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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 23 novembre 1995

.1106

[Traduction]

Le président: La séance est ouverte. Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui plusieurs témoins qui nous aideront à faire le point sur une question qui touche aux activités des libraires. Je suppose que la plupart d'entre nous n'en savent pas très long sur le sujet ainsi que sur le fonctionnement du marché du livre. Certains d'entre nous ne sont peut-être même pas conscients de la taille et de l'importance de ce secteur économique ainsi que de son énorme contribution à la vie culturelle canadienne.

Lorsqu'il y a quelque temps on a attiré mon attention sur la controverse qui fait rage dans le domaine, j'ai cru qu'il nous incombait au comité d'aller aux renseignements et de chercher à comprendre les préoccupations des divers intervenants. Voilà donc pourquoi nous avons invité nos témoins d'aujourd'hui à comparaître devant nous.

Permettez-moi d'abord de vous les présenter. Il s'agit de M. David Peterson, président du conseil d'administration de Chapters. Il est accompagné du président-directeur général de Chapters, M. Larry Stevenson. MM. John Finlay, directeur exécutif de la Canadian Booksellers Association, et Richard King se joindront sous peu à eux.

M. Peterson est un peu pressé ce matin. Il a la bonne fortune de s'envoler cet après-midi pour Vancouver, où il trouvera, j'en suis sûr, plus de soleil et moins de neige. M. Peterson et ses collègues prendront donc d'abord la parole et ils seront suivis de M. Finlay, de la Canadian Booksellers Association. Nous aurons ensuite une période de discussion. Après le départ de M. Peterson et de ses collègues, nous entendrons les autres témoins. Voilà donc comment nous allons procéder.

Sans plus tarder, j'invite M. David Peterson à prendre la parole.

M. David Peterson (président du conseil d'administration, Chapters Inc.): Monsieur le président, permettez-moi d'abord de vous remercier de nous avoir invités à comparaître devant le comité aujourd'hui et d'avoir consacré avec un si court préavis une séance aux problèmes que connaît actuellement le secteur du livre.

Je défends aujourd'hui auprès de vous la même cause qu'un certain nombre de mes collègues du secteur du livre. Je pense que c'est la première fois que je témoigne devant un comité parlementaire comme vendeur de livres, mais ce n'est pas pour me déplaire, monsieur le président.

De concert avec les libraires et les éditeurs, nous attirons l'attention du comité sur une question, qui, à notre avis, revêt une grande importance culturelle pour notre pays, à savoir qu'à ce moment même, deux grands détaillants de livres américains sont sur le point de se lancer sur le marché canadien.

La raison pour laquelle il est difficile de discuter de cette question en public, c'est que Investissements Canada est actuellement saisi de l'affaire. Comme vous le savez, Investissement Canada est tenu au secret, de sorte que nous ne savons même pas où en sont les discussions. La rumeur veut cependant qu'on permettra l'entrée sur le marché de ces détaillants. Il est même question qu'on annonce vendredi l'entrée au Canada de l'un de ces gros détaillants de livres américains. Nous attachons une très grande importance à l'aspect culturel de la distribution des livres au Canada, en particulier en ce moment extrêmement délicat de l'histoire de notre pays.

.1110

Je m'adresse au comité à titre de président de Chapters, le plus important détaillant de livres au Canada. Chapters est issu de la fusion de SmithBooks et de Coles. Au moment où je vous parle, Chapters s'installe dans les hypermarchés. Ce soir, nous ouvrirons à Burnaby un autre hypermarché dans le but de permettre aux auteurs et aux éditeurs canadiens d'avoir un accès élargi au marché du livre.

Vous n'êtes pas sans savoir, monsieur le président, que de grandes compressions ont été faites dans le domaine culturel et que celles-ci touchent tant les auteurs que les éditeurs. Dans le meilleur des cas, notre secteur est vulnérable, et il importe, à notre avis, que cette question fasse l'objet d'un véritable débat. Je crois que le fait qu'il s'agit de la première fois qu'une séance de comité est consacrée à ce sujet vous honore. Nous terminerons notre déclaration préliminaire d'aujourd'hui en vous pressant de consacrer un certain temps à l'étude de cette question et à vous assurer que le Parlement comprend bien tous les aspects de ce secteur avant de prendre une décision précipitée, soit celle de permettre l'entrée au pays d'un détaillant de livres américain qui risque de compromettre notre survie.

Je vous rappelle, monsieur le président, que de tous les films distribués au pays à l'heure actuelle, seuls 3 p. 100 sont des films canadiens. De tous les livres qui sont vendus au pays, entre 30 et 35 p. 100 seulement sont des livres canadiens. Et nous craignons que cette proportion ne diminue au fil des ans si l'on permet l'entrée sur le marché de détaillants étrangers. Nous craignons également que cette situation ne se traduise par une diminution du nombre d'éditeurs et d'auteurs canadiens.

Je n'ai pas honte de me présenter à vous, monsieur le président, comme un nationaliste culturel, ce que j'ai toujours été dans ma vie publique comme dans ma vie privée. Je crois passionnément à la nécessité de diffuser des idées et j'ai la ferme conviction qu'il faut tout mettre en oeuvre à l'heure actuelle pour éviter que notre pays ne s'étiole.

Permettez-moi de vous présenter, monsieur le président, Larry Stevenson, président et directeur général de Chapters. Larry est né à Chibougamau au Québec. Il a fait ses études au CMR ainsi qu'à Harvard. De retour au Canada, son rêve était de faire entrer l'industrie canadienne du livre dans l'ère moderne grâce à la fusion de Smith et Coles et de créer des systèmes de distribution modernes en collaboration avec nos auteurs et nos éditeurs.

Notre compagnie est une compagnie entièrement canadienne. Nous en sommes énormément fiers comme nous sommes fiers de notre vision pour l'avenir. En fait, il s'agit de la vision de Larry qui vous dira maintenant quelques mots.

[Français]

M. Larry Stevenson (président et directeur exécutif en chef, Chapters Inc.): Monsieur le président, mesdames et messieurs, merci de nous avoir invités à comparaître devant le comité aujourd'hui. J'ai quelques commentaires à faire.

Le premier, c'est que le Canada est déjà le marché le plus ouvert au monde pour les livres. Si nous regardons le facteur d'exportation des États-Unis au Canada, nous voyons qu'il est de cinq à six fois supérieur à celui de pays comme le Royaume-Uni. Le problème du Canada est qu'il est situé à côté du plus grand pays au monde sur le plan culturel.

[Traduction]

Lorsqu'il est question de protéger l'industrie canadienne du livre, je crois qu'il convient de souligner qu'il s'agit déjà du marché le plus ouvert aux produits d'exportation. Je crois que plusieurs raisons expliquent cet état de chose. Premièrement, notre marché est à prédominance anglophone, et il se trouve que nous sommes situés près du géant culturel anglophone. Deuxièmement, notre marché intérieur est très petit, il est donc plus facile de faire le tirage aux États-Unis.

Nous avons aussi l'inconvénient d'être très proches des États-Unis. Les Australiens ont au moins l'avantage d'être séparés d'eux par quelques océans. Voilà donc pourquoi nous constituons déjà le marché le plus ouvert qui existe. Je suis tout à fait en désaccord avec ceux qui disent qu'on devrait élargir l'accès à notre marché. Aucun autre marché n'est aussi ouvert que le nôtre.

J'aimerais aussi signaler qu'il nous semble vraiment impossible de jumeler un détaillant de livres américains - et, à ce propos, chacun des deux grands détaillants de livres américains dont il est question dépasse en importance toute l'industrie canadienne du livre - avec un partenaire financier canadien et penser que le contrôle de cette entreprise sera exercé au Canada. Vous pouvez être sûrs que les décisions seront prises aux États-Unis si l'on jumelle un détaillant américain dont le chiffre d'affaires est de 2 à 2,5 milliards de dollars avec un partenaire financier canadien.

.1115

Permettez-moi de vous donner un exemple. Y a-t-il quelqu'un autour de cette table qui pense que si AT&T s'associait avec une banque pour former une société de télécommunications, elle ne contrôlerait pas cette société? Elle apporte la compétence opérationnelle ainsi que la compétence en matière de gestion. Elle apporte son nom. Il est impossible pour un partenaire financier de contrôler un tel géant. Voilà la question essentielle qui se pose et à laquelle Investissement Canada doit répondre.

Si l'on songeait à une entreprise conjointe ou à un partenariat entre une entreprise canadienne et un libraire américain, je crois que cela entraînerait des conséquences dévastatrices non seulement pour les libraires, mais aussi pour les éditeurs. Je ne m'étendrai pas sur le cas des éditeurs. Ils sont beaucoup mieux en mesure que moi de vous parler de l'impact d'une telle mesure sur leur secteur. Je connais cependant deux éditeurs dont les activités ont une incidence sur notre secteur.

Premièrement, bon nombre des achats déjà faits par des maisons comme Barnes & Noble ou Borders sont effectués auprès des très grands fournisseurs américains. Ces maisons disposent donc d'un avantage immense au niveau des achats par rapport à nous qui achetons aux mêmes entreprises, qui sont en fait des éditeurs étrangers.

Deuxièmement, pour ce qui est des petites maisons d'édition américaines qui comptent actuellement sur les distributeurs canadiens, je crois que ces superlibrairies voudront certainement acheter directement à ces maisons, éliminant ainsi les frais d'intermédiaires qui sont actuellement versés aux distributeurs canadiens. Il n'est pas sûr que nous puissions être concurrentiels étant donné que nous n'achetons pas autant à ces petites et moyennes maisons d'édition américaines.

Je sais qu'il y en a dans l'industrie qui croient que l'enchâssement de la distribution dans le droit d'auteur va régler le problème. À mon avis, ce n'est pas possible, parce que ces deux entreprises américaines ne relèvent pas du droit canadien. Rien n'empêche un Barnes & Noble, qui est une entreprise américaine, de s'adresser à une maison d'édition américaine et de lui dire: «Ne signez pas de contrat de distribution exclusive avec un éditeur canadien», et il n'y a rien dans les lois canadiennes qui nous permettrait de contrôler cela. Nous allons donc passer de la situation où nous sommes aujourd'hui, où les entreprises relèvent effectivement de notre organisme, à une situation où ce ne sera plus le cas.

Je tiens également à dire qu'en conséquence, nous, les détaillants, allons évidemment souffrir. Je suis d'avis que ce sera également dévastateur pour les éditeurs. On vous dira qu'à court terme, cela fera vendre davantage de livres. Mais à long terme, si nous n'avons plus droit à l'aide gouvernementale parce qu'on resserre les cordons de la bourse et si nous perdons nos recettes de distribution, ces deux sources ayant servi à subventionner la publication d'excellents ouvrages canadiens, il résultera que l'on verra de moins en moins d'oeuvres canadiennes.

Le chiffre que notre président, David, donnait pour l'industrie cinématographique est un exemple parfait. Nous avons là le modèle de ce qui arriverait à l'industrie du livre canadien si nous laissons la distribution passer sous domination étrangère.

En réalité, pour moi, si nous ne contrôlons pas la distribution, nous ne contrôlons plus le contenu. Pour vous en convaincre, vous n'avez qu'à voir les mégafusions qui s'opèrent dans l'industrie du spectacle chez nos voisins du Sud. Disney, qui pensait autrefois que le contenu était suffisant, a fait l'acquisition d'ABC. Pourquoi? Parce que le contenu n'est pas suffisant, et vous ne pourrez contrôler votre contenu si vous n'avez pas également accès aux clients ultimes. Ce qui est vrai de l'industrie cinématographique est vrai de l'industrie des loisirs.

Je dis que nous, les Canadiens, si nous voulons nous prendre en charge - et je pense que nous avons dit clairement au cours des trois ou quatre dernières semaines que nous, les Canadiens, voulons une culture distincte de celle de nos amis du Sud - nous devons contrôler la distribution si nous voulons contrôler cette distinction culturelle.

M. Peterson: En résumé, monsieur le président, il s'agit à mon avis d'une question essentielle. Il s'agit de l'âme de notre pays, et vous devez vous pencher sur cette question. Ce que nous craignons le plus, c'est qu'Investissement Canada ne voie les choses que sur le plan strictement commercial. Nous craignons qu'on nous place devant un fait accompli, et lorsque les Canadiens auront eu le temps de l'analyser, dans un an et demi d'ici, il sera impossible de défaire le mal qui aura été fait.

Nous espérons donc vivement que vous allez prendre le temps d'examiner la question soigneusement. Nous serons heureux de collaborer avec vous à cette étude. Mais nous espérons qu'elle sera faite avant qu'une décision soit prise, et je pense qu'il faut le faire savoir à Investissement Canada.

Le président: Avant que nous passions aux questions, j'invite M. Finlay, de la Canadian Booksellers Association...

M. Hanrahan (Edmonton - Strathcona): J'invoque le Règlement, nous n'avons appris que ce sujet était à l'ordre à du jour que...

Le président: Mardi.

M. Hanrahan: ...mardi, et nous avons reçu très peu de documentation ou d'information sur l'importance de cette question. J'aimerais demander des clarifications sur certaines observations faites par les deux derniers intervenants. Il ne s'agit pas de philosophie ou de quelque chose de semblable. Je veux seulement vérifier certaines relations qui ont été mentionnées, parce qu'on est allé un peu vite.

.1120

Le président: Votre tour va venir. Vous demanderez les explications lorsque votre tour viendra. Je pense que ça vaut mieux.

Je dois vous dire, monsieur Hanrahan, que M. Peterson a très peu de temps car il doit prendre l'avion pour Vancouver. Si vous n'y voyez pas d'objection, écoutons d'abord M. Finlay, parce que je crois savoir que son exposé rejoint pas mal celui de Chapters. Ensuite nous pourrons passer aux questions, clarifications, etc. Est-ce que ça vous va?

M. Hanrahan: D'accord, mais vous comprenez notre problème.

Le président: Oui, je comprends.

Monsieur Finlay, j'espère que votre exposé sera assez court.

M. John J. Finlay (directeur exécutif, Canadian Booksellers Association): Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité.

Tout d'abord, je tiens à vous remercier de nous avoir invités. Nous sommes d'accord avec tous nos collègues de l'industrie, je crois, pour dire que l'arrivée prochaine des chaînes américaines inquiète vivement toute l'industrie, et pas seulement une partie de ses membres.

Nous sommes également d'accord avec le député qui a exprimé des réserves au sujet des documents. Nous avons en effet rédigé des textes, mais nous n'avons pas pu les faire traduire parce que nous manquions de temps. Nous vous faisons nos excuses, mais nous avons un mémoire. S'ajoute à ce mémoire une lettre de notre association soeur du Québec en faveur de la position que nous adoptons ce matin. Nous l'avons également remise à la greffière.

Ce n'est pas moi que vous devriez entendre parce que je suis qu'un employé d'une association. Vous en apprendrez beaucoup plus et les choses seront mieux exprimées si je cédais la parole à notre président sortant et président actuel de notre comité des relations gouvernementales, Richard King. Il possède une librairie indépendante, prospère et très bien connue à Montréal. Je vais confier à Richard le soin de faire notre exposé.

M. Richard King (président, Comité des relations gouvernementales, Canadian Booksellers Association): Merci, monsieur le président. Nous sommes très heureux d'être des vôtres.

Il est évident que les libraires s'opposent à l'entrée des superchaînes de librairies américaines. Nous pensons qu'elles vont causer un tort considérable à l'industrie canadienne du livre en général et décimer la librairie canadienne en particulier.

Quelques mots à notre sujet. La Canadian Booksellers Association représente quelque 1 200 libraires canadiens, grands et petits, commerciaux et universitaires. Nos librairies, nos membres, sont présents dans toutes les régions du Canada, et comme John l'a dit, nous avons reçu une lettre de soutien de l'Association des libraires du Québec. Il est bon de voir que...

[Français]

tous les libraires du Canada s'entendent sur cette question.

[Traduction]

Nous avons appris qu'au niveau des librairies au Québec, il y a unanimité sur les questions culturelles. Nous nous comprenons parfaitement bien et nous n'avons eu aucun mal à nous entendre là-dessus. Il n'a fallu que quelques appels téléphoniques.

Le président: Vous devriez parler aux politiciens.

M. King: Eh bien, peut-être que Louise Rochon devrait se lancer dans la politique.

Comme Larry l'a dit, chacune des deux superchaînes a deux fois l'importance de toute la librairie canadienne. Elles ont toutes deux la puissance économique et le capital d'investissement qu'il faut pour nous mettre tous sur la paille. Sur le marché américain, chaque fois qu'elles ouvrent un de leurs supermagasins, ce sont leurs propres petits qu'elles mangent. Elles doivent concurrencer leurs librairies des centres commerciaux.

Au Canada, elles n'ont pas le même problème. Leurs concurrents seront les magasins Chapters, ma propre librairie ou n'importe quelle librairie voisine, mais c'est bien à nous et non pas à eux-mêmes qu'ils nuiront. Je pense qu'à brève échéance, nous disparaîtrons.

Aux États-Unis, les libraires indépendants ont perdu 44 p. 100 du marché. Et pendant ce temps, les superlibrairies prétendent avoir donné de l'expansion au marché. En fait, toute cette expansion s'est faite aux dépens des indépendants. Une compagnie qui a des ventes de 2,5 milliards de dollars donne par comparaison des allures d'indépendant à Chapters. À nos yeux, Chapters est une très grosse entreprise, mais je ne pense pas que la mastodonte qui se trouve au sud de notre frontière soit du même avis.

Je suis d'accord avec Larry: une étude s'impose avant qu'ils viennent s'implanter ici. Et c'est inquiétant. Dans un article du dernier numéro de Quill & Quire, qui est une revue professionnelle, on laisse entendre qu'il serait possible que Barnes & Noble ouvre des magasins sans que son investissement soit étudié. Il se pourrait très bien qu'elle ait pignon sur rue du jour au lendemain et dès lors, les Canadiens devront trouver le moyen de lui faire fermer ses portes s'il s'avère qu'elle ne respecte pas notre modèle quant à la propriété. Il sera alors trop tard et ce sera impossible. Du reste, toutes les autres librairies concurrentes auront déjà disparu. Nous serons alors obligés de la laisser faire.

.1125

Larry a abordé une question importante, celle de l'article sur la distribution. Si la distribution de livres canadiens et de livres américains se fait sans heurt au Canada, c'est parce que tous les intéressés tiennent à ce qu'il en soit ainsi. Il n'y a aucune raison rationnelle - à supposer qu'il existe des raisons irrationnelles - pour que les choses marchent rondement, et ce n'est que grâce à un accord qu'il en est ainsi. C'est un château de cartes. Nous savons que nous pouvons acheter des livres américains chez un fournisseur américain et que nous les recevrons en librairie beaucoup plus rapidement dans certains cas que si nous les avions commandés à Toronto.

Si tous les éditeurs et distributeurs étaient aussi bons que General Publishing ou HarperCollins, il n'y aurait pas de difficulté. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Toutefois, si nous restons au Canada, c'est que nous nous sommes fermement engagés à défendre la culture canadienne et que nous sommes prêts à accepter certains inconvénients afin de maintenir notre culture.

Si ce système flanche, il ne pourra pas être remplacé. C'est l'assise qui permet à nos entreprises et à notre culture littéraire de survivre. Nous ne pouvons pas interdire à un détaillant américain de s'approvisionner chez un éditeur américain qui est ni plus ni moins un fabricant américain. Toute la notion qui sous-tend l'article sur la distribution dans la Loi sur le droit d'auteur repose sur l'exclusivité.

Rien n'empêche un détaillant américain dont le chiffre d'affaires est de 2,5 milliards de dollars de l'autre côté de la frontière d'utiliser les stocks qu'il a là-bas pour approvisionner ses librairies canadiennes. Il peut parfaitement le faire à partir de l'excédent qui se trouve dans ses entrepôts. Prenez l'exemple de Borders qui peut expédier des livres de Ann Arbor à Hawaii ou en Alaska. Borders n'aura aucun mal à expédier des livres à Toronto.

Ainsi, quelles que soient les mesures législatives envisagées, à mon avis, elles ne changeront rien. Au bout du compte, je pense que nos lois ne changeront absolument rien pour les compagnies américaines.

Vous nous avez demandé d'être brefs et je vais sauter plusieurs pages.

Il y en a aussi d'autres qui perdent gros. Outre les Canadiens et les Canadiennes, outre un secteur qui a traversé des crises difficiles, il y a aussi les librairies universitaires qui sont désormais menacées. Barnes & Noble a quelque 300 librairies universitaires aux États-Unis. Il n'est pas dit qu'ils n'essaieront pas de développer ce marché au Canada, et ainsi les manuels canadiens seront vendus par un superdétaillant américain aux étudiants canadiens.

Pour l'heure, il n'y a que deux librairies universitaires canadiennes qui fassent partie d'une chaîne de détail américaine. C'est remarquable, mais tout le secteur des manuels, l'édition et la distribution, risque d'être contrôlé par des Américains.

Le consommateur canadien est bien entendu lui aussi perdant. Si les éditeurs canadiens ou les librairies canadiennes sont évincés, les Canadiens et les Canadiennes n'auront plus accès à leur culture littéraire.

En terminant, je dirai que le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux ont investi lourdement - et j'ajouterais judicieusement - dans l'industrie du livre. L'argent injecté dans l'industrie du livre est dépensé au Canada et sert à promouvoir des livres canadiens. Le gouvernement a réduit ses subventions de 54 ou 55 p. 100, mais les investissements passés continuent de porter fruit. Si l'arrivée des superdétaillants étouffe notre secteur, tout cet argent aura été gaspillé.

Merci.

Le président: Merci. À cause des contraintes de temps, vous ne nous avez pas lu tout le livre mais vous nous avez donné l'idée dominante, et je vous en remercie.

Je propose que nous procédions à un tour complet pour donner la parole aux représentants de tous les partis et poser des questions aux représentants des deux groupes. Après cela, nous écouterons ce que les représentants des éditeurs ont à dire car ils ne sont pas entièrement d'accord avec vous, ou, du moins, ils souhaitent présenter un point de vue différent.

Nous allons donner huit minutes à Mme Tremblay, qui sera suivie du représentant du Parti réformiste.

Madame Tremblay.

[Français]

Mme Tremblay (Rimouski - Témiscouata): Je suis à la fois contente de vous revoir - j'ai déjà vu plusieurs d'entre vous dans un autre contexte, - mais aussi un peu triste qu'on en soit rendus là.

Il y a deux ans, on avait prévu le coup, lors de la vente de Ginn Publishing et toutes ces choses-là. C'était le début de l'engrenage qui nous amènerait au bulldozer américain qui veut s'emparer du Canada.

.1130

Qu'est-ce que l'Opposition officielle peut faire concrètement, à partir d'aujourd'hui, pour arriver à savoir exactement ce qui se passe?

M. Stevenson: Je vous dirais de faire au moins une étude complète sur l'impact de l'entrée au Canada de Barnes & Noble et Borders, parce qu'après, il sera trop tard. Je sais que nous vivons une période très difficile, mais je crains qu'on ne prenne la décision avant d'en avoir soupesé toutes les conséquences par le biais d'une étude.

Je conseillerais au gouvernement et à l'Opposition de s'assurer de protéger la culture canadienne.

Mme Tremblay: Est-ce que vous avez fait des démarches auprès du ministre du Patrimoine canadien et de M. Manley pour qu'ils mettent sur pied un comité qui aurait le mandat formel d'étudier la question?

M. Stevenson: Nous avons eu des réunions avec M. Manley et avec le ministre Dupuy.

M. King: Nous sommes en train de le faire. D'autre part, je suis tout à fait d'accord avec mon collègue. Si nous faisons l'étude après que Barnes & Noble aura ouvert ses portes, il sera trop tard. Il faut la faire avant, soit cette semaine, soit la semaine prochaine. Il faut commencer l'étude au plus tôt, car Barnes & Noble et Borders sont prêts à ouvrir leurs portes. Borders a déjà signé un bail sur Bloor et Bay pour une superficie de 100 000 pieds carrés. Il a un entrepôt à Harbor, au Michigan, et est prêt à distribuer ses livres au Canada. J'espère seulement qu'il n'est pas déjà trop tard pour réagir.

Mme Tremblay: Lequel a loué des locaux? Barnes & Noble?

M. King: Borders.

Mme Tremblay: Borders.

M. King: Oui. C'est au Manulife Centre.

M. Peterson: Il faut dire aussi qu'avec Investissement Canada, toutes les discussions sont secrètes. Nous ne savons pas exactement ce qui se passe en ce moment. Et comme tout peut se décider très rapidement, il est primordial de faire une étude pour qu'on puisse discuter publiquement de tous les enjeux. C'est aussi pourquoi votre comité est si important.

Mme Tremblay: Comment votre demande a-t-elle été agréée par MM. Manley et Dupuy? Vous ont-ils laissé entendre qu'ils formeraient un comité?

M. Peterson: J'ignore si M. Manley est au courant que ce comité a une réunion aujourd'hui. Je sais toutefois que lui et M. Dupuy sont conscients de la gravité de l'enjeu. Mais la juridiction et les considérations de M. Manley sont différentes. En effet, le problème n'est pas exclusivement économique; il est aussi culturel. Voilà pourquoi c'est un peu plus difficile à comprendre pour eux que pour vous.

Mme Tremblay: Ce sera tout pour l'instant.

[Traduction]

Le président: Monsieur Hanrahan.

M. Hanrahan: Comme je vous le disais tout à l'heure, messieurs, tout cela a été très rapide pour nous aussi. Plutôt que de relancer un débat idéologique, vous constaterez que nos questions seront avant tout des demandes de renseignements.

Monsieur Peterson, prenons la question de l'aspect commercial vis-à-vis de l'aspect culturel. Vous dites - et en général on le reconnaît - que l'industrie du cinéma est actuellement canadienne à 3 p. 100 alors que l'industrie du livre l'est à 35 p. 100. Y a-t-il eu un gros changement? Autrement dit, le phénomène qui s'est produit dans l'industrie cinématographique se retrouve-t-il dans l'industrie du livre?

M. Peterson: Avant de vous répondre, je tiens à dire que vous avez toute ma sympathie parce que je ne pense pas que nous ayons été corrects envers vous. La réunion du comité a été annoncée à très brève échéance. Il existe quantité de renseignements et de documents explicatifs, et je reconnais que c'est une question difficile et compliquée. Nous allons vous envoyer très volontiers des exemplaires de tous nos mémoires, assortis d'une grande quantité de notes explicatives. Excusez-nous de ne pas l'avoir fait avant.

À mon sens, il s'agit ici d'une question commerciale, mais elle comporte des aspects culturels qui remontent jusqu'aux racines mêmes de notre pays. À cause de ma formation, à cause des expériences que j'ai vécues, je suis porté à la considérer comme une question culturelle. Les gens qui se moquent absolument de la culture vous diront qu'il n'y a rien à faire et que c'est la vie: les gros détaillants américains accaparent tout. On peut dire qu'ils sont propriétaires de Wal-Mart et de Toys-R-Us. Quiconque partage cette vision du monde trouvera tout naturel que les Américains deviennent les maîtres de l'industrie du livre.

.1135

M. Hanrahan: N'y a-t-il pas une différence, monsieur, entre vendre un pneu ou un jouet et vendre un livre?

M. Peterson: Absolument, je le reconnais. Au moment où nous traversons une période particulièrement critique de notre histoire, on constate que sont menacés les éléments mêmes qui unissent les Canadiens, à savoir les livres écrits par des Canadiens qui expliquent le Canada à leurs concitoyens, pour susciter la compréhension et le respect mutuel d'un bout à l'autre du pays, dans les dix provinces d'un pays où l'on rencontre la diversité et où les choses se font en deux langues officielles. Pour ma part, j'estime que c'est là un ingrédient fondamental du mortier qui cimente notre pays. Voilà pourquoi j'accorde tant d'importance à ce combat. Voilà pourquoi votre comité a un rôle si important à jouer dans cette discussion.

M. Hanrahan: J'en conviens. Permettez-moi d'aller encore un peu plus loin. Considérons un instant le contenu canadien dans l'histoire de l'édition au Canada et la situation actuelle, qui est manifestement un peu protectionniste. Pouvez-vous me dire si cette protection qui dure depuis trente ou quarante ans a engendré des publications médiocres ou excellentes, un mortier de bonne qualité, selon vous?

M. Peterson: Hier soir, je le dis avec une certaine fierté, plusieurs d'entre nous étaient à cet important dîner littéraire qui a eu lieu à Toronto, et auquel participaient 70 des plus grands auteurs canadiens. C'était un dîner-bénéfice. Vous auriez été enchantés comme Canadiens de voir tous les talents qui étaient réunis dans la salle, depuis les Pierre Berton jusqu'aux Margaret Atwood et Carol Shields et tous les autres. C'était une magnifique célébration canadienne. Nous avons énormément...

Je suis de ceux qui ont toujours cru que nous sommes trop critiques et que nous ne célébrons pas assez notre talent. Le fait est que de 30 à 35 p. 100 des livres qui sont vendus au Canada sont des livres canadiens. Nous avons énormément de talent. Mais ce talent doit être nourri.

Nous avons déjà eu des programmes gouvernementaux - qui ont depuis été éliminés - qui ont aidé les maisons d'édition. Or, l'avenir des maisons d'édition est gravement compromis ces jours-ci. À bien des égards, ce sont elles qui sont l'élément clé du secteur du livre. Nous avons d'excellents auteurs. Mais c'est un secteur fragile. Si nous ne pouvons pas compter sur des mécanismes de soutien efficaces, sur des politiques de distribution bien pensées...

Pour mettre tout cela dans son contexte, je vous dirai que c'est une question qui a fait l'objet d'un vif débat pendant la négociation de l'Accord de libre-échange, et même les libre-échangistes les plus féroces ont dit à ce moment-là qu'il fallait protéger la culture canadienne. Or, nous voici aujourd'hui face à ce qui, pour nous, constitue une menace importante à la culture canadienne.

M. Finlay: Je me demande si vous me permettrez d'ajouter quelque chose à ce que vient de dire M. Peterson. Je suis moi-même immigrant. Je suis venu au Canada en 1963. En 1963, pour ceux d'entre vous ont à peu près le même âge que moi, la situation du Canada et de ses industries culturelles était très différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Ainsi, dans le secteur du livre, des progrès énormes ont été réalisés depuis 1963, car les Canadiens sont maintenant reconnus à l'échelle tant nationale qu'internationale comme des écrivains de premier rang dans toutes sortes de domaines, qu'il s'agisse des affaires ou du domaine littéraire traditionnel. Ces progrès sont en grande partie attribuables au soutien qui a été donné au secteur du livre.

La question qui se pose maintenant est de savoir si nous sommes prêts à compromettre tout cela. Je crois que nous devons nous rendre compte que l'avenir du secteur est effectivement compromis à cause de la taille des entreprises américaines qui viendraient s'installer chez nous. Les effets ne tarderont pas à se répercuter sur tous les aspects du secteur, tant les libraires que les maisons d'édition et les auteurs. On ne soutiendra pas la culture canadienne. Les Américains ne sont guère connus pour leur attachement à d'autres cultures, et la nôtre ne ferait sans doute pas exception.

Le président: Monsieur Abbott.

M. Abbott (Kootenay-Est): Quelqu'un a dit que, quand on n'a aucun pouvoir sur la distribution, on n'a aucun pouvoir non plus sur le contenu. Je me demande si les témoins pourraient nous en dire un peu plus à ce sujet, car je dois avouer que je suis très sceptique à cet égard.

.1140

À mes yeux, l'argent - l'argent qui est investi dans le secteur de la vente des livres ou dans le secteur de l'édition - n'a ni nationalité ni moralité nulle part au monde. Autrement dit, l'argent est un produit qui ne fait que faciliter les échanges.

Je voudrais revenir à une émission que j'ai vue à la télévision - je crois que c'était dimanche soir - où on disait que, même si l'arrivée de Wal-Mart était censée signer l'arrêt de mort de Zellers, de La Baie et de Canadian Tire, il se trouve que Zellers et Canadian Tire se tirent très bien d'affaire et que la chaîne Wal-Mart n'a pas su s'adapter au commerce canadien aussi facilement qu'elle avait pensé pouvoir le faire et qu'elle n'avait pas eu l'effet meurtrier qu'on avait prévu.

Je voudrais qu'on donne une certaine crédibilité à cette déclaration: «Quand on n'a aucun pouvoir sur la distribution, on n'a aucun pouvoir non plus sur le contenu». Je reste sceptique à cet égard.

M. Stevenson: Puis-je commencer par ce que vous avez dit au sujet de la chaîne Wal-Mart? La part de marché de Wal-Mart dans le secteur de la vente au rabais est passée de 22 à 39 p. 100 en l'espace d'un an. La plupart d'entre nous seraient aux petits oiseaux si nous pouvions connaître un succès pareil. Par ailleurs, Zellers a vu son bénéfice baisser de 38 p. 100. Ce n'est encore que la première année, et je soutiens pour ma part que d'ici cinq ans, je serais bien surpris si Zellers et Canadian Tire étaient toujours des détaillants canadiens prospères.

Enfin, je suis persuadé que tout le monde dans le secteur du divertissement aux États-Unis veut s'engager dans la distribution. Ils se trompent peut-être tous, c'est possible; peut-être dépensent-ils 17 milliards de dollars pour acheter des entreprises comme le réseau ABC et les entreprises de câble distribution simplement parce qu'ils y voient un bon placement. Je crois toutefois qu'ils se sont rendu compte qu'on a beau avoir le meilleur contenu au monde, si on n'a pas le moyen d'en assurer la diffusion aux clients, on est foutu.

Vous ne serez peut-être pas d'accord avec moi là-dessus, mais je suis convaincu qu'au moins les quatre ou cinq grandes fusions qu'on a vues récemment dans le secteur du divertissement chez nos voisins du Sud, attestent bien l'importance qu'il y a à exercer un certain contrôle sur la distribution. Il n'y qu'à voir l'exemple de l'industrie cinématographique pour se rendre compte que, sans la distribution, on n'a pas de contenu canadien.

Une voix: Puis-je ajouter quelque chose à cela?

Le président: Je suis désolé, mais M. Abbott sera le dernier pour ce tour de questions. Avant de céder la parole à Mme Gaffney, je voudrais moi-même poser une question, car je crois qu'il est important de nous situer dans le contexte.

Je crois savoir que les règles existantes obligeraient Borders ou Barnes & Noble à former une alliance quelconque avec une entreprise sous contrôle canadien avant de pouvoir s'installer au Canada.

Si j'ai raison de penser cela, voici la question à laquelle je voudrais obtenir une réponse. Quel genre d'alliance susceptibles de vous satisfaire ces chaînes pourraient-elles former? Ou craignez-vous à ce point l'arrivée des Américains qu'aucun type d'alliance ne saurait vous satisfaire à cause des conséquences qui pourraient en découler pour les libraires, les maisons d'édition, et, bien entendu, les auteurs?

M. Stevenson: Je suppose, monsieur le président, que tout dépendrait du savoir-faire du partenaire canadien. Prenons par exemple la société AT&T et la Banque de la Nouvelle-Écosse - la Banque de la Nouvelle-Écosse est bien entendu, une banque de premier rang, mais je ne pense pas qu'elle connaisse trop les télécommunications, de sorte que je ne peux m'imaginer que, si les deux entreprises se mettaient à négocier, la Banque de la Nouvelle-Écosse serait maître à bord du vaisseau d'Unitel. Il faut savoir qui est le partenaire en question? S'il est là uniquement comme bailleur de fonds, je crois que toutes les décisions seront prises par le partenaire américain.

Le président: Prenons un scénario hypothétique. Mettons que ce serait la bonne vieille chaîne canadienne Eaton.

M. Stevenson: C'est un très bel exemple; je crois qu'à ce moment-là l'entreprise canadienne aurait plus d'influence. S'il s'agissait d'Eaton, je me dirais qu'à tout le moins, la vente au détail est un domaine qui ne lui est pas inconnu. Je serais donc moins inquiet quant aux décisions qui pourraient être prises, puisque Eaton ne connaît peut-être pas grand-chose à la vente des livres, mais sait très bien ce que c'est que la vente au détail, et moins le pourcentage contrôlé par le partenaire américain est important, moins je serais inquiet. Si la proportion était de 80 p. 100 pour Eaton et de 20 p. 100 pour Borders, et que la gestion de l'entreprise serait laissée à Eaton, qui aurait un centre de distribution au Canada - nous aurions bien du mal à nous opposer à quelque chose comme ça. L'entreprise serait effectivement sous contrôle canadien; Eaton est une société canadienne.

À l'autre extrême, l'entreprise pourrait être contrôlée à 51 p. 100 par une société canadienne qui ne connaîtrait rien à la vente au détail ni à la vente de livres et qui, pour la forme, prendrait quelques Canadiens à son service pour gérer ce qui serait ni plus ni moins qu'une entreprise dirigée à partir d'Ann Arbor. Ce ne serait que de la comédie.

Le président: Je dois donc me résigner à mon sort. Je ne serai jamais le partenaire de Borders.

Madame Gaffney.

Mme Gaffney (Nepean): Merci, monsieur le président. Je crois qu'aucun de nous n'a reçu d'information sur cette question. Nous n'avons aucun document auquel nous puissions nous reporter pour savoir ce qu'il en est, aussi je vous suis reconnaissante de votre présence ici aujourd'hui. Il est toutefois difficile de vous poser de ces questions percutantes qui...

M. Peterson: Nous ne voulons pas de questions percutantes.

Mme Gaffney: D'accord, mais il y a quand même des questions qui doivent être posées. Je sais comme ce secteur est fragile. Avant de venir ici, j'ai présidé le comité consultatif régional sur les arts, et nous avions constaté la fragilité du secteur du livre. Nous participions à l'octroi de prix littéraires. Le secteur est très important, de sorte que tous les paliers de gouvernement tentent de faire leur part.

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Si je comprends bien, vous dites que, d'une part, ce sera l'arrêt de mort des petits libraires, qui seront très durement touchés, et aussi du contenu canadien.

Il convient notamment de se poser la question suivante: la société Chapters Inc. n'est-elle pas déjà bien établie - je parle ici de la fusion de Coles et de Smith - et ne contrôle-t-elle pas déjà une part très importante du marché canadien, y investissant de l'argent...? Il me semble que l'arrivée de Chapters a déjà entraîné la disparition des petits libraires.

L'autre question qui se pose est la suivante: le contenu, par exemple, n'est-il pas déterminé par la demande du consommateur? Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la façon dont les entreprises qui contrôlent la distribution contrôlent aussi le contenu?

Je vous poserai toutes mes questions en même temps, puis vous pourrez donner toutes vos réponses en même temps.

Pendant la négociation de l'Accord de libre-échange, nous étions très soucieux de protéger la culture canadienne. C'était une question importante. Je pensais que nous avions réussi dans une certaine mesure à la protéger aux termes de l'Accord de libre-échange, mais comment pouvons-nous protéger la culture littéraire, l'industrie? Vous avez évoqué le rôle éventuel d'Investissement Canada à cet égard, et je voudrais que vous nous en disiez un peu plus long là-dessus.

M. Peterson: Me permettez-vous d'apporter une précision? Nous vous sommes très reconnaissants que cette séance ait pu être organisée, et nous n'avons pas fait ce qu'il fallait pour ce qui est de vous faire parvenir l'information voulue. Nous nous engageons à vous la faire parvenir et, si vous le voulez, nous serions heureux de revenir discuter avec vous de ces questions à un autre moment.

Peut-être que Richard peut répondre à certaines de vos questions.

M. King: Au nom des petits libraires, je vous dirai que vous avez parfaitement raison: il y a un an, quand nous avons vu Coles fusionner avec Smith pour former une seule grande entreprise, nous étions préoccupés. Nous avons eu un an, ou six ou sept mois en tout cas, pour commencer à nous préparer. Il s'est écoulé un an depuis.

La fusion proposée nous a amenés à effectuer une étude en profondeur de notre secteur, qui s'est étendue sur six ou sept mois. Ce que nous savons de notre secteur nous vient en grande partie de cette étude. Nous avons été obligés de répondre à des questions très difficiles au sujet notamment de la répartition du marché.

Le danger qui nous guette maintenant, c'est qu'une entreprise dont la taille est plus du double de l'ensemble du secteur canadien pourrait ouvrir ses portes dès demain. Aucune étude n'a été faite; personne n'a eu le temps de se préparer. Je suis assez certain que, si ce n'était de notre système de distribution, qui se trouve protégé, non pas en droit, mais de fait... Le système fonctionne parce que ceux qui s'en occupent sont prêts à faire ce qu'il faut pour qu'il fonctionne. Sans cet esprit de collaboration, il ne fonctionnera pas. Le danger est trop grand.

Je suis d'accord avec Larry là-dessus. Si le système de distribution échappe au contrôle canadien, il n'y aura aucun moyen de s'assurer que les librairies canadiennes vendent des livres canadiens.

De tout temps - et cela vaut non pas seulement pour le secteur du livre mais pour tous les secteurs - nous luttons au Canada pour résister à l'attrait nord-sud qui est très fort, et pour maintenir le lien est-ouest. Nos efforts n'ont pas été vains. Vous voyez encore là comme l'attrait du lien nord-sud menace le lien est-ouest que nous cherchons depuis toujours à consolider.

Je ne sais pas si j'ai répondu à toutes vos questions.

Mme Gaffney: Oui, en partie. Il y en a quelques autres cependant. Qui répondra aux autres? Pour ce qui est d'Investissement Canada?

M. Stevenson: Pour ce qui est de dire que c'est le consommateur qui décidera que nos excellents livres canadiens continueront à se vendre, je n'ai pas tellement confiance que cela sera possible à long terme, puisqu'il faut d'abord que les livres soient publiés. Tout dépend de la survie des maisons d'édition qui devront continuer à publier nos excellents auteurs pour que les consommateurs canadiens puissent voir leurs livres sur les étagères.

Le choix des consommateurs s'exerce à deux niveaux. Malheureusement, il arrive dans le secteur du livre que les consommateurs ne savent pas qu'ils veulent tel livre tant qu'ils ne l'ont pas vu. Ils ne seraient sans doute pas aller demander les livres de Margaret Atwood si les éditeurs de Margaret Atwood n'avaient pas d'abord fait la promotion de ses livres. Beaucoup des livres de Carol Shields ont été publiés par de très petites maisons d'édition canadiennes avant qu'elle ne remporte le prix Pulitzer. Il n'y avait pas de demande des consommateurs pour les livres de Carol Shields. Ainsi, le choix que peut exercer le consommateur dépend du soutien aux écrivains.

Ce que je crains, c'est que, après avoir constaté avec quel succès les éditeurs se sont occupés de lancer des auteurs canadiens, on risque de dire: «Bon, tout est au beau fixe maintenant; les auteurs n'ont plus besoin d'aide». Cela veut dire que l'actuel génération d'auteurs survivra. Margaret Atwood, Carol Shields et Robertson Davies survivront, mais ils survivront parce que le secteur les soutient depuis 25 ans. Il n'en sera pas ainsi pour la génération qui suivra. Ainsi, dans 25 ans, le consommateur ne pourra pas exercer son choix en faveur d'auteurs canadiens si les excellentes maisons d'édition que nous avons à l'heure actuelle ferment leurs portes.

Pour ce qui est du processus d'examen par Investissement Canada, je crois comprendre qu'il faut présenter une demande pour venir s'installer ici, même si ce n'est que comme investisseur minoritaire, et démontrer que le contrôle effectif demeure entre les mains de Canadiens, mais il est arrivé que des librairies ouvrent leurs portes et que l'examen se fasse après coup. Le problème tient au fait - je suis d'accord avec Richard là-dessus - que, quand on ouvre une librairie de 55 000 pieds carrés au centre ManuVie à Toronto, il sera vraiment très difficile d'obtenir après coup que la librairie ferme ses portes, même s'il est déterminé que les instances dirigeantes sont à Ann Arbour.

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Le président: Je me dois de poser une autre question, puisque vous parlez d'apocalypse, et je me demande simplement si vous vous fondez pour cela sur des précédents. Le grand écrivain Robert Fulford fait remarquer que, quand des vieilles chaînes comme Coles ont fait leur apparition, tout le monde à prédit que les petits libraires indépendants fermeraient leurs portes et disparaîtraient - ils seraient tout simplement effacés de la carte. Il faut toutefois observer que les vieilles chaînes sont là depuis des années maintenant et qu'il y a encore plus de petits libraires indépendants maintenant qu'il y en avait avant l'apparition des chaînes. Que pouvez-vous répondre à cela?

M. King: Il ne faut pas oublier que Classic et Coles étaient au début des petites librairies indépendantes. J'ai travaillé longtemps pour Classic. Au début, il n'y avait qu'une seule librairie, à Montréal. C'était en fait au début une librairie de livres d'occasion, puis on a ouvert une deuxième librairie. La troisième est celle qu'on a ouverte au Centre national des arts. L'entreprise a pris de l'ampleur. Elle était contrôlée à 100 p. 100 par des Canadiens, par la famille Melzacq.

Il en est de même pour Coles, la chaîne que nous connaissons aujourd'hui n'était à ses débuts qu'une seule librairie, située à Toronto. Il ne s'agit pas d'une entreprise avec un chiffre d'affaire de plusieurs milliards de dollars qui est arrivée sur le marché tout d'un coup. L'entreprise a commencé comme le font toutes les entreprises indépendantes et, comme elle est arrivée au bon moment, qu'elle a eu un peu de chance et qu'elle pouvait compter sur de bons dirigeants, elle a graduellement pris de l'ampleur. C'était une entreprise à 100 p. 100 canadienne.

J'ai lu la chronique de M. Fulford, et je ne pense pas que son raisonnement soit juste. Je suis désolé qu'il ait eu une mauvaise expérience quand il avait 17 ans. Je suis sûr qu'il y a d'autres jeunes de 17 ans qui ont eu de bonnes expériences dans des librairies indépendantes.

M. Stevenson: Monsieur le président, j'ai une observation à faire, si vous me le permettez. Richard a parlé de l'étude de six ou sept mois qui a précédé la fusion de Coles et de Smith. La préoccupation fondamentale des indépendants - et je crois qu'elle était légitime - était de s'assurer que les règles du jeu soient équitables tant pour la nouvelle entité dont l'importance dépasserait de beaucoup la leur que pour les libraires indépendants. Nous vous demandons maintenant la même chose, tous ensemble. Nous ne croyons pas que les règles du jeu seront équitables, et nous croyons qu'il faudrait procéder à une étude aussi complète que celle qu'on a effectué la dernière fois.

Le président: J'ai vécu une expérience lorsque j'avais 17 ans, mais il y a si longtemps de cela, que j'oublie. J'aurais dû noter ça dans un livre ou quelque chose.

Combien de temps avons-nous? Nous avons des questions, mais nous voulons également entendre ce que les éditeurs ont à dire. Écoutons M. Loney, et ensuite je pense qu'on devrait passer aux éditeurs.

Monsieur Loney.

M. Loney (Edmonton-Nord): Vous avez mentionné que des distributeurs américains contrôlaient deux librairies. Pouvez-vous nous dire où et qui?

M. King: Voulez-vous parler de Barnes & Noble? C'est américain. On retrouve cette chaîne partout aux États-Unis avec ses plus de 1 000 magasins.

M. Loney: Oui, mais je pensais que vous parliez de points de vente au Canada.

M. King: Ils ne sont pas encore ici. Voilà notre problème. S'ils étaient installés ici, la discussion d'aujourd'hui aurait été très différente.

M. Loney: Voilà qui est plus clair.

M. Hanrahan: Puis-je demander une précision à ce sujet? Avez-vous dit, monsieur Peterson, que vous ne savez pas quand c'est prévu.

M. Peterson: Voilà notre dilemme. Nous ne le savons pas. Il y a des rumeurs...

M. Hanrahan: Cela pourrait se produire demain ou dans un mois ou dans un an?

M. Peterson: Cela pourrait se produire demain. La rumeur court que ce sera annoncé vendredi. La rumeur veut que l'on va éviter de s'adresser à Investissement Canada et tout simplement ouvrir. Des rumeurs courent sur les associés financiers au Canada. C'est vraiment un dilemme. C'est très difficile pour nous. On entend dire qu'on a loué des locaux au centre ManuLife, mais on entend le contraire aussi.

Si nous avions tous les renseignements, ou si vous les aviez, nous pourrions demander la tenue d'une audience sur la question pour découvrir les faits. En vertu de la loi, Investissement Canada n'a pas à rendre ces renseignements publics. S'il s'agissait de gadgets, ce serait une chose, mais ce n'est pas ce qui est à vendre ici; non, à mon avis; c'est l'âme même de notre nation. Il faudrait soumettre l'affaire à un examen beaucoup plus attentif. En dernière analyse, on décidera peut-être que c'est la chose à faire pour le pays, mais au moins, ce le sera après une discussion publique des plus informées avec la participation de tous.

M. Peterson: Je pense qu'un entrepreneur avisé devrait écrire un livre fondé sur les rumeurs.

Le président: Si vous n'y voyez pas d'inconvénients, monsieur Peterson et compagnie, nous allons entendre ce que les éditeurs ont à nous dire?

M. Jack Stoddart, président de Stoddart Publishing, représente les éditeurs. Il est accompagné de M. Paul Davidson, le directeur général de l'entreprise, et de M. Roy MacSkimming, directeur des politiques.

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Nous voulons également entendre les témoignages des représentants du Conseil canadien des éditeurs de livres, M. John Neale, Mme Ann Ledden et Mme Jacqueline Hushion, la directrice générale.

Est-ce vous qui commencez, monsieur Stoddart? J'espère que vous pourrez être le plus bref possible pour que nous passions ensuite aux questions, d'accord?

Allez-y, monsieur Stoddart.

M. Jack Stoddart (membre du conseil d'administration, Association of Canadian Publishers): Merci, monsieur le président. Je m'appelle Jack Stoddart, je suis le président de Stoddart and General Publishing Companies. Je suis ici en ma qualité de membre de l'Association des éditeurs canadiens. Nous représentons 145 maisons d'édition canadiennes de toutes les provinces et de tous les territoires. Nous représentons des maisons allant de la petite entreprise dont le chiffre d'affaire est de 50 000 dollars par année, à la grande dont le chiffre d'affaire atteint 30 millions de dollars par année, un écart incroyable. Nous sommes dans tous les secteurs de la publication, etc.

Avant d'aborder la question de l'impact de l'arrivée au Canada des grands détaillants américains, je tiens à souligner qu'au cours des 25 dernières années, les éditeurs canadiens, en collaboration avec les auteurs, les illustrateurs et les artistes de tout le pays, ont créé une littérature nationale dans les deux langues officielles. Notre littérature présente des Canadiens aux autres Canadiens et le Canada au monde. Comme nation, l'une de nos grandes réalisations se trouve dans les livres que nous avons écrits et publiés.

Au cours de cette période, le réseau de détaillants et de distributeurs mis en place a été essentiel à notre succès. Environ un tiers des titres vendus au Canada proviennent d'auteurs canadiens, alors que 3 p. 100 seulement des films canadiens sont vus par les Canadiens. La différence s'explique essentiellement parce qu'aujourd'hui les Canadiens contrôlent leur réseau de distribution de livres, c'est-à-dire, les libraires, alors que, dans le cas des films, nous avons perdu ce réseau il y a des décennies.

Manifestement, on ne manque pas de talents créatifs canadiens lorsque l'on songe qu'un tiers des livres vendus au Canada ont été écrits par des Canadiens. Nous avons des auteurs, des réalisateurs de films, etc. La différence vient de la distribution des livres. Or, dans le cas des livres, ce sont les libraires.

Les canaux de distribution ont une importance, une importance fondamentale pour notre capacité à communiquer d'un bout à l'autre de ce vaste pays. C'est également fondamental pour l'aspect économique de l'édition au Canada. Les éditeurs font la distribution de titres étrangers au Canada, et ce, en faisant des bénéfices. Dans le cas de certains membres, cela représente de 50 à 65 p. 100 de leurs recettes totales. Les bénéfices servent directement à découvrir et à soutenir de nouveaux écrivains canadiens.

L'installation au Canada des détaillants américains nous menace essentiellement parce que cela représente une perte de contrôle de notre réseau de distribution. Le réseau américain du détail se caractérise essentiellement par ses achats et sa distribution centralisés. On traitera le Canada comme une autre ville et un autre État américain.

Pendant des générations, nous avons formé certains des meilleurs écrivains au monde. Nous avons mis en place une infrastructure qui permet aux habitants d'un bout à l'autre du pays de se raconter leurs histoires. Les Canadiens sont fiers de ces réalisations, mais aujourd'hui, tout cela est menacé.

Je tiens à ce que les membres du comité comprennent ce qui est en jeu si on permet à un grand détaillant américain d'ouvrir ses portes au Canada. Cela va plus loin que la simple question de la vente au détail. C'est tout l'avenir de notre littérature nationale et notre capacité à communiquer les uns avec les autres qui sont en jeu.

Notre association considère cette question comme très grave et tient à faire valoir quatre points. Nous sommes en faveur d'un environnement sain, dynamique et compétitif dans le domaine de la vente du livre. L'excellence dans la vente au détail et sa nature compétitive nous plaisent. Quant à la politique actuelle qui interdit aux étrangers d'entrer dans l'industrie du livre plutôt que dans la vente au détail du livre, il ne faut pas oublier que les mêmes règles sont censées s'appliquer qu'il s'agisse de libraires, de grossistes ou de maisons d'édition.

Certains tentent de faire une distinction en prétendant qu'il est plus important que ce soit la maison d'édition qui appartienne à des Canadiens plutôt que la librairie. Selon notre compréhension de la chose, la réglementation vise toute l'industrie, ce qui est tout à fait critique.

Il faut appliquer rigoureusement la politique actuelle interdisant l'entrée d'étrangers dans l'industrie du livre. Ainsi, il ne devrait pas y avoir, selon la loi actuelle, telle que nous la comprenons aujourd'hui d'étrangers dans ce marché canadien. De même, toute entreprise mixte doit être sous contrôle canadien, et ce contrôle doit être réel.

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Le CRTC n'a éprouvé aucune difficulté à définir et à exiger un contrôle canadien réel des médias - radio, télévision, journaux et revues. Dans le cas des livres, ce n'est pas aussi clair. Nous prétendons que nous sommes censés être canadiens, mais certains des nouveaux arrivés ne considèrent pas que le contrôle réel fait partie du mandat.

Le contrôle canadien doit s'évaluer en fonction d'un engagement réel et à long terme de se procurer les livres au Canada. La simple propriété n'est pas la solution. Cineplex Odeon appartient à des Canadiens depuis de nombreuses années, mais je ne pense pas que cette entreprise ait démontré un engagement vis-à-vis de l'industrie canadienne du film sur le plan de ce que l'on montre dans ses cinémas.

Heureusement, jusqu'à maintenant, nous avons eu un secteur de la vente du livre très fort et très engagé, qui a appuyé l'édition de livres canadiens pour les vendre dans les deux langues officielles. Il y a eu un appui très fort ce qui explique, en réalité, pourquoi les écrivains et les éditeurs ont pu s'épanouir et élaborer leur oeuvre.

Toutefois, cette situation illustre également un problème, l'absence à l'heure actuelle d'un ensemble de critères en vue d'évaluer le contrôle canadien dans l'industrie du livre. Il semblerait qu'il suffit d'affirmer qu'on est une entreprise canadienne pour pouvoir se lancer en affaires. Nous serions heureux de travailler en collaboration avec le gouvernement et d'autres intervenants de l'industrie du livre, afin d'élaborer un tel ensemble de critères.

Il faut, en réalité, déterminer où se situe le contrôle effectif de l'entreprise et si elle est sous contrôle canadien avant qu'elle ne commence à vendre au détail. Les enjeux sont trop considérables pour que l'on permette à une entreprise de s'installer au Canada et qu'on la laisse fonctionner pendant qu'elle fait l'objet d'un examen.

Enfin, nous invitons le gouvernement à respecter sa promesse en introduisant sans plus tarder le droit de distribution. La mesure a été promise par le ministre du Patrimoine il y a presque un an. Compte tenu du fait que l'aide financière directe à notre secteur a été très fortement réduite cette année, soit de 55 p. 100, et que le droit de distribution ne coûtera rien du tout au gouvernement, il s'agit là d'une importante mesure de protection qui, selon l'ensemble des éditeurs, permettra d'assurer que le secteur de l'édition continuera d'exister au Canada.

Grâce au droit de distribution, les éditeurs pourrait vendre au Canada des titres étrangers sans se voir privés des retenus correspondants en raison du court-circuitage des achats. Également - et pour bon nombre d'entre nous cet aspect est encore plus important - la mesure aura pour effet d'empêcher l'expédition au Canada à partir des États-Unis d'éditions américaines de livres d'auteurs canadiens qui sont publiés simultanément aux États-Unis par d'autres éditeurs. Il est essentiel que ceux qui publient des livres au Canada puissent exercer le contrôle voulu sur leur marché, ce qui n'est pas évident à l'heure actuelle.

Les enjeux du présent débat sont énormes pour les éditeurs, pour nos auteurs, nos libraires et, tout au moins le pensons-nous, pour notre pays. Nous apprécions votre intérêt. Évidemment, nous avons été convoqués à la hâte. Je me suis efforcé de limiter mon exposé à cinq minutes. Je crois bien cependant que je pourrais parler pendant cinq heures sans trop me répéter, mais je m'en abstiendrai.

Il n'en reste pas moins cependant que le problème est complexe. Il dépasse les aspects de la vente au détail, de l'édition et de l'écriture. Nous parlons d'un secteur culturel d'envergure nationale qui englobe deux langues. Je crois que rien dans ce que j'ai pu dire aujourd'hui en anglais ne serait étranger aux intérêts de nos collègues éditeurs de langue française. Ayant eu l'occasion de collaborer avec eux, je sais qu'ils partagent les mêmes points de vue.

Il faudrait une initiative analogue à celle dont a bénéficié le secteur des magazines. Je pense ici au groupe de travail sur le secteur des périodiques créé pour résoudre la question des tirages dédoublés de Sports Illustrated. Ou encore, on conviendrait peut-être de créer une commission royale ou un groupe de ce genre qui serait en mesure de formuler une politique.

Le problème qui se pose aujourd'hui est le suivant: si Borders et Barnes & Noble pénètrent au Canada - et je crois que ces entreprises vont l'annoncer d'ici deux semaines - le précédent créé s'appliquera également dans tout le Canada et il n'y aura pratiquement plus moyen de revenir en arrière. Étant donné que l'édition relève des mêmes règles que la vente de livres, il me semble que si les libraires peuvent modifier les règles, alors les éditeurs peuvent en faire autant.

Les maisons d'édition de propriété canadienne publient 80 p. 100 des livres écrits par des auteurs canadiens. À l'heure actuelle, ces maisons canadiennes ne peuvent être vendues à des nouveaux arrivants étrangers à moins qu'elles n'aient de graves difficultés, etc. Il y aura à cet égard un changement fondamental, et je crois bien que nous allons assister très rapidement à un recul de la propriété canadienne dans le monde de l'édition au Canada.

Il y aurait là un précédent important dans le secteur de l'édition, dans les deux langues.

Merci.

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Le président: Je constate que M. Peterson et ses collègues sont sur le point de partir.

Monsieur Peterson, avant que vous ne partiez, je tiens à vous remercier d'être venu en dépit d'un avis tardif. Je vous en suis reconnaissant, au nom de tous mes collègues. Nous n'arrivons pas très souvent à réunir un tel groupe de témoins à quelques jours d'avis. Je vous en suis donc reconnaissant, monsieur Peterson.

M. Peterson: Merci, monsieur. Nous nous ferons un plaisir de comparaître de nouveau, à votre demande.

Le président: Merci.

Maintenant, avant de passer aux questions, écoutons ce que M. Neale à nous dire.

M. John Neale (président, Canadian Book Publishers' Council): J'agis cette année à titre de président du Canadian Book Publishers' Council. À temps partiel, je suis également président de Doubleday Canada Ltd. et de Bantam Books Canada Inc.

Je suis accompagné par Ann Ledden, vice-présidente aux ventes pour Little, Brown; et par Jacqueline Hushion, notre directrice exécutive. Compte tenu de l'avis tardif, nous avons également sollicité la participation de Avie Bennett, président de McClelland & Stewart. Il n'est pas en mesure de comparaître aujourd'hui.

Il a beaucoup été question du peu de temps que nous avons eu pour nous préparer. Je ne reviendrai pas là-dessus, mais nous avons préparé un mémoire officiel qui contient ce que nous allons dire aujourd'hui et l'argumentation sur laquelle s'appuie notre position au sujet du droit d'importation. Nous n'avons pas eu l'occasion de le faire traduire en français, mais nous prenons des mesures à cet égard.

Nous savons tous que cette réunion a été convoquée à la hâte. À cet égard, permettez-moi également de vous dire que certaines des rumeurs qui circulent au sujet de Barnes & Noble et de certaines questions connexes ne sont pas étrangères au fait que la présente réunion ait lieu aujourd'hui. On peut donc prévoir un événement important pour demain. Vous pouvez donc voir comment les choses fonctionnent dans notre milieu. Nous sommes tout aussi consternés que quiconque par de telles rumeurs. La question est certainement importante, étant donné que Barnes & Noble, ainsi que Borders, dans leurs réunions avec les milieux de l'édition au Canada, ont certainement donné à entendre qu'elles songent sérieusement à s'implanter au Canada.

Je ne vais pas lire notre mémoire officiel, étant donné que le ton de la réunion a été jusqu'ici beaucoup plus décontracté que je ne l'aurais cru. Je vais cependant m'appuyer sur certains passages.

Nous ne sommes pas du tout ici pour proposer qu'on limite la vente au détail de livres au Canada de quelque façon que ce soit. Nous ne venons donc pas tout d'abord vous dire que nous cherchons une façon quelconque de limiter le droit de vendre des livres ici au Canada. Le gouvernement a déjà établi des règles au sujet de la propriété des entreprises de vente au détail et de distribution de livres, et nous supposons que ces règles sont déjà établies et qu'elles auront une certaine efficacité.

Nous estimons pourtant que l'existence des règles concernant la propriété et le contrôle de telles entreprises ne suffit pas pour déterminer dans quelle mesure les éditeurs canadiens et les écrivains du Canada pourront tirer partie d'une expansion de la vente au détail de livres au Canada. Il existe déjà chez nous d'importantes entreprises de vente au détail de livres, comme Wal-Mart et Price Costco, au sujet desquelles la question de la propriété ne s'appliquait évidemment pas. Ces entreprises qui opèrent chez nous ont manifesté jusqu'à maintenant leur volonté sérieuse de respecter les règles de distribution qui existent à l'heure actuelle au Canada ou les pratiques qui ont cours dans le secteur. La plupart des livres écoulés dans leurs points de vente sont achetés au Canada, soit parce que ces entreprises ont compris qu'il est dans leur intérêt d'agir de la sorte au Canada, soit parce qu'elles ont pris des engagements auprès du gouvernement pour être en mesure de vendre des livres chez nous.

La mesure que nous envisageons est une mesure qui permettra à notre secteur de croître et de s'épanouir et qui permettra aux auteurs canadiens d'élargir leurs possibilités de vente au détail. Pour y arriver, il nous semble nécessaire d'établir un droit de distribution ou, si vous voulez un droit d'importation, aux termes duquel toute personne qui participe à la distribution ou à la vente au détail de livres au Canada serait tenue de s'approvisionner en livres ici même au pays. La menace que posent les grands détaillants américains est réelle s'ils sont en mesure d'utiliser leur propre réseau de distribution et de court-circuiter ceux parmi nous qui ont investi dans l'édition et la distribution de livres au Canada.

L'organisation dont je suis le porte-parole aujourd'hui représente environ quarante sociétés de propriété canadienne et internationale. Nous publions tous des livres canadiens et nous versons des redevances à des auteurs canadiens. Je puis même vous dire que nos sociétés membres ont déjà fait imprimer plus de 13 000 titres canadiens. En 1994, nos quelque 3 000 employés ont produit et acheminé vers les marchés intérieur et international plus de 1 100 nouveaux titres canadiens et versé des redevances d'une valeur supérieure à 22 millions de dollars à des auteurs canadiens.

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De plus, nos membres sont également liés par des contrats d'exclusivité à titre d'agents de bon nombre d'éditeurs étrangers dont ils représentent les meilleurs titres sur nos marchés. On peut même dire qu'une bonne partie des sommes consacrées à l'édition d'oeuvres canadiennes originales, tant pour la fiction que pour les ouvrages non romanesques, proviennent de la vente de titres importés.

La distribution est vitale pour l'économie et l'infrastructure de notre secteur. Cela vaut autant pour les entreprises de propriété canadienne qui distribuent des livres canadiens, américains ou britanniques en vertu d'ententes d'exclusivité, que pour les entreprises de propriété étrangère qui non seulement vendent des livres de leurs sociétés-mères mais aussi éditent des auteurs canadiens.

Je crois que mon temps est à peu près écoulé et j'aimerais simplement avoir l'occasion de lire une dernière déclaration. Comme je vous l'ai déjà dit, nous avons d'autres documents à vous recommander. Lorsque vous avez affaire à des éditeurs, il y a toujours une abondance d'imprimés pour venir étayer les décisions à prendre. Nous n'avons tout simplement pas eu le temps de tout vous fournir avant la réunion.

Selon nous, le secteur de la vente au détail du livre au Canada doit être viable et bien portant. Il doit être concurrentiel. Les règles doivent y être les mêmes pour tous. Nous appuyons la réglementation de la Loi sur Investissement Canada qui concerne le contrôle canadien de fait. Cependant, il est évident que cette réglementation à elle seule n'assure pas la maîtrise des marchés canadiens par des Canadiens.

Il est tout aussi évident que la notion de contrôle canadien est difficile à définir, à réglementer, à mettre en application, tout au moins sur le plan pratique. Les règles actuelles en matière de propriété doivent être combinées à un droit d'importation, droit qui sera tout aussi utile pour les détaillants canadiens actuels que pour nous, puisqu'il garantit les mêmes règles pour tous.

Merci.

Le président: Merci, monsieur Neale.

Permettez-moi de vous demander une précision sur cette question du droit de distribution. D'après ce que j'ai compris, si j'écrivais un livre sous le régime d'un droit de distribution, un éditeur sous contrôle bel et bien canadien détiendrait les droits d'édition pour le Canada.

M. Neale: Pas nécessairement. Je crois que deux paliers de protection s'appliqueraient dans un tel cas, si je peux m'exprimer de la sorte. Tout d'abord, la protection conférée par le droit d'auteur, qui s'applique lorsqu'un auteur conclut avec une société d'édition un marché qui concerne un territoire donné. Par exemple, Margaret Atwood a comme éditeurs Doubleday aux États-Unis et McClelland & Stewart au Canada. La loi protège l'édition canadienne du livre. Selon le contrat de droit d'auteur, l'importation au Canada de l'édition de Doubleday est illégale.

Pour ce qui est du droit d'importation, il s'agirait d'une protection élargie, aux termes de laquelle une société canadienne pourrait conclure une entente avec une autre maison d'édition comme St. Martin's Press. Ainsi, personne d'autre ne pourrait importer au Canada les livres visés par l'entente. Nous souhaitons par là protéger le système de contrat d'exclusivité qui existe au Canada.

Le président: Cela existe-t-il dans d'autres pays?

M. Neale: Oui.

Le président: Merci.

Suzanne Tremblay.

[Français]

Mme Tremblay: Au moment de la vente de Ginn Publishing, le ministre du Patrimoine nous avait promis de présenter une politique. Je ne voudrais pas décourager M. Stoddart, mais cela fait dix ans qu'on attend la Loi sur le droit d'auteur. C'est une promesse qui est reportée d'année en année.

La première fois qu'on a rencontré M. Dupuy en 1993, on lui a demandé quand il allait déposer la Loi sur le droit d'auteur. Il nous a répondu qu'il le ferait dans quelques mois. Quand il a comparu à nouveau devant nous en 1994, il a dit que ce serait à l'automne 1995. Et on attend toujours! C'était pourtant une des promesses du Livre rouge!

Je vous avoue que je suis un peu troublée par cette réunion. Avant que je parte ce matin, on m'a remis à mon bureau un article du Toronto Star daté le 24 juin dernier et intitulé: «Border Crossing Could Damage Publishing».

Le 24 juin, c'était la Saint-Jean-Baptiste et par la suite, comme vous le savez, on s'est attachés à d'autres préoccupations, soit sauver le Québec puisque le Canada laissait tout aller! Donc, le problème auquel nous faisons face a été porté à notre attention sur une feuille verte qui disait succinctement: Briefing session on possible changes to retail bookselling in Canada and its cultural implications - Witnesses to be announced. On nous a annoncé qui vous étiez quand on est arrivés ici ce matin.

Cette rencontre est peut-être un dernier effort de guerre, car j'ai l'impression qu'il est trop tard. C'est sûr que tant que rien n'est fait, il n'est pas trop tard. Mais je trouve cela un peu triste, ce qui se passe.

.1215

Monsieur Stoddart, dans votre document, à la page 4, il y a quelque chose que je ne comprends pas et que j'aimerais que vous m'expliquiez. Vous écrivez: The current policy prohibiting foreign entries into the book industry must be rigorously applied.

Si nous avons une politique rigoureuse et que nous l'appliquons, on peut empêcher les gens d'entrer. Pourquoi s'inquiète-t-on de la possibilité que des gens entrent au pays si notre politique peut les en empêcher? J'aimerais qu'on m'explique un peu cela, car j'ai de la difficulté à comprendre.

[Traduction]

M. Stoddart: Je vous remercie de votre question, qui touche au coeur même du sujet.

Lorsque la politique dite de Baie-Comeau était en vigueur, l'entrée de sociétés étrangères dans le secteur de l'édition était fortement réglementée. La réglementation a été très assouplie par la révision adoptée sous l'égide de Perrin Beatty en 1992-1993 je crois. Il y a bien un seuil de 51 p. 100, par exemple, mais il est impossible à définir et il ne s'agit pas de contrôle effectif, tout au moins dans l'optique d'Investissement Canada.

Je vous donne un exemple. Barnes & Noble n'a pas fait de demande à Investissement Canada. Cette société a plutôt approché Peter Caskey, à Investissement Canada. M. Caskey aurait déclaré que si la société correspondait à la règle des 51 p. 100 et se conformait à deux ou trois autres critères, alors elle n'aurait pas à faire l'objet d'un examen. Selon lui, si la société respecte la règle des 51 p. 100, elle est une société canadienne et n'a pas à participer au processus d'examen.

S'il n'y a pas de processus d'examen, alors comment savoir où est le contrôle efficace?

C'est important, parce que Barnes & Noble, comme nous l'avons déjà dit, est une grosse société américaine, et les trois partenaires canadiens sont des anciens employés de Coles, de bonnes gens qui travaillent dans ce secteur depuis longtemps. Prétendre que trois personnes qui ont travaillé dans le secteur représenteraient 51 p. 100 d'une librairie et disposeraient du contrôle effectif dépasse mon entendement, et je ne suis peut-être pas seul dans ce cas.

Si je demande à Peter Caskey quelles sont les règles, je n'obtiens pas de réponse. Si quelqu'un se demande si telle ou telle démarche est acceptable, il obtient une réponse officieuse, et ensuite, ces entreprises, qu'il s'agisse de Borders ou de Barnes & Noble ou de quelqu'un d'autre, établissent leurs plans et s'installent, et cela laisse les éditeurs et les libraires canadiens sans lignes directrices claires. C'est l'un des problèmes qui se posent.

Si nous savions tous quelles sont les règles, si celles-ci étaient rédigées noir sur blanc, si nous les comprenions et si nous avions participé à leur élaboration... Peu importe le propriétaire et peu importe la composante du secteur, nous avons tous demandé à participer à l'établissement des lignes directrices afin que les règles de base soient fixées.

Il n'existe pas de règles fondamentales qui soient comprises dans le secteur, et c'est ça le principal problème. Par conséquent, si Borders annonce demain qu'il s'installe au Canada, je suis sûr qu'il le fera conformément aux lignes directrices d'Investissement Canada, lignes directrices que je n'arrive pas à obtenir.

La réglementation convenue est considérée comme étant privée; par conséquent, je ne sais même pas quels sont les engagements qui ont été pris. Quand Coles et Smith ont créé Chapters, il y a eu toute une série d'audiences, et elles ont pris des engagements qui sont clairement compris par l'industrie; en vertu des responsabilités découlant de la fusion, Chapters doit rendre des comptes tous les trois mois, et ainsi de suite. Au fond, le secteur de l'édition doit intervenir en disant: «Nous comprenons qu'il y ait moins de concurrence, mais la société agit de façon responsable.»

Si j'ai bien compris la politique d'Investissement Canada, tel n'est pas le cas. Les sociétés étrangères pourront entrer chez nous sans même avoir à justifier leurs activités. Cela s'est produit maintes fois dans le secteur des publications; je ne vois donc pas pourquoi la situation serait différente en ce qui concerne la vente des livres.

.1220

[Français]

Mme Tremblay: Si on choisissait une approche comme celle du CRTC et qu'on exigeait qu'il y ait, par exemple, 75 à 80 p. 100 de propriété canadienne et seulement 20 à 25 p. 100 de propriété étrangère, parce que c'est dans le domaine de la culture, est-ce que ce serait une base intéressante pour rendre plus rigoureuse la politique à venir?

[Traduction]

Mme Jacqueline Hushion (directrice exécutive, Canadian Book Publishers's Council): Pas nécessairement, parce que si une chaîne de vente de livres au détail appartient entièrement à des intérêts canadiens, nous ne pouvons pas présumer qu'elle va appuyer le marché canadien; elle continuera d'acheter au Canada des livres que l'on trouve sur place grâce à des contrats exclusifs. À notre avis, telle est la question plus vaste.

Les États-Unis ont un droit de distribution. Nous ne pouvons pas inonder leur marché de la même façon qu'ils peuvent inonder le nôtre. Le Royaume-Uni a un droit de distribution. En ce moment même, l'Union de Berne envisage, dans le cadre d'un comité de juristes spécialisés en propriété intellectuelle et en droits d'auteur, un protocole de Berne, que le Canada signerait et qui donnerait un droit de distribution au monde entier, parce que nous reconnaissons que la divisibilité du droit d'auteur est le fondement économique de notre secteur.

Je ne suis pas sûre que le fait d'être entièrement propriétaire de nos maisons d'édition nous garantisse notre marché. Les éditeurs canadiens ont besoin de se coucher le soir en sachant que le lendemain matin, ils auront des clients qui vont acheter chez eux et non pas aux États-Unis.

M. Stoddart: J'aimerais ajouter autre chose. En ce qui concerne la propriété des maisons d'édition canadiennes, l'Association of Canadian Publishers ne voit que de la logique dans le fait que la possession de 51 p. 100 des actions ne garantit aucun contrôle. Dans les industries culturelles, il faut détenir 75 p. 100 ou 80 p. 100 des actions, contrairement à toutes les autres industries - et c'est pour cela que l'on a bâti des sociétés canadiennes solides. C'est certainement une position beaucoup plus forte pour toutes les régions du pays.

Le président: Merci.

À l'intention de Mme Tremblay, je vais essayer d'expliquer pourquoi cette réunion a été organisée si hâtivement.

Quand je suis arrivé au travail lundi matin, j'ai constaté que nous n'allions pas avoir de témoins pour la réunion de jeudi. Je pensais que le Conseil des arts du Canada allait comparaître jeudi, et j'ai découvert qu'il ne pourrait pas le faire avant mardi. Il y avait donc un vide à combler.

Étant quelque peu préoccupé par la productivité et des questions semblables, j'ai fait des recherches le lundi en fin de matinée et au début de l'après-midi, et j'ai découvert que certains témoins pourraient être disponibles. J'en ai informé les membres du comité quand nous nous sommes réunis le mardi. Ils m'ont donné le feu vert pour organiser cette réunion.

Nous avons donc agi un peu vite, mais je pense que cela nous aide à remplir notre mandat. Je suis désolé d'avoir un peu précipité les choses, mais je peux vous dire que si nous n'avions pas reçu les témoins aujourd'hui, notre emploi du temps ne nous aurait pas permis de les entendre, probablement, avant février. Voilà donc comment les choses se sont présentées.

Mais je m'en excuse.

Monsieur Hanrahan.

M. Hanrahan: Je comprends ce que vous dites, monsieur le président. Actuellement, nous sommes tous très occupés, et nous devons profiter au maximum du peu de temps dont nous disposons.

Messieurs, je vous remercie pour votre exposé.

Vous avez dit que vous pourriez parler pendant cinq heures sans vous répéter. Je suis sûr que nous pourrions passer le même laps de temps sans répéter une question.

Mon intervention se situe dans la même veine que celle de Mme Tremblay.

Je vais citer un passage du texte que vous avez distribué, je crois, et qui est tiré du Maclean's du 20 novembre 1995. En gros caractères, on dit que la décision d'Ottawa pourrait bouleverser l'industrie du livre.

Ensuite, à la page 4, on dit qu'en vertu de la politique actuelle, les éditions étrangères ne peuvent pas accéder au marché canadien. Maintenant, vous nous dites que vous ne connaissez pas bien les dispositions de la loi. À l'instar des témoins précédents, vous nous avez dit que cela pourrait se produire demain à cause des rumeurs qui découleront de la réunion d'aujourd'hui.

.1225

Ma question est la suivante. La décision d'Ottawa pourrait bouleverser l'industrie du livre. La décision d'Ottawa n'aura peut-être rien à y voir. Ottawa pourrait même ne pas prendre de décisions, car si ces gens-là s'installent demain et s'établissent en l'espace d'un an, alors, comme les témoins précédents l'ont indiqué, il sera très difficile de les renvoyer chez eux.

M. Stoddart: Nous le comprenons, et c'est pour cela que nous avons apprécié la réunion d'aujourd'hui.

On a peut-être l'impression que les deux articles sont contradictoires, mais je crois que tel n'est pas le cas. Les deux ministères donnent des réponses assez différentes sur cette question, et c'est pour cela qu'il y a de la confusion. Si je pose la question à Investissement Canada, il me répondra que si je respecte les critères établis, etc. Si vous la posez au ministère du Patrimoine canadien, il dira que tout le monde doit faire l'objet d'un examen, que vous devez avoir des activités substantielles, que vous devez faire un certain nombre de choses, etc.

Le ministère du Patrimoine canadien, qui est responsable du bien-être culturel dans notre pays, a une position différente de celle de l'industrie, mais c'est l'industrie et Investissement Canada qui accordent l'approbation. Je pense que le ministère du Patrimoine canadien et les intervenants du secteur sont frustrés parce que les décideurs ne considèrent pas les industries culturelles comme une entité unique. Ils gèrent le système comme si c'était une entreprise. Peu leur importe que nous vendions des gadgets ou des livres.

C'est un problème, car je sais que le ministre Manley se considère comme un grand nationaliste canadien. On me l'a dit. Chaque décision qui a été prise, notamment en ce qui concerne Ginn, Maxwell Macmillan... Si vous regardez toute la liste, chaque décision a eu pour effet de diminuer la présence des éditeurs canadiens, des auteurs canadiens et des oeuvres canadiennes.

Je ne pense pas que nous puissions laisser les décisions concernant notre culture à Investissement Canada et au ministère de l'Industrie, qui, pendant ces cinq dernières années, n'ont absolument rien fait pour que nos industries culturelles demeurent canadiennes. Qu'elles soient contrôlées par des étrangers, cela ne semble leur poser aucun problème.

Mme Hushion: Il est très important que nous bénéficions du soutien et de Patrimoine Canada et d'Industrie Canada en l'occurrence, à cause de l'implication d'Industrie Canada dans la réforme de la Loi sur le droit d'auteur.

Je crois qu'il importe également de vous signaler que le sous-ministre adjoint d'Investissement Canada, Alan Nymark, et le sous-ministre adjoint de Patrimoine Canada, Victor Rabinovich, sont en train de discuter la question des droits de distribution que nous venons à nouveau d'évoquer devant vous.

Nous ne voulons pas vous faire croire que rien de positif ne se passe, que personne ne s'intéresse à la question, car en réalité nous avons demandé à tout le monde de réfléchir et d'agir.

M. Neale: Je crois que nous vivons vraiment une crise car même si je ne conteste pas les arguments de M. Stoddart, il ne reste pas moins que les autres détaillants qui jouent un rôle important dans le domaine du livre sont déjà là: Price Costco et Wal-Mart ont des rayons de librairie. Si nous ne voulons pas que notre industrie perde ses droits de distribution, il faut agir vite. Ces dispositions devaient être incluses dans les amendements aux droits d'auteur, ou dans la révision du droit d'auteur dont nous savons qu'elle prendra peut-être beaucoup plus longtemps que prévu au départ.

Tout ce que nous souhaitons, c'est la responsabilité - et il semble qu'il y ait une sorte de volonté dans ce sens - d'intervenir et de prendre des mesures concrètes pour réglementer la distribution des livres au Canada. Nous pourrions discuter de la question de propriété et de la possibilité pour Wal-Mart de devenir canadien à 75 p. 100 pour vendre des livres. Cela dépasse l'imagination.

Il faut voir qui vend réellement des livres et ce qui est nécessaire pour protéger notre industrie. Nous avons beaucoup en commun dans ce domaine. Nous n'essayons pas d'accentuer les points sur lesquels nous divergeons. Nous considérons que régler la question des droits de distribution est d'une nécessité immédiate.

M. Hanrahan: Je perçois un malentendu que je trouve extrêmement frustrant. C'est plus une question philosophique qu'une question économique.

Si je regarde la page 6, au dernier paragraphe, vous dites que les enjeux de ce débat sont énormes a) pour les éditeurs et b) pour les auteurs. Pour moi a) c'est pour les libraires et ensuite b) pour notre pays, et il y a une distinction entre nos auteurs et les cultures respectives de nos pays, et la situation économique de nos éditeurs et de nos libraires respectifs.

.1230

Je ne vais pas vous demander de répondre immédiatement à cette question, mais je vous demanderais d'y réfléchir parce que nous sommes limités par le temps - et de nous communiquer ultérieurement une réponse.

Je cède ce qui me reste de temps de parole à M. Abbott.

M. Abbott: Permettez-moi de vous dire, avec le plus grand respect, que votre déposition contredit la déposition précédente. Si je vous ai bien compris, l'un d'entre vous a dit que la propriété canadienne à 100 p. 100 n'est pas forcément la garantie d'un contenu canadien. Il me semble qu'il y a en fait deux questions en jeu.

Vous nous parlez de droits de distribution et de droits d'importation, cela fait une question. Mais s'agissant des supermagasins américains qui viennent s'implanter chez nous, vous nous dites qu'il nous faut régler toute cette question des droits de distribution et du droit d'importation car il n'y a aucune raison que Smith et Coles respectent obligatoirement la règle du contenu canadien. J'ai l'impression que vous contredisez la déposition des témoins précédents.

Mme Ann Ledden (présidente sortante, Trade Publishers' Group, Canadian Book Publishers' Council): Pas directement car nous croyons que les droits d'importation s'appliqueraient également aux librairies contrôlées à 100 p. 100 par des Canadiens ou à 51 p. 100.

M. Abbott: Ça, je comprends.

Mme Ledden: Les entreprises installées au Canada devront s'approvisionner au Canada quel que soit leur propriétaire. Chapters Inc. sera donc sur un pied d'égalité, sur le même pied que les supermagasins. C'est un point sur lequel nous divergeons et il faudra le clarifier en ce qui concerne Borders et Barnes & Noble, qui peuvent dire à leur compagnie-mère d'ignorer les droits d'importation.

Si c'est stipulé dans la loi, il n'y aura pas d'autre solution. Je crois que ce n'est pas une solution qui intéresse beaucoup de compagnies américaines. Elles n'expédient pas actuellement de livres au Canada. Borders et Barnes & Noble sont deux de leurs principaux clients, et je suis certain qu'un droit d'importation mettrait fin à cette situation.

M. Abbott: Permettez-moi de vous dire que, dans un monde parfait, en ce qui vous concerne, si vous obteniez satisfaction quant aux droits de distribution et aux droits d'importation, la propriété des librairies ne serait absolument d'aucune conséquence.

Mme Hushion: Nous n'avons pas dit que cela ne serait d'aucune conséquence. Ce n'est pas notre priorité.

M. Abbott: Il y aurait quand même une petite conséquence.

Le président: Est-ce que je pourrais avoir une petite explication? Nos témoins conviennent-ils qu'en vertu des règlements actuels ou de la loi actuelle, Investissement Canada a le droit, sur le plan juridique, de refuser toute demande soumise par, disons, Borders ou Barnes & Noble, mais cela ne vous satisfait pas totalement car, selon vous, la loi est ambiguë, et gagner cette fois-ci ne garantit pas que vous ne perdrez pas la prochaine fois? C'est bien ça?

Mme Hushion: Je ne pense pas que la Loi sur Investissement Canada soit ambiguë, pas plus que les amendements plus récents qui autorisent le gouvernement à soulever le voile qui protège certaines entreprises pour déterminer si oui ou non elles sont vraiment contrôlées par des Canadiens.

Selon moi, le problème est différent dans chaque cas. À cause des dispositions de confidentialité de la Loi sur Investissement Canada et de la procédure de révision, le gouvernement ne se sent pas le droit ou même n'a pas le droit de nous consulter sur cette révision. Je crois que c'est un des problèmes qu'a évoqués M. Stoddart.

Lorsque le Bureau de la concurrence a examiné la proposition de fusion de Coles and Smith, nous avons été consultés. Nous avons participé à la discussion jusqu'à la onzième heure, heure à laquelle le bureau a arrêté les modalités de prise de contrôle, pour ainsi dire.

Donc, pour nous, la difficulté, c'est qu'étant donné la nature différente de tous ces cas, ils ne seront pas traités de la même manière et nous ne pourrons pas intervenir.

Le président: Merci.

Monsieur Jackson.

M. Jackson (Bruce - Grey): J'ai trois questions à vous poser, bien que j'aie peut-être déjà eu la réponse à l'une d'entre elles. Je crois vous avoir entendu dire qu'un tiers de leurs publications sont canadiennes. Quel pourcentage de ce qu'ils publient est canadien?

Deuxièmement, quelles ressources ont été consacrées à la recherche de ces nouveaux talents? Je sais que pour être compétitifs, il vous faut probablement un marché mondial et chercher des auteurs dans le monde entier. Je me demandais simplement quelles ressources vous consacrez à la recherche de talents canadiens.

.1235

Troisièmement, en matière de droits de distribution et de droits d'importation, quelle est la différence avec les Américains?

M. Stoddart: Il n'y a pas actuellement de droits de distribution au Canada. Les États-Unis ont des droits très stricts, et la disposition législative qu'on nous propose est une copie édulcorée beaucoup moins stricte que la législation américaine. Enfin, c'est un début. La majorité des pays ont des droits de distribution. Nous n'en avons pas. Notre cas est assez unique.

Chaque compagnie a ses méthodes, donc ses coûts, pour découvrir de nouveaux talents. Il vous faudrait voir ce que fait chaque compagnie, lire la liste de leurs publications et compter les nouveaux auteurs. Dans certains cas, les listes de publications ne contiennent pour la plupart que des auteurs mûrs qui ont déjà publié cinq ou dix livres. Certaines compagnies ne publient que des auteurs nouveaux. La majorité de leurs auteurs en sont en leur premier, leur deuxième ou leur troisième livre, et ensuite ils passent à une maison d'édition plus importante.

Il n'y a pas de réponse absolue. Je peux simplement vous dire que ce n'est pas dans l'industrie de l'édition que vous trouverez beaucoup de gens qui gagnent énormément d'argent. Comme quelqu'un l'a dit tout à l'heure je crois, c'est une industrie où on ne compte pas ses heures de travail.

Les informations de Statistique Canada sur l'industrie de l'édition indiquent que, dans l'édition anglaise, les bénéfices sont d'environ 0,5 p. 100 par an pour le secteur contrôlé par des capitaux canadiens, et pourtant ils publient des milliers de livres par an. Le bilan est donc excellent. Et beaucoup de compagnies internationales éditent beaucoup de très bons produits canadiens. Je ne pense pas que les éditeurs de notre pays confinent à la portion congrue les auteurs et l'élément culturel de cette industrie.

Votre première question était le pourcentage de publications...?

M. Jackson: Oui. Quel pourcentage de vos ressources consacrez-vous à la publication d'ouvrages canadiens?

M. Stoddart: Je ne peux vous parler que de la mienne.... Nous faisons un chiffre d'affaires de 30 millions de dollars par an, dont 10 millions correspondent à des oeuvres canadiennes. Il y a 10 ans, le rapport était de 90-10, et il a donc évolué de manière considérable depuis 10 ou 11 ans que nous sommes une compagnie canadienne.

M. Jackson: J'ai une dernière question, monsieur le président.

Quelle est l'importance du marché américain pour les éditeurs canadiens? Est-ce que c'est un marché indispensable?

M. Stoddart: Pour énormément de titres, il est clair que c'est un marché extrêmement important pour nous. Le Canada exporte de plus en plus de livres. Notre bilan d'exportation de livres canadiens est excellent. Un des secteurs typiques est celui des publications destinées aux enfants. Le Canada est un des principaux éditeurs de livres pour enfants et de livres illustrés pour enfants. Nous constatons de plus en plus la bonne marche de nos livres aux États-Unis. C'est un secteur très actif. Le gouvernement soutient vigoureusement nos efforts d'exportation par le biais de deux programmes différents, et je crois que l'industrie de l'édition ne l'a pas du tout déçu.

Statistiquement, les exportations ont triplé au cours des quatre dernières années. Le bilan est excellent. Et il ne s'agit pas simplement d'Harlequin, qui bien entendu est une énorme compagnie internationale basée au Canada, il y a aussi toutes sortes d'autres succès de ce genre. Beaucoup de livres sont par contre inexportables. Les livres sur nos problèmes de culture ne s'exportent pas très bien. Il y a plusieurs catégories ou plusieurs types de livres qui sont plus ou moins exportables, mais pour ceux qui sont exportables, j'estime que notre industrie peut être fière des résultats.

M. Jackson: Votre industrie est en pleine mutation. Il est possible qu'un jour les gens ne lisent plus de livres mais uniquement ce qu'il y a sur l'écran de leurs ordinateurs. Est-ce que cela va vous poser un problème ou est-ce que vous éditez des vidéo-cassettes ou des supports de ce genre?

M. Neale: Beaucoup de compagnies se lancent dans l'édition électronique. L'édition audio est en expansion. J'aimerais d'ailleurs en profiter pour parler un petit peu de cette morosité ambiante et de cette soi-disant situation de crise.

En réalité, comme Jack y a fait allusion, nous nous rendons de plus en plus compte des énormes possibilités qui s'offrent à nous de l'autre côté de la frontière. Le plus gros marché de langue anglaise est à notre porte. Aussi, malgré cette soi-disant menace d'extinction du livre provoquée par les médias électroniques, toutes sortes d'indices, à court et à moyen terme en tout cas, nous montre qu'il y a de plus en plus de gens qui veulent vendre des livres. Nous avons beaucoup plus de clients qu'auparavant.

.1240

Il y a toutes sortes de détaillants qui vendent des livres. Les éditeurs - et, aussi, nous croyons, l'Union des écrivains du Canada - voient l'avenir sous une lumière beaucoup plus gaie, un avenir porteur d'immenses possibilités. Notre objectif principal est d'élargir autant que faire se peut notre marché et de multiplier le nombre de détaillants prêts à vendre nos livres à condition de pouvoir s'assurer qu'ils ont l'obligation de se fournir au Canada.

M. Stoddart: Je suis d'accord.

Prenez l'industrie de la musique, elle est passée du 78-tours, au 45-tours, au 33-tours, aux cassettes et aux CD, et qui c'est ce qui arrivera sur le marché l'année prochaine.

Le président: Le numérique.

M. Stoddart: Les DIT, oui, vous avez raison.

Cela fait environ 500 ans ou à peu près que le format du livre est statique. Les choses sont en train de bouger et la majorité d'entre nous suivons. Nous ne pensons pas que les cassettes et les disques remplaceront les livres; ils joueront un rôle de complément. Demain, certains types de livres seront sur CD, ou sur le produit de la prochaine génération, mais d'autres ne le seront pas. Les livres ne disparaîtront pas.

Mais c'est la même fonction. L'édition, c'est la dissémination d'informations, une forme de loisir, et nous ne pensons pas que le changement du support soit si important.

M. Jackson: Il me reste un dernier petit commentaire. Personnellement, je crois que les livres sont très importants parce que notre imagination est différente. Nous avons été créés un peu différents, d'où une créativité différente. Si tout le monde regardait le même écran et voyait les mêmes images, etc., ce serait l'enfer. J'espère qu'il y aura toujours des livres.

Le président: Malgré ces différences, nous pouvons quand même être égaux, n'est-ce pas?

M. Jackson: Exactement.

Le président: Cela s'inscrit dans le problème plus général du Canada.

Monsieur MacSkimming.

M. Roy MacSkimming (directeur des politiques, Association of Canadian Publishers): J'aimerais ajouter quelque chose à la réponse sur les ressources que nous consacrons à la publication d'auteurs et de livres canadiens. C'est le coeur même de cette question culturelle dont l'importance est égale à celle de la question de distribution ou de droits d'importation.

C'est une question culturelle car c'est notre industrie qui fait naître et vivre les auteurs canadiens. Beaucoup de compagnies parmi les 145 de notre association ne font rien que publier des auteurs canadiens et n'importent aucun livre de l'étranger. Il y a donc un peu de tout; certaines compagnies importent et certaines n'importent pas.

Les compagnies qui publient exclusivement des auteurs canadiens font la recherche et le développement culturel pour notre littérature et elles ont besoin d'un environnement de vente et de distribution contrôlé par des capitaux canadiens afin que les consommateurs canadiens achètent leurs produits. Une chaîne géante américaine contrôlée et gérée à l'étranger n'a pas d'affinités particulières pour ce réseau d'éditeurs canadiens qui publient 80 p. 100 des livres que les Canadiens écrivent.

La propriété est donc un problème auquel s'ajoute celui des droits d'importation. Il nous faut ce droit d'importation afin que nos éditeurs canadiens qui distribuent des livres importés puissent être sûrs de toucher ce que rapportent ces livres, ce qui est leur droit plein et entier. Ils s'en servent pour financer la publication d'auteurs canadiens. Cette question est importante.

Il s'agit aussi de s'assurer que les détaillants comprennent la nécessité d'offrir des livres canadiens aux consommateurs, et c'est ce que nos librairies canadiennes font actuellement. Il importe donc que les librairies canadiennes ne soient pas chassées du marché par ces mégachaînes.

Le président: Cette ronde est terminée. Nous approchons de la fin mais je crois queMme Tremblay veut poser une autre question.

[Français]

Mme Tremblay: Je suis peut-être naïve, mais j'ai l'impression que la barrière de la langue protège plus le Québec que le reste du Canada. Est-ce une fausse perception ou est-ce que le Québec est aussi menacé par l'envahisseur?

[Traduction]

M. Stoddart: Il est exact que le Québec a des règlements qui protègent également sa culture et l'industrie du livre, et l'industrie de la vente de livres en particulier, beaucoup plus que le reste du Canada. Quant à la différence linguistique, comme Marcel Massé avait pour habitude de le dire lors de ses discussions de politique à Baie-Comeau, je n'ai pas d'inquiétudes pour la culture québécoise. Elle survivra. C'est la culture anglaise qui m'inquiète car il y a une émigration naturelle de la culture par le biais de la radio, de la télévision et de tous les autres médias.

.1245

Nous avons également décidé d'imposer des règlements très stricts dans nos médias afin que nos médias soient canadiens. Je crois que c'est une des rares initiatives qui a protégé la culture de langue anglaise dans notre pays. Mais je crois que c'est sur le point de changer; les règlements de propriété pour les journaux, les radios et la télévision vont disparaître et l'arrivée de capitaux étrangers plus importants sera autorisée.

Je me demande si c'est vraiment important pour l'avenir. Est-ce que notre culture nous intéresse vraiment? À mon avis, c'est une question fondamentale. Pouvons-nous la protéger? Je crois bien que c'est de cela qu'il s'agit ici aujourd'hui.

Mme Hushion: J'ose espérer que les membres du comité sauront quand même reconnaître que la contribution faite à la culture canadienne par des intérêts étrangers est égale à la contribution faite par les intérêts canadiens, et je ne parle pas que de chiffres. Nos membres appartiennent et à des Canadiens et à des étrangers, et ils publient tous des livres écrits par des Canadiens pour des Canadiens au Canada. Nous jouons gros jeu.

Le président: Je crois que Mme Gaffney veut intervenir.

Mme Gaffney: Il s'agit d'une question extrêmement importante, et en notre qualité de membres de ce comité nous devrions demander d'avoir une réunion avec Investissement Canada dès que possible.

Il n'y a pas de critères. Nous disons qu'il faut décider du contrôle canadien. Nous parlons d'imposer des droits de distribution. Il y a beaucoup de questions dont on voudrait qu'on s'occupe et qu'Investissement Canada n'a pas vraiment abordées.

Il est malheureux que vous n'ayez pas comparu ou demandé à comparaître devant notre comité. Je félicite le président pour avoir découvert que cette question critique faisait partie des tractations. Je crois vraiment qu'en notre qualité de membres de ce comité, nous devrions immédiatement exiger de rencontrer quelqu'un, quelqu'un d'approprié, qu'il s'agisse d'un responsable d'Investissement Canada ou peu importe. Je ne crois pas que nous puissions prendre de décisions sans avoir entendu ce qu'ils ont à dire.

Je suis nouvelle à ce comité. Il y a beaucoup d'informations dont j'ai besoin et dont nous ne disposons pas ici. J'ai entendu votre version, il me faut maintenant entendre l'autre.

C'est une recommandation que j'aimerais bien faire, si c'est approprié, monsieur le président.

Le président: Tout à fait. Votre collègue député d'Ottawa, ayant pour nom M. Manley, pourrait peut-être en prendre ombrage.

Mme Gaffney: C'est une possibilité.

Le président: Mais c'est certainement de notre ressort.

Je comprends pourquoi nous sentons que cette question est urgente. Nous percevons qu'il y a menace de la part de Barnes & Noble ou Borders, qui non seulement s'approchent, mais qui sont là. Cette question sera de nouveau soulevée quand nous serons saisis du projet de loi sur les droits d'auteur. Je ne sais pas quand ce sera, mais soyez sûrs...

M. Neale: Il plane peut-être une menace encore plus pressante. Tower Records qui ouvre son supermagasin sur Yonge Street d'ici trois semaines a de gros rayons de livres dans ses magasins américains. J'ai parlé avec les gens de Tower Records et je ne décèle chez eux aucune mauvaise intention à ce propos. Ils ne connaissent absolument rien à cette question de propriétaires canadiens ou non.

Je leur ai téléphoné pour les inciter à acheter leurs livres à une source canadienne. Ironiquement, l'argument qu'on m'a renvoyé, c'est qu'ils savaient que l'histoire des droits de distribution était peut-être imminente mais que ça n'avait pas encore été adopté. Ils se demandaient pourquoi eux, comme détaillants, ne pouvaient pas s'approvisionner en livres à des sources américaines si les librairies appartenant à des intérêts canadiens pouvaient le faire.

Difficile de répondre à cette question. Encore une fois, c'est parce que l'industrie a besoin de cette protection offerte par ce contrôle sur la distribution. Nous pouvons débattre de toute cette question d'intérêts canadiens et étrangers pendant les cinquante prochaines années, mais l'industrie pourrait souffrir énormément si nous ne faisons rien dès aujourd'hui.

Le président: Évidemment, nous ne savons pas encore si Investissement Canada a même été saisi d'une demande.

M. Stoddart: Ils ont dit qu'ils ne feraient pas de demande. Le futur président de Barnes & Noble Canada était assis dans mon bureau et me disait: «Peter Caskey m'a dit que je n'ai pas besoin de faire de demande si je fais les cinq choses qui suivent.» Ils ne prévoient de pas faire une demande. Quant à savoir si Borders en présentera une ou pas, nous ne le savons pas.

Mme Hushion: Cela pourrait être une tentative faite pour nous désarmer et nous donner le sentiment que nous ne pouvons rien faire. Ce n'est pas parce que quelqu'un au gouvernement nous dit que tout va bien qu'il faut croire cette personne. C'est une simple supposition. Encore une fois, ce n'est que de la spéculation et des rumeurs.

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Le président: Mais prenons une situation hypothétique, encore que ce soit toujours risqué de faire des hypothèses en politique. Si l'un de ces supermagasins américains arrivait chez nous et ne passait pas par Investissement Canada en croyant sincèrement que ce n'est pas nécessaire et que notre loi autorise l'entrée de ces magasins, nous ne pourrions rien faire?

M. Neale: Tout dépend du ministère auquel vous vous adressez.

Le président: Bon, posons la question en ces termes, que pourrait-on faire?

M. Stoddart: En tant qu'entreprise, rien. Je ne pense pas que l'industrie par elle-même... Nous pourrions protester, mais il faudrait que ce soit une décision d'Investissement Canada. Il faudrait alors se reporter aux précédents d'Investissement Canada.

Quelqu'un a demandé tout à l'heure si ce n'était pas ce que disait la loi, et nous avons parlé des deux grandes interprétations de la loi. Dans l'ouvrage que j'ai ici, on parle de l'affaire Ginn. Si les membres du comité lisaient ce texte, ils constateraient que malgré l'existence de la loi - et il s'agissait d'une loi très différente à l'époque - , il y a eu des manoeuvres pour la contourner, et la loi a ensuite été modifiée.

Rien ne nous laisse penser que ce soit l'intention ici. Nous avons l'impression qu'on a suffisamment affaibli la loi pour que ce ne soit même plus nécessaire; il suffit de la contourner.

Le problème, c'est que personne ici n'est en mesure d'affirmer que nous avons une loi bien précise et des règles et des engagements auxquels devront se conformer tous les nouveaux venus. Si nous connaissions les règles, nous pourrions en discuter, mais ce n'est pas le cas. Nous avons deux ministères qui disent des choses différentes.

Le président: On peut donc se chamailler au sujet de ces règlements, mais il faudrait au moins réussir à s'entendre sur ces fichus règlements, ou les modifier pour que tout le monde s'entende sur leur interprétation.

M. Stoddart: Oui.

Le président: Monsieur MacSkimming, très brièvement.

M. MacSkimming: Monsieur le président, je vais m'étendre un peu sur cette dernière remarque. En toute équité pour le ministre de l'Industrie, M. Manley, et les hauts fonctionnaires d'Investissement Canada, je pense qu'il faut dire que nous avons obtenu des assurances orales et écrites que les règlements existants seraient appliqués en l'occurrence. C'est parfaitement clair dans la mesure où nous savons qu'une entreprise de vente de livres sous contrôle étranger n'a pas le droit de venir s'installer au Canada. C'est absolument interdit. Donc le règlement va s'appliquer.

Si un investisseur étranger arrive au Canada, il doit demeurer minoritaire, et il doit avoir un partenaire majoritaire canadien qui détient 51 p. 100 des parts et conserve le contrôle opérationnel effectif ou de facto. Nous savons donc que cette règle sera appliquée.

La question est de savoir en quoi consistent les critères permettant de déterminer le contrôle. Si l'entreprise se présente comme une entreprise sous contrôle canadien, techniquement, elle n'a pas à passer par Investissement Canada. Il suffit de dire que c'est une entreprise canadienne, et le tour est joué.

Toutefois, je précise pour information qu'il y a dans la Loi sur Investissement Canada un article autorisant le ministre, comme le disait Mme Hushion, à aller voir ce qui se passe derrière la façade et à vérifier si le contrôle opérationnel s'effectue bien au Canada et non à l'étranger. En cas de contestation, il faudrait donc s'en remettre au ministre pour le faire, et nous souhaiterions qu'il y ait des critères rigoureux pour déterminer ce contrôle opérationnel. Nous serions heureux de participer à la définition de ces critères.

M. Hanrahan: Une dernière question, très générale.

Disons que je suis un auteur canadien. J'écris un livre. Je le présente. Une maison d'édition canadienne l'accepte. Elle va le distribuer exclusivement au Canada. Vous avez dit tout à l'heure, je crois, qu'on subventionnait dans une certaine mesure les auteurs canadiens dans ce cas. Pourriez-vous me dire comment ça se passe? De quel montant parle-t-on? Est-ce que la situation dont nous parlons actuellement risquerait de mettre en question cet état de choses?

M. MacSkimming: Nous avons au Canada des programmes d'aide financière pour aider les éditeurs canadiens à publier et à commercialiser des livres canadiens.

M. Hanrahan: Mais l'argent vient du secteur privé ou du gouvernement?

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M. MacSkimming: Au départ, c'est le secteur privé qui investit ses propres fonds pour éditer ces livres. Cette industrie tire une proportion relativement minime de ses recettes des programmes fédéraux du Conseil des Arts du Canada et du ministère du Patrimoine. Toutefois, l'essentiel du financement provient des recettes que les éditeurs tirent de leurs activités.

Voici ce qui serait menacé en l'occurrence: si les Canadiens perdent le contrôle de l'industrie de la vente au détail des livres, vous allez voir de moins en moins de livres canadiens dans les vitrines. Or, ce sont des livres que le contribuable canadien contribue en fait à faire éditer.

Le président: Cette question sera la dernière. Je crois que Mme Tremblay a une question d'ordre technique.

Mme Tremblay: Oui. Dans votre document, vous parlez des annexes B et C, mais nous ne les avons pas. D'après votre texte, elles ont l'air très intéressantes, alors pourriez-vous nous les faire parvenir?

Mme Hushion: Certainement. La technologie étant ce qu'elle est, nous avons eu une panne hier soir vers huit heures, et je n'ai pas pu continuer à faire des photocopies.

Mme Tremblay: Bon.

Mme Hushion: Mais soyez sans crainte, je vous ferai parvenir ces annexes.

Mme Tremblay: Merci.

Le président: Avant de remercier nos témoins, je voudrais faire deux petites remarques.

En ce qui concerne les droits de distribution, je pense que vous devriez nous fournir d'autres documents sur la question et les rédiger dans une langue très simple pour que nous puissions vraiment comprendre le mécanisme.

J'ai parcouru rapidement ce texte, madame Hushion. Je suis peut-être obtus, mais j'aimerais bien avoir quelque chose d'un peu plus compréhensible. Je suis tout à fait d'accord avec les droits de distribution, mais j'aimerais savoir exactement comment cela fonctionnerait.

Voici ma deuxième remarque. Madame Gaffney, vous avez suggéré d'inviter Investissement Canada. Je n'ai aucune objection à cela.

Je ne vois qu'un seul problème. Comme on nous l'a déjà dit, Investissement Canada n'est pas en mesure de nous dire si une demande a ou non été présentée. Nous pouvons donc faire venir ses représentants, mais ils ne pourront pas nous parler de quelque chose dont ils ne sont pas autorisés à nous parler. Ils ne peuvent même pas nous dire s'il y a quelque chose ou s'il n'y a rien. Nous serions donc pratiquement obligés de parler dans l'abstrait, ou de parler des règles existantes.

J'imagine qu'il n'y a pas de mal à les inviter à venir nous parler des règles actuelles, mais je pense que la question est de savoir ce que nous souhaitons vraiment. J'avais l'impression que nous voulions parler d'une entreprise qui vient s'installer au Canada, mais apparemment le règlement leur interdit d'en parler.

Mme Gaffney: Nous pourrions tout de même prendre un exemple ou un cas hypothétique.

Le président: Oui, mais le problème est qu'on peut faire 36 000 hypothèses de propriété, de contenu, de contrôle, etc., alors laquelle va-t-on choisir?

M. Stoddart: Apparemment, ils ont tout de même fait savoir aux nouveaux venus sur le marché qu'ils seraient prêts à accepter certains règlements. Donc, ils seraient peut-être prêts à faire la même chose avec notre comité.

Le président: Encore une fois, madame Gaffney, je n'ai nullement cette possibilité, mais je voulais simplement mentionner cet objection. Il va falloir en discuter.

Quoi qu'il en soit, je vous remercie tous d'être venus. Je crois que nous avons fait quelque chose qui est d'utilité publique. Je vous remercie tout particulièrement d'être venus avec un préavis aussi court. Merci.

La séance est levée.

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