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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 10 mai 1995

.1541

[Traduction]

Le président: À l'ordre.

Nous reprenons notre discussion conformément à l'article 108(2) du Règlement et conformément aux recommandations de notre rapport Pour financer le succès de la PME.

Notre témoin d'aujourd'hui est M. Jayson Myers, chef économiste de l'Association des manufacturiers canadiens.

Bonjour monsieur Myers.

Monsieur Myers, notre collègue du Bloc québécois avait suggéré que nous entendions le représentant de votre association au Québec. Contacté par notre greffier, il lui a suggéré qu'il serait préférable d'entendre un représentant national. C'est donc avec plaisir que je vous accueille aujourd'hui.

Nous avons pensé que l'AMC pourrait nous donner un point de vue différent sur la question de celui de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante. Nous faisons une petite étude consécutive aux recommandations contenues dans notre rapport Pour financer le succès de la PME, sur les problèmes de financement et la question des points de référence dont a parlé le ministre des Finances dans son dernier budget.

Je crois que vous voulez nous faire une déclaration. Ensuite nous passerons aux questions.

M. Jayson Myers (chef économiste, Association des manufacturiers canadiens): Je vous remercie de m'avoir invité.

Permettez-moi de me présenter. Je suis le chef économiste de l'Association des manufacturiers canadiens. Je suis aussi celui à qui on téléphone quand on a des problèmes financiers - de l'Ontario, où se trouve notre siège social, et des quatre coins du pays, y compris le Québec.

J'ai participé aux réunions des comités de travail sur la petite entreprise organisées par Finances Canada et Industrie Canada l'été dernier - le coordinateur de notre comité du secteur manufacturier qui s'occupe des questions des petites entreprises. J'ai aussi quelques idées personnelles puisque je suis également président de mon propre cabinet de recherches économiques.

Aujourd'hui je joue plutôt un rôle de représentant de commerce. J'ai quelques petites idées sur ce qui marche bien et sur ce qui marche moins bien pour les petites entreprises dans le domaine du financement.

Je commencerai par faire une ou deux petites remarques sur l'Association des manufacturiers canadiens. Nous avons environ 16 000 clients, à la fois des membres et des entreprises de fabrication qui recourent à nos services. Dans leur très grande majorité, ce sont de petites entreprises. Enviroin 85 p. 100 de nos membres et probablement plus de 90 p. 100 de nos clients sont des entreprises
comptant moins de 500 employés. En fait, au moins 55 p. 100 des entreprises avec lesquelles nous avons des rapports comptent moins de 100 employés. Nous sommes donc en contact permanent avec des petites entreprises et, oui, notre perception de leurs problèmes et de leurs besoins financiers est différente.

.1545

Comme vous les savez, le secteur manufacturier bénéficie actuellement d'une très forte reprise et 1994 a été une très bonne année. Les bénéfices sont à la hausse, les problèmes de trésorerie à la baisse, les commandes et la production à la hausse dans tout le pays. Dans la reprise économique, les petites compagnies sont en première ligne tout comme elles le sont pour la création d'emplois. Cinquante cinq pour cent des emplois créés l'année dernière dans toute l'économie canadienne l'ont été par le secteur manufacturier et les petites entreprises sont probablement responsables de 50 à 60 p. 100 de cette création nette d'emplois.

Nous sommes donc tout à fait à la hauteur de notre réputation économique et probablement même plus compte tenu des changements profonds qui ont accompagné cette reprise. Ils ont eu des répercussions sur les besoins financiers surtout pour les petites entreprises.

Pour commencer, ce sont les exportations qui ont relancé l'économie. Pour beaucoup d'entreprises canadiennes, le marché national est devenu un élément mineur pour ne pas dire inexistant. Pour la plupart d'entre elles, le marché le plus important est celui des exportations. Il n'est pas rare que des compagnies vendent 97 ou 98 p. 100 de leurs produits à l'étranger, et pour la grande partie aux États-Unis. Cela impose aux petites entreprises, en particulier, d'énormes efforts financiers car ces exportations, il faut les financer et leur trouver des marchés.

Il y a eu un mouvement énorme de spécialisation au niveau de la conception, de la technologie, du développement des produits, de la créativité, de la gestion et du personnel. Les ressources humaines sont plus importantes que les ressources matérielles pour grandir et c'est très important. J'aime à penser que c'est l'intelligence humaine qui est à la base de la réussite de la petite entreprise dans le secteur manufacturier.

Il y a eu également un énorme mouvement de décentralisation, de délocalisation de la production. L'unité de production dans l'économie canadienne d'aujourd'hui est également une petite entreprise. C'est rarement une grosse société, c'est un réseau ou des contacts. C'est votre chaîne de fournisseurs, votre chaîne de clients, vos sous-traitants. Les indépendants qui travaillent à contrat sont devenus un élément très important du secteur manufacturier.

Comment financer ce genre d'opération? Quels en sont les besoins financiers? Tout est en train de changer et tout va probablement changer plus vite au cours des prochaines années qu'au cours des 20 dernières.

Tous ces changements, y compris les changements structurels, les changements technologiques et matériels, les contrôles de coûts de plus en plus serrés pour trouver les capitaux nécessaires à l'expansion, l'augmentation de la productivité et la réduction des frais généraux - tous ces changements modifient les besoins financiers des petits fabricants. Il est très important aujourd'hui de comprendre ces changements. Il ne suffit pas que les banques ou le gouvernement les comprennent, il faut aussi que les fabricants les comprennent eux-mêmes ainsi que le public. L'économie est très différente de ce qu'elle était il y a seulement cinq ans et il faut nous y adapter. J'y reviendrai dans un instant.

J'aimerais rappeler qu'il s'agit de petits financements et c'est important. J'aimerais rappeler les mesures progressives adoptées par toutes les banques à charte, la communauté bancaire en général, ainsi que par les petites compagnies de capitaux à risque et d'investissement. Le monde bancaire a reçu et a compris le message. Des efforts méritoires pour financer les petites entreprises ont été faits.

Tout cela est très important. Les codes de conduite, les services exclusivement dédiés à cette clientèle et l'effort généralisé de toutes les banques, y compris la BFD et un certain nombre de petits groupes d'investissement et de capitaux, pour mieux comprendre les innovations industrielles et l'évolution des besoins financiers, sont tous de bonnes choses à voir. Nous devons le reconnaître, nous espérons que cela continuera.

Je ne suis certes pas venu ici pour attaquer quiconque, mais il faut reconnaître qu'il y abeaucoup d'incompréhension face à la restructuration et à la mutation des petites entreprises - incompréhension qu'il faut résoudre en trouvant des solutions constructives.

.1550

Y a-t-il des problèmes de financement? Oui, certainement. Le questionnaire que nous avons envoyé en février dernier sur l'achat de matériel technologique de fabrication montre comme presque tous les questionnaires de ce genre envoyés récemment, que les petites entreprises de fabrication dépendent énormément des banques pour leur financement.

Environ 85 p. 100 des quelque 500 personnes qui nous ont répondu disent qu'elles s'adresseraient aux banques pour financer l'achat de matériel technologique - surtout des systèmes de fabrication assistés par ordinateur et des systèmes d'automatisation - et 92 p. 100 qu'elles ne compteraient que sur leurs propres possibilités financières. Les prises de participation sont très rares mais par contre, on ne manque pas d'imagination, allant de la carte Visa à l'huile de coude en passant par les copains, les cierges et autres formes d'intercession. Tout cela est encourageant mais il reste que le principal financier c'est la banque.

Vous nous avez demandé quels étaient certains de ces problèmes. Il semble que le financement par les banques pose toujours des problèmes. Seulement 4,7 p. 100 des répondants ont dit avoir des problèmes de financement pour l'achat de capitaux fixes. Cela ne semble pas être parmi un des problèmes les plus importants.

D'après le sondage, 24,8 p. 100 s'attendent à avoir des problèmes de financement d'achat de matériel technologique avancé, car ce matériel n'est plus considéré comme un capital fixe. Ce sont des matériels qu'on peut démonter dont la valeur en termes réels est la somme de ces éléments éparpillés aux quatre coins de l'atelier. C'est très difficile à financer sur une base de capital fixe comme on les aime dans les bilans financiers.

Malgré leurs améliorations de trésorerie, 48 p. 100 des compagnies se plaignent de difficultés au cours de l'année dernière pour financer l'achat et le renouvellement de matériel technologique et 68 p. 100 se plaignent de relations précaires avec leurs banques. Nous n'avons pas été plus loin. Sans parler bien sûr des problèmes pour trouver des capitaux de départ, pour s'agrandir, etc.

Il y a des problèmes majeurs et j'aimerais parler très brièvement de deux en particulier. Je ne parlerai pas des problèmes de prêts refusés. Les fonds sont là mais ce sont les petites entreprises qui présentent mal leur dossier. Il y a du travail à faire sur ce plan.

Un problème concerne les relations avec les banques. Deuxièmement, il y a des problèmes à cause de la nature différente aujourd'hui des investissements; l'évolution ds besoins financiers. Je les qualifie de problèmes financiers hors bilan.

Permettez-moi de commencer par les relations entre les banques et les entreprises. Dans l'ensemble, selon moi, ces relations sont bonnes. Mais comme je vous l'ai dit, je suis à l'autre bout du fil, je tiens donc simplement à vous rapporter ce qu'on me dit.

Il faut reconnaître que les petites entreprises sont des créatures différentes. Pour commencer, elles sont petites. C'est peut-être une évidence, mais leurs demandes de crédit tendent à être relativement minimes. Personnellement, mes demandes de crédit sont très rares et souvent difficiles à gérer surtout quand c'est un organisme bureaucratique aussi important qu'une banque, car la gestion de ces petits comptes consomment beaucoup d'énergie et les moyens de négocier sont donc très limités.

Les relations entre un chef de petite entreprise et une banque ne sont pas les mêmes qu'entre un simple client et un établissement de fabrication. Je les ai entendues joliment décrites comme les relations entre un père et son fils et peut-être moins joliment comme celles entre un dentiste et son patient. Je crois que c'est quelque part entre les deux. Mais ces relations ne sont pas égales et les petites entreprises le savent très bien.

.1555

Les petites entreprises sont à court d'argent. Elles sont à court de temps. Elles sont à court de ressources. Elles sont soumises à d'énormes pressions financières. En vérité, elles sont à court des ressources qu'elles utilisent et, tout du moins dans le secteur de la fabrication, elles font porter tous leurs efforts sur la fabrication. Elles font porter tous leurs efforts sur les marchés, sur les services. Elles n'ont pas la fibre financière. Elles n'en ont pas le temps.

Elles sont différentes parce qu'elles ont besoin d'un peu de répit. Il leur est déjà assez difficile de payer leurs ouvriers le vendredi et de rester à flot.

Les petites entreprises se plaignent de la même chose au sujet des banques qu'au sujet de la réglementation administrative: toujours remplir les mêmes papiers, toujours se battre pour avoir du crédit. Ce sont des problèmes réels et pour les régler il faut beaucoup de temps et beaucoup de ressources que nombre de petites entreprises n'ont tout simplement pas, si bien qu'elles sont pénalisées.

J'ai parlé des relations inégales entre le banquier, qui est le spécialiste, qui sait tout, qui est le financier, d'une part, et d'autre part le chef de petite entreprise qui sait fabriquer, qui sent instinctivement son potentiel et qui, j'espère que c'est la majorité, connaît bien son affaire mais doit lutter tous les jours pour survivre, pour ne pas couler.

À la vérité, aller voir un banquier n'est pas très agréable. Déballer ses problèmes devant un banquier n'est pas facile et c'est un très gros obstacle dans les relations entre les petites entreprises et les banques.

Il y a des problèmes de trésorerie. Personne ne veut vous prêter d'argent sans contrepartie, sans garantie de recettes. Pour les petites entreprises c'est important. C'est un problème important.

Dans le secteur manufacturier, en moyenne au Canada le bénéfice net après impôt est de 2,5 p. 100. Cela veut dire que pour la compagnie moyenne, sur huit heures de production, sept heures et 45 minutes servent simplement à rentrer dans les frais, et les cinq minutes suivantes servent à payer l'impôt. En moyenne, il reste 10 minutes à réinvestir dans la compagnie et augmenter sa valeur.

Pour une petite entreprise c'est encore pire. En moyenne c'est sept heures et 52 minutes et environ trois minutes et demie ou quatre minutes pour payer les impôts. Cela laisse en moyenne quatre à cinq minutes pour investir dans l'entreprise. C'est un problème énorme auquel doivent faire face d'une manière générale presque toutes les petites entreprises.

Il ne s'améliorera pas cette année, il risque même de s'aggraver.

Le président: Monsieur Myers, je me permets de vous interrompre. Cela fait maintenant 15 minutes que vous parlez. Si vous pouviez conclure, nous pourrions passer aux questions. Nous nous sommes fixé un objectif très précis en procédant à cet examen et j'aimerais que nous ne nous en écartions pas trop. Vous nous présentez des points intéressants et importants mais il ne faudrait pas trop nous disperser.

M. Myers: Permettez-moi simplement d'ajouter deux petites choses qui, à mon avis, sont liées à ce problème de points de référence. C'est en partie une question de niveau de rapports entre les banques et les entreprises de fabrication.

Bien entendu, le problème consiste en partie à combler les lacunes sur le marché quand il est impossible de trouver du financement. Permettez-moi de vous donner une petite idée du genre de plaintes que j'ai reçues au cours des deux dernières semaines.

J'entends souvent, par exemple, des compagnies ayant la même cote de crédit se plaindre de ne pas être financées également d'un bout à l'autre du pays. Il est certain que c'est au Québec que la situation semble être la meilleure pour les petites entreprises. Dans d'autres provinces, surtout dans les Maritimes, on a le sentiment... Les compagnies qui ont une bonne cote de crédit ont beaucoup plus facilement accès à des capitaux de tous genres dans le Canada central qu'à Terre-Neuve et au Nouveau-Brunswick, par exemple, même si leur chiffre d'affaires est tout à fait respectable.

.1600

Au cours de la dernière semaine, j'ai surtout entendu parler de problèmes de frais de services. Il semblerait que de plus en plus de banques à charte se servent de ces frais pour couvrir les services non bancaires qu'elles offrent à ces compagnies. C'est un problème énorme et il ne fera que s'aggraver car ces frais pèsent sur la trésorerie des petites entreprises et nombre de ces frais ne tiennent pas compte du fait que ces entreprises sont petites et n'ont pas les ressources nécessaires.

Je crois qu'au niveau de ces relations il importe de regarder d'un peu plus près ce que font les banques. Les banques devraient respecter certains principes et la nomination d'un ombudsman est une initiative heureuse. Il faut que ces initiatives soient locales et elles ne doivent pas être imposées de l'extérieur. Elles doivent être adoptées par les banques elles-mêmes. À propos de vos points de référence, il faut également qu'ils reposent sur des normes utilisées et appliquées par les banques, adoptées au sommet et appliquées à la base. Le secteur de la petite entreprise est un client important pour les banques et il faut qu'elles en tiennent compte. Cependant, il ne faudrait pas que ces normes soient imposées; il ne faudrait pas qu'elles provoquent une réaction hostile dans certaines succursales. Il faudrait qu'elles soient adoptées d'un plein accord.

J'ai lu le témoignage de l'Association des banquiers canadiens devant votre comité. Je trouve nombre des points de référence qu'ils ont suggérés bons et je suis heureux de constater le succès de cette initiative.

Permettez-moi simplement de conclure en parlant de la nature changeante du secteur manufacturier et de la nature changeante des besoins financiers. C'est très important.

Le problème principal des banques aujourd'hui n'est pas, je ne pense pas, à mon avis, une évaluation financière des risques et des possibilités; ces risques et ces possibilités n'ont rien à voir avec le bilan. Même si j'ai beaucoup entendu parler de l'opposition entre petits risques et gros risques, à mon avis ce n'est pas une très bonne distinction. Le marché de l'immobilier est un marché à risque comme nous l'avons constaté au cours des dernières années. Ce ne sont pas non plus des problèmes d'états financiers. Il faudrait faire la distinction entre les bons risques et les mauvais risques et l'évaluation de ces risques dépend de la compréhension de l'évolution du monde des affaires d'aujourd'hui, surtout dans le secteur manufacturier, de l'évolution de la technologie, de l'évolution du marché et de la nécessité de trouver des capitaux souvent sans la garantie d'avoirs immobilisés. C'est très important et je pense que c'est un élément qu'il faut introduire dans les points de référence que vous voulez proposer en les ajoutant peut-être à certains de ceux que l'association des banquiers a suggérés.

J'aimerais cependant ajouter qu'il faudrait que ces points de référence adoptés par les banques soient logiques, qu'ils soient locaux, qu'ils soient adoptés par les banques elles-mêmes pour faciliter leurs activités et mieux servir leur clientèle.

Je continue cependant à penser que les banques et le gouvernement doivent encore beaucoup faire pour comprendre les mutations actuelles, et il faut que ces points de référence prennent en compte l'évolution de la technologie, l'évolution de besoins financiers qui ne peuvent plus se calculer à partir de bilans financiers. Vous devriez aussi peut-être envisager la nécessité de fixer les frais de services en fonction du rapport des prêts consentis aux petites entreprises. À mon avis, ce serait intéressant car cela vous éclairerait sur le nouveau monde financier.

Évidemment, il ne sera pas facile à de grosses organisations élevées aux techniques de comptabilité et aux opérations financières traditionnelles d'oublier leurs sciences et leurs mathématiques pour évaluer les risques mais il faudra que les points de référence tiennent compte de cette nouvelle réalité et qu'elles forment le personnel nécessaire.

Il y a encore beaucoup d'autres choses que je pourrais vous dire et les économistes ne seront jamais à court mais je m'interromps pour que vous me posiez des questions.

Le président: N'importe qui?

M. Myers: N'importe qui.

Le président: Merci, monsieur Myers.

Nous commencerons cet après-midi par M. Leroux du Bloc.

.1605

[Français]

M. Leroux (Richmond - Wolfe): Merci pour votre présentation, monsieur Myers. Vous avez fait une assez bonne présentation des profils des entreprises et des besoins directement liés à votre organisation. Vous avez fait enquête auprès de vos membres et vous avez constaté que l'accès au crédit était plus difficile pour des compagnies de même catégorie, et plus difficile dans certaines régions que dans d'autres.

Dans votre analyse, avez-vous mis le doigt sur les raisons de cette situation ou s'agit-il d'une observation faite en dehors de votre enquête?

[Traduction]

M. Myers: Je crois qu'il y a là un problème. On peut le constater si l'on prend les secteurs, ou encore les régions. Lors de discussions avec des membres de la haute direction des banques, y compris la Banque fédérale de développement, j'ai constaté que l'on accordait peut-être trop d'importance aux performances des secteurs, ou des régions.

Par exemple, au cours des deux dernières semaines, j'ai entendu les commentaires d'une entreprise à Terre-Neuve se plaignant des difficultés à obtenir des crédits dans cette province, de ce que ces difficultés tenaient précisément au fait que l'entreprise était située à Terre-Neuve.

En réalité, la difficulté découlait de l'augmentation du taux d'intérêt que cette entreprise devait payer, et qui passait du taux préférentiel plus deux au taux préférentiel plus trois, en dépit du fait que l'entreprise effectuait régulièrement ses paiements, depuis trois ans, sur l'encours de sa marge de crédit. La seule explication pour cette augmentation était que l'entreprise était à Terre-Neuve, ou tout au moins, c'est ce que le gérant de la banque avait dit à l'époque. Il est évident que cela affectait le bilan de la compagnie et, étant donné qu'il s'agit d'une entreprise manufacturière qui réalise 80 p. 100 de ses ventes en dehors de Terre-Neuve, la décision de la banque ne semble pas très pertinente. Mais je constate qu'il y a bien des règles de financement qui sont simplistes. Les gouroux de la nouvelle économie parlent des secteurs qui vont probablement croître et de ceux qui sont en déclin; ils parlent également des régions qui vont prospérer et de celles qui ne pourront compter sur du financement. Personne ne bénéficie d'une telle approche.

L'Île-du-Prince-Édouard est la province canadienne qui s'industrialise le plus rapidement. En ce qui concerne la transformation du poisson à Terre-Neuve, la société FPI a connu une augmentation de 65 p. 100 de ses ventes. Si vous voulez parier sur l'industrie de la pêche à Terre-Neuve, cette entreprise ne serait pas un bon choix. Il faut comprendre la compagnie. On ne peut pas procéder au financement sur une base sectorielle ou régionale, et dans le secteur manufacturier, nous constatons que les divisions sectorielles s'estompent.

À Toronto, cinq entreprises fabriquent des cafetières pour Proctor Silex. Il y a une entreprise de produits en plastique, une entreprise de services de gestion, une entreprise d'électronique, une entreprise de conception et une entreprise manufacturière non spécialisée. Ces cinq entreprises constituent un réseau et engagent les services d'un certain nombre de contractuels. La plus grande partie du travail est exécutée par de plus petites entreprises qui travaillent dans le cadre de ces entreprises.

Comment financer une activité de cette nature? À quel secteur appartient-elle? Où situer chacune de ces compagnies étant donné qu'elles peuvent se reconstituer pour produire un autre produit quelconque. C'est là où est le problème.

Le président: Merci, monsieur Leroux. Y a-t-il d'autres questions?

[Français]

M. Leroux: Cette dimension est un élément qui expose pour la première fois une discrimination envers certaines régions par rapport à d'autres à cause de leur situation économique, géographique ou autre. Lorsqu'une entreprise est près de ses marchés ou qu'elle fonctionne selon la distribution de sa production, etc., l'aspect de sa situation géographique détermine sa performance. Cela me semble être un élément extrêmement important.

Monsieur Myers, votre enquête et vos analyses ont-elles révélé que l'accès au crédit était plus difficile pour les femmes chefs d'entreprises? C'est un élément qui a souvent été soulevé.

.1610

Lors de votre enquête, avez-vous établi, parmi vos membres, le pourcentage de femmes entrepreneures ou chefs d'entreprises? Avez-vous observé des problèmes particuliers reliés aux femmes chefs d'entreprises?

[Traduction]

M. Myers: Je dois dire que nos analyses n'ont pas porté spécifiquement sur cet aspect. En fait, quand je pense à notre comité sur la petite entreprise, je constate que cinq femmes siègent à ce comité et aucune d'elles n'a eu de difficulté à obtenir le financement voulu, soit des banques, soit sous forme de participation au capital. Je ne dispose que de données anecdotiques qui ne sont guère fiables.

Je voudrais cependant revenir à votre première observation. Je ne crois pas que l'on puisse vraiment parler de discrimination de la part de qui que ce soit au sujet du financement de la petite entreprise. Je crois que les difficultés résident dans l'adaptation aux changements dans ce domaine; par exemple, la question de traiter avec les travailleurs autonomes et de leur consentir des prêts. Naturellement, il est probable que plus de 50 p. 100 des travailleurs autonomes sont des femmes. C'est un domaine où on connaît des difficultés, comme dans le cas des prêts de moins de 100 000$.

Je crois que le problème s'explique surtout par l'adaptation à l'évolution dans le domaine des affaires que l'on traverse actuellement plutôt que par une discrimination pure et simple. C'est un problème que les banques devront régler, ainsi que les manufacturiers.

[Français]

M. Leroux: J'ai fait cette remarque parce qu'à plusieurs reprises, on a soulevé certains problèmes reliés aux femmes chefs d'entreprises. Donc, vous ne semblez pas, chez vous, avoir observé quelque chose de particulier à cet égard.

[Traduction]

M. Myers: Il est très difficile dans le secteur manufacturier de dire que telle ou telle entreprise est dirigée uniquement par des femmes qui s'occupent de tous les aspects. Compte tenu de la propriété du capital, et compte tenu aussi du rôle des entreprises dans des réseaux de production, il est souvent difficile d'établir une telle catégorie.

Je crois qu'il est difficile pour les banques de quantifier les prêts consentis aux femmes. Cela n'est peut-être pas tellement difficile pour certaines catégories d'entreprises, mais dans le secteur manufacturier je crois qu'il serait très difficile de déterminer les montants en cause.

Le président: Je crois que la question vous a été posée parce que nous avons entendu la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante qui nous disait, au sujet d'un certain nombre d'entreprises dirigées par des femmes... Je reconnais qu'il faut établir une distinction entre les entreprises manufacturières et les autres. Vous nous dites que cela n'est pas inquiétant, ne l'a jamais été, ou tout au moins, que vous n'avez rien entendu qui amènerait l'Association des manufacturiers canadiens à s'inquiéter d'une telle situation.

M. Myers: Du point de vue strictement manufacturier, je ne sais trop. De notre point de vue, je ne pense pas que le fait qu'une compagnie soit la propriété d'un homme ou d'une femme change quoi que ce soit. Je n'ai pas entendu nos membres nous dirent qu'un financement avait été refusé parce qu'il avait été demandé par une femme. Nos membres ne nous ont rien signalé à ce sujet. Je reconnais qu'il y a peut-être une perception que... La Fédération canadienne de l'entreprise indépendante a certainement suivi ce dossier. Mais, comme je l'ai dit, nous n'avons aucune donnée analytique à ce sujet.

Le président: On ne vous en a pas parlé.

M. Myers: On ne m'en a pas parlé. Mais il est possible que je reçoive beaucoup d'appels après ce témoignage.

Le président: Monsieur Iftody, je vois que vous vous rongez le frein et êtes prêt à poser des questions. Je vais donc vous donner la parole, car je ne veux pas qu'il soit dit que je ne vous laissais pas le champ libre. Donc, à nouveau, à vous de jouer.

M. Iftody (Provencher): Cela sera naturellement inscrit au compte rendu. Merci.

La cravate de M. Bélanger m'avait quelque peu distrait.

M. Bélanger (Ottawa - Vanier): Il faudra biffer cela au compte rendu.

M. Iftody: Je vous remercie vivement de votre exposé.

Plus particulièrement, deux remarques ont attiré mon attention. Franchement, après avoir participé aux audiences de ce comité - cela fait largement plus d'un an actuellement - et avoir entendu les exposés d'organismes canadiens jouissant d'une excellente réputation, comme le vôtre et la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, entre autres, il semble bien que l'impression générale est que les liens entre les gens d'affaires, dans votre cas les fabricants, sont bien ténus. J'étais abasourdi d'entendre des chiffres comme ce pourcentage de 68 p. 100 de dirigeants estimant que le rapport qu'ils entretiennent avec leur banquier, rapport extrêmement important, est fragile, si je vous ai bien compris.

.1615

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi, d'après vous, c'est ce qui se produit?

J'ai remarqué particulièrement dans les rapports économiques que le secteur manufacturier et de l'exportation au Canada se porte relativement bien, tandis que le secteur du détail, que vous représentez également - autrement dit, notre économie interne - bat de l'aile. J'imagine donc que ce secteur se heurtera à des problèmes d'ici peu. On semble hésiter à acheter ce type de produits manufacturés.

Pourquoi 68 p. 100 de vos membres se prononcent-ils de cette façon, et la conjoncture est-elle particulièrement difficile pour certains secteurs que vous représentez?

M. Myers: Elle l'est, comme nous le confirment les plus petites entreprises, j'imagine à cause des contraintes de liquidités. Les liquidités et la rentabilité ont une incidence énorme sur la capacité financière de ces entreprises, et à juste titre. Mais il est très important que l'on reconnaisse, autant du point de vue du petit entrepreneur que de celui du petit manufacturier, la nécessité de contrôler l'exploitation, particulièrement en période de récession. Si l'entrepreneur ou le fabricant veut rester en affaires, il doit alors contrôler ses coûts. Ces gens contrôlent la plupart du temps leurs coûts de main-d'oeuvre, le coût de leurs intrants, leurs relations avec leurs fournisseurs et l'infrastructure dont ils se servent. Ils sont en mesure de contrôler tout cela.

Que se passe-t-il lorsque votre banquier décide de hausser de 1 p. 100 du jour au lendemain le taux d'intérêt de votre emprunt et que cela se traduit par des coûts supplémentaires de 50 000$ par année pour une petite entreprise comme celle de Terre-Neuve dont je vous ai parlé? Que se passe-t-il lorsque vous négociez un prêt pour votre petite entreprise et que le simple fait d'avoir rencontré le banquier vous coûte 5 000$? Que se passe-t-il lorsqu'on vous impose une amende de 800$ parce que vous êtes une journée en retard dans vos remboursements mensuels? Les frais bancaires sont les deuxièmes coûts fixes en importance que doivent assumer les petites entreprises, et les petits entrepreneurs et petits fabricants sont parfois obligés d'assumer une hausse de coût décidé au gré du moment par le banquier.

Voilà d'où provient leur insécurité: ils craignent que la banque ne saisisse leurs biens dès que ceux-ci auront atteint une valeur qui les rendra intéressants à la revente.

On semble mal comprendre les pratiques bancaires et il semble qu'il y ait manque de communication entre les banques et les petits fabricants quant aux meilleures pratiques d'affaires; certaines des histoires d'horreur qui circulent parmi les petites entreprises ne font qu'accroître le sentiment d'insécurité. Rien de cela n'arrive sans conséquence, et j'espère que vous en tiendrez compte au moment où vous fixerez vos points de référence.

Ensuite, il y a les exportations par rapport à l'économie intérieure. La reprise dépend entièrement des exportations. Le volume de nos exportations n'a jamais diminué. Si nous n'avions fait que des exportations, il n'y aurait jamais eu de récession. Tout dépend de l'économie de l'exportation, dans la mesure où nous exportons en moyenne 55 p. 100 aujourd'hui de la totalité de notre production. Le marché canadien suit de près le marché américain. Or, le marché canadien n'est pas aussi important aujourd'hui qu'il l'a déjà été, car c'est le marché américain qui a le dessus.

Les petits et les grands fabricants ont perdu un tiers du marché canadien au cours des 15 dernières années. La part du marché canadien ne représente aujourd'hui que 44 p. 100 des ventes intérieures de produits manufacturés. Cela crée des bouleversements dans le secteur manufacturier qui est actuellement beaucoup plus orienté vers l'exportation et beaucoup plus spécialisé dans sa production.

Autrement dit, les économies d'échelle à partir de la fabrication canadienne n'existent plus et rendent l'exploitation beaucoup plus difficile.

Les perspectives pour le secteur manufacturier canadien ne sont pas à mon sens des plus reluisantes. La production sur le marché canadien ralentit, tout comme sa croissance. La production canadienne chute depuis cinq ans déjà. Nous avons atteint le sommet du cycle d'affaires dans le secteur manufacturier. Nous entrons dans une période de croissance plus lente, mais pas dans une récession, je l'espère. Néanmoins, les problèmes de liquidités vont s'aggraver d'ici à peu près un an, et je pense qu'il y aura bien plus de compagnies en difficultés. Nous voyons déjà le nombre de faillites augmenter. La période sera extrêmement difficile pour les compagnies manufacturières et pour les autres petites entreprises qui sont tributaires du marché intérieur. La manufacturiers ont eu de la chance, jusqu'à un certain point, parce qu'ils pouvaient exporter.

.1620

M. Iftody: Certaines des statistiques que j'ai vues m'inquiètent. En fait, il y a de quoi s'étonner. Je pense qu'une grande partie d'entre elles reflètent des phénomènes structurels et une adaptation, mais une adaptation à quoi? De toute évidence, quand on passe d'un secteur à l'autre, on s'oriente vers les entreprises à forte intensité de connaissances, dont vous avez parlé au début de votre exposé.

Cela dit, si vous voulez aider concrètement notre comité, nous aimerions avoir quelque chose en place avant que l'économie accuse un repli très sensible, dans deux ans, mettons. Si c'était le cas, nous aimerions pouvoir offrir une certaine protection aux petites entreprises canadiennes afin d'apaiser au maximum le sentiment d'insécurité de ceux qui ont l'impression que tout peut s'écrouler n'importe quand. Nous aimerions vraiment pouvoir obliger les banques à assumer bien d'avantage leurs responsabilités à l'endroit de leur clientèle, à mon avis.

Selon vous, que pourrions-nous faire de précis pour ces entreprises canadiennes plus vulnérables, qui vont subir des pressions croissantes au fil des mois? Qu'est-ce que notre comité peut faire pour améliorer leurs relations avec les banques? Pourriez-vous nous proposer des idées, aussi bien générales que précises?

M. Myers: Je pense que le comité devrait continuer à faire pression sur les banques pour qu'elles réévaluent leurs relations de prêteuses aux petites entreprises. Efforcez-vous de faire instaurer de nouveaux moyens de financement, et reconnaissez que c'est important.

Je n'aimerais pas que le gouvernement intervienne pour imposer aux banques l'obligation d'accorder des prêts aux petites entreprises et pour exiger qu'elles atteignent certains objectifs dans ce contexte, car je pense que l'effet obtenu serait tout le contraire: vous risqueriez de faire disparaître le crédit. Par exemple, il est souvent difficile pour la BFD d'intervenir quand il y a des vides dans le marché du crédit. Habituellement, son intervention tend à avoir des effets contraires aux attentes, au moins dans certaines des régions que je connais. Il est plus facile pour les banques de se retirer du marché si la FDB y est présente, et c'est un problème manifeste. Certaines des plaintes qu'on m'adresse portent sur la FDB. Ce n'est pas simple et je ne pense pas qu'on puisse trouver une solution miracle.

À mon avis, c'est aux banques qu'il revient d'agir rapidement; elles ont montré qu'elles évoluent dans ce sens en introduisant des projets pilotes, des modalités de financement des petites entreprises, des mécanismes de financement innovateurs, par exemple des services de financement provisoires ou des prêts à plus long terme, en assouplissant peut-être un peu leurs politiques à l'égard des petites entreprises ainsi que les conditions de prêts, de rapports et autres exigences administratives applicables dans ce secteurs, parce que c'est là qu'une grande partie des problèmes se manifestent.

Je voudrais bien qu'il y ait quelque chose de facile à faire pour pouvoir dire que j'aimerais que le gouvernement le fasse. Même l'élaboration de points de référence et l'obligation pour les banques de faire des rapports m'inquiètent. Je crains que cela se retourne contre nous, parce que les banques vont refiler la note aux petites entreprises, ce qui va faire grimper en flèche les frais de services. Ça m'inquiète vraiment.

M. Iftody: Vous dites que c'est presque comme si les banques nous prenaient en otages; il m'est tout bonnement impossible d'accepter ça. Je l'ai déjà entendu dire, et notre comité a eu du mal à avaler ça dans les travaux préliminaires de notre rapport. Vous dites que, si nous n'élaborons pas de points de référence ou que nous ne créons pas d'attente pour les banques, elles vont tout simplement se défiler et se venger sur les petites entreprises. En d'autres termes, c'est comme si les banques nous disaient de continuer à ployer les genoux pendant qu'elles tiennent le gros bout du bâton, en nous avertissant que, si nous essayons de nous sortir de là ou d'obtenir l'aide de quelqu'un d'autre, ce sera encore pire encore.

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C'est une sorte de chantage financier, car l'économie canadienne dépend à ce point de ces institutions. Pour revenir à votre idée qu'il faut que la petite entreprise soit libre de fonctionner dans une économie de marché libre, je suis convaincu qu'on est en train de fausser ce genre de processus et ce droit, si vous voulez, de même que le privilège des banques d'assumer leur responsabilité fiduciaire dans ce contexte.

Je m'inquiète beaucoup quand j'entends quelqu'un dire que nous ne devrions pas faire ceci ou cela aux banques parce qu'elles vont nous punir. Deux femmes qui ont témoigné devant nous, nous ont suppliés de ne pas répéter aux banques ce qu'elles disaient à leur sujet parce que, à leur retour, leur gérant de banque allait réclamer le remboursement de leur emprunt. Tout le monde est resté là, choqué, sans rien dire. Des déclarations comme celles-là m'inquiètent beaucoup.

Pourriez-vous nous en parler, s'il vous plaît, en nous disant si nous ne pourrions pas agir de façon à obliger les banques à venir en aide à vos membres et à faire baisser ce pourcentage de 68 p. 100 d'insécurité, en nous disant aussi ce que nous pourrions faire d'autre pour surmonter ce problème?

M. Myers: Je vais dire deux choses. Premièrement, les entreprises dépendent profondément des banques et hésitent beaucoup à soulever des problèmes. Dans bien des cas, je pense que vous avez eu de la chance de réussir à en faire parler ouvertement, particulièrement dans un contexte public comme celui-ci.

M. Iftody: J'espère bien être réélu, comme c'est parti, car plus jamais une banque ne me consentira un prêt.

M. Myers: Peut-être pas.

Le président: C'est la dernière question. Pourriez-vous répondre, s'il vous plaît?

M. Myers: Premièrement, je pense qu'une partie des difficultés de confier même à un ombudsman l'examen des problèmes bancaires est la réticence des intéressés à lui signaler ces problèmes.

Pourtant, je dois vous dire de ne pas sous-estimer l'influence de votre comité et l'effet de ce que vous avez accompli jusqu'à présent. Il est évident que la communauté bancaire est motivée par le fait que la question figure au programme politique; il y a eu des progrès réels.

Je pense que je devrais vous dire de ne pas prendre une approche autoritaire en imposant quelque chose qui va se retourner contre vous. Je pense que votre comité et l'administration gouvernementale en général peuvent exercer une très grande influence sur la communauté financière en général, et pas seulement sur les banques.

Vous aurez beaucoup d'influence tant que vous concentrerez sur ce qui compte et que vous vous intéresserez à tout ce qui ne figure pas sur un bilan, aux problèmes des frais de services et des pratiques commerciales des banques, en leur demandant par exemple à combien de gens elles ont accordé des prêts à la petite entreprise, quel est le taux de roulement de leurs gestionnaires de prêts, quelle formation elles offrent sur les questions de financement qui ne sont pas fondées sur les bilans et comment elles procèdent à cet égard. Tout ira bien, tant que vous poserez les bonnes questions. N'allez pas vous concentrer sur les critères de rendement en vous limitant aux résultats et au financement. Analysez ce que les banques font et posez-leur des questions là-dessus.

Je pense aussi que le gouvernement pourrait faire un tas de choses pour déréglementer d'autres sources de capitaux comme le financement par capitaux propres, en prenant des mesures pour généraliser cette approche. De toute évidence, l'une des mesures les plus importantes que le gouvernement pourrait prendre, puisque la question des liquidités est si importante, ce serait d'étudier les coûts qu'il impose aux entreprises qui ont besoin de liquités pour survivre; c'est fondamental.

Je ne voudrais absolument pas me retrouver avec une solution bureaucratique d'un problème largement attribuable à la lourde organisation bureaucratique des banques. Je préférerais de beaucoup voir les taxes que les banques payent au gouvernement sur leurs capitaux être versées dans un fonds distinct qui pourrait être administré par les banques pour contribuer au financement de la petite entreprise, ou au financement par capitaux propres, grâce à des mécanismes selon lesquels les banques pourraient toucher un pourcentage des ventes plutôt que des intérêts. Je préférerais de beaucoup voir l'argent des taxes aller là; il serait beaucoup plus judicieux de l'utiliser pour accorder du crédit aux petites entreprise que de laisser le gouvernement le dépenser.

Je pense qu'il y a de nouvelles initiatives originales de financement, mais il reste un gros problème. C'est le secteur bancaire qui doit réagir et adopter cette approche en en faisant son objectif commercial, et tous les éléments du crédit bancaire doivent être fondés là-dessus. Il ne faut pas que les points de référence soient simplement quelque chose que le gouvernement impose; il faut que les banques elles-mêmes les adoptent. Par conséquent, n'allez pas les imposer à coups de massue, mais servez-vous plutôt de votre influence pour les faire adopter.

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Le président: Merci.

Monsieur Harper, je pense que vous avez des questions. Ensuite, nous passerons à M. Mitchell.

M. Harper (Simcoe-Centre): Merci, monsieur le président. Monsieur Myers, je vous remercie aussi pour votre exposé. J'ai deux questions à vous poser.

La première porte sur l'observation que vous avez faite, à savoir que nous avons peut-être deux ans avant de nous frapper contre un mur. Dans votre exposé, vous nous avez dit que vous étiez inquiet de voir à quel point nous nous fiions à un marché d'exportation qui est peut-être en train de se détériorer, comme aux États-Unis, en ajoutant que le marché intérieur se contracte. À votre avis, avons-nous vraiment deux ans pour résoudre ce problème?

M. Myers: Je pense que vous constatez déjà d'importantes pressions sur le plan des coûts dans le secteur manufacturier, surtout dans la petite entreprise. En outre, les problèmes de liquidités, les problèmes du crédit bancaire pour les petites entreprises sont manifestement.... Il suffit d'étudier les problèmes de liquidités et de constater certains des problèmes qu'on éprouve à obtenir du crédit.

Je pense que c'est déjà visible. Si nous attendons deux ans sans rien faire...nous sommes confrontés au problème; il existe depuis un certain temps. Les entreprises essaient de survivre. C'est un problème constant qui va vraisemblablement s'aggraver beaucoup au cours des deux prochaines années.

M. Harper: Quand vos membres se plaignent des banques, est-ce que vous ou un membre quelconque de votre organisation prenez le temps d'étudier la validité des plaintes pour savoir qui est coupable? Cherchez-vous à savoir si c'est vraiment la banque, ou si tout simplement un membre en difficulté se sert de la banque comme d'un...?

M. Myers: Pour être franc, je dois vous dire que nous n'avons ni le personnel ni les ressources nécessaires pour vérifier ça nous-mêmes. Si j'ai un problème parce que quelqu'un se plaint de ce qu'une banque lui a fait, par exemple, je lui dis habituellement de communiquer avec la division locale de l'Association.

L'aide peut-être la plus efficace c'est une sorte d'aide mutuelle des membres. Dans une certaine mesure, on peut beaucoup contribuer à aplanir les difficultés quand il s'agit d'un problème de travail ou encore trouver d'autres moyens de financement. Beaucoup de capitaux sont fournis en nature de nos jours.

D'une part, j'imagine qu'on pourrait dire que l'un des principaux facteurs de l'économie parallèle, c'est la difficulté pour la petite entreprise d'obtenir du crédit, mais il y a beaucoup de capitaux en nature, par exemple quand un fournisseur livre les matériaux nécessaires à la fabrication d'un produit et se paye avec un pourcentage des ventes. C'est une pratique très répandue, qui contribue à pallier certains des problèmes.

À mon avis, l'une des difficultés que nous éprouvons est la même pour bien des entreprises. À qui devons-nous nous adresser? Avec qui devons-nous communiquer dans le système bancaire? Ne devons-nous pas contacter l'ombudsman tout de suite? Pourtant, ces problèmes existent et les gens ont toujours de la réticence à les soulever. Il peut exister un problème parce que la banque a imposé des frais de service dont nous ignorions tout. Quand nous recevons une plainte à ce sujet, notre membre n'est pas allé voir la banque pour lui dire qu'il avait un problème; il est venu me voir, et peut-être vais-je comparaître devant un comité comme le vôtre pour en parler.

M. Harper: J'ai une dernière question. Si vos membres avaient le choix, quand ils ont un problème avec les banques, que pensez-vous qu'ils préféreraient s'ils avaient le choix entre un système de points de référence ou de contingents quelconques ou une ouverture du système actuel pour que les institutions financières se fassent davantage concurrence pour desservir les entreprises?

M. Myers: Ils seraient certainement favorables à une concurrence accrue, mais c'est un problème à long terme, et je pense que les difficultés que mes membres doivent surmonter sont des problèmes à court terme qu'il ne sera pas possible de résoudre avec des points de référence.

Néanmoins, j'estime que les points de référence sont extrêmement importants pour l'industrie manufacturière. Il faut qu'ils soient efficaces, il faut qu'ils soient valables, et il faut aussi qu'ils mènent à des améliorations constantes. Les points de référence ne signifieront rien à moins que la situation ne s'améliore et que les banques s'en servent pour améliorer leurs pratiques de prêt aux petites entreprises. Cela dit, elles hausseraient probablement les épaules si vous leur parliez de points de référence ou de contingents. De toute évidence, la concurrence...

Bien sûr, nous avons besoin de concurrence, pas seulement dans le secteur bancaire, mais dans une grande partie du secteur de financement par capitaux propres et dans tout le reste. Nous avons besoin d'une déréglementation dans une grande partie de ces secteurs, et je pense en définitive que tout se ramène aux attentes des investisseurs canadiens. Il y a des risques, et les investisseurs doivent les assumer. S'ils perdent de l'argent, ils ne peuvent pas s'attendre à ce que le gouvernement viennent à leur secours, et c'est un problème, ça aussi.

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Cela dit, ce sont des problèmes à long terme, alors qu'il nous faut des solutions à court terme. J'estime que ça revient dans une certaine mesure aux façons des banques de fonctionner à l'endroit des petites entreprises. Il faut que ces façons changent, car elles ne peuvent pas rester les mêmes que pour les grandes entreprises. À mon avis, l'attitude vient des plus hauts niveaux des banques à charte, de la BFD et des autres institutions prêteuses, et il faut qu'elles soient omniprésentes dans tout le système, comme la notion de qualité. Les points de référence pourront être utiles, mais le mieux serait une politique obligatoire axée expressément sur la petite entreprise; certaines des banques évoluent dans ce sens.

À vrai dire, le problème du financement de la petite entreprise cause énormément de frustrations chez nos membres, parce qu'ils n'arrivent pas à imaginer une solution simple. Ils achoppent sur un manque absolu de capacité d'influer sur la situation. C'est le seul coût important qui échappe totalement à leur contrôle.

M. Mitchell (Parry Sound - Muskoka): J'ai deux questions qui découlent de certaines de celles qu'on a posées ici. Si j'ai bien compris votre témoignage, vous souscririez probablement à l'idée que, dans un monde idéal, le marché lui-même dicterait aux banques d'être plus sensibles aux besoins des petites entreprises.

Je pense qu'une des choses que nous avons constatées dans notre Comité et qui se reflète dans les anecdotes que nous entendons dans les bureaux de nos circonscriptions et dans ce que nous lisons dans bien des rapports, y compris le rapport du Comité sur la petite entreprise, c'est que le marché est tellement dominé par les six ou sept grandes institutions qu'il ne peut pas être aussi sensible aux difficultés que nous le voudrions.

Par conséquent, le ministre des Finances a déclaré dans son discours du budget que le marché ne suffisait pas à la tâche et que le gouvernement allait devoir intervenir - il a parlé de point de référence, ce qui donne lieu à diverses interprétations - en se substituant au jeu des forces du marché dans un secteur d'activités entièrement ouvert.

Je vous ai écouté dire qu'une partie du travail nécessaire a été accompli par le Comité, grâce à la publicité qu'il a faite pour attirer l'attention sur la question, mais je vous ai aussi entendu dire que, en définitive, quelles que soient les forces extérieures, si ce n'est pas intégré dans les opérations des banques, on n'arrivera à rien. J'aimerais savoir ce que vous pensez du degré d'intervention gouvernementale qui s'impose pour faire en sorte que les banques deviennent sensibles aux besoins des petites entreprises, et où il faut tracer la limite au-delà de laquelle l'intervention est vouée à l'échec parce que trop envahissante.

M. Myers: Je vais commencer par la limite à ne pas dépasser. Je ne pense pas que le gouvernement devrait imposer des contingents de prêts. Je pense que l'intervention gouvernementale même pour combler les vides du marché du crédit tend à les aggraver. En ce sens, j'envisage l'intervention gouvernementale avec beaucoup de scepticisme.

Par contre, j'estime que le gouvernement a un rôle de surveillance à jouer. L'ombudsman des banques, l'ombudsman de la petite entreprise qui existe déjà est certainement efficace dans une certaine mesure. Son rôle est peut-être une façon de faire progresser l'idée d'un point de référence et d'amener les banques à l'adopter, mais c'est difficile, et la plupart des entreprises qui ont des problèmes n'iront jamais s'adresser à quelqu'un de l'extérieur. Beaucoup n'en font même pas état. Elles se plaignent peut-être à la banque.

M. Mitchell: Est-ce un problème parce que l'ombudsman fait partie de l'organisation? Voulez-vous dire que ça donnerait des résultats si l'ombudsman n'appartenait pas à une banque donnée?

M. Myers: Le fait que l'ombudsman fait partie de la banque constitue un certain problème en soi, à mon avis, puisqu'il envisage les choses du point de vue d'un banquier. Souvent, la difficulté ne consiste pas seulement à obtenir un prêt; elle peut être attribuable à une politique que la banque a adoptée en décidant d'imposer de gros frais de service - qui peuvent augmenter - sur leurs services d'information et leurs autres services bancaires, c'est une décision de principe. J'estime donc qu'une tierce partie pourrait intervenir pour surmonter certains des problèmes.

Cela dit, pour revenir aux points de référence et à la surveillance qui pourrait être assurée par votre Comité ou par ce qui serait un petit groupe de personnes chargé d'étudier les pratiques des banques, je l'espère, je pense qu'une surveillance comme celle-là pourrait être très efficace à condition que les critères d'évaluation soient valables et qu'il s'attaque à certains de ces problèmes, à la relation pratique entre les parties, tout en tenant compte de la nature évolutive du crédit bancaire.

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M. Mitchell: Pouvez-vous me donner un exemple de ce que votre secteur d'activité considérerait comme un critère valable que nous pourrions retenir comme point de référence?

M. Myers: Celui de nos sous-secteurs d'activité qui a vraiment le plus besoin d'une forme de crédit aujourd'hui est probablement celui des logiciels, et plus précisément des créateurs de logiciels. Dans ce sous-secteur-là, je pense que j'envisagerais des critères qui ne figurent pas au bilan, je le répète, comme les créances ou la fiche de l'entreprise pour rembourser ses emprunts bancaires et sa relation pratique avec les banques, sous l'angle de ce qu'il faut pour innover et de ce dont une entreprise a besoin pour avoir du succès. Ce pourrait être quelque chose d'aussi simple que de comprendre les pratiques de gestion de l'entreprise et l'engagement de son personnel, ou encore le fait que les actifs d'une entreprise comme celle-là sont des personnes qui peuvent tout simplement partir. Il faut tout simplement comprendre la tournure d'esprit des gestionnaires, et c'est impossible à faire avec des chiffres. Il y a peut-être un rôle à jouer... Je tiens compte de facteurs comme la gestion de la technologie.

M. Mitchell: Notre rôle consisterait-il à aller voir les banques à charte pour leur dire, par exemple, vous prêtez tant d'argent aux fabricants de logiciels cette année, et l'an prochain, le montant total des prêts baissera, mais, dans l'ensemble, l'entreprise aura pris de l'expansion, ce qui semble contradictoire? Est-ce de genre de...

M. Myers: Oui, je pense qu'une explication de la raison de ce phénomène... Il pourrait être intéressant simplement d'accorder des prêts à un secteur d'activité en se fondant sur le rendement des ventes de ce secteur ou sur les rentrées d'argent qu'il génère.

M. Mitchell: J'ai une dernière question. Vous avez dit - je pense que j'ai bien compris, mais je veux en être sûr - que, peu importe ce que notre comité va faire pour obliger les banques à prendre des mesures, vous craignez vraiment que le coût des mesures à prendre soit simplement refilé aux petits entrepreneurs, de sorte que, en bout de ligne, nos efforts sont voués à l'échec.

M. Myers: Je le crains, oui. Les activités de collecte de renseignements et de dépôt qu'on pourrait exiger des petites entreprises coûtent toutes quelque chose. Si leur coût est refilé aux petites entreprises, ce qui en résultera pour leurs liquidités... Il n'y a pas une petite entreprise qui aime passer son temps à remplir des formules. Nous essayons de l'éviter, même si ça signifie que nous devons vous fournir plus de statistiques.

M. Mitchell: Pour dire ça, vous basez-vous sur les pratiques bancaires que vous avez observées? Pourquoi croyez-vous ça?

M. Myers: Premièrement, je me fonde sur les problèmes que la paperasse cause déjà aux petites entreprises et sur la difficulté qu'ils ont à s'acquitter des obligations au titre des documents et de l'information à fournir, pas seulement aux banques, mais aussi à toutes les institutions financières, voire aux gouvernements.

Mon autre raison de penser ainsi est fondée sur la tendance et sur les politiques que les banques semblent adopter de se faire rembourser leurs services d'information et leurs autres services bancaires non prêteurs en prélevant des frais de service. S'il y a quelque chose qui va faire mal aux petits entrepreneurs, c'est bien ça. Produire des renseignements et se faire facturer des frais de service va vraiment manger beaucoup de liquidités.

Les banques elles-mêmes diront que c'est leur tendance actuelle, et je pense que vous allez devoir le reconnaître. Autrement dit, ne leur imposez pas une obligation qui les amèrera à recalibrer leurs procédures comptables applicables aux petites entreprises: elles vont combiner le tout avec le crédit qu'elles leur accordent sous forme de frais de services, en fin de compte.

M. Mitchell: Merci, monsieur Myers.

Le président: Merci, messieurs. Je pense que cela met fin aux questions adressées à M. Myers.

Je tiens à vous remercier pour votre exposé, monsieur Myers. Nous avons été heureux, comme toujours, d'entendre l'intervention de l'Association des manufacturiers canadiens. Si vous avez d'autres renseignements ou d'autres réflexions à nous communiquer au cours des semaines à venir, nous nous ferons un plaisir de les recevoir, parce que, comme vous le savez, nous allons produire un rapport avant la fin de la session. Nous allons faire état des points de référence et des autres lacunes de financement que nous avons constatées à la fois au ministre des Finances et au ministre de l'Industrie. Bref, au nom du Comité, permettez-moi de vous remercier, monsieur Myers.

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M. Myers: Merci beaucoup.

Le président: La séance est levée jusqu'à la comparution des représentants de la Chambre de commerce du Canada, mardi prochain, à 15h30, à la salle 371.

Je tiens aussi à rappeler aux membres du comité de direction que nous devons nous réunir mardi prochain à 11 heures.

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