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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 25 octobre 1995

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[Traduction]

La présidente: Nous allons commencer. J'aimerais présenter les témoins. Kevin Heppner est un observateur des droits de la personne. Si je comprends bien, il a abandonné une vie agréable en Australie pour faire du travail humanitaire. Bienvenue, Kevin.

Il est accompagné de Harn Yawnghwe, éditeur de Burma Alert.

Kevin, je crois que vous avez une déclaration liminaire.

M. Kevin Heppner (représentant, Canadian Friends of Burma): Oui. Je pense que Harn aura également quelques commentaires à faire, mais je vais prendre la parole en premier et Harn pourra compléter mon témoignage.

La présidente: C'est entendu, mais je dois vous prévenir que le timbre résonne à 17 heures; par conséquent je vous laisse évaluer le temps dont vous disposez.

M. Heppner: Pour expliquer brièvement la situation, je suis directeur du groupe Karen des droits de la personne. Je travaille en Birmanie et, plus précisément, dans le territoire occupé par l'opposition, depuis cinq ans maintenant; avant de me lancer dans le travail humanitaire, j'étais enseignant.

Le groupe Karen des droits de la personne que j'ai créé en 1992 se compose essentiellement de jeunes Karen bénévoles que nous formons et équipons de manière à pouvoir, avec eux, observer la situation des droits de la personne au niveau local dans les villages ruraux de Birmanie, essentiellement dans les régions ethniques non-birmanes, mais aussi pour recueillir de l'information dans les régions centrales du pays. Nous faisons rapport à l'étranger de cette information de première main sous forme de témoignages des villageois eux-mêmes.

Pour résumer la situation telle qu'elle nous apparaît actuellement, je dirais que les violations des droits de la personne au niveau des villages de Birmanie continuent d'empirer.

Pour commencer, je vous donne l'exemple de l'armée de Birmanie, la Tatmadaw. On estime actuellement qu'elle se compose de près de 350 000 soldats, soit le double de ce qu'elle était au moment de la prise du pouvoir par la junte SLORC actuelle, en 1988. Le régime dictatorial continue d'augmenter les rangs de l'armée et envoie des bataillons dans tout le pays, particulièrement dans les secteurs où il n'y a même pas de combats avec des groupes ethniques.

Que font ces bataillons dans les villages: essentiellement, ils confisquent les terres agricoles, chassent les agriculteurs sans les dédommager et forcent ensuite les villages à construire leurs camps et à en assurer l'entretien, à fournir l'argent ainsi que les matériaux de construction, etc. Une fois les camps construits, il est constamment ordonné aux villages d'envoyer des équipes tournantes d'esclaves chargés de faire tout le travail physique pour les soldats - creuser des tranchées, construire des bunkers, ériger des barrières, faire office de sentinelles, de messagers, etc. Les femmes sont souvent victimes de viol ou d'autres mauvais traitements dans les camps. En général, chaque semaine, une personne environ sur deux familles doit faire ce travail; à la fin de la semaine, ce groupe ne peut pas retourner au village tant que l'équipe de remplacement n'est pas arrivée.

En même temps, des patrouilles de l'armée arrivent dans les villages plusieurs fois par semaine pour rassembler les civils et les charger de porter les munitions et les fournitures pour elles. Ces gens - cela est fort bien documenté - sont appelés des porteurs. En fait, ils sont utilisés et maintenus en vie à la limite de l'inanition jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus continuer. Ils sont alors simplement battus à mort.

On assiste également à une intensification de l'extorsion dans les régions rurales. Tous les villages sont obligés de verser à l'armée tout l'argent qu'ils peuvent trouver. Toutes sortes de travaux forcés sont organisés pour de soi-disant projets de développement pour lesquels le SLORC essaye d'obtenir un financement international. Il s'agit de projets de travaux d'infrastructure, de construction de routes, de chemins de fer et de barrages hydroélectriques; la plupart permettent à l'armée d'empiéter encore plus sur les régions ethniques proches de la frontière. Toutefois, le SLORC fait tout ceci sous l'apparence du développement.

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C'est surtout dans les régions où il n'y a pas de combat que les membres du SLORC instaurent un genre de système féodal: ils confisquent les terres agricoles, expulsent les agriculteurs et forcent les villageois à faire des travaux - comme les cultures commerciales que l'armée utilise ensuite pour nourrir ses propres soldats et aussi à des fins d'exportation. Le SLORC vend maintenant certains de ces produits à des sociétés étrangères et exporte beaucoup de ces produits agricoles. Même si l'UNICEF et d'autres groupes ont révélé, documents à l'appui, les taux effrayants de malnutrition dans tout le pays, le SLORC augmente ses exportations agricoles.

L'année dernière, le SLORC est devenu beaucoup plus intransigeant. Il semble que cette nouvelle attitude se soit manifestée à peu près au moment où Li Peng, premier ministre de Chine, était en visite officielle à Rangoon. Il est difficile de dire qu'il y a là un lien direct, mais l'an passé, le SLORC a repris de plus en plus d'offensives militaires contre les groupes ethniques, dont les Karen, les Karenni, les Shans, les Mons et quelques autres. Toutes les autres formes de violation des droits de la personne que j'ai déjà décrites ont empiré, tandis que le travail forcé ne fait que sévir.

Le fait est que les membres du SLORC commençaient à subir de plus en plus de pressions internationales, mais, en même temps, remportaient de gros succès militaires. Ils ont réussi par exemple à s'emparer de l'administration centrale du gouvernement Karen, qui était également celle de la plupart des groupes pro-démocratiques de Birmanie, où je travaillais également. Ils ont réussi à l'envahir en janvier, ainsi que beaucoup d'autres territoires. Ils se rendent compte qu'ils ont une position militaire de force en ce moment face aux groupes d'opposition; ils croient les avoir coincés et pouvoir les écraser quand ils le veulent.

Face à l'intensification des pressions internationales et compte tenu de ces deux facteurs, ils en ont conclu qu'ils pouvaient s'en tirer à bon compte en libérant Aung San Suu Kyi, ce qu'ils ont fait en juillet. Bien entendu, les gouvernements asiatiques ont accueilli cette mesure comme un merveilleux signe de réforme et de politique d'action constructive, mais en réalité, ils l'ont fait pour les raisons que j'ai citées; cela est fort bien documenté.

Tout d'abord, ils l'ont libérée le 10 juillet. Ils n'ont même pas annoncé officiellement sa libération dans leurs propres médias. Ils n'ont nullement indiqué qu'ils voulaient lui parler. En fait, leurs représentants ont déclaré très clairement à plusieurs occasions que selon eux, il n'est nullement nécessaire de lui parler ou de l'inclure dans le processus politique.

Il n'y a pas eu d'autres réformes liées à sa libération. En fait, pas plus tard que l'autre jour, avec ses collègues Tin Oo, Kyi Maung et d'autres, Suu Kyi a essayé de commencer à reconstruire la Ligue nationale pour la démocratie, parti qu'ils avaient créé avant de remporter les élections en 1990, victoire que le SLORC n'a jamais reconnue. En 1991, alors qu'elle était assignée à résidence, le SLORC avait forcé les chefs de la Ligue nationale pour la démocratie à l'expulser officiellement du parti. Maintenant, elle est de retour au sein du parti, mais pas plus tard que l'autre jour, une soi-disant commission électorale du SLORC a déclaré que son adhésion à la Ligue nationale pour la démocratie serait illégale et qu'elle ne serait pas autorisée à en être membre ni même à diriger ce parti qu'elle a créé et qui a remporté les élections. Le SLORC fait très clairement comprendre qu'il n'a pas l'intention de la laisser participer au processus politique.

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Il est intéressant de noter que sa libération a eu lieu le jour précédant la présentation au Sénat américain du premier projet de loi sur des sanctions commerciales contre le SLORC - le projet de loi S-1092, le Free Burma Act, qui visait à imposer des sanctions économiques. Au bout du compte, sa libération a compliqué les choses si bien que, pour l'instant, ce projet de loi semble étouffé. Dès qu'il est clairement apparu que ce projet de loi serait coulé, le SLORC a soudain annoncé que Aung San Suu Kyi ne pourrait plus diriger son parti politique.

Le jour de sa libération, le SLORC a lancé deux nouvelles offensives militaires. L'une contre le peuple Karen dans le sud de la Birmanie, peuple avec lequel je travaille, l'autre contre le peuple Karenni, plus au nord. Ces offensives se poursuivent encore aujourd'hui et se sont intensifiées. Pas plus tard que la semaine dernière, nous avons appris que ces deux ou trois derniers mois, les forces du SLORC ont incendié et détruit au moins 60 villages Karen dans les régions de Papun, Thaton et Bilin autour de l'État Karen. Ces 60 villages ont été incendiés et détruits depuis la libération de Aung San Suu Kyi. Le SLORC tente de réinstaller ces gens dans des camps de travaux forcés et ailleurs.

Le SLORC cherche à défricher une bande de terre d'environ 50 kilomètres de large le long de la frontière thaïlandaise pour en faire une zone de tir libre, dégagée de tout civil et où ils pourront tirer à vue sur n'importe quel civil. Tout d'abord, cela empêchera absolument à des réfugiés de s'échapper en Thaïlande. Deuxièmement, cela coupera toutes les voies de ravitaillement des forces de la guérilla à l'intérieur de la Birmanie qui se battent toujours contre le SLORC.

Voilà donc ce qui se passe. Entre temps, pour la première fois cette année, les forces SLORC ont envahi la Thaïlande, pour attaquer et détruire les camps de réfugiés Karen essentiellement. Certaines de ces attaques se sont même faites à l'aide de mortier du côté birman de la frontière. Le gouvernement thaïlandais veut que tous les réfugiés soient rapatriés de force de toute façon, si bien que l'armée thaïlandaise a pris des mesures purement symboliques, prétendant protéger sa souveraineté, alors qu'en réalité, elle n'a absolument rien fait pour protéger les camps eux-mêmes. À la place, elle a réinstallé les réfugiés dans de grands camps et certains éléments à l'intérieur du gouvernement ou de la structure du pouvoir de la Thaïlande - essentiellement l'armée et le conseil national de sécurité de Thaïlande - déclarent maintenant vouloir renvoyer de force en Birmanie tous les réfugiés, en 1996.

J'ai demandé à une représentante principale du Haut- commissariat des Nations Unies pour les réfugiés à Bangkok ce que ferait le HCR en pareil cas. Elle m'a répondu que le HCR coopérerait probablement. Au sujet de la Birmanie, le HCR pense actuellement que le rapatriement de ces réfugiés est inéluctable. Il préférerait y participer et coopérer, pensant que cela atténuera les souffrances. Il donne l'exemple du rapatriement des réfugiés Rohingyas du Bangladesh comme modèle. Toutefois, selon les ONG qui travaillent dans ces camps de réfugiés, le HCR ne fait qu'empirer les choses.

Face à pareille situation, on se demande ce que pourrait faire le Canada. Il y a deux voies principales, la voie politique et la voie économique.

Tout d'abord, la position politique du Canada a été positive, puisque ce pays a dénoncé le SLORC et ne l'a pas vraiment reconnu; le Canada pourrait cependant aller plus loin.

Le moment est venu maintenant d'opter pour la voie économique. En effet, la libération de Suu Kyi s'est faite essentiellement par suite de la menace de sanctions économiques. Si le SLORC refuse de lui parler maintenant, c'est essentiellement parce que cette menace de sanctions économiques s'est estompée.

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Les sanctions seraient maintenant beaucoup plus efficaces que jamais. Certains disent que les sanctions ne donnent jamais les résultats escomptés, mais dans le cas de la Birmanie, il faut savoir que le SLORC contrôle toute l'économie. On parle de marché libre, mais ce marché ne s'ouvre que pour les sociétés étrangères et non pour les gens d'affaires de Birmanie. Si vous vivez en Birmanie, vous ne pouvez créer d'entreprises, à moins d'avoir des relations dans les milieux militaires et de payer les gens qu'il faut. Sinon, vous vous retrouvez en prison. Je connais beaucoup de détenus qui sont en prison pour cette raison.

Le SLORC a même des lois du travail qui stipulent que toute société étrangère qui s'installe en Birmanie et qui embauche au moins cinq personnes doit se présenter au SLORC. Celui-ci lui donne alors une liste de candidats pour les emplois recherchés et elle doit choisir ses employés à partir de cette liste.

Les soi-disant entreprises privées qui s'ouvrent dans les villes sont largement financées. Elles sont créées par des familles de militaires et dotées de capitaux provenant de l'argent que les officiers apparentés à ces familles extorquent aux villageois des régions rurales. Les officiers envoient l'argent à leur famille dans les villes pour financer ces prétendues entreprises privées.

Au bout du compte, pour les gens ordinaires, tout cet investissement étranger et ce soi-disant marché libre créent un taux d'inflation de près de 50 p. 100 par an. Même si vous avez un emploi de fonctionnaire de niveau moyen ou supérieur, ou un bon emploi d'enseignant, votre salaire brut moyen ne suffit pas à acheter suffisamment de riz ordinaire pour nourrir une famille de quatre. Même avec un emploi, on ne peut pas maintenant survivre, on ne peut que mettre ses enfants à la rue.

Le SLORC procède à de plus en plus de réinstallations forcées, surtout pour l'investissement étranger. De plus en plus, des sociétés étrangères arrivent dans le pays pour construire des usines et des hôtels dans les villes. Pour obtenir la terre nécessaire, le SLORC lance un ordre de réinstallation à un quartier entier. Il force les habitants à sortir du quartier sous la menace du fusil. Il passe le quartier au bulldozer et laisse la société étrangère construire son installation. Les gens qui sont forcés de partir doivent se réinstaller dans des endroits appelés villes nouvelles, qui sont essentiellement des endroits marécageux peu cultivables.

Entre-temps, conjointement avec l'investissement étranger dans des projets comme ceux du gazoduc du sud, le travail forcé sévit. Par suite de la construction de ce gazoduc, les gens fuient cette région, à cause d'une grande offensive militaire, du travail forcé, de l'extorsion et de la présence militaire.

Pour l'année 1996, le pays se lance dans une vaste campagne de promotion du tourisme intitulée «Visit Myanmar Year 1996». Des dizaines de milliers de personnes font des travaux forcés pour construire les infrastructures, les aéroports et les lieux touristiques.

Par conséquent, en ce qui concerne la Birmanie, je ne pense pas que l'on puisse s'opposer au concept des sanctions.

La présidente: Kevin, puis-je vous interrompre un instant? M. Morrison doit partir; il a quelques questions à vous poser. Nous pourrons alors poursuivre, si cela ne vous dérange pas.

M. Morrison (Swift Current - Maple Creek - Assiniboia): Merci, madame la présidente. C'est un procédé peu orthodoxe, car nous laissons habituellement les témoins terminer leur déclaration, mais je dois vraiment partir.

Je suis très heureux de vous voir parmi nous et je vous souhaite la bienvenue à notre comité. J'essaie de mieux comprendre la situation à l'intérieur de la Birmanie. Je me demande quand vous avez quitté le pays vous-même monsieur Heppner. Quand avez-vous quitté le pays?

M. Heppner: En août dernier.

M. Morrison: En août seulement?

M. Heppner: En fait, je vis dans ce pays. Je ne viens ici qu'un ou deux mois par an.

M. Morrison: Cela m'amène à la question suivante, qui, de nouveau, se rapporte à la situation dans ce pays. Lorsque vous êtes en Birmanie, pouvez-vous déplacer entre les zones contrôlées par les Karen et celles sous le contrôle du gouvernement, soit celles contrôlées par le SLORC? Pouvez-vous vous promener en tant qu'étranger, sans être trop harcelé?

M. Heppner: En Birmanie, il y a des régions entièrement sous le contrôle de groupes comme celui des Karen. Je peux m'y déplacer librement. Puis, il y a ce que le SLORC appelle les zones brunes; ce ne sont pas des régions aux avant-postes, mais des régions où les deux côtés sont actifs. Je peux y pénétrer pour des occasions spéciales, mais dans ces régions, la plupart du travail est effectué par nos observateurs qui y vivent ou qui s'y rendent constamment. Ils peuvent également s'introduire dans les régions complètement dominées par le SLORC.

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Nous obtenons également des renseignements, par exemple, de ceux qui ont fui les régions dominées par le SLORC et qui arrivent, dans la région contrôlée par les Karen, où nous les rencontrons.

M. Morrison: Lorsque vous arrivez à l'aéroport de Rangoon, si vous voulez vous rendre dans les régions Karen, vous devez passer par le SLORC.

M. Heppner: Je n'arrive jamais à l'aéroport de Rangoon. Je ne pourrais le faire sans mettre ma vie en danger, dans une certaine mesure, mais surtout sans mettre la vie de bien d'autres gens en danger. Étant donné que je fais du travail humanitaire, le SLORC m'a effectivement déclaré ennemi de l'État plus tôt cette année.

M. Morrison: Vous travaillez donc clandestinement.

M. Heppner: Le SLORC n'autorise pas d'ONG ou d'organismes des droits de la personne à observer la situation dans le pays.

M. Morrison: Je vois. Pourriez-vous être un peu plus -

M. Harn Yawnghwe (représentant, Canadian Friends of Burma): Pourrais-je faire quelques observations à cet égard? Compte tenu de la campagne que mène le SLORC pour attirer l'investissement étranger et le tourisme, il a légèrement ouvert le pays. Il y a des gens qui entrent et qui sortent. Je le précise pour que vous sachiez que beaucoup de renseignements que nous obtenons proviennent de l'intérieur ainsi que des zones frontalières.

M. Morrison: Sans vouloir percer de secret, vous devez arriver au Myanmar par mer, n'est-ce pas? Arrivez-vous par mer?

M. Heppner: Non, par voie de terre en passant par les pays avoisinants.

M. Morrison: D'accord, je ne vais pas vous demander lequel.

M. Heppner: Si l'on arrivait par mer, on se ferait probablement sauter la cervelle. Il s'agit d'un État entièrement policier. C'est un pays en guerre avec lui-même. Le SLORC est essentiellement une armée d'occupation qui agit comme telle.

M. Morrison: Je me suis souvent demandé - et vous connaissez certainement la réponse à cette question - où les Karen vont chercher leurs armes et comment ils les payent. Ils ne peuvent pas résister efficacement au SLORC, mais de toute évidence, ils sont armés, sinon ils ne pourraient absolument pas résister. Où vont-ils chercher leurs armes?

M. Heppner: De toute évidence, aucun gouvernement étranger ne les appuie, si bien qu'ils doivent aller chercher leurs armes sur le marché noir. Elles leur arrivent généralement par la Thaïlande. Il s'agit habituellement d'armes excédentaires du Cambodge ou du Vietnam. Beaucoup de ces armes sont vraiment vieilles et usées.

Au sujet de la façon dont ils les paient, il faut savoir qu'auparavant, 90 p. 100 de leurs ressources financières provenaient de l'imposition des échanges transfrontaliers. Jusqu'en 1988, le commerce transfrontalier entre la Birmanie et, par exemple, la Thaïlande et d'autres pays avoisinants, n'était pas autorisé sous le régime Ne Win. Le SLORC a commencé à faire du commerce transfrontalier et a lancé des offensives militaires particulières visant délibérément les points de passage des Karen et d'autres groupes. Le SLORC a donc progressivement éliminé ces ressources financières provenant des droits de douane.

Ces groupes ont commencé à dépendre de plus en plus de la vente de ressources comme le teck, les gemmes, etc., bien qu'ils ne puissent y avoir autant accès que le SLORC. Ils ne peuvent utiliser d'équipement lourd ou autre chose du genre; ils se servent uniquement d'éléphants, etc. Leur revenu a donc bien diminué. Dans une grande mesure, ils arrivent actuellement à survivre matériellement grâce à l'argent qu'ils ont économisé au cours de meilleures années.

M. Morrison: Font-ils le trafic de l'opium pour financer leur...

M. Heppner: Non. L'opium est cultivé dans l'État de Shan, situé à plusieurs centaines de kilomètres au nord.

M. Morrison: D'accord. Une dernière question avant que je ne parte.

M. Heppner: En fait, je dirais que les chefs du gouvernement Karen et de plusieurs autres groupes d'opposition sont absolument contre les narcotiques. Ainsi, des gouvernements comme celui du groupe Karen ont des lois beaucoup plus sévères en matière de drogue, de trafic et autres que le Canada ou les États-Unis.

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M. Morrison: Voici ma dernière question. Je m'intéresse tout particulièrement à ce gazoduc. Il s'agit de gaz de l'étranger que le SLORC s'apprête à faire passer par la Thaïlande, d'après ce que je comprends.

M. Heppner: Oui.

M. Morrison: Vous nous avez dit, ainsi que d'autres sources, que la construction du gazoduc est rendue possible grâce aux travaux forcés. Y a-t-il des ressortissants étrangers qui participent activement à la construction du gazoduc?

M. Heppner: Oui, il y en a.

M. Morrison: Savent-ils ce qui se passe? En sont-ils les témoins?

M. Heppner: Ils voient un peu ce qui se passe. La meilleure façon de vous répondre consiste à vous expliquer brièvement la situation actuelle.

Pour l'instant, on n'a pas commencé à poser les canalisations. Jusqu'à présent, tout le travail de levés est pratiquement terminé, notamment pour la moitié ouest du gazoduc. Pour ce qui est de la moitié est, le SLORC lance encore des offensives militaires et détruit des villages pour essayer d'obtenir les terrains dont ont besoin les sociétés pétrolières.

Dans la moitié ouest, les sociétés pétrolières TOTAL et Unocal - surtout TOTAL - ont monté un camp près d'un village appelé Kanbauk. Ce camp est entouré de barbelés et d'un bataillon complet de combat pour des raisons de sécurité. Les sociétés voulaient embaucher des gens pour faire le travail de levés; elles ont donc demandé au SLORC d'embaucher ces gens et lui ont donné beaucoup d'argent. Le SLORC a créé un conseil de sélection corrompu. Il faut connaître des gens bien placés au SLORC. Il y a une commission médicale, mais il est inutile de passer un examen médical; il suffit de payer pour en être dispensé.

Les sociétés en question payaient des ouvriers pour effectuer le travail de levés. Elles les payaient 30 $ par jour, si bien qu'elles donnaient au SLORC 30 $ par personne. Le SLORC paye ses ouvriers 200 kyats par jour, ce qui est à peu près juste compte tenu du taux de change officiel du SLORC fixé à 6 kyats pour 1 $. Mais sur le marché noir, 200 kyats valent moins que 2 $. Par conséquent, sur 30 $, le SLORC récupérait 28,50 $ par employé, puisqu'il ne payait l'ouvrier que 1,50 $.

En plus, l'armée SLORC rassemblait les civils de la région pour les forcer à défricher la forêt. Il est difficile de dire si des représentants TOTAL étaient sur le terrain. J'ai l'impression que jusqu'à présent, ils ne l'étaient probablement pas. Mais c'est ce qui se fait.

Les sociétés TOTAL et Unocal disent que leurs représentants sur le terrain empêcheront toute violation des droits de la personne. Elles ont de 10 à 15 représentants sur le terrain. Le SLORC a envoyé de 7 000 à 8 000 soldats le long du gazoduc. Il leur est matériellement impossible de mettre un terme aux violations des droits de la personne et pourtant elles ont refusé l'entrée à tout organisme indépendant des droits de la personne qui aurait pu observer la situation, comme le Human Rights Watch ou le CICR. Elles ne veulent pas s'occuper de cette question.

Ainsi, M. John Imle, président de Unocal, a déclaré que certains de ses employés sont compétents en matière de droits de la personne. Ils ont survolé le secteur en hélicoptère et confirmé qu'il n'y a pas de violation des droits de la personne. C'est un exemple classique de ce qui se passe dans les cas d'investissements étrangers en Birmanie et qui montre bien pourquoi les déclarations de ces sociétés à propos des droits de la personne ne tiennent pas debout.

M. Morrison: Merci beaucoup, monsieur Heppner. J'aimerais pouvoir rester pour vous poser d'autres questions, mais je dois partir.

La présidente: Merci, monsieur Morrison.

Harn, vouliez-vous...?

M. Yawnghwe: Oui, je vais peut-être brièvement...

La présidente: Soyez le plus bref possible, parce que c'est bientôt 17 heures.

M. Yawnghwe: Comme cela l'a été mentionné plus tôt, je suis éditeur de Burma Alert. Je suis également conseiller auprès du gouvernement en exil.

D'après l'évaluation de la situation politique en Birmanie faite par le gouvernement en exil, le SLORC ne s'intéresse pas vraiment à la démocratie. La libération de Aung San Suu Kyi, ainsi que toutes les autres concessions faites jusqu'à présent, peuvent être interprétées comme une tactique qui lui permet de survivre, d'acquérir une certaine légitimité et d'obtenir de l'aide étrangère.

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Par conséquent, lorsqu'il fait l'objet de davantage de pressions, le SLORC cède du terrain dans certains domaines. Comme le mentionnait Kevin, il a pensé avoir la suprématie au plan militaire en attaquant tous les groupes différents, si bien qu'il était prêt à libérer Aung San Suu Kyi. En même temps, le SLORC espère que d'ici six mois à un an, elle sera marginalisée, si bien qu'elle ne pourra rien faire, parce que, même si elle est libérée, elle n'a aucun droit.

La même chose s'applique au reste des Birmans. Vous ne pouvez critiquer le gouvernement, par exemple, car cela mettrait l'État en danger et vous pourriez être arrêté. Le SLORC espère donc qu'en la libérant et en la traitant comme le reste des Birmans, elle ne sera pas en mesure de faire quoi que ce soit; éventuellement, les gens se lasseront de son histoire, l'intérêt que lui portent les pays étrangers s'estompera et le SLORC pourra poursuivre son programme.

Nous essayons de dire qu'il faudrait se rendre compte que le SLORC ne changera pas facilement s'il n'est pas soumis à des pressions. Si nous voulons voir la démocratie s'instaurer en Birmanie, il faut maintenir les pressions, à tout le moins, sinon les accroître. Ce n'est que dans ces cas-là, que le SLORC cédera du terrain, lentement.

Nous aimerions faire plusieurs recommandations: continuer à refuser au SLORC la légitimité qu'il recherche, continuer à lui refuser l'aide et les fonds qu'il demande. Pour être constructif, nous proposons que le mouvement démocratique dirigé par Aung San Suu Kyi soit investi d'un certain pouvoir et inclus dans le processus. Bien que le SLORC tente de marginaliser ce mouvement, il serait utile d'amener Aung San Suu Kyi dans le processus politique en prenant des mesures à l'instar des États-Unis qui ont envoyé Madeleine Albright, ambassadrice aux Nations Unies, rendre visite à Aung San Suu Kyi. Elle a montré très clairement qu'elle venait pour appuyer Aung San Suu Kyi et non pour améliorer les relations avec le SLORC.

Il serait bon que les partis officiels, le Parlement, le gouvernement, rendent ouvertement visite à Aung San Suu Kyi, ce qui permettrait de la reconnaître de facto et l'habiliterait à travailler avec le SLORC, étant donné que pour l'instant, le SLORC fait semblant de ne pas s'apercevoir de son existence. Telles sont certaines de nos recommandations.

Comme le disait Kevin, la situation des droits de la personne et des réfugiés à la frontière ne fait qu'empirer. Je crois que nous devrions nous inquiéter des plans de rapatriement auxquels le HCR espère participer. Autant que nous sachions, on dit que le HCR peut se rendre dans l'État Arakan, à la frontière occidentale, où 250 000 réfugiés ont été rapatriés, pour y observer la situation de la réinstallation. En réalité cependant, il suffit de poser la question au HCR pour apprendre que ses représentants ne peuvent pas se rendre dans ces régions sans escorte militaire. On pourrait se demander comment ils peuvent véritablement observer la situation, puisque dans tous les endroits où ils se rendent, ils doivent être escortés par l'armée et leur visite doit être préparée à l'avance. Si la même chose se produit à la frontière thaïlandaise, on peut s'attendre à la même situation.

La présidente: Monsieur English, avez-vous des questions à poser?

M. English (Kitchener): Oui, merci. Je ne peux pas dire que c'est avec plaisir que j'ai écouté vos exposés, mais ils m'ont paru très intéressants et très troublants.

Je voudrais revenir à la question des sanctions. Je crois que vous avez dit qu'au plan politique, le Canada s'en sort assez bien et que peut-être, il pourrait prendre d'autres mesures comme celles qui ont été proposées il y a un instant.

Au plan économique, je connais notre politique et il semble qu'elle puisse être revue. Quelle est la situation aux chapitres des échanges, des investissements et de l'aide consentie au régime actuel? Il y a des investissements en Birmanie et il semble qu'ils s'accélèrent. D'où proviennent-ils? Quels pays sont les sources de ces investissements?

M. Yawnghwe: La plupart des investissements proviennent en fait des pays d'Asie: Singapour, Thaïlande, Indonésie, Hong Kong et Chine. Le Japon commence à participer et c'est l'une des principales raisons pour lesquelles Aung San Suu Kyi a été libérée. En effet, le Japon avait déclaré que tant qu'elle ne serait pas libérée, il ne renouvellerait pas son aide. Le Japon est donc maintenant prêt à jouer un rôle important.

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M. English: Le Japon... au sujet de l'aide au développement, dans quelle mesure y a-t-il aide au développement actuellement et d'où provient-elle?

M. Yawnghwe: Il n'y a pas d'aide bilatérale en ce moment. Deux organismes des Nations Unies, l'UNICEF et le PNUD apportent une aide multilatérale, laquelle est limitée; en effet, les projets PNUD doivent être locaux et ne pas viser l'infrastructure. L'aide est encouragée depuis la libération de Aung San Suu Kyi et le Japon commence à financer certains hôpitaux et écoles d'infirmières.

Le problème, c'est qu'en apparence cette aide semble positive, car elle s'inscrit dans le cadre du travail humanitaire, mais en fait, ce qui se produit habituellement, c'est que - je dois vérifier les détails - il s'agit probablement d'un hôpital militaire ou d'un hôpital lié à l'armée, étant donné que la Croix Rouge en Birmanie est dirigée par d'anciens militaires.

M. English: Nous avons parlé de sanctions économiques qui ne peuvent s'appliquer que dans le contexte d'échanges commerciaux. Quelles sont les sources de ces échanges, que l'on pourrait quantifier?

M. Heppner: J'allais juste faire une autre observation au sujet de l'aide au développement. L'aide du Japon semble essentiellement être axée sur le ministère du développement des zones frontalières et des races nationales. Il s'agit d'un ministère SLORC qui s'occupe d'énormes projets de travaux forcés dans les zones frontalières et de projets d'infrastructure routière, etc. pour faciliter l'accès de l'armée dans les zones frontalières; il s'agit de larges routes militaires revêtues; il se charge également de la confiscation des terres, d'énormes projets d'étangs à poissons, de barrages hydro-électriques, etc. Une grande partie de l'aide japonaise doit porter sur de tels projets. L'armée thaïlandaise a même déclaré qu'une telle aide japonaise donne de bonnes raisons au rapatriement, étant donné qu'une partie de cette aide vise théoriquement les régions Karen.

Même dans le cas du PNUD, le fait qu'il tienne vraiment à financer ce genre d'infrastructure explique en partie la raison pour laquelle son action a été si limitée. Dans un rapport publié en 1992, le PNUD a désigné ce même ministère SLORC comme le récipiendaire idéal d'une aide internationale, pourtant, tout le monde dans le pays sait qu'il s'agit de travaux forcés.

M. Yawnghwe: Beaucoup des échanges se font actuellement avec la Chine. Cela a un impact très fort sur l'économie birmane, car l'industrie locale ne peut en aucune façon soutenir cette concurrence. Auparavant, la Thaïlande était le partenaire principal, maintenant, c'est la Chine. Je dirais qu'à part les sociétés pétrolières, les principales sociétés qui investissent en Birmanie sont celles du tourisme, les sociétés de construction d'hôtels, qui viennent essentiellement de Singapour.

M. English: En ce qui concerne les mesures économiques prises par le Canada, je pense vous avoir entendu dire que nous pourrions faire plus. Que pourrions-nous faire précisément de plus dans cette situation?

M. Yawnghwe: Pour l'instant, par exemple, le Canada ne donne pas de crédits à l'exportation. Il n'y a pas d'aide bilatérale, etc.; mais les sociétés canadiennes peuvent toujours aller en Birmanie. Certaines font de la prospection de minéraux.

À mon avis, le fait d'annoncer publiquement un embargo commercial, des sanctions commerciales ou un embargo sur les armes présenterait un grand avantage... Le Canada va répondre qu'il a effectivement mis un embargo sur les armes, mais ces mesures ne sont pas rendues publiques, si bien qu'elles n'ont pas d'effet politique à l'intérieur de la Birmanie. Le SLORC déclare qu'il est accepté partout, que toutes ces sociétés arrivent dans le pays et qu'il représente le gouvernement légitime. Si par contre on faisait publiquement une déclaration ou si on prenait publiquement des sanctions, le SLORC ne pourrait pas le nier. A l'intérieur de la Birmanie, on saurait alors que le SLORC n'est pas légitime et que les autres pays ne le reconnaissent pas.

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À l'heure actuelle, le SLORC prétend être légitime et dit qu'il se rend aux Nations Unies chaque année pour représenter la Birmanie. Il déclare qu'il est accepté, puisque le PNUD participe à tous ces projets. Il dit représenter le gouvernement légitime et que nous ferions tous mieux de ne pas faire de vagues.

La présidente: Qu'est-ce que cela change pour le gouvernement de la Birmanie? Beaucoup de pays qui siègent aux Nations Unies sont coupables de violations des droits de la personne, peut-être pas de façon aussi évidente, beaucoup de pays violent les droits de la personne. Cela ne -

M. Yawnghwe: Cela change les choses pour le peuple de Birmanie. En Iraq, par exemple, le peuple n'a pas désavoué Saddam Hussein. Les Iraquiens n'ont pas dit qu'ils ne voulaient pas de lui. Par contre, en Birmanie le peuple a dit très clairement en 1988 qu'il ne voulait pas de ce gouvernement. Il y a eu des manifestations et beaucoup de gens ont été tués. Ensuite, l'armée a tenu des élections en 1990 et de nouveau, le peuple a dit très clairement qu'il ne voulait pas de ce gouvernement.

Le SLORC n'a aucune légitimité. Il essaye de profiter de la légitimité que lui accorde l'extérieur pour continuer. Plus l'on pourra diminuer cette légitimité et la transférer à Aung San Suu Kyi, plus le fondement du SLORC chancellera.

La présidente: Je suis désolée de vous avoir interrompu. Vous pouvez poursuivre.

M. English: J'allais poser cette question, mais je voudrais aller un peu plus loin. Nous avons parlé des pays voisins et de l'aide et, dans certains cas, de l'aide au développement consentie par un pays qui n'est pas vraiment avoisinant. Mais il y a les pays d'Asie. Vous avez fait une analogie avec l'Iraq. Dans ce cas précis, les pays voisins de l'Iraq lui étaient hostiles. En fait, tout récemment, le Roi Hussein en visite ici a été fort explicite au sujet des pressions qu'il faut continuer d'exercer sur l'Iraq, indépendamment des difficultés que cela entraînerait pour son propre régime.

Dans le cas qui nous occupe, l'Asie pose un plus vaste problème. Vous venez devant un parlement qui est géographiquement très éloigné, qui connaît très peu la situation de là-bas, mais qui éprouve beaucoup de compassion pour ce peuple. Les pays avoisinants sont le problème. Que peut faire un pays comme le Canada?

Je suppose que c'est flatteur pour nous de jouer le rôle d'éclaireur, mais nous sommes à une très grande distance. Mais lorsque vous avez des pays autour de la Birmanie, y compris certains qui sont démocratiques au sens large... Que fait l'Australie? Ce n'est qu'un exemple, mais cela s'inscrit dans une question plus vaste portant sur le respect des droits de la personne en Asie et la façon dont nous réagissons dans notre partie du monde.

M. Heppner: Cela se rapporte aux propos qu'a tenus Harn plus tôt. Je crois que la plupart des gens d'ici ne se rendent pas compte de l'impact qu'un pays comme le Canada peut avoir sur le SLORC. Si vous vous trouvez là-bas, vous en êtes témoins tous les jours. Si vous jetez un coup d'oeil aux médias du SLORC, par exemple, vous constaterez que le régime affiche partout le plus de photos possible d'étrangers serrant la main à un général du SLORC. Lorsqu'un responsable de secteur du département d'État des États-Unis s'est rendu en Birmanie, le SLORC a fait courir dans les médias qu'il s'agissait du ministre des Affaires étrangères des États-Unis. Ils sont prêts à tout pour faire étalage de leur légitimité. Je lui ai parlé après coup et il m'a dit qu'il avait été très flatté.

De même, ils sont très vulnérables à n'importe quel geste posé contre eux. Vous devriez voir la façon dont ils ont réagi à de toutes petites choses qui ont été faites contre eux.

Il y a beaucoup de choses. Je voudrais dire clairement qu'en ce qui concerne les mesures que le gouvernement devrait prendre, j'ai quelques recommandations à faire qui découlent de mon expérience.

Premièrement, il y a les sanctions économiques que le Canada pourrait plus facilement prendre que la plupart des autres pays du simple fait que les entreprises canadiennes ont pour l'instant peu d'investissements en Birmanie qui pourraient être perdus. Certaines lorgnent du côté de l'exploitation minière, secteur où le travail forcé est peut-être également en cause, mais la plupart des investisseurs n'y sont pas encore. Le recours aux sanctions est aussi étayé par le fait que Aung San Suu Kyi elle-même a déclaré sans équivoque que les entreprises ne devraient pas investir en Birmanie même si elle a été libérée. Les sanctions constituent donc une mesure qui s'offre au gouvernement canadien.

Il y a également les pressions politiques. Heureusement par le passé le Canada a été un franc partisan des résolutions fermes prises par l'Assemblée générale des Nation Unies et la Commission des droits de la personne contre le SLORC. On espère que le Canada pourra continuer dans cette voie. En outre, il faut maintenir la pression politique sur le SLORC afin qu'il entreprenne des pourparlers non seulement avec Aung San Suu Kyi et la Ligue nationale pour la démocratie, mais aussi avec des représentants des groupes ethniques. En fait, des tables rondes visant à mettre fin à la guerre politique et à régler la situation politique s'imposent.

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Du point de vue économique, le Canada peut aussi utiliser son rapport de force entre autres à la Banque mondiale, à la Banque asiatique de développement de même qu'au FMI. La Banque asiatique de développement étudie très sérieusement pour l'instant la possibilité de financer un mégaprojet en vue de construire sept barrages sur le Mai Nam Moi et le Salween, de détourner en Thaïlande l'un des principaux cours d'eau de Birmanie, d'assécher une bonne partie du sud de la Birmanie et de provoquer ainsi une grande famine et d'inonder une grande partie des terres des Karen. Le SLORC croit qu'il s'agit d'un magnifique projet et les Thaïlandais pensent que c'est merveilleux parce qu'ils ont désespérément besoin d'eau et d'énergie. La BAD est présentement à la recherche de financement pour ce genre de chose alors que la Banque mondiale essaie également de trouver n'importe quel prétexte pour retourner là-bas.

Du point de vue politique, le Canada peut faire une ou deux autres choses dont exercer des pressions sur les Thaïlandais en ce qui a trait au rapatriement des réfugiés. Cette région où soixante villages ont été détruits au cours des deux derniers mois est la même que celle où les Thaïlandais parlent de rapatrier tous les réfugiés. Ils aboutiront tous dans des camps de travaux forcés.

Je crois qu'il est tout à fait dans le pouvoir du Canada ne d'exercer des pressions sur les Thaïlandais étant donné leur très grande vulnérabilité. Leur image internationale leur tient énormément à coeur et la structure de pouvoir des Thaïlandais est très floue. À l'heure actuelle, il n'y a pas unanimité au sein du gouvernement en ce qui a trait à ce rapatriement. Il est très facile de tirer sur les bonnes ficelles au sein du gouvernement thaïlandais et de faire changer les choses avant que le processus s'enclenche.

En outre, le HCR devrait exercer des pressions - je suis convaincu que le Canada l'aide financièrement - pour que l'on commence à venir en aide aux réfugiés. Le HCR ne cesse de prétendre qu'il exerce des activités en Thaïlande selon le bon vouloir des Thaïlandais et que comme ceux-ci peuvent le mettre dehors quand ils le veulent, il a les mains liées. La Thaïlande est tellement sensible à l'image qu'elle projette partout dans le monde qu'il est impossible qu'elle expulse le HCR. Cette excuse ne tenant pas, le HCR peut faire des remarques.

Enfin, à l'heure actuelle les Birmans s'inquiètent énormément de la sécurité physique d'Aung San Suu Kyi. Nombreux sont ceux qui croient que le SLORC peut essayer de manigancer sa mort en faisant passer quelqu'un pour fou et de la tuer ou d'autres choses du genre. J'ai parlé à des représentants d'autres gouvernements à ce sujet et je crois qu'un gouvernement comme le Canada devrait pouvoir envoyer un message diplomatique au SLORC. Il pourrait par exemple lui dire que notre gouvernement se fait énormément de souci au sujet de sa sécurité physique et qu'il espère que le SLORC est conscient que nous savons qu'il lui assure toute la sécurité voulue et que rien ne lui arrivera. Voilà une bonne façon de lui dire à mots couverts que si quelque chose lui arrive il en sera tenu responsable.

Ce sont des choses de ce genre qui, je crois, peuvent avoir un très grand effet. Lorsque l'on considère qu'elle a été libérée par suite de menaces de mesures et non par le recours à des mesures réelles, on voit à quel point il peut être vulnérable.

Le président: Avez-vous l'appui des États-Unis, du Congrès? Vous avez dit qu'ils n'avaient pas imposé de sanctions après sa libération.

M. Yawnghwe: Malheureusement cette mesure législative s'est trouvée empêtrée dans la politique interne des États-Unis -

Le président: Oh, nous n'avons pas cela ici.

M. Yawnghwe: - de sorte que nous essayons de démêler les choses.

Le président: Vous avez parlé du gouvernement des Karen de même que de l'armée des Karen, qui est de toute évidence un mouvement clandestin. Mais lorsque vous utilisez le mot gouvernement -

M. Heppner: En Birmanie il y a au moins une dizaine de groupes ethniques différents qui ont leurs propres gouvernements et leurs propres armées. La plupart d'entre eux contrôlent d'importantes parcelles du territoire dotées chacune d'une structure politique. Ils ont un gouvernement qui administre des secteurs comme la santé, l'éducation et d'autres programmes. L'armée, étant donné la guerre civile qui sévit, est en général associée de très près au gouvernement, mais le fait est que les groupes défendent leurs territoires contre les invasions. Ils n'essaient pas d'avancer pour prendre Rangoon. Ils soutiennent pour ainsi dire une guerre défensive afin de protéger leurs propres ressources, leur population et leur culture.

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Ces groupes ont conclu entre eux des alliances de même qu'avec les groupes prodémocratiques et ont en fait rédigé un projet de constitution. C'est un point de départ pour la négociation avec des gens comme Aung San Suu Kyi et le SLORC et pour l'installation d'une démocratie fédérale en Birmanie. Ils ont pour ainsi dire convenu avec les groupes prodémocratiques de la Birmanie que seul le fédéralisme mettra fin à la guerre civile. Les groupes ethniques ne se battent plus pour l'indépendance, mais pour une union fédérale dont il semble bien sûr paradoxal de parler cette semaine en particulier à Ottawa.

Le président: Les mots étaient peut-être mal choisis aujourd'hui.

Vous entendez sûrement le timbre qui retentit pour nous inviter à nous rendre à la Chambre pour un vote.

Je vous sais gré d'être venus ici aujourd'hui. Merci beaucoup. Nous allons bien sûr tenir compte de certaines des choses que vous nous avez dites aujourd'hui, mais vous devez reconnaître que nous ne sommes qu'un simple sous-comité. Nous essayons à notre façon de lutter pour veiller au respect des droits de la personne.

Merci d'être venus.

M. Yawnghwe: Puis-je laisser certains documents?

Le président: Bien sûr.

La séance est levée.

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