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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 1er juin 1995

.1104

[Traduction]

Le président: La séance est ouverte. Nous consacrons aujourd'hui notre réunion au projet de loi C-224.

Nous devons entendre deux témoins. D'abord, M. Bruce Phillips, commissaire à la Protection de la vie privée, puis des représentants des organisations nationales volontaires.

.1105

Tout à l'heure, M. Phillips m'a dit qu'il n'avait pas de déclaration officielle, mais qu'il désirait faire une brève introduction. Il nous permettra sans doute de lui poser des questions ensuite.

Vous avez la parole, monsieur Phillips. Merci d'être venu.

M. Bruce Phillips (commissaire à la protection de la vie privée): Merci beaucoup, monsieur le président. Bonjour, mesdames et messieurs.

Je tiens d'abord à indiquer que c'est avec grand plaisir que je comparais devant un comité parlementaire en ma qualité de commissaire. Mon bureau est en effet un des rares qui soient considérés comme relevant directement du Parlement. Je suis très heureux d'essayer d'être très utile aux gens que je considère comme mes patrons.

Je suis accompagné aujourd'hui de Mme Holly Harris, conseillère juridique du Bureau du commissaire à la protection de la vie privée.

En ce qui concerne le projet de loi C-224, je dois commencer par expliquer quelles sont mes limites de mon mandat. La Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels qui me régit porte sur 110 institutions du gouvernement fédéral. La loi vise seulement les documents détenus par ces 110 institutios. Elle ne s'applique pas à l'activité du secteur privé.

La plus grande partie de l'information dont il est question dans le projet de loi C-224 ne relève donc pas du commissaire à la protection de la vie privée, sauf pour ce qui est de quelques sociétés d'État comme le Conseili des arts du Canada, le Centre canadien d'hygiène et de sécurité au travail, le Centre canadien de recherche pour le développement international, le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, le Centre national des arts, musées nationaux du Canada et le Conseil canadien des normes. Ce sont des institutions fédérales figurant à l'annexe de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui seraient également visées par le projet de loi C-224, de la façon dont je l'interprète.

Ainsi, monsieur le président et membres du comité, si le projet de loi était adopté dans sa forme actuelle, il aurait pour conséquence de diminuer les droits garantis par la loi fédérale sur la protection des renseignements personnels aux directeurs généraux et aux cadres supérieurs de ces organismes, par rapport aux droits échus à tous les fonctionaires fédéraux des autres organismes mentionnés à l'annexe.

Ce serait une incohérence, en ce sens que certains fonctionnaires et certaines personnes nommées par décret du Conseil seraient tenus de révéler leur salaire tandis que d'autres ne le seraient pas.

Il y aurait également incohérence au sein même de ces organismes en vertu du projet de loi. En effet, certains employés offrirant le même genre de services que ceux qui sont décrits comme appartenant à la haute direction, seraient soumis à des conditions différentes relativement à la divulgation de leur salaire.

Il reste que, de façon générale, les organismes visés par le projet de loi C-24 ne tombent pas sous le coup de la Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels, sauf les quelques exceptions que j'ai mentionnées.

.1110

Le président: En d'autres termes, et à l'exception de ceux que vous avez indiqués, les organismes visés par ce projet de loi ne relèveraient pas de vous.

M. Phillips: Je n'aurais certainement pas le pouvoir de faire enquête au sujet des plaintes relatives à la divulgation de renseignements.

Je suis tout de même prêt à discuter avec vous de la question de la protection de la vie privée de façon générale, si vous le désirez.

Le président: Je crois comprendre votre argument au sujet de l'incohérence, M. Phillips, mais vous pourriez peut-être nous donner un exemple de la façon dont elle se présenterait dans les faits si le projet de loi était adopté.

M. Phillips: Certainement. Je vous soumets deux cas hypothétiques.

En vertu du projet de loi, le salaire du président du Centre national des arts, par exemple, serait divulgué, tandis que des organismes fédéraux similaires - par example, une société d'État comme Arsenaux Canada ou Énergie atomique - ne seraient pas visés. Il y aurait donc deux catégories en matière de protection de la vie privée pour les gens à l'emploi du même gouvernement fédéral.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Phillips.

Je cède maintenant la parole au Bloc. Votre premier tour sera de huit minutes, monsieur Sauvageau.

[Français]

M. Sauvageau (Terrebonne): Bonjour et bienvenue, monsieur Phillips. Je vous avoue humblement que le projet de loi C-224 n'est pas un projet de loi que je connais sur le bout de mes doigts. Je remplace un collègue, mais je vais essayer de le faire quand même dignement.

J'aurais quelques questions à poser sur l'exposé que vous nous avez fait. Je me demande si ce projet de loi tel que vous l'avez défini tantôt pourrait aller directement ou indirectement à l'encontre de deux lois qui existent présentement dans ce pays, la Loi sur la protection des renseignements personnels, avec laquelle vous travaillez quotidiennement, et surtout la Charte canadienne des droits et libertés.

Est-ce qu'on n'arriverait pas, si on mettait ce projet de loi de l'avant, à des conflits perpétuels avec une personne relativement à la Charte canadienne des droits et libertés et aussi à la Loi sur la protection des renseignements personnels? C'est ma première question. Elle porte sur ces deux lois.

[Traduction]

M. Phillips: Je ne peux vous donner d'opinion en ce qui concerne la validité de ce projet de loi par rapport à la Charte canadienne des droits et libertés. Je peux simplement vous parler de son application par rapport à la Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels.

Celle-ci ne s'applique pas à tous les organismes du secteur privé, aux organismes de charité et aux organismes sans but lucratif que vise le projet de loi. Il n'englobe qu'un très petit nombre d'institutions fédérales et ne concerne que quelques centaines de personnes.

[Français]

M. Sauvageau: Maintenant, il s'agit d'un sujet un peu plus délicat. Si j'ai bien compris la portée de cette loi, est-ce que de petits organismes communautaires ou des organismes à plus faible revenu pourraient être touchés par l'application de cette loi? Pourraient-ils être pénalisés de quelconque façon? Si on mettait de l'avant ce projet de loi, est-ce que des cas d'actualité comme celui de CARE - il n'y a pas encore eu d'enquête là-dessus - pourraient être éliminés ou n'arriverait-on pas à éliminer ce genre de potentiel de conflit ou de rémunération directe ou indirecte mal utilisée?

[Traduction]

M. Phillips: Je ne me considère pas en position de répondre à cette question. Mon rôle consiste à protéger les droits à la vie privée des gens qui travaillent pour le gouvernement fédéral ou les institutions visées par la Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels. Je ne suis pas en mesure de donner une opinion sur la façon dont le projet de loi, s'il est adopté, toucherait les gens qui travaillent pour les organismes sans but lucratif ou de charité. Je regrette de ne pouvoir vous aider davantage.

.1115

[Français]

M. Sauvageau: C'est très bien. Je vous remercie.

[Traduction]

Le président: À ce sujet, monsieur Phillips, votre rôle est d'accorder au moins une certaine protection à la vie privée des gens.

M. Phillips: En effet.

Le président: Que feriez-vous si le projet de loi était adopté et qu'il avait une incidence sur la vie privée des gens, vie privée que vous êtes chargé de protéger? Quelle serait la meilleure loi, si vous me permettez l'expression?

M. Phillips: Si ce projet de loi est adopté, autorisant la divulgation des salaires des personnes oeuvrant dans les différents organismes que j'ai cités, il me semble qu'elle l'emporterait sur la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais il faudrait vérifier avec Mme Harris. Dans de telles circonstances, je dois dire que personne dans ma position ne pourrait assister de gaieté de coeur à la diminution des droits à la protection de la vie privée tels que garantis actuellement par la loi.

Je ne verrais pas avec plaisir l'adoption d'une norme différente ni toute atteinte aux droits existants à la protection des renseignements personnels qui ferait du personnel du Conseil des arts du Canada et d'autres organismes concernés des citoyens qui bénéficieraient d'une moins bonne protection de leur vie privée que leurs homologues de la Fonction publique fédérale.

Le président: Le Parti réformiste, avec M. Strahl.

M. Strahl (Fraser Valley-Est): J'ai une ou deux questions à poser. Je comprends que vous soyez perplexe puisqu'une grande partie du domaine couvert par ce projet de loi ne relève pas de votre mandat. Je vais donc vous poser quelques questions d'ordre théorique.

L'atteinte à la vie privée est un sujet de préoccupations, surtout de nos jours où n'importe qui peut se procurer une liste d'adresses, une liste informatisée ou une liste de donateurs. Craignez-vous par exemple qu'une telle intrusion dans la vie privée par la divulgation du salaire et des avantages dont bénéficient certaines personnes, prenne peu à peu une dimension plus grave?

Pourquoi ne pas tout simplement appliquer une norme de divulgation à toutes les personnes qui, d'une manière ou d'une autre, bénéficient des deniers publics?

M. Phillips: Les conditions d'emploi des fonctionnaires fédéraux sont en partie protégées par l'article 3 de la Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels. Cette loi précise les renseignements pouvant être divulgués sans le consentement d'un individu. Ce sont le poste, la classification et l'échelle de salaire. On ne peut pas donner de chiffres précis. C'est, je crois, la règle qui prévaut en général dans tout le Canada, à l'exception peut-être de la Nouvelle-Écosse. Dans la plupart des autres régions, le montant exact du salaire d'un fonctionnaire fédéral est considéré comme un renseignement personnel qui ne peut être divulgué sans le consentement de la personne concernée.

À titre de commissaire à la protection de la vie privée, je n'ai pas d'opinion à formuler au sujet des conséquences fâcheuses qu'aurait une divulgation de ce type. Mon rôle est de protéger la vie privée des gens par l'application de cette loi.

Personnellement, je suis tout à fait convaincu de l'utilité générale de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Pour le reste, je fais un travail qui me paraît utile pour la société en m'opposant aux invasions considérables de la vie privée qui se produisent actuellement dans tous les domaines.

Je m'en remets aux députés qui, dans leur sagesse, ont rédigé ce projet de loi qui me semble d'ailleurs assez bien fait et nous paraît assez facile à mettre en oeuvre. Je leur laisse le soin de décider quelles devraient être les exceptions à la règle générale selon laquelle le revenu d'une personne est considéré comme étant un renseignement personnel.

.1120

Je reconnais qu'une norme différente peut s'appliquer de temps à autre à l'utilisation des deniers publics. Cependant, la loi accorde aux fonctionnaires fédéraux une certaine protection au sujet de leurs émoluments, en ce sens que seule l'échelle de salaire, plutôt que le montant exact, peut être divulguée. C'est le principe que j'applique et, d'après moi, c'est un principe raisonnable et justifiable.

M. Strahl: Vous dites que l'article 3 concerne l'échelle de salaire et que ce principe s'applique couramment dans la Fonction publique et dans les secteurs réglementés.

M. Phillips: C'est mon impression. Je ne prétends pas être un spécialiste des affaires provinciales, mais, à ma connaissance, c'est la norme qu'on applique actuellement.

M. Strahl: Est-ce que le projet de loi vous paraîtrait acceptable si on le modifiait pour exiger uniquement la divulgation des échelles de salaire plutôt que des montants précis, s'il exigeait simplement la déclaration dans les délais prescrits des échelles de salaire des dirigeants et administrateurs? Est-ce qu'il aurait une incidence différente sur les secteurs qui vous intéressent, les sociétés, etc.? Est-ce qu'il vous paraîtrait acceptable ou est-ce qu'il entraînerait quand même une atteinte à la protection de la vie privée?

M. Phillips: J'ai deux remarques à formuler à ce sujet. Tout d'abord, avec ce projet de loi, nous aurions une moins bonne maîtrise de l'information alors que le contrôle des renseignements personnels par les personnes concernées est le principe de base d'une information équitable. Cela concerne tout le monde, même vous et moi. Je crois qu'il revient au député de juger si ce projet de loi entraînerait une diminution acceptable ou inacceptable de leurs droits à la protection des renseignements personnels.

Comme tout autre droit, celui de la protection des renseignements personnels doit être considéré non pas comme un droit absolu mais sujet à certaines modifications quand les circonstances le justifient. C'est au législateur d'en décider et non pas au Commissaire à la protection de la vie privée. Je peux tout simplement vous dire que si les travailleurs du secteur privé concernés par ce projet de loi étaient contraints de divulguer des renseignements concernant leur revenu, leur vie privée serait moins bien protégée qu'actuellement.

Le président: Je vais maintenant donner la parole à M. Bélair puisque M. Sauvageau me fait savoir qu'il n'a plus d'autres questions à poser. Après M. Bélair, ce sera au tour de M. Duhamel.

M. Bélair.

[Français]

M. Bélair (Cochrane - Supérieur): Bonjour, madame Harris. Vous avez le même nom que le président d'Air Canada.

Monsieur Phillips, j'ai écouté avec beaucoup d'attention les propos que vous avez tenus et, finalement, ils n'ont servi qu'à augmenter l'ambiguïté dont nous sommes saisis.

J'aimerais vous faire part des inquiétudes que j'ai, surtout au niveau des organisations à but non lucratif, parce que vous savez qu'une très grande majorité d'entre elles sont subventionnées par le gouvernement fédéral. Cela étant dit, où est-ce qu'on peut tirer la ligne? Pourrait-on se servir du critère suivant, à savoir qu'un salaire annoncé par le biais d'une annonce publique, dans les journaux, à la radio, dans les médias en général, est définitif comparativement à un salaire qui a été négocié? Selon la Loi sur la protection des renseignements personnels, est-ce que cette distinction pourrait s'appliquer dans le cas qui nous préoccupe?

[Traduction]

M. Phillips: Au risque de vous paraître ennuyeux, je comprends le raisonnement. J'ai pris connaissance des débats antérieurs du comité, mais de manière générale, le secteur privé n'est absolument pas touché par la Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels.

M. Bélair: Mais moi je vous parlais du secteur à but non lucratif.

M. Phillips: L'argument devient intéressant puisqu'il nous force à demander si la loi devrait s'appliquer ou non au secteur privé. Les personnes qui ont suivi mes travaux connaissent mon point de vue à ce sujet. Je pense que la loi s'appliquerait à tous les secteurs de l'économie qui relèvent de la compétence fédérale - les institutions financières, les transports, les télécommunications, etc. Dans ce cas-là, je pourrais participer au débat de manière plus directe mais, pour le moment, je ne peux donner mon opinion sur ce qui ne relève pas de ma compétence.

.1125

M. Bélair: Excusez-moi, monsieur Phillips, mais j'ai l'impression que l'interprète a quelque peu déformé mon argument. Je vais le reprendre, en anglais cette fois.

Je ne me préoccupe absolument pas du secteur privé. Je crois que nous ne devons pas nous ingérer dans ce qui est privé.

Ma question portait sur les organismes à but non lucratif qui sont subventionnés par le gouvernement fédéral. Je vous demandais si la Loi sur la protection des renseignements personnels permettait de faire une distinction entre un salaire annoncé publiquement par une entreprise qui cherche un employé par le truchement d'une annonce publicitaire annonçant le salaire proposé et qui doit être déclaré dans la formule de Revenu Canada, et un salaire qui est négocié, même dans le cas d'un employé qui travaille pour un organisme à but non lucratif financé par le gouvernement.

M. Phillips: Monsieur Bélair, je vous avais bien compris.

Ma réponse est la suivante: tout ce qui paraît dans les journaux appartient au domaine public. Ce ne sont plus des renseignements d'ordre privé.

M. Bélair: Très bien, c'est ce que je voulais savoir.

M. Phillips: Par contre, je ne peux rien vous dire de plus, car si le salaire n'est pas visé par la Loi fédérale de la protection des renseignements personnels, qu'il soit négocié ou publié ou autre, je n'ai aucun pouvoir de faire des observations à ce sujet, je ne peux donner que mon opinion personnelle.

La partie de votre question qui se rapporte à mes compétences est celle qui concerne les organisations à but non lucratif financées à partir des deniers publics...

Actuellement, la règle qui s'applique est la même pour les organismes à but non lucratif et les sociétés. Il faudrait demander le point de vue de Mme Hayes, mais d'après moi, la Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels cesse de s'appliquer dès lors qu'il y a octroi de fonds publics. C'est au Parlement de décider s'il faut maintenir cette distinction. Pour le moment, les entreprises privées ne sont pas touchées. C'est aussi simple que cela.

M. Bélair: Pensez-vous que la décision de demander ou d'imposer à Revenu Canada d'ajouter une ligne supplémentaire sur la déclaration d'impôt risquerait d'être contestée devant les tribunaux? Et quelles seraient nos chances d'obtenir gain de cause?

M. Phillips: Il faudrait d'abord que la déclaration des renseignements exigés par Revenu Canada se fasse de manière légale et soit autorisée par la loi, mais il ne faut pas oublier que Revenu Canada doit également respecter des normes de confidentialité extrêmement strictes. Par conséquent, je pense qu'il serait préférable de poser directement la question à Revenu Canada.

Je ne vois pas comment on pourrait exiger la divulgation de renseignements fournis dans le cadre d'une déclaration d'impôt, sinon en vertu de l'article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels ou en vertu des dispositions de divulgation qui s'appliquent à Radio-Canada. Le simple fait d'ajouter une ligne dans un formulaire ne garantit pas que les renseignements divulgués à cet endroit puissent être automatiquement rendus publics.

M. Bélair: Madame Harris, vous êtes avocate de profession?

Mme Holly Harris (conseil général, Bureau du commissaire à la protection de la vie privée): En effet.

M. Bélair: Pouvez-vous donner au comité un avis sur la constitutionnalité du problème que nous débattons actuellement?

Mme Harris: Je ne peux pas me prononcer sur la constitutionnalité. Je pense que les avocats...

M. Bélair: Et sur la Charte des droits et libertés?

Mme Harris: ...du procureur général du Canada et du ministre de la Justice seraient mieux placés pour vous donner un avis à ce sujet, ou même vos propres conseillers juridiques.

Quel que soit le libellé d'une loi, il se trouvera toujours quelqu'un pour lui reprocher de constituer une atteinte à la vie privée. C'est un risque qu'il faut prendre en considération et qu'on ne peut pas négliger.

.1130

[Français]

M. Duhamel (Saint-Boniface): Bonjour, messieurs, madame.

[Traduction]

Très brièvement, j'aimerais m'assurer que j'ai bien compris ce que vous avez dit. Je crois que vous avez mentionnné au départ que, selon vous, ce projet de loi pourrait être interprété par certains comme une atteinte au droit à la protection des renseignements personnels, une atteinte supplémentaire à la vie privée.

M. Phillips: Je crois que ce serait le cas... car chacun ayant une définition personnelle de ce qu'est la vie privée, ce qui passerait pour une intrusion aux yeux de certains ne le serait pas nécessairement pour d'autres personnes. Si je me prends en exemple, je n'aurais aucune objection à la divulgation de renseignements concernant ma situation. En revanche, d'autres fonctionnaires pourraient en avoir.

Le projet de loi aurait, sur les organismes du gouvernement fédéral concernés que je vous ai énumérés, pour effet de réduire ledégré de protection dont bénéficie les dirigeants et cadres supérieurs de ces questions organismes, en vertu des dispositions actuelles de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le projet de loi aurait en effet une incidence.

Quant aux autres organismes du secteur privé qui seraient visés par le projet de loi, il n'y a aucun doute à leur sujet. Je ne vois comment ils pourraient faire exception. Les dirigeants de ces sociétés privées ont actuellement le choix de déclarer ou non leurs revenus. Advenant l'adoption du projet de loi, ils seraient tenus de le faire. Par conséquent, on peut dire en effet que leur droit à la protection des renseignements personnels en serait diminué.

M. Duhamel: Je vous remercie.

Voici une autre question dans la même veine; mais je peux vous assurer que je ne cherche pas à vous faire dire ce que vous n'avez pas dit. Je sais que tout cela est bien délicat, mais j'aimerais également comprendre. Je fais partie de ceux qui ont demandé à connaître votre opinion sur ce projet de loi.

Pensez-vous que le projet de loi démolit - le terme est peut-être trop fort - , le principe général de la protection des renseignements personnels? C'est extrêmement important pour nous, car j'ai mon opinion sur la question. Chaque jour nous sommes exposés à des mécanismes, des procédures, des pressions ou d'autres contraintes qui nous forcent à divulguer toujours plus de renseignements sur nous-mêmes. Je me demande où tout cela finira.

Je répète que je n'ai pas l'intention de vous faire dire ce que vous ne voulez pas dire, mais j'aimerais savoir si vous pensez que ce projet de loi constitue une nouvelle atteinte au principe de la protection des renseignements personnels dans notre société moderne.

M. Phillips: Je crois que c'est en effet le cas. Ce projet de loi aura pour effet de diminuer le droit à la protection des renseignements personnels dont jouissent actuellement les personnes qui seront touchées par le projet de loi.

Le président: Madame Whelan.

Mme Whelan (Essex - Windsor): J'aimerais obtenir une précision sur un point en particulier. Le projet de loi n'aura-t-il pas pour conséquence de créer deux catégories de protection des renseignements personnels au sein de la Fonction publique?

M. Phillips: Dans un très petit nombre d'organismes.

Mme Whelan: Mais il y aura bel et bien deux catégories.

M. Phillips: C'est exact. Le projet de loi modifiera le degré de protection dont bénéficie actuellement le personne de ces organismes par rapport àleurs collègues d'autres organismes gouvernementaux.

Le président: Monsieur Phillips, dites-nous exactement si le personnel des dix organismes que vous avez cités, ces dix sociétés d'État bénéficiant d'un statut d'organisme à but non-lucratif perdrait leur droit à la protection des renseignements personnels, droit droit dont il bénéficie actuellement en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, advenant l'adoption du projet de loi C-224.

M. Phillips: C'est tout à fait exact, monsieur Harvard.

Le président: Si le projet de loi est adopté, le commissaire à la protection de la vie privée ne pourra absolument rien faire. Vous ne pouvez absolument rien pour le personnel de ces dix organismes.

M. Phillips: Bien entendu, s'il dépose une plainte au sujet de la divulgation des renseignements personnels, nous serons tenus defarie enquête. Cependant, nous devons observer la Loi.

Le président: Oui, mais si j'ai bien compris, ce projet de loi d'initiative privée aura, dans le cas de ces dix organismes, préséance sur la Loi sur la protection des renseignements personnels. C'est pourquoi je vous ai demandé si vous conserveriez malgré tout une certaine liberté d'action. J'ai l'impression que vous pourrez absolument rien faire.

M. Phillips: Vous avez raison, nous ne pourrons rien faire au sujet de la divulgation de leurs salaires.

Le président: Je voulais que ce soit dit clairement.

Madame Brushett.

.1135

Mme Brushett (Cumberland - Colchester): Merci, monsieur le président. Je vous remercie de me donner la possibilité de poser une question, même si je ne suis que de passage ce matin.

J'aimerais vous demander, en mon nom personnel et peut-être au nom des autres députés, de nous donner un peu plus d'information, si ce n'est pas trop abuser de votre temps, au sujet de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Quand cette loi est-elle entrée en vigueur et pourquoi s'est-il révélé nécessaire à l'époque d'établir deux catégories de fonctionnaires, la première bénéficiant de la protection des renseignements personnels et l'autre étant privée de cette protection?

M. Phillips: La Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels existe depuis 1982 ou 1983. Elle énonce un code de pratique équitable en matière d'information qui autorise le gouvernement du Canada à établir, utiliser, conserver et parfois divulguer des renseignements personnels sur les Canadiens et les Canadiennes. Elle ne touche pas, de manière générale, les organismes du secteur privé. Elle s'applique à la plupart des activités du gouvernement fédéral, y compris celles de quelques sociétés d'État, mais pas toutes.

La Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels prescrit somme toute une norme très simple. Le gouvernement du Canada peut seulement recueillir au sujet des Canadiens et des Canadiennes des renseignements sur certaines activités légales. Il doit expliquer aux Canadiens et Canadiennes pourquoi il recueille ces renseignements, qui ne peuvent servir qu'aux fins pour lesquelles ils ont été recueillis. Le gouvernement doit conserver ces renseignements dans une forme raisonnablement accessible pendant une période prescrite. Les personnes concernées par le projet de loi ont le droit de consulter ces renseignements et de les rectifier s'ils sont erronés. Si la correction proposée n'est pas acceptée par le ministère concerné, une note est annexée au dossier pour préciser que la personne désignée conteste la validité des renseignements recueillis sur son compte. Les renseignements ne peuvent être divulgués sans le consentement de la personne concernée sauf dans certaines circonstances précises qui sont toutes décrites dans la loi.

Enfin, si l'accès à vos informations vous est interdit, vous avez le droit de faire appel à la Cour fédérale pour les obtenir ou vous pouvez vous plaidre à moi-même de la manipulation des renseignements qui vous concernent. Nous examinons votre plainte et, dans certains cas, nous pourrons même vous représenter au tribunal.

Voilà qui décrit brièvement les pratiques qui ont cours dans plusieurs régions du Canada et dans d'autres pays du monde en matière de protection des renseignements personnels. Le gouvernement de l'Ontario et la province de la Colombie-Britannique ont des lois analogues. La loi se trouve renforcée par la présence du commissaire à la protection de la vie privée qui est chargé d'étudier les plaintes et de leur trouver une solution.

Je ne suis qu'un médiateur et je ne peux rien imposer à personne. Si je constate une anomalie à la suite d'une plainte, je peux présenter une recommandation au ministère concernée. Dans la vaste majorité des cas, nos recommandations sont acceptées. Mais il arrive que l'on ait de la difficulté à s'entendre et nous avons le droit de nous présenter devant les tribunaux dans les cas d'accès à l'information.

Dans certaines autres provinces, les commissaires ont un peu plus de pouvoir. En Colombie-Britannique et en Ontario, par exemple, ils peuvent émettre des ordonnances que les ministères sont tenus de respecter. D'après notre expérience, l'approche du médiateur adoptée par le Parlement s'avère excellente. Elle donne l'occasion d'aborder ces questions dans un contexte non contradictoire avec les fonctionnaires, afin de trouver un point d'entente raisonnable. Je trouve que la formule fonctionne assez bien.

Mme Brushett: Puis-je vous demander comment le Canada a-t-il pu s'en passer pendant cent ans?

M. Phillips: C'est une bonne question. Je suis en poste depuis quelque temps, mais je n'étais pas là au début. Je crois que l'information a une telle importance dans le monde où nous vivons que le Parlement a dû s'y intéresser, ainsi qu'à la question de la protection des renseignements personnels.

Deuxièmement, l'adoption de la Loi sur l'accès à l'information ayant donné au public canadien le droit de consulter les dossiers du gouvernements, il a fallu adopter parallèlement la Loi sur la protection des renseignements personnels, étant donné qu'une grande partie des informations contenues dans les dossiers du gouvernement sont de nature personnelle. Il est tout à fait compréhensible qu'une personne qui demande à avoir accès à certains dossiers du gouvernement ne puisse obtenir des renseignements personnels sur d'autres personnes, sans le consentement de celles-ci. Par conséquent, l'accès à l'information ne vas pas sans une certaine protection des renseignement personnels.

Mme Brushett: Les deux lois permettent donc un certain équilibre.

M. Phillips: Dans un sens, tous ces droits nécessitent un certain équilibre. Il n'existe pas de droit absolu. Par conséquent, nous cherchons constamment le bon équilibre.

Mme Brushett: Cette loi a-t-elle été réclamée par la population canadienne ou proposée par le gouvernement lui-même?

.1140

M. Phillips: Par l'un et par l'autre, à mon avis. Je crois qu'au cours des 25 ou 30 dernières années, la société est devenue de plus en plus complexe et l'on a éprouvé la nécessité de codifier les droits des gens dans le cadre de mécanismes de recueil de l'information qui se compliquent tout autour de nous. Il est fort dommage que nous n'ayons pas eu accès aux lois sur l'information au cours des cent premières années; nous en aurions eu besoin. C'est ce que je pense.

Dans mon travail de journaliste - et j'ai été journaliste ici même sur la Colline pendant près de 30 ans avant d'occuper mes fonctions actuelles - il m'est souvent arrivé à cette époque lointaine d'avoir bien du mal à m'acquitter de ma tâche parce que les ministres et les fonctionnaires des ministères avaient tous pouvoirs, dès qu'ils le jugeaient bon, de se cacher derrière un écran opaque. À mon avis, c'est la marque d'une démocratie ouverte, franche et en bonne santé que de permettre à la population d'avoir le droit de savoir ce qui se passe.

Mme Brushett: Je suis d'accord avec vous.

M. Shepherd (Durham): À ce point de vue, je me demande si la notion de vie privée est absolue ou relative. Il est évident que les parlementaires et que les gens qui agissent directement en tant que représentants de la population ont un niveau de vie privée différent de celui d'autres personnes au sein de l'administration. Il est possible qu'à la SRC et que dans le monde du spectacle, on traite à un niveau différent. Pensez-vous que le respect de la vie privée est un principe absolu ou qu'il est relatif selon les fonctions qu'on exerce?

M. Phillips: Il est bien évident que tout le monde ne s'attend pas à avoir la même vie privée, il faut bien l'avouer. Demandez au prince Charles, à la princesse Diana, au président des États-Unis ou à tous ceux qui sont assis autour de cette table.

Ce qu'attend raisonnablement une personne du point de vue du respect de sa vie privée est très certainement influencé par son mode de vie. Les gens du spectacle, dont le niveau de vie dépend en grande partie de l'acceptation du public ne s'attendent pas à ce que leur vie privée soit aussi bien repectée et, souvent, ils ne le souhaitent pas.

Les législateurs de notre pays s'attendent normalement à ce que l'opinion publique veuille en savoir suffisamment sur eux pour pouvoir se prononcer raisonnablement sur leur compétence dans leur travail. Cela vous oblige à fournir de nombreux renseignements personnels et privés. Par contre, une personne qui se contente de vivre tranquillement sa vie en exerçant des fonctions privées a des attentes différentes et, pourrait-on même dire, a des droits différents au respect de sa vie privée. Le niveau d'attente peut donc être très variable.

M. Shepherd: Est-ce que ce niveau d'attente varie selon qu'une organisation sollicite des fonds auprès du public en tant qu'organisme de charité, par opposition à la situation de l'entreprise privée? Peut-on soutenir raisonnablement que sa vie privée n'a pas à être respectée dans la même mesure?

M. Phillips: Les avis peuvent être différents, comme dans bien des domaines de ce genre. Il y a des gens qui vont soutenir qu'une personne ou un organisme bénéficiant de fonds publics doit s'attendre en conséquence à ce que l'on respecte moins sa vie privée. On peut toujours discuter pour savoir où tirer la ligne, et il ne m'appartient pas de le faire dans tel ou tel cas particulier. Je conviens toutefois avec vous qu'il y a différentes situations.

Le président: Merci, monsieur Phillips, d'être venu nous communiquer votre sagesse. Nous avons particulièrement apprécié votre intervention.

M. Phillips: J'aurais aimé vous être plus utile. J'espère revenir un jour devant votre comité pour discuter des autres dimensions du respect de la vie privée.

Le président: Je remercie aussi Holly Harris. M. Bélair a relevé la similitude entre votre nom et celui du président d'Air Canada. Toutefois, je suis prêt à parier, après vous avoir entendu prononcer quelques mots, que vous n'êtes pas né au Texas.

Nous allons nous arrêter pendant quelques minutes pendant que nous changeons de témoins.

.1145

PAUSE

.1148

Le président: Chers collègues, nous reprenons notre séance. Nous allons maintenant entendre plusieurs témoins qui appartiennent au regroupement des organisations nationales bénévoles.

Nous entendrons Rose Potvin, directrice générale du Regroupement des organisations nationales bénévoles. L'accompagnent Carol Faulkner, directrice nationale, Village d'enfants SOS Canada; Al Hatton, directeur des relations externes, YMCA du Canada; enfin, Ken Kyle, directeur, questions d'intérêt public, Société canadienne du cancer.

J'imagine que nous allons commencer par vous, madame Potvin.

Mme Rose Potvin (directrice générale, Regroupement des organisations nationales bénévoles): Oui, en effet.

Le président: Allez-vous faire tous les quatre un exposé ou est-ce que les gens qui vous accompagnent sont ici pour vous appuyer? J'aimerais avoir des précisions.

Mme Potvin: Monsieur le président, si vous le voulez bien, nous allons présenter notre exposé, avant tout pour qu'il soit consigné dans votre procès-verbal, même si nous l'avons déjà remis à tous les membres du comité hier, je crois. Je demanderais ensuite à mes collègues de répondre aux questions que vous voudrez éventuellement leur poser. Ça vous convient?

Le président: Allez-y.

.1150

Mme Potvin: Avant de commencer, je voudrais dire tout d'abord que je suis ici avec mes collègues en tant que membre du regroupement des ONB. Si je le dis, c'est parce que la plupart de nos membres ont décidé de ne pas comparaître devant votre comité en leur nom propre mais en tant que membres du regroupement des ONB; quant à Carol Faulkner, elle est membre de notre conseil d'administration. Pour ne pas engager trop de frais, nous avons demandé aux membres de notre conseil d'administration ainsi qu'à nos collègues résidant ici, dans cette ville, de comparaître devant ce comité. C'est pourquoi vous avez devant vous ce groupe.

Nos remarques préliminaires seront très brèves. Nous sommes très heureux d'avoir la possibilité de nous présenter devant vous. Notre intervention va se subdiviser en quatre points. Nous souhaitons vous dire qui nous sommes, pourquoi nos membres, dans leur grande majorité, ont souhaité ne pas de présenter devant votre comité, pourquoi nous nous objectons à ce projet de loi et, finalement, nous souhaitons vous présenter une solution de rechange qui, selon nous, permettra de garantir exactement ce que vise ce projet de loi.

Tout d'abord, le Regroupement des organisations nationales bénévoles est un organisme de coordination à but non lucratif qui fait la promotion du bénévolat et rehausse l'image du secteur canadien du bénévolat et des organismes de bienfaisance. Pour simplifier, nous n'avons pas le statut d'organisme de charité; nous sommes une organisation à but non lucratif. La plupart de nos membres n'ont pas le statut d'organisme de charité. L'une de nos principales fonctions est de parler en leur nom parce que, dans leur grande majorité, ce ne sont pas des groupes de pression et ils ne font pas de lobbying.

Le secteur du bénévolat et des organismes de bienfaisance constituent un élément vital de l'infrastructure sociale de ce pays, je suis sûr que vous le savez tous. Il dispense à la société canadienne des services non rémunérés équivalant à 13 milliards de dollars qui, s'ils étaient versés, dépasseraient les salaires consentis dans plusieurs secteurs industriels canadiens majeurs, notamment ceux du pétrole, des forêts et des mines. Il recueille des contributions en espèces et en temps équivalant à 55 milliards de dollars ou à 8 p. 100 du PNB. On dénombre 6 millions de bénévoles au Canada qui fournissent 1 milliard d'heures de service par année, soit l'équivalent de 617 000 travailleurs à temps plein ou de la main-d'oeuvre combinée du Nouveau-Brunswick et de la Saskatchewan ou de 5 p. 100 de tous les travailleurs au Canada.

Pourquoi nos membres ne vous ont pas présenté d'observation? Il y a bien sûr l'exception à la règle; c'est le cas de l'Organisation nationale anti-pauvreté. Toutefois, la vaste majorité de nos membres sont des organismes de bienfaisance qui travaillent aux niveaux international, national, provincial et communautaire dans une variété de domaines allant de la santé et des services sociaux à l'environnement, la justice, les services jeunesse, l'éducation et l'aide internationale.

Voici quelques-uns de nos membres: la Société canadienne du cancer, les Clubs des garçons et filles du Canada, les Guides du Canada, l'Association canadienne des centres d'action bénévole, le Conseil canadien pour la coopération internationale, United Way/Centraide Canada et WMCA du Canada. La liste complète de nos membres figure dans ce document, intitulé «Défi 2000», que je vais remettre à la greffière au cas où quelqu'un vous voudrait le consulter. Je vais aussi déposer la liste des membres de notre conseil d'administration.

En vertu de leur statut d'organisme de statut de bienfaisance, ces groupes ne peuvent consacrer 10 p. 100 de leurs ressources à des activités de représentation non partisanes. La plupart d'entre eux ont choisi d'utiliser ces ressources afin de s'exprimer sur des questions ayant trait à leur raison d'être.

Ainsi, la Société canadienne du cancer, la Fondation des maladies du coeur du Canada et la Fondation candienne des maladies du rein pourraient comparaître devant un comité parlementaire afin d'exprimer leur point de vue sur une question touchant à la santé. Les Clubs des garçons et filles du Canada, le WMCA du Canada et les Guides du Canada pourraient comparaître devant un comité étudiant la loi afférente au Service jeunesse. Le Conseil canadien pour la coopération internationale, USC Canada et d'autres groupes internationaux exprimeraient, quant à eux, leurs vues sur les questions touchant à l'aide internationale, et ainsi de suite en passant en revue toute la liste de nos membres.

En règle générale, ces groupes ne comparaîtraient pas devant ce comité parce qu'ils ne voudraient pas consacrer de ressources à une question qui pourrait être considérée par le public comme étant secondaire par rapport à leurs objectifs principaux. Ils ne voudraient pas non plus apparaître comme des goupes qui veulent uniquement servir leurs intérêts.

Pourquoi nous objectons-nous au projet de loi C-224? À l'instar d'autres groupes qui ont comparu devant ce comité, nous n'avons aucune objection au principe de divulgation et d'une transparence accrue. Enfin, lorsque ce projet de loi a été discuté lors d'une réunion du Conseil d'administration des ONB en février dernier, nous étions parvenus à la décision que nous ne vous demanderions pas de comparaître devant vous. La raison en était que nous savions que nous n'avions rien à cacher et que la transparence ne posait pour nous aucun problème.

Cependant, après avoir écouté les débats de votre comité, les 2 et 4 mai, nous nous sommes rendu compte que ce projet de loi représentait un problème sérieux pour nous. Il s'agit en fait d'une réaction démesurée face à un problème perçu comme en étant un de reddition de comptes et qui jette le doute sur la crédibilité, l'intégrité, la capacité et les pratiques de gestion de milliers d'agences et d'organismes bénévoles et de bienfaisance partout au Canada. Il en résulterait une bureaucratie inutile et de la paperasserie supplémentaire pour ces organismes de même qu'une augmentation des coûts à un moment où le gouvernement réduit ses subventions et sabre dans les programmes alors que la conjoncture se prête à une demande accrue de travail bénévole.

.1155

L'écrasante majorité des organismes auxquels la plupart des Canadiens confient leurs charitables dollars et donnent de leur temps, sont gérés de façon très efficiente et dispensent des services important dont le besoin ne fait nul doute. Si le projet de loi C-224 est adopté, certains donateurs et bénévoles pourraient cesser de faire don de leur argent et de leur temps aux organismes de bienfaisance croyant que la seule raison qu'ait eu le gouvernement d'adopter une telle loi est qu'ils détenaient la preuve de la généralisation de la mauvaise gestion dans le secteur bénévole. Or, cela est manifestement faux, injuste et il faudra peut-être des années pour réparer le tort ainsi causé au secteur.

Ce que le secteur du bénévolat attend du gouvernement, c'est un cadre politique qui l'appuie et qui encourage les dons de nature philanthropique, et nous attendons surtout qu'il n'ajoute pas foi aux allégations non fondées d'abus généralisé.

Nous nous objectons également au projet de loi pour une autre raison. Pourquoi celui-ci vise-t-il les organismes de bienfaisance et sans but lucratif? La raison invoquée suggère que les organismes de bienfaisance et sans but lucratif tirent avantage du gouvernement en raison de leur statut d'organismes de bienfaisance et de l'exonération d'impôt dont ils jouissent. De nombreuses sociétés et entreprises de même que des partis politiques bénéficient de subventions gouvernementales, d'exonérations fiscales, de subventions salariales et d'autres formes de largesses gouvernementales. Pourquoi ne sont-ils pas visés par ce projet de loi?

Si le gouvernement du Canada croit qu'il y a lieu d'exiger plus de transparence dans le secteur des organismes de bienfaisance et sans but lucratif, il existe, selon nous, une façon directe et peu coûteuse de recueillir les informations requises sans qu'il soit nécessaire de déposer une nouvelle loi. Il s'agit tout simplement de demander au ministre du Revenu national d'apporter des modifications mineures au formulaire de déclaration annuelle. À l'heure actuelle, les organismes de bienfaisance remplissent la déclaration annuelle appelée T3010. Sur celle-ci, on pourrait demander des renseignements sur le salaire versé aux cadres supérieurs. La question qui y est actuellement posée est ambiguë et, par voie de conséquence, rares sont ceux qui y répondent.

Les organismes sans but lucratif remplissent également un formulaire de déclaration: le T1044. On pourrait le modifier de façon à demander des renseignements semblables. Par la suite, la déclaration pourrait devenir un document public. La pénalité découlant de l'inobservation - le défaut de remplir toutes les sections des formulaires - pourrait, après un avertissement raisonnable, correspondre à la perte du statut d'organisme de bienfaisance ou à la perte du statut d'exonération fiscale.

Voilà la solution de rechange que nous proposons et cela met fin à nos remarques préliminaires. Nous serons heureux de répondre à toutes vos questions. Merci.

Le président: Merci bien, madame Potvin.

Nous allons donner la parole au Bloc. Monsieur Sauvageau, vous disposez de sept minutes.

[Français]

M. Sauvageau: J'ai quelques questions à poser. D'abord, bonjour, madame Potvin, messieurs et madame.

J'écoutais avec intérêt votre présentation. Au niveau de la pratique quotidienne, si ce projet de loi-là était mis de l'avant, quel effet aurait-il sur les plus petits organismes bénévoles de charité et les OSBL, les organismes sans but lucratif? Est-ce qu'on assisterait alors à la disparition de quelques organismes ou est-ce que ça affecterait le travail quotidien de ces organismes-là? C'est ma première question. J'en aurai quelques autres à poser par la suite.

[Traduction]

Mme Potvin: C'est Carol qui appartient ici à la plus petite organisation. Elle pourra peut-être vous répondre.

Mme Carol Faulkner (membre du conseil d'administration, Regroupement des organisations nationales bénévoles): Nous sommes une toute petite organisation et, sur le plan du travail quotidien, cela signifie tout simplement davantage de formulaires, plus d'administration et des coûts administratifs plus élevés, ce qui est très important pour nous.

Il y a aussi le fait que, quand on n'en voit pas l'utilité, pourquoi imposer une fois de plus un contrôle? Cinq ou six organismes différents se chargent à l'heure actuelle de vérifier nos comptes et on ne voit pas pourquoi il faudrait ajouter un autre contrôle alors que nous avons l'impression d'ores et déjà de donner ces renseignements.

[Français]

M. Sauvageau: Comme la plupart des députés, et je dis cela sans mauvaise foi, je suis sollicité de plusieurs façons par les organismes bénévoles, les organismes sans but lucratif, qui viennent souvent me voir à mon bureau. On voit que les plus petits organismes ont de la difficulté à joindre les deux bouts. Vous nous avez dit tantôt, si j'ai bien compris, que plusieurs organismes ont déjà des difficultés et qu'il vous faudrait prendre une bénévole pour faire la gestion de cette nouvelle loi qui vise à faciliter le travail du gouvernement. C'est de cette façon-là que ce serait administré dans des organismes comme le vôtre. Est-ce que c'est exact?

[Traduction]

Mme Faulkner: C'est un membre du personnel et non pas un bénévole qui se charge en fait de ce travail. Il y aurait donc des frais supplémentaires en raison du temps qui y serait consacré.

[Français]

M. Sauvageau: Vous avez aussi dit qu'il en résulterait des coûts supplémentaires pour le gouvernement s'il implantait ce genre de chose. Vous dites que le gouvernement va devoir créer un palier administratif pour gérer ce genre de chose.

.1200

Est-ce que votre association a fait une estimation pour savoir combien il lui faudra de personnes? On a vu cela pour la TPS, par exemple. Est-ce que, de votre côté, vous avez estimé les coûts d'application de cette loi pour le gouvernement?

[Traduction]

Mme Potvin: Vous n'avez pas eu connaissance des chiffres?

M. Al Hatton (membre du Regroupement des organisations nationales bénévoles): Non. Je regrette, Rose.

Mme Potvin: Selon les chiffres que nous a communiqués Revenu Canada - je crois d'ailleurs que vous les avez reçus le 2 mai ou juste un peu avant - il me semble que selon les estimations il faudra environ 5 à 6 millions de dollars pour créer un nouveau service chargé de recueillir ces renseignements et de contrôler l'application de cette loi. C'est ce que j'ai compris.

[Français]

M. Sauvageau: Donc, cela coûterait plus cher à l'État, plus cher à vous et plus cher à tout le monde.

Mme Potvin: Oui, absolument.

M. Sauvageau: Merci.

[Traduction]

M. Epp (Elk Island): Je tiens à vous remercier tous d'être venus ici aujourd'hui. Je commencerai par dire que je suis tout à fait en faveur des organismes de charité, de la philanthropie et du bénévolat. J'ai pris part aux activités de ce secteur pendant de nombreuses années, aussi bien en tant que donateur qu'en tant qu'intervenant au sein des organisations.

Il est certainement pas dans mon intention, en appuyant ce projet de loi, de déclarer que nous voulons faire quoi que ce soit pour vous empêcher de faire votre travail. Toutefois, je suis par ailleurs un ferme partisan du devoir de rendre des comptes.

J'ai quelques questions à vous poser. Tout d'abord, croyez-vous sincèrement que cette mesure est draconienne; que l'on prend un fusil pour tuer une mouche? J'ai le sentiment que vous vous sentez quelque peu agressés et je ne voudrais absolument pas vous donner cette impression. Il y a de nombreuses excellentes organisations qui sont bien administrées, qui sont honnêtes et qui sont tout à fait comptables de leur argent.

Je tiens à dire simplement que si cette organisation existe, (a) je ne crois pas qu'elle va s'opposer à cette législation parce qu'elle n'a rien à cacher, et (b) que cette loi va en fait l'aider puisqu'elle pourra tirer la sonnette d'alarme sans avoir l'air d'y toucher étant donné qu'elle sera tenue de rendre compte de toutes ces choses.

Il y a toutefois des organisations, c'est indéniable, qui ne font pas le poids dans ce domaine et il y en a d'autres qui, comme elles n'ont pas d'actionnaires et qu'elles ne peuvent pas faire de bénéfices, contournent tout simplement la difficulté, lorsque l'année a été bonne, en versant à leur personnel des salaires et des primes en conséquence, et j'estime qu'il faut que cela se sache.

Avez-vous une objection à ce que cela se sache? Si vous n'en n'avez pas, pourquoi ne pas le faire?

Mme Potvin: Je vais demander à d'autres que moi de vous répondre, mais j'aimerais tout d'abord que vous me donniez une précision. Avez-vous la preuve qu'il y a des organisations charitables qui, à la fin de l'année, concède à leur personnel des primes lorsqu'il leur reste trop d'argent? Est-ce que vous en avez la preuve?

M. Epp: Je n'en n'ai pas la preuve, mais je m'en doute.

Mme Potvin: D'accord, mais vous ne le savez pas sans l'ombre d'un doute.

M. Epp: Non.

Mme Potvin: Parce que je n'en n'ai certainement pas entendu parler.

Ken Kyle, voulez-vous répondre à cette question?

M. Ken Kyle (membre du Regroupement des organisations nationales bénévoles): Bien sûr. Je vais prendre le point de vue d'une organisation charitable dans le secteur privé.

La Société canadienne du cancer ne touche aucune subvention et aucun crédit du gouvernement; d'ailleurs, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, où le gouvernement est le principal bailleur de fonds de la recherche contre le cancer, au Canada, les principaux crédits de recherche dans la lutte contre le cancer proviennenit de la Société canadienne du cancer.

Oui, les Canadiens bénéficient de crédits d'impôt lorsqu'ils font des dons de charité à la Société canadienne du cancer et à d'autres organismes, et cela pour d'excellentes raisons. Nous considérons que c'est là une façon plus efficace de faire de la recherche contre le cancer ou de la recherche médicale et en matière de santé. Toutefois, je pense que si ce projet de loi était adopté, nos bénévoles se demanderaient pourquoi les députés s'en prennent en ce moment aux organismes de charité dans le secteur de la santé. Toutes les organisations ne devraient-elles pas être traitées sur le même pied? S'il doit y avoir ce degré de transparence, ne doit-il pas s'appliquer à tout le monde?

Il peut y avoir des problèmes dans tous les secteurs mais, à notre avis, ce ne sont pas des organisations comme la Société du cancer qui posent des problèmes au Canada; ce sont les sociétés multinationales qui vendent des produits qui incitent nos enfants à la dépendance, qui les rendent malades, etc. Je veux dire par là qu'il faut voir la situation dans son ensemble.

Nos bénévoles, qui se considèrent comme des travailleurs du secteur privé, vont se demander pourquoi le gouvernement s'immisce dans leurs vies, pourquoi il veut obtenir ce genre de renseignement.

M. Epp: Très bien, mais ne pouvez-vous pas aussi voir la chose d'un autre point de vue? Vous faites partie de la Société canadienne du cancer?

M. Kyle: Oui, de la Société canadienne du cancer.

.1205

M. Epp: Je ne vois pas pourquoi, en tant que donateur à la Société canadienne du cancer, il me serait interdit de voir que vous payez votre directrice générale 185 000$ par an. Pourquoi cela devrait-il demeurer un secret?

M. Kyle: Chaque année, notre conseil d'administration national effectue l'évaluation du rendement de notre directrice générale et examine son salaire. À ce conseil siège les vice-présidents de quelques unes des banques et des cabinets d'experts-comptable les plus importants de notre pays. Nous avons en place des mécanismes de comptabilisation pour tout cela. Je crois que la transparence existe. N'importe quel Canadien peut obtenir notre rapport annuel, assister à nos réunions annuelles, etc.

Je crois que d'une façon générale, la question que se poserait nos membres serait: Pourquoi est-ce nécessaire, pourquoi cette atteinte à la vie privée? Il y a d'autres façons de traiter ce genre de question. S'il y a des cas d'abus isolés, il y a bien certainement des mécanismes qui permettent de les régler sans que tout soit porté sur la place publique.

M. Epp: N'est-ce pas une atteinte à ma vie privée de contribuable si le gouvernement, du fait du caractère coercitif des impôts, peut me prendre de l'argent pour vous le donner. On vous a littéralement donné le droit de dépenser mon argent, puisque chaque fois que vous remplissez un reçu de don charitable...

M. Kyle: En effet.

M. Epp: Pour chaque reçu de 1 000$, vous dépensez 290$ de mon propre argent. C'est donc une atteinte à ma vie privée s'il m'interdit de savoir où va mon argent, à quoi il sert.

M. Kyle: Oui, M. Epp, je comprends ce que vous voulez dire, mais toutes les mères au Canada bénéficient d'avantages fiscaux; les étudiants qui vont à l'université - je crois que c'est le secteur auquel vous appartenez - peuvent se faire rembourser une partie de leurs frais de cours, etc. Il est donc logique que les députés qui soutiennent ce projet de loi considèrent que presque tous les Canadiens devraient divulguer le montant de leur salaire.

Mme Potvin: Permettez-moi de revenir en arrière: nous ne disons pas du tout que nous ne voulons pas divulguer nos salaires. Ce que nous disons, c'est que nous voudrions qu'ils apparaissent sur les formulaires que nous remplissons au lieu de faire l'objet d'une nouvelle loi.

M. Epp: Oui. Franchement, je crois qu'un amendement de ce genre est justifié, car nous voulons que le système soit efficient.

Mme Potvin: Al Hatton voudrait dire quelques mots à ce sujet. Est-ce possible?

M. Hatton: M. Epp, vous avez commencé par parler de tout ce qu'il y a derrière ceci et vous avez demandé si le secteur avait l'impression d'être assiégé. Pas exactement, mais je crois que ce projet de loi abrite certains sous-entendus et qu'on laisse entendre - comme l'indique même la discussion actuelle - à notre avis, qu'il y a beaucoup d'abus, que les oeuvres de charité ne sont pas transparentes ni responsables. Je crois que c'est là que gît le problème. C'est une question d'échelle.

L'information requise en ce qui concerne les échelles de salaire ou les salaires exacts des directeurs généraux, par exemple, ou des trois ou quatre cadres supérieurs d'un organisme, est une chose. Cela va permettre de régler le problème.

L'impression existe cependant que derrière tout cela, il y a beaucoup d'abus, que les oeuvres de charité sont mal gérées, que leurs cadres supérieurs touchent des salaires très élevés. En fait, si vous faites une analyse de la situation, si vous vous donnez la peine d'en discuter avec les membres du secteur, vous vous apercevrez que c'est l'inverse qui est vrai.

Monsieur, vous m'avez demandé quel est l'impact sur le secteur et je vous répondrai que celui-ci ne se sent pas menacé par des projets de loi tels que celui-ci: ce qui pèse sur lui c'est la pression exercée au niveau communautaire où il est obligé de servir de plus en plus de personnes avec de moins en moins de ressources. C'est là la réalité.

Il nous incombe donc de nous montrer de plus en plus efficient, d'utiliser l'argent, qu'il vienne du gouvernement, des programmes et des services que nous dispensons, ou des dons du publics, de la manière la plus efficiente possible. C'est ce à quoi nous devrions consacrer nos efforts, au lieu de gaspiller notre temps à toutes ces autres choses.

Si vous interrogiez les conseils d'administration - je sais que dans notre organisation, tous les YMCA doivent se soumettre à des vérifications. Nous devons soumettre un rapport annuel pour chaque subvention du gouvernement. Tous les trois ans, nous sommes soumis à une vérification officielle par un cabinet d'audits désignés par le gouvernement ou par le ministère. Nous recevons régulièrement la visite de chargés de projets qui viennent vérifier la manière dont l'argent est dépensé. Voilà le contexte nouveau dans lequel nous opérons.

M. Epp: Mais il n'y a rien dans les règlements gouvernementaux qui disent que vous ne pouvez pas verser à vos cadres supérieurs les salaires que vous voulez, et qu'aucune divulgation n'est requise.

M. Hatton: Mais dans le cas de...

M. Epp: Ces données font l'objet de rapports au gouvernement, mais une fois reçues, en vertu du Règlement pour la protection de la vie privée, elles ne peuvent pas être rendu publique.

M. Hatton: Et dans le cas d'un organisme tel que le nôtre, par exemple, nous ne recevons que peu d'argent du gouvernement. Je crois que vous allez vous apercevoir que de plus en plus d'oeuvres de charité obtiennent de moins en moins d'argent du gouvernement. En fait, la majorité de leurs ressources proviennent de nombreuses autres sources.

.1210

Je crois que ce qui est sous-entendu dans ce projet de loi, c'est que beaucoup de personnes qui travaillent dans le secteur des organismes bénévoles et des oeuvres de charité gagnent beaucoup d'argent. Mais il n'en est rien.

Le président: Le temps dont nous disposions pour cette série de questions est épuisé. J'en ai cependant une, qui relève du domaine de l'éthique et qui porte sur la manière dont vous fixez vos salaires.

Entre-t-il dans les attributions de Revenu Canada de vérifier vos livres et de décider si vous payez vos cadres trop ou trop peu?

Mme Potvin: Revenu Canada nous demande cette information, mais ne porte pas de jugement. Le ministère ne nous dit jamais: «il est énorme, ce salaire!» Ou, «il est bien bas!» Les chiffres sont tout simplement là et ils sont publics puisqu'ils apparaissent dans le formulaire T-3010.

[Français]

M. Bellemare (Carleton - Gloucester): Madame Potvin, j'ai un préjugé en faveur des bénévoles. Lorsque je fais dans ma circonscription des discours qui s'adressent aux bénévoles, je dis qu'ils font du bien et je ne les soupçonne pas d'être une bande de bandits.

Je dois vous féliciter pour votre présentation. Elle est extrêmement bien faite et elle est courte. On n'a pas besoin de s'arrêter au bout de trois pages parce qu'il en reste encore 44 autres. On a l'essentiel.

Je trouve que le projet loi - je vais le répéter et mon collègue va peut-être être offensé encore une fois - est une chasse aux sorcières. Vous voyez immédiatement où j'en viens.

D'abord, j'aimerais vous poser quelques courtes questions. À la page 2, vous mentionnez qu'on dépense 13 milliards de dollars pour des levées de fonds, qu'il y a un certain nombre de personnes qui font des levées de fonds. En somme, vous donnez des statistiques. Ce sont des statistiques très intéressantes pour les députés, parce qu'on peut maintenant se servir de vos données, mais quelles sont vos sources?

[Traduction]

Mme Potvin: Les statistiques données dans ce document proviennent toutes d'une étude que Statistique Canada a effectué dans le secteur du bénévolat en 1987. Aucune autre étude n'a été faite depuis et nous ne disposons donc pas de chiffres plus actuels.

[Français]

M. Bellemare: Avec un beau nom comme Rose Potvin, vous n'êtes pas francophone?

Mme Potvin: Oui, je suis francophone, mais quand je suis devant des députés comme vous, je suis un peu énervée. Alors, je préfère parler en anglais puisque c'est ma langue maternelle.

M. Bellemare: Bravo, madame! Mais n'ayez pas peur de nous, car nous sommes des gens très ordinaires.

Mme Potvin: Même votre collègue à votre gauche?

M. Bellemare: Je vais vous dire que vos objections, je les trouve très acceptables. En ce qui a trait aux solutions de rechange, c'est là que votre présentation est la plus forte. Vous me donnez une solution et je crois que c'est «la solution».

Permettez-moi, cependant, de me faire un peu l'avocat du diable. Pour être entièrement honnête, si mon collègue avait eu l'occasion de poser une question,

[Traduction]

il vous poserait la question suivante, qui me paraît tout à fait valable. Ce n'est pas celle que je voudrais poser moi-même, mais je vais me faire, un instant, l'avocat du diable. Êtes-vous au courant de l'existence d'un scandale dans lequel des cadres supérieurs d'United Way sont impliqués aux États-Unis?

Il s'agirait d'une somme d'environ 1 million de dollars. On a souvent tendance à accuser le voisin; dans ce cas, ce sont les États-Unis. C'est le pays d'Al Capone et nous n'avons pas chez nous de personnage aussi haut en couleurs. Certains d'entre nous deviennent soupçonneux, en particulier ceux qui, comme les membres du parti Réformiste ont des liens affectifs très étroits avec les États-Unis. Ils nous donnent toujours des exemples de ce pays, comme celui du riche personnage qui entreprend une collecte de fonds pour une cause valable à laquelle tout ceux qui aiment les chats, par exemple, donneront de l'argent, si bien qu'au bout d'un certain temps cette personne qui a versée 100 000 dollars au départ, commence elle-même à faire de l'argent. En fait, il en fait une véritable opération commerciale.

.1215

Et puis il y a ceux qui détournent les fonds. On les retrouve à la une des journaux tels que notre Sun... Je n'ai pas d'affection particulière pour les États-Unis mais je ne connais pas les exemples de ce genre de situation.

Expliquez-moi cela.

Mme Potvin: Al, allez-y.

M. Hatton: Oui, c'est absolument vrai. C'est inacceptable. Ce n'est absolument pas la manière dont nous envisageons le fonctionnement d'un organisme, en particulier lorsqu'il s'agit d'une oeuvre de charité. Voici comment, je crois, que les choses se présentent: si un député commet une erreur, allez-vous dénigrer tous les autres? Si une entreprise se met dans une situation difficile, allez-vous juger que toutes les autres entreprises ont également commis une erreur?

Il existe un processus légal et il y a une série... tous les organismes doivent se plier à certains processus. En cas d'abus, les tribunaux peuvent intervenir. L'homme dont nous parlions a récemment été inculpé aux États-Unis et nous espérons que la même chose ne se produira pas au Canada. En tout cas, ce n'est pas acceptable.

Nous croyons à l'obligation d'assumer ses responsabilités, à la transparence et à l'ouverture. Plus vous êtes ouverts, plus la collectivité et vos pairs sont en mesure de décider si vous faites bien votre travail. Si ce n'est pas le cas, vous serez vite obligé de changer.

Oui, c'est en effet là un cas regrettable, mais il s'est produit. Il est réel, l'organisme concerné était scandalisé...

M. Bellemare: Mon collègue vous dirait cependant peut-être que le mot clef de votre réponse était «espérons-le». Pour répondre à mon collègue, que devrions-nous faire pour nous protéger, en tant que donateur contre une situation dans laquelle «espérons-le, quelqu'un ne va pas détourner les fonds»? Comment nous protéger?

M. Hatton: Il existe des mécanismes qui imposent le respect des responsabilités; c'est le cas des conseils d'administration de chacun des organismes dont nous parlons. Il est impossible d'obtenir le statut fiscal d'association de bienfaisance sans avoir un conseil d'administration. C'est une préoccupation importante de notre secteur qui organise constamment des programmes de formation sur la gestion publique: Quel est le rôle d'un conseil d'administration, que signifie la responsabilisation? Chaque année, tous nos organismes sont soumis à des vérifications. Ils existent différents mécanismes qui les obligent à rendre des comptes.

Au fur et à mesure que les ressources disponibles diminuent pour tout au sein de la collectivité, l'obligation de transparence et de réddition des comptes jouera un rôle de plus en plus important. À mon avis, nous devrions concentrer nos efforts sur les moyens de produire plus avec moins plutôt que de nous omnubiler sur des abus d'ailleurs peu nombreux et sur l'établissement de lois qui visent ces situations mais négligent le reste, par exemple la création d'un climat qui encourage les gens à mieux faire avec moins, à faire plus avec moins. Je crois que c'est cela qui devrait être l'objectif.

M. Bellemare: Autrement dit, ce qu'il faut faire c'est de créer un état d'esprit généreux au lieu d'un état d'esprit soupçonneux.

M. Hatton: C'est ainsi que nous voyons les choses.

M. Bellemare: Bravo.

Mme Potvin: Je voudrais ajouter un mot à cela, M. Bellemare. Notre conseil d'administration est composé de 14 personnes. Je suis la seule employée à l'ONV. Si je détourne des fonds et suis prise la main dans le sac, chacun de ces 14 membres est individuellement responsable de la restitution de l'argent volé. Si on nous intentait des poursuites et s'il n'y avait pas d'argent liquide, ils seraient obligés de vendre leur maison pour restituer l'argent. Ils me surveillent donc très attentivement.

M. Bellemare: Pour terminer, je voudrais poser une question très brève. Rose, combien gagnez-vous?

Mme Potvin: Je gagne 250$ par jour pour chaque journée de travail. Je travaille à contrat.

M. Bellemare: Si je vous ai posé la question c'est que je voudrais savoir si vous divulgueriez cela aux autorités appropriées?

Mme Potvin: Je suis prête à le dire à n'importe qui.

Je voudrais vous parler de cela un instant si vous me le permettez, car cela m'a un peu irrité lorsque le 2 ou le 4 mai, M. Epp annonçait à ce groupe qu'il gagnait 64 000$.

C'est bien cela? Oh, 64 400$.

Je suis rentrée chez moi et j'ai multiplié 250$ par jour par cinq jours par semaine puis par52 semaines, ce qui donne environ 64 400$.

Donc, si ce que je vous dis est publié dans les journaux, on dira que je gagne exactement la même chose que M. Epp alors que, dans la pratique, il gagne deux fois plus. Comme je travaille à contrat, on me paie 250$ par jour si je travaille. Il me suffit de prendre deux ou trois semaines de vacances par an pour tomber en dessous de 60 000$. À cela s'ajoute les 10 ou 11 jours fériés, ce qui m'amène à 55 000$ environ. Je ne bénéficie d'aucun avantage social: rien sur le plan de la santé, aucune assurance, rien. Si je veux me préparer pour la retraite il faut que j'achète un REÉR, ce qui fait 5 000$ de moins.

En réalité, mon salaire est d'environ 46 000$ par an. C'est ce que je gagne, sans aucun congé de maladie, sans rien. Un point c'est tout.

M. Epp touche 64 400$ plus 27 000$ d'indemnités non-imposables. Et il bénéficie, en plus d'un régime de retraite très généreux, de repas subventionnés et d'une foule d'autre chose. Il gagne le double de ce que je gagne. Pourtant, dans les journaux ils vont annoncer que je gagne autant que lui. C'est tout à fait injuste, mais c'est ce qui va se produire. Franchement, cela m'importe peu, cela ne m'empêchera pas de dormir.

M. Bellemare: À mon avis, vous êtes sous-payée et il est sur-payé.

.1220

Le président: J'ai une question à poser à propos des déclarations T3010 et T1044.

Dans votre introduction, madame Potvin, vous avez dit que la déclaration T3010, concernant les oeuvres de bienfaisance, pourrait être aisément modifiée afin d'obtenir de plus amples renseignements. Je suis d'accord mais vous ajoutez que la déclaration T1044 aussi pourrait être modifiée pour obtenir plus de renseignements.

À mon avis, ce n'est pas possible. Les organismes sans but lucratif sont mieux protégés que les oeuvres de charité. Vous ne pouvez pas invoquer les mêmes arguments en faveur des premiers. Avez-vous des remarques à faire?

Mme Potvin: En fait, je me suis renseignée auprès de votre recherchiste car je savais qu'il était en contact avec Revenu Canada. Je lui ai demandé si c'était faisable.

Est-ce bien à vous que j'ai parlé au téléphone?

Le président: Vous vous adressez à Eric Adams.

Mme Potvin: Bien. Je suis heureuse de faire votre connaissance. Nous nous sommes parlés au téléphone.

Si je comprends bien, le ministre du Revenu national devrait poser la question à M. Martin, le ministre des Finances, à qui il appartiendrait de prendre la décision au sujet de la transparence de la déclaration. Le ministre du Revenu national lui demanderait de bien vouloir apporter une modification, ce qui est possible sans l'adoption d'une nouvelle loi - puisqu'il s'agit d'un Décret en Conseil - afin de rendre ce document public et d'y ajouter cette information.

Le président: Je crois que c'est une question qui n'est pas encore réglée, mais nous obtiendrons certainement de plus amples renseignements des représentants de Revenu Canada lorsqu'ils comparaîtront mardi. Il est ici question de la Loi de l'impôt sur le revenu.

En tout cas, merci. Je pensais que vous auriez peut-être une réponse plus précise à me donner.

[Français]

M. Sauvageau: Je ne veux pas me faire d'ennemis, mais je crois que vous avez dit dans votre présentation que vous avez cru bon de venir ici... Dans sa présentation, mon collègue nous a laissé entendre que les bons organismes ne pouvaient pas s'opposer, mais vous vous opposez. C'est peut-être un sophisme, mais ce qu'il laissait entendre, c'est que vous étiez de mauvais organismes. Ce n'est pas ce que je pense, mais c'est ce qui a été dit.

Votre présence ici vient donc confirmer ou appuyer le fait qu'il est nécessaire de défendre les intérêts pour que des perceptions comme celle qu'on a vue ne se répètent pas. Il y a des perceptions. À mon grand étonnement, j'en vois beaucoup ici ce matin, et cela me déçoit énormément.

Pour ma gouverne personnelle, est-ce que les salaires de ces gens-là, qu'on veut rendre publics par une loi, sont disponibles pour la population par le biais de la Loi sur l'accès à l'information ou si c'est un secret d'État aussi bien gardé que la recette de la bombe atomique?

[Traduction]

Mme Potvin: En ce moment, les salaires des cadres supérieurs doivent être indiqués dans la déclaration T3010 à la rubrique «cadres et directeurs», c'est-à-dire notre conseil d'administration. C'est pourquoi la confusion règne à ce sujet. Si cette rubrique devait être remplie au sens où l'entend Revenu Canada, je crois que ce serait un chiffre global. On indiquerait, par exemple, 330 000$ pour les salaires des cadres supérieurs, sans préciser le salaire de chacun.

Nous demandons que cette rubrique soit rendue plus claire. Ce serait le seul moyen de rendre publique cette information.

[Français]

M. Sauvageau: Est-ce que vous devez remettre des rapports annuels?

Mme Potvin: Oui.

M. Sauvageau: Est-ce qu'il y a une colonne où la masse salariale est indiquée et où le public peut voir le montant de la masse salariale des différents organismes?

Mme Potvin: Non. Les rapports sont tous publics. Dans notre cas, puisque je suis la seule employée, ce que je gagne est absolument clair. Dans les autres cas, cela fait partie d'un total.

.1225

[Traduction]

Al, avez-vous vous-même ou quelqu'un d'autre, une remarque à ajouter? Excusez-moi; j'accapare le micro.

M. Hatton: C'est absolument vrai. Il y a une rubrique sous les dépenses où les salaires et les avantages sociaux sont tous indiqués. Absolument.

[Français]

M. Sauvageau: Trouvez-vous un peu aberrant le fait qu'on veuille absolument s'acharner sur les organismes à but non lucratif? Je vous donne un exemple. Je fais un peu de politique et je m'en excuse. On se défile devant des aberrations comme le sang contaminé ou devant d'autres projets qui sont beaucoup plus importants et sur lesquels les parlementaires pourraient se pencher pour faire avancer la société de façon constructive, et on étudie plutôt des choses comme celle-là.

Mme Potvin: Au lieu de dépenser des millions de dollars pour savoir ce que je gagne, vous n'aviez qu'à me le demander. Et c'est la même chose en ce qui a trait à nos autres membres.

M. Sauvageau: Merci. Je n'ai pas d'autres questions à poser.

[Traduction]

Le président: Au cas où il y aurait eu malentendu, monsieur Sauvageau, ma remarque s'adressait à Mme Potvin et non à vous. Autrement dit, je...

M. Sauvageau: Je comprends. Pas de problème.

M. Duhamel: je voudrais confirmer très brièvement des éléments d'information que je crois avoir. Je voudrais citer votre troisième paragraphe, «Pourquoi nous objectons-nous au projet de loi C-224»? Voici ce que vous dites:

J'ai des remarques à faire. Premièrement, croyez-vous qu'il est vrai que la plupart des organismes qui donnent beaucoup de leur temps sont gérés de manière efficiente? En avez-vous des preuves? Pourquoi êtes-vous parvenu à cette conclusion? En fait, je partage votre opinion, mais est-elle uniquement fondée sur l'intuition?

M. Hatton: Le moment n'est pas particulièrement bienvenu de le dire, étant donné ce qui se passe à CARE, mais je dirais qu'en général, c'est très rare.

Comme je le disais plus tôt, ces organismes sont parfois privés, parfois publics. Cela dépend de l'organismes dont vous parlez. Il y a relativement très peu de scandales. Très peu d'organismes importants, ou même d'organismes petits ou moyens, se sont révélés incompétents et corrompus.

M. Duhamel: Merci, je reconnais qu'il était assez délicat de poser cette question en ce moment. Mais cet organisme n'a pas encore été reconnu coupable, il ne faut pas l'oublier.

M. Hatton: Exactement.

M. Duhamel: Deuxièmement, vous êtes tout à fait convaincu que si ce projet de loi était adopté...les donateurs ne disparaîtraient pas complètement, mais il y en aurait moins. Peut-être quelqu'un peut-il m'expliquer pourquoi vous êtes parvenu à cette conclusion.

Mme Potvin: Je vais vous le dire. Je suis certaine que les députés que vous êtes faites la même chose, mais ce qui me permet de prendre contact avec la réalité c'est que je me rends deux fois par an à Kirkland Lake pour y rendre visite à ma mère. Lorsque je suis là-bas, je bavarde avec les gens ordinaires, comme les mineurs du coin et je leur parle de ce genre de choses.

Il y a 30 ans que ma mère fait des collectes pour la lutte contre le cancer. Elle travaille également tous les matins pour le Parti libéral au moment des élections et a travaillé comme bénévole pendant trois décennies. Cela ne signifie pas, soit dit en passant, qu'elle a fait de moi un partisan du Parti libéral.

M. Duhamel: Je ne parviens pas à croire qu'elle a échoué.

Mme Potvin: Mais elle est très fidèle.

Si le Northern Daily News annonce que le gouvernement du Canada a été obligé d'adopter une loi pour contraindre les oeuvres de charité à divulguer les salaires de leurs cadres supérieurs, la réaction de ma mère sera de dire: «Mais que se passe-t-il donc dans ces organismes? Il faut qu'ils soient très mal gérés pour que le gouvernement consacre tant de temps et d'efforts à faire adopter un projet de loi. Je me demande si je vais continuer à faire des collectes pour la lutte contre le cancer en avril prochain.»

M. Duhamel: Vous avez également dit que vous croyez que si ce projet de loi était adopté, les coûts augmenteraient. C'est un calcul qui n'a pas encore été fait. Ne prenez pas cela comme une critique. C'est difficile. Cela dépend de l'organisme. Vous avez dit que vous faisiez également l'objet de vérification officielle et que c'était nécaissere, et vous avez proposé quelques solutions.

Le Commissaire à la protection de la vie privée qui a comparu juste avant vous, pensait que cela pourrait être interprété comme ingérence supplémentaire. Êtes-vous de son avis?

.1230

Mme Potvin: Personnellement, oui, mais je crois qu'il serait plus juste de ne fournir que des échelles de salaire. Cela me rappelle la déclaration que Lynne Toupin a faite devant vous le 4 mai 1995, je crois. Elle a dit que cela la place en situation d'infériorité si elle commence à négocier un autre emploi. Lorsqu'elle posera sa candidature, l'employeur qu'elle rencontrera sait qu'elle gagne 49 500$. Il sait donc combien lui proposer, ce qui ne serait pas le cas s'il n'y avait que des échelles de salaire. Je crois donc en effet qu'il y a là une ingérence indue. C'est en tout cas mon opinion, mais cela ne me dérange pas que vous procédiez de cette façon.

[Français]

M. Duhamel: J'ai posé toutes les questions que je voulais poser. Je vous remercie pour votre témoignage.

[Traduction]

M. Strahl: J'ai une ou deux remarques à faire et une question à poser. Comme M. Epp, je considère que les oeuvres de charité font en général un travail remarquable au Canada, et qu'on va leur demander, comme on l'a dit tout à l'heure, de faire encore plus avec moins, ce qui est probablement presqu'impossible; de toute façon, on serait tous soumis à des pressions encore plus fortes. Je tiens à préciser, pour commencer, que je suis très conscient de cela.

Deux ou trois choses ont été dites au cours de cette série de discussion qui méritent, à mon avis des éclaircissements. La première, c'est que nous étudions ce projet de loi non pas parce que nous menons une vendetta contre qui que ce soit, mais parce que la Chambre des communes l'a renvoyé devant nous et que nous n'avons donc pas d'autre choix. Nous étudions ce qui est indispensable d'étudier, et nous ne le faisons pas par esprit de vendetta mais parce que c'est notre responsabilité. N'interprétez donc pas cela comme une attaque personnelle.

Deuxièmement, le rôle d'un député, lorsqu'il pose des questions, n'est pas... Lorsque je vous demande pourquoi nous ne devrions pas faire telle ou telle chose, je ne révèle pas nécessairement la façon dont je voterai sur ce projet de loi, non plus que mes sentiements profonds. J'essaie simplement de déterminer si vos arguments sont vraiment justifiés. Donc, lorsque M. Epp dit qu'il gagne 64 400$ par an... M. Epp a renoncé aux bénéfices du régime de pension, par exemple, et il ne touchera donc pas un sou. Quoi qu'il en soit, toutes ces questions ont pour but de nous voir si vos arguments sont valables. Vous avez fait du bon travail, mais ne croyez surtout pas que ces questions révèlent de quelle façon je voterai. Je crois en fait qu'il est tout à fait probable que je vote contre, mais je veux jauger la valeur de votre argument.

Voilà les deux ou trois remarques que je voulais faire. Bien entendu, en ce qui concerne celles que M. Bellemare a faites au sujet du Parti réformiste, je sais que les libéraux ont en général tendance à copier les politiques sociales du gouvernement suédois, et je me garderai bien d'y faire obstacle.

Une voix: Vous avez dit cela sans rire.

M. Strahl: Je n'ai pas pu tenir tout à fait jusqu'à la fin.

Quoi qu'il en soit, maintenant que j'ai dit ce que j'avais sur le coeur, j'ai deux ou trois questions à vous poser. Vous ditez que si le projet de loi était adopté, les donateurs et bénévoles pourraients cesser de faire don de leur argent. Vous avez dit que CARE du Canada - n'est-ce pas là une coïncidence - fait toutes les premières pages des journaux et est obligé de se défendre. Qui sait comment tout cela se terminera. Mais n'est-il pas possible que l'opposition à ce projet de loi vous nuit plus que son soutien? Lorsque des gens vous disent qu'il n'y en a que pour CARE du Canada à la première page des journaux, dès le lendemain, il y a des gens qui vous disent qu'il ne faut surtout pas divulguer les échelles de salaire de vos cadres directeurs. À mon avis, vous serviriez bien mieux vos intérêts en disant que vous n'avez rien, que vous n'avez jamais rien eu à cacher et que vous êtes donc pour le projet de loi.

Qu'y a-t-il à redire à cela? Pourquoi ne pas considérer cela comme une bonne opération de relations publiques?

Mme Potvin: Nous voilà revenus au même point, je le crains, monsieur Strahl. Nous n'avons aucune objection à divulguer les salaires. Ce que nous ne voulons pas, c'est que cela nous soit imposé par une loi; nous voulons le faire dans le cadre de la loi actuelle, un point c'est tout.

Quelqu'un d'autre a-t-il une remarque à faire à ce sujet?

M. Kyle: Ce projet de loi sera examiné en détails à une réunion annuelle de la Société canadienne du cancer, la semaine prochaine, mais d'après les rumeurs chez les bénévoles, je n'ai rien relevé de positif. Nous sommes un organisme très «conservateur», et il s'agit simplement là d'une réaction de principe à l'ingérence accrue du gouvernement, alors qu'en fait nous ne recevons aucune aide financière, aucune subvention de lui. Nous sommes une oeuvre de charité du secteur privé et nous voulons pouvoir oeuvrer dans un contexte qui nous encourage à faire ce que nous faisons, au lieu d'être pris en cible. À mon avis, il y a des groupes à but lucratif qui ont probablement besoin d'une vérification beaucoup plus attentive que certains groupes de protection de la santé.

M. Strahl: Nous nous retrouvons donc maintenant aussi avec un groupe «conservateur». Excusez-moi, oubliez ce que je viens de dire.

Des voix: Oh, oh!

.1235

Mme Faulkner: Et ensuite il y a moi. D'abord, je ne crois pas que ce projet de loi changerait quoi que ce soit aux accusations portées contre CARE Canada. Deuxièmement, ce que vous avez dit au début est très juste. Nous comprenons votre point de vue. Mais encore une fois, en tant que bénévole dans une petite organisation, soucieuse d'éviter tout gaspillage de fonds, je trouve que ce projet de loi et l'étude du processus va coûter très cher aux contribuables. C'est une réaction qui m'est très personnelle.

M. Strahl: Laissez-moi répéter que bien des idées sont discutées au Parlement pour ensuite être jugées non valables.

J'ignore quel sera le sort de ce projet de loi, mais à mon avis il est important de ne pas se sentir visé personnellement. C'est notre devoir de discuster de beaucoup de choses ici, sans pour autant tout accepter.

Certaines organisations cadres, la Canadian Council of Christian Charities, ainsi que la vôtre, d'ailleurs, ont élaboré leur propre code d'éthique. Croyez-vous que cela devrait satisfaire les Canadiens ou croyez-vous plutôt que chaque organisation cadre devrait établir ses propres critères en matière de divulgation, etc.? C'est en fait le cas à l'heure actuelle, mis à part les critères juridiques. Est-ce suffisant?

Mme Faulkner: Permettez-moi de répondre. Certaines des coalitions ont décidé de formuler leurs propres codes d'éthique et prônent une démarche collective et non individuelle. Certaines coalitions en ont déjà un; les Organisations nationales volontaires sont en train d'établir leurs propres codes. C'est l'approche que toutes les organisations semblent préférer.

M. Strahl: C'est vrai, je crois.

Le président: Il nous reste très peu de temps, mais je vous permets de poser une dernière question, monsieur Strahl.

M. Strahl: À mon avis, on devrait modifier ce projet de loi pour que l'article se lise comme suit: «toute organisation qui est un parti politique est tenue de divulguer tous les niveaux de». Cela devrait suffire.

Le président: Il existe un débat sempiternel au Parlement au sujet du degré de délégation suffisant. Certains semblent prôner la divulgation complète tandis que d'autres voudraient qu'il y ait certaines limites.

Dans le cas des budgets de circonscription, par exemple, on rend public le montant du budget global mais nous ne sommes pas obligés de divulguer les salaires de nos chefs de cabinet ou adjoints parlementaires. Le budget comprend un plafond que nous ne pouvons pas dépasser, mais dans la mesure où nous le respectons, nous sommes libres de payer nos collaborateurs ce que nous voulons, sans que cela soit dans le domaine public.

D'aucuns trouveraient cela scandaleux. Cependant, s'il fallait tout divulguer, on saurait que l'adjoint parlementaire d'un tel gagne 37 000$ alors que celui d'un autre ne reçoit que 31 000$. Cela amènerait tout un débat sur l'écart salarial et pourquoi un député est en mesure d'être économe tandis que l'autre fait preuve d'extravagance. Ou bien, si le budget global est de 140 000$ plutôt que de 112 000$, pourquoi est-ce que certains députés dépensent plus que d'autres?

J'essaie de vous situer dans le contexte de ce débat. Je ne dis pas que la divulgation n'est pas nécessaire, seulement que cela peut poser des problèmes au niveau de la confiance, par exemple. Dans quelle mesure faisons-nous confiance aux députés ou aux organisations à but non lucratif?

M. Kyle: Monsieur le président, ces commentaires sont très justes. Si, par exemple, ce projet de loi est adopté, il se pourrait que le salaire du directeur général de la Société du cancer du Nouveau-Brunswick et qu'il soit comparé avec le salaire que gagne le directeur général de la Division de l'Ontario. Cela pourrait créer d'énormes problèmes surtout au sein de notre organisation, bien plus que dans le domaine public. Ce que vous dites est très juste.

.1240

M. Hatton: Je crois en même temps que dans de nombreux secteurs, que ce soit dans les organisations pour les jeunes ou dans les grandes organisations du domaine de la santé qui desservent l'ensemble du secteur, des organisations de taille semblable s'échangent souvent les barèmes de salaires pour faciliter la planification et améliorer l'équité du procédé. Par ailleurs, nous nous comparons constamment au secteur privé. Comme vous pouvez le voir, nous devons faire preuve d'imagination si nous voulons être plus efficaces. Nous tirons de plus en plus les leçons de la façon dont le secteur privé procède lorsqu'il s'agit de comparer des choses qui sont difficiles à comparer, comme la créativité ou l'esprit d'entreprise. Comment mesurer toutes ces choses comparativement au travail d'un comptable? Ce sont des questions complexes.

Lorsqu'on se met à examiner toutes ces choses, il y a un meilleur esprit d'ouverture. On n'est pas à un sou près, parce qu'il faut tenir compte des situations locales. Il s'agit de savoir ce que chaque personne apporte à l'organisation, ce genre de choses. De manière générale, les organisations communiquent beaucoup entre elles pour améliorer leur fonctionnement.

Le président: C'est très bien, mais à partir du moment où la divulgation est illimitée, où absolument tout se sait, on invite à la médisance.

M. Hatton: En effet.

Le président: Monsieur Shepherd.

M. Shepherd: Merci. Malheureusement, M. Strahl m'a coupé l'herbe sous les pieds.

Lorsque j'ai regardé pour la première fois ce projet de loi, je me suis dit qu'il n'y avait pas matière à s'énerver. Il n'y a là rien d'inhabituel. Vous avez fait la comparaison avec les sociétés multinationales. Je vous ai bien compris. La plupart de ces sociétés sont cotées en bourse, et elles sont tenues de divulguer, non pas tel ou tel salaire, mais les salaires des cinq directeurs les mieux rémunérés d'après leurs états financiers.

On explique cette exigence par le fait qu'elles sollicitent des fonds en émettant directement des actions au public et, par conséquent, qu'elles ont une responsabilité de divulgation envers les actionnaires qui leur font confiance. N'avez-vous pas l'impression que vous avez les mêmes obligations en tant qu'organisations sollicitant directement des fonds auprès de l'État?

M. Kyle: La R.J.R. Macdonald Tobacco Company est une société privée. Elle n'a pas cette obligation. En dépit d'excellentes modifications apportées par votre collègue ici présent dans le secteur de l'enregistrement des lobbyistes et dans d'autres domaines, l'industrie du tabac et les lobbyistes qui, selon la rumeur qui court dans les médias gagneraient des centaines de milliers de dollars par an pour faire pression contre les lois sur la santé, n'ont pas non plus à divulguer leurs salaires. Il y a donc là un léger problème.

M. Shepherd: Je vous comprends bien. Il y a aussi des sociétés privées, mais je faisais la comparaison entre les sociétés cotées en bourse et les organisations caritatives qui traitent avec le public.

Mme Faulkner: Je répète que nous ne voyons pas d'objections à divulguer notre échelle de salaires. L'objection, nous la faisons au sujet du projet de loi et de la façon dont on s'y prend. Nous sommes tout à fait disposés à divulguer notre échelle de salaires.

M. Shepherd: Je ne pense pas que nous soyons véritablement en désaccord. Je crois que le problème est dû à toutes les arrières-pensées. En réalité, je ne crois pas qu'il y ait une volonté politique de sanctionner les organisations caritatives ou à but non lucratif. Je crois que cela s'inscrit dans une démarche générale de ce gouvernement et d'autres institutions qui veulent que les mécanismes soient plus transparents et qu'il y ait davantage de visibilité. C'est exactement de cela dont vous parlez.

Vous parlez de l'enregistrement des lobbyistes. Là aussi, on a essayé de faire quelque chose. La réussite n'a peut-être pas été à la hauteur de vos attentes, mais l'on s'est efforcés, là aussi, de rendre les choses un peu plus claires. Je vous ai bien compris. Vous n'avez qu'à me demander, je vous dirai ce que nous faisons. C'est ce que ce projet de loi va permettre finalement de faire. Je vous demande simplement de le coucher par écrit.

Mme Potvin: C'est la même chose avec la procédure qui existe déjà, et il n'est pas nécessaire d'adopter de nouvelles lois. La solution de rechange que nous avons proposée vous permet d'obtenir exactement ce que vous voulez. Vous n'avez pas besoin d'un nouveau projet de loi. Ainsi, vous ne courez pas le risque de faire de l'ombre, avec ce nouveau projet de loi, à un secteur tertiaire qui réalise d'excellentes choses. C'est le coeur de notre argument.

M. Shepherd: Vous dites que c'est un nouveau projet de loi. On pourrait parler de la modification de la loi ou des dispositions existantes. C'est une querelle d'écoles. En réalité, grâce aux formules qui seront remises à Revenu Canada, il sera possible de rendre compte des salaires d'une manière plus uniforme.

Mme Potvin: Oui. Nous ne voyons aucun inconvénient à cela. Toutefois, on n'a pas besoin d'un projet de loi pour y parvenir.

M. Shepherd: On a besoin d'un projet de loi pour modifier la loi existante, et voilà probablement pourquoi on agit ainsi.

.1245

Le président: Je vous remercie.

Pour être juste, monsieur Shepherd, je crois que vous avez mentionné il y a un instant que certaines des conceptions que l'on retrouve dans ce projet de loi émanent du gouvernement. Il s'agit d'une proposition de loi privée; ce n'est pas un projet de loi du gouvernement. J'ai pensé qu'il fallait le préciser pour respecter la vérité. Vous êtes d'accord?

M. Shepherd: Oui.

Le président: Merci.

Madame Whelan.

Mme Whelan: Je tiens à insister aussi sur ce point, monsieur le président.

J'ai une autre question à poser, puisque vous êtes là. Je pense que mon point de vue est un peu faussé puisque j'ai travaillé il y a bien longtemps à l'OAMCA quand j'enseignais la natation. J'ai en fait travaillé dans cette organisation dans le cadre d'un programme qui s'intitulait Défi 81 ou quelque chose comme ça, j'enseignais la natation, mais c'était un programme pour étudiants financé par le gouvernement. Pour pouvoir bénéficier de ce programme, il fallait faire une demande de prêt ou passer par une procédure de demande.

Indépendamment des crédits que vous verse directement le gouvernement, vous devez présenter des demandes précises à un ministère ou dans le cadre d'un programme donné pour obtenir des crédits et, j'imagine, cette demande très détaillée est examinée de près. Souvent, des questions sont alors posées en conséquence. Vous ne bénéficiez pas uniquement d'un financement global, c'est bien ça?

M. Hatton: Tout à fait. Nous avons des contrats, des documents juridiques que nous devons respecter et, si nous ne le faisons pas, nous en sommes responsables devant notre conseil d'administration, puis vis-à-vis du gouvernement. Effectivement, vous avez tout à fait raison.

Le président: Monsieur Bryden, allez-y.

M. Bryden (Hamilton - Wentworth): Si vous me le permettez, monsieur le président, je vais faire une observation pour conclure dans la même veine que ce que disait M. Shepherd.

Il s'agit d'une proposition de loi privée et je puis vous garantir que lorsqu'on a conçu ce projet de loi on avait véritablement à coeur les intérêts du secteur à but non lucratif. J'espère que ce projet de loi nous mènera dans une voie qui facilitera la vie de tout le monde.

Le président: Je vois qu'il n'y a plus de questions.

Merci d'être venu. Nous avons apprécié votre témoignage.

Mme Potvin: Merci de nous avoir entendus.

Le président: La séance est levée. Je vous remercie.

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