TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 16 mai 1995
Le président: Je déclare la séance ouverte. Nous poursuivons l'examen du projet de loi C-68, Loi concernant les armes à feu et certaines autres armes. Avant d'entendre les témoins, nous avons une petite question à régler concernant les travaux futurs. S'il n'y a pas de débat, nous pourrons la régler tout de suite. Si vous voulez débattre la question et prolonger la discussion, alors nous ne la réglerons pas tout de suite, car je ne veux pas faire attendre nos témoins.
Jeudi, nous avions prévu que des députés comparaîtraient devant le comité. Nous leur avions réservé toute la journée. Or, il semble que la matinée nous suffira pour les entendre et nous en aurons fini à 12h30, ou au plus tard, à 13 heures. L'après-midi est donc libre.
Vous vous rappellerez que, la semaine dernière, nous avions convenu que le ministre devrait comparaître vendredi à 9 heures et qu'il serait suivi de ses collaborateurs, afin de poursuivre la séance que nous avons tenue vendredi dernier avec toutes sortes de représentants du ministère. Puisque l'après-midi de jeudi sera libre, on nous propose de recevoir les représentants du ministère à 15h30 ce jour-là et pour tout l'après-midi, et que nous entendions le ministre le vendredi matin. Vous serez ensuite libres de rentrer dans vos circonscriptions. Nous avons consulté certains membres et ils semblent être d'accord sur cette proposition. Êtes-vous d'accord là-dessus?
Des voix: Bravo, bravo!
Le président: Alors, c'est convenu.
Ce matin je suis heureux d'accueillir un panel de trois groupes. Ce sont tous des groupes composés de victimes qui représentent des victimes de crime.
Il y a tout d'abord le groupe des Canadiens contre la violence partout recommandant sa révocation, connu également sous le nom de CAVEAT, représenté par sa présidente, Priscilla de Villiers et Carole Walzak, l'une de ses administratrices.
Nous avons également le groupe Victimes de violence, représenté par son vice-président, Robert McNamara et Mark Hogben, un de ses membres.
De l'université Concordia à Montréal, nous entendrons Charles Bertrand, vice-chancelier et recteur par intérim.
Je tiens à aviser le comité ainsi que les représentants des médias que nos groupes de témoins ce matin seront les 59e et 60e et 61e groupes que nous aurons entendus sur ce projet de loi. Cela ne veut pas dire que nous avons tenu 61 séances; nous entendons souvent deux ou trois groupes de témoins à la fois. Mais, depuis le 24 avril, date à laquelle nous avons commencé nos audiences, alors que le ministre était présent, l'université Concordia sera notre 61e groupe. J'ai passé de nombreuses années dans les comités et je peux vous dire d'expérience que celui-ci est très productif.
Nous allons maintenant entendre ces groupes dans l'ordre où ils figurent sur l'avis de convocation. Comme vous le savez, nous vous demandons de limiter vos observations liminaires à environ 15 minutes. Étant donné qu'il y a trois groupes, j'espère que vous respecterez cette limite. Si vous pouvez lire votre mémoire dans ce laps de temps, c'est très bien. Si vous ne le pouvez pas, nous vous demanderons de le lire en partie, ou d'en souligner les grandes lignes, puisqu'il est entendu que les membres du comité ont en main le mémoire au complet et que ce dernier peut être au besoin annexé aux procès-verbaux et témoignages si vous n'avez pas le temps de le lire en entier.
Je donne donc la parole à Mme de Villiers.
Mme Priscilla de Villiers (présidente, Canadiens contre la violence partout recommandant sa révocation): Monsieur le président et membres du comité, je vous remercie beaucoup d'avoir accepté de nous entendre.
Je vais demander à Carole Walzak de lire des parties de notre mémoire et nous pourrons ensuite répondre toutes les deux à vos questions.
Mme Carole Walzak (administratrice, Canadiens contre la violence partout recommandant sa révocation): CAVEAT est un organisme de charité national à vocation populaire qui se fait l'interprète des victimes de violence et de la population. Notre mission consiste à contribuer à la création et au maintien d'une société paisible, juste et sans danger.
Tous les membres de CAVEAT ne sont pas des victimes primaires ou secondaires. La majeure partie de nos membres sont des gens qui s'inquiètent considérablement de la violence qui s'intensifie dans notre société, que ce soit dans les médias, au foyer ou dans la rue.
En 1991, trois mois après la mort brutale de sa fille Nina, Priscilla de Villiers a comparu devant le comité sénatorial pour faire une déclaration au sujet du projet de loi C-17. A l'époque, nous connaissions peu de détails au sujet de l'affaire Yeo, mais nous étions convaincus qu'un processus de certification de la catégorie et du nombre des armes à feu serait avantageux. Nous sommes toujours d'avis que cinq personnes seraient peut-être encore en vie aujourd'hui si un tel système avait été mis en place.
Nina de Villiers a été assassinée par Jonathon Yeo, un agriculteur qui était très attaché à ses enfants, mais qui était également un homme psychotique qui avait des antécédents de violence contre les femmes depuis 11 ans. Lors de l'enquête sur sa libération sous caution à la suite d'une accusation d'agression sexuelle au cours de laquelle il avait utilisé un couteau et une arme à feu, aucune tentative n'a été faite afin de lui retirer son arme même s'il était de toute évidence un homme dangereux.
L'avocat qui le défendait avait déclaré à l'enquête que Yeo subirait une évaluation psychiâtrique à l'Institut psychiatrique Clark. Cependant, ni le psychiatre, ni l'avocate de Yeo n'ont fait part des résultats de l'évaluation aux tribunaux en raison du caractère confidentiel de ces renseignements. Il a donc été libéré sous caution et a tenté de traverser la frontière pour se rendre aux États-Unis armé d'une carabine de calibre .22 dont il était légalement propriétaire. Il pouvait légalement porter cette arme, jusqu'à l'enquête sur sa libération sous caution, aucune restriction ne lui avait été imposée quant au port d'une arme à feu.
Cette carabine, dont il s'est servi pour agresser sexuellement une femme de Hamilton, a également servi pour assassiner Nina. Elle a été utilisée lors de l'agression sexuelle et le meurtre de Karen Marquis du Nouveau-Brunswick, et Jonathon Yeo s'en est lui-même servi pour se suicider.
Les graves circonstances de cette affaire ont été examinées au cours d'une enquête approfondie sur le décès de M. Yeo et ont débouché sur 137 recommandations visant à améliorer la sécurité du poublic dans de nombreux domaines. Si des restrictions sur les armes à feu avaient existé à l'époque, trois vies auraient pu être épargnées.
En même temps, à Hamilton, une autre famille était victime d'une autre perte tout aussi tragique. La famille Edwards était en cause dans le procès de George Lovie accusé du meurtre de Arnold et de Donna Edwards.
Lovie avait obtenu une autorisation d'acquisition d'armes à feu, mais son dossier avait été mal classé par le numéro et le nom. Il a par la suite harcelé Michelle et, dans l'intervalle avait tué les parents de celle-ci avec son arme à feu qu'il portait légalement. Heureusement, Michelle a réchappé de cette épreuve.
Aucun exemple ne peut démontrer clairement si un système d'enregistrement des armes à feu aurait pu être efficace pour prévenir ces décès tragiques et insensés.
Notre exposé aujourd'hui se fonde sur des recherches effectuées par un groupe de gens qui partagent un intérêt commun en vue de promouvoir la sécurité publique, grâce à une loi globale sur les armes à feu qui ne fera qu'aider à atteindre cet objectif.
Le projet de loi C-68 doit inclure un système d'enregistrement et de certification des armes à feu si nous voulons nous attaquer à la fois au problème de l'utilisation criminelle de ces armes et aux pertes de vie et blessures accidentelles ainsi qu'aux suicides inutiles associés à bon nombre de types d'armes.
Il existe trois mécanismes où l'accessibilité à des armes accroît la violence. Les armes à feu incitent à la violence, la facilitent et l'intensifient. On doit reconnaître qu'elles sont destinées à tuer. Ce n'est pas parce que les armes à feu peuvent être utilisées à des fins sportives ou de collection ou autres qu'elles ne sont pas pour autant dangereuses. Tout système de contrôle des armes à feu doit tenir compte de ce fait élémentaire.
Nous sommes profondément troublés du fait que tout le débat sur la loi sur le contrôle des armes à feu soit centrée presque exclusivement sur les inconvénients et la prétendue menace aux droits civils des propriétaires légitimes d'armes à feu. On a très peu parlé, si tant est qu'on l'ait fais, de la souffrance humaine incalculable causée par l'utilisation des armes à feu, qu'elle soit criminelle, accidentelle ou auto-infligée. Les morts et les blessures traumatisantes sont classées parmi d'autres statistiques et on ne tente absolument pas d'évaluer la perte énorme qui en résulte pour notre société, nos collectivités et nos familles. Il est temps d'orienter le débat sur les droits du public à la sécurité, plutôt que sur ceux des propriétaires d'armes à feu. Plus particulièrement, on doit reconnaître le problème de la violence familiale faite aux femmes et aux enfants avec des armes à feu obtenues légalement.
Nous reconnaissons que les propriétaires d'armes à feu expriment des convictions profondes et craignent que :
L'enregistrement de toutes les armes à feu et l'interdiction de certaines d'entre elles, tel que le propose le gouvernement du Canada n'imposent un fardeau intolérable aux trappeurs, chasseurs et autres citoyens respectueux des lois; les contrôles sur les armes à feu, les munitions et les propriétaires légitimes d'armes à feu qui sont proposés dans le projet de loi C-68 sont une atteinte à nos libertés traditionnelles qui sont au coeur même de notre histoire et de notre culture.
Cette citation est tirée de l'assemblée générale annuelle de la B.C. Trappers Association .
Nous comprenons la profondeur du sentiment des propriétaires d'armes à feu exprimé dans cette déclaration, mais nous ne pouvons pas passer outre aux conséquences terribles de ces armes, qu'elles soient légalement obtenues ou non, pour notre société.
En outre, nous sommes profondément troublés par des informations largement répandue par bon nombre de déclarations que font entendre les ténors du droit à la possession d'armes à feu. Nous ne demandons pas une interdiction totale de toutes ces armes, comme on le laisse souvent croire. Ce que nous demandons plutôt, au nom de toutes les victimes de violence dont bon nombre demeurent sans nom, inconnues et non reconnues, c'est l'appui de ceux mêmes qui comprennent les problèmes et sur qui rejaillissent les conséquences d'une utilisation irresponsable des armes à feu.
Dans ce contexte, j'aimerais parler de l'enregistrement des armes à feu, question très importante et très controversée. L'enregistrement de toutes les armes à feu légitimise le privilège de la propriété et elle est nécessaire en tant que mesure de responsabilité. Il donne en outre aux organismes d'application des lois les outils vitaux pour évaluer le risque et contrôler l'acquisition et l'utilisation illégale des armes à feu.
Le projet de loi C-68 constitue le premier pas pour établir un processus de contrôle global des armes à feu, ce qui ne sera qu'un élément, quoique essentiel, d'une stratégie systématique de prévention de la violence.
Pour lancer le processus, nous devons tout d'abord définir la propriété légale si nous voulons établir une définition claire de la possession illégale d'armes à feu. L'enregistrement de toutes les armes légales permet d'avoir un inventaire de celles qui se trouvent à l'heure actuelle au Canada. À partir de là, on peut commencer à déterminer l'ampleur du problème des armes à feu illégales.
CAVEAT appuie le projet de loi C-68, bien que nous estimions que le délai de cinq ans prévu pour son application est trop long. La protection du public est urgente et primordiale. Chaque décès qui aurait pu être évité est inacceptable. CAVEAT a de graves réserves quant au fait d'accéder aux demandes des propriétaires d'armes à feu qui menacent de recourir à l'anarchie et à la désobéissance civile, car comme nous le disons dans notre déclaration de principes, l'échec du système est inacceptable et impensable, puisque cela mène à l'anarchie, à des citoyens armés, au vigilantisme, etc.
Nous sommes outrés par le fait que des citoyens américains tentent de s'ingérer dans notre politique. Nous souhaitons que notre gouvernement examine le projet de loi sans se préoccuper des menaces de représailles de la part du lobby américain des armes à feu. Nous sommes d'avis que des mesures de contrôle globales plus strictes jouent un rôle essentiel pour combattre la violence croissante dans notre société.
Une politique rationnelle et uniforme sur les armes qui sera strictement appliquée enverra un message explicite à tous les Canadiens et au monde entier disant que nous ne tolérerons d'aucune façon l'utilisation criminelle et irresponsable des armes à feu ni leur importation. On ne peut continuer à passer sous silence la souffrance humaine inacceptable que l'on connaît à tous les niveaux de notre société. Cette question doit être au centre du débat sur le contrôle des armes à feu.
À un niveau purement intellectuel, il s'agit d'une tragédie aux proportions épiques qui nous affecte tous, et la preuve en est écrasante. Il est urgent que tous les ordres de gouvernement prennent des mesures pour s'attaquer au nombre croissant des notes de violence fatals et insensés commis sur des membres vulnérables et innocents de notre société. Je vous remercie.
Le président: Merci beaucoup, madame Walzak.
Je donne maintenant la parole au groupe Victimes de violence. Je demanderais à Robert McNamara de présenter le mémoire au nom de cet organisme.
M. Robert McNamara (vice-président, Victimes de violence): Merci, monsieur le président. Je m'appelle Robert McNamara et je suis vice-président national de Victimes de violence. J'ai avec moi aujourd'hui Mark Hogben, un membre de notre organisation qui représente les victimes. J'aimerais commencer mon exposé.
Victimes de violence est un organisme national créé en 1984 par des parents et familles des victimes de meurtre. L'organisme n'est pas financé par le gouvernement et ne participe à aucune campagne collective de financement d'organismes. Tous nos fonds de fonctionnement proviennent de la collectivité grâce à une collecte de pièces de monnaie ou la vente de T-shirts ou d'autres articles. Victimes de violence fournit un appui et une aide directe aux familles des victimes de meurtre, d'enfants disparus et d'autres victimes de crime violent.
L'objectif de Victimes de violence est que l'on mette fin à tous les crimes violents contre des innocents. L'organisme a en outre pour but d'éduquer la population et de demander des réformes législatives qui protégeront mieux la société. L'appui positif de la collectivité à notre organisme jusqu'à ce jour nous assure que ces objectifs peuvent être atteints.
Je me suis joint à Victimes de violence à l'automne 1988, peu après qu'un citoyen respectueux des lois ait tiré trois balles dans la poitrine de mon frère, Patrick McNamara. L'homme qui a tué mon frère n'était pas un criminel et ne faisait pas partie d'une bande, mais était un citoyen canadien moyen qui aimait la chasse. Patrick n'est pas mort chez un dépanneur de Toronto ou dans les rues de Vancouver. Il est mort dans la ville de Canmore dans la région du piémont en Alberta, qui se trouve dans la circonscription de Wild Rose, celle de M. Thompson.
Depuis le meurtre de mon frère, je m'intéresse vivement au débat sur le contrôle des armes à feu, car je ne souhaite à personne la souffrance que ma famille a connue. Je suis fermement convaincu que le système pénal doit tenir compte du droit des victimes et imposer des pénalités strictes pour les crimes commis avec une arme à feu. Je suis en outre d'avis qu'il faut examiner toutes les façons dont on pourrait éviter le crime et la violence.
Vous avez entendu dire que chaque année, 1 400 Canadiens perdent la vie à cause des armes à feu, intentionnellement ou non; 1 000 autres Canadiens sont blessés; des milliers d'autres sont victimes de vols. Bon nombre de Canadiens vivent dans la crainte de gens qu'ils connaissent et qui possèdent des armes à feu. Il est beaucoup trop facile de ne pas tenir compte de ces statistiques; de se demander si 180 meutres perpétrés avec des armes à feu chaque année constituent un nombre assez suffisant pour s'en inquiéter; de dire que les suicides, même d'adolescents, sont inévitables. Les suicides commis avec une arme à feu réussissent presque toujours comparativement à ceux qui le sont par d'autres moyens.
Le contrôle des armes à feu n'est pas la solution finale à la violence et au crime, mais il en est un des éléments. Le système pénal a besoin d'être réformé et nous devons nous attaquer à la cause même de la violence également. Vous avez entendu à plusieurs reprises que les armes à feu ne tuaient pas, que les criminels pourront toujours obtenir des armes à feu et qu'en désarmant les citoyens, seuls les criminels seront armés, etc. Le fait est que la plupart des Canadiens se font tuer par des armes légitimes et non pas à la suite d'actes de violence commis au hasard.
Non seulement les armes volées sont-elles un problème, mais, à l'occasion, des citoyens respectueux des lois succombent à la pression ou perdent le contrôle d'eux-mêmes. Le bon sens et les témoignages considérables des experts nous disent que l'accès aux armes à feu augmente le risque qu'une dispute dégénère en meurtre.
Les agriculteurs et les chasseurs ont protesté en disant que le fait d'être obligés d'enregistrer leurs armes les dérangeait. Les collectionneurs d'armes vous ont dit que la possession d'un AK-47 était de droit divin. Les guides de chasse nous disent que nous ne devrions pas offusquer les Américains qui viennent au Canada chasser notre faune, sinon ils risquent de nous boycotter. La candidate conservatrice locale ici à Ottawa et ses amis de la National Firearms Association ont comparé ce projet de loi au régime nazi d'Hitler. J'espère que vous ne tiendrez pas uniquement compte des vociférations et plaintes des propriétaires d'armes à feu mais également des droits des victimes.
Nous ne sommes pas contre la possession d'armes. Je sais cependant personnellement ce que cela peut coûter lorsqu'on permet que des armes à feu tombent entre de mauvaises mains au mauvais moment. Les propositions contenues dans le projet de loi sont modérées et ne présentent qu'un léger inconvénient pour la vaste majorité des propriétaires d'armes à feu. La réduction éventuelle des décès et des blessures en vaut certainement la peine.
En ce qui concerne l'enregistrement, posséder une arme à feu au Canada est un privilège, non un droit. Mon frère Patrick avait des droits. L'article 7 de la Charte énoncer que chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité. Les propriétaires d'armes à feu n'ont qu'un privilège, comme ceux qui conduisent une voiture. Ce privilège est assorti de responsabilités et d'imputabilité. Les propriétaires d'armes à feu responsables respectent les lois du pays et comprennent que les armes à feu peuvent être meurtrières.
Il ne peut y avoir de contrôle efficace des armes à feu sans informations au sujet de leurs propriétaires. Tout comme l'enregistrement des voitures rend nos autoroutes et nos rues plus sures, l'enregistrement permettra d'identifier les propriétaires d'armes à feu, de faire le lien entre chaque arme et son propriétaire légitime et de surveiller le mouvement de toutes ces armes. Sans information sur les propriétaires des millions d'armes à feu qui sont à l'heure actuelle entre les mains de particuliers, il est extrêmement difficile pour la police de retrouver les armes volées utilisées pour commettre des crimes et pratiquement impossible de faire respecter les ordonnances d'interdiction.
L'enregistrement de toutes les armes à feu est essentiel si l'on veut permettre au Canada de contrôler ses frontières, de dépister l'utilisation criminelle des armes à feu et d'aider la police dans les cas de crimes variant de la violence familiale au vol. L'enregistrement encouragera les propriétaires à entreposer en lieu sûr leurs armes à feu. Ils sauront qu'on pourra les retracer le cas échéant. Un entreposage sûr réduit l'utilisation impulsive et le vol. À l'heure actuelle, on signale au Canada chaque année le vol de 3 000 armes à feu.
L'une des craintes dont parle constamment le lobby des armes à la radio locale ici à Ottawa, c'est que des pirates pourraient s'introduire dans le système, voler la liste des propriétaires des armes à feu et commencer systématiquement à voler ces armes un peu partout au Canada. Si cela est possible, j'aimerais bien rencontrer ces pirates. Je voudrais bien que quelqu'un me donne accès à l'ordinateur de la police au cas où je recevrais une contravention pour excès de vitesse, ou encore au système informatique du gouvernement pour arranger ma déclaration d'impôt sur le revenu, et mon compte en banque pourrait certainement s'accommoder de quelques dollars de plus, merci beaucoup. Voilà donc pour cet argument.
Pour que le système fonctionne, tout le monde doit s'y soumettre. Les petits froussards de ce monde doivent comprendre que le ciel n'est pas en train de leur tomber sur la tête. Personne ne va leur enlever leurs carabines et leurs fusils de chasse. La seule façon d'y arriver c'est d'imposer de lourdes sanctions à ceux qui n'observent pas la loi. Le système est déjà en place pour ceux qui pourraient involontairement ne pas la respecter. Les citoyens canadiens respectueux des lois veulent faire leur possible pour aider à promouvoir la sécurité publique. Le non-enregistrement d'une arme à feu devrait demeurer une infraction criminelle.
Le coût du contrôle des armes à feu: Le coût d'un manque de contrôle approprié des armes à feu pour les familles des victimes est absolument effarant. Il est tout à fait bouleversant d'entendre Kim Forbes, une jeune mère de Sudbury, décrire le corps de son fils Matthew après qu'il eut été tué. C'est après qu'un jeune contrevenant eut pointé un fusil de chasse dans sa direction et appuyé sur la détente à bout portant. Le fusil de chasse et d'autres armes se trouvaient tout simplement dans une chambre à coucher fermée avec une chaîne pour chien.
Écoutez Walter Filpas, un agent de police de Montréal, décrire de quelle façon il est un miraculé de la médecine moderne. Quelqu'un tenait une arme de poing de 9 millimètres contre sa tempe et a appuyé sur la détente. Heureusement pour lui, l'arme à feu n'a pas fonctionné comme il se devait.
Les résidents d'Ottawa ont été choqués et peinés lorsque Nicholas Battersby a été abattu lors d'une fusillade au volant d'une voiture. Les prétendus meurtriers n'ont pas eu de problème à acheter des munitions même s'ils n'avaient pas l'âge requis. Ils auraient eu plus de difficultés à acheter des cigarettes au dépanneur du coin.
La fille de Suzanne Edwards était l'une des 14 jeunes femmes abattues, lors du massacre de Montréal le 6 décembre 1989, par un homme qui s'était procuré légalement une arme d'assaut militaire. Le souvenir en est encore frais dans la mémoire des Canadiens.
Leslie McNamara, ma nièce, a échoué à la maternelle à cause du traumatisme et des cauchemars qu'elle a connu à la suite du meurtre de son père.
Il y a la famille de Patricia Allen, une avocate d'Ottawa, qui a été tuée par son mari avec une arbalète, dont le carreau est aussi mortel que n'importe quelle balle, même si l'achat de cette arme n'est pas aussi réglementé que celui d'une arme à feu.
Un jeune garçon de huit ans a reçu en plein visage une décharge de Magnum 44 et en est mort. Son beau-père, qui est un instructeur à un club de tir, était en train de l'aider à se placer pour qu'il puisse tirer un coup de feu.
Sherri Lee Guy, âgée de 20 ans, a été abattue le 28 avril 1995 par une balle à l'estomac et une autre à l'épaule tirées par un fusil de chasse. Sherri Lee avait un petit garçon de trois mois, Brandon. Son conjoint de fait dont elle s'était séparée a été accusé de meurtre au premier degré lorsqu'il a obtenu son congé de l'hôpital. Il se remettait d'une blessure au visage qu'il s'était lui-même infligée avec une arme à feu.
Certains demanderont s'il s'agit vraiment de coûts. On ne peut pas chiffrer la souffrance et la douleur des gens. Les montants suivants indiquent quel peut être le coût pour les victimes:
1) Le guide de l'Association de psychologie de l'Ontario concernant les honoraires et les pratiques de facturation pour les familles des victimes de meurtre recommande 165$ l'heure.
2) Robert Brown & Son Stonecarving de Nepean, qui fabriquent les plaques commémoratives ici sur la Colline Parlementaire pour les agents de policie tombés dans l'exercice de leurs fonctions, m'informent que la famille moyenne dépense environ 2 500$ pour une pierre tombale. Cela comprend la pierre, les fondations, l'inscription, la TPS, la taxe de vente provinciale et, en Ontario, ce qu'on appelle une taxe de 100$ sur le patrimoine. Je ne sais pas ce que c'est.
3) Chez Hulse, Playfair and McGarry, maison funéraire locale, on peut obtenir un service de base pour 1 650$, ce qui comprend un cercueil en panneau de particules non doublé et la réfrigération pour un maximum de 48 heures. Cela exclut l'embaumement. Des funérailles traditionnelles coûtent cependant beaucoup plus cher.
4) Le prix des lots au cimetière varie énormément, mais ma famille a eu la chance d'en obtenir un pour 1 000$.
Le coût pour les familles des victimes de meurtre peuvent facilement dépasser 10 000$. Les 10$ qui coûtera aux propriétaires d'armes à feu l'enregistrement de leur fusil de chasse et de leur carabine semble, aux victimes, un prix dérisoire.
Voici maintenant nos recommandations.
(1) Envisager un préambule pour les modifications au Code criminel concernant les peines obligatoires minimums, et qui soulignerait la dénonciation par la société de crimes commis avec des armes à feu et qu'il s'agit du plus strict minimum pour l'imposition d'une sentence.
(2) Le délai d'enregistrement serait raccourci, c'est-à-dire que du 1er janvier 2003, il serait ramené au 1er janvier 2001, coïncidant ainsi avec le certificat de possession d'arme à feu.
(3) Accorder aux inspecteurs des douanes le plein statut d'agent de la paix ou établir une nouvelle patrouille nationale pour surveiller les frontières.
(4) Accroître les peines en cas de violation des ordonnances d'interdiction. L'ordonnance d'interdiction est émise lorsqu'un individu présente un risque pour la société. La violation d'une telle ordonnance devrait constituer uniquement un acte criminel punissable par une peine d'emprisonnement obligatoire. Par conséquent, il faudrait omettre le paragraphe qu'en fait une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité.
(5) Les mesures de rechange telles qu'énoncées dans le projet de loi C-41, lorsqu'il sera promulgué, ne s'appliqueront pas au projet de loi C-68.
(6) Les articles concernant l'agression sexuelle grave, le rapt, la prise d'otage, le vol, l'extorsion, devraient être changés pour refléter le traumatisme grave infligé aux victimes par des fausses armes à feu. Les termes «lorsqu'une arme à feu est utilisée lors de la perpétration d'une infraction» seraient remplacés par «porte, utilise ou menace d'utiliser une arme ou une fausse arme».
(7) La durée des ordonnances d'interdiction pour les jeunes contrevenants passerait d'un minimum de deux ans jusqu'à une durée «à vie». Le juge qui impose la peine devrait être tout à fait capable de prendre une décision éclairée.
Il est essentiel d'imposer des peines sévères pour les infractions mettant en cause des armes à feu, mais cela intervient après coup. Il ne s'agit pas de réagir au problème, il faut le prévenir. Réduire l'accès aux armes à feu, c'est réduire les actes de violence impulsifs.
En dépit de certains incidents de violence inhabituels qui font les manchettes, la plupart des Canadiens qui sont victimes de meurtre sont tués par des membres de leur famille ou des connaissances et non par des étrangers. La plupart des victimes de meurtre au Canada sont tuées au cours d'une dispute et non à l'occasion d'un crime comme le vol à main armée ou l'agression sexuelle.
Le lobby des armes à feu voudrait nous faire croire que la présence d'une arme à feu rend une maison plus sûre. Les faits indiquent le contraire: il y a 43 fois plus de risque que cette arme tue quelqu'un de la maisonnée qu'un intrus; une maison où il y a une arme à feu risque trois fois plus d'être la scène d'un homicide et cinq fois plus, la scène d'un suicide; plus de 40 p. 100 des femmes tuées par leur mari chaque année sont abattues à l'aide d'une arme à feu.
La facilité d'accès aux armes à feu accroît la probabilité qu'une agression se transforme en meurtre. Comme il est relativement facile et rapide d'appuyer sur la détente, il est beaucoup plus facile de tuer quelqu'un avec une arme à feu qu'avec toute autre arme exigeant un contact rapproché.
Les gens qui n'ont pas d'armes à feu blessent leur victime, les gens qui ont des armes à feu les tuent.
Merci beaucoup, monsieur le président. Mark Hogben voudrait ajouter brièvement quelques mots.
M. Mark Hogben (membre, Victimes de violence): Merci. Mon père était l'un des professeurs qui ont été tués à Concordia le 24 août 1992. Je suis l'un de 11 enfants qui ont perdu leur père. Je suis l'un des plus âgés; il y a un autre enfant de deux ans, un de quatre ans, un de huit ans et un autre de dix ans.
Ce n'est pas par choix que je suis ici; en fait, je ne trouve pas l'expérience particulièrement réjouissante. Quand je vois des défenseurs des armes à feu à la télé, je change de canal. Ce n'est pas une expérience plaisante pour moi, car pendant que je suis assis devant vous, je ne peux m'empêcher d'évoquer l'image de mon père au moment où il venait d'être tué, de ma mère et de tout ce qui m'est passé par la tête quand cela est arrivé et que je croyais avoir oublié, mais tout cela repasse encore et encore devant mes yeux. Il n'y a pas de cotisation à verser pour être membre du club des victimes. Il n'y a pas de fêtes, de réunions du vendredi soir, il suffit d'être victime de violence.
Nous nous demandons pourquoi les groupes de pression ne tiennent pas compte des sondages qui indiquent que les Canadiens veulent le contrôle des armes à feu. Ces groupes de pression ont beaucoup d'argent et tous ces gens défendent leur droit d'avoir des armes à feu. Ce n'est nullement plaisant pour nous de comparaître devant vous, et ce l'est encore moins pour tous ceux qui ont été tués et qui ne peuvent pas venir témoigner.
Nous sommes fiers de constater que cette loi sera adoptée. Nous en sommes très heureux, mais nous avons d'autres préoccupations.
Mon père a été tué par une arme à feu acquise légalement par un homme qui était professeur et qui ne fréquentait donc pas des milieux où il aurait pu s'en procurer une illégalement. En fait, il s'est même donné beaucoup de mal pour en obtenir une légalement. Si cette loi proposée avait été en vigueur, je suis certain que celle de mon père aurait pu être évitée, ou tout au moins celle des autres professeurs.
Cela me fait tout aussi mal quand je rencontre un enfant de huit ans et au autre de deux ans qui ont perdu leur père, car moi j'ai perdu mon père à 23 ans. Il n'y a pas de prix pour le temps que j'ai passé avec lui entre l'âge de huit ans et celui de 23 ans.
Je trouve difficile, quand on parle des frais d'enregistrement.... Les armes à feu sont beaucoup plus mortelles que les véhicules automobiles, mais nous enregistrons ceux-ci pourtant. Évidemment, je ne suis pas un spécialiste, je ne vais pas entrer dans les détails. Je ne suis pas un expert en la matière. Je suis seulement une personne qui a subi une lourde perte et qui fait état de cette perte.
Je suis fier des mesures que l'on se propose de prendre dans ce projet de loi et j'espère que le contrôle des armes à feu sera renforcé et non pas affaibli, parce que le prix sous forme de sang versé l'emporte de loin sur le coût minime de la mise en place de ces mesures. Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Je donne maintenant la parole à M. Bertrand de l'Université Concordia.
M. Charles L. Bertrand (recteur par intérim et vice-chancelier, Université Concordia): Merci monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, de m'avoir permis de vous adresser la parole ce matin.
Je suis ici en partie à titre de représentant de l'Université Concordia. Comme vous le savez peut-être, l'université a fait circuler une pétition à la fin de 1992 et au début de 1993 réclamant l'interdiction de la possession des armes de poing par des civils. Plus de 200 000 citoyens canadiens ont signé la pétition qui a été déposée au Parlement. Un certain nombre d'organisations, environ 200, ont envoyé des lettres d'appui à cette initiative de l'université; je remettrai ces lettres au greffier ce matin. Hier encore, j'ai reçu une autre copie de la pétition signée; les signatures continuent d'affluer à l'université.
Toutefois, je suis également ici comme l'une des personnes de l'université qui ont vécu de près l'expérience de ces 15 minutes d'horreur du 24 août 1992. C'est ce jour-là que Valery Fabrikant a assassiné quatre de mes collègues et en a blessé un autre. Prenez bien note du fait qu'il a perpétré ce massacre épouvantable en seulement 15 minutes. J'étais à l'époque vice-recteur des services chargé de la sécurité et, à ce titre, j'ai passé l'après-midi dans l'immeuble Hall pour aider les services policiers.
Quand Fabrikant a finalement été capturé, le sergent détective m'a demandé de l'accompagner au 9e étage pour identifier deux corps. Je suis donc monté au 9e et j'ai bel et bien identifié le corps de mon ami et collègue Michael Hogben. Je ne suis pas agent de police et rien dans ma formation ne m'avait préparé à une tâche aussi horrible. J'étais complètement bouleversé. Croyez-moi, le cadavre de quelqu'un qui a été brutalement assassiné est insupportable à voir, surtout quand c'est celui d'un ami. Le détective et moi-même avons ensuite déploré la mort tout aussi violente d'un autre ami, Matthew Douglass.
Pendant trois semaines, j'ai pleuré chaque fois que quelqu'un me parlait de la tuerie. Je ne suis pas encore complètement remis des événements macabres de ce jour-là qui a changé ma vie et celle de beaucoup d'autres à tout jamais.
Il est absolument certain que Fabrikant n'aurait pas pu tuer quatre personnes et en blesser une autre s'il n'avait pas eu un fusil. Il eut été impossible de faire un tel massacre avec n'importe quelle autre arme. Il y avait beaucoup de monde au 9e étage ce jour-là et quelqu'un aurait pu le maîtriser; mais on ne peut rien faire devant une personne armée d'un fusil.
Ainsi, la vie de toute une université et celle d'un grand nombre de personnes ont été changées pour toujours parce que les citoyens du Canada ont le droit de posséder et de porter des armes à feu. Dans notre pays, il n'y a absolument aucune raison pour qu'un civil possède une arme de poing. Les armes de poing n'ont qu'un seul but: ôter la vie à quelqu'un.
Je félicite le ministre Rock d'avoir eu le courage politique de présenter un projet de loi sur le contrôle des armes à feu et je reconnais que la situation politique rend difficile l'interdiction absolue des armes de poing. En même temps, il m'apparaît toutefois que tous les arguments que j'ai entendus contre l'enregistrement ne viennent que renforcer ma conviction qu'il faut une interdiction totale. L'interdiction totale rendrait inutile la création de toute une bureaucratie pour enregistrer les armes de poing; personne n'aurait à se plaindre de la nécessité de se déplacer pour faire enregistrer son arme, etc; et surtout, la société canadienne sera beaucoup plus sûre.
Oui, certains criminels trouveront toujours le moyen de se procurer des armes à feu, mais l'interdiction totale des armes de poing réduirait grandement la quantité d'armes en circulation et, donc, la possibilité de s'en procurer.
Il faut imposer l'enregistrement de toutes les armes à feu et faire en sorte que ce soit un acte criminel grave que d'être trouvé en possession d'une arme à feu non enregistré. Nous enregistrons déjà nos automobiles qui sont utiles à plusieurs égards. Les Canadiens ne peuvent sûrement pas s'opposer à l'enregistrement des armes à feu qui n'ont qu'un seul et unique but: tuer.
Je tiens à me prononcer le plus catégoriquement possible contre la possibilité de traiter certaines provinces ou territoires différemment sur le plan législatif. La loi doit s'appliquer également à tous les Canadiens. Dans le cas contraire, elle sera inutile et complètement inefficace.
En terminant, je vous rappelle encore une fois que plus de 70 p. 100 des Canadiens sont en faveur du contrôle des armes à feu. Je vous exhorte à continuer d'avoir le courage politique de répondre au voeu de la majorité et de faire fi des arguments fallacieux invoqués par une minorité qui clame très fort son point de vue. Merci beaucoup.
Le président: Merci, monsieur Bertrand.
Nous allons maintenant passer aux rondes habituelles de questions.
[Français]
Je vais commencer avec M. de Savoye. Vous avez dix minutes.
M. de Savoye (Portneuf): Merci, monsieur le président. Bonjour, madame de Villiers, monsieur McNamara, monsieur Bertrand, monsieur Hogben et madame Walzak. Vous nous avez parlé de vos expériences. J'ai assisté, vous vous en doutez bien, à plusieurs présentations depuis que nous siégeons. Nous avons rencontré ceux qui nous ont parlé de leurs coutumes et de leurs droits, de leurs collections, de leurs musées, de leur chasse, de leurs pratiques de tir. Nous avons aussi rencontré ceux qui, par leur mission, assurent la sécurité publique et interviennent sur le terrain lors de drames familiaux ou de commissions de crime.
[Français]
Aujourd'hui, vous nous amenez le témoignage de personnes qui ont souffert des conséquences malheureuses dues à la violence reliée aux armes à feu. Il est clair pour moi que la présence d'armes à feu accroît de façon significative et malheureuse la probabilité que de la violence avec armes à feu soit commise. Par ailleurs, il ne suffit pas toujours d'avoir une loi, encore faut-il qu'elle soit appliquée.
J'aurais peut-être quelques questions dans ce sens-là à poser à Mme de Villiers, mais si les autres personnes désirent y répondre, vous pourrez le faire ensuite. Croyez-vous que les lois actuelles sont appliquées? Que faudrait-il pour que la loi C-68 soit correctement appliquée?
Madame de Villiers, vous mentionnez dans votre mémoire - je crois que c'est à la recommandation no 2 - que les services de santé devraient avoir la responsabilité de retirer l'arme à une personne qui est en détresse psychologique. J'aimerais que vous précisiez cette recommandation. Je vous écoute, madame de Villiers.
[Traduction]
Mme de Villiers: La première question touchant les tribunaux et la mise en application des lois est très préoccupante. Elle nous est apparue fort clairement au moment de l'enquête portant sur le décès de Jonathon Yeo, lorsque nous avons vu le juge de paix et le procureur de la Couronne négliger totalement d'imposer des conditions en matière d'armes à feu avant de libérer sous caution un homme qui s'était servi de deux armes pour attaquer pendant huit heures un étranger. Rien ne s'est fait; personne ne s'est jamais interrogé sur le danger qu'il y avait à permettre à cet homme de continuer à porter une arme.
Par ailleurs, de sérieuses inquiétudes ont été exprimées au cours des trois dernières années, depuis que j'ai entrepris cette démarche, au sujet du fait que les tribunaux invoquent la législation actuelle de façon très incohérente, au hasard, selon leur bon plaisir. De fait, c'est là une des questions pour lesquelles nous avons demandé la création d'un sous-comité supplémentaire après notre conférence sur le filet de sécurité, conférence interdisciplinaire nationale que nous avions organisée à Hamilton. Parce qu'il ne nous restait plus d'argent et que nous n'avions pas beaucoup de temps, les participants à cette conférence étaient essentiellement des Ontariens, procureurs de la Couronne, conseillers juridiques, chefs de police, policiers sur le tas, etc, des gens qui sont chaque jour confrontés aux difficultés que présente l'application de la loi.
Tous ont convenu que la loi n'était pas respectée et qu'il était très difficile que les procureurs de la Couronne puissent la comprendre en raison de problèmes de formation, que les agents de police avaient de la difficulté à l'appliquer et qu'en fait, les juges eux-mêmes étaient très souvent très réticents à en tenir compte au moment de déterminer la peine. Il y a aussi un malentendu du fait que les juges préfèrent souvent imposer globalement de lourdes peines plutôt que de sanctionner par des peines individuelles le port d'une arme à feu. Il faut prévoir des sentences individuelles et distinctes pour bien indiquer qu'en soi, le port d'une arme constitue un crime si l'on s'en sert pour perpétrer un crime.
Tout le monde a convenu que l'extrême complexité d'une législation vieille de 60 ans est à l'origine de cette situation, et nous avons instamment prié les ministres du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires de commencer à examiner immédiatement la question. Nous avons transmis ces recommandations à toutes les provinces, aux territoires et au gouvernement fédéral afin qu'ils l'étudient à l'occasion de leur réunion du 28 janvier 1995.
Au cours de cette même rencontre, il a été unanimement établi qu'il nous faut un projet de loi clair, simple, complet et normalisé en matière d'armes à feu, pour qu'il soit possible, concrètement, de l'appliquer sans susciter de malentendus. De fait, il a même été suggéré que l'ensemble du projet de loi devait être reformulé. C'est donc par là qu'il faut commencer.
En deuxième lieu, je veux aussi mentionner devant le Comité le fait que nous avons tendance à nous pencher sur des points très précis de la loi, mais que la loi ne vaut pas plus cher que le papier sur lequel elle est rédigée si elle n'est pas mise en application. Tous les membres de notre société doivent faire face au problème complexe de la violence, et le fait que toutes nos discussions portent sur les seuls propriétaires légitimes d'armes à feu nous ramène à un très petit segment de la population qui doit apporter sa contribution. Il est indispensable que les tribunaux fassent respecter la loi, et c'est chose facile.
Je vais maintenant en venir à la question des cas psychiatriques, votre deuxième question. Je trouve extrêmement inquiétant qu'un homme qui, de l'avis de l'Institut psychiatrique Clarke, est une bombe à retardement, qui constitue une grave menace pour les femmes, qui récidivera très probablement et qui est depuis 11 ans bien connu des établissements psychiatriques de Hamilton et du district, dans le sud de l'Ontario, je trouve très inquiétant que cet homme ait été libéré sans même qu'on ait touché un mot de son état à son médecin de famille; et elle, une jeune femme dans une pratique isolée, devait le soigner...et cela s'ajoute au fait qu'il avait commis une agression armée.
C'est certainement un très grave problème en Ontario, compte tenu de notre Loi sur la santé mentale. On se préoccupe uniquement de protection de la vie privée et de confidentialité. C'était certainement le cas dans l'affaire de l'Université Concordia. À ce que je crois savoir, l'état d'esprit de l'homme suscitait des inquiétudes avant l'incident, et il n'existe aucun mécanisme permettant de tenir compte de ces inquiétudes.
Nous recommandons fortement l'établissement d'un mécanisme grâce auquel on pourrait signaler immédiatement ce type d'inquiétudes, afin qu'on puisse faire les entrées appropriées dans le CIPC, à titre d'avertissement, de repère, soit pour prévenir toute tentative d'acquisition d'armes, soit peut-être pour retirer les armes pendant un certain temps.
Cela vaudrait aussi pour les suicides. Nous croyons que chaque propriétaire d'arme à feu devrait être tenu de demander à enlever les armes du foyer s'il y a une crise, surtout lorsque des enfants sont concernés. Parmi les victimes auxquelles j'ai affaire, je crois que les plus pathétiques - si l'on peut établir une hiérarchie, ce dont je ne suis pas certaine - sont les familles dont un des membres s'est suicidé au foyer, parce que toute la vie de ces personnes est détruite. La question a un caractère si personnel.
Comme je l'ai mentionné, la situation n'est pas unique. Mon mari est neuro-chirurgien, et sa licence de médecine sera suspendue s'il ne signale pas les cas d'épilepsie ou de perte de vision au ministère ontarien des Transports. C'est souvent un devoir très pénible, parce que les gens ont besoin de leur permis de conduire pour gagner leur vie. Mais la loi vise à protéger la sécurité de la population; en fait, d'importantes affaires ont été contestées sur cette base, et elles ont été gagnées.
En outre, je crois que nous devons donner à tout le personnel des services de santé l'obligation de signaler les blessures par balle, même les blessures superficielles, afin de pouvoir anticiper les problèmes et, peut-être, intervenir à temps.
Je vous suis donc très reconnaissante d'avoir posé la question. J'aimerais simplement répéter qu'il appartient à chacun de nous, dans nos sphères d'activités, d'apporter une contribution. Je crois que c'est un des domaines les plus importants dans lesquels nous puissions intervenir et, sans doute, l'un des plus difficiles. Je demande au Comité d'examiner la question des cas psychiatriques avec le plus grand soin. Merci.
M. McNamara: Monsieur le président, j'aimerais répondre à cette question moi aussi. Dans le document de travail publié par le ministère de la Justice, les travaux touchant l'application de l'article 85 du Code criminel du Canada, si je peux me permettre de le signaler, ont montré que dans la province de Québec environ les deux tiers des accusations portées en vertu de l'article 85 ont mené à un sursis, à un retrait ou à un non-lieu.
En parlant avec des procureurs à la conférence organisée par Priscilla, à laquelle Mme Meredith a participé, il m'est apparu qu'il y avait un problème d'imitations d'armes. À moins de prendre le contrevenant sur le fait, lorsqu'il a encore son arme, cette personne peut toujours prétendre qu'il s'agissait d'une imitation, d'un jouet de son fils. Surtout dans les cas de vol, d'enlèvement, de prise d'otage, il faut qu'il soit bien clair, qu'il s'agisse d'imitation ou d'arme véritable, que le contrevenant qui commet ces crimes s'expose à de lourdes peines. Les propriétaires d'armes respectueux de la loi demandent qu'on cesse de s'acharner sur eux. Je crois que dans cette partie du projet de loi le gouvernement peut montrer qu'il s'attaque aux criminels et que l'utilisation d'une arme à feu, réelle ou d'imitation, entraîne un minimum de quatre ans.
M. Ramsay (Crowfoot): J'aimerais remercier les membres du panel de leur exposé. En tant que victimes d'actes criminels, vous nous avez tracé un tableau profondément touchant et troublant. Tous les membres du comité et, je crois, tous les Canadiens veulent une société plus sûre. On peut fort honnêtement se demander si le projet de loi à l'étude nous aidera vraiment à atteindre ce but.
J'aimerais d'abord traiter du cas de M. Yeo. S'il commettait des actes de violence depuis 11 ans, la police en était sûrement consciente.
Mme de Villiers: Non, c'est une de ces situations horribles du domaine de la psychiatrie; c'est pourquoi je la porte à votre attention. Au cours de l'enquête, les activités qu'Yeo menaient depuis 11 ans ont été révélées pour la première fois à tous, y compris à sa femme. Elle s'en doutait un peu mais en ignorait fort naturellement une bonne partie. Et personne ne pouvait imaginer l'ampleur de ses activités.
Ses agissements trahissaient une très grande violence à l'endroit des femmes. Chaque jeune femme qui avait survécu est venue témoigner. L'une d'elles avait vu la façon dont sa mère avait été traitée par les tribunaux et avait décidé de ne jamais passer par là. Elle n'avait jamais révélé ce qui était arrivé jusqu'à ce jour, 11 ans plus tard.
M. Ramsay: Les policiers ne connaissaient absolument rien de ses agissements?
Mme de Villiers: Les policiers ont voulu porter des accusations à plusieurs reprises, mais il exploitait le système psychiatrique. Il se conduisait comme un acteur de films de série B et il est possible qu'il ait vraiment été perturbé. On l'emmenait toujours directement au service de psychiatrie médico-légal le plus rapproché, mais à cause des lois en matière de santé mentale on ne pouvait pas le garder là... On était incapable de faire quoi que ce soit de lui, et il était libéré.
M. Ramsay: Possédait-il une arme à feu?
Mme de Villiers: Il possédait une arme à feu. Il avait un Cooey 1972, qu'il avait acquis avant l'instauration du contrôle des armes à feu. Cet arme a été gardée pendant cinq mois au tribunal. Il s'agissait d'une vieille arme rouillée qui semblait sortie tout droit du plateau de tournage de l'Île au Trésor.
À partir de l'âge de 11 ans, il avait suivi une instruction poussée au maniement des armes à feu, au sein des cadets de la marine et dans les Argyle and Sutherland Highlanders. Il terrifiait ses compagnons - et cinq ou six d'entre eux sont venus à la barre - par ses violentes crises de rage incontrôlables, qui se terminaient soudainement et semblaient ne laisser aucune trace. Malgré tout, il a pu suivre une formation détaillée au maniement des armes pendant sept ans. Je dois dire que cette instruction poussée lui a permis d'exécuter ma fille et Karen Marquis avec une précision chirurgicale.
M. Ramsay: Pourtant, il y a des lois qui auraient permis aux policiers de se faire accorder le pouvoir de saisir toute arme qu'il aurait eu en sa possession. N'a-t-on rien fait en ce sens?
Mme de Villiers: Non, rien. Et c'est là un point très inquiétant. C'est pourquoi je demande que le projet de loi soit aussi clair. Les témoignages présentés... Je veux dire que tous les mécanismes du système juridique, sans exception, ont fait défaut; c'est quelque chose que vous devez comprendre. Le seul système qui n'ait pas été mis à l'épreuve était le Service correctionnel et Yeo n'y avait jamais eu affaire. Alors vous excuserez mon cynisme...
Il demeure que pendant quatre mois et demi, nous avons entendu des témoignages portant sur les droits des personnes à la protection de la vie privée, qu'il s'agisse de dossiers psychiatriques, du foyer ou de perquisitions et de saisies, et finalement personne n'osait rien faire de peur de ce que leur ferait subir l'avocat de la défense devant le tribunal. Deuxièmement, personne ne savait combien d'armes il possédait. Troisièmement, on ne savait pas s'il était bel et bien le propriétaire de l'arme, puisque c'était une arme antérieure à l'instauration du contrôle des armes à feu. On savait qu'il s'était servi d'une arme, mais on ne savait pas à qui appartenait l'arme dont il s'était servi.
M. Ramsay: Merci beaucoup.
Mme de Villers: Les choses auraient été différentes si l'arme avait dû être enregistrée.
M. Ramsay: J'aimerais poser une question ou deux à M. Bertrand. Vous êtes d'avis que toutes les armes de poing devraient être interdites.
M. Bertrand: Oui, monsieur.
M. Ramsay: Évidemment, vous vous rendez compte qu'une telle mesure toucherait tous les concurrents qui représentent le Canada aux Championnats mondiaux de tir.
Mais je veux vous demander ce que vous pensez des 58 p. 100 d'armes de poing qui seraient interdites en vertu du projet de loi C-68, parce qu'elles constituent un danger d'après le ministre de la Justice, et qui pourtant resteront en circulation. Elles demeureront entre les mains de leur propriétaire. Qu'est-ce que vous en pensez?
M. Bertrand: Je préférerais que nous définissions un système où les propriétaires renonceraient à leurs armes et les remettraient. Je me sentirais plus à l'aise ainsi. Mais au moins, de la façon dont la loi est structurée, nous saurons où ces armes se trouvent et qui les a, et je crois que c'est tout aussi important.
M. Ramsay: Attendu que les armes d'épaule figurent plus souvent que les armes de poing dans les incidents où des coups de feu sont tirés, seriez-vous aussi en faveur d'éliminer toutes les armes d'épaule actuellement en circulation?
M. Bertrand: Non, pas pour l'instant. Je crois qu'actuellement il y a encore au Canada des gens qui ont besoin de ces armes d'épaule pour vivre, et qu'il serait prématuré de demander une interdiction formelle dans ce domaine.
L'enregistrement des armes est une mesure qui a certains effets. Lorsque je me suis adressé à la Sûreté du Québec pour demander que M. Fabrikant n'obtienne pas de permis de port d'arme, ma demande a été bien reçue parce que j'ai précisé qu'à l'université nous nous inquiétions de son comportement. J'ai dû peser soigneusement mes mots car je ne suis pas psychiatre.
Malheureusement, c'est son épouse qui s'est procuré deux autres armes de poing en toute légalité, et qui les a enregistrées. De mon point de vue, une interdiction totale l'aurait empêchée de le faire. Pour cette raison, je crois que les armes de poing devraient être interdites.
J'ai beaucoup de respect pour notre équipe de tir de calibre mondial, mais nous pourrions prendre ces fonds et les verser à notre équipe nationale de basketball ou à une autre, et peut-être gagner quelques médailles d'or dans d'autres disciplines.
M. Ramsay: Proposez-vous une interdiction partielle des armes d'épaule, en ce sens que les personnes qui n'en ont pas besoin pour se procurer de la nourriture, par exemple, seraient exclues et que ceux qui ne peuvent prouver aux responsables qu'ils ont bel et bien besoin de leur arme à feu n'auraient pas le droit d'en posséder?
M. Bertrand: Non, pas pour l'instant. Je serais simplement très heureux qu'on adopte une loi exigeant l'enregistrement de toutes les armes d'épaule.
M. Hogben: J'aimerais répondre à cette question parce qu'elle touche au décès de mon père. Mon père est mort à cause d'une arme de poing qui avait été achetée légalement.
Je suis né en Alberta, et mon père m'a enseigné comment me servir d'une arme de poing 22. Je peux comprendre qu'on se serve de carabines et d'armes de ce type, mais les armes de poing sont destinées précisément à tuer des gens. Je me procurerai sans doute, en toute légalité, une carabine, je l'enregistrerai et je ferai du tir sur cible avec mon fils, mais je crois que les armes de poing sont une tout autre affaire. Je crois que nous sommes tous de cet avis.
Mais en ce qui concerne la loi à l'étude, je m'étonne que vous doutiez de son bien-fondé parce qu'elle offre d'énormes avantages dans ce secteur, surtout dans le cas comme celui du décès de mon père. D'autres aspects peuvent entrer en jeu. Nous pourrions examiner l'affaire de M. Yeo, ou nous pencher sur chaque incident et nous dire que ce décès aurait pu être évité, mais pas celui-là.
De toute évidence, la loi à l'étude est très bénéfique pour nous tous. Elle n'aurait peut-être pas empêché le décès de mon père, qui était la première victime - M. Fabrikant aurait pu utiliser un couteau - mais elle aurait empêché la mort des trois autres professeurs.
M. McNamara: Il faut voir, en outre, que la loi ne confisquerait pas toutes les armes de poing. Le texte à l'étude permettrait de confisquer les armes du «samedi soir», celles qui sont fabriquées dans le but de tuer d'autres êtres humains; notre société n'a pas besoin de ces armes. Lorsqu'il s'agit d'équipes de tir et d'autres équipes olympiques, il revient peut-être au comité de prévoir des dispositions permettant à ces tireurs de compétition de conserver leurs armes. Mais nous ne voyons pas pourquoi il faudrait protéger un calibre .22 à canon très court qui pourrait tomber entre les mains d'un jeune délinquant à Toronto.
Mme Phinney (Hamilton Mountain): Merci beaucoup d'être venus. Je sais que c'est difficile, mais par votre seule présence vous montrez que vous savez à quel point il est important que les Canadiens entendent votre point de vue. Je crois que vous avez tous deux mentionné que les opposants au projet de loi disposaient de beaucoup d'argent et d'aide pour faire connaître leurs opinions. Je crois qu'il est important que vous soyez venus pour que tous les Canadiens puissent vous entendre.
J'aimerais aborder maintenant un aspect que vous avez tous deux mentionné; c'est une préoccupation des deux groupes. Je veux parler du contrôle des frontières, ce que nous faisons à la frontière, et si nous en faisons assez. Vous avez tous deux indiqué que vous aimeriez un contrôle accru à la frontière. Vous pouvez tous deux exposer votre opinion à ce sujet.
Si je me souviens bien, vous avez aussi mentionné la possibilité d'établir un contrôle frontalier national, un contrôle spécial, distinct de ce que nous avons à l'heure actuelle. Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de la situation actuelle, de ce qui se passe et de ce que vous aimeriez voir adopter.
Mme de Villiers: L'importance du contrôle frontalier nous est apparue lorsque nous avons appris que Jonathon Yeo avait quitté l'institut psychiatrique Clarke et tenté de se rendre aux États-Unis en emportant la même arme, des munitions, un certificat de libération précisant qu'il avait un comportement violent (Inaudible) et une note indiquant qu'il avait l'intention de se suicider.
L'agent d'immigration américain, un homme très impressionnant, a tenté pendant deux heures, même si c'était vendredi soir et qu'il y avait beaucoup de travail, d'inciter deux agents de Douane et Immigration Canada à au moins lui enlever son arme. Yeo était très agité. Il se comportait de façon très bizarre. L'agent d'immigration américain ne pouvait se résoudre à le laisser passer avec une arme et des munitions à côté de lui dans la voiture.
Ni les forces policières ni les représentants de Douane et Immigration ne croyaient avoir le droit de retirer une arme à un citoyen canadien qui se trouvait encore à la frontière. D'ailleurs, les deux agents de Douane et Immigration, un an plus tard, d'après l'avocat qui les représentait lors de l'enquête, ne connaissaient pas cette frontière. Tous deux croyaient que les frontières étaient à un endroit différent au Canada, et un an plus tard n'avaient toujours pas été informés de l'endroit où se trouve effectivement cette ligne. J'ai pensé que ce point pourrait vous intéresser. En autant que je le sache, rien n'a été fait pour corriger la situation.
Le fait est que son droit, en tant que citoyen canadien, de porter une arme dans ces circonstances était beaucoup plus important que le droit de ma fille, Karen Marquis, ou de toute autre personne à se promener dans les rues. Yeo n'a pas eu le droit de passer la frontière, et 90 minutes plus tard Nina disparaissait. Devant le tribunal, nous avons été renversés d'entendre l'agent d'immigration relater qu'il avait ordonné aux officiers des douanes de se cacher dans le bureau de douane par mesure de sécurité. Lorsqu'on lui a demandé ce qu'il en était de la sécurité du Canada, il a répondu qu'il ne pouvait se prononcer là-dessus.
Je me suis vite aperçue, à l'occasion de contacts ultérieurs avec le ministère de l'Immigration et, maintenant, celui du Revenu, que nous n'étions absolument pas protégés à la frontière. Les agents des douanes sont seulement des agents de la paix en vertu de la Loi sur les douanes. Si nous ne modifions pas l'expression «en vertu de la Loi sur les douanes», ils ne peuvent en rien faire respecter le Code criminel. Ils ne peuvent même pas prendre les clés de conducteurs en ébriété. Bien souvent, le soir, ils regardent des conducteurs ivres reprendre la route, et ils savent que le danger est grand. C'est un dossier qu'ils tentent de faire progresser depuis plusieurs années.
C'est très long, mais je me suis présentée devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce car, étrangement, c'est de lui que relève maintenant la protection de nos frontières. J'ai joint une partie de mon exposé au mémoire que je vous ai remis.
Devant le comité du Sénat, nous avons soutenu qu'à défaut d'accorder aux agents des douanes les pouvoirs des agents de la paix ou des agents d'immigration, il fallait assurer d'une façon quelconque la protection des frontières. Au Canada, nous serions même prêts à confier ce travail à des agents de police. Pourvu qu'il y ait quelqu'un pour appliquer la loi, parce que le soir où Yeo s'est présenté à la frontière avec une arme, l'agent d'immigration s'est caché et les agents des douanes se sont cachés parce que cet homme qui portait une arme n'était pas dans son état normal. Et qui pourrait le leur reprocher? Cela se produit tous les jours. C'est la première chose. C'est là-dessus que l'enquête sur l'affaire Yeo s'est penchée. J'ai joint les recommandations de cet exercice.
Nous avons aussi longuement examiné la question dans le cadre des travaux du comité sénatorial, et j'ai retenu six ou sept recommandations, que nous appuyons sans réserves, au sujet de la nécessité d'une protection à la frontière.
Enfin, un aspect très inquiétant vient de nous apparaître. J'ai demandé par écrit à l'union douanière si on interceptait les armes à la frontière. On m'a répondu que 450 000 objets de courrier passaient à la frontière et qu'ils n'en voyaient qu'environ 30 p. 100. D'après les règles des douanes, ils n'ont le droit d'examiner que les colis de plus de 30 grammes. Il n'y a même plus de passeurs. On expédie par courrier les armes démontées, dans des colis de moins de 30 grammes, et il ne reste plus à la partie canadienne de ce trafic qu'à fournir la crosse. La situation est très grave,
À quoi pourrait bien servir une loi si nous ne réglons pas les problèmes aux frontières? Je vous l'ai demandé, et je dois vous le demander encore. Le ministre du Revenu et de l'Immigration et le solliciteur général ont autant à faire pour mettre en oeuvre le projet de loi, que nous appuyons, que les citoyens et le ministre de la Justice. Je vous prie instamment de faire comparaître le ministre devant votre comité.
Il existe un comité interdisciplinaire et interministériel qui se réunit régulièrement. Je me tiens au courant de ses travaux, mais je ne sais vraiment pas ce qui se passe. Je vous supplie d'énoncer bien clairement que l'application d'une loi est un aspect critique. Si ces ministères n'assument pas leur rôle, tout ce que nous tentons de faire aura été vain, et vous pouvez vous attendre à ce qu'il y ait d'autres victimes.
Il est possible de louer des armes à l'heure à Toronto. Il n'est même pas nécessaire d'en acheter une. Les armes qu'on peut louer sont des armes prêtes à monter qui viennent des États-Unis. Je vous en supplie, tenez compte de cet avertissement, la situation à la frontière est très dangereuse.
M. McNamara: Permettez-moi de mentionner ma conversation avec un agent des douanes. Je lui ai demandé ce qu'il devait faire lorsque quelqu'un se présentait à la frontière avec une arme dans sa voiture et semblait dangereux? Il m'a répondu qu'il ne pouvait rien faire à ce sujet, sous peine de réprimande. Je n'arrivais pas à le croire.
Si on regarde à l'arrière du mémoire que j'ai présenté, on trouvera copie d'une note de service interne de Revenu Canada, Douanes et Accises. Cette note de service traitait des agents qui prenaient des risques inutiles. Je me contenterai d'en donner lecture:
On m'a récemment signalé que des agents des douanes dans l'exercice de leurs fonctions ont sciemment et délibérément pris des risques. Un tel incident s'est déroulé
- le passage est raturé -
pour poursuivre et retenir un voyageur que l'on savait violent et généralement armé. Même si l'intervention de l'agent s'est bien terminée, il était extrêmement dangereux de poser un tel geste, sur les plans de la santé et de la sécurité. Par ailleurs, la politique ministérielle interdit le recours à la force pour empêcher une personne qui n'a pas été détenue ni arrêtée de quitter le territoire douanier. Par conséquent, je vous prie de veiller à ce que tous les inspecteurs soient au courant de la politique et comprennent le sérieux et les conséquences de tels gestes.
Ils ont arrêté un vaurien et ils ont eu des ennuis. Nous avons besoin d'agents de la paix à la frontière, et d'un lien avec le CIPC. On m'a dit que nos agents des douanes n'ont même pas le droit de se servir de l'ordinateur de la police.
Mme de Villiers: Puis-je préciser un point? Ce qui m'a horrifiée, il y a deux ans, c'est que les Américains consultaient déjà le CIPC depuis dix ans. Nos agents des douanes n'avaient pas accès à cette information, et je considérais que c'était tout simplement scandaleux. Toutefois, je crois qu'il y a maintenant deux points d'entrée où on utilise le CIPC. Il serait bon que vous demandiez au ministre quelle est la situation à cet égard.
Pour terminer, je veux aussi dire que le comité sénatorial a demandé au ministre du Revenu de se présenter à nouveau devant lui au cours du mois pour faire état des mesures qu'il a prises afin de régler ce problème au cours de la dernière année. Je vous demanderais de faire la même chose. Merci.
Mme Phinney: Pour ce qui est de l'autre question, je crois que vous avez déjà fait des commentaires à ce sujet - et j'ai été un peu surprise - je veux parler du non-respect des règles relatives à l'enregistrement. Je crois que vous avez tous deux affirmé qu'il faudrait que l'infraction criminelle demeure même dans les cas de première infraction. Pourriez-vous revenir sur ce point brièvement, s'il vous plaît.
M. McNamara: Je crois que le système est déjà en place dans les cas de non-respect. Si quelqu'un oublie accidentellement d'enregistrer son arme - c'est l'histoire de la grand-mère qui a oublié qu'elle avait une carabine de calibre 22 dans son grenier. M. Ramsay est un ex-agent de la GRC, il me semble. Je ne pense pas que M. Ramsay soit prêt à aller frapper aux portes pour arrêter les grands-mères qui ont une vieille 22. C'est une idée qui me paraît tout simplement absurde.
Si un accident se produit et qu'elles sont inculpées, elles pourront aller raconter leur histoire devant le tribunal. Lorsque j'étais enfant et que l'on faisait quelque chose de mal, on allait devant le juge. Le juge vous écoutait et si vous aviez commis une erreur en toute bonne foi, vous étiez relaxé et vous pouviez rentrer chez vous.
Par contre, ceux qui agissent à dessein sont ceux qui vont cacher leurs armes. Les gens qui me préoccupent avant tout sont ceux qui stockent des armes à feu, c'est ce qui se passe aux États-Unis avec les armes d'assault parce qu'on envisage d'y interdire en partie ces armes. Je pense qu'il faut prévoir de lourdes sanctions pour empêcher les gens de stocker chez nous des armes à feu et d'éviter à dessein de les enregistrer.
Mme de Villiers: Je suis entièrement d'accord avec vous. Il y a suffisamment de dispositions dans notre Code criminel actuel pour s'attaquer aux gens qui ne respectent pas la loi, à la discrétion des tribunaux ou de la police. J'ai fait figurer à la fin un avis juridique, entériné par un professeur de droit de la Saskatchewan, qui est convaincu que notre système actuel de justice pénale règle déjà parfaitement le problème.
Sur la question du stockage d'armes à feu, je considère qu'il y a un enchaînement logique étant donné qu'il y a là le moyen de plaider que l'on a agi sans penser à mal. Je suis gravement préoccupée par le fait que nous n'avons pas défini ce qu'est un collectionneur. Il reste d'énormes échappatoires. Il y en avait une aux termes du projet de loi C-17. Je ne crois pas que tout ce que cela implique soit bien pris en compte.
À titre d'exemple, j'ai fait figurer dans le document de discussion ce que le gouvernement fédéral entend par collection dans la nomenclature des biens culturels canadiens à exportation contrôlée. On y établit une distinction entre la collection et la simple accumulation, ce qui revient à du stockage. Je considère effectivement que l'on devrait aborder le problème.
J'aimerais sur un autre point réclamer le recours à l'amnistie. Carole Walzak fait état d'une anecdote au sujet de la découverte fortuite d'une arme à feu. En tant que citoyen respectueux des lois, vous n'en voulez pas mais vous ne savez pas comment vous en débarrasser. Nous avons aussi abordé cette question.
[Français]
M. de Savoye: Monsieur Bertrand, vous nous avez rappelé tantôt, de façon émouvante, les événements qui ont eu lieu à l'Université Concordia. Pourriez-vous nous dire comment, à votre avis, le projet de loi C-68 aurait pu empêcher cet horrible événement, sinon, que lui manque-t-il pour pouvoir atteindre ce genre d'efficacité et empêcher qu'un tel événement ne se reproduise? Avoir vos commentaires m'éclairerait.
M. Bertrand: Permettez-moi de répondre en anglais, s'il vous plaît. C'est plus facile pour moi.
M. de Savoye: Je vous en prie.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Barnes): Il y a un vote, et j'essaie de savoir pendant combien de temps vont sonner les cloches. Je prévois que nous allons siéger dans l'intervalle et certains membres du Comité devront nous quitter. J'aimerais qu'il en reste suffisamment pour que nous puissions poursuivre cette séance, mais il me faut obtenir des précisions. Je ne voulais pas vous interrompre et vous enlever une partie de votre temps. Continuez.
M. Bertrand: Dans l'état du projet de loi actuel, comme l'a dit Mark Hogben, je ne suis pas sûr que nous ayons nécessairement des raisons de croire qu'il aurait pu empêcher Fabrikant d'agir comme il l'a fait. C'est bien entendu la raison pour laquelle je préconise l'interdiction de toute possession d'arme de poing par des civils, parce que M. Fabrikant aurait alors été pratiquement dans l'impossibilité de trouver les armes pour commettre l'irréparable. Je ne suis pas sûr que les dispositions actuelles de la loi auraient pu permettre d'éviter ce genre de situation.
Par contre, il aurait probablement été très utile d'avoir dans la loi une disposition du genre de celle dont parlait Mme de Villiers, ce qui aurait permis à la Sûreté ou aux forces de police d'avoir davantage la possibilité de refuser des demandes d'acquisition d'armes à feu présentées par des gens au sujet desquels des institutions comme les universités ont fait état de préoccupations.
Malheureusement, j'ai appris dans ce cas-là que lorsque quelqu'un est déterminé à faire quelque chose sans se soucier des conséquences pour lui-même, il est probablement impossible de rédiger une loi empêchant que de tels événements puissent survenir.
M. de Savoye: Est-ce qu'un système d'enregistrement des antécédents médicaux aurait pu aider?
M. Bertrand : Oui, tout à fait. Je suis absolument en faveur d'un système du type de celui dont a parlé Mme de Villiers. Nous avons fait un certain nombre d'interventions en ce sens, mais on est pris dans une situation qui empêche la police ou tout autre intervenant de faire quoi que ce soit tant qu'il n'a pas effectivement commis d'acte répréhensible.
[Français]
M. de Savoye: Je vous remercie, monsieur Bertrand.
Madame de Villiers, vous avez abordé légèrement, il y a quelques instants, la question des collectionneurs. Dans votre mémoire, je crois que c'est à la recommandation numéro 10, vous indiquez qu'une collection n'est pas un assemblage hétéroclite d'armes à feu, mais que cela doit correspondre à certains critères. Est-ce que vous pourriez nous donner davantage de détails sur votre vision de cette chose?
[Traduction]
Mme de Villiers: J'examine la chose en faisant un parallèle audacieux. J'ai déjà été artiste et j'ai en fait appliqué mes connaissances de ce qu'est une collection artistique. En réalité, le parallèle n'est pas si audacieux étant donné qu'en ma qualité d'artiste je peux bien comprendre et j'ai déjà pu voir quel était le mérite artistique d'une collection d'armes à feu. Les armes à feu ayant été découvertes et développées en Chine, les artisans en ont fait de véritables oeuvres d'art. Il y a de grandes collections d'armes à feu qui sont considérées comme des oeuvres d'art. Voilà comment j'en suis arrivée à cette conclusion.
Je crois qu'il faut comprendre qu'un certain nombre de critères doivent être réunis pour qu'un ensemble d'armes à feu puisse être considéré comme une collection. Le problème est évoqué dans la définition donnée par le projet de loi C-17, aux termes de laquelle il faut que la collection ait un certain objectif rationnel. Il faut qu'il s'agisse soit d'un type de fabrication soit d'une période donnée. Il faut qu'il y ait une valeur historique ou esthétique quelconque que l'on puisse rationaliser et qui fait que l'intéressé collectionne ces armes à feu. Je considère qu'un ensemble hétéroclite d'armes à feu n'est qu'une accumulation et ne peut être considéré comme une collection.
Je pense qu'il faut avoir une définition claire donnant les raisons pour lesquelles une personne veut accumuler un grand nombre d'armes à feu. Nous avons eu récemment un cas à Toronto où 300 armes à feu ont été trouvées dans une maison. On a dit que c'était une collection. Ce n'était pas le cas.
La vice-présidente (Mme Barnes): Merci. Je vous ai laissé davantage de temps pour donner ces explications après l'interruption. Je vous précise qu'il y a un vote mais que nous continuerons à siéger tant que nous aurons un quorum de façon à entendre un maximum de témoins.
Madame Torsney, vous avez cinq minutes.
Mme Torsney (Burlington): Je tiens à dire tout d'abord aux membres des trois groupes présents que j'ai bien apprécié leur mémoire. Cela fait certainement un heureux changement par rapport à ces deux dernières semaines, au cours desquelles nous avons entendu tous les témoins venir se plaindre de notre projet de loi et dire que nous n'avions pas le droit de procéder comme nous le faisions.
On nous a demandé de reporter les audiences, de les suspendre, de retarder la mise en application du projet de loi et nous avons même entendu des procureurs généraux venir demander que l'on exempte leur province de l'application de ce projet. J'apprécie vos commentaires et toutes les recommandations que vous avez présentées dans vos rapports.
Monsieur McNamara, vous avez répondu à quelques-unes des observations qu'on nous a faites au cours des deux dernières semaines. Pour ce qui est de CAVEAT, vos recommandations 3, 9 et 10 sont particulièrement intéressantes. Toutes présentent un intérêt, mais je voudrais signaler celle qui concerne les agents des libérations conditionnelles. Nous nous pencherons certainement sur la question.
Il est intéressant par ailleurs de signaler que lorsque j'ai assisté à la réunion de Kamloops, on n'a pas manqué de discuter des collectionneurs. Il y avait quelque 450 propriétaires d'armes à feu et ils n'étaient que sept, au maximum, à avoir effectivement fait vérifier leur collection ou leur forme d'entreposage. On pourrait penser que les collectionneurs seraient les premiers à faire vérifier leurs armes. Mais là encore, l'un d'entre eux au moins a déclaré que son Uzi avait changé de catégorie et qu'il ne pourrait plus la garder, ce qui a amené 150 personnes à souhaiter pouvoir mettre la main sur une Uzi. Pour en faire quoi, je n'en sais rien.
Nous avons entendu un peu plus tôt les médecins des services d'urgence nous dire qu'ils ne voulaient plus participer à une expérience dans notre pays et qu'il nous fallait procéder rapidement à l'adoption de ces dispositions.
Je me demande ce que vous avez à répondre aux procureurs généraux du pays. Trois ou quatre d'entre eux ont déclaré que nous ne pouvons pas procéder comme nous le faisons et qu'ils voulaient bénéficier d'exemptions, de délais suspensifs. Que pouvez-vous leur répondre? Qu'avons-nous à leur dire?
M. McNamara: Je pense que les procureurs généraux des provinces devraient écouter leur population. Il y a eu des quantités de sondages, même dans la circonscription de M. Thompson en Alberta, où mon frère a été tué. Les citoyens de l'Alberta demandent que l'on renforce la législation sur le contrôle des armements. Je ne vois pas où est le problème. J'ai toujours pensé qu'à partir du moment où les Canadiens décidaient à la majorité, il n'y avait plus à discuter.
Il me semble qu'il y a une petite minorité d'activistes et de partisans des armes à feu qui fait entendre sa voix et veut prendre le pays en otage. J'ai très peur que notre pays se retrouve, par exemple, dans la même situation que les États-Unis, où la National Rifle Association se met à imposer ses volontés.
La population canadienne vous a élus. Tous les Canadiens ont voté. Je pense qu'il vous faut écouter la majorité des Canadiens et faire ce que veut la majorité des Canadiens.
Mme de Villiers: Laissez-moi vous répondre. Vous parlez de deux procureurs généraux. L'un est le ministre de la Saskatchewan, avec lequel j'ai engagé un débat il y a quatre ou cinq mois dans le cadre de l'émission Morningside de la CBC. J'ai écouté tout ce qu'il avait à dire. Il a fait une observation qui m'a véritablement jetée à la renverse car elle témoignait d'un total mépris pour les pertes en vies humaines, pour tout le mal que cela cause. En tant que représentant de la population chargé de faire régner la justice - j'ai trouvé cela absolument révoltant. Il s'agissait d'une anecdote que j'ai dû répéter depuis à une dizaine de reprises, au sujet de son oncle Hughie, un nom comme ça, qui possède une arme à feu depuis 60 ans et au sujet duquel on peut imaginer les embarras que va lui causer le fait d'avoir à aller remplir toutes ces formules.
Je n'ai pu que lui répondre la chose suivante: «Parlons des embarras. La mort de votre enfant tué par un homme brandissant une arme à feu est un sacré embarras, et savez-vous combien de formules j'ai dû remplir?»
M. McNamara: Bien dit.
Mme de Villiers: Le plus tragique, c'est qu'il a bien répété dix fois cette anecdote depuis lors.
M. Evans, de l'Alberta, a déclaré à un moment donné qu'il avait perdu deux armes à feu, qu'il ne savait plus où elles se trouvaient, que sa femme a dû le lui rappeler et qu'il n'était certainement pas disposé «à passer par tout le tintouin» de l'enregistrement. Là encore, dans la situation qui est la nôtre - des enfants qui sont tués par d'autres enfants, des accidents horribles qui font que des enfants tuent d'autres enfants et des familles en Alberta - voilà qui rend la chose tout à fait inconvenante. Je dois vous avouer bien franchement que je n'en reviens pas que l'on laisse à quelqu'un qui prétend représenter la population d'une province de la taille de plusieurs pays suggérer qu'il ne faut pas lui appliquer les mêmes règles qu'aux autres provinces.
Mme Torsney: Madame de Villiers, la ministre de la Justice du Manitoba est venue comparaître devant nous. Elle est aussi ministre chargée de la situation des femmes. Elle a affirmé que l'élection du 25 avril 1995 représentait un vote décisif contre le contrôle des armements, qu'une consultation avait été effectuée au porte à porte auprès des électeurs et qu'il n'était pas nécessaire d'en faire plus. Elle n'avait rencontré en fait aucun groupe de victimes, aucun groupe comme CAVEAT et aucun groupe de femmes dans sa province sur cette question en particulier. Cela ne l'a pourtant pas empêché de prétendre que notre ministre avait échoué après avoir consulté plus de 100 groupes dans tout le pays, sans oublier un certain nombre de députés.
Que répondez-vous à Mme Beaudry?
Mme de Villiers: Ce que je réponds à Mme Beaudry? Qu'en fait il est attesté qu'à l'échelle internationale, et certainement dans le monde occidental, il y a une recrudescence de la violence, en grande partie avec des armes à feu. Nous devons faire face aux problèmes des pays du Bloc de l'Est, qui bradent leurs armes sur le marché. Nous sommes envahis par les armes que nos voisins du sud bradent chez nous. Nous avons une femme qui meurt tous les six jours. Voulez-vous que j'en nomme cinq dans un seul mois? Je peux le faire.
Un tel dédain, une telle absence d'intérêt, pour plus de 50 p. 100 de la population qui fait face à ce problème, nous montre bien pourquoi on ne peut pas faire d'exception pour certaines provinces. C'est exactement la raison pour laquelle il nous faut un système de normes fédérales - il n'y a pas à se demander le pourquoi et le comment. Je vous remercie.
M. Hogben: J'aimerais moi aussi répondre à votre question.
Je considère que ces gens sont faibles sur le plan moral et politique. C'est bien trop facile d'agir ainsi lorsque l'on se trouve avec un groupe de gens qui disent tous: Faites ceci, allez vous jeter à l'eau, continuez à fumer ou à boire. Il est bien trop facile de se dire, puisque tout le monde me dit de boire, je vais continuer à boire. Il est bien plus difficile d'écouter la voix intérieure qui nous dit que c'est mal.
Nous sommes cette voix intérieure. Nous ne parlons pas haut et fort. Nous n'avons pas de gros budgets. Avant que les députés n'entrent dans cette salle, nous n'allons pas faire du porte à porte en demandant à tout le monde de faire respecter nos droits et en disant que nous sommes des victimes. Ce n'est pas ainsi que nous allons agir. Je vous le répète, le simple fait de venir ici a représenté pour nous un grand pas. Ce n'était pas facile.
Je les considère comme faibles. Ce sont des politiciens qui font preuve de faiblesse. Il y a différents types de politiciens. Il y a ceux qui cherchent à promouvoir les intérêts des gens qu'ils représentent et ceux qui écoutent les gens qui leur disent de faire telle ou telle chose. Je considère qu'ils sont faibles.
Le président: Monsieur Bertrand, vous voulez ajouter quelque chose?
M. Bertrand: Quelques mots, si vous le voulez bien, monsieur le président.
Vous me demandez de répondre. Pour moi, la réponse la plus simple est la suivante. Nous sommes ici au Parlement fédéral et ce dernier doit adopter des lois qui traitent tous les Canadiens sur un pied d'égalité, un point c'est tout.
Mme Meredith (Surrey - White Rock - South Langley): Je vous remercie tous d'être venus ce matin.
En lisant vos mémoires, je suis heureuse de constater que vous reconnaissez qu'il faut traiter de la même manière les armes à feu et les répliques. J'ai la même préoccupation que la vôtre. Tant que l'on n'aura pas bien fait comprendre aux tribunaux que peu importe si une arme peut tirer un projectile à tant de mètres par seconde, le traumatisme est le même... Cette loi me préoccupe parce que l'on n'en a pas tenu compte. J'ai peur que dans certaines affaires on abandonne les accusations ou on les négocie à la baisse parce qu'on ne se rend pas compte qu'il faut tout traiter de la même manière. Je tiens à vous remercier d'en avoir pris conscience.
La question que je veux vous poser, c'est si vous avez l'impression que les peines qui vont être appliquées dans la cadre de ce projet de loi seront suffisamment sérieuses et suffisamment lourdes pour avoir un effet? Je veux établir une distinction. Il y a les dix crimes les plus graves, qui sont passibles d'une peine d'emprisonnement de quatre ans au minimum. Il y a ensuite les délits moins graves, pour lesquels il est aussi possible de procéder par voie de déclaration sommaire de culpabilité. Une déclaration sommaire de culpabilité peut se présenter sous la forme d'une amende ou d'une peine d'un jour d'emprisonnement. Estimez-vous que le ce projet de loi réprime de façon suffisamment lourde le comportement des criminels qui utilisent des armes à feu dans notre société?
M. McNamara: Non, mais je pense que tout cela fait simplement partie de la législation. Évidemment, tout le monde aimerait que les criminels soient frappés de sanctions plus lourdes. Il faut que les criminels commencent à payer pour leurs crimes. Une employée de banque ne sait pas si l'arme qui est pointée vers elle est vraie ou n'est qu'une imitation. Le traumatisme reste le même.
Je considère effectivement que des sanctions ou des peines plus lourdes pourraient être dissuasives. Le problème, c'est aussi que tout cela n'intervient qu'après coup dans beaucoup de cas de ce genre. Ainsi, mon frère a été tué par une personne qui a été accusée d'homicide volontaire. Je pense qu'on aurait dû lui infliger une peine plus longue, mais j'aimerais encore mieux que mon frère soit toujours en vie.
Ce projet de loi ne nous aide pas du côté de la prévention. J'aimerais mieux avoir encore mon frère que de voir imposer des peines plus lourdes aux criminels.
Mme de Villiers: Au sujet des répliques, maintenant, c'est une question très importante. J'ai passé plus de temps que je ne l'aurais jamais imaginé avec des agents de police ces dernières années et l'un d'entre eux, un homme très expérimenté, m'a dit un jour avec des sueurs froides: «J'ai failli tuer un enfant ce soir.» Il était stationné au feu et un jeune de 16 ans est passé au volant d'une voiture. Tout ce qu'il a vu, c'est un pistolet que l'on brandissait dans sa direction.
Paradoxalement, il avait comme passager le chef des services de police. C'était le soir où il patrouillait pour voir comment les choses se passaient. Il a juste dit: «À terre», et un homme imposant, de grande stature, a été amené à se coucher sur le plancher. C'est un vrai ou un faux, s'est-il demandé alors? Il a dû se fier à son instinct qui lui disait que ce n'était qu'une réplique. Le pistolet était directement pointé sur lui et il n'a pas sorti le sien, il n'a pas tiré.
C'est une chose à laquelle je pense depuis lors. Rien n'est bon ou mauvais, c'est la façon dont on le considère qui change tout. C'est exactement cela. Si la chose a l'air d'une arme à feu, au bout du compte, c'est bien une arme à feu, et c'est ce qu'il faut comprendre.
Pour ce qui est du prononcé des peines, il faut bien reconnaître que nous avons si peu de succès pour faire appliquer les peines actuelles que la question devient théorique. Ce que nous voulons au sein de notre système c'est que les peines, qu'elles soient de quatre ans d'emprisonnement ou de toute autre durée, soient en fait bien appliquées - appliquées uniformément, dès le départ et sans confusion de peine. C'est le message que nous voulons faire passer et nous avons bien des difficultés à persuader les tribunaux d'agir ainsi.
En second lieu, il y a une étude qui a été rédigée récemment, par l'Association du barreau canadien, je crois, sur l'application des peines. On y faisait remarquer qu'on infligeait toujours le minimum. Il était proposé de ramener le maximum au minimum. Je dirais pour ma part qu'il faut relever le minimum. Toutefois, si l'on doit partir de quatre ans, commençons par faire appliquer cette peine. Je n'ai aucune objection à condition que la peine soit appliquée, et je pense que c'est là le sujet de préoccupation fondamental.
Mme Meredith: Mais il ne s'agit pas là d'une peine consécutive. C'est une situation donnée, un crime impliquant une peine minimale. Il n'y a toutefois pas de peine supplémentaire pour l'utilisation d'une arme à feu.
Mme de Villiers: Non.
M. McNamara: Pour commencer, nous ne croyons pas aux peines concomittentes, et...
Mme Meredith: C'est pourtant ce que fait ce projet de loi, et c'est ce qui m'inquiète. Le gouvernement avait ici la possibilité de faire véritablement quelque chose pour éviter que les criminels ne fassent usage d'armes à feu, et j'ai bien peur qu'il ait manqué le bateau.
Mme de Villiers: Je vous ai mal suivi, excusez-moi. Je suis tout à fait en faveur des peines consécutives.
M. Wappel (Scarborough-Ouest): Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Je dispose de cinq minutes.
Bien évidemment, on ne peut qu'être touché par votre témoignage. Chaque fois que CAVEAT, Victimes de violence, etc., se présentent devant le comité pour faire état de situations personnelles tragiques, on ne peut qu'être touché. Je ne voudrais donc pas que vous vous mépreniez sur la nature de mes questions, qui seront courtes et directes mais qui ne doivent pas être interprétées comme le signe d'un manque de compassion ou de sentiment.
Monsieur Bertrand, l'arme qui a servi à tuer les professeurs était une arme de poing enregistrée, n'est-ce pas?
M. Bertrand: Oui.
M. Wappel: Donc, l'enregistrement n'a pas empêché cette tragédie?
M. Bertrand: C'est exact.
M. Wappel: Vous recommandez donc une interdiction totale de toutes les armes de poing au Canada?
M. Bertrand: C'est tout aussi exact.
M. Wappel: Nous aurons bientôt un système d'enregistrement des armes d'épaule au Canada. Nous savons que l'enregistrement des armes d'épaule au Canada n'empêchera pas que des crimes soient commis avec ces armes. Allez-vous donc réclamer une interdiction totale de toutes les armes d'épaule au Canada?
M. Bertrand: En fait, M. Ramsay m'a déjà posé cette question tout à l'heure.
M. Wappel: J'aimerais pourtant que vous répondiez à la question telle que je vous l'ai posée.
M. Bertrand: M. Fabrikant aurait eu bien plus de difficulté à introduire des armes d'épaule à l'université sans que les gens s'en rendent compte. Pour le moment, je ne voudrais pas...
M. Wappel: C'est bien ce qu'a fait M. Lépine, n'est-ce pas?
M. Bertand: M. Lépine, oui. Je pense que nous prenons de plus en plus conscience de ces choses aujourd'hui dans des institutions publiques comme les universités. Nous faisions attention jusqu'à un certain point à des gens comme Fabrikant, mais vous savez que nous n'avons pas le droit d'arrêter et de fouiller quelqu'un.
Pour l'instant, je considère que le simple enregistrement des armes d'épaule est un pas important qui nous permettra d'être plus en sécurité au Canada, ce qui, bien entendu, est l'essentiel en ce qui me concerne.
M. Wappel: Vous avez employé des formules restrictives telles que «pour l'instant» ou «en attendant». Ma question est bien précise. Une fois que toutes les armes d'épaule auront été enregistrées, dès qu'il y aura une tragédie, et inévitablement il y en aura une, allez-vous réclamer l'interdiction pure et simple des armes d'épaule au Canada?
M. Bertrand: Je ne peux pas vous donner une réponse parce qu'il ne s'agit que d'une hypothèse. Il faudrait voir dans les circonstances comment je réagirais. Pour l'instant, je dirais que non.
M. McNamara: Monsieur Wappel, j'aimerais répondre à cette question au nom de Victimes de violence.
Victimes de violence appuie les citoyens respectueux des lois qui chassent pour subvenir à leurs besoins. Au cas où votre comité envisagerait d'interdire les fusils et les armes de chasse, Victimes de violence s'y opposerait en se joignant aux lobby des armes. C'est une chose qui fait partie de notre patrimoine, de notre culture. Bien souvent, les armes d'épaule sont nécessaires.
M. Wappel: Puis-je m'adresser à CAVEAT?
Bien entendu, ces quatre affaires parlent d'elles-mêmes, mais je ne vois pas très bien - et j'ai peut-être mal compris l'argument - pour quelle raison elles figurent dans votre mémoire. J'imagine que ce sont des exemples qui visent à témoigner de la nécessité de l'enregistrement.
Mme de Villiers: Oui. Il est clair que l'affaire Lovie est l'exemple type du cas dans lequel l'enregistrement de toutes les armes aurait effectivement permis d'épargner deux vies. En fait, la police a vérifié à deux reprises pour savoir si l'intéressé avait réellement une AAAF et, comme le nom et le numéro avaient été mal classés par un commis, elle ne l'a pas trouvée, de sorte que l'intéressé est allé s'acheter une arme à feu et s'en est servi pour tuer.
M. Wappel: Mais il avait bien une AAAF et il y eu une erreur dans le système.
Mme de Villiers: Précément.
M. Wappel: C'est donc une chose qui pourrait se produire lorsqu'on enregistrera toutes les armes à feu.
Mme de Villiers: Ça pourrait se produire, mais on peut espérer qu'un commis bénévole n'aura pas à faire une recherche dans un fichier manuel au poste de police. On peut espérer pouvoir disposer d'un système qui sera quand même meilleur avec le CPIC.
M. Hogben: Je travaille dans l'informatique - je suis programmeur - et je comprends que ce genre d'erreur puisse se produire. Ce qu'il y a de bien dans ce nouveau système d'enregistrement, c'est qu'une fois que l'on procédera à un enregistrement généralisé, des erreurs de ce genre disparaîtront lorsqu'on fera le nettoyage du système parce que l'on s'attaquera à quelque chose de bien plus gros. Donc, effectivement, c'est une chose qui pourra survenir dans le nouveau système, mais ce sera bien improbable.
M. Wappel: Comment un système d'enregistrement aurait-il pu empêcher Gavin Mandin de tuer sa famille?
Mme de Villiers: Je ne peux pas vous répondre sur ce point. Il est question ici d'un jeune contrevenant. Je ne suis pas en Alberta. Colette est membre de CAVEAT. Je ne sais pas ce que je peux révéler de la situation au sein de la famille.
Il s'agit d'un jeune contrevenant qui a tué quatre membres de sa famille avec sa propre arme, c'est tout ce que je peux dire.
M. Wappel: Dans le cas de M. Simmonds, qui implique l'utilisation d'un pistolet de calibre .22 équipé d'un silencieux, s'agissait-il d'une arme enregistrée ou d'une arme obtenue illégalement?
Mme de Villiers: C'est une arme de poing.
M. Wappel: Était-elle enregistrée ou illégale?
Mme de Villiers: Elle était évidemment illégale, puisqu'il s'agissait d'un trafiquant de drogues. C'était une affaire de drogue. C'est pourquoi nous sommes en faveur des dispositions s'appliquant aux armes de poing.
M. Wappel: Oui, mais le système d'enregistrement n'aurait pas empêché ce terrible accident puisqu'il s'agissait d'une arme illégale.
Mme de Villiers: Il avait réussi à obtenir une arme illégale, oui.
M. Wappel: Merci.
Mme de Villiers: Puis-je ajouter une chose, monsieur Wappel?
Je répète que mon principe, sur ce point, n'est pas de chercher à essayer de rendre compte de toutes les armes. La question n'est absolument pas là.
Il s'agit d'entamer un processus. Nous ne l'avons jamais abordé dans son intégralité et, pour entamer ce processus, il nous faut définir ce qui est légal. C'est tout ce que je considère sur ce point.
Une fois cela fait - et cela nous ramène à Schlender et à son pistolet - on peut essayer de voir exactement quoi faire sans gêner indûment les propriétaires légitimes d'armes à feu. Où est le problème? Il se situe à la frontière, avec l'importation d'armes illégales. Mais il faut lancer le processus.
Je ne prétends pas du tout que ce soit une panacée. Cela va sauver quelques vies, mais surtout c'est un élément du processus.
M. Wappel: Je vous remercie.
Le président: Avant de donner la parole à M. Langlois, j'aimerais demander une précision sur la question posée par M. Wappel.
Monsieur Bertrand, si je me souviens bien, Fabrikant s'est procuré l'arme de poing qu'il a utilisée pour les meurtres en prétextant qu'il s'était inscrit à un club de tir.
M. Bertrand: Oui, monsieur.
Le président: Mais on s'est aperçu ultérieurement qu'il n'est jamais allé à ce club ou n'a jamais participé à des concours.
La raison pour laquelle le gouvernement a maintenant inséré le paragraphe 110e), qui permet de réglementer les clubs de tir, c'est pour obliger ces derniers à signaler lesquels de leurs membres ne pratiquent pas vraiment le tir de compétition. Nous croyons savoir que les clubs de tir les mieux organisés font des vérifications et, si leurs membres ne pratiquement pas le tir de compétition, ils le signalent aux autorités et leur inscription est annulée. Mais il n'avait rien à ce sujet dans la loi.
Dans le cas de Fabrikant, je crois qu'il s'est inscrit dans un club et a obtenu l'arme, mais il n'a jamais pratiqué le tir de compétition et a utilisé cette arme pour commettre son crime.
Avec cette nouvelle disposition, les clubs devront produire des rapports. Ils devront signaler aux autorités ceux de leurs membres qui prétendent faire du tir de compétition mais ne le font pas réellement. Ces derniers perdraient alors leur permis et l'enregistrement de ces armes.
N'est-il pas vrai qu'il a obtenu cette arme de poing en prétextant qu'il était membre d'un club de tir, alors qu'il n'a jamais vraiment pratiqué ce sport?
M. Bertrand: Oui, monsieur, et d'ailleurs lorsque j'ai écrit à la Sûreté, c'était pour l'empêcher de porter cette arme. Il demandait le permis de port d'armes pour pouvoir se rendre à son club de tir, mais il n'y avait en fait jamais mis les pieds. C'est juste.
Le président: Certains témoins se sont opposés à l'idée de réglementer les clubs de tir avec une arme de poing.
Voilà précisément la raison pour laquelle nous voulons une telle réglementation. D'ailleurs, les meilleurs clubs effectuent déjà ces contrôles. Mais celui auquel appartenait Fabrikant ne le faisait pas, et c'est pourquoi rien n'a été fait pour annuler son permis et l'enregistrement de son arme, bien qu'il n'ait jamais fait de compétition.
M. Bertrand: Absolument pas. Je suis pleinement en faveur de cette disposition du projet de loi.
[Français]
M. Langlois (Bellechasse): Hier, l'Association canadienne de justice pénale a comparu devant le Comité et bien qu'elle était en faveur des dispositions du projet de loi C-68, elle émettait de sérieuses réserves sur les peines minimales. J'aimerais avoir votre point de vue là-dessus. Est-ce que vous êtes plutôt porté à favoriser des peines minimales dans les cas de crimes commis avec des armes ou si vous considérez que ce devrait être un facteur dont le juge devrait tenir compte dans la détermination de la peine, sans toutefois être obligé de prononcer une sentence minimale?
[Traduction]
M. McNamara: À partir du préambule à ces peines minimales, je pense que l'on peut moduler quelque chose. Si on se décide pour quatre ans, cela deviendra la règle. Quiconque est coupable d'homicide reçoit automatiquement une peine de quatre années.
Pour ce qui est du chiffre, on peut avoir quatre ans, huit ans, six ans. Il y a toutes sortes d'avis.
Mais notre premier souci, comme je l'ai dit, est la prévention. Du point de vue des victimes, avec les souffrances que nous-mêmes et nos familles avons subies, la priorité est la prévention. Les questions de la détermination de la peine peuvent être abordées dans d'autres contextes.
Si vous voulez en parler ici, prenons le crime le plus grave, le meurtre au premier degré. Si vous voulez commencer à châtier plus durement, abolissez l'article 745 du Code criminel pour ceux qui tuent avec une arme de poing.
Ce n'est qu'un aspect. Il fait partie du tout, mais l'aspect prévention nous intéresse davantage.
Le président: Madame de Villiers, même question.
Mme de Villiers: Je ne sais pas si vous étiez présent, mais j'en ai déjà parlé dans une certaine mesure en réponse à la question de Mme Meredith.
Ce qui compte pour nous, c'est qu'il y ait une infraction identifiable, soit l'utilisation d'une arme à feu ou d'une arme de poing lors de la perpétration d'un crime. Voilà le crime qu'il faut définir. Il faut que ce soit une infraction séparée, qui ne se retrouve pas amalgamée avec une autre, si même les tribunaux en tiennent compte. Il vont prononcer une peine globale de trois ans.
Si on les pousse dans leurs retranchements, ils diront que la peine est d'un an pour l'utilisation de l'arme et de deux ans pour le crime commis. Mais cela ne fait pas passer le message que l'utilisation de l'arme à feu représente un crime en soi. Il doit comporter sa propre sanction, sans pouvoir faire l'objet d'une négociation du plaidoyer.
En mon sens, peu importe le nombre d'années de prison minimal. Ce qui importe c'est de considérer que le port d'une arme à feu constitue un crime séparé et distinct, et de faire passer ce message. Voilà notre position.
[Français]
M. Langlois: Pour ceux d'entre vous qui ont été des parents ou des proches de victimes, est-ce que vous vous êtes généralement sentis mis à l'écart du processus lorsque les cas ont été judiciarisés? Est-ce que les procureurs de la Couronne ont fait preuve de collaboration, d'une certaine sympathie ou de compréhension à votre égard? Auriez-vous des commentaires positifs ou négatifs à formuler à l'égard du système judiciaire par rapport aux parents ou aux proches de victimes?
[Traduction]
M. McNamara: C'est la raison pour laquelle je suis devenu membre de Victimes de violence. Les seuls qui m'aient vraiment aidé ont été les agents de police. Ce sont eux qui ont vu le corps de mon frère. Ils ont vu la douleur et l'angoisse que vivait notre famille. Ce sont eux qui nous ont le plus aidés.
Ce sont eux qui m'ont conseillé de m'adresser à Sharon et Gary Rosenfeldt, dont le fils a été tué par Clifford Olson, et à Victimes de violence. Nous sommes une organisation de victimes aidant les victimes. Je pense que, sans eux, ma peine et ma souffrance auraient été bien plus grandes.
Mme de Villiers: Dans notre cas, j'ai été confrontée particulièrement à la réalité de la violence faite aux femmes, dont on parle tellement que cela devient du folklore.
La police a apporté un soutien extraordinaire. Il a fallu attendre trois semaines avant que les choses soient tirées au clair. Le corps de ma fille n'a été identifié qu'après 11 jours. La police m'a beaucoup aidé.
Mais dès la clôture de l'enquête, il y a eu un verrouillage et absolument personne du système judiciaire ne nous a plus jamais adressé la parole. La seule chose que nous savions, c'était ce que nous lisions dans les journaux. En fait, des journalistes nous téléphonaient et disaient: «Savez-vous ce que le procureur général vient de dire?», et nous allions acheter le journal pour le savoir.
Le fait qu'il y a eu trois morts inexpliquées et une tentative d'enlèvement, sans que âme qui vive n'en dise un mot, est proprement incroyable. On nous a dit que Jonathon Yeo était l'assassin environ un an plus tard, lorsque les tests d'ADN ont été terminés. Ces tests d'ADN et l'enquête n'auraient jamais eu lieu si les citoyens du pays ne s'étaient pas joints à nous dans une pétition.
Ce que j'ai découvert à l'instruction, c'était huit jeunes femmes à la barre, chacune expliquant pourquoi elle n'a pas réussi à attirer l'attention des autorités judiciaires sur Jonathon Yeo. Elles étaient huit, avec un scénario différent dans chaque cas: les tribunaux, la police, un psychiatre, autre chose encore.
Lorsque nous avons lancé ce mouvement, le système de justice pénale était totalement hostile aux victimes. Nous nous sentions comme des parias dans notre propre pays. Il n'y avait aucune information, aucune aide. Cela change rapidement, mais pas assez vite.
C'est en grande partie ce que nous, chez CAVEAT faisons pour les victimes. Des gens de tout le pays nous contactent et nous demandent ce qu'ils peuvent faire, à qui ils peuvent s'adresser parce qu'ils ont besoin d'aide. Nous nous mettons alors au téléphone et appelons qui nous pouvons pour aider des gens dans tout le pays.
Donc, en bref, les victimes jusqu'à aujourd'hui restent encore totalement à l'écart du système. Il commence à y avoir des fissures, on commence à constater un peu de bonne volonté ici et là, mais presque tout reste encore à faire.
M. Gallaway (Sarnia - Lambton): Soyez les bienvenus, mesdames et messieurs.
Ces audiences ont été marquées par ce que j'appelle des maximes et slogans. Les gens arrivent et disent: «Il faut châtier les criminels». On nous a dit: «Environ 0,4 p. 100 des propriétaires d'armes sont la cause du problème; pourquoi s'en prendre à tous les autres?» Nous avons entendu également un certain nombre d'experts qui se situent dans un camp ou dans l'autre, il y a aussi des gens qui se posent en experts mais qui ne le sont peut-être pas.
L'un des chiffres qui m'a étonné et qui était contenu dans un mémoire présenté au Comité, intéressait le droit à la légitime défense. Il y a, semble-t-il, une étude indiquant que des dizaines de milliers de Canadiens chaque année doivent sortir leur arme à feu, leur pistolet ou fusil, pour se défendre contre autrui. Je ne parle pas de gens qui vivent dans des coins reculés et doivent se défendre contre des animaux sauvages; ce sont des gens qui se défendent contre d'autres personnes.
Je trouve cela quelque peu suspect. Je ne connais personne qui se soit trouvé dans une telle situation, mais à supposer qu'il y ait 23 000 ou 32 000 personnes dans ce cas, peu importe le chiffre, comment réagissez-vous à cela?
Mme de Villiers: Nous avons pris une position très ferme à ce sujet.
Je viens d'Afrique du Sud. Il y avait chez nous un régime extrêmement stricte d'enregistrement et de classification des armes, avec confiscation immédiate et interdiction à vie d'en posséder si vous n'entreposiez pas votre arme correctement ou si elle vous était dérobée, à moins que vous ne puissiez réellement vous justifier. Les gens avaient des armes chez eux. Je peux vous dire que tant qu'elles étaient très strictement contrôlées, il y avait moins d'incident. C'est difficile à dire, nos solutions n'étaient pas très bonnes.
Je peux vous dire une chose: on constate une escalade de la violence lorsqu'il y a des armes dans une maison. Il y a eu un tournant en 1975 avec une escalade de violence telle que les gens qui venaient cambrioler ne cherchaient plus à passer inaperçus. Ils fracassaient une vitre et entraient. En général, ils commençaient même par tirer et volaient ensuite.
Donc, pour ce qui est de la légitime défense, nous y sommes tout à fait opposés.
Dans l'un des rapports que j'ai lus, on recommande que les femmes portent une arme pour se protéger du viol. C'est la chose la plus abominable que j'ai entendue. Les viols qui vont passer en justice - les viols de Scarborough dont M. Bernardo est accusé et tous ces autres viols - ont été commis en attaquant les femmes par derrière.
En Afrique du Sud, si vous portez une arme, la police vous dit que, à moins d'être prête à tirer la première, immédiatement, de savoir manier votre arme et de ne vous poser des questions qu'après coup, la probabilité est que vous serez tuée immédiatement avec votre propre arme.
La force engendre la force. Plus vous usez de force, et plus on vous en oppose. S'il y a une chose dont nous avons besoin et en faveur de laquelle CAVEAT se range totalement, c'est un système judiciaire qui soit suffisamment crédible pour que les citoyens qui n'ont pas la formation voulue, ni la capacité d'agir de façon appropriée, ne soient pas tentés de s'armer. Nous avons vu tellement d'exemples tragiques de cela aux États-Unis.
Nous devons pouvoir faire confiance au système pour nous protéger. Il faut de la prévention à tous les niveaux. Je suis tout à fait opposé à l'idée de s'armer pour se défendre soi-même. Si nous en venons jamais là, cela révèlera la fin de la justice au Canada, très franchement.
M. McNamara: Au sujet de ce sondage, j'ai participé à une émission de débat où quelqu'un représentant Responsiple Firearms Owners - ils sont tous responsables et respectueux de la loi, et cela me déroute parfois - a lancé quelques chiffres ridicules sur la légitime défense. J'y ai un peu réfléchi. Ces chiffres signifieraient que tout le monde passe son temps dans son jardin à guetter des maraudeurs armés.
Je crois que cela a été rédigé par quelqu'un du nom de Mauser, un universitaire de la côte ouest. J'ai donc demandé à un de mes amis de se renseigner et il apparaît qu'il ne s'agit pas d'un expert en armes à feu. C'est un expert en marketing et il s'est chargé de projets pour la National Rifle Association. Je suppose qu'il veut vendre l'idée que les armes à feu sont une bonne chose. Avec toutes ces informations erronées qui circulent, et il en est un bon exemple, je pense qu'il fait un excellent travail et la National Rifle Association devrait lui verser une prime.
Le président: Excusez-moi. M. Mauser a comparu ici l'autre jour et nous avons tous pu l'écouter et lui poser des questions. Je pense qu'il n'y a rien à dire de plus sur son témoignage.
M. Thompson (Wild Rose): Merci d'être venu. C'est un plaisir que de vous revoir.
J'apprécie cette occasion de dialoguer avec vos groupes, comme je l'ai fait par le passé à Hamilton. J'espère que cela continuera, car nos objectifs sont certainement les mêmes. La bataille sera dure pour déterminer comment les réaliser, mais c'est indispensable. Je pense que nous sommes tous d'accord là-dessus.
Je vous admire tous pour vos témoignages de ce matin. Je sais combien cela est difficile. Il y a quelques années, mon neveu de 18 ans a placé le canon d'un fusil de calibre 12 dans sa bouche et s'est fait sauter la cervelle. Je peux comprendre ce que vous ressentez.
Ce projet de loi a ramené tous ces souvenirs. Quand je le passe en revue, j'essaie d'appliquer les dispositions à ce qui s'est passé à l'époque, pour tenter de trouver quelque chose qui aurait pu changer le cours des événements. Je n'ai rien trouvé.
Je ne dirai rien de plus de cet épisode, sauf qu'il n'y avait absolument aucune raison à ce suicide que nous aurions pu identifier, mais il s'est produit. Je peux donc comprendre ce que vous ressentez.
Je veux aussi dire quelques mots de ma circonscription. Robert en vient aussi. J'ai du mal à concilier les opinions dans ma circonscription avec les sondages nationaux. J'ai distribué un questionnaire, et si vous voulez y jeter un coup d'oeil vous verrez que les questions ne sont pas du tout partiales. J'ai reçu 2 446 réponses; 78 p. 100 étaient opposées à ce projet de loi, 22 p. 100 en faveur.
J'ai aussi reçu maintenant plus de 4 000 lettres que chacun peut aller inspecter dans mon bureau de circonscription, car certains ont mis en doute ces chiffres. J'invite qui veut les voir à venir examiner ce courrier. Sur les 4 000 personnes qui m'ont écrit, moins de 10 p. 100 sont favorables au projet de loi et plus de 90 p. 100 y sont opposées.
J'ai également déposé plusieurs pétitions contre ce projet de loi au nom de mes mandants. Nul ne m'a demandé de présenter une pétition favorable à ce projet de loi.
Donc, lorsqu'on parle de sondages, j'ai bien du mal à concilier les réactions que j'obtiens avec les chiffres des sondages nationaux que l'on me cite.
Auriez-vous quelque chose à dire là-dessus?
M. McNamara: Oui.
Mon frère a été tué à Canmore et il avait beaucoup d'amis là-bas. Certains possèdent des armes à feu, d'autres non. Lorsque ceux qui ne possèdent pas d'arme à feu pensent à la législation de contrôle, ils se disent «cela ne me concerne pas, je ne possède pas d'arme à feu, je ne vais donc pas devoir procéder à l'enregistrement. Je n'ai pas l'intention de jamais en posséder une. Ces gens-là ne vont pas vous écrire de lettres.
Il y a beaucoup de Canadiens comme eux. Ceux qui vont s'exprimer, particulièrement en Alberta, sont les groupes organisés. Si vous allez dans un club de tir un jeudi soir, il y aura là 50 membres qui sont rassemblés et qui disent «Il faut faire quelque chose». Ils s'organisent. Ils ont fait un bon travail. Ils ont écrit quantité de lettres à tous les députés.
Ceux qui ne fréquentent pas les clubs de tir sont assis devant la télévision à regarder le match de hockey, espérant que leur équipe va gagner. Le projet de loi ne les préoccupe pas. Si vous vous en tenez au courrier que vous recevez, vous aurez une image faussée de l'opinion publique.
M. Hogben: Vous dites que les sondages que vous avez faits ne reflètent pas une opinion favorable à ce projet de loi, pas plus que les lettres que vous recevez.
Je n'ai pas écrit de lettre et je ne serais pas venu ici si on ne me l'avait pas demandé. Pour vous dire la vérité, lorsqu'on m'a appelé - j'ai l'affichage des numéros d'appel - je n'ai pas répondu la première fois. Je n'ai pas plus répondu la deuxième fois. Je me suis finalement résolu à répondre, par sens du devoir envers mon père. J'ai répondu, et on m'a demandé si j'acceptais de venir à Ottawa. J'ai répondu que je rappellerais. J'ai réfléchi, et j'ai fini par accepter.
Vous n'allez donc pas entendre l'avis de gens comme moi. On m'a traîné ici. Je n'aurais jamais écrit. Vous n'entendrez pas non plus l'avis de ceux qui sont au cimetière. Ils ne vont pas vous écrire. On ne fait pas de sondages dans les cimetières.
Je me sens quelque peu frustré de voir que notre voix retentit moins fort. Je l'ai déjà dit et il semble que je me répète. J'espère que cela vous donnera une perspective différente concernant les victimes, par opposition aux propriétaires d'armes à feu.
M. Thompson: La plupart des gens qui me connaissent savent que j'ai toujours dit qu'il faut faire passer avant tout les victimes. Je l'ai toujours dit et je continue à le penser.
Mme de Villiers: La raison de la création de CAVEAT est exactement ce dont nous parlons ici. Lorsque ma fille est morte, on en a parlé dans tous les journaux du pays parce que nous ne savions pas où elle avait disparu. C'était l'été et il y avait eu déjà deux autres disparitions. On en a énormément parlé dans les médias.
La raison pour laquelle CAVEAT a été créé est que nous avons reçu des sacs et des sacs de courrier, littéralement - et je peux vous les montrer - des gens qui disaient «je suis terriblement désolé de ce qui est arrivé à votre enfant, mais j'ai si peur. Je ne sais pas quoi faire. Que puis-je faire?»
C'était là l'essentiel des appels, des lettres et fax et des contacts personnels dans les rues et les supermarchés.
Le problème est que le contrôle des armes à feu est quelque chose de spécifique. Si vous me demandiez de comparaître devant un comité pour dire ce que je pense des vols d'essai dans le nord, bien que je sois issu d'une famille d'aviateurs, je n'oserais jamais y aller pour donner un avis, car je ne connais pas suffisamment le sujet.
C'est pourquoi vous avez cette énorme majorité silencieuse. C'est pourquoi il faut trouver un moyen pour que les gens puissent s'exprimer dans un cadre qui ne soit pas intimidant. Il y a une grande réticence à s'exprimer sur cette sorte de questions.
Le terrain de jeu n'est pas égal. Je passe mon temps à sillonner le pays. Aux émissions de lignes ouvertes, la réaction de l'écrasante majorité est qu'il faut faire quelque chose pour lutter contre la violence - même les propriétaires d'armes à feu le disent. Le problème est que le processus est totalement intimidant, de même que la complexité de la loi. C'est pourquoi il ne faut pas trop tenir compte des sondages.
M. Thompson: J'ai conscience des problèmes à la frontière. J'ai passé quelque temps à des postes-frontière et j'ai littéralement vu des voitures et des camions traverser la frontière sans aucune vérification. On se demande bien pourquoi. Il faut vraiment faire quelque chose à ce sujet. On parle des «Saturday night specials», ces pistolets bon marché. Il y en a des milliers et des milliers qui sont introduits au Canada, me dit-on.
Le coût des opérations d'enregistrement est de 85 millions de dollars. Sur cinq ans, avec 85 millions de dollars, on pourrait embaucher 850 personnes pour combattre précisément ces aspects-là du problème : les armes à feu illégales, les patrouilles à la frontière, le stockage et tout ce genre de choses. Avec une telle somme, on pourrait engager 850 personnes pour mener cette lutte. Notre priorité est la protection.
Si on vous donnait 85 millions de dollars à dépenser, choisiriez-vous d'embaucher des inspecteurs pour mener cette lutte, ou bien opteriez-vous pour l'enregistrement?
M. McNamara: J'aimerais répondre, monsieur Thompson.
À ma connaissance, ces 85 millions de dollars seront recouvrés auprès des propriétaires d'armes à feu, c'est-à-dire que ces derniers couvrent eux-mêmes le coût du contrôle. Je n'ai pas envie que mes impôts servent à cela. Ce seront les propriétaires d'armes qui paieront.
Quatre-vingt-cinq millions de dollars, cela fait beaucoup d'argent. J'aimerais que l'on dote les services de police de Toronto, de Montréal et de Vancouver, d'hélicoptères. Ce serait un beau cadeau de Noël à mes yeux. Mais le système d'enregistrement, puisque les propriétaires d'armes à feu paieront, ne sera pas un fardeau pour les contribuables canadiens.
M. Hogben: C'est comme l'enregistrement des voitures. Si vous n'êtes pas propriétaire d'une voiture, vous ne payez pas de frais d'enregistrement. Une fois que vous achetez une voiture, vous risquez de renverser quelqu'un et c'est pourquoi on vous oblige à apprendre un certain nombre de choses. J'aimerais que l'on procède de même avec les armes à feu, avec notamment des cours obligatoires et des règles strictes d'entreposage. J'aimerais que l'on ait tout cela, comme pour les voitures.
Mme Barnes (London-Ouest): Je remercie les témoins d'être venus nous faire part de leurs avis. Cela nous est très utile. Notre comité a une tâche difficile et nul autour de cette table ne la prend à la légère.
Beaucoup de gens se tournent vers nous et attendent de nous la solution à tous les maux. Mais il est plus réaliste de considérer ce projet de loi comme un élément d'une campagne plus large de prévention du crime, pour assurer la sécurité, et comme un outil dans une vaste panoplie de moyens, dont les ambulances et les voitures de police.
Avec de telles mesures, on est mieux placé pour espérer des résultats. Ce n'est pas un projet de loi à solutions miracles, ni une panacée immédiate. En fait, très peu de choses dans ce monde ont des effets immédiats, il faut toujours du temps, non seulement pour réaliser une chose, mais encore pour en voir les effets. Ce qui compte, c'est d'aller dans la bonne direction.
Une des choses qui nous aident à aller dans la bonne direction, c'est de s'en tenir aux faits. Ce qui m'a surprise pendant toutes ces audiences et durant l'année qui les a précédées, c'est le nombre de conceptions erronées que nourrit, de parfaite bonne foi, une bonne moyenne des gens, aussi bien ceux qui n'ont jamais vu une arme à feu que ceux qui fréquentent les clubs de tir et savent manier et entreposer en toute sécurité leurs armes.
Les gens s'inquiètent des actes de violence aveugle. Pourtant, il est de fait que la plupart des victimes de meurtres au Canada sont tuées par des membres de leur famille ou par des connaissances. Ce ne sont pas des actes de violence aléatoire. Ils ne sont pas tués par des étrangers. Vous êtes là et vos proches ont été tués par des étrangers, mais ce n'est pas la norme.
La norme est telle que l'Association canadienne des chefs de police l'a établie. Cela figure également dans le mémoire de CAVEAT. Je vais vous donner ces chiffres et vous poser ensuite ma question. Je tiens vraiment à mettre ces faits en lumière car ils font partie de ces idées fausses qui circulent. Vous les avez repris dans un paragraphe, et je vais donc le lire.
Il s'agit là des résultats préliminaires, en date du 3 mai 1995, d'une étude de l'Association canadienne des chefs de police portant sur 9 000 armes à feu recouvrées dans 10 localités du Canada. C'est la recherche la plus vaste de ce genre qu'on ait jamais faite, et elle révèle que près de la moitié - 47 p. 100 - des armes à feu utilisées dans des crimes et qui ont été saisies sont des carabines et des fusils, non des armes de poing. La grande majorité avaient été achetées légalement à l'origine.
Je peux vous dire que je reçois chaque jour des lettres disant que les armes à feu légalement acquises ne sont pas le problème. Eh bien, la vaste majorité des armes saisies avaient été acquises légalement à l'origine.
Près de 21 p. 100 des armes saisies après un crime étaient des armes interdites, des armes de poing et des armes militaires, et près de 40 p. 100 de ce nombre étaient initialement détenues légalement et étaient enregistrées.
Encore une fois, pour ce qui est de la violence familiale, particulièrement les actes de violence ayant des femmes pour victimes, 40 p. 100 des femmes tuées par leur mari ont succombé à une arme à feu, et dans 78 p. 100 des cas, encore une fois, l'arme était légalement détenue. Si quelqu'un pouvait nous dire le moment magique dans le temps où un propriétaire légitime devient un criminel, je pense que nous en serions tous ravis. Malheureusement, je ne pense pas qu'on puisse jamais le faire, et ce n'est certainement pas le fait de légiférer qui le permettra.
Le dernier point est qu'on n'a pu trouver l'origine de 60 p. 100 des armes à autorisation restreinte, ayant sans doute été introduites par contrebande. On a déjà parlé de cet aspect.
Je dois signaler que cela met à mal la croyance populaire et les idées reçues au sujet des armes de poing et des armes d'épaule au Canada.
Ma question va surtout porter sur la demande qu'on nous a faite à plusieurs reprises d'approuver une façon de décriminaliser l'acte de la personne qui commet innocemment cette infraction pour la première fois. On demande aussi au Comité de faire marche arrière sur cette question. J'estime personnellement qu'il n'y a aucune raison d'accorder un traitement de faveur aux personnes dont le comportement semble innocent ou qui sont distraites parce que le droit pénal exige toujours, que je sache, la mens rea, c'est-à-dire une intention coupable, avant de déclarer qui que ce soit coupable. Nous avons des mécanismes absolus qui s'appliquent à ce genre de situations.
Si nous décraminalisons ce comportement, en particulier dans le cas d'une première infraction, je crains que les gens n'en arrivent à penser que cela est d'une certaine façon moins grave, qu'ils ne sont pas visés par ces dispositions, qu'ils sont au-dessus de la loi, que cela ne devrait pas figurer dans le code criminel parce qu'ils n'aiment pas l'idée de fournir leurs empreintes digitales ou d'être classés dans des catégories, et que, l'infraction commise est pour ainsi dire moins grave du moment que le législateur a décidé de modifier la loi en ces termes.
Que répondre à ces gens? Aidez-nous à trouver les réponses.
Mme de Villiers: L'élément qui ressort de votre suggestion est que nous avons accordé beaucoup d'importance au phénomène des tireurs fous. Ce qui est tragique c'est qu'il faut évoquer le douleureux souvenir de ceux que nous avons aimés si nous voulons parler de tous les gens qui sont morts dans leurs foyers. C'est là le problème. Nous sommes vraiment obligés de parler au nom de tous ces gens qui, pour des raisons personnelles, pour des raisons familiales, ne peuvent parler publiquement de la violence et des mauvais traitements dont ils sont l'objet. Avec les enfants, cela est toujours secret. C'est une réalité horrible.
J'y pense tous les jours. Il ne faut pas oublier la présence de tous ces gens anonymes et sans visage dont je vous ai parlé plus tôt. C'est la première chose.
Deuxièmement, il est très rare qu'une personne soit tuée chez-elle sans qu'il y ait eu des signes avant-coureurs. C'est pourquoi je dis que la police devrait pouvoir saisir une arme, pour une période donnée, dans les cas de violence familiale... ou bien si le propriétaire d'une arme doit en fait être tenu responsable.
Il était du devoir de Mme Fabrikant de ne pas se procurer d'arme à feu parce qu'elle aurait été déclarée responsable étant donné que le comportement de son mari montrait apparemment qu'il souffrait de troubles mentaux. Voilà le premier élément.
Lorsque quelqu'un utilise une arme, il est impossible de nier qu'il s'agit là d'un acte extraordinairement violent. Comme vous l'avez dit, même si c'est sur le coup de l'émotion, cet acte est le fruit d'une longue évolution. Il est très rare qu'une personne soit tuée, en particulier dans un contexte familial, sans qu'il y ait eu de signes précurseurs.
Je pense qu'il faut prévoir une seule accusation, il ne faut pas diluer cette infraction. Il ne faudrait pas laisser croire que l'infraction est moins grave parce qu'elle a été commise au foyer ou qu'il s'agit de violence familiale. Le principe doit être appliqué strictement, en particulier dans les cas de violence contre les femmes.
Trois cas identiques ont été recensés - 30 coups de couteau, 32 et 31. Une personne a été acquittée pour motif de légitime défense, une autre a eu huit ans de prison et une autre quatre. Et pourtant ils ont donné 32 coups de couteau à leur femme. Il y a un homme qui a essayé de décapiter sa femme et qui a ensuite soutenu qu'il avait agi dans un moment d'aberration. Nous ne pouvons laisser passer ce genre de choses.
M. McNamara: J'aimerais également répondre à cet aspect, la décriminalisation. Je crois que nous devrions corriger - et vous avez mentionné vous aussi que c'est un problème - toutes ces fausses informations qui circulent.
Je suis loin d'être un spécialiste des armes à feu. Tout ce que je peux faire c'est vous donner mon opinion. J'ai participé à de nombreuses audiences et j'ai entendu toutes sortes d'opinions. Par exemple, j'ai entendu un médecin de campagne - un omnipraticien de son état - dénigrer le New England Journal of Medicine, alors que même moi je sais que c'est une excellente revue. Alors ce ne sont que des opinions.
Depuis le début, j'essaie de savoir ce que pensent les experts dans ce domaine. Les experts dans ce domaine - si l'on veut parler de sanctions et de criminels, il faut aller tout en haut de l'échelle, et ce sont les chefs, les chefs de police.
Vince Westwick, qui a comparu devant vous, de l'Association canadienne des Chefs de police, a dit que non, qu'il n'y a aucune raison de décriminaliser ce comportement; les tribunaux sont parfaitement en mesure, comme nous l'avons déjà mentionné, de s'occuper du cas d'une grand-mère qui a oublié de faire enregistrer la carabine 22 qu'on a dans la famille.
Je cherche donc à savoir qui sont les spécialistes, et comme ce sont les chefs de police qui sont les spécialistes, je suis d'accord avec leur suggestion. Il ne faut pas décriminaliser ce comportement.
[Français]
M. Langlois: On assiste depuis plusieurs années, deux décennies environ, à une augmentation, sinon à l'apparition du phénomène des crimes gratuits. Mme Barnes parlait tout à l'heure de crimes aléatoires, c'est-à-dire des personnes pour lesquelles la finalité du crime est de détruire tout simplement sans autre gratification, si vous me permettez l'expression.
Je mets le vandalisme dans cette catégorie de crimes. On peut stationner sa voiture, aller voir une partie de hockey, revenir et trouver le pare-brise fracassé.
Évidemment, c'est beaucoup plus sérieux lorsqu'on s'attaque à la vie humaine. J'ai été élevé dans un milieu où on m'a toujours enseigné que la vie humaine était quelque chose qui n'avait pas de prix et qu'elle devait être protégée par tous les moyens possibles.
J'ai été fortement désillusionné lorsque j'ai entendu dire que des gens qui travaillaient au salaire minimum pour payer leurs études, se faisaient tuer parce qu'il y avait 50$ dans la caisse. Au cours de l'enquête policière, on a appris que quelqu'un avait décidé cette nuit-là, pour se désennuyer, d'aller «faire un dépanneur» ou «faire une station-service». Tout ça pour recueillir 50$. Ça fait perdre quelques illusions.
Est-ce que vous avez eu l'occasion d'analyser les motivations des personnes qui commettent ce genre de crimes gratuits peu importe la nature de ceux-ci?
Je vais vous donner un dernier exemple qui est arrivé à Québec il y a peu de temps. À Notre-Dame-des-Laurentides, des jeunes gens ont décidé tout simplement qu'ils voulaient tuer quelqu'un. D'abord, ils ont décidé d'appeler un taxi. Le chauffeur de taxi s'étant trompé d'adresse, ils l'ont donc manqué. Ils ont trouvé alors une autre victime, un livreur de pizza, et ils l'ont tué. Ces jeunes n'avaient qu'un but: tuer quelqu'un, peu importe qui.
D'après ce que vous avez vécu, d'après les analyses que vous avez pu faire, les personnes que vous avez pu rencontrer, qu'est-ce qui amène ce genre de comportement délinquant et gratuit?
[Traduction]
M. McNamara: Je pense que ce serait la formule magique. Si l'on pouvait résumer en quelques mots l'origine de la violence gratuite, on pourrait supprimer une bonne partie des maux qui nous affligent. Lorsque je pense à la violence gratuite, de celle que l'on connaît ici, comme le meurtre de ce chauffeur de taxi à Québec, je pense toujours à Nicholas Battersby, un jeune ingénieur originaire de Grande-Bretagne. Il descendait la rue Elgin et trois punks qui passaient à sa hauteur lui ont tiré dessus, sans aucune raison. Ils avaient volé la carabine.
Le fait qui m'a marqué, et j'en ai parlé dans mon exposé, c'est que ces jeunes délinquants ont tout bonnement été acheter des balles. Ils n'ont pas eu besoin de présenter une carte d'identité, ils n'ont pas eu à démontrer qu'ils possédaient vraiment une carabine, ils sont tout simplement entrés dans le magasin et ont acheté pour quelque chose comme deux dollars de balles et Nicholas Battersby est mort.
Je crois que certaines parties de ce projet de loi - je ne dis pas que Nicholas Battersby ne serait peut-être pas mort, parce qu'il est très difficile d'affirmer que quelque chose ne ce serait pas produit. Je ne veux pas non plus penser à la mort de mon propre frère, et dire que si l'on avait eu ce genre de loi, il serait peut-être encore en vie. Cela est arrivé, cela est du passé. Essayons de changer les choses pour que cela ne se produise plus, et si nous imposons certaines restrictions quant à l'âge pour l'achat de munitions, il est possible que certains actes de violence gratuite comme ceux qui ont entraîné la mort de Nicholas Battersby ne seraient pas commis. Nous ne le saurons jamais et c'est la partie du projet de loi C-68 - il n'y personne qui viendra vous dire que c'est grâce à cette loi qu'il a échappé à la mort. La vie va suivre son cours. Il est difficile de concevoir que ce projet de loi ait un aspect préventif, je crois que c'est un des problèmes que pose le projet de loi C-68.
Mme de Villiers: Vous avez signalé un autre domaine où c'est une autre partie de la société qui doit faire ce qu'il faut pour faire respecter ce projet de loi, cela vient du fait que l'on glorifie la violence et que l'on fait de ceux qui l'utilisent des héros dans le domaine du divertissement. L'aspect horrible de tout cela est que l'on fait des êtres supérieurs de ceux qui portent des armes à feu. Un juge a récemment dit à un jeune contrevenant: «Sans arme, tu n'es qu'un petit garçon, avec une arme tu es un homme fort.»
Le problème est que les gens ont de plus en plus besoin de véritablement sentir les choses et d'aller au bout de leurs sentiments. Les jeux Nintendo et Sega tendent à aller dans le même sens en utilisant la réalité virtuelle. Nous seront bientôt en mesure de ressentir vraiment les sensations que donne le fait de tuer quelqu'un. Cela me paraît extrêmement significatif. Mais le fait est que lorsque ce projet de loi sera adopté, il faudra restreindre l'accès aux armes, parce que les études indiquent très clairement qu'il est beaucoup plus facile de ressentir ce que c'est que de tuer quelqu'un avec une arme à feu que de se rapprocher de la victime et de la tuer avec un couteau, en particulier, dans le cas d'un jeune.
Nous avons eu également un certain nombre de ces meurtres pour le plaisir dans notre région aussi. Lorsque les jeunes ressentent ce besoin, il leur est beaucoup plus facile de le satisfaire s'ils ont facilement accès aux armes et aux munitions. Il n'y a que l'arme qui vous sépare de l'exécution de l'acte, et c'est un autre domaine qui a aussi été étudié.
[Français]
Le président: Votre temps est expiré.
[Traduction]
Le président aimerait poser quelques questions.
Certains groupes ont comparu devant le Comité et ils ont déclaré que l'enregistrement n'était pas la solution, que nous enregistrons les armes de poing depuis 1934, et qu'il se commet toujours des crimes à l'aide des armes de poing et que par conséquent ce système ne fonctionne pas. Si nous examinons les statistiques, nous constatons toutefois qu'au Canada 53 p. 100 des crimes commis à l'aide d'armes à feu concernent les armes d'épaule, ordinairement des carabines ou des fusils de chasse, alors que seuls 17 p. 100 de ces crimes comportent l'utilisation d'une arme de poing. Si nous comparons ces chiffres avec les États-Unis, où les armes de poing ne sont pratiquement pas contrôlés, on constate que dans ce pays les 2/3 des crimes commis avec des armes à feu impliquent des armes de poing.
Au Canada, ce sont les armes d'épaule qui ne sont pas contrôlées de façon rigoureuse, qui représentent le plus grand pourcentage des crimes commis avec une arme à feu. Dix-sept pour cent des crimes seulement sont commis avec des armes de poing, alors que c'est exactement le contraire aux États-Unis; et ce n'est pas un pays très loin du nôtre.
En Europe, il existe des contrôles très stricts, notamment l'enregistrement, pour ce qui est des armes de poing et des armes d'épaule, et le nombre de crimes commis avec les armes à feu est très faible. Mais il s'en commet tout de même quelques-uns.
Voilà ce que l'on peut répondre. Il est vrai que 17 p. 100 de nos crimes sont encore commis avec des armes de poing. En d'autres termes, ces crimes ne sont pas supprimés entièrement; on commet encore des crimes avec des armes de poing. Mais est-ce que cela veut dire que le sytème n'est pas bon? Je crois qu'il faudrait plutôt se dire que si nous n'avions pas ces contrôles rigoureux sur les armes de poing depuis 1934, qui portent sur le permis de port d'arme et le permis de transport, ce chiffre ne serait peut-être pas de 17 p. 100 mais de 35 ou 50 p. 100.
Nous avons adopté des lois pour lutter contre la conduite en état d'ébriété et nous exerçons des contrôles dans ce domaine. Nous avons les tests de l'ivressomètre. Si vous refusez l'ivressomètre, cela constitue une infraction grave. Si la police vous arrête parce que vous conduisez en état d'ébriété, vous pouvez perdre votre permis. Mais il y a encore des gens qui roulent en état d'ébriété et qui ne respectent pas la loi. Ne pourrait-on pas répondre quelque chose à ces gens qui viennent devant nous et disent que cela démontre que la loi n'est d'aucune utilité, que l'ivressomètre ne sert à rien, que les peines sévères n'ont aucun effet, parce qu'il y a encore des gens qui conduisent en état d'ébriété?
J'aimerais bien savoir ce que vous pouvez répondre à cela, parce qu'il me semble que si nous n'avions pas ces lois, il y aurait beaucoup plus de gens qui conduiraient en état d'ébriété, et nous aurions beaucoup plus de blessés et de décès à cause de ces conducteurs. Si les contrôles actuels exercés sur les armes de poing au Canada n'existaient pas, non seulement l'on commettrait toujours des crimes avec des armes de poing, mais la situation serait beaucoup plus grave.
Vous êtes en première ligne et vous nous avez fait part ce matin d'un certain nombre de cas particulièrement horribles. Que répondriez-vous aux gens qui nous disent et nous répètent que ce système n'est pas efficace parce qu'il se commet toujours des crimes avec des armes de poing?
J'aimerais que M. McNamara réponde à ceci.
M. McNamara: Ce projet de loi ne va pas résoudre tous les problèmes qui existent au Canada. Ce projet de loi représente tout simplement une des mesures qui doivent être prises pour lutter contre le crime au Canada. Ce n'est qu'une petite partie, mais une partie importante.
Dire que l'on enregistre les armes de poing et que cela n'a pas eu pour effet de supprimer tous les crimes au Canada... et bien, nous pourrions regarder ce qui se produit lorsqu'on n'enregistre pas les armes à feu, il suffit de regarder ce qui se passe au sud de la frontière. Les statistiques sur les victimes de violence que j'ai examinées, où les gens me parlent de 84 p. 100...ce ne sont pas ces chiffres qui m'intéressent. Je compte les cadavres. Je compte le nombre de gens qui sont morts. Je compte les mères et les pères, les frères et les soeurs qui ont été tués, qui sont enterrés, et qui sont maintenant dans leurs tombes.
Si vous comparez les chiffres des États-Unis avec ceux du Canada en tenant compte des différentes populations, vous constaterez que le Canada est dans une situation bien préférable. En tant que Canadien, en tant que père d'une fille d'un an, je veux qu'elle puisse grandir dans un Canada sûr où elle n'a pas besoin de craindre que les jeunes qui se trouvent dans le centre commercial portent des armes de poing sur eux et où elle n'ait pas à s'inquiéter au sujet d'un tas de problèmes sociaux. Je pense que le projet de loi C-68 est un pas dans la bonne direction.
Le président: Monsieur Bertrand.
M. Bertrand: Merci. D'une certaine façon, cela constitue un aspect de la question qu'avait posée M. Gallaway.
J'estime que le fait d'avoir deux armes à feu fait plus que doubler les risques de violence. Par conséquent, si l'on parle de 17 p. 100, nous pourrons réduire encore ce pourcentage avec le projet de loi C-68 et en améliorant notre système. Je suis personnellement convaincu que ce chiffre serait beaucoup plus élevé si nous n'avions pas de système d'enregistrement. Comme Robert vient de le dire, il suffit de regarder ce qui se passe aux États-Unis.
Cela me rappelle un peu la controverse que nous avons eue au Québec lorsque nous avons exigé que l'usage des ceintures de sécurité soit obligatoire. Tout le monde disait «Je suis libre, pourquoi suis-je obligé de le faire?» La preuve se fait toute seule. Il y a beaucoup moins de blessés dans les accidents d'automobiles depuis que les ceintures de sécurité sont obligatoires et maintenant les gens y sont habitués. Ils vont également s'habituer à l'enregistrement. Je ne pense pas qu'on en parlera beaucoup une fois que la loi sera adoptée et que les gens seront obligés de la respecter - parce que je crois qu'il faut maintenir la criminalisation de l'omission d'enregistrer une arme.
M. Ramsay: Je signale qu'il faut également tenir compte dans cette équation du rapport entre armes de poing et armes d'épaule, même s'il est difficile de savoir s'il y a six millions ou 20 millions d'armes d'épaule au Canada.
M. McNamara: Eh bien, c'est une partie du problème. Nous ne connaissons pas le nombre exact d'armes d'épaule.
M. Ramsay: La difficulté est que... et j'ai entendu notre président citer à juste titre ces chiffres. Il faut également tenir compte du fait qu'il y a environ 1,2 million d'armes de poing ou d'armes à autorisation restreinte d'inscrites dans le cadre du système d'enregistrement des armes de poing. Mais si l'on prend en considération le fait qu'il y a entre 5 et 20 millions d'armes d'épaule - et comme vous le dites, nous ne le savons pas, le chiffre réel est peut-être supérieur - nous comprenons alors pourquoi il y a beaucoup plus de cas où l'on utilise les armes d'épaule. Et cela nous ramène au facteur de l'accessibilité.
Il y a également la remarque de M. Neil Jessop, qui fait partie de l'Association canadienne des policiers - et j'ai noté cette remarque - d'après laquelle ce projet de loi ne servira à rien si l'on ne s'occupe pas de réprimer la contrebande. En effet, nous pouvons interdire toutes les armes de poing, nous pouvons également interdire toutes les armes d'épaule sauf dans les cas particuliers où les gens en ont besoin pour des raisons légitimes. Mais si nous ne nous occupons pas de la contrebande, cela ne réglera pas les problèmes parce que la personne qui a l'intention de tuer, par haine, colère ou crainte, aura encore accès à des armes à feu - cela est certain à moins que nous réussissions à empêcher la contrebande.
J'aimerais passer à un autre sujet et vous poser une question. Certains témoins nous ont déclaré être incapables d'établir un lien entre la sécurité de la population que nous recherchons tous et ce projet de loi. Les procureurs généraux du Manitoba, de la Saskatchewan et de l'Alberta s'opposent à ce projet de loi parce qu'ils sont incapables de voir qu'il existe un lien entre ces deux choses. Les ministres de la Justice des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon s'y opposent également parce qu'ils ne voient pas comment ce projet renforcera la sécurité de la population, comme le prétendent ses partisans.
J'aimerais savoir si vous avez en l'occasion de consulter les premiers ministres, les procureurs généraux ou les ministres de la justice du territoire au sujet de ce projet de loi et de leur faire connaître vos préoccupations?
Mme de Villiers: Non. Je n'ai pas eu l'occasion de le faire.
M. McNamara: Pour ce qui est des victimes, comme nous le disions tout à l'heure avec Priscilla, il y a que, bien souvent, les procureurs généraux des provinces n'ont vraiment pas le temps de s'en occuper. C'est pourquoi nous sommes ici.
M. Ramsay: Avez-vous demandé à les voir?
M. McNamara: Non pas ces deux personnes là parce que j'estime qu'il s'agit d'un projet de loi national et donc d'une loi fédérale. J'habite à Ottawa et j'ai choisi de rencontrer le ministre Rock. Il était très aimable et nous a donné tout le temps de présenter notre façon de voir. Je n'ai pas fait la tournée des provinces parce que premièrement je n'en ai pas les moyens et que je n'ai pas non plus le temps de le faire. Je pense toutefois que pour une loi nationale il faut aller voir la personne qui en est responsable et c'était le ministre de la Justice.
J'aimerais parler de la question qu'a soulevée Neal Jessop, à savoir la contrebande. Cela nous ramène je crois à la question de l'enregistrement. Si nous ne savons même pas ce qui circule chez-nous, comment savoir ce qui rentre et ce qui sort du pays pour ce qui est des armes d'épaule? Il faut commencer par savoir ce qui est déjà là, et ensuite je crois nous nous occuperons de la contrebande. Mais je suis convaincu qu'il faut d'abord essayer de découvrir ce que nous avons ici au Canada.
Mme de Villiers: Je vous ai induit en erreur, veuillez m'en excuser. Nous ne leur avons pas parlé personnellement mais comme j'y avais fait allusion tout à l'heure, nous avions communiqué cela à chacun des procureurs généraux, solliciteurs généraux et premiers ministres de toutes les provinces et territoires, et au gouvernement fédéral, et leur avions demandé de faire connaître leur opinion sur la façon dont il faut administrer les dispositions législatives actuelles en matière d'armes à feu. Nous avons reçu un certain nombre de réponses par lettre, mais je n'ai pas parlé directement à ces personnes.
Nous avons reçu une lettre très encourageante, à laquelle nous donnerons suite, qui nous était envoyée de la Colombie-Britannique; on nous disait dans cette lettre que l'on allait placer à l'ordre du jour de la conférence annuelle des séances d'information et de formation destinées aux juges et aux procureurs de la Couronne. J'ai reçu un certain nombre de lettres de ce genre.
Cela concernait les problèmes que soulevait l'administration des anciennes dispositions. Je ne me suis pas encore penchée sur l'administration de ce projet de loi.
M. Ramsay: Merci. Je signale pour la gouverne de M. McNamara que ce sont les provinces qui seront responsables de l'administration de cette loi. Elles sont responsables de l'administration du Code criminel, et elles seront donc responsables de l'administration de cette loi. Lorsque les représentants de provinces ont comparu devant nous, ils ont déclaré qu'on n'avait pas encore réussi à les convaincre qu'il existait un lien entre l'adoption de ce projet de loi et le renforcement de la protection du public. C'est là le sens de la remarque que j'ai faite.
M. McNamara: Je voulais signaler que nous sommes devant la Chambre des communes du Parlement du Canada, qui représente tous les Canadiens, et nous parlons à un large échantillon de politiciens venant de toutes les régions du Canada. Nous ne parlons pas uniquement avec des représentants de l'Alberta ou de la Saskatchewan. Comme nous l'avons dit tout à l'heure, la majorité des citoyens de ces provinces souhaitent que l'on adopte ce projet de loi et, puisqu'il s'agit d'un projet de loi national, c'est là l'instance où il doit être débattu. C'est ici qu'il sera adopté. Leur avez-vous demandé s'ils appliqueraient vraiment ce projet de loi?
Le président: Oui, nous leur avons posé ces questions.
M. Gallaway: Madame de Villiers, vous avez soulevé la question des frontières tout comme l'a fait M. Ramsay. Je vis également tout près de la frontière. Je vois très bien les États-Unis de chez moi. J'habite dans le sud de l'Ontario et c'est un point de passage des plus actifs du Canada, il vient au troisième rang. Il y a dans ma région des gens qui soutiennent que ce projet de loi ne sert à rien parce que je pourrais toujours aller aux États-Unis me procurer une arme à feu si j'en veux une.
Je vois de l'autre côté de la rivière une ville de 100 000 habitants qui se trouve au Michigan. Je lis dans le quotidien de Port Huron, Michigan, qu'il y a eu l'an dernier neuf enfants qui ont brandi des armes à feu à l'école. Il y a eu quelques jeunes de tués, quelques-uns de blessés, de sixième année, et certains avaient apporté le revolver de leur père ou de leur mère sous prétexte qu'ils s'étaient disputés, avec des camarades. Il faut examiner cette question en tenant compte de ce contexte.
Quelles sont les autres mesures qu'il serait bon de prendre aux frontières? J'ai visité les gens des douanes à plusieurs reprises à Sarnia et ils ont une pièce qui est remplie d'armes dont ils sont obligés de se débarrasser de temps en temps.
Mais quelles autres suggestions feriez-vous pour renforcer la surveillance des frontières? Je ne parle pas des expéditions d'armes mais de la personne qui a mis un revolver sous son siège d'auto ou là où l'on cache habituellement les armes. Que peut-on faire d'après vous?
Mme de Villiers: J'aimerais commencer par dire qu'il n'y a pas qu'aux États-Unis que l'on retrouve des armes dans les écoles. On parlait même de mettre des détecteurs de métal dans les écoles de Toronto et il y a des policiers dans les écoles. C'est donc déjà un problème canadien et c'est pourquoi je pense qu'il faut agir rapidement dans ce domaine.
La question des frontières est fort intéressante. On m'a souvent dit chaque fois que j'examinais la question des frontières qu'il fallait faire attention à notre industrie touristique. Je crois en fait qu'il y a des maires de villes frontalières qui travaillent à éviter que l'on impose davantage de restrictions aux gens qui entrent au Canada, parce qu'il craignent que les Américains n'aient plus envie d'y venir au Canada. En fait, cela est prouvé et je pourrais vous retrouver ces références.
Voici l'élément essentiel: Vous essayez d'entrer aux États-Unis, qui est en fait le pays occidental le plus violent au monde, vous n'avez aucune idée de ce qui vous attend. Ils ont des armes longues comme ça et des interrogatoires très durs, etc. Et l'on vous fait bien comprendre que vous serez puni si vous ne respectez pas la loi.
En fait, nous avons eu un problème avec nos visas de résidence permanente et j'étais terrifiée quand la femme nous a dit que nos visas n'étaient pas valides. Il s'agissait d'une erreur de plume, et l'on nous a renvoyés immédiatement et très franchement, nous pensions qu'on nous interdirait à vie de nous rendre dans ce pays. Pendant une journée, nous nous sommes un peu sentis comme des apatrides.
Les lois sont donc appliquées avec beaucoup de rigueur de ce côté-là de la frontière. Quelle ironie que nous ayons cette très longue frontière ouverte, que nous soyons une société assez pacifique et que nous disions aux gens «entrez, soyez les bienvenus»! Cela est très bien documenté. Ça, c'est pour commencer.
Il faut faire savoir qu'il y aura des sanctions, il faut que tout le monde sache ce qui se passera si l'on a une arme sur soi et que la loi sera appliquée. C'est là qu'intervient l'administration, à juste titre d'ailleurs, et c'est sur ce point que je me suis heurtée à Kim Campbell et à Howard Hampton au cours de l'enquête sur Yeo. J'ai demandé à M. Hampton comment on a pu permettre à un Yeo de faire une telle chose. Il m'a répondu «Ne ne posez pas la question, je ne fais qu'administrer les lois». J'ai appelé Kim Campbell et elle m'a dit «Ne me posez pas cette question, je ne fais que promulguer les lois». C'est donc une situation très grave.
Si les restrictions sont claires et si nous autorisons davantage les fouilles au hasard et si nous entamons des poursuites chaque fois que nous découvrons un objet de contrebande, je crois que l'on indiquerait ainsi clairement que cela ne vaut pas la peine de passer par tout cela. Je connais pas mal de gens qui traversent régulièrement la frontière et qui savent qu'ils ont très peu de chances d'être jamais pris et que même s'ils le sont ils ne recevront qu'un avertissement. C'est là que le projet de loi pourrait avoir un effet, à condition de l'appliquer rigoureusement. Je ne vois pas grand-chose d'autre.
Il faudra être plus vigilants, avoir plus d'agents et accélérer l'accès aux systèmes. Je pense que les Américains ont accès à leur système central en sept secondes. Ils inscrivent le numéro d'immatriculation et reçoivent immédiatement la réponse. Ils cherchent à savoir s'il existe des mandats d'arrestation concernant le propriétaire. Telle est leur cible.
J'ai connu très peu de gens qui m'aient dit que la situation évoluerait dans ce sens. Je crois que le principal objectif est l'application de la loi. Je n'ai pas encore réfléchi à trouver des façons ingénieuses de le faire mais je m'y mettrai.
[Français]
Le président: Monsieur Langlois, avez-vous d'autres questions?
M. Langlois: J'aimerais revenir sur un point que j'ai abordé lors du premier tour de questions lorsque je vous ai demandé si vous aviez eu une collaboration du système pénal, particulièrement des procureurs de la Couronne. Vous avez rendu un bel hommage à nos forces policières en mentionnant que c'étaient généralement les policiers qui vous avaient été d'un premier secours et qui vous avaient donné l'information et le réconfort dont vous aviez besoin et qu'après cela, c'est souvent par les journaux que vous aviez appris où en étaient rendues les procédures judiciaires.
Est-ce que vous attribuez le manque de communication entre le système judiciaire et vous à un manque de ressources au niveau de l'administration de la justice ou à un manque de sensibilisation des personnes qui oeuvrent? En d'autres termes, est-ce qu'on manque de personnel pour entrer en contact avec les victimes ou les proches des victimes ou est-ce que les gens qui sont en place ne sont pas sensibilisés au problème?
[Traduction]
Mme de Villiers: Très franchement, c'est parce que le système judiciaire ne reconnaît aucun rôle à la victime. C'est ce que l'on m'a dit de façon très brutale le lendemain de la mort de ma fille. Dès que l'enquête policière à laquelle vous avez participé est terminée, on s'attend à ce que vous rentriez chez vous et ne disiez plus rien. C'est ce que m'a clairement indiqué l'Association des avocats de la défense du Canada, qui s'oppose vivement à l'idée que la victime a) puisse avoir un rôle, b) puisse être représentée par avocat, ou c) soit informée du changement du lieu du procès. C'est une association nationale.
Pendant des années - je ne sais pas combien - on a systématiquement exclu la victime du système. On nous dit que c'est la Couronne qui représente l'intérêt public et qu'elle ne peut donc représenter les victimes à ce titre, mais il n'y a personne qui puisse décrire le processus. La plupart des gens ne comprennent pas les mots utilisés. Ils ne comprennent pas ce qu'est en fait une inculpation.
Nous avons défendu nos idées et nous sommes intervenus très bruyamment sur cette question dans toutes les régions du Canada. Dans certaines parties du sud de l'Ontario, il y a maintenant des tribunaux qui accordent un certain rôle aux victimes. Dans ces cas-là, c'est maintenant un manque de ressources qui fait problème. Il n'existe que trois programmes d'aide aux victimes en Ontario, par exemple. C'est ce qui explique que les gens viennent nous voir.
Dans ce processus, la victime doit encore faire face à un manque total de compréhension, et à une attitude presque hostile. Je crois que l'idée ancienne voulant que l'on exclue la victime du processus, et du délinquant, est tellement répandue qu'il nous est impossible de participer à ce processus et je dirais sans aucun doute que c'est ce qui se passe dans toutes les régions du Canada.
M. Bertrand: Dans les jours qui ont immédiatement suivi ce que nous pensions être à l'époque les deux meurtres de Fabrikant, qui sont passés à quatre par la suite, les policiers ont essayé de nous aider dans toute la mesure du possible.
Vous avez parlé du manque de ressources et c'est bien là un des problèmes qui se posait à cette époque. Il n'y avait pas suffisamment de gens pour en envoyer à l'université, parce que nous parlons ici de victimes personnelles et aussi de victimes parce qu'elles se trouvaient là au moment de l'incident. Le problème est qu'aucun d'entre nous ne connaissait suffisamment le système et il semblait que du côté de la police, personne n'avait le temps de nous expliquer toutes ces choses.
Nous avons finalement mis sur pied à l'université ce que l'on pourrait appeler un groupe d'aide, avec des gens de l'extérieur, qui essayait d'aider les gens à mieux comprendre quelles étaient leurs responsabilités, leurs rôles, etc.
Pour répondre à votre question, je dirais que c'est en fait une combinaison des deux. Ils n'ont pas le personnel pour le faire, et ce n'est pas vraiment leur faute. Ils pensent que vous connaissez toutes ces choses mais nous nous sommes sentis en fait complètement désemparés face à la suite des événements. C'est pourquoi je pense qu'il serait également bon de les sensibiliser davantage à cet aspect.
Le président: Madame de Villiers, nous savons que les victimes et les groupes de victimes ont été fort mal traités par le système de justice pénale mais je peux vous assurer que notre comité a pratiquement décidé de convoquer en tant que témoins des groupes de victimes, comme nous l'avons fait ce matin, pour qu'ils nous donnent leurs avis sur tous les projets de loi soumis à notre examen. Nous l'avons fait pour la Loi sur les jeunes contrevenants, pour les jeux de cartes des tueurs en série et pour le projet de loi C-41. C'est pourquoi je peux vous garantir que notre comité - et cela a été décidé à l'unanimité - veut entendre l'avis des groupes de victimes sur tous les sujets concernant la justice pénale qui nous seront soumis.
Mme Barnes: Je vais consacrer ma deuxième intervention aujourd'hui non pas à vous poser des questions mais à réagir à quelque chose qui se trouve à la page 114 du mémoire de CAVEAT. Vous soulevez une excellente question, celle des amnisties. Vous parlez dans ce paragraphe de l'échéancier prévu par le projet de loi C-68 pour l'application des diverses dispositions. Vous affirmez à juste titre qu'il peut arriver que certaines personnes décident de ne pas conserver leur arme à feu et qu'il faut leur garantir qu'ils pourront bénéficier d'une amnistie et qu'ils ne seront pas inculpés s'ils décident de remettre leur arme à la police, si c'est ce qu'ils souhaitent.
Je tiens simplement à vous rassurer en vous signalant qu'il existe à la page 97 du projet de loi C-68, un projet de paragraphe 117.14(1) qui énonce que «le gouverneur en conseil peut, par décret, fixer...», et la disposition continue. Cette disposition autorise concrètement la création de délais d'amnistie. À la page suivante, il est mentionné que personne ne serait, au cours de la période d'amnistie, coupable d'une infraction à la présente partie. Il s'agit de la partie III du Code criminel. Elle est très semblable aux dispositions actuelles du Code criminel.
Je vous remercie d'avoir soulevé cette question, parce que c'est quelque chose qui préoccupe la plupart des gens et qui pourrait prendre de l'importance après l'adoption du projet de loi. D'autres ont aussi parlé des délais d'amnistie, notamment pour encourager les échanges. Cela a été mentionné par les témoins qui sont venus hier soir. Je voulais préciser cela et voir si vous aviez d'autres commentaires à formuler au sujet des délais d'amnistie.
Mme de Villiers: La question de l'amnistie est très importante, mais je pense que l'aspect éducation est encore plus important. Carole avait une petite anecdote dans laquelle elle parlait d'une femme qui lui avait dit qu'elle avait une arme à feu mais qu'elle ne savait pas comment s'en débarrasser. J'essaie d'insister sur l'importance de mettre sur pied un vaste programme d'éducation en termes simples qui doit accompagner le processus légal pour que les gens puissent avoir accès à des renseignements exprimés en termes de tous les jours et ainsi comprendre la loi. Il ne suffit pas de lire tel ou tel article, il faut que l'on puisse vraiment avoir accès à cette information.
La plupart des questions que les gens se posent, je crois, au sujet de ce projet de loi, comme pour tous les autres, viennent du fait que les gens ne sont pas au courant et qu'ils sont réduits à lire des manchettes dans la presse où l'on présente certains extraits hors contexte qui peuvent donner une idée complètement fausse du projet de loi. C'est pourquoi j'aimerais insister sur le volet éducation.
M. McNamara: Je suis d'accord avec le volet éducation que comprend ce projet de loi, il faut faire savoir aux propriétaires d'armes à feu que personne ne veut leur prendre leurs armes et que les armes tuent. Il y a les victimes. Nous avons enterré des gens. C'est un des messages que nous aimerions vous laisser avant de vous quitter.
Comme le soulignait le membre du Bloc québécois, il y a la question des victimes. C'est très important. Mais ce qui est très important pour les victimes c'est ce projet de loi, parce qu'il va certainement sauver des vies. Nous n'avons pas besoin de voir grandir notre organisation. En fait, nous préférerions ne pas exister. Cela évitera des situations comme celles-ci et nous en sommes très heureux.
Franchement, je ne sais pas trop ce que pensent les membres du Bloc québécois mais j'espère que vous êtes en faveur de ce projet de loi.
Le président: Ils l'ont été jusqu'ici. Ils n'en ont peut-être pas beaucoup parlé mais ils l'appuyent.
M. McNamara: Nous avons reçu des messages ambigus et je voulais simplement redire qu'il y a des gens qui meurent à cause de tout cela.
M. Thompson: Le principe de base qui sous-tend notre action a toujours été de donner la priorité aux droits des victimes par rapport à ceux du criminel, et cela ne risque pas de changer. Je tiens à ce que tout le monde comprenne que nous voulons incorporer ce principe dans toutes nos actions - la priorité aux victimes. C'est tellement important.
Lorsque nous examinons un projet de loi, nous voulons nous assurer qu'il est bien rédigé et qu'il ne va pas nous nuire. Nous essayons de préciser les aspects qui méritent d'être revus en nous basant sur ce que nous disent les personnes que nous consultons.
Madame de Villiers, c'est à vous que je pose cette question, même si M. McNamara en parle dans son mémoire, parce que je lui en ai déjà parlé. J'ai déjà consulté quatre experts juridiques, parce que je voulais être absolument certain de bien comprendre. Ces experts juridiques sont absolument convaincus qu'en ayant recours à des arrêtés-en-conseil comme le prévoit ce projet de loi, il est possible qu'à l'avenir un petit groupe ou même un individu ait le pouvoir de confisquer toutes les armes à feu. C'est dans le projet. Je serais heureux de vous l'expliquer. Je ne peux le faire en cinq minutes. J'ai essayé de le faire hier soir mais je n'ai pas réussi.
Je voulais simplement vous dire que j'ai rencontré, dans mon comté et ailleurs, divers groupes de personnes venant de Hollande, de Tchécoslovaquie et d'Ukraine, pour nommer quelques pays seulement, qui ont soulevé cette question. Ces gens ont tous été des victimes à un moment ou à un autre et ils ont déclaré que le seul fait que cette possibilité existe leur faisait très peur. Evidemment il est facile de dire que personne ne viendra prendre vos armes à feu, mais le fait est que cela pourrait se produire.
Avez-vous examiné cette question et pouvez-vous y répondre?
Mme de Villiers: Oui, j'y ai pensé. Une des raisons pour lesquelles nous avons choisi le Canada - et nous avions plusieurs possibilités - était que nous pensions que c'était un pays vraiment démocratique, dans le vrai sens du mot. Je dois dire que le seul fait de me trouver ici aujourd'hui démontre que c'est bien le cas. Je ne vis ici que depuis 15 ans. Je me considère comme une Canadienne, et la raison pour laquelle je suis en train de faire connaître mon opinion à des Canadiens de la quatrième ou la cinquième génération, c'est parce que nous vivons dans un pays démocratique.
Pour CAVEAT, tous les citoyens doivent pouvoir s'exprimer, et nous essayons de donner à tous les Canadiens le moyen de faire connaître leur opinion.
Vous dites que vous allez donner la priorité aux droits des victimes. J'aimerais seulement dire une chose, parce que cela me paraît à propos, c'est que vous êtes un membre du public aujourd'hui et que vous pouvez être une victime dans la seconde qui suit. Mais vous faites toujours partie de la population. Je veux dire en fait que les victimes ne sont pas un petit groupe isolé qui pleure dans son coin. Nous faisons partie de la population en général. Lorsque je parle au nom des victimes, c'est pour donner effet à la devise du coroner qui est de laisser les morts parler pour les vivants. C'est ainsi que nous essayons de nous servir de nos enfants pour parler aux vivants.
A moins d'un coup d'état militaire, qui peut se produire n'importe quand quel que soit le pays, au cours duquel on saisirait les armes à feu, il me semble qu'avec le régime actuel il serait extrêmement difficile d'en arriver au point où l'on pourrait entrer chez les gens et confisquer toutes les armes sans que le Parlement ait eu à adopter une loi en ce sens. Il faudrait un renversement total de notre régime politique.
Vous entendez tant de groupes comme le nôtre au sujet de ce projet de loi sur le contrôle des armes à feu que vous devez en être fatigués. Ce fait démontre à lui seul que tout ce que nous vous disons doit paraître dans les médias. Cela va paraître dans toutes les régions du pays.
Je pense vraiment qu'il s'agit là d'une attitude vraiment alarmiste. Je viens d'un pays où l'on craint ce genre de choses et je pense que le risque existe toujours. Cette possibilité existe et ce, quel que soit le régime politique. Mais franchement, avec le régime démocratique actuel qui existe dans ce pays, je pense vraiment que cela n'est même pas envisageable dans un avenir prévisible.
C'est tout ce que je peux dire.
M. Bertrand: Il se trouve que, de par ma profession, je suis un spécialiste de l'histoire de l'Europe. Le contexte dans lequel on vit en Tchécoslovaquie, en Hongrie ou dans ces pays est tellement différent, comme Mme de Villiers vient de le dire, que penser ne serait-ce que pour un instant que ce genre de choses pourrait se produire au Canada.... Nous avons déjà beaucoup de mal à amener notre Parlement à s'entendre sur l'enregistrement des armes d'épaule. Pensez à ce qui se produirait ici si l'on parlait de les confisquer. Cela me paraît inconcevable. Je ne dirais pas la même chose s'il s'agissait des anciens pays du Rideau de Fer ou d'autres pays du même genre. Mais ici, le contexte est trop différent.
Le président: Le temps prévu pour la séance est écoulé.
Je tiens à remercier sincèrement les témoins. Je sais combien il vous est pénible de revivre ces moments affreux que vous avez vécus en tant que membres de la famille ou parents de la victime. C'est pourquoi nous tenons à vous remercier d'être venus nous parler au nom de ceux qui ne peuvent nous parler.
Je voudrais vous redire une fois de plus que, pour le comité, les victimes auront toujours leur mot à dire ici. Nous savons que ce n'est pas facile pour vous, parce que vous n'avez pas beaucoup de ressources et de fonds pour voyager, faire de la recherche et ainsi de suite. Vous devez vous débrouiller avec les moyens du bord et nous en sommes conscients. Je suis certain que vous reviendrez nous parler à propos d'un autre projet de loi.
La séance est suspendue jusqu'à cet après-midi, et nous entendrons certains groupes de femmes sur la même question.