[Enregistrement électronique]
Le mercredi 22 novembre 1995
[Traduction]
Le président: Nous allons ouvrir la séance à l'heure prévue, soit 15 h 30.
Mais avant de donner la parole à nos témoins, je dois vous parler des séances prévues dans les Maritimes pour la semaine prochaine.
Comme j'ai fait savoir aux membres du Bloc et du Parti réformiste, notre whip exige notre présence à Ottawa. Il y a tant d'affaires qui doivent être expédiées que les questions prévues pour la semaine prochaine pourront être remises à une date ultérieure précisée par le comité. Puisque ce dernier avait prévu des séances pour la semaine prochaine, il me faut une motion à cet effet.
M. Regan (Halifax-Ouest): J'en fais la proposition, monsieur le président.
Le président: Vous proposez donc que les réunions prévues pour la semaine prochaine soient remises à une date ultérieure à préciser par le comité.
M. Regan: C'est exactement ce que je propose, monsieur le président.
La motion est adoptée.
Le président: Notre comité a aujourd'hui pour témoins, sur la Loi sur les jeunes contrevenants et la révision à l'étape II, de la Société John Howard: Mme Susan Reid-MacNevin, vice-présidente, questions de politiques; M. Jim McLatchie, directeur exécutif; M. Graham Stewart, directeur exécutif, et Mme Christine Leonard, directrice exécutive, tous de la Société John Howard du Canada.
Vous avez la parole pour faire votre exposé, après quoi nous passerons aux questions et réponses.
M. Jim McLatchie (directeur exécutif, Société John Howard du Canada): Au nom du conseil d'administration de la Société John Howard du Canada, je voudrais remercier le comité de nous avoir permis de comparaître devant lui pour traiter d'un sujet de grande importance. Je voudrais tout d'abord présenter des personnes qui vont faire leurs commentaires sur notre mémoire.
Mme Susan Reid-MacNevin est professeur de criminologie à l'Université de Guelph et vice-présidente des questions de politiques de la Société John Howard du Canada. C'est elle qui prendra la parole en premier.
Elle sera suivie de M. Graham Stewart, directeur exécutif de la Société John Howard de l'Ontario et bien connu, je crois, de plusieurs membres de ce comité.
La troisième à prendre la parole sera Mme Christine Leonard, directrice exécutive de la Société John Howard de l'Alberta.
Sur ce, monsieur le président, je vais demander à Mme Reid-MacNevin de prendre la parole.
Mme Susan Reid-MacNevin (vice-présidente, questions de politiques, Société John Howard du Canada): Je m'associe à John pour vous dire combien la Société John Howard du Canada est heureuse de pouvoir prendre part à cet examen approfondi de la législation régissant la justice pour les jeunes au Canada.
Nous nous préoccupons du fait que, depuis qu'elle a été adoptée en 1984, la Loi sur les jeunes contrevenants a été modifiée par fragments, surtout pour acquiescer aux exigences d'un public désireux de voir régler au plus vite les problèmes liés à la criminalité chez les jeunes, tels qu'il les perçoit.
La révision de l'étape II nous donne l'occasion de réfléchir aux objectifs de notre système de justice pour les jeunes, de procéder à de vastes consultations pour déterminer ce en quoi nous croyons, en matière de principes de justice et en particulier de justice pour les jeunes, et d'entamer une réflexion sur ce que nous révèlent les recherches empiriques quant à une réinsertion efficace des jeunes et aux méthodes par lesquelles on peut y parvenir.
Nous voudrions discuter avec vous de ce qui nous paraît actuellement la question la plus importante en matière de justice pour les jeunes, à savoir, pour l'essentiel, la tendance des lois et des législateurs à se méprendre sur les attitudes du public et la notion qu'une législation punitive donnera satisfaction à ceux qui préconisent la dissuasion et en font la pierre angulaire du système correctionnel pour les jeunes.
Au cours des dernières années, depuis l'époque - vous vous souvenez peut-être du rapport de 1965 du ministère de la Justice - où nous parlions de la nécessité de changer la façon dont nous traitons les jeunes, nous nous sommes penchés sur de nombreuses questions relatives à la Loi sur les jeunes contrevenants.
Nous appuyons vigoureusement le principe directeur de la Loi sur les jeunes contrevenants, en particulier l'amendement du projet de loi C-37 dans lequel est affirmé le principe selon lequel la protection de la société est mieux servie par la réinsertion sociale du jeune contrevenant. Nous sommes entièrement d'accord avec ce principe.
Nous voudrions toutefois vous communiquer ce que nous savons sur l'idée erronée que le public se fait de la criminalité des jeunes, parce que nous sommes persuadés que si le public connaissait mieux cette réalité, il y aurait de fortes chances pour que la notion de réinsertion bénéficie de plus d'appuis.
Il est possible que le public, dans sa grande majorité, juge que les tribunaux pour adolescents font preuve de trop d'indulgence à l'égard de ceux-ci, mais les recherches que nous menons actuellement montrent également que le public ne connaît pas très bien la Loi sur les jeunes contrevenants ou le système d'encadrement pénitentiaire.
Nous avons demandé, entre autres, aux personnes interrogées si elles avaient jamais vu un documentaire sur les prisons. Soixante-deux pour cent d'entre elles ont répondu par la négative, elles ignoraient totalement comment se présentaient les prisons pour jeunes. Soixante pour cent de mon échantillon ont également déclaré qu'elles tiraient des médias la plupart de leurs informations sur les jeunes délinquants, en particulier des journaux ou des émissions d'actualités.
Le public n'est pas non plus bien informé du pourcentage des jeunes qui commettent des délits et, en particulier, du nombre de crimes violents commis par des jeunes. C'est ainsi que dans mon étude, 65 p. 100 des personnes interrogées surestimaient le nombre de crimes commis par des jeunes, et 70 p. 100 surestimaient le nombre de crimes violents.
De plus, le public sous-estime ce qu'il en coûte de surveiller un jeune délinquant. Soixante-dix-sept pour cent de l'échantillon sous-estimaient le coût annuel du séjour en prison d'un jeune; 66 p. 100 surestimaient ce qu'il en coûte de garder un jeune dans la collectivité, et 55 p. 100 pensaient que le coût de la prison pour un adulte était plus élevé que pour un jeune. Alors que, nous le savons, c'est précisément l'inverse.
Le public juge trop laxistes les conditions de détention des jeunes, mais lorsque nous avons demandé si les jeunes transférés à des tribunaux pour adultes, devraient être incarcérés dans des institutions pénitentiaires pour adultes, la grande majorité, soit 87 p. 100, ont répondu par la négative, parce que ce genre d'établissement est jugé trop rigoureux et n'offre pas d'espoir de réinsertion des jeunes.
Le public approuve le fait de donner une chance de réinsertion aux jeunes et pense, à tort, que dans les centres de détention les jeunes bénéficient de services de traitement et d'orientation. Près de 90 p. 100 de l'échantillon sur lequel j'ai effectué mon sondage pensent que les jeunes en détention sont mis en traitement.
Le public est toujours encore en faveur d'un système de justice pour les jeunes, et comprend qu'il y a une différence entre un tel système et le système pour adultes. Il considère que les jeunes délinquants qui ont commis de graves délits devraient être transférés devant un tribunal pour adultes, mais ils ne savent pas si ceci devrait se faire avant ou après une déclaration de culpabilité.
Le public est également à même d'apprécier les problèmes devant lesquels se trouve la jeunesse d'aujourd'hui, problèmes qui jouent un rôle considérable dans ce que les recherches empiriques nous disent sur les racines profondes du crime, à savoir la pauvreté, le chômage, le manque d'éducation et les familles dysfonctionnelles.
Le public considère enfin que la collectivité est responsable de la prévention du crime, chez les jeunes, et que la meilleure prévention, c'est l'éducation, qu'il s'agisse de l'école ou de l'éducation publique, et la participation de la collectivité. Des personnes interrogées, moins de 5 p. 100 jugeaient les crimes inévitables, ce qui me paraît tout à fait encourageant.
Pourquoi y a-t-il eu une telle réaction, de peur, de panique, voire de terreur? C'est surtout dû, je pense, à l'influence négative des médias, conjuguée à l'instabilité économique et une instabilité sociale généralisée qui semblent gagner tous les Canadiens.
Il faut davantage que l'impression que les crimes augmentent pour créer une panique, mais les gens sont effectivement envahis par la peur, qui les fait réagir d'une certaine façon.
Nous en sommes venus à penser que les jeunes sont difficiles, perturbants et violents et nous essayons de nous protéger en adoptant une attitude punitive.
Quand on se penche sur la question de la criminalité des jeunes et qu'on veut lui redonner ses dimensions réelles en termes de statistiques et de données empiriques, on constate que celle-ci a été mise en vedette par l'attention démesurée qui est prêtée aux épisodes de crimes graves et violents dont il est question dans les journaux.
C'est pourquoi le public, devant la jeunesse, se sent pris de peur.
Cette notion de crise a pris racine dans la culture populaire. Ce que nous devrions faire, au lieu de nier qu'il y a crise, c'est d'examiner de très près pourquoi cette notion perdure et quels seraient les moyens de ramener à de plus justes proportions la peur qu'inspirent les jeunes.
Les organisations non gouvernementales comme la Société John Howard constituent, à notre avis, des alliés de choix pour le gouvernement, parce que nous pouvons nous associer à lui et essayer de mieux informer la collectivité, grâce aux milliers de bénévoles qui travaillent pour nous au niveau communautaire.
Nous sommes persuadés que si une campagne de grande envergure était lancée auprès du public, celui-ci reconnaîtrait que pour assurer la protection à long terme de la société, nous devons tous unir nos efforts, au niveau communautaire, et prendre soin les uns des autres.
Il importe également que nous recherchions des solutions dont l'expérience a prouvé l'efficacité. Or, rien ne démontre, à ce jour, qu'une action punitive, basée sur la dissuasion, a un effet bénéfique. Des programmes tels que les camps de redressement, que nous appelons boot camps en Ontario, ou un encadrement de stricte discipline, ne font pas baisser les taux de récidivisme qui sont aussi élevés, ou davantage, que ceux d'établissements pénitentiaires plus traditionnels.
Aux États-Unis, par contre, une étude a été faite qui montre qu'il y a des avantages considérables à une approche thérapeutique multiple qui maintient les jeunes dans la famille et les fait replacer par des professionnels des organismes communautaires. C'est ainsi qu'on a suivi, aux États-Unis, des jeunes qui avaient commis des délits très graves, soit 3,5 arrestations antérieures et un minimum de 9,5 semaines d'incarcération, avec une arrestation au moins pour crime violent tel que homicide, agression avec intention de tuer et voies de fait graves. Ceux qui bénéficiaient de ce programme n'étaient donc pas de petits délinquants, 71 p. 100 de l'échantillon ainsi suivi ayant déjà été incarcérés pendant trois semaine au moins. Les jeunes qui bénéficiaient de ce programme et qui avaient été traités intensivement dans les foyers dans lesquels ils avaient été placés n'ont pas récidivé et le taux de récidive était d'au moins 20 p. 100 inférieur à celui des jeunes de l'échantillon témoin et qui avaient été mis en liberté provisoire et/ou incarcérés.
En outre, d'après un suivi de 68 p. 100 de ces jeunes, on a constaté, après 59 semaines, que seuls 20 p. 100 de ceux qui avaient bénéficié du programme de traitement en collectivité avaient été incarcérés, et ce en opposition à l'échantillon témoin.
C'est également une méthode plus économique, et nous parlons là de dollars US. Aux États-Unis, il en coûte environ 2 800$ pour garder un jeune dans un milieu communautaire, dans le cadre d'un programme comme le MST, alors qu'il en coûte 17 000$ pour la même période en prison. Si vous ajoutez à cela le coût des récidives, ce n'est pas seulement plus économique, c'est également plus efficace parce que cela fait du bien au jeune.
Mais ce à quoi nous voudrions surtout parvenir, c'est ne plus être mus seulement par la peur, c'est faire intervenir cet esprit de solidarité que nous devons à une longue expérience de travail dans les collectivités. Nous avons compris, l'an dernier, que nous avions un rôle important à jouer pour plaider en faveur d'une justice pour les jeunes, un rôle où nous pourrons faire intervenir une quarantaine d'organisations et de personnes qui jugent important de faire comprendre que la prison n'est pas le moyen idéal de régler les problèmes de jeunes qui ont des démêlés avec la justice. C'est dans cet esprit de coopération que nous voudrions collaborer avec le gouvernement et que nous proposons de lancer une campagne à long terme d'éducation du public, pour redresser les notions lacunaires ou franchement erronées.
Sur ce je vais donner la parole à Graham, qui vous parlera de certaines des recommandations que nous présentons.
M. Graham Stewart (directeur exécutif, Société John Howard de l'Ontario): Je vous remercie.
Je voudrais tout d'abord remercier les membres du comité d'avoir bien voulu nous entendre et nous donner l'occasion de parler de questions qui nous préoccupent.
Nous nous sommes trouvés là devant un sujet vaste et complexe, car le mandat de votre comité est très lourd et les données sur lesquelles nous travaillons sont considérables. Nous avons donc divisé notre exposé en deux volets: le mémoire que nous avons présenté et dont nous allons discuter aujourd'hui est le résultat d'études des plus importants aspects actuels de la question et des principes touchant à la justice pour les jeunes, dans notre pays. Nous avons également préparé un texte que vous recevrez plus tard, à savoir une discussion détaillée des points spécifiques qui vous intéressent. Mais nous devons surtout, pour cette comparution, nous attacher à ce que nous considérons le plus important.
Je vais d'abord évoquer brièvement plusieurs principes qui nous paraissent importants quand on examine le système juridique, en particulier celui pour les jeunes. Notre société a adopté ces principes et ce sont pour nous des critères par lesquels jugés nos recommandations concernant la réforme du système de justice pénale.
En premier lieu, les méthodes communautaires visant à encourager un comportement acceptable devraient prendre préséance, dans toute la mesure du possible, sur le recours au système de justice pénale. Un grand nombre des conflits qui éclatent dans notre société peuvent et devraient être résolus dans la communauté plutôt que par le système de justice pénale, car celui-ci est coûteux, manque d'efficacité et ne devrait être qu'un dernier recours.
La punition la moins lourde devrait être celle qui peut être justifiée par les circonstances. Certes, nous savons que la punition est une réaction dont la société a besoin pour faire partager et respecter ses valeurs, mais la punition est également une façon d'infliger de la douleur, et ceci ne devrait être fait que dans la mesure où c'est absolument nécessaire.
En outre, nous devrions pouvoir définir ce qu'on entend par punition. La punition, à nos yeux, implique la perte de choix et de libertés. Si c'est une amende, vous n'êtes plus libre du choix de vos dépenses; si c'est un service communautaire, vous n'êtes plus libre de votre temps et, enfin, si c'est l'incarcération, vous souffrez de la privation de votre liberté d'aller et venir, mais ce n'est pas cependant la mort civile, ni la perte d'autres sortes de droits qui comportent la dignité et le respect des personnes humaines. La punition devrait donc être bien comprise et basée sur ce que nous pensons qu'elle devrait être.
Ce sont là les limites, mais de la punition découlent beaucoup de conséquences non intentionnelles, en particulier l'incarcération qui est nuisible à l'individu. C'est pourquoi nous pensons que les agents des services correctionnels ont l'obligation de mettre à la disposition de ceux qui sont sous leur garde les programmes et services que notre société se sent généralement obligée d'offrir à ses membres. Dans nos collectivités, on assure gratuitement l'éducation, les soins médicaux et toutes sortes de services sociaux, parce que nous savons tous, collectivement, que ce sont là des éléments nécessaires à notre croissance et à notre développement. C'est pourquoi il est essentiel, à notre avis, de ne pas priver ceux qui sont incarcérés des instruments d'épanouissement social dont nous dépendons tous et qui sont indispensables au développement de notre personnalité.
Ces services sont dispensés dans la collectivité non pas en fonction du mérite, mais en fonction du besoin. Nous estimons que ce principe doit être bien compris au sein des services correctionnels lorsqu'il s'agit de dispenser des services d'emploi, du counselling, de l'enseignement, etc. Ce n'est pas parce que les contrevenants méritent de participer à ce genre de programmes qu'ils peuvent le faire, mais bien parce qu'ils en ont besoin, et parce qu'ils ont besoin de ces programmes et de ces services, il est dans notre intérêt mutuel de nous assurer qu'ils sont dispensés.
Nous estimons aussi que les mesures coercitives prises par les représentants des services correctionnels ne devraient pas aller au-delà de ce qu'exige l'exécution de la peine imposée par le tribunal. Cela est lié à la notion de libération graduelle. Dans la mesure où le contrevenant est disposé à collaborer à l'administration de la justice pénale, il devrait se voir offrir l'occasion de le faire.
Le recours à des mécanismes de mise en liberté au sein de la collectivité, de libération graduelle, de probation et à d'autres programmes communautaires est conforme à cette notion. C'est un principe important qui devrait sous-tendre la loi sans imposer des obstacles à la collectivité ni réduire le niveau de supervision.
Les autorités correctionnelles sont responsables de la sécurité des détenus. Nous devons nous assurer que les programmes et établissements correctionnels ne mènent pas à la victimisation ou à la brutalisation des détenus. Comme nous l'avons dit dans nos témoignages précédents, c'est ce qui nous a toujours inquiétés à l'égard du transfert des jeunes contrevenants aux tribunaux et établissements pour adultes. Quel que soit le milieu, d'après nous, c'est le principe général qui doit s'appliquer si nous voulons que le système correctionnel n'aggrave pas les problèmes de ceux qui y sont détenus.
Enfin, les principes de justice fondamentale doivent caractériser l'administration des programmes correctionnels. Nous sommes d'avis que les établissements correctionnels transmettent aux contrevenants et aux détenus les valeurs qui importent à la collectivité.
Si les établissements donnent à croire qu'ils ne sont guidés par aucun principe ou qu'ils ne respectent pas les droits fondamentaux ni la justice fondamentale, les contrevenants ont l'impression que la société est hypocrite. D'après notre expérience, cela engendre une atmosphère très destructrice d'animosité et d'hostilité à l'égard du monde qui nous entoure.
Dans ces remarques, Mme MacNevin a traduit ce que nous considérons comme la principale divergence entre les croyances du public et la réalité en ce qui concerne le fonctionnement du système de justice pénale. De nombreux faits démontrent que les gens en général croient que le système de justice pénale pour les jeunes est plus indulgent et moins dur qu'il ne l'est en réalité.
Il y a aussi un écart entre la crainte qu'ont les gens du crime et la possibilité ou le risque qu'ils soient victimisés. Les craintes augmentent alors que la victimisation est stable ou en déclin. Nous sommes d'avis qu'il est difficile d'élaborer des lois en matière de justice dans un tel environnement.
Si on veut apaiser les craintes du public, on préférera des mesures qui seront à la fois coûteuses et inefficaces et probablement destructrices. Si on fait la promotion des programmes les plus efficaces et rentables, il se peut qu'ils ne soient pas bien acceptés par la population qui estimera qu'on n'a rien fait pour apaiser ses craintes.
Dans ce contexte, nous sommes d'avis que, avant tout, on se doit de combler cet écart. On doit d'abord tenter de créer un environnement où la compréhension qu'aura le public du fonctionnement du système de justice pénale et du crime sera plus conforme à la réalité.
Par conséquent, nous encourageons votre comité à se pencher sur ce sujet. Cela nous semble d'autant plus pertinent que, au cours des dernières années, plusieurs modifications ont été apportées à la Loi sur les jeunes contrevenants, mais que très peu nous prouvent que ces changements aient rehaussé la confiance du public. En outre, ces changements n'ont pas été apportés depuis assez longtemps pour qu'on puisse les évaluer.
Notre principale recommandation est donc que le comité s'intéresse à une grande stratégie de sensibilisation du public à la réalité de la criminalité chez les jeunes et du système correctionnel. On doit aussi continuer les recherches, et faire des recherches plus approfondies sur les attitudes du public. Mme MacNevin nous a indiqué que les sondages semblent indiquer des attitudes très dures de la part du public. Des études plus pointues nous rappellent toutefois que les croyances de la population sont beaucoup plus complexes que nous le croyons.
Nous estimons que ces stratégies devraient avoir pour but de nous permettre de veiller à ce que les attitude du public reposent sur les faits et que les législateurs ne se méprennent pas sur les exigences des gens.
Nous avons adopté d'autres positions et formulé d'autres recommandations dans ce mémoire. Nous pourrons y revenir pendant la période de questions. Je cède maintenant la parole à Christine.
Mme Christine Leonard (directrice exécutive, Société John Howard de l'Alberta): Bon après-midi. Je suis ici pour vous glisser quelques mots des programmes de la Société John Howard pour les jeunes contrevenants en Alberta.
Je commence avec nos foyers collectifs de détention en milieu ouvert. Nous en avons deux: un à Edmonton et un à Red Deer.
Notre foyer d'Edmonton s'appelle Howard House; c'est un établissement de détention en milieu ouvert de 12 lits pour les jeunes contrevenants de sexe masculin. Il se trouve dans un quartier résidentiel, ce qui a été très positif jusqu'à présent. Le foyer collabore avec un comité de quartier qui, au départ, se réunissait tous les deux mois pour discuter des questions relatives à la présence de cet établissement dans le quartier. Il y a eu si peu de problèmes qu'on ne tient plus ces réunions que deux fois par année. Cela nous indique que les relations du foyer avec ses voisins sont au beau fixe.
Les jeunes en font beaucoup pour la collectivité. Ils s'occupent de la patinoire - ils arrosent la patinoire et la déblaient de la neige. Ils déneigent les trottoirs du quartier et tondent la pelouse des foyers pour personnes âgées et des voisins les plus proches; cela contribue aux bonnes relations entre le foyer collectif et les voisins.
Howard House et notre foyer de Red Deer sont deux endroits novateurs car ils offrent tous deux un programme scolaire interne et complet dans le cadre duquel on offre des cours de la première à la douzième année, selon le besoin. Chacun de ces foyers compte un enseignant et un aide-enseignant à temps plein et dispense des cours de niveau secondaire dotés de crédits au besoin et des programmes d'expérience de travail. Ces écoles internes ont connu beaucoup de succès à bien des égards.
Nous avons toujours eu beaucoup de difficulté à mettre ces jeunes dans les écoles du quartier, parce que, souvent, ces écoles ne voulaient pas des adolescents ou, si elles les acceptaient, les adolescents étaient suspendus ou mis à la porte avant la fin d'octobre. Nos programmes internes permettent donc à ces jeunes de poursuivre leurs études.
À leur arrivée à l'un des deux foyers, on leur fait passer un examen pour déterminer à quel niveau ils se situent; puis ils travaillent individuellement avec l'enseignant et l'aide-enseignant.
Pendant la première année d'existence de notre école d'Edmonton, on a porté deux fois moins d'accusations contre des jeunes qui avaient été en liberté illégalement. Parce que ces adolescents ne sont pas dans la collectivité, ils risquent moins de commettre ce genre d'infraction.
Le programme offre aussi de l'expérience de travail. Un enseignant de la collectivité vient chercher les jeunes et les amène à des entrevues qui, dans certains cas, mènent à l'obtention d'un emploi à temps partiel.
Depuis que nous avons commencé à dispenser ces programmes scolaires dans les deux foyers, notre taux de réinsertion sociale est plus élevé. Ces jeunes sont acceptés dans les écoles du quartier, ils n'ont pas décroché. Dans certains cas, s'il le faut, les jeunes qui ont quitté notre foyer et qui ont des difficultés à l'école du quartier peuvent revenir chez nous pour une courte période pour bénéficier d'une réinsertion plus graduelle. C'est un autre des éléments positifs du travail que nous faisons avec ces jeunes.
Les deux foyers offrent des programmes récréatifs en soirée plusieurs fois par semaine; ce sont des programmes d'activité éducative et physique - sports, cinéma, randonnées, musées. On tente aussi de prévoir des activités spéciales pour les jeunes qui ne savent pas ce que c'est que de fêter Noël, Pâques ou l'Halloween. On vise ainsi à leur apprendre comment utiliser leur temps libre à bon escient; ces activités sont très réussies. Dans les deux foyers, l'environnement est très structuré et les jeunes n'ont du temps libre que les dimanches après-midi et soir.
Les deux foyers offrent des programmes d'acquisition de compétences psychosociales; pendant une soirée très structurée, les jeunes acquièrent des aptitudes sociales et on invite des conférenciers de l'extérieur, tels que des infirmières des centres publics pour entretenir les adolescents de divers sujets, tel les de maladies transmises sexuellement, par exemple.
Les jeunes font des corvées un soir par semaine. Ils apprennent à assumer une part des responsabilités pour l'entretien de la maison et ils apprennent à cuisiner. Chacun doit, pendant une semaine, préparer les repas avec l'aide d'un cuisinier bénévole.
Les compressions budgétaires des dernières années en Alberta ont eu des conséquences pour ces deux foyers de détention ouverte pour jeunes contrevenants. Auparavant, nous engagions un cuisinier; nous avons dû trouver des bénévoles pour la cuisine, parce que le nombre d'employés par rapport au nombre d'adolescents n'était pas assez élevé pour que les employés puissent préparer trois repas par jour. Heureusement, nous sommes parvenus à trouver un cuisinier bénévole à temps plein.
Auparavant, nous n'accueillions dans nos foyers que des adolescents de 14 à 17 ans; nos programmes pouvaient donc être axés sur les besoins particuliers de cette catégorie d'âge. Nous acceptons maintenant des jeunes de 12 et 13 ans; la coopération avec les adolescents de 17 ans est parfois difficile.
On exerce des pressions pour que nous libérions les jeunes avant qu'ils ne soient prêts. Nous n'avons pas toujours le temps de leur trouver une famille d'accueil si leur propre famille ne peut les accueillir, ou de trouver une école qui les accepte.
Ce sont là certaines des pressions auxquelles nous sommes exposés à la suite des restrictions budgétaires dans l'administration de la justice juvénile en Alberta.
Nos deux établissements pour jeunes contrevenants sont axés sur la collectivité. Le foyer de Red Deer administre un terrain de camping en été. Les jeunes s'occupent de tout l'entretien, des déchets, et ce, bénévolement.
Depuis janvier de cette année, les adolescents du centre collectif de Red Deer, qui compte dix lits, ont consacré plus de 3 000 heures à des travaux communautaires. Il ne s'agit pas de travaux qu'une ordonnance les obligeait à faire. Ce sont des travaux que les adolescents ont accepté de faire pour la collectivité, pour améliorer la qualité de vie de leur quartier.
Je prendrai encore quelques minutes pour vous parler du programme de réconciliation des victimes de contrevenants de Calgary. Ce programme est financé par Centraide qui s'occupe des personnes qu'on lui envoie. Il n'y a pas de restriction quant au genre d'infractions que commettent les contrevenants pouvant se prévaloir de ce programme de médiation. Il peut s'agir d'un petit délit - du vol à l'étalage - ou d'une infraction grave - voies de fait. Puisqu'il s'agit d'un programme de déjudiciarisation, la police peut vous envoyer des contrevenants sans avoir à d'abord porter des accusations contre eux. Les victimes qui s'y soumettent se réconcilient avec le contrevenant et peuvent demander à participer au programme. La médiation peut être circonstancielle, lorsque l'agent de probation ou l'avocat de la Couronne estime que le jeune voudrait peut-être y participer avec la victime, ou elle peut faire partie de la sentence imposée par le juge.
Ce programme a connu un grand succès. Dans 91 p. 100 des cas de médiation, la victime et le contrevenant se sont entendus sur une forme de dédommagement. Il peut s'agir d'une indemnité financière, de services personnels à la victime, de travaux communautaires, d'excuses ou de toute autre idée novatrice qui est acceptée par la victime et le contrevenant. Quatre-vingt-onze pour cent des tentatives de médiation ont débouché sur une entente et 99 p. 100 de ces ententes ont été respectées à la satisfaction de la victime. Nous estimons donc que ce programme est un succès retentissant.
La Société John Howard dispense un programme semblable à Red Deer.
Je serais heureux de vous décrire les autres programmes de la Société John Howard. Ces programmes ne s'adressent pas tous aux jeunes contrevenants; certains s'adressent aux jeunes dans la collectivité ou à la collectivité dans son ensemble. Nous avons des programmes très novateurs et emballants.
Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Nous commençons notre premier tour de table. Monsieur Langlois, vous avez dix minutes.
[Français]
M. Langlois (Bellechasse): Votre discours était tellement intéressant que j'en ai oublié de prendre des notes. Je vais essayer de m'y retrouver dans celles que j'ai prises en sténo à toutes fins utiles.
Madame Reid-MacNevin, lors de votre exposé, vous avez dit que le rôle de votre société était de combler les lacunes du système et de dissiper les mythes. Comment se fait l'identification de ces lacunes?
[Traduction]
Mme Reid-MacNevin: Pourriez-vous répéter votre question? Avez-vous parlé du fait que la société est responsable des lacunes du système? Me demandez-vous comment on peut combler ces lacunes? Est-ce là votre question?
[Français]
M. Langlois: J'ai cru comprendre que votre organisme se donnait la responsabilité de combler les lacunes du système judiciaire juvénile et de dissiper certains mythes. J'aimerais que vous élaboriez sur ces deux concepts et que vous indiquiez quelques-unes de ces lacunes et quelques-uns de ces mythes.
Je pourrais en profiter pour soulever une question que vous avez abordée dans votre présentation. Vous avez dit que vos sondages ou enquêtes d'opinion démontraient que de nombreuses personnes responsabilisaient l'école et la voyaient comme étant un des endroits privilégiés pour forger le comportement des jeunes. Un des facteurs qui me semblent absents, et vous pourriez en parler dans votre réponse, c'est le rôle de la famille: la famille comme cellule de base dans la société, surtout la famille de 1995 qui, dans bien des cas, est une famille éclatée, monoparentale, reconstituée, etc.
Y a-t-il une relation de cause à effet entre le comportement actuel des jeunes et l'éclatement de la famille traditionnelle que nous connaissions, celle que j'ai connue à l'époque où j'ai grandi? On parle toujours de l'époque où l'on a grandi comme des bons vieux jours, mais quand j'avais 10 ou 12 ans, quand j'avais un comportement déviant, le premier tribunal auquel je devais faire face, c'était mon père et ma mère.
Bien sûr, il y a eu des changements. Aujourd'hui, très souvent, les parents, ou le parent, qui ont beaucoup d'activités, ne sont pas le premier tribunal, mais les premières personnes à renforcer le comportement déviant du jeune en l'aidant à défendre ses droits devant le tribunal et en invoquant la Charte à la première occasion. Je trouve qu'il y a une éducation à faire au niveau parental. Je me demande si c'est possible. Pouvez-vous me situer un peu?
[Traduction]
Mme Reid-MacNevin: En ce qui concerne les mythes, je tenais beaucoup à faire cette étude notamment parce qu'on en savait très peu sur l'opinion du public à l'égard de la criminalité juvénile. On parlait beaucoup du fait que les gens craignent les jeunes. Mais lorsqu'on examine ce que les gens disent véritablement sur la criminalité juvénile, les mythes persistent; on prétend que les crimes violents sont à la hausse chez les adolescents et que les jeunes qui sont placés dans des établissements de détention en milieu fermé reçoivent des traitements.
On peut dissiper certains de ces mythes - et nous avons été très actifs à ce chapitre en Ontario - en rédigeant des feuillets d'information sur les faits comparés aux perceptions, des feuillets d'information que nous distribuons largement. Il faut aussi tenir des rencontres avec les membres de la collectivité pour communiquer des renseignements, par le biais de bulletins aussi. Si on réussit à communiquer un renseignement, à raconter une histoire, c'est utile car cela semble se communiquer un peu partout au niveau communautaire. Ce qui fait notre force, c'est que nous travaillons avec des bénévoles au niveau communautaire qui peuvent s'acquitter de ce genre de tâche.
En ce qui concerne votre deuxième question sur la famille, j'ai omis de mentionner une chose lorsque j'ai parlé des recherches qui ont été effectuées aux États-Unis. Les thérapies communautaires multi-systémiques sont efficaces parce qu'elles ciblent les milieux où les comportements délinquants peuvent être décelés. La famille est évidemment l'un des ces milieux, avec l'école et les camarades.
On tente donc de trouver des façons d'aider les familles à conserver ou à rehausser leur cohésion. On examine la discipline parentale et on enseigne aux familles comment résoudre les conflits plus efficacement de façon collective grâce à différents modèles, et ce, pour préserver la cellule familiale. On préfère cette solution au placement dans un établissement, où les adolescents sont privés de contacts avec leur famille pour diverses raisons, ne serait-ce que parce qu'il est très coûteux pour les parents de l'adolescent de se rendre jusqu'à l'endroit où il est détenu.
La participation de la famille est donc assurément un élément très important. Lorsque nous examinons les solutions qui ont fait leurs preuves, on constate que pour que la famille conserve toute son importance, il faut cesser d'incarcérer les contrevenants non violents loin de leur famille et plutôt contribuer à consolider la cellule familiale.
[Français]
M. Langlois: Est-ce que Mme Leonard a quelque chose à ajouter?
[Traduction]
Mme Leonard: La Société John Howard de l'Alberta dispense des programmes d'éducation dans les six régions de la province où elles oeuvrent. Nous allons dans les écoles pour expliquer la Loi sur les jeunes contrevenants. Nous parlons de responsabilités et de systèmes judiciaires. Nous commençons avec des enfants de troisième année et nous nous adressons aux jeunes qui atteignent l'âge auquel la Loi sur les jeunes contrevenants s'applique à eux. C'est là que nous déployons le plus d'efforts.
Nous participons aussi activement, à l'échelle du pays, à des tribunes publiques et nous répondons dans l'immédiat aux initiatives qui, d'après nous, violent les principes de justice fondamentale. La Société John Howard, qui est une organisation communautaire, joue un rôle vital à ce chapitre par l'entremise de ses bénévoles. Nous sommes très actifs dans ce domaine dans la plupart des régions du pays, spécialement dans les écoles.
[Français]
M. Langlois: Madame Reid-MacNevin, constatez-vous, dans les statistiques que vous avez à votre disposition, une relation de cause à effet, avec ou sans bémol, entre le milieu socioéconomique des enfants et le taux de criminalité?
Par exemple, le taux de criminalité est-il plus élevé chez les enfants de familles à revenu moins élevé ou de familles qui vivent de l'aide sociale que chez ceux de familles à revenu élevé? De la même façon, les enfants de familles scolarisées sont-ils des enfants moins à risque?
[Traduction]
Mme Reid-MacNevin: Dans le document qui accompagne notre mémoire, nous avons mis en relief certains des secteurs de risque qui peuvent mener à des comportements délinquants. En ce qui concerne les éléments qui nous permettent de prédire qui aura des démêlés avec la justice, nous avons constaté - c'est ce que nous dit le Centre canadien de la statistique juridique - que, parmi les caractéristiques socio-démographiques, c'est avec le taux de chômage chez les hommes que le lien avec toutes les infractions était le plus étroit.
Les municipalités comptent une proportion relativement élevée de familles pauvres qui louent leur logement ou qui sont monoparentales et qui présentent le taux le plus élevé des voies de fait graves, de cambriolages, d'entrées par effraction, de vols et d'infractions graves liés aux drogues.
Les municipalités qui comptent une proportion relativement élevée d'hommes âgés de 20 à 34 ans présentent le taux le plus élevé de cambriolages, d'entrées par effraction, de vols et d'infractions graves liés aux drogues.
La population de 15 ans et plus sans diplôme d'études secondaires est celle qui présente le plus de caractéristiques associées aux voies de fait et aux agressions sexuelles.
Mme Leonard: J'aimerais ajouter une chose. La Société John Howard de l'Alberta vient de terminer une étude de deux ans sur les facteurs socio-économiques criminogènes. Ce qui est clair, c'est qu'il n'y a pas de relations de cause à effet. Ce n'est pas aussi simple que cela. C'est en fait très complexe.
Certaines personnes qui présentent tous les facteurs de risque associés aux crimes deviennent des adultes responsables, qui réussissent leur vie et qui n'ont aucun démêlé avec la justice. Il semble qu'ils savent mieux s'adapter et que cela leur permet de mieux passer à travers les épreuves. D'autres jouissent de tous les avantages que la société peut offrir mais deviennent néanmoins des criminels. Il n'y a donc pas de simples relations de cause à effet.
M. Ramsay (Crowfoot): Je remercie les témoins d'être venus aujourd'hui nous aider dans notre examen de la Loi sur les jeunes contrevenants.
Nous pourrions aborder bien des sujets et nous n'avons que peu de temps à passer avec vous. J'aimerais donner suite à ce que vous venez de dire. Certaines personnes semblent mieux s'adapter. À quoi attribuez-vous cela?
Aux fins du compte rendu, je répète ce que vous avez dit. Si j'ai bien compris, vous avez dit que certains enfants qui proviennent de milieux comportant de nombreux facteurs criminogènes ne commettront pas un seul délit de leur vie. D'après vous, comment cela se fait-il?
Mme Leonard: Malheureusement, nous n'avons ni l'argent ni le temps nécessaire à une étude approfondie des facteurs d'adaptation. Je sais toutefois que le Conseil de la prévention du crime se penche actuellement sur ce sujet.
Notre expérience nous mène à croire qu'il y a parfois une personne clé dans la vie d'un enfant qui est stable et qui fait toute la différence. Cela peut être un enseignant, un voisin, ou votre grand-mère. En dépit de tous les autres facteurs criminogènes, si vous pouvez nouer des liens étroits avec ces personnes, vous pourrez probablement passer au travers du pire. Notre étude n'est toutefois pas allée plus loin que ça.
M. Ramsay: Est-ce que cela pourrait être une solution ou une formule pour la majorité? Autrement dit, ne pourrait-on pas aider ceux qui ont des démêlés avec la justice à prendre contact avec quelqu'un qui assurerait une certaine stabilité, qui comblerait des lacunes dans la vie de l'enfant?
Mme Leonard: À mon avis, il est crucial pour les enfants de pouvoir entretenir une relation étroite et stable avec une autre personne.
Toutefois, le peu que nous savons sur la capacité d'adaptation nous permet de dire qu'il ne faut pas que ces jeunes qui vivent dans les pires conditions socio-économiques mettent tous leurs espoirs dans une telle personne. Le développement social vise l'élimination de tous les facteurs de risque. Nous ne pouvons pas dire: Vous pouvez vivre dans la pauvreté, avoir une piètre instruction, connaître la violence familiale et la toxicomanie, ce n'est pas grave puisque vous avez une grand-mère formidable. Non. Il faut plutôt tenter de supprimer les facteurs sociaux et économiques à la source de la délinquance.
La capacité d'adaptation, c'est bien, mais ce n'est pas la solution.
M. Stewart: Si je peux me permettre d'ajouter quelque chose, des études à long terme menées en Grande-Bretagne à ce sujet montrent que, si vous examinez n'importe lequel des facteurs sociaux - la pauvreté, le chômage, etc. - , il est difficile d'établir quelques liens que ce soit. Cependant, plus ces facteurs sont présents dans une situation donnée, plus grands sont les risques que la personne qui vit dans cette situation participe à des activités criminelles.
Il y a aussi des facteurs personnels. Le Dr Andrews, chercheur bien connu au Canada, a énuméré différentes caractéristiques qui sont aussi reliées sur le plan personnel. Il s'agit du fait d'être un garçon, d'être jeune, d'avoir un dossier criminel, de frayer avec des criminels, d'être d'une famille qui dépend du bien-être social et de ne pas savoir quoi faire de ses temps libres.
Chose intéressante, certains de ces facteurs disparaissent à mesure que les jeunes vieillissent. Il faut se rappeler que la grande majorité des jeunes délinquants ne sont pas des délinquants toute leur vie. C'est un comportement qu'ils peuvent avoir à un certain moment. Les jeunes garçons semblent risquer plus que les autres d'avoir un comportement criminel. Des sondages d'auto-identification donnent à penser qu'en fait la plupart des gens ont déjà commis quand ils étaient jeunes une infraction qui en droit serait considérée comme étant criminelle.
Nous tenons donc à établir très clairement une distinction entre ceux qui traversent une phase et ceux qui ont de très graves problèmes de délinquance et vont nécessiter la prise de mesures plus importantes, plus draconiennes.
Dans le cas de ceux qui, compte tenu de ces différents facteurs, sont très défavorisés, je pense que vous avez parfaitement raison. À moins d'avoir un bon modèle de rôle, à moins de pouvoir compter sur de bonnes relations avec des gens qu'on respecte et qui veulent contribuer à la vie en société, on risque beaucoup plus de persévérer dans la criminalité.
Ainsi donc, quand nous visons ces personnes plutôt que celles qui ont à l'occasion un comportement délinquant, qui dans la plupart des cas passera, c'est une considération très importante, à notre avis.
M. Ramsay: Si cette question m'intéresse, c'est que quand je pense à mes jeunes années, je ne trouve pas qu'au Canada on connaisse le genre de pauvreté qu'il y avait alors, je pense aux possibilités qu'on a: l'électricité, le chauffage central, la possibilité de voyager, les moyens de voyager, et ainsi de suite. Les enfants d'aujourd'hui vivent dans un monde merveilleux comparé à ce que nous avons connu. Vous savez, ils ont la télévision, la radio et tout le reste. Pourtant, un bon nombre d'entre nous, même la plupart, ont grandi sans avoir le moindrement affaire au système judiciaire.
Il doit donc y avoir là d'autres facteurs. Si nous examinons la cause de la criminalité, je ne sais pas si le système judiciaire a pour mandat d'affecter directement des ressources au traitement de la cause de la criminalité. Il me semble que cela relèverait d'autres programmes, mais si c'est effectivement la responsabilité de ces programmes, ils n'y arrivent pas. J'aime que les choses fonctionnent. D'une part, qu'est-ce qui réduira les causes de la criminalité et, d'autre part, que faisons-nous de ceux qui commettent des délits et des crimes violents? Comment assurer leur réinsertion sociale? Qu'est-ce qui constitue une sanction juste et équitable compte tenu de ce qu'ils ont fait? Nous devons tenir compte de tous ces aspects.
Par exemple, dans la Loi sur les jeunes contrevenants, il y a une disposition de non-divulgation. Les médias ne peuvent pas divulguer le nom ni l'identité d'un jeune contrevenant violent, même s'il a commis un crime horrible et même si c'est un récidiviste. Cela me préoccupe assez.
J'ai à soumettre un exemple et j'aimerais que quelqu'un du groupe nous dise ce qu'il en pense. Appuyez-vous cette disposition de non-divulgation de la Loi sur les jeunes contrevenants, la non-divulgation par les médias?
M. Stewart: Peut-être pourrais-je commencer par votre premier point, au sujet du fait qu'autrefois on grandissait dans la pauvreté sans pour autant sombrer dans la criminalité. Je pense que c'est exactement ce qu'a révélé l'étude britannique. Un milieu pauvre n'est pas nécessairement propice à la criminalité. Si vous voyez l'ensemble du Canada, bon nombre de régions pauvres ont en fait un taux de criminalité très bas. Là où ce taux augmente, c'est là où la pauvreté côtoie une grande richesse, là où il y a un écart marqué.
Au sujet de l'identification des délinquants, je pense qu'il faut reconnaître que la Loi sur les jeunes contrevenants nous permet de divulguer beaucoup plus de renseignements qu'avant l'adoption de cette loi, quand...
M. Ramsay: Ce que je demande au groupe, c'est s'il appuie l'actuelle disposition de non-divulgation de la Loi sur les jeunes contrevenants, qui interdit qu'on divulgue l'identité des jeunes contrevenants?
M. Stewart: Nous nous opposons à ce qu'on fasse publiquement connaître l'identité des délinquants dans ces circonstances, bien que nous ne nous opposions pas à cette divulgation dans les cas où il s'agit d'un fugitif, de quelqu'un qui est recherché par la police.
M. Ramsay: C'est intéressant, parce qu'hier nous avons accueilli un témoin très intéressant qui fréquente beaucoup les conseils de détermination de la peine et qui a certainement retenu mon attention en parlant de différents principes et de la dynamique en cause. J'ai posé au témoin une question précise, à savoir si oui ou non le principe de la non-divulgation était écarté de toute cette idée des conseils de détermination de la peine, et il a dit que oui. Selon la description qu'il en a donné, il était évident, à mes yeux du moins, parce que c'était ce que je cherchais à savoir, que le délinquant et la victime se trouvent dans un environnement communautaire, et l'identité est dévoilée. Cela fait partie du processus de guérison. Cela fait partie du processus de réinsertion, où l'on prépare le terrain pour la réadaptation et la guérison non seulement du côté du délinquant mais aussi du côté de la victime.
Il est ressorti clairement dans le témoignage d'hier que quand un délinquant commet un délit qui nuit à quelqu'un d'autre, les deux en souffrent. Le délinquant en souffre et la victime aussi. Bien que je n'aie jamais fait partie d'un conseil de détermination de la peine, j'aimerais certainement pouvoir voir les émotions qui y sont exprimées, et ce témoin a dit que c'était des émotions très fortes.
Il me semble que c'est ce qui manque aujourd'hui à notre système judiciaire. Bien sûr, cela ne peut donner de résultats que dans le cas de gens qui sont prêts à admettre leur tort.
J'espère que c'est quelque chose qu'examinera de plus près le comité, parce que l'idée de traîner quelqu'un devant les tribunaux, devant un juge, qui peut-être a vu un rapport préalable à la détermination de la peine, n'a en main que quelques-unes des données de l'affaire et où la victime n'est pas autorisée à présenter un énoncé d'incidence, n'est pas à mon avis une idée qui semble vous permettre de réaliser ce que vous disiez. Pourtant, parallèlement, le conseil de détermination de la peine recommande au juge, si je comprends bien, la punition, la sentence qu'il faudrait donner. Je pense que c'est très important aussi de faire comprendre au délinquant que bien que nous souhaitions nous orienter vers sa réinsertion, il a effectivement fait quelque chose de mal, il a nui à quelqu'un, il a enfreint la loi, et il doit tout au moins purger une peine minimale et on présente cette recommandation au juge, qui dans la plupart des cas lui donne suite.
J'aimerais simplement votre avis là-dessus, surtout si vous connaissez le fonctionnement des conseils de détermination de la peine. C'est un peu comme ce que l'on fait en Alberta.
M. Stewart: La différence ici, c'est que nous parlons de divulgation, et même dans nos communautés maintenant, les familles des jeunes délinquants et leur entourage immédiat sont au courant. Mais la différence entre une divulgation qui permet la guérison et une divulgation qui n'est qu'une humiliation, tient au niveau d'appui qu'on peut obtenir de la communauté. Ce que nous recherchons, c'est que tandis qu'un jeune dans sa communauté, au côté de ceux avec qui il vit et traite... Ce genre de cercle de guérison pourrait être un outil extraordinaire. Mais pour nous, c'est autre chose que de voir simplement figurer le nom de quelqu'un dans un journal pour qu'il devienne ensuite la cible de gens qui ne se préoccupent pas du tout de son bien-être. La divulgation devient alors simplement un instrument d'humiliation.
C'est là la différence, et nous pensons qu'il existe des programmes et des services qui pourraient permettre ce genre de guérison dont vous parlez sans qu'on ait à opter pour l'autre voie et risquer une humiliation publique.
M. Gallaway (Sarnia - Lambton): Merci d'être venus comparaître. Votre exposé est très intéressant, tout comme les documents que vous avez fournis.
Nous vivons dans un monde qui se nourrit d'anecdotes quand il est question de jeunes délinquants ou de criminalité chez les jeunes, s'il s'agit bel et bien de cela. Vous avez parlé de la nécessité de faire comprendre au public que les apparences ne correspondent pas nécessairement à la réalité. Bien sûr, il nous arrive d'entendre des gens qui généralisent à partir de cas particuliers. C'est ce qui contribue à faire peur à la population.
En outre, en Amérique du Nord, nous en sommes restés à l'Ancien Testament, à penser que qui aime bien châtie bien. Je pense que c'est à quoi vous pensiez, docteur MacNevin, quand vous disiez que la punition équivalait en quelque sorte à la dissuasion. Il y a bien sûr un changement d'attitude qui fait que le grand public estime que c'est ce vers quoi il faudrait tendre de plus en plus.
Je trouve particulièrement intéressant le passage des documents qui traite des pratiques adoptées par les forces policières en matière de poursuite. En 1984, cette loi a été adoptée. Je crois savoir qu'auparavant on tenait très peu de dossiers. Cela se faisait tout au plus de façon marginale ou sporadique et peut-être surtout au niveau local plutôt que provincial ou national.
Je suis loin de raffoler des anecdotes, mais un avocat m'a raconté récemment qu'il a eu à s'occuper de plusieurs cas dans une communauté où une bande de garçons de septième année se pourchassaient. Ces jeunes portaient des pantalons de survêtement qu'ils s'amusaient à se baisser mutuellement dans la cour d'école. Un agent de police bien intentionné est venu et a dit que c'était une forme d'agression sexuelle et l'affaire a abouti devant le tribunal des jeunes délinquants. Il a été absolument renversé de voir que ce qui n'était qu'un jeu d'enfant ou peut-être un comportement répréhensible est devenu un délit criminel ou une affaire qui relève du système judiciaire.
Peut-être, docteur MacNevin, pourriez-vous nous dire un mot au sujet de cette question des pratiques suivies par les forces policières en matière de poursuite, compte tenu des compressions qu'on a imposées en Alberta et de ce qui se passe en Ontario, à propos de quoi vous avez parlé de programmes de discipline stricte. Les coûts des services policiers commencent à poser un problème. Je me demande si vous pourriez nous parler de toute cette question des pratiques suivies en matière de poursuite et comment cela pourrait donner à penser que les jeunes d'aujourd'hui se comportent plus mal que ceux qu'il y a 10 ou 15 ou 20 ans.
Mme Reid-MacNevin: J'ai eu l'occasion de travailler avec la police régionale de Halton l'année dernière pour superviser la thèse d'une étudiante de deuxième cycle qui avait accès à tous les dossiers de jeunes contrevenants accumulés au cours d'une année. Je vais vous faire part de certains renseignements.
Je rigole à propos de votre histoire de pantalon de survêtement, parce que j'ai eu l'occasion de parler à un agent de bureau des jeunes à Guelph récemment et elle m'en a parlé. Elle parlait de la guerre des boutons à Guelph. Elle se demandait si elle aurait dû porter un chef d'accusation ou non, étant donné qu'on n'y voyait là que des chamailleries d'enfants. J'ai ri quand elle m'a raconté cela. C'était en fait des filles qui pourchassaient les garçons. Elle m'a dit, dans ce cas on se demande si l'on doit porter un chef d'accusation ou non. Mais si c'était l'inverse, si c'était des garçons qui avaient pourchassé des filles, on aurait parlé d'agression sexuelle. Comment user de son pouvoir discrétionnaire sans tenir compte de l'appartenance à un sexe ou l'autre?
Toute cette question du pouvoir discrétionnaire qu'ont les agents de police en matière de poursuite est liée à d'autres questions touchant à l'égalité.
Pour ce qui est de l'étude Halton, ce que j'ai trouvé particulièrement intéressant c'est que l'étudiante avait accès à toutes les notes prises par les agents de police sur les circonstances particulières de chacune de ces infractions. Elle a codifié environ 15 p. 100 de toutes ces affaires examinées cette année-là et ayant donné lieu à des rapports de police et a constaté que dans 45 p. 100 des cas, on n'avait porté aucune accusation.
J'ai aussitôt supposé qu'elle avait commis une très grave erreur, étant donné que nos statistiques nationales révèlent que l'on porte de plus en plus d'accusations. Je lui ai demandé si elle voulait bien codifier davantage de cas. Elle a codifié 100 autres cas et constaté qu'on n'avait porté d'accusations que dans 46 p. 100 d'entre eux. Cela m'a apparu encourageant parce que pour la plupart, nous, les criminologues de la Société John Howard, avons tendance à dire que les policiers portent beaucoup trop d'accusations.
Le nombre d'accusations est en hausse, mais nous devons utiliser des mesures de rendement plus positives. Nous devrions dire que Halton doit bien s'y prendre puisque dans le cas de délits mineurs, comme cet incident de fraude à propos d'une carte de fidélité de la chaîne de restaurants Subway, la police ne porte pas d'accusations. Elle ramène les enfants à leurs parents et si on ne trouve pas de milieu familial approprié, nous devrions renforcer le soutien communautaire.
Donc bien qu'on constate que la police porte davantage d'accusations depuis l'adoption de la Loi sur les jeunes contrevenants, ce dont on ne parle pas, c'est du renforcement du pouvoir discrétionnaire de la police ni du recours à des programmes communautaires comme solution de rechange à préférer à la mise en accusation des jeunes.
En Ontario, cela nous pose un problème. Pour pouvoir appliquer des mesure de rechange, la police doit d'abord porter une accusation avant d'orienter le jeune vers ces services. Si nous pouvions nous défaire de cette règle et faire en sorte que la police puisse vraiment faire un tri puis des mises en garde et ainsi de suite, je pense que les statistiques chuteraient considérablement.
M. Gallaway: Pensez-vous que la police puisse ... ? Ce n'est peut-être pas une bonne question. C'est peut-être une question trop vague. Souvent nous avons affaire avec des enfants au seuil de l'adolescence et parfois - nous avons tous deux parlé de l'exemple des pantalons de survêtement - il s'agit bien plutôt d'un comportement répréhensible que d'un comportement criminel.
Il me semble qu'il nous arrive devant les tribunaux des enfants qui n'ont pas la moindre tendance criminelle ni la moindre intention criminelle et qui n'ont commis aucun acte criminel. Ils se sont tout simplement livrés à un comportement auquel des enfants se livrent depuis des années. Ce n'est peut-être pas socialement acceptable, mais ce n'est pas criminel.
Je pense à un autre cas dont m'a parlé cette même personne. C'était dans une communauté où deux jeunes de douze ans se sont battus dans une cour d'école. Si je me souviens bien, les enfants ont toujours fait cela mais l'un des parents a insisté pour que la police porte une accusation et, en fait, c'est ce qui est arrivé. La bataille n'a fait ni perdant ni gagnant, mais l'affaire s'est enlisée dans notre système judiciaire.
Je trouve très préoccupant que des gens m'appellent pour me dire que les enfants d'aujourd'hui sont pires que ceux d'un passé idéalisé. Je n'en crois pas un mot. Peut-être parce que j'ai des enfants.
J'aimerais aussi parler de toute cette question de l'âge de la culpabilité. Dans notre pays et au sud aussi certainement, on pense qu'il faudrait abaisser cet âge, que le seuil de 12 ans devrait être abaissé à 10 ans. J'ai même entendu des gens dire qu'un enfant de 8 ans doit savoir ce qu'il fait, qu'il faudrait pouvoir l'enfermer ou l'envoyer dans un camp ou ailleurs.
Pourriez-vous nous dire comment nous en sommes arrivés à fixer l'âge de la culpabilité à 12 ans plutôt qu'à 11 ans ou à 9 ans?
Mme Reid-MacNevin: Quand je poursuivais mes études, j'ai commencé à examiner cette question où l'on délibérait avant la proclamation de la Loi sur les jeunes contrevenants. J'ai consulté les comptes rendus de certaines de ces séances de délibération.
Cette décision tient en partie à des principes de common law, à ce qu'on appelle les règles doli incapax, la doctrine de common law selon laquelle un enfant en bas âge ne peut pas être tenu responsable ni coupable en droit. La règle veut que vers l'âge de 10 ans, on atteigne un certain point où l'on devient un peu plus responsable, et qu'à l'âge de 12 ans, on est censé être capable de connaître et de pleinement comprendre la nature et la raison d'être de la loi. En outre, il y a des années de transition entre 12 et 14 ans où, légalement, on ne peut pas nécessairement comprendre très bien la notion de responsabilité.
Cela correspond très bien aux écrits portant sur la façon dont les enfants grandissent et se développent. Cela semble correspondre à la notion de développement cognitif nécessaire à l'apparition de la réflexion opérationnelle formelle vers l'âge de 12 ans. Cela semble correspondre à ce que nous constatons dans l'évolution de la plupart des enfants dans le système scolaire. Ils en sont à un âge où la plupart d'entre eux passent au niveau intermédiaire et font face aux attentes et aux responsabilités qui accompagnent ce stade.
Lorsqu'il est question de la garde d'enfants, on ne peut pas le faire avant l'âge de 12 ans. Donc, manifestement, en tant que société, nous estimons qu'un enfant n'est pas suffisamment responsable pour suivre un cours sur la garde des enfants avant d'avoir atteint l'âge de 12 ans.
Le président: Le temps est écoulé, je regrette.
Monsieur Langlois.
[Français]
M. Langlois: Je veux enchaîner sur le même sujet que mon collègue, M. Gallaway. Le Code civil du Québec déclare que toute personne capable de discerner le bien du mal est responsable du dommage qu'elle cause à autrui. Nos lois civiles ou nos législateurs en matière civile attribuent une présomption de responsabilité pour la personne qui distingue le bien du mal. Pourquoi, dans une société, peut-on accepter qu'en matière civile, l'âge soit nettement inférieur à celui qu'on reconnaît en matière criminelle, soit plus ou moins 12 ans, sans remettre fondamentalement cet âge en question? Voyez-vous une raison particulière qui explique cette attitude?
[Traduction]
Mme Reid-MacNevin: Entre le droit civil et le droit pénal? Non, je pense que le droit civil est peut-être inexact.
En fait, nous avons des données qui tendent à montrer que les enfants ne sont pas en mesure de témoigner ni de comprendre la nature et l'intention de ce que nous appelons un méfait. Nous savons, d'après les étapes de développement moral de Kohlberg, qu'une personne de moins de 15 ans même peut ne pas avoir la capacité de comprendre des notions poussées du bien et du mal.
Peut-être donc que le code civil devrait tenir compte de ce que nous savons au sujet du développement et de ce qu'il en est de la capacité d'un enfant de distinguer le bien du mal.
[Français]
M. Langlois: Vous ne verriez donc pas d'objections à ce que le Code civil du Québec soit modifié. Actuellement, il autorise le mariage des garçons de 14 ans et des filles de 12 ans, ce qui est probablement une anomalie en 1995.
Je soulève une hypothèse. Auriez-vous objection à ce qu'une personne de moins de 12 ans puisse être tenue criminellement responsable de ses actes si la Couronne parvenait à démontrer - et ce serait sa première preuve, - que la personne était en mesure à ce moment-là de distinguer le bien du mal, de juger de la portée des actes qu'elle a posés? Je sais qu'on entre dans un domaine où la limite varierait selon l'âge, mais je vous pose quand même la question.
[Traduction]
Mme Reid-MacNevin: Voulez-vous dire criminellement responsable et passible des sanctions qu'on imposerait à un adulte? Oui, je m'y opposerais.
Nous pouvons peut-être distinguer le bien du mal, mais nous croyons toujours dans notre société, et nous le considérons comme une valeur et comme un principe, qu'il y a une différence entre les enfants, les adolescents et les adultes. D'ici à ce qu'on décide qu'on est un adulte à 12 ans, nous devons considérer ces périodes comme des phases.
Avant 12 ans, il n'y aurait pas de responsabilité criminelle. En tant que société, nous appelons adolescence la période entre les âges de 12 ans et 18 ans et nous estimons qu'on a alors encore besoin de protection même si l'on peut faire preuve d'une certaine responsabilité. Puis, à 18 ans, on devient entièrement assujetti à la loi en ce qui a trait à la responsabilité et aux comptes à rendre, et on devient un adulte.
[Français]
M. Langlois: Il y a un courant de pensée au Canada qui voudrait le rétablissement de la peine de mort. Dans l'éventualité où elle serait rétablie, est-ce que vous l'excluriez dans tous les cas, pour toute personne de moins de 18 ans?
[Traduction]
Mme Reid-MacNevin: [Inaudible-Éditeur] pour tous les gens au Canada.
M. Stewart: Nous ne cherchons pas à établir si un jeune est responsable mais plutôt de savoir si nous nous servons du droit pénal comme moyen de cerner cette responsabilité. Nous disons que ceux qui ont moins de 12 ans peuvent être tenus responsables, mais que cela peut aussi se faire par d'autres moyens - les lois sur le bien-être des enfants et le placement à l'intérieur de familles et d'institutions - et c'est la façon la plus appropriée.
À mesure que les enfants grandissent, leur responsabilité s'accroît face au droit pénal, mais c'est une erreur que de penser que parce que nous ne pensons pas que le droit pénal devrait s'appliquer aux enfants de moins de 12 ans, cela signifie par conséquent que les enfants de moins de 12 ans n'ont aucune responsabilité, aucun compte à rendre. Nous disons qu'il faut du temps pour grandir. On ne vieillit pas instantanément; cela se fait avec le temps. Nous avons donc un système gradué de responsabilités croissantes.
Après avoir mené une étude poussée au Canada, on a considéré que c'était à 12 ans qu'on devenait responsable sur le plan du droit pénal, et que c'était à 18 ans qu'on était pleinement et entièrement considéré comme un adulte. Nous ne voyons aucune raison de changer cela.
Le président: Merci.
Monsieur Knutson, vous avez cinq minutes.
M. Knutson (Elgin - Norfolk): Merci.
Si je peux essayer de résumer votre position, il me semble que vous êtes plutôt en faveur de la loi telle qu'elle est rédigée, et vous pensez que le gouvernement doit s'y prendre mieux pour présenter les aspects positifs de ce texte de loi.
Vous dites, à l'instar de presque tous les témoins qui ont comparu aujourd'hui, que nous devons affecter davantage de fonds et de ressources aux interventions communautaires et au traitement. De façon générale, la mise sous garde constitue une utilisation inefficace des ressources, quoique à ma connaissance vous ayez votre propre établissement de mise sous garde, bien qu'il s'agisse d'une garde ouverte. Il vaut beaucoup mieux dépenser les fonds ailleurs.
Permettez que je vous présente le point de vue d'un politicien de l'Ontario sous le gouvernement de Mike Harris. Pensez-vous qu'il soit acceptable que nous nous contentions de dire: «La loi fonctionne bien, et si les choses se gâtent, c'est du ressort de la province. Vraiment la province devrait faire plus pour garantir l'existence de ces programmes», alors que manifestement elles ne vont pas le faire?
Je souligne qu'à Sault Ste-Marie, on a fermé une maison de transition et qu'on en a menotté les occupants pour les ramener en prison. Que feriez-vous si vous vous trouviez face à ce genre de situation? L'éducation publique ne semble pas -
M. Stewart: À Toronto, ils leur ont fait prendre les transports en commun et ils sont tous retournés en prison, ce qui a donné lieu à une scène assez saisissante aussi.
La population réagit à la désinformation comme on peut s'y attendre. La société estime que le monde n'est pas vraiment partagé entre les bons et les méchants, mais il y a toute une différence entre ce que les gens comprennent et les conclusions qu'ils en tirent.
Si l'on croit que l'on peut protéger le public grâce à l'incarcération dans un système où les gens sont détenus en moyenne 78 jours, je pense qu'il y a alors un problème de raisonnement. Cependant, les gens dans les communautés ne font pas cette différence. Ils ne comprennent pas la distinction à faire entre le provincial et le fédéral. Ils ne comprennent pas les coûts que supposent l'incarcération et tout le reste, et ils peuvent donc tomber très facilement dans l'erreur. Alors, ce qui arrive, c'est que cet énorme fardeau vous tombe dessus et sur des organisations comme la nôtre qui essaient de rétablir les faits dans ces circonstances.
Nous n'estimons que nous n'avons pas à faire largement appel à des raisonnements d'ordre moral. Nous estimons que le système que nous proposons est un ensemble assez rationnel de propositions, dans le contexte actuel, qui en fait reçoivent l'appui de la plupart des gens quand ils comprennent ce qui se passe. Cependant, les systèmes de justice pénale ont tendance à être à la fois des systèmes secrets et des systèmes mal compris.
C'est dans la mesure où les gens comprennent les choix à faire, les répercussions et les conséquences d'une mesure donnée, et le fait qu'il y a tout lieu d'être optimiste quant à ce qu'on peut faire dans le système de justice pénale, qu'ils vont accorder leur appui à des mesures de rechange de ce genre.
Compte tenu de l'expérience que j'ai de ce genre de question, cette décision du gouvernement provincial a suscité énormément de critiques de la part du public. C'est du moins ainsi que j'ai perçu la chose. Je n'ai vu dans les journaux aucun commentaire favorable à cette mesure.
M. Knutson: C'est conforme à diverses autres activités qui les placent cependant très haut dans les sondages, mais nous pourrions en débattre.
Comme j'ai le temps, j'aimerais vous poser une autre question à propos de l'âge. Je suppose que vous n'êtes pas vraiment en faveur de l'abaissement de l'âge. Ce n'est pas une histoire vraie mais elle pourrait l'être: Supposons qu'un jeune de 11 ans dans ma communauté met le feu à une maison. Si ce n'est pas un enfant qui a besoin de protection, la Société d'aide à l'enfance dira le regretter, mais elle n'a pas les ressources voulues pour s'occuper de cet enfant. Il peut être issu d'une famille parfaitement normale et avoir tout simplement décidé de faire cela pour une raison ou pour une autre. Les services psychiatriques sont à toutes fins utiles inaccessibles, pourtant la communauté maintient que ce jeune a brûlé une maison et la police lui répondra qu'elle ne peut rien faire non plus. En tant que décideur ou législateur, que diriez-vous à la communauté?
M. Stewart: Je pense qu'il se présentera toujours des cas d'enfants qui se trouvent juste en deça de l'âge limite. Cette loi s'applique en fonction d'un âge et non pas d'une mesure de la maturité. Si un enfant de 4 ans met le feu à une maison, personne ne parle de le soumettre au système de justice pénale. À un moment donné, nous devons établir une limite et l'âge semble le moyen logique de le faire. Pour certaines raisons, on a choisi d'établir cette limite à 12 ans. C'est un âge raisonnable. Il est très rare qu'on commette un délit grave avant l'âge de 12 ans. Dans la mesure où l'on peut s'en remettre à la justice pénale, nous nous sommes dit que nous n'allions pas mettre au point les autres types de services sociaux qui sont importants et utiles mais qui ne relèvent pas de la justice pénale.
Il est très difficile de concevoir un système de justice pénale qui ne fixe pas des limites d'âge. Quel que soit l'âge qu'on fixe, il y aura toujours quelqu'un un peu en dessous de cet âge qui semblera coupable. Je pense que c'est inévitable quand on doit essayer de s'accommoder d'un système très sommaire, comme l'est toujours un système de justice pénale.
Le président: Merci, monsieur Knutson.
Monsieur Ramsay, vous avez cinq minutes.
M. Ramsay: Est-ce que l'un des témoins pourrait me dire le nombre de meurtres commis par des jeunes délinquants l'an dernier?
M. Stewart: Trente-cinq.
M. Ramsay: Est-ce la moyenne? Est-ce qu'elle augmente ou diminue?
M. Stewart: En fait, il est préférable d'examiner les données pour les jeunes de 12 à 17 plutôt que pour les jeunes délinquants. Au cours des 20 dernières années...
M. Ramsay: Ne sont-ils pas des jeunes délinquants?
M. Stewart: Ils le sont maintenant, mais ne l'étaient pas avant l'adoption de la loi. Alors, si l'on regarde les données pour le même groupe d'âge au cours des 20 dernières années au Canada, le taux d'homicides s'est situé entre 68, le sommet, et 35, le nombre le moins élevé. En fait, le taux de l'an dernier était le plus bas depuis 20 ans.
M. Ramsay: Quel était le nombre l'an dernier?
M. Stewart: La moyenne est d'environ 50.
M. Ramsay: Mais quel était le nombre l'an dernier?
M. Stewart: L'an dernier, il était de 35.
M. Ramsay: Et l'année précédente?
M. Stewart: Cinquante-huit. En fait, le nombre est assez stable depuis 20 ans.
M. Ramsay: Que pouvons-nous prévoir pour cette année?
M. Stewart: Nous pourrions avoir une augmentation de près de 100 p. 100 et rester dans les normes. Les chiffres sont tellement petits qu'un changement en pourcentage de 35 à 54, chiffres qui se situent tous les deux dans la norme pour cette période de 20 ans, nous donnerait des manchettes assez étonnantes. Cependant, il n'y a aucune raison d'y voir une tendance quelconque.
M. Ramsay: Pourtant, pour ce qui est de la réaction de la population, il y a suffisamment de raisons pour que certaines personnes s'inquiètent de cela. Vous pourrez me dire ce que vous en pensez, mais la question que je voudrais poser - mon temps est presque écoulé - est fondée sur ma conviction que l'abus d'alcool est l'un des principaux facteurs de la criminalité.
J'aimerais savoir ce que votre organisme fait pour avertir la société des conséquences de l'usage abusif de l'alcool et de sa contribution à la criminalité. Il y a des annonces qui disent aux gens de ne pas conduire en état d'ébriété, de désigner un chauffeur qui les déposera ivres chez eux. Or, lorsqu'ils entrent chez eux, leurs conjoints et leurs enfants sont à leur merci. Qu'est-ce que votre organisme dit? Qu'est-ce que vous faites, pour autant que vous fassiez quelque chose, pour essayer d'alerter la population pour qu'au moins les gens prennent position contre ce genre de comportement, cet abus d'alcool qui contribue tellement à la criminalité?
Mme Leonard: Je peux vous faire part de deux programmes que nous avons en Alberta. La Société John Howard de Red Deer offre un programme intitulé «Youth Offering Others Their Help». C'est un programme qui ne vise pas les jeunes délinquants, mais tous les jeunes de la collectivité. Il s'agit d'un programme de prévention de la consommation d'intoxicants, financé par Santé Canada. Ce programme dans le cadre duquel des jeunes qui ont eu des problèmes de toxicomanie, parlent à d'autres jeunes à risque, donne d'excellents résultats. C'est un programme d'intervention directe.
Nos documents sur la prévention de la criminalité qui portent sur le développement social traitent abondamment des liens entre la consommation d'alcool et de drogue et la criminalité. Nous nous occupons donc d'éducation en offrant, dans toute la province, des ateliers sur la prévention du crime où nous utilisons nos documents. En outre, la Société John Howard d'Edmonton offre un programme d'information et de prévention sur la consommation d'alcool et de drogue au centre de fréquentation obligatoire d'Edmonton.
M. Ramsay: Il y a beaucoup d'annonces qui traitent des dangers de la cigarette, du tabagisme. D'après moi, on ne semble pas consacrer autant de ressources à informer les gens sur les liens entre la consommation d'alcool et la criminalité. Une campagne de ce genre devrait s'adresser non seulement aux jeunes, mais également à leurs parents et voisins, peut-être même à leurs enseignants, etc. Est-ce que votre organisme fait des efforts considérables dans ce domaine?
M. Stewart: Je vais répondre à cette question.
Vous trouverez aux deux dernières pages de notre mémoire, une liste des programmes que la Société John Howard offre à l'heure actuelle dans tout le Canada. Bon nombre de ces programmes visent les jeunes et les écoles et traitent d'une diversité de questions, y compris l'alcool. À cet égard, l'un des facteurs les plus importants, surtout pour les jeunes qui n'ont pas encore commencé à boire, c'est peut-être l'influence des camarades. L'alcool et l'influence des camarades sont souvent des facteurs très importants qui expliquent ce genre de comportement.
D'après notre expérience, il ne fait aucun doute que l'activité criminelle est beaucoup plus souvent liée à la consommation d'alcool qu'à la consommation de drogue. Nous voyons beaucoup plus de délinquants qui ont des problèmes de consommation d'alcool que des problèmes de drogue. Je pense que c'est un fait bien établi.
Nous avons de nombreux programmes qui s'adressent aux très jeunes, particulièrement dans les écoles, et leur principale raison d'être est d'amener les enfants à comprendre qu'ils doivent penser pour eux-mêmes, qu'ils doivent être très attentifs à acquérir et respecter les attitudes sociales positives et qu'ils doivent être très prudents pour ne pas se laisser entraîner dans des groupes que la consommation d'alcool pousse fréquemment à d'autres genres d'activités.
Mais vous avez absolument raison. C'est une question essentielle. Nous n'avons pas encore pu évaluer le résultat à long terme, puisque nous n'avons pas de moyen de le faire, mais nous sommes certainement convaincus que c'est une fonction éducative importante, surtout pour les jeunes qui ne l'apprennent pas à la maison. Il est très important pour nous d'avoir accès aux écoles pour pouvoir y offrir ces programmes.
M. Ramsay: Est-ce qu'il me reste du temps, monsieur le président?
Le président: Non. Merci, monsieur Ramsay.
Monsieur Regan.
M. Regan: Je voudrais tout d'abord vous lire un court extrait d'un article paru dans le numéro de juillet 1995 de Atlantic Monthly. L'article s'intitule «La crise de l'ordre public» et traite de la situation aux États-Unis. Cependant, j'aimerais que vous nous disiez si vous pensez que le Canada peut tirer des leçons de ce qui se passe là-bas, ou à tout le moins de ce qui est décrit dans cet article. Deuxièmement, j'aimerais que vous me disiez si vous pensez que la situation est différente au Canada. Si votre réponse est oui, en quoi est-elle différente?
Voici ce que dit l'article au sujet des États-Unis.
- En chiffres absolus, la population d'adolescents et de jeunes adultes âgée de 15 à 24 ans est
restée stable ou a en fait diminué au cours des dix dernières années. La criminalité a augmenté
parce que ce groupe moins nombreux est devenu plus violent de façon disproportionnée. Or, ce
groupe est sur le point de devenir plus nombreux. James Fox, un doyen de la Northeastern
University, de Boston, a montré qu'entre 1965 et 1985, le taux national d'homicides a reflété
presque exactement la proportion de la population âgée de 18 à 24 ans. Soudainement, en 1985,
les deux courbes divergent de façon très marquée. Le nombre de jeunes adultes diminue en
proportion de la population; mais le taux d'homicides a augmenté, parce que le nombre
d'homicides commis par ce groupe plus petit a augmenté de l'ordre de 65 p. 100 sur une période
de huit ans seulement. Parmi les jeunes de 14 à 17 ans, le prochain groupe de jeunes adultes, le
taux d'homicides a plus que doublé. Ce que nous avons constaté depuis 1985, c'est l'entrée en
gare de deux trains avec leur terrible cargaison. Le premier a transporté l'héritage des années
1970, les fruits de l'explosion des naissances illégitimes et de l'abandon paternel. Le crack est
arrivé en même temps, pour être déchargé à la même station.
- Fox montre en outre que d'ici à l'an 2005, la population des jeunes âgés de 14 à 17 ans aura
connu une augmentation remarquable de 23 p. 100. Le professeur John Delulio, de l'Université
Princeton, prédit que le nombre d'homicides pourrait bientôt augmenter jusqu'à 35 000 ou40 000 par année, avec une augmentation proportionnelle des autres crimes violents. Fox
appelle ce qui se prépare une «épidémie» de crimes d'adolescents. Il ne donne pas de nom à la
situation actuelle.
M. Stewart: Le fait est que la criminalité des jeunes est liée au nombre de jeunes mâles dans la population. C'est un facteur très important, et il est important de le comprendre afin de ne pas être excessivement alarmé par les tendances lorsque ce chiffre change. Mais je pense que ce qui ressort surtout de cet article, c'est que les différences entre le Canada et les États-Unis sont très importantes. Ce qui est décrit dans cet article ne s'est pas encore produit au Canada.
Il y a également eu une vaste désintégration dans de nombreuses régions des États-Unis, surtout dans les villes. Non seulement ils ont ces problèmes, mais aussi ils font face à tous les autres problèmes, ils ont tous les autres problèmes que nous avons mentionnés tout à l'heure et qui sont des facteurs, particulièrement le taux de chômage des hommes, la drogue, les familles monoparentales - il y a eu une explosion du nombre de familles monoparentales aux États-Unis - et un gouffre immense entre les pauvres et les riches. Il me semble que le Canada peut tirer de nombreuses leçons des conditions qui existent aux États-Unis.
Il pourrait y avoir des changements démographiques. On en voit déjà. À la suite de la deuxième explosion démographique au Canada, il pourrait y avoir une augmentation du nombre de jeunes hommes. Il est très important de réfléchir soigneusement maintenant à des programmes de prévention pour prendre en compte ces facteurs qui, combinés à d'autres, peuvent avoir une incidence.
Il y a lieu de s'inquiéter de ce qui se passe aux États-Unis, mais il faut aussi prendre garde de préserver ce qui fait notre différence au Canada. Nous n'avons pas opté pour cette voie. Il y a des différences énormes entre notre structure sociale, notre système d'éducation, la composition de nos collectivités, la distribution de la richesse, et ainsi de suite, tous facteurs qui représentent un avantage exceptionnel et qui se sont avérés des éléments de prévention du crime. Même s'il y a lieu de s'inquiéter, on peut aussi être rassurés en pensant que nous savons peut-être quelque chose que les Américains ignorent.
Mme Reid-MacNevin: Puis-je ajouter quelque chose? Il y a dans les documents que nous vous avons distribués des projections concernant le nombre d'adultes et le nombre de jeunes, et j'en ai parlé tout à l'heure. Il faut comprendre que depuis les dernières années, le nombre des adultes s'accroît en comparaison du nombre de jeunes. On prévoit que d'ici à l'an 2000, il y aura plus d'adultes que de jeunes. Compte tenu de cette idéologie de la protection, lorsque cela se produit, on a tendance à intervenir et à être davantage critique de la jeune génération. Il y a davantage d'interventions de l'État aux époques où il y a davantage d'adultes pour critiquer la culture des jeunes.
Cela ne vaut peut-être pas pour les homicides, mais il faut être très attentifs dans notre analyse des crimes mineurs contre la propriété. Il faut faire preuve d'une grande prudence étant donné que la jeunesse peut se rebeller et il faut vraiment mettre la pédale douce pour ce qui est du placement en établissement, de la surprotection, si vous voulez.
Lorsque vous avez mentionné ces projections, cela a évoqué pour moi la culture populaire, ainsi que cette notion.
Le président: J'ai une question à vous poser avant de lever la séance. Vous avez dit qu'il y avait eu 35 homicides l'année dernière. Lorsque des adultes commettent un homicide, il y a généralement une personne accusée de meurtre. Parfois, deux. N'est-il pas vrai que lorsque des jeunes sont en cause, il n'est pas exceptionnel que quatre ou cinq jeunes soient accusés d'un meurtre... plus souvent que des adultes? Autrement dit, dans le cas des 35 accusations d'homicide portées l'année dernière, savons-nous combien on débouché sur des condamnations? Savons-nous combien de décès sont survenus en rapport avec ces 35 accusations? Autrement dit, y en a-t-il eu 35, 20 ou encore 10?
M. Stewart: La réponse est simple. Je n'ai pas ces renseignements aujourd'hui. Ce qui importe à mes yeux, ce sont les tendances. Il n'y a pas de raison de croire que la façon de compter a changé au fil des ans. Dans le contexte des initiatives à prendre pour modifier le taux d'homicides - bien sûr, personne d'entre nous ne souhaite qu'il y en ait - il n'y a aucune raison de croire que les homicides attribuables à des jeunes affichent une hausse ou une baisse sensible sur une longue période. Vous avez raison, ces données ne nous disent pas - et je ne peux vous le dire moi-même - combien de personnes sont en cause, en tant que délinquants ou victimes. Mais il n'y a pas de raison de croire que la méthode de calcul ait changé depuis les vingt dernières années.
Le président: N'est-il pas vrai que les homicides qui sont survenus l'année dernière, les 35 pour lesquels il y a eu des mises en accusation... lorsqu'on compare le pourcentage des jeunes au pourcentage des adultes dans la population, n'est-il pas vrai que leur part d'homicide est moindre que celle des adultes? Autrement dit, il y a plus d'adultes que de jeunes qui commettent des homicides.
M. Stewart: Oh, oui. C'est beaucoup plus élevé.
Le président: Merci. Je n'ai pas d'autres questions.
Merci beaucoup d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. Nous avons obtenu beaucoup de renseignements et je suis certain que votre documentation s'avérera fort utile dans nos travaux. Encore une fois, merci beaucoup.
M. Stewart: Merci de nous avoir reçus.
Le président: La séance est levée jusqu'à demain. Nous nous rencontrerons alors à la salle 308.