[Enregistrement électronique]
Le mercredi 3 mai 1995
[Français]
Le président: Bienvenue au Sous-comité sur le VIH/sida du Comité permanent de la santé. Nous avons comme premier témoin cet après-midi,
[Traduction]
le professeur Norbert Gilmore, du Centre de Médecine, d'Éthique et de Droit de l'Université McGill. Bon après-midi, monsieur Gilmore. Vous avez environ 10 à 15 minutes pour faire votre présentation, après quoi nos membres vous poseront des questions.
M. Norbert Gilmore (professeur de médecine, Centre de Médecine, d'Éthique et de Droit de l'Université McGill): Merci beaucoup. Premièrement, au nom du Comité d'experts du sida et des prisons, j'aimerais remercier le Sous-comité de l'occasion qu m'est donnée de comparaître devant vous aujourd'hui.
Je vais brièvement me présenter et parler un peu du comité. Je suis médecin à la faculté de médecine de l'Université McGill depuis 1975. Je suis actuellement professeur de médecine au Centre de Médecine, d'Éthique et de Droit de l'Université McGill; directeur associé du Centre du sida de McGill et médecin au Royal Victoria Hospital.
Je participe depuis 1981 à un certain nombre d'activités visant à remédier au problème de l'infection du VIH au Canada. Entre autres, j'enseigne, j'offre des soins cliniques et je fais de la recherche. J'ai été président du Comité consultatif national sur le sida entre 1983 et 1989; cofondateur, ancien président et directeur de la Fondation canadienne sur la recherche sur le sida et président du Comité d'experts du sida et des prisons.
En juin 1992, le solliciteur général a annoncé qu'un comité d'experts conseillerait le commissaire du Service correctionnel du Canada au sujet du problème de l'infection par le VIH et du sida dans les institutions correctionnelles fédérales. Le comité était composé de quatre membres: moi-même à titre de président; le Dr Christiane Richard, médecin de Montréal qui a assuré des services médicaux dans les prisons provinciales du Québec et membre du Comité consultatif sur les soins de santé extérieurs du Service correctionnel du Canada; le Dr Lee Seto Thomas, qui a enseigné à l'Université Carleton, a été membre du Conseil national des autochtones du Canada et a apporté une contribution précieuse en ce qui concerne les questions autochtones au Comité d'experts du sida et des prisons; et M. Donald Yeomans, ancien commissaire du Service correctionnel du Canada.
Le comité a procédé à d'importantes consultations, a visité les institutions correctionnelles fédérales, a examiné les politiques canadiennes et internationales sur les prisons et a demandé des contributions au moyen de présentations et de questionnaires et a communiqué ses résultats par le biais d'un bulletin, d'un document de travail et d'exposés à de nombreuses conférences et réunions. Son rapport final a été publié en mars 1994. S'étant acquitté de son mandat, le comité a mis fin à ses travaux. Néanmoins, les membres du comité continuent de se rencontrer de façon non officielle et ont récemment publié une lettre au rédacteur en chef du Globe and Mail.
Le comité a défini et étudié 15 questions et fait 88 recommandations qui font l'objet d'une étude très approfondie dans le rapport final, c'est pourquoi je n'aborderai pas la plupart d'entre elles. Le Service correctionnel du Canada y répond et le commissaire comparaîtra devant le Sous-comité à la suite de ma présentation à ce sujet.
Mais j'aimerais cependant parler de deux des recommandations les plus controversées du comité, à savoir celles qui portent sur l'activité sexuelle et l'utilisation des drogues parmi les détenus des prisons fédérales. Le Service correctionnel du Canada a eu beaucoup de difficulté à répondre à ces recommandations. Je vais commencer par donner un contexte à ces questions, notamment le point de vue du comité.
Premièrement, le comité a abordé les problèmes de l'infection par le VIH et l'utilisation des drogues dans les prisons dans un contexte de santé publique. L'outil le plus important pour répondre à l'infection par le VIH est la prévention, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des prisons. La prévention ne s'arrête pas, et ne peut pas s'arrêter, aux portes de la prison, puisque les détenus viennent de leur milieu et y retournent. Il est essentiel de prévenir l'infection puisque la réduction des infections en prison, en réduisant l'exposition à l'infection, protégera la santé des détenus, du personnel et de la population.
Deuxièmement, le comité a adopté une démarche visant la réduction du mal causé par l'infection par le VIH et l'utilisation des drogues dans les prisons. Le comité a cherché des moyens de réduire ou d'éviter le mal causé par l'infection par le VIH et l'utilisation des drogues. Cela a parfois voulu dire qu'il fallait choisir la solution la moins nocive. Lorsque des gens ont une activité sexuelle ou prennent des drogues, il est essentiel qu'ils le fassent de façon sécuritaire afin de ne pas, ce faisant, nuire aux autres ou se nuire à eux-mêmes.
Il ne s'agit pas évidemment d'encourager ce genre de comportements. Il s'agit bien clairement de décourager les comportements non sécuritaires. Cependant, il y a un risque important dans le fait d'essayer de supprimer l'activité sexuelle ou la prise de drogues afin de prévenir le mal causé par la transmission du VIH plutôt que d'essayer de prévenir le mal lui-même, ce qui peut être plus nuisible lorsque l'activité sexuelle et la prise de drogues ne peut pas se faire de façon sûre ou en réduisant les risques.
Troisièmement, le comité a été guidé par l'énoncé de mission du Service correctionnel du Canada, à savoir la réhabilitation comme objectif de l'emprisonnement et le fait que les détenus conservent leurs droits et leurs privilèges sauf ceux qui sont nécessairement retirés ou limités par l'incarcération. Cela signifie que la disponibilité, l'acceptabilité des services, et l'accès à ces services, visant à prévenir l'infection et à s'occuper, et je pense surtout pour se soucier, des détenus qui sont affectés, devraient être équivalents à ceux dont disposent les collectivités à l'extérieur de la prison.
Quatrièmement, le comité a estimé qu'il était nécessaire de modifier les comportements si l'on voulait que l'infection par le VIH dans les prisons cesse de se répandre. Pour ce faire, il faut que les détenus aient des possibilités réalistes de changer leur comportement afin d'éliminer ou de réduire le risque de transmission par le VIH.
Le comité a fait plusieurs recommandations permettant de favoriser ces possibilités. Il s'agit notamment de renforcer la sensibilisation des détenus et l'accès aux préservatifs, à l'eau de Javel et à la méthadone. La suppresion du comportement qui peut transmettre les maladies infectieuses a rarement été efficace. Cela a eu souvent l'effet inverse du but recherché, poussant les gens à se cacher et à poursuivre ses activités furtivement, souvent de façon risquée.
Pour prévenir efficacement l'infection, il est essentiel de solliciter la collaboration des gens, de favoriser leur autonomie et leur estime de soi tout en leur donnant de véritables possibilités d'agir sans risque. C'est un défi difficile et souvent décourageant, et une véritable gageure dans les prisons.
Néanmoins, comme les membres du comité l'ont récemment indiqué dans le Globe and Mail, l'infection par le VIH peut être évitée. Pour ce faire, il faut que chacun, en particulier les détenus, aient les possibilités et les moyens de se protéger et de protéger les autres. Cela doit être fait aujourd'hui et non demain ou plus tard. Il est essentiel d'éviter l'infection du VIH dans les prisons canadiennes pour les détenus, le personnel et la population, même si les efforts de prévention sont controversés, choquants ou impopulaires.
Il est essentiel de soutenir le Service correctionnel du Canada pour qu'il puisse régler ces problèmes. Il faut notamment qu'il ait un soutien public, grâce au leadership et au soutien du Comité permanent sur la santé, afin que le Service correctionnel du Canada continue à avoir à la fois les ressources nécessaires pour répondre efficacement et rapidement aux recommandations du comité et l'engagement, les encouragements et l'imputabilité publique nécessaires pour répondre de façon décisive. Ce soutien aurait sans doute également une incidence au niveau provincial où ces problèmes semblent être tout aussi pressants et complexes.
Cinquièmement, le comité a entrepris ses travaux en collaboration avec le Service correctionnel du Canada pour que les changements qu'il juge nécessaires puissent être apportés. Il est important de noter que le but des comités n'est pas de blâmer quiconque. Il s'agit plutôt de renforcer les efforts permettant d'encourager et de protéger la santé des détenus et du personnel des institutions correctionnelles fédérales et donc, du public.
Le comité estime que bon nombre de ces changements sont inévitables et le plus tôt ils seront mis en oeuvre et le mieux ce sera. D'autre part, il ne faut pas sous-estimer la complexité des problèmes et de leur solution possible en ce qui concerne le VIH/SIDA et l'utilisation des drogues dans les prisons.
Il est bien clair qu'en ce qui concerne la transmission des infections dans les prisons, le comité considère que les activités sexuelles à risque de même que les injections de drogue dans des conditions risquées représentent la menace la plus grave pour la santé des détenus. Le comité craignait que tant que les activités sexuelles entre détenus consensuels restent une infraction, il y a peu de chance pour que les détenus prennent le temps d'avoir des activités sexuelles sans risque.
Par conséquent, le comité a recommandé que les activités sexuelles entre détenus consensuels ne soient pas considérées comme des activités qui compromettraient la sécurité du pénitencier et qu'elles devraient être retirées de la catégorie des infractions institutionnelles. Cela ne doit pas être considéré comme une façon d'encourager l'activité sexuelle, mais plutôt comme un moyen de décourager les comportements à risque.
Le comité a estimé que cette recommandation était importante. De nombreux Canadiens l'ont désapprouvée. Le Service correctionnel du Canada a décidé qu'il ne pouvait pas la mettre en oeuvre, déclarant qu'il n'était pas d'accord avec la proposition de supprimer l'interdiction des activités sexuelles entre détenus; il craignait les importantes répercussions, de cette recommandation au plan juridique et de la sécurité, dans le contexte propice à la manipulation des installations correctionnelles; et que la recommandation nécessitera au minimum un examen plus approfondi avant d'envisager une révision des politiques actuelles.
Le comité a également examiné trois questions controversées concernant l'utilisation des drogues, à savoir que les détenus puissent avoir accès à de l'eau de Javel, à des aiguilles stériles et au traitement par la méthadone pour les détenus. Le comité sait bien que le Service correctionnel du Canada s'est engagé à prévenir la consommation de drogues dans ces institutions et a entrepris des efforts considérables à cet égard. Cependant, il n'est pas réaliste de supposer que l'utilisation des drogues dans les prisons va cesser ou que l'injection de drogues cessera.
Par conséquent, le comité a estimé que la seule façon d'empêcher ou de réduire la transmission de l'infection par le VIH et d'autres maladies infectieuses dans les prisons au moyen de la consommation de drogues par intraveineuse serait de faire en sorte que les détenus utilisent toujours des aiguilles propres. Tout en reconnaissant la difficulté que cela représente pour le Service correctionnel du Canada, le comité croit fermement que l'utilisation de seringues propres non seulement permettra d'empêcher la transmission de l'infection par le VIH parmi les consommateurs de drogues par voie intraveineuse, mais protégera également les autres détenus et le personnel. Il y aura moins de détenus infectés dans les institutions et par conséquent moins de risque d'exposition au VIH.
Le comité a recommandé que l'eau de Javel soit accessible dans les prisons. Cette recommandation est conforme à celles qui ont été émises par de nombreuses organisations, notamment le comité parlementaire ad hoc sur le SIDA. Il s'agit d'une nécessité de santé publique et cela ne doit pas être interprété comme une façon d'encourager la consommation des drogues, mais encore une fois comme un moyen de décourager les comportements à risque.
La réponse du Service correctionnel du Canada à cette recommandation controversée illustre bien à quel point il est difficile de répondre à ce genre de recommandation. Il permettra l'accès à l'eau de Javel dans ces institutions pour prévenir la transmission des infections causées par l'injection de drogues par voie intraveineuse et les tatouages dès que les employés accepteront ce changement.
Le comité a estimé que l'utilisation de l'eau de Javel est un moyen nécessaire, mais non suffisant, pour prévenir le risque de la transmission du VIH dans les prisons. Comme le comité l'a indiqué, il est inévitable que l'on ait à fournir des aiguilles stériles dans les prisons, mais cela n'est pas possible pour le moment. Cela s'explique en partie par le fait que cette décision ne serait pas acceptée par les autorités de la prison, le personnel, les détenus ou la population. Cela s'explique également par le fait que nous ne savons pas encore comment fournir cet équipement de façon sécuritaire et confidentielle. D'autres recherches sont encore nécessaires.
Par conséquent, le comité a recommandé que l'on entreprenne de nouvelles recherches, notamment un projet pilote de distribution des aiguilles et seringues. Le Service correctionnel du Canada a accepté d'entreprendre cette recherche sur les comportements à risque associés à l'utilisation des drogues par voie intraveineuse, mais, et cela se comprend peut-être, il n'a pas encore fait l'essai du projet pilote de distribution des aiguilles dans aucune de ces institutions.
Les pénitenciers fédéraux n'offrent pas de traitement à la méthadone, mais cette méthode est utilisée dans un certain nombre de prisons dans le monde entier. Le comité a examiné cette question non pas comme un moyen de traiter la dépendance, mais plutôt comme une possibilité de traitement qui contribuerait à réduire la consommation de drogues par voie intraveineuse, réduisant ainsi le risque d'infection. Par conséquent, le comité a recommandé que l'on envisage l'utilisation de la méthadone pour soigner et traiter les toxicomanes.
On commence à comprendre davantage les dangers du partage des aiguilles par les détenus. On comprend notamment mieux que le risque de transmission augmente parallèlement à la fréquence de l'infection parmi les détenus, que la pénurie de seringues encourage le partage et que l'eau de Javel n'est pas toujours efficace pour nettoyer l'équipement utilisé. Malgré tout, on constate une réticence généralisée à distribuer des aiguilles propres, et même souvent une réaction opposée qui consiste à chercher activement les aiguilles et à la confisquer.
Il est surprenant de constater une telle résistance à la mise en oeuvre de ce genre de recommandation, qui pourtant pourrait sauver la vie de certains détenus, lorsque la distribution de préservatifs aux détenus fédéraux et d'eau de Javel aux détenus provinciaux de Colombie-Britannique n'a posé aucun problème. Pour que ces recommandations puissent être appliquées, il faudra obtenir le soutien du public. Le soutien du sous-comité sera extrêmement utile pour que ces recommandations soient mises en oeuvre rapidement et totalement.
Il y avait également certaines questions que le comité n'a pas abordées car il n'avait ni les ressources ni le mandat pour le faire. Le comité les a cependant jugées extrêmement importantes puisque elles sous-tendent et souvent compliquent bon nombre des problèmes que cause l'infection par le VIH et le SIDA au Canada et dans ses prisons et elles y prédisposent. Il s'agit notamment de la consommation de drogues à l'extérieur des prisons, la confiance qu'ont les détenus dans les prestateurs de soins de santé, la violence dans les prisons et la vulnérabilité des femmes et des autochtones dans les prisons. J'aimerais parler brièvement de ces trois questions.
Premièrement, il est urgent d'étudier la question du nombre croissant de gens qui sont incarcérés au Canada. Non seulement cela coûte-t-il de plus en plus cher à la population, mais cela également entraîne une surpopulation carcérale, limite les ressources déjà rares nécessaires pour réhabiliter et réintégrer les détenus dans la société, compromet les conditions de travail du personnel et contribue à répondre à l'infection par le VIH. J'aimerais souligner que les rapports annuels de l'enquêteur du Service correctionnel du Canada pour 1993 et 1994 le confirment. Je ne vais pas le lire, mais cela figure dans le texte que vous avez si vous voulez le regarder.
À mon avis, un des déterminants importants de ce problème est la consommation de drogues à l'extérieur des prisons. Par exemple, un article récent du Globe and Mail qui traitait de la consommation de cocaïne au Canada soulignait ce point. Si la cocaïne n'est pas dangereuse par elle-même, si elle ne constitue pas une menace pour la loi et l'ordre, pourquoi la consommation est-elle une infraction criminelle? Au mieux, nous aggravons le problème et au pire, nous en créons un.
Premièrement, nous criminalisons des gens qui n'ont commis qu'une infraction sans victime. Deuxièmement, nous demandons à la police de trouver et d'arrêter ces gens-là. Troisièmement, nous demandons aux tribunaux de les juger et nous demandons aux prisons de les incarcérer. Chacune de ces étapes représente un coût pour la société. Nous stigmatisons les gens, nous détournons des ressources qui pourraient servir à d'autres besoins en matière d'application de la loi et nous engorgeons le système judiciaire. Le fait d'avoir des prisons plus modernes ou plus grandes n'est qu'une solution tout à fait aléatoire à ce problème. Le Service correctionnel du Canada a clairement besoin de davantage de ressources pour répondre au problème causé par une population de détenus toujours croissante, et surtout, il en a besoin maintenant.
À plus long terme, la solution la plus judicieuse sera de prévenir les conditions qui mènent à un emprisonnement. La prévention du crime, et donc la prévention de l'emprisonnement, est un investissement dans les Canadiens. Il est tragique de ne pas tenir compte de ces problèmes et par conséquent d'y contribuer et cela représente en outre des dépenses qu'il est possible d'éviter. Le Canada n'a pas besoin de plus de criminels ni de prisons pour les détenir. Il a besoin que l'on aide davantage les gens qui pourraient autrement devenir des criminels.
C'est un défi énorme. Une des façons de le relever, à mon avis, et je suppose que de nombreux Canadiens pensent comme moi, est de réviser les lois et les politiques du Canada en matière de consommation de drogues. On pourrait également s'attaquer aux racines de la criminalité, en particulier au contexte social dans lequel on constate l'absence de respect pour les gens et les institutions, y compris la loi.
La deuxième question a trait aux conséquences terribles de la stigmatisation des détenus, de la discrimination dont ils sont victimes et du rôle de bouc-émissaire qu'on leur fait jouer. Si le SIDA nous a appris quelque chose, c'est que, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur des prisons, il faut faire cesser ou éviter ce genre de réactions et protéger les gens contre elles. Autrement, les gens ne peuvent pas se respecter, se faire confiance ou participer au processus décisionnel qui les touche.
Il n'est donc pas surprenant que le discours sur le SIDA comprenne si souvent des références à la protection et à la promotion des droits de la personne. Le SIDA nous a également montré que certaines des réponses les plus vigoureuses à la stigmatisation, à la discrimination et au rôle de bouc-émissaire sont les groupes de défense, l'activisme et le soutien communautaire. Dans ses travaux, le comité a constamment insisté sur l'importance de la sensibilisation par les pairs et de la participation des détenus au problème de l'infection par le VIH et du SIDA dans les prisons.
Troisièmement, bien trop souvent, les inégalités sociales, éducatives et économiques prédisposent à une mauvaise santé, à la criminalité et à l'emprisonnement. Cette situation n'est pas unique au Canada, mais elle doit être abordée de façon urgente au Canada comme partout.
Une étude récente sur la survie des personnes atteintes du SIDA en Colombie-Britannique donne un exemple de cette incidence. Dans le contexte des prisons, cela est peut-être encore plus évident parmi les femmes et les autochtones. Le fait que les programmes sociaux, éducatifs, communautaires et sanitaires soient parfois des échecs et que les gens finissent en prison ne signifie pas nécessairement que ces programmes ne sont pas efficaces; cela montre plutôt qu'il faut faire encore plus pour éviter ce genre d'échecs.
En conclusion, nous avons la chance au Canada que la fréquence de l'infection par le VIH dans les institutions correctionnelles fédérale soient relativement limitées. Néanmoins, elle est au moins dix fois plus élevée que parmi la population canadienne en général. Le SIDA nous a montré de façon répétée et avec force que les retards, l'inertie ou l'autosatisfaction ne sont plus de mise. Répondre au problème du SIDA dans les prisons, c'est non seulement intervenir dans les prisons mais également à l'extérieur, avant que les personnes ne soient incarcérées et après.
On a déjà beaucoup fait à cet égard. Le Service correctionnel du Canada est à louer pour ce qu'il a déjà accompli. Mais il reste encore beaucoup à faire. La population doit reconnaître et accepter les problèmes posés par l'infection dans les prisons ainsi que les mesures difficiles, mais nécessaires, qu'il faut prendre pour empêcher que l'infection ne se répande. Les débats rancuniers, les poses politiques, le refus de voir les risques ou l'indifférence à leur égard tant sur le plan public que privé, sont inexcusables. Et surtout, il faut créer un climat dans lequel les changements nécessaires seront possibles aux niveaux individuel, institutionnel et public.
Le SIDA nous a appris de nombreuses leçons qui sont pertinentes aux prisons canadiennes. Ces leçons donnent plus de poids à ces conclusions. Il n'y a pas de solutions simples ni rapides. Les activités à risques sont trop souvent le fait d'une faible estime de soi et de la vulnérabilité. Les possibilités véritables d'agir en toute sécurité sont essentielles. Le refus de voir les choses en face, les retards et l'inertie sont beaucoup plus coûteux qu'une action immédiate, et en arriver à un comportement sécuritaire durable est un défi permanent.
Pour terminer, par l'intermédiaire du sous-comité, je demande au Parlement de soutenir le Service correctionnel du Canada pour qu'il puisse répondre efficacement à la menace des infections dans les pénitentiers et qu'il puisse disposer des ressources, de la volonté politique et de l'imputabilité nécessaires pour réagir de façon décisive à cette menace.
Je vous demande également de tenir compte des questions plus vastes que le comité n'a pas pu étudier et qui si souvent sous-tendent et compliquent sérieusement le problème de l'infection par le VIH et du SIDA dans les prisons canadiennes et y prédisposent. Certains estimeront qu'il est discutable, choquant ou impopulaire de lutter contre le SIDA dans les prisons, tout comme à l'extérieur des prisons, mais si nous ne le faisons pas, nous mettrons en péril la vie des détenus, du personnel et de la population... un péril qui est évitable.
Je vous remercie.
Le président: Merci beaucoup Dr Gilmore. Nous allons commencer à poser nos questions.
[Français]
Monsieur Ménard, s'il vous plaît.
M. Ménard (Hochelaga - Maisonneuve): Bonjour, monsieur Gilmore.
Est-ce qu'il est possible d'avoir une indication quantitative du nombre de personnes atteintes ou séropositives à l'intérieur de nos prisons canadiennes? Au début de nos travaux, le Dr Catherine Hankins a attiré notre attention sur cette problématique très particulière.
Ce que je comprends, c'est qu'il y a déjà un pas qui a été franchi en rendant disponibles des condoms dans les pénitenciers canadiens. Le deuxième pas à franchir serait de décriminaliser ou de ne pas sanctionner les activités sexuelles entre détenus consensuels. Vous faites, dans votre rapport, une différence entre les activités sexuelles entre détenus consensuels et entre détenus non consensuels. Mais vous vous êtes heurté, je crois, à des difficultés dans l'application de cette recommandation-là. On aura l'occasion d'en discuter avec le Service correctionnel du Canada qui, comme vous le savez, est le prochain témoin.
Pouvez-vous nous donner des chiffres et pouvez-vous nous dire quelles sont les chances que l'on puisse convaincre le Service correctionnel du Canada? Comment expliquez-vous cette réticence-là? Pourriez-vous nous donner des indications très concrètes sur la façon dont les détenus peuvent avoir des relations sexuelles? C'est une réalité qui existe. Vous semblez aussi faire un lien entre le fait que les détenus peuvent être dans des cellules individuelles et le fait qu'il existe là une certaine promiscuité. Donnez-nous un éclairage plus précis là-dessus et j'aurai d'autres questions à vous poser par la suite.
[Traduction]
M. Gilmore: En ce qui concerne votre première question sur la quantification sur les détenus qui peuvent être infectés et sur les risques d'infection à l'intérieur des prisons, nous n'avons pas de données exactes tout comme nous n'en avons pas non plus pour les personnes atteintes à l'extérieur des prisons. Tout ceci est extrêmement difficile. On a dit que les détenus vont se sentir menacés si l'on sait qu'ils sont infectés par le VIH, tout comme ceux de l'extérieur. Bon nombre des personnes infectées ne veulent pas que les autres le sachent de crainte d'être stigmatisées et de faire l'objet d'une discrimination.
Dans une communauté fermée comme la prison, il est très difficile de cacher quoi que ce soit. Par conséquent, bon nombre de gens ne veulent pas être testés et il est donc difficile de savoir ce qu'il en est.
Des études menées en Colombie-Britannique et au Québec nous donnent une certaine indication du nombre de gens infectés. Je pense qu'il y aura d'autres études de ce genre, et le commissaire pourra peut-être parler plus précisément des résultats les plus récents. Mais il est certain que 1 à 2 p. 100 des prisonniers pourraient être infectés. Nous ne connaissons pas le chiffre exact, ni la rapidité avec laquelle l'infection augmente ni si elle augmente.
La deuxième question que vous avez soulevée avait trait à la difficulté de déterminer les activités sexuelles entre détenus consensuelles et non consensuelles dans les prisons. C'est une question grave et une des plus difficile. Ce que le comité craignait, c'est que si l'activité sexuelle est considérée comme illégale ou illicite dans une institution, les détenus ne prendraient pas le temps nécessaire pour avoir des relations sexuelles sécuritaires, ce qui contribue évidemment à la transmission des infections. Il ne s'agit pas seulement du VIH mais également de toutes les autres maladies transmises sexuellement, y compris l'hépatite.
Je ne sais pas très bien comment on pourrait déterminer si des relations sexuelles sont vraiment consentuelles ou non consensuelles ou même forcées. C'est également un problème à l'extérieur des prisons. Je suppose que dans le contexte des prisons, les gens se connaissent suffisamment pour que cela se produise de temps à autre, mais élaborer une politique à ce sujet est extrêmement difficile.
Ce que nous craignons, c'est que si cela ne se produit pas, nous verrons une transmission accrue du VIH alors qu'il s'agit de la façon la moins dangereuse d'agir à cet égard. Il y a un risque de relations sexuelles non consensuelles, mais il pourrait être compensé, du moins nous l'espérons, par une diminution de l'infection puisque les gens auraient des relations sexuelles plus sécuritaires à chaque fois.
Pour ce qui est de la question de savoir pourquoi il est si difficile d'agir, je pourrais l'illustrer de trois façons. Premièrement, il faut bien comprendre la réalité politique et le fait que les gens ne sont pas très tendres à l'égard des prisonniers ou des détenus.
Deuxièmement, quand nous avons publié notre document de travail, on a discuté dans la presse des activités sexuelles à moindre risque parmi les détenus. Le solliciteur général a reçu à ce sujet des lettres très désapprobatrice. Que je sache, la plupart des gens qui ont écrit au solliciteur général n'avaient pas vu le document de travail que nous avions produit.
Toutefois, le Comité a envoyé près de 1 000 exemplaires du document de travail et les réponses que nous avons reçues ont été, dans l'ensemble, positives. Ces gens-là avaient lu le rapport et avaient compris les raisons de nos arguments.
Nous nous heurtons donc à une dimension politique qui semble rendre toute intervention très difficile. C'est la raison pour laquelle, dans mon discours d'aujourd'hui, j'ai dit qu'il était nécessaire de soutenir publiquement et fermement le Service correctionnel du Canada. C'est le seul moyen de lui permettre de faire des progrès.
En troisième lieu, il y a ce microcosme que sont les prisons, et qui comprend le personnel, les prisonniers, l'administration et, à l'extérieur, le public. Tout cela pourrait facilement conduire à des difficultés sur le plan des relations de travail, des difficultés et des problèmes en ce qui concerne l'administration des prisons. Il faut donc suivre un processus politique naturel au sein de ce microcosme, c'est un problème réel, un problème difficile dont la commission pourrait peut-être s'occuper également.
Comment pouvons-nous aller plus vite? Je n'ai pas de réponse simple, mais je pense qu'il serait probablement très utile de mobiliser le soutien du public, d'obtenir qu'il exige de nouvelles mesures et également des comptes sur ce qui se fait. On espère que le mécontentement du public n'ira pas jusqu'à immobiliser ce processus.
Enfin, vous m'avez demandé pourquoi les prisonniers avaient une activité sexuelle et ce qui pouvait être fait pour contrer cela d'une façon générale. C'est très difficile. Ces gens-là sont emprisonnés. Ils ont le privilège de recevoir la visite de leur famille, mais, dans le système des prisons, c'est un privilège qu'on utilise pour les encourager à bien se comporter. En même temps, il ne faut pas oublier la nature humaine. Les gens recherchent l'activité sexuelle quand ils le veulent, les moyens deviennent secondaires, et effectivement, les prisonniers sont sexuellement actifs entre eux.
À mon avis, le solliciteur général a pris des mesures très courageuses pour faire face à la menace du sida. Le simple fait qu'on ait annoncé et imposé la libre circulation des préservatifs dans les prisons est extraordinaire. Par la suite, Service correctionnel Canada, grâce à son intervention devant le Comité, a fait connaître ce problème et les gens commencent à parler de solutions possibles. Grâce à tout cela, on devrait voir la situation sexuelle dans les prisons s'améliorer.
[Français]
M. Ménard: Évidemment, j'ai un peu de difficulté à comprendre. On rend les condoms disponibles, mais on sait que les condoms ont peu à voir avec l'auto-érotisme habituellement. Je crois avoir compris la réalité humaine, étant moi-même un consommateur de condoms. Donc, on peut penser que le prochain pas devrait être franchi assez naturellement.
Vous semblez livrer un plaidoyer pour qu'on puisse instaurer en milieu carcéral un genre de programme d'échange de seringues, comme il peut en exister dans certaines collectivités. À ce niveau-là, je crois que les progrès sont assez décevants. Il n'y a pas présentement possibilité d'avoir du matériel non souillé à l'intérieur de nos établissements et on n'a absolument aucun contrôle.
J'ai deux questions à vous poser avant que le président ne donne la parole à quelqu'un d'autre. Quelle évaluation faites-vous de toute la question des seringues et de l'accès au matériel non souillé? Si vous aviez à évaluer, un peu comme à l'UQAM, en A, B, C, D ou E, votre satisfaction à l'égard du suivi et de l'application des recommandations faites par le Service correctionnel du Canada, quelle lettre donneriez-vous et pourquoi?
[Traduction]
M. Gilmore: C'est une question très difficile, mais je vais me faire un plaisir d'y répondre.
[Français]
M. Ménard: Je vous sais capable d'y répondre.
[Traduction]
Le président: On pourrait dire B plus.
[Français]
M. Ménard: Ou moins.
[Traduction]
M. Gilmore: Peut-être une note non confirmée qui sera reconsidérée la prochaine fois.
Pour commencer, en ce qui concerne les aiguilles et les seringues, pour ma part, cela figure aussi dans la déclaration du Comité, je me rends compte qu'au Canada il ne serait probablement pas très bien vu de mettre des aiguilles et des seringues à la disposition des prisonniers. Dans ces conditions, qu'est-ce qui peut être fait? Nous recommandons de faire avancer ce dossier lentement grâce à des travaux de recherche et à des projets pilotes.
En second lieu, à mon avis personnel, c'est une question très intéressante. Tout d'abord on entend dire que le Service correctionnel essait de s'attaquer aux problèmes de toxicomanie dans les prisons d'une façon plus ferme et plus dure. Voilà une méthode qui sera très utile si les gens ne se droguent pas. Mais tant que les gens continueront à partager les aiguilles, l'infection est toujours un risque, et moins il y a de seringues, plus les gens seront forcés de les partager.
À mon avis, au cours des deux prochaines années on va voir d'autres pays essayer de mettre des aiguilles et des seringues à la disposition de leurs prisonniers.
Personnellement, j'aimerais que le Canada montre l'exemple dans ce domaine, mais cela ne veut pas dire que nous approuvons la drogue, que nous approuvons les injections de drogue, mais au contraire, que si les gens se droguent de toute façon, c'est un moindre mal de minimiser les risques.
Or, c'est exactement le mouvement auquel on assiste à l'extérieur des prisons et qui pose tellement de problèmes. À l'extérieur des prisons, les gens peuvent se procurer des aiguilles, après quoi ils retournent en prison où cela n'est plus possible. Ensuite, ils sont libérés à nouveau.
Cela pose un problème car nous donnons aux gens des impressions complètement fausses: Que nous ne pouvons pas contrôler la toxicomanie dans les prisons, que ce n'est pas prêt de cesser, que nous ne pouvons pas interdire les aiguilles et les seringues, etc. Or, en réalité, tant que cela se fait, ces problèmes ne vont pas disparaître.
Par conséquent, je préférerais de beaucoup qu'on se rende à la réalité, comme on l'a fait dans les rues de tout le Canada, et que nous reconnaissions qu'il vaut mieux pouvoir se procurer des aiguilles et des seringues facilement. Rendons-nous à cette évidence, essayons de convaincre ces gens-là qui n'ont pas besoin d'utiliser des aiguilles et des seringues, qui n'ont pas besoin d'utiliser des drogues, c'est sur ces aspects-là qu'il faut insister. Mais en attendant, arrangeons-nous pour que le problème ne s'aggrave pas encore.
Vous me demandez de donner une note, je dirais B ou B+. Un grand nombre de recommandations étaient très bien accueillies et appliquées. Pour celles-là, je donnerais un A. Vous allez d'ailleurs voir un rapport à cet effet.
Certaines recommandations que nous avons faites, comme celles qui portent sur l'activité sexuelle, les aiguilles et les seringues, n'ont pas pu être appliquées. Ne vous y méprenez pas, je ne blâme personne, mais nous voulons encourager les gens à faire preuve d'esprit de coopération et à progresser le plus possible, car c'est très important. Cela dit, pour ces recommandations-là, les résultats n'ont pas été très bons. Nous en comprenons les raisons, nous le savons, et nous continuons à dispenser des encouragements. Nous espérons que cela donnera des résultats et, de notre côté, nous agirons.
Ainsi, dans l'ensemble ils méritent probablement un bon B+. Je suis satisfait en ce qui concerne un grand nombre de recommandations. Vous le verrez dans les documents. Vous verrez ce qui se fait à l'intérieur des prisons. Vous verrez, par exemple, qu'on forme les prisonniers pour leur permettre de travailler avec leurs pairs comme orientateur, comme responsable de la santé et de l'hygiène, etc. Dans les documents vous verrez que le problème des tests et le problème de la confidentialité sont à peu près résolus. On assiste à d'excellents développements. Les choses vont de plus en plus vite, et c'est une bonne chose.
Reste à savoir si nous pouvons continuer dans la même veine, maintenir le mouvement et nous assurer que les ressources et le soutien nécessaires existent.
Mme Bridgman (Surrey-Nord): Merci pour votre exposé. Je vous prie de m'excuser, je suis arrivée en retard.
À vous entendre, on dirait que vous parlez d'une communauté quelque part. En fait, ce sont les mêmes genres de besoins. Et pourtant, il s'agit de prisons. C'est un environnement que je connais assez mal, je sais qu'il existe, je sais que quand on fait quelque chose de mal, on se retrouve en prison. Par contre, je ne sais pas vraiment ce qui se passe quand on arrive là-bas. J'ai l'impression que les gens ont une certaine liberté, qu'ils peuvent garder leurs propres affaires, par exemple des aiguilles, des drogues, etc.
Vous me faites un peu peur quand vous me dites qu'il serait peu réaliste de croire qu'on réussira à supprimer la toxicomanie en prison. Il s'agit bien d'un environnement contrôlé. En théorie, c'est un endroit où nous envoyons les gens qui ne peuvent pas vivre dans la société pour une raison ou pour une autre et qui, un beau jour, nous donnent une bonne excuse pour les emprisonner.
C'est quand vous dites que ce n'est pas réaliste que je m'arrête. D'une certaine façon, on perd tout espoir. Je préfèrerais penser que c'est réaliste, mais qu'en attendant, il va être très difficile de ne pas approuver, ou même sous-entendre que nous allons tolérer la toxicomanie.
D'un autre côté, cela ressemble à une menace. J'ai l'impression qu'on me dit: «Si vous ne me donnez pas les aiguilles dont j'ai besoin, vous risquez d'être infectée vous-même ou encore je vais m'arranger pour infecter quelqu'un quand je sortirai». Je n'aime pas beaucoup me retrouver dans ce genre de position.
Quel est réellement le pourcentage de la population carcérale qui se drogue? Est-ce que nous pouvons faire quelque chose pour contrôler cela, à l'exception de ces remèdes temporaires comme la fourniture d'aiguilles, d'eau de Javel, etc.?
M. Gilmore: Il existe des statistiques sur le nombre de détenus qui se droguent probablement. Je ne peux pas vous les citer pour l'instant, mais je pourrais probablement les obtenir si vous le souhaitez. Peut-être que le commissaire et son personnel possèdent ces statistiques, mais cela dit, il s'agit de l'aspect purement quantitatif.
Mme Bridgman: Pourriez-vous me donner une idée? Est-ce que c'est un pourcentage important? Beaucoup de monde?
M. Gilmore: C'est très difficile à déterminer. Je tiens à être parfaitement clair, ce dont je parle, ce sont les injections intraveineuses, mais il y a d'autres moyens de se droguer. On peut avaler les drogues, on peut les inhaler, les fumer, etc., et notre principale préoccupation dans le cas présent, ce sont les piqûres. Je n'ai pas de chiffres exacts.
Je le répète, pour déterminer combien de gens se droguent, il faudrait être à l'intérieur des prisons et surveiller la situation en permanence, mais d'après ce que nous avons entendu dire, il arrive que jusqu'à 20 prisonniers partagent la même aiguille pendant une fin de semaine. Quant aux statistiques, je n'ai rien de précis.
Vous parlez de l'absence de réalisme, mais je vais vous expliquer comment nous en sommes venus à cette conclusion; nous nous sommes dit: Oui, effectivement, on pourrait faire disparaître toutes les drogues des prisons, dans certains environnements, les prisonniers pourraient être dans l'incapacité de se droguer. Mais le problème, c'est que cela supposerait d'énormes efforts tellement extrêmes sur le point de la sécurité qu'il faudrait fouiller tous les gens qui entrent, tous les paquets qui arrivent, peut-être même loger les prisonniers dans des cellules simples, fouiller leurs cellules en permanence, etc. Ce serait le seul moyen de retrouver systématiquement les aiguilles et les seringues.
Le problème, c'est que ce genre de contrôle serait très difficile à justifier quand on essaye de réhabiliter les gens pour les préparer à réintégrer la société. Voilà le problème, c'est une question de point d'équilibre. Comment peut-on administrer une prison qui est censée réhabiliter les gens, les préparer à une réintégration dans la société, mériter leur respect et en même temps éliminer totalement la drogue?
Plusieurs démarches sont possibles. Par exemple, les analyses. Les programmes éducatifs sont en place et les gens qui arrivent en prison doivent suivre des séances d'orientation et d'éducation sur la toxicomanie.
Il y a des considérations politiques à l'intérieur des prisons mêmes. Les drogues sont un produit et les gens qui les vendent sont à la recherche de pouvoir, d'argent, d'autres choses. Le Service correctionnel prend des mesures extrêmement fermes.
Il faut donc trouver un point d'équilibre entre la nécessité d'instaurer un mode de vie plus normal à l'intérieur des prisons pour préparer les prisonniers en vue de leur libération et les problèmes qui se posent lorsque des drogues sont introduites dans les prisons. Le problème c'est de trouver ce point d'équilibre qui permet à la fois d'encourager les gens à sortir de prison et à ne pas y revenir et d'éliminer les drogues en prison. Voilà le problème.
Il nous a semblé que cela était très peu probable car peu importe les efforts que nous pouvons déployer pour empêcher la drogue d'entrer, elle entre quand même.
Deuxièmement, tout comme à l'extérieur des prisons, il faut considérer les raisons qui poussent les gens à se droguer. C'est un sujet qui n'est pas parfaitement compris. L'alcool, le tabac, la cocaïne, l'héroïne, toutes ces formes de drogue appartiennent à la même catégorie. Tout comme on n'a pas encore réussi à trouver le moyen d'empêcher les gens de les utiliser à l'extérieur des prisons, on continue à avoir des problèmes à l'intérieur, en particulier lorsque les gens sont là pendant de très longues périodes. Ils s'ennuient, ils se sentent frustrés, etc. et la drogue leur offre une certaine forme de changement.
Les raisons sont diverses, et d'autre part, il ne faut pas oublier qu'à certains moments la tentation de se droguer est extrêmement forte.
Mme Bridgman: Merci. Je continue à penser que lorsqu'il s'agit d'une prison on ne devrait pas donner le choix aux gens. Il est possible de choisir quand on vit dans la société, il y a des programmes qui sont disponibles, et quand on enfreint les règles de la société d'une façon ou d'une autre, quand on est forcé d'aller en prison, il est normal qu'on n'ait plus de choix. J'en resterai là.
M. Gilmore: Je comprends. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai essayé d'aborder la question en prenant un peu plus de recul et de demander ce qu'on pourrait faire pour qu'il y ait moins de gens en prison. C'est la principale considération. S'il n'y avait personne dans les prisons, le problème ne se poserait pas. C'est certainement un problème particulièrement important, mais également un problème qui échappe à notre compétence et qui va beaucoup trop loin pour nous.
D'autre part, bien sûr, il y a la question des drogues en général. Là encore, un problème particulièrement grave qu'on ne résoudra probablement pas en adoptant des lois plus sévères. Au cours des années, nous avons fini par déterminer que le meilleure moyen de faire des progrès était d'obtenir la coopération des gens, de les convaincre. Autrement dit, faire comprendre à quel point une vie sans drogue offre de liberté et de pouvoir, à quel point ce genre de choses est inutile et nuisible et, si on ne réussit pas à les convaincre, au moins obtenir qu'ils minimisent les dommages et qu'ils ne fassent pas de mal aux autres.
C'est une des leçons les plus importantes que nous ayons apprises avec le SIDA. Si vous donnez aux gens les moyens nécessaires, il y a des moyens et des possibilés. Si vous leur donnez la force de prendre de bonnes décisions, si vous leur donnez les possibilités, il est possible qu'ils fassent les bons choix.
Mme Bridgman: Merci beaucoup.
[Français]
Le président suppléant (M. Ménard): Merci. Il y a deux intervenants du côté de la majorité ministérielle, M. Culbert et Mme Fry.
M. Culbert (Carleton - Charlotte): Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Bon après-midi, monsieur Gilmore.
Ce que vous venez de dire me pose des problèmes d'ordre philosophique. Vous serez probablement d'accord avec moi, comme tous ceux qui sont ici, d'ailleurs, pour reconnaître que le virus du VIH/SIDA est une infection très grave puisqu'elle peut provoquer la mort. Je suis convaincu que les gens doivent assumer la responsabilité de leurs propres actes en plus de ce que notre société exige, que ce soit sur le plan juridique ou sur le plan moral. J'ai vraiment beaucoup de mal à me faire à l'idée qu'on pourrait fournir des aiguilles ou des seringues stérilisées, et cela, j'imagine, aux frais du contribuable.
D'autre part, j'ai bien compris ce que vous avez dit au sujet du résultat final, mais j'aimerais revenir sur vos recommandations au sujet des analyses en institution qui, à votre avis, devraient être volontaires, avec le consentement exprès du détenu. Les gens qui travaillent dans les prisons et qui voudraient avoir ces informations puisque leur vie même est en danger étant donné la gravité de l'infection, sont également préoccupés par cet aspect. Je comprends tout à fait leur position.
Dans vos recommandations, vous parlez aussi de la confidentialité. J'aimerais que vous me parliez de la position adoptée par votre groupe d'experts, les gens qui sont à l'origine de ce rapport. Dans vos notes, vous donnez des exemples qui démontrent que par le passé on ne respectait pas les règles de la confidentialité et vous ne voyez pas comment cela pourrait se faire à l'avenir. Bref, si on procède à ces analyses, les résultats y seront disponibles, les intéressés se trouveront donc dans une situation menacée.
Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous avez dit au sujet de l'éducation: cela doit se faire avant qu'une personne en ait besoin en prison, cela doit s'adresser à tout le monde. Avez-vous des suggestions, des idées à ce sujet? Je suis certain que si vous avez de meilleures idées quant à la façon de procéder nous serons tous pendus à vos lèvres.
Cela fait beaucoup de questions, monsieur Gilmore, mais peut-être pourrez-vous les parcourir rapidement.
[Français]
Le président suppléant (M. Ménard): Est-ce que je peux vous inviter à adresser une question au témoin pour qu'on puisse entendre le commissaire? On accuse déjà un certain retard, et je souhaiterais que Mme Fry puisse s'exprimer.
[Traduction]
Mme Fry (Vancouver-Centre): Je croyais que vous aviez terminé, j'allais vous féliciter, mais je suis désolée, je vois que ce n'est pas le cas.
M. Gilmore: Je serai très bref.
Pour commencer, en matière d'éducation, je ne sais pas ce qui donne vraiment des résultats. À partir de l'école primaire, à partir de la naissance même, nous sommes toujours à la recherche des meilleurs moyens d'éducation. C'est un grand point d'interrogation, qu'il s'agisse des enfants des écoles, ou des gens qui sont en prison, des travailleurs, etc. Cela dit, nous avons à peu près déterminé qu'il ne suffisait pas d'éduquer les gens, qu'il fallait également leur donner la possibilité de mettre cela en application dans leurs actes. Il faut leur donner des occasions de se comporter comme ils le doivent. C'est très important.
D'autre part, en ce qui concerne la confidentialité et la nécessité pour le personnel de connaître les résultats des analyses, tout cela est très important. Nous avons essayé d'en discuté non seulement dans le rapport, mais également dans les documents plus longs qui accompagnent le rapport.
Monsieur Yeomans, l'ancien commissaire du Service correctionnel le répète volontiers, la détection, ce n'est pas de la protection. Il arrive qu'on sache qui sont ceux qu sont infectés, mais quand on ne le sait pas, il faut supposer que tout le monde l'est. C'est le cas pour les hôpitaux, par exemple. C'est également le cas actuellement au Service correctionnel. On prend pour acquis, tout simplement, que tout le monde est atteint et on prend en permanence les précautions appropriées.
C'est également ce que nous répétons au sujet de la sexualité à moindre risque, de la toxicomanie à moindre risque. Bref, on fait ce qu'il faut. Si on se contente de dire: je sais qu'un tel est atteint, je vais donc prendre des précautions dans son cas, mais je n'en prendrai pas le reste du temps parce que je ne sais pas ou parce que je n'y crois pas, est une attitude qui aboutit forcément à des problèmes.
L'idée fondamentale, si on considère le point de vue du détenu, est qu'en l'absence de confidentialité, les détenus pourraient refuser de subir le test. Ils pourraient également refuser de consulter un orienteur et de demander de l'aide. Nous avons donc décidé qu'il valait mieux renforcer la confidentialité pour donner aux gens l'impression qu'ils peuvent consulter le système de santé, demander de l'aide, subir des tests, et cela, sans craintes de discrimination, sans se sentir menacés. Voilà comment ils voient les choses de leur côté. Ils vivent dans un monde où la peur est omniprésente. Ce n'est pas que la confidentialité ne soit pas suffisamment observée, mais c'est la perception qu'ils en ont. Évidemment, nous ne voyons pas les choses de la même façon.
La plupart du temps, nos efforts tendent donc à convaincre les gens de faire ce qu'il faut. Nous avons donc essayé de formuler des recommandations dans ce sens.
J'espère avoir répondu à vos questions. Finalement, plus les gens ont d'expérience, et c'est ce que nous avons constaté dans les diverses prisons, plus ils sont conscients de la présence du sida, plus ils acquièrent d'expérience, plus ils prennent les choses avec calme. Ils finissent par apprendre comment travailler dans cet environnement et comment y faire face.
Kingston en est un excellent exemple. Dans cette prison, on savait généralement qu'un des prisonniers était atteint du sida. Tout le monde le protégeait. On savait qu'il avait le virus, qu'il risquait de succomber à certains symptômes et qu'il avait un besoin particulier d'aide.
On assiste au même phénomène dans le système de santé. Le premier patient arrive et tout le monde veut se sauver. Nous avons entendu parler d'incidents de discrimination, de cas où on a refusé de dispenser des soins, etc. Toutefois, aujourd'hui, la plupart des établissements où il y a beaucoup de patients... Faisons ce qu'il faut faire, soignons les gens selon leurs besoins, trouvons-leur le soutien dont ils ont besoin, l'aide dont ils ont besoin. Tout le monde finit par apprendre à porter des gants, à se protéger suffisamment, et c'est important, car c'est le seul moyen pour eux d'assurer les soins, les services qui sont nécessaires.
M. Culbert: Mon problème, c'est que je ne peux m'empêcher de penser que l'individu en question a des torts envers la société, que s'il se trouve en institution, c'est qu'il a enfreint nos lois. C'est un sentiment personnel, je me dis qu'avec un tel comportement on renonce à certains droits car, comme je l'ai dit plus tôt, nous devons tous assumer, du moins en partie, la responsabilité de nos actes.
M. Gilmore: J'exprimerais cela d'une façon différente, peut-être en citant le vieux dicton: qui aime bien châtie bien. Mais il y a un autre élément dont nous sommes tous probablement conscients, le fait est que les régimes qui sont trop disciplinés forcent les gens à se rebeller, à se cacher, à refuser, etc. Nous commençons donc par nous demander ce qu'il faut faire pour obtenir la coopération des gens. Il s'agit de trouver un point d'équilibre.
La même chose vaut pour les drogues en prison. Il est possible de mettre fin à n'importe quelle pratique. Mais on peut s'apercevoir aussi que cela donne le résultat inverse que celui qu'on recherchait. Je préférerais, et c'est une chose que beaucoup de gens atteints du sida ont apprise, qu'on redonne aux gens confiance en soi, le respect, qu'on leur dise: vous n'êtes pas si mauvais, faites ce qu'il faut. À mon avis, cela donnerait des résultats.
Mme Fry: Merci. Professeur Gilmore, je suis heureuse de vous rencontrer à nouveau.
M. Gilmore: Merci.
Mme Fry: Je tiens à vous féliciter pour votre rapport qui me semble excellent. Ce sont des choses qui méritent depuis longtemps notre attention, c'est un exercice que nous attendons depuis longtemps et je sais que le Dr Roy, qui se trouve au fond de la salle, a lutté de longues années dans ce sens.
Mais il y a une question que vous n'abordez pas dans votre rapport, une question qui intéresse particulièrement ce Comité dans le cadre de ses travaux et dont j'aimerais discuter avec vous. Pouvez-vous me parler de la discrimination dont souffrent les séropositifs dans les prisons, et également les détenus qui appartiennent à une catégorie à risques élevés? Y a-t-il beaucoup de discrimination entre les détenus, et que peut-on faire pour contrer cela, en tenant compte de la confidentialité?
M. Gilmore: Je comprends. Le rapport aborde cette question, mais probablement sans la développer beaucoup. Par exemple, un des détenus a pris la parole lors de la conférence de Colombie-britannique sur le sida, il a soulevé ce genre de questions après quoi nous sommes allés rencontrer d'autres détenus qui nous ont dit la même chose.
Tout comme à l'extérieur, il est difficile de se faire une idée de la gravité et de l'importance de ce genre de réactions. J'imagine que le commissaire aux Droits de la personne vous ferait part des mêmes difficultés. Nous savons qu'il y a des incidents, mais il est difficile de les quantifier sur la base d'exemples précis. Voilà pour une chose.
En second lieu, nous savons que pour les gens c'est un problème majeur à l'intérieur, et on essaie de réagir comme si c'était très fréquent, ce qui est d'ailleurs le cas. C'est une chose que nous avons entendue à de très nombreuses reprises, les gens ont peur de s'avancer et d'en parler.
Troisièmement, effectivement, de nombreux incidents se sont produits dont on pourrait discuter, etc., mais encore une fois, tout comme à l'extérieur des prisons, pour se plaindre de discrimination, pour expliquer qu'on a été victime de certaines attitudes, il faut un certain courage pour en parler ouvertement et réclamer une solution au problème. En effet, cela revient à admettre l'existence d'un problème. Ce faisant, on répand l'information encore plus loin et on se trouve doublement menacé. C'est donc un cercle vicieux, plus on essaie de défendre ses droits, plus on devient vulnérable, c'est un problème difficile.
Cela dit, c'est la réalité dans ce monde-là, la discrimination est considérée comme un problème, les gens ne peuvent pas donner leur confiance, ils ont peur de se manifester, et c'est justement ce que nous essayons de rectifier, nous essayons de changer tout cet environnement, un changement qui est nécessaire également à l'extérieur des prisons, et en particulier dans des communautés comme celle des homosexuels, celle des prostituées, celle des jeunes et des sans-abris, des toxicomanes. Vous devez mériter leur confiance, arriver à leur prouver qu'ils ont intérêt à modifier leurs comportements, à se conduire comme ils le doivent, à se considérer eux-mêmes comme des personnes.
Mme Fry: Vous l'avez très bien exprimé quand vous avez parlé de l'aspect qualitatif. Cela dit, j'aimerais savoir s'il est possible d'évaluer quantitativement cette discrimination, de déterminer si elle est plus répandue dans les prisons qu'à l'extérieur ou si c'est à peu près la même chose.
M. Gilmore: C'est probablement plus répandu, mais d'un autre côté, je crains de ne pouvoir vous donner des informations solides dans ce sens. Cela dit, le Comité se rangera probablement à mon avis, j'ai l'impression qu'il y a plus de discrimination dans les prisons. Au départ, les gens qui sont en prison sont là le plus souvent parce qu'ils se sont conduits avec violence et qu'ils ont enfreint la loi, etc. C'est un monde plus dur.
Deuxièmement, c'est une communauté très fermée où les relations sont plus intenses, amplifiées, magnifiées, par exemple les relations entre prisonniers, personnel, administration, etc., et ce genre de choses peut conduire très rapidement...
Troisièmement, cela suppose un comportement qui n'est pas forcément accepté par certains milieux carcéraux, et c'est une chose qu'il faut reconnaître. Les relations sexuelles entre hommes, entre femmes, la toxicomanie, et les intraveineuses, etc. Tout cela fait partie intégrante de la situation.
Par conséquent, effectivement, je pense qu'il y a plus de discrimination en prison parce que c'est un monde où il n'est pas possible de déménager et de trouver de nouveaux voisins, de nouveaux amis, où il n'est pas possible non plus de se cacher. C'est comme de vivre dans une très petite ville alors qu'on est homosexuel, qu'on se prostitue, qu'on est toxicomane, etc. Les gens finissent par le savoir et cela aboutit forcément à des problèmes. La communauté est trop petite. Pour cette raison, je pense que c'est plus accentué, mais je le répète, je n'ai pas de faits.
[Français]
Le président suppléant (M. Ménard): Merci. Mme Ur souhaite intervenir. On vous écoute.
[Traduction]
Mme Ur (Lambton - Middlesex): Merci, monsieur le président.
Les détenus acceptent-ils bien le programme d'enseignement des prisons? Sont-ils disposés à y participer?
Je crois être plutôt optimiste que pessimiste. Si nous ne sommes pas en mesure de faire des progrès en matière d'éducation et de prévention, dans un milieu aussi concentré que celui des prisons, alors j'estime que nous avons perdu la bataille.
Vous avez notamment déclaré que le climat au Canada n'était pas propice aux changements nécessaires. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet également?
M. Gilmore: Oui. Pour ce qui est du dernier aspect, permettez-moi de rectifier. Je ne disais pas tant que le climat ne convenait pas, mais plutôt que nous devons assurer un climat propice aux changements nécessaires.
Mme Ur: Et quel serait ce climat?
M. Gilmore: Un climat où toute mesure jugée avantageuse pour les détenus, le personnel et le public par le Service correctionnel serait acceptée, qu'il s'agisse de fournir des aiguilles et des seringues, une éducation sexuelle, des condoms, davantage de suivi, l'anonymat des tests en milieu carcéral et toute autre mesure jugée opportune. Je tiens tout simplement à ce que cela soit possible et que, par exemple, l'ensemble des recommandations que nous avons formulées puissent être mises en oeuvre.
Il se peut que certaines propositions soient très impopulaires et qu'elles soient même jugées superflues. Des discussions à ce sujet ont eu lieu aujourd'hui, je crois. Voilà le genre de climat que je souhaite: un climat de soutien, un climat dans lequel on peut avoir l'occasion de faire ce qui doit être fait après avoir consulté les experts qui devaient l'être.
Il faut dire, par ailleurs, que le même raisonnement s'applique hors des prisons. Nous avons reconnu que le fait de fournir des aiguilles et des seringues - à même les fonds publics - permet d'éviter des infections. Les soins de santé coûtent alors moins cher. Il y a moins de gens qui sont malades, qui souffrent et qui meurent. Moins de maladies sont transmises aux partenaires sexuels des toxicomanes. Tout investissement comporte ses avantages.
De plus, ce climat doit mener à l'action et non à la négociation. Nous le constatons d'ailleurs. Je m'abstiendrai de parler d'une question qui est, à l'heure actuelle, devant une commission ou de questions qui sont devant les tribunaux, mais je prendrai comme exemple toute l'importance et l'attention que l'on accorde aujourd'hui au fait de savoir si le sang a fait l'objet de tests suffisamment au Canada. En a-t-on assez fait? A-t-on agi assez tôt? A-t-on agi avec suffisamment d'énergie? Le fait de ne pas intervenir assez rapidement risque d'entraîner des conséquences tragiques, dévastatrices ou extrêmement coûteuses.
Le SIDA nous a certainement enseigné à quel point il était important d'agir rapidement. Il faut pourtant faire en sorte que ce climat propice permette aux gens non seulement de dégager des consensus, de négocier, d'obtenir des autorisations ou d'affronter des oppositions mais aussi de passer à l'action par rapport à des problèmes dont l'existence est généralement reconnue et de disposer des moyens voulus pour résoudre également des problèmes de plus grande envergure.
Mme Ur: Le climat, c'est bien beau, mais ne faut-il pas aussi et surtout la volonté de changer de style de vie?
M. Gilmore: En effet, il y a lieu de le reconnaître. Le fait d'être incarcéré devient pratiquement un problème en soi.
Nous avons certainement constaté que le problème doit être réglé dans les prisons. Si la maison est en feu, il faut des pompiers. C'est incontournable. Il serait certainement utile de pouvoir empêcher les incendies. Voilà le vrai défi, évidemment, qui sous-tend non seulement l'existence du SIDA mais la nécessité et l'existence des services correctionnels. Je crois qu'il faudra toujours des prisons pour certaines personnes. Je suis mal à l'aise de le dire mais cela fait malheureusement partie de la nature humaine, je suppose. La chose est donc probable.
Pour pousser un peu plus loin, nous pouvons nous demander ce qui peut être fait pour limiter l'importance du problème. Comment pouvons-nous faire en sorte que la population canadienne soit respectueuse des lois et des institutions et que les personnes se respectent les unes les autres, afin de mettre fin à la criminalité? Voilà le défi véritable.
Tout cela nous ramène, d'après moi, aux principes fondamentaux de l'éducation. Comment éduquons-nous nos enfants? Dans ce domaine, les résultats ne sont pas nécessairement visibles à brève échéance. Il faut parfois attendre des années.
Pour ma part, je m'inquiète du fait que ce n'est que dans 10, 20 ou 30 ans que nous allons constater les conséquences des changements que nous nous apprêtons à apporter à notre régime de sécurité sociale, tant sur les plans de l'économie et des services sociaux que sur celui de la santé. C'est un problème fort épineux.
Par contre, j'ose croire que les efforts de payés pour apporter des changements peuvent être fructueux. D'ailleurs, les activités du Service correctionnel et de votre Comité ont débouché sur des changements et je tiens à vous dire, en terminant, que les efforts entrepris doivent se poursuivre. Il se peut que l'éducation ne fasse pas changer un grand nombre de personnes. Cependant, pour chaque personne qui évolue, il y a lieu de se réjouir. Nous devons donc persévérer car, si nous faisions le contraire, les conséquences seraient terribles. Ce n'est pas facile, je le reconnais.
[Français]
Le président suppléant (M. Ménard): Une dernière question, si Mme Bridgeman y consent, du côté de la majorité ministérielle, avec Mme Augustine.
[Traduction]
Mme Augustine (Etobicoke - Lakeshore): Je ne siège pas normalement au Comité, monsieur Gilmore, - je remplace un membre habituel du Comité - mais je tiens à vous féliciter de la teneur du rapport et à convenir avec vous du fait que c'est vraiment sur la prévention et l'éducation qu'il faut miser.
Nous devons également faire évoluer la perception qu'a la société du détenu et mieux mettre à profit sa période de détention. Vos propos débouchent sur toute la question de la réhabilitation et sur une série d'autres mesures.
Bien que cela ne fasse pas nécessairement partie de votre mandat, j'aimerais vous demander si vous avez pu constater un lien entre diverses maladies transmissibles comme la tuberculose et le VIH.
M. Gilmore: Nous avons mis l'accent sur le VIH, puisque nous y avons vu l'instrument possible du changement. En effet, toute mesure prise à l'égard du VIH sera dans bien des cas avantageuse pour d'autres maladies qui peuvent être transmises par l'activité sexuelle, par injection, par tatouage ou par d'autres moyens du genre. C'est notamment le cas de l'hépatite.
De plus, nous nous sommes penchés sur la question de la tuberculose et nous avons pu constater l'excellence de la politique et du programme déjà en vigueur à Service correctionnel Canada à cet égard. Nous avons reconnu qu'il s'agissait d'un problème grave à l'extérieur du milieu carcéral qui pourrait devenir très grave dans les prisons.
De façon générale, nous nous sommes intéressés à la santé des gens, non seulement à certaines maladies infectieuses en particulier mais aussi aux conditions qui les rendaient possibles ou qui prédisposaient des personnes à en être atteintes. Nous nous efforcions donc de mettre au point, en matière de promotion de la santé, une démarche générale qui pourrait contribuer à la protection aussi bien qu'à la promotion de la santé.
Chaque fois qu'il est question du VIH ou de SIDA, de turberculose ou d'hépatite, le message gagne en intensité. On communique constamment des messages de prudence, de précaution et de promotion de la santé et on fait savoir aux gens que les services de santé sont à leur disposition.
On peut difficilement séparer une maladie de l'autre. C'est tout au moins ce que nous avons constaté. Si c'était à refaire, il serait peut-être plus sage d'englober toutes les maladies infectieuses. Cependant, dans l'immédiat, nous voulions faire porter notre attention sur le VIH, étant donné que c'est le cas le plus difficile, le grand problème à résoudre à l'heure actuelle.
[Français]
Le président suppléant (M. Ménard): Cela complète le premier tour. Il me reste à vous remercier, au nom des membres du Comité, d'avoir été des nôtres.
Je me permets d'inviter notre deuxième témoin, le commissaire du Service correctionnel du Canada, M. John Edwards.
Monsieur le commissaire, je vous invite à nous présenter les personnes qui vous accompagnent. Nous avions pensé vous réserver 10 à 15 minutes pour votre exposé préliminaire et nous pourrions ensuite enchaîner avec les questions des membres du Comité.
M. John Edwards (commissaire, Service correctionnel du Canada): Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Permettez-moi de présenter les collaborateurs qui m'accompagnent. M. Jacques Roy, notre conseiller en matière de services de santé aux détenus; Anne Malo, une experte en matière de SIDA, qui nous est prêtée par Santé Canada et qui travaille avec nous depuis six mois; et Irving Kulik, le commissaire adjoint pour la région de l'Ontario. Puisqu'il représente la plus grande de nos régions, il devrait être en mesure de répondre à toutes les questions ayant trait directement à la mise en oeuvre.
Mes observations liminaires vous donneront tout d'abord un bref survol de Service correctionnel Canada, puis une description de notre système de soins de santé actuel et enfin certains commentaires particuliers sur la question de l'infection au VIH et du SIDA dans nos établissements. Tout en m'efforçant de ne pas répéter ce qu'a dit M. Gilmore, j'engloberai aussi les mesures que nous avons prises à ce jour et celles que nous avons l'intention de prendre au cours des prochains mois.
Nos services sont parmi les rares dans le monde qui sont responsables des contrevenants pendant toute la durée de la peine. Ailleurs, en général, le volet libération sous condition est distinct du volet incarcération et les responsabilités à l'égard des activités visant les contrevenants ou les actions des contrevenants durant la période où ils purgent leur peine est partagée.
Je ne crois pas, monsieur le président, qu'il serait exagéré de dire que, à l'échelle internationale, notre régime de services correctionnels est considéré comme étant l'un des meilleurs au monde, notamment en raison de la sollicitude qui caractérise notre politique, de la qualité de nos programmes, de nos instruments d'évaluation du risque et, je m'empresse de l'ajouter, de la formation de notre personnel. Dès le départ, nos agents des services correctionnels reçoivent une formation plus poussée qu'à peu près partout ailleurs au monde, soit 11 ou 12 semaines de formation intensive.
Comme je l'ai déjà signalé, c'est la gestion du risque qui est notre tâche principale. Comment faut-il traiter des contrevenants qui ont gravement violé les lois et qui ont commis des infractions graves, pour qu'ils soient protégés les uns des autres et que le public soit protégé de leurs actions dans la mesure où ils ont des rapports avec le public.
Environ 23 000 contrevenants relèvent de notre compétence. Nos établissements pénitentiaires en logent environ 14 000, à divers degrés de sécurité. Les autres, environ 9 000, font partie de la population, sous surveillance.
Je tiens à ce que vous sachiez bien qui sont nos contrevenants. En général, ce sont des marginaux et la plupart d'entre eux ont déjà vécu de longues périodes d'aliénation et d'échec. Ils ont rarement des raisons d'être optimistes par rapport à l'avenir. La plupart d'entre eux n'ont pas occupé d'emploi de façon régulière et, pour la majorité, ce sont des décrocheurs. À l'arrivée dans nos établissements après la condamnation, 65 p. 100 d'entre eux étaient analphabètes fonctionnels, c'est-à-dire que leur niveau est égal ou inférieur à la huitième année, tant en lecture qu'en calcul.
Dans la plupart des cas, leur style de vie n'a pas été sain; ils ont été toxicomanes et ont pratiqué le tatouage; la consommation abusive a été le lot de 70 p. 100 d'entre eux. Dans 50 p. 100 des cas, ils étaient intoxiqués au moment de l'infraction pour laquelle ils ont été incarcérés. Près d'un délinquant sur 10 a souffert de troubles mentaux graves.
Ce que certains perçoivent comme un aboutissement représente pour la plupart une dernière chance de tout recommencer à neuf, d'apprendre à mener une vie utile. La plupart des détenus seront bel et bien libérés. Quatre-vingt pour cent des détenus purgent une peine d'une durée déterminée et bon nombre de ceux qui purgent une peine de durée indéterminée, les condamnés à vie par exemple, obtiennent à un moment ou à un autre une libération conditionnelle. Notre défi est d'aider ces prisonniers à réintégrer la collectivité de la manière la plus sûre possible et sans rechute.
La croissance de la population carcérale - et cette question est pertinente dans le cas de la discussion sur le SIDA - s'est accélérée considérablement récemment par rapport à ce que l'on a connu tradionnellement.
J'ajouterais entre parenthèses que je suis tout à fait d'accord avec les propos du Docteur Gilmore sur la nécessité de se pencher sur la question de savoir si toutes ces personnes devraient se trouver en prison. En tant que professionnel des services correctionnels, nous ne pensons pas que l'incarcération convienne mieux aux délinquants non violents que d'autres programmes correctionnels au sein de la collectivité.
À la suite notamment du rapport du comité ECAP, on a beaucoup parlé du problème de la toxicomanie et du trafic de drogues dans les pénitenciers fédéraux. Il est certain que les niveaux d'utilisation de drogues dans les pénitenciers fédéraux est trop élevé. Nous avons dans ces institutions certains des trafiquants de drogues les plus importants, de même qu'un grand nombre de toxicomanes. On ne devrait donc pas être trop surpris de voir que les trafiquants de drogues continuent à trafiquer derrière les barreaux.
La plupart des gens trouvent étrange également la présence de drogues dans les prisons. Or, le commerce des produits de contrebande se pratique dans les pénitenciers depuis que ceux-ci existent. De plus la prison d'aujourd'hui n'est plus l'établissement isolé et fermé d'autrefois. Bien des gens entrent dans nos prisons chaque jour: Des gens de métier, des fournisseurs, des amis et des parents des détenus ainsi que d'innombrables bénévoles qui aident à l'exécution des programmes et à la prestation des services. Les détenus peuvent en outre se rendre dans la collectivité au cours des sorties autorisées et des placements à l'extérieur.
Comme c'est le cas dans la société, la toxicomanie existe depuis un certain temps dans les prisons fédérales. Bien que nous n'ayons commencé que récemment à obtenir des données utiles à ce sujet, nous croyons que le problème et ses effets se sont considérablement aggravés: La quantité de drogues a augmenté et les types de drogues se sont multipliés.
L'existence des drogues dans les prisons a des conséquences graves. Elle met en danger les consommateurs, que ce soit en raison du risque de surdose ou de la propagation des maladies infectieuses. Elle met en danger les autres détenus qui peuvent être victimes d'incidents comme des voies de fait. Elle met en danger le personnel - il est beaucoup plus difficile de s'occuper d'un toxicomane que d'une personne qui ne prend pas de drogues - et cela annule l'effet des traitements. Les personnes qui utilisent des drogues psychotropes ne se concentrent pas sur la réhabilitation comme nous l'aimerions.
L'année passée, nous avons lancé une stratégie anti-drogues, axée sur une détection plus efficace, la dissuasion et le traitement des toxicomanes. Les mesures que nous avons prises ont une incidence à grande échelle. Les employés sont nettement en faveur de cette initiative. Ils sont enthousiastes et croient fermement que le problème peut être réglé. Ils ont les outils à leur disposition dont ils ont besoin pour réduire le recours à la toxicomanie.
Nous avons renforcé nos procédures de pré-sélection et de fouille des visiteurs. Nous avons pris des mesures pour collaborer avec la police locale et la GRC. L'application de sanctions, comme la suppression ou la limitation du privilège de visites commencent à produire l'effet voulu. On met à l'essai dans diverses établissements de nouveaux types de technologies pour dépister ou tester l'usage de drogues.
Au cours de la dernière année, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a rendu deux décisions favorables à l'analyse de l'urine de détenus choisis au hasard. Il s'agit-là de quelque chose d'extrêmement important, car l'observation seule ne nous permet pas de savoir exactement qui a abusé de drogues. Nous devons savoir quel est le pourcentage de toxicomanes au sein de la population carcérale, et la seule façon scientifique de procéder est d'avoir recours à l'échantillonnage au hasard.
Lors de visites que nous avons faites dans les institutions, un nombre important de détenus nous ont dit qu'ils ont vu un changement marqué dans la situation et qu'ils sont heureux de voir que les menaces et la brutalité reliées à cette culture de la drogue dans les prisons est en train de disparaître.
Je ne voudrais certainement pas laisser l'impression que le problème de la drogue a disparu complètement, ce qui n'est très certainement pas le cas. Il est peu probable d'ailleurs qu'il disparaisse complètement. Mais nous rendrons aux trafiquants et aux toxicomanes la tâche beaucoup plus difficile et, à en juger par les résultats obtenus là où des mesures semblables ont été prises, nous pouvons nous attendre à une réduction substantielle de la consommation de drogue au cours des prochains mois.
J'aimerais maintenant parler des soins de santé dans les établissements fédéraux.
[Français]
Les services de santé dont bénéficient les délinquants incarcérés dans des établissements fédéraux sont comparables à ceux que l'on trouve dans la collectivité. Nous veillons non seulement à fournir les services de santé essentiels, mais également à promouvoir la santé et à prévenir les maladies.
Par exemple, nous avons mis en place une politique qui interdit de fumer dans les aires publiques et communes de nos établissements. À la demande des détenus, les responsables de certains établissements ont réservé des blocs cellulaires aux non-fumeurs. Cette politique est d'autant plus importante à la lumière d'études scientifiques récentes selon lesquelles les produits chimiques contenus dans la fumée de cigarette sont susceptibles de stimuler l'activité génétique du VIH et ainsi d'accélérer l'apparition du SIDA.
Les centres de soins de la plupart des établissements comptent un personnel infirmier. Les services de spécialistes, notamment de médecins, d'optométristes, de psychiatres et de dentistes, sont obtenus par contrat.
Un nombre restreint de lits est accessible aux patients dont l'état exige des soins de courte durée. Lorsqu'un diagnostic plus approfondi s'impose ou que l'état du patient nécessite des soins plus complexes, on a recours aux services médicaux de la collectivité. En outre, en cas de blessure ou de malaise soudain, on a accès aux services d'urgence d'hôpitaux locaux. Une bonne partie du personnel de ces services a appris les techniques de premiers soins et de réanimation.
Outre les centres de soins des établissements de Kingston et de Dorchester, le SCC compte un centre régional de soins psychiatriques et de soins de santé à Abbottsford, en Colombie-Britannique, et à Saskatoon, en Saskatchewan. Au Québec, le Service est lié en vertu d'un contrat avec l'Institut Pinel.
[Traduction]
Passons maintenant au VIH et au SIDA.
Nous ne pouvons déterminer avec précision la prévalence de l'infection au VIH et du SIDA dans la population carcérale. Nous savons toutefois que le nombre de cas déclarés au sein de nos établissements est passé de 14 en 1988 à 128 à la fin de février de cette année. Nous ne savons pas si cette augmentation est due au fait que l'on fait davantage rapport de ces cas ou au fait que l'on signale ces cas plus souvent. Quatorze des 128 cas sont des cas connus de SIDA.
De plus nous ne connaissons pas exactement l'ampleur de la transmission du VIH attribuable à des comportements à risque dans les établissements, notamment l'échange d'aiguilles, le tatouage et les relations sexuelles non protégées. Nous ignorons la proportion de détenus qui sont infectés par le VIH lorsqu'ils sont admis dans les prisons.
Cependant, comme le Dr Gilmore l'a mentionné, nous savons que, au chapitre des cas déclarés, le test de dépistage montre que 1 p. 100 des détenus sont infectés par le VIH ou atteints du SIDA, taux qui est 10 fois plus élevé que celui observé dans l'ensemble de la population. Par contre, on sait que la population carcérale n'est pas représentative de l'ensemble de la population.
Comme je l'ai mentionné au début de mon allocution, compte tenu du fait que la plupart des détenus réintégreront tôt ou tard la collectivité, les comportements à risque élevé constatés au sein des établissements, qui contribuent à diffuser le VIH et le SIDA parmi la population carcérale, auront un jour des répercussions sur le grand public. Le SCC a donc une lourde responsabilité à l'égard de la santé de la collectivité. Les mesures prises afin de lutter contre le SIDA dans les établissements protégeront le grand public.
Nous estimons que le service correctionnel joue un rôle de chef de file parmi les services carcéraux dans l'élaboration et l'application de programmes d'éducation et autres mesures de prévention. Nous avons des programmes éducatifs destinés à sensibiliser les détenus à la gravité de l'infection au VIH et du SIDA ainsi qu'aux comportements à risques élevés. Nous continuons d'élaborer et d'améliorer ces programmes éducatifs. Différents vidéos portent sur le virus du Sida, les tests sérologiques, l'alcool, la drogue et les choix personnels. Nous avons toute une série d'outils éducatifs. Il est important de rappeler ici ce que l'on dit dans le rapport du Docteur Gilmore: La chose la plus importante dans ce domaine est l'éducation afin de fournir aux délinquants des faits sur les comportements à risques élevés qui les amènent à les éviter.
Comme nous l'avons déjà mentionné, des préservatifs sont distribués dans les prisons depuis janvier 1992 sans que cela ait des effets néfastes - et je suis d'accord avec le Docteur Gilmore à ce sujet. Ces préservatifs ont été utilisés parfois pour la contrebande, mais de façon mineure.
En ce qui concerne la formation du personnel, nous lui enseignons comment reconnaître les problèmes et les précautions qu'il doit prendre. Cela demeure une priorité pour les services correctionnels. Au moment de leur admission et tout au long de leur incarcération, tous les détenus peuvent subir un test de dépistage du VIH et bénéficier de services de counseling préliminaires et postérieurs. Je reviendrais à l'anonymité des tests dans un instant.
Nous avons de bons contacts avec des groupes communautaires et des experts de l'extérieur qui nous aident à promouvoir les comportements appropriés. Nous récoltons des statistiques mensuelles relatives aux cas d'infection au VIH et de SIDA et, tous les mois, je peux savoir où nous en sommes en consultant le rapport qui m'est envoyé par courrier électronique. Nous pouvons donc surveiller les tendances à l'échelle régionale et nationale.
Comme je l'ai mentionné, nous contrôlons également la prévalence de la toxicomanie à l'aide des analyses d'urine. D'après les dernières statistiques - qui sont encourageantes, même s'il est prématuré de crier victoire - le nombre de toxicomanes serait en baisse, surtout à l'échelon des établissements à sécurité minimale, où la liberté plus grande accordée aux détenus représente un avantage important que ceux-ci hésitent d'autant plus à compromettre que cela peut provoquer des incarcérations dans des prisons à sécurité moyenne ou maximum.
La majorité des détenus toxicomanes semble privilégier les drogues douces, hashish ou marijuana, de même que les drogues vendues sur ordonnance comme le valium. Par conséquent, ils n'ont pas autant recours aux seringues que l'on pourrait penser. Mais une fois de plus, j'aimerais faire quelques commentaires sur la façon de mieux se renseigner sur ces questions.
Le Docteur Gilmore a passé en revue la propagation du VIH et du SIDA en milieu correctionnel. Tout ce domaine est extrêmement complexe puisqu'il recouvre différentes questions, de nature médicale, morale, juridique, des questions de confidentialité, de sécurité et de traitement.
De nombreux professionnels de la santé sont portés à privilégier la santé, qui revêt pour eux une importance capitale, plutôt que la sécurité, mais une grande partie de la population accepte très mal que l'on prenne des mesures qui semblent avaliser un comportement illégal et inapproprié. Certains voudraient que l'on impose des tests obligatoires et qu'en cas de résultat positif, la personne soit placée en isolement.
C'est dans un tel contexte que le SCC a mis sur pied un comité d'experts afin d'obtenir des conseils plus documentés que ceux que nous avions reçus jusque là. Bon nombre de recommandations de ce comité d'experts ont reçu notre approbation et, dans certains cas, elles correspondaient à des mesures que nous avions déjà prises.
Cependant, nous n'avons pas accepté trois recommandations - le Docteur Gilmore les a mentionnées et le Comité voudra peut-être me poser des questions à ce sujet, ainsi qu'à mes collègues. Une de ces recommandations porte sur les relations sexuelles consensuelles entre les détenus. Je signale qu'à l'heure actuelle, nous ne croyons pas qu'il y ait beaucoup d'agressions sexuelles en milieu carcéral. Une étude du professeur Cooley, qui date de 1993, sur la victimisation de détenus par d'autres détenus montre que le nombre d'agressions sexuelles est assez peu élevé. Il se produit beaucoup plus d'agressions pures et simples, suite au vol d'objets personnels, notamment.
Nous n'offrons pas de programme de distribution de méthadone - vous voudrez peut-être revoir avec nous les arguments qui militent contre ce genre de programme - et nous n'avons pas décidé de mettre sur pied un programme d'échange de seringues.
Il y a une rumeur, mais je n'ai pas réussi à en trouver l'origine, d'après laquelle il y aurait une prison, dans un pays occidental qui aurait institué un programme d'échange de seringues, en Suisse. J'en ai entendu parler, mais c'est une rumeur. Je ne dispose d'aucun fait précis là-dessus mais d'après ce que nous savons, c'est le seul pays où, d'après la rumeur, cela se ferait. Les établissements carcéraux sont, dans l'ensemble, hostiles par nature à cet échange de seringues et M. Gilmore y a déjà fait allusion.
Nous avons lancé un projet-pilote pour voir ce que donnerait la distribution d'eau de javel pour la stérilisation des seringues utilisées pour les injections de drogue ou les tatonages. Pour beaucoup, y compris notre propre personnel, cela est contraire à notre stratégie de tolérance zéro à l'égard des drogues, et M. Gilmore a évoqué certains aspects de cette question.
Pour ce qui est de la distribution d'eau de javel, nous allons probablement généraliser cette expérience, puisque ce programme n'a apparemment pas eu de conséquences apparemment négatives dans certaines provinces et territoires, en particulier la Colombie-Britannique qui le teste depuis près d'un an et demi. Nous n'allons peut-être pas attendre la fin du projet-pilote de l'établissement Matsqui, mais généraliser immédiatement ce programme. Toutefois, nous allons auparavant prendre des mesures pour que l'eau de javel ne puisse pas être utilisée comme arme contre notre personnel.
Si vous avez suivi l'actualité après ma comparution devant le Comité de la justice, vous aurez vu que l'on a fait beaucoup de commentaires négatifs sur les remarques que je viens de vous présenter.
Nous allons également mettre en place un programme de dépistage anonyme qui sera confié à un organisme ou à des gens de l'extérieur et dont les résultats seront uniquement communiqués aux détenus et aux médecins. Je sais qu'il y a des détenus qui ne croiront jamais qu'un employé du SCC respecte le caractère confidentiel de certains renseignements, c'est pourquoi nous allons choisir un programme d'analyse qui respecte l'anonymat. Une infirmière se rendra dans la prison et organisera une clinique pour maladies transmises sexuellement; un détenu pourra s'y rendre et dire ensuite aux autres qu'il a des verrues ou quelque chose du genre pour ne pas risquer d'être ostracisé parce qu'il a le sida ou qu'il est séropositif.
Nous envisageons également de faire une grande enquête sur la population carcérale. Cela serait conforme aux recommandations qui nous ont été faites d'en apprendre davantage sur les comportements. Cela nous permettrait peut-être d'en savoir davantage sur les agressions sexuelles et sur la discrimination exercée à l'endroit des détenus soupçonnés d'être séropositifs. La loi nous oblige également à consulter nos détenus et cela ferait d'une pierre deux coups. Cela nous fournirait, je l'espère du moins, une bonne base de données pour élaborer des politiques et des programmes.
Aux États-Unis, le Bureau fédéral des prisons effectue régulièrement ce genre d'enquêtes qu'il juge très utiles. Dans le cas du Royaume-Uni, ils en ont effectuée une, qui a suscité d'énormes controverses au début, mais là encore, je crois que les résultats ont été fort utiles.
Il faudrait retenir les services d'une entreprise privée et ce ne sera pas une enquête très facile à mener puisque les responsables ne pourront se contenter d'envoyer un questionnaire aux détenus. Rappelez-vous le profil du détenu que je vous ai donné. La plupart des détenus auraient beaucoup de mal à remplir un questionnaire détaillé. Il faudra donc les aider si l'on veut que les résultats aient un sens.
Monsieur le président, j'espère que je n'ai pas pris trop de temps. Voilà l'exposé que je voulais vous présenter et je suis, bien sûr, prêt à répondre à toutes vos questions, si vous avez la patience de rester pour me les poser.
[Français]
Le président suppléant (M. Ménard): Je tiens à vous remercier. Si les membres du Comité sont d'accord, on va procéder comme d'habitude, c'est-à-dire à un premier échange avec moi-même, ensuite avec la collègue du Parti réformiste et enfin avec la majorité ministérielle.
Je vous remercie pour la qualité de votre exposé. Vous nous avez donné vraiment beaucoup d'information et beaucoup de détails. Je crois comprendre que vous êtes globalement d'accord sur les recommandations du Rapport Gilmore, mais que vous hésitez à donner suite à trois recommandations qui ne sont quand même pas anodines, qui sont même assez centrales dans les recommandations du rapport.
J'aimerais, pour chacune de ces trois recommandations-là, comprendre un peu plus la raison de vos appréhensions. Posons comme prémisse que vous devez partager notre stupéfaction et notre inquiétude quand on constate qu'il y a en milieu carcéral un taux de séroprévalence dix fois plus élevé que dans la population générale.
Vous avez pris grand soin de nous expliquer que les gens qui sont admis chez vous ont des antécédents qui peuvent les prédisposer à cet état de fait.
Si vous aviez, à l'intérieur des prisons, des mécanismes qui vous permettraient de départager les relations sexuelles consensuelles et les relations sexuelles imposées, qui peuvent faire l'objet de chantage avec toute la culture carcérale qu'on connaît, seriez-vous plus enclin à lever l'interdiction que demande le Rapport Gilmore?
[Traduction]
Comm. Edwards: Je suis sûr que 99 p. 100 des gestionnaires et du personnel des services correctionnels et presque tous ceux qui ont eu à vivre à l'intérieur d'une prison sont de mon avis, c'est-à-dire qu'on ne peut pas faire la différence entre des relations consensuelles et imposées. On peut faire des sondages, mais on ne peut pas empêcher la manipulation individuelle.
N'oubliez pas que beaucoup de détenus ne nous diront jamais s'ils ont été agressés sexuellement par un autre détenu. Même si cela se passe et qu'il n'y a pas de plainte, nous ne pouvons pas présumer que cette relation était librement acceptée. Il y a donc un sérieux problème lié à la réalité de la vie de l'autre côté des barreaux et j'invite mes collègues à ajouter leur propre commentaire s'ils le veulent.
[Français]
M. Irving Kulik (sous-commissaire, Région de l'Ontario, Service correctionnel du Canada): Je pourrais ajouter quelque chose, mais je ne sais pas si cela va changer quoi que ce soit.
Je vois mal comment on pourrait, dans un établissement carcéral, distinguer les relations consensuelles des relations non consensuelles. Comme le commissaire vient de le dire, il arrive parfois qu'il y a des assauts sur nos prisonniers. Même dans ces circonstances, nous avons de la difficulté à avoir des témoins qui ont vu quoi que ce soit pendant cet incident. Vous imaginez qu'il y en a encore moins quand il s'agit d'un acte sexuel. À mon avis, c'est quasi impossible.
Le président suppléant (M. Ménard): Cela m'amène à vous demander quelques précisions. Sans doute que vous êtes beaucoup plus connaissant que chacun des membres de ce Comité, mais les auteurs du Rapport Gilmore, qui ont fait le tour des établissements, avaient certainement une raison de faire cette recommandation. J'admets qu'il y a du chantage et des difficultés en milieu carcéral, mais dans la société en général, on permet les relations homosexuelles consentantes, qui se font dans l'intimité entre adultes majeurs. Si le milieu carcéral est un peu l'image de la population générale, comment peut-on penser qu'on ne puisse en aucune façon y avoir des relations sexuelles consensuelles?
Qu'est-ce qui a poussé les auteurs du rapport à faire une telle recommandation? Croyez-vous qu'il y a un lien entre la recrudescence de personnes atteintes que l'on constate en milieu carcéral et les pratiques non protégées?
[Traduction]
Comm. Edwards: Comme je l'ai dit plus tôt, la plupart des recommandations du Docteur Gilmore et de ses collègues ne posent pas de problèmes. Cependant, ces trois-là nous en posent et pour ce qui est de celle-ci en particulier, je ne crois pas que le comité saisisse vraiment à quel point la vie de ce côté-ci des barreaux peut être différente de ce qu'elle est de ce côté-là. Je ne crois pas que l'une soit le reflet de l'autre. Cela n'a rien à voir, ni avec l'homosexualité, ni avec la légalité; c'est tout simplement une question d'abuser des autres.
Nous avons eu le même problème dernièrement quand nous avons placé certaines contrevenantes dans une institution à sécurité minimum en Saskatchewan. Je crois que nous en avons envoyé cinq et deux ou trois se sont retrouvées enceintes. Nous les avons sorties de là sans crier gare. En étudiant le dossier de femmes comme celles-là, on s'aperçoit qu'elles ont été victimes d'abus pendant longtemps, et je crois qu'elles ont renoué avec leur ancien comportement ou qu'elles ont été exposées à des circonstances qui ne les aidaient pas à s'en sortir.
Il est tout à fait légal d'avoir des relations sexuelles hétérosexuelles ou homosexuelles à l'extérieur. À l'intérieur des prisons, c'est une milieu où les contrôles et les restrictions sont plutôt différents et, comme le disait mon collègue, il est très difficile de trouver des témoins. Je travaille là depuis déjà plus de deux ans et je n'ai jamais entendu un détenu en accuser un autre d'agression sexuelle. Cela me paraît très important.
Il y a un autre facteur dont il faut parler - et j'invite les membres du comité à venir visiter nos institutions s'ils le désirent; nous serions heureux de vous organiser cela. Il n'y a pas beaucoup d'intimité en prison.
Je soupçonne qu'on se sert très peu de condoms à l'intérieur de nos prisons et qu'on s'en servirait tout aussi peu si les relations homosexuelles n'étaient pas interdites. Où irait-on pour avoir ce genre de relation? On est surveillé la plupart du temps, à moins de se trouver dans une institution à sécurité minimum.
C'est un monde très différent de celui de l'extérieur. Oubliez le siège arrière de l'auto ou le sous-sol de la maison ou même la chambre à coucher. Vous êtes dans une cellule avec des barreaux qui ne masquent rien à la vue. Il n'y a rien pour masquer le bruit. Vous avez une assez bonne idée de ce qui se passe dans les cellules avoisinantes. Vous êtes surveillé même aux douches. La vie n'est pas du tout ce qu'elle est à l'extérieur. Il n'y a pas de petit boisé où on peut se promener main dans la main. C'est un monde tout à fait différent.
[Français]
Le président suppléant (M. Ménard): Avant de passer la parole à ma collègue, j'aimerais dire que votre invitation est séduisante. Peut-être aura-t-on le goût, comme Comité, de la retenir et d'aller vous voir pour bien comprendre votre réalité sur le terrain.
Je comprends que la disponibilité des condoms visait à faire en sorte que les détenus qui sortent puissent avoir des relations sexuelles protégées à l'extérieur. C'était la raison fondamentale de votre décision.
Avant de donner la parole à Mme Bridgman, est-ce que je peux vous entendre sur les réticences que vous avez face à la deuxième recommandation, soit fournir un traitement d'entretien à la méthadone qui est, si je comprends bien, un produit de substitution pour les détenus qui affichent une dépendance à l'opium?
[Traduction]
Comm. Edwards: Pourrais-je demander au Dr Roy de répondre à cette question sur la méthadone?
[Français]
Dr Jacques Roy (conseiller national, Services de santé, Service correctionnel du Canada): Je suis un spécialiste en toxicomanie et j'ai été formé au Addiction Research Foundation, à Toronto. Lors de ma formation à Toronto, en tant que médecin, j'ai prescrit de la méthadone à la clientèle qu'on avait là-bas.
Le but primaire d'un programme d'entretien à la méthadone, comme l'indiquent les documents qui nous viennent de Santé Canada, est d'amener une amélioration de l'adaptation psychosociale du patient et une réduction de l'activité criminelle.
La méthadone, comme vous le savez sans doute, ne guérit pas, mais fait en sorte que l'individu s'efforce d'avoir des activités sociales acceptables et met de côté sa vie criminelle qui implique des assauts dans la communauté et des vols.
Dans un milieu pénitentiaire, nous avons beaucoup de programmes pour aider les détenus à améliorer leur adaptation psychosociale. Pour ce qui est des activités criminelles, nous avons un bon contrôle sur eux et nous nous assurons qu'ils sont en sécurité tous les soirs. Donc, il n'y a pas d'activités criminelles qui sont en marche à ce moment-là.
Le but primaire d'un programme de méthadone ne peut avoir d'application à l'intérieur des établissements, surtout quand il s'agit d'une longue sentence. Cependant, dernièrement, on nous a proposé de mettre sur pied un programme de méthadone au stade du prélicenciement vers la communauté. Nous demandons au Service correctionnel de nous permettre de mettre sur pied un projet-pilote dans la région du Pacifique, plus précisément à l'établissement William Head, où un médecin de la communauté qui travaille pour nous à contrat a la permission de prescrire de la méthadone. Il a sélectionné un détenu comme étant un candidat possible pour être suivi dans la communauté. Il est possible que nous commencions un programme au niveau de la prélibération de cet individu.
Pour résumer, je ne crois pas qu'il y ait d'indications médicales pour de tels programmes durant la sentence à l'intérieur des établissements, mais il y aurait indication au niveau de la prélibération.
Le président suppléant (M. Ménard): Je passe maintenant la parole à notre collègue du Parti réformiste, Mme Bridgman.
[Traduction]
Mme Bridgman: Merci d'être venus, messieurs.
J'ai trois questions pour vous. La première porte sur le régime d'assurance-santé. Ce n'est pas le régime d'assurance-santé provincial qui paie la note pour les gens à l'intérieur de nos prisons, n'est-ce pas? Les lois concernant les soins de santé ne s'appliquent pas dans leurs cas, donc je pense que les budgets des établissements prévoient un certain montant pour les soins de santé.
J'aimerais savoir quel est approximativement le pourcentage du budget prévu pour les soins de santé, et si ce pourcentage est suffisant ou non. Je ne pense pas uniquement aux soins en cas de maladie, mais aussi aux activités de prévention.
Deuxièmement, on envisage la possibilité de ne pas limiter le régime des soins au cadre carcéral et de faire appel aux ressources disponibles dans la communauté. Pouvez-vous me dire si cela est un avantage ou un désavantage, pas tellement du point de vue économique, mais du point de vue de la réinsertion et autres considérations, et peut-être aussi en ce qui a trait à la qualité des soins?
Troisièmement, j'aimerais savoir quel genre de tests sont administrés lors, disons, de l'admission, d'un transfert, ou d'examens périodiques... par exemple, procède-t-on systématiquement à des examens médicaux annuels? Lors de l'admission, est-ce que l'on établit un dossier des antécédents médicaux? Je ne fais pas de comparaison, mais quand on est admis dans un hôpital, par exemple, on subit un examen médical, on doit décrire ses antécédents, entre autres. Et donc, je me demande si vous procédez à des examens médicaux comparables. Prenez-vous note des antécédents? Procédez-vous à des évaluations psychologiques, et quelle est leur fréquence? Je m'intéresse surtout au caractère obligatoire de ces tests, le cas échéant. À mon avis, il faudrait ajouter la tuberculose à l'hépatite B, l'hépatite C et au SIDA. Je mentionne la tuberculose compte tenu de la situation que l'on a récemment connue à Kingston.
Comm. Edwards: Oui, nous prenons toutes les mesures que vous avez mentionnées et je vais beaucoup compter sur le Dr Roy pour pour vous donner des détails supplémentaires.
Tant que les détenus sont à notre charge, les frais médicaux sont complètement couverts par le budget fédéral, et la règle pragmatique que nous observons est que les soins devraient être comparables à ceux fournis dans la communauté. Nous examinons régulièrement la gamme des services que nous fournissons pour la comparer à ce que l'on trouve dans la communauté, afin de nous assurer que le niveau de service assuré est approprié. Cela découle directement de la loi qui nous gouverne.
Au sujet de la possibilité d'assurer des soins en ayant recours à la communauté, au lieu de les fournir dans le cadre des institutions, je crois que le Dr Gilmore et ses collègues ont recommandé que l'on envisage la possibilité de recourir à l'affermage pour les soins de santé, probablement parce que cela assurerait mieux l'anonymat.
En fait, nous fournissons très peu de soins dans les établissements ordinaires, à l'exception des soins infirmiers, et en règle générale, nous faisons appel aux spécialistes de la communauté. Les établissements psychiatriques font exception à cette règle et ont leur propre corps de médecins.
Quant aux évaluations lors de l'admission des détenus, oui, nous procédons à une évaluation très complète. C'est à ce moment-là que le détenu subit la réaction double de Mantoux à la tuberculine, je crois bien que c'est le nom exact.
Dr Roy: La réaction de Mantoux binaire.
Comm. Edwards: On procède aussi à un examen médical complet et à des épreuves psychologiques. Le niveau des épreuves dépend de l'infraction et autres considérations similaires.
À nouveau, je me permets de vous donner quelques renseignements sur notre service. Normalement, la première évaluation porte sur six à huit semaines, ce qui nous permet de surveiller les détenus de très près pour essayer de découvrir - lors de tests, de discussions et d'auto-évaluations par les détenus eux-mêmes - la personnalité du détenu, la nature de l'aide dont il a besoin, la nature des programmes requis. On évalue également dans quelle mesure les autres détenus doivent être protégés du nouveau, ou dans quelle mesure celui-ci doit être protégé des autres.
Nous n'obligeons certainement pas les détenus à subir des tests médicaux. Dans certains cas, quand nous estimons que le test est absolument indispensable, et que le détenu refuse, nous prenons des mesures identiques à celles qui découleraient d'un résultat positif. Par exemple, dans le cas de la tuberculose, dans la région de l'Ontario que vous avez mentionnée, nous avons finalement encouragé suffisamment les détenus pour qu'il n'y ait, à ma connaissance, que deux refus, et les deux individus en cause ont été placés en isolement pendant une période de temps suffisante pour que l'on puisse les observer et voir s'ils commencaient à présenter des symptômes visibles de tuberculose.
Nous ne recourons pas à la force pour contraindre un détenu à subir une prise de sang qu'il refuse, et nous n'avons pas de programme de test obligatoire pour le SIDA. En fait, les tribunaux nous ont dit que la loi ne nous donne pas le pouvoir de le faire.
Docteur Roy, monsieur Kulik, si j'ai oublié quelques éléments importants, je vous prie de bien vouloir compléter ma réponse.
Mme Bridgman: Ai-je bien compris? Il y a toujours des examens psychologiques?
Dr Roy: Oui, c'est exact. Lors de l'admission, nous procédons à une évaluation psychologique très complète; nous nous efforçons, à ce moment-là, de déterminer les difficultés que le détenu pourrait avoir en termes de santé mentale. S'il s'agit d'une situation aigüe, le détenu est dirigé automatiquement vers le médecin sous contrat avec l'établissement, ou vers l'un de nos psychologues ou psychiatres, si nécessaire.
Mme Bridgman: Donc, il n'y a pas de choix. Les détenus doivent se plier à ce processus, mais ils ont un choix...
Comm. Edwards: Si vous me permettez d'intervenir, les détenus sont soumis à ce processus, mais cela ne veut pas dire qu'ils vont nécessairement coopérer. S'ils ne collaborent pas, nous ne tirons pas grand chose de cet exercice. La plupart des détenus désirent finalement parler d'eux-mêmes, et on obtient donc leur coopération au bout du compte dans la plupart des cas. Toutefois, si un détenu arrive à l'un de nos établissements et refuse absolument de dire un mot, il n'y a pas grand chose que nous puissions faire. C'est une situation que l'on ne rencontre que très rarement.
C'est un procesus obligatoire dans le même sens que la réaction de Mantoux ou tout autre test jugé nécessaire est obligatoire. Si nous essuyons un refus catégorique, nous n'allons pas recourir à la force.
Dr Roy: En effet, si on le faisait, nous serions coupables de voies de fait et nous ne voulons certainement pas aller jusque là, nous ne voulons pas contraindre quelqu'un qui ne se porte pas volontaire pour subir un test.
Mme Bridgman: Donc, c'est fortement encouragé. Que se passe-t-il s'il y a refus catégorique de participer à ces évaluations ou tests? Est-ce que le détenu a gain de cause?
Dr Roy: Je vais demander à M. Kulik de vous présenter le point de vue opérationnel.
M. Kulik: Pourrais-je préciser quelque chose au sujet des évaluations psychologiques? Il s'agit essentiellement d'une évaluation et nous ne faisons pas nécessairement une enquête très détaillée pour chaque détenu. Il faut tenir compte de la nature du dossier. S'il s'agit d'un prisonnier à vie, s'il s'agit d'une infraction à caractère sexuel, il est évident que l'évaluation sera plus poussée que dans le cas d'un individu qui doit purger une peine de deux ans, qui en est à sa première infraction, et qui a été trouvé coupable d'introduction par effraction. Il est évident que l'importance du cas détermine le niveau d'attention accordé à cette question.
En ce qui concerne la tuberculose et les autres tests, je vous signale que près de 3 800 détenus ont subi la réaction de Mantoux. Comme le commissaire l'a dit, il y a eu deux exceptions. Ce qui donne des résultats - c'est tout au moins ce que j'ai constaté même s'il y a peu de temps que je m'occupe de cette question - c'est de parler aux individus, de les informer et de les convaincre de l'importance de leur coopération pour ce test, pour n'importe quel test.
Mme Bridgman: Je vous ai posé cette question pour avoir un exemple de la façon dont on peut obtenir des données de base qui pourraient permettre d'avoir des statistiques à ce sujet. Si vous ne pouvez pas recueillir des renseignements lors de l'admission, comment pouvons-nous savoir, et voulons-nous même le savoir, combien d'individus sont atteints du SIDA et combien sont séropositifs? À mon avis cela me semble être la façon la plus logique de procéder. Vous avez un certain nombre d'individus atteints qui sont enfermés quelque part et nous ne savons même pas qui ils sont; et malgré cela, nous devons assurer une certaine «sécurité».
Quels sont les autres paramètres qui pourraient nous donner une idée à ce sujet et nous permettre de disposer à l'avenir de données statistiques?
Comm. Edwards: Je crois que ce qui a été mentionné par le Dr Gilmore, c'est-à-dire des essais de séropositivité anonymes, pourrait encourager un bien plus grand nombre de détenus à participer, par curiosité ou par crainte d'être découvert... Cela pourrait encourager un niveau de participation beaucoup plus élevé. Éventuellement, nous savons quand un individu passe de la séropositivité au SIDA. Je crois que nous savons assez bien qui est atteint du SIDA, tout au moins au stade plus avancé de cette maladie.
Les détenus sont des êtres humains, comme tout le monde, et quand ils commencent à se préoccuper de leur santé, ils essayent de se renseigner. S'ils craignent la tuberculose, ils seront probablement les premiers à se présenter pour un test, comme on a pu le constater en Ontario...
Mme Bridgman: À cause de l'influence des pairs.
Comm. Edwards: Oui, mais aussi parce que c'est dans leur propre intérêt. Ils se demandent s'ils sont atteints.
Dr Roy: En ce qui concerne la séroprévalance dans les établissements, je voudrais clarifier une remarque de M. Ménard au sujet d'une déclaration du Dr Hankins qui a procédé à des études à Montréal. Ses études concernaient essentiellement le système correctionnel provincial.
Bien entendu, comme vous le savez certainement, il y a dans le système correctionnel provincial le syndrôme de la «porte tournante»: les petits délinquants vont et viennent, entrent et sortent. Il y a de nombreuses prostituées, par exemple. C'est pourquoi les chiffres relevés par le docteur Hankins à Montréal, notamment à la Maison Tanguay, avec 15 p. 100, n'ont aucun rapport avec ce qui se passe chez nous, au sein de la population de la prison des femmes de Kingston. Nous avons déjà procédé à un sondage anonyme dans l'un de nos établissements, à Joyceville, et nous avons abouti à 1 p. 100. Le docteur Gilmore a indiqué que cela doit se situer entre 1 et 2 p. 100, et nous sommes tout à fait d'accord. Ça ne devrait pas être bien supérieur.
Je vous signale en passant qu'aux États-Unis, le taux de la population infectée est de 1,8 p. 100 dans les établissements du Bureau fédéral, qui est l'équivalent de notre système fédéral. Bien entendu, dans les réseaux provinciaux, notamment à New York, ce taux doit être bien plus élevé. Toutefois, chez les «Fédéraux», soit parmi la population des détenus condamnés à des peines plus longues, on trouve des gens différents qui ont moins l'habitude de se droguer par voie intraveineuse que les petits délinquants.
Comm. Edwards: À New York, c'est 12 p. 100. Au Brésil, 20 p. 100 de la population des détenus a le VIH.
Mme Fry: Je vous propose une chose. Si les détenus ne veulent pas subir les tests, on peut toujours leur dire qu'ils ne peuvent pas être acceptés dans l'établissement.
Comm. Edwards: Avec la surpopulation des prisons, je suis très tenté de fermer tout simplement les portes et de dire «ça suffit».
Mme Fry: En effet. On ne devrait pas pouvoir entrer dans l'établissement si on ne se soumet pas au test.
J'aurais deux questions à vous poser qui prolongent celles auxquelles vous avez déjà répondu, mais avec une orientation légèrement différente. La première, je vais la poser au docteur Roy; il s'agit de la question de l'échange de seringues et de la méthadone.
Je suis d'accord avec vous pour dire que les raisons pour lesquelles on a recours à la méthadone à l'extérieur ne sont bien évidemment pas les mêmes que celles qui justifient son utilisation par la population carcérale. Il n'en reste pas moins que si on va l'utiliser dans ce cas, ce n'est pas nécessairement pour lutter contre la toxicomanie mais pour des raisons de santé publique qui sont liées à la sécurité publique... Les seringues n'étant pas autorisées, ceux qui les utilisent ont tendance à le faire en cachette. Bien évidemment, comme l'a indiqué le docteur Gilmore, il y a alors bien des seringues qui vont passer de main en main et qui vont être réutilisées.
Je dirais donc que sur le plan de la santé publique, la méthadone est susceptible de résoudre le problème autant que faire se peut. On résoudrait une partie du problème parce que les utilisateurs n'auraient plus à prendre la drogue à l'aide d'une seringue, ils prendraient la méthadone par voie orale. Donc, à mes yeux, c'est pour une raison de santé publique, au sein de la population carcérale que l'on aurait recours à cela et non pour les raisons pour lesquelles on a utilisé la méthadone à l'origine, soit pour lutter contre la toxicomanie. Je ne comprends pas pourquoi on n'a pas recours à cette solution.
C'est ma première question. Ma deuxième question a trait à l'accès aux soins de santé.
Je ne sais pas comment sont financés les soins de santé et autres choses de ce genre. Je ne veux pas discuter du financement. Je veux discuter des possibilités d'accès dans la pratique.
Sur la question, par exemple, du VIH et du SIDA, ce dont nous traitons, si une personne qui entre dans le système carcéral est séropositive ou a effectivement le SIDA et qu'au cours de son séjour, elle se trouve aux prises avec des maladies qui exigent son hospitalisation, il faudra bien entendu la faire sortir pour qu'elle soit prise en charge par des hôpitaux communautaires. D'après ce que j'ai pu comprendre, compte tenu de l'information qui nous a été fournie en Colombie-Britannique, et par le Comité sur les soins de santé dans les prisons auquel a participé le docteur Préfontaine, il est très difficile d'obtenir que les hôpitaux communautaires acceptent des détenus à l'urgence ou dans les services hospitaliers.
Que faites-vous face à ce problème? C'est un refus de prise en charge. C'est un problème très délicat et qu'il convient de régler. Je ne sais pas comment vous y faites face et quels sont vos plans pour y remédier. Je pense qu'il faut régler cela, étant donné la nature de la maladie et compte tenu du fait qu'il arrive parfois qu'une personne séropositive se retrouve avec le SIDA ou qu'un sidéen ait besoin finalement de soins de courte durée en hôpital.
Dr Roy: Je commencerai par votre deuxième question, à laquelle il me semble plus facile de répondre. Vous le savez, nous avons connu un certain nombre de difficultés dans la Vallée du Fraser en C.B. et, un peu plus tôt, ici même, dans la région de Kingston. Nous avons résolu le problème en dialoguant davantage et en faisant en sorte que les gens qui travaillent dans les hôpitaux locaux viennent à l'intérieur de nos établissements. Finalement, il y a de plus en plus de collaboration en ces deux milieux médicaux.
En C.B., je sais que vous êtes intervenue pour que notre hôpital local nous ouvre ses portes. La commission médicale a fini par se rendre compte là-bas que nos établissements représentaient une population qui avait besoin de services, et je crois que le Collège des médecins a fini par intervenir et a fait parvenir une lettre à ces commissions.
Donc, au moment où je vous parle, je suis heureux de signaler que nous n'avons aucune difficulté à transférer les malades de nos 41 établissements nationaux au Canada aux hôpitaux locaux.
Pour ce qui est de la première question, vous connaissez les raisons pour lesquelles je ne pense pas que la méthadone soit indiquée à l'intérieur des établissements où les détenus purgent une longue peine. Je suis toujours ouvert aux idées nouvelles, aux innovations. J'entretiens des contacts étroits avec le médecin responsable du programme des drogues à Santé Canada. Je lui ferai part de votre proposition pour savoir si, d'après Santé Canada, on pourrait recourir à cette solution pour favoriser la santé publique, s'il serait bon, aux yeux des médecins, que l'on fournisse de la méthadone à l'intérieur des établissements, aux détenus purgeant de longues peines. J'attendrai que Santé Canada me fasse une recommandation à ce sujet.
Vous n'ignorez pas que Santé Canada est en fait notre conseiller médical lorsqu'il s'agit de savoir ce que nous devons faire au sein de nos établissements. Nous avons entrepris de faire passer des tests relatifs à la réaction de Mantoux sur la recommadation du LLCM et d'autres spécialistes à Santé Canada. Si la Direction des médicaments nous dit qu'effectivement, c'est une proposition qui peut légitimement s'imposer, je la proposerai à la haute direction. Cela me paraît peu probable, mais nous suivrons les conseils du LLCM.
Mme Fry: Nous parlons de cette possibilité en prévision d'un rapport que va finalement faire notre comité et qui présentera un certain nombre de recommandations. Vous nous avez dit précédemment que vous alliez envisager, dans certains établissements, la possibilité de recourir à la méthadone pour les détenus avant qu'ils soient libérés.
Dr Roy: Effectivement.
Mme Fry: Si vous pouvez le faire pour cette raison, qui se rapporte en fait à la toxicomanie, au traitement indiqué en cas de toxicomanie, etc., ou pour les besoins de la réinsertion dans la société, etc., je me demande alors pourquoi on ne pourrait pas le faire pour des raisons de santé publique qui sont encore plus valables au sein d'une population enfermée dans un établissement carcéral.
Dr Roy: Oui, mais n'oubliez pas que lorsque nos détenus se retrouvent au sein de la collectivité, nous voulons qu'il deviennent des citoyens respectueux des lois. C'est un moyen qui peut leur permettre d'y parvenir. Vous savez qu'une fois de retour dans la collectivité, ils peuvent retomber dans la criminalité.
Il y a aussi l'autre grande difficulté, vous le savez peut-être, puisqu'il n'y a que 237 médecins au Canada qui sont autorisés à prescrire de la méthadone. Un tiers d'entre eux se trouvent en Colombie-Britannique. Si nous lançons ou si nous maintenons un programme de distribution de méthadone à l'intérieur de nos établissements, une fois que les détenus se retrouveront au sein de la collectivité... À l'heure actuelle, il y a une liste d'attente de plus de 1 000 personnes dans les cabinets des médecins qui ont l'autorisation de dispenser ce genre de traitement. Nous n'avons donc pas les moyens de poursuivre ce traitement, parce que je sais qu'à l'heure actuelle, il n'y a pas de médecins ainsi habilités à Terre-Neuve, à l'Î.P.E. ou dans les Territoires du Nord-Ouest. Nous pourrions donc susciter un besoin de méthadone auquel les services disponibles au sein de la collectivité ne pourraient pas répondre. Voilà donc une autre dimension du problème.
Mme Fry: C'est un problème pratique.
Dr Roy: Oui.
Mme Fry: Pour en revenir à l'accès aux soins de santé, je sais que vous avez résolu le problème, par exemple, pour ce qui est des soins de courte durée. La difficulté, cependant, c'est que si une personne est séropositive ou a le SIDA et se retrouve aux prises avec des difficultés, il y a cet élément «discriminatoire» qui vient s'ajouter et qui fait que les gens vont dire: «Je ne m'oppose pas à ce que vous recouriez aux services de mon hôpital pour une appendicite aigüe ou pour une opération de la vésicule biliaire, mais il s'agit d'un hôpital communautaire et je ne suis pas disposé à accepter des séropositifs».
Dr Roy: C'est drôle que vous disiez cela parce qu'au contraire, au Québec, nous avons un contrat avec un grand établissement de Laval qui garantit un certain nombre de lits. Certains établissements situés en banlieue de Montréal nous reprochent parfois de ne pas utiliser leurs services. Par exemple, Cowansville, je crois. Nous avons dû fournir des explications; les responsables nous ont demandé pourquoi nous n'utilisions pas leurs lits et pourquoi nous choisissions d'envoyer les gens à Laval.
Je vous répète que nous avons eu des problèmes dans la vallée, en C.B., mais ils sont maintenant résolus et à Kingston, la solution a consisté à maintenir les contacts et à faire en sorte que des infirmières appartenant aux deux milieux passent de l'un à l'autre.
Monsieur Kulik, vous avez peut-être quelque chose à ajouter.
M. Kulik: Nous avons parlé de consultation et de dialogue. Bien entendu, la plupart de nos médecins travaillent dans l'un ou l'autre des grands hôpitaux de Kingston, ce qui aide.
Il y a aussi, encore, la question des salles de sécurité. Nous sommes en train d'en aménager une à l'hôpital de l'Hôtel-Dieu de Kingston, où nous aurons, je pense, au moins deux ou trois lits, y compris une salle à pression négative pour les cas de tuberculose.
Même au moment où nous nous parlons, je n'ai pas entendu dire qu'il y a eu des problèmes au sujet de l'admission dans les hôpitaux de malades nécessitant des soins de longue durée. Nous en avons d'ailleurs un à l'heure actuelle.
M. Culbert: J'aimerais aborder, monsieur Edwards, un sujet qui s'écarte quelque peu des préoccupations courantes en matière de santé.
J'ai noté que vous avez indiqué dans votre exposé que vous n'estimiez pas systématiquement nécessaire de suivre les tribunaux lorsque ces derniers ont recommandé une incarcération. J'ai relevé cette observation parce que j'y ai beaucoup réfléchi pour ma part et d'ailleurs, après avoir discuté de la question avec un certain nombre de membres de votre personnel, j'ai été très surpris d'appendre, je vous l'avoue bien franchement, que vous vous orientiez un peu dans le même sens que moi. Disons qu'il semble que certaines idées font leur chemin.
J'ai déjà pensé à des choses comme les collectivités agricoles au sein desquelles pourraient se retrouver ces gens - et cela nous ramène à ce que vous avez dit au sujet de leurs expériences dans la vie, de leurs aliénations et de leurs échecs - alors qu'il est difficile d'être optimiste au sujet de leur avenir, qui n'ont pas d'emploi régulier, qui n'ont pas eu vraiment la possibilité de s'instruire, etc.
Ils pourraient s'intégrer à une collectivité agricole et travailler dans des ateliers de frabrication du bois ou ils pourraient fournir des produits utiles aux secteurs avec éventuellement d'autres possibilités - et je suis un ferme partisan de toutes ces solutions, notamment pour les délits les moins graves, lorsqu'on dispose d'une certaine marge de manoeuvre et lorsqu'on peut accorder certaines libertés. Disons que pendant qu'ils purgeraient leurs peines, ces détenus apporteraient en même temps une certaine contribution à la société, payant ainsi leur entretien.
Lorsqu'on fait entrer dans ce scénario la question de la santé, notamment en ce qui a trait aux cas de VIH/SIDA qui nous intéressent, je me demande si ce ne serait finalement pas la meilleure solution, plutôt que d'enfermer à double tour dans une cellule les gens qui se trouvent dans ce genre de situation, de leur faire faire de l'exercice une fois ou deux par jour ou encore de les laisser jouer au basketball dans la cour. Ne serait-il pas préférable de recourir davantage à ce genre de solution pour éveiller des vocations tout en étant par ailleurs utiles à la société en produisant quelque chose? Vous avez peut-être une idée à ce sujet.
Comm. Edwards: J'apprécie particulièrement ces commentaires et cette question. Je pense que nos idées se rejoignent dans ce domaine.
Ce qui manque à la plupart des pays occidentaux dans le domaine correctionnel, ce sont de bons programmes communautaires. On pense que l'on peut avoir un bon programme de probation en confiant quelque 130 cas à chaque agent de probation. Toutes les études nous enseignent qu'un agent de probation ou de libération conditionnelle ne peut prendre en charge au maximum que 25 cas.
Je considère que l'on n'aura jamais assez de programmes de qualité et utiles qui représentent une sanction suffisante, en ce sens que les gens qui s'y trouvent font un certain nombre de choses alors qu'ils préféreraient flâner par exemple dans un centre commercial avec leurs conjoints. Il y a toutes sortes de choses que l'on peut réaliser.
Un certain nombre d'entre elles sont déjà mises en oeuvre. Nous le faisons même à l'intérieur de nos établissements à sécurité minimale. Quelque sept d'entre eux sont des fermes dans lesquelles les gens travaillent. Je suis certain que ça leur fait du bien. J'ai moi-même passé pas mal de temps à travailler dans des fermes et je suis tout à fait convaincu que ça aide les gens à retrouver un rythme de vie différent de celui qu'ils ont connu, voir les récoltes pousser et contribuer à les faire pousser, regarder les animaux grandir.
Nous n'avons pas que l'agro-alimentaire, nous avons aussi un certain nombre d'autres installations manufacturières. Dans bien des cas, il s'agit littéralement du travail du bois, en ce sens que nous fabriquons des meubles. Malheureusement, notre principal marché est la fonction publique et cette dernière, pour une question de restrictions budgétaires et pour toutes les raisons que vous connaissez, n'achète plus à l'heure actuelle comme elle le faisait auparavant.
Nous essayons maintenant d'employer davantage les détenus dans le secteur de la construction. Nous travaillons beaucoup dans la construction, vu surtout que la population s'accroît. Nous construisons davantage d'installations. Il y a une centaine d'années, il était courant de faire construire des ouvrages par les détenus. Nous avons perdu cette habitude et nous avons tout fait faire sur contrat en faisant venir des équipes de l'extérieur. Nous nous remettons aujourd'hui à employer des détenus sur les chantiers de construction, ce qui là encore leur apprend à travailler et devrait les aider à trouver de l'emploi lorsqu'ils sortiront. Nous sommes nombreux à considérer que les trois facteurs indispensables à la réussite une fois sorti de prison est d'avoir un emploi, d'en être fier et d'avoir le temps de se consacrer à quelque chose d'utile.
J'aimerais voir s'instaurer des programmes judiciaires de réinsertion s'adressant aux petits délinquants qui amèneraient ces derniers à restituer véritablement quelque chose à leur victime, que ce soit à des particuliers ou à la collectivité. Il y a toutes sortes de choses que nous pouvons faire. De manière générale, ces programmes reviennent moins cher, quelle que soit leur qualité, que celui qui consiste à jeter les gens en prison, à les tenir à l'écart de la collectivité et à les enfermer. Dans la plupart des cas, ce sont des jeunes qui sont touchés et je trouve cela très triste.
M. Culbert: Tout à fait. Une dernière question, rapidement. Avez-vous des statistiques s'appliquant aux gens qui ont participé à ce genre de programmes axés sur le travail pour ce qui est des facteurs liés à la santé, au fait de contracter le VIH/Sida ou d'autres maladies transmissibles, comparativement à ceux qui sont incarcérés dans un cellule traditionnelle?
Comm. Edwards: Non. Je pensais que vous alliez me demander si les gens étaient passés par ce programme. Toutefois, je crois qu'il serait possible de vous communiquer certaines statistiques sur les maladies infectieuses en comparant nos établissements à sécurité minimale à nos établissements où les mesures de sécurité sont plus strictes.
Dr Roy: Le gros problème est celui de l'anonymat. Nous recueillons l'information en provenance des régions, qui nous disent combien de gens sont séropositifs ou ont le SIDA, mais nous n'avons pas les noms et on ne peut pas faire autrement. Pour pouvoir compiler l'information que vous demandez, il nous faudrait pouvoir identifier les personnes qui sont séropositives et il est bien évident que les responsables de la santé dans les établissements auraient bien du mal à le faire.
M. Culbert: Bien, je comprends.
Pour finir, auriez-vous des résultats ou des statistiques concernant le taux de succès ou de récidive des gens qui sont passés par ce type de programme axé le travail, qu'il s'agisse d'une ferme, du travail du bois ou d'une usine quelconque, comparativement à ceux qui sont passés par une cellule traditionnelle?
Comm. Edwards: Je suis désolé de ne pas pouvoir vous faciliter la tâche. J'aimerais pouvoir vous répondre simplement.
Le problème vient de ce que les statisticiens appellent la multi-colinéarité. Il y a tellement de facteurs en jeu qu'on peut difficilement faire la part des choses. Les petits délinquants - il se peut qu'ils aient commis un délit grave, mais après nombre d'années d'incarcération, de traitement, etc., ils se retrouvent dans un établissement à sécurité minimale - ont de très grandes chances de travailler dans une ferme. Toutefois, on ne peut comparer ce genre de détenus aux personnes plus dangereuses qui sont enfermées dans une cellule dans un établissement à sécurité moyenne ou maximale.
Nous savons que ceux qui passent par l'établissement à sécurité minimale puis qui se retrouvent ensuite en libération conditionnelle et qui finissent par sortir pour terminer de purger leur peine ont un meilleur taux de réussite que ceux qui restent enfermer dans un établissement à forte sécurité jusqu'à ce qu'ils soient libérés une fois leur peine purgée. Toutefois, c'est une chose bien évidente. Les cas les plus graves risquent bien plus de donner lieu ensuite à des difficultés que les cas les moins graves. Il est très difficile d'essayer de débrouiller tous ces facteurs.
Mme Augustine: Je vous remercie de votre exposé. Je l'ai trouvé particulièrement instructif et il y a ici un certain nombre de renseignements qui, je l'espère, pourront nous être utiles à un moment donné au cours d'autres discussions. J'ai simplement une petite question à vous poser.
Du point de vue de la stratégie nationale sur les drogues, qui porte à la fois sur l'offre et sur la demande, et compte tenu des caractéristiques des personnes qui se retrouvent dans le système carcéral et des discussions que nous avons eues cet après-midi, imaginons un instant comment s'insère l'objectif de tolérance zéro pour ce qui est de la façon dont le système se penche sur la demande et sur le besoin d'un individu d'utiliser certaines substances ou d'en abuser.
Comm. Edwards: Laissez-moi commencer, et je demanderai ensuite à mes collègues de vous dire ce qu'ils en pensent.
Il est très difficile pour la plupart des gens de vivre en prison. Une fois qu'il en ont pris l'habitude, il est vraisemblable qu'ils vont y revenir de toute façon. Certains d'entre eux se sont tellement adaptés à l'univers de la prison qu'ils y reviennent très vite une fois qu'ils en sont sortis.
Pour la plupart des gens, c'est très difficile, et ces derniers cherchent à s'échapper de leur univers. Ils s'échapperont par le travail ou par un autre type d'activité. C'est peut-être grâce à une activité qui les passionnera. Ils peuvent découvrir ou redécouvrir la foi grâce à l'action des aumôniers ou des anciens chez les autochtones. Il peut s'agir de toutes sortes de choses. Certains détenus peuvent se passionner pour les poids et haltères et finissent par avoir une forme extraordinaire. C'est une façon pour eux de surmonter les difficultés de la vie à l'intérieur de l'établissement. Un grand nombre de détenus s'efforcent d'améliorer leur niveau d'instruction et se mettent à étudier de façon à avoir quelque chose à faire qui les intéresse.
Toutefois, lorsqu'ils restent seuls avec eux-mêmes ou lorsqu'ils ne réussissent pas à trouver un dérivatif, je crois qu'ils ressentent fortement les pressions et la tension et qu'ils cherchent à échapper à leur univers. Ils s'efforceront de mettre la main sur de l'alcool, sur un cachet de valium ou sur certaines drogues douces ou dures, qu'ils ont eu l'habitude de prendre par le passé. Il y a donc une demande à l'intérieur de l'établissement, et, chaque fois qu'il y a une demande, les économistes nous disent qu'il y a une offre ou une tentative d'offre.
Que se passe-t-il alors? Disons qu'une visiteuse vienne voir son fils. Son fils n'est pas nécessairement un toxicomane, mais d'autres détenus peuvent exercer des pressions sur lui en le menançant physiquement, ou autrement, pour que sa mère lui fasse passer de la drogue. Il peut s'agir aussi de quelqu'un à qui l'on vient rendre visite et qui est habitué à trafiquer ou à utiliser de la drogue et qui fait pression sur son visiteur. Nous avons eu de bien tristes cas où des bébés étaient amenés à la visite et où l'on retrouvait des drogues dans leurs couches ou dans leur corps, dont les gens avaient abusé en insérant des drogues dans les différents orifices pour essayer d'échapper aux contrôles.
La vie n'est pas drôle en prison. Tout ce que je peux dire, c'est qu'un grand nombre de ces détenus, à moins qu'ils ne réussissent à changer de système de valeurs pendant qu'ils sont incarcérés, vont vraisemblablement récidiver une fois sortis de prison.
L'espoir, pour plusieurs d'entre nous, c'est qu'ils changent de système de valeurs, qu'ils bénéficient d'un certain appui dans leur famille, qu'ils trouvent un emploi. S'ils ont besoin d'un traitement pour éviter de récidiver, ils peuvent l'obtenir après leur sortie de prison. Toutefois, s'ils sortent sans avoir changé de système de valeurs, sans être bien appuyés par leur famille, ils deviennent isolés et aliénés parce qu'ils n'ont pas d'emploi, parce qu'ils doivent vivre du bien-être, etc., et ils vont probablement se remettre à fréquenter leurs anciennes connaissances, ce qui les amène à récidiver.
Les drogues entrent dans les établissements. L'offre se fait de toutes les manières. Certaines de nos prisons entourées de murs, notamment celles qui se trouvent dans les villes, ont un sentier pour piétons sur le pourtour, et lorsque personne ne le regarde un passant peut jeter quelque chose par-dessus le mur à un endroit donné. Un détenu s'efforcera de recueillir ce paquet, de le cacher, de l'utiliser, de trafiquer son contenu, etc.
Irving, vous avez 25 ans d'expérience au sujet de ce monde. Avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Kulik: Vous venez de vous exprimer avec tant de passion que c'est inutile que j'ajoute quoi que ce soit.
Mme Augustine: J'ai mal formulé ma question, mais je pensais plutôt à quelqu'un qui entre dans le système carcéral alors qu'il est toxicomane. Vous me dites qu'il y a une tolérance zéro. Cette personne a besoin d'être suivie immédiatement sur le plan médical ou d'une façon quelconque...
Nous avons entendu dire plus tôt qu'on ne fournit pas de la méthadone dans le système carcéral. Je me demandais simplement, compte tenu de la tolérance zéro, comment un toxicomane était pris en charge par le système.
Comm. Edwards: C'est une excellente question.
De manière générale - et là encore je demanderais à mes collègues s'ils peuvent nous fournir davantage de détails - les détenus qui nous sont confiés ne sortent pas directement de là. Ils ont été au préalable détenus. Ils ont subi un procès. Il y a déjà un certain temps qu'ils ont été reconnus coupables, et ils ont été détenus dans les établissements provinciaux avant de parvenir dans nos établissements.
Donc, s'ils ont des problèmes de dépendance aux drogues, ces problèmes auront été abordés avant qu'ils n'arrivent chez nous.
Mme Augustine: Les différentes étapes de la procédure judiciaire.
Comm. Edwards: Je pense que c'est vrai de manière générale.
Irving à nouveau, ou le docteur Roy.
M. Kulik: Si vous parlez de la dépendance vis-à-vis des drogues, je crois que c'est exact.
Il y a aussi un autre élément. Il est important de ne pas considérer la tolérance zéro comme une attitude punitive. Tout d'abord, on ne peut pas traiter qui prend activement de la drogue et lui faire subir un traitement contre la toxicomanie. Cela ne peut pas marcher. Il faut donc d'abord qu'il se débarrasse de ce problème.
Deuxièmement, la toxicomanie n'est pas à mon avis un problème isolé. Il s'insère généralement dans un certain nombre d'autres problèmes. Par conséquent, les programmes que nous cherchons à mettre en place ne traitent pas uniquement de la toxicomanie.
Dr Roy: Comme vient de vous le dire le commissaire, les gens sont bien entendu détenus pendant de nombreux mois au sein du réseau provincial, et c'est là que se fait la désintoxication. Donc, quand ils nous parviennnent, ils ne souffrent pas activement d'une dépendance.
Pour ce qui est du traitement de la toxicomanie, nous avons une multitude de programmes différents à des niveaux différents: primaire, secondaire et parfois tertiaire. Je pense donc que l'on prend bien en compte les besoins des détenus dans ce domaine.
La méthadone faisait partie d'un programme bien spécial, et je vous ai expliqué les raisons pour lesquelles nous l'avons abandonnée.
Comm. Edwards: Je pense que notre principal programme, en dehors de celui qui a trait au rattrapage scolaire, consiste à traiter la toxicomanie. Il est très onéreux.
[Français]
Le président suppléant (M. Ménard): Je crois que cela met fin à nos délibérations. Je vous remercie au nom des membres du Comité d'avoir accepté de nous rencontrer. Quant à nous, je nous rappelle que nous avons une rencontre mardi prochain, le 9 mai, à 15h30 à la pièce 701, Édifice de la Promenade. Avec votre permission, je mets fin aux travaux.
La séance est levée.