[Enregistrement électronique]
Le mardi 5 décembre 1995
[Traduction]
Le président: Chers collègues, la séance est ouverte.
Avant de souhaiter la bienvenue à nos invités de Téléfilm, il y a une question que j'aimerais soulever parce qu'il s'agit d'une séance spéciale que nous devrions tenir la semaine prochaine. Comme vous le savez, Radio-Canada subit des compressions particulières, comme c'est le cas de la plupart des organismes gouvernementaux quels qu'ils soient. Ces compressions ont été annoncées il y a quelques semaines, et notre calendrier est quelque peu compliqué du fait que la publication du rapport Juneau a été reportée à la mi-janvier. Le Parlement ne reprend pas ses travaux avant le 6 février, et M. Martin devrait déposer son budget vers la fin février. Reste maintenant à savoir comment le comité va se pencher sur Radio-Canada et comment il va contribuer au débat sur la situation financière de la société d'État, et il faudra voir aussi l'effet qu'aura le budget de M. Martin. Comment allons-nous procéder au vu du calendrier que nous avons?
Voici ma proposition. Nous pourrions tenir une séance sur Radio-Canada au cours de la deuxième semaine de février, mais cela ne donnerait pas grand-chose parce que je pense que 98 p. 100 du budget, ou alors une très grosse partie du budget, sera déjà complété. Devrions-nous donc avoir une bonne discussion sur les compressions qui attendent Radio-Canada?
Si je mentionne cela, c'est entre autres parce que Radio-Canada a déjà annoncé qu'elle retrancherait 227 millions de dollars de son budget. Mais il se peut aussi que M. Martin en veule davantage, 123 millions de dollars de plus, pour un total de 350 millions de dollars. La question est donc de savoir si le comité a son mot à dire dans ce débat.
Ce à quoi je veux en venir, c'est que nous devrions nous réunir la semaine prochaine. Je n'ai pas eu l'occasion de vous parler à vous tous. J'ai jeté un coup d'oeil sur notre calendrier. Il est déjà plein. La seule possibilité qui nous reste, c'est de convoquer une séance spéciale, du moins une séance en marge de notre calendrier. Le calendrier actuel prévoit une séance mardi prochain à 11 heures, et une autre jeudi à 11 heures. Je propose donc que nous nous réunissions mardi prochain à 9 heures.
Ce qui veut dire que nous aurions deux séances de suite, mais je ne vois pas d'autre moyen de s'en sortir.
Nous allons donc siéger mardi prochain à 9 heures. Nous inviterons quelqu'un de Radio-Canada, quelqu'un qui représentera les réalisateurs, les Friends of Canadian Broadcasting, et ces gens nous diront quels seront les effets de ces compressions sur Radio-Canada et ce que nous devrions faire à partir de là. Nous réserverons environ une heure pour cela. Le comité devra voir ensuite s'il doit publier une déclaration quelconque, et nous en resterons là.
Monsieur Abbott.
M. Abbott (Kootenay-Est): Monsieur le président, je ne veux pas m'engager dans un débat avec vous, mais il me semble que sans mandat... Compte tenu du fait que le mandat devait être publié le 30 septembre, ou le 15, peu importe la date, et que cela a été reporté de nouveau en novembre, je me demande sérieusement comment nous pourrons mesurer les effets des compressions budgétaires si nous ne savons ce que sera le mandat de la société.
Le président: Tout d'abord, j'imagine que vous partez de l'hypothèse que le mandat de la société va changer. Je ne suis pas au courant de quoi que ce soit en ce sens, et je ne sais pas non plus si M. Juneau va modifier le mandat de la société. Je pense que nous devons nous en tenir au fait que Radio-Canada va subir des compressions; ces compressions suscitent divers avis. Il est possible qu'on change le mandat, j'imagine, mais je ne crois pas que nous devrions en discuter. Nous ne savons pas si M. Juneau va recommander qu'on change le mandat ou non.
Mme Guarnieri (Mississauga-Est): Monsieur le président, si vous me permettez une suggestion, étant donné que nous avons des invités qui attendent, nous devrions peut-être entendre leur exposé et de là, et peut-être au comité de direction, nous pourrons discuter plus longuement de la question que vous soulevez.
Le président: Ça va. Je ne faisais qu'user de ma prérogative de président. Je tiens à attirer votre attention sur ces questions, mais je ne peux convoquer le comité de direction ou le comité plénier lorsque des questions de ce genre se posent. Je crois seulement qu'en ma qualité de président, j'ai la responsabilité de convoquer une séance la semaine prochaine, et à moins qu'on ne propose une motion visant à renverser ma décision, je pense que nous devrions tenir cette séance.
Oui, monsieur Ianno?
M. Ianno (Trinity - Spadina): J'allais seulement dire que si vous avez besoin d'une motion pour siéger mardi à 9 heures...
Le président: J'espère que nous n'aurons pas à nous encombrer de telles formalités. J'espérais qu'il suffirait d'une simple convocation du président. Est-ce que ça vous va, madame Guarnieri?
Donc nous irons de l'avant et nous siégerons mardi prochain à 9 heures. Voilà qui va chambouler mon personnel.
Oui, madame Gaffney.
Mme Gaffney (Nepean): J'ai rendez-vous chez l'oculiste à 9 heures, je serai donc en retard. Je ne peux reporter ce rendez-vous, cela fait des mois que j'attends.
Le président: Je sais que ce n'est pas facile. En tout cas, merci beaucoup.
Mes excuses à nos invités. Nous recevons aujourd'hui Robert Dinan, président du conseil d'administration de Téléfilm Canada, et François Macerola, qui en est le directeur.
Je crois savoir que c'est M. Dinan qui va commencer. Je crois qu'il a une allocution liminaire de 10 minutes et tout comme les autres témoins que nous avons entendus au cours des dernières semaines, M. Dinan nous parlera un peu des activités de son organisme au cours de la dernière année ou davantage et de certains problèmes avec lesquels il est aux prises. S'il peut contribuer à l'unité nationale, tant mieux.
Allez-y, monsieur Dinan.
M. Robert Dinan (président, Téléfilm Canada): Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs du comité. Je vous remercie de votre accueil chaleureux.
[Français]
Depuis près de 30 ans, Téléfilm Canada oeuvre au coeur d'un secteur d'activités intimement relié à l'imaginaire du peuple canadien, celui du cinéma et de la télévision. Notre cinéma et notre télévision contribuent à l'unité canadienne en suscitant un sentiment d'identification, d'appartenance et de fierté chez les Canadiens.
Cet imaginaire collectif définit ce que nous sommes comme individus et comme peuple. Il nous rappelle nos racines et notre passé et nous aide à forger l'avenir. Il nous réunit devant des oeuvres de très grande qualité qui racontent nos histoires, nous ouvrent au monde et nous aident à bâtir nos rêves.
Cet imaginaire nous aide aussi à bâtir notre mythologie moderne, nos héros du petit et du grand écran, et à faire éclater les frontières.
Voici quelques exemples: Le Déclin de l'empire américain, I've Heard the Mermaids Singing, Anne of Green Gables, Les Filles de Caleb, Blanche, Million Dollar Babies et tant d'autres oeuvres ont rempli d'émotion des millions de Canadiens et de Canadiennes.
Cet imaginaire s'enrichit chaque jour de nouvelles expériences, de nouveaux arrivants dont le passé et la culture constituent un apport inestimable à notre vie collective et nous aident à redéfinir le tissu social et culturel du pays.
Il est certain que Téléfilm est un instrument majeur pour l'affirmation de la culture canadienne. Téléfilm a été créé par le gouvernement, en 1967, pour stimuler le développement de l'industrie du cinéma. Par la suite, on lui a confié de nouveaux budgets pour soutenir la production d'émissions de télévision et les autres secteurs de l'activité audiovisuelle comme la distribution, le doublage et le marketing national et international.
C'est ainsi que les investissements de Téléfilm ont joué un rôle de levier important auprès du secteur privé canadien. Ils ont permis la création de plus de 500 longs métrages et de plus de 1 200 émissions et séries de télévision qui ont enrichi considérablement le patrimoine culturel canadien.
Depuis sa création, Téléfilm a été l'un des plus grands catalyseurs du talent canadien dans le domaine de l'audiovisuel. Elle a permis à des milliers d'artistes et d'artisans - réalisateurs, scénaristes, directeurs photo, musiciens, monteurs, techniciens et comédiens - de développer et de perfectionner leur talent dans leur propre pays et de rejoindre leurs concitoyens. Plusieurs d'entre eux ont aussi connu une carrière internationale.
On sait très bien que la globalisation des marchés risque de se traduire par une uniformisation des cultures. Il est donc de plus en plus important que nous protégions le caractère distinctif de notre production nationale.
Voyons un peu la situation du cinéma au Canada. Jusqu'à la création de Téléfilm, peu de longs métrages étaient produits au pays en dehors de l'Office national du film du Canada, faute d'infrastructure et de moyens financiers adéquats.
Depuis, nous avons fait des pas de géant. Téléfilm participe au financement d'environ 25 longs métrages par année, de tous les genres: comédies, drames, fresques historiques, films pour les enfants, suspenses policiers, oeuvres intimistes, portraits moraux et sociaux.
Au Canada anglais, malgré la concurrence directe des films américains sur nos écrans, les auditoires de nos films ont doublé au cours des cinq dernières années grâce à une nouvelle génération de cinéastes de Toronto comme Patricia Rozema, Bruce MacDonald, Atom Egoyan et David Wellington qui a fait I Love a Man in Uniform. Par exemple, Exotica, d'Atom Egoyan, a fait plus d'un million de dollars aux guichets.
Au Québec, cet automne, étaient à l'affiche quatre films produits à Montréal, quatre films fort différents les uns des autres: Liste noire de Jean-Marc Vallée est déjà millionnaire aux guichets; Le Confessionnal de Robert Lepage a probablement dépassé, la fin de la semaine dernière, le cap des 400 000$; L'Enfant d'eau de Robert Ménard a franchi la barre des 350 000$; Le Sphinx de Louis Saïa a dépassé les 250 000$. La relève est assurée.
Il y avait cinq films canadiens invités au Festival international du film de Cannes en 1995, et trois d'entre eux étaient des premiers longs métrages: Le Confessionnal de Robert Lepage, Rude de Clement Virgo et Soul Survivor de Stephen Williams. Clement Virgo et Stephen Williams sont deux cinéastes torontois d'origine jamaïcaine. Leurs films reflètent la mosaïque culturelle canadienne actuelle.
[Traduction]
Le marché des salles reste difficile pour la production canadienne, puisque les produits américains accaparent encore plus de 90 p. 100 du temps d'écran. Cependant, la carrière de nos films se compare favorablement à celle de toute autre cinématographie nationale: ils font aussi leur marque dans plusieurs créneaux, dont celui du vaste marché de la vidéo et de la télévision canadienne et étrangère.
Regardons maintenant ce qui s'est passé du côté de la télévision. Au début des années quatre-vingt, au Canada anglais, seulement 65 p. 100 des émissions dramatiques étaient canadiennes. Le temps d'écoute des émissions canadiennes était donc très faible.
En créant le Fonds de développement d'émissions canadiennes de télévision, en 1983, le gouvernement a fait le pari suivant: augmentons le nombre d'émissions canadiennes disponibles, assurons-nous qu'elles sont d'une grande qualité et qu'elles sont diffusées à des heures de grande écoute et le public choisira de plus en plus de voir des émissions d'ici.
Nous pouvons dire que nous avons tenu ce pari haut la main, en grande partie grâce à Téléfilm. Les dernières tendances démontrent que, du côté anglophone, près de 40 p. 100 du temps d'écoute est consacré à des émissions canadiennes. Un exemple récent, la mini-série Million Dollar Babies, a rejoint près de 5 millions de téléspectateurs canadiens, en plus de rejoindre un auditoire américain très important. Cette augmentation est sans aucun doute attribuable au succès colossal d'émissions comme Ann of Green Gables, Road to Avonlea et E.N.G. Ces émissions, qui sont diffusées depuis plusieurs saisons, ont attiré des auditeurs fidèles et donné à l'auditoire canadien le goût de la télévision de chez nous.
Au Québec, presque 80 p. 100 du temps d'écoute est maintenant consacré à des émissions d'ici. L'auditoire québécois privilégie définitivement la programmation québécoise - comme en témoigne le succès des séries comme Lance et compte, Chambre en ville, Les Filles de Caleb et Blanche. La série La Petite Vie est un autre phénomène du genre. Elle a été visionnée par plus de 4 millions de téléspectateurs - soit environ 57 p. 100 des Québécois.
Je tiens aussi à mentionner le succès de nos émissions pour enfants. Nos enfants sont les téléspectateurs adultes de demain. Il est réconfortant de savoir qu'ils ont déjà acquis un goût vif pour les productions d'ici.
Téléfilm a encouragé le développement de l'industrie dans toutes les régions. La création des bureaux de Halifax et de Vancouver a certainement stimulé la production régionale. Les investissements de Téléfilm en région ont augmenté considérablement au cours des 10 dernières années. Ils représentent maintenant en moyenne 30 p. 100 de nos fonds depuis quelques années, comparativement à 10 p. 100 il y a un an. Vancouver est devenu le troisième plus grand centre de production au pays, avec Montréal et Toronto. Plusieurs des grands noms de notre cinéma et de notre télévision viennent de l'Ouest, dont le regretté Philip Borsos et Anne Wheeler. L'année dernière, la jeune réalisatrice de Vancouver, Mina Shum, a vu son film Double Happiness couronné de succès. L'Ouest a connu aussi de grands succès à la télévision, avec des émissions comme Danger Bay, Destiny Ridge, Neon Rider et North of 60.
Les provinces de l'Atlantique ne sont pas en reste. Au cours du dernier exercice, la série de variétés This Hour has 22 Minutes, qui traite avec humour de l'actualité canadienne, a triplé ses auditoires au pays. La série pour enfants Theodore Tugboat, qui continue d'enchanter nos enfants, a déjà été vendue dans plus de 50 pays.
Au cinéma, Téléfilm a financé récemment le premier long métrage acadien, le Secret de Jérôme, un film qui a obtenu un grand succès en s'inspirant d'une histoire réelle survenue au Nouveau-Brunswick au siècle dernier.
Téléfilm assure une répartition équitable de ses fonds en développement et en production entre les communautés anglophone et francophone du pays. De manière général, 61 p. 100 de ses allocations sont versées à des projets en anglais et 39 p. 100 a des projets en français. Téléfilm consacre également quelque 6 millions de dollars chaque année au doublage et au sous-titrage des productions originales dans l'autre langue officielle du pays. Ainsi, les Canadiens ont accès à l'ensemble des produits d'ici, et cette mesure facilite la percée des marchés étrangers.
Téléfilm tend à répondre aux besoins spécifiques de l'industrie anglophone et de l'industrie francophone. Elle a ainsi créé des programmes particuliers pour la production en région, pour soutenir le documentaire, pour favoriser la coproduction en français ou encore pour faciliter la percée de la relève en cinéma, alors que d'autres incitatifs visent à faciliter la distribution des longs métrages en anglais.
[Français]
J'aimerais parler maintenant un peu du rayonnement de nos oeuvres à l'étranger.
Quel art voyage mieux que le septième art? Au cours de la dernière année, le bureau des festivals de Téléfilm a inscrit 560 oeuvres dans 121 festivals et événements spéciaux dans le monde, qui ont obtenu une trentaine de prix.
Notre cinéma connaît aussi de véritables succès de distribution à l'étranger. Un des plus notables est sans doute celui qui a fait de la série Les contes pour tous du producteur Rock Demers, dont la quinzaine d'oeuvres ont été vendues dans 120 pays dont la Chine, un succès international remarquable.
Le film Exotica, d'Atom Egoyan, a été vendu dans 56 pays et, au cours des derniers mois, il a été présenté dans 250 salles aux États-Unis. Beaucoup de films canadiens ont par ailleurs été vendus dans plus de 30 pays.
En télévision, beaucoup de productions sont déjà vendues à plus de 50 pays. On a assisté cette année à du jamais vu. Plusieurs de nos émissions atteignent plus de 35 p. 100 de part de marché en France, dont The Boys of St. Vincent de John Smith. Aux États-Unis, Million Dollar Babies a rejoint plus de 13 millions de foyers, ou 24 p. 100 de part de marché pour les deux émissions.
On a également assisté au triomphe américain de la série pour enfants The Adventures of Dudley the Dragon, qui a été diffusée dans plus de 200 stations de la chaîne PBS, et la série Pacha et les Chats, diffusée sous le titre de Kitty Cats, est en voie d'obtenir un succès similaire.
La chaîne américaine CBS s'intéresse aussi à notre production. Elle a acheté la deuxième saison de Due South, qui sera diffusée à compter de cette semaine.
C'est donc encourageant. En misant sur les histoires canadiennes, nos réalisateurs et scénaristes ont créé des oeuvres de portée véritablement universelle.
Pratiquement inexistante au moment de la création du fonds de télévision, il y a moins de 15 ans, l'industrie canadienne de la télévision est l'une des plus performantes au monde. Le Canada est même aujourd'hui le deuxième pays exportateur de produits audiovisuels au monde.
Sept compagnies canadiennes sont maintenant inscrites à la bourse: Alliance, Cinar, Nelvana, Malofilm, Coscient, Atlantis et Paragon. En cinq ans, leurs revenus globaux annuels ont plus que doublé, pour s'élever à près de 400 millions de dollars. Téléfilm a largement contribué à leur essor.
Malgré ces succès remarquables, le soutien de Téléfilm va continuer d'être décisif pour l'industrie, surtout dans le cas des productions à haut contenu canadien. Dans un marché aussi exigu que le marché canadien, et dans un contexte économiquement difficile, l'investissement public est un levier indispensable auprès des autres investisseurs.
Pour continuer de progresser, il faut absolument que l'industrie augmente son volume d'activité, particulièrement au cinéma. La continuité et la visibilité sont des conditions sine qua non pour s'imposer dans un marché extrêmement concurrentiel. Elle devra augmenter et diversifier davantage ses coproductions avec les autres pays et augmenter son volume d'exportation en explorant de nouveaux marchés, dont ceux de l'Asie et de l'Amérique latine.
L'industrie doit aussi relever rapidement le défi du virage technologique et se positionner comme un leader mondial dans la production de contenus multimédia de qualité supérieure. Téléfilm a élaboré un programme à cette fin. Il entrera en vigueur d'ici quelques mois.
Téléfilm Canada est un organisme essentiel à l'unité canadienne. Elle a un mandat d'envergure nationale, des bureaux dans toutes les régions du pays et est reconnue comme un leader sur le plan de la promotion internationale des produits canadiens.
En terminant, je rappellerai que l'industrie du cinéma et de la télévision est un partenaire dynamique et efficace du gouvernement dans l'affirmation de notre culture et de notre identité nationale. Elle est un instrument majeur de le développement culturel à travers le pays. Il faut donc lui faire confiance et l'encourager au maximum pour que nos créateurs puissent développer toutes les facettes de leur talent et continuer de nous présenter un miroir de ce que nous sommes.
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup. Nous vous savons gré de votre exposé.
Monsieur Macerola, vous n'allez pas parler maintenant, n'est-ce pas? Vous pourrez donc répondre aux questions.
Je crois savoir que M. Abbott aimerait commencer.
M. Abbott: Avant de parler du rapport que vous nous avez remis, je me demande s'il n'y aurait pas moyen de parler de cette question troublante dont on faisait état dans les journaux aujourd'hui et qui avait trait aux dépenses liées au festival de Cannes. Qu'en est-il au juste, pouvez-vous nous en parler?
M. François Macerola (directeur, Téléfilm Canada): C'était dans le journal d'aujourd'hui?
M. Abbott: Oui.
M. Macerola: Encore?
M. Abbott: Encore.
M. Macerola: Je pense que Téléfilm Canada a joué un rôle très important à Cannes. Par ailleurs, au cours des cinq dernières années, je crois que nous y avons dépensé environ 500 000$. Mais nous faisons plus que promouvoir l'industrie cinématographique canadienne à Cannes. Nous sommes directement responsables de la commercialisation d'un certain nombre de films, qui sont sélectionnés régulièrement.
Par ailleurs, lorsque je suis arrivé à Téléfilm Canada au cours du dernier exercice financier, nous avons décidé que nous allions réduire notre participation à Cannes. Ce que vous avez lu ce matin au sujet de Téléfilm Canada doit porter sur ce qui se faisait dans le passé. Il était question de l'argent que nous y dépensions, du champagne que certaines personnes buvaient, ce genre de choses.
Étant un habitué de Cannes depuis 25 ans, je dois vous dire qu'il y a des exagérations dans les articles que vous avez lus. J'en ai l'absolue conviction.
Néanmoins, nous tenons à réduire notre participation financière à Cannes, et je proposerai à mon conseil d'administration un plan d'action la semaine prochaine, où les dépenses se limiteront à quelque 150 000$ ou 200 000$. J'entends par là que nous allons réduire l'effectif que nous allons y envoyer et le montant d'argent que nous consacrons directement ou indirectement à la commercialisation, et il se peut aussi que nous changions d'emplacement. Au lieu de loger sur La Croisette, nous allons louer un appartement de l'autre côté de la rue, qui coûtera moins cher. Néanmoins, nous pourrons, avec les dépenses que nous allons faire, donner aux gens du secteur privé des services de très haute qualité, et nous allons du même coup économiser beaucoup d'argent.
M. Abbott: Merci.
J'aimerais reprendre ce que vous dites au haut de la page 3 et au bas de la page 8:
- Dans un univers où la globalisation des marchés risque de se traduire par une uniformisation des
cultures, il est de plus en plus important que chaque pays protège le caractère distinctif de sa
production nationale.
Évidemment, je suis d'accord avec vous. Mais ici, à part les acteurs canadiens à qui on donne du travail, y a-t-il d'autres éléments canadiens dans Due South? C'est une émission divertissante, mais il n'y a à peu près rien qui la distingue de toute autre émission américaine, exception faite de ce gendarme qui se promène en tunique rouge.
Autrement dit, je ne m'y retrouve pas tout à fait. Même que je ne m'y retrouve pas du tout. D'un côté, on dit qu'on va défendre notre culture avec l'argent des 30 millions de contribuables canadiens, ou peu importe leur nombre, et de l'autre on nous dit que nous devons soutenir ceci, je ne m'y retrouve donc pas du tout entre... Je comprends le cas d'Anne of Green Gables. C'est facile à comprendre. Mais je ne m'y retrouve pas avec ce qu'on voit...
Si je comprends bien, vous dites que Téléfilm doit continuer de financer des entreprises comme Alliance et d'autres. Essentiellement, nous produisons des choses qui sont très...c'est comme le lait. Je ne sais pas. Ce n'est pas canadien. J'essaie de faire le lien entre ce que vous dites à la page 3 et le financement continu ainsi que le grand succès que nous avons obtenu avec Due South. Je n'arrive pas à faire le pont entre ces deux choses.
M. Macerola: Téléfilm Canada veut modifier quelque peu la morphologie de son portefeuille. Par exemple, la même entreprise, Alliance, a produit Black Robe, un film uniquement et profondément canadien, et je crois personnellement que c'est le prix qu'il faut payer si l'on veut réussir sur le marché international. Il faut être canadien, et il y a éventuellement un prix à payer.
Mais un projet comme Black Robe revêt une forte densité culturelle. Due South est quelque peu différent, et la densité culturelle y est moins apparente. Néanmoins, c'est une série réalisée par des Canadiens, scénarisée et fabriquée par des Canadiens, et Téléfilm Canada s'efforce continuellement d'équilibrer son portefeuille. Donc, dans un plan quinquennal, vous aurez des Due South, des Black Robe, des Petite Vie et des Eldorado.
Il va sans dire que lorsque Téléfilm Canada investit dans un projet comme Due South, la maison s'attend à un rendement important ou à un certain recouvrement des coûts. Téléfilm Canada a décidé également d'établir un équilibre selon la densité culturelle des productions et selon les possibilités de recouvrement des coûts à l'intérieur de chaque projet.
Quand vous parlez de Due South, vous savez, si j'en crois ce que j'ai lu, que cette série a une cote d'écoute élevée à CTV, et que par ailleurs, dans le cadre des Gémeaux, les membres de la communauté télévisuelle lui ont accordé la palme qui va à la meilleure série de télévision. Elle a remporté quelque chose comme six ou sept ou huit... Remarquez bien que sa densité culturelle est quelque peu différente.
M. Abbott: Comprenez bien que je ne critique pas cette série.
M. Macerola: Non, non.
M. Abbott: J'essaie de faire le lien entre cette série et votre mandat.
Prenez par exemple Stakeout mettant en vedette Richard Dreyfuss, dont l'action était censée se dérouler à Seattle mais ce film a été tourné en fait à Vancouver; il y a donc toute cette zone grise que je ne comprends pas.
Je n'arrive tout simplement pas à m'y retrouver. Ou bien on va faire des choses canadiennes, et c'est ce qu'on va faire avec nos millions de dollars, ou alors nous allons tâcher de créer des emplois pour nos artistes et nos techniciens canadiens. Est-ce bien cela? Allons-nous faire pour nos artistes et nos techniciens ce que nous avons fait par exemple pour les joueurs de football canadiens de la LCF?
Tout ce domaine est tellement confus, tellement «distant», qu'il me faut davantage d'explications de votre part. Pour citer un exemple classique, est-ce qu'Alliance aurait été incapable - et comprenez bien que je ne m'en prends pas à elle...
M. Macerola: Non, ça va.
M. Abbott: ...de tourner cette série sans les investissements directs du contribuable canadien?
M. Macerola: Ma réponse est oui, elle en aurait été capable. Rien que pour réaliser l'émission pilote, elle a dû dépenser beaucoup d'argent. J'ai pris cette décision concernant Due South, et pour moi il était très important de pouvoir faire concurrence aux réseaux américains avec une émission qui est, à mon avis, canadienne.
Comme je l'ai dit au président d'Alliance, Robert Lantos, il va sans dire que nous n'investirons peut-être pas dans Due South pendant deux, trois, quatre ou cinq ans. Au Québec, nous avons les mêmes problèmes. Nous subventionnons là une programmation à très haute densité culturelle. Néanmoins, ces films sont réalisés au Québec; presque personne ne les voit hors du Québec. Quand il faut prendre ce genre de décision, c'est presque toujours une question d'équilibre, comme je l'ai dit dans les nombreux exposés que j'ai faits aux responsables des Juno.
Il va sans dire que nous voulons investir dans Alliance parce que nous voulons consolider le volet canadien de cette entreprise. Autrement, cette entreprise pourrait gagner facilement beaucoup plus d'argent en se lançant dans une production totalement américaine. Téléfilm Canada croit qu'elle est la conscience culturelle d'Alliance. Ce que nous investissons dans Alliance garantit au public canadien un minimum de contenu canadien à l'intérieur de cette entreprise.
Le président: Vous avez écoulé votre temps.
Monsieur Ianno.
M. Ianno: J'ai quelques questions. Pour ce qui est des investissements que Téléfilm fait dans Alliance et dans de nombreuses autres organisations, chaque fois qu'on produit quelque chose, quelle est généralement la part d'investissement de Téléfilm?
M. Macerola: En moyenne, 35 p. 100.
M. Ianno: Et lorsqu'une production est rentable, votre rendement est-il de 35 p. 100?
M. Macerola: Oui, nous touchons notre part du rendement. Absolument.
M. Ianno: Donc vous obtenez 35 p. 100?
M. Macerola: Oui, notre rendement est fonction de ce que nous avons investi et de notre stratégie de recouvrement des coûts. Mais oui, le but ultime est de...
M. Ianno: Avez-vous dit deux tiers ou vous ai-je mal compris? Ou avez-vous dit 35 p. 100?
M. Macerola: J'ai dit 35 p. 100.
M. Ianno: Excusez-moi, je voulais seulement en être sûr.
M. Macerola: Oui, c'est la moyenne.
M. Ianno: Donc lorsque Due South rapporte de l'argent, nous gagnons de l'argent nous aussi?
M. Macerola: Oui, absolument.
M. Ianno: Cela m'intrigue parce que je sais qu'il y a des difficultés dans l'industrie cinématographique, par exemple cette situation où l'auteur de Forrest Gump n'a pas reçu un sou alors que le film a généré des recettes de l'ordre de 500 millions de dollars. Donc lorsque vous dites 35 p. 100, c'est 35 p. 100 de quoi?
M. Macerola: Ça dépend. Étant donné que nous investissons dans la réalisation et la distribution, nous touchons de l'argent directement de l'exploitation du film au guichet, par exemple. Par ailleurs, nous touchons une part de ce que gagne le producteur, ce qui permet de recouvrer les coûts. Dans toute l'histoire de Téléfilm Canada, nous n'avons gagné de l'argent que de deux ou trois films étant donné que pour obtenir une part nette de ce que gagne le producteur, il faut gagner au guichet cinq fois ce que vous a coûté la production. Donc ce que nous obtenons essentiellement, c'est une part des profits de la commercialisation et de la distribution.
M. Ianno: Qu'est-ce que cela représente en termes de dollars? Combien d'argent avez-vous investi dans Due South?
M. Macerola: En termes de dollars, cela se traduit par un taux de recouvrement d'environ 20 à 25 p. 100.
M. Ianno: Désolé, mais je ne veux pas uniquement des pourcentages. Je veux des chiffres concrets. Que l'on parle de dix épisodes de Due South ou d'autre chose, lorsque qu'ils dépensent 10 millions et que vous en dépensez 3,5, qu'est-ce qui vous revient au bout du compte lorsqu'on commence à faire des recettes?
M. Macerola: Avec Due South, la semaine dernière, nous aurions reçu un chèque équivalent à notre investissement total étant donné que nous avons investi 3 millions de dollars et quelque dans cette émission.
M. Ianno: Et combien Alliance a-t-elle investi?
M. Macerola: Avec CTV, je dirais 5 à 6 millions de dollars.
M. Ianno: Autrement dit, c'était l'investissement lié aux recettes. Qu'en est-il des dépenses? Y a-t-il un autre tour de passe-passe relativement aux dépenses qui fait que le chiffre net est très peu élevé. Vous obtenez 35 p. 100 et eux, en fait, obtiennent un gros morceau pour les dépenses? Sur cette somme de 10 millions de dollars qui a été déboursée, allez-vous aussi chercher un montant proportionnel du côté dépenses?
M. Macerola: L'agent des ventes ou le distributeur garde 35 p. 100 de la recette ou des ventes, selon la qualité du film. Cela peut varier de 20 à 35 p. 100. Par la suite, le distributeur doit payer pour les écrans de cinéma. Normalement, sur un dollar, on divise moitié-moitié avec l'exploitant. On déduit de cette somme les dépenses de commercialisation.
M. Ianno: Parlons de Due South car c'est un exemple que l'on peut comprendre.
M. Macerola: Pour ce qui est de Due South, la seule différence c'est qu'on ne paie pas pour présenter le film. La commission de l'agent des ventes est donc réduite à partir d'un dollar, et après on réduit le montant en fonction des dépenses, dépenses qui sont vraiment faibles pour les ventes à la télévision.
M. Ianno: Ce 35 p. 100 s'applique donc aux dépenses liées à la présentation d'un film dans un cinéma. Que se passe-t-il à la télévision lorsque CTV le présente?
M. Macerola: Le 35 p. 100 est partagé entre les investisseurs. Supposons que nous fassions une vente de un million de dollars à la télévision. Le producteur, le distributeur ou l'agent de vente gardera 25 p. 100 de ce 1 million, ce qui laisse 750 000$. De cette somme, on soustrait les dépenses. Supposons, par exemple, que celles-ci se chiffrent à 50 000$ ou 100 000$. Le 650 000$ qui reste est réparti entre les investisseurs selon leur position et leur taux de recouvrement.
M. Ianno: D'accord. Vous avez dit au sujet d'oeuvres comme Anne of Green Gables et Les Filles de Caleb et d'autres aussi que 60 p. 100 étaient doublées dans l'autre langue. Qu'en est-il de Radio-Canada dans tout cela? Ont-ils accès à ces oeuvres?
M. Macerola: Non. L'usage de ces oeuvres demeure la prérogative du producteur et du distributeur du secteur privé. Ce n'est même pas la télévision...
M. Ianno: Etant donné que Téléfilm est un investisseur, ne pensez-vous pas qu'il devrait avoir certains droits à cet égard?
M. Macerola: Nous avons certains droits. Nous avons des capitaux propres dans la production, mais les droits sont exercés par le distributeur.
M. Ianno: Autrement dit, même si CTV est un investisseur, il paiera Due South à sa juste valeur marchande.
M. Macerola: Oui, absolument, et tout dépendra du rôle que le diffuseur veut jouer à l'égard de l'émission. Le diffiseur peut être investisseur, auquel cas il obtient une part de l'avoir propre, ou acheteur seulement d'un certain nombre d'épisodes d'une émission en particulier, et en fonction de certains droits de licence.
Ainsi, lorsque Radio-Canada ou CBC achète Anne of Green Gables ou Les Filles de Caleb, ils paient environ 125 000$ l'épisode. Pour cette somme, ils obtiennent le droit de diffuser cette série à trois reprises au cours d'une période de sept ans. Et ils font de l'argent car je suis sûr qu'ils vendent pour plus de 150 000$ de publicité.
Comme je l'ai dit à des porte-parole de Radio-Canada qui voudraient avoir une participation, il suffit d'augmenter son investissement. Au lieu de se servir de son argent uniquement pour acheter un certain nombre d'émissions pour exercer un certain droit, il faut investir 100 000$, 200 000$ ou 300 000$. De cette façon, on peut participer aux profits et à l'avoir propre. Vos titres vous permettront de recouvrer vos frais et d'obtenir une part des bénéfices liée à celle du producteur.
M. Ianno: Si j'étais un homme d'affaires du secteur privé et que j'avais l'argent de Téléfilm et que j'amorçais des négociations avec CTV et Alliance pour une émission comme Due South, est-ce que j'obtiendrais un meilleur rendement que Téléfilm? Ma position de négociation serait-elle meilleure?
M. Macerola: Honnêtement, je ne le pense pas. Je ne le pense vraiment pas parce que nous connaissons ce domaine. Nous y oeuvrons depuis maintenant 25 ans. Nous connaissons tous les intervenants.
Nous prenons parfois des risques. Nous avons créé des émissions qui étaient strictement commerciales. Si vous voulez obtenir un dollar, il faut assurer un recouvrement de 75 cents, et ainsi de suite.
M. Ianno: Si nous confiions Téléfilm à CBC/Radio-Canada, que se passerait-il?
M. Macerola: Vous détruiriez l'industrie de la télévision du secteur privé dans notre pays.
M. Ianno: Autrement dit, compte tenu des crédits d'impôt et tout le reste, cette entreprise dynamique ne serait pas en mesure de survivre, même si on les conservait?
M. Macerola: Non, étant donné que chaque dollar investi dans Téléfilm génère au moins deux fois le volume de production. Cela signifie que lorsque Téléfilm Canada investit 100 millions, nous générons 300 millions.
Cela est très important, et ce que je crains c'est qu'éventuellement, cet argent disparaisse dans les arcanes de Radio-Canada.
M. Ianno: Quelle est la somme totale pour l'industrie cinématographique au Canada l'année dernière?
M. Macerola: Le total pour les films canadiens ou étrangers? Pour tout? Les recettes s'élevaient à 500 millions de dollars.
M. Ianno: Non, les dépenses totales de l'industrie cinématographique.
M. Macerola: L'investissement public?
M. Ianno: Non, la totalité des investissements. Est-ce que c'est cinq milliards?
M. Macerola: Non, pas tant que cela. Je dirais deux milliards.
M. Ianno: Si cette industrie perdait 100 millions, il lui resterait, tout de même, 1,9 milliard de dollars, ou passerait-on à un milliard de dollars?
M. Macerola: Le hic, c'est qu'on ne pourrait pas produire de films canadiens. Sur ce 1 et quelque milliard, 1,2 milliard s'applique à des films produits par les Américains à Vancouver, Toronto et Montréal.
M. Ianno: Autrement dit, cela représente seulement 800 millions.
M. Macerola: Lorsque je parle de la production canadienne - et cela implique qu'il faut soustraire certaines autres coproductions, et ainsi de suite, cela représente 500 millions de dollars.
M. Ianno: Si l'on comptait les coproductions, on arriverait à 800 millions de dollars?
M. Macerola: Oui.
Le président: Monsieur Macerola, je voudrais vous parler de la production télévisée Octobre, de Pierre Falardeau. Dans votre rapport annuel, vous dites, entre autres, que ce long métrage a été bien accueilli par la population canadienne. Je croyais qu'il avait suscité passablement de controverse. Comment pouvez-vous justifier votre affirmation, selon laquelle il a été bien reçu?
Je pose cette question car un certain nombre de critiques ont dit que ce film reflétait des sympathies séparatistes...
M. Macerola: Oh oui.
Le président: ...et certains n'ont pas été très heureux de cela, surtout que le film a été financé par l'argent des contribuables canadiens.
M. Macerola: Oui, mais le film a fait une recette brute de quelque 350 000$ et, pour un film québécois, cela est considéré comme un succès.
M. Ianno: Peu importe les conséquences pour autant que l'on recueille 350 000$.
Le président: Est-ce ainsi que vous...
M. Macerola: Ce n'est pas ce que je dis. J'ai dit que la recette brute avait été de 350 000$, mais lorsqu'on divise par 7$, on constate qu'on a rejoint quelque 50 000$ personnes avec ce film. Il a été vendu à...
M. Ianno: Je ne pense pas que cela répond à la question du président.
M. Macerola: Eh bien, ma réponse, c'est que lorsque nous rejoignons 50 000 spectateurs pour un film de salle, au Québec ou au Canada, c'est plutôt un succès. Voilà pourquoi nous affirmons que le film a été bien accueilli par la population canadienne. Il a été vendu à la télévision et un nombre important de cassettes vidéo ont été également vendues au public canadien.
Je ne dis pas que c'est un chef-d'oeuvre. Tout ce que nous disons, c'est que pour ce genre de...
Le président: J'aimerais savoir quelle est votre définition du succès. Si pour vous le succès veut dire faire beaucoup d'argent au guichet, très bien, mais d'aucuns sont d'avis que même si le film a fait de l'argent, il a été montré et distribué au détriment de l'unité canadienne, ou du pays, et produit à l'appui des séparatistes. Les députés du côté ministériel et les réformistes ne veulent rien savoir des séparatistes, et nous avons du mal à avaler qu'on dépense l'argent des contribuables canadiens pour produire des films qui reflètent sans doute des sympathies séparatistes.
M. Dinan: Monsieur le président, j'étais président de la société au moment où on a pris la décision de financer le film en question. Comme je suis un anglo-québécois, né et élevé dans la ville de Québec, comme je suis également un Canadien loyal et fier, et que j'étais entouré de Canadiens convaincus au conseil d'administration..., certaines questions n'ont pas manqué d'être posées.
Moi-même et tous les membres du conseil d'administration partageons votre préoccupation.
C'est toujours une situation très délicate et nous préférons pécher par excès d'ouverture et de tolérance.
Je suis un Canadien convaincu. J'ai travaillé dans le camp du non pendant la campagne référendaire. Je suis très préoccupé par la question de l'unité canadienne. Il n'en reste pas moins que selon notre interprétation de notre mandat, le rôle de la société n'est pas de faire tomber le couperet ou de censurer. C'est aussi inspirés par ce principe de tolérance que nous ne décidons pas ce qu'est la culture. Si nos spécialistes et les responsables de l'approbation des projets à l'interne jugent qu'un produit a les qualités techniques et qu'il respecte les critères, le feu vert est donné. Le conseil d'administration ne reconsidère pas ses décisions.
Le président: Comme je n'ai pas vu le film, je serais bien mal venu de le critiquer. Je vous demande seulement d'énoncer votre position étant donné que le film a suscité certaines critiques. En tant que comité, il importe que nous sachions si vous estimez avoir bien agi et avoir eu l'appui de votre entourage, sans plus. Je pense que vous avez bien expliqué votre position.
[Français]
M. Macerola: Je voudrais seulement ajouter qu'il ne faut pas prendre de raccourcis et dire que le film est un succès parce qu'il a généré tant d'argent au box office.
J'essaie de vous dire que lorsqu'on compare ce film avec tout autre film québécois qui est produit avec l'investissement de Téléfilm Canada, on constate, premièrement, que c'est un film qui a eu un succès honorable, deuxièmement, que c'est un film qui a obtenu de merveilleuses critiques et, troisièmement, que c'est un film qui a été invité dans plusieurs festivals étrangers.
Je n'étais pas à Téléfilm Canada, mais je ne veux pas me dissocier de la décision. Je ne sais pas, par conséquent, quels ont été les critères qui ont été utilisés pour dire oui ou non. La seule chose que je puis vous dire, c'est que les projets ne sont pas initiés par Téléfilm Canada, dans un premier temps. Les projets sont initiés par des compagnies du secteur privé. Quand Téléfilm Canada étudie un dossier, il y a autant d'éléments culturels que d'éléments commerciaux qui influencent une décision dans un sens ou dans l'autre.
Comme je le disais à M. Abbott plus tôt, c'est toujours une question d'équilibre et du rôle d'un organisme comme Téléfilm Canada au Québec. Faut-il dire qu'il y a des pans de l'histoire qu'on ne veut pas montrer ou qu'il y a des pans de l'histoire qu'on va continuer à montrer et qu'on va aider à financer, en s'assurant, cependant, que cela sera fait par des maisons professionnelles sérieuses et importantes?
[Traduction]
Le président: Monsieur Macerola, j'attendais simplement que l'interprète termine. J'ai du mal à parler tout en écoutant la voix mélodieuse de l'interprète.
M. Dinan a dit que Téléfilm ne devait pas jouer le rôle de censeur, et je suis tout à fait d'accord. Si j'ai posé cette question, c'est que la semaine dernière, alors que nous accueillions le Conseil des arts du Canada, j'ai parlé de la «dichotomie» qui existe dans la façon dont nous enseignons l'histoire du Canada dans notre pays. Lorsque j'ai soulevé cette question, les porte-parole du Conseil des arts ont manifesté une certaine réticence à aborder le sujet, sans doute à cause de sa saveur politique.
D'une part, le Conseil des arts hésite à aborder une question qui peut être embarrassante, et pourtant, vous, vous n'avez pas hésité - et je ne vous en fais pas reproche. Vous avez dit clairement que vous estimiez ne pas devoir jouer au censeur et que c'est pour cette raison que vous avez financé le film.
Le président: Madame Gaffney.
Mme Gaffney: Merci beaucoup.
J'ai consulté dans votre rapport le budget de 1995-1996, et je constate, à la page 7, que vous avez reçu 109 millions de dollars sous forme d'affectations de crédits du gouvernement du Canada, 23 millions de dollars de revenus et 13 millions de dollars reportés de l'exercice financier précédent. Est-il normal qu'il y ait un report de l'exercice financier précédent chaque année?
M. Macerola: Oui.
Mme Gaffney: Il faut faire cela. Il faut budgéter pour cela.
M. Macerola: Oui, absolument.
Mme Gaffney: À la page 5, vous dites également que vous avez l'intention d'augmenter vos revenus. Je n'ai pas lu tout le rapport et je ne sais pas exactement comment vous comptez vous y prendre pour augmenter vos revenus actuels, qui sont de 23,6 millions de dollars par année. Pouvez-vous me donner un ou deux exemples?
M. Macerola: Le taux de recouvrement actuel de Téléfilm Canada tourne autour de 21, 22 ou 23 p. 100. Sur une période de cinq ans, nous souhaitons majorer ce taux de 20 p. 100, ce qui représente une augmentation de nos revenus de près de 10 à 15 millions de dollars. Dans tout cela, ce sont les décisions à prendre qui constituent les pires écueils.
J'ai eu je ne sais combien de réunions avec le comité, comme vous le savez. Un moment donné, on craignait que Téléfilm Canada ne devienne un peu trop commercial, comme cela a été le cas de Radio-Canada et de CBC il y a sept ou huit ans.
Ma réponse a toujours été la même. Il faut essayer de trouver un équilibre entre Due South, qui nous donnera un taux de recouvrement de plus de 40 p. 100, et des films qui présentent un risque culturel comme Rude ou Eldorado, où nous savons pertinemment à l'avance que nous récupérerons moins de 10 p. 100. Il faut donc constamment être à la recherche de cet équilibre, tout en investissant sans relâche dans la production canadienne.
Je ne parle pas des prétendues productions canadiennes qui obtiennent quelque chose comme cinq ou six points sur dix. Nous investissons toujours dans des productions qui ont au moins un contenu canadien équivalant à huit points selon la définition du contenu canadien du CRTC.
Nous investissons dans des productions canadiennes, dans des maisons de production canadiennes bien établies. Nous essayons d'investir non seulement à Montréal et à Toronto, mais ailleurs au pays, et de promouvoir l'industrie cinématographique dans toutes les provinces. Encore là, c'est une question d'équilibre.
Mme Gaffney: D'accord.
M. Macerola: Nous aurons des décisions difficiles à prendre parce que nous voulons augmenter nos revenus, mais aussi parce que nous voulons réduire notre infrastructure. Cannes est un bon exemple d'une décision difficile que nous devrons prendre pour réduire nos coûts d'administration.
Mme Gaffney: Vous dites aussi que conformément au protocole d'entente conclu avec le gouvernement fédéral, 61 p. 100 de vos projets sont en anglais et 39 p. 100 en français. Il est clair que plus de 50 p. 100 des projets sont en français, et non en anglais, ce qui représente davantage que la population francophone du pays. Je voudrais savoir si le même pourcentage s'applique à l'égard des 23 millions de revenus que vous recevez.
M. Macerola: Ces revenus proviennent surtout du Canada anglais. La proportion est sans doute de 75 p. 100 pour le Canada anglais et 25 p. 100 pour le Québec.
Mme Gaffney: Pour les revenus.
M. Macerola: Pour les revenus.
Mme Gaffney: Pourquoi y a-t-il un tel favoritisme - et ce n'est sans doute pas le terme à employer - en faveur de projets francophones, si vous tirez la majeure partie de vos revenus de la population anglophone?
M. Macerola: L'année dernière, l'investissement global se répartissait comme suit: 61 p. 100 pour les projets en anglais et 39 p. 100 pour les projets en français.
Mme Gaffney: Pourriez-vous répéter? Je suis désolée, mais je n'ai pas entendu.
M. Macerola: Permettez-moi de vérifier pour être certain.
Mme Gaffney: Cela s'appliquait aux projets. Je parle maintenant des revenus, des revenus tirés de ces projets.
M. Macerola: Oui, comme je l'ai dit tout à l'heure, les revenus provenaient dans une proportion de 75 p. 100 du Canada anglais et de 25 p. 100 du Québec.
Mme Gaffney: Je vois. Merci.
M. Serré (Timiskaming - French River): Monsieur le président, j'invoque le Règlement. Cela me hérisse toujours lorsqu'on qualifie le reste du Canada comme le «Canada anglais». Je viens du reste du Canada et je ne suis pas anglophone. Environ 35 p. 100 de la population du reste du Canada n'est pas anglophone. Je demanderais donc aux députés et aux témoins d'utiliser l'expression «le reste du Canada» plutôt que «le Canada anglais».
Le président: Merci.
Mme Gaffney: Je me demande comment vous allez réagir à ma prochaine question. Vos revenus ne sont pas très élevés. Pourrait-on privatiser Téléfilm Canada et les Canadiens bénéficieraient-ils du même niveau de cinématographie que nous avons aujourd'hui si c'était privatisé?
M. Macerola: On peut toujours privatiser un organisme comme Téléfilm Canada. Mais en cinq ou dix ans, le contenu canadien des émission dégringolerait.
La seule raison qui explique l'existence de Téléfilm Canada, c'est que nous sommes un organisme culturel. Nous prenons des décisions en fonction d'un certain nombre de critères culturels. À l'autre extrémité, nous essayons de promouvoir la croissance de l'industrie du film et de la télévision au Canada.
Il va sans dite que le secteur privé survivrait. Les compagnies comme Alliance et Atlantis survivraient, mais je dirais que beaucoup de petites entreprises disparaîtraient. Vous savez pertinemment que quand on privatise une organisation, on s'attend à obtenir un rendement sur son investissement. C'est notre cas à Téléfilm Canada. Nous nous attendons à réaliser un profit sur votre investissement.
Dans le milieu du film et de la télévision, si nous devions privatiser Téléfilm Canada, il ne se ferait plus au Canada qu'un seul type de long métrage ou d'émission de télévision. Ce serait des productions d'orientation fortement commerciale. Plus personne ne sera intéressé à injecter de l'argent dans les petits projets. Plus personne ne serait intéressé à injecter de l'argent dans les films produits au Québec, ou à l'extérieur du Québec, du genre Le Secret de Jérôme. C'est le rôle que nous devons jouer: essayer d'établir un certain équilibre dans notre pays et essayer de servir de catalyseur pour les efforts culturels du gouvernement.
Mme Gaffney: Dans votre budget, vous consacrez 125 millions de dollars pour les productions culturelles canadiennes. Sachant que nous avons actuellement un problème pour ce qui est de l'unité nationale et que nous cherchons par tous les moyens à promouvoir l'unité du Canada, et sachant d'autre part que vous consacrez plus de 50 p. 100 de votre budget au Québec en ce moment, comment verriez-vous Téléfilm Canada s'efforcer de promouvoir l'unité nationale encore davantage?
M. Macerola: Je vous le dis tout net, le problème que j'ai avec Téléfilm Canada, c'est que lorsque j'ai assumé mes fonctions le 1er avril, j'ai découvert que Téléfilm Canada était une organisation centrée sur Montréal. Je veux changer cela. Je veux décentraliser Téléfilm Canada. Je veux que les gens des provinces de l'Atlantique et des provinces de l'Ouest et de la Colombie-Britannique soient en mesure de prendre les décisions finales. Je veux décentraliser.
Par contre, je me suis rendu compte qu'il n'y a pas d'équilibre entre les francophones et les anglophones de Montréal. Je veux transformer cela, très très lentement, mais je veux transformer cela pour qu'à un certain point, il y ait une répartition moitié au siège social. À l'heure actuelle, c'est de 95-5. Nous avons donc beaucoup à faire pour transformer l'image de Téléfilm Canada pour en faire une organisation vraiment nationale.
D'autre part, je crois personnellement que nous devrions injecter davantage d'argent dans le sous-titrage et le doublage. C'est très important.
Nous devrions essayer de faire preuve d'imagination et peut-être accorder une prime lorsqu'il y a coproduction entre une province et une autre. Le seul problème, c'est qu'en Alberta, ils sont disposés à faire des coproductions avec le Québec, mais le Québec veut que 75 p. 100 des dépenses soient faites sur son territoire national et l'Alberta en réclame autant.
À un moment donné, il devient très difficile d'établir des ententes de coproduction entre les provinces. Le rôle de Téléfilm Canada est d'essayer d'harmoniser les rôles, d'harmoniser les fonds privés, d'essayer de travailler en étroite collaboration avec les autorités provinciales comme la Motion Picture Development Corporation de l'Alberta, la SODEQ, etc., afin de privilégier les échanges de talents dans les secteurs du film et de la télévision.
Le président: Merci.
Tâchons d'être un peu plus attentifs à l'heure. Nous prenons trop de temps pour poser nos questions et c'est un manque de respect envers les autres députés.
Vous voulez une précision?
M. Ianno: Oui. Je voudrais simplement qu'il me dise ce qu'il entend par le territoire national au Québec.
M. Macerola: Je n'y attache aucun sens politique. Le Québec, tout comme l'Alberta et l'Ontario, a un territoire. Vous savez très bien qu'au Québec...
M. Ianno: Vous voulez donc dire les limites provinciales. Très bien.
M. Macerola: Pour moi, les limites provinciales ou les territoires nationaux, c'est la même chose.
Le président: Monsieur Abbott.
M. Abbott: Merci.
Je voudrais enchaîner sur ce que disait Mme Gaffney. Dans votre rapport annuel, à la page 62, je vois que pour les dépenses de support, le total est de 45,9 millions de dollars pour la production anglaise et de 35,4 millions de dollars pour la production française.
Puis, lorsque je songe aux observations de notre président et à la question qui a été posée, cela me rend très mal à l'aise. D'après ce que j'ai compris du dialogue aujourd'hui, il s'agit en fait d'un organisme qui utilise l'argent des contribuables canadiens pour appuyer la production française de façon disproportionnée par rapport à la production anglaise et qui ne voit aucun mal à faire un film séparatiste. Je dois vous dire que cela me rend très mal à l'aise. Pouvez-vous me rassurer?
M. Macerola: Tout ce que je peux vous dire c'est que l'an dernier, au total, nous avons effectivement investi 61 p. 100 dans la production d'émissions de télévision et de longs métrages en anglais et 39 p. 100 dans la production française. À mon avis, c'est un bon rapport.
M. Abbott: Quels sont les chiffres que je viens de lire? À la page 62, vous indiquez que vous avez dépensé 45,9 millions de dollars pour la production anglaise et 35,4 millions de dollars pour la production française.
Je ne serais probablement pas aussi troublé si ce n'était les questions que notre président a posées. Il me semble que si nous devons utiliser l'argent des contribuables canadiens, ce serait une bonne idée de s'en servir pour contribuer à l'unité plutôt qu'à la désunion. Je ne me sens pas du tout rassuré; je ne pense pas que vous ayez relevé ce défi.
M. Dinan: Ce que vous dites est juste, monsieur Abbott. Toutefois, pour en revenir au film dont il est question, l'objectif de la société n'est pas d'encourager un film ou tout autre projet qui puisse nuire à l'unité canadienne. Cependant, Téléfilm n'a pas nécessairement à jouer le rôle d'arbitre de l'opinion politique, quoi que nous la suivions de près pour nous assurer qu'il n'y a pas d'inexactitudes et que les faits ne sont pas faussés.
M. Abbott: Sauf tout le respect que j'ai pour vous, comment pouvez-vous dire que vous n'encouragez pas ce genre de projet lorsque Téléfilm donne de l'argent ou investit dans une production? Est-ce que ce n'est pas un encouragement? Comment pouvez-vous dire que vous ne les encouragez pas?
M. Dinan: Nous encourageons un projet. Nous finançons un projet. Cela ne veut pas dire que nous encourageons une thèse particulière ou un point de vue particulier.
La crise d'octobre s'est produite. Le film porte sur un événement historique. Il a des mérites techniques et il a été approuvé parce qu'il respectait les critères de faisabilité et de contenu canadien. Dans notre barème, il n'y a pas de points pour l'orthodoxie politique.
M. Abbott: Est-ce qu'il y en a pour la vérité?
M. Dinan: Pour la vérité, oui. Mais il reste que même des événements historiques peuvent être romancés et devenir des sujets de fiction et le produit reste bon en soi.
M. Abbott: Très bien. Merci, monsieur le président.
Le président: Eh bien, nous pourrions continuer dans la même veine pendant longtemps, mais je soupçonne que si vous allez à la maison du Québec à Paris, ils n'utilisent probablement pas beaucoup d'argent du Québec pour promouvoir le fédéralisme au Canada. En d'autres mots, ils adoptent une position politique qui consiste à promouvoir le nationalisme québécois, la destinée du Québec et la séparation du Québec. Ils sont très prudents, ils surveillent leur argent.
Or, dans le camp fédéraliste, nous semblons être très insouciants, et je ne comprends pas ça. Je ne comprends juste pas. J'aime ce pays, et que le diable m'emporte si j'appuie qui que ce soit qui dépenserait ne serait-ce que 5 cents de mon argent pour contribuer à la désunion dans ce pays ou au démantèlement de ce pays.
Laissez-moi vous dire autre chose, monsieur Macerola. Je ne vous critique pas, car je pense que la plupart d'entre nous dans ce pays ont pris la mauvaise habitude d'utiliser ce que j'appellerais un double langage. Vous avez mentionné tout à l'heure, en parlant de film de Falardeau, qu'il s'agissait d'un film québécois. Eh bien, est-ce que nous avons un film néo-brunswichois? Est-ce que nous avons un film terre-neuvien?
M. Macerola: Oui.
Le président: Ah, bon? Et nous disons que c'est un film terre-neuvien?
M. Macerola: Parfois, oui.
Le président: Je ne le crois pas. Je pense qu'on dit que c'est un film en anglais.
Dans l'intérêt de ce pays, monsieur Macerola, je pense que nous produisons des films canadiens. Peu m'importe qu'il soit tourné à Huntsville, en banlieue de Toronto, ou dans les environs de Okotoks, en Alberta, ou à Rimouski, au Québec. Ce sont des films canadiens. Je vous dis et je dis à tout le monde que nous devons nous exprimer autrement dans l'intérêt du pays. C'est tout ce que je dis.
[Français]
M. Macerola: Puis-je vous faire remarquer que le Québec est encore une composante du pays?
[Traduction]
Le président: Je n'essaie pas de...
[Français]
M. Macerola: Quand vous faites référence...
[Traduction]
Le président: Monsieur Macerola, je n'essaie pas de dénigrer le Québec ni les francophones.
[Français]
M. Macerola: Si vous me le permettez, j'aimerais terminer. Vous dites, entre autres, que si on va à la délégation québécoise, ces gens-là vont utiliser l'argent pour faire la promotion du nationalisme québécois. Pour moi, ce n'est pas ce qui est important.
Ce qui est important, c'est d'avoir des organismes comme Téléfilm Canada au pays, des organismes qui sont capables d'être bien reçus, que ce soit par les gens qui parlent français, par les gens qui parlent anglais ou par les allophones du pays.
C'est un organisme qui reconnaît cette réalité et qui investit dans des projets. Vous dites que Téléfilm Canada ne fait pas d'actes concrets au niveau de l'unité canadienne. Au contraire, nous en faisons énormément. Qu'on pense simplement au programme de versionnage, un programme de 4 ou 5 millions de dollars par année, qui met les anglophones en contact avec la réalité francophone et vice versa. Pour moi, c'est très important.
Si je parle du cinéma québécois, c'est parce qu'il est reconnu mondialement qu'au Canada, les cinématographies anglophone et francophone sont différentes, de la même façon que la cinématographie francophone acadienne est aussi différente.
Tout ce que je veux, comme directeur d'agence culturelle, c'est de pouvoir tenir un discours profondément canadien qui soit, en même temps, très profondément respectueux des différentes réalités de notre pays.
[Traduction]
Le président: Je veux être absolument clair. Je ne me suis peut-être pas exprimé assez clairement, monsieur Macerola. Je ne prétendais pas du tout que votre organisme ne contribue pas à l'unité canadienne. Je sais que vous y contribuez et je sais que vous êtes de bons Canadiens. Je ne mets pas en question votre travail, votre loyauté ni rien de ce genre. Je n'en doute pas.
Je pense que d'une certaine façon, monsieur Macerola, votre organisme reflète tous les Canadiens. Je pense que nous les Canadiens nous ne nous protégeons pas suffisamment. Il y a des gens dans ce pays qui veulent le détruire, et je souhaiterais simplement que nous nous protégions avec plus d'énergie, car si nous ne nous protégeons pas, nous risquons de perdre le meilleur pays au monde.
Je n'essaie pas de vous prendre pour cible de mes critiques, mais je pense que c'est un symptôme du mal canadien. C'est toujours: eux et nous; français et anglais; le Québec et le reste du pays. Bon sens, c'est un pays. Oui, il est composé de régions et d'un million d'éléments, et c'est justement ce qui en fait un pays si fascinant et si merveilleux. Mais, à un moment donné, je pense qu'il faut dire aussi qu'il est canadien.
Monsieur Peric.
M. Peric (Cambridge): Merci, monsieur le président.
Monsieur Macerola, pouvez-vous nous dire combien de films français vous avez produits qui avaient ce prétendu élément séparatiste?
M. Macerola: Vous voulez parler du film Octobre? Je me rappelle qu'il y a 10 ans, en 1980, Téléfilm Canada a participé à un film intitulé Référendum. Il y aura un autre film sur le référendum dans lequel Téléfilm Canada a, d'ailleurs, injecté de l'argent, et il y a eu le film Octobre. C'est tout, d'après moi.
M. Peric: Comme nous avons deux langues officielles, ça ne m'ennuie pas que vous dépensiez 50 p. 100 pour les productions dans une langue ou dans l'autre, à la condition qu'elles soient canadiennes.
M. Macerola: Cette proportion est peut-être un peu élevée. Avec 61 et 39 p. 100, c'est peut-être un peu élevé, étant donné la population du Québec.
M. Peric: Vous devriez peut-être envisager de dépenser 50-50.
M. Macerola: Mais d'après le protocole d'entente que j'ai signé avec le gouvernement, je dois dépenser environ 60-40. Donc, je peux dépenser plus que ça, sauf, rendu à une certaine limite, pour les longs métrages.
L'an dernier, j'ai eu un problème à Toronto. Ils ont dépensé environ 6 millions de dollars de moins que prévu, alors j'ai pris cet argent et je l'ai réaffecté. Les provinces de l'Atlantique en ont reçu environ un million ou deux millions pour produire Le Secret de Jérôme en français, et le Québec a reçu les deux ou trois millions qui restaient pour produire un ou deux films québécois.
Ainsi, à un moment donné l'an dernier, ce rapport était totalement déséquilibré, car nous avons produit environ 60 p. 100 en français et 40 p. 100 en anglais, mais mon objectif c'est de maintenir ce rapport à environ 35 p. 100-65 p. 100. D'après moi, ce serait le rapport idéal, mais ce n'est pas facile, car ce n'est pas Téléfilm Canada qui est à l'origine des projets.
M. Peric: Ainsi, vous pourriez produire des films en français à Yellowknife?
M. Macerola: Si quelqu'un est intéressé, absolument. Pourquoi pas?
Le président: Monsieur Serré.
[Français]
M. Serré: Je n'ai pas de questions, mais quelques commentaires à faire sur la réunion de ce matin. Je suis presque abasourdi par les commentaires que j'ai entendus ce matin de certains députés des deux côtés. On est ici pour parler du rôle de Téléfilm Canada dans la promotion de l'unité nationale. Je vois les députés s'objecter parce que l'on dépense pour les projets de langue française un peu plus que le pourcentage de la population francophone canadienne.
Il y a des raisons à cela. C'est justement dans le cadre de la promotion de l'unité nationale qu'on se doit de dépenser un petit peu plus. Si on se limite toujours au pourcentage de la population du Québec par rapport à celle du reste du Canada, on dépensera toujours 25 p. 100 au Québec. Mais le pays va éclater, comme vous l'avez dit vous-même.
Le marché de langue française au Canada est restreint à une population d'environ 8 millions, si on inclut les millions de francophones hors Québec. Je ne m'oppose pas à ce que l'on dépense un peu plus que ce pourcentage-là. Je pense même que Téléfilm, Radio-Canada et tous les organismes culturels au pays se doivent de respecter cela. Le marché du reste du Canada est peut-être d'environ 21 ou 22 millions.
Je crois qu'il est beaucoup plus facile pour un producteur de vendre son produit quand il a un marché trois fois plus grand. D'ailleurs, les productions anglophones se vendent mieux aux États-Unis et dans le reste du monde.
J'ose croire que les députés voient cette réalité-là dans le cadre de notre promotion de l'unité nationale. J'aimerais également ajouter que lorsqu'on parle de productions francophones - vous me corrigerez si je fais erreur - , on inclut probablement la production de Jérôme, en Acadie, etc. Il y a des francophones en dehors du Québec qui sont dans une situation minoritaire et il faut les aider.
Je remercie mon collègue d'avoir soulevé ce point-là et d'avoir dit qu'il ne poserait pas d'objections pas si la proportion était de 50-50. Je pense qu'on a un rôle en tant que gouvernement, en tant qu'organisme culturel. Vous avez aussi un rôle et je vous encourage à continuer dans ce sens-là, parce que je pense que c'est très important.
[Traduction]
Le président: Merci.
Monsieur Ianno.
M. Ianno: J'ai quelques questions sur le financement. Pouvez-vous nous dire quelle est la valeur du crédit d'impôt qu'obtient l'industrie du film pour la production de films au Canada?
M. Macerola: Le gouvernement n'a pas encore mis en oeuvre le programme de crédit d'impôt, mais l'objectif est de 75 millions de dollars, je pense. De ce montant, je suis tout à fait sûr que 55 millions ou 60 millions de dollars seront utilisés pour la production d'émissions de télévision et de 10 à 15 millions de dollars pour la production de films.
M. Ianno: Vous dites que ce n'est pas encore en vigueur, donc les reports d'impôt des sociétés en commandite ne contribuent pas à la production de films.
M. Macerola: Je parle du programme de crédit d'impôt. Je sais qu'il y a des négociations en cours entre le ministère du Patrimoine canadien, le ministère des Finances et quelques représentants d'associations professionnelles du secteur privé, mais ça ne sera pas en vigueur avant un mois ou deux.
M. Ianno: Et qu'en est-il de la limite actuelle pour les reports d'impôt...
M. Macerola: La déduction pour amortissement?
M. Ianno: Oui.
M. Macerola: Il y a à l'heure actuelle une disposition de protection des droits acquis, mais dans les bons vieux jours, elle s'élevait à près de 100 millions de dollars par année.
M. Ianno: Je vois. Merci beaucoup.
Le président: Je pense que nous avons à peu près épuisé nos questions. J'en ai une dernière.
Dans votre rapport annuel, vous parlez à la fois des succès et de l'absence de succès des films canadiens. Vous dites que les films canadiens, dont plusieurs ont reçu l'appui de Téléfilm, réussissent bien sur le marché international à l'extérieur du Canada. Toutefois, dans les salles de cinéma canadiennes, vous nous dites que la situation est mauvaise, que les films canadiens ont peu de succès dans les cinémas canadiens. Ce n'est pas une nouvelle. Nous le savions déjà. Je ne vous blâme pas, je ne blâme personne en particulier, mais le fait est que les films canadiens n'ont pas beaucoup de succès dans les cinémas.
Est-ce que nous devons abandonner la partie? Est-ce que nous devons continuer à appliquer la politique qui existe depuis quelque temps déjà et continuer à accepter ces résultats lamentables lorsque nous savons que 3 p. 100 seulement des films présentés dans les cinémas canadiens sont des films canadiens?
Est-il temps que Téléfilm et d'autres organismes modifient leurs politiques, ou allons-nous simplement accepter comme étant le destin le peu de succès des films canadiens dans les cinémas canadiens?
M. Macerola: Pour ma part, j'ai fait des recommandations au gouvernement et je crois que le seul moyen de réussir, c'est d'accroître la masse critique de films canadiens disponibles sur les marchés français et anglais.
Par ailleurs, à un moment donné, nous devons rappeler aux Américains que nous sommes un pays indépendant, que nous ne faisons pas partie de leur marché intérieur et que c'est une honte que les films américains occupent plus de 90 p. 100 du temps de projection dans les cinémas de notre pays.
Le président: Vous aurez peut-être du mal à en convaincre M. Valenti.
M. Macerola: Jack Valenti a déclaré, il y a deux semaines, qu'il était prêt à respecter les règles établies par les pays où sont distribués les films des grands studios américains.
Comme je l'ai dit aux gens du Juno, je crois pour ma part qu'il y a beaucoup d'argent dans le système et qu'à un moment donné, nous allons devoir faire preuve d'imagination et trouver de nouvelles façons de financer les organismes comme Téléfilm Canada et peut-être CBC et Radio-Canada.
Le président: Oui, monsieur Dinan.
M. Dinan: J'aimerais ajouter que la société est également en train de mettre en oeuvre des mesures pour s'assurer que les films que nous finançons sont présentés à un auditoire canadien. De plus en plus, nous obligeons les gens à essayer leurs produits devant un auditoire, et nous leur faisons savoir que nous voulons qu'ils s'assurent de trouver un auditoire pour leurs films.
C'est pourquoi nous réduisons petit à petit le nombre de films d'art que nous subventionnons habituellement, qui comptaient pour un peu plus de la moitié de notre production, par exemple 10 sur 17. Nous allons réduire cela pour encourager le tournage de productions qui attirent davantage le grand public.
Le président: Je vais mettre un terme à notre séance, mais je crois que M. Serré veut ajouter son petit post-scriptum.
M. Serré: Hormis Le Secret de Jérôme, avez-vous facilité ou financé la production en français hors du Québec, et avez-vous facilité la production dans des langues autres que le français et l'anglais?
M. Macerola: Oui. Je n'ai pas les titres à l'esprit, mais oui, nous avons participé au financement de longs métrages, de dramatiques, de documentaires et d'émissions de télévision en français. Pour ce qui est des autres langues, nous avons facilité le tournage d'un film en inuktitut, un film coproduit par la communauté des Dénés et des producteurs de cinéma de l'Alberta.
[Français]
Monsieur le président, puis-je ajouter que si j'étais un député - je n'ai pas de leçons à vous faire - , je serais fier d'un organisme comme Téléfilm Canada qui, à un moment donné dans sa vie de 28 ou 29 ans, a peut-être pris des décisions sur lesquelles on peut s'interroger. En ce qui a trait à Octobre, je vous reconnais le droit de poser ce genre de questions.
Mais il ne faut pas oublier que cet organisme a financé des centaines d'heures de productions de très grande qualité qui s'adressent à nos enfants et qui font en sorte que les enfants de Vancouver s'éveillent à la réalité des enfants du Québec et vice versa. Téléfilm Canada a canadianisé les ondes, que ce soit les ondes de Radio-Canada ou de CBC, aux heures de grande écoute. On travaille de plus en plus avec les radiodiffuseurs privés.
Si vous entrez dans les vidéoclubs et que vous voyez encore des films canadiens de belle qualité, c'est grâce à des organismes comme ceux-là. Il n'est pas facile actuellement d'être à la tête d'un organisme comme Téléfilm Canada, au Canada, avec un bureau chef à Montréal, dans les circonstances que l'on connaît tous, mais on a cependant le courage de nos décisions. On a le courage de vouloir travailler avec tous nos partenaires. Pour nous, il est important de développer des cinématographies et un imaginaire qui vont nous rassembler, pas nécessairement aujourd'hui, mais dans l'avenir. Avec les créateurs du pays, il faut avoir une vision et faire en sorte que les générations futures se reconnaissent dans notre imaginaire national.
On manque de ressources, on prend des décisions difficiles, on essaie d'être imaginatifs, mais on n'abdiquera pas au nom de quelque principe que ce soit parce qu'on pense que la vie culturelle du pays passe par des organismes comme Radio-Canada, l'Office national du film et Téléfilm Canada. C'est essentiel. C'est vital.
On fera des erreurs. On va en manquer quelques-unes, mais dans l'ensemble, quand vous analyserez les résultats sur une période de trois ou quatre ans, vous vous direz: «Bravo, ils ont fait leur travail».
[Traduction]
Le président: Au nom de tous mes collègues, je tiens à vous remercier. Je pense que nous comprenons bien la complexité des défis qui attendent votre organisme.
J'ai la certitude que vous avez bien vu l'intérêt élevé que nous portons à l'unité nationale ici. Je pense que nous, les parlementaires, avons la responsabilité de vous dire cet intérêt élevé que nous portons à l'unité nationale et de vous dire ce qui nous inquiète. C'est un grand pays, et il faut faire tout en notre pouvoir pour le garder uni.
M. Peric: Ce n'est pas seulement un grand pays, c'est le meilleur.
Le président: C'est le meilleur.
M. Peric: Il y a d'autres grands pays, mais le Canada est le meilleur.
Le président: Merci. Et merci d'être venus.
Rappelez-vous, chers collègues, que nous avons cette séance spéciale mardi prochain à 9 heures. Nous allons nous réunir jeudi prochain, mais rappelez-vous que nous siégeons mardi prochain à 9 heures.
La séance est levée.