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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 20 juin 1995

.1105

[Traduction]

Le président: La séance est ouverte. Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous entreprenons aujourd'hui notre examen des prix de l'essence.

Avant de commencer, j'inviterais les représentants des médias à quitter la salle. Il n'arrive pas très souvent que notre comité attire autant de caméras et je ne sais pas encore si c'est bon ou mauvais signe.

Je vous souhaite la bienvenue. Je voudrais vous présenter George Addy, directeur des enquêtes et recherches du Bureau de la politique de concurrence et Michael Ervin, président de QIS Solutions Inc. qui va nous faire un exposé.

Normalement le comité demande à chaque témoin de faire une déclaration liminaire et ensuite les membres du Comité posent des questions.

Nous allons commencer par M. Addy qui va nous présenter son collaborateur. Après son exposé nous entendrons M. Ervin.

M. George Addy (directeur des enquêtes et recherches, Bureau de la politique de concurrence): Merci, monsieur le président. Je suis accompagné aujourd'hui de M. Harry Chandler, qui est directeur-adjoint de notre bureau.

C'est un plaisir de comparaître devant votre comité et j'aimerais vous remercier d'avoir modifié l'horaire des témoins afin de me permettre de vous parler aujourd'hui car plus tôt, les tribunaux étaient saisis de certaines questions.

Le ministre de l'Industrie, l'honorable John Manley, suit de près ce dossier et il est sensibilisé aux préoccupations exprimées par le public au sujet des fluctuations du prix de l'essence à la pompe.

L'an dernier, il m'a demandé si des modifications à la Loi permettraient de mieux résoudre certains problèmes dans le secteur pétrolier. Dans un rapport j'ai répondu au ministre que je ne croyais pas que des modifications étaient nécessaires. Ce rapport, qui examine l'application de la Loi relativement aux principaux problèmes en matière de concurrence, a été rendu public par le ministre à l'époque et je crois savoir que vous en avez reçu des exemplaires, monsieur le président. J'ai demandé que les exemplaires soient distribués.

[Français]

Mon personnel continue de surveiller étroitement le marché de l'essence, et nous prendrons des mesures dès que nous recueillerons des preuves d'actes illégaux. Encore une fois, à la demande du ministre, j'étudie présentement la possibilité d'apporter des modifications à la loi et notamment la question de savoir s'il faut insérer dans le texte de la loi les dispositions de protection des dénonciateurs, comme l'a proposé M. le député Harb.

Ce matin, j'aimerais présenter brièvement et en termes généraux la Loi sur la concurrence, et plus particulièrement montrer comment elle s'applique à l'établissement des prix au détail de l'essence. J'aimerais également annoncer quelques initiatives qui, je crois, rendront l'application de la loi plus efficace.

[Traduction]

Commençons par quelques caractéristiques générales de la Loi. Il est important de bien comprendre que la Loi sur la concurrence est une loi-cadre. Un certain nombre de conséquences découlent de ce fait. En premier lieu, la Loi s'applique à tous les secteurs de l'économie et non à certains d'entre eux seulement. Cela signifie qu'il faut rechercher un certain équilibre dans l'application de la Loi et faire preuve d'une certaine souplesse parce qu'une mesure qui peut sembler judicieuse dans un secteur pourrait avoir de graves conséquences dans un autre secteur.

En deuxième lieu, le plan de la Loi sur la concurrence veut que les dispositions législatives constituent un cadre dans lequel les entreprises peuvent poursuivre leur activité de manière générale sans qu'elles soient tenues de faire certaines choses ni d'obtenir des approbations. Tout en interdissant certaines pratiques en vue de préserver le potentiel pour la concurrence, la Loi ne tente pas de contraindre les entreprises à la concurrence ni à dicter leur conduite en matière d'établissement des prix et autres décisions d'affaires.

En d'autres termes, la Loi n'a pas établi un système de réglementation administrative. La Loi ne comporte aucun pouvoir en ce qui concerne la réduction des prix et n'énonce aucun critère à appliquer pour décider du caractère raisonnable des prix. Ces questions relèvent de la compétence des provinces. Le gouvernement fédéral n'a aucun pouvoir constitutionnel en la matière.

[Français]

En troisième lieu, les remèdes prévus par la loi permettent aux tribunaux soit de punir ceux qui contreviennent à la loi, soit d'accorder des réparations pour corriger les situations anticoncurrentielles.

.1110

Dans le premier cas, des mesures dissuasives à la fois spécifiques et générales préviennent les agissements illégaux. Ceux qui sont déclarés coupables et qui font l'objet d'une demande ou d'une peine d'emprisonnement renoncent à leur comportement. D'autres, voyant les peines prononcées, y voient une bonne raison de se conformer à la loi.

De même, les ordonnances de réparation font connaître aux entreprises les types de comportement qui peuvent être condamnés pour des motifs liés à la concurrence. Le point essentiel est que même si un petit nombre de cas font l'objet de poursuites chaque année et que chaque procès peut prendre un certain temps du début à la fin, beaucoup d'entreprises peuvent d'emblée accepter de se conformer à la loi parce qu'elles se rendent compte des limites d'une conduite jugée acceptable.

Je crois qu'il est utile de comprendre ces caractéristiques générales de la loi afin de remettre les questions relatives à l'établissement des prix au détail de l'essence dans leur contexte.

[Traduction]

Quand on considère l'application de la Loi au secteur des produits pétroliers, on invoque souvent la fixation de prix lorsque les prix de détail de l'essence sont identiques chez les concurrents ou qu'ils changent en même temps. Deux dispositions de la Loi sur la concurrence visent directement les allégations de cette nature: le complot (article 45) et le maintien des prix (article 61). Ce sont deux dispositions de droit pénal qui exigent la preuve des éléments constitutifs de l'infraction hors de tout doute raisonnable.

Bien qu'un certain nombre d'éléments doivent être établis, l'un des plus difficile à prouver dans le contexte de l'établissement des prix au détail de l'essence est l'existence d'une entente parmi les concurrents. S'il n'y a aucune preuve d'une entente, ou s'il y a une alternative plausible expliquant des prix identiques ou des mouvements de prix simultanés, alors une poursuite ne peut pas réussir étant donné l'absence de preuve hors de tout doute raisonnable. La nature particulière de l'industrie de l'essence au détail au Canada permet souvent une autre explication, connue dans la jurisprudence comme le parallélisme conscient.

Comme chacun le sait, les stations-service annoncent leurs prix au moyen de grandes affiches sur leur propriété. Les conducteurs et les stations-service concurrentes sont ainsi informés et il n'est pas nécessaire de s'arrêter pour se renseigner.

Étant donné que l'essence est un produit homogène, les conducteurs ne font pas de distinction entre les marques et les exploitants de stations-service craignent que s'ils affichent un prix supérieur pour leur produit, ils perdront des clients. Pour des motifs similaires, si leur prix est inférieur, ils savent que leurs concurrents suivront, ce qui fait qu'à la fin ils perdront de l'argent en vendant le même volume d'essence.

Les détaillants qui surveillent leurs concurrents et qui agissent d'une façon indépendante afin de mieux servir leurs intérêts sont dit suivre un comportement de parallélisme conscient. Ce type de comportement est légal parce qu'il ne s'agit pas d'une entente. Bien que les tribunaux peuvent inférer l'existence d'une entente sur la foi de preuves circonstancielles, d'ordinaire il faut une preuve quelconque de communication directe entre les parties, des menaces ou quelque autre comportement pour établir qu'une entente a été conclue.

Ma responsabilité en vertu de la Loi sur la concurrence est de découvrir les situations où les prix sont fixés de façon anti-concurrentielle, où ce qui se produit n'est pas un comportement de parallélisme conscient mais une action concertée entre les concurrents. Afin de remplir efficacement mes fonctions, j'ai besoin de la coopération des individus et des compagnies qui ont des renseignements à ce sujet. Je commenterai davantage ce sujet dans un instant.

[Français]

Une autre forme de fixation des prix a trait au fournisseur de produits pétroliers qui ne conserve pas la propriété du produit, par exemple pour la vente par voie de consignation, qui tente de fixer le prix auquel le produit sera vendu par entente, menace, promesse ou quelque autre moyen semblable, ou qui refuse de fournir le produit à une autre personne ou prend quelque autre mesure disciminatoire à son endroit en raison du régime de bas prix de celle-ci. Ce type de comportement peut aussi être réprimé par la disposition relative au maintien du prix, soit l'article 61.

Les comportements anticoncurrentiels des fournisseurs, qu'il s'agisse d'une seule entreprise ou de plusieurs fournisseurs agissant de concert, peuvent également faire l'objet d'un examen en vertu des dispositions civiles relatives à l'abus de la position dominante de la loi. Les dispositions relatives à la discrimination par les prix, soit l'article 50 de la loi, peuvent également s'appliquer.

.1115

[Traduction]

Toutes ces dispositions de la Loi peuvent s'avérer des outils puissants pour combattre les agissements anti-concurrentiels dans la vente au détail de l'essence. Elles sont comparables aux dispositions qui existent dans d'autres pays industrialisés. Bien que je sois convaincu que la Loi, dans sa forme actuelle, constitue la meilleure approche, une loi est aussi efficace que les preuves recueillies lorsqu'une véritable infraction est commise.

Plutôt que de modifier la Loi en profondeur, je veux améliorer les procédures pour garantir que nous arrivions à saisir toute l'information pertinente pouvant conduire au dépistage d'une infraction. Je ne parle pas ici de l'information sur des prix identiques ni sur des changements de prix simultanés dont j'ai déjà expliqué qu'ils pouvaient être dus à un comportement de parallélisme conscient, tout en étant légaux, je fais plutôt allusion aux éléments de preuve que les dénonciateurs et les témoins peuvent détenir concernant des communications, des menaces ou d'autres méthodes auxquelles les concurrents et les fournisseurs peuvent recourir pour influencer illégalement les prix au détail.

Afin d'améliorer l'efficacité de la Loi, dans son libellé actuel, nous prendrons dans les mois qui viennent les mesures qui suivent:

D'abord, nous allons chercher à clarifier les protections dont peuvent bénéficier les dénonciateurs et les témoins qui se présentent avec de l'information tendant à indiquer l'existance d'une conduite illégale. Nous tenons à préciser que tous les renseignements de ce genre sont strictement confidentiels.

Deuxièmement, nous allons établir un programme visant à saluer ceux qui prêtent leur concours à une enquête, s'ils y consentent.

Troisièmement, nous voulons fournir davantage d'information sur ce qui constitue un type de comportement qui contreviendrait à la Loi.

De plus, dans le cadre d'un programme plus vaste visant à rendre plus efficace l'obtention d'information auprès du public, nous allons constituer un bureau des plaintes centralisée doté d'une ligne 1-800.

Enfin, nous allons promouvoir l'adoption volontaire de programmes de conformité dans les entreprises qui prévoient des mécanismes de plaintes pour les employés qui révèlent les contraventions éventuelles à la Loi.

[Français]

L'industrie pétrolière est un élément très important de l'économie canadienne et il est essentiel, tant pour les consommateurs que pour les entreprises, que sa production soit efficace et que ses produits soient vendus à des prix concurrentiels.

Je crois que les mesures auxquelles j'ai fait allusion permettront de mieux prévenir et de mieux dépister des infractions en général, notamment dans le secteur pétrolier. Mon personnel continuera de surveiller ce secteur en ce qui a trait à l'observation de la loi, et nous encouragerons les personnes détenant des informations sur la commission d'infractions à nous contacter.

C'est tout pour mes remarques. J'attends maintenant vos questions. Merci.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Addy. Avant de passer aux questions, nous allons inviter M. Ervin à faire son exposé. Nous avons ensuite la période des questions pour les deux témoins.

Monsieur Ervin, vous avez la parole.

M. Michael Ervin (président, QIS Solutions Inc.): Merci, monsieur le président. C'est un honneur pour moi de parler à votre comité sur la question du prix de l'essence au Canada, sujet qui garde apparemment toute sa popularité auprès des consommateurs, des médias et du gouvernement.

Les médias me consultent souvent en tant qu'expert sur la question des prix de l'essence même si j'hésite à me qualifier ainsi. Permettez-moi de vous parler un peu de mon expérience dans le domaine.

J'ai 15 ans d'expérience dans le secteur d'aval et plus récemment cinq ans d'expérience comme consultant dans l'industrie. Je suis actuellement le président de QIS Solutions Inc., entreprise qui s'intéresse essentiellement au secteur d'aval dans l'industrie canadienne. Notre service principal est l'évaluation des performances en marketing, ce qui comprend l'analyse des résultats de la société et la préparation de rapports pour nos clients concernant divers aspects de leurs activités dans le secteur pétrolier en général. Je travaille également à l'ICPP et à la Canadian Petroleum Communication Foundation où nous expliquons les prix de l'essence au public et aux médias.

Dans le peu de temps à ma disposition, je vais aborder trois grandes questions principales et j'espère pouvoir vous éclairer concernant la nature de l'industrie, dans son évolution historique et sa situation actuelle. D'abord nous allons parler des éléments qui constituent le prix à la pompe, en examinant les divers éléments qui constituent un achat de 10$ de l'essence à la pompe et ensuite nous allons expliquer les facteurs qui influencent le prix, les forces qui provoquent le changement de prix et enfin, la question de la réglementation des prix de l'essence.

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De façon très sommaire, un achat de 10$ d'essence peut se ventiler de la façon suivante: le prix de la matière brute, c'est-à-dire le pétrole brut, les taxes versées aux gouvernements fédéral et provinciaux et enfin, ce que j'appelle le reste, c'est-à-dire les coûts reliés aux activités suivantes, le raffinage, le transport, la commercialisation et la livraison de l'essence au consommateur.

Je désigne ces derniers éléments de cette façon pour faire comprendre que les changements du prix à la pompe dont il est question ce matin se produisent quand seulement un de ces trois facteurs changent, notamment le dernier, c'est-à-dire la marge bénéficiaire de l'industrie.

Je vous ai préparé un tableau qui présente l'évolution historique des éléments du prix moyen canadien à la pompe depuis 1991. Ces chiffres sont pris essentiellement dans les données historiques du ministère des Ressources naturelles et sont disponibles au public.

Il s'agit de trois éléments cumulatifs, la tranche représentant la marge bénéficiaire de l'industrie se trouvant en haut du graphique. Vous voyez qu'un prix typique à la pompe serait d'environ 55 c. le litre, le pétrole brut représentant actuellement environ 15 c.. En rajoutant des taxes de 30 c., le total se montre à environ 45 c.. Avec un prix moyen au Canada d'environ 55 c., il ne reste qu'environ 10 c. le litre à l'industrie.

Si nous examinons la répartition des différents éléments du prix à la pompe, voici un tableau qui indique l'évolution historique. On voit clairement que depuis 1991 la part de l'industrie ne cesse de diminuer.

Autrement dit, le secteur d'aval se débrouille avec moins de revenus en termes réels de sorte qu'aujourd'hui, un achat de 10$ d'essence se ventile de la façon suivante. Environ 5,10$ sont versés sous forme de taxes, 3$ paye le coût de la matière brute, c'est-à-dire le pétrole brut et il ne reste que 1,90$ à l'industrie pour transformer de diverses façons le pétrole brut pour qu'il puisse être livré au consommateur.

J'aimerais maintenant parler de la part de l'industrie en examinant les divers facteurs qui motivent les changements du prix de l'essence sur le marché.

Il convient d'examiner les facteurs sous-jacents à deux niveaux, le gros et le détail. Il y a certains facteurs qui interviennent pour déterminer le prix de gros de l'essence notamment le coût du pétrole brut - prix que payent les raffineurs sur le marché mondial - et la disponibilité de l'essence en fonction des fluctuations de l'offre et de la demande. Ces éléments déterminent la disponibilité d'essence sur le marché de gros.

Quant aux étapes suivantes de la commercialisation, les facteurs qui influencent le prix de détail à la pompe sont d'abord le prix de gros, comme je viens de l'expliquer, et ensuite la concurrence locale déterminée en grande partie par le facteur humain. Un détaillant peut décider de réduire son prix à la pompe pour diverses raisons afin d'augmenter sa part du marché. Les stations-services à proximité se sentent obligées de baisser leurs prix en conséquence afin de garder leur part du marché, comme l'a expliqué M. Addy. Ce genre de concurrence est chose courante.

Il y a donc une série de facteurs. Le prix du pétrole brut, avec le jeu de l'offre et de la demande des produits raffinés, déterminent le prix de gros qui constitue, à son tour, le facteur principal influençant le prix à la pompe.

Les tableaux suivants illustrent ce modèle en faisant des comparaisons historiques des prix de gros et des prix au détail avec le prix moyen à la pompe au Canada. La courbe du haut indique le prix réel à la pompe hors taxe et la courbe du bas indique le prix du brut, prix canadien au prix d'Edmonton.

.1125

J'ai dessiné deux lignes pour montrer la tendance des rapports. Même si certains commentateurs prétendent que les prix du pétrole brut et les prix à la pompe ne sont pas en corrélation, on constate que cette corrélation existe. Cependant, on observe que même si la tendance du prix du brut n'accuse pas de changements importants depuis 1991, le prix de l'essence hors taxes a baissé considérablement.

On voit que le rapport entre le prix du brut et le prix à la pompe n'est pas exact, autrement dit, le prix du brut n'est pas le seul facteur déterminant du prix à la pompe. Comme je l'ai déjà expliqué, le facteur crucial du prix à la pompe est le prix de gros.

Vous voyez au bas du tableau suivant deux courbes qui représentent le prix contractuel du marché de Toronto depuis février 1993 et le prix de gros à Buffalo. Les deux courbes du haut indiquent le prix au détail à Toronto, hors taxes, et le prix moyen au Canada. Comme vous pouvez le constater, il existe une corrélation très étroite entre le prix à la pompe, hors taxes, et les prix de gros.

Puisque les détaillants achètent au prix de gros, il n'est pas surprenant que l'augmentation de ces prix entraîne une hausse des prix à la pompe. Les prix de gros peuvent changer avec les prix du brut et avec le mouvement de l'offre et de la demande à l'échelle continentale.

Enfin, au sujet de la réglementation du marché de l'essence, là où il existe un haut degré de concurrence j'estime que les marchés non réglementés se sont avérés les moyens les plus efficaces de garantir des prix justes aux consommateurs. La Nouvelle-Écosse est l'une des rares provinces canadiennes ayant fait l'expérience de la réglementation du secteur d'aval et des prix. Pendant plusieurs années, jusqu'à la mi-1991, les modifications des prix de détail à la pompe en Nouvelle-Écosse étaient soumises à un processus d'examen par la commission provinciale des services d'utilité publique. Avec ce régime, les prix à la pompe hors taxes en Nouvelle-Écosse, comme vous le constatez ici, étaient considérablement plus élevés que le prix moyen canadien. Après l'élimination de ce régime en 1991, les prix à la pompe en Nouvelle-Écosse ont baissé considérablement et se trouvent maintenant à un niveau comparable aux prix pratiqués dans d'autres grands centres canadiens.

Voilà donc mes commentaires, je suis disposé à répondre à vos questions.

Le président: Merci, monsieur Ervin. Je pense que les questions ne vont pas tarder.

Nous allons commencer par M. Deshaies.

[Français]

M. Deshaies (Abitibi): Monsieur Addy, on a déjà reçu d'autres mémoires sur les produits de l'essence. Ayant pris connaissance du rapport que vous avez présenté à M. Manley et entendu votre présentation, je vois que très peu d'infractions sont facilement détectables. Il est même souvent très difficile de prouver les fraudes ou les tentatives de contrôle. En ce qui a trait aux prix de l'essence, il s'agit souvent de tentatives du contrôle des prix dont le but est de permettre aux grossistes - ce sont souvent les grossistes - ou aux détaillants de bénéficier d'une marge de profit plus élevée.

Je disais, lors de la dernière réunion, que souvent les gens ne voient que les macrochangements, c'est-à-dire la baisse ou la hausse du prix du baril au Moyen-Orient. Ils ne sont pas conscients de l'effet de cela à la pompe parce qu'ils savent qu'il faut beaucoup de temps - deux ou trois mois - avant que l'effet ne se manifeste à la pompe.

Deuxièmement, les gens voient surtout que le prix est plus cher chez eux que chez le voisin, en ce sens que c'est plus cher à Ottawa qu'à Toronto. C'est la problématique dont vous venez de parler. En général, les gens, n'étant pas dans le milieu des affaires, ne connaissent pas la problématique des prix des grossistes, du prix du marché et de l'approvisionnement. Pour Toronto, le gaz vient de Sarnia alors que pour Ottawa, il peut venir de Montréal. C'est assez compliqué d'expliquer cela à M. Tout-le-Monde. D'ailleurs, c'est votre travail.

Le Bureau de la politique de la concurrence est-il vraiment le bon organisme pour contrôler cela? En réalité, la question est de savoir si les gens reçoivent assez d'information pour démêler ce qui est du domaine de la libre concurrence et ce qui est, tout simplement, le prix normal qu'ils doivent payer.

.1130

M. Addy: Je suis entièrement d'accord qu'il y a cette perception. Le marché présente tous les indices d'un marché très concurrentiel. On a un produit qui est homogène en ce qui a trait aux consommateurs. Les prix de transaction sont transparents. On sait combien on va payer à la station-service de l'autre côté de la rue, car les prix sont affichés. C'est un marché qui présente tous ces indices. Nous constatons des mouvements parallèles de prix, etc. Cela peut être l'indice d'un marché qui est très concurrentiel ou, à l'autre extrême, cela peut démontrer qu'il y a un complot, un accord illégal. Il est difficile de communiquer tous ces éléments au consommateur.

Pour répondre plus directement à votre question, nous croyons que c'est bel et bien le rôle du Bureau du directeur des enquêtes et recherches que de faire de l'éducation dans ce domaine-là, et nous tentons de le faire. Nous avons produit un rapport l'année dernière. Nous avons publié des bulletins d'information que nous faisons parvenir à ceux qui déposent des plaintes auprès du Bureau.

Il y a aussi évidemment le rôle que doit jouer l'industrie. Le consommateur doit être en mesure de savoir si le prix est juste et pas nécessairement si le prix a été déterminé de façon concurrentielle. C'est au consommateur d'exiger de l'industrie une explication. Je ne crois pas qu'il y ait vraiment un endroit qui ait l'obligation de répondre à toutes les questions et de communiquer l'information. Cependant, il y a plusieurs volets à l'éducation du public en ce qui a trait aux différents éléments de ce marché-là.

M. Deshaies: Naturellement, toute entreprise a pour politique de maximiser ses profits. Je crois que votre organisme a pour rôle de faire en sorte que l'on évite les écarts excessifs, ce qui ne serait pas acceptable dans la concurrence normale, d'où votre explication que certains critères pourraient s'appliquer à l'essence et d'autres, à l'alimentation.

M. Addy: La loi établit un régime et nous agissons comme des garde-frontières. Dans les limites de ces frontières, il est prévu que le marché va régler le comportement, les prix, l'efficience, le choix d'un consommateur, d'un fournisseur, etc. Nous agissons un peu comme garde-frontières en ce qui a trait aux transactions et aux comportements qui dépassent les frontières de la légalité.

M. Deshaies: La vraie contrepartie de l'industrie ne devrait pas nécessairement être le Bureau de la politique de concurrence, mais plutôt l'Association des consommateurs qui devrait lutter, non pas contre les fraudes, mais contre les profits excessifs de l'industrie.

M. Addy: Oui, le consommateur a certainement un rôle important à jouer.

M. Deshaies: Merci.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Deshaies.

Monsieur Morrison.

M. Morrison (Swift Current - Maple Creek - Assiniboia): Je voudrais poser mes questions à M. Ervin. Au sujet des éléments constitutifs du prix, d'après vos renseignements récents, la marge de l'industrie est d'environ 10c. le litre et le brut représente environ 15c.

S'il s'agit d'une société à intégration verticale, le prix du brut comporte également une marge. Est-il possible de savoir quelle part du prix du brut correspond aux coûts d'exploitation et d'acquisition et quelle part correspond à marge bénéficiaire dans le cas d'une société à intégration verticale?

Autrement dit, si vous donnez une valeur de 10 dans votre tableau, à combien se chiffrerait la marge véritable si elle comprenait aussi la marge bénéficiaire sur le prix du brut lui-même?

.1135

M. Ervin: Il n'est pas facile de déterminer la marge bénéficiaire sur le brut. Si vous parlez de la production pétrolière en elle-même, c'est-à-dire les activités en amont... et je devrais ajouter qu'il y a plusieurs intervenants dans ce secteur qui ne participent pas au secteur d'aval alors, à mon avis, on peut les considérer comme des secteurs séparés. Il n'est pas possible d'établir une formule simple parce qu'il y a de très nombreuses sources de pétrole brut et les coûts reliés à la prospection et à l'exploitation du pétrole conventionnel ou du brut lourd sont multiples et très variées. Il n'y a pas de ventilation simple.

M. Morrison: Mais il doit y avoir un chiffre approximatif que vous utilisez dans l'industrie pour avoir une idée générale. Est-ce que ce serait la moitié de la composante brute? Normalement cela ferait partie de la marge bénéficiaire d'une société à intégration verticale. Ou est-ce que ce serait moins de la moitié? N'avez-vous aucune idée du tout?

M. Ervin: Je ne peux pas vous donner un chiffre précis mais je peux vous dire qu'au cours des années quatre-vingt, le rendement du capital de l'industrie pétrolière était en général nettement plus bas que le rendement des industries non pétrolières au Canada, c'était environ la moitié. Cela permet de se faire une idée de la rentabilité du secteur d'amont et d'aval par rapport à d'autres industries canadiennes.

M. Morrison: Ma prochaine question est un peu plus simple. Dans votre analyse du prix à la pompe par rapport au prix de gros, j'ai été surpris de voir que le prix à Toronto est nettement moins élevé que le prix canadien moyen. Le prix moyen canadien est-il pondéré en fonction du volume ou s'agit-il simplement d'une moyenne arithmétique qui donne la même valeur au prix de Whitehorse qu'au prix de Sarnia?

M. Ervin: Ce chiffre vient du ministère des Ressources naturelles dont la méthodologie établit une pondération du prix en fonction du volume.

M. Morrison: Dans ce cas, pourquoi le prix est-il plus bas à Toronto, qui est un marché principal loin de la source d'approvisionnement, que dans le reste du pays?

M. Ervin: Je pense que Toronto a toujours été un marché très concurrentiel. C'est un marché relativement petit avec probablement le plus grand nombre de concurrents. C'est donc un marché très concurrentiel. Il profite également de sa proximité aux États-Unis et de la source d'approvisionnement, c'est-à-dire la concentration de raffineries d'où le produit est expédié. Dans beaucoup de grands centres canadiens, la situation de l'offre et l'intensité de la concurrence crée un avantage considérable pour les consommateurs.

M. Morrison: D'où vient le plus gros de l'approvisionnement dans la région métropolitaine de Toronto? Est-ce de Sarnia ou des États-Unis?

M. Ervin: Les grossistes indépendants cherchent de plus en plus leur approvisionnement aux États-Unis. Les prix de gros à Toronto et à Buffalo se suivent de très près. Il est clair que les raffineurs et les grossistes au Canada doivent rester concurrentiels avec les Américains s'ils veulent approvisionner leurs marchés canadiens. Les grossistes canadiens ne peuvent simplement pas se permettre de faire payer plus cher les détaillants canadiens.

Le président: Monsieur Ervin, vous pourriez peut-être m'expliquer une situation qui est loin d'être élucidée. Si je vous comprends bien, vous dites qu'à cause de la concurrence dans l'industrie, elle ne peut pas imposer un prix exorbitant et rester en affaires. Mais quand on va dans des régions comme le nord de l'Ontario, on constate qu'ils peuvent faire ce qu'ils veulent et ils imposent ce genre de prix.

Le prix est essentiellement fondé sur la concurrence et pas sur le coût du transport. M. Morrison dit que le transport ne constitue nulle part au Canada un facteur majeur. Est-ce parce qu'il n'y a pas suffisamment de concurrence? Les gens semblent nous dire que là où il n'y a pas cette concurrence américaine, le consommateur va payer plus cher.

.1140

M. Ervin: Tout d'abord, une forte proportion de Canadiens vivent dans les grands centres urbains près de la frontière des États-Unis. Une longue surveillance des prix à la pompe dans ces grands centres a révélé de très faibles écarts de prix, hors taxes, d'un grand centre à l'autre.

Dans une région comme le nord de l'Ontario, les coûts de transport y sont bien sûr pour quelque chose, mais je vous assure, monsieur, que la concurrence locale y devient un facteur de plus en plus important. Plus on s'éloigne des grands centres, plus la proportion de détaillants indépendants, non contrôlés, augmente. L'établissement des prix sur ces marchés plus éloignés a donc tendance à être dominé ou à être plus caractérisé par des détaillants qui ne sont pas contrôlés par les compagnies pérolières. Comme ils ne sont pas les employés de ces dernières, ils ne leur demandent pas leur avis pour fixer les prix de détail.

Le président: Il y a là-dedans quelque chose qui cloche. J'essaie de comprendre toute cette question du transport.

Je vais vous donner un exemple. Je vis dans le nord de l'Ontario, à Kenora. Une autre localité de la région, Dryden, se trouve à une heure et demie de route. Elle est plus petite que Kenora et elle est plus éloignée d'une heure et demie de l'endroit d'où vient l'essence, qui vient de l'Ouest, c'est-à-dire de Winnipeg.

Or, à Dryden, une localité de 6 700 habitants, les prix ont toujours été inférieurs de 2c. aux prix de Kenora, une ville de 17 000 habitants. Bref, la population à Kenora est deux fois plus importante, et la concurrence devrait y être beaucoup plus forte, mais l'essence y coûte 2c. plus cher.

Par ailleurs, si vous allez 15 milles plus à l'ouest, les prix baissent de 10c. à la seule station-service qu'on trouve sur la route de Winnipeg.

Comment expliquer cela au consommateur qui dit qu'il y a quelque chose qui cloche manifestement là-dedans. Les gens disent que c'est à cause des coûts de transport, et bien sûr, l'essence coûte 3c. moins cher à Winnipeg qu'en Ontario à cause de la taxe. La taxe explique la différence de 3c., mais on a beaucoup de mal à évaluer comment tout cela est censé concorder quand on dit que toute la différence est attribuable à la concurrence. Cela ne peut pas s'expliquer par le transport, car, comme je viens de le mentionner, il en coûte plus cher pour transporter l'essence jusqu'à Dryden, à une heure et demie de route plus loin, que de la livrer à Kenora. Or, les prix sont plus élevés dans cette dernière ville qui compte plus d'habitants que Dryden.

Pouvez-vous essayer d'expliquer cela aux gens? C'est pour cela que nous sommes réunis ici ce matin. Les gens ne sont pas d'accord avec vous ni avec l'essentiel de l'analyse qu'on a faite du secteur pétrolier selon laquelle il n'y a rien qui cloche du côté de cette industrie, car tous les deux ans - et je pense que M. Addy pourrait le confirmer - quelqu'un vient nous demander de faire une étude, soit au niveau provincial soit au niveau fédéral, pour démontrer qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Nous voudrions certainement savoir ce que c'est. D'après votre point de vue, les consommateurs se plaingnent-ils tout simplement parce que les prix sont trop élevés, alors qu'en fait ils n'auraient aucune raison de se plaindre?

M. Ervin: Je dois avouer que plus on s'éloigne d'un grand centre, plus il est difficile d'expliquer les écarts de prix. Je connais des cas à l'extérieur de Calgary où les prix ont toujours été beaucoup plus bas que les prix demandés en ville, tandis qu'on peut aller plus loin le long de la route dans une autre petite localité où les prix de l'essence sont beaucoup plus élevés que dans une grande ville voisine.

Les facteurs qui influent sur les prix sur ces marchés, les petits marchés ruraux, sont nombreux et variés, mais je vais essayer d'en exposer quelques-uns.

Tout d'abord, hors des grands centres, certains des coûts fixes sous-jacents, comme les coûts de la propriété ou les impôts fonciers, sont beaucoup moins élevés. Les salaires sont beaucoup moins élevés également et, en général, les coûts d'exploitation de l'entreprise englobant les coûts fixes sont beaucoup moindres dans certaines de ces petites localités. Il y est donc possible de vendre l'essence moins cher. Inversement, dans certaines petites localités où il existe une offre surabondante ou une surabondance de points de vente au détail, les détaillants doivent vendre leur produit plus cher afin que les ventes d'essence leur permettent au moins de faire leurs frais.

.1145

Il n'y a pas deux marchés ruraux pareils. On trouve plus d'homogénéité dans les grandes villes que sur les petits marchés ruraux. J'espère que cela explique, du moins en partie, pourquoi on observe de tels écarts de prix.

M. Arseneault (Restigouche - Chaleur): Je tiens à souhaiter la bienvenue aux témoins et à les remercier de leur exposé.

Je voudrais prendre le relais de votre intervention, monsieur le président, et adresser mes questions à M. Addy pour voir si nous pouvons expliquer certaines des anomalies que vous avez mentionnées.

Les députés ont l'habitude de recevoir beaucoup de plaintes à propos des fluctuations de prix, à ce qu'on nous dit. C'est peut-être un peu différent dans ma région. Je viens du Nouveau-Brunswick et je représente une circonscription rurale qui compte quelques centres urbains. Or j'ai constaté d'après mon expérience que les fluctuations de prix se produisent généralement dans les centres urbains. Dans les régions rurales, il n'y a pas de fluctuation de prix; il n'y a que des prix élevés. On peut avancer n'importe quelle excuse pour expliquer pourquoi les prix sont si élevés.

Monsieur Addy, votre service reçoit des plaintes concernant les fluctuations de prix. Y a-t-il réellement une façon de les analyser et de les partager entre régions rurales et régions urbaines pour voir s'il existe vraiment une corrélation à cet égard? Est-ce que toutes les plaintes concernant les flucturations de prix viennent des régions urbaines?

Auriez-vous une explication qui pourrait nous aider à comprendre pourquoi les prix seraient plus élevés dans les petites localités ou dans les régions rurales?

M. Addy: Je commencerai par parler du contexte plus général. M. Chandler se rappelle peut-être le partage statistique des plaintes. Je ne me rappelle pas sur le champ s'il y a un écart marqué. Autant que je me souvienne, il n'y en a pas, du moins en ce qui concerne la source des plaintes.

Les observations que M. Ervin a faites à propos des conditions des marchés locaux me paraissent très justes. Un certain nombre de facteurs contribuent à déterminer ce que seront les prix de vente au détail affichés à la pompe. Ces frais ont trait, par exemple, au genre de détaillant auquel nous avons affaire: s'agit-il d'un point de vente appartenant à une compagnie pétrolière et exploité par elle, ou qui est pris à bail? Les membres du comité connaissent sans doute bien ces genres d'arrangements. Il y a aussi les conditions locales de l'offre et de la demande. Y a-t-il une raffinerie tout près, ou est-elle éloignée? Votre observation à propos des coûts de transport me paraît juste, monsieur le président. Quant à savoir quelle proportion au juste du prix total ils représentent et quelle incidence ils peuvent avoir sur les prix à la pompe, c'est une toute autre question, car il y a toute une série de facteurs qui entrent en jeu à cet égard, comme le nombre et le genre de concurrents.

On a parlé du marché de Toronto. Ce dernier compte généralement une forte proportion de détaillants indépendants par rapport aux autres marchés au Canada. Ces détaillants ont parfois tendance à être plus agressifs quant à leurs pratiques d'établissement des prix, et cela contribue généralement à discipliner le marché. Le fait d'avoir ou non des détaillants non intégrés sur le marché y change quelque chose.

Les coûts de commercialisation, de raffinage et de distribution entrent en jeu également. Comme vous le savez très bien, les taxes varient d'une province à l'autre, et cela explique donc en partie les différences de prix. M. Chandler pourra peut-être répondre à l'autre élément de votre question concernant le partage des plaintes.

M. Harry Chandler (sous-directeur des enquêtes et des recherches, direction générale des affaires criminelles, Bureau de la politique de concurrence): Nous recevons certes beaucoup de plaintes des régions isolées, et non pas seulement des centres urbains. Comme vous l'avez dit, les habitants des régions rurales se plaignent surtout du niveau des prix plutôt que de leurs fluctuations à la hausse ou à la baisse. Nous devons examiner ces plaintes à la lumière de la loi que nous avons à faire appliquer et établir si ces fluctuations résultent d'une action concertée ou du jeu des forces du marché.

M. Arseneault: Monsieur Addy, je voudrais revenir sur ce que vous disiez dans votre exposé à propos de la compétence constitutionnelle. Nous avons entendu la semaine dernière des fonctionnaires du ministère dire que bon nombre des facteurs d'établissement des prix, hors taxes, ne relevaient essentiellement pas de la compétence du gouvernement fédéral. En fait, bon nombre des éléments qui ont quelque chose à voir avec l'établissement du prix de l'essence relèvent davantage de la compétence des autorités provinciales que des autorités fédérales.

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Nous voici, un comité des ressources naturelles, en train d'examiner si nous devrions entreprendre ou non une enquête approfondie sur les prix de l'essence. Je voudrais tout d'abord vous demander si, à titre de directeur, vous ou vos prédécesseurs - j'ignore depuis combien de temps vous occupez ce poste - avez l'habitude de rendre compte au comité des ressources naturelles de l'administration de la Loi sur la concurrence, ou s'il est plus pratique ou raisonnable d'en rendre compte au comité de l'industrie.

Deuxièmement, pensez-vous qu'il incombe davantage aux autorités provinciales qu'à un comité parlementaire fédéral d'examiner l'établissement des prix de l'essence?

Pourriez-vous nous dire rapidement ce que vous en pensez?

M. Addy: Pour répondre à la première partie de votre question, à savoir si on a l'habitude de rende des comptes, le directeur a toujours été parfaitement disposé à comparaître devant n'importe quel comité de la Chambre des communes, et il continuera d'en être ainsi aussi longtemps que j'occuperai ce poste, aussi bien devant votre comité que devant le comité de l'industrie. Quant à savoir lequel est le plus compétent en la matière, il appartient davantage aux comités eux-mêmes d'en décider. Je sais que les membres de votre comité sont bien informés sur la question et s'en préoccupent.

Quant à la deuxième partie, concernant l'établissement des prix, je répéterai l'avis qu'on m'a donné: il s'agit d'une question de compétence provinciale. J'ajouterai, pour faire écho au témoignage que nous avons entendu un peu plus tôt au sujet du Nouveau-Brunswick, que, d'après notre expérience, fruit de plusieurs décennies de surveillance du secteur, les marchés réglementés ne donnent pas le genre de prix compétitifs que l'on obtient sur un marché non réglementé.

Le témoin parlait de la Nouvelle-Écosse, qui réglementait tous les aspects de ce commerce, à savoir si le point de vente pouvait être un libre-service ou pas, si un dépanneur pouvait s'y greffer ou pas, quelles en seraient les heures d'ouverture et toute une série de questions du genre. D'après ce que nous avons observé en surveillant les prix dans un contexte réglementé, ils sont supérieurs à la moyenne canadienne. C'est pourquoi nous sommes intervenus aux audiences de la commission des services d'utilité publique pour appuyer la déréglementation.

M. Arseneault: Monsieur Addy, vous avez dit dans votre exposé qu'il vous intéressait davantage d'examiner la fixation des prix et ce genre d'affaire. Ma question porte sur la fixation des baux. Je ne sais pas si ce terme a cours, mais cela concerne le détaillant. D'après les plaintes que je reçois dans ma circonscription, les compagnies pétrolières ont des baux très similaires, qu'il s'agisse de Petro-Canada ou d'Esso faisant affaire à deux garages différents. Les baux n'obligent pas nécessairement les exploitants à fixer les prix, mais les conditions des baux avec ces compagnies sont très similaires. L'exploitant qui ne veut pas se plier aux désirs de l'une ne peut pas la quitter pour s'affilier à l'autre. Les exploitants semblent faire l'objet de certaines pressions pour se conformer aux désirs des pétrolières.

Votre service assure-t-il quelque protection que ce soit pour permettre à l'exploitant d'un garage ou au détaillant d'interjeter appel devant une commission? J'ai écrit aux ministres et à divers hauts fonctionnaires, mais la réponse semble toujours devoir être négative. D'après les plaintes que je reçois dans ma circonscription, les grandes compagnies se livrent à beaucoup de manoeuvres d'intimidation auprès du petit détaillant qui n'a d'autre recours que les tribunaux pour se défendre de leur emprise. Cela leur coûterait cependent une fortune et serait financièrement impossible.

M. Addy: Brièvement, je répondrai par la négative à votre question. J'ajouterai cependant que nous n'agissons pas comme une commission d'appel pour recevoir les plaintes relatives aux baux. Les baux eux-mêmes sont généralement bien connus dans l'industrie, car lorsqu'un détaillant change d'affiliation et négocie un nouveau bail avec une autre compagnie, il fait valoir le plus souvent qu'il bénéficiait de telle ou telle condition dans son bail précédent et souhaite avoir la pareille dans le nouveau bail, et ainsi de suite. Il existe donc une certaine transparence dans les conditions des baux, résultant des interactions bien légitimes et normales du marché.

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Nous n'avons pas obtenu de preuve nous permettant de le croire, mais dans la mesure où une preuve pourrait démontrer qu'il y a eu effort conjugué de la part des propriétaires de compagnies pétrolières pour en arriver conjointement à des conditions de bail qui auraient un effet abusif sur les locataires et par conséquent un effet paralysant sur les forces de la concurrence sur le marché, cela pourrait créer une cause à poursuivre en vertu de la disposition de la loi relative à l'abus d'une position dominante. Il pourrait donc y avoir là un recours à exploiter si on pouvait prouver qu'il y a eu concertation.

M. Arseneault: Il serait donc illégal pour les propriétaires de compagnies pétrolières de mettre certains détaillants sur la liste noire parce qu'ils ne se conforment pas à la politique de la compagnie sur certains points... Par exemple, ils ne signent pas un bail avec une compagnie en se disant qu'ils s'adresseront à l'autre compagnie, mais cette dernière les refuse. Est-ce que c'est illégal, si on peut prouver que les deux compagnies se sont entendues pour mettre un exploitant sur la liste noire?

M. Addy: Il faut être très prudent. Je ne peux pas vous répondre par oui ou par non, car cela dépend de la disposition de la loi au regard de laquelle nous examinons le problème. Cela dépend, je le répète, de la preuve.

Si nous l'examinons au regard d'une disposition du code criminel interdisant le complot ou la collusion, nous devons établir deux choses. Nous devons convaincre le tribunal qu'il y a eu entente, et que cette entente a réduit indûment la concurrence sur le marché en question.

Je vais évoquer des hypothèses. S'il y a eu entente entre tous les fournisseurs pour mettre un détaillant sur la liste noire, cela peut ne pas répondre au deuxième critère prévu par la loi. Cela n'a peut-être pas eu pour résultat de réduire la concurrence sur le marché. On peut obtenir réparation en intentant des poursuites privées au civil, mais ce genre d'entente ne contrevient pas à cette disposition du code criminel.

Je parlais plus tôt d'une disposition du code civil concernant l'abus de position dominante. En l'occurrence, une personne morale ou plusieurs personnes morales agissant de concert peuvent abuser d'une position dominante sur le marché en produisant l'effet nécessaire. Cela peut donner lieu à une action que nous pouvons intenter devant le Tribunal de la concurrence pour obtenir réparation. Cette réparation pourrait inclure une injonction ou toute ordonnance qui serait appropriée pour sanctionner cette conduite.

Le président: Vous avez la parole, monsieur Reed.

M. Reed (Halton - Peel): Cet exercice et tout l'intérêt que nous y portons témoignent évidemment du niveau de dépendance que nous avons atteint à l'heure actuelle à l'égard du pétrole. Je crois que c'est devenu un cas critique, et il nous incombe à titre de législateurs de faire tout en notre pouvoir pour faire connaître à nos concitoyens les options qui s'offrent actuellement à eux et qui s'offriront à eux tout au long de la prochaine décennie.

Nous avons clairement établi avec les témoignages que nous avons entendus qu'il y a deux séries de changements de prix, dont une à l'égard de laquelle on ne peut probablement pas faire grand chose. Comme le prix du pétrole brut a augmenté d'environ 20 p. 100 depuis 18 mois, l'ensemble du secteur pétrolier doit s'attacher au prix de gros. Le fait est que peu importe la marge bénéficiaire à la production, les prix du pétrole brut dépendent du cours mondial du brut, de sorte que le coût de l'extraction du pétrole de tel ou tel puits n'a vraiment aucune importance. Le cours mondial et le marché mondial en régissent l'offre.

Nous nous intéressons aux changements à court terme et aux écarts de prix parfois bien grands. La région que je représente, au nord-ouest de l'agglomération métropolitaine de Toronto, est probablement l'une de celles où la concurrence est la plus forte en Ontario, sinon au Canada, car les prix y fluctuent parfois très rapidement de 4c., 5c. ou 6c. le litre. On soulève toujours ces questions. Pourquoi le prix à cette pompe diffère-t-il de celui de cette autre pompe? Ou les gens disent qu'ils ont fait le plein sur la route et que, rendus à une dizaine de milles de chez-eux, ils se sont aperçus que le prix était inférieur de 4c.

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Cela soulève une question à laquelle vous pourrez peut-être répondre, M. Ervin. On la pose de temps à autre. Pourquoi ne pas vendre l'essence comme la bière? Les seules choses dont nous dépendons autant que de l'essence sont l'eau - et - si vous me permettez d'être politiquement incorrect - la bière. Quand on vend la bière en Ontario, le prix est le même partout, on ne tient donc pas compte des coûts supplémentaires de transport, etc. Son prix est partout le même, dans tous les magasins de vente au détail. Je sais que si je paie 5$ de trop à Georgetown, j'en ferai autant à Kenora.

J'ignore si on a déjà envisagé ce type de commercialisation ou ce qui s'est produit en Nouvelle-Écosse. Est-ce fondamentalement ce qui s'est passé dans cette province où l'on a démontré que ce système ne fonctionnait pas?

M. Ervin: L'expérience de la Nouvelle-Écosse a montré très clairement qu'il n'est pas avantageux pour le consommateur que le gouvernement s'ingère dans une infrastructure qui a tous les éléments nécessaires à un système efficace et compétitif.

Je crains de ne pas être certain que l'analogie avec la bière en Ontario convienne. Je viens de l'Alberta, où le prix de la bière varie beaucoup d'un endroit à l'autre et il m'est donc difficile de formuler une opinion là-dessus.

Je suis conscient de l'exaspération des consommateurs face aux fluctuations, parfois quotidiennes, des prix de l'essence. Ces fluctuations sont très évidentes pour les consommateurs car les prix à la pompe sont affichés. Il suffit de circuler pour voir le prix de l'essence, il faut entrer dans un magasin pour connaître celui de la bière, du lait ou des oeufs. Cette fluctuation des prix dérange beaucoup les consommateurs, les médias et les gouvernements.

Ils connaissent bien le prix affiché à la pompte. Par contre, ils ignorent malheureusement tout des facteurs fondamentaux. Normalement, les consommateurs ne lisent pas la page B13 du journal The Globe and Mail pour voir comment se comporte le marché au comptant de New York. En général, ils ne parcourent pas le journal pour connaître l'évolution au cours du dernier mois du West Texas Intermediate. S'ils suivaient ces prix de la même façon que les prix affichés à la pompe, je pense qu'ils comprendraient mieux ce qu'il en est.

En toute franchise, l'industrie renseigne mal les consommateurs. Si elle affichait, en fait, plus que le prix à la pompe, mais également, peut-être le prix hors taxes, comme on le fait pour de nombreux produits au Canada, je pense que les consommateurs comprendraient mieux l'industrie et le mode d'établissement du prix. À bien des égards, l'industrie est responsable de ses propres malheurs.

M. Reed: Vous semblez nous dire que le prix de la bière pourrait être plus bas.

Des voix: Oh, oh!

M. Reed: Dans les centres urbains, c'est vrai. Les régions rurales sont avantagées.

M. Arseneault vient de me dire qu'à l'heure actuelle, à l'Ile-du-Prince-Edouard, on réglemente les prix. Cela se fait-il depuis assez longtemps pour avoir une bonne idée de la situation et des répercussions pour le consommateur?

M. Ervin: M. Addy pourrait en parler. Je n'ai pas de chiffres précis à ce sujet.

M. Addy: Je voudrais vérifier si nous avons ces données. Je ne veux pas induire le comité en erreur.

M. Reed: Très bien.

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M. Addy: Je crois que tout ce que j'ai sous la main à ce sujet, c'est un graphique que le ministère fédéral des Ressources naturelles a publié le 28 février 1995. On y voit que le prix à Charlottetown à cette date était supérieur à la moyenne canadienne. Cependant, ce n'est qu'une image ponctuelle de la situation.

Le président: À vous la parole, monsieur St. Denis.

M. St. Denis (Algoma): Monsieur le président, je suis heureux d'avoir la chance de poser une brève question.

Je voudrais, en fait, donner suite à une observation et à une question du président un peu plus tôt au sujet du lien entre les transport et, peut-être, les facteurs touchant la concurrence rurale. À l'instar du président, je représente une circonscription du nord de l'Ontario, et je reçois beaucoup de plaintes de mes électeurs au sujet du prix de l'essence.

Je ne suis pas persuadé que le coût du transport constitue un facteur aussi important dans l'établissement du prix que certains le prétendent. Je me demande si on a étudié une paire de localités, comme Dryden et Kenora ou une autre paire de localités ailleurs dans lesquelles on constate une différence de prix afin d'analyser en profondeur, ce qui explique cette situation. Une étude de ce genre serait plus utile que des généralités sur la situation dans le sud par opposition au nord, dans les régions urbaines par rapport aux régions rurales. A-t-on procédé à une micro-analyse de la situation dans des collectivités rurales, en l'occurence, où les différences sont très marquées?

M. Ervin: J'ai effectué une étude de ce genre. Il s'agissait de comparer Peace River et Grande Prairie, en Alberta qui sont situées au nord-ouest d'Edmonton. On constate une différence considérable. Les deux marchés sont approvisionnés à partir de Winnipeg.

Malheureusement, je n'ai pas cette étude avec moi et je vais donc essayer de vous citer certains chiffres en me fiant à ma mémoire. La différence entre ces deux marchés a toujours été de l'ordre de 5c. à 6c. le litre. Si je ne m'abuse, mon étude portait sur une période de deux à trois ans. La tendance montrait que la différence de prix se maintenait à ces niveaux-là. Il s'agit, dans les deux cas, de marchés relativement petits dont le principal point d'approvisionnement est Winnipeg.

Là encore de mémoire, je veux vous faire part de certaines de nos constatations. La différence la plus marquée de ces marchés avait été dans le nombre de détaillants par habitant dans les deux centres. Grande-Prairie était un marché légèrement plus important que Peace River, et c'était là qu'historiquement le prix avait toujours été plus bas.

Les stations de Grande-Prairie vendent, en moyenne, près de deux fois plus d'essence que celles de Peace River. Naturellement, j'ai fait mon exposé au conseil municipal de Peace River qui s'est fait un devoir de correspondre avec toutes les compagnies pétrolières qui approvisionnement cette région pour obtenir des réponses. Cependant, la différence la plus marquée était dans le district de Peace River, il y avait beaucoup trop de stations-services et ainsi, pour faire leurs frais, les exploitants étaient forcés d'exiger un prix plus élevé, car ils vendaient moins d'essence.

Il ne s'agit que d'un seul facteur. Ce que je n'ai pu déterminer dans le cadre de mon étude, ce sont les autres services complémentaires offerts dans ces deux marchés. En toute franchise, dans Grande Prarie, on retrouvait des stations qui vantaient les avantages d'autres articles de consommation et des produits de dépanneur, ce qui contrebalançait les revenus - tirés de l'essence, alors qu'à Peace River...

M. St. Denis: Ce rapport eSt. il du domaine public ou eSt. il privé?

M. Ervin: C'est une étude que j'ai effectuée pour la collectivité de Peace River, et je serais très heureux de vous la transmettre.

M. St. Denis: J'apprécierais d'en obtenir une copie s'il n'en coûte rien de plus.

M. Ervin: Non. Si vous le souhaitez, vous pourrez en obtenir une copie, si elle est prête.

M. St. Denis: Je voulais simplement ajouter une dernière phrase et je vous céderai la parole à nouveau, monsieur le président.

En vous écoutant tout à l'heure, il m'a semblé que parfois, nous subventionnons la concurrence dans les localités à la frontière du Canada et des États-Unis. Plus nous sommes éloignés des régions très compétitives, plus nous avons une chance de compenser nos pertes, comme on le fait dans le cas du lait. Les collectivités rurales vont payer davantage pour le lait que vous dans les villes, où la concurrence est plus forte. Ici il y a une tendance à faire subventionner les régions urbaines par les régions rurales. Cependant, si ce n'est pas vrai, je serais heureux qu'on me détrompe de cette opinion.

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M. Ervin: Je serais heureux de m'arrêter sur cette question.

M. St. Denis: Merci beaucoup.

Le président: Vouliez-vous parler du sentiment qu'ont les consommateurs des régions rurales, à savoir que ce n'est pas une question de concurrence ni vraiment une question de coût des transports, mais que cette situation est plutôt attribuable au fait que nous sommes enfermés dans les terres et captifs, que nous ne pouvons conduire jusqu'à la frontière américaine car elle se trouve à 200 milles environ, et que nous n'avons d'autre choix que de payer ce prix? Les compagnies imposent leurs prix dans ces endroits et se servent de cet argent pour subventionner les prix sur les marchés un peu plus compétitifs. Que pensez-vous de cette affirmation?

M. Ervin: Qu'ils soient destinés à des grossistes ou à des détaillants, les produits pétroliers sont vendus aux détaillants à un prix affiché par camion-citerne. Dans le cas des détaillants, dans l'industrie, on parle du prix en camion-citerne aux détaillants. Ce prix varie d'un marché à l'autre, mais en général, il est établi de façon très rationnelle pour tenir compte des différences dans les marchés, différences attribuables en grande partie aux variations dans les coûts de transport.

Je le répète, j'ai vu des marchés ruraux où le prix est bien supérieur ou bien inférieur à celui dans les grandes centres. Ainsi, le facteur déterminant, en fait, en ce qui concerne ces prix très élevés ou très bas, selon le cas, dans les régions rurales, c'est la concurrence locale. Étant donné que sur les marchés ruraux, il y a davantage de preneurs à bail et de détaillants indépendants par opposition à des stations affiliées à des compagnies, ces marchés dépendent vraiment des détaillants locaux et de leur façon de voir la concurrence ainsi que la dynamique du marché, comme je l'ai montré dans le cas de Grande Prairie et de Peace River.

Le président: Monsieur Thalheimer.

M. Thalheimer (Timmins - Chapleau): Que penserait n'importe lequel d'entre vous si le gouvernement ne réglementait pas les prix, mais disait simplement que le prix, provincial ou fédéral, doit être uniforme en Ontario ou en Alberta, que s'il s'établit à 53 c. à Toronto, il doit en aller de même à Kenora? Qu'y aurait-il de mal à ce que le gouvernement réglemente de cette façon? Y voyez-vous des problèmes? Nous avons, je suppose, ce système dans le cas des spiritueux, du vin, de la bière, etc. Les volumes et les prix sont les mêmes à Timmins, à Kenora et à Toronto. Qu'y aurait-il de mal à ce que les gouvernements aient cette compétence, qu'ils disent simplement qu'il faut établir le prix en fonction d'une concurrence loyale, mais qu'il doit être uniforme dans toute la province, dans tout le pays? Entrevoyez-vous des problèmes avec ce type de loi ou de contrôle.

M. Addy: Ce qui m'inquiéterait le plus, c'est qu'en fait, ce serait une forme de réglementation qui ne me permettrait pas de réaliser ce que je considère être l'un des principaux avantages des marchés concurrentiels, c'eSt. à-dire de récompenser les concurrents dynamiques et innovateurs. Lorsqu'il y a divers cadres de réglementation, qu'il s'agisse d'établir un plafond ou un plancher pour le produit, on constate que les prix ont tendance à tourner autour du plafond. Même si on disait que les prix peuvent fluctuer dans une fourchette de 5c. autour du prix cible, j'ose affirme que tous les détaillants s'en tiendraient au prix cible pratiquement et qu'il n'y aurait pas la même concurrence sur le marché.

M. Thalheimer: Vous pensez que les prix augmenteraient à la suite de ce type de réglementation?

M. Addy: Oui. Selon moi, les concurrents se retrouveraient tous au même niveau et je pense qu'ils chercheraient à optimiser leur rendement en vendant à ce prix élevé sans subir de baisse de leur volume, car tous les autres détaillants afficheraient le même prix.

M. Thalheimer: En toute franchise, je ne vous suis pas, les forces du marché sont encore là comme dans le cas des spiritueux. Pourquoi croyez-vous qu'ils ne feraient pas sentir leurs effets comme à l'heure actuelle ou comme ils le font depuis...

M. Addy: Je ne peux que me fier, monsieur, sur notre expérience en matière de surveillance et sur notre analyse des marchés réglementés. Il n'y a aucun doute dans mon esprit: la meilleure chose pour une économie, c'est un marché concurrentiel, plutôt qu'un marché réglementé.

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Parce qu'il est question de réglementation, il faut examiner ce qu'on propose au juste, voir le coût d'administration de ce cadre de réglementation, déterminer les avantages qu'on en retirera. De plus, il faut avoir certaines compensations. Les avantages prévus justifient-ils les coûts? À partir de l'expérience que nous avons au Bureau, je le déconseillerais.

M. Thalheimer: Je vois, mais dans mon scénario, le gouvernement ne réglementerait pas les prix. Je vais préciser cela clairement. Je dirais simplement que peu importe le prix que fixent les forces du marché, les prix doivent être uniformes. Un point c'est tout. Nous ne réglementons pas les prix. Ils peuvent monter aussi haut ou descendre aussi bas qu'on le souhaite.

Je ne vois pas comment ce mode de réglementation pourrait entraîner une augmentation des prix. La situation n'est pas la même qu'en Nouvelle-Écosse et dans ces autres régions dont vous avez parlé ce matin. Il ne s'agit pas de réglementer les prix, mais simplement de dire que le prix doit être uniforme partout au Canada ou dans toute la province, si les gouvernements ont ce type de compétence.

M. Ervin: Vous proposez alors que Pétro-Canada, Esso ou Shell décident simplement du prix. Par la suite, quelquefois le prix établi....

M. Thalheimer: Il doit être uniforme.

M. Ervin: C'est faisable, je le suppose, dans le cadre de cette infrastructure. Mais, en fin de compte, il faudrait que tous les points de vente au détail soient exploités par les compagnies, étant donné que les intéressés ne pourraient plus, en fonction de la politique de concurrence, établir le prix de leur propre produit. Ils cesseraient d'être des acheteurs et des revendeurs d'essence, mais devraient simplement se plier aux directives de la compagnie. Selon moi, monsieur, on ferait disparaître l'un des facteurs garantissant aux consommateurs des prix équitables et compétitifs à l'heure actuelle.

M. Thalheimer: C'est le problème que j'ai. Le prix à Timmins et à Kenora est toujours de 10 à 15c. supérieur au prix exigé à Toronto. En quoi ce système eSt. il équitable? Pour le même litre d'essence, les gens paient 15c. de plus à Kenora et à Timmins qu'à Toronto. En quoi cela eSt. il équitable? Ce ne l'est pas du tout.

Si nous avions un prix standard dans toute la province, on laisserait alors les forces du marché influencer tous les prix, comme c'est leur rôle, et ces prix seraient standards et les gens sauraient que s'ils se rendent à Kenora ils paieront le même prix pour un litre d'essence qu'au centre de ville de Toronto ou de Sarnia. Je ne vois pas comment vous pouvez affirmer que cela entraînerait une augmentation des prix et que tous les détaillants vendraient alors leur essence de 60 à 70c. le litre.

Le président: Présentons les choses de façon différente pour M. Thalheimer. Manifestement, le gouvernement ne réglemente pas les taux d'intérêt. Nous laissons cela aux institutions financières. Nous avons tous les mêmes taux d'intérêt durant une semaine donnée.

Qu'eSt. ce qui nous empêche alors, en fonction de certains indicateurs, de faire en sorte que le prix de l'essence soit partout le même, les choses s'égalisant en fin de compte? Le meilleur exemple que je pourrais donner, c'est que ne réglementons pas les taux d'intérêt. Ainsi, pourquoi ne pourrions-nous pas décider que certains indicateurs vont dicter les prix de l'essence? Ces prix seraient fixés par les grandes compagnies, les petites sociétés de Timmins ou Kenora devraient emboîter le pas le même jour, car le prix serait affiché.

C'était l'une de questions que j'allais vous poser: pourquoi affichons-nous même le prix? Nous ne faisons rien dans le cas du lait ou des oeufs. Les gens se rendent dans le magasin d'alimentation et ils magasinent. Ils savent à combien s'élèvent les prix et ils prennent une décision.

On oublie notamment qu'on est confronté à un problème de fixation des prix, car chaque détaillant regarde à quel prix son concurrent, situé sur le même coin de rue, comme nous le savons, vend son essence, monte son prix au besoin pour le faire correspondre à celui de son concurrent et le laisse à ce niveau-là ensuite.

Pourquoi permettons-nous aux intéressés d'agir ainsi? Juge-t-on cela plus efficace que de leur interdire d'afficher les prix aussi ouvertement? En tant que consommateur, vous pourrez magasiner et dire au propriétaire de la station-service locale que s'il baisse le prix de 2c., il pourra alors s'assurer la clientèle de vos amis.

Monsieur Addy, que pensez-vous de cela?

M. Addy: C'est une proposition intéressante. Je ne peux que me fier à mon expérience. En fait, on a soulevé cette question même de l'affichage devant la commission sur les pratiques restrictives du commerce lorsqu'elle a procédé à son enquête de quatre ans sur la concurrence dans le secteur pétrolier.

La question de l'affichage s'est donc posée. Les consommateurs se plaignaient du fait qu'on n'affichait que le prix de l'essence ordinaire et non celui des essences à plus fort taux d'octane. Les consommateurs sont allés faire le plein sans y penser, mais ils ont découvert devant la pompe que l'essence qu'ils voulaient acheter coûtait 10c. du litre de plus qu'avant.

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À ce moment-là, les presssions ont été telles que les stations-service ont décidé, que s'il devait y avoir affichage, qu'elles afficheraient le prix de tous les produits afin que le consommateur puisse choisir la station à laquelle il ferait le plein.

C'est une question intéressante. Vous avez raison de dire que l'absence d'affichage rend les choses plus difficiles pour les détaillants. En effet, les prix n'étant pas déclarés, il leur en coûterait plus pour se renseigner sur les prix pratiqués par leurs concurrents. Il leur faudrait traverser la rue pour vérifier le prix chez leur concurrent ou faire une enquête à pied et se rendre jusqu'aux pompes plutôt que de se contenter de sillonner les environs pour prendre le pouls du marché.

Le perdant dans tout cela serait le consommateur qui ne pourrait plus se renseigner aussi facilement sur les prix. Après s'être rendu dans la station-service, eSt. ce que le consommateur s'en irait après avoir vérifié le prix à la pompe? Je n'en sais rien, mais je crois qu'il faut faire un compromis à ce moment-là.

Quant à l'analogie que vous avez faite avec les banques, vous avez raison de dire que c'est la Banque du Canada qui fixe les taux d'intérêt, mais les taux hypothécaires ou de prêts personnels varient énormément au niveau du consommateur. D'autre part, les taux proposés par une même banque peuvent varier d'une région à l'autre. Par conséquent, l'analogie est imparfaite, mais il est vrai que le consommateur peut obtenir des ristournes. S'il connaît bien le gérant de la banque, il peut obtenir une réduction d'un quart de point de pourcentage. On peut donc dire qu'il y a diverses fluctuations et que si vous voulez imposer un certain type de régime, vous voulez également en contrôler son application. Tout cela coûte extrêmement cher.

Je suis désolé, mais je reviens toujours à l'essentiel. D'après notre expérience, les bureaucrates ne sont pas aussi bons en affaires que les gens du secteur privé. On obtient de meilleurs résultats lorsque le marché dicte lui-même les décisions et fait les compromis qui s'imposent.

Le président: D'accord, mais voyons la situation sous un autre angle. J'ai l'impression qu'il n'y a pas du tout de concurrence et qu'il se produit l'inverse de ce qu'ont proposé de nombreux témoins entendus par le comité. Cela me rappelle une situation que j'ai vécu lorsque je présidais un comité sur l'industrie ferroviaire. Il y a très peu de concurrence dans ce secteur. De fait, si l'Office national des transports n'était pas là pour imposer un scénario de concurrence artificielle, les tarifs seraient beaucoup plus élevés qu'actuellement. Par conséquent, l'intervention du gouvernement est utile.

L'impression que nous avons, tout au moins dans les régions rurales du Canada, c'est qu'il n'y a pas de concurrence; les prix sont fixés pour nous par quelqu'un d'autre, dans une région lointaine et nous n'avons absolument pas notre mot à dire. Les propriétaires de stations-services nous assurent qu'ils ne gagnent pas très bien leur vie. Ils arrivent tout juste à rembourser leur hypothèque, comme tout le monde. Si vous pensez qu'ils sont riches, jetez donc un oeil sur leur compte en banque. Ce ne sont pas eux qui s'enrichissent.

Et voici la question que je vous pose, monsieur Addy: avons-nous intérêt, tout au moins du point de vue du gouvernement fédéral, à ouvrir encore plus le marché à la concurrence ou croyez-vous que nous voulons entrer dans le jeu de la concurrence? À mon avis, il y a très peu d'endroits au Canada où la concurrence s'exerce véritablement. C'est peut-être le cas dans les grandes villes, mais je peux vous dire qu'il n'y a pas de concurrence à Kenora. Toutes les stations pratiquent le même prix. Allez-donc voir à Dryden ou à Timmins. Vous constaterez que c'est le même prix.

Il faudrait peut-être déréglementer tout cela afin de permettre à nos amis américains de s'installer ici. Les grandes pétrolières ne pourraient pas diriger tout le processus, parce qu'il n'y a pas de détaillants indépendants dans la région d'où je viens. Honnêtement, je pense qu'ils se feraient évincer par le marché.

J'aimerais donc savoir quel est le point de vue du gouvernement fédéral : avez-vous effectué une analyse afin de savoir s'il serait bon de modifier la réglementation et d'aller jusqu'à ouvrir le marché à n'importe quel intervenant intéressé?

M. Addy: Non, nous n'avons entrepris aucune étude sur cette question précise des orientations politiques futures.

Pour répondre à la première partie de votre question, il ne fait aucun doute que nous souhaitons le plus de concurrence possible.

On se pose souvent la question de savoir si le prix fixé par le marché est un juste prix. Les marchés obéissent à leurs propres règles. Le marché de Toronto est différent de celui de Dryden, pour reprendre le cas que vous avez cité. Il est possible que les détaillants indépendants ne soient pas assez nombreux dans cette région pour imposer une plus grande discipline au marché. Cela ne signifie pas, pour parler en termes de droit de la concurrence, que les prix sont fixés selon des critères contraires aux lois de la concurrence.

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La différence est plutôt sémantique. Il y a une grande différence entre le prix perçu comme juste et le prix fixé dans un marché de libre concurrence.

C'est pourquoi j'ai fait allusion, au cours de mes remarques, à plusieurs intervenants. Il y a le directeur qui fait le chien de garde à la frontière. Il y a le consommateur en tant qu'acheteur du produit, il y a enfin les fournisseurs du produit, c'eSt. à-dire les détaillants et leurs sources d'approvisionnement. Chacun doit vraiment faire sa part. Je ne vois pas pourquoi le consommateur ne pourrait pas demander à vérifier si les prix sont établis de manière équitable ou si la concurrence s'exerce vraiment à Dryden.

Il est clair que c'est un secteur clef de l'économie. Plainte ou pas, c'est un secteur que nous surveillons de très près, et de manière régulière. Ne serait-ce que l'année dernière, nous avons communiqué avec de nombreuses personnes ayant déposé des plaintes. Nous ne demandons pas mieux que de prendre des mesures si la plainte s'avère fondée, mais nous devons toujours vérifier si il s'agit d'une question d'équité ou de pratiques illégales.

Le président: Parlons-en puisque nous sommes justement ici pour régler ce problème. Honnêtement, je ne pense pas qu'on ait des raisons de dire que le régime de réglementation que vous êtes chargés d'administrer par la loi soit contraire aux règles de la concurrence.

Mais prenons le critère de l'équité pour le consommateur. Nous savons tous, puisque c'est notre rôle, que la grogne s'installe de temps en temps chez les consommateurs. Je pense qu'ils ne seraient pas très heureux de vous entendre dire aujourd'hui messieurs que tout va bien dans l'industrie.

Si c'était le cas, pourquoi les consommateurs continueraient-ils à prier les politiciens d'intervenir? Si tout était clair, ce serait très simple à expliquer. Mais lorsque j'ai demandé àM. Ervin de m'expliquer pourquoi il y a une différence de 10c. entre deux endroits distants de 15 milles, et que l'endroit où l'essence est la plus chère est en fait plus proche de la source d'approvisionnement, je n'ai pu obtenir d'explications si ce n'est que les prix varient en fonction des limites de la zone dite du prix du camion-citerne aux détaillants. Or, ce n'est pas le genre d'explications que vous pouvez donner à un consommateur moyen.

Par conséquent, monsieur Addy, voici ma question. ESt. il possible de régler cette question de manière à rendre le système plus équitable ou devons-nous continuer à dire aux gens que nous n'y pouvons rien? Nous aimerions entendre qu'il est possible d'améliorer la situation car, si j'en juge par le nombre de plaintes que vous recevez, et elles sont nombreuses, la situation ne s'améliore pas. Elle a même tendance à empirer. Je crois donc que nous devons trouver une solution ou tout au moins proposer quelques recommandations.

Jusqu'à présent, personne ne m'a donné de réponses satisfaisantes, tout le monde se contente de dire que le système fonctionne bien et qu'il ne faut pas y toucher. Par contre, quand on parle aux consommateurs, ce n'est pas du tout le même son de cloche.

Notre rôle, et le vôtre je suppose, est de veiller à ce que les consommateurs en aient pour leur argent et que le système soit équitable. C'est à cela qu'est censé servir la concurrence.

Si l'on examinait la loi que vous administrez actuellement à la lumière des critères d'équité, je crois que le résultat ne serait pas en votre faveur. Un sondage auprès des consommateurs moyens à travers le pays révèlerait sans doute que la loi ne permet pas d'encourager une concurrence équitable.

J'aimerais donc vous demander de vous mettre à notre place et de nous dire ce qu'il faudrait changer. Vous dites que la loi encourage la concurrence et que personne ne profite du système, alors que ce n'est pas exactement ce qui se passe sur le plan de l'équité. Pourriez-vous me dire quelles sont les mesures que vous prendriez pour éviter que cette situation se perpétue? Le public presse les comités et les politiciens de changer le système.

M. Addy: Monsieur le président, il n'y a pas de réponse simple à cette question. J'aimerais pouvoir vous en donner une, mais il y a énormément de facteurs à prendre en compte.

Si l'on veut rassurer les consommateurs, il faudrait peut-être ne pas afficher les prix, comme l'a proposé un membre du comité. Si les prix n'étaient pas affichés, les consommateurs ne seraient pas aussi facilement au courant des variations de prix. Il y aurait donc moins de plaintes. Cependant, je ne pense pas que ce soit la bonne façon de procéder, car elle ne va pas au fond du problème, elle se contente de rester en surface.

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La question est complexe et il reste beaucoup à faire pour en faciliter la compréhension. C'est la raison de ma présence ici aujourd'hui et c'est pourquoi je saisis toutes les occasions qui se présentent d'encourager une meilleure compréhension de ce type de marché.

Les consommateurs ne retiennent que le prix de l'essence ordinaire sans plomb qui est affiché dans les stations-service. Ils ne tiennent pas compte du fait qu'une des stations leur offre un magasin de dépannage ainsi qu'un lave-auto, et qu'elle a entièrement modernisé ses réservoirs pour respecter les normes environnementales, alors que la station qui se trouve de l'autre côté de la rue est une simple cabane derrière les pompes à essence. Le consommateur s'arrête au prix. Or, comme l'a souligné M. Ervin, les coûts de la structure sont très élevés. C'est très cher pour une station-service de mettre un lave-auto ou un magasin à la disposition de ses clients.

Nous oublions parfois que le détaillant a bien d'autres choses à offrir à ses clients que le prix du litre d'essence. Si je me contente d'acheter de l'essence dans une station-service qui propose beaucoup d'autres produits, je dois payer pour la possibilité qui m'est offerte d'utiliser tous les autres services. C'est le genre de choses qu'il faut reconnaître.

Nous encourageons les gens à dénoncer les infractions dont ils sont témoins. C'est une des initiatives dont j'ai parlé ce matin. J'invite également les entreprises à mettre sur pied des programmes de respect de la réglementation en vertu desquels elles s'engageraient à ne pas pénaliser les membres de leur personnel qui signaleraient quelque irrégularité. Je crois que ce genre de programme donnerait de bons résultats, mais je ne pense pas qu'il y ait de solution magique qui permette de régler totalement la question du jour au lendemain. À mon avis, il faut continuer à chercher une solution.

Monsieur Chandler, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Chandler: Je voulais tout simplement dire que si le comité envisage un autre système, il lui faudra répondre à certaines questions extrêmement délicates. Comment devrait être conçu le système et comment fonctionnerait-il? Quel serait le coût de la réglementation? Le nouveau système interdirait-il la concurrence dynamique qui existe actuellement - tout au moins dans certains marchés? Votre but ultime eSt. il l'application d'un prix uniforme dans tout le pays? Je suis certain que cela serait possible, mais qu'il faudrait en payer le prix et que cela mériterait réflexion. Les propositions et questions que vous présentez soulèvent un certain nombre de points très intéressants et méritent je crois une analyse attentive avant de procéder à tout changement.

Le président: Je me souviens qu'il y a quelques années, la province de l'Ontario avait effectué une étude Nord-Sud sur le prix de l'essence. Je crois qu'à l'époque M. Reed était député provincial. Comme vous le savez, le gouvernement qui vient tout juste d'être remplacé préconisait la tarification uniforme de l'essence dans toute la province de l'Ontario. Ce principe n'a jamais été mis en pratique, pour un certain nombre de raisons dont la plupart sont, je crois, d'ordre politique.

Les diverses analyses qui ont été effectuées ont révélé que l'application d'un prix uniforme dans tout l'Ontario ne devrait pas entraîner, en raison de la plus grande densité de la population dans le sud de la province, une augmentation de prix de plus d'un quart de cent pour absorber les coûts de transport. Ce n'est pas la valeur foncière qui préoccupe M. Ervin, tout simplement parce que le terrain coûte beaucoup moins cher dans le nord de l'Ontario que dans le Sud. Par exemple, la propriété que j'ai à Lake of the Woods vaudrait des millions en plein centre de Toronto. Par conséquent, les coûts d'exploitation sont quelque peu réduits dans le nord de l'Ontario.

Le coût du transport est le seul argument que semble invoquer les sociétés pétrolières, tout au moins dans le nord de l'Ontario. Or, cet argument ne résiste pas à un examen attentif.

L'application d'un prix uniforme dans tout le pays n'est peut-être pas possible, mais je me demande ce qui empêche certaines provinces d'appliquer partout le même prix, comme l'a fait l'Île-du-Prince-Édouard? Pourquoi se préoccuper autant de la concurrence si la différence ne serait que d'un quart de cent environ?

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C'est ce que réclament les habitants des régions éloignées du pays qui n'ont pas la chance d'habiter à moins de 150 milles de la frontière américaine: pourquoi ne pas fixer un prix uniforme, comme l'a proposé M. Thalheimer, sans pour autant supprimer la concurrence? D'après vous qui êtes chargés d'administrer la loi, eSt. ce une chose impossible à réaliser?

M. Addy: Je peux vous dire tout de suite que ce n'est pas impossible. Cependant, nous essayons de faire comprendre que cela entraînera des coûts. Il y aura une diminution de l'efficacité dynamique. Le marché perdra son élan concurrentiel.

Mais c'est au gouvernement, provincial ou fédéral, qui a compétence à légiférer en la matière, de peser le pour et le contre. Nous nous contentons de préciser qu'il faut faire preuve de prudence parce qu'une telle décision entraînera des coûts.

Le président: C'est exactement là que je veux en venir. Je suis convaincu qu'il ne s'exerce aucune concurrence au niveau des prix de l'essence dans les régions rurales du Canada. J'aimerais consulter l'étude de M. Ervin pour savoir s'il existe une concurrence locale dans les petites localités rurales de l'Alberta. Si elle existe, elle doit être bien limitée, puisqu'il y a une différence de prix d'au moins 10c. entre Winnipeg et Kenora, deux localités qui ne sont qu'à deux heures de route l'une de l'autre. La distance n'est pas grande.

La question est de savoir si nous n'avons pas trop de stations-service. ESt. ce que c'est votre conclusion? Que ferait le consommateur? Le ministre semble penser que le consommateur comparerait les prix. Ce serait vraiment la grande aventure que d'aller à Winnipeg pour comparer les prix de l'essence. Comment peut-on imaginer que le consommateur puisse comparer les prix dans une région où il y a peut-être six ou sept stations-service?

C'est ce que nous essayons de comprendre dans le cadre de cette étude préliminaire. Le bureau de la concurrence peut-il créer une concurrence dans une localité où elle n'existe pas?

M. Addy: ESt. ce que c'est possible? Je pense qu'il faut faire un retour en arrière et se demander quels sont les facteurs de la concurrence sur ce marché. Le premier est la population.

Vous avez parlé du débit. D'après moi, les stations-service sont trop nombreuses au Canada. Par comparaison avec les États-Unis, je crois que nous en avons deux fois plus par habitant. Elles ont donc un débit moyen deux fois moindre que les stations-service américaines. ESt. ce que cette caractéristique affecte la concurrence? Oui, parce que beaucoup de stations-service ne peuvent pas pratiquer des prix suffisamment élevés pour équilibrer leur débit plus faible et payer leurs coûts d'exploitation, leurs fournisseurs, etc. Par conséquent, c'est un facteur à prendre en compte.

Mais alors, que pouvons-nous faire? Nous pouvons faire tout notre possible pour nous assurer que la concurrence ne rencontre aucun obstacle, que les municipalités n'interdisent pas l'utilisation de certains terrains par application d'un règlement de zonage. Il existe également d'autres obstacles liés par exemple à la protection de l'environnement. Il y a toutes sortes d'élements à prendre en compte.

Dans la mesure où il serait possible d'ouvrir le marché, un septième détaillant viendra peut-être faire concurrence aux autres stations-service de Dryden. L'élimination des obstacles est une autre façon de résoudre le problème. Les entreprises concurrentes sont-elles autorisées à venir s'installer?

Le président: Pour terminer, je vais vous présenter une information que m'a fournie le personnel de recherche et qui confirme le point de vue que j'ai tenté d'exposer. Cette information nous provient de la Fondation des communications sur les ressources pétrolières. La Fondation affirme que le coût du pétrole brut varie généralement de moins de 1,1c. par litre d'une région à l'autre. Par conséquent, ceux d'entre nous qui connaissent le coût de la vie dans le Nord de l'Ontario par comparaison à celui du Sud sont de moins en moins convaincus qu'une différence de prix de 10c. prétendument imputable au coût du transport et à l'économie locale est justifiée.

Quant à moi, je suis convaincu que la concurrence est inexistante dans le Nord de l'Ontario. C'est un marché captif. Les détaillants peuvent se permettre de fixer des prix assez élevés parce qu'ils savent que les consommateurs ne peuvent s'approvisionner ailleurs.

C'est pourquoi la proposition de M. Thalheimer paraît séduisante. Nous voulons savoir pourquoi il ne serait pas possible d'appliquer un prix uniforme dans toute la province et pourquoi cette proposition rencontre tant d'opposition. ESt. ce tout simplement parce que les consommateurs de Toronto auraient à payer un quart de cent de plus par litre d'essence? Je suis convaincu que les consommateurs de Toronto ne subiraient pas une telle hausse en raison de la densité de la population et du volume d'essence écoulé dans la région de Toronto, par comparaison à la consommation dans le Nord de l'Ontario.

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A-t-on effectué des études fondées sur ce scénario de concurrence? Je vous pose la question puisque votre rôle consiste justement à vous intéresser à la concurrence. Vous devez étudier le marché pour vérifier s'il existe une concurrence réelle et dans la négative, mettre en place des moyens de provoquer une concurrence afin que le marché soit équitable pour les consommateurs.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous avons créé à l'Office national des transports, une économie artificielle pour introduire un élément de concurrence favorable aux expéditeurs captifs. Cette fois, nous sommes des consommateurs captifs de nos détaillants. Il n'y a personne d'autre à qui nous adresser. J'aimerais bien aller faire le plein d'essence à Buffalo et je crois que tous les habitants du Nord de l'Ontario seraient, eux aussi, ravis de pouvoir le faire. Mais nous n'avons pas le choix; nous devons acheter l'essence chez les détaillants de notre région. Nous n'avons aucune autre option.

Comment peut-on créer une concurrence, artificielle ou réelle?

M. Addy: Cette fois encore, monsieur le président, vous cernez très bien le problème. Tout dépend du marché. À Dryden, par exemple, il n'y a que sept stations-service et leurs propriétaires savent bien que vous n'allez pas vous rendre jusqu'à Winnipeg pour faire le plein afin de gagner un demi-cent par litre. Un automobiliste sur le point de tomber en panne d'essence sur l'autoroute 401 est lui aussi un consommateur captif des rares stations-service qu'il rencontre en chemin.

Pourtant, cela ne signifie pas que les prix pratiqués par ces stations-service vont à l'encontre des règles de la concurrence. Nous pouvons sympathiser avec l'automobiliste qui doit se procurer de l'essence au prix fort sur la 401, mais je peux vous parier que la prochaine fois, il aura fait le plein avant d'emprunter l'autoroute. Par contre, dans votre cas, c'est une possibilité que vous n'avez pas.

Par conséquent, il y a la question de la concurrence par opposition à l'impression d'équité. Dans un marché local ouvert à la libre concurrence, il est possible que le consommateur doive payer l'essence plus cher, à un prix établi «selon les règles de la concurrence». Il n'y a rien d'illégal là-dedans, mais ce n'est peut-être pas tout à fait juste. Voilà la différence.

Le président: Je suis tout à fait de votre avis. Ce n'est pas illégal, il n'y a rien à dire là-dessus. C'est une question d'équité puisque le coût de l'essence est un élément qui pèse lourd dans le budget des consommateurs. Il a une incidence considérable sur leur niveau de vie en particulier dans les régions où les habitants ont des grandes distances à parcourir pour se rendre au travail et pour conserver un niveau de vie respectable.

Ce qui révolte vraiment les gens, c'est l'absence d'équité et nous voulons, dans le cadre de ce débat, déterminer si le gouvernement fédéral a les compétences pour y remédier ou si la solution relève entièrement des gouvernements provinciaux.

M. Addy: Comme vous l'avez indiqué, il me semble que l'établissement du prix de vente de l'essence au détail relève des compétences provinciales.

M. Reed: J'aimerais poser une brève question afin de m'assurer que ce sujet ne sera pas oublié. Il s'agit des prix DTW. Prenons l'exemple d'un raffineur qui a trois types de clients différents: un client qui stocke l'essence en consignation; un deuxième client propriétaire de sa propre station qui vend le carburant directement; et un troisième client qui vend lui aussi l'essence directement dans une station sans marque. ESt. ce que le raffineur consent les mêmes prix à ces trois clients? Toutes choses étant égales par ailleurs - emplacement, distance, déplacement et le reste - eSt. ce que les trois clients bénéficient des mêmes prix DTW?

M. Addy: Je confonds parfois les chiffres concernant les prix DTW et les prix de gros, mais il est possible de négocier les prix et d'obtenir des ristournes secrètes de la part des raffineurs. Une grande société indépendante disposant de 50 stations-service sera mieux placée qu'un exploitant individuel pour négocier une plus grande ristourne sur les prix DTW ou en gros.

M. Ervin a peut-être quelque chose à ajouter.

M. Chandler: Auparavant, j'aimerais préciser que la Loi sur la concurrence contient une disposition visant à protéger les entreprises concurrentes qui achètent des quantités identiques de produits. Par conséquent, les prix devraient être uniformes et aucune discrimination ne devrait être pratiquée. Il s'agit de la disposition relative à la discrimination par les prix. Donc, vous devriez savoir si ces exploitants sont en concurrence. Occupent-ils le même marché? Achètent-ils les mêmes volumes? Dans ce cas, la loi prévoit qu'ils ne peuvent demander des prix différents ou vendre à des prix différents.

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M. Ervin: J'ajouterai qu'il y aura des différences dans les prix du wagon-citerne du fait que les détaillants fonctionnent selon des modes différents. Par exemple, si l'on vend de l'essence à un locataire à bail et que le fournisseur fournisse les pompes, les réservoirs et ainsi de suite, le prix du wagon-citerne aux détaillants en tiendra compte.

Il existe des indépendants ou des exploitants qui vendent de l'essence autre que de marque et qui achètent aux mêmes fournisseurs qui vendent une marque nationale. Bon nombre de ces ventes se produisent en fait au niveau de la raffinerie et non par le biais d'une organisation de mise en marché, comme Petro-Canada par exemple. En fait, il y a souvent une concurrence interne entre les ventes au niveau du raffinage et les ventes au niveau de la mise en marché. Par exemple, un indépendant obtient un très bon prix de gros sur ce marché ouvert et ce détaillant peut ensuite réduire le prix de la propre marque du fournisseur.

M. Reed: J'essayais en fait d'arriver au prix du wagon-citerne sans les variables. Lorsque l'on enlève les extras aux locataires à bail - et je sais qu'ils sont intégrés au prix - si l'on essaie d'uniformiser les règles du jeu, il est évident - on a entendu ici le mot «secret» - que des ententes sont conclues.

La seule question qui découle de tout ceci est la suivante: avons-nous accès à cette information ou eSt. elle confidentielle?

M. Ervin: Les ventes à certaines chaînes indépendantes, en particulier les compagnies de taxi dans de nombreux marchés, sont négociées de la même façon que les ventes conclues par une compagnie pétrolière avec n'importe quel autre fournisseur commercial. Ces ventes sont simplement négociées en fonction du volume et de certains facteurs de livraison: y a-t-il un réservoir important; eSt. ce économique de livrer? Mais ces ventes sont essentiellement négociées sur la base d'un produit unique, tout comme un fournisseur primaire négocierait avec un grossiste.

Cela représente un pourcentage relativement faible de l'infrastructure de la vente au détail de l'essence. Dans l'ensemble, la majorité des ventes d'essence ont lieu en fonction de l'infrastructure des wagons-citernes du détaillant.

M. Reed: Je me demande si cela explique les différences de prix à Kenora.

M. Chandler: Nous avons accès à ce genre d'information lorsque nous en avons besoin. Nous avons d'ailleurs étudié ces questions. Cela se produit normalement lorsqu'il y a des allégations de convergence de la part d'un fournisseur à intégration verticale de sorte que les conditions sont plus favorables pour une compagnie que pour un indépendant.

Nous avons déjà souvent étudié cette question. Nous avons examiné toutes les données nécessaires, y compris les ententes secrètes. La loi nous donne des pouvoirs officiels pour ce faire et comme M. Addy l'a mentionné, une structure est prévue dans la disposition sur l'utilisation abusive d'une position dominante qui nous permet d'empêcher ce genre d'activité.

Le président: Pour terminer, monsieur Addy, étant donné que le ministre pour lequel vous travaillez, le ministre de l'Industrie, est également le ministre chargé de la protection du consommateur, ce qui est de compétence fédérale, pouvez-vous me dire si en fait il y a eu des négociations avec les provinces?

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Sur le plan de la compétence, si l'on souhaite apporter des changements sur l'équité des prix de l'essence, il faudrait certainement organiser une rencontre avec toutes les provinces et en discuter. Notre ministre ou des ministres précédents du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux ont-ils déjà participé à ce genre de rencontres? A-t-on parlé, lors d'une réunion quelconque de fonctionnaires ou de ministres, de la façon d'aborder ces plaintes perpétuelles que nous recevons année après année selon lesquelles l'industrie n'est pas équitable envers les consommateurs? Ce n'est pas la question des ententes secrètes ou du fait que la Loi de la concurrence n'est pas respectée, mais du fait qu'il existe certainement un problème, dans l'esprit du consommateur et du Canadien moyen, en ce qui concerne la façon dont nous fixons les prix.

Il serait très utile au comité de savoir si quelqu'un a réellement tenté de résoudre cette question dans le cadre d'une tribune différente, autre qu'une étude à n'en plus finir de la part de quelques hommes politiques qui finissent par rendre un rapport qui aboutit sur les tablettes et accumule de la poussière pendant des années. Je pourrais certainement vous en citer quelques-uns. Vous les avez sans doute tous vus au cours des 20 dernières années. Mais nous en sommes toujours arrivés à la même conclusion. Les gens ne sont pas très satisfaits.

Pouvez-vous nous dire si les hauts fonctionnaires fédéraux et provinciaux discutent de cette question?

M. Addy: Pour ce qui est du mécanisme proprement dit, monsieur le président, je dirais d'abord que les fonctionnaires fédéraux et provinciaux responsables entretiennent un dialogue permanent sur toute une série de questions ayant trait aux consommateurs, que ce soit le télémarketing ou autre. Je ne pourrais pas vous dire si cela fait partie d'un programme particulier. Nous pourrons vous répondre plus tard. De même, nous pourrons vous dire s'il y a eu effectivement une rencontre des ministres du fédéral et des provinces, si cela était à l'ordre du jour. Je n'ai pas la réponse. Nous devrons nous informer.

Le président: J'aimerais recevoir cette information car cela pourrait nous faciliter la tâche au moment où nous essaierons de savoir si nous sommes le cinquantième comité au cours des vingt dernières années à faire cette étude. Je pense que notre travail serait inutile si l'on pouvait utiliser un mécanisme différent. C'est pourquoi nous aimerions recevoir cette information.

Monsieur Addy et monsieur Ervin, nous vous remercions. Vous savez aussi bien que nous qu'il s'agit d'une question très difficile pour les consommateurs et pour tous les élus. Nous vous remercions des renseignements que vous nous avez apportés. S'il y a des renseignements que vous ne nous avez pas donnés cet après-midi et ce matin mais qui vous viendraient à l'esprit plus tard, n'hésitez pas à les faire parvenir au comité car nous allons en débattre plus avant à huis clos au cours des prochaines semaines.

Au nom du comité, je vous remercie.

Chers collègues, nous allons lever la séance. Je vous convoquerai à une date ultérieure lorsque nous aurons eu l'occasion, en tant que comité directeur, de discuter de la direction que nous allons prendre. Au nom du comité, je tiens à remercier toutes les personnes présentes. Nous vous reverrons à la prochaine réunion du comité des ressources naturelles.

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