[Enregistrement électronique]
Le mercredi 18 octobre 1995
[Traduction]
Le vice-président (M. Comuzzi): Mesdames et messieurs, j'ouvre la séance du comité permanent des Transports chargé d'examiner le projet de loi C-101. Je suis heureux de vous dire que nous avons le quorum, mais nous n'avons pas de témoins. À vous de décider si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle.
Nous allons nous réunir entre nous jusqu'à l'arrivée des témoins. Qu'en pensez-vous, M. le Greffier?
Le greffier du Comité: Oui, si vous suspendez la séance...
Le vice-président (M. Comuzzi): C'est déjà fait. Nous reprendrons la séance officielle quand nous aurons des témoins. Le premier a raté son avion, le deuxième n'est pas arrivé, et les troisièmes sont en route.
Le vice président (M. Comuzzi): Nous reprenons la séance avec les représentants de la Chambre de commerce de Baie-Comeau.
Monsieur Breton, je vous souhaite la bienvenue. Pouvez-vous présenter vos collègues?
M. Pierre Breton (président de la Chambre de commerce de Baie-Comeau): Je suis accompagné de Madame Anne-Marie Day, directrice générale
[Français]
de la Chambre de commerce de Baie-Comeau, et M. Yves Meunier, directeur des communications à la ville de Baie-Comeau.
[Traduction]
Le vice-président (M. Comuzzi): La procédure habituelle, monsieur Breton, est de donner entre cinq et dix minutes au témoin pour sa déclaration, après quoi les membres du comité lui posent leurs questions. Si cela vous convient, vous pouvez commencer.
M. Breton: Merci beaucoup, monsieur Comuzzi.
[Français]
J'aimerais vous dire que nous représentons ici le Regroupement des chambres de commerce régionales du Québec qui ont déjà présenté au ministre Douglas Young, au mois de novembre dernier, un mémoire sur la situation dramatique vécue dans les aéroports québécois.
Dans le cadre du suivi de cette démarche visant à ramener les tarifs aériens à des niveaux acceptables et dans le cadre du projet de loi C-101, nous avons préparé un mémoire dans lequel nous survolons l'ensemble du transport aérien tel que nous le percevons dans les régions.
J'aimerais d'abord vous remercier d'avoir bien voulu nous entendre. Nous représentons les chambres de commerce de Gaspé, de Sept-Îles, de Baie-Comeau, de Mont-Joli, de Rouyn-Noranda, de Val-d'Or, de La Baie, de Chicoutimi et de Jonquière.
Les aéroports de rayonnement québécois sont situés sur les territoires de ces chambres de commerce. J'ai bien dit les aéroports de rayonnement québécois.
J'aimerais signaler que la démarche que nous faisons aujourd'hui se veut essentiellement apolitique. Nous savons que dans le contexte politique actuel, la discussion sur les sujets que nous allons soulever dans les quelques jours qui viennent peut être plus difficile à amorcer.
Cependant, le problème que nous vous présentons aujourd'hui est essentiellement un problème canadien, de la Colombie-Britannique à Terre-Neuve. L'étude que nous avons faite a été limitée aux aéroports québécois, mais nous savons que les transporteurs aériens partout au Canada ont les mêmes politiques tarifaires.
Donc, si vous le permettez, nous allons examiner tout de suite le tableau 1 qui donne un aperçu de la situation actuelle. Malheureusement, nous n'avons pas ce tableau, mais il a trait à la variation en pourcentage des tarifs aériens, de l'indice des prix à la consommation et du nombre de passagers dans les aéroports régionaux du Québec.
Vous pouvez voir ce tableau à la page 5 du mémoire. Vous constaterez que les tarifs ont augmenté depuis la déréglementation. Au moment où les transporteurs aériens ont pris le contrôle de leurs politiques tarifaires, les tarifs et les taxes ont augmenté de 91 p. 100 au Canada. Les tarifs eux-mêmes ont augmenté de 64 p. 100 pendant que les prix à la consommation augmentaient de 16 p. 100.
Comme conséquence, on peut voir une diminution de 38 p. 100 du nombre de passagers dans les aéroports régionaux. On doit ajouter, à ce qui représente le total de l'achalandage des aéroports que nous représentons, l'évolution du tarif vacances.
Nous allons maintenant passer au deuxième tableau, à la page 8, pour voir ce qui s'est passé, en termes de nombres, dans les aéroports que nous représentons. En 1988, 633 700 passagers, embarqués et débarqués, ont circulé sur les lignes intérieures au Québec. En 1994, il n'y en a eu que 394 400, soit une diminution de 38 p. 100.
L'Office national des transports nous dit que cette diminution est imputable à une récession interminable. Nous avons l'intention de vous démontrer aujourd'hui que la récession n'a absolument rien à voir là-dedans.
Avant de passer au tableau suivant, j'ai une remarque importante à faire en ce qui a trait au premier tableau. Vous remarquerez que le tarif vacances, qui figure sur la ligne des abscisses - les quatre carrés qui sont là - n'a jamais augmenté depuis 1992, année où il a été inauguré. Il n'a subi aucune augmentation tarifaire, alors que toutes les autres catégories de tarif des transporteurs aériens augmentaient sensiblement pendant la même période. D'ailleurs, on parle de deux augmentations récentes de 3 p. 100, l'une en septembre et l'autre en juin. Je vous le souligne parce que c'est important; c'est à la base du mémoire que nous vous présentons.
Vous savez tous que le Canada a deux transporteurs nationaux qui se comportent comme un duopole. Les deux transporteurs ont des tarifs identiques sur les mêmes liaisons et volent à peu près aux mêmes heures sur ces mêmes liaisons. Ces transporteurs ont des objectifs identiques.
Vous avez devant vous une publicité qui a été faite dans la région de Chicoutimi-Bagotville sur un tarif exceptionnel de 350 $ pour les gens d'affaires pour un aller-retour Montréal. Mais observez bien la restriction. Il faut réserver au moins trois jours à l'avance. De plus, si vous faites des changements, il y a des frais additionnels. Et vous devez ajouter à ce montant-là les taxes d'aéroports, la TPS et la TVQ.
Quant au deuxième tarif, soit 199 $ pour la même distance, Bagotville-Montréal aller-retour, il est offert «aux passagers devant effectuer une correspondance à Montréal, avec un vol nolisé à destination du sud». Il s'agit de n'importe quel vol nolisé. Ce peut être Cubana Airlines. Peu importe la compagnie d'aviation, on vous donne un escompte extraordinaire. Pourquoi? Parce que vous allez quitter le pays et que vous allez dépenser votre budget vacances à l'extérieur du Canada. Si vous promettez s'aller dépenser votre argent à l'extérieur du Canada, on vous donne ce tarif-là. Mais si vous voulez dépenser votre argent de vacances à l'intérieur du Canada, mes amis, vous allez payer le gros prix, plus les taxes. On ajoute dans cette publicité:
- Grâce à ce tarif (199 $), votre billet Inter-Canadien permet des changements à la réservation...
- contrairement à l'autre billet
- ...en tout temps et s'adapte parfaitement à l'horaire des vols nolisés. Les taxes sont en sus.
Le tableau 4, «Implications gouvernementales», qui figure à la page 35 de votre document, semble un peu complexe.
Dans ce tableau, vous voyez les mots «tarification sélective». C'est précisément ce dont nous venons de vous parler. La tarification sélective a trait au tarif vacances par rapport au tarif régulier.
Partout au Canada, les tarifs économie sont calculés selon la distance à parcourir et ne varient à peu près pas. Les tarifs économie de base des transporteurs aériens partout au Canada sont identiques.
Pour ce qui est du tarif passagers pour les destinations finales intérieures, prenons un exemple. Il en coûte aujourd'hui 721 $ pour un aller-retour Baie-Comeau - Montréal.
Quant au tarif passagers, destination vacances Baie-Comeau, si je promets à mon transporteur aérien que je vais sortir du Canada pour dépenser mon argent, il ne m'en coûtera que 252 $ pour un aller-retour.
Cela dit, nous nous sommes interrogés sur la raison de cette différence entre les tarifs. Nous avons compris que le réseau des transporteurs aériens faisait partie d'une intégration verticale globale entre les passagers canadiens et l'industrie touristique internationale, une industrie très florissante, comme les autres.
La particularité vient du fait que le passager, destination vacances, - vous voyez une flèche qui monte vers l'industrie touristique - dépense 16 milliards de dollars par année à l'extérieur du Canada. Ces 16 milliards de dollars représentent, en bonne partie, des forfaits, des hôtels, des déplacements, des restaurants. C'est ce qui intéresse désormais les transporteurs aériens.
Cependant, pour inciter les voyageurs canadiens à aller dépenser leurs dollars à l'extérieur du pays, quelqu'un doit payer. Ce quelqu'un, ce n'est pas le gouvernement du Canada, mais les passagers des régions.
Si vous le voulez, nous allons regarder les conséquences de ces pratiques. Dans le tableau, en haut à gauche, vous voyez l'évolution des dépenses hors pays des Canadiens depuis la déréglementation ainsi que l'évolution du déficit touristique. Vous verrez que, de 1984 à 1988, on parle plus spécifiquement de déficit touristique.
Ce déficit est passé de 2,1 milliards à 2,9 milliards de dollars, ce qui équivaut à 200 millions de dollars par année. De 1988 à 1993, ce déficit est passé de 2,9 milliards à 7,8 milliards de dollars, ce qui représente un accroissement annuel du déficit touristique de l'ordre de 1 milliard de dollars depuis que les transporteurs aériens ont mis au point ces pratiques tarifaires.
J'aimerais faire une petite parenthèse. La flèche qui part du passager, destination vacances, et qui va vers l'industrie touristique internationale représente le lien privilégié pour favoriser les dépenses hors pays des Canadiens.
On sait que les gens traversent la frontière américaine pour prendre des vacances plus près et que la majorité des Canadiens qui dépensent leur argent hors pays voyagent par la voie aérienne. C'est la raison pour laquelle on lie directement les résultats du déficit aux politiques tarifaires des transporteurs aériens. Dans un contexte comme celui-là, le gouvernement canadien a adopté des politiques protectionnistes au bénéfice des transporteurs à cause des difficultés financières qu'ils éprouvaient.
Ce comportement est tout à fait compréhensible, compte tenu du nombre d'emplois en cause. Le gouvernement canadien a le devoir de s'assurer qu'il n'y a pas de perte d'emplois importante dans ces entreprises.
Cependant, la vision gouvernementale s'est limitée strictement à la zone de protection. Vous voyez ici la zone de protection: c'est la zone d'intérêt du gouvernement canadien. Malheureusement, comme les usagers des transporteurs aériens ne peuvent pas facilement se faire entendre auprès du gouvernement canadien, ce qui se passe dans les régions est peu ou pas connu des décideurs, tout comme ce qui se passe de l'autre côté de l'industrie touristique internationale.
Il est important de bien noter que les conséquences de ceci dans les régions sont dramatiques, non seulement au niveau de l'achalandage des aéroports, mais aussi au niveau du développement de l'économie des régions, des déplacements de nos gens d'affaires entre les grands centres et les régions, qui sont réduits drastiquement, et du déplacement de la clientèle. Ces jeux tarifaires ont amené un déplacement systématique de la clientèle du passager affaires, du passager intérieur, qui a intérêt à développer l'économie canadienne, vers le passager vacances.
Depuis 1988, comme les statistiques le démontrent, l'aéroport de Montréal a vu ses passagers intérieurs, embarqués et débarqués, diminuer de 1 million et, pendant ce même temps, on a connu une augmentation de 700 000 passagers vacances allant vers des destinations internationales.
Cette substitution des passagers, on la vit aussi dans les régions. Cela nous amène au projet de loi C-101 et à l'implication gouvernementale. Vous constaterez dans le mémoire que le Regroupement des chambres de commerce régionales du Québec demande d'abord la mise en place d'une concurrence réelle au Canada, comme l'ont recommandé la Commission royale sur le transport des passagers au Canada et la Commission d'examen de la Loi sur les transports nationaux.
Nous insistons pour dire que la concurrence doit s'installer et que la situation actuelle est catastrophique pour les régions. Vous voyez le mot «subventions» au bas du tableau. Il s'agit des subventions aux passagers à destination finale intérieure au Canada et aux passagers vacances qui vont dépenser leur argent à l'extérieur du Canada. Ces subventions totalisent approximativement 780 millions de dollars.
Ce document - lequel n'est pas parfait - reprend essentiellement les chiffres présentés par l'Office national des transports. On nous dit qu'en 1994, 9 899 000 passagers, embarqués et débarqués, ont voyagé sur les vols intérieurs canadiens. De ce nombre, 5 millions, soit 55 p. 100 de l'ensemble des passagers, ont voyagé sur les 25 liaisons les plus achalandées.
Nous avons tout simplement pris les 25 destinations, le nombre de passagers, le nombre de milles par liaison et la tarification tarif économique par liaison. Nous avons appelé une agence de voyage, nous avons soustrait 55 p. 100 et nous avons pu établir, en extrapolant pour le 45 p. 100 résiduel, que les Canadiens qui empruntent toujours les mêmes itinéraires à l'intérieur du pays paient 1,5 milliard de dollars de plus par année en frais de déplacement que les Canadiens qui se déplacent, toujours à l'intérieur du pays en empruntant les mêmes itinéraires, mais vers une destination finale à l'extérieur du pays.
Pour résumer rapidement cette question, disons que 46 p. 100 des passagers, qui sont des passagers vacanciers, paient 24 p. 100 de la facture totale du transport aérien.
Pour nous, cette situation est dramatique. Nous considérons que les options protectionnistes avancées dans le projet de loi C-101 sont contraires aux intérêts économiques du Canada et que nos régions souffrent de cette situation.
Le ministre Douglas Young, à l'article 48 du projet de loi C-101, nous dit qu'il a l'intention d'accorder une assurance-survie ou la vie éternelle aux deux transporteurs tels que nous les connaissons. Cette décision est fondamentalement malsaine. Comme il le disait lui-même dans un discours, le 14 novembre, à Toronto, le protectionnisme engendre un plus grand protectionnisme et les coûts de ce protectionnisme sont énormes pour les gens des régions.
Quand le ministre ignore la Loi sur la concurrence et nous dit qu'il va fixer lui-même les tarifs et les fréquences de vol pour permettre aux transporteurs de survivre, c'est fondamentalement malsain pour l'économie.
Je puis vous assurer que dans nos régions, de nombreux transporteurs aériens de troisième niveau attendent depuis des années l'occasion d'offrir des services aux gens des régions. Nous considérons que la voie de l'avenir est la concurrence et que les transporteurs régionaux devraient avoir l'occasion d'accéder aux aéroports pivots qui sont actuellement contrôlés essentiellement par les deux transporteurs nationaux.
On ne peut plus vivre ce qu'on vit là. Les pratiques tarifaires des transporteurs aériens sont néfastes.
Le système que nous vous avons présenté tantôt, que nous appelons «système SSS» ou «super siphon sélecteur» de l'économie vacances des Canadiens, est dangereux et crée de nombreux problèmes.
Ceci m'amène aux recommandations. Le mémoire est particulièrement étoffé; malheureusement, je n'ai pas beaucoup de temps. On a beaucoup travaillé là-dessus. Je ne peux pas vous présenter tout cela rapidement. Cependant, je vais vous présenter les recommandations.
Premièrement, nous recommandons que la concurrence soit installée pleinement dans les transports aériens intérieurs pour empêcher toute position dominante d'un transporteur ou d'un nombre restreint de transporteurs sur les marchés régionaux.
Deuxièmement, nous recommandons que le ministre des Transports prenne les mesures nécessaires pour rétablir l'équité tarifaire à l'endroit des Canadiens, plus particulièrement les Canadiens qui se déplacent pour des raisons essentielles à l'intérieur du Canada. Si cette chose est impossible, nous recommandons que le gouvernement canadien invite carrément des transporteurs étrangers à détenir et exploiter des licences de transport intérieur au Canada. Il n'y a pas de scandale là. Wal-Mart est installé partout au Canada, de même que Sears. Des compagnies américaines, il y en a partout. Ce sont de bons partenaires des Canadiens et nous considérons que dans le transport aérien, il est essentiel qu'ils s'installent pour briser le duopole et permettre une vraie concurrence.
Aux États-Unis, des transporteurs s'intéressent particulièrement à la clientèle d'affaires et offrent des tarifs réduits et intéressants à la clientèle d'affaires, alors que d'autres s'intéressent plus particulièrement à la clientèle vacancière.
On sait aussi que le duopole a été cassé lorsque le gouvernement américain a constaté que sept des plus importants transporteurs américains fixaient les prix ensemble. On sait que ceci s'est réglé hors cour pour 500 millions de dollars et qu'aujourd'hui, la concurrence existe aux États-Unis. Au Canada, malheureusement, le duopole est protégé par le gouvernement canadien. Dans le contexte actuel, il est inimaginable que le gouvernement canadien pose un geste de nature à installer une véritable concurrence. La loi ne le permet pas.
La Loi sur la concurrence considère comme légal le parallélisme conscient qu'utilisent actuellement les transporteurs aériens au niveau aux prix qu'ils imposent et au niveau des politiques prédatrices lorsqu'il est question d'éliminer un concurrent éventuel: qu'on pense à Air Madeleine, dans l'Est, à Nationair ou à City Express. Ces comportements sont, je le répète, fondamentalement malsains pour nos économies régionales.
Nous aimerions aussi que le ministre permette un mécanisme d'écoute des citoyens usagers. Nous considérons qu'il n'est pas normal que les citoyens ne puissent s'exprimer que lorsqu'une loi concernant le transport aérien canadien est présentée au Parlement canadien. Nous souhaiterions que des mécanismes d'écoute équivalents aux mécanismes d'écoute des transporteurs aériens auprès du ministre soient mis en place de façon à ce que nous puissions aussi faire part aux décideurs et à nos élus des conséquences de leurs décisions dans les régions.
Lorsque la concurrence sera installée, lorsque la loi de l'offre et de la demande s'installera, les transporteurs jeunes et dynamiques pourront arriver sur le marché et s'intéresser véritablement aux citoyens passagers canadiens et non pas seulement à leur budget vacances pour l'exporter à l'extérieur du pays.
Nous recommandons que les transporteurs canadiens, considérant les représentations nombreuses et permanentes qu'ils font auprès du Comité des transports et du ministre concernant leurs difficultés financières, soient strictement soumis à une vérification complète de leurs opérations intérieures et que la comptabilité des opérations intérieures soit séparée de celle des opérations extérieures, sans quoi on s'expose à une mauvaise interprétation de la réalité.
Enfin, on demande que soit aboli l'article 48 du projet de loi, qui consiste essentiellement à accorder la vie éternelle aux transporteurs et à faire perdre aux aéroports régionaux leur clientèle.
Le ministre nous dit qu'on légifère pour protéger nos transporteurs et installer un environnement stable, parce que qu'il est important qu'ils soient dans un environnement stable. Dans ce contexte-là, on ne comprend pas ce qu'est un environnement stable, parce qu'à Baie-Comeau et dans toutes les régions du pays, les transporteurs n'ont pas de concurrence. Véritablement, ils n'en ont pas. Sauf sur 10 ou 12 lignes de liaison intérieure au Canada, sur lesquelles les affréteurs voyagent, il n'y a pas de concurrence. L'Office national des transports nous dit qu'il y a une concurrence féroce chez les transporteurs et pour nous le prouver, il nous montre les tarifs réduits. Monsieur le président, les tarifs réduits, ce sont les tarifs des vacanciers, qui donnent l'impression que les réductions sont fantastiques, alors qu'en réalité, il y a deux tarifs utilisés au Canada, à part les tarifs vacances. Les deux tarifs principaux, ce sont le tarif économie et le tarif «trois jours à l'avance». Si vous réservez trois jours à l'avance, on vous accorde un escompte de 15 p. 100.
Ce sont les deux principaux tarifs utilisés, à part le tarif d'affaires. Des réductions pour les gens d'affaires, des réductions pour les gens qui développent l'économie du pays, il n'y en a pas. Les vraies réductions, ce sont les vacanciers qui les ont. Il est important de briser ce mythe voulant qu'il y ait une concurrence féroce au Canada.
Finalement, comme je vous l'expliquais au début de ma présentation, la récession interminable dont parle l'Office national des transports dans ses examens annuels est un autre mythe que nous ne percevons pas du tout dans nos régions. Si on est en récession, comment se fait-il que les dépenses des Canadiens à l'extérieur du pays soient passées de 9 milliards à 16 milliards de dollars? Dans un pays en récession, les citoyens restent chez eux!
Il est important que la concurrence soit installée, monsieur le président. C'est essentiel.
C'était le but de notre démarche. On a fait pratiquement tout le tour du dossier. Malheureusement, on n'a pas beaucoup de temps pour le présenter aujourd'hui. Si vous avez des questions à nous poser, nous serons heureux d'y répondre. Je vous remercie.
[Traduction]
Le vice-président (M. Comuzzi): Merci, monsieur Breton. Votre mémoire est très complet.
M. Breton: Merci.
Le vice-président (M. Comuzzi): Auriez-vous une autre information utile : le chiffre d'affaires de chacune des deux compagnies aériennes, en ce qui concerne le trafic à l'intérieur du Canada et le trafic international? Auriez-vous cela, par hasard?
M. Breton: Non. Nous nous sommes surtout intéressés au trafic intérieur, puisque c'est cela notre problème. Pour ce qui est du trafic extérieur, il est clair que la compétition est très vive à l'étranger. Selon nos informations, l'accord Ciels ouverts cause de très sérieuses difficultés aux deux transporteurs canadiens qui n'ont manifestement pas l'habitude de la concurrence. Ils ne l'ont jamais connue au Canada.
Les problèmes qu'ils connaissent actuellement viennent tout juste de se manifester par deux hausses tarifaires de 3% en trois mois et ce, trois mois à peine après l'entrée en vigueur de l'accord. Et je crains que ce ne soit qu'un début.
Le vice-président (M. Comuzzi): Merci.
Mon ami, avez-vous une question à poser?
[Français]
M. Mercier (Blainville - Deux-Montagnes): Monsieur le président, j'ai trouvé ce mémoire tout à fait remarquable et très étoffé. Les questions que j'ai à poser visent simplement à obtenir des confirmations ou bien un complément d'information.
Monsieur Breton, vous dites que la réduction de l'achalandage est due à l'augmentation des tarifs, laquelle augmentation est très supérieure à celle de l'inflation.
D'autre part, vous dites que la récession n'a pas joué. A priori, on pourrait croire que la récession et l'augmentation des tarifs ont toutes les deux joué. Sur quoi vous basez-vous pour affirmer que seule l'augmentation des tarifs a joué, alors que, d'une façon générale, les consommateurs ont réduit leurs dépenses pendant la récession?
M. Breton: Premièrement, nous considérons qu'il n'y pas eu, au Canada, une récession qui a duré de 1988 à 1995. Deuxièmement, nous savons, par les chiffres dont je vous ai parlé tantôt, que les dépenses de vacances des Canadiens ont augmenté sensiblement depuis ce temps. Je répète que la différentiation des prix, ce qu'on appelle le super siphon sélectif, est la base de toute la politique tarifaire des deux transporteurs canadiens.
Ils ont exactement la même politique et ils se comportent exactement de la même façon. Lorsqu'on aura compris le principe du super siphon sélectif des dépenses des Canadiens en dehors du pays, on comprendra que l'intérêt des Canadiens est de se serrer les coudes, de s'organiser pour avoir de la vraie concurrence et de s'assurer que l'économie se développe au lieu de s'écraser, comme c'est la situation présentement.
On représente des gens d'affaires de toutes les régions du Québec. Ces gens-là ne voyagent à peu près plus. Si vous vous référez au rapport de la Commission d'examen de la Loi sur les transports nationaux, vous verrez que les gens l'ont dit carrément: Nous n'utilisons à peu près plus le transport aérien ou nous l'utilisons de moins en moins, car il n'est plus abordable.
Qu'est-ce qu'on fait? On reste chez soi. On n'échange plus avec les grands centres. On ne va plus acheter à Montréal. On se contente de ses petites affaires. On ne développe plus de liens avec nos grands centres. On reste chez soi. Est-ce que vous payeriez 721 $ pour venir de Montréal à Baie-Comeau faire des affaires demain matin, ou 975 $, comme on vient de payer pour venir ici? C'est complètement ridicule! Au moins, qu'on rétablisse l'équité tarifaire.
On sait qu'il y a de nombreux problèmes. Pensez seulement aux systèmes de points bonis. Cela coûte de l'argent. C'est très coûteux. À quoi servent ces points bonis? En venant ici ce matin, je lisais dans une revue: «Points bonis. Allez acheter à tel endroit et on va vous donner 1 $ par achat; si vous achetez avec telle carte de crédit, on vous donne un air mile pour chaque dollar d'achat que vous faites.»
Quel est l'objectif de cette politique? Est-ce de la bonne volonté, simplement pour faire plaisir au client, ou si on ne dit pas plutôt: Écoutez, on veut votre argent et on va l'avoir. On va vous payer le billet d'avion. On vous le donne, le billet d'avion. Vous aurez des air miles. Vous avez de l'argent. Vous êtes capable de vous payer l'avion. Vous êtes un homme d'affaires. Vous allez amasser vos points bonis et votre magot pour vos dépenses de vacances, vous allez le prendre et le dépenser gratuitement. Vous allez prendre l'avion gratuitement et vous irez le dépenser en dehors du pays.
Qui prône cette logique-là? Où est le bon sens? Il n'est pas dans la situation actuelle. On ne favorise pas l'avenir, à mon avis.
M. Mercier: Je dois dire que j'aurai peut-être parfois l'occasion et la possibilité financière d'aller à Paris, mais pas à Baie-Comeau.
M. Breton: On se comprend très bien, monsieur.
M. Mercier: Je voudrais que vous m'expliquiez pourquoi les compagnies ont intérêt à favoriser le transport vers le Sud, en dehors du Canada, plutôt que le transport intérieur. Si elles le font, c'est dans leur intérêt. Comment se fait-il que ce soit dans leur intérêt?
M. Breton: Leur intérêt est simple. Les transporteurs aériens vivent des commissions ou des primes que leur offrent les grandes industries. Si vous partez d'ici pour aller à Cuba ou au Venezuela, vous aurez votre billet d'avion, mais vous aurez aussi, dans votre forfait, l'hébergement, les repas, certains avantages; au lieu de payer 200 $, vous payerez 2 000 $. Le transporteur fera peut-être 10 p. 100 sur 2 000 $ au lieu de faire 10 p. 100 sur 200 $. L'idée est là, probablement.
Je ne peux pas m'avancer beaucoup plus, mais il est clair que les liens des transporteurs avec l'industrie internationale sont énormes. On aurait pu en parler longuement, mais ce n'était pas l'objet de notre mémoire. L'objet de notre mémoire, c'est de dire que c'est devenu invivable dans les régions, qu'on doit être entendus et que le ministre doit trouver les moyens pour qu'on soit entendus. C'est la quatrième fois qu'on présente un mémoire à ce sujet.
M. Mercier: C'est très intéressant. Est-ce que vous demandez plus de concurrence? Est-ce que vous avez évalué les conséquences possibles sur le marché du travail d'une concurrence accrue? Les conséquences seraient-elles positives ou négatives?
M. Breton: Elles sont très faciles à voir.
Si la concurrence s'accroît, certains grands transporteurs devront très possiblement scinder leurs exploitations et repenser leurs opérations. Il est clair que le million de passagers qui a été perdu à Montréal et probablement les 2 millions qui ont été perdus à Toronto ont fait diminuer le nombre d'emplois dans le domaine du transport aérien intérieur. Ces emplois-là seront rétablis, de nouvelles compagnies vont s'installer et finalement, l'industrie aérienne canadienne sera une industrie dynamique, capable de se développer et d'offrir aux Canadiens les services auxquels ils ont droit, et non pas une industrie complètement déphasée par rapport à la réalité et pour laquelle la seule réalité est le système SSS. Tout ce qui les intéresse, c'est leur super siphon sélectif qui sert à aller chercher le maximum d'argent chez les passagers à destination finale intérieure pour en donner le plus possible aux passagers qui sortent du Canada et dépensent leur argent ailleurs, comme les air miles et toutes ces choses-là. Tout est pensé dans ce sens-là.
Je comprends très bien que ce que je vous explique peut sembler étrange. C'est quelque chose qui n'a peut-être jamais été présenté ici. Je comprends bien cela. Il n'est pas facile de changer une telle chose, et je sais que cela ne se fera pas aujourd'hui.
[Traduction]
Le vice-président (M. Comuzzi): Merci, monsieur Mercier. Vos questions étaient excellentes, tout comme les réponses. Et les questions étaient beaucoup plus courtes que les réponses.
Monsieur Gouk.
M. Gouk (Kootenay-Ouest - Revelstoke): Merci, monsieur le président.
Messieurs, j'aimerais commencer par vous faire une suggestion. Croyez bien que ce n'est pas une critique mais seulement une suggestion. Bien que vous n'y soyez pas obligés, nous aimerions beaucoup que vous nous remettiez vos mémoires dans les deux langues officielles.
Le vice-président (M. Comuzzi): Nous avons pris des dispositions pour les faire traduire.
M. Gouk: Je sais bien, monsieur le président.
Cela dit, si vous ne pouvez pas fournir vos mémoires dans les deux langues, je crois qu'il serait dans votre intérêt de nous les remettre un peu plus tôt pour que nous ayons le temps de les faire traduire. Hélas, bon nombre d'entre nous sommes dans l'impossibilité de travailler avec votre document.
M. Breton: Je comprends bien le problème, monsieur Gouk, mais il se trouve que nous n'avons été convoqués que jeudi dernier et qu'il n'y a pas de traducteur à Baie-Comeau. Et j'ajoute que nous avons passé au moins quatre nuits blanches rien que pour préparer notre texte en français. Nous ne l'avons terminé qu'hier soir. Il nous aurait fallu quatre jours de plus pour le produire en anglais.
M. Gouk: Je sais bien que ce n'est pas toujours possible mais je me demande si vous ne pourriez pas -
M. Breton: Je comprends très bien.
M. Gouk: - vous arranger pour que nous ayons le temps de faire traduire votre mémoire, étant donné qu'il y aura longtemps que vous serez parti lorsque je recevrai la version anglaise.
M. Breton: C'est avec grand plaisir que je répondrai à toutes vos questions, à n'importe quel moment.
M. Gouk: J'ai travaillé dans l'industrie de l'aviation pendant près de 23 ans, mais pas pour des compagnies aériennes, et je sais parfaitement que le trafic a baissé partout, pas seulement dans votre région mais dans tout le Canada.
En Colombie-Britannique,le système de navigation aérienne était très occupé avec le trafic de collectivités telles que Penticton, Kamloops et Castlegar, ce qui avait exigé non seulement la construction de tours de contrôle, mais aussi la rénovation de ces dernières au bout d'un certain temps pour faire face à l'accroissement des besoins. Je parle ici de la période allant de 1960 à 1970. Pourtant, en 1990, toutes ces tours de contrôle étaient fermées parce que le trafic avait tellement chuté.
De fait, il suffit d'examiner les activités de certains comités parlementaires pour trouver l'explication de cette chute. Aujourd'hui, au lieu de prendre l'avion pour aller recueillir des témoignages un peu n'importe où au sujet d'un peu n'importe quoi, les comités ont plutôt recours aux téléconférences. Et c'est une méthode qu'utilisent de plus en plus les gens d'affaires car elle leur permet de réduire non seulement leurs dépenses de voyage mais aussi leurs frais généraux concernant l'accueil des clients, l'administration des bureaux, etc. Contrairement à ce que vous dites, la plupart des gens croient qu'il y a eu en fait une récession.
J'aimerais avoir des précisions sur plusieurs choses. Vous avez parlé de l'article 48, et je suppose qu'il s'agit de l'article 48 de la Loi. J'ai cependant du mal à saisir votre préoccupation à ce sujet car il porte essentiellement, et même uniquement, sur l'intervention du ministre en cas de perturbation grave du service à cause d'une urgence quelconque autre qu'une grève nationale. Mais, si une entreprise est sur le point de fermer ses portes, en quoi cela peut-il vous préoccuper?
M. Mercier: Le problème vient d'abord du fait qu'il n'y a dans le projet de loi aucune définition de l'expression perturbations extraordinaires.
.1630
Selon nos informations, et considérant l'expérience acquise, le ministre souhaite établir un environnement stable pour les transporteurs aériens. D'après nous, cependant, la réalité est que, sous prétexte d'instaurer un environnement plus stable, le ministre veut surtout éviter que les transporteurs ne connaissent des difficultés financières.
Autrement dit, notre interprétation de cet article est que, s'il y a demain un problème avec Canadien International, parce qu'elle n'a plus assez d'argent, le ministre interviendra pour faire exactement la même chose que ce qu'avait fait le ministre des Finances en juin 1994 avec le projet de loi C-32. Il dira que les gens des régions éloignées, de Baie-Comeau, de Val d'Or ou de Penticton, devront payer plus cher parce que ce sont des passagers captifs. Il décidera donc demain que le tarif entre Baie-Comeau et Montréal passera de 721$ à 900$ pendant 3 mois, c'est-à-dire assez longtemps pour que ces gens-là puissent trouver de l'argent. Il pourrait aussi décider de ramener le nombre de liaisons quotidiennes de quatre à une.
Vous voyez le problème? Pour nous, c'est parfaitement clair, et c'est ce qu'il a écrit. Il a dit que sa politique en matière de trafic international, de transport aérien... il a dit qu'il veut créer un environnement plus stable pour nos transporteurs aériens. Mais, dans notre esprit, un environnement plus stable ne peut être que la mort car il ne saurait être plus stable qu'aujourd'hui : il n'y a pas de concurrence! Ce sont les mêmes tarifs, tout est pareil. Il n'y a aucune différence entre les deux transporteurs, à part le nom. Ils font la même chose, ils payent les mêmes prix, ils ont les mêmes tarifs, et ils tuent les mêmes gens qui les embêtent - je veux parler de la concurrence.
Le vice-président (M. Comuzzi): Merci, monsieur Breton.
Votre temps de parole est écoulé, monsieur Gouk.
M. Gouk: Avec quel système horaire travaillez-vous?
Le vice-président (M. Comuzzi): Avec l'heure normale de l'Est.
M. Gouk: Voilà sans doute le problème, car nous sommes encore à l'heure avancée.
Le vice-président (M. Comuzzi): Je vais devoir demander aux députés du Parti Libéral de ne pas poser de questions. Vous savez que notre programme a été complètement chamboulé aujourd'hui. J'espère que vous n'allez pas me le reprocher.
M. Hubbard (Miramichi): Pourquoi pas?
Le vice-président (M. Comuzzi): Ne vous gênez pas, accusez le président.
Nous avons un autre groupe de témoins qui doit prendre un avion à 17 heures, et je suis sûr que vous voudrez les entendre. Il y a également le groupe qui devait témoigner à 15h30 et que nous entendrons après le groupe de 16h30.
Je ne veux pas vous couper la parole, monsieur Breton,mais je crois que nous avons reçu votre message 5 sur 5. Je serai heureux de vous entendre à nouveau lorsque le débat se poursuivra dans une autre tribune. J'ai toujours pensé que les Canadiens, quelle que soit leur province d'origine, devraient comparer attentivement ce que leur coûtent les voyages à l'intérieur du pays par rapport aux voyages à l'extérieur. Votre mémoire contient beaucoup d'informations de qualité qui sont utiles pour faire cette comparaison, et j'aimerais donc beaucoup pouvoir poursuivre cette conversation avec vous, une autre fois. J'espère que vous ne serez pas vexé que nous arrêtions maintenant.
M. Breton: C'est avec grand plaisir que nous vous rencontrerons à nouveau pour discuter de cette question, à n'importe quel moment, monsieur le président.
Le vice-président (M. Comuzzi):Je vous remercie beaucoup, ainsi que vos collègues.
Notre dernier groupe de témoins est celui de la Alliance of Tribal Nations. Je souhaite la bienvenue au chef Bob Pasco, au Chef Wilfred Campbell, tous les deux de la Bande Boothroyd. Veuillez m'excuser, il n'est pas là? Je souhaite la bienvenue au chef Herman Philips, de la Bande Boston Bar. Je crois qu'il manque quelqu'un. Chef Pasco, voudriez-vous présenter les autres personnes qui vous accompagnent?
Le Chef Bob Pasco (Oregon Jack Creek Band, Alliance of Tribal Nations): Oui, monsieur le président. Vous avez à mon extrême droite, le chef Steven Point, de la Nation Sto:lo. À côté de lui se trouve le chef David Walkem, de la Nation Nlaka'pamux. À ma gauche, Mathieu Pasco, de la Nation Nlaka'pamux, et Herman Philips, de la Nation Nlaka'pamux. Quant à moi, je suis le chef Bob Pasco, de la Nation Nlaka'pamux.
Le vice-président (M. Comuzzi): Je crois comprendre, chef Pasco, que vous avez un vol à 17 heures. La procédure normale est de vous donner le temps nécessaire pour faire votre exposé, après quoi nous vous poserons des questions.
Le chef B. Pasco: Certains d'entre nous partiront pour prendre leur vol de 17 heures, mais le chef Walkem et le chef Steven Point resteront pour répondre aux questions.
Monsieur le président, membres du comité, nous sommes très heureux de pouvoir nous adresser à vous aujourd'hui au sujet de certaines préoccupations des populations autochtones de la Colombie-Britannique. Je veux parler des mesures que prend le gouvernement au sujet de la privatisation des chemins de fer. Nous avons déjà participé à plusieurs réunions aujourd'hui, à Ottawa, et nous croyons qu'il y a déjà eu une certaine évolution positive dans certains domaines, ce dont nous pourrons parler un peu plus tard.
Je voudrais commencer par vous présenter la Alliance of Tribal Nations. Il s'agit d'un regroupement de 36 bandes indiennes de trois nations distinctes ayant trois langues différentes et, certainement, des cultures différentes. La plupart d'entre nous résidons le long du fleuve. Nos collectivités sont toutes établies à proximité des rivières et, dans la plupart des cas, la voie de chemin de fer passe sur nos territoires. Si vous connaissez les régions du fleuve Fraser et de la rivière Thompson, vous savez fort bien qu'elles sont traversées par la voie ferrée, ce qui peut causer beaucoup de complications.
Notre principal souci est que la privatisation n'ait aucune incidence négative sur nos nations. Nous avons préparé un document traitant du projet de loi C-89, Loi sur la commercialisation du CN, et du projet de loi C-101, Loi sur les transports au Canada. Nous aimerions avoir notre mot à dire sur ces deux projets de loi, afin de minimiser le plus possible leur incidence sur nos collectivités. Vous trouverez également dans notre mémoire une analyse des facteurs à prendre en considération au sujet de nos droits.
Faisons un bref historique du CN et du CP. Vous savez que les deux voies ferrées traversent nos collectivités qui, comme je l'ai dit plus tôt, sont proches du fleuve. Il est bien évident que cela a des conséquences pour nos collectivités. Au cours des années, nous avons tenté d'y remédier, de manière variable. Aujourd'hui, nous pensons qu'il est essentiel d'établir un processus permettant d'atténuer les conséquences négatives éventuelles de la vente du CN, avant que celle-ci ne soit faite.
Si vous connaissez le canyon Fraser et la région environnante, vous savez qu'il y a là-bas une collectivité qui s'appelle Hell's Gate, juste à la sortie du territoire de Herman Philips. Vous savez peut-être qu'il y a eu là-bas en 1913, 1914 un glissement de terrain qui a profondément endommagé notre pêcherie. Quand je dis «notre pêcherie», je veux parler de tous les gens qui pratiquent la pêche dans le fleuve Fraser. Tous ont été touchés.
Pour en revenir au contexte historique, on avait envisagé au début des années 1980 de doubler la voie du CN. À l'époque, nous avions rencontré les ministres responsables de ce projet ainsi que le président du CN pour leur communiquer notre avis et nos préoccupations.
Nous avions également témoigné devant divers comités permanents, qui nous avaient fort bien accueillis. En fin de compte, cependant, nous avons dû nous retrouver devant les tribunaux. Nous avions demandé une injonction contre le CN. Il s'agit de l'affaire Pasco et al. c. CN et al., dont vous avez peut-être entendu parler. L'injonction que nous avons obtenue à l'époque est encore en vigueur aujourd'hui.
Comme je l'ai déjà dit, nous avons encore des griefs concernant les questions juridiques et l'évolution de la situation. Au moment où nous avions des problèmes avec le CN, au sujet du doublement de la voie, le gouvernement avait dit que le processus envisagé permettrait de régler ces questions dans le contexte des revendications particulières. Cela n'a pas été le cas puisque tout le processus des revendications particulières s'est avéré inefficace. Dix ans après, nous en sommes toujours au même point, bien que le gouvernement ait pris l'engagement, à l'époque, que ces questions seraient réglées. Rien ne l'a été.
Pour ce qui est de la privatisation, nous pensons que nous devrions être beaucoup mieux consultés et pris en considération, sinon nous devrons formuler d'autres griefs plus tard. Nous pensons que votre comité pourrait certainement nous aider dans ce domaine.
Il y a certaines questions d'ordre juridique qui n'ont pas été réglées. Je vais les exposer rapidement, puisque vous avez reçu un exemplaire de notre mémoire. L'une des choses qui nous posent problème est qu'il y a certaines terres qui ne sont utilisées ni par le CP ni par le CN. Or, on nous fait des difficultés pour nous les rendre. Bien que la question ait été clairement définie, le gouvernement ne bouge pas. Je parle ici de l'affaire Kruger.
L'autre question importante concerne nos pouvoirs de taxation, étant donné qu'il y a eu un jugement entérinant le pouvoir des collectivités autochtones de percevoir des taxes.
Voilà certaines des questions qu'il faudrait régler avant la privatisation. C'est à ce sujet que nous vous demandons d'intervenir.
En bref, nous tentons activement d'obtenir trois recours juridiques concernant le CN. Je voudrais les mettre en relief, même s'ils sont clairement exposés dans notre mémoire.
Le premier concerne l'injonction provisoire bloquant le projet de doublement des voies, injonction qui est encore en vigueur. Par contre, ce qui n'a pas été réglé, c'est l'injonction permanente que nous avons demandée dans ce contexte, ainsi qu'une déclaration concernant nos droits ancestraux et nos droits sur les réserves.
Le deuxième concerne une poursuite qui a été intentée contre le CN par plusieurs bandes de l'Alliance sur la question de savoir si les emprises ferroviaires font toujours partie des réserves, du point de vue de nos pouvoirs de taxation.
Le troisième concerne les revendications particulières qui ont été formulées contre le Canada suite à la prise de possession de nos terres par le CN. Je dois dire que le CN est parfaitement au courant de toutes nos revendications juridiques.
Telles sont les questions auxquelles nous sommes confrontés. Nous essayons d'y trouver des solutions positives.
Pour ce qui est du projet de vente du CN, il nous parait indispensable de régler les questions pendantes entre les populations indiennes et le CN avant de passer à l'action. Il faudra en effet que tout candidat à l'achat du CN sache bien que les populations indiennes s'opposent vigoureusement à la commercialisation de la Société tant que ces questions n'auront pas été réglées.
Nous exigeons que nos revendications soient divulguées dans le prospectus qui sera distribué aux candidats éventuels à l'achat d'actions. Autrement dit, il faut que nos préoccupations soient prises en considération dans le calcul des coûts que les acheteurs devront assumer. Et il est bien préférable que cela se fasse avant plutôt qu'après.
Nous craignons que la vente du CN ne porte atteinte aux droits ancestraux entérinés dans la Constitution. Comme l'a confirmé la Cour Suprême du Canada, il existe entre les populations autochtones et la Couronne une relation de nature fiduciaire. En conséquence, avant de prendre quelque mesure que ce soit en matière de privatisation, la Couronne a le devoir de consulter les populations indiennes et de veiller à ce que leurs intérêts et droits soient protégés, et leurs griefs traditionnels, réglés.
Soyons parfaitement clairs. L'Alliance ne formule aucune objection de principe contre la vente du CN. À l'époque où l'on envisageait de doubler la voie, nous avions également clairement indiqué que nous n'exprimions aucune objection de principe contre ce projet. Celui-ci était nécessaire au pays pour assurer son progrès économique, et nous étions d'accord. Par contre, nous tenions à ce que nos droits soient respectés.
C'est la même chose aujourd'hui. Nous faisons face à un problème semblable.
Nous nous opposons à ce que l'on porte atteinte à nos droits. Nous critiquons le fait que le gouvernement et le CN ne nous aient pas consultés. Nous reprochons au gouvernement de n'avoir pris aucune mesure concrète pour assurer la protection de nos droits.
Jusqu'à une date récente, il n'y avait eu aucune consultation. Nous avons fait l'effort de venir jusqu'ici. De fait, c'est le ministre des Affaires indiennes et du Nord qui nous avait suggéré de le faire, ce qui était une recommandation positive, et nous vous remercions de nous avoir accueillis.
Considérant la responsabilité fiduciaire de la Couronne à l'égard des premières nations, notamment en ce qui concerne la protection des terres de nos réserves, nous tenons à obtenir l'assurance du Parlement sur les questions fondamentales ci-après, avant le transfert du CN à des intérêts privés: la garantie que nos intérêts à l'égard des emprises ferroviaires à l'intérieur des réserves seront protégées; la garantie que nos pouvoirs à l'égard des emprises ferroviaires seront préservés; la résolution de nos revendications issues de la prise de possession incorrecte de nos terres par le CN, et concernant son incidence négative sur nos terres, nos collectivités et nos pêcheries; et l'assurance que nos droits ancestraux, entérinés dans la Loi constitutionnelle de 1982, ne feront l'objet d'aucune abrogation ni dérogation.
Le gouvernement devrait être tenu de modifier la Loi sur les Indiens ainsi que la loi actuelle du CN - s'il y a lieu - pour régler les problèmes issus de la manière dont les emprises ferroviaires ont été imposées sur les terres de nos réserves.
Nous recommandons que l'article 35 de la Loi sur les Indiens concernant les terres prises dans l'intérêt public soit modifié pour se lire comme suit:
- (5) Toute prise de possession ou utilisation de terres des réserves ou d'un intérêt quelconque à
l'égard de ces dernières, conformément à cet article, sera censée ne pas avoir éteint l'intérêt de
la bande à l'égard de ces terres, et la juridiction de la bande à l'égard de ces terres pourra
continuer d'être exercée d'une manière qui ne soit pas contraire à l'utilisation des terres par une
province, une autorité ou une société mentionnée au paragraphe (1).
Finalement, le gouvernement doit prendre l'engagement de collaborer avec nous pour créer une commission spéciale dont le mandat sera de régler toutes les revendications pendantes des premières nations contre le CN et la Couronne.
En résumé et en conclusion, l'histoire se répètera malheureusement si les droits des premières nations sont encore une fois bafoués au profit de l'enthousiasme suscité par le progrès du chemin de fer. Les différends relatifs à la pérennité des droits des premières nations sur les emprises ferroviaires des terres des réserves, ainsi que nos revendications contre le CN, devront absolument être réglés avant d'apporter quelque modification que ce soit au régime de propriété du CN. Il importe de veiller à ce que la législation relative au CN ne porte aucun préjudice aux droits et intérêts existants des peuples autochtones. Votre comité devrait recommander que la loi de privatisation du CN n'entre pas en vigueur tant que nos griefs n'auront pas été réglés. Nous formulons dans notre mémoire des recommandations concrètes à ce sujet.
Nous savons que le train de la privatisation est en marche mais vous trouverez dans notre mémoire des recommandations utiles au sujet de nos préoccupations. Nous avons rencontré le député Joe Fontana, avec qui nous avons eu une discussion extrêmement positive. Nous sommes très heureux d'avoir pu le rencontrer avant de venir témoigner devant votre comité.
Il me semble important que le comité des transports se penche sérieusement sur nos recommandations. Nous estimons en effet que celles-ci pourraient être très efficaces pour régler les questions pendantes. Je rappelle que l'injonction est toujours en vigueur. Je ne sais pas quel effet elle risque d'avoir sur la vente du CN mais il nous semble qu'il serait positif d'essayer de régler cette question avant d'établir la valeur des actions qui seront mises en vente. Sinon, il est probable que le prix des actions ne correspondra pas à la valeur réelle de la Société.
Merci.
Le vice-président (M. Comuzzi): Avec votre autorisation, chef Pasco... Monsieur Mercier, vous vouliez intervenir?
[Français]
M. Mercier: Monsieur le président, c'est très intéressant, mais il me semble que la totalité de cet exposé concerne le C-89 plutôt que le C-101. Je n'ai donc pas de questions.
[Traduction]
Le vice-président (M. Comuzzi): Pour être juste, monsieur Gouk, puis-je donner la parole à mon collègue libéral, étant donné ce que nous avons dû faire avec le groupe précédent -
M. Gouk: À condition que vous en restiez à l'heure normale de l'Est.
Le vice-président (M. Comuzzi): La raison pour laquelle je veux donner la parole à M. Nault à ce sujet est qu'il a posé exactement la même question à M. Tellier hier.
M. Nault (Kenora - Rainy River): Pour l'information des témoins et des membres du comité, monsieur le président, je pourrais dire que j'ai posé cette question parce qu'elle concerne les peuples autochtones et que le passage du CN sur les réserves correspond exactement à la même situation qu'on connaît dans le nord de l'Ontario avec le Traité no 3. C'est exactement la même situation que nous ont présentée les témoins cet après-midi.
Avant de poser mes questions, je tiens à préciser que M. Tellier a pris certains engagements et nous a expliqué ce qui se passerait si certaines voies étaient abandonnées ou vendues. Il s'agissait de savoir si les voies abandonnées et n'étant plus utilisées pour le transport ferroviaire seraient rendues à la Couronne. M. Tellier nous a donné l'assurance que la propriété en retournerait aux premières nations. C'est un problème que les collectivités du nord de l'Ontario que je représente avaient porté à mon attention.
L'autre question concerne la responsabilité fiduciaire, que les terres concernées appartiennent à la Couronne, dans le cas présent par le truchement d'une société d'état, ou à des intérêts privés. Cela m'amène à la partie de votre mémoire intitulée «Historique de l'utilisation des réserves par le CP et le CN», où vous évoquez la situation de Hell's Gate en 1913-1914. À l'époque, le CN était évidemment une société privée. Si je ne me trompe, ce n'est devenu une société d'état qu'en 1922.
Ma question est la suivante: si la loi ayant autorisé le CN à construire une voie de chemin de fer sur les terres des réserves avant que la société ne devienne une société d'état - puisqu'elle appartenait à des intérêts privés à l'époque - cette loi autorisait évidemment les sociétés privées à construire des voies de chemin de fer... Votre argument est que le CN ne devrait pas être privatisé. Voici donc ma question: quelle différence y-a-t-il entre ce que l'on veut faire aujourd'hui et ce que l'on a fait lorsque le CN a construit des voies ferrées sur les terres des réserves, à l'époque où c'était une société privée?
Le CN que nous connaissons aujourd'hui est issu de la fusion d'un certain nombre de sociétés en faillite que le gouvernement ne voulait pas voir disparaître. Celui-ci avait donc créé une société d'état regroupant toutes ces sociétés en faillite. En 1913-1914, la voie dont vous parlez, celle de Hell's Gate... Je ne sais pas de quelle société il s'agissait à l'époque mais c'était sans doute une société privée puisqu'il n'y avait pas de société ferroviaire d'État en 1913-1914.
Le vice-président (M. Comuzzi): Si l'on veut être exact, il faut savoir que le CN a été constitué en 1919. Il y avait antérieurement une société qui avait précédé les quatre sociétés en faillite que l'on a intégrées au CN an 1979. Je ne sais plus comment elles s'appelaient à l'époque. Quelqu'un le sait-il?
M. Nault: Je ne le sais pas non plus, Joe. C'était bien avant mon temps, tout ça. C'était peut-être à votre époque mais ce n'était pas à la nôtre.
Les témoins sont-ils prêts à convenir avec moi que la responsabilité fiduciaire de régler le tort causé aux populations autochtones appartient toujours à l'État, quel que soit le propriétaire du CN? Je veux dire par là que le gouvernement devrait régler les problèmes causés par le passage des voies ferrées sur vos terres, que ce soit en ayant recours à la politique des revendications particulières ou à d'autres méthodes, voire à la constitution d'un groupe de travail sur les revendications spéciales. Voilà ma question, chef Pasco, parce qu'il me semble que le problème est toujours le même, puisqu'il s'agissait d'une société privée autrefois et qu'il s'agit d'une société privée aujourd'hui: qui a la responsabilité fiduciaire de régler les torts causés?
Le chef B. Pasco: Je comprends votre question mais je ne vais pas essayer d'y répondre parce que je ne suis pas juriste. Je laisse à Steven le soin de le faire.
M. Nault: Moi non plus. Nous sommes dans la même situation.
Le chef Steven Point (Skowkale Band, Alliance of Tribal Nations): Très bien, ce sera moi l'expert.
L'obligation fiduciaire découle évidemment de la Constitution. Lorsque la Couronne a pris possession des biens privés, je suppose qu'elle a également assumé le passif de la Société.
L'obligation fiduciaire de la Couronne aujourd'hui découle du fait que c'est elle qui possède la Société. Elle en possède toutes les actions. Lorsqu'elle les aura vendues à des intérêts privés, nous serons évidemment confrontés à un nouveau problème dans la mesure où nous devrons traiter avec un nouveau propriétaire. Traiter avec l'État est beaucoup plus simple. Vous êtes tous ici, nous pouvons venir vous parler et nous savons qui vous êtes. Lorsque la Société aura été privatisée, la situation changera complètement.
Le problème juridique qui se posera alors sera de savoir si l'obligation fiduciaire persiste après la privatisation. Le problème que nous avons avec le processus des traités en Colombie-Britannique est que les intérêts privés, la propriété privée et les intérêts de tierces parties font actuellement l'objet de discussions au niveau politique, les premières nations de la province ayant pris comme position que les intérêts des tierces parties ne devraient pas faire l'objet de négociations.
Si toutes ces terres sont soustraites au processus de négociation, parce que les obligations fiduciaires seraient éteintes lors du transfert de propriété, nous nous retrouverions Gros-Jean comme devant et tous les griefs que nous avons formulés depuis l'affaire du doublement des voies, il y a dix ans, ne seraient jamais réglés.
Nous n'avons pas l'intention de nous retrouver dans cette situation. Si nous devons intenter des poursuites à ce sujet et que le juge nous demande ce que nous avons fait lorsqu'on a voulu changer le régime de propriété de la Société, nous pourrons lui dire que nous sommes venus vous en parler. Nous pourrons lui dire que nous sommes intervenus et que nous avons réclamé la protection de nos droits avant le changement de propriétaire. Nous lui dirons que nous sommes venus vous dire que vous avez des devoirs à l'égard des peuples autochtones, que vous avez construit vos voies sur notre territoire traditionnel, territoire où les droits ancestraux, aujourd'hui reconnus par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, ne sont pas éteints.
Nos revendications particulières à l'égard des terres des réserves qui ont été établies par des gouvernements comme le vôtre n'ont pas été réglées. Nous avons toujours des griefs en instance et, comme nous le disons dans notre mémoire, il vous appartient de vous en occuper. Tous nos griefs, allant des emprises ferroviaires jusqu'à la profanation de nos cimetières et à la destruction de nos pêcheries, sont des griefs que vous devrez régler. Nous ne sommes pas prêts à en traiter avec un nouveau propriétaire.
Je comprends bien que le CN sera probablement géré par les mêmes personnes, mais il s'agit ici d'un problème juridique puisque c'est le gouvernement fédéral qui possède aujourd'hui les actions. Or, si je comprends bien, c'est lui qui nomme les administrateurs.
Notre argument est que vous avez la possibilité de régler ces questions avant d'adopter le projet de loi C-101. Lisez les articles 97 et 98, concernant les terres. Voyez s'il ne serait pas possible de les modifier pour faire en sorte que les autochtones ne soient pas une nouvelle fois laissés pour compte.
Voyez le prospectus du CN et demandez-vous si on ne pourrait pas aller au-delà d'une simple promesse du président actuel de la Société que les terres seront rendues aux autochtones. Voyez le protocole d'entente entre le CN et le ministère des Transports et demandez-vous s'il ne serait pas possible d'y ajouter un paragraphe nous donnant des assurances quant à nos droits.
Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à être touchés par cela. Chaque fois que la Commission est venue nous voir pour trouver des terres afin de construire cette voie ferrée, elle s'est adressée à la commission de la réserve et a pris des terres des autochtones. Nos intérêts en la matière sont énormes et c'est pourquoi cette obligation fiduciaire est primordiale. Je suis heureux que vous ayez soulevé la question.
M. Nault: Puis-je poser une autre question, monsieur le président?
Le vice-président (M. Comuzzi): Pourrais-je vous redonner la parole plus tard? C'est le tour de M. Gouk et le temps risque de nous manquer.
M. Gouk: Je serai bref.
Tout d'abord, chef Pasco, monsieur Mercier a raison de dire que la plupart des choses dont vous nous parlez concernent le projet de loi C-89, qui a déjà été adopté. Nous ne pouvons plus le modifier. C'est chose faite. Je comprends cependant votre préoccupation.
Pourriez-vous préciser quelque chose? Vous dites que vous n'aviez aucun problème avec le doublement des voies, s'il était nécessaire pour améliorer l'infrastructure. Vous vouliez simplement que le projet soit réalisé de manière plus juste. Pourriez-vous me dire, très rapidement, quelles solutions détaillées vous souhaitez?
Vous dites dans votre mémoire que, si les terres ne sont plus nécessaires pour le transport ferroviaire, elles devraient être rendues aux nations indiennes à qui on les a prises. À part cela, quel genre de correctif souhaitez-vous en attendant?
Le chef B. Pasco: Je ne sais pas. Dave ou Steven, voulez-vous répondre?
Le chef David Walkem (Cook's Ferry Band, Alliance of Tribal Nations): Il y a trois types de problèmes à régler. Le problème des droits, que l'on peut régler du point de vue législatif; celui des revendications particulières, bien que l'expression ne soit pas fameuse, qui est ce dont vous parlez ici; et enfin le problème des activités courantes.
Monsieur Tellier nous a donné son engagement. Nous croyons qu'il serait possible de le faire confirmer, d'une manière ou d'une autre.
Il existe depuis une dizaine d'années le processus de la Commission des revendications particulières, qui a abouti à la présentation de 270 revendications, soit près de 60 par an. Or, 40 seulement ont été réglées. Le système ne marche donc pas du tout.
Certaines des questions en jeu concernent des choses comme la profanation de nos cimetières ou la scission de nos réserves. Chacune de mes réserves de la rivière Thompson est divisée, sinon en deux, du moins entre les terres longeant la rivière et les autres. Cela nous pose des problèmes d'accès. Le CN a des privilèges fonciers, ou il a en tous cas le droit de limiter notre utilisation des terres ou la manière dont nous pouvons les irriguer.
Il y a donc beaucoup de questions de ce genre qui restent pendantes. La carte des emprises ferroviaires du CN est très révélatrice. Les emprises ont une certaine largeur avant d'arriver aux réserves, puis, de l'autre côté, elles sont presque deux fois plus larges. Ensuite, lorsqu'on sort de la réserve, elles reviennent à leur taille normale. Voilà le genre de choses que nous voulons régler de manière très précise, et c'est ce que nous vous demandons.
M. Gouk: Je comprends. J'essaie de savoir ce que vous réclamez au sujet de ce projet de loi particulier.
Certaines des choses que vous avez soulevées peuvent être réglées. Par exemple, l'article 97 est un article que l'on pourrait envisager de modifier si l'on voulait vous donner l'assurance que les terres vous seraient rendues lorsqu'elles ne seront plus nécessaires.
Il faudrait que j'étudie le dossier d'un peu plus près pour me sentir tout à fait à l'aise avant de proposer ce genre de modification, mais c'est une solution que l'on pourrait envisager. Et votre revendication à cet égard ne semble pas dénuée de fondement.
Parlons maintenant des problèmes d'accès. Il existe une loi, dont j'ai pour l'instant oublié le numéro, qui porte précisément sur les droits d'accès lorsque les réserves sont scindées. Je devrai demander des précisions à ce sujet aux sociétés de chemin de fer mais je crois que cela pourrait être une solution à votre deuxième problème.
Il y en a par contre d'autres au sujet desquels je suis plus incertain. Je pense qu'ils mériteraient une étude plus poussée, mais probablement pas de notre comité. Je parle par exemple de l'élargissement des emprises sur les réserves. Quelle pouvait bien être la justification? Ce genre de question devrait probablement être réglé par un groupe différent de notre comité.
Le chef B. Pasco: À mon avis, l'une des choses que votre comité pourrait faire serait d'examiner ses possibilités d'intervention, puisqu'il connaît maintenant nos préoccupations. Vous pourriez vous demander quelles recommandations adresser au gouvernement pour résoudre ces problèmes. Je crois que c'est cela que nous vous demandons. Je ne sais pas si cela relève de votre mandat, mais c'est en tous cas notre préoccupation la plus sérieuse.
Mme Terrana (Vancouver-Est): Merci d'être venus ici. Je représente la circonscription de Vancouver Est qui englobe une importante collectivité autochtone, comme vous le savez.
J'ai représenté le ministre Irwin au comité consultatif sur la négociation des traités, ce qui a amené bon nombre d'autochtones à s'adresser à moi au sujet de leurs griefs. De fait, vous-même êtes venus me parler de vos problèmes parce que vous saviez que je faisais partie de ce comité des Transports et que j'étais associée à ce comité consultatif.
Je voudrais faire quelques remarques. Tout d'abord, lorsque le ministre est venu témoigner devant notre comité, je lui ai personnellement demandé quelles assurances auraient les autochtones avec ce projet de loi. Hélas, je crois que vous auriez dû commencer vos démarches plus tôt, lors du dépôt du projet de loi portant vente du CN. Cela aurait probablement été plus pertinent.
Quoiqu'il en soit, essayons de faire notre possible maintenant. Votre démarche d'aujourd'hui correspond à des recommandations qui m'avaient été également adressées.
Les articles 97 et 98 du projet de loi portent sur les terres de la Couronne. Vous le savez fort bien puisque Steve est avocat.
L'autre question concerne le règlement des différents fonciers en Colombie-Britannique. Voilà un autre mécanisme auquel vous avez accès pour régler cette situation. Si vous obteniez un règlement, le sort de ces terres se règlerait de lui-même. Comme vous participez actuellement à des négociations à ce sujet, je pense que cela pourrait porter fruit.
La dernière chose que je veux dire concerne le CN. Quand Paul Tellier s'est présenté devant nous, hier, je lui ai demandé quelle était la situation avec les peuples autochtones de la Colombie- Britannique. Il m'a dit qu'il vous avait rencontré.
Le chef B. Pasco: Oui.
Mme Terrana: Il m'a dit aussi qu'il avait désigné un de ses vice-présidents pour assurer la liaison avec vous. Je lui ai demandé si je pourrais rencontrer ce vice-président pour faire le point sur la situation.
À mon sens, cela constitue au moins un pas dans la bonne voie. Je le répète, l'une des questions qui se posent à l'heure actuelle en Colombie-Britannique concerne notre tentative de règlement des revendications foncières des autochtones. Participez-vous à des négociations avec le comité consultatif de négociation des traités?
Le chef B. Pasco: Les Sto:lo ont commencé, mais pas les Nl'aka'pamux.
Mme Terrana: Vous avez donc entamé le processus en six étapes?
Le chef B. Pasco: Les Shuswap n'ont pas commencé non plus.
Mme Terrana: Je ne sais plus qui négociait.
Le chef Point: Je voudrais apporter une précision importante. Je constate en effet une certaine confusion dans vos déclarations. Les terres que possède le CN en Colombie-Britannique ont évidemment été transférées à l'époque de la confédération, par le truchement d'ententes bilatérales entre le Canada et la province.
Je crois comprendre que ce ne sont pas des terres de la Couronne. Et leur cas ne sera donc pas réglé par le truchement du processus de négociation des traités. Nous avons toujours des revendications pendantes contre le gouvernement fédéral au sujet des dommages et intérêts et du titre de propriété, étant donné que le droit autochtone existant a maintenant été reconnu par l'arrêt Delgamuukw.
Nous sommes très intéressés - et je réponds ici à la question de l'autre député - par un processus permettant à ce gouvernement de régler nos griefs avant de mettre ces actions en vente pour privatiser le CN.
Les autochtones ont des griefs très anciens qui sont complexes et difficiles à résoudre, je le sais, mais le gouvernement a cette fois la chance de pouvoir traiter de questions bien précises, concernant certaines premières nations bien précises, et je suis sûr qu'il pourrait faire beaucoup pour favoriser l'harmonie dans notre province s'il essayait de résoudre ces questions.
M. Nault: Je voudrais demander à nouveau aux témoins s'ils conviennent que, quel que soit le sort ultime fait à cette compagnie de chemin de fer, tout le monde autour de cette table estime que la Couronne a la responsabilité fiduciaire de régler les torts du passé.
Que la compagnie appartienne ou non à une tierce partie, qu'elle appartienne ou non au gouvernement, la question est que certaines terres des réserves ont été données à des tierces parties lorsque la voie a été construite. En conséquence, la responsabilité fiduciaire de corriger ce grief est toujours intacte, n'est-ce pas? En tout cas, c'est ce que je pense.
En conséquence, que nous parlions du CP, société privée passant sur les terres des réserves, ou du CN, société d'état susceptible d'être privatisée, la situation est la même. La Couronne a toujours la responsabilité fiduciaire de régler ces griefs dans le cadre de la politique sur les revendications particulières.
Vous dites cependant que le processus des revendications particulières est tellement lent que nous risquons tous d'être partis depuis bien longtemps au moment où ces griefs seront réglés, à moins que l'on ait recours à un processus distinct ou que les pouvoirs publics n'aient la volonté de s'attaquer au problème en consacrant plus de ressources au règlement des revendications particulières. À mon avis, le vrai problème concernant la lenteur de ce processus est que les pouvoirs publics ne consacrent pas assez d'argent à la mise en oeuvre de la politique.
Le chef Point: Je voudrais cependant éclaircir un malentendu. Le processus des revendications particulières est certainement très lent mais, malgré cela, vous devez bien comprendre que le transfert de propriété du CN aura une incidence sur cette revendication.
M. Nault: Pourquoi?
Le chef Point: Je sais que, selon vous, ce transfert ne changera strictement rien à l'obligation fiduciaire. Si tel est le cas, dites-le dans le projet de loi. Précisez-le dans le texte et donnez-nous l'assurance que nous réclamons, car ces questions finiront bien par être réglées d'une manière ou d'une autre, probablement devant la Cour Suprême du Canada et pas devant une tribune comme celle-ci.
Le vice-président (M. Comuzzi): Monsieur Fontana.
M. Fontana (London-Est): Une question supplémentaire, monsieur le président. Steven a déjà parlé des articles 97 et 98 et, même si nous n'en sommes pas encore à l'étude du projet de loi article par article, je voudrais revenir sur la manière dont Bob interprète l'article 97. Je constate en effet que l'on y parle de cette obligation, même si on ne dit pas qu'il s'agit d'une obligation fiduciaire. On y parle des terres et des obligations de la Couronne.
Le vice-président (M. Comuzzi): Est-ce une question ou une déclaration, monsieur Fontana?
M. Fontana: Steven a demandé que l'on renforce les articles 97 et 98, et je me demande si lui ou ses collègues ont proposé des amendements à cet effet -
Le chef Point: Oui, je l'ai fait.
M. Fontana: Pourrais-je les voir?
Le vice-président (M. Comuzzi): Chef Point, pourriez-vous les déposer devant le comité?
Le chef Point: Oui, je vais le faire.
Le vice-président (M. Comuzzi): Monsieur le greffier, pourriez-vous les distribuer aux membres du comité?
Je tiens à remercier les chefs pour leur témoignage. Je sais que nous manquons de temps et que vous avez d'autres responsabilités, mais je vous remercie sincèrement d'être venus exposer votre point de vue. Comme vous avez pu le constater d'après les questions, il sera sérieusement pris en considération.
Je suis très heureux que vous soyez venus aujourd'hui car le problème dont vous avez parlé a été soulevé hier par le plus haut responsable du CN qui nous a dit qu'il avait mis sur pied un processus pour essayer d'aplanir les différences. Merci beaucoup.
Le chef B. Pasco: Merci.
Le vice-président (M. Comuzzi): J'invite maintenant à la table des témoins Laurie Beachell, du Conseil des Canadiens avec déficiences.
Le témoin suivant, à 17h30, sera M. Clément, de la Compagnie de transport du Nord Limitée. Pour le moment, ce sera le dernier témoin de la journée. Il y en aura peut-être un autre mais je ne sais pas s'il est arrivé.
Monsieur Beachell et monsieur Norman, je vous souhaite la bienvenue. Comme vous avez préparé un mémoire, vous pouvez le résumer ou faire ce que vous voulez.
M. Laurie Beachell (coordonnateur national, Conseil des Canadiens avec déficiences): Merci, monsieur le président. Si l'on nous donnait autant de latitude ailleurs, nous serions beaucoup plus heureux.
Le vice-président (M. Comuzzi): Je vous l'ai donnée, profitez-en.
M. Beachell: Le Conseil des Canadiens avec déficiences, est un organisme national de tutelle représentant les personnes handicapées. Les questions d'accès aux services de transport revêtent une importance cruciale pour notre organisation depuis sa création, il y a une vingtaine d'années. De fait, c'est à cause de problèmes de ce genre qu'elle a été créée.
Le siège social du Conseil se trouve à Winnipeg, son bureau aussi, et je suis l'un de ses employés. Eric Norman, de Gander, Terre-Neuve, est président de notre comité des transports.
Je vais exposer les points essentiels de notre mémoire, après quoi nous pourrons répondre à vos questions.
Comme je l'ai dit, l'accès aux services de transport est sans doute le problème le plus crucial pour nos membres car, sans accès à de bons services de transport, il leur est impossible d'avoir accès à l'emploi, à l'éducation et à la vie sociale. C'est donc une question primordiale et nous profitons de toutes les occasions possibles pour exprimer nos préoccupations à cet égard devant votre comité, aux députés fédéraux, aux députés provinciaux et aux municipalités, ainsi qu'aux transporteurs.
En ce qui concerne le projet de loi, nous estimons qu'il devrait y avoir dans sa partie déclarative un engagement beaucoup plus ferme à l'égard de normes d'accessibilité des systèmes de transport, pour veiller à ce que le réseau national réponde aux critères les plus élevés possibles de sécurité. Nous recommandons que l'on modifie le projet de loi en ce sens.
Nous recommandons aussi l'élimination du mot «abusif». On parle actuellement «d'obstacle abusif à la circulation des personnes, y compris les personnes ayant une déficience». Le recours à cet adjectif ouvre la porte à des interprétations très variables de ce que pourraient être des normes d'accès, ce qui n'est pas satisfaisant.
On trouve aussi dans l'article déclaratif du projet de loi une orientation qui nous semble relativement préoccupante. Il s'agit du principe voulant que notre réseau de services de transport soit un réseau peu dispendieux et régi par la concurrence et les forces du marché, ce qui devrait apparemment nous donner des services «viables et efficaces». Jusqu'à présent, tel n'a pas été le cas pour les personnes que nous représentons.
C'est seulement lorsque le public a exercé des pressions sur le système pour en garantir l'accès équitable à tout le monde, avec ou sans handicap, que l'on a constaté des améliorations. Voilà pourquoi je dis que la tendance exprimée par la déclaration préoccupe nos membres.
L'accès des personnes handicapées aux services de transport ne s'est pas amélioré facilement. Il a fallu une longue litanie de plaintes, de conférences, de mémoires, etc. Certes, nous avons fait des progrès, parfois même importants, mais nous sommes encore loin du but. De plus, il semble que l'on attache aujourd'hui beaucoup moins d'importance aux normes d'accès à cause des mesures de compression des coûts et d'accroissement de l'efficience.
Vous avez peut-être vu récemment en Ontario - et je sais que ce n'est pas votre responsabilité - des changements qui ont été apportés à l'accessibilité du réseau de transport urbain, notamment pour ce qui est des personnes handicapées n'utilisant pas de fauteuil roulant. Cela ne laisse pas de nous inquiéter.
Vous constaterez que nous demandons dans notre mémoire que toutes les informations communiquées à l'Office national des transports, aux ministères et aux entités parlementaires le soient sur des supports utilisables par les personnes handicapées. En effet, notre organisme ne regroupe pas seulement des personnes à mobilité réduite, mais aussi des malvoyants, des malentendants, des personnes souffrant d'un handicap mental ou psychiatrique, etc. Autrement dit, nous défendons les intérêts de toute personne souffrant d'un handicap, quel qu'il soit. Vous constaterez aussi que nous demandons dans notre mémoire que cette obligation de fournir les informations sur d'autres supports soit exprimée dans les textes réglementaires et dans la Loi elle-même.
Pour ce qui est de la partie administrative du projet de loi, nous avons une recommandation fort simple à faire, mais elle est très importante pour éviter toute confusion chez les personnes handicapées. Nous demandons au gouvernement de ne pas changer le nom de l'Office national des transports. Il faut beaucoup de temps aux gens pour savoir qui détient la responsabilité ultime de telle ou telle question, qui est l'organisme de réglementation et à qui on peut adresser une plainte. Comment voulez-vous que le système soit efficace lorsqu'on change tous les trois ans le nom de l'organisme pertinent? Pourquoi voudrait-on que l'Office national des transports devienne l'Office des transports du Canada? Choisissons un nom une fois pour toutes et gardons-le. Peut-être arriverons-nous alors à nous en servir!
Il a fallu beaucoup de temps aux instances de réglementation du Canada pour réglementer l'accès des personnes handicapées aux services de transport. Bien que la situation se soit améliorée dans le transport aérien et ferroviaire, surtout dans les services de traversier, cela n'a pas toujours été facile. Il a fallu adresser de nombreuses plaintes à l'Office national des transports et exercer de vives pressions politiques sur le ministère pour que celui-ci adopte une politique en la matière. Il a fallu aussi déployer des efforts considérables pour convaincre les transporteurs d'agir. Il y a cependant encore beaucoup de choses à régler, et je vais vous en indiquer quelques-unes.
Nous savons bien que le projet de loi ne touche en rien le transport interprovincial par autobus, mais il faut savoir qu'il s'agit là du moyen de transport le meilleur marché du pays. C'est le moyen qu'utilisent la plupart des gens pour se déplacer à courte distance. Et c'est un moyen de transport totalement inaccessible aux personnes handicapées.
C'est en 1954 que le gouvernement fédéral a donné aux provinces le pouvoir de réglementer le transport interprovincial en autobus. Depuis lors, rien n'a changé. Ces dernières années, une entente a été négociée avec toutes les provinces au sujet de l'établissement d'une norme nationale sur l'accessibilité du transport provincial par autobus et sur l'établissement d'un mécanisme de réglementation en vertu des lois provinciales sur les véhicules à moteur. Cette norme devait entrer en vigueur, mais nous croyons comprendre que le gouvernement fédéral a retiré le règlement pertinent. L'ébauche de règlement qui avait été publiée il y a un an n'est plus en discussion. Le ministre a dit qu'il ne va pas réglementer le transport interprovincial par autobus. Il va plutôt favoriser un rapprochement entre les organismes représentant les personnes handicapées et les sociétés de transport par autobus pour les inviter à trouver une solution ensemble.
Cette orientation est inacceptable pour nos membres. Nous constatons que le gouvernement réglemente le transport aérien, le transport ferroviaire et les systèmes de traversier, et que nous avons obtenu certains succès dans ces domaines. Pour ce qui est du transport interprovincial par autobus, il n'y a pas de réglementation et nous n'avons obtenu aucun résultat.
En conséquence, nous invitons le gouvernement fédéral à profiter du débat sur ce projet de loi pour rétablir ses pouvoirs de réglementation sur le transport interprovincial par autobus. J'ajoute que l'on trouve cette recommandation dans de nombreux rapports, que nous mentionnons dans notre mémoire - les rapports de l'Office national des transports et des déclarations de ministres successifs des transports.
En ce qui concerne la révision de la Loi, nous recommandons que les associations de personnes handicapées puissent y participer et que l'on intègre aux divers rapports une partie consacrée aux préoccupations des personnes handicapées en ce qui concerne l'accès aux services de transport, de façon que cette question soit explicitement traitée dans la nouvelle Loi. Vous trouverez également cette recommandation dans notre mémoire.
Des mesures ont été prises aux États-Unis pour réglementer le transport interprovincial par autobus, notamment dans le cadre de la Americans With Disabilities Act. Nous ne recommandons pas que l'on adopte un texte de loi particulier pour les personnes handicapées. Nous préférons que tous les systèmes génériques soient accessibles à tous les Canadiens. Comme le transport est un service essentiel pour toute la population, on devrait automatiquement le rendre accessible aux personnes handicapées aussi.
Je dois dire que nous y travaillons. Nous avons fait des progrès mais nous pensons qu'il faut aller encore plus loin et qu'il est crucial que le gouvernement fédéral fasse preuve de leadership dans ce domaine.
On dit parfois que certains éléments des systèmes de transport ne pourront pas devenir accessibles à cause de leur conception. Il y a cependant 20 ans que l'on entend dire cela, au sujet de beaucoup de choses, et on a constaté que ce n'est pas vrai. On ne cesse de nous dire que l'on peut mettre en place des programmes spéciaux ou prévoir des exceptions mais qu'il n'est pas possible que tout soit rendu accessible.
Eh bien, nous y arrivons. Nous arrivons à le faire dans les grands immeubles, grâce à des codes de la construction, à l'échelle nationale et provinciale, exigeant que toute nouvelle construction soit accessible aux personnes handicapées. Et nous croyons que c'est possible aussi pour les systèmes de transport, à condition qu'il y ait un leadership fédéral et que l'on prenne des engagements sérieux à l'égard des personnes handicapées, notamment dans le cadre de la Loi sur les transports nationaux.
Nous allons en rester là, à moins qu'Eric n'ait quelque chose à ajouter, après quoi nous pourrons répondre à vos questions.
M. Eric Norman (vice-président, Conseil des canadiens avec déficiences): Je n'ai pas grand-chose à ajouter. Notre mémoire est très complet. Vous y trouverez notamment une liste exhaustive des études qui ont été consacrées à cette question au cours des dix ou douze dernières années. Je suis sûr que cela vous sera utile.
J'aimerais toutefois souligner deux ou trois autres choses.
La première concerne une affaire rapportée dans le premier volume du Canadian Human Rights Reporter du 11 juillet 1980. Il s'agit de l'affaire Kelly, concernant une personne handicapée à qui l'on avait refusé de fournir un service. Le jugement rendu dans cette affaire a permis d'établir certains principes qui ont depuis été confirmés par d'autres arrêts et qui constituent pour le CCD les principes fondamentaux en matière d'accessibilité des services de transport.
Je vais vous dire de quoi il s'agit.
Le premier principe, c'est l'autodétermination. Autrement dit, nous réclamons le droit de prendre nos propres décisions en ce qui concerne nos besoins, et le fait que nous ayons besoin ou non d'un assistant.
Le principe «une personne, un tarif» est essentiel pour nous. Une personne ayant besoin d'un assistant pour voyager ne devrait pas être tenue de payer 2 tarifs ou 1 tarif et demi.
L'équité d'accès à tous les modes de transport est un autre principe essentiel, et nous pensons qu'il devrait s'appliquer aussi bien aux régions éloignées qu'aux régions métropolitaines. Dans de nombreuses régions du Canada, on ne peut voyager qu'au moyen de petits avions, et il est bien rare que ceux-ci soient accessibles aux personnes handicapées, ce qui vaut également pour les pistes d'atterrissage et les aérogares, lorsqu'il y en a. Les personnes handicapées auraient beaucoup de difficultés à voyager dans ces régions.
Le quatrième principe est celui de la dignité du risque - ce qui veut dire avoir le droit d'accepter un risque dans les voyages comme n'importe quel autre voyageur.
Tous ces principes ont déjà été formulés il y a treize ou quinze ans, ils ont été réitérés devant de nombreuses tribunes et ils ont été portés à l'attention de nombreux groupes intéressés. Ils constituent le fondement d'une bonne partie des positions que nous avons adoptées. Je tenais à ce qu'ils soient à nouveau explicités.
Il ne faudrait pas sous-estimer l'importance de ce qu'a dit M. Beachell sur le transport interprovincial par autobus. Cela me paraît essentiel. C'est l'un des problèmes les plus graves auxquels font face les personnes handicapées au Canada.
Tout comme l'avion est le seul moyen de transport dans certaines régions, l'autobus est le moyen de transport le meilleur marché dans beaucoup d'autres, facteur très important pour les personnes handicapées qui sont généralement plus pauvres parce qu'elles ont moins de possibilités d'emploi, de formation et d'éducation, précisément à cause de leur handicap.
Hélas, nous constatons que ce mode de transport est probablement le moins accessible de tous. Nous constatons que les gens qui n'ont pas les moyens de posséder leur propre véhicule, ou qui ne peuvent pas conduire un véhicule privé à cause de leur handicap, et qui n'ont pas le moyen de se payer l'avion sont totalement tributaires du transport par autobus, qui ne leur est pas accessible. Et, bien souvent, ce n'est pas seulement l'autobus lui-même qui n'est pas accessible, ce sont aussi les gares d'autobus et les arrêts en cours de route.
Le vice-président (M. Comuzzi): Merci.
Monsieur Mercier.
[Français]
M. Mercier: Je ferai d'abord une remarque. Je suis tout à fait d'accord avec M. Beachell quand il dit qu'il n'y a pas de raison valable de changer le nom de l'Office national du transport. C'est sûr qu'en cette période d'économie, on ne voit pas très bien quel serait l'intérêt de jeter à la poubelle le papier à lettre de l'Office. Je ne vois pas de raison à cela.
Quant à ma question, c'est plutôt une critique. M. Beachell dit que le fédéral devrait reprendre les pouvoirs qu'il a cédés aux provinces afin qu'il puisse légiférer en ce qui concerne l'accès aux trains et aux autocars. C'est certain que notre parti prône plutôt la décentralisation que la centralisation, et je voudrais savoir pourquoi M. Beachell ne croit pas que les provinces pourraient prendre elles-mêmes, par voie législative, des dispositions facilitant l'accès des personnes handicapées aux trains et aux autocars.
[Traduction]
M. Beachell: Il est possible de le faire au moyen de lois provinciales ou au moyen d'un mécanisme de réglementation qui serait accepté par toutes les provinces. Je comprends bien votre position là-dessus. Pour ma part, le but ultime est d'assurer l'accès, et il nous importe peu que cela se fasse à l'échelle fédérale, à l'échelle provinciale ou par une entente entre toutes les provinces.
Cela dit, il faut convenir qu'il pourrait être difficile de négocier des ententes sur le transport interprovincial par autobus. Prenez le cas d'une personne handicapée qui monte dans l'autobus à Québec pour se rendre à Toronto et qui a des difficultés en arrivant à la gare d'autobus de Toronto. Le transport ayant été assuré par une compagnie d'autobus du Québec, cette personne devra-t-elle adresser sa plainte à l'organisme de réglementation du Québec ou à celui de l'Ontario? Sera-t-elle obligée d'engager un avocat dans chaque province pour déposer une plainte au titre de la loi sur les véhicules à moteur ou pourra-t-elle s'adresser à un organisme plus convivial, comme l'Office national des transports?
Que se passe-t-il si la personne voyage d'un bout à l'autre du pays et connaît des problèmes dans quatre ou cinq provinces différentes? À qui va-t-elle adresser sa plainte et qui pourra agir? Devra-t-elle avoir recours à des tribunaux communs pour toutes les provinces?
Voilà ce qui nous inquiète. Et c'est pourquoi nous serions très heureux que l'on réussisse à mettre sur pied un mécanisme commun ou des dispositions réglementaires communes, et nous encourageons les gouvernements provinciaux à se pencher sur la question en ce qui concerne le transport par autobus non seulement provincial mais interprovincial. Notre seul souci est que le problème soit réglé.
Le vice-président (M. Comuzzi): Monsieur Gouk.
M. Gouk: Il va me falloir un certain temps pour étudier votre mémoire, messieurs. Avec chaque témoin, je m'efforce d'examiner attentivement les articles précis qui font problème, afin de bien saisir l'incidence globale du projet de loi. Je ferai la même chose en lisant votre mémoire mais, évidemment, je n'ai pas encore pu commencer.
Je dois dire en outre que je m'efforce souvent de remettre en question les déclarations des témoins, qu'il s'agisse d'expéditeurs, de compagnies ferroviaires ou d'autres organismes, pour voir s'ils sont capables de les défendre.
Je vais donc faire de même avec vous. Prenons d'abord votre recommandation que les personnes accompagnant des personnes handicapées aient le droit de voyager gratuitement. Mettez-vous à la place du propriétaire de la compagnie de transport par autobus ou par avion. Son objectif est de vendre chaque siège disponible. D'un seul coup, il va devoir en fournir un gratuitement. Que se passera-t-il si tout son autobus sert à transporter un groupe de personnes handicapées se rendant à un congrès? D'un seul coup, il aura perdu la moitié de ses recettes.
J'exagère sans doute un peu mais j'aimerais bien savoir pourquoi les propriétaires devraient assumer ce coût. Je sais qu'il y a un problème d'accès pour les personnes handicapées, mais j'ai l'impression que vous vous contentez d'en rejeter la responsabilité à quelqu'un d'autre.
M. Norman: J'aimerais vous répondre. J'envisage le problème du point de vue général, c'est à dire en considérant que toute personne devrait avoir le droit de voyager, le droit à un service de transport. Si ce droit exige que l'on apporte des modifications aux véhicules ou aux gares, il me semble légitime de s'attendre à ce que ces modifications soient faites.
S'il est nécessaire qu'une personne handicapée soit accompagnée pour pouvoir être transportée, j'estime que les frais qui en résultent devraient être considérés comme des frais légitimes d'exploitation de la compagnie de transport. Ils devraient être intégrés à l'établissement général des tarifs, sous forme de subvention croisée si l'on peut dire, pour qu'ils soient assumés par l'ensemble des voyageurs. Je ne pense pas qu'il faille demander au gouvernement provincial ou fédéral de subventionner les transporteurs pour couvrir les frais de transport des accompagnateurs de personnes handicapées.
Pour ce qui est de l'hypothèse que vous avez formulée, c'est à dire d'un autobus qui serait utilisé au complet par des personnes handicapées et leurs accompagnateurs, ce ne serait tout simplement pas possible parce qu'il y a d'autres règlements qui limitent le nombre de personnes handicapées autorisées à voyager dans un même autobus, wagon ou avion.
Pour les avions, je sais que le nombre est établi en fonction du nombre de sorties de secours. S'il y en a 6, il ne peut y avoir que 3 personnes handicapées, si chacune est accompagnée d'une autre, et pas plus. Il y a donc une limite naturelle.
M. Gouk: Je vais poser une dernière question car je sais que le temps passe vite. Il s'agit de la conception des véhicules.
L'un des avions les plus fréquemment utilisés pour le transport vers les petites collectivités est le Dash 8. C'est un appareil dans les allées duquel il est absolument impossible de circuler en fauteuil roulant. Souhaitez-vous que l'on apporte des modifications à l'appareil pour qu'il soit accessible aux personnes en fauteuil roulant?
M. Norman: Je dois vous dire que je viens précisément d'utiliser un Dash 8 entre Gander et Halifax. C'est un appareil qu'il m'arrive assez souvent d'emprunter et je peux vous assurer qu'il ne me pose jamais de problème.
Vous devez savoir qu'on y a en effet apporté des modifications pour faciliter l'embarquement, au moyen d'une unité PAL. Il y a de toute façon une norme établie à cette fin par la CSA. Il y a à bord de l'appareil un fauteuil spécialement adapté pour être facilement embarqué et débarqué.
M. Gouk: Cela dit, je suppose que ça ne vaut que pour la première rangée de sièges.
M. Norman: Non.
M. Gouk: On peut circuler dans l'allée d'un Dash 8 avec un fauteuil roulant?
M. Norman: Avec ce fauteuil particulier, dans n'importe quelle allée.
M. Gouk: C'est donc un fauteuil spécial.
M. Norman: Qui correspond aux normes établies.
M. Fontana: Je suis sûr que monsieur Gouk plaisantait tout à l'heure car il sait fort bien que tous les sièges d'avion ne sont pas nécessairement utilisés par des passagers payants. Par exemple, les employés ont toujours droit à des places gratuites.
M. Gouk: S'il y a des sièges non vendus.
M. Fontana: Je ne vous reproche pas votre question car vous tenez à obliger les témoins à se justifier, ce qui est parfaitement légitime. Je vais cependant poser maintenant une question sérieuse.
Le vice-président (M. Comuzzi): Bien.
M. Gouk: Je vois qu'il n'y a aucun préjugé au sein de ce comité.
M. Fontana: Je sais que vous n'avez pas parlé du projet de loi en détail mais vous devez savoir que tous les gains obtenus par les personnes handicapées, surtout grâce à l'action du Conseil des canadiens avec déficiences, restent parfaitement intacts avec le projet de loi C-101. J'ai pourtant l'impression que vous percevez dans ce projet de loi un certain affaiblissement des engagements pris dans la Loi sur les transports nationaux, ou que la formulation de cet engagement n'est pas aussi forte qu'en 1987.
Je puis vous donner l'assurance que l'engagement de Transports Canada et du Ministre est tel qu'il n'y a aucune atténuation des dispositions garantissant l'accès des personnes handicapées aux transports publics. De fait, nous avons même tenté de renforcer notre engagement, notamment en collaborant avec les compagnies de transport par autobus, pour garantir l'accessibilité totale des moyens de transport.
Je tenais à apporter cette précision.
M. Beachell: Je ne pense pas que l'on ait sensiblement atténué les dispositions relatives au transport des personnes handicapées dans le projet de loi C-101. L'engagement pris avec la loi précédente est resté intact. Cependant, les problèmes causés par l'ancienne loi demeurent les mêmes. On limite indûment la mobilité.
Nous voudrions trouver dans la déclaration un engagement non seulement envers la sécurité mais aussi envers des normes d'accessibilité. Nous voudrions aussi y trouver un engagement à l'égard des moyens de communication destinés aux personnes handicapées. Lorsque le Ministre dépose un rapport en Chambre au sujet des transports, nous voudrions trouver dans le texte des données précises sur les préoccupations des handicapés.
Certes, la situation n'est pas pire en 1995 qu'en 1987, mais nous aurions pu espérer des améliorations en huit ans. Voilà pourquoi nous devons encore nous adresser à vous aujourd'hui, comme nous l'avons fait en 1987, et comme nous devrons probablement le faire encore en 2001, mais j'espère que nous n'aurons pas à parler les mêmes choses.
Il est vrai que le gouvernement fédéral a pris des engagements et a fait preuve de leadership au sujet des problèmes de transport des personnes handicapées, et pas seulement dans le secteur du transport par autobus. Nous aimerions cependant que cela continue et se renforce.
À mesure que change la situation des personnes handicapées, qui auront de plus en plus accès aux immeubles, aux universités et aux écoles, ce qui leur permettra de faire des études et de mener une carrière, des demandes plus fortes seront exercées dans le reste de la société. Un plus grand nombre de personnes handicapées voudront sortir de chez elles pour participer à la vie sociale et, pourquoi pas, se présenter aux élections fédérales, puisqu'il serait bon que des personnes handicapées puissent venir au Parlement.
Au fond, nous réclamons la continuation des améliorations, étape par étape. Nous aurions été bouleversés de constater un affaiblissement des normes. Nous voulons cependant qu'elles soient sérieusement améliorées.
Le vice-président (M. Comuzzi): Merci, monsieur Fontana.
M. Nault: Je n'ai qu'une question à poser, monsieur le président.
Le vice-président (M. Comuzzi): Je vous ai oublié?
M. Nault: Comme toujours, mais ça ne fait rien.
Le vice-président (M. Comuzzi): Veuillez m'excuser.
M. Nault: Je viens d'une région du Nord où nous faisons tous nos déplacements dans de petits avions. Or, il est très compliqué pour une personne handicapée d'emprunter ce type de transport, surtout si elle utilise un fauteuil roulant.
Savez-vous si l'on a pris des mesures quelconques pour adapter les avions, surtout les petits, afin d'accueillir les personnes ayant besoin d'un fauteuil roulant? Dans certaines des collectivités de ma région, on est actuellement obligé de porter ces personnes dans l'avion, ce qui n'est pas particulièrement facile.
Même s'il y avait des dispositions à cet effet dans la Loi, croyez-vous que les constructeurs d'avions pourraient construire leurs appareils en conséquence?
M. Norman: Je dois dire en réponse à cette question, monsieur le président, qu'il y a eu fort peu d'améliorations réelles dans ce domaine. Dans un trop grand nombre de collectivités du Canada, on est toujours obligé de porter les personnes handicapées ou à mobilité réduite pour qu'elles puissent embarquer dans les avions.
Nous venons d'achever une enquête sur l'utilisation des petits avions dans les régions éloignées du Canada, notamment au Labrador et dans les Territoires du Nord-Ouest. Les résultats sont déplorables. On nous a parlé de cas où l'on avait recours à des cordages et à des selles, de cas où deux ou trois hommes devaient porter eux-mêmes une dame pour la faire monter dans l'avion, et de cas où il fallait laisser sur place le fauteuil roulant de la personne handicapée, en prenant des dispositions pour l'amener autrement à destination. En bref, il s'agit d'une situation très difficile qui n'a pas connu d'améliorations notables.
Le vice-président (M. Comuzzi): Merci, monsieur Norman et monsieur Beachell, d'être venus témoigner cet après-midi. Nous tiendrons compte de votre rapport.
M. Beachell: Merci.
Le vice-président (M. Comuzzi): Je convoque maintenant notre dernier témoin.
Monsieur Clément, je suis très heureux de vous revoir. Pouvez-vous présenter vos collègues?
M. Cameron W. Clément (président, Compagnie de transport du Nord Limitée): Oui, monsieur le président. Je vous remercie de nous accueillir aujourd'hui. Je viens de Hay River, dans les Territoires du Nord-Ouest, et je suis président et directeur général de la Compagnie de transport du Nord Limitée, CTNL.
Je suis accompagné de Paul Preville, vice-président de l'expansion des affaires de CTNL, de John Edsforth, consultant économique auprès de la compagnie.
Nous avons adressé un mémoire au comité et je crois savoir que vous l'avez tous reçu. J'y ferai allusion de temps à autre pendant mon exposé. J'en ai d'autres exemplaires si quelqu'un en a besoin.
Si vous le permettez, monsieur le président, nous allons utiliser des acétates pendant notre exposé.
Cet acétate vous donne le plan de notre exposé de cet après-midi. Après avoir présenté l'origine et les caractéristiques de la compagnie, nous allons exposer des arguments en faveur de la réglementation, puis nos recommandations au comité.
Je dois vous dire que c'est la première fois que je m'adresse à un comité permanent. Tout ce que je sais de ce genre de comité vient de ce que j'ai vu à la télévision lors des audiences concernant Clarence Thomas et Anita Hill. S'il est vrai que je ne vous dirai aujourd'hui rien d'aussi controversé ni d'aussi intéressant, croyez bien que ce sera tout aussi important.
Les activités d'approvisionnement par eau dans le Nord ne constituent qu'une toute petite partie des secteurs touchés par les modifications législatives proposées dans le projet de loi C-101. Toutefois, l'abrogation de toute réglementation économique dans ce secteur pourrait avoir une incidence considérable sur la viabilité à long terme de CTNL et des collectivités autochtones du Nord.
Voilà pourquoi il nous semble important de nous adresser à vous aujourd'hui. Il nous semble également important de vous expliquer ce que nous faisons, le rôle crucial que nous jouons en matière d'approvisionnement des collectivités septentrionales, ainsi que les conditions géographiques et climatiques extrêmement difficiles dans lesquelles nous travaillons.
La Compagnie de transport du Nord, CTNL, est une société de transport du Nord qui appartient à 100% aux Inuvialuit de l'Arctique occidental et aux Inuit du Nunavut. C'est une filiale à part entière de NorTerra Inc., qui appartient pour moitié à la société de développement des Inuvialuit et pour moitié à la société Nunasi. Autrement dit, nous appartenons à 100% aux autochtones du Nord-Ouest.
Nous sommes une compagnie de transport par eau qui exploite une flotte de remorqueurs et de péniches sur le réseau fluvial du Mackenzie et le long de la côte de l'Arctique occidental, pas des voies ferrées et des wagons. Nous opérons à partir de Hay River, où se trouve notre siège social, sur la côte sud du Grand lac des esclaves, et nos embarcations font 1000 milles de voyage sur le Mackenzie, en traversant quatre séries de rapides pour atteindre la côte de l'Arctique. À partir de là, nous poursuivons nos transports pendant 1000 milles de plus pour atteindre la collectivité la plus éloignée que nous desservons, Taloyoak. Il nous arrive parfois aussi de nous rendre en Alaska, soit 800 milles le long de la côte de l'Alaska, jusqu'à Point Hope. Nous desservons en tout 54 ports dans la région du Mackenzie et de l'Arctique occidental.
CTNL a célébré en 1994 sa soixantième année de service dans le Nord, ce qui lui a valu le prix d'entreprise de l'année décerné par la Chambre de commerce des T.-N.O.
Comme le montre cette diapositive, nous avons commencé nos activités en 1934, à Great Bear Lake, sur le fleuve Mackenzie. Nous étions alors une société d'état fédérale. En 1957, nous avons étendu nos services vers des collectivités situées sur la côte de l'Arctique occidental. En 1963, nous avons desservi pour la première fois la côte nord de l'Alaska, à l'appui d'un programme de forage qui s'y déroulait. En 1975, nous avons commencé à desservir Keewatin, à partir de Churchill, au Manitoba. De fait, nous desservons à partir de Churchill 6 collectivités de la Baie d'Hudson. En 1987, nous avons commencé un service de regroupement de marchandises à Montréal, pour livraison dans l'Arctique de l'Est.
CTNL est une entreprise relativement unique, qui travaille dans des conditions tout à fait uniques. Vous trouverez des précisions à ce sujet au bas de la première page de notre mémoire, où nous citons des extraits du rapport de la Commission d'examen de la Loi sur les transports nationaux, portant sur les caractéristiques particulières de notre travail. Je cite :
- Dans le Nord, le milieu présente certaines caractéristiques telles que les conditions
d'exploitation y sont bien distinctes de celles dans lesquelles s'effectuent les autres transports,
et qui tendent à rendre les opérations de transport par eau uniques en leur genre.
La Commission énumérait ensuite les caractéristiques particulières de nos activités.
La première concerne l'énormité du territoire que nous desservons. La carte que vous voyez à l'écran peut vous en donner une idée. C'est un territoire extrêmement vaste, avec une très petite population. Des 54 collectivités que nous desservons, Inuvik est la plus grande, avec une population d'environ 3 000 personnes. La plus petite est Bathurst Inlet, avec 16 habitants.
Cette région a également un réseau routier fort sommaire. Des 54 ports que nous desservons, seulement 6 bénéficient de liaisons routières à l'année longue. Pour les 48 autres, la principale voie d'approvisionnement est l'eau.
La troisième caractéristique est la réduction des quantités de marchandises à livrer dans notre région, et Paul reviendra là-dessus dans un instant.
J'attire votre attention sur le fait que les infrastructures portuaires du Nord sont extrêmement limitées et très diverses. J'ai dit que la plus grande collectivité que nous desservons est Inuvik, avec 3 000 habitants. Comme vous pouvez le voir sur cet acétate, le terminal d'Inuvik est très moderne par rapport aux autres des régions du Nord, avec des quais en palplanches, des quais permanents, une aire de triage en gravier, une aire d'entreposage et un port protégé. C'est un terminal extrêmement efficient.
En contrepartie, nous desservons aussi Bathurst Inlet qui a 16 habitants et qui reçoit 99 tonnes de marchandise par an. On n'y trouve pas de port, aucune installation ni aucune protection. En cas de mauvais temps, notre remorqueur et notre barge peuvent être obligés d'attendre deux ou trois jours au large avant de pouvoir accoster. Cela dit, les marchandises que nous acheminons à Bathurst Inlet sont aussi importantes pour les 16 habitants de cette collectivité que pour celles que nous livrons à Inuvik.
Je n'ai pas à préciser que les frais de livraison à la tonne sont extrêmement différents entre Inuvik et Bathurst Inlet.
Nos autres points de livraison se situent entre Inuvik et Bathurst Inlet pour ce qui est des équipements, mais la grande majorité n'ont encore que de vieux quais et des plages sans protection.
Passons maintenant aux autres caractéristiques particulières auxquelles nous sommes confrontés chaque jour pour approvisionner le Nord.
La première est que la saison est extrêmement courte. Elle dure cinq mois sur fleuve Mackenzie, et seulement de deux mois à deux mois et demi dans l'Arctique de l'Ouest. Or, notre rôle est de faire en sorte que toutes les marchandises dont ont besoin ces collectivités jusqu'à la saison suivante y soient acheminées pendant ces quelques mois de navigation.
Sur le fleuve Mackenzie, nous sommes constamment confrontés à des baisses de niveau des eaux, ce qui fait qu'il est très difficile de traverser les quatre séries de rapides vers le Nord. Certaines saisons, nous faisons face à des inondations. Dans l'Arctique, les saisons ne se ressemblent jamais d'une année à l'autre. Parfois le transport est facile, parfois il est impossible. Parfois nos bateaux peuvent faire leur livraison mais il leur est impossible de revenir. Chaque saison est exceptionnelle. Or, les services que nous fournissons sont essentiels à la survie de ces collectivités isolées.
J'espère avoir réussi à vous donner un bref aperçu des difficultés auxquelles nous sommes confrontés, et je répondrai avec plaisir aux questions que vous voudrez bien nous poser.
Je demande maintenant à Paul Preville de parler de nos préoccupations au sujet du projet de loi C-101 et de présenter nos recommandations.
M. Paul Preville (vice-président, Développement des affaires, Compagnie de transport du Nord Limitée): J'attire d'abord votre attention, monsieur le président, sur cet acétate montrant l'évolution du tonnage au cours des vingt dernières années, soit depuis 1975.
Je dois d'abord préciser, mais vous le savez sans doute, que les collectivités du Nord sont presque totalement tributaires du transport par eau pour obtenir leurs approvisionnements de base. Je veux parler du mazout, des matériaux de construction, des véhicules, des motoneiges, du matériel de pêche et d'une bonne partie de l'habillement. En même temps, ces collectivités dépendent de l'avion pour le transport des passagers et des aliments périssables.
Vous voyez sur ce graphique un cycle commercial, de 1975 à 1980, ce qui est tout à fait normal dans le secteur du transport, mais vous voyez ensuite une baisse considérable du tonnage à partir de 1980. Ces dernières années - vous voyez que la chute est encore plus marquée depuis 1992 - cette évolution s'explique essentiellement par la compression des dépenses publiques, qui a entraîné une baisse d'activité dans le secteur de la construction.
Précisons par ailleurs qu'il n'y a actuellement aucune activité d'exploration pétrolière ou minière dans la région du Mackenzie ou de l'Arctique de l'Ouest. Évidement, la baisse considérable du tonnage a entraîné une baisse considérable de nos recettes et de notre rentabilité.
Autre caractéristique de l'évolution du tonnage, le marché ne connaît aucune expansion et il n'y a donc aucune possibilité de croissance pour notre compagnie ou pour d'autres. De fait, ce que révèle la baisse du tonnage, c'est que les transporteurs actuels ont besoin de protection si l'on veut qu'ils restent assez rentables pour poursuivre leurs activités.
L'acétate suivant porte sur les effets de la réglementation en vertu de la Loi de 1987 sur les transports nationaux. Les données viennent de l'Office national des transports qui mène des enquêtes auprès des expéditeurs. Vous voyez ici les résultats pour 1993.
Vous voyez en abscisse le nombre de facteurs sur lesquels on interroge les expéditeurs, en partant du plus important, le prix, jusqu'à celui que les consommateurs jugent le moins important, la manière dont on traite les réclamations en cas de perte et de dommages. La barre rose, à gauche, correspond à un degré de satisfaction élevé, celle du milieu à un degré de satisfaction acceptable, et celle de droite à un service insatisfaisant.
Vous voyez que le taux d'insatisfaction se situe entre 8% et 12%, ce qui veut dire que 85% ou plus des personnes interrogées sont satisfaites du prix, des délais de livraison, des dates de livraison, de la fréquence des services, de la souplesse, et des mécanismes de réclamation en cas de perte et de dommages.
Autrement dit, quand on donne aux clients la possibilité d'exprimer leur mécontentement, ce que l'on fait chaque année, on constate qu'un pourcentage très élevé sont parfaitement satisfaits. Cela suffirait peut-être aux membres du comité ou à ceux d'entre nous qui voyageons dans tout le Canada mais, pour les personnes vivant dans une petite collectivité de la toundra, en bordure d'une mer prise dans les glaces neuf mois par an, il est essentiel d'avoir accès à un transporteur fiable et, bien sûr, c'est ce qu'assure le système de réglementation.
J'attire maintenant votre attention sur la suite de notre mémoire, où nous parlons à nouveau de la Commission d'examen de la Loi sur les transports nationaux. Je précise que cette Commission vient tout juste de terminer ses travaux et qu'elle a publié son rapport au début de 1993. En conséquence, ce qu'elle dit correspond à la situation contemporaine et au système tel qu'il fonctionne actuellement.
La Commission affirme que:
- Nous avons pu constater toutefois que le niveau et la nature de la réglementation économique
des transporteurs sont généralement bien acceptés par les parties intéressées de la région.
Plus loin, à la page 132 du volume II de son rapport, la Commission dit ceci:
- Les modifications apportées en vertu de la Loi de 1987 ont dans l'ensemble été bien reçues par
les expéditeurs et les transporteurs opérant au sein des deux systèmes.
- - l'autre système étant celui du Lac Athabasca -
- Toutes les parties ont reconnu qu'il fallait continuer de réglementer les transports par eau dans
ces régions afin d'assurer un service adéquat et une capacité de transport suffisante à long
terme. Dans les deux régions, tous conviennent que les transports doivent être stables à long
terme et que les activités des transporteurs doivent être rentables, de telle sorte que la libre
concurrence n'est pas perçue comme allant dans le sens des intérêts à long terme de quiconque.
Ce que nous tenons à bien faire comprendre aux membres du comité, c'est que la région est extrêmement tributaire du transport par eau et qu'il est indispensable que quelqu'un soit obligé de fournir le service. Mais cela ne peut se faire que par voie réglementaire. Le transporteur réglementé est tenu de desservir toutes ces collectivités. S'il n'y a plus de réglementation, le transporteur pourra choisir les collectivités qu'il veut desservir.
Il y deux autres facteurs qui justifient la réglementation, soit la variation considérable du trafic et l'absence de rentabilité. Ce sont là deux éléments très importants à prendre en compte pour préserver de bons services de transport dans le Nord.
Retournez à la page 2 de notre mémoire où nous parlons de la nécessité d'une réglementation économique et où nous citons un autre extrait de la page 113 du rapport de la Commission:
- Cette réglementation économique se justifie du fait que les localités isolées situées dans les
bassins du fleuve et du lac dépendent presque totalement des services de transport par eau.
- La nécessité d'assurer des services adéquats à toutes les collectivités, y compris aux petites
agglomérations isolées,
- - comme Bathurst Inlet -
- présentant encore moins d'attraits économiques pour les transporteurs, a donné naissance à une
conception de la réglementation qui accorde plus d'importance à la disponibilité et à la fiabilité
de services réguliers qu'à la promotion de la concurrence. Comme l'objectif premier consiste à
assurer un niveau satisfaisant de services réguliers à toutes les localités, quelques transporteurs
offrant de tels services ont reçu une licence qui les autorise à amener les approvisionnements,
les transporteurs licenciés étant protégés des exploitants qui ne le sont pas et fonctionnant dans
le cadre d'un système où la capacité de transport est étroitement surveillée.
Il y a eu des périodes où l'on a mis l'accent plus sur la concurrence que sur la réglementation de l'entrée dans ce secteur et, en général, les résultats ont été insatisfaisants. En effet, les transporteurs qui obtenaient alors un nouveau permis avaient tendance à choisir les services les plus rentables - par exemple, à destination d'une collectivité comme Inuvik, qui draine de gros tonnages - privant ainsi la CTNL de certaines sources de profit.
Le résultat était tout à fait prévisible. La CTNL devait soit faire payer plus cher sur les trajets moins rentables, soit subir une détérioration de sa situation financière, ce qui menaçait son aptitude à fournir des services adéquats.
C'est cette expérience qui a confirmé la sagesse d'une réglementation très rigoureuse de la concurrence dans ce secteur, en vertu de la Loi de 1987 sur les transports nationaux, pour que toutes les collectivités de la région puissent bénéficier de services fiables sans que certaines soient obligées d'assumer des taux de fret prohibitifs.
Dans le cas d'une petite collectivité comme Bathurst Inlet, qui a 16 habitants, il est probable qu'aucun transporteur ne voudrait la desservir dans un contexte de déréglementation, à cause des coûts élevés et des difficultés d'accès.
Le vice-président (M. Comuzzi): Il y a presque 20 minutes que vous avez commencé. Si vous voulez que nous ayons le temps de vous poser quelques questions, je vous recommande de conclure rapidement. À vous de décider.
M. Preville: Bien, monsieur le président. Nous terminerons avec les points les plus importants.
Le projet de loi C-101 vise avant tout à réformer l'industrie du transport ferroviaire, mais il porte aussi sur le règlement de certaines questions concernant les services d'approvisionnement par eau des régions du Nord et les services de transport aérien et routier dans le Nord. Nous croyons cependant que régler des problèmes ne veut pas dire abolir toute réglementation. En conséquence, nous recommandons de maintenir la réglementation dans la nouvelle Loi.
J'attire l'attention du comité sur la page de notre mémoire contenant nos recommandations. Tout d'abord, nous recommandons que le projet de loi C-101 soit modifié de manière à comprendre les mesures législatives contenues dans l'actuelle partie V, intitulée Approvisionnements par eau dans le Nord, couvrant les articles 209 à 227 de la Loi de 1987 sur les transports nationaux, à l'exception de l'alinéa 210(2)(b), dont la Compagnie de transport du Nord Limitée demande l'abrogation.
L'alinéa 210(2)(b) vise simplement à mettre de l'ordre dans le système puisqu'il porte sur les marchandises provenant de partout dans la région réglementée.
Notre deuxième recommandation est que les dispositions du projet de loi C-101 relatives à l'arbitrage ne soient pas appliquées aux services d'approvisionnement par eau dans le Nord. La raison en est simplement que nous avons un tarif qui dépend essentiellement du kilométrage et qui est apprécié par le marché autant que par le gouvernement des Territoires du Nord-ouest. Un tarif établi en fonction du marché aboutit au même prix relatif pour une petite communauté que pour une grande. En vertu d'un système d'arbitrage d'offre finale, ce régime tarifaire pourrait fort bien être abandonné car les gens des grandes collectivités demanderaient l'arbitrage pour obtenir des tarifs plus bas, ce qui se ferait évidemment au désavantage des petites collectivités.
Quoi qu'il en soit, monsieur le président, je résume en disant qu'il y va ici de l'avenir des services d'approvisionnement des collectivités de l'Arctique. Le Nord est à votre merci. Nous pensons que le projet de loi C-101, prévoyant une révision tous les cinq ans, devrait comporter un régime de réglementation des services d'approvisionnement par eau dans le Nord, en le révisant une nouvelle fois au bout de cinq ans.
Nous demandons au comité d'accepter les propositions d'amendement que nous avons faites. Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.
Merci.
Le vice-président (M. Comuzzi): Merci, monsieur Preville, monsieur Clément, et monsieur Edsforth qui s'est occupé des acétates.
Monsieur Gouk.
M. Gouk: Je voudrais préciser la partie de la Loi que vous voudriez abolir. S'agit-il de l'alinéa 159(c), 159(1)(c) ou 159(2)(c)? Je crois vous avoir entendu dire (1)(c).
M. Preville: Je vais vérifier. Oui, c'est l'alinéa 159(1)(c).
M. Gouk: Je voulais seulement vérifier. C'est tout.
Merci, monsieur le président.
M. Nault: Une brève question sur les dispositions du projet de loi C-101 concernant l'arbitrage d'offre finale, que vous souhaitez ne pas voir appliquées aux services d'approvisionnement par eau dans le Nord.
Je comprends dans une certaine mesure votre argument, mais vous ne devriez pas oublier que cela pourrait dans certains cas se faire à votre avantage. L'arbitrage va dans les deux sens. Autrement dit, vous aussi auriez la possibilité de demander l'arbitrage si vous pensiez que quelqu'un arrivait d'un seul coup dans votre secteur et pratiquait par inadvertance des prix abusivement bas vous causant un préjudice.
Est-ce que je me trompe? Pourriez-vous préciser pourquoi vous devriez être exempté de l'arbitrage?
M. Preville: Ce que nous disons, c'est que le mécanisme de réglementation actuel de la Loi de 1987 permet à l'industrie - et je parle ici à la fois du marché et des transporteurs - de faire face au problème. Les transporteurs peuvent proposer des changements de tarif, et ceux-ci sont assujettis à la surveillance de l'Office national des transports. Les clients peuvent se porter en appel devant l'Office pour exprimer leurs vraies préoccupations. Donc, dans un contexte de réglementation, l'arbitrage d'offre finale est moins nécessaire.
M. Nault: Par contre, si le système était réglementé, vous préféreriez bien sûr conserver le système d'arbitrage, n'est-ce pas? Supposons que l'amendement que vous avez proposé pour conserver le mécanisme de réglementation ne soit pas accepté, vous voudriez conserver le système d'arbitrage?
M. John Edsforth (consultant économique, Compagnie de transport du Nord Limitée): Mon interprétation du mécanisme d'arbitrage est qu'il entre en jeu lorsqu'un expéditeur le demande, c'est à dire si un expéditeur l'invoque contre la CTNL.
M. Nault: Certes, mais vous êtes aussi un expéditeur, n'est-ce pas?
M. Edsforth: Non, la CTNL est uniquement une société de transport.
Le problème que nous pose l'arbitrage d'offre finale, comme l'a dit M. Preville, est que nous avons un barème établi en fonction du kilométrage, et qu'il ne peut subsister que si ce principe est maintenu.
Autrement dit, si les expéditeurs d'Inuvik, par exemple, pouvaient demander l'arbitrage pour faire baisser les tarifs dans leur collectivité, parce que les coûts de transport vers Inuvik sont relativement faibles par rapport aux taux de fret, cela déséquilibrerait le barème fondé sur le kilométrage et les gens de Bathurst Inlet se retrouveraient d'un seul coup avec des tarifs beaucoup plus élevés. Voilà ce qui nous inquiète dans le mécanisme d'arbitrage.
Le vice-président (M. Comuzzi): Merci, monsieur Nault.
M. Nault: Je voudrais revenir un instant là-dessus.
Le vice-président (M. Comuzzi): Je retire mes remerciements.
M. Nault: Si vous allez en arbitrage, il y aura manifestement deux parties en cause: le transporteur et l'expéditeur. Voulez-vous dire que l'expéditeur est sûr de toujours gagner? Je ne comprends pas. Même si un expéditeur demande l'arbitrage contre le transporteur, il risque de perdre si sa demande n'est pas fondée. Pourquoi donc vous opposeriez-vous à l'arbitrage comme solution de dernier ressort en cas de différend irréductible?
M. Edsforth: Mon expérience de l'arbitrage en vertu de la loi actuelle, et ce sera sans doute la même chose avec la nouvelle loi, est que les expéditeurs ne tiennent généralement pas à perdre leur temps avec des demandes injustifiées. Ils sont en général très sérieux, ce qui a pour effet d'imposer une négociation avec le transporteur et, souvent, d'obliger celui-ci à accepter un compromis pour ne pas aller en arbitrage. C'est comme cela que les choses se sont passées jusqu'à présent, et je pense que c'est ce que l'on voulait.
Cela a très bien marché dans le transport ferroviaire. Le problème que cela pose dans notre contexte est que, si la CTNL se trouve obligée de négocier un tarif inférieur au barème fondé sur le kilométrage, pour régler un différend de façon à éviter d'aller en arbitrage, les collectivités où les coûts de transport sont le moins élevés, comme Inuvik, voudront payer moins cher et cela entraînera probablement l'effondrement du barème fondé sur le kilométrage.
Cela serait préjudiciable à toutes les autres collectivités, à moins que la CTNL n'accepte de se retrouver en péril sur le plan financier, ce qui n'est pas le cas.
Mme Cowling (Dauphin - Swan River): Ma question concerne le port de Churchill et la voie ferroviaire qui l'approvisionne. Croyez-vous que cette voie joue un rôle important pour les régions du Nord? C'est une voie qui assure essentiellement du transport de céréales, et je constate que vous n'avez pas parlé du tout du port de Churchill. Qu'en pensez-vous ?
M. Clément: Certes, le rail joue un rôle très important pour le transport de marchandises par Churchill vers la région de Keewatin, puisqu'il permet d'approvisionner les collectivités en carburant et en marchandises de pontée, c'est à dire en matériaux de construction, automobiles, produits d'épicerie, etc. Les six collectivités desservies sont Arviat, Whale Cove, Rankin Inlet, Chesterfield Inlet, Baker Lake et Coral Harbour. Comme ce service rayonne à partir de Churchill, cette collectivité joue un rôle très important.
Mme Cowling: Pourriez-vous dire ce que cela représente en dollars?
M. Clément: Je ne comprends pas bien votre question.
Mme Cowling: On entend souvent dire que cette voie ferroviaire n'est pas viable - qu'elle ne peut pas s'autofinancer. Or, j'ai l'impression que c'est une voie qui a beaucoup de valeur pour les collectivités du Nord. J'aimerais savoir si vous avez une idée du chiffre d'affaires que représente le transport de marchandises passant par Churchill à destination du Nord.
M. Edsforth: On pourrait certainement trouver le nombre de tonnes arrivant par le rail. Quant à savoir le chiffre d'affaires que cela représenterait, il faudrait comparer les taux de fret ferroviaire aux taux de fret routier, puisque le camionnage serait une option dans ce cas.
Je n'ai pas de chiffres à ce sujet. On pourrait probablement les calculer.
M. Clément: Je ne pense pas que le camionnage soit une option dans ce cas, John, puisqu'il n'y a pas de route menant à Churchill. Selon les chiffres dont je dispose, on achemine actuellement entre 32 000 et 33 000 tonnes de marchandises à Churchill par le rail chaque année.
Mme Cowling: Merci.
Mme Terrana: J'aimerais rester sur le même sujet. Le service de Churchill est réglementé, n'est-ce pas?
M. Clément: Non.
Mme Terrana: Qui sont vos clients? Sont-ils les mêmes que ceux que vous desservez déjà? Pourquoi voudriez-vous que le transport soit réglementé dans les régions du Nord où vous travaillez actuellement alors qu'ils ne le sont pas à Churchill?
M. Preville: Cela s'explique par l'évolution historique. Si vous examinez la carte, la région de Keewatin constitue un très petit marché par rapport à la région du Mackenzie et de l'Arctique de l'Ouest. C'est le marché qui a traditionnellement été perturbé par la concurrence, laquelle a provoqué la faillite de certains transporteurs. C'est la partie du marché à laquelle on a appliqué une réglementation à l'origine, et qui est encore réglementée aujourd'hui. Nous recommandons qu'elle le reste.
Mme Terrana: Diriez-vous que la région réglementée se trouve dans une meilleure situation que celle qui ne l'est pas? Pouvez-vous faire la comparaison?
M. Preville: Je pense que c'est la même chose dans les deux cas.
Mme Terrana: Ma dernière question portera sur votre enquête relative à la satisfaction des expéditeurs. Avez-vous fait une enquête semblable sur les services de Churchill à destination de Keewatin?
M. Preville: L'enquête que nous avons publiée avait été réalisée de manière indépendante par l'Office national des transports. Elle n'a pas porté sur la région de Keewatin puisque l'Office n'a pas compétence dans cette région.
Mme Terrana: C'est donc le gouvernement qui aurait la responsabilité de s'en occuper, sans que cela vous coûte un sou.
M. Preville: Nous menons nos propres enquêtes auprès des clients, et je puis vous dire que nous enregistrons le même taux de satisfaction dans la région de Keewatin que dans celle du Mackenzie et de l'Arctique de l'Ouest.
Mme Terrana: Merci beaucoup.
Le vice-président (M. Comuzzi): Merci.
Merci, monsieur Preville, monsieur Clément et monsieur Edsforth. Votre brochure est très intéressante.
Pourriez-vous me dire combien de gens vous desservez en tout?
M. Clément: Approximativement, 22 000 à 25 000 pour toute la région.
Le vice-président (M. Comuzzi): Merci beaucoup de votre témoignage. Nous examinerons attentivement vos recommandations et nous reprendrons peut-être contact avec vous.
M. Preville: Merci beaucoup.
Le vice-président (M. Comuzzi): Nous allons maintenant entendre les témoins qui étaient prévus pour 15 h 30.
M. Gouk: Un rappel au règlement, monsieur le président. Je ne pourrais malheureusement pas rester pour les entendre.
Nous avons reçu le mémoire, qui vient juste de nous être remis, et il se trouve que nous avons près d'une heure de retard sur notre horaire, pour des raisons variables. Nous avons déjà dépassé l'heure d'ajournement d'une demi-heure et je ne peux tout simplement pas rester plus longtemps.
Le vice-président (M. Comuzzi): Je comprends bien ce que vous dites, monsieur Gouk, et je n'y peux rien.
M. Gouk: Je voulais simplement dire aux témoins que je suis prêt à recevoir immédiatement tout autre document qu'ils voudraient déposer.
Le vice-président (M. Comuzzi): Ne vous inquiétez pas, je veillerai à ce que le greffier vous les communique demain s'il y en a. Je vous remercie d'être resté au-delà de l'heure prévue.
Je souhaite maintenant la bienvenue à Terry Boehm, du Syndicat national des cultivateurs. Si vous le souhaitez, monsieur Boehm, vous pouvez faire un exposé, lire votre mémoire, improviser une déclaration, ou ne pas faire d'exposé et passer directement aux questions. À vous de choisir.
M. Terry Boehm (Comité des transports, Syndicat national des cultivateurs): Je crois que je vais improviser, monsieur le président.
Si vous me le permettez, je peux également vous proposer une autre option au cas où cela vous serait utile. Je serai également ici demain, si cela peut vous aider.
Le vice-président (M. Comuzzi): Nous avons déjà une liste complète de témoins pour demain.
M. Boehm: Dans ce cas, je commence.
Le vice-président (M. Comuzzi): Nous irons jusqu'à 19 heures environ. Prenez votre temps.
M. Boehm: Merci beaucoup, et je vous présente mes excuses pour avoir perturbé le programme.
Le vice-président (M. Comuzzi): Est-ce vous ou Greenpeace qui avez manqué l'avion?
M. Boehm: Moi.
Conjugué à d'autres projets de loi, notamment celui concernant la privatisation du CN, le projet de loi C-101 va imprimer des changements considérables à l'industrie des transports et avoir des conséquences économiques considérables sur les producteurs de l'Ouest canadien et les agriculteurs en général.
La première chose que je dois vous dire est que l'un des problèmes que connaissent les producteurs céréaliers - comme moi - est qu'ils n'ont accès à aucun mécanisme pour participer à l'élaboration du système de transport de l'avenir, puisque les producteurs ne sont pas des expéditeurs, même si ce sont eux qui payent les frais de transport. Les expéditeurs sont les sociétés de manutention des grains. C'est une distinction importante.
En fait, on se débarrasse sur nous des coûts de transport pour assurer la viabilité et l'attrait du réseau ferroviaire. Il semble en particulier que bien des aspects du projet de loi C-101 soient destinés à rendre le CN attrayant pour ses futurs investisseurs privés. Cela mène cependant à la fragmentation du réseau ferroviaire dans l'Ouest canadien.
Nous craignons que l'on ne soit passé trop rapidement d'un système relativement réglementé, en vertu de la LTGO, à un système déréglementé en deux temps, d'abord par l'abrogation de la LGTO, puis par le transfert des fonctions à l'OTN, que l'on envisage de recréer sous une autre forme aujourd'hui. Dans chaque cas, cela a créé des problèmes pour les producteurs.
L'économie de l'Ouest est intimement liée au transport ferroviaire. Je voudrais appuyer ceux qui disent que garantir la viabilité du transporteur, objectif patent de nombreuses dispositions de ce projet de loi, ne garantit aucunement qu'il y aura concurrence dans le système, comme l'a souligné M. Breton, de Baie-Comeau, au sujet du transport aérien. Je pourrais dire exactement la même chose du transport ferroviaire de l'Ouest.
Le CN et le CP sont un duopole. Chacun sait parfaitement bien comment l'autre fonctionne. Il n'y a pas vraiment de concurrence sur le plan des tarifs. Le système des voies secondaires est tel que les sociétés se répartissent les zones de service. Elles n'ont pas vraiment fait d'efforts pour se faire concurrence comme on l'envisageait dans la Loi sur les transports nationaux.
Les études réalisées sur l'incidence du projet de loi C-101 reposent sur l'hypothèse que le commerce est-ouest restera à l'origine de la majeure partie du transport de marchandises par les transporteurs nationaux. On suppose que la Commission des grains continuera d'exister, que les producteurs continueront de posséder des wagons à trémies pour expédier les céréales et, bien sûr, qu'il y aura de la part du gouvernement un effort de privatisation de la flotte de wagons à trémies, ce qui entraînera une hausse des taux de fret de 2 ou 3 dollars la tonne, rien que pour tenir compte du prix d'achat des wagons - et je suppose que les sociétés ferroviaires seront candidates à l'achat.
Comparons cette situation à celle des États-Unis. Dans ce pays, les expéditeurs de céréales de Billings, au Montana, c'est à dire juste au sud de la Saskatchewan et de l'Alberta, payent un prix sensiblement plus élevé que ceux de Alliance, au Nebraska, parce qu'ils sont captifs. Ce que craignent les membres du Syndicat national des cultivateurs, c'est que des facteurs comme l'accès compétitif aux voies ferrées ne seront offerts qu'aux expéditeurs et producteurs suffisamment proches de la frontière américaine pour avoir accès aux transporteurs américains.
En ce qui concerne l'accès compétitif aux voies et la concurrence tarifaire entre les deux transporteurs nationaux, on peut les oublier. Avec la privatisation du CN, il est probable que le réseau de l'est et le réseau de l'ouest deviendront des entités distinctes. S'il y a détournement du trafic vers les États-Unis, il est clair que les frais fixes des compagnies de chemin de fer augmenteront. Cela posera un problème parce que, bien sûr, les expéditeurs sont en fait les producteurs. Il ne vaut pas la peine de parler des expéditeurs puisque ce sont les producteurs qui payent les taux de fret. Les clients captifs du nord des Prairies et des régions où il n'y a pas de point de correspondance avec d'autres systèmes de transport se verront imposer des tarifs excessifs, et des pressions seront exercées pour abolir le plafonnement des taux de fret.
Mon exploitation agricole actuelle se trouve à Allen, en Saskatchewan, quasiment au centre de la province. Le 1er août, mon taux de fret est passé de 13$ la tonne à 33$.
Le vice-président (M. Comuzzi): Sur quel trajet?
M. Boehm: Vers l'ouest, jusqu'à Vancouver.
Le vice-président (M. Comuzzi): Vous devriez peut-être vous tourner vers l'est.
M. Boehm: C'est la même chose, nous sommes en plein centre de la province.
Certes, les taux de fret varient selon les céréales expédiées, puisque leur poids est différent, mais nous pouvons considérer qu'il y a environ 1 000 tonnes de céréales qui sont expédiées chaque année à partir d'Allen. À 33$ la tonne, ce qui est 2,6 fois plus que ce que je payais le 1er août, cela représente 3,6 millions de dollars qui sortiront de cette collectivité. C'est à dire près de 2 millions de dollars de plus qu'il y a un an. C'est une hausse considérable.
Le vice-président (M. Comuzzi): Puis-je vous interrompre un instant, car c'est très important. Vous nous dites que le tarif est passé du jour au lendemain de 13$ la tonne à 33$ la tonne?
M. Boehm: Oui.
Le vice-président (M. Comuzzi): Quelle proportion de ces 20$ peut être attribuée à la réduction des subventions au transport des céréales. Le savez-vous?
M. Boehm: La totalité.
Le vice-président (M. Comuzzi): Donc, le prix effectif de transport des céréales -
M. Boehm: Il n'a pas changé.
Le vice-président (M. Comuzzi): Il n'a pas changé mais ce n'est plus la même personne qui paye.
M. Boehm: C'est cela.
Le vice-président (M. Comuzzi): Bien. À quel prix vendez-vous ces céréales?
M. Boehm: À l'heure actuelle, le marché est très bon; du fait de la Commission canadienne du Blé, le prix final est fixé avec un an de retard. Cela dit, nous recevions il y a un an près de 4$ le boisseau pour du blé de première qualité - du blé à taux de protéines élevé. Le prix est peut-être un peu plus élevé cette année. Par contre, il y a seulement trois ans, je vendais ce blé à 1,70$ le boisseau, et il m'en coûte aujourd'hui près de 91¢ le boisseau pour l'expédier. À 1,70$, et avec l'ancien tarif de 35¢ le boisseau pour l'expédition, j'étais déficitaire. Comme l'industrie céréalière est extrêmement cyclique, cette situation reviendra un jour. Cela dépend en fait uniquement du climat.
Le vice-président (M. Comuzzi): Revenons aux 33$ la tonne. Quel est le taux de fret par boisseau?
M. Boehm: 91 cents.
Le vice-président (M. Comuzzi): C'est 91¢ sur 33$.
M. Boehm: Oui.
Le vice-président (M. Comuzzi): C'est donc environ 20% de votre... Le taux de fret est -
M. Boehm: Pour le moment. Cela peut atteindre 50%. Et ça reviendra, soyez-en sûr.
Le vice-président (M. Comuzzi): Tout dépend du prix du blé.
M. Boehm: Oui.
Le vice-président(M. Comuzzi): Hier, des témoins nous ont dit que des compagnies de chemin de fer sont toujours venues à l'aide des producteurs de charbon, de céréales ou d'autres produits lorsque leurs marchés se sont effondrés, parce qu'il est important d'assurer leur viabilité.
Êtes-vous l'un de ceux auxquels ils faisaient allusion lorsqu'ils disaient que les producteurs ne proposaient pas de hausse des taux de fret lorsque les prix de leurs denrées avaient beaucoup augmenté? C'est ce qu'on a dit hier.
M. Boehm: En fait, non. J'ai toujours pensé que les profits des compagnies de chemin de fer devaient suivre l'évolution des quantités de céréales produites dans les Prairies. Si vous comparez les courbes, vous verrez qu'elles sont parallèles. Quoi qu'il en soit, notre région est très vaste, c'est une partie importante de l'économie du Canada, et ne pas nous donner accès à un mécanisme quelconque, à titre de producteurs, pour influer sur la structure de l'infrastructure ou sur la détérioration de cette infrastructure...
Ce que l'on constate aujourd'hui, c'est qu'on nous oblige à assumer les coûts. En ce qui me concerne, je paye 33$ la tonne, mais il n'y a pas que cela. En avril 1996, en vertu du projet de loi C-101, beaucoup de voies secondaires seront abandonnées. Que se passera-t-il alors? Nous serons encore plus éloignés des points de rassemblement, le trafic routier augmentera et on devra utiliser de plus gros camions. Pour moi, tout cela se traduira par une hausse de mes investissements. En fin de compte, ce sont les gouvernements locaux, municipaux et provinciaux, puis, en dernière analyse, les résidents de la région qui devront payer pour la reconstruction des routes parce qu'elles seront utilisées par des véhicules beaucoup plus grands pour transporter les céréales sur de plus longues distances.
D'aucuns diront: «Cela rationalisera le réseau ferroviaire et contribuera au développement économique». Je leur réponds qu'il en coûtera plus cher de produire ces céréales et de les expédier en gros à l'extérieur des provinces de l'Ouest pour qu'elles puissent être transformées.
Cargill est en train de construire une usine de broyage du canola près de notre collectivité, ce à quoi je ne m'oppose absolument pas puisque cela créera 50 emplois permanents. United Grain Growers, acteur relativement petit dans le réseau des élévateurs céréaliers, fermera 100 élévateurs l'an prochain. Comme chaque élévateur emploie au moins deux personnes, quel sera le résultat net?
Pour changer de sujet, puisque je crois avoir clairement présenté mon argument, et je suis sûr que d'autres l'ont déjà fait avant moi, parlons maintenant de la détérioration des routes et de la restructuration. À titre de producteur, j'ai le sentiment que ce projet de loi est destiné à garantir la viabilité des transporteurs à nos dépens, sans aucune prise en considération véritable des intérêts de la région, dont l'infrastructure dessert pourtant l'économie du Canada dans son ensemble. Tout est axé sur les transporteurs.
J'estime que l'on devrait voir beaucoup plus loin. À mon sens, les parties les plus directement touchées devraient pouvoir contribuer au processus de reconstruction des infrastructures ou, si c'est ce que l'on veut, de démantèlement. Mais je ne vois pas cela dans le projet de loi.
Même les dispositions relatives aux voies secondaires - le plan triennal, l'avis d'intention, etc. - ne sont pas suffisantes, tout comme la période prévue pour que quelqu'un mette sur pied une voie secondaire de courte distance. Si les gens d'une région décidaient de parer à la détérioration des routes en construisant une voie ferroviaire de courte distance parce que cela coûterait moins cher, leur projet dépendrait encore de la bonne volonté des compagnies de chemin de fer, lesquelles sont cependant là pour faire des profits.
Par exemple, elles doivent publier un plan d'abandon de voies secondaires, mais elles peuvent agir ensuite pour que celles-ci soient déficitaires. Je veux dire par là qu'elles peuvent s'arranger pour que le service se détériore tellement que l'on soit obligé de fermer les points de rassemblement des céréales. Les producteurs ne les utiliseront plus parce qu'il n'y aura pas de wagons pour les desservir.
Un autre problème du projet de loi concerne la répartition des wagons. Jusqu'à présent, la répartition des wagons de tierce partie a été un élément essentiel du transport des céréales dans l'Ouest. Il y a toujours eu des wagons financés par l'État, la Commission canadienne du blé assurant leur répartition et veillant à ce qu'ils soient utilisés pour acheminer les céréales jusqu'aux ports.
Le système est très efficient. De fait, nous sommes aussi efficients aujourd'hui que l'était l'ancien système ferroviaire des États-Unis. Et nous coûtons beaucoup moins cher. Aux États-Unis, par contre, dès que les wagons tombent sous la propriété des compagnies de chemin de fer ou des expéditeurs - Cargill peut gérer sa propre flotte de wagons - on se met à percevoir des primes pouvant aller de 2$ à 7,50$ la tonne en plus du taux de fret courant, rien que pour obtenir un wagon, lorsque le marché est tel que les agriculteurs font tout leur possible pour expédier leur production.
Le vice-président (M. Comuzzi): Pourriez-vous répéter cela?
M. Boehm: Dans le système américain, il faut parfois payer une prime pour avoir accès aux wagons appartenant à des intérêts privés. Dans certains cas, on crée délibérément une pénurie de certains types de wagon - par exemple, dans une région donnée - pour imposer un prime.
Le vice-président (M. Comuzzi): Qui fait cela?
M. Boehm: Les compagnies ferroviaires, comme Burlington Northern. N'oubliez pas qu'elles desservent des expéditeurs captifs. Il n'y a pas d'autres voies ferroviaires pouvant assurer le transport à leur place.
Au Canada, nous avons une flotte limitée de wagons, et le système de répartition, dont le seul objectif est d'assurer le transport des céréales, est bénéfique à l'ensemble de l'économie.
Le vice-président (M. Comuzzi): Je voudrais vous poser une question là-dessus. Voulez-vous dire que, pour tous ces wagons céréaliers désignés que nous avions à Chicago - il y en avait à une époque un tiers de notre flotte, que nous ne pouvions pas récupérer - une compagnie ferroviaire des États-Unis percevait une prime ferroviaire de 7,50$ auprès des utilisateurs?
M. Boehm: Je ne suis pas totalement sûr que ça se faisait avec nos wagons, mais ça se faisait de manière générale.
Le vice-président (M. Comuzzi): Il y avait du transbordement de blé américain après l'arrivée du wagon. Nous avons vérifié. Nous savons où se trouvaient certains de ces wagons.
M. Boehm: C'est arrivé.
Le vice-président (M. Comuzzi): Je suis allé un jour à Chicago et j'y ai vu plus de wagons du CN que dans toutes les gares du CN de Winnipeg, Toronto et Montréal.
M. Boehm: Il existe une liaison entre le CN et Burlington Northern, et je crois qu'il y en a une entre le CP et la Soo Line.
Le vice-président (M. Comuzzi): Ils exigent une prime de 7,50$ par wagon?
M. Boehm: Je ne sais pas si cela s'est fait avec ces wagons précisément, mais je sais que cela s'est fait. De fait, j'ai en ma possession un autre mémoire où je donne des exemples précis.
Le vice-président (M. Comuzzi): J'aimerais bien le voir. Veuillez m'excuser, je vous interromps trop souvent.
M. Boehm: Cela ne me dérange pas, tant que j'obtiens une réaction positive de votre comité.
La question des wagons à trémies est très importante du point de vue de la planification régionale. Encore une fois, je vais utiliser un exemple américain.
Dans l'État du Maine, on considère la région dans son ensemble, avec ses différents modes de transport. Ensuite, on se pose des questions. Si l'on ferme la voie ferrée XYZ, quelles seront les conséquences pour le réseau d'autoroutes? Quelles seront les conséquences pour telle industrie, de telle région, qui n'aura plus accès aux services ferroviaires?
Avec le projet de loi C-101, tout est axé sur le transporteur.
Le vice-président (M. Comuzzi): Je crois que nous avons reçu votre message. Je suis sûr qu'il y a certaines personnes qui aimeraient vous poser des questions.
M. Boehm: Je voudrais faire rapidement une recommandation qui ne figure pas dans le mémoire.
Nous recommandons l'adoption d'une mesure qui avait été proposée par la commission Hall de 1977, c'est à dire la création d'un organisme ferroviaire des Prairies pour s'occuper des voies secondaires. Cet organisme louerait les voies secondaires aux grands transporteurs. Il pourrait sous-traiter l'entretien des voies. Éventuellement, il pourrait devenir propriétaire de la flotte de wagons à trémies, afin de répartir ces derniers de manière à maximiser le transport des céréales plutôt que les revenus.
J'estime que ce processus serait en fin de compte bénéfique à toute l'économie. En outre, il permettrait au gouvernement de maintenir les 900 millions de dollars qui ont été investis dans la rénovation des voies secondaires, au lieu de brader cela à vil prix.
Le vice-président (M. Comuzzi): Vous dites que c'était une recommandation de la commission Hall?
M. Boehm: Oui, de 1977.
Le vice-président (M. Comuzzi): On disait que le gouvernement devrait conserver les voies secondaires, mais, surtout, la flotte de wagons à trémies.
M. Boehm: Non, c'est nous qui avons ajouté la flotte de wagons à trémies. En fait, les wagons constituaient à l'époque l'un des gros problèmes à résoudre.
Le vice-président (M. Comuzzi): Monsieur Mercier.
[Français]
M. Mercier: Monsieur Boehm, mon parti, le Bloc québécois, appuie certaines de vos recommandations et nous présenterons des amendements en ce sens.
C'est le cas de votre recommandation no 4, qui veut qu'une compagnie de chemin de fer ne puisse entreprendre des procédures d'abandon qu'après une période minimale de 90 jours. Nous trouvons qu'une période de 60 jours est tout à fait insuffisante et nous trouvons également insuffisant qu'un pouvoir public n'ait que 15 jours pour proposer d'acheter un tronçon et pour organiser des audiences publiques, alors que l'Office national n'en fait plus.
Nous approuvons aussi - et nous proposerons un amendement dans ce sens - votre recommandation no 6, qui veut que les articles 166 et 167 de la Loi de 1987 concernant l'abandon des lignes soient reconduits.
Par contre, j'aimerais avoir une explication au sujet de votre recommandation no 8, et je la lis:
8. Le SNC recommande que la LTC accorde aux compagnies de chemin de fer secondaires des droits d'exploitation pour qu'elles puissent utiliser les lignes des deux grands transporteurs de lignes principales.
Est-ce que, selon votre conception, ce droit devrait être dans les deux sens? Est-ce que les compagnies devraient pouvoir utiliser le réseau des CFIL, les CFIL étant ce qu'on appelle des compagnies de chemin de fer secondaires?
[Traduction]
M. Boehm: Il s'agit de savoir pourquoi ce droit a été accordé à l'origine. À mon avis, s'il existe des compagnies de chemin de fer secondaires, c'est pour exploiter certains tronçons que les compagnies principales ont délaissés.
En ce qui concerne les droits d'exploitation des tronçons, notre inquiétude est que les compagnies secondaires dépendent à toutes fins pratiques de la bonne volonté des compagnies principales. Si celles-ci décident - comme c'est probable - qu'il est plus rentable d'affecter les wagons à leurs propres lignes pour expédier des céréales et qu'elles ne veulent pas de partage de revenus avec les compagnies secondaires, parce qu'il y a entre elles une relation d'adversaire, l'octroi de droits de circulation communs permettrait aux compagnies secondaires de demander l'arbitrage sur le plan des tarifs, ce qui produirait des tarifs compétitifs. Cela dit, nous n'avons rien contre le fait que les compagnies principales exploitent les tronçons courts si les mécanismes de partage des revenus vont dans les deux sens, ce qui est généralement le cas lorsqu'une compagnie secondaire est reliée à une compagnie principale.
Le vice-président (M. Comuzzi): Merci.
Mme Terrana: Lorsque je faisais partie du groupe de travail étudiant la rationalisation du CN, j'ai souvent entendu dire que le processus d'abandon ou de vente de voies secondaires ou de tronçons était très difficile. Vous affirmez que le système établi en vertu de la LTN était meilleur, alors que je n'ai cessé d'entendre, d'un bout à l'autre du pays, qu'il était trop complexe. Les compagnies principales n'arrivaient pas à vendre de tronçons et elles n'osaient plus essayer de le faire parce que le processus était beaucoup trop lourd. Donnez-moi donc une autre raison car -
M. Boehm: Ce que vous dites est certainement vrai du point de vue des compagnies ferroviaires.
Du point de vue du producteur, ce sont les coûts de transport à partir de l'exploitation qui sont importants, pas les coûts une fois que les marchandises sont sur les voies principales. Or, quand on commence à abandonner des voies secondaires, les coûts du producteur augmentent.
C'est donc d'un point de vue purement économique que nous exprimons des réserves sur la procédure d'abandon des voies. J'ajoute que nous estimons aussi que les compagnies de chemin de fer ont aujourd'hui le pouvoir de dérentabiliser certaines voies, dans la mesure où elles peuvent décider que toutes les céréales vont être acheminées à tel point plutôt qu'à tel autre, ce qui fait baisser la qualité du service. Il faut bien que les céréales partent de quelque part et -
Mme Terrana: Tout est relié. C'est relié à la notion d'intérêt public, qui est exprimée dans le projet de loi C-101.
N'oubliez pas que vous avez une période de cinq mois pour intervenir. Vous dites que vous n'avez que quinze jours pour exercer des pressions sur votre gouvernement, sur les municipalités, sur le gouvernement régional, etc. Cependant, il y a une période de cinq mois avant que la décision n'entre en vigueur, et celle-ci doit être approuvée d'abord par le gouvernement fédéral, puis par le gouvernement provincial, et, finalement, par les municipalités. Ne pensez-vous pas que c'est suffisant?
M. Boehm: J'ai relu plusieurs fois la loi. Si je me souviens bien, on y trouve un assez grand nombre d'articles qui permettent de contourner ces exigences relatives à l'abandon des voies secondaires.
L'une des principales méthodes, si je ne me trompe, est que le Cabinet peut approuver l'abandon de tout ce peuvent lui soumettre les compagnies ferroviaires avant le 1er avril 1996. Est-ce que je me trompe?
Mme Terrana: Je ne sais pas. C'est un projet de loi tellement gros que -
M. Boehm: En effet, c'est un projet de loi omnibus et -
Mme Terrana: Je vais faire une dernière remarque. J'appuie résolument votre recommandation voulant que les compagnies de chemin de fer ne soient autorisées à procéder à l'abandon d'un tronçon que si elle l'a prévu dans son plan triennal.
Pour ce qui est du reste, après vous avoir entendu... Au fait, quand je parle de la complexité excessive du système de rationalisation des voies secondaires, ce ne sont pas seulement les représentants des compagnies ferroviaires qui exprimaient cet avis, mais aussi beaucoup d'autres personnes.
M. Boehm: C'est intéressant. Cette question de rationalisation des voies secondaires touche une infrastructure économique importante pour un pays dont la capacité portuaire est limitée. Nous sommes loin d'avoir autant de ports que les États-Unis. Les ports américains fonctionnent à environ 75% de leur capacité, et les compagnies ferroviaires américaines les approvisionnent dans des délais semblables - je parle de la compagnie la plus efficace, Burlington Northern - que nous, qui avons des ports fonctionnant en fait au-delà de leur capacité.
Il est évident que je ne suis pas particulièrement excité par l'abandon des voies secondaires. Je comprends bien qu'il faut accepter une certaine rationalisation, mais je crains que nous n'aboutissions à un système très fragmenté, à cause du projet de loi C-101 et de la privatisation du CN. Pour ce qui est du plafonnement des taux de fret, je crois qu'il y aura des pressions extrêmes qui seront exercées pour maintenir ce qu'il reste de l'infrastructure et pour éliminer ce plafonnement dans les cinq prochaines années, mais j'aimerais ne pas être poussé à la faillite.
Le vice-président (M. Comuzzi): Monsieur Hubbard.
M. Hubbard: Merci, monsieur le président.
Au sujet de ne pas être poussé à la faillite, je vous rappelle que les compagnies de chemin de fer ont subventionné des industries, notamment la production céréalière, pendant des générations. Cela dit, croyez-vous que les producteurs céréaliers de l'Ouest pourront s'adapter à un système de paiement des coûts réels par l'usager lui-même, c'est à dire sans subventions, dans un contexte de concurrence traditionnel?
M. Boehm: Il y a beaucoup d'autres facteurs à prendre en considération, comme la commercialisation de nos denrées. Il y a le programme d'expansion des exportations...
Si l'on veut mettre en place un système de paiement des frais de transport réels par l'usager, il faut tenir compte aussi des autres facteurs qui influent sur les cours de nos denrées. Ce serait peut-être possible dans un système de concurrence pure, où toutes les autres variables n'auraient plus aucune influence, mais vous savez bien que ça n'existe pas, qu'il n'y a plus de vrai marché pur. Il y a des lois, il y a des règlements, il y a -
M. Hubbard: Considérons cependant que le gouvernement veuille se retirer complètement du transport ferroviaire et que vous deviez perdre les subventions qu'il octroyait auparavant pour le transport des céréales de l'Ouest. Pourriez-vous survivre dans un tel contexte, et acceptez-vous l'idée de devoir vous débrouiller seuls, sans l'intervention du gouvernement?
M. Boehm: Non, je ne pense pas que nous puissions être nombreux à survivre dans un tel contexte. Lors de la prochaine baisse cyclique des cours des denrées de base, beaucoup d'exploitants disparaîtront. C'est inévitable. Écoutez, il n'y a pas que les transporteurs de denrées de base qui soient importants dans l'économie canadienne.
M. Hubbard: Vous êtes donc en train de nous dire que le gouvernement du Canada, ou un certain palier de gouvernement, devrait continuer de subventionner l'industrie agricole pour qu'elle survive?
M. Boehm: Ce n'est pas cela.
M. Hubbard: Pas cela ?
M. Boehm: J'ai participé au dernier débat concernant l'abolition du Nid-de-corbeau. Comme je l'ai dit au début de mon exposé, les profits des compagnies de chemin de fer et la production céréalière ont toujours évolué en parallèle. Même avant la LTGO et la subvention du Nid-de-corbeau, le CP connaissait ses meilleures années lorsqu'il transportait ses plus grosses quantités de céréales.
J'ajoute que le mécanisme d'établissement des prix de revient des compagnies de chemin de fer est une autre chose qui n'est pas traitée adéquatement dans le projet de loi. On parle du prix de revient en fonction de toutes sortes de variables, comme le coût du capital, mais ça ne suffit pas.
Moi aussi, comme producteur céréalier, je dois assumer des frais financiers qui sont tout à fait légitimes. Si je réalise des profits en produisant du blé, j'espère que ces profits me permettront, à terme, de couvrir mes frais financiers. Avec les voies secondaires, que l'on dit tributaires des céréales, il y a toutes sortes d'autres frais que l'on attribue au transport des céréales alors qu'ils proviennent en fait du transport d'autres produits, comme la potasse. Je parle ici de frais variables, de carburant, de maintenance, etc...
Toute cette question du prix de revient est vraiment épineuse. La commission royale Snavely en a fait l'étude il y a quelques années.
M. Hubbard: Vous êtes donc en train de nous dire que vous êtes à la merci d'une ou deux grandes compagnies, qui contrôlent votre destin?
M. Boehm: Absolument. Il s'agit du duopole CN-CP.
M. Hubbard: Cependant, à titre d'expéditeur, vous pourrez vous adresser à l'Office si vous estimez être traité de manière injuste.
M. Boehm: Certes, mais, à titre de producteur, j'aurai beaucoup d'obstacles à franchir pour avoir accès à l'Office. Je devrai par exemple prouver que mon intervention n'est pas frustratoire et j'aurai des coûts élevés à assumer pour déposer ma plainte. Cela va certainement me faire réfléchir, et c'est pourquoi nous recommandons l'abrogation de cet article.
M. Hubbard: Le CN disait hier que la majeure partie des producteurs agricoles de l'Ouest auront accès à deux compagnies concurrentielles dans un rayon de 35 milles.
M. Boehm: Ce n'est pas vrai. Prenez l'exemple de M. Breton de Baie-Comeau au sujet du transport aérien. En l'écoutant parler tout à l'heure, les parallèles me sautaient aux yeux.
Écoutez, le transport, c'est une chose, mais le système qui s'est mis en place dans l'Ouest canadien, englobant la production, le transport, la manutention et la commercialisation, est fortement tributaire des mécanismes législatifs, et je crains qu'on ne l'envisage dans le projet de loi que comme un simple problème de transporteurs. Ça va beaucoup plus loin.
Le vice-président (M. Comuzzi): Monsieur Boehm, à quelle distance vous trouvez-vous de la frontière américaine?
M. Boehm: Je suis juste à côté de Saskatoon, c'est à dire probablement à 450 kilomètres.
Le vice-président (M. Comuzzi): Si vous pouviez avoir recours à un transporteur américain, ses tarifs seraient-ils comparables?
M. Boehm: En fait, ils sont plus élevés aux États-Unis.
Le vice-président (M. Comuzzi): Vraiment?
M. Boehm: Oui. Je sais qu'on s'imagine souvent, même chez les agriculteurs, que le système américain est un modèle d'efficience et que la concurrence débridée qui règne aux États-Unis garantit les tarifs les plus bas. Ce n'est pas vrai, et elle ne garantit même pas un taux de roulement plus élevé des wagons. Les Canadiens ont toujours battu les Américains à plate couture. Il y beaucoup d'idées fausses sur les États-Unis.
Mme Cowling: Je voudrais poser une très brève question. Vous dites que vous avez des chiffres sur les tarifs américains. Pourriez-vous nous les communiquer?
M. Boehm: Certainement.
Mme Cowling: Cela nous serait utile pour rédiger notre rapport.
L'objectif du gouvernement est évidemment de contribuer à l'instauration d'un système plus rapide pour expédier nos céréales à l'étranger.
Vous avez parlé de l'organisme ferroviaire des Prairies qui avait été recommandé par la commission Hall, et vous avez parlé aussi du maintien des voies secondaires et de la flotte de wagons à trémies. Moi aussi, je suis dans l'industrie céréalière. Ma famille travaille toujours dans ce secteur. Or, nous pensons que les producteurs céréaliers ont tout à gagner d'un régime de déréglementation qui leur permettra d'exercer des pressions pour faire baisser les tarifs.
Évidemment, pour déréglementer, il faut abolir les règlements adoptés au cours des années et, sans doute, abandonner certaines voies secondaires qui ne sont plus viables. Qu'en pensez-vous?
M. Boehm: Théoriquement, c'est parfaitement raisonnable. Considérez cependant que les wagons soient vendus et soient exploités ailleurs - ce qui serait le résultat de la privatisation. Les propriétaires de ces wagons vont les répartir en fonction de considérations purement économiques. À l'heure actuelle, le seul facteur pris en compte est d'acheminer les céréales canadiennes le plus vite possible vers les ports. C'est la Commission canadienne du blé qui s'occupe de répartir les wagons, même en ce qui concerne les céréales non assujetties à sa réglementation. Son seul souci est d'assurer le transport le plus rapide possible. Je le répète, nos ports travaillent au-delà de leur capacité normale, mais ça ne nous empêche pas de battre les Américains.
J'ai d'ailleurs toujours pensé que ce n'est pas le seul domaine dans lequel nous les battons. Quoi qu'il en soit, même s'il y a déréglementation, comment pensez-vous qu'il puisse y avoir une vraie concurrence dans l'Ouest, où il n'y a que deux compagnies de chemin de fer? En fait, nous sommes captifs.
Si vous voulez voir l'effet de la déréglementation, voyez ce qui se passe au Montana et au Nord-Dakota. Certains producteurs peuvent expédier leurs céréales 500 milles plus loin que d'autres tout en payant 10$ de moins la tonne, parce que les autres sont captifs.
Dans le système américain, la répartition des wagons céréaliers se fait à la loterie. Il y a un tiers de la flotte qui est réservée aux services de transport ponctuels.
Disons que la Commission canadienne du blé a besoin de blé no 1 à 13,5 de protéines. Elle sait que du blé de cette catégorie a été produit à l'est de la Saskatchewan, et elle peut y envoyer un certain nombre de wagons. Elle va composer un train, l'amener sur la voie principale et l'envoyer le plus vite possible à Vancouver parce qu'il y a un bateau en attente pour la Turquie, par exemple.
Savez-vous comment les wagons sont répartis aux États-Unis? Avec un système de loterie. Il y a un tiers des wagons qui sont répartis en fonction d'un système aléatoire. C'est un ordinateur qui produit des chiffres, et les wagons sont attribués comme cela, un peu partout.
Ceux qui veulent un wagon lorsque le marché est à la hausse sont obligés d'en payer le prix. À mon avis, si vous tenez compte des coûts de propriété des wagons, que les compagnies ferroviaires répercuteront sur les producteurs, et du risque que les compagnies exigent une prime pour donner accès aux wagons, cela fera disparaître tout avantage net qui aurait pu résulter de l'abandon des voies secondaires.
Le vice-président (M. Comuzzi): J'aimerais beaucoup rester ici toute la soirée pour vous écouter mais les membres du comité insistent pour que je lève la séance.
M. Boehm: Merci de votre patience.
Le président: C'était très intéressant. Merci beaucoup.
La séance est levée.