 ans dans le domaine des services sociaux en Colombie-Britannique. J'oeuvre auprès des enfants et des familles en état de crise.
Je suis accompagné aujourd'hui par Steve Kerstetter, qui est directeur par intérim du Conseil national du Bien-être depuis trois ans.
Comme vous le savez, le Conseil national du Bien-être est un groupe consultatif composé de membres du public qui a pour mandat de conseiller le ministre du Développement des ressources humaines sur les questions touchant les Canadiens à faible revenu. Toutes les activités du Conseil découlent directement de ce mandat bien précis.
Les membres du Conseil sont nommés par le cabinet et représentent divers secteurs de la société. Nous avons notamment en commun le fait que nous nous intéressons de très près, que ce soit par notre travail rémunéré ou par nos activités bénévoles, ou les deux, aux initiatives visant à mettre en oeuvre la politique sociale à l'échelle de la collectivité. Nous avons une expérience personnelle de la façon dont les orientations sociales élaborées à Ottawa se répercutent sur la base, et nous sommes à même de constater l'impact réel des politiques fédérales sur les Canadiens de toutes les régions du pays.
Au fil des ans, le Conseil distribuait selon le cas les félicitations et les critiques. Certains des membres du comité se souviendront que nous avons critiqué le précédent gouvernement fédéral pour sa décision de 1990 de plafonner le RAPC.
Toutes les préoccupations que nous avions soulevées à l'époque valent également pour le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux et les mesures connexes proposées dans le budget de 1995.
Étant donné le peu de temps dont nous disposons, nous nous contenterons d'aborder quatre grands points.
Tout d'abord, nous estimons qu'il est absolument inacceptable que le gouvernement fédéral intègre le financement des programmes qui relèvent actuellement du Régime d'assistance publique du Canada au financement global de l'assurance-maladie et de l'enseignement postsecondaire. L'assistance sociale est un programme anticyclique, et il n'a à peu près aucune similitude avec l'assurance-maladie et l'assurance postsecondaire.
Deuxièmement - et cette observation découle de notre première affirmation - les limites de dépenses fixées par la loi ne semblent tenir aucunement compte des besoins réels des Canadiens.
Troisièmement, le Régime d'assistance publique du Canada devrait demeurer en place tant que des amendements n'auront pas été apportés au projet de loi dans sa forme actuelle, ou qu'une nouvelle loi n'aura pas été adoptée pour remplacer le RAPC. Le Conseil estime qu'une nouvelle loi doit être adoptée qui imposerait des normes nationales minimales.
Enfin, nous soutenons, encore une fois, qu'il faudrait envisager et réduire les dépenses au lieu de réduire la contribution du gouvernement fédéral aux services sociaux et au programme d'assistance sociale.
L'assistance sociale est le programme social anticyclique par excellence. Quand l'économie est au beau fixe, le nombre de ceux qui doivent compter sur l'assistance sociale tend à être relativement faible, tandis qu'en période de récession, le nombre d'assistés sociaux montent en flèche.
L'assurance-maladie et l'enseignement postsecondaire appartiennent à une toute autre catégorie, car les besoins demeurent relativement stables d'une année à l'autre. C'est précisément à cause de leur stabilité que ces programmes étaient tout désignés pour le financement global adopté au titre du FPE-EPS en 1977.
Le principal élément qui sert à déterminer les transferts au titre du FPE-EPS est la croissance économique, calculée en fonction de l'accroissement du produit national brut. Ainsi, la formule adoptée à l'orgine prévoyait que l'aide fédérale à l'assurance-maladie et à l'enseignement postsecondaire augmenteraient proportionnellement à l'augmentation de la production de biens et de services.
Une fois que le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux sera devenu un mécanisme de financement permanent, il n'y aura vraisemblablement qu'une seule formule pour déterminer le montant des transferts fédéraux; et cette formule sera sans doute fonction de la croissance économique. Il est difficile d'imaginer pire inadéquation que celle qui résulterait d'une formule où ce serait la croissance économique qui servirait à déterminer les montants qui seraient ou qui pourraient être dépensés pour les services sociaux et l'assistance sociale.
Pour se faire une idée de l'impact financier à long terme des mesures budgétaires, le Conseil national du Bien-être a comparé les dépenses réelles du gouvernement fédéral au titre du RAPC aux dépenses qu'il aurait effectuées si le RAPC avait été financé dès 1977 selon la même formule que l'assurance-maladie et l'enseignement postsecondaire. Vous pouvez voir les résultats de cette comparaison dans le tableau qui se trouve à la page 2 du rapport que nous vous avons remis.
Dans la première colonne, vous voyez l'accroissement réel de l'aide fédérale à l'assurance-maladie et à l'enseignement postsecondaire, il est indiqué en pourcentage pour tous les exercices financiers de 1978-1979 jusqu'à 1995-1996. Dans la deuxième colonne, vous voyez les dépenses réelles du gouvernement fédéral au titre du RAPC selon la formule du financement partagé. La troisième colonne indique quelles auraient été les dépenses fédérales au titre du RAPC si Ottawa avait adopté le financement global selon la formule utilisée pour le FPE. La dernière colonne fournit le montant des fonds fédéraux qui auraient été perdus au RAPC si la formule du FPE avait été substituée au financement partagé. La perte totale pour les provinces et les territoires, et par conséquent pour les Canadiens, aurait été de 19,4 milliards de dollars pendant la période visée.
Si le gouvernement fédéral continue à réduire de manière artificielle les fonds qu'il accorde pour les services sociaux et l'assistance sociale, les provinces et les territoires devront soit compenser leur découvert par leurs propres recettes soit réduire les services ou les prestations aux personnes dans le besoin en proportion de la réduction des transferts fédéraux. Pour nous, il ne fait aucun doute que la plupart des provinces et des territoires opteraient pour cette dernière solution.
Au bout du compte, ce sont les hommes, les femmes et notamment, selon moi, les enfants qui dépendent de l'assistance sociale ou des services sociaux qui seraient pénalisés. En dernière analyse, ce sont les pauvres qui paieraient le prix du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux.
Même dans le cadre du financement global du Régime d'assistance publique du Canada, la feuille de route des provinces, en ce qui concerne l'assistance sociale et les services sociaux, n'est guère reluisante. Certaines provinces, dont le Nouveau-Brunswick, ont des taux d'assistance sociale excessivement bas. Depuis quelques mois, l'île-du-Prince-Édouard, le Québec, l'Ontario, le Manitoba et l'Alberta ont réduit dans certains cas leurs prestations sociales de base. L'Alberta a également rayé des milliers de personnes de ses listes d'assistance sociale.
Si le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux était adopté, les provinces et les territoires auraient tendance à réduire encore davantage leurs prestations sociales de base. Divers types de prestations sociales, accordées à la discrétion des agents de l'aide sociale, pourraient également s'en trouver réduites. Les personnes handicapées auraient plus de mal, quant à elles, à obtenir l'aide particulière dont elles ont besoin pour vivre décemment. Les parents auraient plus de difficulté à obtenir des soins dentaires subventionnés pour leurs enfants ou des médicaments d'ordonnance. Toutes les allocations, notamment pour les études, pour les activités récréatives et pour le transport, qui pourraient être considérées comme non essentielles seraient vraisemblablement compromises.
L'abolition du Régime d'assistance publique du Canada pourrait se solder par l'anéantissement d'un mécanisme de financement de l'aide sociale et des services sociaux qui, malgré ses lacunes, a bien servi les Canadiens pendant de nombreuses années. Nous exhortons le gouvernement fédéral à maintenir le RAPC.
Même si Ottawa est bien décidé à mettre en oeuvre le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux dès l'exercice financier 1996-1997, il ne paraît guère logique d'abroger le RAPC dans le but uniquement de faire place à un mécanisme de financement intérimaire. Le maintien du Régime d'assistance publique du Canada permettrait, entre autres choses, de faire en sorte que l'aide sociale et les services sociaux soient facilement accessibles dans toutes les régions du Canada et que tous les Canadiens aient le droit d'en appeler des décisions des autorités municipales et territoriales. Aux termes du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, la seule protection qui serait maintenue est celle qui empêche les provinces et les territoires d'imposer certains critères relatifs à la résidence. Le mécanisme d'appel disparaîtrait. Les droits fondamentaux ne seraient plus protégés.
Beaucoup des améliorations à l'aide sociale et aux services sociaux qui ont été proposées par le Conseil national du Bien-être au fil des ans entraîneraient des dépenses supplémentaires à court terme, qui permettraient toutefois de réaliser des économies supplémentaires à long terme. Nous estimons que le gouvernement fédéral, ainsi que les provinces et les territoires, pourraient trouver des fonds supplémentaires en éliminant ou en limitant les dépenses ou les dégrèvements fiscaux.
Dans notre rapport de 1994 intitulé Plans pour la réforme de la sécurité sociale, nous dressons une courte liste des dépenses fiscales qui profitent surtout aux Canadiens à revenu élevé et qui coûtent des milliards de dollars par an au Trésor fédéral et aux Trésors provinciaux. Éliminer ces dégrèvements fiscaux rendrait notre régime fiscal plus équitable et libérerait des fonds précieux qui pourraient être utilisés pour venir en aide aux Canadiens défavorisés.
Dans son budget de 1995, le gouvernement parlait de la nécessité de rendre le régime fiscal plus équitable et promettait de réexaminer les dépenses fiscales. Il prédisait que, s'il lui incombait - obligation qu'il se disait prêt à accepter - de scruter sans cesse les dépenses publiques, il lui incombait tout aussi clairement de scruter sans cesse l'équité et l'efficacité du régime fiscal.
Nous soutenons que, s'ils sont vraiment soucieux de réduire leur déficit, les gouvernements doivent resserrer davantage les dépenses fiscales. Beaucoup de programmes gouvernementaux et de paiements de transfert ont déjà été réduits à l'essentiel. Il serait profondément injuste de réduire davantage ces programmes sociaux qui sont principalement destinés à venir en aide aux Canadiens à faible revenu tout en maintenant des dégrèvements fiscaux qui prodiguent des milliards de dollars aux Canadiens à revenu élevé.
Voilà qui met fin à notre exposé.
Je voudrais par ailleurs ajouter que je travaille dans l'Est de Vancouver. Je travaille auprès de familles en état de crise, notamment auprès d'adolescentes qui sont enceintes ou qui ont déjà un ou deux enfants. Les programmes que nous offrons étant financés par le gouvernement provincial, les frais sont assumés pour moitié par le gouvernement fédéral. Il s'agit de programmes qui visent à briser le cercle vicieux de l'assistance sociale, pour que ces jeunes ne dépendent pas de l'aide sociale toute leur vie durant.
La plupart des participantes ont entre 15 et 19 ans. Leurs enfants sont tous âgés de moins de 18 mois. Les deux constatations que j'ai pu faire au sujet de ces jeunes filles, c'est qu'elles rêvent toutes d'une vie meilleure pour elles-mêmes, et surtout pour leurs enfants; aucune d'entre elles ne veut dépendre de l'assistance sociale.
Quand je leur ai expliqué le contenu du budget et ses conséquences, elles étaient les premières à s'indigner du fait que certaines personnes abusent du système, car elles savent bien que c'est l'image du système dans son ensemble qui s'en trouve avilie.
Si elles ne peuvent pas compter sur l'aide de la province et du gouvernement fédéral, je ne vois tout simplement pas comment elles pourront mettre fin à leur dépendance et devenir autonomes.
Je travaille avec ces jeunes à l'échelle locale, et je crains qu'elles soient les plus vulnérables et, vraisemblablement, les premières à être pénalisées par la réduction des paiements de transfert provinciaux ou fédéraux. La principale crainte que m'inspire la réforme proposée, c'est que la formule du financement du RAPC soit liée à d'autres considérations, de sorte que les crédits affectés aux services sociaux seront soumis aux aléas politiques et que le gouvernement fédéral ne pourra plus établir de normes nationales.
Même si nous réussissons à conserver la protection contre l'imposition de critères de résidence injustifiés, le fait est que les provinces ont déjà commencé à se décharger de leur fardeau financier, de sorte que les gens iront s'installer dans les régions du pays où ils peuvent recevoir de l'aide et éviteront celles où ils ne peuvent pas en recevoir.
La présidente suppléante (Mme Stewart): Vous avez terminé votre exposé. Merci.
La première personne à vous poser des questions sera M. Brien.
[Français]
M. Brien (Témiscamingue): Bonjour. Bienvenue au Comité des finances.
Je veux vous féliciter, parce que vous expliquez toutes les conséquences humaines de ce projet de loi, mais aussi parce que vous suggérez des solutions de rechange. Vous suggérez des endroits où le gouvernement pourrait aller chercher des revenus, des revenus plus élevés que ceux qu'il va aller chercher en coupant dans les transferts aux provinces. Évidemment, on peut être en accord ou en désaccord avec vous, mais vous faites au moins des suggestions.
On entend souvent parler, dans le cas de provinces, du modèle de l'Alberta. Pouvez-vous nous donner plus de précisions et confirmer ce qu'on m'a dit? On dit qu'en Alberta, les choix budgétaires de la province ont entraîné le déplacement d'un certain nombre de personnes vivant de l'aide sociale vers la Colombie-Britannique. Vous avez parlé tantôt du lieu de résidence.
Les gens nous parlent souvent d'un exemple de modèle de gestion des finances publiques. Ils nous citent le gouvernement albertain, alors qu'on a déplacé des gens. L'Alberta a été la première province à agir, mais il y a des gens qui se seraient déplacés vers la Colombie-Britannique. Est-ce que vous pouvez confirmer ces chiffres-là? Est-il vrai qu'environ 30 000 personnes ont déménagé?
[Traduction]
M. Hardy: Je ne peux pas vous donner le chiffre exact, mais nous qui travaillons en Colombie-Britannique sommes à même de constater que le nombre d'assistés sociaux monte en flèche et que le nombre de personnes qui arrivent en Colombie-Britannique d'autres régions du pays s'accroît également de façon radicale. Il serait raisonnable de supposer que bon nombre de ces gens dépendent d'une manière ou d'une autre de l'assistance sociale.
Il y a environ un an ou peut-être un an et demi, l'Alberta a réduit le taux de ses prestations d'aide sociale, tant pour les personnes seules que pour les familles, et un certain nombre d'autres personnes ont perdu tous leurs droits à l'assistance sociale. C'est certainement un moyen de limiter les dépenses, mais les gens eux ne disparaissent pas pour autant. Ils finissent par refaire surface dans une autre région du pays, même si ce n'est pas tout de suite. Ce qui m'inquiète depuis toujours, c'est l'impact a long terme sur ces personnes qu'on garde dans un état de pauvreté. Qu'arrive-t-il à leurs enfants? Y en a-t-il parmi eux qui réussissent à briser le cycle de la dépendance? Nous voyons les conséquences en Colombie-Britannique.
Auparavant, les participants à nos progammes venaient tous de la province. Maintenant, il y en a qui viennent de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba; ils sont venus s'installer sur la Côte et comme ils se sont retrouvés dans le besoin, ils ont fait appel à nos programmes.
[Français]
M. Brien: Les gens qui s'opposent aux suggestions que vous faites vont dire: «Oui, mais ces gens-là font rouler l'économie et investissent. Cela va abaisser les revenus de dividende.» Le raisonnement des gens qui font des choix comme celui-là, c'est que cet argent que vous suggérez d'aller chercher serait dépensé de façon plus productive dans l'économie que pour les gens qui vivent de l'aide sociale et de l'assurance-chômage, tous ceux qui sont touchés par les séries de coupures qu'on fait dans les programmes sociaux.
Est-ce que vous avez déjà analysé l'impact de l'argent qui est dépensé par ces gens-là dans l'économie? En quoi cet argent serait-il moins productif que celui dépensé par des gens à revenu élevé?
[Traduction]
M. Steve Kerstetter (directeur par intérim, Conseil national du bien-être): Nous ne nous sommes jamais penchés sur cette question en particulier. C'est certainement une question intéressante, mais je ne peux malheureusement pas vous dire plus que cela. Désolé.
M. Hardy: Je tiens toutefois à faire remarquer que, si les prestations sociales étaient effectivement réduites et que les montants ainsi économisés devaient être utilisés pour des progammes visant à briser le cycle de la dépendance, pour des programmes de formation ou de rattrapage scolaire, par exemple, il pourrait être intéressant d'en discuter à tout le moins. Et si l'argent ne fait que retourner dans les coffres de l'État, cela ne fera pas disparaître pour autant les bénéficiaires.
Lorsque je parle de nos services sociaux, je fais souvent la comparaison avec le jardinage. C'est comme lorsque vous plantez: on ne voit rien pousser au début. Des amis à moi m'ont conseillé à la blaque de m'installer en Alberta et d'aller ouvrir une boîte là-bas. En effet, ils prétendent que dans deux ou trois ans, lorsque les gens dépendront massivement de l'aide sociale et d'autres programmes sociaux, lorsque les enfants se retrouveront dans le système pénal et lorsque les familles craindront d'avoir des enfants tout simplement parce qu'elles ne peuvent plus se permettre financièrement de les élever, c'est à ce moment-là que je pourrais faire de l'argent avec les services sociaux. C'est peut-être cynique, me direz-vous, mais les assistés d'aujourd'hui ne vont pas simplement disparaître. Bien sûr, c'est une économie à court terme, mais cela crée également des déficits à long terme qui viendront hanter la province pendant de nombreuses années encore.
M. Peterson: Monsieur Hardy, j'ai été très touché par les propos que vous avez tenus à la suite de votre exposé, dans lesquels vous décriviez ceux que vous tentez d'aider, leurs espoirs et leurs ressentiments à l'égard de ceux qui abusent du système. Vous nous avez démontré clairement qu'il est possible d'agir en intervenant de façon positive, que ces gens ont besoin d'aide et qu'ils ne nous volent pas. Cela, il faut le faire savoir. Je vous encourage à transmettre ce message positif à la moindre occasion, et nous le ferons nous aussi.
Nous nous inquiétons de la perte des normes nationales et reconnaissons qu'il doit y avoir un volet liquidité. Vous savez que M. Martin a demandé à M. Axworthy d'aller chercher l'accord des provinces pour élaborer, avec celles-ci, des normes nationales pour la première fois; vous savez qu'il y a très peu de normes nationales à l'heure qu'il est. Êtes-vous d'accord avec cette façon de faire?
M. Hardy: Tout à fait.
M. Peterson: Pensez-vous que cette démarche sera couronnée de succès?
M. Hardy: Ouis, je le crois. J'imagine qu'au départ, chacun fera son petit cinéma, comme cela arrive souvent quand on négocie et qu'on dialogue. Mais en bout de piste, je crois fermement que...
J'ai demandé à la ministre provinciale des services sociaux ce qu'elle pensait de cette notion des normes. Elle y croit aux normes. Je ne parle pas de contrôle massif ici. Je parle simplement du droit, par exemple, d'en appeler d'une décision. L'une des normes nationales est actuellement le lieu de résidence, et on ne semble pas en faire tout un plat. Il y a aussi le droit pour chaque citoyen du Canada d'avoir droit à une forme quelconque d'aide sociale.
J'ai du mal à croire que quelqu'un pourrait s'opposer farouchement à l'idée d'avoir des normes. À partir du moment où le gouvernement fédéral est prêt à écouter les provinces lui parler de normes, cela laisse beaucoup de marge de manoeuvre.
M. Peterson: Votre aide, votre force de conviction et votre éloquence nous seront d'une grande aide dans les jours et les mois à venir. Je vous remercie chaleureusement de votre excellent exposé.
M. Hardy: Merci.
La présidente suppléante (Mme Stewart): Merci à tous deux d'avoir comparu. Votre point de vue est des plus importants, particulièrement en ce qui concerne notre réseau de sécurité sociale, et le RAPC notamment. Merci d'avoir pris le temps de venir nous faire part de vos convictions, et d'avoir contribué à nos travaux.
Nous accueillons maintenant les représentants de la Fédération étudiante universitaire du Québec et de la Fédération étudiante collégiale du Québec. Bienvenue à M. Rebello, Mme Terrien et à M. Howe.
[Français]
Veuillez commencer votre présentation.
M. François Rebello (président, Fédération étudiante universitaire du Québec): Bonjour, tout le monde. Veuillez excuser notre retard. On a eu des petits problèmes d'impression des mémoires en partant de Montréal.
Nous allons d'abord nous présenter. Je m'appelle François Rebello et je suis président de la Fédération étudiante universitaire du Québec. Je suis accompagné de François-Guy Richard, le vice-président de la Fédération étudiante collégiale du Québec, et de Patrick Howe, coordonnateur aux Affaires externes de la Fédération des associations étudiantes de l'Université de Montréal.
M. Patrick Howe (coordonnateur aux Affaires externes, Fédération des associations étudiantes de l'Université de Montréal): À l'occasion du dépôt du Budget 1995, le ministre Martin a officiellement annoncé que le fédéral pourrait se retirer des domaines de la santé, de l'enseignement postsecondaire et du bien-être social, tout en retranchant une large part de sa contribution à leur financement. Il s'agit du nouveau Transfert social canadien qui remplacera le Régime d'assistance publique du Canada et le Financement des programmes établis.
Le Budget fédéral annonçait également une coupure de 10 p. 100 dans les transferts aux provinces en 1996 et 1997. On parle d'une coupure de 2,5 milliards de dollars en 1996-1997 et de 4,5 milliards de dollars en 1997-1998. Pour le Québec, cela représente un manque à gagner d'environ 650 millions de dollars en 1996-1997.
Nous pouvons donc ainsi résumer la proposition du gouvernement Chrétien. Premièrement, il s'agit de l'abandon des programmes sociaux aux provinces. Ensuite, il s'agit de coupures de 10 p. 100 dans les transferts aux provinces au titre des programmes de santé, d'éducation postsecondaire et d'aide sociale. Finalement, il s'agit de ponctions à venir dans l'enveloppe de ces programmes.
En termes clairs, le gouvernement fédéral remet aux provinces les responsabilités liées aux programmes de santé, d'éducation postsecondaire et d'aide sociale tout en faisant d'importantes compressions dans les paiements de transfert destinés à financer ces programmes.
De plus, les normes nationales sur la santé sont maintenues et le fédéral continue de s'opposer à ce que les provinces exigent des normes minimales de résidence des personnes qui bénéficient de l'aide sociale.
Bref, les provinces devront, pour recevoir la totalité des transferts auxquelles elles ont droit, respecter les normes dictées par le fédéral tout en faisant face à des réductions des fonds fédéraux consacrés à ces programmes.
Merci.
M. François-Guy Richard (vice-président, Fédération étudiante collégiale du Québec): Je veux vous expliquer d'abord qu'on considère les coupures dans les transferts qui sont faits par le budget de M. Martin comme en quelque sorte une ingérence du gouvernement fédéral dans les juridictions des provinces. J'explique tout de suite pourquoi.
Cette modification au système de financement amène les provinces à prendre des décisions et à réviser des choix qu'elles ont faits dans un domaine qui est de leur juridiction, par exemple l'éducation qui nous intéresse particulièrement.
Face au manque à gagner qui est créé par réductions dans les transferts annoncées par le ministre Martin, le gouvernement du Québec aurait quatre choix. Le premier serait de réduire le budget des collèges et des universités, ce qui affecterait certainement la qualité de l'enseignement offert dans les établissements postsecondaires, collèges et universités, de plusieurs façons. On pourrait aussi prévoir des hausses des coûts d'inscription.
Il y aurait une deuxième option, qui serait d'introduire des frais de scolarité au niveau collégial, ce qui est particulier au Québec. S'il faisait cela, le gouvernement québécois reviendrait sur une volonté des Québécois, à savoir que l'enseignement collégial soit accessible à tous par le biais de la gratuité scolaire. C'est un choix que le gouvernement Parizeau a réaffirmé en abolissant récemment un ticket modérateur qui avait été instauré par le gouvernement précédent. Donc, il devrait abolir la gratuité des études collégiales, ce qui est une chose très importante pour les Québécois.
La troisième option serait de hausser les frais de scolarité dans les universités, ce qui réduirait considérablement l'accessibilité. Cela irait à l'encontre de l'atteinte de l'objectif de scolarisation que le Québec s'est fixé et qui est très important pour le développement social économique.
La quatrième option du gouvernement serait d'augmenter ses dépenses pour maintenir à son niveau actuel le financement des établissements d'enseignement postsecondaire, mais cela aurait pour effet d'augmenter son déficit.
Il serait intéressant de rappeler que le Québec a toujours dépensé pour l'éducation les crédits versés par le fédéral au titre de l'enseignement postsecondaire, contrairement à d'autres provinces dont la conduite avait été critiquée.
Ces coupures dans les transferts représentent deux sortes de transferts différents du déficit fédéral. Le premier est un transfert vers le déficit des provinces. En coupant dans les transferts aux provinces, le gouvernement Chrétien ne règle pas le problème de la dette; il le déplace vers les provinces. Pourtant, dans un document que les libéraux avaient utilisé pendant la campagne électorale, ils disaient ceci: «Pendant neuf ans, les conservateurs ont prétendu faire des compressions budgétaires, mais en fait, ils ont simplement alourdi le fardeau financier des provinces et des municipalités. En bout de ligne, c'est toujours le contribuable qui paie la note.» Les libéraux le reconnaissaient lors de la campagne électorale. Pourtant, ils semblent vouloir faire les mêmes choix que leurs prédécesseurs.
Ces compressions représentent non seulement un transfert vers les provinces, mais également, étant donné les choix difficiles que les provinces seront forcées de faire, puisqu'il est maintenant très difficile d'envisager d'augmenter ces déficits, les prêteurs des gouvernements ne les admettant plus, elles pourraient représenter un transfert du déficit fédéral vers les individus. Quand on parle d'éducation, cela pourrait aussi représenter un transfert vers la jeunesse.
Pourtant, le ministre Martin, devant le Comité permanent des finances, reconnaissait que les déficits budgétaires des gouvernements «représentent des emprunts destinés à couvrir la consommation passée. Ils ne correspondent pas à des investissements qui stimuleraient notre potentiel économique. En fait, ils l'affaiblissent. Nous ne créons pas des possibilités nouvelles pour la prochaine génération. Nous usurpons leurs droits.»
Ce déficit, qui serait dû à des dépenses passées et que le ministre Martin dit ne pas vouloir léguer à la jeunesse, s'il était transféré vers des coupures en éducation, ce qui se traduirait probablement encore par des hausses des droits de scolarité, serait transféré sur le dos de la jeunesse. C'est un déficit qui, jusqu'à un certain point, n'a pas été créé par eux, mais par des dépenses faites dans le passé.
Je voudrais rappeler les déclarations d'un autre ministre du gouvernement, la ministre du Travail. Alors qu'elle était ministre de l'Éducation au Québec et présidente du Conseil des ministres de l'Éducation du Canada, elle déclarait qu'elle ne reconnaissait aucun rôle à Ottawa dans la définition d'«objectifs nationaux», ni aucune juridiction dans le domaine réservé aux provinces. Elle disait: «Jamais, jamais il ne devrait jouer un rôle dans le contenu des décisions devant être prises pour régler les problèmes ni dans le contenu des programmes.» Elle disait aussi: «Si Ottawa veut investir dans l'éducation, qu'il laisse les provinces définir les programmes et qu'il leur verse l'argent sans lier les subventions à l'atteinte de buts précis.»
Pourtant, avec les conditions que semble prévoir le projet de loi C-76, on veut imposer des normes nationales. Je voudrais préciser tout de suite que, malgré le libellé du texte, on semble avoir l'intention, par l'imposition des normes nationales, de créer des transferts conditionnels. Il faut se rappeler qu'on retrouve ces conditions dans un document qui prévoit les modalités du Transfert social canadien. Pour nous, si les normes nationales ont été placées dans ce document, elles deviennent clairement des conditions du Transfert social canadien. Pour nous, bien sûr, c'est inacceptable.
M. Rebello: On ne fait pas que se plaindre. On a une solution à présenter qui est celle proposée par le Québec depuis toujours: que le fédéral se retire des champs de compétence provinciaux et transfère aux provinces les pouvoirs de taxation en compensation des transferts de responsabilités. On propose au gouvernement fédéral d'agir avec civisme, simplement. Il est très étonnant que le gouvernement ait osé couper dans les transferts et demander aux provinces d'assumer des services avec beaucoup moins de revenus.
Cette position n'est pas une position séparatiste québécoise. C'est aussi la position du Parti libéral du Québec. Quand le fédéral refuse la demande du Québec, il fait un pied de nez au fédéralisme québécois, et ça, c'est grave.
Je vais vous lire la résolution qui a été adoptée le 2 février 1995 à l'Assemblée nationale du Québec, qui dit ceci: «Que l'Assemblée nationale du Québec exprime sa solidarité envers l'ensemble des intervenants du milieu de l'éducation en dénonçant les coupures envisagées par le gouvernement fédéral en matière de l'enseignement postsecondaire et lui réclame les points d'impôt correspondant aux actuels paiements de transfert versés au Québec au chapitre de l'enseignement postsecondaire.» Cette résolution a été adoptée de façon unanime, ce qui est très rare dans le contexte actuel au Québec. Il est très rare que les libéraux votent du même côté que le gouvernement. C'était une résolution déposée par Mario Dumont.
Il y a eu un large consensus au Québec, et le fédéral a refusé. Ce qui est étonnant, c'est que cette proposition confirme le fait que le Parti libéral du Québec a la même vision du problème que le ministre des Finances québécois, Jean Campeau. Dans le budget qui a été déposé récemment, Jean Campeau souligne le fait que les coupures dans les transferts fédéraux forcent le Québec à faire des choix dans ses champs de juridiction. Il s'agit d'ingérence. La résolution exprime la même position, et les libéraux du Québec ont voté pour. Si le reste du Canada ne comprend pas ça, il fait un pied de nez, non seulement aux séparatistes québécois, mais aussi aux fédéralistes québécois. Les étudiants du Québec se font aujourd'hui un peu le porte-parole de la position des libéraux du Québec.
Le dernier élément qu'on voudrait souligner, c'est qu'au niveau de l'intégrité, on est très mal à l'aise. On se demande de quelle façon on a éduqué les politiciens au fédéral ou dans quel milieu ils sont. J'espère que nos représentants du Bloc québécois ne se feront pas avaler par cette façon de faire de la politique.
M. Chrétien a carrément menti en faisant ce qu'il a fait récemment, c'est-à-dire en coupant dans les transferts aux provinces. Dans le Livre rouge, les libéraux exprimaient très clairement leur volonté de ne jamais faire cela. Ils trouvaient ça inadmissible. Ils gueulaient contre les conservateurs qui avaient fait ça pendant neuf ans. Ils disaient: «On ne fera jamais ça, car on est des gens corrects, des gens bien éduqués et civilisés.» M. Chrétien nous a prouvé le contraire récemment.
On ne devrait pas s'en étonner. C'est un peu comme en 1982, quand MM. Chrétien et Trudeau nous ont fait le coup, contrairement aux promesses qu'ils nous avaient faites lorsqu'ils nous avaient invités à voter Non au référendum de 1980.
En tant qu'étudiants, on a l'habitude de peser nos mots. On n'est pas du genre à crier n'importe quoi sur les toits. Aujourd'hui, on est obligés de dire que dans la décision de couper dans les transferts aux provinces, Jean Chrétien prouve qu'il a menti en campagne électorale en nous disant qu'il ne le ferait pas. Je pense qu'il faut le dire pour que les politiciens comprennent que la population n'admet pas cette situation-là.
C'était le point de vue qu'on avait à vous présenter. Si vous avez des questions, nous sommes tout à fait disposés à y répondre.
M. Dubé (Lévis): Étant du Québec, je connais le sens de vos propos antérieurs. Aujourd'hui, vous m'étonnez, malgré tout, en manifestant de façon claire que vous en avez assez. Le Comité du développement des ressources humaines a fait une consultation. C'était une consultation, mais voilà que cela se retrouve dans le projet de loi C-76, et il y a des coupures dans le budget.
Vous n'avez pas tout lu le mémoire, et j'aimerais vous poser des questions au sujet de ce que vous n'avez pas encore dit, par exemple l'impact particulier des coupures budgétaires en matière d'éducation postsecondaire sur les universités en région et sur les autres. On sait également qu'il y a des disciplines enseignées qui sont plus vulnérables aux coupures que d'autres. J'aimerais que vous me parliez des impacts particuliers, de ce que cela entraînerait comme changements au plan socio-économique au Québec.
M. Rebello: En fait, si le gouvernement fédéral coupe dans les transferts et force le gouvernement du Québec à faire des choix qu'il ne voudrait pas faire, par exemple augmenter les frais de scolarité de façon importante, il y aura de graves conséquences au niveau de l'accessibilité des études supérieures. Comme vous l'avez dit, la situation serait pire au niveau des universités situées en région, en périphérie des métropoles.
Donc, en regardant de plus près la situation, on note depuis quelques années une augmentation importante des frais de scolarité au Québec. Il y a eu un dégel des frais de scolarité en 1990, pour ceux qui ne le savent pas. À ce moment-là, le gouvernement disait qu'il pouvait dégeler les frais de scolarité, les doubler ou même les tripler sans qu'il y ait d'impact sur l'accessibilité parce que, selon lui, contrairement à toutes les théories économiques, quand il y a augmentation des prix en éducation, cela n'a aucun impact sur la demande. On venait de renverser toutes les théories économiques, mais tout le monde a adhéré à cette idée. Encore une fois, il semble que les théories économiques soient vraies parce que, depuis 1990, il y a effectivement eu une diminution des effectifs dans les universités québécoises.
On peut dire que, malgré les causes démographiques, il y a des causes économiques; c'est-à-dire que l'augmentation des frais de scolarité a fait en sorte qu'il y a eu diminution des effectifs dans les universités québécoises, et on ne peut tout simplement pas se le permettre au Québec. On est encore la province canadienne où le niveau de scolarisation universitaire est le plus faible. Quand on compare, par exemple, l'Université McGill et l'Université de Rimouski, on remarque que l'Université McGill n'a pas beaucoup souffert des hausses des frais de scolarité, à cause de sa réputation et de sa situation géographique. Il est évident que l'Université McGill pourrait se permettre d'augmenter davantage les frais de scolarité parce que la demande est grande. Il n'y aura donc pas nécessairement diminution des effectifs.
Cependant, des universités comme l'Université de Rimouski, l'Université de Chicoutimi et l'université d'Abitibi-Témiscamingue ne peuvent pas se le permettre. Elles sont beaucoup plus sensibles. La variation des effectifs étudiants est beaucoup plus grande dans les régions que dans les centres lorsqu'il y a des variations dans les frais de scolarité.
Les conséquences pourraient être grandes à moyen et à long termes. Si on diminue le nombre d'étudiants, ne serait-ce que de quelques milliers par année, il pourrait y avoir des conséquences très grandes à moyen et à long termes sur les finances publiques du Québec. On sait qu'il en coûte environ 50 000$ pour former quelqu'un après le cégep jusqu'à la fin de ses études universitaires, mais celui-ci va rapporter plus de 500 000$ de plus en impôts payés au cours de sa vie à cause de sa formation et de ses compétences. Donc, si on diminue de plusieurs milliers le nombre de diplômés universitaires, il y aura sûrement des conséquences importantes au niveau des revenus de l'État. C'est une perspective très économique, mais il y a aussi une perspective sociale.
Une société éduquée est une société plus démocratique et qui réfléchit davantage. Actuellement, au Canada, on a beaucoup de problèmes découlant du fait que la population n'est pas assez scolarisée. Imaginez ce que c'est au Québec: le taux de scolarisation est encore plus faible. Quand on regarde la société en vase clos, le taux de scolarisation est encore plus faible. Il y a donc beaucoup de problèmes qui découlent, au plan social, du faible niveau de scolarisation. Les coupures du gouvernement fédéral pourraient avoir de graves conséquences sociales et économiques sur la société québécoise.
M. Dubé: Vous avez raison de mentionner ce fait-là. Un groupe d'étudiants d'une université a fait une étude démontrant qu'un étudiant universitaire, au cours de sa vie, payait 400 000$ de plus d'impôts dans sa vie qu'un autre. Alors, cela vient donc appuyer vos propos.
On a parlé des coupures, mais il ne faut pas oublier l'aspect des normes. Il est vrai qu'au Québec, comme vous l'avez bien dit, il y a un consensus assez établi; c'est-à-dire que tous partis confondus, organismes extraparlementaires inclus, on rejette des normes nationales qui proviendraient de l'extérieur du Québec.
J'imagine que vous avez des contacts réguliers avec les autres associations étudiantes à travers le Canada. On peut constater qu'à l'extérieur du Québec, le sentiment est plus mitigé.
Dans une partie du Canada anglais, on sent un besoin de normes nationales en matière d'éducation qui soient uniformes d'une province à l'autre. Si le fédéralisme était vraiment flexible, il pourrait permettre au Québec d'exercer sa juridiction qui, dans les faits, est inscrite dans la Constitution.
Que pensez-vous de ce genre de mesure?
M. Rebello: Vous suggérez qu'il y ait des normes nationales?
M. Dubé: C'est-à-dire qu'un certain nombre d'associations étudiantes et d'intervenants dans le monde de l'éducation et dans d'autres domaines comme la santé aimeraient avoir des normes nationales au Canada.
Au Québec, on a une société distincte et on ne voudrait pas empêcher le reste du Canada d'établir se propres normes. Qu'est-ce que vous pensez de cela?
M. Rebello: C'est leur problème. Même dans la partie anglophone du Canada, il est difficile d'établir des normes nationales d'un bout à l'autre au niveau de l'éducation. Il y a des sociétés très différentes.
Il y a aussi un autre élément à considérer, et c'est le temps et l'énergie gaspillés à essayer de mettre ensemble des choses qui sont trop différentes. On va essayer de s'entendre et de s'obliger à faire les choses chacun de son côté.
J'ai participé aux réunions du Conseil des ministres de l'Éducation du Canada, et je peux vous dire que c'est un beau gaspillage d'argent. On perd son temps quand on demande à des gens de l'est du pays de s'entendre avec des gens de l'ouest du pays sur des normes nationales.
Si on en vient à définir des normes en matière d'éducation, ce sera du «niaisage», des orientations générales du genre «il faut éduquer notre jeunesse». On ne sera jamais capable d'aller plus loin au niveau de normes nationales en matière d'éducation. On va toujours vouloir le faire. Plusieurs rêvent d'y arriver. Toute l'énergie qu'ils vont consacrer à le faire entraînera un gaspillage de temps et d'argent.
Nous sommes peut-être moins habitués à fonctionner dans des réunions de ce genre, mais je peux vous dire que lorsque 300 à 400 personnes de partout au Canada viennent passer cinq ou six jours à Montréal aux frais de l'État pour discuter discuter et essayer de faire des normes pancanadiennes, c'est un beau gaspillage d'argent.
Ces gens-là devraient être dans leurs écoles, dans leurs régions en train d'enseigner et de former leurs gens le mieux possible, chacun en fonction de sa réalité. Il est évident que les réalités de l'Île-du-Prince-Édouard sont différentes de celles de Vancouver. Les enseignants, par définition, vont toujours essayer de donner le meilleur enseignement possible. Ce ne sont pas des normes nationales qui vont améliorer l'enseignement d'un côté ou de l'autre.
On ne peut pas faire des choix à la place des autres. On ne peut pas faire des lois qui vont obliger les gens à privilégier l'éducation dans leur province. Ça n'a pas de sens. Un jour ou l'autre, la pression va faire en sorte que ces normes-là vont sauter s'il y a des gens qui ne veulent pas payer pour l'éducation. S'il y a des gens qui ont décidé que l'éducation n'était pas importante, ce ne sont pas des normes nationales qui vont faire tenir l'éducation comme quelque chose d'important. Ça va sauter.
Donc, les normes nationales pancanadiennnes resteront leur problème, si jamais ils veulent en faire. Si j'avais une recommandation à faire, je dirais que c'est une perte de temps. Ce n'est pas pour rien que l'éducation est de compétence provinciale. C'est parce qu'on juge qu'il s'agit d'enjeux qui font référence à des caractères particuliers de chacun des territoires.
C'est un peu comme en Europe. Les seules normes en matière d'éducation qu'on a dans la Communauté économique européenne, ce sont des normes de transférabilité des diplômes, de reconnaissance des crédits d'une société à l'autre. C'est tout ce que l'on a. Il a été très difficile d'y arriver. C'est déjà quelque chose, d'ailleurs, qu'ils ont et qu'on n'a pas au Canada. Ici, on n'est même pas capables de transférer un diplôme d'une ville à une autre. En Europe, ils sont capables de le faire d'un bout à l'autre dans deux langues différentes.
La fédération canadienne ne garantit pas du tout la mobilité des études. On pourrait être souverain au Québec et avoir plus de facilité à aller étudier à Ottawa qu'en ce moment, alors qu'on fait partie du Canada.
M. Dubé: Avec le Transfert social canadien, trois secteurs, c'est-à-dire les chômeurs, les ministères de l'aide sociale et les étudiants, sont en concurrence dans leur revendications au niveau de leur gouvernement provincial.
Comment vous sentez-vous dans une situation comme celle-là, c'est-à-dire en concurrence avec des chômeurs et le ministère de l'aide sociale?
M. Rebello: On ne considère pas qu'on est en concurrence avec eux. C'est un détail pour nous. Il est quand même cocasse qu'à Ottawa, on gère l'éducation en même temps que les programmes de chômage. Au Québec, ce n'est pas comme cela. On en voit pas cela du tout de la même façon.
D'ailleurs, quand le ministre Axworthy a annoncé son projet de réforme, on était tout mêlés quand il nous a dit qu'il allait parler d'éducation dans un projet de réforme des programmes sociaux. On ne comprenait pas.
Pour nous, l'éducation n'est pas un programme social. L'éducation, c'est l'éducation. C'est assez important pour être quelque chose en soi. Les programmes sociaux, c'est différent. Ce sont des mesures économiques particulières pour faire en sorte que les plus démunis puissent s'en sortir et réintégrer le marché du travail. C'est ça, les programmes sociaux. L'éducation a une fin en soi. Ça n'a pas pour seul objectif de favoriser l'emploi. Ça sert à éduquer les gens, à développer leurs connaissances, à rendre les gens plus heureux, à améliorer le bonheur de la collectivité. C'est ça, l'éducation.
La vision du gouvernement fédéral, qui consiste à considérer l'éducation au même titre que les aides allouées aux chômeurs et aux assistés sociaux, est un peu cocasse. Au Québec, on n'en fait pas un drame; on préfère qu'il fasse ça plutôt que de créer un nouveau ministère de l'Éducation à Ottawa.
[Traduction]
Mme Brushett: Vous avez dit plus tôt que le fardeau financier de l'Université McGill au niveau du financement et des fais de scolarité est moindre que celui de l'Université de Chicoutimi ou de l'Université de Rimouski. Est-ce parce que l'Université McGill est une université nationale, tandis que les Universités de Chicoutimi et de Rimouski ne sont pas à ce niveau?
Donc, les gens seront probablement confrontés à ce problème partout au pays, et en effet, il a très peu à voir avec la question du transfert de fonds. Beaucoup d'étudiants étrangers viennent à l'Université McGill. Ces étudiants paient des frais de scolarité plus élevés. C'est un problème qui est répandu partout au Canada.
[Français]
M. Rebello: Il est évident que le fait que l'Université McGill ait une réputation internationale fait en sorte que les coupures de fonds publics provenant du gouvernement provincial ou d'autres sources l'affectent moins. C'est normal. Le nombre d'étudiants qui veulent s'inscrire à l'Université McGill est plus élevé que celui des étudiants qui veulent aller en région.
Cependant, ce n'est pas parce que les étudiants en région ne sont pas bons et n'ont pas la même facilité. Premièrement, ils sont en région. Deuxièmement, les universités ne sont pas toutes de même niveau. Certaines, plus récentes, ont besoin d'un peu de temps pour atteindre le même calibre. C'est normal.
Est-ce que je réponds à votre question?
[Traduction]
Mme Brushett: Oui. Chaque province connaît ce problème, pas seulement le Québec. Mais il faut en tenir compte afin de pouvoir offrir des possibilités à nos jeunes dans les régions rurales.
Comme je suis de la Nouvelle-Écosse, je comprends ces choses.
D'autres étudiants m'ont parlé des avantages pécuniaires d'un diplôme universitaire. Certains croient que les fais de scolarité sont très élevés, mais après ses études, l'étudiant ne peut s'attendre qu'à 5 000$ de plus.
Avez-vous évalué cet aspect de la question? Les étudiants devraient-ils accummuler ces dettes considérables étant donné qu'ils tireront des avantages minimes dans l'économie d'aujourd'hui?
[Français]
M. Rebello: Si on le voit au plan individuel, on peut aussi le voir au plan collectif. Autrement dit, collectivement, plus le niveau de scolarité augmente, plus on obtient des revenus élevés en tant que collectivité. C'est certain. Cependant, au niveau des individus, c'est vrai à 90 p. 100 seulement puisque le taux de chômage dépasse 10 p. 100 chez les diplômés universitaires. Il existe donc un risque. On peut être diplômé universitaire et ne pas avoir d'emploi. On peut s'endetter de 15 000 $ pour un baccalauréat et ne pas avoir d'emploi; on a d'ailleurs une chance sur dix de ne pas en avoir.
Donc, actuellement - on l'a vu au Québec avec la diminutions de la fréquentation universitaire entraînée par la hausse des frais de scolarité - , ce risque est suffisant pour dissuader certains étudiants de poursuivre des études universitaires.
Comme par hasard, ceux qui sont dissuadés de le faire ne sont pas les mieux nantis, les plus riches. Ces derniers savent que, mêmes s'ils empruntent ou si leurs parents payent et qu'ils n'ont pas d'emploi ensuite, ce ne sera pas très grave. Ils pourront se réorienter et étudier en vue d'un autre diplôme dans un autre domaine. Ils auront cette marge de manoeuvre parce que leur famille est riche, parce qu'ils ont des actifs et qu'ils ne sont pas dans une situation où une dette pourrait les empêcher de manger. Ces gens-là demeurent à l'université malgré les hausses de frais de scolarité, mais ce n'est pas le cas des gens plus démunis.
Par conséquent, l'analyse qui dit que les chances d'avoir un bon salaire sont meilleures en allant à l'université provient d'économistes qui ne prennent pas en considération le coût d'opportunité pour les gens plus démunis. Ce sont de mauvais économistes. Il faut voir la perspective de façon globale. Il faut penser en termes de collectivité.
Il faut faire en sorte que le risque de coût d'opportunité pour les plus démunis n'existe pas. Sans coût de risque à faire des études supérieures pour quelqu'un qui provient d'un milieu défavorisé, propablement qu'il en fera. Plus tard, ce sera rentable pour la société. Mais si on lui dit, à 18 ans: «Tu as deux choix: tu vas à l'université sans être sûr d'avoir un emploi et tu t'endettes de 15 000$, ou tu vas sur le marché du travail où tu auras peut-être un emploi à 8$ ou 10$ de l'heure sans endettement» et si, de plus, il n'y a plus de pressions sociales pour aller à l'école, ce qui joue un rôle important, il y a de bonnes chances qu'il choisisse d'aller travailler pour 8$ ou 10$ de l'heure demain matin plutôt que de suivre la voie des études supérieures.
Nous savons qu'à long terme, cela n'est pas bon pour la société. À court terme, c'est peut-être bon pour le jeune parce qu'il peut s'acheter une voiture plus rapidement et subvenir plus tôt à ses besoins de consommation, mais ce n'est pas bon pour la société. La société doit faire en sorte qu'il reste à l'école malgré l'incitatif à en sortir, malgré la consommation, malgré les pressions. Il faut qu'il reste à l'école, parce que plus tard, nous allons tous nous en ressentir positivement en tant que collectivité.
Le dernier élément que j'aimerais souligner est une question de valeur morale. Je peux vous dire que laisser de l'argent à mes enfants ne m'intéresse pas, mais leur laisser des connaissances, oui. L'argent, c'est relatif. Ça peut disparaître et apparaître, mais les connaissances, jamais.
On considère certaines dépenses de l'État comme des immobilisations. On ne les considère pas comme des dépenses. Quand on achète des édifices et qu'on les paye sur plusieurs années, c'est des immobilisations. Mais l'éducation, on la considère encore comme une dépense au niveau comptable, alors qu'on sait très bien que lorsqu'on achète de la connaissance, on ne perd rien. On y regagne toujours.
Il ne faut pas, non plus, être trop pointilleux sur les connaissances que l'on transmet. Souvent les gens disent: «Il apprend l'histoire, et cela ne paye pas. Ça ne donnera rien, demain, sur le marché du travail. On ne devrait pas lui montrer ça.» C'est là une perspective très mauvaise parce qu'on sait très bien que l'on n'a jamais trop de connaissances. Je n'ai jamais connu quelqu'un qui me dise: «Je n'aurais pas dû apprendre ça; ça ne m'a servi à rien.» Il faut apprendre le plus possible, dans le plus grand nombre de domaines possible et, dans la mesure du possible, apprendre des choses qui nous permettront d'avoir un emploi. Cependant, ça ne doit pas être une obsession. On ne doit pas être avare de ses connaissances. Aucun père de famille n'est avare face aux connaissances de ses enfants. On ne voit pas pourquoi l'État le serait pour les étudiants.
[Traduction]
Mme Brushett: Merci beaucoup. J'apprécie vos remarques, parce que cela contribue à la société en général: plus nos jeunes seront éduqués, plus ils auront de chances de trouver un emploi. Merci beaucoup d'être venus aujourd'hui. Merci.
[Français]
M. Brien: Je veux juste dire aux gens que le Bloc ne se fera pas avaler par le système. On va essayer de s'en sortir avant.
Je suis d'accord sur les commentaires concernant le temps qu'on perd à essayer de tout harmoniser. J'en suis souvent témoin et je fais même partie de ceux qui, à l'occasion, voire régulièrement, perdent leur temps. Je pense que c'est parfois un mal nécessaire, mais qu'on doit éviter lorsque c'est possible.
Je tiens aussi à vous féliciter. J'étais, jusqu'à récemment, membre d'une association étudiante car j'étais étudiant. On n'avait pas la qualité de représentation qu'il y a aujourd'hui. Je sais que vous avez travaillé fort à améliorer cet aspect.
M. Rebello : Je suis sûr cependant que vous arriviez à l'heure!
M. Brien: Je n'ai pas de leçon à donner à qui que ce soit sur la ponctualité!
Dans votre document, vous avez fait une analyse intéressante sur l'endettement et sur les conséquences d'une hausse des frais de scolarité par le gouvernement du Québec. J'aimerais que vous nous en parliez.
Vous avez émis des hypothèses et vous avez comparé l'endettement actuel d'un étudiant au niveau du cégep et celui d'un étudiant au niveau du baccalauréat, en considérant également la possibilité qu'il y ait des frais de scolarité. J'aimerais que vous nous parliez de l'impact que cela aurait.
M. Rebello: Vous pouvez prendre la page 20 du document. Vous y voyez un tableau qui explique en partie les conséquences potentielles d'une hausse de 62 p. 100 des fais de scolarité en termes d'endettement.
Comment en est-on venu à parler d'une hausse de 62 p. 100 des fais de scolarité? On a vérifé les hypothèses et analysé les conséquences d'une coupure de 10 p. 100 dans les transferts sur le budget des universités et des cégeps, dans l'hypothèse où le gouvernement du Québec décidait de ne pas augmenter son déficit pour compenser la part du désengagement fédéral et décidait plutôt de le transférer à 100 p. 100 aux étudiants universitaires. On pourrait augmenter les frais de scolarité, à l'université, d'environ 62 p. 100.
Le potentiel d'endettement au niveau du baccalauréat passerait alors d'environ 13 000$ - si je ne me trompe pas - à près de 18 000$, dans l'hypothèse où il y aurait des coupures de 10 p. 100.
Cela s'applique uniquement à la première année, 1996-1997, alors que les impacts des compressions de transfert ne seront pas encore complets. Avec les impacts subséquents, on accroît davantage le potentiel d'endettement au niveau du baccalauréat.
Au-delà des chiffres, une chose est fondamenale: c'est l'idée de penser que réduire le déficit du Canada en augmentant l'endettement personnel des jeunes puisse régler un problème quelconque. C'est complètement aberrant. Cela ne règle rien.
On nous lègue une dette de 80 000 $. Celle-ci n'est qu'une partie de la dette collective, en tant qu'individu. En plus de ces 80 000 $, on va nous ajouter une dette personnelle et, qui plus est, on va nous donner un marché du travail bloqué avec plein d'avantages pour ceux qui sont arrivés avant nous, par exemple à la fonction publique, où les concours n'existent plus pour nous. Comme diplômés en relations internationales, on ne peut plus penser à travailler au sein de la fonction publique fédérale, même avec une moyenne de 97 p. 100. C'est ça, la réalité d'aujourd'hui.
Les portes nous sont bloquées et nous sommes endettés. Tout cela n'a aucun sens. En plus de tout cela, des gens disent, comme M. Axworthy et M. Chrétien l'ont fait l'automne dernier: «Écoutez, il faut que vous fassiez votre part.» On va se comprendre, voulez-vous? On va voir qui n'a pas fait sa part. On va bien voir qui a décidé de dépenser plus d'argent qu'il n'en avait; ce n'est pas moi.
Il y avait des incompétents. Il y en avait même un qui était ministre des Finances durant les années 1970. Il était président du Conseil du Trésor et a pris des décisions imbéciles. Il a décidé d'acheter 12 frégates - vous les avez vues ces frégates, n'est-ce pas? - au coût de 9 milliards de dollars, dans les années 1970. Neuf milliards de dollars! Si on ne les avaient pas achetées, qu'est-ce qu'on aurait pu faire au niveau de l'éducation?
Monsieur Chrétien, c'est vous qui avez pris cette décision-là. Vous ne me ferez pas payer pendant le reste de mes jours, parce que je ne serai pas éduqué au mauvais choix.
On va se comprendre. Premièrement, vous allez les vendre, vos frégates. Deuxièmement, vous allez taxer les personnes qui ont fait des profits lors de la construction de ces frégates, car il y en a des gens qui ont bénéficié de ces contrats-là, et il faudrait peut-être qu'ils soient imposés.
Prenons l'exemple d'un ministre des Finances comme M. Martin qui n'a même pas été capable d'abolir les fiducies familiales à court terme; cela lui a pris cinq ans. Par contre, pour les pauvres, c'est pour demain. Cela n'a pas de sens. Il y a là un problème d'éthique.
Je pense honnêtement que les politiciens au fédéral sont achetés; ils sont trop proches des entreprises privées et sont pas incapables de prendre des décisions.
En ce qui concerne M. Chrétien et Power Corporation, on a de sérieux doutes quant à leur capacité de prendre des décisions. On se rend bien compte que nos dirigeants sont des marionnettes de la finance; ils n'ont de couilles. Ils sont loin d'être des René Lévesque.
J'aimerais vous dire une dernière chose. Je puis vous dire qu'un gars comme Jean Chrétien, en tant que politicien, nous fait honte au Québec. Il n'a même pas fait partie d'un conseil des ministres au Québec. C'est pour vous dire combien on est surpris de voir que le reste du Canada l'accepte. Quand on voit les décisions financières qui se prennent actuellement, cela n'a aucun sens.
[Traduction]
La présidente suppléante (Mme Stewart): Merci beaucoup. Nous apprécions votre présence. Vous avez eu beaucoup de latitude dans votre témoignage aujourd'hui. C'est l'aspect positif de la démocratie.
Évidemment, certains de vos propos étaient, à tout le moins, controversés. J'imagine que nous ne partageons pas les mêmes philosophies dans plusieurs domaines.
Vous avez soulevé des questions intéressantes, messieurs. Nous sommes heureux que vous ayez pu venir, même si c'était un peu en retard. Thank you.
M. Rebello: Merci.
La présidente suppléante (Mme Stewart): La séance est levée.