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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 30 novembre 1995

.1310

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Brushett): Mesdames et messieurs, nous représentons une moitié du Comité permanent des finances de la Chambre des communes à Ottawa. Le comité s'est scindé en deux parties: l'une voyage dans l'Est du Canada et l'autre dans l'Ouest. Nous vous remercions de votre présence.

Cet après-midi, nous entendrons John Gagnon, de la Chaleur Coalition for the Preservation of our Social Programs; Bill MacMackin, de la Chambre de commerce de Fredericton; Armand Brown, du Comité «Défendons nos droits»; John Schenkels, de l'Atlantic Farmers Council, John Mahar, du Lighthouse Family Resource Centre; Claude Olivier, coordonnateur du soutien et de la promotion de la santé de SIDA Nouveau-Brunswick; et Angela Vautour, de la Coalition pour les jobs et contre les coupures à l'assurance-chômage.

Merci à tous et à toutes.

Nous commencerons par écouter vos exposés que nous vous demanderons de bien vouloir limiter à cinq minutes. Il y aura ensuite un dialogue entre les témoins qui précédera la période des questions des députés. La parole est à M. John Gagnon.

M. John Gagnon (coprésident du Comité, Chaleur Coalition for the Preservation of our Social Programs): Merci. Au nom de la Chaleur Coalition for the Preservation of our Social Programs, j'aimerais remercier le comité de nous avoir permis d'être ici aujourd'hui pour exprimer notre point de vue et participer à ce forum.

Nous considérons qu'il existe d'autres solutions pour faire face au déficit que celles proposées par le gouvernement dans le cadre de ses prétendues réformes, pour employer sa terminologie. Il semble y avoir plus de coupures que de véritables réformes.

Nous pensons aussi que la réduction du déficit, dans le cadre de cette problématique, ne se résume pas uniquement à réduire la dette au moyen de coupures. Toute la problématique est de générer des recettes. Il y a donc deux aspects à la question. Il ne s'agit pas d'un problème à sens unique comme ont pu le dire beaucoup d'autres groupes, ainsi que le gouvernement.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, nous ne pensons pas que le déficit soit totalement attribuable aux programmes sociaux - c'est l'impression que l'on a tendance à avoir - ou que ces programmes soient l'un des principaux facteurs générateurs de la dette. Les compressions provoquées par le budget affectent de façon générale le secteur des programmes sociaux, et même des programmes tels que l'assurance-chômage qui est financée par les employeurs et les salariés.

.1315

Les chiffres que je vais citer proviennent d'un rapport de 1991 de Statistique Canada. Vous les avez probablement déjà entendus de nombreuses fois, mais nous allons les répéter encore et toujours jusqu'à ce qu'ils finissent peut-être par faire leur chemin. Environ 50 p. 100 de la dette est attribuable aux allégements fiscaux consentis aux salariés à hauts revenus et aux entreprises;44 p. 100 aux taux d'intérêt élevés; 4 p. 100 aux dépenses générales de programmes; et 2 p. 100 aux programmes sociaux. Voilà pour la dette globale. Il n'est pas question ici uniquement des budgets de fonctionnement. C'est l'information que l'on trouve dans le rapport de Statistique Canada.

Nous refusons le principe voulant qu'il n'y ait pas de véritable choix en matière de réduction du déficit. Le seul que l'on semble retenir, c'est la réduction des programmes sociaux aux dépens des travailleurs et de la population du Canada. Nous n'acceptons pas ce principe aujourd'hui; nous ne l'avons pas accepté par le passé; et nous ne l'accepterons pas à l'avenir.

Nous pensons, au contraire, que le problème actuel, qui s'est développé avec le temps sur plusieurs années, est attribuable à l'insuffisance des recettes plutôt qu'aux dépenses. Nous estimons qu'il faudra se pencher à la fois sur le problème des recettes et sur celui des dépenses. Selon nous, il faudrait une répartition plus équitable de la richesse et des revenus dans notre pays et un régime fiscal plus juste. À notre avis, le régime fiscal canadien souffre d'un problème structurel.

Il est foncièrement injuste d'amputer les programmes sociaux. Je me permets de citer à nouveau les chiffres de Statistique Canada pour l'année 1994. Quelque 93 000 entreprises rentables ont enregistré des bénéfices de 27 milliards de dollars. Beaucoup d'autres entreprises devaient36 milliards de dollars d'impôts impayés ou en retard.

Dans le même temps, on ampute les programmes sociaux destinés à ceux qui en ont le plus besoin. En 1992, la Banque Royale a gagné 63 millions de dollars, alors qu'un employé payé25 000 $ par an par la même banque acquittait 5 732 $ d'impôt. Il y a là quelque chose de foncièrement injuste.

En 1990, l'une des entreprises de Paul Martin - il en possède plusieurs - CSL... C'est maintenant notre ministre des Finances. Cette entreprise a réalisé 19 700 000 $ de bénéfices et n'a acquitté aucun impôt, tout en bénéficiant de 400 000 $ en avantages fiscaux.

La liste est longue, très longue, et je n'insisterai pas. Mais il y a quelque chose de foncièrement injuste quand on parle de réduire le déficit uniquement par les coupures, sans envisager des moyens de générer des recettes. Les deux doivent aller de pair.

Nous nous sommes intéressés à la réduction du déficit par le biais d'une véritable diminution des taux d'intérêts. Par véritable diminution, j'entends une baisse des taux d'intérêts, même de2 p. 100. En 1994, quand le gouvernement a commencé à agiter le spectre des déficits, il a envisagé d'amputer les programmes sociaux de 3 milliards de dollars. S'il avait décidé de réduire, cette même année... et il contrôle les taux d'intérêts - une baisse de 2 p. 100 des taux d'intérêts aurait génér 3 millions de dollars. Il existe donc d'autres possibilités.

Une autre solution serait d'abaisser le taux de chômage. Ce serait une autre façon de réduire le déficit du pays qui connaît un taux élevé de chômage. Une réduction du chômage de 1 p. 100 épargnerait 6 milliards de dollars par an au gouvernement. Si l'on réduisait le taux de chômage de1 p. 100, les gens dépenseraient plus, les emplois seraient plus nombreux, et tout ce cycle permettrait effectivement au gouvernement de faire des économies de cet ordre.

Il s'agit, à mon sens, de solutions de rechange que l'on devrait envisager. Il serait possible, comme je l'ai dit, de continuer d'énumérer ce genre de statistiques. Je pourrais vous en donner toute la journée. Mais toutes ces statistiques montrent qu'il ne s'agit pas d'un problème à sens unique, comme on nous le laisse entendre actuellement. Il faut envisager d'autres solutions pour réduire la dette.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Je vous remercie, monsieur Gagnon.

La parole est maintenant à M. Bill MacMackin.

M. Bill MacMackin (président, Chambre de commerce de Fredericton): Merci de m'accueillir parmi vous aujourd'hui. Je représente la Chambre de commerce de Fredericton, dont je suis actuellement président. Cette Chambre de commerce est la plus importante de notre région, c'est-à-dire de l'agglomération de Fredericton, puisqu'elle compte environ 480 entreprises membres. Je voudrais me faire aujourd'hui leur porte-parole.

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La feuille qui m'a été remise avant cette séance indique les trois principaux sujets et les questions que vous aimeriez voir aborder. Je les aborderai dans l'ordre proposé, schématiquement.

Vous demandez, tout d'abord, quel devrait être l'objectif en matière de réduction du déficit, et comment on peut l'atteindre le plus aisément?

L'avis de notre conseil et de nos membres est qu'il n'est pas possible d'envisager la réduction du déficit comme un moyen ou comme une fin en soit, mais qu'il faut plutôt considérer qu'il s'agit d'une période de transition que nous devons traverser, ou tenter de traverser, pendant les quelques années qui viennent, jusqu'à ce que l'on atteigne un niveau d'endettement tenable dans ce pays. Le programme en cours, lancé par le dernier budget, doit se poursuivre et même s'accélérer. Les objectifs actuels en matière de déficit ne représentent réellement qu'un pas dans la bonne direction. En affaires, aujourd'hui, chacun d'entre nous doit se satisfaire d'un coefficient d'endettement qui soit adapté à son entreprise, qui préserve ses chances de survie et qui soit soutenable. En tant que pays, nous devons commencer à envisager les choses de la même façon, autrement nous continuerons de grignoter les ressources dont nous disposons au Canada.

Nous devons nous fixer un objectif réaliste pour l'élimination du déficit, et il faut le réaliser avant la fin de la présente décennie. La Chambre de commerce du Canada, dont nous sommes membres, a pris 1998 comme année cible, et entrevoit qu'il faudra plusieurs années pour atteindre un rapport dette-PIB de l'ordre de 55 à 60 p. 100. J'ignore comment cela se traduit en données brutes, mais ce sont les chiffres que l'on m'a communiqués.

Selon nous, on devrait s'attaquer à tous les objectifs en matière de déficit dans l'optique d'une réduction des dépenses, et non au moyen d'augmentations d'impôts ou de droits divers frappant les particuliers ou les entreprises. Je pense que les membres de la Chambre de commerce du Canada, ainsi que le monde des affaires en général, ont clairement manifesté leur volonté d'assumer leur part du fardeau des coupures en se disant tout à fait disposés à s'accommoder d'une réduction des subventions et des transferts aux entreprises.

Vous demandez ensuite comment les mesures budgétaires peuvent servir à créer un environnement propice à l'emploi et à la croissance.

Je pense qu'en l'occurrence, il faut prendre les choses par l'autre bout. Nous reconnaissons tous que le niveau d'endettement et le financement du déficit public par l'emprunt qui prévalent dans cette province s'avèrent mortels pour l'emploi. Cela a créé un environnement dans lequel il est devenu difficile, pour le secteur public, de préserver son niveau d'emploi; cela a rendu un grand nombre de programmes moins efficaces; cela a accru le fardeau fiscal pour toute la population; et, pour le gouvernement, il est devenu difficile de changer l'infrastructure et d'investir afin de faciliter la croissance économique. Toutes choses qui ont été entravées par les habitudes de dépenses que nous avons contractées au cours des quelque 35 dernières années.

J'aimerais croire qu'en franchissant le cap de la prochaine année, les pendules seront remises à l'heure et que l'on retrouvera immédiatement une situation d'équilibre et un environnement propice à la création d'emplois. Mais les choses ne seront pas aussi faciles. Il a fallu plusieurs années avant de commencer à ressentir les conséquences d'un déficit systématique et des niveaux d'endettement. Il faudra aussi attendre quelque temps avant de ressentir les premiers bienfaits d'un retournement de situation.

À mon avis, il suffira sans doute d'une brève période d'équilibre budgétaire pour que, dans le laps de temps relativement court de cinq ans - ou même immédiatement - l'étranger, la communauté internationale et nos propres milieux d'affaires reprennent confiance dans notre économie, et pour que les gens aient beaucoup plus confiance dans leur emploi et leur sécurité financière et relancent les investissements du secteur privé. Le problème, c'est que cinq ans sont l'équivalent d'une vie en politique, même si ce n'est pas le cas pour la plupart d'entre nous.

Je crois que si elles aboutissent à des allégements fiscaux - avant tout, pour les particuliers - certaines des réductions et des initiatives que nous prenons dégageront, à long terme, de l'argent au sein de notre collectivité et produiront un environnement favorable à la création d'emplois. Je pense aussi en me fondant sur l'opinion qui prévaut dans le pays, que la poursuite des initiatives en ce sens sera récompensée de la manière la plus prisée par les députés, c'est-à-dire par le vote des électeurs.

Vous demanderez, en troisième lieu, quels secteurs de l'activité fédérale devraient faire l'objet de coupures, d'une commercialisation, d'une privatisation ou d'une décentralisation en faveur d'autres niveaux de gouvernement?

Il s'agit pour moi d'une question très difficile. Je ne suis pas un grand spécialiste des structures gouvernementales de notre pays, qu'il s'agisse des administrations municipales, provinciales ou fédérales. C'est un dédale dans lequel se perdent bien des Canadiens, et je suppose qu'un grand nombre d'entre vous, pourtant en prise sur le système, ne sont probablement pas au courant de tous les chevauchements.

Je vous encourage à aller au fond des choses tous les ans, à examiner de près l'efficacité des programmes, afin de détecter tous les doubles emplois entre les provinces et le gouvernement fédéral ou les municipalités, et de les supprimer. Il faut choisir qui est le mieux en mesure de mettre en oeuvre les programmes au Canada, qui peut être le plus efficace, et aller de l'avant, en faisant en sorte que les autres niveaux de gouvernement qui ne sont pas aussi bien armés pour assurer ces services se retirent, afin que cet objectif puisse être atteint. Je ne sais pas exactement qui est responsable de tels choix, mais l'initiative devrait être lancée immédiatement et être répétée tous les ans.

.1325

Dans la province du Nouveau-Brunswick, nous avons fait appel à des experts externes pour évaluer différentes situations, ce qui a généré un certain degré d'inquiétude chez les fonctionnaires et d'autres; mais cela peut parfois s'avérer utile. À mon sens, il arrive que l'on soit trop près de choses et il est sans doute plus facile, ou en tout cas salutaire, de pouvoir compter sur des opinions formulées par des gens de l'extérieur lorsqu'on cherche des avis professionnels et autres sur la meilleure façon de restructurer.

Nous devons procéder à l'élimination des doubles emplois partout au Canada. Nous sommes trop nombreux à nous marcher sur les pieds, en cherchant à faire des choses identiques. J'ai lu hier un mémoire qui venait de Terre-Neuve dans lequel on répertoriait les différents organismes de développement économique qui ont pignon sur rue à Terre-Neuve. Je parie que si vous interrogiez n'importe quel Terre-neuvien dans la rue, il vous dirait que tous ces organismes ont échoué. C'est dire que sur le plan de l'efficacité, on n'a pas simplement créé des organismes qui font double emploi, on a aussi manqué le bateau.

Les conclusions sont assez évidentes. Concentrez-vous sur l'élimination du déficit d'ici à 1998 ou, pour le moins, à l'an 2000. Ensuite, ne lâchez pas jusqu'à ce que l'on parvienne au moins à un niveau d'endettement tenable et réaliste compte tenu de la taille et des budgets du Canada. Éliminez le déficit sans recourir à des augmentations d'impôts, mais en effectuant des coupures. Concentrez-vous sur la suppression de tous les chevauchements entre les différents niveaux de gouvernement. Privatisez ou commercialisez tout ce qui peut raisonnablement l'être. Il devrait en découler une économie canadienne beaucoup plus solide et un environnement propice à la création d'emplois, ce sur quoi portait la deuxième question.

Nous sommes nombreux à avoir la nostalgie du temps passé et à souhaiter pouvoir retourner dix ou quinze ans en arrière, pour faire les choix qui paraissaient alors difficiles mais qui ne le semblent plus tellement aujourd'hui. Souhaitons que l'on ne refasse pas la même erreur et que l'on ne ressente pas, dans quinze ans, la même nostalgie à l'égard de la période actuelle.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Je vous remercie.

La parole est à Armand Brown.

[Français]

M. Armand Brown (Comité «Défendons nos droits»): Je remercie le comité d'avoir invité notre groupe à participer à cette consultation.

Le comité a son siège dans la péninsule acadienne, principale région française au Nouveau-Brunswick, et travaille sur des questions de justice sociale et d'économie.

Nous croyons qu'il est très important, lorsqu'on parle du budget fédéral, de penser à la question économique, mais il est tout aussi important de ne pas perdre de vue la question économique.

L'économie de notre région est fondée sur un travail saisonnier: pêche, tourbe, bois, tourisme, etc. Nous sommes des travailleurs saisonniers dans le secteur des pêches et s'il n'y a que six semaines de travail, nous ne pouvons travailler que six semaines. Si le gouvernement nous donnait de l'emploi, nous pourrions travailler.

Pour nous, le programme d'assurance-chômage est très important. Nous nous opposons aux coupures faites à l'assurance-chômage depuis deux ans et nous allons certainement continuer à nous y opposer, car en agissant de la sorte, le gouvernement fait fausse route. En effet, ce n'est pas en s'attaquant toujours aux gagne-petit qu'il va régler le problème du manque d'emplois et du déficit fédéral.

Nous sommes d'avis que le gouvernement fédéral et l'entreprise privée doivent créer des emplois dans notre région avant de parler de coupures dans les programmes sociaux.

Pour nous, une façon de réduire la dette fédérale, c'est de donner du travail aux gens. S'il n'y a plus personne qui travaille à temps plein, les taxes et les impôts payés au gouvernement vont diminuer d'autant. Si par contre il y a plus de gens qui travaillent à temps plein, ils achèteront davantage et cela aidera l'économie en général tout en contribuant à réduire les coûts des programmes sociaux.

En terminant, je crois qu'il faut examiner sérieusement les montants que les riches et les compagnies payent dans notre région comparativement à ceux que les individus payent.

Merci.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Brushett): Je vous remercie, monsieur Brown.

La parole est maintenant à John Schenkels, de l'Atlantic Farmers Council.

M. John Schenkels (vice-président, Atlantic Farmers Council): Merci. Je représente probablement de 6 000 à 8 000 agriculteurs de la région de l'Atlantique, ce qui fait que mon champ d'intérêt dépasse quelque peu les frontières de la province et s'étend plutôt à l'ensemble des Maritimes.

.1330

Le dernier budget s'est attaqué de différentes façons à l'agriculture, et il y a eu un assez grand nombre de coupures dans les subventions qui nous sont accordées. L'agriculture a toujours été lourdement subventionnée, et elle continue de l'être dans de nombreux pays. Supprimer les subventions dans un pays sans tenir compte des autres stratégies nationales en matière d'agriculture pourrait être une grave erreur.

L'agriculture canadienne est très viable. À mon sens, nous avons un avenir très prometteur qui est, toutefois, susceptible d'être affecté par de nombreuses politiques internationales que l'on doit donc prendre en compte quand on établit le budget.

Nous considérons que les compressions sont absolument nécessaires si l'on veut contrôler le déficit. De bien des façons, la récupération des coûts est une très bonne stratégie. Toutefois, il faut voir quelles sont les réductions auxquelles il faut procéder. Selon nous, faire des coupures dans le domaine de la recherche menace dangereusement notre survie. À long terme, la recherche s'avérera tout à fait nécessaire. Il est très facile de faire des compressions dans ce domaine, car on n'en voit pas les effets immédiatement, mais à long terme, cela risque de mettre sérieusement en cause notre viabilité.

Les compressions envisagées dans le domaine de l'inspection des aliments nous posent également un problème. Notre réputation internationale repose sur la crédibilité du gouvernement fédéral en matière d'inspection des aliments. Nous pouvons probablement nous enorgueillir d'avoir les normes de qualité les plus élevées du monde. Compromettre cette réputation en privatisant cette activité dans le but d'en réduire le coût pose un sérieux problème, car nous dépendons véritablement de cette réputation pour assurer la vente de nos produits sur le marché international.

Ces deux secteurs ont subi des compressions dans le dernier budget. Par exemple, les activités d'une station de recherche de Fredericton ont été sérieusement réduites et l'on peut s'attendre à d'autres coupures à l'avenir. Nous nous demandons si la recherche et l'inspection des aliments sont des secteurs qui devraient être amputés.

En ce qui a trait à la stimulation de la croissance, nous considérons qu'il y a très peu d'endroits où nous pourrions faire quelque chose en ce sens. Les exploitations agricoles des provinces atlantiques, ainsi que celles de tout le Canada, sont de petites et moyennes entreprises, et l'on a toujours reconnu que notre secteur était le moteur de la croissance et celui qui s'adapte le plus facilement. Mais il ne bénéficie pas toujours des retombées de la philosophie gouvernementale qui devrait nous permettre de profiter des avantages que les grandes entreprises parviennent souvent à soutirer du gouvernement.

Une des considérations qui a récemment fait surface est la possibilité que les REER puissent être autogérés ou réinvestis dans l'entreprise elle-même. Il semble paradoxal que je puisse investir dans une entreprise à l'autre bout du monde et bénéficier d'un allégement fiscal, mais qu'il ne me soit pas possible d'investir dans ma propre entreprise et de bénéficier de ce même avantage. Cela ne paraît pas entièrement raisonnable ou juste.

Telles sont les questions qui ont été soulevées. Je suis venu surtout pour participer à la discussion, et je suis intéressé par ce que les autres ont à dire. Pour notre part, nous considérons que des coupures sont nécessaires pour réduire le déficit, mais qu'il faut prendre beaucoup de précautions.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Je vous remercie, monsieur Schenkels.

La parole est à John Mahar qui représente le Lighthouse Family Resource Centre.

M. John Mahar (président, Lighthouse Family Resource Centre): Contrairement à ce que peut laisser entendre notre dénomination, nous ne sommes pas un organisme de counseling et nous n'assurons pas de services sociaux. Nous sommes une de ces entités qui se font rares aujourd'hui dans le pays, une entreprise à but lucratif, et qui ne s'en cache pas.

Trouver moyen de faire des bénéfices en affaires est devenu de plus en plus difficile. Cela est dû en partie à la politique du gouvernement; en partie à la politique sociale et aux choses dont parlait M. MacMackin, qui remontent à plusieurs années.

Mais ce dont nous avons besoin, selon moi, dans notre pays, tout en préservant ce qui nous singularise, nous, les Canadiens... Nous ne sommes pas des Américains, nous ne cherchons pas à atteindre la puissance absolue, la puissance n du dollar tout puissant. Nous sommes plus affables, plus modérés, mais nous devons quand même revenir aux principes fondamentaux des affaires. Je suis entrepreneur et si mon entreprise était en déficit perpétuel, je ne durerais pas longtemps.

.1335

Il est aujourd'hui politiquement très à la mode de parler de «déficit» mais, pour en revenir à ce que disait M. MacMackin, la vraie question n'est peut-être pas celle de la réduction du déficit. C'est peut-être l'élimination du déficit budgétaire dans sa totalité aussi rapidement que possible, et un retour à un niveau d'endettement acceptable.

Je présume qu'un grand nombre d'entre nous, dans le monde des affaires - moi, en tout cas - pensons que pour y parvenir, il faut tailler dans les coûts du gouvernement et réduire son intervention dans le secteur privé dans des domaines où cela perturbe l'équilibre de la concurrence, où cela procure à la population un filet de protection sociale qui va au-delà du concept traditionnel pour devenir, pour ainsi dire, un genre de hamac dans lequel les gens peuvent se réfugier et se la couler douce.

Il est très difficile de reprendre les choses en main car, là encore, il faut démontrer un certain leadership et une volonté politique, lesquels sont parfois mal venus en démocratie. Les décisions qui sont dures à prendre, celles qui sont nécessaires et que nous devons prendre en tant que leaders, sont très difficiles. Pourtant ceux auxquels nous fournissons des services les attendent. La relation est la même qu'avec mon personnel. Parfois je dois prendre des décisions très difficiles à leur égard, mais c'est pour le bien de l'entreprise pour laquelle ils travaillent. Si l'entreprise est en bonne santé, il y aura des revenus satisfaisants pour ces employés grâce à ces décisions difficiles.

Il y a quelques domaines où je pense que des coupures sont particulièrement nécessaires. Une des choses qui m'exaspèrent est le fait que la majorité de la population... Disons, la classe moyenne. C'est ce que diraient les Anglais; quand je dis Anglais, je veux dire Britanniques. Rien d'autre.

Donc, disons qu'il s'agit de la classe moyenne. Un grand nombre des programmes gouvernementaux lui sont destinés. Les gens de cette classe en sont les réels bénéficiaires, mais ce sont eux aussi qui les font fonctionner. Alors où en est-on? C'est un peu comme dans les assurances. On prend dans une poche pour payer et on remet l'argent dans l'autre poche; malheureusement, le transfert d'une poche à l'autre entraîne des frais d'administration.

.1340

Si l'on supprimait carrément un grand nombre des services qui ne sont pas vraiment nécessaires à la majorité des Canadiens, le gouvernement serait peut-être alors en mesure de réduire ses coûts, et l'on n'aurait pas à traîner des fardeaux fiscaux qui, s'ils ne sont pas écrasants, de mon point de vue, restent néanmoins très restrictifs pour les prises d'initiatives.

Quand je regarde les choses en face... Il m'arrive de porter trois différents chapeaux dans une même journée. Deux, en tout cas, et parfois un troisième, dans les fonctions que j'assume pour gagner ma vie et assurer ma subsistance. Et la motivation n'est pas toujours très forte quand je constate que sur chaque dollar supplémentaire de revenu, seuls 50 p. 100 contribueront à mon pouvoir d'achat net - rien qu'à cause de la fiscalité fédérale.

En haute saison, tout au moins, les emplois, les revenus et les impôts d'au moins 15 personnes dépendent de moi. Quand je vois que l'on utilise le régime d'assurance-chômage, non pas, comme son nom pourrait le laisser entendre, comme un programme en vertu duquel les travailleurs au chômage reçoivent des prestations d'assurance, mais comme un système de protection sociale, je trouve cela exaspérant, comme beaucoup d'autres hommes d'affaires.

Nous croyons en notre pays, nous y habitons, nous le défendons et nous l'aimons à cause de son approche moins radicale dans certains domaines. Mais nous ne sommes pas franchement pressés de suivre l'exemple européen de l'État providence ni de vivre dans une société totalement socialisée dans laquelle on dépend complètement du gouvernement.

Il y a environ un an, nous avons embauché une employée qui manifestait de très bonnes dispositions à l'égard de son travail. Nous avions pu le constater. Pourtant sans qu'elle y soit pour quelque chose - pour raisons de santé - elle s'est retrouvée dépendante du système d'aide sociale. Nous avons eu beaucoup de mal à faire en sorte qu'elle se remette à travailler, qu'elle y prenne plaisir et qu'elle y trouve satisfaction. Tout simplement parce que le système avait, d'une façon ou d'une autre, éteint la flamme. Dans les entreprises on parle d'«habilitation du personnel».

Je me rappelle qu'un de mes professeurs à l'université, disait qu'il est possible de réaliser tous ses désirs au moyen de l'économie. Je suis plutôt d'accord avec lui. Ayant voyagé dans les provinces de l'Atlantique et dans des régions dites en stagnation, je constate que les gens continuent de vivre.

Notre pays a des ressources abondantes, et l'on n'y connaît pas véritablement l'indigence. Mais si l'on donne aux gens la possibilité de vivre au crochet des autres, ils ne s'en priveront pas.

Supposons que l'on vous donne 100 $ par semaine pour vivre. Ils sont à vous, puisqu'on vous les a donnés. Vous apprendrez à vous en contenter et, le plus souvent, à vivre avec 100 $ par semaine plutôt que de faire l'effort nécessaire pour gagner 50 $ de plus et améliorer votre niveau de vie.

Il faut récompenser l'innovation. Il faut récompenser l'initiative. Nous contribuerons ainsi à renforcer le tissu social de notre pays, ce qui est important, mais également sa structure économique qui se dégrade.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Je vous remercie, monsieur Mahar.

La parole est maintenant à Claude Olivier.

M. Claude Olivier (coordonnateur du soutien et de la promotion de la santé, SIDA Nouveau-Brunswick): Merci. Bonjour. Je représente SIDA Nouveau-Brunswick, l'organisme provincial de lutte contre le SIDA. Son mandat recouvre l'éducation et la prévention, ainsi que le soutien des personnes porteuses du VIH ou atteintes du SIDA.

Mes commentaires porteront sur la Stratégie nationale du SIDA, ainsi que sur le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux mis en place dans le cadre d'une récente législation.

Je dirais, pour commencer, que le Nouveau-Brunswick, comme le reste du Canada, a grandement bénéficié de la Stratégie nationale du SIDA. Elle finance, entre autres, le programme d'action communautaire sur le SIDA, ce qui permet aux organismes de lutte contre le SIDA au Nouveau-Brunswick de dispenser une éducation préventive ainsi que des soins, et de promouvoir des mesures sanitaires à l'intention des gens atteints du VIH ou du SIDA.

Je pense qu'il est important de souligner qu'il s'agit de programmes extrêmement rentables. En effet, il est certainement beaucoup plus économique d'empêcher les infections, que d'investir100 000 $ dans le système de santé pour soigner un malade atteint du VIH ou du SIDA. Il est également beaucoup plus rentable de préserver la santé des gens, pour qu'ils fassent partie de la population active le plus longtemps possible.

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Les organismes de lutte contre le SIDA au Nouveau-Brunswick sont très dépendants de la Stratégie nationale du SIDA et du programme d'action communautaire sur le SIDA, plus peut-être que leurs homologues dans d'autres provinces plus riches du Canada qui bénéficient d'un plus large financement provincial ou de la part du secteur privé.

Je tiens aussi à faire remarquer que la Stratégie nationale du SIDA permet de soutenir la recherche médicale et préventive au Canada par l'entremise du programme national de recherche et de développement en matière de santé. Grâce à ce programme, des recherches très importantes ont pu être entreprises, notamment, au Nouveau-Brunswick, des travaux portant sur l'éducation préventive.

Par ailleurs, en favorisant la recherche dans diverses régions de la province, elle nous a permis d'y mettre en place des programmes spécifiques, ce qui nous permet de continuer de financer des projets et des programmes qui ont fait leur preuve plutôt que d'autres, dont l'efficacité reste encore à démontrer.

La Stratégie nationale du SIDA, actuellement dans sa phase 2, viendra à échéance en mars 1998. Jusqu'à maintenant, Santé Canada n'a pris aucun engagement concernant la reconduction de ce programme. Bien que deux ans nous séparent encore de l'année 1998, cette situation se traduit déjà par des incidences négatives sur la communauté concernée par le SIDA au Canada.

Les responsables du programme national de recherche et de développement en matière de santé et le Conseil de recherches médicales ont récemment déclaré que le mois de novembre 1995 sera le dernier pendant lequel ils accepteront des demandes de financement, car la plupart des projets de recherche qu'ils financent s'étalent sur plusieurs années. Ils ne veulent pas entreprendre des projets qu'ils risquent de ne pas pouvoir terminer. Ces deux organismes affectent environ 7 millions de dollars par an à la recherche contre le SIDA. C'est donc un trou considérable dans le budget du secteur de la recherche.

À notre sens, il est indispensable que la recherche médicale sur le SIDA se poursuive. Il faut que les programmes de prévention continuent, tout comme ceux qui s'adressent aux personnes porteuses du VIH ou souffrant du SIDA. Vous avez peut-être vu récemment le slogan: «Le SIDA nous affecte tous». Nous considérons que le SIDA est une question d'envergure nationale qui exige une solution nationale.

Je voudrais, en second lieu, parler des préoccupations que fait naître la nouvelle législation portant sur le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Les retombées de cette législation ne sont pas évidentes, et les responsables de SIDA Nouveau-Brunswick préfèrent donc faire état de leurs préoccupations dans l'espoir que certaines d'entre elles seront prises en compte lorsqu'on commencera d'appliquer cette nouvelle méthode de paiement.

Selon nous, les programmes de santé et les programmes sociaux sont d'importance égale et les nouvelles modalités de paiements ne devraient pas les opposer les uns aux autres. Il ne nous paraît pas raisonnable de financer des programmes de santé qui permettent aux personnes atteintes du VIH d'avoir des médicaments, s'il n'existe pas parallèlement des programmes sociaux qui leur fournissent une alimentation adéquate.

De récentes recherches au Canada ont montré que la maladie évolue plus rapidement chez les pauvres qui sont porteurs du VIH ou qui souffrent du SIDA et qu'ils meurent plus vite que les gens qui disposent de revenus élevés.

Nous pensons qu'il faut des normes et qu'elles doivent être appliquées méthodiquement. Le projet de loi C-76 fait allusion à des objectifs et à des principes qui pourraient être élaborés avec les provinces. Nous ne pensons pas qu'ils auraient autant de poids que des normes. Néanmoins, nous souhaitons participer à l'élaboration de ces principes et objectifs.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Puis-je vous demander d'aller un peu plus vite et d'en venir à votre conclusion, car le temps passe et vous avez déjà dépassé votre temps de parole.

M. Olivier: Très bien.

Je conclurai en vous incitant à rechercher d'autres solutions que la réduction des paiements de transfert aux provinces pour régler la question du déficit. Je tiens également à féliciter le gouvernement des changements qui ont été récemment apportés au RPC et qui sont favorables à un assouplissement de la réglementation pour les gens qui souffrent de handicap de caractère cyclique, comme la mucoviscidose ou le SIDA.

.1350

Enfin, on pourrait peut-être donner une chance à ceux qui en ont le plus besoin en réexaminant l'octroi du crédit d'impôt pour handicapés, qui pourrait prendre la forme d'un remboursement.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Je vous remercie.

Nous allons maintenant entendre notre dernier témoin, Angela Vautour, de la Coalition pour les jobs et contre les coupures à l'assurance-chômage.

[Français]

Bonjour.

Mme Angela Vautour (Coalition pour les jobs et contre les coupures à l'assurance-chômage): Bonjour.

Notre comité s'est formé il y a deux ans ou deux ans et demi, quand on a commencé à faire des coupures dans les programmes sociaux.

Ici, dans la région atlantique, on a besoin des programmes sociaux. En tant que Canadiens, on a le droit d'avoir quelque chose à manger, d'être logés au chaud et d'avoir des vêtements à se mettre sur le dos. Si M. Martin continue à couper, je pense qu'on va se promener pieds nus dans la neige avec l'estomac vide.

Vous avez peut-être une petite idée de ce que je pense des réformes! À mon avis, il faudrait abolir le mot et le remplacer par «coupures».

C'est vrai qu'il y a une dette, mais ce n'est pas en allant chercher l'argent là où il n'est pas qu'on va la régler.

Si le gouvernement fédéral est sérieux quand il dit vouloir régler le problème de la dette, il doit aller chercher l'argent chez les riches et non pas chez les gens qui vivent de l'assurance-chômage et du bien-être social.

On a déjà subi l'impact des dernières coupures: des entreprises ont fermé et les gens ont moins d'argent. C'est un cercle vicieux.

Quant à la pauvreté chez les enfants, elle ne cesse d'augmenter et ce n'est pas en l'aggravant qu'on va régler les problèmes du Canada. Si vous regardez l'exemple de la Nouvelle-Zélande, vous verrez qu'il illustre parfaitement ce qui se passe lorsqu'on coupe dans les programmes sociaux.

Les gens de la région atlantique ont besoin des programmes sociaux et surtout de l'assurance-chômage parce qu'ici, les entreprises ferment davantage qu'elles ne créent d'emplois.

Par conséquent, si vous voulez régler votre problème de déficit, il faut aller chercher l'argent chez les riches qui ne paient pas d'impôts. Les statistiques le démontrent bien: en 1950, 49,3 p. 100 des entreprises payaient leur part d'impôts et en 1992, il n'y en avait plus que 7,8 p. 100.

Il faut s'ouvrir les yeux et prendre conscience du problème. Le petit Canadien continue à payer des impôts et les grandes entreprises qui profitent d'échappatoires n'en payent à peu près pas. Il y a aussi des Canadiens qui investissent à l'extérieur du Canada et cet argent-là est perdu.

La solution réside dans la création d'emplois au Canada. Ce n'est pas en augmentant la pauvreté, en mettant tout le monde sur l'aide sociale ou en faisant crever de faim nos enfants que vous allez régler les problèmes!

Il est temps de dire aux entreprises d'arrêter de gérer le Canada. M. Chrétien est encore notre premier ministre, jusqu'à présent du moins. Quand il a été élu, il avait un beau Livre rouge qu'il semble avoir perdu quelque part en chemin. Il est temps qu'il règle les problèmes, qu'il empêche les entreprises de décider de ce qui devrait être fait au Canada et qu'il se rende compte qu'on a besoin des programmes sociaux.

.1355

Si voulez couper, vous pouvez couper. Mais on dirait que vous ne voulez pas aller chercher l'argent là où il se trouve. Je suis sûre que le budget de déplacements de tous les politiciens est assez élevé pour qu'on puisse y faire certaines coupures. Mais ce n'est pas une décision qui me revient.

Si vous voulez absolument couper, ne le faites pas chez les gagne-petit. On dirait que vous ne voulez pas aller chercher l'argent ailleurs que dans les programmes sociaux. Vous ne pensez pas pouvoir couper ailleurs. Si vous continuez comme cela, comme on dit en anglais,

[Traduction]

il va y avoir du grabuge,

[Français]

parce que nous, il faut qu'on mange, il faut qu'on ait chaud aux pieds et il faut qu'on ait un toit sur la tête parce que c'est l'hiver!

Merci.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Brushett): Merci, madame Vautour. Nous avons entendu de très intéressants exposés.

J'ai négligé de vous informer plus tôt que nous avions commencé avec 15 minutes de retard. Je m'en excuse.

Comme Angela a soulevé la question, je préciserai que les membres du comité représentent le gouvernement libéral du Canada, l'opposition et le Parti réformiste. Je ne suis pas la présidente, ni même la vice-présidente du comité, mais on m'a fait l'honneur de m'en confier la présidence parce que je suis députée de la Nouvelle-Écosse.

Je m'excuse du retard que nous avons pris, mais on prolongera la séance de manière à pouvoir entendre les points de vue de tout le monde.

Nous allons maintenant passer à la discussion, car j'aperçois M. Gagnon qui ronge son frein. Prenez la parole, monsieur Gagnon, si vous souhaitez contester quelque chose que vous avez entendu.

M. Gagnon: D'abord, je m'attendais à ce que l'on ait la possibilité de conclure...

La présidente suppléante (Mme Brushett): Vous l'aurez à la fin.

M. Gagnon: J'avais gardé ma conclusion pour la fin, mais j'ai entendu des témoins qui donnaient la leur dans leur exposé liminaire. Je ne voudrais pas que, sans avoir entendu ma conclusion, les gens interprètent ce que j'ai dit hors de contexte. Je peux vous faire part de mes recommandations maintenant ou attendre la fin de la séance. Si je peux y consacrer quelques minutes dès maintenant, les gens pourront comprendre à quoi je veux en venir.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Le mode opératoire est que les témoins discutent entre eux à ce stade. Vous pouvez contester ce qu'a déclaré quelqu'un ou cette personne peut récuser votre point de vue. Ensuite, il y aura une discussion générale au cours de laquelle les députés vous poseront des questions, à vous, les témoins. On accordera ensuite quelques instants à chacun pour le mot de la fin.

M. Gagnon: Parfait, c'est bien ainsi.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Je vous donne maintenant la parole.

M. Gagnon: On a entendu d'intéressantes observations. Il y a notamment la référence à nos programmes sociaux, au fait que notre caisse d'assurance-chômage est un système d'aide sociale. Je pense que c'est le collègue d'en face, M. Mahar, qui a dit cela.

Je prends vraiment cela comme une insulte. On parle des programmes sociaux et on les compare à de l'aide sociale, mais il ne faudrait pas oublier les entreprises qui vivent de la charité publique quand on parle d'abus, ce qu'a insinué le collègue d'en face.

.1400

Les statistiques que j'ai citées plus tôt montrent qu'elles ne paient pas d'impôt, qu'elles bénéficient d'une quantité faramineuse de subventions et de prêts, et qu'elles ne remettent rien. De fait, leurs subventions sont sans intérêts, et elles bénéficient de reports d'impôt. Et après, il y en a qui ont le culot de venir ici et de comparer nos programmes sociaux - qui sont vraiment nécessaires et financés par nos impôts - et notre régime d'assurance-chômage, qui s'autofinance et qui n'est même pas payé par le gouvernement, à un système d'aide sociale.

Je ne sais pas dans quelle partie du monde vit le camarade quand il déclare que les gens peuvent s'en tirer avec 100 $. Il raconte qu'il est allé dans des régions déshéritées qui dépendent du travail saisonnier et ainsi de suite, et déclare que les gens s'en tireront. Personne n'est aussi riche que ça.

Je suis du Nord de la province et j'entends des histoires d'horreur tous les jours. Je pense que j'ai déjà travaillé pour la camarade assise en face de moi. Le camarade assis là bas vient de la péninsule où le travail est saisonnier. Il faut se souvenir que ce sont les entreprises qui licencient les gens. Ce sont les entreprises qui créent des postes. Le gouvernement en crée aussi et favorise l'emploi par ses politiques. Ce ne sont pas les gens qui licencient. On ne se met pas à pied tout seul. Nous ne créons pas de postes.

Quand un emploi est de nature saisonnière, comme c'est le cas dans la péninsule, et que les gens n'ont pas le choix, l'entreprise réalise des millions de dollars en une courte saison et licencie le personnel. Après, il n'y a pas d'autre travail, alors, que peut-on faire? Il est plutôt difficile de pêcher en hiver. Je ne sais pas comment il s'attend à ce que l'on attrape du poisson. Je trouve cela vraiment insultant.

Je connais des gens qui, par suite de la réforme du régime d'assurance-chômage du Canada se retrouvent huit semaines sans toucher d'argent. Ils n'ont pas droit à l'assistance sociale. Tout ce qu'ils peuvent espérer, c'est que les gouvernements provincial et fédéral mettent en place des programmes de création d'emplois pour pouvoir nourrir leur famille. C'est le genre de chose qui arrive.

J'ignore dans quel coin du pays habite le camarade qui fait ce genre de déclaration. Je le prends comme une insulte. La réalité est toute autre.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Merci, monsieur Gagnon.

M. MacMackin brûle d'intervenir.

M. MacMackin: J'ai, en effet, quelques observations à faire. Il est difficile, une fois qu'on a créé dans une région du pays une dépendance vis-à-vis l'assurance-chômage, de subventionner les industries saisonnières. Je partage totalement votre opinion, cela a créé un système qui subventionne la main-d'oeuvre d'une industrie.

Pour être plus précis, je dirais qu'on aboutit probablement à une situation où l'on crée artificiellement plus d'emplois saisonniers dans cette industrie qu'elle ne peut effectivement soutenir. C'est un problème chronique qui s'est développé parallèlement au régime d'assurance-chômage, et auquel l'on ne pourra pas remédier du jour au lendemain. Cela va faire très mal à beaucoup de gens, et je soupçonne que ce pourrait même être dévastateur pour certaines industries. Je ne vois pas comment on pourrait régler ce problème au pied levé.

J'aimerais prendre une minute pour parler de la fiscalité. J'entends débattre la question depuis aussi longtemps que je peux me souvenir, depuis le temps où j'étais assez vieux, ou assez jeune, pour m'intéresser à ce débat au Canada. J'ai toujours souhaité voir la liste complète de toutes les entreprises et de tous les riches particuliers qui ne paient pas d'impôt. J'aimerais aussi avoir la liste de leurs conseillers fiscaux, car j'imagine qu'ils doivent être très riches si le problème est aussi profond et aussi général dans ce pays qu'on nous l'a laissé croire.

Je travaille actuellement avec autant de gens d'affaires que n'importe qui au niveau local, et je suis fermement convaincu qu'au Canada, la majorité des gens, à titre personnel ou d'entrepreneur, acquittent un assez gros montant d'impôt. Je ne me lancerai pas dans une discussion pour savoir si, proportionnellement, vous pensez que c'est suffisant, ou si je pense que c'est suffisant, mais c'est beaucoup dans la plupart des cas.

On parle de la place qu'occupe l'impôt des entreprises dans la totalité des recettes fiscales aujourd'hui par rapport à 1950. Il est très difficile de comparer ces chiffres à cause du développement des programmes gouvernementaux depuis 1950, qui a suivi l'instauration de l'impôt sur le revenu au Canada à titre temporaire, si l'on se rappelle bien. On essaie de comparer des choses qui ne sont pas comparables. Depuis, les programmes se sont énormément développés. Le recours aux recettes gouvernementales prend aujourd'hui une forme très différente par rapport à ce qu'il en était en 1950. Les choses ne sont plus pareilles et ce n'est pas réaliste.

Nous sommes assis en train de discuter ici d'augmentation d'impôt; nous sommes tous, autant que je sache, autour de cette table des agents économiques. Si nous avons la naïveté de croire que l'on peut augmenter les impôts sans que cela ait des répercussions sur nos portefeuilles, nous jouons à l'autruche. C'est un fait, et cela aura des conséquences pour tous et chacun d'entre nous. On en ressentira l'effet immédiatement, que ce soit au niveau de l'entreprise ou au niveau personnel. Il n'y a pas d'autres façons de produire suffisamment d'argent sur une grande échelle pour que cela ait un impact. Dans notre pays, on a déjà poussé le rafistolage à l'extrême. C'est un fouillis indescriptible. Nous possédons l'un des pires régimes fiscaux du monde et l'un des plus complexes. C'est difficile.

.1405

En ce qui concerne vos observations sur les subventions et les programmes à l'intention des entreprises, je suis tout à fait d'accord avec vous. On a, de loin, dépassé le stade où nous pouvions distribuer des fonds aux entreprises à titre gracieux. Il se peut qu'il y ait encore quelques secteurs où il faudra procéder graduellement pour permettre aux industries de survivre, mais de façon générale, on a dépassé les limites. Nos organismes ont déjà pris position en faveur d'une suppression de ces pratiques.

Notre société est l'une des plus riches et des plus nanties du monde. C'est la vérité; tous ceux qui ont voyagé dans les différentes régions des États-Unis s'en sont rendu compte. Mais le danger vient du fait que l'on a créé, dans la population de notre pays, une mentalité d'assisté. Nous pensons qu'on nous doit quelque chose; malheureusement, nous allons tous devoir travailler pour cela.

Ma femme a travaillé quelque temps dans une banque où elle dirigeait les gens vers un organisme implanté d'ici, dans les Maritimes, le Service de conseillers en crédit de la région de l'Atlantique. C'est un organisme qui aidait les gens à se sortir du pétrin. Eh bien, notre grand pays a bien besoin des services de conseillers en crédit. Un particulier responsable d'une telle situation, qui aurait agi avec l'inconscience dont nous avons fait preuve dans la gestion de nos finances, se serait retrouvé il y a longtemps avec un service de conseillers en crédit sur le dos.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Merci, monsieur MacMackin.

Monsieur Schenkels, je vous vois en train de hocher la tête là-bas.

M. Schenkels: Il semble qu'il y ait une polarisation des opinions autour de cette table.

Pour situer le cas des entreprises en contexte, j'en dirige une qui vaut environ 1 500 000 $, en chiffres ronds. Je produis un revenu qui se situe entre 60 000 et 100 000 $, voire 150 000 $. Tout est réinvesti dans l'entreprise.

Nous vivons comme tout le monde ici. Nous appartenons peut-être à la classe moyenne, nous faisons peut-être partie des plus favorisés de la classe moyenne, mais on ne peut pas dire que nous sommes riches, et ce n'est pas en augmentant notre taux d'imposition que l'on va répartir le fardeau. On ne réglera pas la question du financement de tous les programmes sociaux en augmentant nos impôts. Il va falloir trouver l'argent ailleurs et continuer ainsi. Peut-être devrons-nous supprimer des emplois. Nous allons devoir trouver des moyens de mieux faire les choses. On ne réglera pas tous les problèmes en augmentant l'impôt des sociétés.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Merci.

Monsieur Brown, avez-vous des commentaires à faire?

[Français]

M. Brown: Oui, j'ai un commentaire. Je voudrais parler de la situation du crabe. Nous, de la péninsule acadienne, sommes des travailleurs saisonniers. Notre crabe, quand il est exporté au Japon, n'est pas un produit fini. S'il l'était, on pourrait travailler 12 semaines, mais comme il ne l'est pas, on n'en travaille que six. Et on blâme le gouvernement de cela, car c'est lui qui fixe des quotas aux bateaux. Un capitaine de bateau fait, en six semaines, environ 1,8 million de dollars alors que l'employé ne fait que 1 000 $. Comment se fait-il que le gouvernement ne limite pas les bateaux? Cela créerait plus d'emplois alors que maintenant, c'est l'inverse qui se produit.

Quant au poisson de fond, c'est un autre problème. Il y a 10 ans, la morue était un grand poisson et huit ans plus tard, elle avait passablement diminué de taille. J'ai pris la peine d'appeler Pêches et Océans à Tracadie, pour dire qu'il y avait des pêcheurs à fusils qui étaient en train de détruire la morue. Ils ne m'ont pas écouté. C'est fou! Aujourd'hui, il n'y a plus de morue, plus d'emplois, et les gens vivent du bien-être social.

Avant, les bûcherons avaient besoin d'une scie mécanique pour travailler; aujourd'hui, c'est la technologie qui les a remplacés. Elle ne paie pas d'impôt, elle!

Quant à la tourbe, on préfère exporter ce produit naturel plutôt que de l'exploiter ici et créer des emplois durables. On ne peut s'empêcher de dire que les compagnies et le gouvernement n'ont pas le courage de faire travailler le monde!

Il y aurait des rentrées de fonds tant pour les employés que pour le gouvernement!

Merci.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Brushett): Puis-je faire un commentaire au sujet de la pêche du crabe des neiges? Au cours de l'année écoulée, nous avons accordé plus de permis sur la côte du détroit de Northumberland, dans la région du Golfe, afin d'étendre la capture de ce riche produit de la pêche un peu plus loin et d'en faire bénéficier plus de monde. Pensez-vous que nous ayons bien fait, qu'il valait mieux envisager les choses dans cette perspective?

.1410

[Français]

M. Brown: Nous, les pêcheurs de crabe côtiers, on a perdu des semaines de travail parce qu'on a perdu trois bateaux à crabe d'une valeur d'environ 300 000 $ chacun, ce qui fait en tout 900 000 $.

Il y a des compagnies qui viennent chercher des pêcheurs dans les autres usines. Comme monsieur le disait ce matin, il y a trop d'usines pour le crabe qu'il y a.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Brushett): Je vous remercie de vos commentaires à ce sujet.

Monsieur Olivier.

M. Olivier: J'aimerais pouvoir mieux comprendre un grand nombre de ces questions économiques.

Ma perspective est celle de quelqu'un qui travaille auprès de gens atteints du VIH ou du SIDA, qui ne peuvent plus travailler au Nouveau-Brunswick, et qui, pour la plupart, touchent environ 463 $ par mois. En ce qui me concerne, il n'est plus possible de couper quoi que ce soit. Avec cette somme, les gens doivent trouver un endroit où vivre, payer leur nourriture et très souvent, financer un grand nombre de services de nature médicale. Je considère donc que, quoi qu'il arrive aux programmes sociaux, il n'y a pas de superflu à supprimer.

Au Nouveau-Brunswick, la part du gouvernement fédéral est supérieure à celle du gouvernement provincial dans le financement des programmes de lutte contre le SIDA. Notre province n'est pas riche, et en quelque sorte, cela a limité la responsabilité de la province à l'égard de cette question, qui est, selon moi, une question d'intérêt national autant que provincial.

Je ne sais si c'est une bonne idée - et je souhaite ardemment que la Stratégie nationale du SIDA survive - mais il serait peut-être bon qu'une partie des dollars qui nous viennent du fédéral soit accordée à condition que le gouvernement provincial contribue, soit à part égale, soit selon une autre formule, car notre problème, c'est d'avoir beaucoup compté sur des crédits fédéraux qui risquent de se tarir en 1998. À mon sens, jusqu'ici, la province pouvait se permettre de dire: «De quoi vous plaignez-vous, vous touchez des crédits d'une autre source».

On risque de connaître une transition très difficile si les crédits du gouvernement fédéral cessent, car la province n'a pas contribué autant qu'elle aurait pu, selon moi.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Merci.

Madame Vautour.

Mme Vautour: Je trouve intéressant qu'il y ait autour de la table des gens qui représentent les entreprises et qui déclarent: «Il faut faire des réductions, mais ne coupez pas chez nous. Nous n'avons pas les moyens de payer des impôts». Je vais vous dire ce dont je vais devoir me contenter à cause des compressions budgétaires.

Selon les propositions qui seront présentées demain, dans sept ans ou plus, il faudra que je vive avec 130 $ par semaine d'assurance-chômage. Je ne sais pas ce que vous entendez quand vous dites que vous n'avez pas les moyens de payer, mais je perdrai, quant à moi, entre 30 et 40 p. 100 de ce que je touche actuellement. Est-ce que je rêve? Peut-on raisonnablement s'attendre à ce que cela suffise pour vivre? Comptez-vous que vos entreprises pourront survivre?

Il ne faut pas oublier que la majorité des habitants de la région atlantique touchent de l'assurance-chômage en hiver. Comment les entreprises parviendront-elles à survivre si nous n'avons pas d'argent à dépenser? Les entreprises de mon comté qui, il y a un an, étaient en faveur des coupures sont en train de fermer. Dans le journal d'aujourd'hui on disait qu'elles ferment à cause des dernières coupes budgétaires.

Je sais qu'il est très difficile pour une personne qui travaille toute l'année de se rendre compte qu'en bout de ligne, son emploi est, lui aussi, menacé, car nous appartenons à l'économie des Maritimes. Il faut que vous vous en rendiez compte tout de suite, car il sera trop tard quand vous serez frappé. Des entreprises fermeront. On le constate déjà aujourd'hui. Ce n'est pas quelque chose qui va se produire; cela se produit déjà aujourd'hui. Je trouve désolant qu'il faille que les gens en fassent l'expérience pour véritablement s'en rendre compte.

On parle de

[Français]

170 millions de dollars de moins au Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

C'est beaucoup d'argent.

À l'heure actuelle, la population de la province est très préoccupée. On nous dit: «Nous n'avons pas les moyens de vous verser de l'aide sociale car l'argent manque». Malheureusement, il va falloir trouver l'argent.

Quand on en arrive à parler de réductions de salaire de 50 p. 100, qui reprendra possession des maisons? Il n'y a personne ici qui puisse les acheter.

.1415

Je sais qu'il est facile de prétendre que les gens sont trop paresseux pour travailler, mais il n'y a tout simplement pas de travail.

Au printemps dernier, nous avons perdu huit semaines. Nous avons été privés de revenu pendant huit semaines. Il semble qu'Ottawa pense que nous restons tous chez nous parce que nous ne voulons pas travailler. Pourquoi a-t-il fallu que le gouvernement vienne lancer des projets pour mettre les gens au travail? Du travail, il n'y en avait pas.

Je ne sais pas ce qu'il faut de plus pour que vous vous rendiez compte qu'il n'y a tout simplement pas de travail ici.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Monsieur Mahar.

M. Mahar: J'ai de la sympathie pour vous, voire une certaine empathie. Si j'ai donné l'impression d'être insensible, telle n'était pas mon intention. Ce que je vise, c'est assurer que les gens sont véritablement productifs.

Un programme ponctuel de création d'emplois du gouvernement revient à emprunter à quelqu'un d'autre dans le système pour vous faire vivre. C'est une sorte d'assistance sociale de haut vol, ce qui est plutôt humiliant pour vous. L'idée est de voir le gouvernement se retirer de ce genre d'activité.

On parle continuellement des programmes de création d'emplois du gouvernement. Mais en fait, on ne crée pas d'emplois; on fait ce que fait souvent le Nouveau-Brunswick. Le Nouveau-Brunswick créera un emploi d'une durée de dix semaines, si le régime d'assurance-chômage n'est pas modifié, afin que quelqu'un puisse percevoir des prestations d'assurance-chômage pendant 42 semaines. Ce n'est pas très profitable pour la société en général. Notre société ne sort pas gagnante quand le capitaine de l'un de ces bateaux de pêche gagne l'équivalent de son salaire annuel de 60 000 $ en six semaines de pêche et touche de l'assurance-chômage le reste de l'année.

À ce que je vois, les statistiques montrent que la majorité des prestations d'assurance-chômage ne sont pas perçues par des gens qui sont réellement dans le besoin; elles sont versées à des gens qui ont des revenus suffisants pour les faire vivre.

L'intention, comme je l'ai dit auparavant - et je sais que mon collègue en a pris note - n'est pas de supprimer le filet de protection sociale. C'est plutôt d'assurer qu'il ne se transforme pas en une sorte de hamac dans lequel on peut relaxer en se disant: «Quelqu'un d'autre va s'occuper de moi».

Il y a des jours où je vous envie de pouvoir compter sur l'assurance-chômage. Je ne peux compter que sur moi-même pour générer le revenu qui m'est nécessaire. Je n'ai pas droit à l'assurance-chômage, et ce, depuis longtemps. Certaines années, je me suis dit que j'étais bien content de ne pas être partie prenante du système à cause des abus auquel il donne lieu, mais il y a d'autres moments où je me rends compte que je n'ai aucun filet de sécurité.

Quand je me lève chaque matin, je risque de perdre ma maison, du moins la moitié, car ma femme ne me permettrait pas de mettre sa moitié en jeu. La voiture que je conduis, si elle n'est pas en jeu, est tellement vieille que personne n'en voudrait, de toute façon. Quand j'arrive le matin, je me fais tout petit devant mes clients. Je dois veiller à ce qu'ils soient servis correctement si je veux gagner ma vie.

Je n'en demande et je n'en attends pas moins de mon personnel. Nous sommes là uniquement à cause des biens et services que nous pouvons produire et livrer au public. Ce ne devrait pas être différent au niveau du pays. Si quelqu'un est véritablement incapable de subvenir à ses besoins, comme je l'ai dit, nous sommes tous Canadiens et je suis prêt à l'aider. Autrement, j'irai chercher ma carte verte. Mais il arrive un moment où il faut s'assurer que ce que l'on fait se justifie.

Ma situation n'est pas très différente de celle où se trouve le pays. J'ai du mal à gagner de l'argent avec mes entreprises, et ce, depuis plusieurs années. Grâce au conservatisme - avec un petit «c» - de mes ancêtres, je dispose aussi, un peu comme notre pays, de ressources. Nous avons la chance de pouvoir compter sur toutes sortes de ressources, humaines, matérielles et autres.

Le problème, c'est que je ne peux pas continuer indéfiniment de tirer sur ces ressources. Pour parler d'une façon que comprendrait un agriculteur, je suis propriétaire d'une vache qui me donne du lait écrémé. Ce n'est plus du lait entier et il y aura de moins en moins de lait écrémé. Un de ces jours, le problème à résoudre sera de savoir si la vache va continuer de me donner du lait écrémé ou si elle doit être vendue comme viande de boucherie.

Quand on est entrepreneur, c'est le genre de décisions auxquelles on est confronté jour après jour. Les bénéfices que l'on tire de son entreprise justifient-ils qu'on continue de l'exploiter ou vaudrait-il mieux, en l'occurrence, réinvestir ses ressources ailleurs pour obtenir un meilleur rendement?

.1420

Un pays ne peut pas décider de fermer et de déménager. Je le dis souvent, je pense que mes ancêtres furent les derniers à émigrer. Je suppose qu'ils ont quitté l'Écosse pour l'Irlande du Nord, que la faim les a poussés à quitter ce pays pour le Nouveau-Brunswick, et qu'ils n'ont pas été très loin après avoir accosté avant de trouver un coin où s'établir. Nous devons être prêts - j'hésite à utiliser l'expression - à «prendre le taureau par les cornes», et cela fera mal à court terme, mais autrement, nous n'en sortirons jamais.

Si l'on ne change pas les choses nous-mêmes, l'économie se chargera de nous donner une bonne leçon. On connaîtra soit l'inflation, soit une défaillance des services financiers. Ce sur quoi l'on compte pour assurer nos vieux jours n'existera plus si l'on ne remédie pas à la situation catastrophique dans laquelle nous nous trouvons.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Merci, John.

Puis-je donner la parole à Angela pour un bref commentaire? On passera ensuite aux questions, en commençant par M. Solberg.

Mme Vautour: J'aimerais préciser quelque chose. Actuellement, l'assurance-chômage est alimentée par les salariés et les employeurs. À la fin du présent exercice, il y aura un excédent. On a déjà procédé à des amputations massives du régime d'assurance-chômage. Je ne comprends pas pourquoi on prend pour cible l'assurance-chômage quand on parle de prendre le taureau par les cornes à cause du déficit, alors que le gouvernement ne contribue pas un centime au régime. J'ai du mal à comprendre pourquoi on utilise cet argent pour combler le déficit, car l'assurance-chômage n'est pas financée par le...

Je sais que le gouvernement ne peut pas véritablement prendre cet argent, mais c'est ce que l'on raconte à la population. C'est la façon dont les choses sont présentées. On dit que nous sommes en grande part responsables de la dette, mais ce n'est pas le cas. Nous ne sommes pas responsables d'une bonne part de la dette car nous finançons le fonds. Et l'argent est là; il est disponible. Et après, on nous dit que c'est honteux d'avoir recours à l'aide sociale. En vérité, on nous y pousse. On prend l'argent qui devrait servir à nous payer. Nous finançons ce fonds, mais le gouvernement préfère nous mettre à l'assistance sociale. Il y a quelque chose qui m'échappe.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Merci, madame Vautour. Je suis sûre qu'un des députés reviendra sur ce point au moment des questions.

Monsieur Solberg.

M. Solberg (Medicine Hat): Merci, madame la présidente.

J'aimerais aborder pendant quelques instants la question de la fiscalité dans sa globalité. Je m'étais promis de ne pas le faire car je voulais parler plus du financement que des recettes, mais plusieurs des choses que j'ai entendues méritent qu'on y réponde.

On a laissé entendre que les entreprises ne paient pas d'impôt. À toutes fins utiles, je pense qu'il est important de faire remarquer qu'en 1993, les entreprises ont réalisé des bénéfices d'environ60 milliards de dollars, ce qui est une somme considérable. Je rappelle à ceux qui sont assis autour de la table que ces entreprises ont toutes sortes d'actionnaires. Dans certains cas, ce sont des gens qui n'ont pas de gros revenus ou qui sont membres de caisses de retraite et qui reçoivent cet argent sous forme de dividendes. De fait, les fonds de pension de travailleurs sont propriétaires d'environ la moitié des banques à charte actuelles. Peu de gens le savent.

Quand M. Gagnon fait des remarques à propos des banques qui réalisent ces énormes profits, il devrait se rappeler que parfois, il y a parmi les bénéficiaires des gens qui comptent véritablement sur cet argent. Je tenais simplement à le faire remarquer.

Des bénéfices de 60 milliards, c'est beaucoup d'argent; mais il faut également souligner qu'en 1993, les entreprises ont acquitté 51 milliards de dollars d'impôts. Elles ont payé beaucoup d'impôts. Sur le total, 30 p. 100 ont été versés sur ces 60 milliards de profits, et le reste sous forme de prélèvements fiscaux comme les cotisations au RPC et à l'assurance-chômage, ce qui signifie qu'elles contribuent effectivement beaucoup à l'économie.

On a laissé entendre qu'elles bénéficient de la charité publique, et c'est un fait. Je pense queM. MacMackin et les autres conviennent que nous n'avons pas les moyens de faire ce genre de contribution. C'est ridicule. Les entreprises ne devraient pas recevoir cet argent. Premièrement, elles font concurrence à d'autres entreprises qui fournissent une partie de l'argent pour que le gouvernement le leur redistribue. C'est une situation ridicule à laquelle nous devons mettre fin.

Mais quand tout est dit, si l'on procède à toutes ces réductions, si l'on élimine cette charité publique à l'égard des entreprises... M. Loubier va bientôt intervenir et dire qu'il faut barrer la route vers les paradis fiscaux pour être certains que l'argent ne fuit pas à l'étranger; il faut le faire, car on ne peut pas laisser l'argent partir à l'étranger. En bout de ligne, une fois que l'on aura fait tout cela, on restera loin de compte par rapport à ce qu'il faut faire pour supprimer le déficit budgétaire et éliminer la dette publique. La dette publique de notre pays s'élève à 560 milliards de dollars. Au rythme où l'on va, en se fondant sur les prévisions en matière de croissance économique et de taux d'intérêts et sur les réductions programmées actuellement, on calcule que dans onze ans, l'intérêt à verser pour assurer le service de la dette dépassera, à lui seul, la totalité des recettes annuelles. Cela donne à réfléchir.

.1425

On peut, bien sûr, contester ce que je viens de dire si l'on veut, mais j'aimerais poser une question. Quand on examine l'impôt sur le revenu des particuliers, on s'aperçoit que les 10 p. 100 des agents économiques les plus nantis acquittent un impôt de 50 p. 100. On peut donc dire que nous avons un système fiscal très progressif dans ce pays. Si l'on ne parvient pas à percevoir plus d'impôts ou pas beaucoup plus, il faudra s'intéresser au financement et procéder à des coupures. Donc, toute la question est de savoir où l'on peut amputer. On peut couper l'aide aux entreprises et tout le reste, mais on devra quand même couper ailleurs. Alors où?

La présidente suppléante (Mme Brushett): Monsieur MacMackin.

M. MacMackin: Je vais faire une observation à ce sujet parce que je voudrais vous citer un exemple local susceptible d'éclairer la question.

Je m'enorgueillis de vivre dans une ville qui a une attitude progressive sur le plan financier et qui n'aura plus de dette dans moins de dix ans. Elle a appliqué une méthode de financement par répartition qui a fait merveille pour assurer la reconstruction d'une partie de ses infrastructures. On a également très bien administré les finances publiques au niveau municipal.

Un nouveau programme a été introduit ici l'année dernière: on l'a baptisé Amélioration du processus administratif, et c'est un concept qui n'est pas inconnu dans le monde des affaires. Fondamentalement, il s'agit de passer au crible certaines activités de l'administration municipale et de trouver des moyens plus efficaces de procéder de manière à économiser un peu d'argent.

Dans le service des comptes payables de la ville de Fredericton, une petite ville s'il en est, on a découvert que l'on pouvait économiser plus de 400 000 $ sans licencier de personnel. On a relocalisé des employés dans d'autres secteurs; le personnel sera réduit à long terme grâce aux départs volontaires, mais on a déjà recensé les coupures et les économies susceptibles d'être réalisées immédiatement dans les domaines de la productivité, des procédés administratifs, des méthodes d'achat, de la circulation des documents, et en affectant moins de gens à des tâches insignifiantes. Je regrette beaucoup, messieurs, dames, mais j'ai du mal à croire que s'il est possible de trouver quelques centaines de milliers de dollars dans le service des comptes payables d'une petite ville, on ne peut pas en trouver d'autres dans les nombreux ministères du gouvernement fédéral.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Merci.

Y a-t-il quelqu'un qui souhaite intervenir?

M. Gagnon: Premièrement, je ne sais pas d'où vous tirez vos chiffres. Les nôtres proviennent de Statistique Canada, et j'ai devant moi les chiffres fournis par le ministère des Finances. J'ai ici un tableau - Angela en a parlé - qui montre le pourcentage des contributions sous forme d'impôts, ce qui constitue bien les recettes publiques. Quant au taux pratiqué au Canada, notre pourcentage tourne au tour de 6 p. 100. Par conséquent, quand vous parlez de quelque 50 milliards de dollars d'impôts, je ne sais pas d'où vous tirez ces chiffres. Les miens viennent du ministère des Finances, du gouvernement du Canada, en 1994. C'est facile à vérifier. Je n'invente pas ces chiffres, ils ne viennent pas d'un syndicat ou d'un organisme social quelconque. C'est la réalité telle qu'elle est.

Là, c'est le taux d'imposition pour les entreprises, et là, c'est le G-7. Ces tableaux donnent le taux moyen d'imposition dans les pays du G-7, qui sont loin d'être des pays socialistes - quelques-uns le sont, mais la plupart, non - et ce taux est de 10 p. 100. On est donc bien en deçà du taux d'imposition moyen des pays du G-7. Dans certains pays, comme la France, le taux est d'environ 14 p. 100.

Il est question ici du pourcentage d'impôt versé par les particuliers. Mme Vautour a donné l'exemple des recettes gouvernementales de 1950, qui provenaient à 43 p. 100 des entreprises. Je pense qu'à ce moment-là, le taux d'imposition des sociétés était à peu près semblable au nôtre. Je n'ai pas les chiffres exacts, mais je les ai vus et je peux vous les fournir. Peut-être était-ce un peu moins, mais c'était très proche en 1950.

J'ai l'impression qu'aujourd'hui on a plutôt un rapport de 90:10 pour ce qui est de ce que le gouvernement perçoit - j'ai vu ces tableaux. Je pense que les chiffres utilisés par Mme Vautour étaient plus ou moins exacts. Si l'on se fonde sur le document qu'elle a utilisé - j'ai le même entre les mains - cela se situe autour de 7 p. 100 aujourd'hui. Tels sont, selon moi, les pourcentages d'imposition.

.1430

Je ne prétends aucunement que le seul moyen de régler le problème du déficit public est d'augmenter les impôts. Je prétends simplement qu'il doit y avoir un changement structurel de manière à ce que les gens paient leur juste part d'impôt. Certaines entreprises n'en paient aucun. Je ne sais pas comment elles peuvent s'en tirer.

Mon collègue a raison quand il dit qu'une part de ces dividendes vont dans la poche d'actionnaires qui sont de riches particuliers, qui acquittent des impôts, mais qui n'en paient pas leur juste part, car leur contribution est très faible comparée à ce que paie le Canadien moyen. Le travailleur moyen paie probablement près de 20 à 30 p. 100 d'impôts, sans compter toutes les autres taxes à la consommation. Je crois que quelqu'un a dit à cette table que le taux atteignait presque 50 p. 100. Je ne connais pas le pourcentage exact, mais j'ai tendance à croire que c'est à peu près cela.

Comme j'y ai fait allusion plus tôt, il y a différents moyens pour s'assurer que les gens paient leur juste part d'impôt. M. Schenkels possède une entreprise dont la valeur nette est de 1,5 million de dollars. Il gagne sans doute 100 000 $ par an, il est dans cette tranche d'imposition ou à peu près. Il y a peut-être des façons d'imposer les petites et moyennes entreprises de façon progressive et non régressive. Quand il s'agit de grandes sociétés qui gagnent des millions et paient très peu d'impôt, leurs gestionnaires font valoir que les actionnaires en paient. Cet argent revient aux actionnaires, qui à leur tour paient peu, ou pas, d'impôt sur le revenu. Il y a quelque chose qui ne va pas.

En outre, selon le rapport de Statistique Canada, en 1989, 7 000 particuliers qui gagnaient plus de 50 000 $ n'ont pas payé d'impôt sur le revenu ou très peu. Et la liste continue. Je ne doute pas qu'il y ait des gens qui paient leur juste part d'impôt, mais je pense qu'ils devraient probablement se trouver un meilleur comptable.

Nous disons qu'il faut examiner le régime fiscal et créer des emplois. J'ai donné des statistiques tout à l'heure qui montrent qu'une chute de 1 p. 100 du taux de chômage se traduirait par une économie de près de 3 milliards de dollars. Il faudrait que les taux d'intérêts baissent, car 44 p. 100 de la dette publique accumulée au fil des années est attribuable aux taux d'intérêts. Quand on a une dette importante et que les taux d'intérêts augmentent, il faut chercher à régler le problème.

Et je pense qu'il y a des moyens de le régler, et que cela passe par une meilleure maîtrise de nos taux d'intérêts. Il faudrait peut-être que l'on emprunte plus par l'intermédiaire de la Banque du Canada. Il faut que l'on s'intéresse à ce genre de chose, par exemple, aux investissements à l'étranger. On nous permet d'investir 20 p. 100 de nos fonds de pension à l'étranger. Il faudrait peut-être abaisser ce pourcentage à un niveau plus réaliste.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Monsieur Gagnon, je m'excuse de vous interrompre, mais nous sommes pressés par le temps. Pourriez-vous conclure?

M. Gagnon: Oui.

Je dis que d'après mes déclarations, il ne faut pas penser que c'est le seul moyen; il y a plusieurs choses à faire. Je considère, bien sûr, que le régime fiscal est lié intrinsèquement à la solution qui nous conduira à la réduction du déficit budgétaire; mais les problèmes se situent à différents niveaux, pas uniquement à celui de la fiscalité. Je tenais à être bien clair à cet égard.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Monsieur Solberg, avez-vous une deuxième question?

M. Solberg: Je ne pense pas qu'il soit utile de se battre à coup de statistiques, mais mon recherchiste, qui dispose de toutes les données financières du ministère des Finances et autres, serait tout à fait disposé à partager ces informations avec vous. Je vous invite à en prendre connaissance, si ça vous intéresse.

En résumé, ma position est qu'il n'existe pas de baguette magique dont on pourrait se servir pour sortir de la situation actuelle. Il a fallu près de 25 ans de dettes et de déficits énormes pour en arriver où nous en sommes et il en faudra du temps et, malheureusement, beaucoup de souffrance pour nous extirper de cette situation. C'est, en tout cas, ma façon de voir les choses.

Au risque d'offenser certains d'entre vous - et ce n'est certainement pas mon but - j'aimerais vous lancer un défi plutôt que d'offrir une solution de facilité. Je ne pense d'ailleurs pas qu'il y en ait une. Je mets les gens au défi de collaborer avec nous de manière à ce que nous puissions conserver les programmes sociaux. Nous ne souhaitons pas leur disparition, mais nous voulons un système qui puisse les soutenir. Il est certainement possible de trouver des moyens d'imposer les gens d'une manière plus équitable afin qu'il n'y en ait pas qui n'acquitte aucun impôt. C'est insensé.

.1435

Si l'on y parvient en faisant face aux difficultés que cela présente, on se retrouvera en fin de compte avec un pays meilleur, un pays qui peut assurer le style de vie et se permettre les programmes que nous souhaitons.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Je vous remercie.

Je vais maintenant donner la parole à M. Yvan Loubier pour qu'il pose ses questions.

[Français]

M. Loubier (Saint-Hyacinthe - Bagot): Mesdames et messieurs, j'aimerais poursuivre sur la fiscalité des entreprises. Je trouve important qu'on mette une chose au clair au comité, à savoir que parmi tous les gens qu'on a rencontrés depuis le début de la tournée, personne n'a dit que toutes les entreprises ne payaient pas d'impôts. Personne n'a dit ça autour de la table.

Il y a des entreprises, et je pense qu'elles sont en majorité au Canada, qui paient leur juste part d'impôts. Ça, il faut que ça soit clair en partant.

Je suis certain que M. MacMackin, M. Schenkels et M. Mahar paient leurs impôts, que ce sont de bons citoyens corporatifs. Je pense que la question n'est pas là.

Comme vous l'avez mentionné tout à l'heure, monsieur Solberg, et les statistiques sont là pour le prouver, lorsqu'on regarde les données globales, on voit que les entreprises semblent faire leur part sur le plan de l'impôt sur le revenu.

Par contre, on ne connaît pas précisément la situation actuelle en ce qui concerne les entreprises qui paient leurs impôts, comme celles de M. MacMackin, M. Schenkels et M. Mahar, et celles qui ne font aucunement leur devoir de citoyennes corporatives, tout simplement parce que ces données-là n'existent plus depuis 1987.

On a d'ailleurs eu l'occasion d'en parler ce matin et hier. J'ai fait venir de mon bureau les derniers chiffres qui ont été publiés en 1987 par le ministère des Finances et qui démontrent qu'il y avait, à ce moment-là, 93 405 entreprises canadiennes qui n'avaient pas payé d'impôt alors qu'elles avaient réalisé des profits de l'ordre de 27,1 milliards de dollars.

On a cessé de publier ces données-là, probablement parce que c'était trop honteux ou trop scandaleux pour le gouvernement de l'époque. Quant au gouvernement qui est en place depuis deux ans, il ne semble pas non plus avoir la volonté politique de continuer à publier ce genre de données.

Je me pose donc des questions sur le pourquoi de ces profits non imposés. Certains, commeM. Pillitteri, disent qu'il y a plusieurs pratiques comptables dans les entreprises et que ce ne sont pas nécessairement des bénéfices réels qu'elles font ni des déductions réelles qu'elles pourraient avoir pour économiser de l'impôt. Mais parmi ces pratiques comptables, il y en a une qu'on appelle le report d'impôt et qui permet à des entreprises qui réalisent des profits de retourner trois ans en arrière pour déduire des pertes fiscales, non pas des pertes réelles, mais des pertes fiscales, ou d'utiliser ces mêmes pertes sept ans plus tard pour éviter de payer de l'impôt.

C'est une situation anormale. Trois professeurs de l'Université du Québec, MM. Bernard, Lauzon et Poirier, ont fait récemment une étude non exhaustive sur la fiscalité des entreprises pour voir ce qui s'y était passé depuis 1987. Ils sont arrivés au constat suivant.

Sur un échantillon de 438 entreprises, près de la moitié avait payé moins de 20 p. 100 d'impôt, alors que le taux d'imposition se situait à près de 40 p. 100. Il y avait donc 200 entreprises qui avaient réalisé des profits et qui avaient payé moins de 20 p. 100 d'impôt. Et sur ces 200 entreprises,30 avaient obtenu un remboursement global d'impôt de 126 millions de dollars du gouvernement malgré le fait qu'elles avaient réalisé cette année-là, - c'était en 1992, - un bénéfice total de200 millions de dollars.

Donc, il s'agit d'un bénéfice total de 200 millions de dollars pour 30 entreprises sur 200 et d'un remboursement global d'impôt de 126 millions de dollars.

.1440

Je continue la démonstration. Il y avait 51 entreprises sur les 200 qui n'avaient payé aucun impôt, alors qu'elles avaient réalisé des bénéfices de 282 millions de dollars. C'est tout de même une démonstration éloquente lorsqu'on sait que ces entreprises avaient fait des profits.

Les bénéfices réalisés avant impôt sont de l'ordre de 2,2 milliards de dollars et n'ont donné lieu qu'à un versement réel, pas le taux affiché mais le versement réel étant donné les échappatoires dans le système fiscal canadien, de 130 millions de dollars d'impôt. Autrement dit, ces entreprises canadiennes fort profitables n'ont payé que 6 p. 100 d'impôt alors que le taux moyen d'impôt payé par les particuliers dépasse les 40 p. 100, comme l'a précisé M. Gagnon tout à l'heure.

Quand on regarde ça, bien que ce ne soit qu'un échantillon puisque le ministère des Finances ne veut plus publier de données exhaustives, on est en droit de se demander, non pas si les entreprises ne paient pas d'impôt - car elles en paient - mais plutôt si elles en paient toutes et pourquoi certaines d'entre elles n'en paient pas. Il faut se demander ce que ces entreprises pourraient rapporter comme rentrées fiscales plutôt que de mettre l'accent uniquement sur les dépenses gouvernementales. Je suis d'avis qu'il y a lieu de s'interroger amplement sur la question.

L'autre façon de ne pas payer d'impôt est de placer son argent dans les paradis fiscaux. Même le vérificateur général disait en 1992 qu'il y avait 16 milliards de dollars qui quittaient le pays, non pas à titre d'investissements productifs à l'économie canadienne mais pour être placés dans des endroits comme les Îles Caïman ou les Bermudes, ce qui évitait à leurs propriétaires de payer de l'impôt. Seize milliards de dollars, c'est beaucoup.

Même le CA Magazine, et nous avons eu l'occasion d'en parler ce matin, le magazine des comptables agréés canadiens, disait aux mois de juin et juillet qu'il favorisait la création de sociétés ou de sociétés en fidéicommis dans ces paradis fiscaux pour faire en sorte que les grandes entreprises ne paient pas un cent d'impôt au gouvernement fédéral.

La loi fiscale fédérale est telle qu'un particulier n'a pas le droit de cacher des revenus réalisés à l'extérieur du Canada alors qu'une grosse entreprise peut le faire; elle peut cacher des revenus, éviter de payer de l'impôt sur ces revenus uniquement en ayant une filiale ou une société dans des pays considérés comme des paradis fiscaux.

On parlait des banques tout à l'heure et je pense qu'on pourrait aussi y réfléchir. Si les fonds de pensions, même ceux de la main-d'oeuvre syndiquée, sont propriétaires à 40 p. 100 des actions des banques, je pense que la main-d'oeuvre syndiquée devrait demander des comptes aux grandes banques canadiennes.

La Banque Scotia, par exemple, a 33 filiales dans les Antilles, région considérée comme paradis fiscal, sur 46 à l'étranger; la CIBC, 7 sur 21; la Toronto-Dominion, 2 sur 15; la Banque de Montréal, 3 sur 7; et la Banque royale, 10 sur 24.

Je pense qu'à un moment donné, il faudra arrêter de s'attarder uniquement aux programmes sociaux et au fonds d'assurance-chômage et de dire qu'il n'y a plus rien à faire. Ne touchez surtout pas à la fiscalité des entreprises, c'est une vache sacrée, dit-on. Je pense que ces données nous indiquent qu'il y a un fichu de ménage à faire dans la fiscalité et que si on oublie cet aspect des finances publiques canadiennes, on aura passé à côté du problème tout en faisant très mal aux personnes les plus démunies.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Brushett): Avez-vous une question à poser, monsieur Loubier?

[Français]

M. Loubier: J'aimerais avoir des commentaires par rapport à cela. Tout à l'heure, nous avons exposé des données. On a fait une mauvaise analyse parce qu'on a pris des entreprises qui faisaient leur part, alors que certaines ne la font pas à cause des échappatoires qu'il y a dans le système fiscal. Il faut le dire.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Brushett): Merci.

Monsieur MacMackin.

M. MacMackin: Il faut que j'essaie de me rappeler la question et quels en étaient les principaux points. Qui a réalisé l'étude que vous avez citée il y a un instant?

[Français]

M. Loubier: Les professeurs Bernard, Lauzon et Poirier, de l'Université du Québec à Montréal, en septembre 1995.

[Traduction]

M. MacMackin: J'aimerais en avoir un exemplaire pour ma propre gouverne.

M. Loubier: Aucun problème, j'en ai un avec moi.

.1445

M. MacMackin: Je pense que tout le monde, dans le milieu des affaires et dans la population en général, applaudirait notre volonté de simplifier, de nettoyer et de dénoncer le régime fiscal en place, et serait heureux qu'il soit modifié. Il est devenu totalement aberrant. Selon les comptables, dans la plupart des cas, il faut plusieurs semaines pour déchiffrer les retombées de chaque nouvelle mesure budgétaire par rapport aux changements successifs qui ont déjà été faits et ainsi de suite. C'est complètement ridicule.

De plus, je trouve intéressant que dans notre pays, on en soit pratiquement arrivé à ridiculiser et à mépriser les profits et la richesse, alors qu'en fait, de bien des façons, c'est là-dessus qu'est bâti ce pays.

Je crois fermement que le dollar que je dépense a plus d'effet que celui que dépense le gouvernement fédéral, alors que l'on a tendance à croire que le dollar laissé dans la poche d'un particulier ou d'une entreprise n'est pas véritablement dépensé dans le meilleur intérêt du pays. C'est faux.

Je conviens de la nécessité d'une assiette de recettes adéquate au Canada, afin d'assurer les services et les programmes dont nous avons besoin à l'échelle nationale si l'on veut avoir un pays.

Je ne peux pas faire de commentaires au sujet des abris fiscaux, excepté rappeler que l'on vit dans un monde libre, un monde où le capital et l'argent sont plus mobiles que jamais. Quelles que soient les initiatives que nous puissions prendre en tant que pays nous ne pouvons pas faire disparaître les abris fiscaux, mais j'espère que nous pourrons créer un environnement propice pour que les gens gardent leur argent ici, qu'ils investissent ici et qu'ils puissent réaliser des profits ici.

En ce qui concerne les impôts et les questions connexes, j'ai entendu de nombreux commentaires à propos des impôts différés qui figurent sur les bilans et qui ne sont jamais acquittés. Le report d'impôt est probablement le concept comptable le moins bien compris et le plus mal interprété dans notre pays. Les impôts différés ne sont pas des impôts qui sont dus au gouvernement fédéral.

C'est purement et simplement un point d'équilibre, un moyen, pour les entreprises, de concilier la différence comptable entre ce qu'elles doivent effectivement et ce qu'elles ne doivent pas. Toute entreprise débourse tous les ans des sommes qui ne sont pas déductibles. Voici un bon exemple que tout le monde comprendra facilement.

Si j'invite un client au restaurant, seuls 50 p. 100 de l'addition sont déductibles. En comptabilité, les autres 50 p. 100 doivent trouver leur place quelque part dans les livres. La différence, la fraction non déductible, celle qui se répercute sur les résultats, c'est de l'impôt différé. C'est, en quelque sorte, un jeu d'écritures. Ce n'est pas de l'argent comptant dans ma poche, ni une dette envers le gouvernement fédéral.

C'est probablement le plus gros faux problème que l'on n'ait jamais examiné sous tous les angles dans ce pays. Ce n'est même pas de l'argent réel.

Je ne m'attends même pas à ce que vous saisissiez vraiment ce que je viens de dire, car je ne suis pas sûr de comprendre moi-même. Je dois m'y reprendre à deux ou trois fois pour bien voir ce que veulent dire les articles sur le report d'impôt. Cela représente probablement 3 000 $ ou 4 000 $ au total dans les livres de comptabilité de mon entreprise. Il y a des entreprises pour qui cela représente des sommes beaucoup plus importantes, car une partie de leurs dépenses ne peuvent être considérées comme des déductions fiscales et c'est la façon dont elles réconcilient leurs comptes.

Je ne peux pas dire vraiment, mais je ne crois pas - peut-être suis-je naïf - que ce pays soit peuplé de gens qui pratiquent l'évasion fiscale comme on le prétend, car il ne serait pas dans le meilleur intérêt du ministère des Finances de le permettre, ni d'ailleurs dans l'intérêt de la population en général.

Peut-être suis-je naïf. Si un jour il est prouvé que le phénomène est de cette envergure et que tout d'un coup, le service des comptes publics du Canada s'en rend compte et me le démontre, si l'on désigne les coupables et si l'on me dit où sont allés les fonds, alors, je reconnaîtrai m'être trompé. Pour l'instant, je regrette, mais je n'y crois pas. Parmi les gens que je connais, il n'y a personne qui n'acquitte pas sa juste part d'impôt à l'heure actuelle, du moins s'ils gagnent de l'argent, s'ils font un bénéfice sur leur salaire de l'année. Et s'il y en a qui ne paient pas leur impôt, je suis convaincu qu'avec les mécanismes de vérification fiscale et de contrôle qui sont en place à l'heure actuelle au Canada, ces gens-là ne pourront pas continuer à pratiquer l'évasion fiscale pendant très longtemps.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Quelqu'un d'autre aimerait-il faire une observation à ce sujet?

[Français]

M. Loubier: Le report d'impôt, ce n'est pas juste une écriture comptable. Peut-être que vous ne comprenez pas ce qu'est le report d'impôt, car vous l'avez dit vous-même: c'est tellement compliqué, qu'à un moment donné, on ne sait plus si on comprend bien.

Le report d'impôt vous permet de déduire des pertes fiscales sur des revenus réalisés il y a trois ans ou sur des revenus qui seront réalisés dans sept ans.

Vous savez que un dollar payé en impôts, aujourd'hui, n'a pas la même valeur que un dollar payé en impôts dans dix ans. À un taux d'intérêt de 8 p. 100, le dollar que vous verserez en impôts dans 10 ans vous coûtera 46 cents aujourd'hui. Donc, déjà c'est un bénéfice; ce n'est pas seulement une écriture comptable.

Ce qui est devenu ridicule dans la question du report d'impôt, c'est que les pertes fiscales inutilisées sont échangeables. Ouvrez le journal - et je le répète parce que je trouve que c'est d'une insignifiance totale en fiscalité canadienne - , que ce soit le Globe and Mail, le Financial Post ou d'autres, et vous y trouverez des entreprises qui annoncent des pertes fiscales inutilisées à vendre.

.1450

Quand l'entreprise n'a pas besoin de déduire de ses profits ses pertes fiscales, elle peut vendre cette perte fiscale à sa voisine qui pourra en bénéficier. Ce n'est plus seulement un marché de biens et de services que nous avons au Canada; c'est un marché de déductions pour pertes fiscales. Quand on en est rendu là, il y a un fichu problème.

Si vous voulez avoir la preuve que des entreprises qui font des profits ne paient pas d'impôt, vous pouvez vous adresser au ministère des Finances. Je ne sais pas s'ils ont ces données à l'heure actuelle parce que depuis 1987, ils ne les publient plus, mais peut-être les ont-ils de façon confidentielle.

Pour en revenir à votre report d'impôt, ça coûte cher, 46 cents plutôt que un dollar payé en impôts.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Brushett): Je vais laisser M. MacMackin répondre avant de passer le micro à M. Pillitteri.

M. MacMackin: Pour ce qui est de vendre une perte fiscale, je dois reconnaître que j'ai constaté ce genre de chose moi-même. En toute honnêteté, je ne comprends pas les concepts mathématiques ou financiers sur lesquels tout cela repose.

Je voudrais poser une question au monsieur que l'on a présenté comme recherchiste. Je voudrais lui demander si mon interprétation du report d'impôt est correcte?

M. Marion Wrobel (recherchiste du comité): Cela m'a paru assez juste.

M. MacMackin: Oui ou non.

M. Wrobel: Je pense que vous avez tapé dans le mille.

M. MacMackin: Merci.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Je donne le micro à monsieur Pillitteri qui a été très patient cet après-midi.

[Français]

M. Loubier: Une seconde, madame la présidente. Est-ce que les recherchistes vont maintenant se mêler aux débats politiques? Cela pose un problème. Je n'ai pas dit que monsieur n'avait pas compris le mécanisme du report d'impôt, mais qu'il en évaluait mal la portée. Si le recherchiste vient contredire le politicien, cela pose problème. C'est une chose qui ne s'est jamais vue. Je vous demanderais de voir à ce que cela ne se reproduise pas.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Brushett): Merci, monsieur Loubier.

M. MacMackin: Je m'excuse d'avoir demandé quelque chose que je n'avais pas le droit de demander.

Une voix: Madame la présidente, je pense que c'est juste.

M. Pillitteri (Niagara Falls): Puis-je avoir la parole? Merci.

Je souhaite intervenir. M. Loubier fait bien sûr allusion à certaines de mes observations sur ce que vous appelez le report d'impôt. Je n'en ai rien dit aujourd'hui, je n'en ai pas eu l'occasion, mais j'y reviendrai dans une minute. J'ai fait ces observations au cours d'autres séances. Il n'a sans doute pas aimé mon interprétation, pas plus, évidemment, qu'il n'a aimé la vôtre.

M. MacMackin: J'aurais dû vous poser la question à vous.

M. Pillitteri: Vous aviez tout à fait raison. De fait, j'ai ici avec moi la documentation concernant le report d'impôt. Je dois dire que ce que vous avez déclaré était tout à fait juste, et je me préparais à aborder moi-même la question.

Aux gens qui pensent que les entreprises ne paient pas d'impôt, je rappellerai ce qui s'est passé en Ontario: le gouvernement qui a pris le pouvoir en 1990 prétendait avoir toutes les solutions. M. Bob Rae se demandait pourquoi les entreprises bénéficiaires n'acquittaient pas d'impôt, et il a mis sur pied une Commission de l'équité fiscale chargée d'enquêter là-dessus. Il a découvert après étude que ces entreprises avaient subi des pertes auparavant, qu'elles recouraient à leurs crédits d'impôt à l'investissement et qu'elles avaient déjà payé de l'impôt sur leurs bénéfices par l'entremise de leurs filiales. D'un seul coup, il avait trouvé les réponses qu'ils cherchaient, et il a abandonné l'idée de percevoir plus d'impôt des entreprises.

Revenons-en au report d'impôt mentionné par M. Loubier et à ce que j'ai dit à ce sujet. En plus d'être député, je suis homme d'affaires, exploitant agricole. Je me demande parfois comment on peut combiner tant de choses. J'avais le choix. On parle de ceux qui créent des emplois, de ceux qui n'en créent pas, de ceux qui paient leur juste part, etc., et on cite des chiffres. Je trouve cela drôle; je ne m'intéresse pas beaucoup aux statistiques. Je suis un fonceur, pas vraiment le genre à faire des recherches et à lire des statistiques.

Chaque dollar que je consacre, à titre d'exploitant agricole, à l'achat d'un produit génère 10 $ d'impôts pour le gouvernement provincial et plus pour le gouvernement fédéral. Ma valeur ajoutée, car je fais du vin - et que l'on n'aille pas croire que je fais de la publicité - elle est là: ce que j'achète 1 $ génère 10 $ d'impôts.

Pour en revenir au report d'impôt, je ne touche pas de salaire en tant que propriétaire... Ce n'est pas une compagnie que je dirige, mais une entreprise à propriétaire unique.

.1455

J'ai eu le choix, il y a quelques années, soit d'investir et d'essayer de créer des emplois, soit de laisser l'argent dans un compte en banque et de vivre le reste de ma vie sans me préoccuper de savoir si je vais pouvoir faire face aux échéances, verser les salaires hebdomadaires et ainsi de suite. J'ai décidé d'investir plutôt que de lire des statistiques. J'ai choisi de créer des emplois. J'occupe huit personnes à temps plein et parfois, jusqu'à vingt personnes en été.

Mon comptable me dit que j'ai gagné de l'argent l'année dernière, et je ne peux pas payer mes impôts. J'ai même du mal à faire face à mes échéances. C'est une question de priorité. J'ai pris une responsabilité.

Ce n'est pas le gouvernement qui crée des emplois. L'entrepreneur, le particulier, crée des emplois dans notre pays. Qu'on arrête de croire le contraire; aucun gouvernement ne va financer ces emplois. Tout dépend de l'environnement et de ce que font les gens. Ce sont les entrepreneurs qui créeront des emplois. Si tout le monde adoptait cette attitude et si toutes les entreprises du Canada pouvaient fonctionner dans un tel environnement...

C'est l'orientation qu'a suivie le présent gouvernement jusqu'ici. On l'a fait en réduisant le déficit public tout en créant parallèlement plus de 460 000 emplois au cours des deux dernières années. Si toutes les entreprises du Canada se mettaient à créer un emploi, le chômage ne serait pas un problème dans ce pays. On recense plus de 900 000 entreprises au Canada; il n'y aurait pratiquement plus de chômage.

Au cours de cette table ronde, ne nous préoccupons pas seulement de ce que l'on a fait dans le passé. Demandons-nous ce que l'on peut faire maintenant. Il faut apporter des changements à l'assurance-chômage et à l'assistance sociale. Nous ne pouvons pas vivre dans le passé; nous devons nous tourner vers l'avenir. Nous faisons face à une économie mondialisée.

Ne nous occupons pas des statistiques européennes ou japonaises. Regardons les statistiques américaines. Les États-Unis sont notre principal partenaire commercial, et nous sommes un pays exportateur. Nous ne pouvons pas nous contenter de vivre à l'intérieur de nos propres frontières. Nous devons avoir un produit à valeur ajoutée et l'exploiter, afin d'assurer notre croissance continue.

Nos ressources naturelles ne suffisent pas, par elles-mêmes, à nous faire vivre; il faut de la valeur ajoutée. Sur la totalité de nos échanges commerciaux, 85 p. 100 se font avec les États-Unis, notre voisin du sud.

J'aimerais, par conséquent, poser une question: À votre avis, à quoi va mener ce budget? Telle est ma question. J'espère que la plupart d'entre vous pourront y répondre dans votre conclusion.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Merci, monsieur Pillitteri.

Y a-t-il quelqu'un qui souhaite faire un bref commentaire, ou le temps est-il arrivé de passer aux conclusions?

Mme Vautour: J'aimerais poser une question à M. Pillitteri.

Dans votre entreprise, réembauchez-vous habituellement les mêmes employés ou en prenez-vous de nouveaux? Est-ce que ce sont toujours les mêmes?

M. Pillitteri: Jusqu'à présent, oui.

Mme Vautour: Alors, réembaucher les mêmes gens tous les ans, c'est un avantage, dans une certaine mesure, parce qu'ils connaissent le travail.

M. Pillitteri: Oui. Mais je viens juste d'ouvrir mon entreprise. Cela fait seulement trois ans.

Mme Vautour: C'est donc avantageux pour vous de réembaucher tous les ans les mêmes employés car ils sont déjà formés; mais cela signifie qu'ils sont au chômage quand vous les licenciez?

M. Pillitteri: Oui.

Mme Vautour: Et s'ils ne touchaient pas d'assurance-chômage, ils n'auraient aucun revenu.

Je vous oblige à voir les choses telles qu'elles sont. Quand on pense qu'on est en train de démanteler l'assurance-chômage et que les patrons se plaignent d'avoir à verser des cotisations au régime d'assurance-chômage! Cela vous montre que les employeurs ont tout intérêt à payer des cotisations, car ils peuvent ainsi disposer, d'une année sur l'autre, d'employés expérimentés qui viennent travailler pour eux.

Il est important que les patrons réalisent qu'ils ont intérêt à contribuer au régime. Ce n'est pas seulement avantageux pour l'employé qui touche les prestations, ça l'est tout autant pour le patron qui dispose chaque année d'employés expérimentés capables de produire immédiatement. L'employé en question peut rentrer chez lui à la fin de l'année, continuer de recevoir une forme de revenu et conserver ainsi sa dignité et son amour propre. Ce sera un meilleur employé qui reviendra travailler chez vous.

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M. Pillitteri: Cela ne fait pas de doute. Mais votre longue question mérite une réponse un peu plus étoffée. Il faut dire que je n'ai pas toujours été exploitant agricole. J'ai passé presque 19 ans de ma vie dans l'industrie comme ouvrier. Je suis fier de dire que General Motors m'a embauché trois fois et que j'ai quitté cette entreprise à trois reprises.

J'ai fait beaucoup de choses au cours de ma vie active. Au fait, je n'ai jamais, de toute ma vie, touché de prestations d'assurance-chômage. Mais j'ai toujours cotisé au régime, non seulement pour moi-même, en tant qu'employé, mais aussi en tant que patron. Et il continuera d'en être ainsi. J'espère bien ne pas avoir à toucher de prestations d'assurance-chômage.

Je sais que la plupart des gens ne comptent pas sur l'assurance-chômage. En réalité, ce qu'ils veulent, c'est un emploi, et non une sorte de pension. Dans la plupart des cas, c'est pour boucler leur budget pendant une période de transition qu'ils ont besoin des prestations. Il ne fait aucun doute qu'elles leur sont nécessaires.

Quant à l'avantage que je retire du fait que mes travailleurs soient formés, c'est indéniable. Mais n'oublions pas que si les cotisations que je dois payer ne cessent d'augmenter, ni moi, ni quelque entrepreneur que ce soit n'aurons l'impression qu'il est avantageux de créer un emploi.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Merci, monsieur Pillitteri.

Je vais bientôt demander aux témoins de conclure ce qui aura été une discussion des plus stimulantes. Je commencerai par les témoins de ce côté-ci de la table. Il s'agit de résumer aussi brièvement que possible, en une minute ou moins, le message que vous souhaitez transmettre au ministre des Finances dans le cadre de nos délibérations prébudgétaires d'aujourd'hui. Commençons par Angela Vautour.

Mme Vautour: Je dirai pour conclure qu'on devrait cesser d'amputer les programmes sociaux. Je pense qu'il est temps de couper ailleurs. Il y a le Sénat. On pourrait également voir ce qu'il est possible de faire en matière d'imposition, et aussi examiner les dépenses des hommes politiques, en commençant par Jean Chrétien, pour voir où tous les députés du Canada pourraient économiser un peu ici et là.

La création d'emplois est la priorité numéro un. Quand on met les gens au travail, on économise beaucoup d'argent en programmes sociaux. N'oublions pas que l'assurance-chômage est payée uniquement par les travailleurs et les employeurs, et qu'on ne résoudra pas le problème de la dette publique en supprimant l'assurance-chômage.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Monsieur Olivier.

M. Olivier: Je dirai qu'il sera bénéfique à long terme de conserver certains programmes sociaux. Il est sans doute facile de décréter de couper un programme. Toutefois, les programmes de prévention s'avèrent rentables, et il y a beaucoup de choses à faire à ce niveau. Si l'on ne reconnaît pas cela, on aura à financer dans cinq ans des coûts beaucoup plus élevés dans le domaine de la santé et des soins médicaux.

La présidente suppléante (Mme Brushett): John Mahar.

M. Mahar: On a dit ce qu'on avait à dire; il faut maintenant faire ce qu'il y a à faire. J'ai deux observations: remettez de l'ordre dans nos finances, tout en continuant de tendre la main aux membres les plus défavorisés de notre société. Assurez-vous toutefois que l'aide que vous leur donnez ne détruit pas chez eux toute volonté de nous aider en retour.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Monsieur John Schenkels.

M. Schenkels: Ça fait plaisir de retrouver d'autres exploitants agricoles ici. On me traite toujours de jeune agriculteur; je ne suis pas sûr qu'on ferait le même compliment à M. Pillitteri. Ça fait du bien de constater qu'il y a des gens qui se lancent dans l'agriculture alors qu'elle occupe de moins en moins de place et qu'il y a de moins en moins d'agriculteurs à mesure que le temps passe.

On a beaucoup parlé ici aujourd'hui d'assurance-chômage et d'impôts. Mais on nous a dit - je pense que c'était M. Pillitteri - que si chaque entreprise embauchait une personne de plus, il n'y aurait plus de chômage dans notre pays. On pourrait faire beaucoup de choses avec l'argent dont on disposerait si l'on pouvait créer un emploi dans chaque entreprise.

Je pense que pour le gouvernement fédéral, le défi est de stimuler la création d'emplois dans les entreprises privées. Selon moi, les projets ponctuels de création d'emplois qui ont été lancés sont inefficaces, car ils ne répondent pas aux véritables besoins économiques. On crée du travail juste pour dire qu'on crée du travail. On ne crée pas de travail au profit de la population du Canada.

Je pense qu'actuellement, il incombe au gouvernement de stimuler l'emploi, et plutôt dans le secteur privé que dans le cadre de programmes gouvernementaux.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Monsieur Brown.

.1505

[Français]

M. Brown: Je pense que le gouvernement ne devrait pas s'attaquer aux gagne-petit. Il faudrait d'abord qu'il crée des emplois, pas des emplois à 5 $ l'heure mais à 10 $ l'heure. Les employés pourraient alors payer plus d'impôt et de ce fait, la dette serait moins grosse.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Brushett): Bill MacMackin.

M. MacMackin: J'encourage le gouvernement fédéral à reléguer la politique au second plan pendant les deux prochaines années et à prendre les décisions difficiles qui doivent être prises pour nous remettre, pour ainsi dire, sur la bonne voie. S'il est inévitable de procéder ainsi au cours des deux prochaines années, elles seront certainement parmi les plus pénibles qu'il nous ait été donné de connaître. Je conviens, comme l'a fait remarquer la dame qui est intervenue plus tôt, que les réductions qui seront infligées aux particuliers auront des incidences sur les entreprises, et je crois que le milieu des affaires reconnaît qu'il n'y a pas d'autres choix. La situation ne s'améliorera pas si l'on choisit d'ignorer les problèmes. Nous n'avons d'autre option que de nous y mettre pour trouver des solutions, à tous les niveaux, par tous les moyens. Au point où nous en sommes, chaque dollar économisé est un dollar de gagné. Alors, mettons-nous au travail et retroussons nos manches.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Monsieur John Gagnon.

M. Gagnon: Nous sommes préoccupés par l'impact de ces réformes, ou présumées réformes, sur notre région, mais aussi sur le pays tout entier. Nous pensons qu'il s'agit d'un moyen d'aligner nos programmes sociaux sur ceux des États-Unis.

Cela dit - et je ne vais m'étendre et faire durer le débat sur notre régime fiscal - nous pensons qu'il faut modifier la structure du régime fiscal, afin de supprimer les échappatoires pour les riches, les abris fiscaux, de manière à ce que tout le monde paie sa juste part d'impôt. Comme je l'ai déclaré dans mon introduction, il est important de faire baisser les taux d'intérêts. Nous avons besoin d'un régime d'assistance sociale et d'assurance-chômage solide qui respecte davantage la dignité des gens et qui prenne en compte les emplois à temps partiel ou temporaires ou ceux qui ne sont pas couverts dans les marchés peu propices au plein emploi.

Nous avons également besoin aussi d'un système d'éducation public et accessible. Nous possédons déjà un système d'éducation qui permet aux gens de se recycler, mais les listes d'attente sont longues. Il n'est pas accessible à ceux qui, malheureusement, se retrouvent le plus souvent au chômage. L'enseignement doit être de haute qualité et tenir compte des besoins grandissants de notre économie à base de connaissances. Il ne sert à rien de former un charpentier s'il y en a déjà 100 au chômage dans la région. Il faut avoir une politique de formation réaliste.

Dernière chose, mais pas la moindre: la création d'emplois. Je pense que tout le monde est d'accord avec l'idée, mais comment faut-il s'y prendre pour créer des emplois? Nous estimons qu'il faut imposer une limite aux heures supplémentaires. Compte tenu des énormes licenciements qui ont été faits récemment, les heures supplémentaires se multiplient dans beaucoup de grandes industries. Je ne songe pas uniquement aux petites et moyennes entreprises, mais également aux grosses sociétés.

Nous devons réduire la durée du travail hebdomadaire. Il y a longtemps, nos ancêtres travaillaient six jours par semaine.

M. Pillitteri: Parfois sept.

M. Gagnon: Sept jours par semaine; vous avez raison. Puis la semaine de travail a été réduite à cinq jours.

Selon moi, il est temps de procéder à une autre réduction du nombre d'heures de travail. Je ne suggère pas que l'on supprime une journée entière, mais on sait que dans plusieurs pays progressistes, la semaine de travail a été réduite de façon significative à 37 heures et demi ou à peu près, par exemple, en Allemagne. Nous devrions emboîter le pas, car cela créerait de nouveaux emplois, avec du temps libre rémunéré pour la formation et le recyclage professionnels. C'est le genre de choses que l'on devrait envisager.

Lorsqu'on parle de la fiscalité, nous ne visons pas vraiment les petites et moyennes entreprises, j'insiste encore là-dessus. Je reconnais que la majorité des entreprises paient sans doute leur juste part d'impôt. C'est seulement un petit nombre de multinationales qui parviennent à échapper à la fiscalité. Quand on a mentionné les abris fiscaux tout à l'heure, on s'est demandé ce qu'il fallait entendre par abri fiscal.

Prenons l'exemple de K.C. Irving, qui est propriétaire de la quasi-totalité de cette province. Il a bénéficié d'un abri fiscal dans cette province et a dissimulé son argent pendant des années. Le gouvernement a décrété qu'il devait des impôts et les lui a fait payer. Il est revenu plusieurs années plus tard, a intenté un procès à propos des impôts que, prétendait-on, il nous devait, et il a gagné sa cause. Il existe donc un problème dans le domaine de la fiscalité. Je voulais simplement le souligner en donnant cet exemple.

Si l'on constate des abus dans le recours au régime d'assurance-chômage ou à l'aide sociale, faisons le nécessaire mais ne détruisons pas le système actuel.

Voilà ce que je voulais dire en terminant. Merci.

La présidente suppléante (Mme Brushett): Je vous remercie, monsieur Gagnon.

Au nom du Comité permanent des finances, je vous remercie tous personnellement de votre présence ici cet après-midi. Nous avons eu une discussion très intéressante. Les idées que vous avez exprimées valent certainement la peine d'être examinées et approfondies, et soyez assurés que nous vous avons écoutés attentivement.

.1510

Je vous rappelle à tous que cette table ronde s'inscrit dans le cadre de la consultation prébudgétaire annuelle du Comité des finances. Vous pouvez donc réfléchir à ce que nous devrions faire l'année prochaine.

Ayant assuré la présidence cet après-midi... vous avez eu un petit aperçu de la façon dont fonctionne la Chambre des communes, puisque vous avez assisté à des débats entre les membres des différents partis représentés ici. Comme c'est moi, Dianne Brushett, qui présidais cette séance, j'aimerais faire consigner au compte rendu une déclaration à propos de l'intervention du recherchiste qui a répondu à une question de M. MacMackin. Il a simplement répondu «oui». Il n'a pas engagé de discussion. Cela ne contrevenait certainement pas au Règlement. Voilà qui est dit pour le compte rendu.

Je vous remercie à nouveau tous d'être venus cet après-midi. La séance est levée.

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