[Enregistrement électronique]
Le mardi 16 mai 1995
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte.
Notre premier témoin est M. Manson Moir, président du Comité supérieur du transport du grain.
Manson, je pense que vous comptez faire un bref exposé. Nous aurons ensuite une période de questions. J'ai conscience que vous avez fourni un effort tout spécial pour venir. Je sais ce que c'est que d'être agriculteur et de devoir laisser ses champs en plan.
M. Manson Moir (président, Comité supérieur du transport du grain): Je vous remercie, monsieur le président. Je suis désolé de ne pouvoir vous distribuer mon texte. J'ai juste gribouillé quelques notes après ma descente d'avion à Ottawa, aujourd'hui.
Si le temps est aussi beau chez nous, je devrais être en train de semer. J'espère qu'il pleut, comme cela mes voisins ne prendront pas de l'avance sur moi. Mais nous commençons seulement à semer. Le printemps est tardif, c'est sûr.
Je traiterai dans mon exposé du transport des céréales dans l'optique de ce que le Comité supérieur du transport du grain a fait au fil des ans. J'ai également ajouté quelques mots dans la perspective du développement rural, dont je m'occupe aussi. Je suis conseiller municipal de notre localité rurale, et je sais ce qu'il faut pour mettre en valeur la campagne du Manitoba et de l'Ouest canadien. J'ai donc ajouté quelques mots sur ce sujet à la fin de mon exposé.
Je pense que les agriculteurs de l'Ouest canadien peuvent s'adapter aux changements apportés à la LTGO, mais le plus gros problème, c'est l'incertitude. Tout le processus suivi amène les agriculteurs à se demander ce qui les attend.
La réticence devant la modification du mode de paiements provenait principalement de la crainte de l'inconnu; mais cela, c'est de l'histoire ancienne. Nous sommes aujourd'hui confrontés à de nouvelles incertitudes.
Les cultivateurs sèment les céréales de cette année sans savoir combien il leur en coûtera pour acheminer la récolte jusqu'aux ports; sans savoir comment, ni à qui les 1,6 milliard de dollars seront payés; sans vraiment connaître ou comprendre les nouvelles règles du GATT ou de l'ALÉNA et leurs répercussions sur eux. Mais toutes ces incertitudes habituelles et nouvelles que connaissent les agriculteurs ne nous ont pas empêché de mettre en culture chaque hectare disponible pour produire les meilleures céréales du monde.
L'abandon de la réglementation LTGO et la suppression du rôle qu'y jouait le Comité supérieur du transport du grain en faveur du nouveau régime de la LTN et d'un organisme financé par les agriculteurs sont pour moi source de préoccupation. Le Comité supérieur du transport du grain donnait à tous les intéressés l'occasion de se retrouver autour d'une table pour résoudre ensemble leurs problèmes dans l'intérêt de tous. La question que je me pose est quel sera le rôle des producteurs dorénavant.
Le processus suivi par le ministre consistant à rassembler les groupes sectoriels et les organisations d'agriculteurs, tous tenus de se cantonner dans le cadre de la politique, va quelque peu limiter la liberté de négociation et la compréhension mutuelle. Le Comité supérieur du transport du grain pouvait aller au-delà. Je suis convaincu qu'il doit continuer à exister un processus de ce type qui permettait aux producteurs de l'Ouest canadien de pouvoir se faire entendre sans être limités par la politique d'un groupe agricole donné.
Le versement de 1,6 milliard de dollars est extrêmement faible comparé à ce que nous attendions et à ce que nous avions réclamé il y a quelques années. Je vais vous donner mon opinion personnelle sur qui devrait en bénéficier. Je suis d'accord pour dire que les versements devraient aller aux propriétaires des terres, et j'y reviendrai plus tard dans mon exposé.
Le fonds d'adaptation de 300 millions de dollars devrait aller aux producteurs qui seront touchés par le coût accru du transport de leur grain. On peut envisager différentes modalités. Mais la question de la mise en commun du grain au Manitoba et dans l'Est de la Saskatchewan est bien sûr une source de préoccupation réelle pour les agriculteurs de ces régions, et cela se comprend car ils verront pratiquemment doubler le coût du transport de leur grain.
Le mécanisme d'indemnisation différentielle pour les producteurs qui doivent acheminer le grain par la route: il faudrait prévoir quelque chose de cette sorte dans les cas extrêmes, mais je serais très prudent avant de l'appliquer de façon générale. Il y aura des cas où le transport par camion sera relativement coûteux pour quelques agriculteurs, et il faudra en tenir compte d'une certaine façon.
Le mécanisme de financement de la voirie municipale devra faire l'objet d'un examen très attentif de notre part à tous. Le programme infrastructurel actuel a déjà largement permis aux autorités municipales, provinciales et fédérales de travailler de concert pour améliorer notre réseau routier. Il faudrait passer en revue la situation de très près avant de commencer à investir dans des routes municipales.
Je peux en parler d'expérience car notre voie ferrée a été fermée en 1976. J'ai donc dû transporter mon grain par camion 15 fois plus loin qu'auparavant, mais je suis passé simplement de un mille à 15 milles. Cela n'a pas vraiment représenté un terrible fardeau. La municipalité a construit une route de gravier décente pour nous raccorder aux routes provinciales, et cela nous a suffit.
Pour ce qui est des taux de fret, comment pouvons-nous survivre avec des tarifs dictés par le marché? Je pense que nous pouvons survivre de la même façon que les producteurs d'autres denrées, tel que le charbon et le soufre et la potasse, qui sont peut-être encore davantage à la merci des chemins de fer que les céréaliculteurs. Il faudra négocier les tarifs pour trouver un niveau tel que les deux parties puissent s'en sortir. C'est là quelque chose de nouveau pour la plupart d'entre nous, mais d'autres survivent dans un tel système et je pense que les agriculteurs et le secteur de la manutention du grain peuvent survivre eux aussi.
Je pense que la reddition de comptes était l'une des fonctions les plus importantes du Comité supérieur du transport du grain. D'après ce que je peux voir jusqu'à présent, il faut absolument trouver un mécanisme d'examen de la responsabilité de chacun.
Dans mes fonctions municipales et en tant que quelqu'un qui s'intéresse au développement rural et qui cherche quelque chose de nouveau pour l'Ouest canadien et l'agriculture de l'Ouest, j'ai constaté que les mots à la mode ces temps-ci sont «diversification» et «valeur ajoutée». C'est à cet égard que les gouvernements fédéral et provinciaux peuvent et doivent jouer un plus grand rôle.
Je préconise, premièrement, que vous vous assoyiez avec les provinces pour fixer les rôles respectifs. Trop souvent, par le passé, on a eu des programmes en double exemplaire, chaque palier de gouvernement établissant des programmes concurrents poursuivant le même objectif. Si nous voulons progresser et asseoir la réussite d'une industrie à valeur ajoutée, il nous faut des programmes gouvernementaux où le rôle et les responsabilités de chacun soient clairement définis. Le programme d'infrastructure actuel a fait ses preuves et est très bien accepté dans tout le Canada.
Il importe que le gouvernement fédéral n'envisage pas les programmes de façon holistique. Les provinces sont bien mieux en mesure de déterminer le besoin et de fournir les services là où ils sont nécessaires. Cela exige souvent une approche régionale, même à l'intérieur d'une province.
Pour favoriser la diversification et la production à valeur ajoutée, il nous faut un plus grand effort de recherche-développement. Il faudrait annuler les coupures fédérales dans ces domaines. Nous aurons besoin d'aide si nous voulons favoriser la production à valeur ajoutée, comme je le crois nécessaire. Il faudra mener des recherches pour développer des cultures différentes dans l'Ouest canadien, des méthodes de conditionnement différentes, une transformation qui puisse se faire à l'échelle locale, avec des programmes centrés sur des activités précises telles que des usines de fabrication de pâtes alimentaires et d'éthanol, et autres industries locales.
Il n'est pas nécessaire de réinventer la roue. Il existe déjà quantité de programmes et de projets pilotes. Il faut les recenser tous, voir quels sont leurs rôles respectifs et les adapter à la demande. S'il faut mettre au point des technologies nouvelles et innover pour faciliter tout ce processus, c'est ce qu'il faut faire. Mais il faut d'abord déterminer les besoins et ensuite élaborer le processus.
Il faudra dégager des fonds de démarrage et prévoir des prêts pour soutenir le développement économique local. Là encore, ce sont des choses qu'il faudra mettre au point avec les provinces mais je pense que le gouvernement fédéral se doit d'être un partenaire.
Une des choses dont nous avons réellement besoin dans l'Ouest du Canada, et particulièrement dans le domaine agroalimentaire, c'est d'un mécanisme d'investissement souple. Si nous voulons développer notre industrie à valeur ajoutée, il nous faut un mécanisme d'investissement. Il y a 1,6 milliard de dollars qui iront aux propriétaires fonciers et tout le monde pense qu'ils sont pleins aux as. Que vont-ils bien faire de ce capital non imposable de 1,6 milliard de dollars?
Au Manitoba et en Saskatchewan, nous avons un programme d'investissement: le programme des obligations de développement rural. D'autres provinces ont peut-être quelque chose de similaire. Il permet à des épargnants d'investir dans des projets locaux en ayant le principal garanti, mais non les intérêts produits par les obligations. Il faudrait mettre en place quelque chose de ce genre au niveau fédéral, à l'échelle nationale, un peu comme un fonds de placement de type REÉR, où le principal serait garanti et où les investisseurs jouiraient d'avantages fiscaux. Ce serait là, surtout, une incitation à investir dans l'avenir de l'agriculture de l'Ouest canadien.
Je vous remercie de votre attention.
Le président: Merci, Manson. J'apprécie le caractère détaillé de vos suggestions, car sur certains des points que vous avez abordés nous sommes en quête de propositions précises. C'est ce qui manque souvent chez les témoins qui viennent ici. Nous entendons quantité de doléances, mais il est difficile de leur soutirer des propositions précises.
Monsieur Hoeppner.
M. Hoeppner (Lisgar - Marquette): Je vous remercie, monsieur le président.
J'apprécie vos idées, monsieur Moir. Vous disiez que les versements devraient aller aux propriétaires fonciers, mais la quasi-totalité des avis que j'entends exprimés vont dans le sens contraire. La plupart des producteurs de ma région disent que les montants devraient être versés aux producteurs. Je ne vais pas débattre de la question, mais voilà le sentiment dans ma région.
Pour ce qui est de l'infrastructure routière, lorsqu'on a annoncé la refonte de la LTGO et le rachat, quantité de mes mandants ont évoqué les routes qui étaient censées être construites dans les années 70 lorsqu'on a restructuré le réseau ferroviaire. Quantité de voies ferrées ont été fermées et nous n'avons toujours pas l'infrastructure routière qu'il faudrait.
J'adore les termes «diversification» et «valeur ajoutée». Il y a tellement de gens qui viennent me voir qui voulaient aller dans cette direction et qui ont été entravés, par la Commission du blé et les compagnies céréalières.
Comment voyez-vous les choses? Des producteurs de produits biologiques, des meuniers et des fabricants de pâtes alimentaires viennent me voir et se plaignent amèrement d'être entravés par la Commission du blé. Que faudrait-il faire pour changer cette situation?
M. Moir: Il est vrai que la Commission du blé est un obstacle. C'est sans doute dû à la réglementation que la Commission du blé est obligée de suivre. C'est inscrit dans la loi et il semble qu'elle ne dispose pas de la même souplesse que le secteur privé qui peut parfois assouplir ses règles et faire les choses de façon un peu différente pour s'adapter à la situation. Je pense qu'il est indispensable d'assouplir ces règles et de permettre à des petites industries locales ou des petites minoteries, peu importe, d'acheter leurs céréales et de vendre leur production dans la région immédiate où elles se trouvent.
Je me situe directement sur la frontière Manitoba-Saskatchewan et tout près de la frontière américaine, et je connais donc bien la réglementation et l'intérêt qu'il y a à expédier ou ne pas expédier le grain via les États-Unis. En fait, l'un de mes voisins a été l'un des premiers à traverser la frontière américaine avec son grain. Cela ne signifie pas qu'il faut prendre telles quelles toutes leurs idées, mais il est certain qu'il faudrait assouplir certaines de ces règles.
M. Hoeppner: Ma position est qu'il faut alléger la réglementation de la Commission du blé. Il ne s'agit pas de la dissoudre, mais d'après tout ce que mes mandants me disent, je pense qu'il y a là des obstacles.
L'autre aspect qui m'a vraiment intéressé, c'est celui d'un mécanisme d'investissement souple. Cela fait des années que je dit qu'il nous faut quelque chose dans le secteur agricole, soit des obligations agricoles soit un régime de REÉR. Je sais que les agriculteurs retraités seraient très à l'aise à l'idée d'investir dans l'agriculture, mais on ne leur en donne pas l'occasion. Pourriez-vous nous préciser un peu votre pensée?
M. Moir: Oui. Je pourrais peut-être vous faire un peu l'historique de cette idée.
Lorsque j'étais président de l'Union des municipalités du Manitoba, j'ai pris sur moi de promouvoir un véhicule de placements de type obligations de croissance pour les collectivités locales. Dans mes discours, j'utilisais souvent l'expression - les gens finissaient par en avoir assez de l'entendre - «l'argent caché dans le matelas de tante Mathilde». Je ne sais pas si c'est pareil dans tout le pays, mais j'ai plusieurs connaissances, des agriculteurs âgés qui ont de l'argent, en fait beaucoup d'argent, mais qui n'aiment pas le placer. Ils ont peur des banques et ils ont peut-être mis cet argent dans un compte qui ne rapporte que des intérêts très minimes. Ils ont peur de perdre ce qu'ils ont épargné pour leurs vieux jours.
C'est là qu'interviendrait un mécanisme de type obligations de croissance ou quelque chose de similaire, où leur capital au moins serait protégé. Ils ne se soucient pas tant des intérêts que cela leur rapporte puisqu'ils laissent cet argent dans des comptes qui ne donnent que 3 ou 4 p. 100. C'est le capital qu'ils veulent préserver. Il y a quantité d'agriculteurs et de personnes âgées dans l'Ouest du Canada qui investiraient sans hésiter dans l'industrie agroalimentaire. Cela ne fait aucun doute dans mon esprit. Je pense que la réaction aux obligations de croissance au Manitoba, depuis leur lancement il y a deux ans, montrent bien que nous n'avons pas peur d'investir dans nos propres idées, dans nos propres projets. Je suis sûr qu'il en serait de même dans le secteur agro-alimentaire.
Le président: Il vous reste du temps, Jake, mais j'ai une question.
Pourriez-vous nous expliquer un peu mieux comment fonctionnent ces obligations de croissance? Je ne sais pas si M. Collins les connaît. J'en ai entendu parler, mais je ne sais pas comment cela fonctionne. Y a-t-il un avantage fiscal?
M. Moir: Très brièvement, le principal est garanti par le gouvernement provincial. Si je voulais ouvrir une usine de fabrication quelconque à Tillston, je pourrais demander une émission d'obligations de croissance pour financer une partie de l'usine que je veux monter.
On forme alors un comité local, avec des représentants provinciaux et locaux. Le comité est si représentatif qu'il y a même des jeunes, âgés de moins de 25 ou 30 ans. La composition du comité est très précisément fixée. Si le comité autorise l'émission d'obligations de croissance, un prospectus est offert aux habitants de la région. C'est dans la mienne que cela se fait le plus.
N'importe qui d'autre peut en acheter, mais le programme est surtout axé sur la région immédiate, pour que les habitants de l'endroit puissent investir dans une industrie locale, la province garantissant le principal. Voilà en bref de quoi il s'agit.
M. Hoeppner: Une chose que je voudrais faire remarquer - à propos des obligations de croissance - et j'en suis partisan - c'est leur taux d'intérêt. Il est en fait un peu plus élevé que le taux bancaire et cela défavorise quelque peu le petit entrepreneur. S'il est assez avisé pour mener à bien son projet, tant mieux, mais le taux d'intérêt est un peu dissuasif.
M. Moir: C'est l'une des choses que les provinces ont constaté, à savoir que pour rendre ces obligations attrayantes aux épargnants, elles devaient augmenter les taux d'intérêt, d'autant qu'il y avait beaucoup de réticence envers les obligations de croissance au début.
M. Hoeppner: Un autre aspect sur lequel je voulais revenir est celui de l'infrastructure routière. En tant que conseiller municipal, comment comptez-vous faire pour la mettre en place? Nous savons que les crédits du programme d'infrastructure ont à peu près tous été dépensés. J'ai participé aujourd'hui à une émission de la CBC sur l'octroi de 100 millions de dollars aux Jets, et je n'ai pas beaucoup ménagé mes critiques. Où trouverons-nous l'argent pour construire l'infrastructure voulue? Car il ne fait aucun doute que nous avons besoin de l'infrastructure nord-sud.
M. Moir: Un programme d'infrastructure II serait un bon début. Je pense que ce programme a été très bien reçu dans le pays et qu'il place les provinces et les municipalités locales sur... Nous devons trouver nous-mêmes l'argent pour assumer notre part du coût, et je ne pense donc pas qu'il y ait eu du gaspillage. Je pense qu'il faudrait envisager très sérieusement un deuxième programme d'infrastructure. Peut-être faudrait-il le réserver aux routes rurales dans les municipalités rurales, et peut-être pourrait-on utiliser une partie du fonds d'adaptation. Néanmoins, il faut être prudents, et bien déterminer que c'est le réseau routier qui a le plus besoin de ces crédits.
Je sais que lorsque nous avons perdu notre élévateur et notre voie ferrée en 1976, nous pensions tous que nous avions besoin d'une route flambant neuve. Mais cela ne s'est pas avéré, car le semi-remorque qui vient chez moi fait six ou huit voyages sur une route ordinaire et c'est lorsqu'il s'engage sur la route suivante... et habituellement c'est dans une direction différente - vous parliez des axes nord-sud et effectivement la plupart de nos routes au Manitoba ont été construites comme les chemins de fer, dans un axe est-ouest, et nous avons dû construire nos nouvelles routes principalement dans le sens nord-sud. Nos routes principales vont dans l'autre direction.
M. Hoeppner: Une chose qui me préoccupait au sujet du programme d'infrastructure, du moins dans ma circonscription, c'est que les agriculteurs ne sont que 3 ou 4 p. 100 des électeurs. Je ne pense pas que la moindre partie de cet argent ait été consacrée à la construction routière. On s'en est servi pour des centres communautaires et toute cette sorte de choses et nous n'avons pas affecté l'argent qu'il fallait à la construction routière.
M. Moir: C'est pourquoi j'ai dit qu'il faudrait se limiter peut-être aux routes, à l'infrastructure de transport.
M. Hoeppner: Je vous remercie, monsieur le président.
M. Collins (Souris-Moose Mountain): Je veux vous remercier de votre présence ici cet après-midi.
J'ai trouvé intéressant que notre ami d'en face ait affirmé qu'au Manitoba l'argent a été détourné vers d'autres types de programmes. En tant que conseiller municipal, et vous l'êtes depuis pas mal de temps, savez-vous si c'est vrai ou bien simplement le produit de son imagination?
Je sais qu'en Saskatchewan on a précisément déterminé à quoi ce programme servirait et il me semble que, surtout dans les régions rurales, la majeure partie était consacrée aux routes, hormis ce qui est allé dans le Nord. À quoi avez-vous utilisé les crédits d'infrastructure dans la municipalité rurale d'Albert? Avez-vous construit un terrain de jeux ou une piscine?
M. Moir: Il a servi à construire trois milles de route et à remplacer deux vieux ponts.
M. Collins: J'ai l'impression qu'il en est de même dans bien des municipalités rurales.
M. Moir: Je pense que oui, surtout dans les municipalités rurales.
M. Collins: J'aimerais revenir sur certains autres aspects que vous avez abordés. Je suis d'accord avec notre collègue d'en face; les gens à qui j'ai parlé, tout près de chez vous, dans la région de Souris-Moose Mountain, au sud-est de la Saskatchewan, sont du même avis. Ils sont à 90 p. 100 en faveur du versement de l'indemnité au producteur.
Ils ne sont pas opposés à ce que le propriétaire touche sa part, mais ils pensent qu'il faudrait une formule quelconque de répartition. Si l'argent va au propriétaire, s'il loue sa terre à d'autres et ne répercute pas l'indemnité sur le loyer, l'exploitant se fait matraquer. Si tout l'argent va au propriétaire et que celui-ci le dépose à la banque ou s'en sert pour acheter un nouveau camion, eh bien... Je ne pense pas que c'était le but du 1,6 milliard de dollars.
Il y a aussi la question du montant global. Est-ce que 1,6 milliard de dollars suffit? Qu'est-ce qui est suffisant? Lorsqu'on a un déficit de 46 milliards de dollars, on est bien obligés de se serrer la ceinture. Nous avons une société qui a engendré ce type de mentalité.
Quand on cultive la terre, on a une certaine façon de voir les choses, mais notre société en a une autre et, à moins de donner un coup d'arrêt, personne ne cessera jamais de saigner à blanc les gouvernements - les municipalités rurales, les villes, et les gouvernements provinciaux et fédéral.
Que pensez-vous de la restructuration ferroviaire? On pourrait privatiser le CN. Avez-vous des objections à ce que le CN circule sur les voies du CP et inversement? Qu'en est-il des lignes courtes? Quelle est leur place dans la structure d'ensemble?
M. Moir: Je n'ai aucune objection à ce que le CN, ou les futurs propriétaires du CN, circulent sur la même voie que le CP. En fait, je pense qu'il est ridicule que cela ne se fasse pas depuis longtemps. Tous les détours que le CN et le CP étaient obligés de faire avant d'arriver sur leur ligne principale, toutes ces années, c'est un gaspillage éhonté. Je pense qu'une entente est absolument essentielle, si nous voulons avoir un transport ferroviaire efficient.
Pour ce qui est des lignes courtes, je n'ai rien contre, à condition qu'elles soient rentables. Il est économiquement rationnel d'avoir une ligne courte si elle peut fournir un service à un nombre suffisant de producteurs et transporter un volume suffisant.
Je pense que le financement des lignes courtes pourrait être en partie assuré par le fonds d'adaptation. Une partie de cet argent devrait aller aux lignes courtes, mais dans les mêmes conditions qu'aux routes municipales. Avant d'investir, il faut qu'il y ait un besoin réel et qu'il soit prouvé que la ligne peut être économique et rentable.
J'ai justement pu parler tout à l'heure avec M. Payne du fait que beaucoup de gens sans expérience allaient vouloir se lancer dans les lignes courtes. C'est un des aspects sur lesquels le Comité supérieur du transport du grain s'est penché au fil des ans, et nous n'avons jamais été opposés aux lignes courtes à condition qu'il soit économiquement fondé de les exploiter.
M. Collins: Je suppose que si nous procédions à quelque analyse statistique, nous verrions que les lignes courtes s'en tirent très bien par rapport aux grandes sociétés de chemin de fer. C'est sans doute des lignes courtes qu'il y a quelque chose à apprendre.
M. Moir: C'est juste.
M. Collins: Il leur a fallu être rentables, alors que les autres pouvaient puiser à volonté dans nos poches.
Quelles sont vos idées concernant la propriété des wagons? Je crois savoir que le gouvernement possède entre 13 000 et 15 000 wagons. Avez-vous une idée où ils viendraient s'intégrer...?
M. Moir: C'est l'une des questions qui me tournait dans la tête pendant mon trajet ce matin, et je n'ai pas vraiment trouvé de réponse. Mais il me semble que les wagons du gouvernement actuellement en circulation pourraient être versés dans un parc locatif. On pourrait les louer aux sociétés ferroviaires - quiconque en a besoin et fait la meilleure offre. J'imagine que c'est ainsi que se louent les wagons aux États-Unis.
Je pense qu'on a vraiment besoin de plus de wagons au pays. Il y a un an environ, il y avait une réelle pénurie, ici et à l'étranger. On n'en trouvait tout simplement pas suffisamment, et cela a considérablement perturbé le transport de nos céréales l'année dernière.
Cette année, les choses se sont très bien passées. Nous allons sans doute connaître une année record pour le transport du grain, mais uniquement parce qu'il n'y a pas eu de grandes perturbations cette année, hormis la courte grève qui a causé quelques problèmes.
Il faut absolument rester propriétaire des wagons.
M. Collins: Je sais que vous avez parlé des quelque 300 millions de dollars de grains mis en commun, Sintaluta étant en quelque sorte le point médian entre Vancouver d'un côté et la Voie maritime de l'autre. Avez-vous idée vers quel côté penche le Manitoba et l'est de la Saskatchewan? Cela tombe dans ma circonscription. Avez-vous une idée de la portion des 300 millions de dollars sur lesquels vous pourriez vouloir exercer votre option?
M. Moir: Je pense au moins la moitié, ou même plus.
Des voix: Oh, oh.
M. Hoeppner: Bonne remarque.
M. Moir: Ce n'est pas vraiment une plaisanterie, car rien qu'au Manitoba il nous en coûtera plus de 40 millions de dollars par an lorsque nous perdrons la mise en commun. Si cela va être un programme d'indemnisation sur trois ans, trois fois 40 millions font 120 millions de dollars. Il faut ensuite ajouter les indemnités pour l'est de la Saskatchewan, ce qui fait bien la moitié du montant total.
Cela sera sans doute un plus gros fardeau au Manitoba et dans l'est de la Saskatchewan que le changement des tarifs de fret. Ce pourrait bien être le coup de grâce de cette région. Il faudra réellement réfléchir sérieusement à ce financement. C'est là que c'est le plus douloureux.
M. Collins: Je suis heureux de voir que vous faites partie de ma catégorie, celle des optimistes, et je me laisse aller à l'optimisme de temps en temps, en faisant appel à un peu de perception extra-sensorielle.
Parfois nous tombons sur des pessimistes. Ils se mettent la tête dans le sable et clament que tout va de mal en pis. Je suppose que celui qui se réveille le matin avec une telle perception des choses ne restera pas longtemps agriculteur, ni quoi que ce soit d'autre d'ailleurs. Il nous faut vivre dans un monde qui évolue, il nous faut nous adapter.
Je pense que nous verrons l'avènement de choses comme la valeur ajoutée. Ce sont des gens comme vous, qui êtes des élus locaux et qui êtes engagé à la fois dans votre localité et dans l'agriculture qui feront bouger les choses. Votre bon sens nous permettra de gagner.
J'ai vu l'autre jour dans le Leader-Post qu'un groupe de représentants des ports de l'ouest - Portland je pense - expliquer pourquoi ces ports sont sous-utilisés par nous.
Avec le régime fiscal actuel dans ces ports, lorsqu'on compare Thunder Bay et Vancouver à Seattle et Duluth, comment pensez-vous pouvoir compenser ce déséquilibre? La fiscalité est totalement disproportionnée. Les ports canadiens sont taxés à peu près 25 fois plus. Si on vous les confiait...
Pendant combien de temps avez-vous été conseiller municipal?
M. Moir: Environ 14 ou 15 ans.
M. Collins: Très bien, parlons à la bonne personne. Nous avons bien fait de vous inviter.
Que feriez-vous? Que nous diriez-vous?
M. Moir: C'est intéressant, car lorsque j'étais président de l'Union des municipalités du Manitoba, nous sommes passés à l'évaluation commerciale des biens immobiliers. J'ai vu tout de suite que les chemins de fer et les compagnies d'élévateurs allaient en prendre plein la figure, rien qu'à cause de la façon dont l'évaluation allait se faire.
Elles payent très cher et cela va nous coûter cher, car elles vont s'en aller. Il y aura une réduction, comme cela se fait à Thunder Bay. On démolit des bâtiments plutôt que de les laisser debout pour quelque autre usage.
Je pense que les administrations locales vont devoir sérieusement se demander si elles vont conserver cette assiette fiscale. Il vaudrait mieux réduire quelque peu les impôts locaux.
Le président: Jake, j'ai encore quelques questions et je passerai ensuite à vous. Nous avons du temps pour un deuxième tour.
J'aimerais revenir sur l'obligation de croissance. Essentiellement, vous dites qu'il faut canaliser des capitaux vers la diversification économique locale, la production à haute valeur ajoutée etc. Vous disiez que les taux d'intérêt sont un problème.
S'il y avait des avantages fiscaux fédéraux à investir dans les obligations de croissance, est-ce que cela ferait une différence? L'une des difficultés, si l'on va courir ce risque, c'est le coût de ce capital. On pourrait accorder des avantages fiscaux pour réduire un peu les taux d'intérêt.
Je veux dire par là que s'il y avait un abattement fiscal sur une obligation de 50 000$, est-ce que vous, en tant qu'épargnant, accepteriez un taux d'intérêt inférieur sur ce placement en échange de l'avantage fiscal? Est-ce que cela pourrait marcher ou non?
M. Moir: Oui, je pense que c'est exactement le genre de chose qu'il faudrait envisager. Que peut-on faire pour créer un climat propice aux investissements? Les gens veulent investir, mais ils leur faut aussi une certaine sécurité.
Les agriculteurs qui ont de l'argent à placer ne diffèrent en rien des autres investisseurs. Ils veulent obtenir le meilleur rendement possible, mais en même temps ils ont besoin de sécurité. S'ils peuvent obtenir un avantage fiscal sur un placement - qu'il s'agisse d'une obligation de croissance ou d'un régime de type REÉR - je suis sûr qu'ils accepteraient quelque chose de cette sorte.
Je ne suis pas un grand expert financier. En fait, je ne suis pas expert du tout. Mais il me semble que des choses pourraient être faites pour encourager l'investissement dans un industrie qu'il est indispensable de développer si nous voulons survivre.
Le président: Une des questions avec lesquelles je me débats toujours est toute celle de l'efficience. L'efficience économique à l'exclusion de toute autre considération me gêne beaucoup.
Ce que j'entends par là c'est que nous avons eu tendance, dans le débat sur les transports, à considérer l'efficience ferroviaire depuis l'élévateur jusqu'au port, voies secondaires comprises. Pour obtenir des gains d'efficience dans ce domaine - ce que les changements apportés feront certainement, de même que la refonte prochaine de la LTN, sans doute - ne faut-il pas gagner en efficacité partout, du stade de la production jusqu'au port? Je parle des coûts énergétiques, de l'usure des routes. Il faut considérer le système globalement.
M. Moir: Je pense que l'une des choses que tout le monde craint - et c'est une réaction générale - c'est le changement.
Je peux en parler parce que j'ai vécu tout cela, et je sais ce que l'on ressent. Lorsque nous avons perdu notre élévateur, nous pensions que personne d'autre ne pourrait transporter notre grain jusqu'à l'élévateur aussi bien que nous. Ça avait l'air insensé de payer quelqu'un pour le faire jusqu'à ce que j'essaie de le faire moi-même.
Je n'ai pas les moyens d'acheter un camion pouvant rouler sur l'autoroute. Je ne suis pas un gros producteur; j'ai vendu entre 650 et 700 acres. Je n'ai pas les moyens aujourd'hui de posséder un véhicule pouvant circuler sur les routes. Même si j'en avais un, les règlements sont aujourd'hui tellement stricts, probablement dans toutes les provinces tout comme au Manitoba, que ces camions de dix à quinze ans d'âge ne seraient pas autorisés à circuler sur les routes.
C'est le genre de choses auxquelles on ne songe pas vraiment lorsque on parle d'efficience. Les semi-remorques n'endommagent pas autant les routes que le faisaient les vieux trois tonnes et pourtant ils continuent à rouler.
Il y a aujourd'hui une nouvelle génération d'agriculteurs. Je deviens l'un des plus âgés chez nous. Mes voisins voient les choses différemment. Ils n'ont pas peur du changement. Je suppose que je n'avais pas peur non plus lorsque j'avais 22 ou 25 ans. Je sais que mon père trouvait folles certaines des choses que j'essayais de faire.
Ils comprennent beaucoup mieux les contraintes économiques de l'agriculture que je ne l'ai jamais fait ou ne le ferai jamais. Lorsqu'on s'attellera à la tâche, ils auront probablement prouvé qu'il y a des façons plus économiques de transporter notre grain, que ce soit par camion ou par chemin de fer, et de manutentionner le grain dans les élévateurs, ou au moyen d'élévateurs différents.
J'ai un voisin qui ne parle que d'acheter un silo en copropriété. Il trouve que c'est quelque chose de merveilleux. Le silo est à cinquante milles de distance, mais il s'en moque. Il va transporter son grain. Il va acheter une capacité d'entreposage de 10 000 boisseaux et il aura ainsi son grain sur place, prêt à répondre à la demande. Cela ne lui coûtera pas beaucoup plus que d'installer un silo de 10 000 boisseaux dans la cour de son exploitation.
Voilà le genre de choses que l'on voit aujourd'hui.
Le président: Ce n'est guère probable puisque vous êtes en train de semer, mais je me demandais si vous avez eu le temps de lire le rapport du Vérificateur général sur la LTGO et l'OTG.
M. Moir: Non.
Le président: Il est très critique à l'égard de l'OTG.
J'aimerais connaître votre réaction à certaines de ces conclusions. À mon avis, en lisant le rapport du Vérificateur général, l'intention était - et j'ai participé de près au débat initial sur le Nid-de-Corbeau dans les années quatre-vingt - d'établir des pénalités, des sanctions, des études de performance et toutes ces choses merveilleuses, comme vous le savez bien. Le problème c'est que rien de tout cela n'a jamais été mis en place.
Beaucoup dans le pays pensent que ces études de performance auraient dû faire l'objet d'un suivi. Peut-être aurait-il fallu imposer des pénalités et des sanctions aux chemins de fer. Il aurait fallu en imposer pour leur piètre performance de l'année dernière. Cette année, ils ont donné satisfaction.
Je ferai juste une remarque, afin que vous sachiez le ton du rapport. Les études de performance réalisées par l'OTG, de l'avis du Vérificateur général, ont été utiles pour déterminer les améliorations possibles, mais ne répondent pas aux exigences de la loi.
On peut lire dans le rapport du vérificateur général, au paragraphe 6.68:
- Étant donné que l'Office du transport du grain n'a pas encore fixé d'objectifs de rendement
pour les participants, il n'a pas de justification pour tenir ces derniers responsables de leur
contribution au rendement du réseau et, par conséquent, il n'a aucun fondement valable pour
élaborer le système de primes et de sanctions qu'il devait élaborer.
Si c'est ce que constate le vérificateur général à un moment où il y a un organisme comme l'OTG - et vous avez dit tout à l'heure que ces changements et l'éventuelle absence de tout organisme vous inquiétaient - comment allons-nous nous assurer que les chemins de fer rempliront leur tâche à l'avenir? Si dans le système actuel les sanctions ne sont déjà pas appliquées, vers quoi allons-nous si à l'avenir il n'existe plus aucun organisme responsable?
Vous savez ce que c'est. J'imagine que lorsque vous vous retrouvez autour d'une table, vous devez parfois vous gratter la tête lorsqu'il est question de la performance des chemins de fer.
M. Moir: Vous avez tout à fait raison. J'ai effectivement mentionné en passant que je voyais un problème si...
Peu importe combien cela coûte, qui détermine les règles, c'est toujours le producteur qui finit par payer. Quel recours avons-nous?
Nous pensions avoir un certain recours, même si les sanctions ou pénalités que nous recommandions au niveau du Comité supérieur du transport du grain n'ont jamais été mises en place. Nous les avons recommandées de façon répétée, au fil des ans. Mais la plupart du temps on nous opposait quelque excuse pour laisser les chemins de fer s'en tirer. Tantôt il y avait un manque de wagons, tantôt il y avait une tempête de neige ou un glissement de terrain dans les montagnes, ou quelque autre prétexte. Je ne pense pas que nous ayons jamais bénéficié de l'appui voulu pour imposer des sanctions.
Le président: L'appui de qui?
M. Moir: Du gouvernement fédéral, de l'OTG.
Le président: L'OTG elle-même.
Que faut-il donc faire? La tâche de notre comité est d'envisager l'avenir. Selon votre expérience, comment assurer le bon fonctionnement des chemins de fer?
L'OTG est censé être le censeur du système ferroviaire, pas son protecteur. Lequel des deux rôles a-t-il joué?
M. Moir: D'après ce que l'on nous disait, le fisc a toujours considéré que la législation restreignait quelque peu sa liberté d'action. Je suppose que votre question revient à cela: quel moyen faut-il mettre en place. La révision qui interviendra dans quatre ou cinq ans, je l'espère, pourrait nous apporter quelques réponses. Là encore, il faudrait prévoir un rôle important pour les producteurs dans cette révision.
Nous ne savons pas exactement comment les choses vont tourner. C'est l'une des inconnues dont j'ai parlé au début. Je suppose que vous craignez l'inconnu, ce qui va se passer, que vous vous demandez comment les réglementer, comment mettre en place des sanctions si ils ne remplissent pas leur tâche. Je partage la même préoccupation. Mais je n'ai pas vraiment de solutions à vous offrir.
Le président: Mettons les choses différemment. Je ne vais certainement pas me faire le défenseur de la bureaucratie. La bureaucratie dans cette ville et moi-même nous ne nous entendons pas très bien. Mais que recommandiez-vous, précisément, sur le plan des modalités à mettre en place? Dites-vous que les producteurs et d'autres intervenants devraient avoir leur rôle à jouer? Pensez-vous que c'est possible dans le cadre de ce qui est actuellement proposé ou bien faut-il quelque chose de plus?
M. Moir: Je suppose que l'on va utiliser la représentation actuelle du groupe sectoriel. Si les chemins de fer, principalement les chemins de fer et les manutentionnaires et les ports... Je ne pense pas que les organisations agricoles soient de bons interlocuteurs du côté des agriculteurs, principalement parce que chaque organisation a ses propres objectifs politiques et je ne pense pas que l'on puisse réellement constituer de cette façon un groupe qui s'entende.
Au Comité supérieur, nous avons bien des fois été en désaccord, mais nous savions toujours pourquoi. Les représentants des producteurs représentaient tout l'éventail politique, depuis l'extrême-gauche jusqu'à l'extrême- droite. Lorsque nous avions fini de débattre d'un problème, nous savions quelles étaient les positions des autres et qu'un moyen terme devait être trouvé, avec des concessions de part et d'autre. C'est ainsi que les choses se réglaient d'habitude.
Le président: Il nous faut donc constituer un groupe plus représentatif, peut-être. C'est ce que vous dites?
M. Moir: Je pense que oui.
Le président: Monsieur Hoeppner, avez-vous une autre question?
M. Hoeppner: Étant dans l'opposition, je suis libre de critiquer à ma guise et je me dois de louer le travail fait par le sous-comité l'année dernière. Nous avons disséqué les problèmes et il n'y a pas eu trop de jeux politiques. Mais je vais vous montrer à quel point nous avons parfois les mains, ou la langue, liées.
Nous avons recommandé - à l'unamité des membres du sous-comité - que l'on mette un terme aux trajets à rebours.
Pourtant cela continue. Cela perturbe la bonne utilisation des wagons.
Une autre chose m'a vraiment étonné. Je n'ai guère de sympathie pour l'OTG, mais il a recommandé cette année que l'administration de la Voie maritime du Saint-Laurent ne reçoive pas d'augmentation budgétaire. Pourtant, le ministre des Transports, lui a accordé par décret 8,9 p. 100 de plus.
Comment faut-il donc s'y prendre avec cette créature qu'est le gouvernement? Je n'en reviens pas, parce que si les agriculteurs disparaissent, nous n'aurons plus besoin ni de voie maritime, ni d'élévateurs, ni de chemins de fer. Mais personne ne semble défendre l'agriculteur. Celui qui le fait se fait traiter de radical, d'extrémiste et Dieu sait quoi encore.
Je pense que le monsieur derrière vous peut prouver que l'on peut rendre le réseau ferroviaire plus efficient, mais est-ce que le gouvernement a la volonté de l'imposer? Que faire des conventions collectives? Comment faut-il s'y prendre pour s'attaquer à ces problèmes? C'est indispensable.
Lorsque je vois le ministre des Transports dire que la productivité de nos cheminots n'atteint que 64 p. 100 de celle des cheminots américains... Les États-Unis transportent 65 p. 100 de leurs céréales dans des trains unitaires, et nous, 11 p. 100.
Il faut faire quelque chose, il faut que la pression vienne de quelque part, mais les agriculteurs n'ont pas assez de poids pour cela. Il faut que l'initiative vienne de cette créature que nous appelons gouvernement ou bureaucratie, mais ils ne font rien. Quel levier faut-il actionner? Devons-nous nous mettre en grève?
J'ai soulevé cela à la Chambre l'autre jour. J'ai été renversé d'apprendre que les détenus des pénitenciers étaient indemnisés à raison de 45 000$ pour l'incommodité causée par une grève des gardiens. Combien de fois nous les agriculteurs n'avons-nous pas souffert d'incommodité en raison des grèves dans les chemins de fer et dans les ports et un peu partout? Personne ne s'en soucie. Nous continuons à travailler et tenter de survivre.
Dans l'exemple que je vous ai montré, l'agriculteur ne rembourse pas son avance sur-le-champ, et nous pensions avoir eu quelques bonnes années - 8 ou 9$ le cours du canola. Nous courons au désastre si quelqu'un ne prend pas le taureau par les cornes, car je pense que c'est l'interventionisme de l'État qui nous tue.
M. Moir: J'ai toujours pensé que chaque agriculteur de l'Ouest canadien devrait avoir l'occasion de siéger au Comité supérieur du transport du grain. Nous avons tellement appris, en tant que représentants des producteurs à ce comité, sur la façon dont la partie adverse fonctionne et quels sont ses problèmes.
Les chemins de fer: nous pensons qu'ils se remplissent les poches et sont responsables de tout, depuis les grèves jusqu'aux averses de grêle, mais ils gèrent une entreprise et doivent respecter un si grand nombre de règles et de lois qu'il leur est parfois impossible de faire les choses autrement.
Pour ce qui est des trajets à rebours, il ne fallait pas être grand clerc pour voir qu'il valait mieux faire le trajet directement. Il aurait été beaucoup plus rationnel de simplement inscrire sur un bout de papier que les wagons avaient fait l'aller-retour jusqu'à Thunder Bay, au lieu de leur faire faire effectivement le trajet dans les deux sens.
M. Hoeppner: C'est ce que nous recommandions.
M. Moir: C'est ce qu'il y a de frustrant avec une loi; il faudrait pouvoir les changer plus rapidement lorsque tout le monde est d'accord et comprend parfaitement la situation. J'ai peut-être l'esprit trop pratique, mais je pense qu'il devrait exister une façon beaucoup plus commode d'apporter les changements législatifs qui profitent à tout le monde.
M. Collins: Avez-vous une idée de ce qu'il faudrait faire du port de Churchill?
M. Moir: Je craignais que quelqu'un me le demande.
M. Collins: Surtout venant du Manitoba.
M. Moir: Vous avez raison... et ancien président de la Hudson Bay Route Association.
Eh bien, je ne vois pas de raison de traiter Churchill de façon différente de tout autre élément de notre système de transport. Le port existe et, s'il est viable, utilisons-le. Si vous allez y investir de l'argent, utilisez-le; sinon, cessez d'y investir de l'argent.
Les collectivités du nord du Manitoba ont besoin de la ligne vers Churchill. Cette liaison sera nécessaire aussi pour le projet aérospatial à Churchill, mais de là à faire payer tous les coûts au céréaliculteurs comme on l'a fait dans le passé... Cela nous a amputé de 3 millions de dollars par an nos paiements LTGT et les subventions du Nid-de-Corbeau. En outre, le dernier tronçon de cette ligne, le tronçon Herchmer, est considéré comme un embranchement dépendant du grain, ce qui a réduit d'autant les fonds répartis entre le reste des lignes secondaires de l'Ouest du Canada.
Là encore, comme je l'ai déjà dit, cette ligne devrait être de responsabilité fédérale-provinciale. J'ai maintes fois critiqué les provinces de ne pas vouloir s'en mêler, mais elles craignent de se retrouver avec tout le fardeau sur les bras, ce qui ne serait pas juste non plus. C'est un de ces domaines, encore une fois, où les provinces et le gouvernement fédéral pourraient faire beaucoup de choses s'ils s'asseyaient ensemble pour discuter de la priorité et des responsabilités respectives.
M. Collins: Je sais que vous êtes élu d'une municipalité rurale. La SARM, en Saskatchewan, a indiqué très clairement sa position sur les 300 millions de dollars, disant qu'une partie devrait être réservée à l'infrastructure routière. Si vous-mêmes allez demander la moitié ou plus de cette somme, je ne sais ce qui restera pour la SARM.
Les déshydrateurs de luzerne veulent un morceau du gâteau. Nous n'obtiendrons peut-être pas la moitié de la somme pour l'est de la Saskatchewan, mais je sais qu'il faudra bien lui réserver quelque chose.
M. Moir: Lorsque je parlais de la moitié, j'englobais la partie est de la Saskatchewan dans la région qui va vraiment être pénalisée. Je sais quels sont les programmes de la Saskatchewan; notre municipalité est située directement sur la frontière avec la Saskatchewan. Le programme routier était jadis financé en partie par le gouvernement provincial. Il a diminué sa part et allait la supprimer entièrement, mais le programme d'infrastructures lui a permis de le conserver et je pense que les municipalités rurales de la Saskatchewan en ont réellement tiré parti. Les routes au Manitoba sont toujours meilleures qu'en Saskatchewan.
Le président: Pour faire suite à la question de M. Collins sur Churchill, l'un des risques mis en évidence par Andrew Elliott dans son rapport est que les changements apportés au système entraîneraient un mouvement substantiel vers le sud. Dans ces conditions, le système intérieur sera crucial. Il importe qu'il y ait des économies d'échelle, du point de vue du volume, des tonnes transitant par Thunder Bay, par exemple et par Vancouver et Prince Rupert aussi.
À votre avis, quel sera l'impact sur les ports et sur la Voie maritime du transport par camion directement au sud, vers les États-Unis?
M. Moir: Je pense qu'il y aura des répercussions. Je cultive régulièrement du tournesol et il est acheminé principalement aux États-Unis. Je cultive aussi de la moutarde qui est transportée par camion à Minneapolis. Je pense que les cultures dont on connaît le prix de vente seront privilégiées à l'avenir, les cultures sous contrat, c'est-à-dire habituellement des cultures spécialisées. Si le marché et le carrefour de distribution se situent de l'autre côté, aux États-Unis, c'est là que les produits seront acheminés. Pour ce qui est du mouvement du blé, etc., vers les États-Unis, il a été prouvé il y a un an qu'un certain type de blé, qui avait été touché par une maladie dans le sud du Manitoba, avait un débouché là-bas.
Je ne pense pas qu'il faille ouvrir toutes grandes les portes, au point où chacun choisisse sa destination. Je pense que la Commission du blé doit conserver une certaine emprise sur le mouvement du grain. Néanmoins, on va cultiver cette année beaucoup d'avoine dans notre région du pays, avoine qui va être transportée au États-Unis. La superficie cultivée en avoine cette année, dans notre partie de la province, va beaucoup augmenter.
M. Hoeppner: J'ai une remarque. Nous étions inquiets de cela dans le marché du canola. Plus nous vendons de canola aux États-Unis, et plus de débouchés semblent s'ouvrir ailleurs. Lorsque je regarde l'offre mondiale de blé, il me semble que nous pourrions produire plus de blé si nous pouvions seulement approvisionner ces marchés. Ne pensez-vous pas qu'en expédiant aux États-Unis...?
J'ai un de ces agriculteurs racistes, ou extrémistes, qui veut tout vendre aux États-Unis. Il fait une grosse campagne pour cela. Je ne sais pas ce qui va se passer lorsque l'Alberta tiendra son référendum cet été. Il faudrait peut-être faire des compromis, et se serrer les coudes. Si l'Alberta se retire de la Commission du blé, je pense qu'elle va disparaître. Cela me fait peur. Je n'aimerais pas voir disparaître la Commission du blé.
Peut-être faudrait-il commencer à faire quelques compromis afin que les agriculteurs soient plus heureux et se serrent davantage les coudes. Ils ne le font pas aujourd'hui autant qu'il le faudrait.
M. Moir: Je pense que vous avez tout à fait raison. On peut dire ceci: les exploitants trouveront la filière qui leur rapportera le plus pour leur production. Il faut espérer qu'ils pourront le faire dans des formes légales plutôt qu'illégales. Si je peux réaliser plus de profits en transportant mon grain par la route de l'autre côté de la frontière américaine, et si je peux le faire légalement, c'est ce que je ferai.
Le président: L'un des grands éléments, pour ce qui est de la Commission du blé, c'est qu'il est établi dans le cas de l'orge que la Commission pouvait le vendre à meilleur compte que les producteurs isolément. Peut-être un producteur en particulier pouvait-il obtenir davantage la tonne, mais cela entraînait une chute généralisée du cours de l'orge. C'est toujours celui qui vend au prix le plus bas qui fixe le cours. Comment contourner cela?
M. Moir: Je reconnais que...
Le président: On ne peut avoir à la fois le beurre et l'argent du beurre. Ceux qui vivent près de la frontière peuvent le vendre facilement de l'autre côté et retirer un avantage marginal, mais cela risque de coûter à l'industrie dans son ensemble. Il faut qu'il y ait un certain équilibre.
M. Moir: En tant que représentant des producteurs de l'ouest du Manitoba, je représente des agriculteurs disséminés depuis la frontière américaine jusqu'au Pas. Nous savons que ces derniers et ceux de la région de Swan River, qui a une grosse production, ne peuvent transporter économiquement leur grain par camion jusqu'aux États-Unis. Je pense que le blé et l'orge devraient continuer de relever de la Commission canadienne du blé, mais avec la possibilité de vendre le grain soi-même légalement d'une manière qui ne soit pas administrativement trop lourde et compliquée.
Je n'ai jamais compris que je puisse transporter mon grain jusqu'à l'élévateur, le déverser dans la fosse, aller au bureau, me faire payer, racheter le grain, le recharger sur mon camion, demander un permis d'exportation et l'emmener de l'autre côté de la frontière. C'est débile, totalement insensé.
M. Hoeppner: Ce n'est pas juste non plus.
M. Moir: Non.
M. Hoeppner: J'y ai réfléchi et il y a tant de variables...
M. Moir: Si je peux obtenir un permis d'exportation et le faire légalement, pourquoi dois-je payer à l'élévateur 7 ou 8$ la tonne pour manutentionner mon grain - et deux fois par-dessus le marché: une fois à l'aller et une fois au retour?
Le président: C'est bien vrai.
Jake ou Bernie, d'autres questions?
M. Hoeppner: En ce qui concerne l'infrastructure routière, je suis à une douzaine de milles de l'élévateur américain et à une trentaine de milles de l'élévateur canadien. Pourquoi ne pas prévoir quelque souplesse afin que nous puissions utiliser leur réseau, au moins en partie? Nous pourrions vendre davantage de canola, davantage d'autres produits. Il y a un marché pour eux.
Regardez ce que nous disent les Japonais. Soit nous nous y prenons mieux, soit nous les perdons comme clients. C'est à cela que je veux en venir. Il nous faut devenir compétitifs et efficients, qu'il faille pour cela transporter par camion quelques chargements de plus de l'autre côté de la frontière ou établir davantage de chemins de fer de lignes courtes, peu importe.
Je vais convaincre cet après-midi ces messieurs d'acheter la ligne vers Churchill, et cela résoudra le problème.
M. Moir: Elle est très en demande en ce moment. Ça se bouscule au portillon pour l'acheter.
Le président: J'ai quelques brèves questions. Premièrement, comment surmonter le monopole naturel que les chemins de fer tendent à avoir dans l'ouest du Canada dans un système déréglementé? Comment éviter cela? Quel est votre avis? En prévision de 1999 - ce qui n'est pas si loin - la LTGO protégeait les agriculteurs au moins dans une certaine mesure. Cette protection disparaîtra. Il faut aussi s'attendre à une déréglementation plus poussée. Que faire face à ce monopole naturel? Faudrait-il instaurer un mécanisme de surveillance, et si oui, lequel?
Certains témoins préconisent un plafonnement des tarifs de fret. Nous aimerions connaître votre point de vue.
M. Moir: Je pense que ce serait une pure perte de temps que d'essayer de briser le monopole ferroviaire. Pourquoi ne pas plutôt collaborer avec les chemins de fer? Ce sera sans doute notre meilleur atout si nous voulons parvenir à une certaine équité dans le sens de ce que nous avons aujourd'hui, pour tenter de maintenir les tarifs de fret aussi bas que possible. J'ai appris à les respecter beaucoup plus qu'auparavant, sur la foi de mon expérience au Comité supérieur du transport du grain. Je ne leur fait toujours pas totalement confiance mais j'ai aussi appris à travailler avec elles et, la plupart du temps, elles ne sont pas tout à fait intraitables.
Le président: Mettons les choses ainsi. Si vous n'aviez le levier de la règlementation pour vous appuyer, que pouvez-vous obtenir?
M. Moir: Oui, c'est juste. Nous serions à leur merci. C'est là où je dois regarder au-delà de ma propre exploitation. Je bénéficie toujours de l'option du camionnage, alors que quantité de régions du pays et de l'ouest du Canada n'ont pas cette possibilité.
Je ne sais pas comment faire. C'est tellement complexe que je ne pense pas être en mesure de suggérer une façon de conserver un certain contrôle.
Il doit bien exister un moyen de contrôler la performance, voir ce qu'ils font et combien ça coûte. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre les chemins de fer, ni de prendre le contrôle de tout le système. Je suis sûr que cela ruinerait l'agriculture de l'ouest, principalement parce que nous avons de si grandes distances à couvrir. Mais peut-être lorsque nous ferons de la transformation à valeur ajoutée sur place, il ne sera pas nécessaire de transporter tant de grains et les chemins de fer seront peut-être alors demandeurs. Ce serait bien.
Le président: Vous n'avez pas répondu à la question sur le plafonnement des tarifs. Qu'en pensez-vous?
M. Hoeppner: Ça ne serait pas nécessaire s'il y avait concurrence, n'est-ce pas?
M. Moir: S'il y avait concurrence. Encore une fois, le rail peut-il concurrencer la route alors qu'il doit construire ses propres voies et que la route est donnée aux camionneurs? Les camionneurs peuvent concurrencer n'importe qui. Il y a quantité d'entreprises de camionnage, depuis celle à un chauffeur et deux à six camions jusqu'à celle de deux à six chauffeurs et deux camions, toutes se faisant concurrence. L'industrie du camionnage est sans doute un bon exemple de la discipline exercée sur les coûts par la concurrence. Mais si les chemins de fer ont un monopole... Il nous faut une façon de limiter les coûts.
Le président: Merci infiniment, M. Moir, d'avoir pris le temps de venir nous voir. Je sais que cela n'a pas été sans mal puisque vous avez dû quitter votre exploitation. Nous vous en remercions, ainsi que de vos avis. Vous nous avez formulé des suggestions très détaillées. Merci beaucoup.
M. Moir: Je vous en prie.
Le président: Allez-y, monsieur Beingessner. Je pense que vous avez un exposé. Nous aurons ensuite des questions.
M. Paul Beingessner (directeur général, Southern Rails Co-operative Ltd.): Je vous remercie, monsieur le président. Je suis heureux de l'occasion qui m'est offerte de compararaître devant votre comité.
Je vais peut-être vous surprendre en n'abordant pas la question de l'intégration des coûts des chemins de fer de lignes courtes dans l'assiette des coûts. Je pense que Tom a pas mal couvert la question et je crois savoir qu'un amendement doit être déposé permettant d'englober ces coûts dans le calcul. Je vais donc passer là-dessus.
Mais je veux vous parler du transport en général. Je m'abstiendrai de parler des effets des modifications législatives sur la diversification ou de la question de qui devrait recevoir les paiements de rachat du Nid- de-Corbeau car, bien qu'étant agriculteur, je connais surtout le domaine du transport.
La Southern Rails Co-operative, dont je suis le directeur général, est un chemin de fer de lignes courtes appartenant à des agriculteurs. Elle exploite deux embranchements tributaires du grain dans le Sud de la Saskatchewan. Elle est la seule ligne courte de la Saskatchewan assurant du transport en commun.
Southern Rails a vu le jour en 1989, lorsque les agriculteurs situés le long de deux embranchements ont décidé que la fermeture de ceux-ci ne constituait pas une option acceptable pour eux. Des fonds étaient disponibles en vertu de l'article 60 de la LTGO, et les dispositions sur les transferts de la Loi sur les transports nationaux interdisaient l'abandon d'embranchements dès lors que quelqu'un était prêt à les exploiter.
Une solution de rechange s'offrait donc, qui permettait aux agriculteurs de la région de conserver le service ferroviaire. Elle a permis de réduire le coût du transport pour tous les agriculteurs de l'Ouest du Canada, puisque le coût d'exploitation de Southern Rails est sensiblement inférieur à celui du CN et du CP, les anciens propriétaires de ces lignes, et puisque que les coûts engagés par le CN et le CP pour ces lignes sont retranchés depuis lors de l'assiette de coûts.
La législation qui a autorisé la création de Southern Rails Co-operative et de Central Western Railway était bien intentionnée mais inadéquate. Les dispositions de la LTN touchant les transferts et les cessions avaient pour but de garantir que les chemins de fer sous régime fédéral ne puissent de leur propre chef façonner le réseau d'embranchements. C'était nécessaire puisque que ces deux sociétés détenaient le monopole sur le trafic dans diverses régions de l'Ouest. Par exemple, le CP jouit d'un monopole virtuel dans le Sud-Ouest de la Saskatchewan et le Sud de l'Alberta. CN a une présence tout aussi écrasante dans le Nord de la Saskatchewan et le Nord de l'Alberta. Seules les parties centrales de ces provinces font l'objet d'une véritable concurrence. Avec leur monopole, les compagnies ferroviaires avaient intérêt à fermer nombre d'embranchements, car la totalité du trafic sur les lignes subsistantes leur restait acquise.
L'article 173 de la LTN empêchait également les sociétés ferroviaires d'exiger pour ces lignes un prix supérieur à la valeur nette de liquidation. Elles ne peuvent non plus refuser le service à une compagnie de lignes courtes désireuse d'exploiter l'embranchement.
Devant le succcès de Southern Rails et de Central Western, les compagnies ferroviaires se sont rendu compte que la loi actuelle pouvait aboutir à la création d'un réseau ferroviaire dont le contrôle leur échapperait. Leur solution a été de simplement donner un coup de frein aux nouvelles fermetures de lignes. Elles l'ont fait en dépit de toutes leurs affirmations selon lesquelles il leur fallait abandonner davantage de voies. Il n'y a eu que très peu de fermetures de lignes dans l'Ouest depuis lors, bien qu'un grand nombre de kilomètres de voies ne faisaient plus l'objet d'ordonnances de protection à partir de 1989. Elles ont plutôt choisi d'attendre que les compagnies d'élévateurs décommercialisent et ferment graduellement les élévateurs le long de ces lignes. Les chemins de fer amplifiaient ce mouvement avec un entretien inadéquat des voies et une mauvaise qualité de service.
Le vice de la LTN était qu'aucune de ses dispositions ne pouvait empêcher cela, n'offrait aucun moyen d'action aux agriculteurs leur permettant d'assurer le maintien de leur embranchement et de mettre en place un service à moindre coût. Ainsi, bien qu'elles n'aient pas rempli leur objectif de réduire sensiblement leur kilométrage de voies, les sociétés ferroviaires ont pu garder fermement en main le contrôle du processus de fermeture de lignes et donc la création, ou l'absence de création, de sociétés de lignes courtes.
Voilà pour le passé. Un nouveau cadre est en train de se mettre en place et les possibilités d'influencer l'orientation de la législation diminuent rapidement. Les propositions actuellement à l'étude au sujet de l'ONT prévoient des procédures d'abandon simplifiées qui réduisent le délai soit de fermeture d'un embranchement, soit de transfert à une compagnie ferroviaire d'intérêt local. Théoriquement, elles assurent également un certain degré de protection de l'intérêt public en donnant aux trois paliers de gouvernement l'option d'acquérir la ligne si aucune compagnie d'intérêt local ne la rachète.
Il y a, cependant, des lacunes dans la législation, des lacunes tellement criantes qu'elles obligent à conclure que le but des modifications est de donner aux grandes compagnies ferroviaires la liberté totale de façonner le réseau ferroviaire selon leurs intérêts propres, non seulement dans l'Ouest du Canada mais dans tout le pays.
La première omission est l'absence d'obligation pour les sociétés ferroviaires de négocier de bonne foi avec des acheteurs potentiels, ou même d'ouvrir des négociations. Si une période de cinq mois est bien prévue pour les négociations, les chemins de fer ont toute liberté de demander n'importe quel prix et de poser n'importe quelle condition.
Cela me rappelle une conversation que j'ai eue il y a quelques années avec un groupe de fonctionnaires au sujet de leur projet visant à réaliser des gains d'efficience. Lorsque j'ai exprimé l'avis que cette proposition exclurait toute possibilité de formation de chemins de fer d'intérêt local, le représentant de l'OTG s'est tourné vers moi et a carrément lancé: «Nous pensons qu'il y aura des compagnies de lignes courtes là où les grandes sociétés ferroviaires le veulent bien». Il semble que l'objectif des compagnies, à savoir leur contrôle sur tout le système, soit en passe d'être réalisé.
Même si la solution de repli prévue dans le projet permet aux pouvoirs publics d'acquérir une ligne, ce qui est peu probable vu les contraintes budgétaires actuelles, les gouvernements ne peuvent contraindre les sociétés ferroviaires à accorder une répartition des revenus ou une entente d'exploitation qui soit équitable. Il n'est guère étonnant que le projet préconise de supprimer le mot «nationaux» du titre de la loi. Pour ce qui est du rail, il n'y aura plus de politique de transport national.
Les compagnies ferroviaires auront la haute main sur la forme du réseau. Le seul petit contrepoids à leur monopole prévu dans la proposition consiste à accorder aux compagnies d'intérêt local le droit de passage sur les voies fédérales pour se raccorder à un autre chemin de fer fédéral. En contrepartie, la proposition supprime de la loi les dispositions touchant les obligations de transporteurs publics.
La disposition relative aux droits de passage est utile mais ne va pas assez loin. Sa présence fera que les compagnies ferroviaires feront tout leur possible pour garder le contrôle du réseau afin d'éviter de perdre du trafic dans une région où elles ont le monopole.
Permettez-moi d'expliquer cela un peu mieux. Si une compagnie ferroviaire a le monopole dans une région et qu'une compagnie d'intérêt local est créée, cette dernière introduit un élément de concurrence puisque la disposition sur les droits de passage lui donneront accès à l'autre chemin de fer. Si, en revanche, la compagnie ferroviaire peut empêcher la création de cette ligne courte et abandonner purement et simplement la voie, toute possibilité de concurrence disparaît. Cette mesure risque donc simplement de renforcer la réticence des compagnies ferroviaires à voir leurs embranchements transformés en chemin de fer d'intérêt local dans les régions où elles ont le monopole.
Le fait de placer en alternative les droits de passage et les obligations de transporteur public ne fait que confirmer mon idée que les changements législaifs sont destinés à donner un plus grand contrôle aux compagnies ferroviaires. Avec la disparition dans cinq ans des plafonds de tarif et le recours illimité aux tarifs d'incitation de la part des compagnies ferroviaires, les agriculteurs doivent s'attendre à un réseau considérablement rétréci.
J'ai eu l'occasion de lire le procès-verbal de la séance de votre comité au cours de laquelleM. Goodale a comparu. Il a souligné à plusieurs reprises qu'il pensait que les compagnies ferroviaires conserveraient la grande majorité - je pense que ce sont les termes qu'il employait - des embranchements. Des questions ont été posées sur les économies qui résulteraient de cette proposition de la LTGO. Où interviendraient les économies qui sont censées bénéficier aux agriculteurs? L'un des membres du comité a indiqué que les économies dues à la fermeture des embranchements seraient très réduites, et le chiffre de 5 à 10 p. 100 a été cité.
J'aimerais vous donner quelques chiffres pour clarifier un peu cela. Le Comité d'examen des embranchements qui a été formé et qui commence tout juste ses travaux a demandé aux compagnies ferroviaires de lui soumettre une liste des lignes qu'elles souhaitent abandonner immédiatement. On a beaucoup dit que la fermeture immédiate d'un certain nombre d'embranchements à coût d'exploitation élevé dégagerait des économies immédiates compensant les pertes que les agriculteurs allaient essuyer.
Les compagnies ferroviaires ont présenté à ce comité une liste d'embranchements totalisant 537 milles. Je crois savoir que le comité en a été quelque peu déçu et a demandé aux compagnies ferroviaires de reconsider la liste à la hausse. Je trouve curieux que le gouvernement encourage les compagnies ferroviaires à abandonner davantage de voies qu'elles ne le souhaitent en ce moment.
Indépendemment de cela, la fermeture de 500 milles de voies - et ce sont là des chiffres relativement bruts, mais très fiables - économiseraient aux agriculteurs environ un cent par boisseau sur les tarifs de fret maximums actuels. Un cent le boisseau, c'est dérisoire par rapport aux augmentations massives qui les attendent. Donc, 500 milles de voies fermées feraient économiser à un agriculteur exploitant 1 000 acres, produisant environ 1 tonne de grain l'acre, près de 360$ sur le transport, alors qu'il est confronté à des hausses de tarif allant de 12 000 à 20 000$ et peut-être beaucoup plus s'il se trouve dans le corridor de l'est de la Saskatchewan et de l'ouest du Manitoba.
Même si l'on fermait la moitié des embranchements tributaires du grain, c'est-à-dire environ 3 000 milles, l'agriculteur confronté à des hausses de tarif de 12 000 à 20 000$ n'économiserait qu'environ 1 800$. Donc, les économies de cette provenance, comparées à ce à quoi on renonce, ne sont guère importantes.
Je dis cela depuis plusieurs années et certains d'entre vous me l'ont sans doute déjà entendu dire. Je ne prétends pas du tout qu'il n'y a pas lieu de fermer certains embranchements; certains doivent l'être, mais je n'en n'attends pas de grosses économies. La fermeture de la moitié des embranchements ne ferait économiser que 5 p. 100 des tarifs de fret.
Les compagnies céréalières utilisent actuellement l'argent des taux d'encouragement pour payer des subventions de camionnage afin d'attirer le grain vers des centres plus importants. Le système envisagé pour le grain, c'est-à-dire les contrats confidentiels et les dispositions sur l'acccès concurrentiel de l'ONT peuvent se combiner pour profiter aux compagnies céréalières. Il convient cependant de noter que, contrairement à d'autres produits en vrac, comme le charbon ou la potasse, dans le cas du grain ce n'est pas le producteur qui est l'expéditeur. Les avantages accordés à l'expéditeur, c'est-à-dire à la compagnie céréalière, ne sont pas nécessairement répercutés sur le producteur. Je pense aux tarifs d'encouragement accordés à un maillon de la chaîne qui servent à subventionner le transport par camion vers un autre maillon afin que le premier élévateur puisse être fermé.
Les compagnies céréalières se sont lancées dans une course pour construire des silos en ciment, situés principalement sur les grandes lignes. Les agriculteurs se retrouveront avec une infrastructure nouvelle et coûteuse à payer, car bien entendu tout l'argent provient de la poche des agriculteurs, et avec des distances de transport beaucoup plus longues. Dans bien des cas, cela entraînera une hausse considérable des frais de voirie à la charge des contribuables municipaux et provinciaux.
La nouvelle loi autorisera les chemins de fer à abandonner des voies si elle le souhaite. En dépit des assurances de M. Goodale, peu de gens de l'ouest du Canada pensent que ces fermetures ne seront pas nombreuses. Les chemins de fer utiliseront les tarifs d'encouragement pour conduire les embranchements à la fermeture, leurs tarifs n'étant plus compétitifs.
Les compagnies ferroviaires annoncent franchement la couleur à propos des tarifs d'encouragement. La brochure du CP sur les tarifs d'encouragement dit qu'ils sont destinés à accélérer la diminution des coûts de manutention et de transport du grain, par la réduction du nombre d'élévateurs et la fermeture des embranchements coûteux.
Si nous appuyons les mesures d'économie, nous savons bien que les compagnies ferroviaires et céréalières ne calculent pas le coût global; en fait, personne ne le calcule. Je vous défie de me trouver quiconque au Canada qui puisse vous dire le coût total d'un système de transport où les agriculteurs acheminent leur grain par camion vers de gros élévateurs coûteux situés sur des lignes principales. Nous connaissons les coûts d'ensilage. Nous pouvons prédire les coûts de transport. Nous pouvons estimer les conséquences de l'érosion de l'assiette fiscale des collectivités rurales. Mais nous ne savons pas, et personne ne calcule, le coût de l'amélioration et de l'entretien des routes. Nous ne savons pas si les agriculteurs sortiront gagnants ou perdants de ce processus.
Nous savons également que maints embranchements faisant actuellement l'objet d'un démarketing de la part des compagnies ferroviaires et céréalières ont été reconstruits à grands frais dans le cadre du programme de remise en état des embranchements des Prairies des années 1980. Ces derniers, aux mains de compagnies de lignes courtes, pourraient fournir un service peu coûteux et efficace pendant des années encore.
Si l'on compare les frais d'élévateur aux États-Unis et au Canada, on voit que nos agriculteurs ne sont pas très bien servis par les compagnies céréalières. Les agriculteurs recherchent et mettent à l'essai actuellement des solutions de moindre coût. Ils le font avec l'espoir que le système qui émergera profite aux agriculteurs, et non seulement aux compagnies ferroviaires et céréalières.
Un chemin de fer d'intérêt local (CFIL) peut exploiter les embranchements à moindre coût que le CN ou le CP. Pour cela, il faudra donner la possibilité de concurrencer les gros transporteurs sur un pied d'égalité.
Les droits de circulation proposés autoriseraient une compagnie de lignes courtes à passer sur une ligne principale jusqu'à un point de correspondance avec l'autre gros transporteur. On y voit un levier permettant aux expéditeurs sur les lignes courtes de bénéficier de tarifs concurrentiels. Mais cela suppose aussi que les grosses compagnies se feront une concurrence vigoureuse pour tout le volume de trafic possible. Mais c'est une idée que même la Commission d'examen de la LTN a mise en doute dans le chapitre sur les prix de ligne concurrentiels. Dans le premier volume de ce rapport, page 131, elle dit que le CN et le CP ont renoncé, à toute fin pratique, à se concurrencer par le biais des prix de ligne concurrentiels.
La disposition sur les droits de passage devrait autoriser l'accès des CFIL à deux transporteurs concurrents, dont l'un serait sans doute une compagnie américaine. Le prix du passage devrait être calculé selon une formule équitable, ou du moins pouvoir être décidé en arbitrage.
Ce qui serait plus bénéfique serait une politique d'utilisation commune des voies, telle que toute société ferroviaire puisse circuler sur les voies d'une autre et y charger du fret. La Commission d'examen de la LTN a recommandé une telle politique, du moins à titre expérimental. Malheureusement, c'est une idée sans doute trop radicale pour le gouvernement, qui menacerait trop le monopole des chemins de fer.
Il faut également un mécanisme d'arbitrage pour assurer une juste répartition des revenus et des accords de correspondance équitables. Un tel mécanisme donnerait aux chemins de fer d'intérêt local les mêmes moyens de pression que les expéditeurs aux termes de la clause sur l'arbitrage des oeuvres finales de la LTN.
Il convient en outre de veiller à ce que les avantages offerts aux gros expéditeurs le soient aussi aux CFIL qui répondent aux mêmes critères. Par exemple, les deux grandes compagnies ferroviaires offrent actuellement des tarifs d'incitation sur les convois à wagons multiples allant d'un même point d'origine à une même destination. Le CP offre une ristourne de 2,50$ la tonne par convoi de 50 wagons répondant à certaines conditions. Mais il n'est pas obligé d'accorder le même avantage à un CFIL ou aux expéditeurs de celui-ci même s'ils apportent 50 wagons à CP dans des conditions identiques.
Il devrait exister un moyen de contraindre les compagnies ferroviaires à traiter leurs clients sur un pied d'égalité, à défaut de quoi on laisse un monopole naturel exercer tout son poids.
Si les mesures dont j'ai parlé sont promulguées, je prédis qu'il arrivera ceci: les compagnies ferroviaires réagiront comme elles l'ont fait lorsque l'article 60 de la LTGO et l'article 173 de la LTN menaçaient d'autoriser la création d'un réseau de chemins de fer d'intérêt local. Elles ne vont pas abandonner de lignes tant qu'elles-mêmes et les compagnies céréalières ne les auront pas décommercialisées au point de rendre non viable l'exploitation d'un CFIL.
Le gouvernement du Manitoba, dans son intervention sur la refonte du transport ferroviaire national, a recommandé, et je cite:
- Les sociétés ferroviaires qui cessent d'offrir un service adéquat ou décommercialisent un
embranchement sans déposer des préavis d'abandon, devraient être tenues d'offrir la ligne à
tout chemin de fer d'intérêt local qui est prêt, apte et disposé à fournir un service adéquat.
L'ensemble des mesures que je viens de préconiser donneraient aux agriculteurs des Prairies l'accès concurrentiel dont ils ont besoin pour assurer que les options de manutention du grain innovatrices et de faible coût ne soient pas mises hors de leur portée. Il semble que ce devrait être là l'objectif de toute initiative fédérale.
Je vous remercie.
Le président suppléant (M. Collins): Jake, avez-vous des questions à poser àM. Beingessner?
M. Hoeppner: J'ai beaucoup de questions.
Je suis impressionné par la qualité de votre exposé. J'y retrouve tout ce que je clame à la Chambre depuis 18 mois, à savoir que les chemins de fer, les compagnies céréalières et - qui donc encore? - ont besoin les uns des autres. Ils n'ont pas besoin des agriculteurs, mais ils semblent avoir besoin les uns des autres. Ils travaillent de concert, en excluant l'agriculteur du dialogue.
Je me trouvais en Saskatchewan il y a un mois et j'ai pu m'entretenir avec un certain nombre d'agriculteurs. J'ai été étonné de ce que j'ai appris. Je ne m'étais pas rendu compte que les terminaux intérieurs devenaient si populaires et qu'ils étaient financés par les agriculteurs. Il y a maintenant quatre terminaux intérieurs appartenant aux agriculteurs.
Est-ce là la direction dans laquelle nous, les agriculteurs, devons aller pour rester maîtres de notre destin, commencer à acheter des chemins de fer, commencer à exiger un plus grand rôle dans ces activités? Lorsqu'on parle de valeur ajoutée, j'ai peur... Il y a déjà des négociations en coulisse entre la Commission du blé et les compagnies céréalières. Je crains que les agriculteurs se voient encore une fois exclus des profits dans ces secteurs. Devons-nous faire une révolution, commencer à faire les choses par nous-mêmes et jeter par la fenêtre les autres parties intéressées. Comment faut-il s'y prendre?
M. Beingessner: Je pense que ces terminaux régis en coopérative d'agriculteurs - et il y en a davantage en projet qui font l'objet d'études de viabilité etc. - résultent du fait que les agriculteurs estiment que les compagnies céréalières sont indifférentes à leurs besoins, et profitent d'eux.
La réserve que je formule à leur sujet tient à ce qui se passe dans tout le secteur céréalier. On le voit avec les terminaux appartenant aux producteurs et avec les plans d'expansion de l'UGG et de Saskatchewan Wheat Pool et de toutes les autres compagnies céréalières. Nous remplaçons une infrastructure qui existe déjà et qui, dans bien des cas, n'est pas mauvaise. Nous la remplaçons par des silos en ciment extrêmement coûteux qui n'apportent pas grand-chose de plus que les élévateurs actuels, mais l'argent pour cela doit sortir de la poche des agriculteurs. Je veux dire par là que nous sommes la seule source de fonds dans toute cette équation.
J'ai accroché une carte dans mon bureau et planté des punaises à l'emplacement de tous les silos en ciment que possèdent les compagnies céréalières et les terminaux de producteurs, de même que ceux en projet dont j'ai entendu parler. On constate très rapidement que ces installations sont construites principalement sur les grandes lignes. Il y a quelques exceptions, bien sûr, mais ces silos tendent à être situés à faible distance des lignes principales, peut-être sur des lignes qui ne sont pas tributaires du grain et qui ont d'autres usages.
Je peux prédire que si le statu quo se maintient, nous, les agriculteurs, allons nous retrouver à payer pour une infrastructure flambant neuve dont nous n'avons pas toujours besoin. Il en faut un peu, mais il existe quantité d'installations qui sont très efficientes et qui vont se retrouver évincées du marché. Et pour le privilège de payer pour cette infrastructure, nous allons devoir transporter notre grain sur des distances de 40 ou 50 milles alors que les distances sont beaucoup moins longues actuellement pour la plupart d'entre nous.
J'ajouterais qu'il y a d'autres modèles d'infrastructures qui s'échafaudent en ce moment et qui me paraissent un peu plus appropriées. Dans la ville de Qu'Appelle, qui se trouve sur la ligne principale du CP, il y a un entrepreneur qui érige sa propre installation de manutention du grain et qui a pris le temps, en tant que particulier, de remplir toutes les formalités nécessaires pour acquérir une licence d'acheteur de grain, etc. Alors qu'un élévateur ordinaire facture de 7 à 8$ pour l'élévation initiale du grain, il pense pouvoir réaliser des profits substantiels à un tarif de seulement 4$, car il a pris essentiellement un système très simple, puisque la grande majorité des élévateurs ne font rien de plus que déverser le grain dans une fosse et de le surélever pour le charger dans un wagon. Il pense même pouvoir procéder au nettoyage du grain à un prix inférieur à 50 p. 100 du prix courant.
Ces initiatives existent. Elles sont lentes à se mettre en place parce que nous sommes obsédés par l'infrastructure lourde.
J'ai fait un voyage récemment au Montana et j'ai été étonné de voir combien on y dépense peu sur tout ce qui n'est pas essentiel. Nous avons visité certains des plus gros élévateurs en ciment de la région et y avons été reçu dans les bureaux les plus rudimentaires et délabrés que j'ai jamais vus, car ce n'est pas pour les bureaux que l'on dépense l'argent, mais bien pour les installations d'entreposage de base. Ces compagnies n'ont pas les moyens d'avoir des bureaux luxueux car leurs prix ne sont que la moitié de ce qu'ils sont au Canada.
Je suis donc d'accord avec vous pour dire que l'industrie sert ses propres intérêts. Elle exploite le fait que nous, au Canada, nous semblons prêts à payer pour le luxe qui ne nous apporte rien de tangible. Mais il y a d'autres possibilités. Je pense que les agriculteurs vont les rechercher, mais je pense qu'il leur faut un environnement législatif qui le permette.
La thèse que je défends pour les lignes courtes, c'est que si on nous place à égalité avec les gros transporteurs ferroviaires, nous pouvons être compétitifs avec eux.
M. Hoeppner: Ce qui m'a étonné en parlant avec les gens dans ces terminaux appartenant aux agriculteurs, c'est qu'ils sont très rentables. Ils rapportent. J'ai vu un système aux États-Unis où le nettoyage était relié au système d'élévation, lequel pourrait très facilement être intégré à mon système de nettoyage. Comme je l'ai dit à diverses réunions, si nous avions quelques cuves à trémie le long d'une grande ligne, il serait facile à une cinquantaine d'agriculteurs de se grouper et nous n'aurions plus besoin du système d'élévateurs. Nous pourrions réduire nos coûts de 15 ou 20$.
La question est de savoir si nous voulons nous engager dans cette voie, car je pense qu'il faut rendre l'exploitation agricole viable. Lorsque je lis les statistiques disant qu'aujourd'hui 48 p. 100 des revenus agricoles proviennent d'emplois non agricoles, je me dis qu'il faut faire quelque chose avant qu'il ne reste aucun agriculteur. Il faut trouver quelque chose qui soit viable et apporte des revenus supplémentaires aux agriculteurs, sinon nous serons très rapidement menacés d'extinction.
M. Beingessner: Je suis d'accord avec ce que vous dites en ce sens que chaque dollar sort de notre poche. Il y a d'autres façons de faire les choses; par exemple, pour le nettoyage, où les élévateurs de terminaux prennent 3,50$ pour nettoyer une tonne de grain. J'ai l'impression qui si leur nettoyage coûte si cher c'est parce qu'ils procèdent à des séparations extrêmes de tous les sous-produits, afin de pouvoir les vendre.
M. Hoeppner: Ils les rajoutent ensuite au grain pour l'exportation.
M. Beingessner: Pour l'exportation, il suffit d'un nettoyage très simple, pas du tout complexe, dont je suis sûr qu'il pourrait être réalisé pour moins de 10c. le boisseau, ce qui est le prix actuel.
M. Hoeppner: Quelle est votre solution à tout ce problème? Lorsque je suis allé voir sur place le système de transport au Dakota du Nord, on m'a dit carrément de ne pas laisser fermer certains de nos embranchements ferroviaires. Là-bas, on leur demande d'en rouvrir qui étaient abandonnés pour des raisons écologiques.
Aux États-Unis, le coût du carburant est plus élevé ou plus préjudiciable à l'économie car ils en importent beaucoup. Les écologistes leur disent que l'infrastructure routière est trop coûteuse, de même que l'importation de carburant. On leur dit d'utiliser davantage les chemins de fer.
Peut-on éviter cela au Canada? Est-ce que vous, les chemins de fer d'intérêt local, pouvez nous aider à résoudre ce problème avant que les choses n'aillent trop loin? Ce que vous nous dites, en substance, c'est que les deux grandes compagnies ferroviaires nationales vont fermer autant de lignes qu'elles le peuvent, aussi rapidement qu'elles le peuvent, et sans qu'elles soient reprises par des compagnies de lignes courtes.
M. Beingessner: C'est ce que dictent les facteurs économiques actuels, et les modifications législatives proposées leur donneraient le pouvoir de le faire. Elles ont consolidé leur monopole et l'on a presque rien fait ces dernières années pour les en empêcher. Au contraire, l'Office national des transports a permis aux compagnies ferroviaires d'échanger des lignes un peu partout.
J'en ai parlé au Bureau de la politique de concurrence pour lui demander ce qu'il en pensait. Je n'ai pas eu de réponse très claire, mais je sais que si l'on doit intenter un recours en vertu de cette législation, c'est la partie qui a le plus d'argent qui gagne.
M. Hoeppner: Oui.
M. Beingessner: Je considère que l'essentiel, dans tout cela, c'est d'égaliser les chances et de nous donner un recours à l'arbitrage. Avec les changements actuellement proposés à la LTN, les compagnies ferroviaires peuvent nous dire d'aller nous faire voir. Elles ne sont pas obligées de transiger avec nous si elles ne le veulent pas. C'est très clair dans la loi.
Elles ne peuvent dire aux trois paliers de gouvernement d'aller se faire voir car chacun a l'option de racheter cette infrastructure. Mais même les trois paliers de gouvernement ne peuvent les contraindre à leur accorder la répartition des revenus ou une entente d'exploitation. Si vous doutez de ce que je dis, je peux vous citer quantité d'exemples qui montrent que lorsque les compagnies ferroviaires ne veulent pas de nous, elles peuvent imposer des exigences exorbitantes.
Nous voulions racheter quelques embranchements au sud de Swift Current. Dans nos tractations avec le CP, nos interlocuteurs se sont montrés très francs. Ils nous ont dit qu'ils ont le monopole dans cette région. Ils ne pensent pas que ces embranchements leur sont nécessaires. Ils sont peut-être nécessaires aux agriculteurs, mais à leur avis, ils ont une infrastructure pléthorique.
Ils nous posaient des conditions pour ce qui est de l'échange des wagons. Ils ne pouvaient refuser de nous fournir des wagons aux termes des dispositions sur les transporteurs publics, mais ils fixaient des conditions inadmissibles. Nous n'avions aucun recours à l'arbitrage.
Les expéditeurs, eux, disposent d'une procédure d'arbitrage définitive. Pourquoi serait-ce si difficile d'accorder la même chose aux CFIL? Au lieu de cela, les hauts fonctionnaires de Transports Canada nous disent qu'ils vont nous donner les droits de passage, mais qu'ils vont supprimer en échange les dispositions relatives aux transporteurs publics. Je ne vois pas vraiment le lien entre les deux. Je ne vois pas pourquoi on ferait cela, sinon que l'on craint peut-être de nous donner trop.
M. Hoeppner: Ils ne veulent pas nous donner trop de pouvoir. C'est très simple, je pense.
Il me semble que, avec la disparition de la LTGO, nous aurons à prendre des décisions très difficiles en ce qui concerne la réglementation ou la déréglementation, si nous voulons que les CFIL survivent. Sinon, nous nous préparons de grosses difficultés.
Il faut songer même au tourisme. Nous voyons ce qui se passe sur la côte ouest avec le train Great Canadian Railtour, exploité de façon beaucoup plus efficiente que ceux de VIA.
J'ai été impressionné, l'autre jour, en parlant avec eux, de voir qu'ils songent sérieusement à reprendre la ligne de Churchill, pour peu que le prix soit favorable. Que pensez-vous de Churchill? Y aurait-il là possibilité de monter un chemin de fer d'intérêt local?
M. Beingessner: J'y ai un peu réfléchi. Je dois admettre que je ne connais pas suffisamment les frais d'exploitation et les recettes actuelles de cette ligne, hormis le trafic non céréalier. Mais le groupe de travail sur Churchill a indiqué qu'un volume de 2 millions de tonnes de grain suffirait à rendre la ligne profitable.
M. Hoeppner: Je pense que le rapport disait 1 million.
M. Beingessner: Je mélange peut-être un peu. Le port lui-même a besoin d'un million pour être viable. Je pense que le chemin de fer en a besoin de plus. Cela n'apporterait pas nécessairement le capital requis pour les améliorations nécessaires, la réfection de certains des ponts, etc.
Bien sûr, il y a toute la question de la stabilité des voies. Il existe des solutions technologiques à ce problème. Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi un port qui pratique des prix nettement plus avantageux n'est pas davantage exploité par la Commission canadienne du blé. Je ne comprends pas.
Les années où il n'y a qu'une ou deux catégories de qualité de grain, comme c'est le cas de la dernière récolte, je ne comprends pas pourquoi la Commission du blé ne transporte pas du grain à Churchill en hiver, lorsque le sol est gelé et stable. Son argument a toujours été que le client doit savoir ce qu'il va trouver. Mais une année comme celle-ci, le client sait ce qu'il trouve partout. Il n'y a que deux catégories de grain partout.
Si vous partez du point de vue que les chemins de fer de lignes courtes peuvent être exploités de manière plus efficiente, et c'est mon cas sinon je ne serais pas ici, alors peut-être y a-t-il quelques options pour Churchill.
Toute la question du coût d'achat des voies est primordiale et se pose non seulement pour Churchill mais pour tous les embranchements tributaires du grain. La valeur de récupération de toute voie ferrée, à l'heure actuelle, est extrêmement élevée parce que le prix de l'acier a beaucoup augmenté. La hausse du prix du bois fait également que les traverses sont devenues beaucoup plus précieuses. Tout cela a fait baisser le coût de l'enlèvement des rails, car les compagnies de démolition récupèrent généralement les traverses dont elles tirent un bon prix.
Tout ce que je veux dire par là c'est qu'un embranchement qui a été vendu 20 000$ le mille il n'y a pas si longtemps se négocie aujourd'hui aux alentours de 30 000 à 80 000$, selon le poids du rail.
Si une compagnie qui voudrait reprendre la ligne de Churchill devait payer ce genre de prix pour racheter la voie, cela deviendrait très difficile. Cela devient très peu rentable pour la plupart des embranchements.
Mais comme je l'ai déjà dit à maintes reprises, une bonne partie de cette infrastructure du réseau d'embranchements actuel a été mise en place avec des crédits fédéraux, dans le cadre du programme de réfection des embranchements. Celui-ci a coûté 1 millliard de dollars. On va laisser cet argent aux mains des compagnies ferroviaires. La garantie initiale était que qu'elles maintiendraient le service jusqu'en l'an 2000. Mais sur les lignes qu'elles abandonneront d'ici là, elles pourront récupérer la pleine valeur de l'infrasture payée par le gouvernement fédéral. Cela me gêne considérable et je sais, pour en avoir parlé à certains des membres du Comité, que c'est leur cas aussi. Mais je ne vois venir aucune mesure pour empêcher cela.
M. Hoeppner: J'ai des opinions très tranchées en ce qui concerne les embranchements. Regardez tout l'argent du contribuable qui a été englouti pour construire et entretenir ces embranchements. Si c'est moi qui décidais, ces embranchements seraient vendus à un prix très raisonnable à quiconque veut les exploiter.
Je suis indigné lorsque je vois ce que fait le CN sur la ligne de Churchill, non seulement pour ce qui est du transport du grain mais pour d'autres choses aussi. Je donnerais à quelqu'un un très bon prix pour cette ligne en échange de quelques garanties raisonnables que la ligne serait exploitée de manière efficiente. C'est ce que je ferais à la place du gouvernement. Je ne sais pas ce que vont faire les libéraux, mais je considère qu'il nous faut un système de transport, sans quoi notre pays n'existera plus. Il est urgent de réaliser que nous nous sommes fait avoir pendant de nombreuses années par bon nombre de ces compagnies céréales et ferroviaires, et peut-être même un peu par la Commission du blé. Je voulais simplement faire cette remarque.
Le président suppléant (M. Collins): Vous vous montrez pas mal généreux avec notre argent cet après-midi, monsieur Hoeppner.
Paul, il y a un certain nombre de choses qui ont attiré mon attention et j'aimerais avoir votre réaction, si possible.
La première intéresse le tarif de transport des céréales. Une augmentation automatique de 10c. la tonne du taux maximum, pour subventionner Central Western Railway et Southern Rails Co-operatives... Pourriez-vous nous expliquer cela un peu mieux?
M. Beingessner: Je n'aime pas trop la façon dont cela sonne.
Le président suppléant (M. Collins): Ce n'est pas moi qui l'ai écrit.
M. Beingessner: Le texte dit que c'est pour subventionner les deux compagnies. J'aimerais faire quelques remarques à ce sujet, et je pense que Tom les a déjà faites par le passé.
Lorsque les lignes ont été rachetées au CN et au CP par nous et par M. Payne, leur coût n'a pas été enlevé de l'assiette de coûts. Donc, chaque agriculteur canadien en a bénéficié. Bien que nous ayons touché et touchions encore des versements au titre de la LTGO, le résultat final profite aux agriculteurs de l'Ouest du Canada. Il leur en coûtait moins que nous exploitions la ligne que lorsque c'était les grandes compagnies ferroviaires.
Chaque embranchement est subventionné dans une certaine mesure en raison de la nature du système d'équité que nous avons édifié pour le transport des céréales. Ce que nous disons au sujet des lignes courtes, c'est que les expéditeurs qui empruntent nos lignes ont tout autant le droit d'être subventionnés que les expéditeurs sur tout autre embranchement de l'Ouest du Canada.
Mais la prise en compte de ce coût, qui est considérablement moindre que ce qui a été enlevé de l'assiette de coût au départ, permettra au CN et au CP de nous accorder une répartition des revenus qui nous permettra de survivre.
Il ne fait aucun doute que si notre seule source de revenu sont les agricuteurs qui empruntent nos lignes, ces agriculteurs paieront le coût intégral de l'exploitation et du transport de leur grain jusqu'au port, alors que les agriculteurs sur un embranchement adjacent ne le feront pas, du fait de l'existence d'un tarif maximum. Ils paient un tarif pondéré basé sur la distance. C'est un système qui vise à être équitable.
Mais nos agriculteurs seront simplement contraints d'aller ailleurs pour obtenir ce tarif subventionné. Je pense donc que c'est une question d'équité. Je suis sûr qu'il y a aura de l'opposition à cette proposition. C'est un montant relativement faible, de l'ordre d'un tiers de cent le boisseau. Il y aura néanmoins de l'opposition, mais je pense que si les gens comprennent que les coûts qui ont été retranchés de l'assiette sont supérieurs à ce qui lui sera réintégré, ils y seront plus favorables.
Le président suppléant (M. Collins): Je peux vous dire que j'ai déjà entendu des récriminations.
M. Beingessner: Eh bien, il y a eu beaucoup d'opposition et beaucoup de malentendus lorsque nous sommes devenus une société. Le contrat que nous avons conclu avec Transport Canada a évidemment été publié dans la Gazette du Canada, l'accord qui a été conclu avec les chemins de fer d'intérêt local. Toutes sortes de gens ont clamé que cela coûtait très cher aux agriculteurs canadiens de nous avoir là.
C'est l'inverse qui était vrai. Cela leur faisait littéralement économiser de l'argent, mais la complexité du barème de tarif dépasse de loin l'entendement de la plupart des agriculteurs. Je dis cela en tant qu'agriculteur qui a mis cinq ans à comprendre ce système si complexe.
Le président suppléant (M. Collins): Si vous deviez changer la formulation de la recommandation numéro 1, qu'aimeriez-vous écrire pour que ce document soit davantage...? D'aucuns pourraient le trouver un peu plus à leur goût si la formulation était différente. Que changeriez-vous dans ce premier énoncé?
M. Beingessner: Vous me prenez un peu au dépourvu. Je ne me souviens pas du libellé exact, mais je sais que j'ai réagi au mot «subvention».
Le président suppléant (M. Collins): Je vais vous relire le passage: une augmentation automatique de 10c. la tonne du taux maximum, pour subventionner Central Western Railway... et je pense qu'il faudrait lire Southern Rails Co-operative.
M. Beingessner: Oui.
Le président suppléant (M. Collins): Pourrait-on parler de pied d'égalité?
M. Beingessner: Cela ferait une phrase un peu plus longue mais on pourrait écrire quelque chose du genre: «l'inclusion de 10c. dans l'assiette de coût autoriserait les compagnies ferroviaires à offrir une répartition des revenus aux chemins de fer d'intérêt local qui les mettrait sur un pied d'égalité avec les autres embranchements».
Le président suppléant (M. Collins): Bien. Je vous demanderai tout à l'heure de prendre quelques instants et de mettre cela sur papier.
M. Beingessner: Certainement.
Le président suppléant (M. Collins): Le deuxième point est l'idée d'ajuster les taux maximums pour l'achat de wagons de chemins de fer en sus du parc de base. Avez-vous des objections à ce type d'arrangement?
M. Beingessner: Cette proposition du gouvernement fédéral de vendre les wagons est intrigante. Cela me préoccupe beaucoup. Premièrement, et cela me paraît un point intéressant, la valeur de ces 13 000 wagons à trémie appartenant au gouvernement fédéral se situe sans doute dans le voisinage de 450 millions de dollars. Je me fonde pour cela sur les chiffres de la Saskatchewan Grain Car Corp., dont les wagons sont d'âge et de type similaires et valent aujourd'hui aux environs de 30 000$.
Si le gouvernement fédéral va vendre ces wagons aux chemins de fer à un moment donné et encaisser cet argent, cela va représenter une bonne part des 1,6 milliard de dollars qui vont peser sur les épaules des agriculteurs, puisque les compagnies ferroviaires vont simplement majorer le taux de frais maximum d'environ 3$ la tonne. Il me semble que, en tant que contribuables fédéraux, nous sommes déjà propriétaires des wagons et je ne suis pas contre l'idée que le gouvernement fédéral vienne tout simplement puiser encore dans la poche des agriculteurs.
Il me semble que l'une des options que l'on pourrait envisager, pour ce qui est des wagons, si le gouvernement fédéral est vraiment résolu à s'en défaire, serait de les donner à la Commission canadienne du blé, puisque les contribuables et les agriculteurs de l'Ouest en sont déjà les propriétaires. Mais c'est à la condition qu'ils soient utilisés de façon à ne pas pénaliser les expéditeurs hors Commission et je pense que c'est possible et pas trop difficile. Si c'était le cas, on éviterait cette majoration du taux de fret de 3$ la tonne.
Le président suppléant (M. Collins): Je ne pense pas que ce soit la direction dans laquelle le ministre veuille s'engager. Je crois savoir qu'il a mis sur pied un groupe d'étude qui se penche sur l'utilisation de ces wagons. Je ne sais pas ce que M. Hoeppner en pense, mais je sais que certains sont opposés à la cession de ces 13 000 wagons à la Commission canadienne du blé. Elle a déjà suffisamment de chats à fouetter.
M. Beingessner: Toute la question revient à l'utilisation de ces wagons, en fait. Certes, la propriété est un élément important, mais ce qui compte le plus c'est la façon dont les wagons sont attribués. Actuellement, une tierce partie administre les wagons, l'OTG, et il ne serait pas très efficace d'avoir un deuxième organisme, la Commission canadienne du blé qui ferait à peu près la même chose.
Certains, dans les milieux ferroviaires, préconisent d'en confier l'administration aux chemins de fer eux-mêmes. Je ne sais pas pourquoi on veut toujours enfermer le loup dans la bergerie, mais je sais qu'aux États-Unis - où la Interstate Commerce Commission a tenu une journée d'audiences sur la répartition des wagons de chemins de fer - bon nombre d'expéditeurs, y compris la National Grain and Feed Association, qui représente la majorité des usagers américains, estiment qu'une tierce partie impartiale doit être chargée de la répartition car les petits expéditeurs se voient privés de wagons.
M. Hoeppner: C'est exactement ce que nous avons dit.
M. Beingessner: Je ne vois donc pas pourquoi on voudrait supprimer chez nous la répartition impartiale des wagons... Peut-être la Commission canadienne du blé n'est-elle pas le meilleur organisme pour cela, car elle peut être considérée comme partiale. D'aucuns diront que toute la procédure, telle qu'elle a été appliquée jusqu'à présent, pénalisait la Commission canadienne du blé. C'est un point de vue qui me semble fondé, en ce sens que les wagons non administrés étaient prélevés sur le contingent en premier, même s'ils représentaient une proportion beaucoup plus faible des mouvements.
Peut-être faut-il conserver la répartition par une tierce partie, mais je suis très opposé à l'idée de les confier à une industrie dominée par deux compagnies ferroviaires et cinq compagnies céréalières.
M. Hoeppner: Moi aussi.
Le président suppléant (M. Collins): J'aimerais revenir sur certaines choses que vous avez dites concernant l'abandon d'embranchements et aussi préciser votre point de vue sur les droits de passage. Vous semblez dire qu'il faudrait donner à chacune des deux grandes compagnies le droit de passage sur les voies de l'autre et aux CFIL le droit de circulation sur celles des deux.
M. Beingessner: L'idéal serait l'entière liberté de circulation sur toutes les voies. Cela se fait dans d'autres pays - la Grande-Bretagne et la Suède par exemple - et je pense que cela susciterait une concurrence très intéressante. Si c'est par le biais de la concurrence que l'on veut améliorer l'efficience, instaurons une véritable concurrence.
J'ai l'impression que cela ne se fera pas. J'ai participé à une discussion avec les deux compagnies ferroviaires qui protestaient avec véhémence contre cette idée et disaient au gouvernment fédéral: si vous voulez la liberté de circulation, vous n'avez qu'à racheter les voies. Mais cela n'est peut-être pas exclu non plus.
À défaut de cela, la possibilité pour les CFIL d'avoir accès à au moins deux transporteurs concurrents serait utile.
Je vais vous donner un exemple. Si la ligne de la baie d'Hudson, par exemple, était reprise par un chemin de fer d'intérêt local et qu'un autre CFIL voulait y accéder aux termes de la disposition sur le droit de passage, je ne suis pas sûr qu'il pourrait le faire. Il aurait accès à l'autre gros transporteur, un seul en l'occurence, au point de correspondance le plus proche. Je ne sais pas si en donnant accès à plus d'un transporteur, au moins à deux... Cela pourrait autoriser une option américaine; cela pourrait permettre un système comme celui de Churchill.
Vous avez également évoqué l'abandon des embranchements. Je suis désolé, mais quelle était déjà votre question?
Le président suppléant (M. Collins): Je voulais savoir ceci. On est en train de mettre au point un nouveau système pour l'abandon des embranchements et les chemins de fer auront trois années pour soumettre leurs intentions concernant leurs lignes. La méthode d'abandon envisagée est la suivante: deux mois pour le préavis de vente; cinq mois pour négocier le prix; ensuite dix jours à chacun des paliers du gouvernement, fédéral, provincial et municipal, pour racheter la ligne à sa valeur nette de récupération. Qu'en pensez-vous?
M. Beingessner: Tout d'abord, pour ce qui est de la liste que les chemins de fer sont tenus de publier, je pense que cela est tout à fait inutile car ils peuvent l'actualiser et la modifier tous les six mois. L'utilité de cela me dépasse totalement, car si une ligne ne figure pas sur la liste, ils peuvent la rajouter et vous disposez alors de six mois. Donc, pour ce qui est de faciliter la planification d'un rachat, je ne vois vraiment pas l'utilité.
Je n'ai rien contre la filière accélérée. Actuellement, il y a l'avis d'intention, qui exige un certain nombre de mois; puis il y a la demande effective et toute la suite. Je ne vois pas vraiment l'intérêt d'une démarche aussi longue.
Comme je l'ai déjà dit, le problème que je vois est qu'un CFIL dispose de deux mois pour annoncer son intention d'achat, puis il y a une période de cinq mois pour les négociations, mais sans que la compagnie cédante soit tenue de négocier. Absolument rien ne l'oblige à négocier.
Elle peut dire à la CFIL, très bien, je veux un million de dollar par mille et je vous donne un cent la tonne au titre du partage des revenus. C'est parfaitement licite.
Donc, vu le monopole dont elles jouissent dans beaucoup de régions et le fait que le droit de passage entamerait ce monopole, je ne vois vraiment pas pourquoi il serait dans l'intérêt des grandes compagnies de vendre leurs lignes courtes, sauf dans le cas où cela leur donnera un avantage concurrentiel sous forme d'un abaissement de leurs coûts.
Je suis d'accord avec ce que disait la personne de l'ONT. Il y aura des lignes courtes là où les grandes compagnies le voudront bien, et tant mieux si c'est dans l'intérêt des agriculteurs. Mais il n'y en aura pas dans certaines régions où l'intérêt des agriculteurs serait d'en avoir, c'est-à-dire principalement là où les grandes compagnies ont le monopole.
Si on admet que c'est cela le statu quo et qu'on passe ensuite au délai de dix jours pour chacun des trois paliers du gouvernement, il me semble que la filière accélérée et les dix jours répondent à un intention précise. Il s'agit d'exclure du processus les pouvoirs publics. Si les citoyens ont dix jours pour influencer le gouvernement fédéral ou provincial afin qu'il intervienne et rachète la ligne dans l'intérêt public, je ne pense pas que le délai soit suffisant. Je pense que l'on pourrait résoudre ces problèmes au moyen d'une clause d'arbitrage.
On a également enlevé la disposition de l'article 173 de la LTN, à savoir que l'embranchement devait être vendu à la valeur de récupération nette. Si vous parlez au PDG de RailTex, le plus grand conglomérat de ligne courtes américaines, il vous dira qu'il n'a jamais racheté une ligne pour plus que la valeur de récupération nette, car s'il faut payer plus, ce n'est pas rentable. Je ne vois pas très bien pourquoi on a enlevé cette clause, sinon que l'on envisageait une certaine concurrence, et tant mieux si l'un des repreneurs accepte de payer plus.
Je pense que l'on pourrait avoir une clause d'arbitrage disant que tout offre raisonnable... et les fonctionnaires de Transports Canada ont proposé cela eux-mêmes à un moment donné. Ils disaient qu'une clause d'arbitrage similaire à l'arbitrage et des offres finales étaient envisageables.
Le président suppléant (M. Collins): Si je puis revenir en arrière, je pense qu'il serait utile pour le comité que vous mettiez par écrit les recommandations intéressantes qui ont été rejetées ou omises pour quelque raison que ce soit. Je suis en faveur du délai de cinq mois à conditon qu'il ne soit pas seulement fictif... Et puis la période de trois fois dix jours. Mais si l'on a omis des choses comme la valeur de récupération nette, qui devrait vraiment figurer là pour donner un moyen de pression... J'aimerais que vous mettiez tout cela sous forme de recommandation dont nous puissions tenir compte au fur et à mesure que nous avancerons.
M. Beingessner: Je le ferai. J'apprécie votre offre.
Le président suppléant (M. Collins): Bien. Je vous remercie.
M. Hoeppner: C'est pourquoi j'ai dit tout à l'heure que je vendrais la voie à un très bon prix à quiconque peut en garantir l'exploitation efficiente.
Vous êtes une coopérative d'agriculteurs, n'est-ce pas?
M. Beingessner: Oui.
M. Hoeppner: Comment avez-vous réparti les parts? Est-ce en proportion du tonnage transporté? Qui contrôle le chemin de fer?
M. Beingessner: Nous l'avons structuré comme toute coopérative rurale de toute petite ville que vous connaissez. Le prix de chaque part est fixé à 50$. Chaque membre a une voix, indépendamment du volume transporté ou de toute autre considération. Les dividendes, c'est-à-dire les bénéfices d'exploitation, sont déterminés par le tonnage que chacun apporte, comme dans tout autre coopérative.
M. Hoeppner: Chacun peut donc acheter autant de parts qu'il le veut?
M. Beingessner: Non, c'est limité à une part par agriculteur.
M. Hoeppner: Je me demandais seulement comment vous avez structuré cela. Si un agriculteur était mécontent du fonctionnement, pourrait-il vendre sa part à quelqu'un d'autre, ou bien est-il obligé de rester membre?
M. Beingessner: Nos statuts sont très similaires à ceux de tout autre coopérative. Je pense que les nôtres disent que le conseil d'administration a le droit de révoquer la part d'un membre. Je ne sais pas dans quelle condition, le cas ne s'est pas encore présenté. Je ne pense pas que nous soyons tenus de rembourser la part d'un membre, mais le conseil peut décider de le faire. Le problème ne s'est pas encore posé.
Vous verrez peut-être une différence entre nous-mêmes et Central Western sur le plan de notre perception des choses. Principalement, c'est parce que je suis directement responsable devant mes actionnaires, qui sont agriculteurs. Une coopérative peut verser des dividendes à ses membres en fonction du volume d'activité qu'ils apportent. Mais, à bien des égards, c'est là une question théorique, car si nous avons des fonds excédentaires nous les réinvestissons dans l'entretien des voies, car l'avantage pour les agriculteurs est de continuer à disposer de leur service local et de ne pas avoir à transporter leur grain sur une trop longue distance.
M. Hoeppner: Est-ce que vous avez créé une coopérative parce que personne d'autre n'était intéressé à exploiter la ligne? Qu'est-ce qui vous a incité à...
M. Beingessner: Il y a eu pas mal de discussions, en fait, au sein des groupes qui se sont rassemblés. Ce sont principalement les comités de maintien du chemin de fer des deux régions qui ont décidé de reprendre l'exploitation. Il y a eu pas mal de discussions sur la question de savoir si la structure serait une société privée ou une coopérative. Finalement, on a conclu qu'une coopérative susciterait davantage la loyauté des membres, et permettrait de mieux faire passer la douleur initiale.
En effet, les agriculteurs par le passé et encore aujourd'hui, acceptaient de sacrifier l'avantage à long terme au profit de quelques avantages de très courte durée. Nous avons pensé que la structure coopérative amènerait les gens à regarder un peu plus loin.
Autrement dit, si un taux préférentiel vous est offert à 50 milles plus loin, de telle façon qu'il serait de votre intérêt de transporter votre grain jusque-là, vous éviterez de le faire si vous êtes membre de la coop car vous saurez que, lorsque ce taux préférentiel sera supprimé, vous aurez perdu également votre service local. De fait, nous avons accru très considérablement le volume du trafic sur les lignes que nous exploitons.
Le gouvernement provincial a fait une étude pour déterminer comment les élévateurs que nous desservons s'en tirent relativement à d'autres de la région. Ils ont pris un rayon de 50 milles, comprenant 21 élévateurs, je pense, et constaté que ceux que nous desservons se situaient dans les cinq ou six supérieurs sur le plan de l'augmentation du volume de grain manutentionné.
Tous les élévateurs ont bénéficié d'une hausse de volume du fait de la consolidation, mais l'un des nôtres étaient en tête de liste, avec une augmentation de volume supérieure à tout autre. Cela prouve, je pense, que les agriculteurs sont satisfaits du service que nous leur donnons.
M. Hoeppner: Vous transportez donc aussi le grain de nos membres de la coopérative?
M. Beingessner: Certainement.
Le président: Je vous prie d'abord d'excuser mon absence. J'ai dû m'esquiver pour intervenir à la Chambre sur la politique laitière.
M. Hoeppner: En quoi cela vous intéresse-t-il, monsieur le président?
Le président: Quoi qu'il en soit, j'ai quelques questions. Si l'une d'elles a déjà été posée en mon absence, faites-moi le savoir et je lirai la réponse dans le procès-verbal.
J'en ai une sur l'assiette de coûts et je pense que vous en faites état au bas de la page 9 de votre exposé, bien que vous utilisiez des termes différents. Certains témoins ayant comparu devant le Comité nous ont donné l'impression, à tout le moins, que les fonds versés aux chemins de fer à l'égard d'un embranchement peu utilisé restent compris dans l'assiette de calcul des coûts. Les sociétés ferroviaires seraient de ce fait réticentes à abandonner ces lignes car cela réduirait l'assiette de coûts, si bien qu'un chemin de fer d'un train local ne pourrait pas être formé. Qu'en pensez-vous?
M. Beingessner: Je pense que, particulièrement si l'on élimine les révisions de coûts quadriennalles et si l'on fixe le tarif maximum au niveau où il est, les compagnies pourraient choisir de ne virtuellement plus rien dépenser pour l'entretien des voies dont elles souhaitent un jour se débarrasser, mais tout en continuant à toucher les versements sur la base de l'assiette de coûts fixés tant qu'elles assuraient encore ses dépenses d'entretien. Cela leur donne donc la possibilité de dépenser moins tout en continuant à percevoir le même tarif maximum.
La question de la décommercialisation des lignes en est-une... je ne pense même pas que les compagnies ferroviaires le nieraient. Il serait irrationnel pour elles de se comporter autrement.
Je veux préciser simplement que si ce que j'ai dit aujourd'hui laisse entendre que les compagnies ferroviaires se comporteraient de façon irrationnelle, ce n'est pas du tout ce que je pense. Elles se comportent très rationnellement. Elles sont extrêmement rationnelles et font ce qui est dans leur intérêt. Elles sont également très patientes. Si elles ne peuvent obtenir quelque chose d'immédiat, elles peuvent attendre 10 ou 20 ans. Elles ne sont pas pressées.
Il est tout à fait dans leur intérêt, sur le plan de l'abandon d'embranchements, d'éviter que des chemins de fer d'intérêt local ne prennent le relais, sauf lorsque cela les avantage elles-mêmes. La question de la décommercialisation est un problème très important. C'est certainement un procédé qu'elles utilisent en conjonction avec les compagnies céréalières sur toutes sortes d'embranchements que je pourrais vous nommer. À long terme, ce sera très néfaste pour les expéditeurs de ces régions, mais il n'y a absolument rien qui puisse empêcher les compagnies ferroviaires de le faire.
Je pense que la proposition du gouvernement du Manitoba est très judicieuse, qui préconise que les compagnies ferroviaires sont obligées d'offrir à la vente les lignes qu'elles ne veulent pas exploiter.
Le président: Comment déterminerait-on cela?
M. Beingessner: L'une des façons serait de considérer le volume de fret transporté. Je pourrais vous donner quelques exemples.
Il y a une ligne qui passe au nord de Moose Jaw, appelée la subdivision Outlook. La partie nord de cette ligne jouit de très bons volumes de grain et la ligne est en train d'être reconstruite de fond en comble. Elle est longée par une route goudronnée horrible, la route 43, qui est tellement mauvaise que j'ai envoyé une fois un chauffeur là-haut et qu'il a refusé de rentrer le même jour parce qu'il ne voulait pas y rouler de nuit. Elle longe une voie ferrée en parfait état. Sur le tronçon nord de cette ligne, les silos sont décommercialisés par les compagnies céréalières parce qu'elles ont des silos en ciment sur une ligne adjacente, à Davidson, à 20 ou 30 milles de là.
Elles font donc deux choses. Elles transportent le grain par camion jusqu'à Davidson, sur une autre route tout aussi rude, si bien que ce grain est soustrait de la voie ferrée.
Les agriculteurs de la région en sont très préoccupés, et j'ai parlé à pas mal d'entre eux. Ils se rendent compte que leur ligne est en train d'être décommersialisée et finira par disparaître. Lorsqu'elle fermera, les élévateurs disparaîtront aussi.
Deuxièmement, les compagnies ferroviaires semblent avoir beaucoup de mal à obtenir des wagons, et cela tient au fait que les compagnies céréalières passent par la route, si bien que ce volume ne déclenche jamais d'allocation de wagons de la part de la Commission canadienne du blé, etc.
Donc, si vous prenez une ligne comme celle-ci, qui souffre manifestement d'une baisse de volume, pour dire au chemin de fer que si elle tombe en-dessous d'un certain volume il faudra la mettre en vente.
Le président: Comment? Nous allons vers un système où il n'y aura pas d'organisme de surveillance d'ensemble. Qui donc va prendre la décision de l'obliger?
M. Beingessner: Je suppose que c'est le rôle de l'Office national des transports, s'il en reste quelque chose après toute cette refonte.
Le président: C'est la solution, j'imagine. Vous diriez donc que l'ONT devrait recevoir le pouvoir, dans la législation future, de donner de tels ordres en fonction d'un certain nombre de critères.
M. Beingessner: Je dois dire que je n'y verrais pas d'objection.
Le président: Les compagnies ferroviaires en auront peut-être. Je ne sais pas. Nous devrons voir avez elles.
Vous avez parlé du démarketing de la part des compagnies céréalières. À la page 6 de votre mémoire vous dites que celles-ci utilisent l'argent des taux d'encouragement pour subventionner le transport par camion vers des centres plus importants. Je pense que c'est un élément fondamental car, même s'il ne concerne pas la LTGO elle-même, les taux préférentiels et les tarifs d'élévation sont un élément crucial du coût du système d'ensemble.
Je pense que les compagnies céréalières se sentent parfois gênées tellement leurs tarifs sont élevés comparés aux tarifs de transport. Est-ce que c'est pour vous un élément important et comment réagissez-vous? Je sais qu'elles aiment se retrancher derrière le fait qu'elles sont des coopératives et que les dividendes sont versées aux producteurs, etc., mais tous les agriculteurs n'en sont pas membres.
M. Beingessner: Je pense que tout le problème que je vois dans les taux d'encouragement - et je parle là en tant qu'agriculteur - c'est que les profits ainsi réalisés par les compagnies céréalières à un certain point servent à subventionner le transport par camion vers d'autres points.
Un bon exemple de cela est Avonlea, l'un des points de la subdivision dont nous faisons partie, où elles chargent régulièrement 20 wagons et obtiennent pour cela la prime du CN. Mais pas un cent de cette prime n'est reversé aux agriculteurs de la région. AgPro s'en sert plutôt à Moose Jaw où la compagnie propose aux agriculteurs de transporter leur grain jusque là pour 4c. le boisseau. Curieusement, cela ne marche pas très fort. Peut-être les agriculteurs ont-ils une vision à plus long terme qu'on ne le pense.
En tout cas, les taux d'encouragement servent à mettre hors service les mêmes élévateurs qui, bien souvent, permettent aux compagnies de toucher la prime. Je ne vois pas trop comment contrer cela. Je ne suis pas tout à fait opposé à l'idée de tarif d'incitation, mais je pense qu'un certain nombre de mesures s'imposent.
Premièrement, les chemins de fer d'intérêt local devraient avoir accès à ces mêmes tarifs s'ils remplissent les conditions - des conditions raisonnables. S'ils peuvent acheminer 50 wagons jusqu'à un point de correspondance dans des circonstances équivalentes à ce que peut faire AgPro, alors ils devraient avoir droit au même tarif d'incitation.
Nous avons des discussions avec les compagnies ferroviaires à ce sujet, et elles refusent catégoriquement parce que les chemins de fer d'intérêt local ne sont pas des expéditeurs et elles veulent que ces wagons...
C'est un peu ridicule, mais nous pouvons livrer 20 wagons à Avonlea et nous n'obtenons pas le taux d'incitation, alors que l'élévateur d'Avonlea s'il charge 20 wagons, lui, en bénéficie. Franchement, je ne comprends pas. Si le tarif d'incitation existe parce qu'il est plus économique d'acheminer des convois entiers, je ne vois pas pourquoi nous n'aurions pas droit nous aussi à cette prime.
Mais la réponse est évidente. Je comprends bien. Tout est dû au fait que ces taux privilégiés ne sont pas accordés parce qu'il est plus économique d'acheminer des convois. CP le dit d'ailleurs dans sa brochure. Ces tarifs sont destinés à stimuler la consolidation du système.
Il y a quelques années, j'ai pris part à des réunions publiques où CP affirmait: «Soyez sûrs que lorsque le système sera consolidé, les taux d'incitation disparaîtront». Ils existent encore aux États-Unis, où pourtant le réseau a été hautement rationnalisé. Le Montana n'a virtuellement aucun élévateur pouvant charger 52 wagons et pourtant il y a une prime de 5$ ou 6$ pour un convoi de cette longueur par rapport au tarif du wagon isolé. Mais, bien entendu, dans leur système d'attribution de wagons, ils vous extorquent 5$ ou 6$ rien que pour obtenir un wagon, avec le système d'appel d'offres.
Le président: Ils vous attrapent donc de toute façon, à l'aller ou au retour.
M. Beingessner: Oui. Je ne pense pas que les producteurs y aient gagné grand-chose.
Le président: Je n'ai qu'une dernière question. Vous avez dit tout à l'heure qu'il n'est pas dans l'intérêt des compagnies ferroviaires d'abandonner certaines lignes, si j'ai bien compris. Vous disiez qu'elles pouvaient ne pas vouloir fermer une ligne car cela se répercuterait sur leur assiette de coûts. Vous disiez qu'il n'est pas dans l'intérêt de la compagnie ferroviaire d'avoir un chemin de fer d'intérêt local dans ces régions.
Pourquoi pas? Cela leur amène des wagons à acheminer. Si les wagons sont acheminés par le chemin de fer d'intérêt local jusqu'à quelque point sur sa ligne principale pourquoi ne serait-ce pas dans son intérêt? Je ne vous suis pas.
M. Beingessner: C'est l'une des questions que l'on me pose sans arrêt. La réponse que je vais vous donner semble irrationnelle, mais elle reproduit pourtant la réalité.
Les compagnies ferroviaires veulent conserver le contrôle du réseau. Leurs craintes sont que certaines mesures soient prises, par exemple, l'obligation de donner le droit de passage ou une procédure d'arbitrage ou quelque chose du genre, qui réduise leur latitude de décider des conditions à offrir à un chemin de fer d'intérêt local. Donc, pour elles, dans certains cas, il est plus rationnel d'exclure un chemin de fer de ligne courte là où elles ont le monopole. Pourquoi en auraient-elles besoin? Qu'est-ce que cela leur rapporterait?
J'ai eu un jour une discussion philosophique avec quelqu'un de CP. Nous étions tous deux détendus et la conversation a pris un tour un peu philosophique. Je lui ai dit: «Dans ce régime que vous envisagez, pourquoi avez-vous besoin de quelque embranchement que ce soit au sud de la route transcanadienne dans l'ouest de la Saskatchewan, quand vous y avez un monopole total sur le trafic?» Sa réponse a été: «Nous pensons avoir besoin d'une ligne de Shaunayon à Assiniboine et Moose Jaw.»
Si vous connaissez un peu la carte ferroviaire de la Saskatchewan, cela exclut un kilométrage impressionnant de voies. Il a dit qu'ils auraient peut-être besoin de cette ligne pour quand la frontière américaine s'ouvrirait, pour y assembler du trafic. C'est une réponse rationnelle.
Le président: Je n'ai jamais oublié lorsque le président du CN - je crois que c'était Lawless à l'époque - a dit que l'objectif des chemins de fer était de n'avoir plus qu'une ligne principale, et il était sincère. Mais je pense que l'intérêt des agriculteurs est d'avoir bien plus que cela.
Y a-t-il d'autres questions ou remarques?
M. Hoeppner: Je pense que Paul a très bien exposé sa position.
Une des choses qui me préoccupent c'est que, en résolvant un problème, on en engendre souvent un autre. Vers quoi allons-nous avec cette refonte de la LTGO? Si nous voulons aller dans le sens des chemins de fer d'intérêt local, que nous réserve l'avenir? Avez-vous une idée?
Les droits de passage sont une chose qui me paraît inéluctable, tôt ou tard. Pensez-vous que ce soit la prochaine étape?
M. Beingessner: J'entends beaucoup de rumeurs, Je pense que les initiés, dans toute industrie, savent beaucoup plus de choses que le public ne le soupçonne.
La rumeur veut que le ministère des transports dise que la Loi sur les transports nationaux de 1987 était une loi faite pour les expéditeurs. Elle est considérée comme favorable aux expéditeurs. Le ministère dit que la nouvelle loi sera une loi faite pour les compagnies ferroviaires - que c'est le tour des chemins de fer.
M. Hoeppner: Je ne suis pas sûr d'être d'accord.
M. Beingessner: Ce que j'ai vu des propositions va tout à fait dans ce sens. Je pense que nous aurons une loi qui donnera beaucoup plus de latitude qu'auparavant aux compagnies ferroviaires. Cela ne me gêne pas dans certains cas, mais si cela signifie que les compagnies auront la haute main sur tout le réseau...
Nous avons toujours considéré dans ce pays que les chemins de fer sont un sujet de politique nationale; ils sont une artère vitale. M. Young a fait des déclarations qui semblent indiquer qu'il voit les choses différemment. Il a dit que le gouvernement n'a plus à intervenir dans la vie des chemins de fer, dans l'intérêt public, que les chemins de fer sont une entité commerciale et qu'ils doivent faire ce que font les entités commerciales.
Je ne suis pas certain que cela cadre bien avec la conception que nous avons au Canada. Je pense que c'est une idée très américaine et je suis pas certain que le public soit prêt à y souscrire à l'heure actuelle.
M. Hoeppner: Ted Allen a comparu devant notre comité permanent de l'agriculture et il a indiqué que la LTGO était une loi faite pour les compagnies ferroviaires, car c'est pour elles l'équivalent d'une planche à billets. La loi a contribué à empêcher une baisse des coûts de transport ferroviaire. Si on va rendre le transport ferroviaire plus efficient mais se retrouver avec des monopoles, est-ce vraiment aller dans la bonne direction?
M. Beingessner: Le système ferroviaire aux États-Unis, après la loi Staggers, a été déréglementé dans une mesure similaire à ce que nous envisageons, mais je dois dire que le maintien de nos dispositions sur l'accès concurrentiel nous donne un système un peu meilleur que l'américain.
Si nous voulons voir un modèle de système déréglementé et ses résultats, il suffit de regarder les tarifs de fret là où Burlington Northern a le monopole, dans la partie nord des États de l'ouest américain. Les agriculteurs s'y font littéralement dépouiller.
M. Hoeppner: Mais là où il y a concurrence, cela marche.
M. Beingessner: Là où il y a concurrence, cela marche, et je ne suis pas tout à fait en désaccord avec ce que Ted Allen a pu dire de la LTGO. Celle-ci donnait une certaine latitude aux compagnies ferroviaires, mais les tarifs de fret n'ont pas tellement augmenté. En fait, les tarifs sont restés à peu près stables depuis 1987-1988. Il n'y a guère eu de hausse de prix.
Mais certains des groupes de pression font valoir que nous n'avons pas assisté non plus à des baisses de prix, comme il y en a eu pour d'autres produits. Le tarif pour le transport de la potasse a baissé et, après la dernière série de négociations, il semble devoir tomber en-dessous du niveau actuel pratiqué pour le grain, et ce pour la première fois depuis l'adoption de la loi.
Il faut bien voir que la potasse, en Saskatchewan, provient d'une douzaine d'endroits, alors que le grain doit être chargé en plusieurs centaines d'endroits, et pourtant le tarif de transport est très comparable. Donc, la LTGO a bien protégé d'une certaine façon les agriculteurs au fil des ans.
J'ai une dernière remarque sur une question que vous avez posée antérieurement. Je voulais déjà le dire en réponse à l'une de vos questions.
Je suis là à vitupérer contre le gouvernement fédéral, mais je dois dire aussi que le gouvernement provincial - et je parle là du mien - n'est pas non plus sans responsabilité dans tout cela. On laisse les camioneurs circuler à volonté sur les routes et, dans certains cas, les détruire totalement, sans que le gouvernement provincial ait le désir ou l'initiative de rien faire contre cela.
Les camionneurs peuvent offrir un tarif de 6c. la tonne-mille, alors que le coût réel est sensiblement supérieur si l'on tient compte des dégâts causés aux routes. C'est une domaine de compétence provinciale. C'est à la province de réagir.
Tant qu'on laissera faire cela, la consolidation du réseau d'élévateurs se poursuivra, et une fois que le réseau d'élévateurs sera consolidé, les embranchements ne serviront plus à rien.
M. Hoeppner: Pour en revenir à la question des tarifs de transport, n'oubliez-vous pas, Paul, que les pouvoirs publics ont construit quelques 18 000 wagons à trémie pour les chemins de fer et que nous payons aussi pour l'entretien en puisant dans le budget de la Commission du blé? Beaucoup d'argent a été consacré à l'infrastructure ferroviaire qui n'apparaît jamais comme un coût. Je pense que si on enlevait cela, on assisterait à des hausses de tarif très substantiels.
M. Beingessner: Oui, mais le système américain est subventionné également, et si on enlevait cela, je ne suis pas sûr...
M. Hoeppner: En quoi est-il subventionné?
M. Beingessner: Des montants considérables ont été consacrés à l'infrastructure ferroviaire dans le cadre de programmes fédéraux, comme cela a été le cas dans l'ouest du Canada avec le programme de remise en état des embranchements. Il y a encore aux États-Unis des subventions au rail comme il n'en existe plus au Canada depuis quelques années. Et le reste du réseau de transport - les voies navigables et les ports - sont subventionnés par le gouvernment fédéral.
Le président: Nous devons lever la séance.
Je vous remercie, Paul, de votre exposé. Nous en tiendrons certainement compte.
La séance est levée.