[Enregistrement électronique]
Le lundi 15 mai 1995
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Barnes): La séance est ouverte.
Nous poursuivons ce soir l'examen du projet de loi C-68, Loi concernant les armes à feu et certaines autres armes.
Nos témoins de ce soir représentent l'Association canadienne de justice pénale. Ce sont M. Yves Alie, coprésident du Comité d'examen des politiques, M. Matthew Yeager, secrétaire du Comité d'examen des politiques, Mme Marlene Koehler, membre du comité et M. Eugene Oscapella, membre du comité lui aussi.
[Français]
Me Yves Alie (coprésident, Comité d'examen des politiques, Association canadienne de justice pénale): Bonsoir madame la présidente, bonsoir messieurs et mesdames les députés. Permettez-moi de vous présenter, dans l'ordre habituel, Eugene Oscapella, qui a une formation en droit et qui agit comme avocat-conseil en matière législative ici, à Ottawa; Matthew Yeager qui est le secrétaire de notre comité. Il est criminologue et c'est lui qui fera la présentation ce soir. Finalement, je vous présente Marlene Koehler, avocate également de formation, qui a bien voulu nous accompagner ici ce soir. Votre serviteur, Yves Alie.
M. Matthew Yeager (secrétaire, Comité d'examen des politiques, Association canadienne de justice pénale): Bonsoir madame la présidente. L'Association canadienne de justice pénale est heureuse de l'occasion qui lui est offerte de présenter son mémoire au comité permanent chargé de l'examen d'un projet de loi sur le contrôle des armes à feu. Comme vous le savez bien, notre organisme est l'un des plus grands regroupements de professionnels et de citoyens intéressés à la justice pénale au Canada. Nous célébrons en 1994-1995 notre 75e anniversaire. Nous maintenons en moyenne 1 000 membres. Nous publions la Revue canadienne de criminologie, Actualité-Justice et le Bulletin. Nous organisons, tous les deux ans, le Congrès canadien de justice pénale. Le Congrès '95, qui se déroulera à Winnipeg, sera notre 25e.
Soulignons d'abord que notre association, historiquement, s'est montrée favorable au contrôle des armes à feu et nous voulons féliciter le ministre de la Justice d'avoir mis de l'avant ce projet de loi très nécessaire. Notre association appuie l'adoption du projet de loi, mais exprime une réserve d'importance quant aux peines d'emprisonnement obligatoires.
[Traduction]
Nous n'avons pas l'intention dans ce mémoire de procéder à un examen de tout ce qui a été écrit sur le contrôle des armes à feu, sauf pour souligner qu'il semble exister un lien entre le nombre des armes à feu, la sévérité des contrôles et le nombre des décès dûs à des crimes commis avec des armes à feu. Pour cette seule raison, notre association s'est montrée favorable à des mesures visant à réduire les activités criminelles comportant l'utilisation d'armes à feu, à réduire au maximum le nombre de suicides et d'accidents inutiles causés par des armes à feu et à assurer un meilleur contrôle des armes à feu en général.
Nous, Canadiens et Canadiennes, entendons beaucoup parler du fait que les armes à feu auraient contribué au développement de l'Ouest américain et de ses petites villes axées sur le commerce du bétail. Mais il y a une chose que la plupart de nos voisins du Sud ignorent, c'est que dans les petites villes du Kansas comme Wichita, il était illégal de porter une arme à feu à l'intérieur des limites de la ville. Les responsables des postes de péage du pont de la Chisholm Trail étaient autorisés à échanger des jetons pour des armes à feu au moment où les cavaliers entraient en ville. En fait, il ne s'est commis aucun homicide à Wichita entre 1875 et 1885.
La plupart s'entendent pour dire qu'il y a plus de 5,9 millions d'armes à feu au Canada dont la majorité sont des fusils et des carabines ne requérant pas de permis. Environ 1 400 Canadiens perdent la vie chaque année à la suite d'homicides, de suicides et d'incidents causés par des armes à feu - la plupart de ces armes étant des fusils et des carabines.
À l'heure actuelle, il existe peu de restrictions, s'il en existe, à l'achat de munitions. Comme l'affirme Mme Wendy Cukier, la présidente de la Coalition pour le contrôle des armes à feu:
Il est ironique que dans la plupart des grandes villes canadiennes, on possède plus de renseignements sur les propriétaires de chiens que sur les propriétaires de carabines ou de fusils. Compte tenu de ce manque de contrôle, il est à peine surprenant de constater que nous avons fréquemment recours à des fusils tronçonnés pour commettre des meurtres et des vols.
L'Association canadienne de justice pénale appuie fermement la création d'un registre central de toutes les armes à feu et de tous les détenteurs de permis. À notre avis, cette initiative est fondamentale pour assurer la sécurité des policiers, qui doivent savoir qui possède une arme à feu, et celle de la collectivité. On ne peut tout simplement pas justifier d'avoir à deviner le nombre des armes à feu au Canada.
On a très peu souvent recours aux dispositions de la loi qui permettent aux policiers de procéder à la saisie d'armes à feu, avec ou sans mandat, s'ils ont des motifs raisonnables de croire qu'une telle action assurera la sécurité d'une personne ou d'un groupe de personnes. Cette procédure comporte des mécanismes de protection, notamment une procédure de révision par un juge de paix, de même que le droit d'en appeler à une instance supérieure.
De l'avis de l'Association, si la police en revenait à saisir les armes à feu dans les situations menaçantes telles que la violence familiale, les querelles violentes, les tentatives de suicide et autres situations du genre, on pourrait réduire considérablement la violence en diminuant l'accessibilité à des armes fatales accessibles dans des situations à risque élevé. Toutefois, pour en arriver là, il est fondamental de savoir qui possède une arme à feu.
Notre association est fascinée par l'idée, lancée pour la première fois dans un quartier de New York, d'échanger des armes à feu pour des certificats-cadeaux de 100$ valides dans un magasin de jouets. Il semble que l'idée était venue à un marchand de tapis d'offrir 50 certificats-cadeaux de 100$ échangeables dans un magasin de jouets bien connu. Cette initiative a connu un succès retentissant; plus de 300 armes ont été échangées en six jours. Peut-être pourrait-on accorder des encouragements fiscaux particulier à des entreprises pour qu'elles donnent des fonds qui serviraient à acheter des jouets, des chaussures, des vêtements, ou autres certificats-cadeaux afin d'inciter les gens à se départir des armes à feu en circulation à l'heure actuelle.
Les périodes d'amnistie ont permis par le passé de recouvrer un grand nombre d'armes à feu illégales ou dont on ne voulait plus. Bien que les déclarations d'amnisties locales soient bénéfiques, une amnistie nationale bien publicisée serait plus efficace. À la suite de l'adoption du projet C-68, on devrait donc proclamer une amnistie visant à encourager les gens à se départir des armes devenues prohibées de même que d'autres armes en leur possession.
En ce qui concerne le non-enregistrement - et je sais que cette question s'est avérée assez litigieuse - l'Association aurait un compromis à proposer au Comité, ou du moins une suggestion à lui faire.
L'Association serait en effet favorable à un compromis qui permettrait d'envisager des mesures de rechange ou une libération inconditionnelle dans le cas de personnes en défaut pour la première fois d'enregistrer leurs armes. Dans un cas comme dans l'autre, cela permettrait d'imposer des sanctions sans qu'il en découle un casier judiciaire. Toutefois, il serait de beaucoup préférable de saisir les armes du contrevenant et de lui interdire de posséder une arme à feu pendant un certain nombre d'années, plutôt que d'en arriver à une condamnation qui entraîne un casier judiciaire.
Pour ce qui est de la mise en application, nous ne voyons pas pourquoi on ne fixerait pas une date précise d'entrée en vigueur des dispositions relatives à l'enregistrement des propriétaires d'armes et de leurs armes. Par conséquent, notre association recommande qu'on élimine de certains articles du projet de loi les mots «ou à toute autre date fixée par règlement».
En vertu de la loi actuelle, toute personne qui utilise une arme à feu pour commettre ou tenter de commettre un acte criminel doit obligatoirement être condamné à une peine minimum d'emprisonnement. Cette peine va de un à trois ans, selon le nombre d'infractions précédentes commises avec une arme à feu, et doit être purgée consécutivement à toute autre peine.
Non seulement le projet de loi C-68 reprend ces dispositions, mais il ajoute un ensemble de peines minimales relatives à la possession d'armes prohibées ou à utilisation restreinte, aux armes à feu volées, au trafic d'armes à feu, à la conversion et à l'importation ou l'exportation d'armes à feu. Des peines obligatoires sont également prévues pour l'utilisation d'une arme à feu lors de la commission des actes criminels suivants: négligence criminelle entraînant la mort, homicide involontaire, tentative de meurtre, voies de fait causant lésions corporelles, agression sexuelle, agression sexuelle grave, enlèvement, prise d'otage, vol qualifié et extorsion.
Notre Association s'oppose depuis très longtemps aux peines obligatoires. Il y a bien sûr le fait que ces sanctions ne tiennent pas compte des caractéristiques particulières du délit ni de celles des délinquants. Elles ont tendance à limiter le pouvoir discrétionnaire des tribunaux et à augmenter celui de la police et de la poursuite. Elles augmentent la population des établissements pénitenciers déjà surpeuplés. Elles donnent souvent lieu à des négociations de plaidoyers. Elles annulent le concept de peines totales et contribuent souvent à faire augmenter les coûts et le temps consacrés aux procédures judiciaires.
Enfin, il n'est pas démontré que des peines d'emprisonnement obligatoires contribuent à dissuader ceux qui entendent utiliser une arme dans la perpétration d'un crime. Ainsi, les données sur l'État de New York et l'ancienne Rockefeller Drug Act, et d'autres relatives à la loi de 1980 de New York sur les armes à feu, indiquent que les peines obligatoires n'ont pas fait disparaître la criminalité associée aux drogues ni le niveau de violence attribuable aux armes à feu.
En fait, une des études réalisées a fait ressortir que les comparaisons effectuées entre les cultures et entre les États en matière de sévérité des peines et de taux de criminalité révèlent qu'un écart modéré de la sévérité des peines pour des crimes graves ne représente probablement pas un facteur important permettant d'expliquer les taux de criminalité différents qu'on peut relever dans les différentes États. L'étude des incidences de la peine capitale pour homicide et celles de l'augmentation des peines minimales et maximales applicables à d'autres crimes graves a donné essentiellement des résultats négatifs.
Une autre étude poussée des peines obligatoires pour des crimes commis avec des armes à feu aux États-Unis a été effectuée dans six régions métropolitaines différentes. Il en ressort «qu'aucune étude à elle seule ne permet de soutenir de manière convaincante l'idée que les peines obligatoires contribuent à réduire la violence rattachée aux armes à feu». C'est seulement lorsque l'on regroupe les données que l'on constate une diminution des homicides par arme à feu. On n'a pu parvenir à aucune conclusion pour les vols qualifiés ou les voies de fait.
En effet, une évaluation récente de l'article 85 du Code criminel a fait ressortir que les deux tiers des accusations en vertu de cet article sont retirées, abandonnées ou rejetées. La plupart des coupables - la quasi totalité d'entre eux - se voient imposer des peines d'incarcération prolongées sans égard à la peine obligatoire d'une année additionnelle. Rien ne permet de conclure que l'article 85 a contribué à réduire le nombre et le taux de crimes reliés aux armes à feu.
Nous pensons qu'il ne faut pas laisser croire que ce projet de loi est la solution miracle au problème des crimes avec violence au Canada. Nous croyons toutefois qu'en réduisant la disponibilité des armes à feu par voie de prohibition ou d'enregistrement, en imposant un entreposage sécuritaire, en procédant à la saisie d'armes à feu dans les situations menaçantes, en procédant à des campagnes de rachat et d'aministie, on parviendra à des résultats plus positifs que ne le feraient des peines obligatoires pour contrer la violence associée aux armes à feu. Pour s'attaquer à ce problème, la prévention donnera toujours de meilleurs résultats à long terme que le recours au système carcéral.
Avec votre permission, madame la présidente, j'aimerais montrer quelques diapositives aux membres du Comité avant que nous ne passions à la discussion.
La vice-présidente (Mme Barnes): Oui, allez-y.
[Présentation de diapositives]
M. Yeager: Il est clair pour nous que la question du contrôle des armes à feu est une question de juste équilibre. Donc, la première chose à demander, c'est où se trouve le juste équilibre.
Il est bien évident que les armes à feu au Canada offrent certains avantages, lorsqu'elles sont utilisées, par exemple, pour la chasse ou le tir à la cible. Bien des Canadiens accordent de l'importance à leur protection personnelle. Il y a les ventes et les collectionneurs d'armes à feu. Il y a donc certainement des avantages à posséder des armes à feu.
Vous avez ici des statistiques qui vous donnent une idée du nombre des armes à feu au Canada. Ce sont là les résultats d'une enquête menée en 1992 auprès d'environ 10 000 ménages. C'est de là que vient le chiffre de 5,9 millions d'armes à feu pour l'ensemble de la population canadienne.
Comme vous pouvez le voir, la majorité des armes à feu que possèdent les Canadiens sont non pas des armes de poing, mais des carabines ou des fusils de chasse qui, en vertu de la loi actuelle, n'ont pas à être enregistrées par leur propriétaire.
Généralement parlant, les propriétaires d'armes à feu sont des hommes; un petit nombre d'entre eux seulement sont des femmes.
Ceci vous donne une idée des revenus associés à l'industrie des armes à feu.
Pour ce qui est de l'autodéfense, question sur laquelle je vais revenir dans un instant, il y a une chose intéressante à souligner, à savoir les risques et les avantages qu'il y a à posséder une arme à feu pour se défendre. Je sais que c'est une des raisons pour lesquelles bien des Canadiens disent qu'ils ont besoin d'une arme en feu ou en veulent une. C'est peut-être la raison qui les pousse à aller s'en acheter une.
Voici la diapositive qui illustre le problème du juste équilibre entre les risques et les avantages. Cette recherche a porté uniquement sur les homicides familiaux. Vous pouvez voir que pour chacun des homicides commis par légitime défense à la maison, il y a toutes sortes d'autres décès, notamment des suicides et des homicides criminels.
Ces homicides criminels sont dans bien des cas des homicides commis par quelqu'un de l'entourage de la victime. En fait, au Canada, les recherches révèlent que la plus grande partie des auteurs d'homicide connaissaient leur victime. On ne peut donc pas parler d'homicide par un étranger. Dans le cas des homicides, la plus grande partie des coupables connaissaient leur victime.
Donc, de l'avis de l'Association, l'un des problèmes que pose l'autoprotection, c'est celui du rapport entre l'autoprotection et la probabilité de suicide, d'accident et de blessures, en plus des homicides au sein de la famille.
Pour ce qui est du coût des armes à feu, il y a les blessures volontaires et involontaires. Vous avez ici certaines des données recueillies pendant plusieurs années sur le nombre de suicides, d'homicides et d'accidents par des armes à feu. Cela vous donne une idée des répercussions de ces blessures au Canada.
Cette étude porte surtout sur le Québec, mais le même lien peut être établi pour l'ensemble du Canada entre la disponibilité des armes à feu et les suicides. Nous avons ici une autre étude sur l'augmentation du taux de suicide depuis 1960. Elle porte surtout sur le Québec et indique que les taux y sont de 21 p. 100 supérieurs à ce qu'ils sont pour le reste du Canada. Cela donne matière à réflexion.
J'ai ici un tableau sur lequel j'aimerais attirer votre attention. Il s'agit de données assez récentes sur la probabilité du suicide. Ce tableau est extrêmement intéressant - et je vais m'y arrêter un instant - parce qu'il donne une idée des probabilités de suicide selon qu'il y a une arme à feu à la maison, notamment une arme de poing ou une arme d'épaule, et selon qu'elle est chargée ou non.
Comme vous pouvez le voir les pourcentages sont assez surprenants, surtout si l'on compare les cas où il n'y a aucune arme à feu et ceux où il y en a une ou deux; on s'aperçoit alors qu'il y a six fois plus de risque qu'un suicide soit commis.
Je crois que ce genre de données met en évidence certaines des questions dont nous parlions au sujet de l'accès à des armes à feu et de la corrélation avec des résultats non intentionnels, dans ce cas-ci les suicides. On peut observer la même chose pour les homicides. Les chiffres que nous avons ici indiquent que la grande majorité des suicides au Canada sont commis à l'aide d'une carabine ou d'un fusil de chasse dont le propriétaire n'a pas de permis.
On retrouve dans les textes sur les armes à feu la question intéressante du caractère instrumental des armes à feu. Lorsqu'on parle de caractère instrumental, on fait habituellement allusion à la capacité d'une arme à feu d'entraîner un accident mortel et, lorsqu'on compare avec d'autres formes de tentatives de suicide, on peut avoir une idée de la létalité des armes à feu.
L'une des statistiques intéressantes au sujet des suicides est le fait que les hommes réussissent apparemment mieux à se suicider même si les femmes sont plus nombreuses à essayer de le faire. Nous pensons que cela s'explique en partie par le fait que les hommes sont plus susceptibles d'utiliser une arme à feu pour essayer de se suicider.
Il y a des données sur les homicides qui montrent qu'environ le tiers des homicides au Canada sont commis avec des armes à feu.
D'ailleurs, une bonne partie de ces homicides commis au Canada implique des carabines ou des fusils de chasse, les 3/5 à peu près, un plus petit nombre des armes de poing.
Cela est particulièrement intéressant parce que les statistiques américaines donnent des résultats presque exactement opposés. Je pense que l'une des raisons tient à la nature même des règlements que nous avons actuellement sur les armes de poing, et au fait que nous sommes assez sévères au sujet du contrôle des armes à feu.
Je le répète, comme vous pouvez le voir d'après ces statistiques, la majorité des homicides ne sont habituellement pas commis par un étranger. La majorité des homicides au Canada ne sont habituellement pas commis au moment de la perpétration d'un autre crime, comme un vol ou un cambriolage. Dans la plus grande majorité des cas d'homicides, le coupable et la victime se connaissent. Cela nous ramène à la question de la disponibilité des armes à feu et nous amène à nous interroger sur ce qui se passe lorsqu'une arme à feu envenime un conflit et qu'un accident se produit, un coup de feu est tiré, il y a voies de fait graves ou, dans ce cas-ci, une personne en tue une autre.
Les blessures involontaires peuvent être définies comme étant des accidents qui ce sont produits par suite de l'utilisation d'une arme à feu. Environ 4 p. cent des décès par arme à feu chaque année ont été classés dans la catégorie des accidents. Jusqu'à maintenant, il y a eu au Canada à peu près 2 600 décès accidentels attribuables aux armes à feu depuis 1970.
Vous avez ici une diapositive où les victimes d'un accident mortel attribuable à une arme à feu sont réparties par catégorie. Vous pouvez voir qu'un pourcentage important de ces victimes sont des enfants de moins de quinze ans ou encore des adolescents et de jeunes adultes. Lorqu'on fait les calculs, on s'aperçoit que dans la moitié au moins des cas d'accidents mortels, les victimes étaient dans la fleur de l'âge ou plus jeune encore.
Il y a eu une étude au Manitoba qui a porté sur certaines des causes des accidents par arme à feu. Elle a fait ressortir des corrélations très intéressantes. La négligence dans l'entreposage et l'utilisation, à la maison surtout, peut être associée à un pourcentage élevé des accidents autres que les accidents de chasse.
Pour en revenir à la question de l'équilibre, il y a différentes façons d'aborder la question du contrôle des armes à feu. L'Association préférerait que l'on n'attende pas qu'un suicide, un homicide ou un vol avec arme à feu se soit produit et que l'on essaie plutôt de trouver des moyens d'intervenir avant qu'un accident ne se produise. Nous nous intéressons plus particulièrement aux moyens de contrôler l'accessibilité des armes à feu. Donc, généralement parlant, nous préférerions une stratégie axée sur la réglementation de l'accès aux armes à feu au lieu d'attendre qu'il soit trop tard.
C'est pourquoi nous espérons que le projet de loi C-68 permettra de lancer une vaste campagne d'information au Canada pour sensibiliser la population aux dangers que représentent les armes à feu et leur mauvaise utilisation.
La solution à bien des problèmes médicaux actuels se trouve non pas dans des laboratoires de recherche, mais dans nos assemblées législatives. Pour le patient, l'important ce n'est peut-être pas tant une opération chirurgicale que la prévention, prévention que seule rend possible une décision du Cabinet.
Cela nous ramène à ce que nous disions à propos de la criminalité. Nous avons maintenant une idée de ce qui va souvent de pair avec la violence au Canada, surtout la violence attribuable aux armes à feu. Je pense que nous avons les outils nécessaires pour adopter une approche globale en matière de prévention et de sensibilisation des Canadiens à l'égard des armes à feu, ce qui, nous l'espérons, donnera les résultats escomptés dans les années à venir.
L'Association ne considère pas cette mesure législative comme une solution miracle ou une panacée. Et nous ne nous attendons pas à ce que la violence diminue dans les deux prochaines années à la suite de l'adoption du projet de loi C-68. Nous croyons cependant qu'il fait partie d'un train de mesures réfléchies de prévention et d'intervention qui profiteront un jour à tous les Canadiens.
Madame la présidente, je pense que j'ai probablement déjà trop pris de votre temps.
La vice-présidente (Mme Barnes): Je vous remercie de votre exposé.
Est-ce que d'autres membres de votre groupe souhaiteraient ajouter quelques mots, ou devrions-nous tout de suite passer aux questions?
[Français]
Me Alie: Procédons aux questions, s'il vous plaît.
La vice-présidente (Mme Barnes): D'accord. Les questions.
Monsieur Langlois, vous avez dix minutes.
M. Langlois (Bellechasse): Merci, madame la présidente. Je remercie les témoins pour leur présentation. J'attendrai avec impatience une copie de ce que vous nous avez présenté dans vos diapositives. Je me rends compte que mes lunettes ne sont pas au point. J'aurais bien de la difficulté à répéter tout ce qui a été dit, parce qu'il y a passablement d'information. Mais M. Wappel a pris des notes et je pourrai probablement le voir après la réunion pour en faire des photocopies.
Dans votre mémoire, en conclusion, vous mentionnez ceci:
Il ne faudrait pas laisser croire que ce projet de loi est la solution miracle au problème du crime avec violence. Nous croyons toutefois qu'en réduisant la disponibilité d'armes à feu par voie de prohibition et d'enregistrement, en imposant le rangement sécuritaire, en procédant à la saisie d'armes à feu dans les situations menaçantes, en procédant à des campagnes de rachat et d'amnistie, on parviendra à des résultats plus positifs... Et vous continuez dans cette énumération de mesures, et je les reprends: «réduire la disponibilité d'armes à feu par voie de prohibition et d'enregistrement, imposer le rangement sécuritaire et puis procéder à des campagnes de rachat et d'amnistie...», n'êtes-vous pas d'avis que les mesures que je viens de mentionner relèvent beaucoup plus de la compétence provinciale telle que prévue au paragraphe 92(13) de l'AANB de 1867, tombent sous la rubrique Propriété et Droit civil et ne constituent pas du droit criminel en soi?
[Traduction]
M. Yeager: Nous préférerions, je pense, que l'application de toutes les mesures prévues par le projet de loi C-68 relèvent de la compétence des provinces. N'étant pas avocat, je ne peux donc pas vous dire si c'est une question de compétence du gouvernement provincial en vertu de l'Acte de l'Amérique du nord britannique.
J'imagine que les provinces ou les territoires pourraient veiller à l'application des mesures de contrôle des armes à feu, et je pense surtout à certaines régions, comme les territoires, où les armes à feu font partie du mode de vie.
[Français]
M. Langlois: Est-ce que vous seriez en faveur du fait que le projet de loi prévoie une possibilité pour une province ou un territoire de se retirer?
[Traduction]
M. Yeager: Généralement parlant, notre association croit que cela ne serait pas souhaitable en raison cause principalement de la situation aux États-Unis. Du fait que les lois applicables au contrôle des armes à feu sont beaucoup moins strictes dans certains États, on vient y acheter des armes qui sont ensuite utilisées pour commettre des crimes. Ce ne serait pas une bonne idée d'autoriser les provinces à ne pas souscrire à une loi prévoyant l'enregistrement des armes à feu parce qu'elles risqueraient de devenir un jour une source d'approvisionnement en armes à feu utilisées pour commettre des crimes.
[Français]
M. Langlois: Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion d'entendre les chefs des premières Nations qui sont venus faire un exposé sur leurs prétentions constitutionnelles cet après-midi. Ils ont unanimement soutenu qu'ils n'étaient pas soumis à la présente loi à cause des droits inhérents qui leur sont reconnus par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ne croyez-vous pas qu'il est dangereux , dans une société de droit, que certains individus aient des droits différents des autres?
[Traduction]
M. Yeager: J'ose espérer que nous n'assisterons pas à une balkanisation du Canada, les armes à feu étant restreintes dans certaines régions et pas dans d'autres, à cause de questions de ce genre. Nous avons toujours préconisé, surtout en ce qui a trait aux questions de droit pénal de nature préventive - et j'insiste bien sur ce point - une approche uniforme à l'échelle du Canada. Nous encourageons les provinces à prendre la question au sérieux et à faire en sorte qu'il n'y ait pas, par exemple, de zones où les armes à feu seraient interdites. Je pense que notre Association hésiterait à appuyer cette disposition.
[Français]
M. Langlois: À la première page de votre mémoire, vous mentionnez que votre association appuie l'adoption du projet de loi, mais exprime une certaine réserve quant aux peines d'emprisonnement obligatoires. Je voudrais attirer votre attention sur l'article 98 et les suivants qui traitent du pouvoir d'inspection. Ce sont des articles qui donnent à un policier ou à une personne qui lui est assimilée des pouvoirs extrêmement vastes de pénétrer dans un endroit, la plupart du temps sans mandat, sauf si c'est un lieu d'habitation, afin de vérifier s'il n'y aurait pas des armes à feu non enregistrées.
J'attire également votre attention sur l'article 100 du projet de loi qui oblige les citoyens à porter secours et assistance au policier qui est à la recherche d'armes non enregistrées. Il y a aussi une disposition qui entraîne l'auto-incrimination de la personne.
Ne croyez-vous pas que nous allons à contre-courant de ce qui a été reconnu depuis des centaines d'années dans notre système de droit britannique, où une personne n'est pas tenue de s'auto-incriminer, a le droit au silence et l'obligation de ne pas faire entrave à des agents de la paix dans l'exercice de leurs fonctions?
Non seulement ne fait-on pas interdiction aux citoyens de faire entrave aux agents de la paix dans l'exercice de leurs fonctions, mais on leur crée l'obligation de leur donner toute l'assistance possible lorsqu'ils font une inspection. Ces dispositions visant à donner tant de pouvoir aux agents de la paix ou aux personnes qui y sont assimilées, est-ce que ce ne sont pas des dispositions qui vous troublent un peu lorsque vous faites l'analyse de ce projet de loi?
[Traduction]
M. Yeager: Cette question de la saisie des armes à feu, se retrouve déjà à l'article 103 du Code criminel. Je crois savoir que la personne qui fait l'objet de la saisie a un droit de recours devant un magistrat et même un droit d'appel contre le jugement de celui-ci. Les droits constitutionnels de la personne visée sont donc protégés par cette disposition, qui figure déjà dans le droit actuel. Je ne pense pas que le projet de loi C-68 introduise quoi que ce soit de nouveau à cet égard.
Pour ce qui est de l'auto-incrimination, je dois malheureusement plaider mon ignorance, n'étant pas juriste. Je ne suis pas avocat, je suis criminologue. Je suis entouré ici de trois avocats, qui me disent ne pas voir de difficulté du point de vue de l'auto-incrimination dans la disposition que vous citez du moins pas d'ampleur aussi grande que ce que vous dites.
[Français]
M. Langlois: Une minute, madame la présidente.
J'aimerais que vous élaboriez davantage sur l'article 85 du Code criminel. Vous mentionnez qu'il a fait la preuve qu'il ne fonctionne pas très bien. Qu'est-ce qui manque le plus à l'article 85 pour qu'il puisse fonctionner? Ce constat étant fait à propos de l'article 85 du Code criminel, qui «permet de sentencer une personne qui a commis une infraction criminelle avec une arme à feu à une peine plus sévère», s'il ne fonctionne pas à l'heure actuelle, qu'est-ce qui vous fait croire qu'un régime encore plus sévère va fonctionner de façon efficace?
Me Alie: Nous vous dirions que la raison pour laquelle cela ne fonctionne pas, c'est cette question de peine obligatoire et consécutive. D'ailleurs, la position de l'Association est à l'effet qu'on abolisse ce genre de peine consécutive et obligatoire dans le projet de loi.
M. Langlois: Alors, si on peut avoir des peines concurrentes, monsieur Alie, quelle serait la finalité réelle d'une disposition criminelle qui permettrait au juge de dire à l'accusé : «Voilà, je vous condamne à deux ans, y compris une peine concurrente d'un an d'emprisonnement parce que vous avez commis le crime avec une arme à feu».
Me Alie: Je pense que la façon de voir la chose serait beaucoup plus de dire qu'un des critères de la sentence serait que l'infraction a été commise avec une arme à feu et qu'en conséquence on prenne cela en considération comme étant un facteur aggravant au niveau de la sentence. On doit en arriver à une sentence qui soit totale et particulière au cas d'espèce.
M. Langlois: Merci.
[Traduction]
M. Ramsay (Crowfoot): Je vous remercie de vos exposés.
Monsieur Yeager, êtes-vous en faveur de toutes les dispositions du projet de loi C-68?
M. Yeager: La plupart, sauf celle imposant des peines obligatoires.
M. Ramsay: Ce sont donc les seuls éléments que vous n'approuvez pas. Avez-vous connaissance des ramifications du projet de loi?
M. Yeager: Pourriez-vous être un peu plus précis?
M. Ramsay: Si vous êtes en faveur du projet de loi, vous devez manifestement en connaître les ramifications, y compris les répercussions économiques. Si vous êtes en faveur de tous les aspects du projet de loi sauf ceux que vous avez isolés, on peut en conclure que vous êtes informés des ramifications de tous les éléments du projet de loi.
M. Yeager: Parlez-vous du coût du projet de loi?
M. Ramsay: Je parle du coût. Je parlais des témoignagnes que nous avons reçus à propos des ramifications économiques pour les guides et chasseurs qui ont une clientèle américaine qui ne viendra peut-être plus et pour les fabricants d'armes à feu qui ont indiqué qu'ils devront peut-être déménager leurs usines en raison des coûts qui leur seront infligés. Avez-vous connaissance de ces conséquences de ce projet de loi?
M. Yeager: Oui.
M. Ramsay: Et vous l'approuvez néanmoins?
M. Yeager: Oui.
M. Ramsay: Pouvez-vous nous dire en quoi l'enregistrement des carabines et fusils limitera l'utilisation criminelle de ces armes à feu?
M. Yeager: Comme je l'ai dit, nous ne prétendons pas qu'il y aura un recul immédiat du nombre d'actes criminels commis par arme à feu à la suite de l'adoption du projet de loi C-68. Ce n'est pas du tout notre argumentation.
Notre position est fondée sur des recherches qui déterminent les tendances à long terme, particulièrement en ce qui concerne la disponibilité des armes à feu, et qui établissent une corrélation entre cette disponibilité et le nombre de suicides et d'homicides. Nous espérons qu'avec ce projet de loi, combiné à d'autres mesures de prévention et d'éducation, on commencera à voir un recul sur ce plan dans les années futures. Il faudra peut-être attendre cinq, dix ou quinze ans pour commencer à voir apparaître le genre de diminution que nous souhaitons, mais nous pensons que l'on assistera certainement à une baisse du nombre d'accidents, de suicides et d'homicides mettant en jeu les armes à feu. Nous pensons que toute mesure de prévention, toute vie sauvée par la prévention d'un accident par arme à feu ou d'un suicide, constitue un pas dans la bonne direction. En tant que criminologue, je ne puis promettre de récompense instantanée, et je peux vous dire que c'est la bonne direction dans laquelle il faut s'engager.
M. Ramsay: Le système d'enregistrement des armes: existe depuis une soixantaine d'années et pourtant l'usage criminel des armes de poing n'a pas diminué; au contraire, il s'est accru depuis la mise en place du système. Comment expliquez-vous cela?
M. Yeager: Encore une fois, lorsque j'analyse des statistiques sur les armes de poing, j'aime bien les comparer avec les chiffres d'un groupe-témoin. Le meilleur groupe-témoin, si vous suivez ma logique, sont les États-Unis. Si vous comparez l'usage criminel d'armes à feu au Canada avec celui des États-Unis, on voit très clairement quel pays réussit le mieux sur le plan de la prévention des crimes violents.
J'espère que le Canada continuera sur la voie qu'il a empruntée à l'égard de certaines armes paramilitaires, qui ne devraient jamais être en circulation, et qu'il exercera un contrôle plus strict sur certains types d'armes. Voilà ce que j'ai à dire en général, pour répondre à votre question.
M. Ramsay: Pensez-vous que le Canada deviendra comme les États-Unis?
M. Yeager: J'espère que non.
M. Ramsay: Ce n'est pas ce que je voulais dire. Vous avez utilisé les États-Unis comme point de comparaison. Pensez-vous que le Canada risque de devenir comme les États-Unis?
M. Yeager: Non.
M. Ramsay: D'accord. Ne faut-il pas supposer que si l'enregistrement des armes à feu ne règle pas le nombre des accidents ou des suicides, ce qui se profile à l'horizon c'est l'interdiction de les posséder au domicile? Rien n'indique que l'enregistrement des armes à feu amènera de meilleures conditions d'entreposage de ces armes qu'à l'heure actuelle, où nous avons déjà une loi imposant cet entreposage sûr. donc, si l'enregistrement des armes à feu n'amène pas une baisse de chiffres statistiques, ne faut-il pas craindre que la prochaine étape sera l'interdiction pure et simple de détenir ces armes au domicile?
M. Yeager: J'espère que la même chose que ce qui s'est passé avec la conduite en état d'ébriété se produira avec le contrôle des armes à feu au Canada. Une fois que le public a pris conscience du carnage croissant sur nos routes, des mesures ont été prises pour combattre la conduite en état d'ébriété, mais on a surtout assisté à une diminution du nombre des morts sur nos routes. Cette réduction est principalement due à un changement des mentalités à l'égard de la conduite en état d'ébriété.
J'espère que ce projet de loi aura pour résultat, lui aussi, une évolution des mentalités à l'égard des armes à feu dans notre pays. On ne saisira donc pas les armes à feu dans nos foyers, comme vous semblez le dire, monsieur Ramsay, mais on les utilisera beaucoup plus prudemment, et l'on interdira à ceux qui ne sont pas aptes à les manier à en posséder.
M. Ramsay: Vous ne vous attendez donc pas à une évolution sensible de ces statistiques avant une quinzaine d'années? Est-ce là ce que vous avez dit?
M. Yeager: J'aimerais pouvoir vous offrir ce genre de solution et vous faire la promesse que ce type de réduction interviendra dans 15 ans. Ce qui va se passer, je l'espère, c'est qu'il y aura un effet à long terme, qu'on assistera à une diminution, non une hausse, du mauvais usage des armes à feu entraînant des décès, du nombre des accidents et suicides.
M. Ramsay: L'enregistrement des fusils et des carabines, selon vous, amènera ce résultat?
M. Yeager: À mon sens, cela procède de l'ensemble des mesures de prévention et d'éducation, de l'évolution des mentalités ainsi que de l'enseignement de cours de securité de manutention des armes à feu. Il n'y a pas que l'enregistrement, mais diverses autres mesures qui aideront la police à intervenir dans les situations dangereuses. Il sera plus facile de saisir les armes de ceux qui ne devraient pas en posséder: par exemple, les milices qui parfois causent des problèmes - nous l'avons vu aux États-Unis - et parfois les gangs de motards et autres bandes, qui ne devraient jamais pouvoir posséder d'armes d'aucune sorte. Voilà donc notre position générale.
M. Ramsay: Mais l'enregistrement des carabines et des fusils ni rien de ce que j'ai vu dans le projet de loi ne feront quoi que ce soit pour réduire ou faire disparaître les causes de la violences familiales et des suicides.
M. Yeager: N'oubliez pas que dans ces cas de violence familiale, d'homicide et de suicide, les risques de décès sont beaucoup plus grands quand il y a usage d'une arme a feu que quelque autre instrument. Il y a donc un facteur instrumental majeur associé à une arme à feu. Si quelqu'un vous attaque avec une arme à feu, vous risquez beaucoup plus d'être tué que si l'on vous attaque avec un couteau ou un tournevis. Il y a donc là un effet majeur dont il faut tenir compte. Il faudra peut-être plusieurs années pour voir les résultats, mais nous pensons que c'est possible.
M. Ramsay: Pourtant, la majorité des morts violentes ne sont pas causées par des armes à feu mais par d'autres instruments.
M. Yeager: C'est juste.
M. Ramsay: Ce que vous nous avez dit est sensiblement différent de la position d'autres témoins. Nous avons eu les représentants de cinq gouvernement à ce comité: le Manitoba, la Saskatchewan, l'Alberta et, bien entendu, les deux Territoires. Tous se sonts opposés à ce projet de loi. Comment cela se fait-il, à votre avis?
M. Yeager: Malheureusement, je n'ai pu assister aux séances où ils comparaissaient. Mais, de façon générale, et si j'anticipais bien l'orientation de votre question, notre association est opposée à la balkanisation du régime de contrôle des armes à feu pour permettra à certaines provinces ou territoires de se soustraire de ce type de législation. S'ils le faisaient, cela ne ferait qu'aggraver les choses et amplifierait l'importation d'armes illégales en provenance des États-Unis.
Par exemple, certains États américains ont une législation extrêmement laxiste en matière d'acquisition d'armes à feu. Nous avons constaté qu'il y a une masse d'armes dans la région Atlantique qui proviennent des États-Unis. Ce type de balkanisation est la raison même pour laquelle les États-Unis éprouvent tant de problèmes à instaurer un contrôle des armes à feu.
M. Ramsay: Ce n'était pas du tout le sens de ma question. À ma connaissance, les provinces ne demandaient pas une clause de désistement. La Constitution n'autorise pas un tel désistement. Ce n'était donc pas du tout ma question.
Nous sommes certainement tous préoccupés par la sécurité publique. Ce qui est en cause c'est le rapport entre ce projet de loi et la sécurité du public. C'est toujours ce problème qui est soulevé. Si vous nous montrez le lien, nous pourrons envisager d'appuyer le projet de loi, notamment la disposition principale qui est le système d'enregistrement. Mais, apparemment, nul n'a pu convaincre les provinces de l'existence d'un lien entre l'enregistrement des fusils et des carabines et la sécurité publique.
M. Yeager: Encore une fois, sur toute cette question des liens, il est malheureusement impossible de démontrer des résultats instantanés. Nous pouvons faire des corrélations entre la disponibilité d'armes à feu et les statistiques d'homicides, de suicides et d'accidents. Nous pouvons vous montrer des comparaisons internationales établissant cette corrélation entre l'accessibilité des armes à feu et les taux d'homicide et de suicide. C'est le genre de moyens de mesures indirectes que l'on peut utiliser à l'égard du contrôle des armes à feu.
De façon générale, plus on restreint la disponibilité d'armes à feu, et moins on comptabilise d'homicides, de suicides et d'accidents par armes à feu. C'est ce qui ressort de toutes les études. De manière générale, l'existence d'une arme à feu au domicile vous fait courir un risque de trois à cinq fois plus élevé de devenir victime d'un suicide ou d'un homicide que si vous n'en possédez pas. Si l'arme à feu chez vous est chargée, le risque de suicide devient multiplié par neuf.
M. Wappel (Scarborough-Ouest): J'aimerais aborder quatre aspects, en commençant par la page 4 de votre mémoire. J'ai d'ailleurs noté que votre mémoire est bref, ce qui est intéressant.
À la page 4, au paragraphe 3, vous parlez des peines d'emprisonnement obligatoires. Vous dites qu'elles «minent le concept de la peine totale». Qu'entendez-vous par-là?
M. Yeager: La notion de «peine totale» est une règle de common law relative à la sanction totale pour un acte ou une série d'actes particuliers. Elle est utilisée par les cours d'appel de tout le Canada pour tenter d'aligner et d'uniformiser les peines qui leur sont soumises en appel. C'est ce que l'on appelle la règle de la peine totale.
Le problème que pose une peine obligatoire est que, du fait que vous obligez le juge à imposer une deuxième peine obligatoire consécutive, en sus de la peine déjà prévue pour l'infraction, cela peut violer la règle de la peine totale.
Ce que l'on constate, dans la pratique, à l'égard de l'article 85 du Code criminel, c'est que la majorité de ces peines minimales ne sont jamais réellement imposées. Il y a une négociation de plaidoyer à laquelle se livre le procureur de la province où le crime a été commis et le coupable se voit habituellement infliger une lourde peine de toute façon.
Quatre-vingt-dix-sept pour cent des auteurs d'une infraction commise avec arme à feu sont condamnés à une peine d'emprisonnement. Nous ne sommes donc pas du tout dans une situation où ces criminels seraient traités avec mansuétude à l'heure actuelle.
M. Wappel: Monsieur Yeager, sans vouloir engager un duel sémantique, il me semble qu'il y a une différence entre une règle de peine totale et un principe de peine totale. Y a-t-il un arrêt de la Cour suprême du Canada qui aurait énoncé une telle règle qui s'imposerait à toutes les cours criminelles du Canada et qui prescrirait la prise en compte de la peine totale?
M. Yeager: Vous me prenez au dépourvu, monsieur Wappel. Je ne suis pas juriste et je vais devoir... Je suis entouré d'avocats.
M. Wappel: Ils pourront peut-être vous renseigner.
La raison pour laquelle je vous pose la question, monsieur Yeager - et ne pensez pas que je veuille vous prendre par surprise - c'est qu'à mon sens il n'existe pas de telle règle. Ce n'est qu'un principe.
Peut-être la majorité des juges du pays considèrent-ils la peine totale avant de l'imposer et de décider un certain nombre d'années d'emprisonnement, peu importe comment elles se décomposent pour les différentes infractions. Ils infligent une peine totale d'emprisonnement. D'autres juges ne suivent peut-être pas ce principe et déterminent la peine sur d'autes bases. C'est pourquoi j'aimerais savoir s'il y a un arrêt particulier que je ne connaîtrais pas et qui aurait soudainement transformé un principe en règle absolue.
M. Yeager: Permettez-moi de vous renvoyer au projet de loi C-41, monsieur Wappel. Il y a là un article intéressant sur l'un des principes fondamentaux dont vous avez parlé, par opposition à une règle. Si je puis vous lire ce principe, je crois que c'est exactement de cela que vous parlez. Cette disposition dit en substance qu'une peine doit être «proportionnée à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du contrevenant». C'est peut-être de cela que nous parlons tous deux.
M. Wappel: Mais j'ai cru vous entendre dire - et je tiens à préciser cela - c'est que vous considérez que le projet de loi C-68 impose des peines d'emprisonnement obligatoires et consécutives.
M. Yeager: Effectivement, la loi actuelle, le projet de loi C-85, impose une peine obligatoire consécutive de un à trois ans, selon les antécédents. Mon interprétation du projet de loi C-68 est qu'il ajoute des peines obligatoires consécutives pour toute une série d'infractions.
M. Wappel: Sans vouloir vous coïncer, pourriez-vous m'indiquer quelles dispositions du projet de loi C-68 imposent des peines obligatoires consécutives?
M. Yeager: Je parle peut-être du minimum obligatoire.
M. Wappel: Le minimum obligatoire et une peine consécutive obligatoire sont deux choses différentes.
M. Yeager: Permettez-moi de rectifier. Encore une fois, toutes mes excuses, monsieur Wappel; et j'apprécie vos questions. Je voulais parler de peines minimales obligatoire.
M. Wappel: Très bien.
Passons maintenant au suicide. J'ai remarqué que l'une de vos diapositives indique que la vaste majorité des suicides sont commis par des armes à feu longues. Avez-vous tiré des conclusions de cette statistique?
M. Yeager: Oui. Il y a une corrélation entre la disponibilité d'armes à feu et le suicide.
M. Wappel: Avez-vous tiré des conclusions à l'égard de la différence entre les taux de suicide par armes de poing et carabines ou fusils?
M. Yeager: Oui. Comme il est plus difficile de se procurer une arme de poing et plus facile de se procurer une carabine ou un fusil, il semble que la plus grande disponibilité d'armes à feu longues donne une corrélation plus forte avec le suicide.
M. Wappel: J'aimerais m'adresser un instant avec M. Oscapella.
Je crois savoir que vous connaissez bien le droit en matière de protection de la vie privée.
M. Eugene Oscapella (membre, Association canadienne de justice pénale): Oui.
M. Wappel: Je crois que vous avez été expert-conseil auprès du Comissaire à la protection de la vie privée sur plusieurs sujets?
M. Oscapella: Oui, c'est juste, et je le suis encore.
M. Wappel: Bien. Deux témoins ont exprimé la crainte que des pirates de l'informatique n'obtiennent accès par effraction au registre national des armes à feu - qui sera naturellement informatisé - et que des organisations criminelles ne puissent ainsi déterminer où se procurer des armes, et aussi que des renseignements ne soient transmis aux États-Unis permettant à ceux-ci de savoir où se trouvent les armes de chasseurs américains.
Avez-vous une opinion sur l'accessibilité potentielle de ces renseignements et, dans l'affirmative, quelle est-elle?
M. Oscapella: Comme toujours, l'acessibilité potentielle est un sujet de préoccupation. Il y a des façons de rendre des systèmes plus sûrs si l'on veut s'en donner la peine. Un moyen est le codage. Il faudrait poser la question au Commissaire de la protection de la vie privée. Il serait peut-être bon que celui-ci comparaisse devant votre comité pour traiter de certaines de ces questions. Le codage est l'une des façons de protéger l'intégrité des renseignements contenus dans la base de données.
L'autre façon serait d'assujettir la base de données, le registre, à la Loi sur la protection des renseignements personnels de façon que le Commissaire à la protection de la vie privé fédéral ait un rôle de supervision. On pourrait aussi régir des règles spécifiques limitant la communication de renseignements outre-frontière, par exemple.
Il est vrai qu'il n'existe pas de système de sécurité parfait. Nous ne l'avons constaté que trop souvent. Des pirates peuvent violer les systèmes, si bien qu'il faudra peut-être concevoir un système d'enregistrement dont les données seront codées. Il existe d'excellents programmes de codage et il faudra limiter l'accès à ces bases de données.
M. Wappel: Je vous remercie, monsieur.
Je reviens maintenant à M. Yeager. Je pense que vous allez devoir de nouveau consulter vos avocats. Les articles 91 et 92 de la Loi - cela concerne la partie III du Code criminel - érigent en délit la possession d'une arme à feu sans permis ou enregistrement. Avez-vous effectué une analyse de la différence entre les articles 91 et 92, du point de vue de la mens rea?
M. Yeager: Non, monsieur Wappel, nous n'avons pu analyser le projet de loi de façon aussi détaillée. La raison en est qu'il a été très difficile, vu les contraintes de temps, d'effectuer une analyse aussi détaillée et de la distribuer pour avis à nos 68 membres du conseil, et faire ici une représentation qui soit au moins partiellement intelligente. Malheureusement, je ne puis répondre à votre question.
M. Wappel: Si je vous pose la question c'est que l'un des principes cardinaux de la responsabilité criminelle est que la personne incriminée ait une intention coupable. De façon générale, le droit pénal ne punit pas en cas de non-criminalité; en d'autres termes, il ne punit pas une personne si celle-ci n'avait pas l'intention de commettre un crime. Ne seriez-vous pas de cet avis?
M. Yeager: Je pense que, dans l'ensemble, vous avez, raison, mais j'aimerais demander à monsieur Alie... Il y a certains articles du Code criminel dans le cadre desquels il n'est pas absolument nécessaire qu'il y ait mens rea, mais je n'en suis pas sûr.
[Français]
Me Alie: Non, je pense que M. Wappel a tout à fait raison dans son analyse concernant l'actus reus et la mens rea. Il faut également dire que souvent, dans l'actus reus, la mens rea est sous-jacente. Donc, comme il y a possession, il faut la justifier.
[Traduction]
M. Wappel: Votre association épouse, je pense, une opinion diamétralement opposée à celle de nombreux témoins qui sont venus nous rencontrer pour implorer le Comité de maintenir la criminalisation du défaut de faire enregistrer. Je me demande pourquoi vous favorisez le compromis? Pourquoi n'acceptez-vous pas ce qui est perçu par un grand nombre de témoins - mais pas tous, bien sûr - comme étant absolument essentiel à la réussite du programme d'enregistrement?
La vice-présidente (Mme Barnes): Ce sera votre dernière question, monsieur Wappel.
Je vous en prie, vous pouvez répondre.
[Français]
Me Alie: Monsieur Wappel, je pense qu'il faut faire une distinction entre dépénalisation et mesures alternatives. Ce que nous proposons, c'est de traiter de l'infraction, mais avec des mesures alternatives. Le terme qu'on utilise en anglais est «diversion». Nous ne voulons pas déresponsabiliser le fait d'avoir une arme à feu qui n'est pas enregistrée. Ce que nous voulons faire, c'est de traiter de ce cas de façon différente.
On pourrait examiner, par exemple, les mesures qui sont utilisées, en particulier en Ontario et au Québec, concernant le traitement différent appliqué à une personne qui commet une première infraction de vol à l'étalage et d'autres infractions criminelles dites techniques.
Que ferions-nous avec l'exemple suivant? Une dame de 70 ans a reçu un fusil en héritage, il y a une dizaine d'années. Malheureusement, elle ne l'a pas enregistré. Je pense que ce serait punir très sévèrement cette dame que de faire en sorte qu'elle ait un casier judiciaire parce que par inadvertance elle n'a pas enregistré cette arme.
Donc, tout en ayant un article qui punit le fait de ne pas avoir enregistré une arme, il faudrait quand même permettre à cette dame, par des mesures de diversion, de pouvoir bénéficier d'une mesure alternative. Je suis convaincu que cette dame serait tout à fait satisfaite d'une situation où on lui suggérerait tout simplement de disposer de l'arme et de la donner à quelqu'un. Ainsi, on évite une condamnation à une personne dont la condamnation ne serait pas proportionnelle à la gravité de l'offense.
M. Langlois: M. Wappel a touché un point fort intéressant lorsqu'il a relevé les articles 91 et 92 de la Partie III du projet de loi.
À l'article 91, le législateur veut faire une infraction criminelle du cas où une personne a en sa possession une arme sans avoir les permis et autorisations requises. À l'article 92, le législateur crée une infraction passible d'une sentence supérieure pour la personne qui a en sa possession une arme, sachant qu'elle n'a pas les permis requis.
Le législateur n'est pas censé parler pour ne rien dire. Vous avez dit que l'actus reus pouvait comprendre une mens rea sous-jacente. Ici, c'est assez clair. À l'article 92, le législateur dit: «Si vous avez une mens rea, votre peine maximale va être de dix ans et si vous n'avez pas de mens rea, selon l'article 91, votre peine maximale va être de cinq ans d'emprisonnement».
Je doute que le fait d'avoir une infraction criminelle sans test de mens rea résiste à un test de constitutionnalité. Je me rapporte au Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), où la Cour suprême avait mis plusieurs bémols à cette possibilité.
Est-ce que vous maintenez toujours la réponse que vous avez donnée à M. Wappel tout à l'heure? Je l'ai trouvée un petit peu rapide.
Me Alie: Écoutez. Comme on l'a dit tantôt, nous n'avons pas étudié le projet de loi sous cet aspect-là. Nous avons plutôt voulu présenter la position d'une association qui est beaucoup plus générale. Je dois invoquer le fait que les articles 91 et 92 n'ont pas été étudiés sous l'aspect de la légalité.
Il y aurait sûrement moyen de regarder ça davantage. Je ne peux pas vous donner de réponse comme ça.
M. Langlois: Tout à l'heure, vous avez parlé d'une autre question intéressante, à savoir la totalité de la sentence ou de la peine. En imposition de peine, il y a un critère qui est important, c'est la proportionnalité de la peine.
À l'article 92, lorsque le législateur se propose de rendre une personne qui n'a pas les permis requis passible de dix ans d'emprisonnement, trouvez-vous cela acceptable quand on sait que c'est exactement la même peine minimale que celle qu'on peut imposer à une personne trouvée coupable de meurtre au deuxième degré? Ne trouvez-vous pas qu'il y a une disproportion flagrante, totale et carrément inacceptable entre les deux infractions?
[Traduction]
M. Yeager: Si l'on veut parler généralité, je vous citerai un autre exemple. La peine pour cambriolage au Canada c'est l'incarcération à vie. Il est possible d'être condamnée à l'emprisonnement à vie pour les vols par effraction. Nous savons que dans la grande majorité dse cas, voire tous, ce n'est pas ce qui se passe. Les tribunaux reconnaissent depuis longtemps que ce n'est pas qu'ils aient prévu une peine maximale de 10 ou de 14 ans d'emprisonnement que c'est cette peine-là qui sera imposée. Dans la common law, les cours d'appel ont établi des sanctions et créé un barème informel fondé sur l'orientation du tribunal en matière de peines considérées comme étant appropriées.
En ce qui concerne la question du registre des armes à feu, un bon compromis serait peut-être que le Comité ne décriminalise pas la possession d'une arme non-enregistrée mais plutôt qu'il favorise certaines des mesures dont nous avons parlé lorsque nous avons comparu relativement au projet de loi C-41 concernant la détermination des peines. Il s'agissait de mesures de rechange, de peines de remplacement, de relaxation et d'autres choses du genre que nous aimerions voir intégrées au droit pénal canadien.
[Français]
M. Langlois: J'aimerais que vous m'expliquiez davantage la page 3 de votre mémoire lorsque vous parlez du casier judiciare relatif au défaut d'enregistrer une arme.
Vous dites que vous êtes favorable à un compromis qui permettrait d'envisager des mesures de rechange - c'est-à-dire de déjudiciariser - ou une libération inconditionnelle dans le cas de personnes en défaut d'enrgistrer leurs armes pour la première fois. Dans un cas comme dans l'autre, cela permettrait d'imposer des sanctions sans qu'il en découle un casier judiciaire.
Ce qui m'intéresse davantage, c'est la libération inconditionnelle.
Si on va voir la Loi sur le casier judiciaire, le chapitre C-47 des statuts du Canada, le paragraphe 2(3) se lit ainsi:
- Pour l'application de la présente loi, les personnes absoutes conditionnellement ou non,
aux termes de l'article 736 du Code criminel...
sont réputées avoir été condamnées pour l'infraction en cause.
L'article 3 nous dit:
- Toute personne condamnée pour une infraction à une loi fédérale ou à ses règlements peut
présenter une demande de réhabilitation au ministre à l'égard de cette infraction.
De quelle façon réussissez-vous à obtenir, par le biais de la libération inconditionnelle, l'absence d'un casier judicaire, alors que la Loi sur le casier judicaire nous dit justement que la libération inconditionnelle amène un casier judiciaire?
Me Alie: Dans un premier temps, si vous le permettez, le fait d'utiliser des mesures de diversion ou de déjudiciarisation empêche automatiquement qu'il y ait un casier judicaire pour la personne qui n'avait pas de casier antérieurement.
Dans le cas d'une absolution conditionnelle ou inconditionnelle, il est vrai qu'il y a des possibilités qu'il y ait des casiers pour une courte période de temps. Si vous allez un peu plus loin dans la Loi sur le casier judicaire, on indique également que suite à une période déterminée, la personne obtient automatiquement le pardon.
Évidemment, au niveau d'une absolution conditionnelle, le temps est plus long, étant donné qu'il faut attendre que la condition s'éteigne pour que la période d'absolution existe. Par la suite, il y a un moratoire qui est prévu dans la Loi sur le casier judiciaire. Ce sont des mesures qui s'échelonnent.
Ce que nous avons tenté de démontrer, c'est qu'il y avait une série de mesures dépendant de la gravité de l'infraction et de la situation que le procureur général ou son substitut aurait à étudier et analyser.
[Traduction]
M. Gallaway (Sarnia - Lambton): Monsieur Yeager nous avons entendu un grand nombre de témoins qui ont, comme vous pouvez vous l'imaginer, exprimé une vaste gamme d'opinions. Je comparerais cela - mais l'analogie est peut-être un peu simpliste - à un choeur grec d'Eliza Doolittle chantant «Show me». Ils veulent tous une preuve absolue que le système d'enregistrement va donner des résultats, et ce dès le lendemain de sa mise en place. J'ai été quelque peu impressionné par ce que vous avez dit au sujet des dix ou quinze années ou autres.
Pour s'écarter quelque peu de ce sujet-là, je suppose que ce que vous vouliez nous dire c'est qu'il y a un lien entre le contrôle des armes dans une société par voie de règlement et le genre de crimes ou d'incidents malheureux qui surviennent selon le genre de système de contrôles en place.
Pourriez-vous nous dire - et je reconnais que c'est une question injuste - sur quoi repose cette corrélation?
M. Yeager: Nous citons divers travaux de recherche, notamment à la note un, et il y a là plusieurs études épidémiologiques détaillées qui établissent ces corrélations. Pour vous donner un exemple, lorsque je vous ai montré le graphique sur les suicides, vous souvenez-vous de la probabilité d'un suicide dans la maison s'il s'y trouvait une arme chargée? Elle était neuf fois supérieure à la probabilité de suicide dans une maison sans arme à feu. Voilà le genre de données qui ont été fournies que nous avons vues. Je suis certain que d'autres témoins vous en auront parlé. Voilà le genre de données qui souligne ce que nous disons au sujet de cette corrélation entre les armes à feu et l'incidence de choses liées aux armes à feu et que nous n'aimons pas, notamment homicides, suicides, accidents et morts accidentelles.
Je suis d'accord avec vous, monsieur Gallaway. En tant que représentant de l'Association canadienne de justice pénale, nous ne proposons pas de satisfaction immédiate aux députés. Loin de nous pareille intention. Ce que nous disons c'est que pour pouvoir lancer une campagne de prévention, pour pouvoir changer la culture entourant l'utilisation et la mauvaise utilisation faite des armes à feu, il faut commencer par mettre en place diverses choses, notamment un système d'enregistrement.
M. Gallaway: Avez-vous fait, par exemple, des études sur la situation antérieure à la loi imposant le port de la ceinture de sécurité?
M. Yeager: Personnellement?
M. Gallaway: Pas vous personnellement, mais votre association.
M. Yeager: Je ne le pense pas.
M. Gallaway: Très bien. Merci.
Autre chose maintenant. Parmi la vaste gamme de personnes que nous avons rencontrées, chose étonnante - mais cela ne vous étonnera pas - il y en beaucoup qui ont tiré des conclusions diamétralement opposées aux propos que vous nous avez tenus ce soir. Par exemple, nous avons récemment entendu un médecin qui nous a dit que les articles parus dans le New England Journal of Medicine et que vous avez cités comportent, en matière d'armes à feu, des préjugés. Il semble que l'éditeur de la revue ait des opinions très tranchées sur le contrôle des armes à feu aux États-Unis et que cela transparaît dans la publication.
M. Yeager: Avez-vous demandé au témoin s'il savait que les articles qui paraissent dans le New England Journal of Medicine sont examinés préalablement par d'autres chercheurs et médecins avant même d'être acceptés en vue de leur publication? Avez-vous demandé au témoin s'il savait qu'ont participé à la préparation de ces articles quantité de chercheurs qui ont épaulé le Dr Arthur Kellerman? Avez-vous demandé au témoin de vous fournir des preuves que les données qu'ils vous fournissaient disant que ces articles étaient trompeurs avaient, elles, été examinées par d'autres préalablement?
M. Gallaway: Non.
Deux autres chercheurs qui sont largement cités ailleurs au pays et qui me viennent tout de suite à l'esprit sont Edgar Suter et Gary Mauser. Avez-vous eu l'occasion d'examiner les travaux de ces deux messieurs?
M. Yeager: Je connais les travaux de M. Mauser. Il me semble qu'il est professeur en administration des affaires dans l'Ouest. J'ai dû lire un ou deux de ses travaux. Quant à l'autre monsieur, je ne le connais pas.
M. Gallaway: Auriez-vous quelque chose à dire au sujet des travaux de M. Mauser que vous avez eu l'occasion de lire?
M. Yeager: Pas vraiment, sans avoir pu me replonger dans l'article et me rafraîchir la mémoire.
M. Gallaway: La question est peut-être trop générale pour vous, mais pourriez-vous nous dire quelle opinion vous avez de son travail?
Par ailleurs, un certain nombre de témoins que nous avons entendus ont cité des études qui avaient été officiellement financées par la National Rifle Association. Vous en méfieriez-vous ou pas? Pensez-vous que de tels travaux puissent être suffisamment objectifs?
M. Yeager: Il me semble que tant que l'on comprend la source de financement, l'idéologie et l'histoire de l'auteur, - et la NRA a une longue histoire - , il peut être utile aux députés de se pencher là-dessus. Je ne suis pas député. Je suis criminologue-chercheur. Si la National Rifle Association me fournit un travail de recherche, je vais, certes, l'évaluer en tenant compte de la longue histoire de cette association et de son intérêt pour cette question.
M. Thompson (Wild Rose): Vous avez dit tout à l'heure à mon collègue que lorsqu'une carabine et un fusil se trouvent dans la maison, cela accroît le risque de suicide ou d'homicide. Est-ce bien cela?
M. Yeager: En fait, la recherche qui a été effectuée fait ressortir que dans les maisons où se trouve une arme chargée, le risque du suicide est neuf fois supérieur à ce qu'il en serait autrement.
M. Thompson: J'ai entendu cela.
M. Yeager: Je pense que pour ce qui est de l'homicide, le risque est trois fois plus grand que s'il n'y a pas d'arme à feu dans la maison.
M. Thompson: Quelle différence y aurait-il si l'arme en question était enregistrée? On est censé se sentir mieux si elle l'a été?
M. Yeager: Non. Comme je l'ai dit, à notre avis, s'il y avait un système d'enregistrement assorti de quantité d'autres réformes et mesures en matière de contrôle des armes à feu, il est à espérer que cela changerait les mentalités et aurait une incidence générale sur l'entreposage sécuritaire, etc., en permettant par ailleurs d'intervenir auprès de personnes qui ne devraient peut-être pas posséder une arme à feu. Je songe notamment à celles qui ont déjà tenté de se suicider. Il existe toute une gamme d'approches possibles dans ce domaine.
Ce que nous disons, c'est que si l'on pouvait adopter une approche combinée en matière d'éducation, de prévention, de saisie, de rachat, etc., il faut espérer que cela réduira peu à peu les cas de mauvais usage des armes à feu au Canada. Cela ne viendra pas instantanément, ni même l'an prochain ou l'année d'après. Mais une tendance devrait commencer à se dessiner à long terme qui sera meilleure et plus sûre pour l'ensemble des Canadiens.
M. Thompson: C'est ce que vous pensez, mais vous n'avez pas de statistiques ou d'autres éléments pour appuyer ce que vous avancez. Ai-je raison de dire cela? Connaît-on des cas concrets où les choses ont évolué de cette façon?
M. Yeager: Non, monsieur. Monsieur Thompson, nous avons fait des comparaisons internationales en matière d'accessibilité aux armes à feu, et nous voyons clairement une corrélation directe entre la fréquence de possession d'armes à feu et le genre d'utilisation abusive de ces armes que nous déplorons. Certains de nos travaux de recherche s'appuient là-dessus.
M. Thompson: Parlez-vous d'armes enregistrées, ou tout simplement de leur présence dans la maison? Avez-vous des données précises sur les pistolets, carabines et fusils enregistrés?
M. Yeager: En fait, dans plusieurs des pays sur lesquels on porté nos comparaisons internationales, il existe des systèmes d'enregistrement et des interdictions. Je ne peux pas vous fournir de données précises; il me faudrait réexaminer notre travail et dresser la liste des pays qui ont mis en place de tels systèmes.
M. Thompson: Je pense que tous les membres du comité souhaiteraient avoir ces renseignements. C'est mon cas, à tout le moins.
Pour revenir maintenant à l'article 110 du projet de loi, j'aimerais parler d'une autre chose qui a souvent été évoquée savoir ce que vous en pensez, monsieur Yeager. Vous aurez sans doute besoin de longuement faire appel à des avocats là-dessus, comme ce fut le cas pour moi.
Lorsqu'on examine le projet de loi, on y voit des choses inquiètantes, comme l'indication de culpabilité, la preuve d'innocence, la perte du droit au silence et la confiscation sans compensation.
Puis il y a les règlements du gouverneur en conseil. L'article 110, à la page 45 énonce ceci: «Le gouverneur en conseil peut, par règlement..». Puis vient-toute une série de choses qu'il peut faire qui vont de a) à v) et occupent plusieurs pages. Ce sont des mesures dont s'occupent normalement les provinces, mais qui ne sont pas très importantes. Quoi qu'il en soit, il y en a des pages et des pages. L'alinéa t) est un petit peu inquiétant - et il devrait l'être - pour un certain nombre de personnes, car il traite des Autochtones.
Le texte est parsemé de termes comme «fixer» et «régir». Je pensais que c'était simplement des mots comme autres; je m'en suis servi de mon temps et ils avaient une certaine signification. Mais lorsque je parle avec des avocats, ils me disent que ces termes sont extrêmement importants. Ils englobent toutes sortes de choses. Lorsque le texte commence avec le mot «régir», je ne saisis pas très bien ce que l'on veut dire.
Je suis retourné les voir et ils m'ont montré la page 98 du projet de loi. Le paragraphe 117.15(2) dit ceci: «le gouverneur en conseil ne peut désigner par règlement comme arme à feu prohibée...». Cela sonne bien; on ne peut pas prohiber certaines choses, mais si l'on poursuit la lecture du texte, au bas du paragraphe, on découvre ce qui suit «...toute chose qui, à son avis, peut raisonnablement être utilisée au Canada...» C'est donc lui qui prend la décision.
Je reviens maintenant à la page 50 et au paragraphe 112.(6):
Il est entendu que le dépôt n'est pas obligatoire pour les règlements d'application de la partie III du Code criminel.
Les avocats à qui j'ai parlé - et j'en ai discuté avec plusieurs, parce que je ne voulais pas me limiter à une seule opinion - me disent que cela fait très peur. C'est le genre de chose qui bafone les libertés civiles et peut donner lieu à une confiscation pure et simple. Cela ne se produira peut-être pas sous l'actuel gouvernement, mais qui sait ce qui se passera dans 20 ou 50 ans. C'est ce que disent tous ceux qui viennent de vieux pays où Staline, Hitler et Castro ont agi de même. Ils craignent que ce genre de loi ne débouche sur un régime dictatorial.
M. Yeager: Je pense que tous les membres de l'Association sont ravis que vous soyez ici et que vous fassiez le nécessaire pour que ces questions soient examinées par le Parlement. Nous ne voudrions aucunement décourager les représentants élus d'examiner ce genre de chose.
M. Thompson: Madame la présidente, je n'ai pas eu l'occasion de poser ma question.
La vice-présidente (Mme Barnes): Vous avez utilisé le temps qui vous était alloué pour faire un discours. Vous avez disposé comme tout le monde de cinq minutes. En fait, vous en avez eu déjà près de huit.
M. Thompson: Cela me permet de me rattraper pour toutes ces fois où vous m'avez volé.
La vice-présidente (Mme Barnes): Oh, monsieur Thompson.
J'aimerais éclaircir un point que vous avez soulevé plus tôt. Vous avez dit que les règlements relèvent généralement des provinces. Je pense que tous les membres du comité savent que les lois, qu'elles soient fédérales ou provinciales, sont assorties de règlements. Si quelqu'un a besoin de plus de précisions là-dessus, il ou elle n'a qu'à en demander.
M. Gagnon (Bonaventure - Îles-de-la-Madeleine): Monsieur, dans l'application du projet de loi C-68, pensez-vous qu'il soit utile ou nécessaire de prévoir une amnistie pour certaines armes? Vous avez dit qu'il y en a eu par le passé et que cela a donné de bons résultats.
M. Yeager: Je pense que les campagnes de rachat, certaines variantes intéressantes de ces campagnes, ainsi que les campagnes d'amnistie et d'éducation peuvent toutes servir à éduquer la public et essayer de limiter l'accès aux armes à feu au Canada. Je pense que toutes ces initiatives pourraient être combinées dans le cadre d'une approche plus large.
Il se peut qu'il y ait d'autres belles idées auxquelles nous n'avons même pas songé.
M. Gagnon: Outre l'exemple américain que vous nous avez donné, celui de New-York, où l'on accepte un fusil ou une arme à feu en échange de 100$, pourriez-vous me donner des exemples de campagne d'amnistie qui ont eu lieu au Canada, en Europe ou ailleurs dans le monde dit civilisé?
[Français]
Me Alie: Je pense qu'on a assisté récemment à ce genre de programme d'amnistie. Je vous rappelle l'expérience qui a eu lieu aux Expos de Montréal, il y a deux ou trois semaines, où on a échangé des couteaux. Ce n'était pas exactement des armes à feu, mais des couteaux ont été échangés contre des casquettes ou des billets lors d'un match qui s'est déroulé il y a quelques semaines. Je suis sûr que si vous voulez avoir des informations là-dessus, il serait très facile de les obtenir par des coupures de presse, car on en a fait grand état dans les journaux.
M. Gagnon: Alors, vous n'avez aucune idée des coûts probables de la mise en place d'un programme pour inciter les gens à remettre leurs armes à feu, qui sont d'ailleurs considérées comme illégales selon ce projet de loi?
Me Alie: Non, l'aspect du coût économique d'une telle chose n'a pas été chiffré.
[Traduction]
M. Gagnon: Si je ne m'abuse, vous avez également mentionné que nous devrions plutôt nous efforcer de faire en sorte que les armes à feu soient à l'épreuve des enfants plutôt que de sensibiliser nos enfants aux dangers des armes à feu. Nous avons entendu un certain nombre de témoignages là-dessus au cours des dernières semaines. Les Autochtones et les habitants des régions rurales semblent croire que lorsqu'on a été élevé par un père qui possède une arme à feu - c'est mon cas - on sait comment s'en servir. À votre avis, quelle garantie cela procure-t-il? Est-ce que le risque d'accident de chasse ou de maniement d'arme diminue pour autant?
M. Yeager: La recherche...
M. Gagnon: Il y a tout un mythe qui entoure cela. On nous raconte que cela se transmet de père en fils ou de père en fille. Pourriez-vous, dans les quelques minutes qui nous restent, nous expliquer, en dépit de ce comportement ou de cet esprit familial en matière de possession d'arme à feu, pourquoi le nombre des accidents ne baisse pas?
M. Yeager: Monsieur Gagnon, vous avez assez bien exposé l'argument en question. Les données indiquent que l'accès aux armes à feu semble être l'un des principaux facteurs dont nous déplorons les conséquences - suicides, accidents et homicides - indépendamment du fait souvent, qu'il y ait ou non dans la famille une longue histoire de possession ou de connaissance des armes à feu. L'accès semble être l'un des éléments clés.
C'est pourquoi notre association a exhorté le comité à étudier et à améliorer le système d'enregistrement et les exigences en matière d'entreposage, à renforcer les mesures de saisie d'armes en cas de circonstances dangereuses et à lancer une vaste campagne d'éducation et de prévention pour essayer de changer les mentalités.
Quand j'étais enfant... mon père, et je m'en souviendrai toujours, avait chez nous un râtelier d'armes. Un jour, je lui ai demandé si je pouvais jouer avec un des fusils. Il m'a répondu: «Non, ils sont dangereux.» Par ailleurs, il disait avoir désarmé tous les fusils; aucun d'eux n'avait de percuteur. Je lui ait dit: «Papa, je ne comprends pas ce que tu veux dire.» Et il m'a répondu: «Eh bien, mon fils, aucun de ces fusils ne fonctionne.»
M. Thompson: J'essaierai d'être plus bref cette fois-ci. Comment vont les choses sous l'égide des lois actuelles?
M. Yeager: En ce qui concerne...?
M. Thompson: Comment vont-elles? Ces lois doivent produire quelque effet.
M. Yeager: Si l'on compare l'efficacité des lois canadiennes avec celles des États-Unis, on constate que nous protégeons manifestement beaucoup mieux nos citoyens. À mon avis, cela ne fait aucun doute.
M. Thompson: Dans votre mémoire ou votre déclaration, vous avez dit que, d'ici quelques années, on verrait à coup sûr un effet positif.
M. Yeager: Je suis sûr que nous verrons diminuer les chiffres qui vous déplaisent autant qu'à moi.
M. Thompson: Ne serait-il pas bon de reprendre une partie de l'ancienne loi rédigée seulement en 1992...? Le projet de loi C-17 date d'il y a trois ans seulement. Toutes les dispositions législatives en vigueur actuellement ont été révisées et renouvelées. Même le vérificateur général a dit que nous n'avions pas eu le temps de les évaluer. Pourquoi présenter un projet de loi sur les armes à feu comportant 124 nouvelles pages quand on ne sait même pas si la loi mise en place en 1992 est efficace ou non? Vous avez signalé qu'il faut des années pour établir cela.
M. Yeager: Oui, c'est vrai. Mais je pense que la meilleure réponse à votre question est le fait que la majorité de la population canadienne appuie ce projet de loi, comme le montrent les sondages. Je me trompe peut-être, mais, même au sein du Parti réformiste, il y a une légère majorité de vos députés qui favorisent un système d'enregistrement et de contrôle des armes à feu.
M. Thompson: J'en connais un ou deux. Je ne sais pas vraiment. Je n'ai pas les derniers détails.
Tous les sondages que nous avons effectués dans ma circonscription ont révélé un taux d'opposition d'environ 85 p. 100 et ceux réalisés dans ma circonscription de Vegreville un taux d'environ 88 p. 100. Un sondage miné auprès de tous les policiers de la Saskatchewan - les chiffres ont été confirmés aujourd'hui - montre que 86 p. 100 sont actuellement contre le projet de loi et que 98 p. 100 des policiers de Saskatoon le disapprouvent. Je pense qu'on peut se poser des questions au sujet des écarts entre ces sondages, mais ce n'est pas de cela que je veux parler ici.
Je veux dire que si vous êtes tellement déterminés à vouloir prendre des années pour vous assurer qu'un projet de loi donne de bons résultats, pourquoi ne le seriez-vous pas autant pour économiser de l'argent et vous en servir pour voir si les dispositions actuelles donnent de bons résultats? Elles n'existent que depuis trois ans.
M. Yeager: Parce que notre association estime que ce genre de système d'enregistrement est fondamental si l'on veut entreprendre des campagnes comme celles que nous souhaitons pour réduire le nombre d'homicides, de suicides et d'accidents consécutifs à l'utilisation d'armes à feu.
M. Thompson: Bien, c'est vous qui avez dit que vous alliez fournir les preuves de l'efficacité de l'enregistrement. Je serais heureux de les avoir.
La vice-présidente (Mme Barnes): Je pense que vous pourriez tous les deux fournir vos sondages et vos preuves à l'ensemble du comité. Merci.
Mme Ur (Lambton - Middlesex): Tout cela est nouveau pour moi et je vous demande donc de ne pas vous impatienter. Je ne ferai pas un long préambule parce que j'ai beaucoup de questions à poser. À la différence de mes collègues, je n'ai pas eu l'occasion de siéger à ce comité et de poser des questions depuis des semaines.
J'ai certainement apprécié deux de vos déclarations, l'une portant sur l'équilibre à atteindre et l'autre, sur le fait qu'aucune mesure ne peut à elle seule améliorer vraiment la situation, il faut une combinaison de plusieurs facteurs. Je suis d'accord avec vous à ce sujet.
Le quotidien de ma circonscription, The London Free Press, a dit au début de l'année que, d'après la police provinciale de l'Ontario, les régions rurales de cette province sont les plus sûres. Les chefs de police disent le contraire. Je ne sais pas qui croire.
Pensez-vous qu'il y a aussi un aspect culturel, une opposition entre la culture rurale et la culture urbaine?
Je crois que les armes à feu sont interdites au Japon, n'est-ce pas? Est-ce que le taux de criminalité n'augmente pas dans ce pays?
Pensez-vous que l'enregistrement ait fait l'objet de recherches permettant de déterminer si c'est véritablement une option parmi d'autres capable d'améliorer l'efficacité du projet de loi C-68?
M. Yeager: J'ai un petit peu de mal à suivre toutes ces questions.
Mme Ur: Voulez-vous que je les pose une par une? Très bien, répondez, s'il vous plaît, à celles que j'ai posées jusqu'ici, mais en vous dépêchant, j'en ai beaucoup d'autres.
M. Yeager: En ce qui concerne le Japon, vous avez raison. Ce pays a traditionnellement suivi une politique très stricte en matière de contrôle des armes à feu. Il y a différents criminologistes, des collègues, qui concluent, d'après moi, que grâce à cette politique, les taux d'homicides et de suicides attribuables à des armes à feu sont très faibles dans ce pays. Les suicides y sont très élevés, mais ils ne sont pas commis avec des armes à feu.
Votre autre question...
Mme Ur: Pensez-vous qu'on a effectué suffisamment de recherches au sujet de l'enregistrement pour déterminer si c'est une des options viables au regard du projet de loi C-68? Ou croyez-vous qu'il y a quelque chose de plus...
M. Yeager: Je pense que nous avons maintenant assez de preuves pour que les députés puissent se prononcer sur la viabilité et l'à-propos d'un système d'enregistrement qui servirait de pierre angulaire à un système global de lutte contre la criminalité et à la prévention du mauvais usage des armes à feu au Canada.
Mme Ur: Connaissez-vous d'autres mesures qui pourraient être meilleures ou plus efficaces à court terme?
M. Yeager: Nous avons parlé de l'équilibre à atteindre, vous vous en souvenez. Notre association appuie l'utilisation des armes à feu par les chasseurs qui gagnent ainsi leur vie ou par les collectionneurs. Nous n'avons jamais rien dit contre cela.
On peut utiliser les armes à feu dans des circonstances appropriées et légitimes. Je l'ai fait parfois et je suis sûr que certains de vos collègues l'ont fait aussi. Il s'agit de trouver un juste milieu afin que nous nous sentions tous protégés. C'est pour la même raison que nous avons des lois réglementant et autorisant l'utilisation des automobiles sur les routes. Sinon, nous serions sans doute d'accord vous et moi pour dire que se déplacer en ville serait un chauchemar.
Mme Ur: Mais pensez-vous réellement que l'immatriculation des automobiles a empêché les accidents ou la conduite en état d'ivresse...?
M. Yeager: Comparé à ce qui se passerait s'il n'y avait pas d'immatriculation, oui.
Mme Ur: Pensez-vous qu'il existe une différence culturelle entre les zones urbaines et rurales?
M. Yeager: Je ne vais pas répondre direcetement à cette question, je m'en excuse d'avance. Je pense qu'il existe une culture en ce qui concerne les armes à feu, que l'on vive en ville ou à la campagne. J'aimerais que cette culture change au Canada afin que l'on comprenne mieux comment il faut utiliser les armes à feu et quelles précautions doivent être prises pour s'en servir sans danger.
Mme Ur: Faut-il mettre en place un système d'enregistrement? Qui pourrait le mieux s'occuper de ce système, un groupe civil ou la police?
M. Yeager: Je me trompe peut-être, mais, à ma connaissance, les directeurs de l'enregistrement locaux seront des civils. Je n'en suis cependant pas sûr.
Mme Ur: Vous dites dans votre mémoire:
Les données obtenues dans l'État de New York relatives à l'ancienne Rockfeller Drug Act et à la Loi de l'État de New York de 1980 sur les armes à feu, indiquent que les peines obligatoires n'ont pas fait disparaître la criminalité reliée aux drogues ni le niveau de violence relié aux armes à feu.
Peut-on déduire de cette déclaration que l'enregistrement obligatoire ne supprimera pas la criminalité? Cela vous semble-t-il possible?
M. Yeager: Je ne sais pas. Je peux seulement citer les recherches effectuées au sujet des peines minimales obligatoires. En fait, c'est très intéressant. Une étude criminologique récente a porté sur l'efficacité des peines obligatoires dans 38 États en matière d'armes à feu; elle a montré à nouveau que celles-ci ne semblaient pas réduire les taux de criminalité ni le nombre de délits commis avec une arme à feu. Voilà ce que je peux vous dire. Il est difficile de répondre à une question purement hypothétique.
M. Thompson: Des membres du secteur immobilier craignent que des magasins ne puissent plus vendre leurs armes à feu et ferment leurs portes. Ce document a été déposé en février et les titres ont paru dans le Calgary Sun d'hier. Nous avons vérifié certains points aujourd'hui, mais nous n'avons pas eu le temps de faire des recherches plus approfondies. Or, depuis que ce projet de loi a été présenté, les ventes d'armes à feu dans les magasins de détail ont augmenté de 15 à 25 p. 100. Cela leur a paru assez surprenant. Il y a une ruée sur les munitions et sur les armes à feu.
Pensez-vous qu'il y ait une corrélation quelconque ici? Est-ce que cela vous paraît compréhensible?
M. Yeager: Il y a sans doute une corrélation, mais je ne sais pas laquelle. Je pense que chaque fois qu'on sera aux prises avec une mesure qui fait autant appel aux sentiments que celle-ci et qui suscite tant de conflits dans certaines couches de la société, on verra des réactions à court terme de ce genre.
Somme toute, quand ce projet de loi sera adopté et que le public se sera habitué aux modalités d'obtention du certificat et à l'obligation de suivre des cours de formation, je pense que le problème dont on parle aujourd'hui disparaîtra à la longue.
M. Thompson: Qu'allons-nous faire? Divers groupes et certains Autochtones ont clairement laissé entendre un peu partout que la loi ne serait peut-être que très mal respectée. Que devrions-nous faire, selon vous, si le problème prend des proportions importantes?
M. Yeager: Je ne crois pas que ce sera le cas. À mon avis, il ne prendra pas des proportions importantes parce que je ne pense pas que l'enregistrement d'une arme à feu sera plus compliqué que d'aller au ministère des Transports pour immatriculer une automobile. Je ne pense pas que ce sera difficile, une fois que les gens commenceront à s'acquitter de ces formalités.
Et, ce qui est encore plus important, ils sauront que leurs collègues, leurs amis et d'autres qui possèdent des armes à feu et qui sont allés les enregistrer, n'ont rencontré aucune difficulté effarante.
M. Thompson: Cela reste à voir. À ma connaissance, certains pays qui prévoyaient un système d'enregistrement l'ont annulé précisément pour cette raison. La situation était telle que personne ne le respectait.
Dans son plan financier, le ministre de la Justice cite le chiffre de 85 millions de dollars. Il est ventilé par secteurs de dépenses. Nous avons 85 millions de dollars à dépenser que nous voulons répartir sur cinq ans. On pourrait engager 850 personnes pour s'occuper de la lutte contre la criminalité, la contrebande ou que sais-je d'autre.
N'est-il pas plus logique de former quelques personnes pour mieux protéger nos frontières contre la contrebande laquelle nous échappe actuellement, comme en témoignaient les enquêteurs responsables de ce domaine? C'est mon avis, car nous savons que moins on récupère de gens vivant dans les rues et en première ligne, plus le taux de criminalité augmente. C'est ainsi. N'est-il pas plus logique de faire cela que d'enregistrer des carabines et des fusils de chasse?
M. Yeager: Votre association vous a informé ainsi que vos collègues que cette mesure correspondait exactement à ce qu'en a dit M. Allan Rock, c'est-à-dire que c'est en quelque sorte un élément fondamental d'un système de prévention du crime. La somme de 85 millions de dollars que l'on prévoit dépenser en cinq ans nous paraît tout à fait justifiée en égard à la sécurité et à la protection à long terme des citoyennes et des citoyens du Canada. Je sais que nous ne sommes pas toujours d'accord, vous et moi, sur ce genre de question, mais nous respectons nos points de vue respectifs.
M. Thompson: Le plus souvent.
M. Yeager: Quoi qu'il en soit, nous sommes d'avis que cet argent sera très bien dépensé pour la protection et la sensibilisation à long terme de la population. Nous aimerions qu'on l'utilise de cette façon plutôt que d'engager des agents pour patrouiller à la frontière. Nous pensons que ce sera plus rentable à long terme, ce qui correspond précisément à l'objectif de ce projet de loi.
Mme Ur: L'un des principaux éléments en matière de responsabilisation consiste à s'assurer que les armes sont entreposées en lieu sûr. Comment applique-t-on cela et savez-vous combien d'accusations ont été portées?
M. Yeager: Je ne connais pas le nombre des accusations. Je crois qu'on a commencé à les recenser depuis un an ou deux seulement. Je suppose que les représentants du ministère de la Justice ont témoigné devant le comité. Peut-être n'avez-vous pas eu l'occasion de poser cette question qui mérite tout à fait d'être suivie avec les fonctionnaires du ministère de la Justice. J'aimerais moi-même le savoir car c'est une donnée essentielle pour commencer à sensibiliser la population et à appliquer cet aspect de la loi actuelle.
Mme Ur: Vous avez parlé de sensibilisation. Pensez-vous que celle-ci soit insuffisante en ce qui concerne le propriétaire légitime d'une arme à feu qui achète une arme ou le grand public?
M. Yeager: Notre association est d'avis, en ce qui a trait à la culture relative à l'utilisation des armes à feu, qu'il faut commencer par une campagne de sensibilisation à l'échelle nationale sans se limiter aux utilisateurs de ces armes. Les détenteurs de certificats vont être tenus - par la loi, comme vous le savez déjà, - de suivre un cours spécial de formation. En outre, pour obtentir le certificat, il faudra procéder à une vérification des antécédents.
Mme Ur: Pensez-vous que les fusils de chasse sont les principales armes des membres des milices?
M. Yeager: Des milices?
Mme Ur: Les craintes que vous inspirent les fusils de chasse et les carabines sont reliées aux milices, si leurs membres font vraiment montre de machisme et paradent avec leurs fusils de chasse.
M. Yeager: Personnellement, j'ai peur des armes à feu.
Mme Ur: Là n'est pas ma question. Je peux comprendre cela; je ne les aime pas beaucoup non plus. Mais pensez-vous vraiment que les principales armes des milices sont les fusils de chasse?
M. Yeager: Je ne sais pas si c'est leur arme principale; je sais qu'au sud de la frontière, elles utilisent des armes automatiques paramilitaires. Cela me fait terriblement peur. On me dit qu'il y a des milices au Canada et que leurs convictions sont aussi fermement ancrées que celles de leurs homologues du sud. C'est une perspective qui m'effraie vraiment.
Mme Ur: Quelle méthode proposeriez-vous d'utiliser pour enregistrer les armes à feu qui ne comportent ni numéro de série ni numéro de modèle? Quelles dispositions devraient selon vous figuer dans le projet de loi à ce sujet?
M. Yeager: Je ne sais pas vraiment, mais, si je comprends bien le perojet de loi, il me semble que toutes les armes à feu devraient comporter un numéro de série.
Mme Ur: Je sais que, là d'où je viens, certaines n'en ont pas.
La vice-présidente (Mme Barnes): Je crois que la GRC nous a donné des renseignements précisément à ce sujet aujourd'hui.
M. Thompson: Dans mes déplacements à travers le pays, je me suis rendu dans divers postes de police. J'ai toujours demandé, et on m'y a toujours autorisé, à voir leur salle de confiscation, celle où l'on range les drogues et tous les autres articles saisis. Ces salles contiennent le plus souvent une quantité stupéfiante d'armes à feu. Dans ma circonscription, j'ai vu plusieurs carabines et fusils de chasse.
Bien sûr, ils avaient été confisqués lors de conflits familiaux. Les policiers les avaient pris parce qu'ils n'étaient pas rangés correctement dans un placard et qu'ils étaient trop facilement accessibles. À quelques reprises, ils les avaient saisis à l'occasion de réceptions où les gens buvaient beaucoup et se bagarraient. Les voisins avaient appelé la police pour qu'elle vienne rétablir le calme. Elle avait trouvé les armes en arrivant et les avait prises parce que la loi actuelle lui permet de le faire.
Il y a beaucoup de dispositions de la loi actuelle que vous vous félicitez de retrouver dans ce projet de loi, pour éviter telle ou telle conséquence. Mais beaucoup d'entre elles sont déjà en place. En fait, la seule mesure qui n'y figure pas, c'est l'enregistrement - la partie la plus coûteuse de ces dispositions et celle dont rien ne prouve qu'elle permet véritablement de réduire la criminalité.
Nous sommes d'accord avec vous sur tous ces autres éléments. Ils sont là et la police les applique déjà. Je ne pense pas que celle-ci voudra entrer dans les domiciles privés pour voir si les gens ont ou non enregistré leurs armes, surtout si les policiers travaillent dans les collectivités depuis plusieurs années. Ils ne veulent pas donner l'impression de harceler la population.
J'aimerais que vous me répondiez. Qu'y a-t-il que nous ne fassions pas maintenant et que ce projet de loi permette vraiment d'améliorer? L'enregistrement n'améliorera pas du tout la situation puisque la plupart de ces choses se font déjà.
M. Yeager: Je vais peut-être me répéter. Je pense que, dans l'ensemble, nous vous avons déjà expliqué comment nous interprétons les recherches existantes et quelles vont être, selon nous, les répercussions de ce projet de loi à courte et à longue échéance. Si je ne me trompe, nous avons parlé de l'approche générale et de tout ce qui nous paraît essentiel, notamment la nécessité de mieux connaître ce qui s'attache à la possession d'une arme à feu et le rôle fondamental de l'enregistrement à cet égard. Je ne pense pas que nous arrivions à nous entendre là-dessus, mais nous faisons de notre mieux pour répondre à vos questions.
M. Thompson: Vous savez que toutes ces dispositions existent déjà dans nos lois.
M. Yeager: En partie du moins.
M. Thompson: À part l'enregistrement.
La vice-présidente (Mme Barnes): Avez-vous d'autres questions? Il vous reste deux minutes.
M. Thompson: Non, je veux compenser les huit minutes antérieures.
La vice-présidente (Mme Barnes): D'accord, nous sommes quittes, monsieur Thompson. C'est très bien.
J'ai quelques questions à vous poser. À la page 3 de votre mémoire, vous parlez du casier judiciaire relatif au défaut d'enregistrer une arme. Vous proposez des options intéressantes que le comité pourrait étudier.
L'un des principes de l'établissement des peines tient à la proportionnalité entre le délit et la peine. Vous dites notamment que, au lieu d'en arriver à une condamnation qui entraîne un casier judiciaire, il vaudrait mieux saisir les armes du contrevenant et lui interdire de posséder quelque arme à feu que ce soit pendant un certain nombre d'années. Vous aviez précédemment parlé de six mois.
J'ai certaines réserves au sujet de la saisie d'une arme qui peut valoir plusieurs milliers ou plusieurs centaines de dollars. Je pense à l'invocation du droit de propriété. Qu'est-ce que cela donnerait et y avez-vous réfléchi à fond? Je me fais ici l'avocat du diable.
[Français]
Me Alie: Madame la présidente, vous n'êtes pas sans savoir que le Code criminel prévoit actuellement des mesures de prévention. Ces mesures de prévention sont des mesures temporaires qui pemettent, effectivement, de saisir, de confisquer ou de déposséder, de façon temporaire, une personne de ses armes à feu. Ceci se fait par requête.
Éventuellement, après la prohibition ou après que l'interdiction ne soit terminée, la personne peut posséder des armes à feu. Souvent, les armes qui ont été confisquées lui sont ramenées.
Plus souvent qu'autrement, en pratique, ce qui se produit, c'est que la personne n'a pas le droit d'être dépositaire d'une arme à feu pendant la période d'interdiction. Elle doit s'assurer qu'une autre personne, dûment qualifiée - c'est-à-dire qui a un certificat d'acquisition - est en mesure d'entreposer les armes à feu et de voir au dépot de l'arme à feu pendant la période d'interdiction.
Concernant la préoccupation que vous avez de ce que la personne perde une arme à feu qui puisse avoir une certaine valeur pécuniaire ou sentimentale, il y a des dispositions qui sont prévues et qui sont fonctionnelles pour assurer ce genre de choses.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Barnes): En bref, nous pourrions faire cela maintenant déjà en vertu de certaines dispositions actuelles du Code.
Je voudrais également attirer votre attention sur le fait que nous avons souvent entendu parler du droit au silence. J'aimerais qu'un des juristes nous dise comment celui-ci se manifeste en matière de justice criminelle.
[Français]
Me Alie: Votre question est très pertinente. Sur mon bureau, il y a justement une décision récente de la Cour suprême à ce sujet.
Essentiellement, on peut dire que le droit au silence, c'est le droit qu'une personne a, en vertu de la Charte, de répondre ou non aux questions qui lui sont posées à partir du moment où elle est accusée. Elle n'est pas obligée et ne peut pas être obligée de répondre à des questions. On peut lui poser les questions, mais elle n'a pas l'obligation d'y répondre.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Barnes): Madame Koehler, voulez-vous répondre à cela?
Mme Marlene Koehler (membre, Association canadienne de justice pénale): Non.
La vice-présidente (Mme Barnes): Le droit au silence intervient une fois que quelqu'un a été accusé d'un délit criminel?
Me Alie: C'est exact.
La vice-présidente (Mme Barnes): D'accord, merci. Il ne s'applique pas lorsque quelqu'un vient frapper à la porte pour effectuer une inspection?
Me Alie: Non. En fait, n'importe qui peut interroger n'importe qui. Il s'agit de savoir si vous voulez répondre ou non. Si rien dans la loi ne vous oblige à répondre, vous n'avez tout simplement pas à le faire.
La vice-présidente (Mme Barnes): Dans la même partie de votre mémoire, il y a quelque chose que je voulais examiner pendant une minute. Vous déclarez:
L'association est favorable à un compromis qui permettrait d'envisager des mesures de rechange (c'est-à-dire de déjudiciarisation) ou une libération inconditionnelle dans le cas de personnes en défaut pour la première fois d'enregistrer leurs armes.
Recommanderiez-vous la même chose si, par exemple, je n'ai pas de casier judiciaire et que je reçois ce soir une arme à feu non enregistrée et que je commets un acte criminel? Ne voudriez-vous pas que l'on m'accuse de n'avoir pas enregistré une arme si celle que j'avais aurait dû être enregistrée?
M. Yeager: D'après les dispositions des mesures de rechange du projet de loi C-41, comme vous vous en souvenez, madame la présidente, le bureau du procureur de la Couronne peut à sa guise rejeter votre demande, malheureusement. Dans votre cas, je serais en faveur d'une déjudiciarisation.
La vice-présidente (Mme Barnes): Tant mieux. Je pense que cela donne de bons résultats.
M. Yeager: Le bureau du procureur de la Couronne pourrait, s'il le voulait, refuser de vous faire bénéficier de la déjudiciarisation. Si vous allez commettre un nouveau délit avec l'arme à feu que vous venez d'acheter, vous pouvez sans doute envisager une peine d'emprisonnement plus sévère.
La vice-présidente (Mme Barnes): Vous ne voulez cependant pas qu'une accusation soit portée, comme c'est le cas à l'heure actuelle, dans le projet de loi proposé. Vous aimeriez que l'on applique ces accusations moins sévèrement, si je peux m'exprimer ainsi. Voilà comment j'interprète ce que vous dites-là. Maître Alie.
[Français]
Me Alie: Madame la présidente, nous ne sommes pas pour la dépénalisation en tant que telle. Ce que nous voulons dire, c'est que nous voulons qu'il y ait une infraction qui existe. Nous sommes d'accord sur le fait qu'il y ait une infraciton qui existe, sauf qu'il y a une situation de compromis où on pourrait, de façon alternative, traiter d'une situation criminogène où une personne pourrait possiblement être accusée. Quand on fait référence au projet de loi C-41 - c'est ce à quoi on faisait référence - , le procureur a la liberté, la discrétion, si vous voulez, pour déposer ou non des accusations. Dans certains cas, on permet qu'il y ait des façons autres que la judiciarisation pour traiter du dossier.
Tantôt, je donnais l'exemple de la bonne dame qui aurait reçu, dans une succession, une arme à feu et qui, par inadvertance, l'aurait simplement mise au grenier. Sept ans plus tard, on lui demande si elle a une arme à feu, elle répond: «Oui, la voilà». On l'accuserait alors essentiellement de ne pas avoir entreposé correctement l'arme, par exemple, de ne pas avoir fermé le verrou de sécurité. Ce serait une infraction technique. Ce serait possiblement un cas où on pourrait procéder par déjudiciarisation.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Barnes): Je ne suis peut-être pas assez claire.
Ce que je veux dire c'est que, à mon avis, il y a une différence entre quelqu'un qui est pour la première fois en défaut en matière d'enregistrement d'une arme et qui n'a pas commis d'autres délits et quelqu'un qui n'a pas enregistré une arme mais l'utilise pour commettre un délit criminel et est pris sur les faits. J'aimerais que l'on fasse une distinction entre les deux situations.
M. Yeager: C'est exactement ce que nous avons essayé de mettre en relief devant le comité. Il faudrait en quelque sorte un compromis permettant d'utiliser une partie du travail réalisé dans le cadre du projet de loi C-41 sans décriminaliser cette question de l'enregistrement.
Il y a la possibilité de travailler avec les gens au niveau local et de laisser une marge de manoeuvre au bureau du procureur de la Couronne et aux tribunaux, ce qui donnera de bien meilleurs résultats que si nous prenons nous-mêmes toutes les décisions ici dans ce cadre somptueux.
On peut trouver un compromis à ce sujet qui répondra aux attentes du comité.
La vice-présidente (Mme Barnes): Je comrpends mieux maintenant ce que vous voulez dire, et je vous remercie d'avoir éclairé ma lanterne.
Je vous remercie également de votre intervention ici ce soir.
La séance est levée jusqu'à demain matin.