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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 9 mai 1995

.1930

[Traduction]

Le président: La séance est ouverte.

Les témoins sont le Grand chef adjoint Blacksmith, M. Robert Mainville, M. B. Craik etM. B. Namagoose.

Parmi le groupe de témoins, il y a aussi MM. David Joe et P. Birckel, qui représentent le Conseil des Indiens du Yukon.

Nous avons reçu vos deux mémoires et ils ont été distribués à tous les membres. Si vous pouvez les lire en 15 minutes, allez-y. Sinon, nous annexerons le texte intégral du mémoire au compte rendu. Dans ce cas, je vous demanderais d'en lire des extraits ou d'en exposer les points saillants.

D'habitude, nous faisons passer les témoins dans l'ordre où ils sont inscrits sur l'avis de convocation. Je donne donc d'abord la parole au Grand conseil des Cris du Québec et au Grand chef adjoint Blacksmith. Vous pouvez également faire lire votre mémoire intégralement ou en partie par d'autres membres de votre organisation, si vous le désirez.

Le grand chef adjoint Kenny Blacksmith (Grand conseil des Cris du Québec; président du comité conjoint-Chasse, pêche et trappage): Merci, monsieur le président.

Je vous signale que nous étions censés avoir remis deux mémoires, l'un du Comité conjoint-Chasse, pêche et trappage et l'autre du Grand conseil des Cris.

Le président: J'ai un mémoire du Grand conseil des Cris du Québec, de l'Administration régionale crie et de l'Association des trappeurs cris. Il s'agit d'un seul et même mémoire. J'en ai un autre que l'on vient de me remettre et qui porte la mention suivante: «Mémoire du Grand conseil des Cris du Québec». C'est la même chose. Ce mémoire en contient-il en fait deux?

Le grand chef adjoint Blacksmith: Non, il s'agit d'un autre mémoire que l'on est en train de distribuer, je crois.

Le président: Bon. Allons-y.

Le grand chef adjoint Blacksmith: Merci, monsieur le président. Nous sommes très reconnaissants de l'occasion qui nous est donnée de faire cet exposé.

Je voudrais que M. Bill Namagoose présente le mémoire du Grand conseil des Cris du Québec. Quant à moi, je présenterai celui du Comité conjoint-Chasse pêche et trappage et je resterai pour répondre aux questions sur le mémoire du Grand conseil des Cris.

M. Bill Namagoose (directeur général, Grand conseil des Cris du Québec): Le Grand conseil des Cris du Québec et l'Administration régionale crie représente les Cris de la Baie James. L'Association des trappeurs cris a été crée pour aider les trappeurs cris à poursuivre leurs activités traditionnelles.

Nous ne sommes pas là pour faire des commentaires sur les mérites de la législation relative au contrôle des armes à feu d'un autre point de vue que celui des autochtones. L'intérêt que nous portons au projet de loi C-68 ou à n'importe quelle autre mesure législative relative au contrôle des armes à feu se limite à l'incidence qu'une telle mesure peut avoir sur notre mode de vie, sur les droits ancestraux ou issus de traités, sur les droits de la personne ainsi que sur nos libertés fondamentales.

Je me contente de survoler rapidement le mémoire du Grand conseil que je ne lirai donc pas en entier.

La chasse, le trappage et la pêche sont au coeur de la société crie. Pratiquement tous les Cris participent à la chasse à un moment ou l'autre de l'année, et un grand nombre d'entre eux comptent sur la chasse, le trappage et la pêche pour assurer leur subsistance. Il est donc de toute évidence indispensable de posséder des armes à feu pour pratiquer ce mode de vie. Naturellement, presque tous les Cris en possèdent. Il s'agit donc d'outils essentiels au maintien de nos activités traditionnelles que sont la chasse et le trappage.

Comme vous le savez certainement, au début des années soixante-dix, le gouvernement du Québec a proposé l'aménagement d'un énorme complexe hydro-électrique sur notre territoire. Nous nous y sommes opposés et nous sommes allés devant les tribunaux pour empêcher la destruction de notre territoire. C'est ainsi que les Cris du Québec et le gouvernement du Canada ont signé en 1975 la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

Un des engagements fondamentaux pris par le gouvernement du Canada et celui du Québec envers les Cris dans le cadre de cette entente concerne la protection permanente de notre mode de vie traditionnel axé sur la chasse, le trappage et la pêche. À cette fin la convention accorde aux Cris des droits exclusifs de chasse, de pêche et de trappage sur de vastes territoires appelés territoires de catégorie I et II, ainsi que le droit de chasser, de pêcher et de piéger pendant toute l'année dans tout le Nord québécois.

.1935

L'alinéa 24.3.12 de cette entente stipule que:

En outre l'alinéa 24.3.18 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois stipule que:

La convention présise par ailleurs qu'un «minimum de contrôles ou de règlements est imposé aux autochtones» et que «le droit d'exploitation inclut l'utilisation des méthodes d'exploitation actuelles et traditionnelles, sauf dans la mesure où elles affectent la sécurité publique».

Ces dispositions nous garantissent le droit de posséder et d'utiliser des armes à feu pour l'exploitation, droit qui est protégé par la Constitution, laquelle stipule que tout système d'octroi de permis ou de certificats pour des armes à feu doit être géré par nos administrations locales. Nous avons, en outre, le droit d'obtenir ces permis ou certificats gratuitement.

Nous insistons sur le fait que nous ne voulons pas discuter des mérites du projet de loi C-68. Nous estimons que le Parlement doit s'assurer qu'une mesure législative qu'il adopte est compatible avec les droits ancestraux et les droits issus de traités, ainsi qu'avec les droits et libertés fondamentaux de la personne, qu'il s'agisse des Cris ou de tous les autres peuples autochtones.

Nous recommandons par conséquent d'ajouter quatre dispositions fondamentales au projet de loi, s'il est adopté.

Premièrement, il faudrait préciser que quiconque a le droit de chasser, de trapper ou de pêcher en vertu d'un droit ancestral ou d'un droit issu de traités est automatiquement habilité à avoir un permis et à obtenir des certificats d'enregistrement pour ses armes contre une somme nominale.

Le droit de chasser, de trapper ou de pêcher constitue le fondement de la vie autochtone, et c'est un des droits ancestraux les plus importants.

Ce droit n'est pas l'apanage des Cris qui chassent et trappent pour assurer leur subsistance; il s'applique également à tous les Cris qui participent activement à la plupart des activités cynégétiques traditionnelles de nos collectivités, même s'ils occupent un emploi et touchent un salaire.

Le premier changement que nous proposons d'apporter au projet de loi préserverait son objectif fondamental, qui est l'enregistrement universel des armes à feu et des propriétaires d'armes, tout en respectant le droit de chasse, de trappage et de pêche qu'ont tous les Cris - peu importe qu'il s'agisse d'un droit ancestral ou d'un droit issu de traités - et qui est protégé par la Constitution.

Deuxièmement, nous recommandons que le projet de loi autorise la nomination de préposés aux armes à feu autochtones, dans le cas des premières nations qui désirent faire respecter la loi elles-mêmes. Dans les collectivités autochtones concernées, ces préposés auraient les mêmes pouvoirs et la même autorité qu'un contrôleur des armes à feu. Il faudrait évidemment que la loi prévoie des ressources adéquates pour ces préposés autochtones.

Pour les collectivitées cries isolées, et probablement pour les collectivités autochtones établies le plus au nord, la nomination de préposés locaux aux armes à feu serait la seule méthode réaliste et efficace de s'assurer que les propriétaires d'armes à feu possèdent un permis et que leurs armes sont enregistrées conformément aux dispositions du projet de loi. Il ne serait pas du tout pratique d'essayer d'administrer un tel système à distance, et cela inciterait la plupart des gens à enfreindre la loi.

Troisièmement, nous demandons que le projet de loi permette aux premières nations d'adapter les dispositions et les règlements selon leurs besoins particuliers.

L'alinéa 110t) permet déjà au gouverneur en conseil d'adapter, par voie de règlement, telle ou telle disposition de la loi ou de ses règlements aux besoins des peuples autochtones.

C'est faire preuve d'ethnocentrisme et de paternalisme.

.1940

Le gouvernement a déjà reconnu la nécessité d'adapter la loi aux besoins des autochtones. Personne n'est mieux placé que les premières nations pour décider de la nature et de l'ampleur des accommodements nécessaires.

Enfin, nous demandons que l'on stipule dans le projet de loi qu'aucune disposition ne peut être interprétée de manière à abroger les droits ancestraux ou issus de traités des peuples autochtones du Canada, droits reconnus par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ou y déroger.

Le gouvernement essaiera peut-être de nous faire croire que les changements que nous réclamons seront faciles à opérer grâce à des règlements adoptés par le gouverneur en conseil aux termes de l'article 110 de ce projet de loi. Ce n'est toutefois pas une solution.

Le projet de loi C-68 est anticonstitutionnel en ce sens qu'il enfreint les droits de chasse et de trappage des Cris. Les amendements que nous proposons sont par conséquent essentiels si l'on veut remédier à cette lacune.

Même si l'on peut penser que les règlements adoptés aux termes de l'article 110 seront rédigés de façon à essayer de remédier à cette violation des droits des Cris, cette perspective ne suffit pas, à elle seule, à rendre cette mesure constitutionnelle. L'article 110 se borne à permettre au gouverneur en conseil d'édicter des règlements. Par conséquent, celui-ci n'est pas tenu de remédier à cette lacune.

La légalité des lois ne doit pourtant pas être laissée à la discrétion de la Couronne, à sa fantaisie. Il est par conséquent inconvenant et inadmissible de compter sur son bon vouloir pour atteindre l'objectif visé par les amendements que nous proposons dans le but de garantir la constitutionalité de cette loi.

En outre, étant donné que c'est la loi qui énonce les grands principes, par opposition aux simples règles administratives, ces amendements doivent être intégrés directement à celle-ci - pas aux règlements.

Enfin, nous espérons que vous reconnaîtrez que nous acceptons un compromis. Notre peuple n'est pas insensible aux problèmes causés par la mauvaise utilisation ou l'utilisation illégale des armes à feu. Ces amendements n'empêcheront pas du tout le Parlement d'atteindre ses objectifs; c'est-à-dire de répertorier toutes les armes à feu et leurs propriétaires. Loin de là. Ils lui faciliteront au contraire la tâche.

Tel qu'il se présente, le projet de loi est, en pratique, inapplicable dans les collectivités autochtones; ce qui incitera inévitablement de nombreuses personnes à ne pas s'y conformer, à moins que nos amendements ne soient adoptés.

C'est tout. Merci, monsieur le président.

Le président: Merci.

Monsieur Blacksmith, c'est vous qui présentez l'autre mémoire.

Le grand chef adjoint Blacksmith: Le Comité conjoint - Chasse, pêche et trappage est un organe d'experts constitué aux termes de l'article 24.4 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Il est principalement chargé d'étudier et d'administrer le régime de chasse, de pêche et de trappage institué par cette convention ainsi que par la Convention du Nord-Est québécois.

Le comité conjoint est composé de représentants du gouvernement du Canada, du gouvernement du Québec, des Cris de la baie James, des Inuit du Québec et des Naskapis du Québec.

En vertu de ce régime de chasse, de pêche et de trappage, les Cris, les Inuit et les Naskapis ont le droit exclusif d'exploiter la faune sur le territoire. L'exploitation désigne la chasse, la pêche et le trappage pratiqués par les Cris, les Inuit et les Naskapis, à des fins personnelles et communautaires, ou à des fins commerciales liées au commerce de la fourrure ou aux pêcheries commerciales. Le territoire est ce qui est appelé communément le Nord du Québec et comprend les régions de la province de Québec qui ont été annexées en 1898 et en 1912; sa superficie totale est d'environ 410 000 milles carrés.

Les droits conférés aux Cris, aux Inuit et aux Naskapis aux termes de ces ententes sont consacrés par la Constitution du Canada aux termes de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et ils ont, par conséquent, préséance sur toute disposition législative fédérale ou provinciale qui ne les respectent pas.

Les articles 24.3.12 et 24.3.18 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois leur confèrent certains droits en ce qui concerne les armes à feu et les permis d'utilisation correspondant. L'article 24.3.12 stipule que:

Je vais m'arrêter là.

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Quant à l'article 24.3.18, il dit ceci:

En résumé, les Cris, les Inuit et les Naskapis ont le droit exclusif d'exploiter la faune sur le territoire. Le droit d'exploitation inclut le droit d'utiliser et de posséder des armes à feu, à condition de respecter les lois et règlements généraux concernant le contrôle des armes à feu qui sont applicables.

Le paragraphe 106(2) du Code criminel, tel qu'il se lit actuellement, préoccupe le comité conjoint du fait qu'il est apparemment en contradiction avec les dispositions de la Convention de la Baie James et du Nord québécois dont je viens de parler. Notre comité a signalé ce problème dans une lettre datée du 24 août 1994, adressée au ministre de la Justice, l'honorable Allan Rock. Vous trouverez ci-joint copie de cette lettre, qui constitue l'annexe A. Le ministre de la Justice n'y a jamais répondu.

Par conséquent, celui-ci n'est, en apparence, pas disposé à consulter le comité conjoint sur la question du contrôle des armes à feu et de ses répercussions pour les bénéficiaires de la Convention de la Baie James et du Nord québécois et de la Convention du Nord-Est québécois. Nous avons d'ailleurs quelques commentaires à faire à ce propos.

L'article 24 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois indique clairement que le comité conjoint est l'assemblée, privilégiée et exclusive, à laquelle les Cris, les Inuit et les Naskapis ainsi que les gouvernements du Canada et du Québec formulent conjointement les règlements qui ont une incidence sur le régime de chasse, de pêche et de trappage.

Voici ce que dit l'article 24.4.23:

Par ailleurs, l'article 24.4.26 stipule que:

Voici d'autres clauses de la Convention de la Baie James et du Nord québécois qui attestent du rôle consultatif que joue le comité conjoint dans le contexte des mesures législatives concernant le contrôle des armes à feu.

L'alinéa 24.4.27o) dit qu'il doit être consulté au sujet des «règlements interdisant la possession ou/et l'utilisation d'engins et de matières pouvant servir à l'exploitation».

L'article 24.4.29 formule que:

Nous attirons enfin votre attention sur les articles 24.4.36 et 24.4.37 de la Convention qui stipulent, entre autres choses, que le gouvernement fédéral doit consulter le comité conjoint avant de promulguer de nouvelles lois ou de nouveaux règlements touchant le régime de chasse, de pêche et de trappage.

Voici ce que dit l'article 24.4.36:

Quant à l'article 24.4.37, il stipule que:

C'est pourquoi, compte tenu du fait que les engagements pris par le gouvernement du Canada dans les traités et dans les règlements des revendications territoriales sont particulièrement solennels, le comité conjoint déplore le fait que le ministre de la Justice ait décidé d'ignorer la lettre qui lui a été envoyée le 24 août 1994, et qu'il n'ait pas consulté le comité au sujet des initiatives qu'il a prises en matière de contrôle des armes à feu.

.1950

Le projet de loi C-68 reprendra, en les renforçant, les dispositions de l'article 106 du Code criminel; ce qui obligera, en fait, les bénéficiaires de la Convention de la Baie James et du Nord québécois et ceux de la Convention du Nord-Est québécois - qui désirent utiliser et posséder des armes à feu pour l'exploitation de la faune - à se soumettre, ou à être soumis, à toutes les procédures de contrôle, notamment en ce qui concerne la formation ou le test de sécurité.

Par ailleurs, ce projet de loi ne contient pas de disposition équivalente au paragraphe 106(12) du Code criminel, qui précise qu'il n'y a pas de frais à payer dans le cas d'une autorisation d'acquisition d'armes à feu délivrée à une personne qui a besoin de l'arme pour chasser ou trapper afin de subvenir à ses besoins ou à ceux de sa famille.

Le comité conjoint estime que si le gouvernement fédéral instaure un systèm universel d'enregistrement, il serait bon que les Cris, les Inuit et les Naskapis y participent, pour autant que ce système ne contrevient ni à la Convention de la Baie James et du Nord québécois ni à la Convention du Nord-Est québécois.

Nous signalons que si l'on ne modifie pas le projet de loi de façon à permettre aux bénéficiaires de ces deux conventions de participer au système d'enregistrement, un très grand nombre d'armes ne seront pas enregistrées; ce qui risque d'en compromettre l'efficacité.

Les principes que nous venons d'énoncer sont conformes à l'esprit de ces deux conventions. Ils devraient être incorporés directement au projet de loi C-68 au lieu de s'en remettre à la législation par délégation comme le prévoit l'alinéa 110t). Il serait toutefois bon que l'autorité réglementaire donne au gouverneur en conseil le mandat de négocier certaines modalités avec l'administration autochtone concernée, conformément à ces principes.

Nous espérons que nos recommandations seront examinées attentivement.

Nous nous réjouissons par ailleurs de participer à des consultations avec le ministre de la Justice et ses collaborateurs, et nous comptons bien qu'il reconnaîtra l'importance des obligations que lui impose à cet égard la Convention de la Baie James et du Nord québécois et celle du Nord-Est québécois.

Voici le résumé des recommandations que nous voulons déposer.

Premièrement, que le ministre de la Justice soit obligé, conformément à la Convention de la Baie James et du Nord québécois et à la Convention du Nord-Est québécois, de consulter le comité conjoint au sujet des mesures législatives concernant le contrôle des armes à feu. Il devrait le consulter au sujet des dispositions actuelles du Code criminel en la matière, et de celles du projet de loi C-68, afin de s'assurer qu'il n'existe aucune incompatibilité entre la législation fédérale relative au contrôle des armes à feu et la Convention de la Baie James et du Nord québécois ainsi que la Convention du Nord-Est québécois.

Deuxièmement, l'administration locale crie, inuit et naskapi devrait être l'autorité habilitée à dispenser les cours de maniement sécuritaire des armes à feu et à délivrer les permis aux chasseurs cris, inuit et naskapis.

Troisièmement, en ce qui les concerne, les frais de participation à ces cours et le prix des permis devraient être minimes.

Enfin, les principes énoncés aux alinéas 2 et 3 devraient être repris dans la législation relative au contrôle des armes à feu au lieu de s'en remettre à la législation par délégation; il conviendrait, toutefois, de donner au gouverneur en conseil le mandat de négocier des arrangements particuliers avec l'administration autochtone concernée, de façon à mettre ces principes en pratique.

Merci.

Le président: Si j'ai bonne mémoire, c'est moi qui ai présenté le projet de loi confirmant et faisant entrer en vigueur la Convention de la Baie James. Nous ferions donc mieux de prendre tout cela au sérieux sinon je serai obligé de démissionner. Je vous assure que nous le ferons. Cela m'a fait plaisir d'entendre à nouveau parler de ces articles de la Convention.

C'est maintenant au tour du Chef Paul Birckel et de David Joe, qui vont présenter le mémoire du Conseil des Indiens du Yukon. Vous avez la parole monsieur Birckel.

Le chef Paul Birckel (premières nations Champagne et Aishihik, Conseil des Indiens du Yukon): Merci, mesdames et messieurs.

Ce mémoire a pour but d'exposer les opinions du Conseil des Indiens du Yukon - dont je fais partie - sur le projet de loi C-68, la Loi concernant les armes à feu et certaines autres armes. Nous croyons que le projet de loi, sous sa forme actuelle, piétine les droits constitutionnels des Premières nations du Yukon. Notre mémoire brosse un tableau de notre histoire, de l'usage que nous faisons des armes à feu et de la situation actuelle des droits constitutionnels que nous reconnaissent les accords-cadres définitifs, les accords sur l'autonomie gouvernementale conclus avec les premières nations du Yukon, ainsi que la Constitution canadienne.

.1955

En 1973, les 14 premières nations du Yukon ont présenté au Canada une revendication au sujet de leurs territoires traditionnels. Les premières nations du Yukon poursuivent leurs négociations à propos de cette revendication, négociations qui ont mené, le 29 mai 1993, à la signature de 4 des 14 accords-cadres définitifs et accord sur l'autonomie gouvernementale. Ces quatre accords ont été approuvés à par majorité des membres des quatre premières nations du Yukon: la première, la Nation Champagne et Aishihik - dont je suis le chef - la première nation Vuntut Gwitchin, le Conseil Teslin Tlingit et la première nation de Nacho Nyak Dun. Ils ont aussi été approuvés par une loi de l'Assemblée législative du Yukon et du Parlement du Canada, puis promulgués le 14 février 1995.

Le 4 octobre 1994, le ministre fédéral de la Justice, l'honorable Allan Rock, a visité le Yukon, où il a décidé, non pas d'y rencontrer les premières nations, mais plutôt de discuter brièvement de son projet de contrôle des armes à feu avec le Conseil des Indiens du Yukon.

Ironie du sort, le 14 février 1995, date d'entrée en vigueur des quatres accords-cadres définitifs et des accords sur l'autonomie gouvernementale, le ministre de la Justice présentait son projet de loi sur les armes à feu, qui, s'il est adopté tel quel, aura d'énormes conséquences pour nos citoyens.

Notre mémoire passe en revue les principaux points de ce projet de loi. On y examine les répercussions sur les droits ancestraux des Premières nations du Yukon.

Le projet de loi C-68 compte 124 pages. C'est un document complexe, qui propose essentiellement d'établir un système de délivrance de permis aux personnes qui désirent posséder une arme à feu. Celles qui répondront aux critères spécifiques pourront se voir délivrer un permis autorisant la possession d'armes à feu légales. Un permis autorisant la possession d'armes à feu prohibées peut être délivré à un particulier, uniquement s'il possédait une telle arme à feu avant qu'elle ne soit déclarée prohibée. Les entreprises qui fournissent des armes à feu aux militaires ou aux policiers peuvent aussi obtenir un tel permis.

La loi établit aussi un système d'enregistrement de toutes les armes à feu. Ainsi, l'article 13 prévoit que:

La loi oblige aussi à confirmer l'absence de toute menace à la sécurité publique avant d'autoriser une personne à prêter une arme à feu à quelqu'un d'autre. Elle régit également l'importation et l'exportation des armes à feu ainsi que le port et le transport d'armes à feu prohibées et à autorisation restreinte.

La Loi constitutionnelle (1982) définit ainsi les droits ancestraux des Premières nations du Yukon au paragraphe 35(1):

La Cour suprême du Canada et la Cour d'appel de la Colombie-Britannique ont décidé, entre autres dans les affaires Sparrow et Delgamuukw, respectivement, que cela signifie que seul le gouvernement canadien peut accepter la renonciation à un droit ou titre ancestral existant.

Le paragraphe 35(3) déclare:

À ce titre, les quatre premiers accords-cadres définitifs conclus avec les premières nations du Yukon font maintenant partie des droits issus de traités au sens du paragraphe 35(1).

De plus, les tribunaux ont décidé, notamment dans les affaires Guérin, Sparrow et Delgamuukw, que la Couronne a une obligation fiduciaire envers les premières nations. Dans l'affaire Sparrow le tribunal a déclaré que:

Dans l'affaire Sparrow, les juges ont aussi proposé d'appliquer un critère à deux volets, dont le premier devait servir à déterminer s'il y avait empiètement sur le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle (1982). Le deuxième devait servir à déterminer si ce genre d'empiètement pouvait se justifier en fonction de l'intention de la loi ou du règlement, comme la conservation.

.2000

Dans l'affaire Delgamuukw, la cour a déclaré ce qui suit:

Ces affaires judiciaires prouvent que les autochtones doivent être consultés quand leurs droits ancestraux risquent d'être touchés; ce qui n'a pas été fait dans le cas du projet de loi sur les armes à feu.

Dans le communiqué publié lors du dépôt du projet de loi, le ministre a déclaré que:

Il s'agit donc maintenant de savoir si le nouveau projet de loi sur les armes à feu peut répondre aux critères de la consultation et de l'obligation fiduciaire de la Couronne fédérale à l'égard des autochtones; si la nouvelle loi empiète sur les droits définis au paragraphe 35(1); et si, le cas échéant, cet empiètement peut se justifier en fonction de l'intention de la loi, en l'occurrence la sécurité publique.

Le gouvernement canadien n'a pas tenu les consultations auxquelles on devrait s'attendre de la part d'un fiduciaire. Même si les tribunaux affirment qu'il y a eu des consultations, il reste aujourd'hui à préciser s'il y a eu empiètement sur un des droits définis au paragraphe 35(1), ce qui est nettement le cas; la seule question étant de savoir si cet empiètement se justifie.

Permetttez-moi de vous donner quelques exemples des graves inquiétudes que le projet de loi soulève chez nos anciens, qui s'attendent à être les plus durement touchés par le projet de loi C-68. La majorité d'entre eux vivent sur notre territoire et entendent bien préserver leur style de vie.

Nos anciens nous ont montré comment se servir sans danger des armes à feu; voilà que le projet de loi C-68 vient maintenant empiéter sur cette forme vitabe de legs culturel par des exigences formelles qu'ils ne pourront ni ne voudront nous enseigner. Cette mesure législative sape donc une des assises de notre culture.

Les potlatches, les fêtes et les dons de fusils nous permettent encore de maintenir des relations traditionnelles entre nos familles du Yukon et de l'Alaska. Le don de fusils notamment est une activité traditionnelle qui a lieu lors des potlatches. Cette coutume, qui remonte à 200 ans environ, sera effectivement proscrite par le projet de loi C-68.

Le prêt d'armes à feu est, chez nous, une pratique qui s'inscrit dans notre mode de vie nomade. Il est à noter que le projet de loi interdit de léguer des armes à feu, ce qui bat en brèche les coutumes et le patrimoine des citoyens des premières nations.

La nature même de notre style le vie nous empêche pratiquement d'entreposer des armes, contrairement à ce que prévoit le projet de loi, dans nos camps de chasse et de pêche traditionnels. Ces contraintes évidentes empiètent d'une façon injustifiable sur nos droits issus de traités, car ce qui inspire cette révision et le projet de loi C-68, ce n'est pas le mode de vie des premières nations du Yukon, mais bien les inquiétudes que la sécurité publique suscite au Canada.

Au Yukon, il y aura deux catégories de droits définis selon le paragraphe 35(1). Les 10 premières nations du Yukon, qui n'ont pas mené à terme leurs négociations sur les accords-cadres définitifs et les accords sur l'autonomie gouvernementale, pourront jouir - à certains moments - des droits définis au paragraphe 35(1) de la loi. Quant aux premières nations qui ont conclu des accords-cadres définitifs et des accords sur l'autonomie gouvernementale avec les gouvernements du Canada et du Yukon, elles possèdent des «droits issus de traités» qui sont précisés dans leurs accords et font maintenant partie des droits définis au paragraphe 35(1). Ces droits sont inscrits dans la Loi constitutionnelle (1982), dont l'article 52 déclare la primauté sur toutes les autres lois.

Les premières nations possédant des droits issus de traités sont visées par les dispositions concernant la chasse et la pêche de subsistance, et l'utilisation d'armes à feu est prévue aux articles 16.4.2 et 16.4.3 de l'accord-cadre définitif. L'article 16.4.2 se lit ainsi:

.2005

L'article 16.4.3 déclare que:

Ces articles disent clairement que les premières nations qui ont signé des traités ont le droit de chasser en toute saison sur leurs territoires traditionnels en utilisant des méthodes modernes et traditionnelles. À notre avis, les premières nations du Yukon qui ont signé des traités ont, en vertu du paragraphe 35(1), le droit constitutionnel de se servir d'armes à feu pour la chasse et la pêche de subsistance sur leurs territoires traditionnels ou sur tout autre territoire traditionnel, sous réserve du consentement de la première nation qui l'habite.

L'article 16.3.3 prévoit que:

L'article 16.3.3 oblige le gouvernement à consulter. «Consulter», au sens des traités, signifie a) informer suffisamment sur la question en cause la partie à consulter pour lui permettre de définir sa position; b) accorder à la partie à consulter un délai suffisant pour lui permettre de prendre position sur la question, et lui donner l'occasion de présenter son opinion à la partie tenue de consulter; et c) s'obliger en tant que partie tenue de consulter à examiner soigneusement et objectivement toute opinion présentée.

Pour les quatre premières nations qui ont signé des traités, l'obligation de consulter du gouvernement figure à l'article 16.3.3, et dans la décision Sparrow. Cette consultation au sens de l'article 16.3.3 n'a pas eu lieu.

De plus, il est évident qu'invoquer la sécurité publique doit être raisonnablement nécessaire à la réalisation des fins susmentionnées et ne limiter les droits en question que dans la mesure nécessaire à la réalisation de ces fins. En l'occurrence, selon le projet de loi, les citoyens des premières nations doivent obtenir un permis pour posséder et utiliser des armes à feu. En outre, tout autochtone du Yukon doit aussi enregistrer son arme à feu.

Ces deux exigences sont à notre avis non conformes au libellé des accords-cadres définitifs des premières nations. Pour les premières nations du Yukon qui n'ont pas conclu d'accords sur des renvendications territoriales, il s'agit maintenant de savoir si les droits d'une première nation issus de la common law et définis au paragraphe 35(1) sont au moins égaux aux droits issus de traités et définis dans les accords sur des revendications territoriales signés par quatre premières nations du Yukon. Nous croyons que ces droits sont identiques; par conséquent, le permis et l'enregistrement exigés par le nouveau projet de loi sur les armes à feu sont une atteinte à l'obligation fiduciaire et aux responsabilités constitutionnelles de la Couronne établies dans l'Accord-cadre définitif du Yukon, ainsi qu'à la Loi constitutionnelle du Canada.

Dans le cadre des droits issus de traités des premières nations du Yukon, l'article 16.4.10 établit que «le gouvernement ne doit imposer aucun droit ou taxe aux Indiens du Yukon pour les permis de chasse et de pêche». Le libellé actuel du projet de loi C-68 violerait ce droit issu de traités.

Accords sur l'autonomie gouvernementale des premières nations du Yukon: Comme on l'a déjà mentionné, les gouvernemetns du Canada, du Yukon et de la Colombie-Britannique ont reconnu le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Le Canada a voulu interpréter le sens du droit inhérent, mais les premières nations et le gouvernement canadien devraient régler bientôt cette question.

Les quatre premiers accords sur l'autonomie gouvernementale prévoient à l'article 13.1.1 le pouvoir exclusif d'adopter des lois dans les domaines suivants:

La réglementation des fusils ou autre équipement utilisés pour la chasse et la pêche de subsistance constitue au sens de l'article 16.4.3 un droit que la première nation peut réglementer exclusivement dans le cadre de son accord sur l'autonomie gouvernementale. Cette réglementation s'applique sur le territoire traditionnel de la première nation et peut s'étendre à d'autres territoires traditionnels, ainsi que le prévoit l'article 16.4.2, quand une première nation consent à ce que des citoyens d'une autre première nation chassent et pêchent sur son territoire traditionnel.

.2010

De plus, aux termes de l'article 13.3.21 des accords sur l'autonomie gouvernementale, les premières nations ont le pouvoir d'adopter des lois d'intérêt local et privé sur les terres visées par un règlement pour: «contrôler ou interdire la possession ou l'utilisation d'armes à feu, d'autres armes et d'explosifs.»

Cette disposition dit clairement que les premières nations ont le pouvoir d'adopter des lois sur les armes à feu sur les terres visées par un règlement.

Les premières nations et les gouvernements du Yukon ont aussi prévu que la primauté de telle ou telle loi sera déterminée au moyen de négociations. L'article 13.5.2 des accords sur l'autonomie gouvernementale du Yukon déclare que les parties:

Cet article des accords sur l'autonomie gouvernementale précise bien que les lois de la première nation peuvent parfois avoir la prépondérance sur les lois fédérales, notamment, dans une perspective d'autonomie gouvernementale, lorsqu'il s'agit de l'utilisation d'armes à feu par des citoyens des premières nations.

L'article 110t) du projet de loi sur les armes à feu établit que:

Il est à noter que ce pouvoir de réglementation comporte deux volets. D'une part, les articles 111 et 112 stipulent que le règlement doit d'abord être examiné minitieusement par la Chambre des communes et le Sénat. Le règlement ne peut être promulgué que dans un délai de 30 jours de séance suivant son dépôt dans chacune des deux chambres ou au moment de la présentation du rapport de tout comité saisi du projet de règlement. D'autre part, l'article 110(t) ne peut être utilisé pour saper les droits ancestraux ou issus de traités, car il donne plutôt au gouvernement le pouvoir général d'agir dans le respect des droits ancestraux et issus de traités, sans empiéter sur les droits des premières nations.

Nous croyons que ce pouvoir de réglementation ne respecte pas vraiment les droits constitutionnels des premières nations du Yukon.

En résumé, le gouvernement canadien est tenu, en tant que fiduciaire, de consulter toutes les premières nations du Yukon sur toute loi qui peut toucher leurs droits ancestraux, ce qu'il n'a pas fait en l'occurrence. Les quatre premières nations du Yukon qui ont signé un accord-cadre définitif ont le droit, issu de traités, d'être consultées, ce qui n'a pas eu lieu non plus dans le cas des obligations que prévoient leurs accords-cadres définitifs.

Le Canada doit aussi appliquer le critère à deux volets établi dans l'affaire Sparrow. Le projet de loi sur les armes à feu empiète sur les droits ancestraux des premières nations du Yukon définis au paragraphe 35(1). Nous avons donné des exemples de cet empiètement flagrant.

À notre avis, la menace que l'utilisation d'armes à feu par les premièrres nations ferait peser sur la sécurité publique - ce qui reste à prouver - ne justifie pas la restriction de nos droits ancestraux. Nous ne croyons pas que les tribunaux soient le lieu idéal pour déterminer si quelqu'un empiète sur nos droits; en effet, il existe des processus politiques qui pourraient mieux favoriser la bonne entente entre nous au sujet de l'exercice de nos droits ancestraux et issus de traités.

Il est inacceptable que les citoyens de nos premières nations deviennent des criminels dans leur patrie. Le Canada a accepté de respecter nos traités et, selon nous, ces questions doivent se régler dans le cadre des lois des premières nations. La colonisation des premières nations est depuis longtemps chose du passé, et le Canada doit s'acquitter de ses obligations constitutionnelles découlant des traités du Yukon.

Nous croyons savoir que le ministère de la Justice a créé un mécanisme de consultation au sujet du projet de loi C-68. Nous ne voulons pas discuter avec le ministère de la Justice - ses conseillers ou fonctionnaires - pour établir dans quelle mesure le Canada viole ses obligations constitutionnelles envers les premières nations du Yukon. Cela est tout à fait contre-indiqué.

Enfin, le Canada a accepté le droit inhérent des premières nations et, aux termes des accords sur l'autonomie gouvernementale du Yukon, a reconnu le droit exclusif des premières nations de réglementer les droits de chasse et de pêche ainsi que le droit d'utiliser des méthodes modernes et traditionnelles de chasse et de pêche conformément à nos traités. Il s'agit là d'un domaine exclusif où seules les premières nations pourraient légiférer comme il se doit.

Pour toutes ces raisons, nous sommes convaincus que le projet de loi sur les armes à feu sous sa forme actuelle est inconstitutionnel.

Voilà qui termine notre exposé; nous sommes disposés maintenant à répondre à vos questions.

.2015

Le président: Merci beaucoup.

[Français]

Je commence avec M. de Savoye, pour 10 minutes.

M. de Savoye (Portneuf): Merci, monsieur le président. Vous avez le dispositif d'interprétation à portée de la main? Oui? Merveilleux!

Je dois vous avouer, messieurs, mon ignorance de vos traditions et de vos coutumes. Les questions que je désire vous poser me permettront, avec votre collaboration, de mieux comprendre les représentations que vous venez de nous faire dans vos mémoires.

D'une part, il est bien évident, pour moi, que les droits qui sont les vôtres, ceux de vos populations, ces droits qui vous sont donnés par la loi ou par les conventions, doivent être respectés. D'autre part, j'essaie de bien comprendre où se situent ces traditions dont vous nous parlez.

En matière d'armes à feu, vous mentionnez, dans les questions de possession d'armes à feu, d'usage d'armes à feu, de don d'armes à feu ou d'héritage même, qu'il y a des traditions qui prévalent chez vous. Pourtant, et voyez dans ma question uniquement le besoin de comprendre, avant l'arrivée des Européens sur ce continent, vos populations ne connaissaient pas les armes à feu. Il y a donc une tradition qui s'est établie depuis et j'aimerais, dans un premier temps, que vous m'en instruisiez.

Le président: Vous avez adressé la question aux deux groupes?

M. de Savoye: Qui est le mieux en mesure de m'informer?

[Traduction]

Le chef Birckel: Je pourrais répondre à cette question. Avant d'avoir des armes à feu, nous avions des arcs et des flèches, des lances et d'autres armes.

Lorsque les armes à feu ont fait leur apparition chez nous, nous avons échangé des belles fourrures pour en obtenir. De fait, pour avoir un fusil, il nous fallait empiler des fourrures jusqu'à la même hauteur que l'arme qui nous intéressait.

C'était mieux pour nous à ce moment-là que nos arcs et nos flèches.

Pour nous, les fusils sont à peu près la même chose qu'un arc et une flèche, et nous en avons depuis ce moment-là. J'imagine que les Russes ont été les premiers avec qui nous avons fait du commerce sur notre territoire pour avoir des fusils, par l'entremise de nos cousins en Alaska. Les armes à feu font partie de notre vie depuis ce temps-là.

[Français]

M. de Savoye: Les traditions auxquelles vous vous référez étaient précédées par d'autres traditions qui concernaient des armes qui prédataient l'arrivée des armes à feu. Est-ce que je comprends bien?

[Traduction]

Le chef Birckel: Oui.

[Français]

M. de Savoye: Ici, je m'adresse au sous-grand chef.

Vous êtes conscient du fait que, dans la population blanche, des traditions semblables existent aussi, particulièrement en milieu rural. Alors, en quoi vos traditions auraient-elles une importance différente de celles des citoyens qui vivent en milieux ruraux? Est-ce que vous pourriez m'éclairer sur cette distinction que vous faites?

.2020

[Traduction]

Le grand chef adjoint Blacksmith: J'imagine que la plus grande différence, c'est que les peuples autochtones qui vivent ici depuis des milliers d'années ont vu leur mode de vie modifié par la destruction de l'environnement et par divers événements, et qu'on leur a imposé des façons de vivre différentes. Ce qui reste de nos droits et de nos traditions a été protégé par des traités, ce qui n'est pas le cas des non autochtones, j'imagine.

Aussi, pour en revenir à ce que vous disiez tout à l'heure, avant d'avoir des armes à feu, nous avions une vie très paisible, très simple, qui nous plaisait énormément. Ce n'est que lorsque les premiers colons sont arrivés que nous avons commencé à éprouver les difficultés avec lesquelles nous sommes aux prises aujourd'hui.

Même si il y a eu des traités ou des ententes entre les gouvernements et les autochtones, les gouvernements les respectent-ils? C'est toujours un problème qui s'ajoute aux changements auxquels nous devons nous adapter.

Nous n'avons rien contre le changement, nous savons que nous devons nous adapter à différentes façons de vivre à mesure que le temps passe. Cependant, il y a de petites choses que nous sommes arrivés à protéger et des droits qui nous ont été garantis et auxquels nous tenons, et nous espérons que les gouvernements vont tenir compte des différences qui existent entre les autochtones et les non autochtones et qu'ils vont les respecter. La grande différence, c'est que nous avons dû renoncer à nos terres et à notre mode de vie pour avoir droit à ce que les non autochtones tiennent pour acquis.

[Français]

M. de Savoye: Ma prochaine question s'adresse aux deux chefs. Le projet de loi C-68 vise à réduire la violence commise avec des armes à feu. Dans vos populations, considérez-vous que le projet de loi C-68 contribuera à une réduction de la violence, et vous me direz si vous avez ce genre de violence, qui est reliée à la présence d'armes à feu?

[Traduction]

Le grand chef adjoint Blacksmith: Je ne pense pas que le projet de loi C-68 va contribuer à une réduction de la violence qui peut exister dans les collectivités cries ou au sein de toute autre collectivité autochtone. C'est une autre mesure législative qui va s'ajouter à celles qui existent déjà ou aux traités qui ont été signés, mais qui n'ont pas été respectés.

Les difficultés que nous éprouvons dans la plupart des collectivités autochtones s'expliquent par le fait que les gouvernements n'ont pas respecté leurs obligations et qu'ils ne reconnaissent pas les autochtones pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire les premiers habitants de ce pays. Un grand nombre des problèmes inutiles auxquels nous sommes confrontés nous ont été imposés suite aux divers changements auxquels on nous demande de nous adapter à brefs délais. Les Cris de la baie James ont dû s'adapter à votre façon de vivre en 20 ans.

Il faut ajouter à cela les problèmes sociaux. Ce n'est pas parce que nous ne voulons pas nous adapter; cela vient des énormes pressions qui sont exercées sur nous pour que nous adoptions votre mode de vie tandis que vous ne respectez pas le nôtre.

Je suis sûr que certains de mes collègues auraient, eux aussi, quelque chose à dire à ce propos.

M. Namagoose: Ce n'est pas que nous pensions que nos traditions sont plus importantes que celles de quelqu'un d'autre. Je crois que toutes les traditions devraient être respectées et protégées.

Je vais essayer de vous expliquer notre situation de votre point de vue. Pour utiliser des termes que vous pouvez comprendre, je dirais que la valeur de la chasse, de la pêche et du piégeage dans la société crie représente 40 p. 100 de notre économie. Les techniques de chasse, de pêche et de piégeage que nous utilisons nous permettent de récolter plus d'un million de livres de viande sur les terres traditionnelles cries. C'est ce que nous appelons la tradition. Mais c'est quand même un élément très important de notre activité économique auquel nous tenons. C'est la seule économie qui nous reste. L'autre 60 p. 100 provient de l'économie de salaires qui a découlé des divers traités et des diveses ententes que nous avons signés.

.2025

Je pense que la violence existe dans toutes les sociétés et qu'elle ne peut pas être attribuée aux armes à feu. La violence s'explique par l'intention criminelle. Nous avons pris diverses mesures dans nos collectivités pour sensibiliser la population à la violence.

Une bonne partie de la violence qui existe dans toutes les collectivités autochtones du Canada est attribuable aux conditions sociales dans lesquelles nos peuples vivent - à des conditions de vie terribles, à la pénurie de logements et à la pénurie d'emplois qui sont le lot des réserves aujourd'hui. C'est de là que vient la violence, pas des armes à feu. C'est la question à laquelle tous les dirigeants autochtones essaient de s'attaquer, les conditions sociales dans lesquelles les gens vivent.

Il y a à peine quelques semaines, le gouvernement a réduit de 50 p. 100 le budget auquel les autochtones avaient droit pour leur logement. Le problème du logement est tel parmi les autochtones que nous avons des conditions de vie déplorables partout au Canada. C'est de là que proviennent la violence et les bouleversements sociaux et pourtant, le gouvernement a choisi de réduire de 50 p. 100 le budget consacré au logement autochtone.

J'espère avoir un peu répondu à vos questions.

Le président: Si vous avez quelque chose à ajouter, allez-y, mais son temps de parole est épuisé et il ne peut plus poser de questions.

Sinon, je vais céder la parole à M. Ramsay.

M. Ramsay (Crowfoot): Je vous remercie de vos exposés. Je suis content que vous soyez ici et je suis sensible à ce que vous avez dit.

Grand chef adjoint Blacksmith, dois-je comprendre que, selon vous, le projet de loi C-68 empiète sur la Convention de la Baie James et du Nord québécois? Est-ce là votre interprétation?

Le grand chef adjoint Blacksmith: Dans le cas du projet de loi C-68, le processus lui-même a posé un problème. Nous n'avons pas été consultés, ni au niveau du grand conseil, ni par le biais du mécanisme qui a été créé en vertu de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, et qui consiste à mettre sur pied un comité de coordination dont le mandat est de surveiller, de gérer, de contrôler ou d'adopter divers règlements concernant les armes à feu, par exemple.

Oui, le projet de loi C-68 va à l'encontre de la Convention de la Baie James et du Nord québécois parce; qu'il y a réglementation. Mais si cela entre dans le cadre d'une loi, si nous arrivons à trouver une solution, comme mes amis du Yukon le disaient... S'il y avait un processus politique qui nous permette de respecter les traités qui ont été signés, nous pourrions peut-être arriver à nous entendre.

Jusqu'à maintenant, cela n'a pas été possible, parce que les gouvernements n'ont fait aucun effort pour travailler en collaboration avec les autochtones.

M. Ramsay: Dans la mesure où le projet de loi C-68 aura une incidence sur les autochtones, le ministre de la Justice était-il tenu de vous faire participer au processus dès le début, en vertu de la Convention de la Baie James et du Nord québécois ou d'une autre entente?

Le grand chef adjoint Blacksmith: D'après le libellé de la convention, oui, je pense que le ministre aurait dû nous consulter pour s'assurer que le processus ou le mécanisme qui a été approuvé...

Il y a eu des concessions de part et d'autre lorsque la Convention de la Baie James et du Nord québécois a été signée. Les gouvernements nous ont alors promis qu'ils allaient travailler avec nous; ils ne l'ont pas fait jusqu'à maintenant.

.2030

Les Cris n'ont rien eu à voir avec la loi qui a précédé le projet de loi C-68 - la Loi Campbell. Il n'y pas eu de consultations. On n'est pas passé par le comité de coordination, même si on s'était engagé, en vertu de la Convention de la Baie James, à travailler avec un comité dont la création a été prévue à ce moment-là. Donc, même si le gouvernement est obligé, selon cette entente, à entretenir des relations de travail avec nous, cela n'a pas été le cas.

M. Ramsay: Si je comprends bien ce que vous voulez dire, le gouvernement du Canada a l'obligation - et cette obligation est définie dans la Convention de la Baie James et du Nord québécois - d'entreprendre des négociations et des consultations avec vos peuples dès qu'il s'apprête à prendre des mesures législatives qui vont éventuellement avoir une incidence sur vous. Est-ce que j'ai raison?

Le grand chef adjoint Blacksmith: Oui. J'ai fait mon exposé au nom du Comité conjoint-Chasse, pêche et trappage, qui est l'organisme compétent créé en vertu de l'article 24 de la convention et censé être composé de représentants du gouvernement fédéral, des provinces, des Cris, des Inuit et des Naskapis. C'est ce que nous disons, qu'il existe un mécanisme et que le gouvernement n'en a pas du tout tenu compte.

M. Ramsay: Donc, le ministre de la Justice aurait enfreint cette convention?

Le grand chef adjoint Blacksmith: Oui, c'est la façon dont nous voyons les choses, parce qu'un processus avait été prévu en vertu de la convention - que nous avons tous signée - disant que c'était ainsi que nous allions procéder; alors, lorsque nous écrivons au ministre de la Justice pour lui exposer nos craintes et qu'il ne nous répond pas, qu'il fait comme si nous n'existions même pas, alors oui, la convention est violée.

M. Ramsay: Quel effet cela vous fait-il?

Le président: Contrôlez-vous.

Le grand chef adjoint Blacksmith: Je pense que mes collègues qui sont ici ont essayé de se contrôler.

Si aucun gouvernement n'est prêt à respecter la convention, et dans ce cas-ci, il semblerait que le gouvernement fédéral n'essaie même pas de respecter ses obligations et que le gouvernement provincial... nous essayons de faire en sorte que les choses fonctionnent. Oui, nous sommes très décus et nous acceptons très mal que cette convention ne donne pas les résultats voulus. Nos peuples ne comprennent pas. Les gouvernements se sont engagés à nous aider à maintenir notre mode de vie et voilà qu'ils se proposent d'adopter une loi qui aura une incidence sur cette façon de vivre: cela nous préoccupe beaucoup.

M. Ramsay: La Convention de la Baie James et du Nord québécois est peut-être un bout de papier qui ne veut rien dire.

Le grand chef adjoint Blacksmith: J'imagine que, dans un sens, la Constitution du Canada... La Convention de la Baie James et du Nord québécois fait partie intégrante de la Constitution du Canada.

M. Ramsay: Si le ministre de la Justice du Canada peut ignorer cette convention, c'est sans doute parce qu'il considère qu'elle ne vaut rien.

Le grand chef adjoint Blacksmith: Peut-être.

M. Ramsay: Vous trouvez-vous qu'elle ne vaut rien?

Le grand chef adjoint Blacksmith: Non. Nous avons une convention et nous nous sommes toujours montrés prêts à travailler avec les gouvernements pour faire en sorte qu'elle fonctionne.

M. Ramsay: Alors pourquoi pensez-vous que le ministre de la Justice a refusé de négocier avec vous aux termes de cette entente?

Le président: Si vous le voulez, vos collègues peuvent aussi essayer de répondre à ces questions.

Le grand chef adjoint Blacksmith: Vous devriez peut-être poser la question au ministre puisque vous êtes mieux placé que moi pour le faire. Il refuse de m'écouter, mais vous, il va peut-être vous écouter.

M. Ramsay: Avec votre permission, pendant la période des questions, je vais lui demander pourquoi il n'a pas respecté cette convention, pourquoi il a enfreint l'entente que le gouvernement fédéral a conclue avec les autochtones de la baie James.

.2035

Je trouve inacceptable que le gouvernement conclue des ententes avec nos autochtones pour ensuite les enfreindre. C'est inacceptable. Quelle est l'utilité d'une convention, et peut-on dire vraiment qu'on l'honore, si on ne respecte tout simplement pas ses engagements? Je ne suis pas surpris que les autochtones se manifestent. J'admire votre patience. Je ne peux m'empêcher de l'admirer quand je vois comment on vous traite.

Il ne nous reste presque plus de temps. Ah! non, je me trompe.

Le président: Oui, votre temps de parole n'est pas tout à fait épuisé, Jack, mais presque. Il vous reste une minute.

M. Ramsay: D'après moi, la délégation autochtone du Yukon nous a dit à peu près la même chose et, dans ce cas-là également, il existe une entente sur l'autonomie autochtone. Nous avons débattu la question et nous avions des réserves, mais maintenant que c'est chose faite, nous vous souhaitons bonne chance.

Si j'ai bien compris, vous nous dites qu'on vous traite de la même façon que les Cris de la baie James et qu'on vous ignore alors même qu'il y a une entente qui oblige le gouvernement fédéral à vous consulter au sujet des lois qui peuvent avoir une incidence sur vous. Est-ce que j'ai raison?

Le chef Birckel: Oui.

M. Ramsay: Monsieur le président, je n'ai rien d'autre à ajouter.

Le président: Merci, Jack.

Avant de passer à M. Lee, je dois dire que j'ai examiné la question de près et que, conformément à la Loi constitutionnelle de 1982, lorsqu'une entente concernant les revendications territoriales est signée, elle devient partie intégrante de la Constitution, conformément à l'article 35.3. Donc, lorsque la Convention de la baie James a été conclue, elle est devenue partie intégrante de la Constitution du Canada. C'est la même chose pour l'entente intervenue avec le Conseil des Indiens du Yukon.

Par conséquent, ces deux ententes, parce qu'elles font partie de la Constitution du Canada, l'emportent sur toute autre loi et l'emporteraient même sur le projet de loi C-68 s'il était adopté. Autrement dit, elles auraient préséance. Tous les articles de la Constitution l'emportent sur les lois ordinaires, fédérales ou provinciales. Non seulement ces ententes sur les revendications territoriales l'emportent sur les lois ordinaires, y compris le projet de loi C-68, mais vous avez raison de dire que si elles prévoient des consultations, que le gouvernement enfreint la Constitution s'il ne vous consulte pas.

Je ne sais pas si le ministre de la Justice l'a fait intentionnellement, mais nous allons attirer son attention là-dessus, car il s'agit-là de graves infractions à la Constitution. Les ententes que vous avez conclues font partie de la Constitution, et je connais bien ces dispositions, mais on a dû me rafraîchir la mémoire parce qu'il y a plus de 10 ans que je ne m'y étais pas arrêté.

Monsieur Lee, vous avez 10 minutes.

M. Lee (Scarborough - Rouge River): Merci, monsieur le président. Je suis heureux de voir que mon ami du Parti réformiste est un aussi fier défenseur des droits découlant des traités avec les autochtones.

Le président: Il y a toujours de l'espoir.

M. Lee: Il me fait penser à Saul sur le chemin de Damas, mais je trouve cela fantastique. Si j'avais parlé latin...

M. Ramsay: J'invoque le Réglement, monsieur le président. Il est question ici de droits de la personne. Oui, ce sont des autochtones, mais ils ont des droits, et il faut que nous soyons là pour les défendre. Si l'honorable député a un commentaire à faire à propos des droits de ces gens-là, qu'il le fasse. Je ne trouve pas ça très honorable, monsieur Lee.

Le président: C'est une remarque dont vous pouvez discuter, mais cela n'a rien à voir avec le Réglement.

M. Ramsay: Merci.

Le président: Mais cela sera consigné au procès-verbal.

Vous pouvez continuer, monsieur Lee, mais ne nous provoquons pas les uns les autres. Tenons-nous en à la question qui nous intéresse.

M. Lee: J'aimerais que nous fassions comme si seulement 20 secondes s'étaient écoulées sur mes 10 minutes, monsieur le président.

Le président: Oui, je vais vous donner une minute de plus.

M. Lee: Si je comprends bien, nos témoins se fient, et ils ont raison, à la Constitution de notre pays et invoquent des droits qui sont issus de traités, même si nous parlons aujourd'hui de «conventions» plutôt que de «traités».

.2040

Je voudrais ajouter que vous avez bien fait de venir ici faire valoir votre opinion devant des parlementaires. À certaines endroits au pays, les autochtones refusent peut-être même de parler; vous avez donc pris une excellente initiative en vous présentant devant le comité, et je vous en remercie.

En lisant vos mémoires et en écoutant vos témoignages, j'ai remarqué que vous mentionnez l'obligation fiduciaire du gouvernement fédéral - et je crois que nous sommes tous d'accord sur ce point - et l'obligation des gouvernement fédéral et provinciaux, le cas échéant, de consulter avant de légiférer ou du moins, pendant le processus. Je note dans votre propre mémoire que le droit de consultation n'est pas assorti d'un droit de veto ne de toute autre obligation de consentement ou d'accord, même si de telles exigences pourraient être souhaitables.

Croyez-vous que le processus auquel vous participez maintenant fait partie de la consultation qui est recherchée? Est-ce que selon vous, nos audiences sont une forme de consultation? Je donnerai la parole d'abord aux Cris du nord du Québec.

Le grand chef adjoint Blacksmith: Je voudrais revenir sur votre commentaire concernant les droits des autochtones. Effectivement, il faut reconnaître et respecter les droits inhérents des autochtones. Les traités existent pour le meilleur ou pour le pire et nous devons nous y conformer. Le gouvernement doit aussi respecter ses obligations fiduciaires.

Le présent processus ne fait pas partie des consultations qui devraient avoir lieu, selon nous. Nous considérons qu'il y a consultation lorsque nous demandons une rencontre avec un ministre, afin de discuter de différentes questions avec lui au niveau politique. Les présentes audiences se déroulent après coup, pour ainsi dire. Nous nous rencontrons simplement pour examiner une question qui nous préoccupe.

M. Lee: Monsieur Birckel, à la dernière page de votre mémoire, vous dites que le ministère de la Justice a amorcé un processus de consultation relativement au projet de loi C-68. Ne reconnaissez-vous pas ainsi que le ministère de la Justice a effectivement amorcé une consultation?

Le chef Birckel: Non.

M. Lee: Que signifie cette phrase alors?

Le chef Birckel: Eh bien, le gouvernement est censé nous consulter et je crois qu'un comité doit se rendre dans nos collectivités afin de nous consulter, mais je n'ai constaté aucune démarche en ce sens.

M. Lee: D'accord. Selon vos informations, la consultation pourrait avoir commencé, mais vous n'avez tout simplement reçu aucune communication du ministère de la Justice à ce jour.

Le chef Birckel: Nous n'avons entendu parler de rien du tout.

M. Lee: Je comprends.

À la page 7 de votre mémoire, monsieur Birckel, vous déclarez que le prêt d'armes à feu est une pratique qui va de pair avec le mode de vie nomade. Savez-vous que l'article 32 du projet de loi traite justement du prêt des armes à feu? Je ne voudrais pas aborder des points trop techniques, mais le projet de loi tente d'analyser cette question du prêt. Avez-vous eu l'occasion de lire cet article du projet de loi?

Le chef Birckel: Oui, mais de nombreux éléments sont très restrictifs. Voilà la difficulté, à notre point de vue.

Les armes à feu ont toujours fait partie de notre mode de vie et nous les prêtons et les cédons. Nous les prêtons à nos enfants et à nos petits-enfants et nous les utilisons constamment d'une façon ou d'une autre. Ce sont presque des outils communs. Si quelqu'un veut utiliser mon fusil de chasse parce qu'il a vu un orignal sur le lac et veut l'abattre, alors, il m'emprunte mon arme. Je la lui prête et il part à la chasse. Essentiellement, je la lui prête parce qu'il a besoin de ce gibier.

Même si le projet de loi stipule que nous pouvons prêter des armes à feu, pour ce faire, il faut signer un tas de paperasses pour attester que la personne a le droit de prêter son arme. Cela n'est pas du tout conforme à notre façon d'agir.

M. Lee: Je ne crois pas que l'article exige tant de paperasse; l'article stipule simplement que les documents habituels doivent exister avant le prêt, que l'arme à feu doit être enregistrée et que l'emprunteur doit être titulaire d'un permis.

.2045

Il est clair que nous devrons améliorer la formulation de cet article à cause du conflit apparent entre les droits de chasse existants dans les accords et les traités, d'une part, et les dispositions du projet de loi, d'autre part, qui tentent de réglementer toutes les armes à feu, y compris les armes à feu des autochtones.

Je ne sais pas quel sera le résultat final, mais je peux affirmer que certaines dispositions du projet de loi devront être modifiées. Nous ne savons pas quelle est la position du ministère de la Justice ou du ministre sur les modalités des changements.

Croyez-vous que certaines dispositions du projet de loi, surtout celles qui ressemblent à la loi actuelle, peuvent s'appliquer efficacement aux gens que vous représentez? Je pense ici aux cours de formation et à l'équivalent de l'autorisation d'acquisition d'armes à feu prévu dans le projet de loi, c'est-à-dire le permis de possession d'armes à feu. Croyez-vous que ces éléments du projet de loi pourraient être applicables et utiles pour les gens que vous représentez?

M. Namagoose: Dans notre mémoire, nous proposons certains amendements au projet de loi qui permettraient d'adapter celui-ci aux besoins des Cris de la Baie James et aux termes du traité que l'on appelle la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Nous souhaitons ce genre d'accommodation et non... Les amendements que nous proposons permettront aux gouvernements fédéral et québécois de remplir leurs obligations, c'est-à-dire de respecter la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

M. Lee: Voilà une proposition très constructive qui pourrait marquer le début des démarches. Vous avez fait des suggestions, au lieu d'attendre que le ministère de la Justice fasse les premiers pas. Je ne sais pas ce que le ministère a fait, ou omis de faire, jusqu'à maintenant, mais votre initiative est très constructive.

M. Namagoose: Je voudrais ajouter que le ministère de la Justice a récemment embauché des agents qui entreprendront des consultations auprès des autochtones. Le ministère a pris cette mesure après la deuxième lecture du projet de loi, alors qu'elle aurait dû être l'un des premiers gestes posés par le ministre.

M. Lee: En toute justice à l'égard du ministre, je dois dire que, juridiquement parlant, rien ne l'autorise à entreprendre des négociations ou des consultations. Le projet de loi a été approuvé en principe, mais notre comité ou la Chambre pourraient encore le modifier. Il semble que des consultations s'imposent, et je suppose que nous devrons éventuellement en tenir sur l'application de ces dispositions.

Le grand chef adjoint Blacksmith: Je pourrais ajouter que jusqu'à maintenant, la consultation promise par le ministre n'a été qu'une vaste mystification. Aucune véritable consultation n'a eu lieu. Comme l'a affirmé Bill Namagoose, les mesures à cet effet ont été prises après la deuxième lecture. De plus, le ministre n'a pas respecté ni utilisé le mécanisme prévu dans la Convention de la Baie James et du Nord québécois. En fait, nous avons fait parvenir plusieurs lettres au ministre qui sont toutes demeurées sans réponse.

M. Lee: Il existe de nombreux groupes autochtones, accords et droits issus de traités dans tous les coins du pays, du Sud jusqu'au Nord. Je me demande quel groupe le ministre devrait consulter en premier ou quel est celui que nous devrions accueillir en premier, puisqu'ils sont nombreux et que les points de vue varient énormément.

Vous parlez au nom de votre groupe, mais il y en a beaucoup d'autres au pays et ce n'est pas une mince tâche que de déterminer lequel sera consulté en premier. En fait, le ministre ou le ministère a peut-être déjà amorcé la consultation ailleurs et n'est tout simplement pas encore parvenu jusqu'à vous.

Le grand chef adjoint Blacksmith: Le ministre pourrait peut-être d'abord reconnaître et respecter la Constitution telle qu'elle est rédigée à l'heure actuelle, car certains traités sont inscrits dans cette Constitution.

Effectivement certains autres groupes autochtones se trouvent dans des situations semblables et sont déjà en négociation ou le seront bientôt. Il faudra en tenir compte.

.2050

M. Lee: Je suis convaincu que le ministre devra reconnaître l'existence des groupes et de leurs droits puisque, dans bien des cas, ces droits sont inscrits dans la loi, comme le sont les dispositions que vous invoquez.

Je n'ai plus d'autres questions à poser, monsieur le président. Merci.

Le président: Avant de donner la parole à M. de Savoye, étant donné que de nombreux membres sont nouveaux et ne connaissent pas... Il n'existe que quelques ententes comme la Convention de la Baie James et du Nord québécois et l'entente du Yukon. On ne retrouve pas des accords comme cela dans tous les coins du pays. Ceux-ci sont relativement nouveaux et ont été signés au cours des 15 ou 20 dernières années; on les appelle des «traités modernes». Seules quelques ententes accordent des droits semblables à ceux que l'on reconnaît aux Indiens du Yukon et aux Cris de la baie James; je ne crois pas qu'il soit utile de relire le mémoire car le paragraphe 24.4.36 stipule que:

Ceci est inscrit dans la Constitution; par conséquent...

M. Lee: Monsieur le président, vous ne voulez pas engager une discussion avec moi ici ce soir, n'est-ce pas?

Le président: Non, mais je crois que nous devons tirer les choses au clair. Lorsque vous laissez entendre que le ministre a signé de nombreuses ententes dans tous les coins du pays, je tiens simplement à préciser...

M. Lee: Si c'est ce que vous voulez faire, je suis prêt à l'accepter, mais...

Le président: En ma qualité de président, j'ai...

M. Lee: Je reconnais qu'à titre de président, vous souhaitez sans doute passer au prochain intervenant.

Le président: Non, je crois qu'il est important que les informations soient parfaitement claires. Chaque fois que j'ai présidé une réunion quelconque, j'ai toujours tenté d'obtenir les renseignements les plus exacts possible car lorsqu'on fait des déclarations, on doit prendre soin de ne pas tromper la population canadienne.

Il n'existe qu'une ou deux ententes comme celle-ci. Je crois que l'accord sur le Nunavut renferme des dispositions semblables, de même que la Convention de la Baie James et l'entente des Indiens du Yukon... Mais on ne les retrouve que dans les ententes les plus récentes. Ces dispositions sont absentes des anciens traités.

Par conséquent, je ne discute pas avec vous, Derek, j'affirme simplement qu'il ne faut pas tromper les gens. Vous ne l'avez pas fait délibérément, j'en suis convaincu, mais... et je ne crois pas que le ministre ait délibérément...

M. Lee: Monsieur le président, j'espère que vous n'insinuez pas que j'ai trompé la population canadienne ici ce soir.

Le président: Je crois...

M. Lee: Monsieur le président, cela me choque au plus haut point.

Le président: Je crois que vous avez dit quelque chose d'inexact par mégarde en délarant que le ministre devait consulter les groupes de tous les coins du pays, puisque de nombreuses nations indiennes avaient signé des ententes comportant de telles dispositions.

M. Lee: Des traités ont effectivement été signés par différents groupes d'autochtones dans toutes les régions du pays.

Le président: Oui, mais ces traités ne contiennent pas les dispositions dont il est question maintenant, Derek.

M. Lee: Les dispositions régissant la consulation que l'on retrouve dans l'entente Sparrow ont été appliquées dans toutes les régions du pays, monsieur le président.

Le président: Non, Derek, je ne veux pas vous...

M. Lee: La Cour suprême elle-même en a décidé ainsi. De toute façon...

Le président: Je ne veux pas discuter de cette question avec vous, mais...

M. Lee: ...si vous voulez éviter un débat, je propose que nous mettions fin à cette discussion. Autrement...

Le président: Je ne crois pas que nous puissions le faire, car nous parlons de l'article 24.4.36 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, laquelle est très précise, et en vertu de l'article 35.3 de la Loi constitutionnelle de 1982, cet article fait partie intégrante de la Constitution.

Je dis simplement que les anciens traités ne comportent pas ces dispositions et que celles-ci ne se trouvent que dans quelques traités modernes. Je veux que ce soit bien clair et que cette précision soit inscrite au compte rendu. Si ce n'est pas exact, les témoins pourront me contredire.

M. Ramsay: J'invoque le Règlement. Je tiens à remercier le président de tout faire pour fournir des informations exactes au comité. De fait, je ne sais si ma proposition est conforme au Règlement ou non, mais je propose que ce comité interrompe ses travaux jusqu'à ce que nous ayons déterminé avec certitude si nous participons à une violation de la Constitution du pays en ne respectant pas une disposition de la Convention de la Baie James.

Une voix: Bravo.

Le président: Vous pouvez présenter cette motion, mais vous connaissez les règles du comité. Nous ne pourrons la prendre en considération avant 48 heures.

M. Ramsay: J'attendrai 48 heures.

Le président: Déposez votre proposition et nous...

Passons maintenant à M. de Savoye.

[Français]

M. de Savoye: Merci, monsieur le président.

Je ne pourrai pas aborder le sujet selon toutes les modalités que vous venez de soulever. Je n'ai pas la compétence nécessaire. Je vais simplement tenter d'approfondir la compréhension que j'ai de votre approche.

Dans vos mémoires, vous vous en prenez au fait que le projet de loi C-68 prévoit la nécessité d'enregistrer les armes à feu et l'obligation pour un individu de détenir un permis. Vous dites que cela attaque vos droits. J'ai deux questions à poser là-dessus. J'imagine que les deux chefs sauront y répondre.

.2055

La première question est la suivante: Selon les lois actuellement en vigueur, vos chasseurs doivent-ils détenir un certificat comme les autres chasseurs du Canada?

La deuxième est celle-ci: Actuellement, vos chasseurs utilisent-ils des véhicules tout-terrain, des 4 sur 4, des motos, des motoneiges, et, pour ce faire, doivent-ils détenir un permis de conduire?

Vous saisissez le sens de ma question. J'essaie de voir s'il y a une relation et une différence entre la situation actuelle de vos chasseurs et ce que propose le projet de loi C-68.

Lequel des deux chefs voudrait m'instruire le premier? Je vous en prie.

[Traduction]

M. Dave Joe (conseiller juridique, Conseil des Indiens du Yukon): Je ne suis pas Chef de bande, mais je vais tenter de répondre à vos questions.

En ce qui concerne les exigences de la loi actuelle relativement à l'obtention d'une autorisation d'acquisition d'armes à feu, la réponse est oui. Si je veux acheter une nouvelle arme à feu, je dois obtenir une AAAF. Toutefois, si mon père, par exemple, me laisse dix anciens fusils et que son père avant lui lui avait donné dix fusils qui me sont aussi transmis, je n'ai pas à obtenir d'AAAF pour ces vingt armes à feu qui n'ont pas été achetées dans un magasin. Voilà quelle est mon interprétation de la loi actuelle. Par conséquent, dans bien des cas, nous n'avons pas à nous procurer d'autorisations d'acquisition d'armes à feu. En vertu de la loi, l'AAAF est requise uniquement lorsqu'on achète une nouvelle arme à feu.

En ce qui concerne l'utilisation de divers véhicules comme les quatre roues motrices et les motoneiges, la réponse est aussi oui, nous les utilisons pour chasser, pour pêcher et pour trapper. Devons-nous immatriculer ces véhicules? Oui, mais uniquement si nous les utilisons sur la voie publique. Dans ce cas, il faut aussi avoir une assurance et un permis de conduire. Toutefois, la plupart de ces activités ne nous amène jamais sur la voie publique, puisque l'utilisation de ces véhicules sur une route contreviendrait aux règles de sécurité.

À toutes fins pratiques, la réponse est donc non, nous n'avons pas à nous conformer aux lois actuelles sur les AAAF et non, nous n'avons pas à détenir de permis pour utiliser les motoneiges et les véhicules à quatre roues motrices, à condition de rester en dehors des routes publiques.

M. de Savoye: Vous parlez de permis, mais qu'en est-il de la plaque d'immatriculation?

M. Joe: L'immatriculation est nécessaire uniquement si le véhicule roule sur la voie publique. Je dois souligner qu'en vertu des ententes en vigueur sur l'autonomie gouvernementale, les premières nations ont le droit exclusif, je ne devrais pas dire exclusif, mais plutôt concomitant, de promulguer des lois concernant l'utilisation des véhicules automobiles sur les terres conférées par entente. Étant donné ce droit, en cas de conflits entre nos lois et celles du Yukon, nos exigences prévalent.

M. de Savoye: Est-ce que les représentants de la nation crie pourraient nous indiquer quelle est la situation dans leurs cas?

Le grand chef adjoint Blacksmith: Je crois que notre situation est très semblable et nos réponses seraient identiques, tant en ce qui concerne les autorisations d'acquisition d'armes à feu et que l'adaptation aux changements.

Je voudrais simplement ajouter que la majorité des gens ne réalisent pas quelles sont les difficultés de nos collectivités. Malgré les traités, nous avons dû renoncer à de vastes territoires pour le bon plaisir des gens du Sud. Les exigences de ces derniers ne cessent de croître et nos terres semblent se rétrécir. Même si nous vivons dans des réserves, ce sont des espaces bien restreints, et les gouvernements nous imposent de nombreuses restrictions et réglementations. Je répète qu'il existe une différence considérable entre ce qui et acceptable dans le Sud et dans le Nord.

Il reste incontestable que notre culture et notre mode de vie traditionnels sont constamment attaqués de toutes parts.

Le président: Monsieur Bodnar, vous avez la parole pour cinq minutes.

.2100

M. Bodnar (Saskatoon - Dundurn): Monsieur le président, il a été répondu à mes questions dans le cadre de celles posées par d'autres.

Le président: Dans ce cas-là, je passe la parole à M. Ramsay.

M. Ramsay: Monsieur le grand chef adjoint Blacksmith, êtes-vous accompagné ici de votre conseiller juridique?

Le grand chef adjoint Blacksmith: Oui.

M. Ramsay: Pourriez-vous nous dire son nom?

Le grand chef adjoint Blacksmith: Il s'agit de M. Robert Mainville.

M. Ramsay: Monsieur Mainville, pourriez-vous nous donner votre avis sur la constitutionnalité du processus ayant abouti au projet de loi C-68? Le président a fait savoir que, dorénavant, l'Accord de la Baie James et du Nord québécois fait partie de la Constitution du Canada.

M. Robert Mainville (conseiller juridique, Grand conseil des Cris du Québec): C'est exact.

M. Ramsay: Et qu'aux termes de cet accord le ministre de la Justice est tenu de faire en sorte que les Cris de la baie James puissent participer au...

M. Mainville: ...Comité de coordination. L'accord prévoit un comité de coordination, c'est-à-dire un comité qui regroupe les représentants du Québec, du Canada, des Cris, des Inuit du Nord du Québec, et des Naskapis du Nord du Québec; c'est-à-dire les trois nations autochtones du nord du Québec et les deux paliers de gouvernement responsables de cette région.

M. Ramsay: Si je ne m'abuse, tout texte de loi promulgué par le gouvernement fédéral affectant la vie des Cris de la baie James et des peuples dont vous venez de mentionner le nom....

M. Mainville: Tout texte législatif qui affecte leurs activités de chasse, de pêche et de trappage; or, à notre avis, il est clair que les mesures prises afin de contrôler les armes à feu affectent beaucoup ces diverses activités.

M. Ramsay: S'il en est effectivement ainsi, alors nous sommes en infraction par rapport à la procédure prévue.

M. Mainville: Il ne m'appartient pas de me prononcer sur ce point.

M. Ramsay: Pourquoi?

M. Mainville: Je sais seulement que, de toute évidence, le ministre de la Justice du Canada n'a pas consulté le Comité de coordination comme le prévoit la Convention de la Baie James.

M. Ramsay: Cela ne veut-il pas dire que notre démarche va à l'encontre de ce que prévoit la Constitution de notre pays?

M. Mainville: Il est clair que cela est contraire à la Convention de la Baie James, accord que prévoit déjà l'article 35 de la Constitution. Nous estimons qu'il y a violation de cette Convention et, par conséquent, de la Constitution tant que le ministre n'engage pas de consultations.

Il ne s'agit pas d'un cas où le ministre n'aurait pas été informé de la situation. Le comité a écrit au ministre sans recevoir de réponse; et les Cris ont également écrit au ministre à ce propos sans recevoir de réponse non plus. Il ne s'agit donc pas d'une simple violation sur un point de forme. Il est clair, à notre avis, qu'il s'agit, en l'espèce, d'une violation des textes applicables, le ministre ayant été averti du fait que les mesures de contrôle des armes à feu en vigueur et le projet de loi dont est actuellement saisi le Parlement sont contraires à la Convention de la Baie James et du Nord québécois, et doivent de ce fait être corrigés.

M. Ramsay: Selon votre interprétation de la Convention, à quel moment le gouvernement fédéral doit-il entamer ce processus?

M. Mainville: Dès qu'il sera raisonnablement à même de le faire.

M. Ramsay: Qu'entendez-vous par cela?

M. Mainville: Nous estimons que ce processus aurait dû être engagé dès que le projet de loi a été soumis au Parlement. Le comité aurait dû être consulté soit avant le dépôt du projet de loi, soit immédiatement après. Il y aurait dû avoir des consultations entre le ministère de la Justice et le Comité de coordination au sein duquel le Canada est représenté.

M. Ramsay: Étant donné que ce projet de loi sera peut-être adopté avant la fin du mois de juin, date de clôture de la présente session, qu'en sera-t-il du processus prévu, comme vous le dites, par notre Constitution?

M. Mainville: Notre but aujourd'hui est d'obtenir l'amendement du projet de loi que vous examinez actuellement afin de concilier ses dispositions avec ce que prévoit la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Notre objectifs, c'est cela. Nous espérons que le ministre de la Justice du Canada procèdera dès que possible aux consultations prévues par la Convention de la Baie James, avant l'adoption du projet de loi, bien sûr, et que le projet de loi sera lui-même amendé afin de l'aligner sur les dispositions de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. C'est notre but; et nous espérons y parvenir avant l'adoption définitive de ce projet par la Chambre... s'il est adopté.

.2105

M. Ramsay: Les Cris de la baie James ont-ils été appelés à participer à l'élaboration du projet de loi C-17 qui, lui aussi, affectait leur existence?

M. Mainville: Le projet de loi C-17, c'est celui qui modifie le Code criminel?

M. Ramsay: Oui.

M. Mainville: Non.

Le président: [Inaudible - Éditeur]... 1991-1992.

M. Mainville: Non, ils n'ont pas été appelés à y participer. Là aussi, le Comité de coordination avait transmis ses observations à cet égard aux ministres responsables.

M. Ramsay: Vous avez donc été ignorés par les deux gouvernements; le gouvernement précédent comme le gouvernement actuel?

M. Mainville: C'est bien ce qui me semble.

Le président: Votre temps de parole est épuisé. Je passe maintenant la parole pour cinq minutes à M. MacLellan.

M. MacLellan (Cap-Breton - The Sydneys): Je tiens à dire au grand chef adjoint Blacksmith que s'il y a eu un retard, c'est évidemment regrettable, mais il est clair que le ministre n'a nullement l'intention d'esquiver en ce domaine les négociations prévues par la Convention de la Baie James. Je suis en mesure de lui dire que ces négociations auront lieu. Il a peut-être été informé du fait que le ministre n'est revenu qu'hier soir; il était en déplacement depuis dix jours. Il est tout à fait au courant des dispositions de la Convention de la Baie James et de l'obligation de négocier qui en découle.

Il espérait sans doute qu'il serait possible d'aborder certains points avec vous ici devant le comité, pour qu'on puisse se faire une idée de ce qui préoccupe les Cris et le Conseil des Indiens du Yukon. Ça nous aurait donné ainsi un point de départ. Comme l'a dit M. Ramsay, il est bien évident que personne n'entend faire adopter ce projet de loi d'ici la fin du mois de juin, étant donné notamment que le texte devra ensuite être soumis au Sénat. Mais il est également clair que l'intention n'est pas d'attendre indéfiniment. Je pense que vous serez donc contacté dans le courant de la semaine qui vient.

Est-ce bien vrai qu'aucune négociation n'a été entamée avec le Conseil du Yukon? Je croyais savoir que le comité avait tenté d'organiser une réunion mais que vous aviez manifesté la volonté de rencontrer au préalable le ministre. Est-ce exact?

M. Joe: La seule correspondance avec M. Rock est un courrier portant la date du 19 avril dernier. Le ministre nous y laisse essentiellement savoir qu'il est au courant des exigences contenues dans l'alinéa 16.3.3 du texte final de nos conventions, et il y exprime sa volonté d'engager des négociations conformément aux exigences prévues dans ces conventions. Depuis, rien.

Le grand chef adjoint Blacksmith: Je tiens simplement à dire que malgré l'esprit de compromis que nous avons manifesté, ou du moins la volonté de collaborer avec le ministre dont nous avons fait preuve, nous sommes très déçus car ce n'est pas la deuxième fois seulement... mais à maintes reprises le gouvernement n'a pas respecté la Convention de la Baie James et du Nord québécois dans son intégralité. Nous estimons que, depuis longtemps, cette convention a été jetée sur le tas de tous les traités qui ont été violés.

Même maintenant nous saluerions, de la part du ministre, tout effort qu'il pourrait faire en vue de collaborer avec nous. Mais nous ne pouvons pas tout simplement faire abstraction du sentiment de frustration que nous éprouvons du fait que le ministre n'a pas, jusqu'ici, essayé de collaborer avec nous. C'est la deuxième fois... or nous en sommes maintenant à l'étape de l'examen par un comité permanent. Nos peuples sont profondément préoccupés par le fait qu'on ne va nous consulter que de façon très tardive. Nous aimerions avoir l'occasion de nous réunir avec le ministre pour examiner ce dossier.

M. MacLellan: Je tenais simplement à dire au grand chef adjoint Blacksmith que les négociations porteront surtout sur la rédaction de ces règlements. Cela aura bien sûr lieu plus tard, mais il s'agit d'abord de l'adoption du projet de loi. Nous espérons donc qu'il y aura des négociations également à cette étape-là.

Je suis en mesure de dire au grand chef adjoint qu'il n'y a eu aucune volonté de passer outre aux préoccupations des Cris, ou de se dérober aux obligations découlant de la Convention de la Baie James. Je crois que le ministre le lui dira.

.2110

Le grand chef adjoint Blacksmith: C'est le principal problème que pose cet aspect de la réglementation lorsqu'il s'agit d'apporter des modifications ou des changements à la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Il s'agit d'une convention consacrée par la Constitution. Toute modification qui pourrait y être apportée doit donc être faite par voie législative, et non par voie de réglementation.

M. MacLellan: C'est exact. Mais la question qui se poser ici n'est pas tellement celle de la légalité... car je ne pense pas qu'il y ait eu violation de la loi. Il est possible qu'il y ait eu, vis-à-vis des Cris, violation des usages prévus par la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Il est possible qu'il en ait été ainsi; toutefois, même cela je ne suis pas disposé à le reconnaître car il y a eu un réel effort pour cerner la position des parties avant de prendre officiellement contact. Nous y sommes parvenus ce soir et cela va permettre d'entamer des négociations à très brève échéance.

Le président: Audrey McLaughlin n'est pas membre du comité. Le comité lui reconnaît-il le droit d'intervenir cinq minutes?

M. Ramsay: Monsieur le président, je lui accorde cinq minutes si l'on m'accorde à moi cinq minutes supplémentaires. J'y serais tout à fait disposé.

Le président: Bon, voilà comment nous procéderions. M. de Savoye est le prochain sur ma liste, puis Mme Torsney, puis M. Ramsay, et c'est tout. Nous pourrions laisser Mme McLaughlin intervenir maintenant, ou plus tard; mais vous auriez vous-même une nouvelle occasion d'intervenir. Nous avons assez de temps pour trois séries de questions. Nous sommes censés lever la séance à 21h30, et j'aimerais m'en tenir à cet horaire. Il nous reste donc 18 minutes.

Mme McLaughlin (Yukon): Je pourrais m'en tenir à trois minutes.

Le président: Entendu. Accorde-t-on ces hors minutes Mme McLaughlin? Elle dispose donc de trois minutes; comme convenu, monsieur Ramsay, vous disposerez à nouveau de cinq minutes.

M. Ramsay: Merci monsieur le président.

Mme McLaughlin: J'ai une question très directe à poser. D'après les éléments que vous avez présentés, il ne fait aucun doute qu'il y ait effectivement eu, par rapport à ce que prévoient les conventions, un réel abus de confiance. Ce qui m'inquiète, c'est que je me demande vraiment si, à supposer que vous ne soyez pas venu ici témoigner aujourd'hui, le gouvernement aurait de lui-même évoqué la question. Autrement dit, est-ce aux premières nations seules qu'il appartient de faire état de problèmes découlant de ce type d'accords? Le gouvernement n'aurait-il pas dû avant votre comparution ici, engager les consultations prévues?

J'ai une question qui s'adresse à la fois au Conseil des Indiens du Yukon et au Grand chef adjoint. Avant que vous ne comparaissiez aujourd'hui, le gouvernement a-t-il engagé sur ce problème la moindre consultation dans le cadre de la Convention de la Baie James ou de l'Accord sur les revendications territoriales des peuples du Yukon?

Le grand chef adjoint Blacksmith: Il y a peut-être eu des consultations ailleurs, mais absolument aucune n'a été engagée avec le Grand conseil des Cris.

Mme McLaughlin: Je veux dire dans le cadre de l'accord?

Le grand chef adjoint Blacksmith: Non. Et comme vous venez de le dire, il semble que ce soit toujours aux peuples autochtones d'avoir à protéger les maigres droits que leur reconnaissent les soi-disants traités contemporains. Le gouvernement devrait faire beaucoup plus d'efforts pour respecter les obligations qu'il a prises.

M. Joe: Nous nous sommes réunis avec Allan Rock le 4 octobre, et nous lui avons à cette occasion dit...

Le président: Le 4 octobre?

M. Joe: Le 4 octobre 1994. La réunion ne portait pas sur ce problème-ci. Il s'agissait de l'administration de la justice par les Tlingits, de la région de Teslin. Nous lui avons dit à cette époque... au fait, nous croyons savoir que vous envisagez la restoration de mesures de contrôles des armes à feu et vous devriez donc savoir que, selon les accords en vigueur, vous êtes tenus de nous consulter sur ce point et que le gouvernement est tenu de suivre une procédure comportant plusieurs étapes.

Deuxièmement, nous estimons que les droits que nous garantit l'article 35.1 sont sacrés. D'ailleurs, comme nous le rappelons dans notre mémoire, nous sommes habilités à légiférer en matière d'armes à feu sur les terres conférées par l'entente.

.2115

Je ne veux pas dire en cela que nous n'avons pas aussi compétence exclusive pour légiférer en matière d'administration de nos droits de chasse; et, deuxièmement, à l'égard de notre droit de porter des armes à feu et à l'égard de l'exercice de ce droit tel que prévu à l'article 16.4.3 de notre convention. Il s'agit là, d'après nous, d'un droit qui fait partie de la loi suprême de la nation; sur ce point, le Canada est tenu de nous consulter. Or, nous estimons que vous ne l'avez pas fait. Dites-nous quelle démarche vous entendez suivre.

Voilà comment s'est déroulée la réunion à laquelle j'ai participé. Peut-être y a-t-il eu, en passant, une allusion aux projets qu'il envisageait. Si ce n'est par une sorte d'osmose qui nous aurait permis de deviner ce que le Canada envisageait de faire, nous n'avons pas été consultés à l'égard de ce qui allait venir.

En fait, c'est nous qui avons dû leur faire comprendre qu'ils étaient tenus de respecter les conditions prévues dans les conventions qu'ils avaient signées avec nous. Ils nous ont écrit le 19 avril 1995 pour nous exprimer leur volonté de respecter, selon l'interprétation qu'ils en faisaient, les termes des conventions qu'ils avaient conclues avec nous. Depuis, plus rien.

M. de Savoye: Nous avons en commun notre langue seconde. Malheureusement, je ne parle pas votre langue et vous ne parlez pas la mienne; donc, pour ma dernière question, je recourrai à cette langue seconde.

D'après moi, le projet de loi C-68 ne fera rien pour faire diminuer la violence perpétrée dans vos nations à l'aide d'armes à feu. Cela dit, le Grand Conseil des Cris du Québec propose des projets d'amendements qui permettraient à ce peuple de satisfaire aux conditions prévues dans le projet de loi C-68 sans que cela ne lui occasionne des frais supplémentaires.

Ma question est la suivante. D'une part, vous affirmez que le projet de loi C-68 ne vous sera d'aucune utilité, mais vous êtes prêts à en respecter les dispositions si cela ne vous coûte rien - c'est un point intéressant - mais pourquoi, alors, ne pas choisir une autre solution qui consisterait à dire qu'étant donné que le projet de loi C-68 ne vous est d'aucune utilité, et que, en plus, il contrevient aux droits qui sont les vôtres, vous ne voulez pas que le projet de loi C-68 vous soit applicable? Pourquoi acceptez-vous, dans le cadre de votre projet d'amendements d'être astreints aux dispositions du projet de loi C-68?

Le grand chef adjoint Blacksmith: Nous avons effectivement dit que le projet de loi C-68 ne permettrait pas de faire baisser la violence car les situations violentes sont également dues à d'autres facteurs. Notre faiblesse est peut-être de trop faire confiance au gouvernement, puisque nous voulons croire et espérer que tout ira mieux si nous faisons un effort pour collaborer avec lui. C'est d'ailleurs la position constante du Grand Conseil qui prône en effet cette approche en espérant que tout cela finira pas amener une solution qui satisfera tout le monde.

Nous savons qu'il existe des situations qui touchent tout le monde, quelle que soit leur race, la communauté à laquelle ils appartiennent ou la région qu'ils habitent. Nous partageons ces préoccupations. Quoi qu'on puisse dire du projet de loi C-68, notre peuple a toujours été attaché aux moyens d'assurer une plus grande sécurité. Ces moyens sont transmis d'une génération à l'autre, et l'on enseigne aux enfants comment manier une arme en toute sécurité ainsi que diverses autres choses. Cet intérêt commun que nous partageons nous porte à essayer de collaborer avec le gouvernement afin d'aboutir à un projet de loi qui sera efficace ou, pour le moins, à des dispositions qui respectent notre mode de vie et les droits que nous garantissent les traités contemporains qui ont été conclus.

Lorsque nous disons ne pas vouloir que cela nous occasionne des frais supplémentaires, nous ne faisons que rappeler les dispositions précises de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, selon lesquelles les modifications législatives ou les nouveaux textes ne devraient pas nous apporter de charges nouvelles. Tant de choses, encore une fois, sont consacrées par la Constitution - c'est du moins ce que nous pensons - et ce genre de mesures devrait soit rien nous coûter, soit nous coûter la somme symbolique d'un dollar. Et, toujours selon, la Constitution les ressources nécessaires doivent nous être affectées.

.2120

M. Lee a plus ou moins laissé entendre que la mise en oeuvre du projet de loi C-68 n'entraînerait aucun problèmes administratifs; il y aura, en fait, de nombreux problèmes de cet ordre. D'abord, comme vous l'avez rappelé, notre peuple parle cri, et c'est déjà chose très difficile que d'essayer d'expliquer les mesures envisagées à un ancien qui ne parle que le cri. C'est dire qu'il sera très difficile d'initier notre peuple à la législation sur les armes à feu.

Peut-être, encore une fois, faisons-nous trop confiance. C'est peut-être cela qui nous cause tant de problèmes. Nous tentons néanmoins de collaborer avec les divers gouvernements.

Le président: Madame Torsney.

Mme Torsney (Burlington): J'aurais quelques questions à vous poser. La première a trait à la manière dont, au sein de vos groupes, vous procédez vous-mêmes à des consultations. Monsieur le grand chef adjoint, comment, lors de la préparation de votre document, vous y êtes vous pris au sein de vos deux organisations pour consulter les organisations féminines?

Le grand chef adjoint Blacksmith: Le Grand Conseil travaille en collaboration avec l'Association des trappeurs cris; ce mémoire est le fruit de leurs efforts conjoints. L'Association des trappeurs cris comprend aussi bien des femmes que des hommes, et nous collaborons avec elle dans toute la mesure du possible.

Je dois dire, néanmoins, que nous avons eu beaucoup de difficultés à préparer notre comparution devant le comité permanent. Avant de comparaître devant vous, nous avons dû surmonter de nombreux obstacles.

Le chef Birckel: Nous avons consulté les chefs et je précise que notre conseil, le Conseil des Indiens du Yukon, comprend des femmes chefs. Il y avait également plusieurs anciens, y compris des femmes, qui ont pris contact avec moi, et m'ont demandé de comparaître devant vous afin d'essayer de faire quelque chose au sujet de ces mesures de contrôles des armes à feu qui les inquiètent beaucoup. Nos anciens n'ont pas oublié que la GRC harcelait notre peuple, pourchassant les habitants de nos régions. Ils commençaient tout juste à s'habituer à l'idée que la police ne peut plus faire ça quand survient cette idée de donner à la police le droit d'entrer chez vous et de se comporter comme elle l'entend.

Mme Torsney: En fait, la police n'aura pas, mais c'est un fait que...

Le chef Birckel: Je veux dire, c'est bien essentiellement de cela qu'il s'agit.

J'ajoute que maintenant avec le document nécessaire à l'achat d'une arme à feu... Il y a un mois, une de nos anciennes est venue à une des réunions de notre conseil de bande nous dire qu'elle avait voulu acheter un fusil mais qu'on lui avait demandé de remplir un document et qu'on lui avait posé des questions gênantes au sujet de sa famille. Elle nous demandait quoi faire.

Mme Torsney: Elle s'y refusait, ou était-elle plutôt favorable à cette procèdure?

Le chef Birckel: Elle s'y refusait, car elle n'en comprenait pas le but. Elle cherchait quelqu'un qui l'aiderait à remplir le formulaire. La plupart des membres de notre conseil, bien qu'ils soient éduqués, ont tout de même du mal à remplir le formulaire. J'imagine que cela sera encore plus difficile avec les nouvelles formalités de permis.

Mme Torsney: La question de la consultation, que vous avez évoquée, me préoccupe beaucoup. Je crois savoir qu'actuellement on procède, dans une certaine mesure, à des consultations dans l'Est de l'Arctique, à Iqaluit, à Igloolik, à Rankin Inlet et à Whale Cove, il y aura, à partir de lundi, une semaine de consultation dans l'Ouest de l'Arctique. Les gens ont noté qu'on faisait des efforts pour aller leur demander ce qu'ils pensent.

Chef Birckel, je pense que Victor Mitander, Albert James et Richard Sidney ont été consultés par les fonctionnaires du ministère de la Justice au sujet des consultations à mener. Ne sont-ils pas les représentants du Conseil des Indiens du Yukon?

Le chef Birckel: Oui, en effet, mais ils forment l'exécutif du conseil. Chacun d'entre nous jouit de compétences propres, au sein de notre première nation, même s'il s'agit d'organes qui regroupent tous les chefs de notre peuple.

M. Joe: Permettez-moi de préciser que, dans le traité, les quatre premières dispositions touchant l'obligation de consultations prévoient la consultation de cette première nation. Toutefois, dans la mesure où les personnes dont vous venez de dire le nom constituent l'exécutif, j'estime, en toute modestie, qu'il s'agirait d'une consultation au deuxième degré qui ne saurait suffire.

Mme Torsney: C'est vrai. Mais il s'agit de personnes avec qui l'on peut prendre contact afin d'organiser les réunion de consultation; si elles répondent qu'elles ne veulent pas participer à la consultation, il faudra bien constater un problème de communication.

M. Joe: Je précise que les premières nations Champagne et Aishihik ont le téléphone, le CIY aussi. Pourquoi ne pas les appeler?

.2125

Mme Torsney: Nous poserons la question au ministre.

Le grand chef adjoint Blacksmith: J'aimerais évoquer avec vous deux aspects de la question. La consultation dont nous venons de parler se limitait, en fait, à une lettre, un peu vague, disant «si vous voulez nous rencontrer, nous vous expliquerons le projet de loi, qui déjà est en deuxième lecture»; donc, comme vous le voyez, tout ça est un peu tardif. Nous n'avons pas eu l'occasion de nous réunir auparavant afin d'en discuter, ou afin de faire connaître nos observations et nos préoccupations.

Il y a, aussi, le problème du règlement évoqué par M. MacLellan et j'aimerais demander à Robert de...

M. Mainville: Le point essentiel de notre mémoire est, d'après nous, que le Parlement devrait dire explicitement dans le texte que les peuples autochtones seront protégés, comme le seront les détenus qui jouissent de droits autochtones ou de droits issus de traités; et qu'il faudra tenir compte de ces droits non pas dans le cadre des pouvoirs réglementaires reconnus au gouvernement à l'article 110 mais dans le projet de loi lui-même. Le projet de loi pourrait prévoir des pouvoirs réglementaires applicables aux peuples autochtones mais nous estimons que les Cris ayant fait l'expérience de la non-consultation et du non-respect de la convention conclue avec eux, que le texte de loi lui-même devrait explicitement prévoir que, en ce qui concerne les peuples autochtones, les mesures de contrôle des armes à feu seront appliquées sous réserve des droits autochtones et des droits issus de traités - cela étant particulièrement vrai des peuples qui bénéficient, en vertu des traités, du droit de se servir d'armes à feu pour la chasse, le trappage et la pêche.

Notre position est essentiellement celle-ci: nous voulons nous assurer que le Parlement incorpore lui-même dans ce projet de loi les dispositions législatives précises obligeant le gouvernement à respecter les droits des peuples autochtones, c'est-à-dire aussi bien les droits des autochtones que les droits issus de traités.

M. Ramsay: Quand avez-vous, pour la première fois, écrit au ministre de la Justice pour aborder la question de ce processus constitutionnel? Quand avez-vous, pour la première fois, écrit au ministre de la Justice pour lui demander d'entamer ce processus?

Le grand chef adjoint Blacksmith: Monsieur Ramsay, un des mémoires que nous vous avons soumis contient, en annexe, une lettre qui porte je crois la date du 24 août 1994. Bien que la question ait été également abordée devant le comité, j'ai relevé l'existance de cette lettre.

M. Ramsay: Bon. Quand avez-vous, pour la dernière fois, écrit au ministre à ce sujet?

Le grand chef adjoint Blacksmith: Je lui ai encore écrit il n'y a que quelques semaines, réitérant l'inquiétude que nous inspirait le caractère tardif des consultations engagées et, aussi, le fait que le ministre ne nous avait pas répondu.

M. Ramsay: Si je vous comprends bien, alors que vous témoignez ici devant le comité, vous n'avez pas encore reçu de réponse à aucune de vos lettres demandant au ministre de respecter le processus prévu. Est-ce exact?

Le grand chef adjoint Blacksmith: C'est exact.

M. Ramsay: Souhaitez-vous que l'examen de ce projet de loi soit suspendu tant que ne sont pas intégralement respectés vos droits constitutionnels?

Le grand chef adjoint Blacksmith: Ce serait bien.

M. Ramsay: Si vous étiez maître du jeu.

Le grand chef adjoint Blacksmith: Si j'étais maître du jeu, oui, mais je ne le suis pas. Oui, notre objectif prncipal serait de parvenir à dire que le droit constitutionnel, nos droits inhérents ne sont en rien affectés par un règlement ou par un texte législatif qui ne tient pas compte des relations de travail des peuples autochtones.

M. Ramsay: J'estime donc, et je crois en cela bénéficier de l'appui, au sein du comité, de mes collègues du Parti réformiste, que ce comité devrait susprendre ses travaux en attendant que le processus prévu soit engagé. Seriez-vous favorable à une telle décision?

Le grand chef adjoint Blacksmith: Oui.

M. Ramsay: Nous allons donc voir si ce comité... Nous sommes des démocrates et nous allons mettre la question aux voix. Nous ne disposons que de trois votes au sein de ce comité, moi et mes deux collègues. Et nous allons voir. Étant donné la motion que j'ai présentée, il faudra réexaminer la question dans 48 heures.

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D'ailleurs, j'amenderai ma motion pour qu'elle prévoit que le comité ne pourra poursuivre son examen du projet de loi qu'une fois engagé le processus constitutionnel qui prévoit la consultation de votre peuple.

Je voudrais maintenant demander à la délégation du Yukon si vous voudriez, vous aussi, que le comité suspende son examen du projet de loi C-68 en attendant que soit engagé le processus constitutionnel qui permet de sauvegarder vos droits?

Le chef Birckel: oui.

M. Ramsay: Entendu.

Merci, monsieur le président, je n'ai rien à ajouter.

Le président: Vous avez proposé votre motion oralement, et je n'en n'ai pas encore reçu copie. Pourriez-vous la coucher sur papier et la déposer auprès du greffier.

M. Ramsay: Entendu.

Le président: Il n'est pas nécessaire de le faire tout de suite, mais dès que vous serez disposé.

M. Ramsay: Je peux aussi bien le faire tout de suite.

Le président: Vous pouvez le faire même après la fin de la séance.

Je tiens à remercier les deux groupes qui sont venus témoigner ce soir devant le comité, le Grand Conseil des Cris du Québec et le Conseil des Indiens du Yukon d'avoir comparu ce soir et d'avoir porté à notre attention des questions d'une grande importance.

Je peux vous assurer que les problèmes que vous avez évoqués seront suivis par le président ainsi que par d'autres membres du comité, chacun pouvant avoir des idées différentes sur la question. Les avis sont partagés sur la manière d'assurer le suivi de ce dossier, mais je peux vous dire que nous suivrons l'affaire.

La séance est levée.

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