[Enregistrement électronique]
Le mercredi 6 décembre 1995
[Français]
Le président: Rebonjour à vous tous. Il me fait plaisir, à titre de président du Sous-comité sur le VIH/sida du Comité permanent de la santé de la Chambre des communes de vous accueillir aujourd'hui dans le cadre de notre table ronde nationale sur l'accès humanitaire aux médicaments de recherche.
Les membres du sous-comité et moi-même tenons à remercier sincèrement tous ceux et celles qui se sont déplacés pour participer à cette première séance de la table ronde.
[Traduction]
Avant que ne débute notre séance d'aujourd'hui portant sur l'accès aux médicaments de recherche pour des raisons humanitaires, j'aimerais vous rappeler brièvement la genèse du Sous-comité sur le VIH/SIDA.
[Français]
Notre sous-comité a été créé par le Comité permanent de la santé en novembre 1994, à la suite de l'accord unanime de tous les députés. Le mandat qui a été confié au sous-comité est le suivant: étudier la progression du VIH ainsi que la prévention, le traitement et le soutien des personnes atteintes du VIH/sida, entre autres l'incidence des facteurs reliés à la pauvreté et à la discrimination.
Lors de leur première réunion, les membres du sous-comité ont convenu d'examiner le rôle que joue le gouvernement fédéral dans la lutte contre le VIH/sida. Nous avons tenu plusieurs audiences publiques et nous avons entendu un grand nombre de témoins.
Je suis heureux de vous annoncer que le premier rapport du sous-comité, qui porte essentiellement sur la Stratégie nationale sur le sida, est maintenant complété et qu'il a été déposé plus tôt aujourd'hui à la Chambre des communes.
[Traduction]
Lors de leur première réunion, les membres du sous-comité ont également décidé d'examiner l'incidence négative de la pauvreté et de la discrimination sur les efforts de prévention du SIDA et de sensibilisation à ce problème de même que sur le traitement et le soutien accordés aux séropositifs et aux sidéens. Dans les mois à venir, le sous-comité compte d'ailleurs approfondir cette question.
[Français]
Par ailleurs, au cours de ses travaux, le sous-comité a été informé que l'accès humanitaire aux médicaments expérimentaux constituait un élément important dans le traitement des personnes séropositives, et c'est pour cette raison qu'il a décidé de mettre sur pied une table ronde nationale sur l'accès humanitaire aux médicaments de recherche.
Rappelons que l'accès humanitaire fait référence à la prestation d'un médicament qui n'a pas encore été approuvé par Santé Canada aux fins de commercialisation pour les personnes malades qui, en consultation avec leur médecin, estiment que ce traitement offre un certain espoir de leur sauver la vie, de recouvrer leur santé ou d'alléger leurs souffrances.
[Traduction]
L'accès aux médicaments de recherche pour des raisons humanitaires constitue donc une vaste et complexe question qui soulève des préoccupations et des interrogations de nature humanitaire, médicale et éthique au sujet de la réglementation pertinente et de la responsabilité des divers intervenants.
Notre objectif est de démêler ces questions complexes, de cerner les contraintes qui s'y rapportent en vue d'élargir l'accès aux médicaments d'urgence pour des raisons humanitaires de façon acceptable pour tous les intéressés.
[Français]
C'est pour ces raisons que la table ronde est organisée en cinq séances distinctes d'une demi-journée chacune.
Aujourd'hui, nous entamons le processus avec la séance d'ouverture, dont l'objectif est de connaître et de comprendre le point de vue des groupes les plus touchés par la question de l'accès humanitaire.
La séance de demain portera sur le processus de réglementation des médicaments, et l'accent sera mis sur l'impact des essais cliniques et de l'accès humanitaire à ce processus.
Les troisième et quatrième séances se dérouleront la semaine prochaine. Nous examinerons les questions d'éthique, de droit et de responsabilité vis-à-vis des patients, des médecins, des fabricants de produits pharmaceutiques et des gouvernements.
La cinquième et dernière séance se tiendra en février 1996 et elle visera à établir des consensus entre toutes les parties concernées par l'accès humanitaire aux médicaments de recherche.
[Traduction]
Aujourd'hui, nous nous proposons d'essayer de mieux comprendre les pooints de vues de ces intéressés.
L'une des questions qui se pose est de savoir si l'élargissement de l'accès des médicaments d'urgence pour des raisons humanitaires risque de compromettre la qualité des données recueillies lors d'essais cliniques. Les entraves à cet accès constituent aussi une autre question importante. Nous nous réjouissons à l'idée d'en apprendre davantage sur l'expérience d'autres pays dans ce domaine.
[Français]
J'espère que les participants réunis autour de cette table ronde pourront fournir des éléments de réponse à ces questions et à bien d'autres encore. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Sur ce, je vous cède la parole.
Voici la façon dont nous allons procéder aujourd'hui. Tous les participants de cet après-midi auront dix minutes. Les participants ont été divisés en trois groupes: le premier est composé de représentants des malades condamnés.
Nous avons avec nous Lise Pinault, coordonnatrice de COCQ-sida; James Shedden, coordonnateur de la Nova Scotia AIDS Coalition; Susan Conrad, qui témoigne à titre personnel; Ahmed Hassan, qui témoigne à titre personnel également; Pat Kelly, membre du Burlington Breast Cancer Support Group; Sharon Batt, membre du Canadian Breast Cancer Network; ainsi que Lorraine Parsons, membre de la section d'Ottawa de la Société canadienne de l'hémophilie.
Après cette période, il y aura une discussion et les membres du sous-comité pourront poser des questions.
Je tiens à vous dire qu'à 16 h 05 environ, les députés devront quitter pour aller voter à la Chambre des communes. Ce vote sera d'une durée d'environ 15 minutes. Il y aura un arrêt à ce moment-là et nous continuerons nos délibérations par la suite.
Donc, la parole est à Mme Lise Pinault, la coordonnatrice de CCOQ-sida. Madame Pinault.
Mme Lise Pinault (coordonnatrice, COCQ-sida, représentante des malades condamnés): Bonjour et merci pour cette invitation.
COCQ-sida est le regroupement des organismes communautaires et des maisons d'hébergement communautaires du Québec. Nous représentons l'ensemble des organismes, soit environ 35 groupes communautaires.
L'opinion que nous désirons vous présenter aujourd'hui est basée sur de nombreuses discussions que nous avons eues avec nos collègues des autres provinces, principalement les personnes atteintes du VIH/sida.
Ces réflexions sont en grande partie composées d'extraits de documents provenant d'activistes canadiens comme, par exemple, AIDS Action Now! de Toronto. L'accès humanitaire est un parallèle aux essais cliniques permettant à un plus grand nombre de personnes vivant avec le VIH/sida d'avoir accès à des médicaments en cours d'élaboration. Les compagnies de produits pharmaceutiques effectuent des essais cliniques principalement dans trois grandes villes canadiennes, Vancouver, Toronto et Montréal. Cela exclut donc toute possibilité pour une personne atteinte vivant en dehors de ces grands centres de participer à des essais cliniques.
Nous avons discuté de ce problème à plusieurs reprises avec certains représentants de compagnies de produits pharmaceutiques, et il semble que le coût et les difficultés de monitoring empêchent ces dernières d'étendre les essais.
Par contre, nous constatons que de plus en plus de personnes séropositives ou atteintes du sida retournent vers leur région d'origine. Ces deux constats ne font que renforcer l'idée qu'il devrait y avoir un volet humanitaire pour chaque essai clinique fait au Canada ou même ailleurs.
La réticence des compagnies de produits pharmaceutiques au développement de l'accès humanitaire tient à deux raisons principales sur lesquelles nous n'élaborerons pas, mais qui, je pense, sont assez logiques: le coût et la crainte d'avoir de la difficulté à recruter des volontaires pour les essais cliniques.
Nous croyons que la seule raison de participer à un essai thérapeutique devrait être l'altruisme, le don de soi pour la science afin d'aider à découvrir un traitement efficace. Lorsque la seule raison qui motive la participation d'une personne à un essai est de se procurer une nouvelle molécule, les résultats sont très souvent faussés. Cette personne abandonnera plus facilement si elle n'obtient pas les résultats escomptés.
Dans les cas d'essais avec la méthode en double aveugle, les patients vont souvent tout tenter pour découvrir s'ils prennent la vraie molécule ou un placebo. Ils le font en goûtant le comprimé d'un conjoint ou d'un ami. Si le comprimé n'a pas le même goût, ils vont aller en laboratoire pour faire évaluer ce que contient ce comprimé et ils vont parfois aussi fausser les doses, en prendre plus, en prendre moins, parce que leur intérêt n'est pas nécessairement l'essai clinique.
Il y a certains avantages à développer un accès humanitaire pour les compagnies de produits pharmaceutiques. Les volets humanitaires peuvent générer des données sur l'innocuité et l'efficacité d'un produit, données qui peuvent ensuite servir à étayer une demande d'approbation de mise en marché. Certaines compagnies ont effectué des vérifications qui démontrent que les données extraites de leurs volets humanitaires sont aussi fiables et précises que celles de leurs volets scientifiques.
Une demande d'approbation expéditive aura plus de chances d'être approuvée si le traitement a été administré sans danger à plusieurs milliers de personnes plutôt qu'à quelques centaines seulement.
Grâce à la mise sur pied de volets humanitaires, les participants aux essais seront motivés par le désir de faire progresser les connaissances scientifiques et non parce qu'il s'agit là du seul moyen d'avoir accès à un traitement.
En offrant un accès pour des raisons humanitaires, la compagnie s'acquitte de son obligation d'agir en bon citoyen, et cette attitude est source de bonnes dispositions et de bonnes relations publiques au sein de la communauté VIH. Ce comportement donnera probablement lieu à des ventes régulières et à des profits pour la compagnie.
Nous croyons que le gouvernement fédéral a le pouvoir de réglementer et d'obliger les compagnies à développer l'accès humanitaire lorsqu'elles sont rendues à la phase II des essais cliniques.
Le deuxième volet de ma présentation est une ébauche de lignes directrices sur lesquelles se sont entendus les activistes canadiens durant l'année 1994-1995.
Premièrement, toute compagnie devrait inclure dans un protocole de phase II ou de phase III une déclaration d'intention concernant l'accès, pour raisons humanitaires, à la molécule de recherche.
Cette déclaration devrait inclure l'information suivante: une évaluation de la demande au Canada relativement à cette molécule de recherche, depuis la date de la demande jusqu'à la date prévue de l'approbation de sa commercialisation, sur une base mensuelle ou trimestrielle; les dates à partir desquelles la compagnie aurait l'intention d'offrir la molécule par l'intermédiaire du programme d'accès au drogues de traitement d'urgence et du volet humanitaire de l'essai clinique; les critères d'admissibilité de l'accès humanitaire si la molécule ne devait pas être offerte à toute personne qui en fait la demande; et le prix que la compagnie se propose de demander si la molécule ne peut être offerte gratuitement aux patients.
Au moment de déterminer si l'accès proposé pour raisons humanitaires est raisonnable, la Direction générale de la protection de la santé pourrait demander de plus amples renseignements à la compagnie, sur une base confidentielle, notamment les particularités du procédé de production, ce qu'il en coûterait, par exemple, pour amorcer la production en prévision de la demande humanitaire anticipée, les raisons d'être motivant l'exclusion de certaines personnes, l'information sur laquelle la compagnie appuierait ses estimations de la demande et des détails concernant la capacité financière de la compagnie de répondre à la demande pour raisons humanitaires.
La DGPS pourrait refuser d'approuver l'essai de phase II ou de phase III si elle jugeait que la compagnie n'a pas fourni suffisamment d'information ou si elle n'était pas convaincue que la compagnie a l'intention d'offrir un accès humanitaire raisonnable à la drogue de recherche.
La DGPS pourrait tenir compte de tous les facteurs suivants au moment de déterminer si l'accès proposé, pour raisons humanitaires, est raisonnable: l'utilité éventuelle de la molécule afin de soulager la douleur, de prolonger la vie, d'améliorer la qualité de vie et de traiter ou de prévenir un état pathologique; les personnes qui n'ont pas réagi aux traitements traditionnels ou aux autres traitements ont-elles d'autres options à leur disposition; les prix fixés par la compagnie seraient-ils abordables; le coût de production de la drogue de recherche; et la capacité financière de la compagnie.
Si, au cours des essais cliniques, on a fait une modification matérielle de la demande en vue de la drogue de recherche en question, la Direction générale de la protection de la santé pourrait demander à la compagnie de déposer une déclaration d'intention révisée et réévaluée, humanitaire, etc.
Ensuite, on fait référence à certains règlements de la DGPS qui seront peut-être modifiés à la lumière des suggestions de demain. Donc je les fais à tout vent. On pourra toujours les réinclure sous une autre forme.
La Direction générale de la protection de la santé pourrait, aux termes du paragraphe (1), demander une déclaration de toute compagnie en train d'élaborer ou étudier une drogue de recherche à l'extérieur du pays.
La DGPS pourrait demander toute information pertinente supplémentaire, y compris l'information mentionnée au premier paragraphe. Si la DGPS ne recevait pas l'information appropriée ou si elle n'était pas convaincue que la compagnie avait l'intention d'offrir l'accès humanitaire, elle pourrait révoquer le permis ou révoquer le brevet relatif à tout traitement.
Ce sont nos recommandations. Ce n'est pas très élaboré. Je pense que mes collègues pourront aller un peu plus loin. Merci.
Le président: Merci beaucoup, madame Pinault. Nous allons maintenant céder la parole àM. James Shedden.
[Traduction]
M. Shedden est coordonnateur de la Nova Scotia AIDS Coalition.
M. James Shedden (coordonnateur, Nova Scotia AIDS Coalition): J'aimerais d'abord profiter de l'occasion pour remercier le sous-comité de m'avoir invité à participer à cette table ronde nationale. Compte tenu du fait que le SIDA peut être considéré comme une maladie catastrophique parfois source de division, je trouve gratifiant, à titre d'intervenant communautaire, d'être invité à participer à cette discussion.
Depuis près de dix ans, je participe de diverses façons, à la lutte contre le VIH et le SIDA. Comme d'innombrables autres personnes, des gens de mon milieu qui me sont chers sont morts de cette maladie qui continue chaque année de causer des souffrances indicibles à des milliers de personnes ainsi qu'à leurs familles et à leurs amis.
Depuis quatre ans, je travaille pour la AIDS Coalition of Nova Scotia, organisme de services communautaires de lutte contre le SIDA qui est partiellement financé par le Programme d'action communautaire contre le SIDA. Je suis notamment responsable de la coordination et de la diffusion de l'information relative au traitement concernant le VIH et le SIDA auprès des personnes atteintes ainsi que de ceux qui leur dispensent des soins, dont les médecins. Il s'agit de leur fournir de l'information fiable, compréhensible et à jour sur les traitements qui s'offrent aux séropositifs et aux sidéens.
À l'automne de 1994, j'ai mis la dernière main à une grille d'évaluation des besoins intitulée «Taking The Next Steps», dont l'objet était de recueillir de l'information sur les besoins précis des séropositifs et des sidéens de l'Atlantique en matière de traitement. Je n'étonnerai sûrement personne en disant que relativement peu de séropositifs étaient bien renseignés au sujet des essais cliniques menés dans l'Atlantique.
Pour les gens avec lesquels je travaille et avec qui j'ai discuté de la question, les traitements médicaux de recherche sont un luxe auxquels ils ne peuvent songer qu'après avoir satisfait leurs besoins élémantaires. Pour les séropositifs et les sidéens de ma région, il s'agit rarement d'un luxe qu'ils peuvent se permettre.
Ceux d'entre eux qui veulent participer à des essais cliniques et qui désirent obtenir les traitements médicaux les plus avancés ainsi que les médicaments de pointe doivent néanmoins surmonter un certain nombre d'obstacles.
Comme le temps presse, j'aimerais que la discussion d'aujourd'hui permette de cerner les besoins les plus urgents des gens en matière d'information au sujet des traitements expérimentaux. Le besoin le plus urgent concerne l'accessibilité.
Depuis toujours, l'Atlantique est une région qui a du mal à se faire reconnaître et à obtenir l'aide dont elle a besoin. Tant les gouvernements que l'industrie privée se sont jusqu'ici très peu préoccupés de ces besoins et lui ont alloué peu de ressources. La même chose vaut pour l'intérêt qui lui a été manifesté par les fabricants pharmaceutiques. Comme les provinces atlantiques se composent de petites localités rurales, il en découle que les fabricants pharmaceutiques considèrent que leurs activités dans cette région représentent un coût inutile et que les modestes budgets des hôpitaux et des organismes de lutte contre le SIDA ne suffisent pas.
Des difficultés se posent également à eux pour ce qui est des déplacements, du logement et des soins de garde. Qui plus est, encore moins de gens qui voudraient participer aux essais cliniques le font parce qu'ils ne peuvent pas supporter de faire la navette constamment entre leur lieu de résidence en milieu rural et les quelques centres urbains où se trouvent des cliniques de traitement des maladies infectieuses ou des centres d'essais cliniques.
Étant donné que moins de gens participent aux essais cliniques dans l'Atlantique que dans le reste du pays, les entreprises pharmaceutiques, pour ne donner qu'un exemple, considèrent qu'il n'est pas rentable pour elles de mener certains essais cliniques dans l'Atlantique et préfèrent le faire dans des grands centres comme Toronto et Vancouver où plus de sidéens les réclament. Ainsi les hôpitaux et les centres d'essais cliniques font participer un plus grand nombre de personnes à ces essais dans ces villes.
À Halifax, l'attente minimale pour recevoir des services médicaux spécialisés dans une clinique de maladie infectieuse est de deux mois. Un séropositif qui voudrait participer à des essais cliniques peut cependant y avoir accès immédiatement. C'est une décision qui est difficile à prendre pour quelqu'un qui vient d'apprendre qu'il est séropositif ou atteint du SIDA.
La question de l'accessibilité se pose aussi de façon différente selon le groupe auquel on appartient. Lors des essais cliniques, soit on ne tient pas compte des besoins particuliers des femmes, des gens de couleur, des malades en phase terminale ou des homosexuels, soit on ne le fait pas de façon adéquate. À titre d'exemple, on demande aux femmes qui participent à un essai clinique d'adopter deux ou trois méthodes de contrôle des naissances.
J'y ai fait brièvement allusion, mais je n'ai pas suffisamment insisté sur l'importance de la question financière pour les séropositifs et les sidéens de l'Atlantique. La situation n'est pas propre aux quatre provinces de l'Atlantique, mais elle y est néanmoins de plus en plus grave.
Comme de plus en plus de centres de santé du pays doivent réduire leurs activités ou se voient imposer des réductions budgétaires, les séropositifs et les sidéens ont de plus en plus de mal à obtenir des soins médicaux adéquats ou des soins de pointe. Les séropositifs et les sidéens acceptent de remplacer les soins primaires par des traitements médicaux de recherche parce qu'on ne leur assure pas l'accès aux spécialistes et aux installations auquel ils auraient normalement droit.
Les militants reconnaissent depuis quelques années que le programme de l'accès aux essais cliniques pour des raisons humanitaires ainsi que les droits des malades condamnés ont évolué.
Mentionnons, à titre d'exemple, l'étude sur le saquinavir dont on a fait grand cas. Les personnes souhaitant participer à cet essai clinique ont été choisies par loterie. Il a été difficile d'obtenir de l'information au sujet de cette loterie. Ceux qui veulent obtenir ce médicament s'inscrivent à la loterie et même lorsque leur nom est choisi, ils ne reçoivent pas nécessairement le médicament. Certaines personnes de ma région n'ont pas encore reçu le médicament alors qu'on le leur avait promis.
Grâce à ces efforts, le Réseau des essais cliniques a contribué à mieux répartir les essais cliniques dans l'ensemble du Canada, mais cette répartition n'est toujours pas équitable. Mal connu dans notre région, le réseau n'a pas un budget suffisant pour s'occuper de l'énorme quantité de documents qu'il faut remplir pour qu'une personne puisse participer aux essais. Par conséquent, les candidats à ces essais doivent s'efforcer eux-mêmes d'obtenir le plus d'information possible au sujet des essais et ce sont les infirmières des centres visés qui doivent remplir les formulaires à leur intention. Étant donné le stress que ressent une personne qui vient d'apprendre qu'elle est séropositive, ces considérations d'ordre financier ne font qu'ajouter à sa détresse.
Ceux qui parmi nous oeuvrent auprès des sidéens constatent un rétrécissement des options et des services qui leur sont offerts ainsi qu'une érosion de leurs droits et libertés fondamentales. On ne peut certainement pas parler d'accès pour des raisons humanitaires. Comme le disait l'un des malades auquel j'ai parlé, on ne fait que tenir en otage des gens qui désirent avoir accès à certains types de soins médicaux.
Parlons un instant des droits des particuliers. Le Canada est un pays qui incite ses citoyens à exercer leurs droits dont l'un consiste à décider eux-mêmes de la façon dont ils mèneront leur vie. Le mouvement d'aide au sidéens repose aussi sur le principe de la responsabilisation, c'est-à-dire en la capacité qu'ont les gens de prendre en main leur destinée.
Ceux d'entre nous qui oeuvrons dans ce mouvement ont trouvé une source d'inspiration auprès de nombreux séropositifs qui ont décidé de prendre en main leur destinée et de vivre pleinement leur vie avec fierté et indépendance malgré la terrible maladie dont ils sont affligés.
Or, le principe de la responsabilisation en prend un coup lorsqu'on songe à la difficulté qu'ont les sidéens à exprimer leurs désirs quant aux soins de santé qu'ils souhaitent recevoir. Les médecins nous ont habitué à s'en remettre à eux pour ce qui est des décisions qui concernent notre santé. Je suis continuellement étonné en lisant des documents sur le VIH et le SIDA de voir quelle terminologie on utilise pour parler du sort d'un séropositif et des sidéens.
Les fabricants pharmaceutiques et les gouvernements craignent que les séropositifs décident de ne pas participer aux essais cliniques pour des raisons humanitaires. La raison pour laquelle on participe à un essai clinique est très complexe. Si certains y participent pour avoir accès à des soins de haute qualité, la plupart des séropositifs et des sidéens le font pour des raisons personnelles et notamment parce qu'ils espèrent qu'en s'offrant eux-mêmes ainsi volontairement à l'expérimentation - l'une des rares choses dont ils sont capables dans leur état - , ils amélioreront le sort des autres.
L'est du Canada accuse un énorme retard sur le reste du pays pour ce qui est des traitements réservés aux séropositifs et aux sidéens et de l'accès à l'informations. Ces personnes ont besoin d'avoir accès à plus d'information et de ressources pour prendre des décisions éclairées au sujet de leurs soins de santé et pour prendre conscience de leurs droits à titre de malades condamnés.
À titre d'intervenant communautaire dans le domaine de la lutte contre le SIDA, j'implore tous ceux qui participent à cette table ronde de reconnaître le droit des séropositifs et des sidéens à l'accès au traitement qu'ils souhaitent recevoir et à recommander un accroissement des efforts de sensibilisation ainsi que l'affectation de ressources aux organismes communautaires et aux intervenants du domaine de la santé.
Voici donc les recommandations que j'aimerais vous soumettre.
Nous devons collaborer avec les gouvernements et les fabricants pharmaceutiques afin de trouver des moyens de permettre aux séropositifs et aux sidéens de vivre des vies productives et enrichissantes. Comme leurs vies sont en jeu, les séropositifs et les sidéens doivent être considérés comme d'importants intervenants dans le domaine. Je me réjouis de voir que les entreprises pharmaceutiques et les militants de la lutte contre le SIDA sont parvenus à des compromis qui sont bénéfiques pour de nombreuses personnes.
Les entreprises pharmaceutiques et les gouvernements doivent reconnaître les besoins des diverses régions du Canada et formuler des politiques et des procédures assurant aux séropositifs et aux sidéens des soins de santé de haut calibre où qu'ils vivent au pays.
Garantir une certaine répartition géographique des nouveaux médicaments et thérapies.
Assurer la tenue d'essais communautaires dans tout le pays. Ce genre d'essais suscitent de l'intérêt dans l'est du Canada, mais nous n'avons cependant pas eu l'occasion d'explorer ces options.
Le fait que je ne puisse pas vous apprendre quoi que ce soit de nouveau aujourd'hui et que je ne puisse pas vous éclairer davantage sur cette question m'attriste beaucoup. Depuis un certain temps déjà, les militants de la lutte contre le SIDA attirent votre attention sur le fait qu'il faut élargir à l'intention de tous les séropositifs et sidéens l'accès à l'information, aux ressources, aux essais cliniques ainsi qu'aux médicaments de recherche pour des raisons humanitaires.
Les droits individuelles des sidéens priment et devancent largement les projets des fabricants pharmaceutiques et la réduction des services publics élémentaires.
Merci.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Shedden.
Nous allons nour arrêter ici car nous devons aller voter dans une minute et demie environ. Nous reviendrons dans une quinzaine de minutes.
[Français]
La séance est levée jusqu'à notre retour du vote. Merci.
Le président: Le sous-comité sur le VIH/sida reprend ses travaux. La parole est maintenant à
[Traduction]
Susan Conrad, vous avez la parole. Il s'agit d'un témoignage à titre personnel.
Mme Susan Conrad (témoignage à titre personnel): Comme j'utilise un microphone différent, j'espère que vous pouvez tous m'entendre.
Je suis avocate spécialiste des droits de la personne et j'ai appris que j'étais atteinte de la sclérose amyotrophique latérale (SAL) deux mois après avoir été admise au barreau de l'Ontario au printemps 1988. Depuis lors, j'oeuvre dans le domaine de la défense des droits des patients, des droits de la personne, de la capacité et du consentement. Je m'intéresse tout particulièrement aux questions médicales et éthiques auxquelles sont confrontés les adultes qui se trouvent dans une position vulnérable. Depuis trois ans, j'occupe le poste d'analyste principale de politiques à l'Ontario Advocacy Commission. Je me fonde donc sur mes antécédents, mes connaissances, mes compétences et mon expérience pour formuler les observations suivantes.
Toute discussion portant sur le système de réglementation des médicaments doit avoir pour point de départ les raisons sur lesquelles s'appuie la politique publique. Si l'État décide de s'immiscer, au niveau fédéral, dans la vie des citoyens privés ou celle des entreprises du secteur privé, il doit le faire pour des raisons évidentes et incontournables. Il est généralement admis que c'est au gouvernement fédéral qu'il incombe avant tout d'assurer l'efficacité et l'innocuité des médicaments homologués.
Le système canadien actuel d'homologation des médicaments fonctionne bien et repose sur les normes les plus élevées pour ce qui est des essais cliniques ainsi que sur l'information la plus claire et la plus exacte possible sur les produits. Le principal reproche qu'on puisse faire au système actuel, c'est qu'un très long laps de temps s'écoule entre le moment où un médicament est découvert et celui où il est finalement homologué. Les fabricants pharmaceutiques doivent investir des sommes énormes dans la recherche et le développement, les essais, l'analyse des données, l'établissement de rapports et les préparatifs en vue de la production en série de nouveaux médicaments.
Du point de vue de l'intérêt général, ces mesures de contrôle sont à la fois rassurantes et nécessaires. Tant qu'une maladie terminale demeure une abstraction, on considère que les échéances en matière de recherche et d'homologation des médicaments sont adéquates.
Or, les condamnés voient les choses autrement. C'est la question suivante qui résume le mieux l'observation que j'ai le plus souvent entendue de la part de ceux qui se trouvent dans cette position. Est-il acceptable de sacrifier les besoins de ceux qui sont atteints d'une maladie grave pour le bien de ceux qui en seront éventuellement atteints à l'avenir? Si on répond par l'affirmative à cette question, ces audiences sont inutiles. Si la réponse à cette question n'est pas claire, il devient nécessaire d'étudier tous les aspects de la question avec un esprit ouvert.
Les fabricants de médicaments n'ont pas le monopole de la vérité tout comme ceux qui gagnent leur vie à étudier les questions éthiques n'ont pas le monopole de la moralité pas plus d'ailleurs que les patients n'ont le monopole de la vertu.
Lorsque Woodward et Bernstein ont commencé à étudier les faits entourant l'affaire qui est devenue celle du Watergate, une source anonyme leur a donné un conseil précieux. Cette source leur a dit de suivre la trace de l'argent. La question de l'efficacité et de l'innocuité des médicaments homologués repose en bout de ligne sur des considérations financières. Pendant que vous écouterez tous ceux qui participeront à cette discussion, je vous incite à vous demander si toutes les raisons qui sont données à l'appui du maintien du système actuel sont également valables et nécessaires. Il faudrait se demander s'il est possible de protéger le système de recherche de nouveaux médicaments et l'intérêt général sans sacrifier les malades.
Même si chaque maladie est un cas d'espèce, ce que toutes ces maladies ont en commun, c'est que ceux qui en sont atteints savent que le temps est leur ennemi. Il est dans l'intérêt des Canadiens qui sont en bonne santé que les nouveaux médicaments fassent l'objet d'essais prolongés, l'objectif étant d'empêcher la commercialisation de produits qui présenteraient des risques.
Les personnes atteintes de maladies terminales évaluent nécessairement autrement les avantages et les risques des essais. Trois possibilités s'offrent au sujet d'un médicament non éprouvé. Il peut améliorer l'état du patient, empirer celui-ci ou n'avoir aucun effet. Il serait illogique pour la personne en bonne santé d'essayer un médicament dans ces conditions.
La différence essentielle entre le grand public et les condamnés, c'est que, pour ces derniers, le fait de ne rien faire correspond à une probabilité de décès de 100 p. cent. Dans une telle perspective, la probabilité de 33 p. cent est raisonnable en termes de l'analyse avantages-coûts. Il est dangereux de supposer que ceux qui sont atteints d'une maladie grave sont, de ce fait, incapables d'envisager les avantages et les risques de façon rationnelle. Les personnes malades ne risquent pas plus que d'autres de se comporter de façon irrationnelle.
Une probabilité de 33 p. 100 de détérioration de la santé résultant du fait d'avoir pris un médicament est beaucoup moins intimidante pour quiconque a été laissé pour compte par le système médical. Vous devez résister à la tentation de supposer que les condamnés ne connaissent pas leurs intérêts et doivent donc être protégés des décisions qu'ils prendraient eux-mêmes. Nous vivons dans un pays où tout adulte dont les aptitudes intellectuelles sont normales a le droit de faire les choix fondamentaux qui touchent sa vie, et ce même dans des cas où d'autres ne sont pas d'accord.
Il faut au Canada une politique réaliste en matière d'accès humanitaire aux médicaments puisqu'il compte aujourd'hui des milliers de personnes qui sont plus malades qu'elles ne devraient l'être. Une telle situation est directement attribuable à un régime d'homologation des médicaments qui n'a pas été conçu en fonction de situations où la dimension temporelle est critique. Il est commun pour les universitaires et d'autres de justifier le sacrifice des malades pour le bien des personnes en bonne santé. Voilà une autre attitude dangereuse, du fait qu'elle crée une hiérarchie de valeur parmi les citoyens.
Lorsqu'un fabricant décide d'accorder l'accès à un nouveau médicament pour des raisons humanitaires, le système fonctionne rondement. Le problème se pose lorsqu'un fabricant décide pour quelque raison que ce soit de dire non. À l'heure actuelle, le patient n'a aucun recours et le fabricant n'est aucunement tenu de fournir une justification. Nous sommes tous bien au courant des initiatives de patients qui cherchent à attirer l'attention sur des cas où, d'après eux, le fabricant se comporte de façon contestable. Les médias ne manquent pas de rapporter les occupations de locaux, les grèves de la faim ou les boycotts. Or, en matière de résolution de problèmes, la méthode de l'affrontement est toujours source de tension et occasionne habituellement un épuisement aussi bien physique que mental. Dans bien des cas, elle n'est fructueuse ni par rapport au problème immédiat, ni par rapport aux enjeux plus fondamentaux.
L'accès humanitaire est-il compatible avec une évaluation efficace des médicaments? J'estime qu'il nous faut réévaluer la pertinence de la méthode à double insu comme principal outil de recherche dans le cas des maladies invalidantes. Il convient que les milieux universitaires et scientifiques, en consultation avec les experts des questions éthiques et juridiques, aussi bien que les représentants des patients, discutent de l'adoption d'un nouveau protocole d'essais.
Puisqu'il s'agit d'une question fort complexe, il sera nécessaire d'y consacrer du temps et des ressources considérables. Entre-temps, quelle que soit l'issue du débat concernant l'universalité de la méthode d'essai des médicaments à double insu, je tiens à vous demander d'évaluer la possibilité de modifier l'article C.08.009 du Règlement de la Loi sur les aliments et drogues. Cette disposition prévoit un examen objectif au cas par cas, dans les situations où le fabricant consent à l'accès humanitaire alors que l'autorité provinciale n'est pas d'accord.
Un tel examen vise à déterminer si l'accès a été refusé de façon arbitraire. L'examen est fondé sur les principes du droit administratif que sont la justice naturelle et l'équité en matière de procédure. Pour ce qui est de justifier tout refus d'envisager la possibilité d'un accès humanitaire, le fait de demander au fabricant de respecter les mêmes exigences que le gouvernement fédéral ne devrait pas lui causer un préjudice indu.
À l'heure actuelle, il semble que les fabricants de médicaments ne soient pas obligés de rendre compte des décisions qu'ils prennent avant l'approbation d'une demande officielle d'autorisation dans la mesure où ils fondent leur décision sur l'importance du maintien de la méthode à double insu. L'objectif de toute évaluation des médicaments consiste à répondre aux besoins des personnes qui sont malades. Si les essais à double insu répondent aux besoins des personnes en bonne santé aux dépens de celles qui ne le sont pas, alors ce genre d'essai est nécessairement nuisible à toute personne condamnée.
Notre politique d'accès aux médicaments pour des raisons humanitaires peut et doit prévenir tout abus et tout arbitraire. En modifiant les dispositions pertinentes de la Loi sur les aliments et drogues, on ferait un pas dans la bonne direction pour relever le défi que pose la maladie invalidante. Comme autre possibilité, on pourrait exiger de tout demandeur de permis qu'il apporte la preuve qu'il s'est efforcé d'accorder la possibilité d'accès pour des raisons humanitaires.
Bon nombre de fabricants soutiennent que l'accès humanitaire ne peut être accordé en dehors du cadre d'études sur les médicaments puisqu'il serait contraire à l'équité et à l'éthique de fournir un médicament expérimental à certaines personnes sans le fournir à tous. Ceux qui avancent un tel argument semblent ignorer que le fait de dire qu'il est injuste et contraire à l'éthique d'offrir un médicament à certaines personnes sans l'offrir à tous implique nécessairement que tout essai à double insu portant sur un médicament va à l'encontre de l'éthique et de l'équité. Si les personnes qui participent à des essais à double insu estiment qu'ils sont équitables et raisonnables, alors rien ne devrait les inciter à abandonner, que le médicament soit rendu disponible pour des raisons humanitaires ou non.
De la même manière, si ceux qui ont la responsabilité d'administrer les essais sont convaincus que les essais à double insu sont équitables et raisonnables lorsqu'un malade est condamné, alors ils ne devraient avoir aucune raison de douter de la collaboration assidue des participants.
La possibilité d'accès humanitaire pourrait être accordée à des personnes qui ne correspondent pas aux critères d'admissibilité aux essais de médicaments. Même si des résultats concluants ne sont disponibles que dans un an, trois ans ou davantage, il se peut que les données résultant des essais ne s'appliquent pas aux personnes qui ne correspondent pas aux critères d'admissibilité définis. Il n'est pas évident qu'un compromis pratique soit possible à l'avantage des personnes qui ne sont pas visées par les études tout en y étant admissibles.
Compte tenu de la nature même de ce genre de maladie, il est critique que toute tentative d'intervention médicale soit faite en temps opportun. À moins qu'on ne leur accorde la possibilité d'accès humanitaire, les personnes qui ne correspondent pas aux paramètres des études se trouveront ni plus ni moins abandonnées. Une telle possibilité ne compromettrait pas la viabilité d'essais de médicaments de qualité élevée. Les médicaments seraient disponibles au cas par cas seulement pour des personnes ne pouvant participer aux études actuelles. Dans de tels cas, le consentement éclairé et l'abandon de recours doivent être obligatoires.
Et que dire maintenant du risque de créer de faux espoirs? Lorsqu'il est question de maladie invalidante, certains ne manquent pas de souligner que le fait de consentir à l'accès humanitaire risque de susciter de faux espoirs. Voilà un argument qui est non seulement teinté d'arrogance mais aussi profondément inquiétant. Il débouche d'ailleurs sur une question qui vient immédiatement à l'esprit. Ceux qui pensent que ce n'est pas par l'espoir qu'il convient de répondre à la maladie invalidante estiment-ils donc qu'il faut plutôt abandonner tout espoir? Si c'est bien là ce qu'ils croient, ils doivent implicitement être favorables à l'aide au suicide.
En règle générale, on ne dit pas aux gens qui ont le cancer, le sida ou une maladie cardiaque d'abandonner tout espoir, en dépit du fait qu'il n'existe, pour aucune de ces maladies, de traitements universellement reconnus qui soient efficaces. Il suffit de penser au nombre disproportionné de personnes atteintes de SLA qui revendiquent dans les médias et devant les tribunaux le droit de choisir le moment de leur mort pour voir où peut nous mener le fait de vouloir éteindre tout espoir chez ces personnes.
[Français]
Le vice-président (M. Ménard): Me permettez-vous de poser une question?
Est-ce que vous comptez lire votre texte jusqu'à la fin?
Jusqu'ici, nous avons été assez cléments. Cependant, je dois dire, par respect pour les autres témoins présents, que je crains qu'un déséquilibre s'installe dans le temps alloué. Si vous vouliez conclure en trois ou quatre minutes, nous pourrions ensuite donner la parole au prochain témoin.
L'important est de pouvoir profiter de l'occasion d'échanger qui nous est donnée.
[Traduction]
Mme Conrad: Il importe, je crois, de signaler qu'aucun fabricant ne peut se soustraire à la possibilité d'être poursuivi. Des poursuites sont intentées quotidiennement et rien ne permet de croire que les gens qui ont renoncé par écrit à tout recours seront moins susceptibles que d'autres d'intenter des poursuites. La meilleure façon pour une entreprise de se protéger consiste à agir de bonne foi en toutes choses et à fournir suffisamment d'informations au patient pour pouvoir prétendre qu'il a accordé son consentement en connaissance de cause.
Les sociétés pharmaceutiques réaliseront des bénéfices. Les chercheurs auront leur prix Nobel. Le gouvernement fera appliquer ses règlements. Il incombe au gouvernement fédéral de tout faire pour garantir aux personnes condamnées le droit de faire leurs propres choix et de disposer des renseignements et des ressources nécessaires à cet égard.
S'il n'existe aucune solution pratique apparente, je recommande fortement que toutes les parties intéressées s'engagent à solliciter les avis d'un médiateur d'expérience. Il existe diverses façons possibles de financer l'accès au médicament pour des raisons humanitaires. Ce qui importe, c'est que les intéressés s'engagent à prendre la responsabilité de chercher une solution.
[Français]
Le vice-président (M. Ménard): Il me reste à vous remercier. Ma courte expérience de parlementaire m'a toujours amené à constater que les avocats et les avocates ont quelquefois tendance à dépasser leur temps. J'imagine qu'il n'y a pas vraiment de lien avec les professions. Vous avez été très intéressante et on aura l'occasion d'échanger avec vous lors de la période de questions.
Pour lors, nous donnerons maintenant la parole à votre voisin, M. Ahmed Hassan, qui disposera de 10 à 12 minutes. Il ne s'agit pas d'être trop strict, mais retenez qu'il est important que les membres du sous-comité puissent poser des questions.
[Traduction]
M. Ahmed Hassan (témoignage à titre personnel): Merci de m'avoir invité à comparaître.
La cause de la sclérose en plaques n'est pas connue. Il s'agit, croit-on, d'une maladie auto-immunitaire où le système immunitaire attaque le système nerveux central et entraîne une démyélinisation du cerveau et des nerfs dans diverses parties du corps, ce qui perturbe la communication entre le cerveau et certaines parties du corps. Heureusement, cette maladie frappe rarement le système nerveux autonome, sans quoi elle serait fatale dans la majorité des cas.
J'ai pour ma part demandé de recevoir de la Linomide, un modulateur immunitaire. Il s'agit d'un médicament expérimental qui a été mis au point récemment pour traiter la sclérose en plaques. Ce médicament a pour effet d'empêcher le système immunitaire de démyéliniser le système nerveux. Il a été approuvé dans le cadre du Programme de distribution des médicaments d'urgence. Cependant, la société pharmaceutique qui le fabrique, Pharmacia Inc., a refusé de me le distribuer.
J'allais demander à la personne qui m'accompagne de lire pour moi, mais je crois que je vais tout simplement lire certaines déclarations de Gerry McCready et de Bruce Couper, deux personnes atteintes de sclérose en plaques dont les noms figurent au babillard électronique de la Société de la sclérose en plaques qui m'ont répondu lorsque j'ai demandé à tous ceux qui voulaient transmettre des avis sur la présente consultation de communiquer avec moi.
Je citerai tout d'abord Gerry McCready.
La plupart des personnes atteintes de sclérose en plaques sont extrêmement frustrées par la lenteur du système. La plupart des recherches neurologiques ne seront pas terminées avant que les gens ne prennent leur retraite et que nous soyons morts et enterrés. Lorsqu'un nouveau médicament est mis à l'essai, ceux qui souhaitent en prendre devraient pouvoir le faire.
Dans les milieux médicaux au Canada, on est souvent beaucoup trop timide. On ne se hasarde pas à tenter de nouveaux traitements selon le précepte médical qui veut qu'on évite de faire du tort. Toutefois, pendant ce temps-là, des personnes gravement handicapées voient leur état se détériorer et pourraient profiter d'un nouveau traitement que les médecins voudraient tout d'abord évaluer pendant cinq ou dix ans. Il nous faut des cycles d'évaluation plus courts.
Et ce ne sont pas là tout simplement des paroles en l'air. L'homologation récente au Canada de l'utilisation de la Betaseron, un médicament déjà disponible aux États-Unis depuis huit ans, nous prouve que le système est par trop conservateur. On a pu constater la même lenteur dans le processus de mise au point d'autres médicaments comme le COP-1, le Solumedrol, etc. Pendant ce temps, les handicapés doivent prendre leur mal en patience.
Pour ce qui est des actions - ou de l'inaction - de Pharmacia, j'aimerais vous communiquer diverses opinions que j'ai reçues.
Il se peut que Pharmacia craigne d'aller à l'encontre des normes des protocoles canadiens et américains en matière d'introduction de médicaments. La société évite ainsi de prendre le risque de se mettre à dos la confrérie médicale et sa sacro-sainte tradition, qui constitue évidemment sa clientèle pour l'avenir prévisible.
D'autres prétendent que Pharmacia n'avait pas tellement confiance en ses résultats de recherche, selon lesquels les résultats sont plus positifs que négatifs. La société craint peut-être que le fait de permettre que le médicament soit évalué autrement que dans un milieu contrôlé n'ouvre la porte à d'importantes poursuites si le patient à qui on l'administre réagit négativement.
Voilà la communication de Gerry McCready.
Maintenant, voici celle de Bruce Couper.
Lorsqu'on parle du Programme de distribution des médicaments d'urgence, retenons qu'il faut entendre par «urgence», une situation ou un événement inattendu qui exige une action immédiate. Il est facile de voir pourquoi les personnes atteintes du SIDA correspondent à une telle définition. Le fait d'être promis à une mort certaine à brève échéance correspond certainement aux critères de l'urgence. Et que dire des gens atteints de sclérose en plaques? Que dire de toutes ces petites morts auxquelles nous devons faire face? Que dire de ceux pour qui les pertes ont été ou vont être si lourdes et si dévastatrices qu'il leur faudra choisir la mort plutôt que d'être privés d'une qualité de vie qu'ils jugent indispensable? Que dire de ces gens atteints de sclérose en plaques qui vont tenir bon et combattre avec ardeur à mesure qu'ils perdront le contrôle? Que dire de leurs perspectives en matière de ce qu'on nomme si facilement sans trop y porter d'attention et sans savoir ce que cela implique: «la qualité de vie»?
Assurément, les personnes qui ont tant à perdre - trop, à vrai dire - doivent pouvoir prendre elles-mêmes les décisions qui les concernent, et assumer des risques que d'autres peuvent juger déraisonnables mais qui, pour elles, sont éminemment raisonnables.
Dans le cas du Limonide, les risques ne sont pas très grands, selon les résultats publiés à ce jour: dans le cadre l'essai effectué au ``Brigham Women's Hospital'' de Boston, au Massachusetts, on a constaté chez les patients traités au Limonide une stabilisation de l'état et une régression des lésions cérébrales alors que l'état des patients auxquels on avait administré un placebo s'est détérioré. Les deux effets secondaires les plus graves ont été la péricardite et une douleur articulaire apparentée à l'arthrite. La péricardite est une inflammation de l'enveloppe du coeur. Elle n'est pas mortelle et peut être traitée. Il se peut également que le patient chez qui a été constatée la péricardite en souffrait déjà.
Que le fabricant suédois Pharmacia ne veuille assumer aucune responsabilité est compréhensible. Mais on comprend moins bien cependant qu'il ne veuille pas envisager d'être dégagé de toute responsabilité s'il consentait à mettre le Limonide en circulation par le truchement du Programme de médicaments d'urgence. C'est peut-être parce qu'il ne connaît pas suffisamment le programme et n'est pas suffisamment sensibilisé au sentiment d'urgence qu'éprouvent un si grand nombre de personnes atteintes de sclérose en plaques.
Voilà la communication de Bruce Couper.
Voici maintenant ce que j'ai à vous dire, pour ma part.
Ma sclérose en plaques remonte, selon moi, à 1978, mais elle n'a été diagnostiquée qu'en 1987. Le parcours a été long et frustrant depuis les premiers symptômes jusqu'au diagnostic. Au moment de celui-ci, on m'a dit de rentrer chez moi et d'attendre le remède qui me guérirait. J'étais sidéré. Rentrer à la maison pour attendre quoi? Un téléphone, je suppose. On m'a dit qu'un remède serait sûrement trouvé de mon vivant.
Voici ce que j'ai perdu.
Fonction sexuelle: c'est à l'automne de 1979 que, pour la première fois, j'ai vécu des difficultés de fonctionnement sur le plan sexuel. Je les attribuais davantage à la nature des rapports entre moi et la personne avec qui j'étais.
L'histoire ne s'arrête pas là.
Incontinence: je travaillais comme accompagnateur à l'Université de New York à l'automne de 1982. J'étais à me préparer pour ma prochaine classe lorsque l'incontinence est survenue. Cela m'a tellement surpris que je ne savais pas du tout de quoi il s'agissait.
Et ça continue.
Trouble de la vue: en 1986, j'ai commencé à avoir des troubles de la vue à l'oeil droit. Je suis allé chez un optométriste passer un examen de la vue. Il n'a rien pu trouver. Il m'a dit que ma vue était parfaite.
Et ça continue.
Capacité ambulatoire: auparavant, j'étais un grand marcheur. La marche, pour moi, était une forme de divertissement. Comme premiers symptômes, j'ai ressenti un picotement à l'arrière des jambes, en 1978. J'ai pu marcher avec de plus en plus de difficultés, jusqu'en 1990, et vous pouvez voir où j'en suis maintenant. Vous voyez comment je me déplace.
Fonctions de motricité fine: j'ai choisi de faire carrière comme percussionniste et, tout comme pour la marche, mes capacités ont décliné de plus en plus, à tel point que j'ai dû cesser cette année d'agir comme accompagnateur pour des classes de danse. J'ai également renoncé à faire la cuisine, une activité qui me plaît beaucoup mais que je ne suis plus en mesure d'exercer. C'est trop dangereux. Les couteaux aiguisés, la chaleur des ronds de cuisinière - ce n'est plus pour moi. C'est trop dangereux. Et je ne suis plus en mesure d'écrire non plus.
J'avais l'habitude de travailler, mais je ne puis plus le faire. Le simple fait d'être ici aujourd'hui m'est très pénible et exigeant. Je mettrai longtemps à m'en remettre. Il se peut que je ne soit plus jamais en aussi bon état que je l'étais hier.
Les gens qui sont atteints de sclérose en plaques souhaitent être traités comme des adultes qui sont en mesure de réfléchir et de prendre des décisions face à une maladie invalidante. Nous sommes intelligents et nous sommes en mesure d'interpréter l'information. Nous voulons savoir tout ce qu'il faut savoir au sujet de tous les médicaments et non pas seulement les médicaments de recherche. Nous voulons être mis au courant des effets secondaires dont on ne parle pas. Nous voulons savoir également quelles sont les doses les plus efficaces et nous voulons suivre des traitements. Il est question ici de Linomide. Quelle est la dose efficace? Voilà ce que nous voulons savoir.
Le traitement pourrait être administré parallèlement aux essais à double insu auxquels sont soumis les gens qui consentent à y participer. Nous pourrions être contrôlés d'aussi près et fournir des renseignements additionnels sur les effets à long terme du médicament. À ma connaissance, c'est en raison d'un manque de renseignements sur les effets à long terme que Pharmacia, Santé Canada et la FDA n'autorisent pas encore ce médicament.
Bref, tout d'abord, s'il existe un médicament qui pourrait traiter la sclérose en plaques, je souhaite pouvoir décider si je veux le prendre, même s'il s'agit d'un médicament au stade expérimental.
Deuxièmement, je souhaite me faire administrer la dose qui donne les meilleurs résultats. Je pourrais faire l'objet des mêmes mesures de contrôle que lors d'essais cliniques.
Troisièmement, s'il s'agit de comprimés administrés par voie buccale, je serais celui qui prendrait le médicament dans sa main et qui l'introduirait dans sa bouche. Je serais la personne responsable des risques que j'assumerais en connaissance de cause.
Quatrièmement, les essais à double insu sont nécessaires et importants, mais tous les patients qui s'y soumettent doivent savoir qu'ils prennent peut-être un placebo. Pour ma part, je ne tiens pas à passer deux ans à prendre un placebo, à voir mon état se détériorer, simplement pour prouver que j'aurais dû prendre du Linomide durant tout ce temps-là. Les patients dont la maladie est plus avancée devraient pour le moins être autorisés à assumer le risque de prendre le médicament dans les essais en parallèle.
Dans le cas qui me concerne, le programme de médicaments d'urgence a été approuvé. Je me suis rendu jusqu'aux portes de la société pharmaceutique.
Merci beaucoup.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Hassan.
Nous allons maintenant passer à Mme Kelly, du «Burlington Breast Cancer Support Group».
Mme Pat Kelly (membre, «Burlington Breast Cancer Support Group»): Merci, et je tiens à remercier le comité de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui.
J'ai déposé auprès de la greffière une série d'articles rédigés par des femmes qui voulaient avoir accès à des médicaments - le Taxol et le Taxotere - à un moment où elles souffraient d'un cancer du sein métastatique.
Dans le mémoire que j'ai rédigé, j'ai choisi de mettre l'accent sur la nécessité de l'accès à des informations sur les médicaments pour des raisons humanitaires, puisqu'il s'agit pour moi d'une question prioritaire.
Au début des années soixante, une révolution dans les attitudes et les comportements des consommateurs a commencé à prendre beaucoup d'ampleur et à avoir de plus en plus d'influence. Des mouvements sociaux axés sur les droits de la personne - droits des femmes, droits des homosexuels, droits des consommateurs, droits de la personne en général - ont fait en sorte que les gens se sont intéressés de plus en plus aux questions d'ordre médical et à la prévention en matière de soins de santé. Ces diverses démarches ont contribué à structurer une nouvelle façon de penser et d'agir par rapport à notre santé et à accréditer l'idée selon laquelle nous pouvons être les maîtres de notre destin dans une certaine mesure.
Les revendications grandissantes des consommateurs en Amérique du Nord depuis les années soixante ont influé profondément sur notre société dans divers domaines, allant de la fabrication à la prestation des services, en passant par la politique gouvernementale.
Le mouvement canadien de lutte contre le sida a atteint sa masse critique lorsque les militants sont descendus dans la rue avec leurs compagnes ou compagnons et leurs familles et qu'ils ont réussi à obtenir du financement pour la recherche et la vulgarisation et pour soutenir leur cause d'une façon générale.
Je me souviens que, au milieu des années quatre-vingt, quand j'étais technologue en recherche à l'Université McMaster de Hamilton, j'ai admiré les militants du sida qui avaient réussi à convaincre le MRC de lancer une demande de propositions de recherche sur cette maladie.
Certains jeunes chercheurs voyaient là l'occasion d'occuper leur laboratoire et de garantir leur avenir et si les militants du sida ont atteint leurs objectifs dans une certaine mesure, c'est que les personnes touchées par cette maladie et ceux qui les soignaient et ceux qui se souciaient d'eux ont persévéré au point de devenir dérangeants et de refuser de mourir en silence.
Lorsqu'il a été confirmé par diagnostic en 1987 que j'étais atteinte du cancer du sein, j'ai été fâchée d'apprendre, de première main, qu'il n'existait au Canada aucun groupe, que le traitement n'avait pas évolué en 50 ans et, pire que tout le reste, que les gouvernements, les organismes de charité et de recherche qui étaient censés mener la lutte au cancer du sein se satisfaisaient du statu quo.
Devant l'exemple que me donnaient les militants canadiens dans le domaine du sida et devant le mouvement de lutte contre le cancer du sein qui voyait le jour aux États-Unis, je me suis dit que le changement était possible. Ma position s'étant radicalisée à la suite de ma maladie, j'ai décidé de prendre en main mon avenir et celui de mes filles.
Comme je cherchais des organismes de base fournissant des services de soutien et d'information qui pourraient me servir de modèles, j'ai découvert au Canada des groupes comme DES Action, le Réseau communautaire d'info-traitement sida, le «Consumer Health Information Service»; le «Health Sharing», et aux États-Unis le «Women's Health Collective» de Boston. Ces organismes ont été les premiers à fournir de l'information en matière de santé aux consommateurs pour leur permettre de décider par eux-mêmes de façon éclairée et leur permettre de jouer un rôle beaucoup plus actif auprès des professionnels de la santé.
Un modèle remarquable de services en matière d'information de santé axés sur le consommateur me semble être celui du CATIE, c'est-à-dire du Réseau communautaire d'info-traitement sida de Toronto, et celui de l'ATIS, ou Service d'information sur le traitement du sida, subventionné par le ministère de la Santé.
CATIE a pour objectifs principaux tout d'abord de fournir de l'information sur les diverses options en matière de soins de santé devant une infection à VIH et, deuxièmement, de suivre les différentes options et les méthodes de traitement et de les évaluer. Il existe de nombreux livres, revues, résumés, index, banques de données informatisées, babillards électroniques et services d'information qui permettent à des organismes et à des individus de diffuser de façon électronique et donc, très rapidement, de grandes quantités d'informations, même si cette information est complexe et change rapidement.
Il se trouve donc qu'aujourd'hui, les règlements gouvernementaux tentant de limiter l'accès à l'information sur les médicaments d'ordonnance ou sur les effets cliniques sont devenus inopérants devant la vague des consommateurs et leurs représentants armés de modems.
Autre preuve de cette inefficacité des règlements gouvernementaux: les annonces publicitaires visant directement les consommateurs qui ont commencé à paraître dans des quotidiens aussi vénérables que le The Globe and Mail. Prenez ces annonces qui sont formées de témoignages de patients sur l'efficacité d'une thérapie par médicament pour un jeune homme traité pour dépression, ou encore un encart illustré en couleur demandant aux utilisateurs d'inhaleurs de montrer leurs vraies couleurs, ou même l'annonce d'un nouveau traitement plus efficace contre la schizophrénie. Cela ne revient-il pas à contester directement les règlements du gouvernement?
Ces nouvelles formes de publicité illustrent bien la nouvelle tendance, à savoir celle du consommateur des années quatre-vingt-dix extrêmement instruit, averti et décidé à prendre sa vie en main, particulièrement s'il a une décision à prendre en matière de santé ou s'il est menacé par la maladie.
Prenez encore le cas du Prozac. Les consommateurs veulent des médicaments qui ne soignent pas nécessairement des maladies, mais qui leur apportent une certaine aisance en société, qui accentuent leur sens des affaires, qui leur donnent énergie, flexibilité et charme. Ils veulent mieux vivre en choisissant eux-mêmes leurs produits pharmaceutiques.
De surcroît, le gouvernement oblige de plus en plus les Canadiens à prendre en main leur propre santé individuelle et collective et à le faire à l'échelle de leurs collectivités. La réforme de notre réseau de soins de santé suppose que le consommateur soit de plus en plus averti au moment de prendre une décision. Toutefois, le consumérisme dans le domaine des services professionnels continue à faire problème, en partie parce que les consommateurs ont du mal à obtenir de l'information qui leur permette de faire un choix éclairé et leur permette de juger de la qualité des services offerts et de l'opportunité d'y avoir recours.
Le mouvement de protection du consommateur en matière de santé a élargi son mandat au cours des récentes années grâce aux activités de nombreux groupes, organismes et agences sociaux. En édifiant un réseau de consommateurs avertis et responsables, on pourrait avoir comme effet secondaire une meilleure utilisation des services de santé, de meilleurs soins et même une meilleure santé collective.
Il est possible de trouver beaucoup d'informations dans les textes diffusés commercialement, auprès des organismes bénévoles, des fabricants de produits pharmaceutiques et du gouvernement, mais il est difficile pour les consommateurs de se renseigner sur ces sources d'information pour pouvoir juger de leur qualité et il leur est aussi difficile de trouver les renseignements dont ils ont besoin sous une forme qui leur soit accessible et compréhensible.
Même si les bibliothèques ont pour mandat de fournir ce type d'information aux consommateurs, les bibliothèques des hôpitaux et des facultés de médecine ne desservent généralement pas les clients de l'extérieur; de plus, les bibliothèques publiques ont toujours hésité à fournir de l'information qui pourrait être considérée comme empiétant sur les plates-bandes des professions aussi puissantes que la médecine et le droit.
Cela pourrait expliquer le commentaire formulé par Mme Joanne Marshall, professeur adjoint à la Faculté des études de l'information à l'Université de Toronto, selon qui l'évolution des services d'information en matière de santé destinés aux consommateurs tirent nettement de l'arrière par rapport aux services destinés aux donneurs de soins.
Qu'en est-il du rôle du gouvernement fédéral dans la réglementation de l'industrie du médicament et, en bout de piste, du rôle que le gouvernement pourrait jouer dans la santé de ses citoyens consommateurs de médicaments? Il semblerait que la plupart des règlements du gouvernement soient inadéquats, inappropriés ou désuets.
Comme le disait Mme Juanne Clarke, professeur de sociologie et ancienne directrice du département à l'Université Sir Wilfrid Laurier à Waterloo en Ontario, dans un texte écrit en 1990 et intitulé «Health, Illness and Medicine in Canada»:
- Si strictes que puissent être les lois, le gouvernement ne peut garantir l'innocuité absolue d'un
médicament.
Par exemple, certains médicaments réagissent de façon négative lorsqu'ils sont absorbés en même temps que de l'alcool. Nous avons appris dans le rapport technique de l'enquête de 1988 sur la promotion de la santé que 82 p. 100 de tous les Canadiens consomment de l'alcool. De nombreux problèmes découlent de l'absorption combinée de médicaments et d'alcool, même si on ne le dit pas. De plus, un certain nombre de problèmes dus à la consommation de médicaments ou d'effets secondaires ne sont mis en lumière qu'après une utilisation à long terme. C'est ce qui explique entre autres raisons, que les règlements du gouvernement sur les médicaments soient inadéquats et qu'il est grand temps de rajeunir la loi.
Il existe aujourd'hui de nombreux facteurs qui contribuent à modifier de fond en comble la façon dont on fournit directement au consommateur de l'information sur les médicaments. Ces facteurs incluent notamment une masse critique de citoyens avertis, instruits et exigeants; un accès presque illimité et presque totalement libre à l'échange technologique de l'information; et une volonté politique de faire des consommateurs des actionnaires au sein de nouveaux partenariats plurisectoriels.
Puisque nous en sommes à établir la stratégie, il devient essentiel de se demander pourquoi le consommateur hésite depuis toujours à traiter directement avec l'industrie pharmaceutique.
Ces nouveaux consommateurs avertis sont bien au fait des scandales de la thalidomnde et du DES. Ils ont entendu parler de la vérification du rapport Grady sur l'innocuité du depo-provera et sont au courant du rapport de l'AMO sur le lien soupçonné entre le décès et l'utilisation des anti-inflammatoires non stéroïdiens.
Ces nouveaux consommateurs ont suivi avec intérêt la lutte qu'a déclenchée un pharmacien détaillant canadien contre l'une des grandes organisations caritatives du Canada, la Société d'arthrite, après avoir appris que cette Société avait formé un partenariat de collecte de fonds avec une entreprise vendant par correspondance des médicaments d'ordonnance.
Nous savons très bien que l'industrie des produits pharmaceutiques du Canada est l'une des industries les plus rentables au pays. Sa grande rentabilité et les pronostics de croissance soutenue due aux statistiques démographiques du Canada à long terme ne peuvent qu'étayer son optimisme.
Jusqu'à maintenant, l'industrie des produits pharmaceutiques a réussi à rester rentable en pratiquant des stratégies qui semblaient parfois aller à l'encontre des intérêts des consommateurs en matière de santé, notamment en éliminant toute concurrence des prix; en fabriquant des médicaments de marque plutôt que des produits génériques; en faisant une certaine distribution, ou plutôt le dumping comme on dit dans le tiers-monde, des médicaments; et enfin, en pratiquant une publicité et une promotion excessive qui incitent les médecins à prescrire certains médicaments plutôt que d'autres, en en exagérant l'efficacité ou en en minimisant le danger, ou en essayant de réduire la concurrence, ce qui représente au moins 20 p. 100 des revenus de vente.
Comme le laisse entendre Jim Harding dans «Health and Canadian Society», l'industrie pharmaceutique est une excroissance de l'industrie pétrochimique à nombreux visages qui produit pesticides, herbicides en engrais.
Les toxines produites par l'industrie pétrochimique ont été à l'origine de désastres pour la santé et pour l'environnement, et je pense aux toxines produites par la Union Carbide à Bhopal.
Mais en même temps, les consommateurs que nous sommes ont profité énormément des percées dans le traitement par médicaments et par vaccins utilisés pour contrôler et empêcher les maladies. La variole et la polio ne sont plus une menace pour nos enfants. Du côté du cancer, nous connaissons les progrès remarquables effectués dans le traitement de la douleur et de la nausée due à la chimiothérapie et dans le traitement de la leucémie infantile.
Il y a 25 ans, enfants et adolescents leucémiques avaient un taux de mortalité de 90 p. 100. Aujourd'hui, 90 p. 100 de ces enfants et adolescents peuvent s'attendre à recouvrer pleinement la santé grâce aux progrès des agents chimiothérapeutiques.
Ce qu'il nous faut maintenant, pour que les fabricants de médicaments forgent des liens déontologiques avec les nouveaux intervenants, ce sont des lignes directrices, telles que le code des pratiques de mise en marché élaboré à l'intention des professionnels des soins de santé.
Les directives proposées, qui se fonderaient sur des principes élaborés à l'échelle de la collectivité, formeraient un cadre à l'intention de l'Association canadienne de l'industrie des médicaments et de ses membres et serviraient à identifier pour elles la façon dont elles peuvent travailler de concert pour atteindre des objectifs communs.
En bref, ne sous-estimez pas la nouvelle génération de malades et de consommateurs de soins de santé. Nous sommes aux antipodes de ceux que vous avez connus il y a une décennie à peine. Nous nous attendons à vivre et nous voulons vivre. Au lieu de nous soumettre passivement ou même bravement à notre sort, nous avons décidé de nous battre avec acharnement pour vivre. Nous formons des groupes, exerçons des pressions auprès du gouvernement et devenons propriétaires et exploitants de techniques et de services d'information.
Si nous nous organisons, c'est parce que notre maladie nous pousse à devenir d'avides élèves; mais notre maladie nous menace aussi car elle limite notre capacité de comprendre et de raisonner de façon analytique. Voilà pourquoi la compétence et l'ingéniosité des groupes que nous formons joueront un rôle accru dans l'alimentation du mouvement des consommateurs de soins de santé.
Pour terminer, je citerai le poète politicien Vaclav Havel:
- L'espoir, c'est une orientation de l'esprit, une orientation du coeur. Ce n'est pas la conviction
que tout se passera bien, mais plutôt la certitude que c'est la seule chose à faire, peu importe
l'issue.
Les gouvernements, médecins, fabricants de médicaments, patients et groupes de défense des consommateurs ont tous pour rôle de vendre de l'espoir aux personnes vulnérables. Voilà pourquoi les décisions de politique publique doivent se fonder sur de bonnes données scientifiques et sur une action sociale empreinte de compassion.
Merci.
Le président: Merci beaucoup, madame Kelly.
Sharon Batt, à vous la parole.
Mme Sharon Batt (membre, «Canadian Breat Cancer Network»): Ninon Bourque, qui appartient aussi au réseau, est disposée comme moi à répondre à vos questions.
Le cancer du sein est une maladie invalidante. Bien plus de 5 000 Canadiennes et 40 Canadiens meurent chaque année du cancer du sein, et ce chiffre grimpe encore. Toutefois, ce ne sont pas toutes les femmes frappées du cancer du sein qui en mourront. Entre la moitié et les deux tiers des 17 700 Canadiens chez qui l'on aura diagnostiqué le cancer du sein mourront d'une autre maladie. Je n'ai actuellement aucun symptôme de la maladie et je ne suis pas en danger immédiat d'en mourir. Mais ma chance pourrait tourner dès demain, si le cancer se répandait ailleurs. Notre groupe est formé d'une grande proportion de femmes qui sont actuellement en santé et qui peuvent ou non le demeurer, et d'un nombre plus restreint mais néanmoins imposant de femmes qui en mourront.
La question du droit d'avoir accès pour des raisons humanitaires à certains médicaments est des plus pertinentes pour les femmes chez qui l'on a diagnostiqué des métastases, une atteinte généralisée des ganglions lymphatiques ou des tumeurs extrêmement envahissantes. Si l'on opte pour une définition plus étroite de maladie en phase terminale, et qu'on l'applique à un sous-groupe qui ne réagit plus positivement aux thérapies courantes, on exclut un grand nombre de femmes qui, contre toute espérance, demeurent actives en dépit de leur maladie, si avancée soit-elle.
Contrairement aux militants du sida, notre groupe n'a pas discuté à fond de l'éthique concernant l'accès pour des raisons humanitaires à certains médicaments et de ses conséquences sur les essais cliniques. Cela, sans doute parce que la plupart des traitements expérimentaux tout au long des années soixante-dix et quatre-vingt n'étaient que des variations de traitements par des produits toxiques courants qui n'avaient que peu d'avantages pour les femmes mourant du cancer du sein. La plupart du temps, on avait demandé d'avoir accès à des traitements de rechange comme l'Essiac ou le 714X. De plus, les femmes victimes du cancer du sein ont de tout temps gardé le silence. Les biens portantes voulaient croire qu'elles le demeureraient, et les malades ne connaissaient pas leur nombre.
L'évolution du traitement du cancer du sein et l'évolution de notre groupe ont mis en lumière la question de l'accès pour des motifs de compassion. De plus, les femmes victimes du cancer du sein sont aujourd'hui plus organisées. Elles participent à des discussions politiques. Celles dont le cancer est avancé ont démontré qu'elles voulaient avoir un accès plus facile à des médicaments expérimentaux réservés aux essais tels que la chimiothérapie à dose élevée, l'agent chimiothérapeutique Taxol et l'anticorps monoclonal HER/2-neu. Les prothèses mammaires de silicone ont également suscité le débat autour de l'accès à des médicaments pour motifs de compassion et la demande de traitements inusités n'a pas chuté.
Avant de conclure, je vous donnerai deux exemples. Je vais en sauter de nombreux autres que vous trouverez dans notre texte écrit.
La chimiothérapie à dose élevée, combinée à diverses techniques visant à régénérer la moelle osseuse, est un traitement draconien qui met la vie en danger, mais il est censé guérir, contrairement à ce que l'on avait vu naguère en traitant les cancers du sein métastasés. La chimiothérapie à dose intense coûte très cher et en est toujours au stade expérimental. Seuls certains centres de traitement du cancer au Canada offrent ces programmes qui généralement ne font pas appel à des essais cliniques aléatoires. L'accessibilité à ce traitement est réduite du fait que les centres qui offrent ces programmes ont un nombre réduit de places et n'arrivent pas à faire face à la demande énorme engendrée par le battage mené par le corps médical et par les médias autour de cette thérapie non encore éprouvée mais pouvant donner des résultats.
Les femmes chez qui on a diagnostiqué la maladie à un stade terminal veulent savoir quel programme de transplantation de moelle osseuse offre le taux de mortalité le plus faible et répond le mieux à leur situation, et il se peut qu'il soit offert dans une autre province ou aux États-Unis. Elles se tournent vers leurs oncologues et leurs politiciens pour pouvoir adhérer à ces programmes. Elles se tournent vers leurs ministères de la Santé provinciaux pour en faire assumer les coûts. Ces femmes sont en colère et estomaquées d'essuyer un refus. Elles se sentent trahies par le Canada qui s'est pourtant engagé à offrir l'accès universel aux soins.
Certaines proposent de payer elles-mêmes le traitement, mais s'en voient encore refuser l'accès. Les politiques du gouvernement ne sont pas claires en ce qui concerne le paiement des coûts, ni même les critères en fonction desquels les cliniciens choisissent ou refusent certaines femmes en vue du traitement. L'absence de données d'essais cliniques, le battage publicitaire par les médias et l'adhésion de certains enthousiastes du corps médical confondent les femmes dans leurs efforts visant à obtenir de l'information exacte sur les risques par rapport aux avantages.
L'anticorps HER/2-neu est un autre exemple: c'est le premier traitement contre le cancer du sein qui inspire des pressions modelées sur le style des militants du sida en vue d'obtenir un volet ouvert des essais cliniques. Ce traitement expérimental cible une protéine qui se trouve dans la croissance tumorale, c'est-à-dire un récepteur appelé le Her/2-neu. Beaucoup croient que l'anticorps HER/2-neu pourrait être le premier d'une nouvelle génération de traitements contre le cancer destinés précisément à corriger le problème au niveau cellulaire.
Ce médicament n'est destiné qu'à un petit groupe choisi de femmes - c'est-à-dire aux20 p. 100 de femmes dont les tumeurs au sein fabriquent la protéine en question. D'après des études préliminaires, l'anticorps HER/2-neu pourrait bloquer temporairement la croissance de la tumeur ou réduire les tumeurs pendant un certain temps pouvant aller jusqu'à 16 mois.
Il y a un an, à l'époque où la compagnie Genentech de San Francisco se préparait à lancer la troisième phase de ses essais cliniques avec l'anticorps HER/2-neu, une femme membre du chapitre de San Francisco du groupe «Breast Cancer Action» était en train de mourir et ne pouvait néanmoins pas obtenir le médicament, même si sa tumeur produisait le HER/2-neu. Ce refus a poussé les membres du groupe «Breast Cancer Action» à se pencher sur la question de l'accès humanitaire aux médicaments. Ces femmes ont fait équipe avec le chapitre de Golden Gate du Groupe anti-sida pour organiser une manifestation destinée à persuader Genentech d'ajouter une politique d'accès humanitaire aux médicaments à la troisième phase de ses essais cliniques. Genentech a récemment accepté en principe d'ouvrir un volet à des essais cliniques pour des motifs de compassion. Un des endroits choisis pour ces essais pourrait se trouver au Canada.
Je passe maintenant à certaines observations et à des questions.
Le «Canadian Breast Cancer Network» n'a pas encore élaboré de position officielle sur l'accès hamanitaire aux médicaments. Au lieu de faire des recommandations, je conclurai donc par certaines observations et par certaines questions destinées à provoquer le débat.
D'abord, puisqu'il y a chaque année 5 800 décès dus au cancer du sein, un grand nombre de Canadiennes se trouvent être candidates à des médicaments prescrits pour des motifs de compassion, même s'ils sont au stade expérimental ou non encore homologués.
Comment rendre plus ouverts et accessibles à toutes les patientes les règlements et les pratiques d'accès à des médicaments de recherche pour le traitement du cancer du sein, y compris les pratiques de paiement?
Deuxièmement, les traitements à la fine pointe de la science telles que les greffes de moelle osseuse et le Taxol coûtent cher et sont en quantité limitée. Il est donc essentiel de se demander qui doit payer et comment appliquer le principe de l'accès universel.
De quelle façon les coûts limitent-ils l'accès pour des motifs de compassion aux traitements expérimentaux actuels du cancer du sein? Si l'on peut démontrer l'efficacité de ces traitements, peut-on faire en sorte que toutes les femmes y aient accès? Les comités de déontologie devraient-ils être forcés de tenir compte des coûts potentiels de traitement au moment de l'évaluation des essais cliniques? Autrement dit, est-il correct, d'un point de vue, déontologique, de mener des essais cliniques d'un traitement qui, s'il est efficace, sera trop coûteux pour être offert à toutes les patientes qui pourraient en profiter?
Troisièmement, les traitements contre le cancer du sein tnat courants qu'expérimentaux peuvent réduire considérablement la qualité et la durée de la vie. Les victimes du cancer du sein accordent une très grande priorité à la qualité de leur vie, y compris à ses dimensions émotives, sociales et spirituelles. Or, il se trouve que l'information sur ces dimensions est rarement accessible dans le cas des médicaments de recherche, ou extrêmement limitée.
Comment peut-on donner aux femmes atteintes une information appropriée sur la qualité de vie à laquelle elles peuvent s'attendre pour pouvoir les aider à prendre les bonnes décisions en matière de traitement? Le volet des essais cliniques accessible à ces femmes est-il le lieu souhaité pour rassembler des données qualitatives?
Quatrièmement, les fabricants de médicaments et d'autres organismes associés n'ont jamais accepté de révéler complètement les effets secondaires des traitements contre le cancer du sein. De plus, ils en ont souvent exagéré les avantages potentiels.
Comment peut-on faire en sorte que les patientes dont le cancer est avancé obtiennent de l'information exacte sur les traitements, leurs risques et leurs avantages? Quels sont les rôles et les responsabilités de la Société canadienne du cancer, des oncologues, des gouvernements et des médias dans la diffusion de l'information sur les traitements expérimentaux?
Cinquièmement, il est notoire que les réactions aux traitements contre le cancer du sein, y compris aux traitements courants, varient considérablement. Certaines femmes réagissent positivement à une intervention, alors que d'autres en meurent.
L'assignation aléatoire aux essais cliniques est-elle la meilleure façon d'évaluer un nouveau traitement étant donné l'énorme écart dans les réactions? Comment peut-on aider les femmes à prendre des décisions au sujet de traitements qui peuvent avoir des effets à ce point imprévisibles?
Sixièmement, les soins donnés aux patientes qui meurent du cancer du sein sont inadéquats. Outre l'accès pour des motifs de compassion, il faut se pencher sur des questions liées au contrôle de la douleur, à l'aide émotive, au counselling pour la patiente et pour la famille et aux soins hospitaliers.
Il faut aussi considérer plusieurs questions. Comment peut-on encourager la recherche sur les traitements sans biaiser tous les enjeux entourant les soins accordés aux mourants? L'accès pour des motifs de compassion empêche-t-il les patientes de faire face à leur propre mortalité? Le corps médical s'attarde-t-il plutôt aux traitements au détriment de soins palliatifs adéquats?
Enfin, les victimes du cancer du sein ont rarement discuté, entre elles ou avec d'autres intéressés, des questions entourant l'accès aux médicaments pour des motifs de compassion.
D'autres questions encore: comment peut-on rendre plus sensible à ces questions la collectivité des femmes atteintes du cancer du sein? La troisième phase des essais cliniques avec le médicament HER/2-neu peut-elle être observée dans le but d'évaluer les effets que pourrait avoir le nouveau volet proposé sur les résultats cumulatifs et la qualité des essais cliniques?
Je vous remercie de nous avoir permis d'ouvrir ce dialogue. Pour conclure, j'aimerais nommer trois membres de notre conseil d'administration qui sont mortes au cours des huit derniers mois. Il s'agit de Jan Morrow de Kelowna, de Shelly Achs-Reimer de Saskatoon et de Leah Lovestead de Coquitlam.
Le président: Merci, madame Batt.
Passons maintenant à Mme Lorraine Parsons.
Mme Lorraine Parsons (membre, Chapitre d'Ottawa, Société canadienne de l'hémophilie): Merci de m'avoir permis de comparaître. Étant moi-même la mère d'un hémophile qui a été infecté du virus du sida par transfusion sanguine, je connais très bien l'incidence directe que peuvent avoir les politiques et programmes du gouvernement sur la vie des Canadiens.
Comme ma famille immédiate et ma famille élargie ont été dévastées par le sida, nous avons tendu les mains pour aller chercher de l'aide et pour offrir notre aide, non seulement aux hémophiles mais aussi aux groupes de sidéens d'Ottawa-Carleton.
Je suis fière d'avoir fait partie du conseil d'administration du Comité du sida d'Ottawa et de travailler avec les toxicomanes pour offrir les services de soutien qui sont chers aux sidéennes et aux toxicomanes.
Je suis également honorée de comparaître aujourd'hui, car toute politique sur l'accès humanitaire à des médicaments de recherche aura une incidence directe sur les membres de la Société canadienne de l'hémophilie qui vivent avec le VIH ou le sida.
La grande majorité des hémophiles parmi nos membres qui ont le VIH et sont toujours vivants ont été infectés par ce virus avant 1985. Quelques-uns d'entre eux ont été infectés en 1987, à l'époque où la compagnie Armour traitait les produits sanguins contaminés que distribuait ensuite la Croix-Rouge.
Bon nombre de nos membres deviennent gravement malades et souffrent parfois de complications attribuables aux traitements contre les symptômes du sida. Beaucoup en sont aux dernières heures de leur vie et continuent néanmoins à vivre dans l'espoir que l'on trouve de nouveaux médicaments et de nouvelles thérapies et, comme beaucoup d'autres, ils continuent à vivre dans l'espoir que l'on puisse enfin guérir une fois pour toutes tous les sidéens.
Or, il existe une contradiction entre les droits de ceux dont la santé est sérieusement mise à mal et les objectifs des compagnies pharmaceutiques et des agences de réglementation. Le malade veut avoir accès à des médicaments de recherche dans l'espoir de prolonger sa vie et de garder une certaine qualité de vie. Le malade est souvent très intéressé à essayer les médicaments expérimentaux, et il devrait pouvoir le faire, s'il le veut. Les compagnies pharmaceutiques veulent que les essais cliniques soient concluants pour pouvoir faire homologuer puis commercialiser leurs produits. Les agences de réglementation, quant à elles, voudraient limiter l'accès aux essais cliniques pour des raisons de responsabilités et de coûts.
Nous proposons que le comité se penche sur la question du droit des malades condamnés à un accès humanitaire indépendamment des préoccupations pharmaceutiques relatives aux essais cliniques. Votre créativité aura ainsi davantage de marge de manoeuvre pour trouver des façons d'élargir l'accès à ces médicaments.
Nous proposons que vous considériez ceux dont le cas est compliqué par d'autres facteurs, comme l'hémophilie, en tant que sous-groupe, pour tout essai clinique, s'ils ne peuvent être intégrés aux tests eux-mêmes.
Ce qui compte, c'est qu'ils aient accès aux médicaments. Ces sous-groupes pourront dire à leurs membres et à d'autres hémophiles intéressés quelles sont les incidences de ces médicaments expérimentaux sur leur hémophilie ainsi que sur le sida.
Les gouvernements et les sociétés pharmaceutiques devront mettre au point des mécanismes de recouvrement des coûts pour ces essais. L'accès ouvert à un volet est une des solutions possibles, mais il serait peut-être plus utile de simplement permettre un meilleur accès au Programme de médicaments d'urgence.
Les critères doivent être fixés de manière à rendre l'accès aussi facile que possible. En imposant des frais aux consommateurs, on limitera de beaucoup l'accès et, à notre avis, il ne faut même pas l'envisager.
Parlons maintenant du rôle des médecins. À ce sujet, nous avons deux préoccupations: l'éducation et la responsabilité des ordonnances.
Tout d'abord, à l'extérieur des principaux centres de traitement, les médecins sont parfois les derniers à qui l'on parle des traitements expérimentaux du VIH. Ils ne sont donc pas en mesure d'envisager ces traitements comme des options possibles pour leurs patients ayant contracté le VIH ou le sida.
Par conséquent, bien des gens séropositifs sont exclus des essais, de manière implicite. Qui décide de l'éducation permanente des médecins? Qui a la responsabilité de veiller à ce que les médecins aient accès à des informations récentes sur les nouveaux essais et les nouveaux traitements?
Nous pensons que le processus d'éducation doit être formalisé et bien publicisé auprès des médecins. Des rôles précis doivent être confiés à la Direction des médicaments, à l'Ordre des médecins et chirurgiens, à l'Association médicale canadienne, à l'Association canadienne de l'industrie du médicament et à d'autres groupes.
Deuxièmement, les médecins sont seuls responsables des ordonnances faites en vertu du Programme de médicaments d'urgence. Cela crée un obstacle important à la diffusion de médicaments d'urgence. Un examen approfondi de la question de la responsabilité, assorti de recommandations, donnerait lieu à un plus libre accès aux médicaments expérimentaux.
Nous voulons encourager Santé Canada à chercher stratégiquement des moyens de s'assurer que les Canadiens font partie des essais de médicaments à l'étranger. On ne peut que déplorer que les essais de médicaments soient parfois terminés aux États-Unis - le médicament est même parfois commercialisé là-bas - avant que les essais ne commencent au Canada. Je pense que c'est le cas du DDAVP et, aussi, du 3TC.
Des politiques mal conçues destinées à exclure plutôt qu'à inclure des patients peuvent avoir des effets dévastateurs. Santé Canada a des obligations envers ceux qui doivent vivre avec l'hémophilie ou le sida, ainsi qu'envers tous les Canadiens, afin que l'accès aux essais de médicaments soit aussi large que possible et non limité aux personnes qui ont une assez bonne santé. Nous pensons que le PNRDS devrait refuser son appui aux programmes d'essai de médicaments qui n'ont pas un large accès.
En outre, nous pensons qu'il faut encourager Santé Canada à revoir son processus réglementaire, de manière à l'accélérer. Il est à nos yeux intolérable, par exemple, que le Facteur IX, un produit extrêmement purifié pour les hémophiles, ne soit toujours pas homologué au Canada.
Les sidéens, si dépendants soient-ils de la médecine traditionnelle, ont également recours aux médecines douces. Certains choisissent même d'utiliser ces traitements de manière exclusive, alors que d'autres les combinent à des médicaments et que d'autres encore, n'y ont pas recours. Nous exhortons le sous-comité à tenir compte de ces traitements, en considérant votre mandat dans son sens le plus large. Ces traitements doivent être rendus possibles à la fois dans le cadre d'essais cliniques et dans le cadre du Programme de médicaments d'urgence.
Pour terminer, je tiens à dire de nouveau que les séropositifs ont des rêves et des espoirs. Je vais vous citer un extrait d'une chanson écrite par mon fils David, et je demande au choeur des rêves de m'accompagner:
Il a écrit:
Ville qui sommeilles à l'aube, Tu es bien à l'abri de l'orage. Mais
bientôt t'éveilleront les rayons du soleil. Tous tes habitants
ouvriront les yeux et leurs rêves ne feront que commencer.
La soeur de quinze ans de mon fils a dit à l'Agence canadienne du sang que son rêve était de partager avec son frère toutes les joies que leur apporterait la vie jusqu'à ce qu'ils soient vieux et qu'ils aient les cheveux gris. C'est ce que j'espère aussi.
Je pense qu'un accès aussi large et libre que possible aux expériences et à la pharmacothérapie aujourd'hui l'un des meilleurs espoirs que nous ayons de garder en vie les sidéens et de préserver leurs rêves, jusqu'à ce qu'un remède soit trouvé.
Merci.
[Français]
Le président: Merci beaucoup, madame Parsons.
Nous allons maintenant prendre de 10 à 15 minutes pour poser des questions. Nous allouons cinq minutes à chaque parti. Nous allons commencer par l'Opposition officielle, représentée parM. Ménard du Bloc québécois. Nous passerons ensuite à Mme Hayes, puis à notre collègue du Parti libéral.
M. Ménard (Hochelaga - Maisonneuve): J'avais cru comprendre, monsieur le président, que c'était 15 minutes par personne. Je vois que vous avez un peu compressé. Alors, je vais essayer d'être rapide.
J'avais quatre questions. Je veux d'abord qu'on se rappelle, monsieur le président, que la première personne qui est venue nous parler de cette problématique de l'accès aux médicaments d'urgence, c'est Brian Farlinger. Peut-être un certain nombre d'entre vous le connaissent-ils. C'était un militant de AIDS Action Now! qui est maintenant décédé. Je ne peux m'empêcher de penser à l'action sensibilisatrice que son témoignage a exercée sur notre Comité.
Je souhaiterais adresser ma première question à Mme Pinault. Je voudrais d'abord rappeler ceci: lors de notre rencontre avec le Réseau canadien d'essais cliniques, pour lequel 2,9 millions de dollars sur cinq ans sont réservés dans la présente stratégie, on nous avait dit que, pour chacune des expérimentations menées, la mise sur pied d'un comité auquel participent les personnes atteintes faisait partie du protocole de recherche. Je voulais entendre le point de vue des témoins pour savoir s'il en est vraiment ainsi.
Peut-être, monsieur le président, pourrais-je poser mes quatre questions et laisser les témoins répondre ensuite. Cependant, je souhaitais adresser ma première question à Mme Pinault, qui est, je le sais, en contact étroit avec le Réseau, afin que les parlementaires que nous sommes soient bien certains que les choses sont menées de cette façon. Madame Pinault, si vous avez d'autres renseignements, il serait utile que nous les connaissions.
Monsieur Shedden, vous nous avez fait voir qu'il était difficile de conduire des essais dans les Maritimes. Si j'ai bien compris, la communauté y est moins active et il y est moins facile d'avoir accès à des drogues de recherche. Je voudrais que vous nous fassiez bien comprendre ce qui pourrait inciter le Réseau canadien d'essais cliniques à conduire plus d'essais cliniques dans la partie du pays que vous représentez. Quels sont les problèmes? Est-ce le manque de participants? La mauvaise diffusion de l'information? J'aimerais avoir votre opinion là-dessus.
Quant à ma prochaine question, je voudrais l'adresser à Mme Susan Conrad, qui nous a invités à prendre en considération l'article C.08.009. Je n'ai pas très bien compris exactement sur quoi vous souhaitiez attirer l'attention du comité. Peut-être pourriez-vous nous rappeler la modification que vous souhaitez voir apporter afin qu'on sache bien, à l'étape de la rédaction du rapport, ce qu'il faut changer dans cet article-là.
Je m'excuse pour la blague que j'ai faite sur le dos des avocates. Je ne vous visais pas personnellement.
Il y a aussi, monsieur le président, quelque chose d'assez troublant qui a été révélé à trois reprises par les témoins. Mme Kelly en a parlé, Mme Batt en a parlé, et Mme Parsons en a aussi parlé. Il semble être difficile, pour les consommateurs utilisateurs, d'obtenir une information à jour et pertinente sur les traitements disponibles. Dans le cas du sida, il y a un centre de traitement national qui existe, subventionné par le gouvernement fédéral, qui a failli s'établir à Montréal mais qui se trouve finalement à Toronto.
Comment peut-on, croyez-vous, rendre disponible l'information récente? Est-ce en créant une autre structure nationale où des gens payés par le gouvernement fédéral auraient le mandat de faire circuler cette information? Je trouve troublant que vous nous ayez dit à tour de rôle qu'il est très difficile pour les consommateurs utilisateurs ou utilisatrices de traitements éventuels d'avoir accès à une information pertinente, à jour, adaptée à leurs besoins.
Ce sont là mes quatre questions, monsieur le président.
Mme Pinault: Oui, j'ai des choses à dire. Oui, le Réseau canadien d'essais cliniques tient compte de la parole des personnes atteintes du VIH puisqu'elles sont bien représentées à son comité. De plus, il y a déjà, dans certaines compagnies de produits pharmaceutiques, des comités consultatifs où les personnes qui vivent avec le VIH sont aussi représentées. De plus en plus de cliniques engagées dans des essais cliniques font participer des personnes atteintes ou certains de leurs représentants à l'établissement de l'éthique et du fonctionnement de l'essai clinique. Du moins, c'est ainsi au Québec, mais je ne pourrais pas parler pour l'ensemble du Canada sur cette question.
M. Ménard: Vous êtes satisfaite de ce qu'on en connaît?
Mme Pinault: Oui.
[Traduction]
Le président: Monsieur Shedden, avez-vous la réponse à sa question?
M. Shedden: Pour aller au plus simple, je dirais qu'il y a un manque de services dans notre région. Il n'y a que trois endroits où l'on peut procéder à des essais cliniques dans quatre provinces et il y a autant de centres pour les maladies infectieuses. Étant donné qu'une bonne part de notre population vit à l'extérieur des grands centres, il est très difficile pour les gens de faire les allers et retours nécessaires pour les essais cliniques. Les médecins dans les milieux ruraux sont peu au courant de tout ce qui touche le VIH et le sida. Par conséquent, bon nombre de gens n'ont même pas accès aux grands centres de traitement.
Pour les citadins, il y a un grand manque d'information et de ressources. Le Programme d'action communautaire pour le sida a subi des compressions budgétaires. Ainsi, en Nouvelle-Écosse, nous avions à une certaine époque trois ou quatre différents organismes pour le sida qui sont maintenant fusionnés en un seul pour toute la province. C'est tout un problème, puisque nous dépendons de l'aide financière du gouvernement fédéral.
Je pense que nous manquons de soutien. Comme je l'ai dit plus tôt, nous avons des années de retard sur d'autres régions du pays pour ce qui est de la mise sur pied de réseaux de soutien pour les sidéens et leurs proches; ils sont par conséquent moins sûrs d'avoir accès aux services disponibles.
Le président: Merci, monsieur Shedden.
Madame Conrad.
Mme Conrad: J'ai soulevé la question de ce règlement parce que dans tous mes entretiens avec des responsables de la Direction générale de la protection de la santé, on m'a dit que le principal problème n'était pas d'obtenir rapidement une autorisation d'accès, au niveau fédéral. Le problème vient des fabricants qui prennent des décisions au cas par cas ainsi que du fait que les autorités canadiennes ne sont pas au courant des politiques publiques qui régissent leur travail ou ne peuvent participer à leur élaboration.
Le problème, c'est que lorsque le fédéral dit non, des dispositions sont prévues pour qu'il y ait un examen administratif de cette décision, pour évaluer si elle a été prise ou non de manière arbitraire. Par contre, lorsque le refus vient du manufacturier, celui-ci n'est nullement tenu de fournir ses raisons au fédéral, aux médecins, ni aux patients directement touchés. Si le fédéral prenait note des raisons des refus, tout le monde pourrait mieux comprendre d'où vient le problème: la responsabilité, la sécurité, l'aspect logistique, un autre facteur ou une combinaison de ceux-ci. On ne réglerait pas nécessairement le problème en sachant les raisons de ces refus, mais cette première étape est importante et nécessaire.
Le président: Merci, madame Conrad.
Voudriez-vous répondre à la quatrième question? Madame Kelly.
Mme Kelly: Au sujet de l'information, j'ai donné mon exposé à la première journée sur l'éducation des consommateurs parrainée par l'Association canadienne de l'industrie du médicament. Après le tour de table, un consensus s'est dégagé au sein de l'industrie et des représentants présents: il faut mettre sur pied un service d'information et créer les lignes directrices régissant les relations avec les groupes de consommateurs.
On m'a donc demandé de préparer une proposition, que j'ai présenté à madame la présidente de l'ACIM, Judy Erola, il y a à peine une semaine. Je ne peux vous parler en son nom, mais la réaction a été favorable.
Elle a recommandé qu'on en fasse part au gouvernement fédéral afin de... Il incombe au gouvernement d'assurer une participation équitable à une discussion sur la façon dont l'industrie pharmaceutique, le gouvernement fédéral, les groupes de consommateurs, les pharmaciens, etc., puissent collaborer pour offrir un guichet unique d'information sur la santé, que ce soit avec des messages enregistrés... C'est ce qui se fait déjà dans le domaine de l'assurance; les moyens techniques sont là.
Je recommanderais donc que Santé Canada, ou le gouvernement fédéral, rassemble les divers intervenants pour examiner comment l'information pourrait être donnée de manière avantageuse, au moment voulu, et tout en tenant compte des aspects éducation, instruction et multiculturalisme.
Je pourrais vous fournir une copie de cette proposition.
Le président: J'en serais ravi. Confiez-la à notre greffière.
Madame Hayes
Mme Hayes (Port Moody - Coquitlam): Les exposés étaient fascinants et très personnels, et je vous remercie de nous avoir fait part de tout cela. Le dialogue entre les membres du groupe sera certainement intéressant.
Deux thèmes semblent récurrents: la responsabilité et les dépenses. On peut ensuite passer aux questions éthiques: qui fait quoi, quand et où? J'ai trois questions bien précises. Elles ne sont adressées à personne en particulier mais toutes se rapportent aux critères.
Tout d'abord, quels critères doivent être utilisés, par exemple, par un médecin de premier recours qui doit évaluer la demande d'un patient pour ce genre d'accès humanitaire? À votre avis, comment le médecin doit-il juger si une personne doit ou non y avoir accès? À quel niveau cela doit-il se produire?
Deuxièmement, si une société pharmaceutique reçoit une demande pour un médicament, de nature humanitaire, quel genre de critère doit-elle appliquer pour décider si elle investira son temps et son argent?
Troisièmement, quels critères doit utiliser le gouvernement pour inclure ce genre de choses dans un régime de soins de santé? On a parlé à une ou deux reprises de l'accès universel. Comment le gouvernement décidera-t-il de ce qui peut être admis à ce genre de programme?
Il s'agit de questions éthiques et philosophiques, mais qui sont très réelles à ces trois niveaux. J'aimerais savoir quels sont vos commentaires à ce sujet.
Le président: Je crois que tout... [Inaudible - Éditeur]... parce qu'on parle de sociétés pharmaceutiques, de gouvernement et aussi de médecins, au sujet de ces critères.
Mme Hayes: Oui, mais il y a une petite différence selon le cas. Dans le cas du médecin, c'est une personne qui décide. Dans le cas du gouvernement, c'est la politique. Je ne sais pas. Est-ce que quelqu'un veut répondre à ces questions?
Le président: Bien entendu.
[Français]
Madame Pinault.
Mme Pinault: La plupart des médecins qui traitent les maladies du VIH sont dans les grands centres. Ces médecins sont à même d'analyser la santé d'une personne et de voir s'il lui conviendrait de participer à un essai clinique ou de faire une demande d'accès humanitaire pour certains médicaments.
Le problème se situe en dehors de ces grands centres, où les médecins, qui ne traitent pas des patients en grand nombre, sont souvent sous-informés sur l'accès possible à des essais cliniques, surtout l'accès humanitaire. Les essais cliniques en dehors des grandes villes sont très difficiles, car l'information n'est pas nécessairement suffisante pour qu'on puisse bien juger. Donc, ces médecins ne font pas nécessairement d'erreurs; ils ne font pas de référence.
Il y a aussi un deuxième élément qui affecte beaucoup les personnes touchées par ces problèmes de santé, et j'imagine que c'est la même chose dans le cas d'autres problématiques: c'est la lourdeur des formulaires que les médecins doivent compléter pour inscrire un de leurs patients à un essai en accès humanitaire.
Il arrive que des médecins se découragent à l'idée d'avoir à compléter des tonnes de papier et en viennent à dire aux patients: «Je pense qu'il ne te serait pas utile d'essayer ce médicament, parce que c'est trop compliqué ou trop lourd».
[Traduction]
Le président: Quelqu'un d'autre veut-il intervenir? Madame Kelly.
Mme Kelly: Aux conseils dont je fais partie actuellement, nous parlons beaucoup de modèles décisionnels axés sur le patient. Je pense qu'il faut laisser à un patient bien informé et bien éclairé le droit de décider du choix du traitement, de la source d'espoir qu'il lui restera, dans le cadre d'une discussion avec son médecin. Si vous ne savez pas quelles options sont disponibles, comment entamer ce genre de discussion? Il faut se fier à son médecin. Aussi difficile que cela puisse être, le médecin a l'obligation professionnelle de dire au patient, c'est à vous de décider, voilà les choix possibles. Beaucoup de patients voudront des conseils ou choisiront de laisser leur médecin décider à leur place. Mais nous avons le droit de prendre nos décisions de manière consciente.
Mme Ur (Lambton - Middlesex): Je ne m'éterniserai pas en préambule, pour pouvoir poser davantage de questions.
Y a-t-il une autre solution que les essais cliniques, qui serait plus productive?
Certains des témoins, cet après-midi, ont dit que les Canadiens doivent décider quels médicaments sont les meilleurs et conviennent le mieux à leur état. D'autres demandent pourquoi on ne peut pas avoir un accès facile à ces médicaments au Canada, s'ils sont offerts aux États-Unis. Qu'en pensent les témoins?
Pensez-vous que l'une des principales sources de préoccupation, pour ce qui est de l'accès humanitaire aux médicaments, c'est le problème associé à la responsabilité des médecins? Cela ne risque-t-il pas de devenir un obstacle, lorsqu'il s'agit d'avoir accès de manière humanitaire à des médicaments?
Monsieur Shedden, la géographie est-elle un problème important en Nouvelle-Écosse pour ce qui est de la diffusion de l'information et de l'administration de la santé?
Pour les femmes atteintes d'un cancer du sein avancé, il était jusqu'à récemment rarement question d'un accès humanitaire aux médicaments, entre elles ou avec d'autres intervenants. Qu'est-ce qui a changé, dans leur cas?
Ensuite, une question plus personnelle, au sujet des essais cliniques. Il semble y avoir des réactions positives ou négatives à l'égard des personnes participant à des essais cliniques, qu'elles prennent ou non un placebo. Dans ma famille, quelqu'un participe à un essai clinique et nous en sommes ravis. Le patient ne sait pas ce qu'il prend, mais se dit que si ça ne l'aide pas, lui, ça pourrait aider quelqu'un d'autre. J'aimerais avoir quelques réponses à ce sujet.
M. Shedden: La géographie est certainement une question importante, mais aussi ce qui nous manque: de l'argent, de l'argent et de l'argent. Je pense que les questions économiques sont les plus pressantes pour ce qui est de l'accès et de l'affectation des ressources pour les sidéens et leurs proches.
Pour répondre à votre première question, au sujet des essais cliniques, je suis tout à fait en faveur du réseau des essais cliniques au Canada. On y fait un excellent travail et ce réseau a l'appui de nos collectivités. Malheureusement, son financement est minime, en comparaison de ce qui se fait à l'étranger. Comme vous le voyez dans la documentation, aucun financement n'est consenti pour le travail d'organisation, pour la paperasse à gérer. Je voudrais donc qu'on augmente ces fonds ainsi que le nombre de points de service. Il n'y en a actuellement que trois pour toute l'Atlantique.
Mme Conrad: Avec votre permission, j'aimerais parler de la question de la responsabilité. D'après mon expérience professionnelle, les médecins, ni personne d'ailleurs, ne peuvent faire quoi que ce soit pour se protéger contre des poursuites éventuelles. Les patients se gardent le droit d'entamer des poursuites à n'importe quel moment, avant ou après l'homologation d'un médicament. La meilleure protection dont disposent les médecins, c'est l'obtention du consentement vraiment éclairé du patient. Cela n'est possible que lorsque les médecins sont vraiment au courant de toute l'information disponible et sont en mesure de la présenter au patient en termes simples.
J'ai constaté que les spécialistes que j'ai connus ont beaucoup de difficultés à se garder au courant des dernières recherches; les périodiques à lire s'entassent parfois pendant un bon bout de temps. En revanche, les médecins de famille sont plus ouverts à la nouveauté et plus prêts à se renseigner davantage, au besoin, s'il faut prendre une décision éclairée.
Pour qu'il y ait une bonne relation entre un médecin et son patient, il faut que la communication soit claire, de part et d'autre. Il faut également que le médecin parle non pas à ses patients, mais avec eux.
Le président: Merci, madame Conrad.
Avant de passer à notre deuxième groupe de témoins de l'après-midi, Mme Hayes me rappelle que nos témoins n'ont pas répondu à toutes ses questions. Ils ont surtout parlé des critères pour les médecins, mais elle voudrait également avoir des commentaires au sujet des critères fixés par le gouvernement et l'industrie pharmaceutique. Qui voudra répondre à cette question? À vous la parole, madame Hayes.
Mme Hayes: Je pourrais préciser un peu la question, à partir des réponses que j'ai obtenues au sujet des médecins et de leur responsabilité dans les décisions à prendre.
Si nous décidions, par exemple, que l'accès se ferait à la demande du patient et qu'ainsi, il l'obtiendrait dès qu'il estime que c'est quelque chose qu'il veut avoir. Comment cela s'intégrerait-il à notre système de soins de santé? Actuellement, nous avons un programme de financement qui fait que dans certaines provinces, on paie pour des plâtres ordinaires mais pas pour des plâtres en plastique, par exemple. Certaines choses sont jugées appropriées et d'autres nécessaires ou superflues.
Comment intégrer à notre régime de soins de santé l'accès humanitaire et les coûts qui en découlent. Dans certains cas, le coût des traitements est exorbitant. Comment le gouvernement pourra-t-il décider?
Mme Batt: Je vois très bien le problème dans le cas du traitement du cancer du sein. Je ne sais pas quelle est la solution, le coût des traitements étant si élevé. Par exemple, les greffes de moelle osseuse coûtent des centaines de milliers de dollars. Que ce soit un particulier ou le gouvernement qui paie, rien ne sert de dire qu'en théorie, on peut avoir accès au traitement, si on n'a pas les moyens de le payer. Je ne vois pas quelle est la solution, tant que les coûts seront aussi élevés. Je crois vraiment qu'il faut réduire le coût de ces traitements; autrement, la recherche à leur sujet est inutile.
Mme Kelly: Je suis certainement d'accord avec Sharon et j'aimerais ajouter que comme pour tout processus décisionnel portant sur la recherche, il faut tenir compte des données et des résultats. Je crois que le meilleur traitement symptomatique qui, dans bien des cas, consiste à ne pas traiter, plutôt que de traiter activement... si l'on peut mesurer une différence pour le patient, en termes de qualité ou de durée de vie, il peut être avantageux pour le système de ne pas prolonger cette vie, mais d'en améliorer la qualité.
Je vais vous donner un exemple. Dans le traitement du cancer du poumon, les médecins offrent aux patients, depuis des années, de bons traitements symptomatiques, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de traitement, ni chirurgie ni chimiothérapie, puisque d'un point de vue professionnel, la chimiothérapie est un traitement très brutal qui ne prolonge aucunement la vie du patient. Quand on demande aux médecins ce qu'ils feraient s'ils étaient eux-mêmes le patient, ils disent qu'ils choisiraient un bon traitement symptomatique. Mais que font-ils pour leurs patients? Ils imposent un traitement actif.
Que ferait le patient s'il savait qu'il avait le choix et quels résultats étaient à prévoir? Nous ne savons pas, puisqu'on ne lui donne pas le choix. Je crois qu'il faudrait faire cette comparaison pour savoir le résultat, où est l'avantage et si celui-ci est mesurable.
Le président: Merci, madame Kelly.
Passons maintenant à notre deuxième groupe de témoins qui représentent cet après-midi la profession médicale. Commençons avec M. Ken Logue.
[Français]
[Français]
M. Ménard: Ne devrions-nous pas faire une pause de quelques minutes, monsieur le président, parce que manger en écoutant les témoins...
[Traduction]
Le président: C'est au témoin de décider. Vous pouvez attendre un peu et nous aurons plus de temps après.
[Français]
M. Ménard: Si vous demandiez le vote, je pense que vous seriez en minorité.
[Traduction]
Le président: Docteur Logue.
Dr Ken Logue (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup, pour commencer, de m'avoir invité aujourd'hui. Je l'apprécie énormément. Je suis un médecin de premier recours et je travaille à Toronto. Bon nombre de mes clients sont séropositifs. J'ai également fait de la recherche clinique et je participe à des essais cliniques, tant à l'hôpital que dans un milieu communautaire.
Quand j'étais un peu plus naïf, je croyais que toute la question des traitements expérimentaux, des traitements prometteurs, par rapport aux soins traditionnels pouvait facilement être subdivisée. Je croyais qu'on pouvait d'abord offrir les soins traditionnels et, si cela ne suffisait pas, passer à une participation dans des essais cliniques et, si cela ne suffisait pas, envisager quelques programmes de diffusion anticipée d'un médicament.
Avec l'expérience, j'ai constaté que ce modèle était trop simpliste. Environ 60 p. 100 de mes patients reçoivent dans le cadre de mes soins ordinaires des médicaments expérimentaux. Particulièrement chez les séropositifs, les normes de soins évoluent rapidement, si bien qu'il y a moins de distinctions entre ce qui est expérimental, ce qui est potentiel et ce qui est un traitement régulier. Voilà à mon avis le coeur de la question.
Il est facile d'envisager de donner de manière humanitaire un médicament à un condamné victime d'une maladie qui met sa vie en danger, lorsqu'il n'y a pas d'autres choix, mais lorsqu'on a utilisé toutes les possibilités, lorsque les normes ne s'appliquent plus, et lorsque de nouveaux médicaments, bientôt homologués, ne sont pas disponibles, il y a tout un problème d'éthique, sinon de logistique.
J'ai cru bon de vous donner quatre exemple d'accès étendu que j'ai vus en tant que médecin de premier recours, au cours des deux ou trois dernières années. Dans chaque cas, on vit des aspects différents de la question, du point de vue du patient et du médecin. Chacun de ces exemples porte sur des médicaments non commercialisés, soit ceux dont on parle dans la documentation du programme d'accès limité. Il est clair qu'il faut se concentrer sur cette question et que c'est sur elle que porteront toutes les recommandations importantes.
Mon premier exemple se rapporte à l'utilisation humanitaire du rifabutin, un antibiotique homologué pour la prophylaxie ou la prévention d'une infection opportuniste importante dans les cas de sida. Avant l'homologation, c'est-à-dire lorsque les études de phase II et III étaient en cours, et qu'on a acquis beaucoup de connaissances cliniques au sujet du médicament, il y avait un programme d'accès humanitaire très généreux. Malheureusement, les médecins de la communauté, les gens dans ma position qui, dans certains cas, traitent de nombreux séropositifs, ne répondaient pas aux critères éthiques du programme d'accès humanitaire.
Dans ce cas précis, l'approbation déontologique était étrangère non seulement à notre ressort, mais aussi au pays. Elle venait des États-Unis. Par conséquent, un programme d'accès humanitaire a été établi par la compagnie pharmaceutique avant l'homologation. Le médicament a été autorisé, mais malheureusement, l'administration du programme d'accès humanitaire a été compromise parce que les médecins de premier recours n'ont pas participé à l'obtention du consentement éclairé et parce que l'approbation déontologique nous échappait entièrement.
Le deuxième exemple est plus pertinent, je crois, et il s'agit du 3TC. Comme tout le monde le sait, ce produit vient d'être autorisé aux États-Unis, et il le sera probablement bientôt au Canada. Nous avons éprouvé deux ou trois problèmes concernant l'accès humanitaire au 3TC.
Près de 40 p. 100 de mes patients prennent ce médicament, dans le cadre d'un programme d'accès humanitaire. C'est un fardeau administratif énorme lorsque la moitié environ de vos patients fait partie d'un programme d'accès humanitaire. Une situation analogue se produirait si votre cardiologue ou votre chirurgien, pour 50 p. 100 des actes médicaux qu'ils doivent poser, devaient comprendre soit un nouveau médicament dont la connaissance est plus difficile que la moyenne, soit le protocole de l'accès humanitaire. Il faut qu'ils comprennent bien le consentement éclairé et qu'ils soient en mesure de l'administrer et d'en discuter avec le patient. Du point de vue administratif, c'est très difficile.
Voilà quelques raisons pour lesquelles il est difficile de recruter des médecins pour soigner les personnes atteintes du VIH, et je pense que certains autres témoins ont indiqué que cela pose également un problème géographique et dans d'autres domaines. Des programmes humanitaires comme celui-ci, qui éprouvent des problèmes non seulement administratifs mais aussi éthiques, aggraveront certainement la situation.
Le troisième exemple qui, à mon avis, illustre un autre problème important que nous rencontrons est celui du saquinavir, un autre produit antirétroviral produit par Roche Pharmaceuticals. Cette firme a un programme d'accès humanitaire et elle a beaucoup participé à la communication avec les médecins et les intervenants communautaires à la mise sur pied d'un programme humanitaire.
Toutefois, ses provisions sont très limitées. Je crois qu'au début, la compagnie a offert des médicaments pour 96 malades et, par la suite, pour 200 autres dans toutes les régions du pays. Au total, 296 malades ont donc obtenu ces médicaments, et chaque jour, nous faisons face manifestement à des malades qui n'ont pratiquement pas de choix en ce qui concerne les produits antirétroviraux et qui bénéficieraient probablement de l'accès humanitaire à ce médicament, au sujet duquel nous disposons de connaissances cliniques considérables en ce qui concerne la phase 2 et la phase 3, et qui sera probablement autorisé.
Pourtant, nous sommes incapables de le fournir. Pour défendre la compagnie pharmaceutique dans ce cas précis, disons qu'il s'agit simplement d'un problème d'approvisionnement et de fabrication. Je pense que le problème a été raisonnablement bien présenté et qu'il est légitime.
Malgré le fait que les patients aimeraient certainement obtenir ce médicament et que nous estimons, en tant que médecins, qu'ils en bénéficieraient, nous avons les mains liées pour d'autres raisons qui nous échappent complètement.
Le quatrième exemple que je voulais mentionner est celui de la nevirapine, un autre produit antirétroviral. Les groupes communautaires ont récemment communiqué avec la compagnie pharmaceutique pour demander - ou exiger, si vous voulez - l'accès humanitaire. Il s'agit d'un médicament dont bon nombre de médecins ont une connaissance clinique limitée.
Je pense que c'est un exemple où un groupe de patients serait certainement en avance en demandant ce médicament et en le présentant aux médecins, dont une grande majorité ne comprennent pas très bien les effets secondaires possibles, les interactions et les problèmes relatifs à ce médicament. Je cite cet exemple pour indiquer clairement que la communication s'impose à tous les niveaux, comme d'autres témoins l'ont souligné - communication non seulement avec les groupes de patients mais aussi avec les médecins.
Je pense que chacun de ces exemples souligne les controverses relatives à l'infection à VIH. Dans le cas du 3TC, on souligne que l'approbation de l'accès à un médicament nouveau ou prometteur contre le VIH est perçue comme étant lente. Dans la lutte contre le VIH, les traitements sont souvent expérimentaux ou sur le point d'être approuvés. Nous avons assurément besoin d'un système d'accélération du processus réglementaire si la science nous permet de confirmer qu'un traitement est efficace ou au moins potentiellement efficace.
L'accès limité à certains programmes d'accès humanitaire pose un problème énorme, et il est difficile de savoir si les compagnies pharmaceutiques accepteront de fournir le médicament au prix coûtant ou d'administrer un programme humanitaire. L'exemple du saquinavir, que l'on ne peut simplement pas produire ou dont on ne dispose pas, est très éloquent, et je ne pense pas que nous ayons de solutions faciles à cet égard.
On estime, à juste titre, que la distribution humanitaire des médicaments se fait de façon inégale. Cette inégalité est géographique. Elle découle des programmes de communication avec divers groupes et du fait que les stocks sont limités. En outre, il existe une perception selon laquelle on force les malades à participer à certains essais, et dans ce domaine, la définition et une meilleure compréhension du problème s'imposent.
Nous avons l'utilisation humanitaire, la distribution des médicaments d'urgence, les médicaments non parrainés, les traitements I et D, les voies parallèles, etc... Beaucoup de ces programmes se chevauchent et bon nombre d'entre eux sont complètement différents les uns des autres.
À cause de ce manque de définition, il est difficile de faire la différence entre un traitement et un traitement potentiel. Malheureusement, le client ou le malade, peut-être à juste titre, aimerait demander l'accès à un traitement potentiel, et en tant que médecins, nous aimerions accélérer ce processus.
Toutefois, il s'agit en réalité d'un manque de compréhension et de définition de certains problèmes et de certaines modalités de l'accès d'urgence.
En résumé, je voudrais simplement présenter cinq ou six cas dans lesquels je crois que les programmes humanitaires sont indiqués. Dans les domaines où les essais cliniques des nouveaux médicaments sont en cours, premièrement, j'estime que les programmes de distribution humanitaire sont appropriés, à condition que les études préliminaires donnent des raisons de croire que le médicament sera sûr et efficace. À dessein, je ne dis pas s'il s'agit d'un essai en phase 2 ou en phase 2-3, car c'est une question très controversée.
Deuxièmement, la distribution humanitaire est organisée de façon à ne pas compromettre la viabilité des essais cliniques contrôlés d'un nouveau médicament. Cela sert les intérêts non seulement de la compagnie pharmaceutique, mais aussi de tous les patients en fin de compte.
Troisièmement, la distribution humanitaire est structurée de façon à ne pas empêcher les compagnies pharmaceutiques de continuer leurs travaux sur les nouveaux médicaments. Dans le cas des infections à VIH, il existe de nombreux cas où les compagnies pharmaceutiques ne veulent tout simplement pas participer à certains essais cliniques dans certains pays en raison de la limitation de l'accès et des problèmes liés à la distribution humanitaire.
Quatrièmement, le programme de distribution humanitaire offre un accès juste et équitable selon le stade de gravité de la maladie.
Cinquièmement, les conditions d'accès au programme de distribution humanitaire n'obligent pas les personnes infectées à VIH de participer aux essais cliniques du nouveau médicament.
Sixièmement, et j'exprime ici une opinion purement personnelle, il faudrait examiner l'administration de ces énormes programmes d'accès humanitaire. Dans une certaine mesure, l'infection à VIH a beaucoup influé sur la pratique médicale et sur les relations entre les malades et les médecins.
L'un de ces changements survenus en médecine réside dans le fait que les traitements humanitaires précoces et expérimentaux ne se donnent plus dans les universités, mais dans les centres de soins primaires. On est donc passé d'un système qui appuyait considérablement les malades, du point de vue administratif, à un système qui les appuie très peu.
Je pense que ces questions sont importantes en ce qui concerne le recrutement de nouveaux médecins pour combattre non seulement le VIH, mais aussi d'autres catégories de maladies.
Le président: Merci, docteur. Nous passons maintenant au docteur Doug McFadden.
Dr Doug McFadden (témoignage à titre personnel): Je suis médecin et immunologiste, et je travaille surtout dans la lutte contre le VIH; je m'occupe aussi des maladies auto-immunes comme la sclérose en plaques.
C'est hier soir seulement que j'ai appris que j'allais participer à ce débat; par conséquent, comme l'a proposé monsieur Ménard, nous essaierons d'être très brefs, d'autant plus brefs que le docteur Logue regardait mes notes, ce qui réduit le nombre de choses que je voulais dire ici.
Quand nous parlons d'accès humanitaire, je pense qu'il s'agit d'un acquis pour tout le monde autour de la table. Dans la société canadienne, qui est très tolérante et humanitaire, c'est un acquis. Je pense que nul ne peut le contester. Nous ne l'avons pas réalisé. D'où les questions suivantes: pourquoi ne l'avons-nous pas réalisé? Pourquoi devrions-nous le faire? Nous savons pourquoi nous le devrions. Comment pouvons-nous le faire?
Élargir l'accès autant que possible ne devrait pas nécessairement être l'unique objectif. Quels sont les risques liés à la fourniture du médicament pour des raisons humanitaires?
Aujourd'hui, je vais dire un certain nombre de choses qui pourraient d'abord inciter les gens à penser que je contredis ma déclaration liminaire. Tel n'est pas le cas, attendez donc jusqu'à la fin.
Il y a des risques énormes liés à la fourniture de médicaments pour des raisons humanitaires, et nous en avons vu des exemples éloquents. Je vais en aborder quelques-uns plus tard, mais voici un risque important: quand allons-nous distribuer les médicaments? Le docteur Logue a proposé la phase 2. Il ne m'a pas bien cité. Sur mon document, j'ai mentionné la phase 3.
Au fond, si nous le faisons à la phase 3, les gens vont le demander à la phase 2-3, la phase 2 et ensuite la phase 1. A l'instar de tous les autres médecins autour de cette table, j'ai reçu des demandes concernant des médicaments qui en sont à l'étape pré-clinique. Dans la conception des médicaments, il y a les étapes pré-clinique et clinique, et l'on m'en a demandé à l'étape pré-clinique. Nous devons déterminer à partir de quel moment nous allons distribuer les médicaments; faisons-le donc de façon raisonnablement logique.
Je commencerai en disant que l'accès humanitaire ne doit pas être considéré uniquement comme étant la distribution de médicaments expérimentaux. Peu importe si l'on parle de l'accès pour des raisons humanitaires ou par compassion. Il ne s'agit pas nécessairement de la distribution de médicaments expérimentaux. Au Canada, il y a des personnes souffrant d'une maladie qui peut être soignée avec des antibiotiques bien documentés et disponibles sur le marché, mais qui ne peuvent pas recevoir le traitement à cause du coût. Par conséquent, si nous voulons parler de compassion, nous devons garder à l'esprit la possibilité d'accroître l'accès aux médicaments pour les patients qui n'ont pas les moyens de les acheter. Nous parlons de médicaments homologués, qui ont reçu leur avis de conformité et qui sont vendus sur le marché.
Revenons à nos moutons. Je veux aborder un certain nombre de questions. La première porte sur la sécurité. L'utilisation des médicaments expérimentaux comporte des risques bien définis et bien documentés. C'est pour cela qu'on parle des médicaments expérimentaux. Il ne s'agit pas de médicaments qui existent depuis longtemps. Par exemple, les médicaments en phase 2 ont peut-être été utilisés que par cent ou deux cents personnes. En phase 3, le médicament n'est consommé que par trois à quatre cents personnes.
Le chloramphénicol, que l'on obtient très difficilement au Canada, a été retiré de la liste au cours des années quarante parce que la femme d'un médecin bien connu a été atteinte d'anémie aplastique. C'est une maladie qui survient une fois sur 40 000. Si vous essayez un médicament sur 300 personnes seulement, à quel moment atteindrez-vous la personne qui va en mourir? Nous parlons aussi des maladies graves. Ce qui soulève la question du risque.
En tant que médecin, j'ai une philosophie fondamentale. Quand le médicament n'est pas nocif, je le prescris. Quand je ne sais pas si le médicament est nocif, je laisse le patient choisir. Quand je sais que le médicament est nocif, je ne le prescris pas. Ce ne sont pas tous les malades qui écoutent, mais telle est ma philosophie de base.
Tout à l'heure, quelqu'un a dit que le mandat fondamental du médecin est de ne pas nuire. Bien des gens autour de la table nous ont dit de ne pas nous en inquiéter, car en tant que malades, ils assumeront les conséquences. C'est bien beau, mais si vous êtes le médecin qui donne ce médicament au malade, il est difficile de dormir la nuit quand vous savez que vous avez tué ce malade avec le médicament.
Revenons à la compassion. On a parlé tout à l'heure de la thalidomide. C'est un excellent médicament. Il a des propriétés merveilleuses à moins que vous ne soyez une femme enceinte. Au cours des vingt dernières années, je n'ai pas pu accéder à la thalidomide pour les enfants ayant un ulcère aphteux géant. C'est comme un feu sauvage qui remplit toute la bouche. Impossible de manger, de boire ou d'avaler. La thalidomide n'est pas nécessairement un curatif, mais elle fait certainement beaucoup de bien.
Ce n'est qu'au cours des six à huit derniers mois que nous avons été en mesure d'obtenir de la thalidomide pour traiter le VIH. Je ne pouvais même pas en obtenir pour un homme âgé de quatre-vingts ans. Comprenez-moi bien. Je ne m'attaque pas au Programme de médicaments d'urgence. Il a fait un excellent travail. Il m'a permis d'accéder à des médicaments que je ne pouvais pas obtenir autrement, mais j'en ai vu les avantages et les inconvénients.
Au cours des années vingt, on donnait de l'arsenic aux malades pour des raisons humanitaires. C'était un excellent traitement contre la syphilis. Allons-nous l'utiliser maintenant? J'en doute. Parfois, l'histoire nous donne des leçons que nous avons vraiment besoin d'apprendre.
Cela me ramène à ma première observation, à savoir que je ne veux pas être le médecin qui donne un médicament pour tuer quelqu'un. J'aimerais au moins obtenir des informations. Les gens qui participent aux essais cliniques à double insu contrôlés contre placebo et aléatoires - ce sont ces gens-là qui prennent le risque, et ils le font en connaissance de cause. Ce sont eux qu'il faut féliciter.
Il n'existe pas de solution de rechange aux essais cliniques. La compassion ne doit pas remplacer le bon sens. Ce sont les essais qui nous indiquent les bons et les mauvais médicaments. C'est pour cela que la thalidomide est interdite aux femmes enceintes.
Passons à autre chose. L'énorme travail que l'on fait dans le cadre des programmes de distribution de grande envergure n'est pas une mince affaire. J'ai contacté la FDA pour essayer d'obtenir l'essai d'un médicament pour des raisons humanitaires. L'organisme a accepté de nous donner une drogue nouvelle de recherche, l'accès élargi à 25 malades et huit pages de documentation par malade par mois. Les médecins qui voient ces malades le supporte difficilement, mais ce n'était pas une demande déraisonnable parce que l'organisme veut s'informer sur la sécurité du médicament. Qui paye les pots cassés quand on distribue un médicament qui tue des gens, quand on n'en a pas étudié les aspects relatifs à la sécurité?
Cela m'amène à une autre observation: le coût pour la compagnie pharmaceutique. Dans le cadre d'un programme d'accès élargi, cette dernière n'obtient que les données relatives à la sécurité. C'est tout. Elle ne peut pas les utiliser pour faire approuver le médicament; par conséquent, il est extrêmement coûteux d'obtenir des données concernant la sécurité. De toutes les façons, on les obtient aux phases 3 et 4. Cela ne veut pas dire que les compagnies pharmaceutiques canadiennes n'ont pas fait preuve d'une grande compassion; bien au contraire.
Le problème réside dans le fait que cela n'est pas donné; d'où viendra l'argent? Beaucoup de bons médicaments sont conçus par des petites compagnies pharmaceutiques. Elles n'ont pas d'argent. Certains médicaments sont horriblement chers. Les compagnies n'ont pas besoin d'informations sur la sécurité; elles savent qu'elles peuvent les obtenir à la phase suivante de l'essai.
On nous a dit que le malade prend des risques, mais il n'existe pas de compagnie pharmaceutique qui ne soit assurée contre la responsabilité civile si elle distribue les médicaments aux gens. Ce n'est pas une question de bon sens. Peu importe les documents que le malade signe, il existe toujours un moyen de la contourner légalement. Tout le monde autour de la table sait combien coûte un procès, même si on ne le gagne pas.
Qui va assumer le coût? Le consommateur? La DPS? Je ne pense pas que l'Association canadienne de l'industrie du médicament l'assumera, et compte tenu de notre situation financière actuelle, je doute que Santé Canada le fasse. C'est un problème difficile et je n'ai pas de solution à proposer.
Je dirai cependant, pour répondre à certaines critiques concernant la DPS et le PMU, que nous devons envisager ces organismes de façon un peu différente. D'un pays à l'autre, il existe un déséquilibre quant aux médicaments qui sont disponibles. Le salbutamol, ou ventolin, c'est-à-dire le principal médicament pour le traitement de l'asthme, a été disponible au Canada seize ans avant d'être approuvé aux États-Unis, et bon nombre de gens sont morts dans ce pays parce qu'ils ne l'ont pas obtenu. Cela milite en faveur de la distribution humanitaire, n'est-ce pas?
Permettez-moi de faire quelques suggestions.
Il a été proposé, non seulement ici mais à maintes reprises dans bon nombre de conférences, de procéder à des essais parallèles. C'est bien beau, mais ces essais doivent être faits avec la même intensité et le même sérieux que les volets de l'essai classique, l'étude contre placebo et l'étude du médicament. Il faut absolument les contrôler de façon stricte au lieu d'avoir l'accès facile que nous avons en ce moment, et qui fournit simplement des données relatives à la sécurité.
Ma deuxième suggestion est en fait une question: quelles sont les lignes directrices régissant l'accès à la distribution humanitaire? En fait, le docteur Logue a abordé cette question. Qu'est-ce qu'on fait si l'on ne dispose que de 50 places? Et même si l'on en a 20 000, ne faudrait-il pas avoir certaines lignes directrices permettant de cibler les malades qui n'ont pas réagi au traitement classique? Les gens ne devraient-ils pas suivre d'abord le traitement classique?
Moi-même et tous les autres médecins autour de la table avons eu de nombreux malades qui voulaient contourner immédiatement l'obstacle du traitement conventionnel pour accéder directement au traitement expérimental. J'essaie de leur expliquer que nous connaissons les avantages du premier et que nous ignorons tout du second, mais ils choisissent toujours le second. C'est comme si on allait à Las Vegas. Nous avons besoin de critères très stricts quant à l'accès aux traitements.
J'ai déjà parlé de l'aspect financier de la question. L'inconvénient réside dans la sécurité et le coût.
Faudrait-il assurer la distribution humanitaire? Nous sommes tous d'accord là-dessus, et pour revenir à ma première observation... Vous avez peut-être mal interprété certaines des choses que j'ai dites, mais oui, je suis en faveur d'un accès accru et de la distribution humanitaire.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup, docteur McFadden.
Maintenant, nous allons demander
[Français]
Mme Diane Filion, qui est la coordonnatrice des infirmiers et infirmières des essais cliniques à l'Hôpital général d'Ottawa. Madame Filion, la parole est à vous.
Mme Diane Filion (coordonnatrice des infirmiers et infirmières, Essais cliniques, Hôpital général d'Ottawa): J'aimerais vous faire remarquer que je coordonne la clinique tout entière, et pas seulement les essais cliniques.
Des personnes témoigneront devant votre comité, au cours des prochains jours, en abordant la question de la distribution des médicaments pour usage humanitaire. Le problème sera traité sous différents angles, selon que ces personnes sont issues du milieu scientifique, du milieu pharmaceutique ou de celui des soins de santé, ou selon qu'ils ou elles utilisent des médicaments ou qu'ils ou elles sont atteints ou non de la maladie.
Je n'ai pas l'intention de traiter de cette problématique de façon scientifique, mais plutôt avec humanisme, en illustrant l'impact de la distribution de ces médicaments dans un contexte pratique comme celui dans lequel je vis quotidiennement en tant qu'infirmière coordonnatrice d'une clinique d'immunodéficience prodiguant des soins d'ordre multidisciplinaire aux personnes atteintes du VIH.
La distribution de médicaments à usage humanitaire fait partie intégrante de notre service de pharmacie. La situation qui prévaut actuellement est celle-ci. Souvent, un médicament n'étant pas encore approuvé au Canada est identifié comme crucial pour la survie de l'individu. Tout en tenant compte que la compassion humaine est une partie inhérente des soins de santé, l'accès immédiat à un médicament est de rigueur si le médecin ayant prescrit ce médicament peut en justifier l'utilisation urgente et son impact sur la condition du malade.
Cependant, dans une maladie chronique comme le VIH et le sida, les gains immédiats pour l'état de santé de l'individu ne sont pas toujours aussi clairs et sont souvent difficiles à identifier dans l'immédiat. Cela remet en question l'utilisation accélérée d'un produit dont les effets bénéfiques ne peuvent qu'être indirectement évalués chez le patient.
Étant donné que cette maladie fait l'objet d'un intérêt particulier dans les médias, les intervenants en soins de santé sont confrontés à des demandes répétées de la part des usagers qui veulent qu'on leur facilite l'accès à des produits sous investigation qui ne contribueraient en rien à améliorer leur état de santé et qui pourraient s'avérer nuisibles et même contre-indiqués dans certains cas.
Ces mêmes professionnels doivent constamment justifier leur position étant donné qu'ils entretiennent une relation étroite et personnalisée avec la clientèle qu'ils desservent. On les accuse parfois de manquer de compassion à leur égard, ce qui engendre chez les intervenants des dilemmes d'éthique professionnelle.
Le processus de distribution des médicaments à usage humanitaire et les essais cliniques ne sont pas interchangeables, bien qu'ils se complètent l'un l'autre. Les essais cliniques doivent sauvegarder la sécurité du patient tout en le protégeant contre les effets secondaires néfastes susceptibles d'apparaître en cours d'investigation du médicament. On se doit de maintenir la rigueur scientifique afin d'évaluer la valeur thérapeutique du produit à l'étude.
Le contrôle de l'utilisation des médicaments à usage humanitaire, à mon sens, doit permettre de faire une cueillette de données qui contribuera à établir et à évaluer l'efficacité et les effets secondaires de ce produit tout en contribuant au traitement.
J'aimerais soumettre à votre attention un point très important. Les critères d'admission pour certains médicaments semblent contradictoires car, règle générale, on distribue ces médicaments à des patients trop malades pour bénéficier des propriétés thérapeutiques du produit alors que celui-ci est destiné au traitement de patients en phase moins avancée de la maladie. Ces mêmes personnes sont souvent celles qui souffrent d'effets secondaires nocifs et de la toxicité de ces produits, étant donné leur état de santé déjà très précaire.
Nos collègues des régions éloignées vous diront qu'il est impossible d'avoir accès aux essais cliniques à l'extérieur des grands centres. L'accessibilité de certains médicaments prend soudain une autre importance, car ils permettent aux patients de bénéficier plus rapidement de l'avancement de la recherche médicale à laquelle ils ne peuvent participer directement.
L'industrie pharmaceutique, en distribuant ainsi gratuitement et à grande échelle ses produits, se construit une clientèle qui continuera à prendre le médicament après sa commercialisation. De cette façon, elle recueille aussi un nombre considérable de données qui viennent enrichir les observations déjà recueillies en essais cliniques.
Les compagnies pharmaceutiques sont souvent incapables de suffire à la demande de certains produits. Les critères d'admission sont parfois modifiés afin de contrer les difficultés de production, créant ainsi une liste d'attente mais, plus encore, suscitant l'incertitude parmi les patients.
Le processus de tirage au sort pour donner accès à un médicament est une aberration à la compassion humaine. L'idée même d'introduire le concept de loterie est injuste, pour ne pas dire antidémocratique. Les personnes qui recevront éventuellement le médicament seront-elles celles qui en ont le plus besoin?
Sous prétexte d'offrir de l'espoir à des gens dont nous sentons la fin prochaine, il semble parfois plus facile de favoriser le côté humanitaire des choses et de distribuer des produits inefficaces.
Il est impératif que nous gardions en place un moyen systématique de contrôle de la qualité des produits en conservant l'équilibre entre l'émotivité et le jugement clinique, qui demeure la raison pour laquelle les gens consultent le milieu professionnel des soins de la santé et de la médecine.
La législation canadienne et le ministère de la Santé se doivent, à leur tour, de faire respecter les normes de sécurité nécessaires. Cependant, lorsqu'un produit semble prometteur et sécuritaire, les autorités gouvernementales se doivent d'exercer leur influence afin de rendre le processus équitable pour les bénéficiaires en privilégiant les intérêts du patient.
Pour les usagers, le temps presse. Les personnes atteintes d'une maladie incurable ou en phase très avancée de l'infection du VIH font souvent appel aux professionnels de la santé afin qu'ils les guident dans les thérapies de haute pointe. Ils ont besoin de l'expertise professionnelle des gens qui leur prodiguent les soins dont ils ont besoin, surtout lorsque la perte d'autonomie associée à la maladie les rend vulnérables aux vendeurs de cures miraculeuses.
Les personnes qui travaillent directement à prodiguer des soins de santé ont besoin de l'appui des chercheurs et des organismes législatifs afin d'assister et de soutenir des patients dans cette démarche.
Bref, la distribution des médicaments à usage humanitaire est nécessaire. Les données recueillies en viennent à créer des études cliniques parallèles qui ne doivent pas être substituées à la recherche clinique formelle et fondamentale.
Il est impératif que le processus soit clair et équitable, car la santé et la vie d'êtres humains en est l'enjeu ultime. Merci.
Le président: Merci beaucoup, madame Filion.
Nous entendrons maintenant, à titre personnel,
[Traduction]
Docteur Christos Tsoukas, s'il vous plaît.
Dr Christos Tsoukas (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup de m'avoir invité à cette réunion.
En ce qui me concerne, je suis interniste formé en immunologie clinique. Depuis 13 ans, je soigne les personnes infectées à VIH, et depuis 10 ans, je dirige ce qu'on appelle le Centre de traitement de la déficience immunitaire à l'Hôpital général de Montréal.
Au cours des 10 dernières années, j'ai été soit directeur de recherche, soit simple chercheur dans au moins 70 essais cliniques. Actuellement, nous avons 10 traitements antirétroviraux avec trois volets humanitaires.
Par conséquent, mon point de vue est celui d'un clinicien et non pas d'un médecin traitant. Tout d'abord, avant de lire ma déclaration, je dois dire que je partage bon nombre des opinions exprimées par mes collègues et, en particulier, par le docteur Logue comme médecin traitant.
Pour revenir à ce que le docteur McFadden a dit sur les risques liés au traitement des malades avec des procédures non éprouvées, à la fin de 1984, le premier malade que j'ai soigné est mort des effets secondaires du médicament que j'ai utilisé et qui n'est pas encore homologué au Canada.
Pour simplifier les choses, la distribution humanitaire de médicaments contre le VIH ou le sida signifie qu'une personne dispose d'un mécanisme lui permettant d'obtenir et de prendre tout médicament qu'elle juge susceptible d'améliorer ou de prolonger sa vie.
La prise d'un médicament ne consiste pas simplement à avaler un comprimé ou à recevoir une injection. C'est une démarche active dans laquelle on motive quelqu'un pour qu'il s'administre, tout seul ou avec l'aide d'un médecin, un médicament qui n'est pas encore disponible sur le marché canadien.
Cette démarche a de nombreuses implications. Elle a des conséquences éthiques, juridiques, sociales, médicales, épidémiologiques, réglementaires et économiques qu'il faut évaluer.
Pour le malade, la question est souvent simple. Il s'agit de recevoir ce qu'il veut. C'est sa vie après tout. Pourquoi imposer des restrictions quand l'absence de traitement du sida a des conséquences évidentes?
Pour nous qui traitons les personnes souffrant du VIH et de ses complications, les exigences personnelles de nos malades pourraient être évidentes, mais les besoins médicaux ne le sont pas toujours. Il est vrai que cette maladie potentiellement mortelle touche des jeunes dans la fleur de l'âge.
En raison du caractère chronique de cette maladie et des variantes qu'elle présente, selon chaque cas, il est difficile de généraliser en matière de thérapeutique. C'est l'angoisse et le désespoir qui amènent les malades, chez lesquels la maladie évolue rapidement ou qui ont cette impression, à insister pour que soit distribué un médicament ou pour que soit mise à l'essai une action thérapeutique qui n'a pas encore fait ses preuves. Il arrive, en pareilles situations, que ces sentiments soient renforcés par la frustration et l'impuissance du médecin traitant; c'est certainement ce qui arrivait il y a une dizaine d'années, avant la découverte des médicaments antirétroviraux.
Les problèmes médicaux liés à la distribution humanitaire de médicaments sont-ils les mêmes, de nos jours, qu'ils l'étaient il y a huit ou dix ans? Je vais essayer de brièvement retracer l'évolution de certaines de ces questions.
En premier lieu, comme il n'y a pas de guérison pour le sida et que nous devons toujours en espérer une, on continue donc à vivre, très souvent, dans l'espoir d'un remède magique dont les patients seraient potentiellement privés parce qu'un certain médicament n'a pas encore été homologué.
En second lieu, l'accès humanitaire à des médicaments suppose souvent que le malade, en toute indépendance, peut choisir entre l'absence d'une action thérapeutique et un traitement qui a, ou non, fait ses preuves. Ce choix donne au patient le sentiment qu'il peut maîtriser la maladie, qu'il a un rôle à jouer, sentiment généralement très puissant qui lui permet de déployer tous ses efforts pour lutter contre la maladie, de sorte que malgré l'accès potentiel et l'utilisation d'un médicament dont l'efficacité n'est que marginale, cet accès pour des motifs humanitaires peut contribuer à une amélioration de l'état clinique du patient.
C'est donc le potentiel d'amélioration de l'état d'un malade par un traitement particulier qui doit jouer pour déterminer l'urgence de l'accès humanitaire à un médicament, et ce, proportionnellement à l'amélioration qu'on peut envisager. Tel était clairement le cas avec l'AZT, quand ce médicament a été mis à l'essai en 1987, époque à laquelle on entretenait les plus grands espoirs pour ce premier médicament de lutte contre le sida, le premier de ces remèdes magiques. Tout récemment, la découverte d'une nouvelle classe de composés, les inhibiteurs protéasiques, a suscité des espoirs tout aussi fervents et le même sens d'urgence.
Du point de vue thérapeutique, les questions sont devenues beaucoup plus complexes qu'elles l'étaient il y a une dizaine d'années. Il est peu probable, en effet, qu'un médicament unique soit en mesure d'enrayer carrément l'évolution du VIH, et ce, en raison de données récentes d'après lesquelles le malade moyen produit et détruit quotidiennement dans son corps environ 2 milliards de particules VIH. Pour être cliniquement efficace à long terme, un médicament unique aurait à diminuer cette quantité de virus de 99,99999 p. 100. Ajoutons à cela la capacité de mutation rapide du VIH: il se crée rapidement des souches résistantes au médicament qui contrecarrent très rapidement tous les progrès accomplis, même par un médicament antirétroviral très puissant.
Compte tenu de ces deux faits scientifiques, quel espoir pourrait donner un médicament obtenu par l'accès pour des motifs humanitaires de servir de traitement efficace? Loin d'être un remède magique, il peut tout au plus gagner du temps.
Compte tenu du manque général de données détaillées sur l'usage conjoint de traitements non homologués, on ne saurait conseiller le traitement, en toute confiance, d'un malade avec un médicament unique obtenu par le biais du programme d'accès. C'est ainsi que certains médicaments peuvent avoir des effets antagonistes, l'un détruisant l'effet de l'autre, ou causer une interférence, ou déclencher des effets secondaires ou des effets de synergie, comme par exemple l'augmentation, dans le sang, des antibiotiques prophylactiques par des agents antirétroviraux, ce qui augmente la toxicité de ces antibiotiques.
On a souvent dit que l'accès humanitaire à ces médicaments permet aux chercheurs cliniques de mieux recruter les patients pour les essais cliniques et de les retenir; cela n'est plus que partiellement vrai de nos jours. Avec le temps, le recrutement ne deviendra que plus difficile, non pas en raison d'intérêts rivaux pour un médicament spécifique, mais parce que le patient risque ainsi de ne plus pouvoir être recruté pour des essais cliniques ultérieurs, ce qui le couperait ainsi de tout progrès ultérieurement accompli.
Les médicaments antirétroviraux étant plus nombreux et destinés à se multiplier, il devient important de maintenir certaines normes thérapeutiques et de mettre au point des algorithmes de traitement encore inexistants. À une époque où les médicaments deviennent de plus en plus nombreux, le manque de lignes directrices risque de déboucher sur le chaos, et on court le danger de passer d'un médicament à l'autre sur de simples considérations empiriques.
Pour le recrutement aux essais cliniques, il convient d'obtenir le consentement éclairé du patient, ce qui suppose généralement diverses options thérapeutiques courantes. Ce processus permet au patient non seulement de participer à des essais, mais également de s'y refuser. Ce faisant, ce même patient, par l'information obtenue au cours du processus de recrutement, en particulier grâce aux données fournies sur les formulaires de consentement, est mieux informé de l'existence actuelle de médicaments expérimentaux.
La distribution pour des motifs humanitaires, sous forme d'études comparatives sans dosage imposé, peut fournir ce genre d'information sur le médicament, mais pas nécessairement. La distribution d'urgence de médicaments en dehors d'un protocole défini ne donne, en règle générale, que peu d'information au patient ou à son médecin et parfois n'en donne pas du tout.
Dans les deux cas, le patient, en échange de ces médicaments, est censé fournir, par le biais du médecin, des données sur la sécurité au laboratoire fournisseur et à la DPS. Le traitement ne se fait pas nécessairement sous une surveillance serrée, et la maladie peut s'accélérer soit sous l'effet direct du traitement sur le système immunitaire, soit indirectement, parce que ce dernier ne maîtrise plus suffisamment la mitose virale.
On en a vu tout récemment un exemple avec la mise à l'essai de certains inhibiteurs protéasiques: bien que ces médicaments soient de très puissants inhibiteurs du VIH, la biodisponibilité est faible, c'est-à-dire que seule une petite partie est absorbée par le corps humain.
Quand un médicament est assorti d'essais cliniques, on s'efforce de trouver le dosage approprié. Le médicament doit généralement être absorbé par doses élevées et fréquentes au cours de la journée; lorsque le traitement est administré sans surveillance, si la posologie n'est pas scrupuleusement respectée, on risque des complications.
Si le dosage est dépassé, on s'expose, dans certains cas, à des effets secondaires douloureux; si par ailleurs le dosage est faible, non seulement le virus n'est pas détruit, mais on risque de créer des souches de virus résistantes au médicament rendant inutile, par la suite, l'augmentation du dosage. Ces souches résistantes peuvent également résister à d'autres médicaments de la même catégorie, c'est -à-dire à d'autres médicaments qui n'ont pas encore été mis à l'essai sur le patient, auquel cas ce dernier est perdant, lui mais également la société, compte tenu de l'augmentation potentielle de souches résistantes à des médicaments, qui peuvent être transmises par voie sexuelle.
À l'heure actuelle, les inhibiteurs protéasiques ne sont pas mis en circulation en raison de problèmes d'approvisionnement et, dans une certaine mesure, du coût de production. Les militants du sida pensent souvent que la distribution des médicaments pour des motifs humanitaires n'est pas dans l'intérêt des laboratoires pharmaceutiques, en raison de la concurrence potentielle des recrutements dans des essais cliniques menés par le laboratoire.
En réalité, la distribution humanitaire des médicaments prometteurs constitue un moyen, pour les médecins, de se familiariser avec ces médicaments avant leur homologation. Une fois celle-ci obtenue, la commercialisation de ces médicaments devient simple parce que le groupe utilisateur-médecin a été identifié et s'est familiarisé avec l'utilisation clinique du médicament. On peut donc tout aussi bien affirmer qu'il est, à long terme, important au plan économique pour un laboratoire pharmaceutique de mettre en place sans tarder un programme de distribution pour des motifs humanitaires.
Bien que la plupart des médicaments soient traditionnellement fournis gratuitement par le grand laboratoire pharmaceutique, il arrive parfois que les petits laboratoires fassent payer leurs produits. Les circonstances ont changé, car certains gros laboratoires commencent également à faire payer les médicaments distribués dans le cadre de ces programmes. Si les médicaments ne sont plus distribués que contre paiement, le risque existe de créer un système d'accès à double vitesse, réservé uniquement à ceux qui peuvent payer.
Ce grand défi, à l'avenir, ne sera pas de permettre l'accès aux médicaments pour des motifs humanitaires. Ce sera de permettre l'usage rationnel et optimal de thérapies conjointes. Nous savons d'ores et déjà qu'il existe de nouveaux protocoles de gestion utilisant des médicaments homologués et actuellement en circulation et dont les effets risquent d'être bénéfiques, mais ce potentiel n'a pas encore été pleinement exploré.
Avec la multiplication des médicaments homologués, Santé Canada, le secteur pharmaceutique, les malades et les médecins devraient se liguer pour imposer des normes et explorer au maximum les possibilités d'amalgamer les traitements, y compris les immunothérapies. Les problèmes de coût des médicaments ainsi que les modalités de gestion détermineront l'avenir des Canadiens infectés au VIH. C'est maintenant que nous devrions collectivement nous pencher sur ces problèmes car le grand danger qui nous menace, c'est le manque de médicaments abordables plutôt que le manque de médicaments tout court.
Je n'ai pas préparé de recommandations écrites, mais j'en ai noté plusieurs qui se rapportent à la séance d'aujourd'hui, et dont j'aimerais vous donner lecture.
Le secteur pharmaceutique devrait être encouragé à mettre en place des programmes de distribution pour des motifs humanitaires, semblables à ceux du programme de voies parallèles, des États-Unis. S'il procède ainsi, il devrait en être tenu compte dans l'examen des soumissions, tout en maintenant les normes de révision établies par la Direction générale de la protection de la santé.
En second lieu un programme d'approbation accélérée, connu sous le nom d'approbation conditionnelle, devrait être mis en place, en reprenant avec modifications le programme actuel des États-Unis et en le liant à la disponibilité de médicaments distribués pour des motifs humanitaires par des voies parallèles.
J'ai personnellement participé à ce processus de révision pour la Food and Drug Administration, avec l'approbation, aux États-Unis, de ddC et de ddI. Je connais donc bien le processus et ne peut que recommander au Canada de l'envisager sérieusement.
Les laboratoires pharmaceutiques devraient être encouragés à fournir les médicaments dans le cadre de programmes d'accès facilité ou d'option libre plutôt que par le biais au Programme de médicaments d'urgence distribués au cas par cas.
Pour plusieurs raisons, je m'élève fortement contre le Programme de médicaments d'urgence. Nous pouvons améliorer considérablement l'accès par le biais de programmes à option libre, et ceux-ci devraient être conçus de manière à fournir des données de posologie et de sécurité. La dose utilisée ne devrait pas être homéopathique, mais devrait être établie de sorte à permettre un avantage thérapeutique, ce qui n'a souvent pas été le cas.
Il conviendrait également d'examiner, dans le cadre de ces programmes, l'effet d'un dosage une ou deux fois par jour. Ce n'est actuellement pas le cas, au Canada, pour un grand nombre de médicaments qui doivent être pris trois fois par jour, et un grand nombre de patients doivent absorber une trentaine de pilules par jour. Il importe de toute urgence de simplifier pour les gens l'administration des médicaments, afin de ne pas perturber la vie quotidienne.
J'approuve les nouveaux tarifs imposés par la DPS pour l'examen des demandes d'homologation des médicaments, ce qui me paraît un progrès. Ces fonds devraient fournir les ressources si nécessaires aux examens internes et externes et hâter, en conséquence, le processus d'examen.
À ce jour, il n'existe pas de formulaire normalisé de rapport de cas, et je pense qu'il devrait y avoir un format unique, conçu pour enregistrer toutes les données essentielles pour tout programme de distribution de médicaments pour des motifs humanitaires. Ce formulaire devrait être conçu de manière à pouvoir être rempli en un minimum de temps par le médecin ou par l'infirmière chargé d'inscrire le patient à ce programme. Tel n'est pas le cas à ce jour.
Une rémunération devrait être prévue pour les médecins qui remplissent ces formulaires, ce qui pourrait se faire très facilement par le biais des programmes provinciaux actuels. Nous remplissons actuellement des formulaires pour le bien-être social ou pour d'autres actes médicaux que nous accomplissons, et pour lesquels nous sommes souvent remboursés par les programmes provinciaux de santé.
Puisque les provinces fournissent généralement des médicaments antirétroviraux lorsque ceux-ci ont été homologués, la rémunération pourrait provenir des provinces, avec participation du gouvernement fédéral ainsi que du secteur pharmaceutique. Pourquoi ce dernier? Parce que ce programme pourrait être lié à la recherche sur les essais cliniques. Un bon programme d'essais cliniques permettrait de consacrer une bonne partie de l'agent à ce genre de programme, si le recrutement se fait sur un bref laps de temps.
En dernier lieu, nous devrions absolument avoir un conseil national d'examen déontologique, comme celui qu'a mis en place le Canadian Clinical Trials Network (Réseau canadien d'essais cliniques), connu également sous le sigle NERC.
Je crois avoir formulé des recommandations très précises et je pense vraiment qu'une intervention rapide s'impose, faute de quoi, d'ici 10 ans, nous serons encore en train de discuter des mêmes problèmes.
Le président: Je vous remercie beaucoup, docteur Tsoukas.
Nous allons maintenant donner la parole à Mme Mary Grondin, coordonnatrice des soins infirmiers du Wellsley Health Centre. Vous avez la parole, madame Grondin.
Mme Mary Grondin (coordonnatrice des soins infirmiers, «Wellsley Health Centre»): Je vous remercie de m'avoir invitée à prendre la parole. Je travaille à Toronto dans un vaste centre urbain où l'on dispose facilement de l'information sur les médicaments disponibles dans le cadre d'une distribution pour des motifs humanitaires.
Je me demande quel est le sort des malades dont les médecins et les pharmaciens se trouvent dans des régions rurales ou dans de petites localités et ne sont pas en liaison avec un grand centre urbain d'enseignement médical ou une clinique VIH financée par la province.
Après avoir entendu ceux qui m'ont précédée, je me rends à présent compte qu'il existe des gens atteints du VIH ou d'autres maladies graves qui ne peuvent avoir accès à un traitement par ignorance des médicaments existants. Dans certains cas, c'est le malade qui fait la recherche et qui entend parler d'un médicament. C'est ainsi que l'Internet pourrait s'avérer utile pour avoir accès à cette information, mais encore faut-il que le patient soit branché sur l'Internet ou ait des contacts avec les groupes de militants sidéens, s'il veut en savoir davantage sur tel et tel médicament qu'un patient ordinaire, voire la plupart des généralistes.
C'est le patient alors qui rapporte l'information au médecin qui, à son tour, présente au PMU une demande de distribution du médicament, mais s'il faut un ordinateur personnel et l'accès à l'Internet pour se mettre au courant de nouveaux traitements éventuels pour une maladie, c'est toute la notion d'équité d'accès qui est remise en question.
Quand un médicament est demandé qui n'est pas connu du PMU ou qui n'a peut-être jamais été demandé auparavant, quelqu'un doit procéder à une recherche supplémentaire sur la disponibilité du médicament.
Je me rappelle avoir dû appeler un laboratoire pharmaceutique du Maryland pour savoir si on pouvait me fournir un médicament, celui-ci n'ayant jamais été utilisé auparavant par une personne atteinte du VIH. Le PMU m'a donné le nom et l'information sur le laboratoire mais j'ai dû appeler ce dernier, obtenir l'approbation, rappeler le PMU afin que ce dernier puisse contacter le laboratoire du Maryland et que celui-ci envoie le médicament à notre patient.
Quand un médecin commande des médicaments facilement disponibles pour des motifs humanitaires, il doit recevoir l'autorisation pour chaque patient et le médicament doit être commandé de nouveau - en général chaque mois - par l'intermédiaire du PMU.
Un médecin qui a une nombreuse clientèle - parfois plus de 100 malades atteints du VIH, ou par exemple dans une clinique médicale - dans notre cas nous avons près de 300 malades atteints du VIH - cela fait, chaque mois, beaucoup de paperasserie ou d'appels téléphoniques. Dans notre centre, nous avons des infirmières chargées des appels téléphoniques, ce qui n'est pas le cas des généralistes qui, comme le disait tout à l'heure Ken Logue, n'ont pas ce genre de personnel de soutien.
Si un laboratoire et le PMU sont disposés à fournir à un médecin un médicament pour 10, 15 ou 20 patients, pourquoi ne pas simplement donner l'autorisation au médecin plutôt qu'à chaque patient? Le médecin n'aurait alors qu'à déclarer qu'un certain nombre de malades ont besoin chaque mois d'un médicament, et celui-ci pourrait être envoyé pour tous les malades plutôt que d'avoir à renouveler la demande pour chacun. Ce n'est pas chaque patient d'un médecin qui a besoin, mettons, de foscarnet, traitement pour la rétinite CMV, et qui a rendez-vous avec ce médecin le même jour du mois. Si le cabinet médical a des archives bien organisées, le médicament serait régulièrement remis à ceux qui en ont besoin.
Pourquoi, dans certains cas, ne pas livrer directement le médicament à une pharmacie qui distribue des médicaments pour d'autres traitements du VIH? Cette pharmacie pourrait avoir ces médicaments dans son inventaire, vérifier chaque mois les effets secondaires et l'information pourrait être consignée sur ordinateur afin de mieux suivre toutes les interactions éventuelles. Cela pourrait ne pas se limiter aux médicaments pour le VIH, mais également au traitement d'autres maladies, en particulier quand il s'agit d'une thérapeutique à long terme ou permanente.
Quand on peut commencer avec un médicament les essais de phase 3, le fabricant devrait être encouragé, voire tenu, de distribuer le médicament pour des motifs humanitaires et pour des essais cliniques. Ces derniers permettent au patient d'obtenir gratuitement un médicament, mai qu'advient-il pour celui qui n'habite pas dans un endroit où ces essais sont faits, ou pour ceux qui ne sont pas admissibles à y participer?
Prenez le cas du médicament saquinavir, inhibiteur protéasique mis au point par Hoffmann-La Roche. Les patients qui participent à ces essais doivent être passablement naïfs: l'AZT est le seul traitement antirétroviral autorisé. Tout donne à penser, d'après les recherches les plus récentes en Europe et aux États-Unis, qu'un traitement associé s'imposera sans doute à l'avenir. On utilisera sans doute l'AZT soit avec du ddC ou du ddI, et on y ajoutera peut-être le saquinavir. Il y a également des malades qui ne supportent pas l'AZT ou qui ont des souches de VIH résistantes à l'AZT et pour lesquelles il faut donc faire appel à d'autres antirétroviraux. Ces patients ne peuvent donc pas être inscrits dans un tel programme.
En toute justice envers Hoffmann-La Roche, le saquinavir existe, en quantité limitée, par le biais du programme d'accès humanitaire. Comment garantissons-nous qu'il en sera toujours ainsi à l'avenir? Un militant bien informé me rapporte, en effet, qu'il arrive de plus en plus souvent que le PMU approuve la distribution d'un médicament pour des motifs humanitaires, distribution que refusent les laboratoires pharmaceutiques?
Rien n'oblige en effet un laboratoire à distribuer un médicament pour des motifs humanitaires, et il faudrait peut-être pouvoir exercer des pressions sur ceux qui ne répondent pas à ces demandes. Il devrait y avoir une loi ou un règlement obligeant un laboratoire à justifier un refus, mais cela ne s'appliquerait qu'aux laboratoires canadiens. Qu'en est-il des laboratoires étrangers? Des particuliers ou des groupes de militants ne peuvent exercer aucune influence sur un laboratoire qui se trouve ailleurs qu'au Canada. Je n'ai pas de solution à cette question.
Il existe un autre problème pour les malades qui essayent de se procurer certains traitements, c'est le coût. Les laboratoires canadiens ne sont pas autorisés à faire payer les médicaments distribués dans le cadre de l'accès humanitaire, mais ce n'est pas le cas des laboratoires étrangers. C'est ainsi que les patients ont à payer près de 1 000$ par mois pour leur dose mensuelle d'un médicament appelé Thymesin.
Le gouvernement fédéral devrait clairement faire comprendre aux laboratoires que la demande en médicaments va augmenter, en particulier pour le traitement du sida. Les laboratoires pharmaceutiques disposés à investir suffisamment d'argent pour amener un médicament en phase 3 doivent augmenter leur capacité de fabrication afin de répondre aux demandes d'accès humanitaire.
Je crois que les malades bien informés ne seraient que trop heureux de signer des formulaires dégageant les laboratoires de toute responsabilité. Les patients sont avertis, et aucune autre option n'existe.
Un organisme gouvernemental, comme un bureau de médicaments sur ordonnance par exemple, pourrait faciliter ainsi ce processus qui, dans le cas de l'accès humanitaire, dégagerait de toute responsabilité les laboratoires pharmaceutiques. La demande augmentera au fur et à mesure qu'un plus grand nombre de médicaments pour le traitement du VIH feront l'objet d'essaie accélérés, et que les patients atteints d'autres maladies graves s'inspireront des tactiques des militants du sida pour avoir, eux aussi, accès à des médicaments pour des motifs humanitaires.
Le président: Je vous remercie, madame Grondin.
Monsieur Ménard.
[Français]
M. Ménard: Je suis un peu troublé, parce que les intervenants du premier groupe ont tenu un discours très, très clair, mais que ce discours a été radicalement modéré par le deuxième groupe d'intervenants.
Je poserai d'abord deux questions générales. Dois-je comprendre qu'il y a trois ordres de considérations dans les réserves avec lesquelles vous avez invité les membres du comité à envisager la question des drogues de recherche?
Le premier avait déjà été abordé par Lise Pinault, qui avait parlé des considérations d'ordre bureaucratique. Je pense que vous et le Dr Logue êtes plus particulièrement ouverts à ce niveau-là. Vous nous avez même dit qu'il y avait des compagnies pharmaceutiques qui refusaient de participer à des essais cliniques s'il y avait un accès humanitaire obligatoire. Vous nous avez bien fait voir toute la réalité bureaucratique qui est derrière cela. Je me demande si ce n'est pas l'aspect sur lequel le comité a le plus de contrôle. Donc, il y a un premier niveau de considérations qui est d'ordre bureaucratique.
Il y en a un deuxième qui est plus troublant pour le comité, parce que je ne suis pas sûr qu'on ait beaucoup de prise là-dessus comme parlementaires. Il s'agit des questions d'ordre éthique, des questions de responsabilité professionnelle.
Par contre, je ne peux m'empêcher de m'interroger car vous vous êtes tous les trois posé la même question: à partir de quel moment un médecin peut-il être en instance d'autoriser la participation à des recherches cliniques? Je pense que la réponse est venue unanimement de l'autre côté.
Lorsqu'on est une personne atteinte, lorsqu'on est malade, lorsqu'on est hypothéqué dans la vie, à mon avis, la décision qui doit nous appartenir. On doit partir du postulat qu'à partir du moment où un individu - cela ne remet pas du tout en cause la question du consentement éclairé - est conscient et souhaite emprunter la voie d'un médicament qui n'est pas encore expérimenté, il faut aller de ce côté-là.
Il serait peut-être intéressant que vous nous fassiez valoir s'il y a aussi des inquiétudes «corporatives», mot que j'emploie à défaut d'en avoir un autre, parce que certains des médecins parmi vous craignent de s'exposer à des poursuites ultérieures.
Le Réseau canadien d'essais cliniques est venu nous rencontrer en comité parlementaire et nous a expliqué qu'au cours de sa trop courte existence, 40 essais cliniques avaient été conduits. Il serait intéressant de savoir quel a été l'impact de ces 40 essais cliniques sur les individus.
L'avant-dernier témoin a fait référence à un médicament qui, après avoir été consommé, a entraîné des suites létales. Dans ce cas également, il serait intéressant d'avoir plus d'information sur ce que cela signifie sur la base de l'expérience passée. C'est une première chose sur laquelle je me pose beaucoup de questions.
Je termine, parce que je vous sens un peu impatient, mais il serait utile pour le comité d'avoir de l'information. D'ailleurs, je pense que c'est le Dr Logue qui a fait allusion aux coûts relatifs à la conduite d'expérimentations en recherche clinique pour une compagnie pharmaceutique. Si j'ai bien compris, à l'instant où l'on se parle, des données ayant trait à la sécurité ou à la toxicité d'un médicament seraient facilement accessibles, et on pourrait comparer ces données.
Quels problèmes voyez-vous ou quelles appréhensions avez-vous à l'interne quant à la cueillette d'information des industries pharmaceutiques?
Remarquez qu'on aura, plus tard au cours de cette séance, l'occasion de poser cette même question au Dr Levy et à son équipe.
[Traduction]
Le président: Docteur Logue, pouvez-vous répondre à la seconde question?
Dr Logue: Oui. Plusieurs questions ont été soulevées, et j'ai du mal à en extraire une question spécifique.
Le commentaire que je faisais tout à l'heure, disiez-vous, c'est que certains laboratoires pharmaceutiques refusent de participer à ces programmes d'accès humanitaire de crainte soit des coûts, soit d'entraver un essai clinique. C'est là une préoccupation tout à fait justifiée, mais comme le disait le Dr Tsoukas, les laboratoires pharmaceutiques sont fortement motivés à le faire. Plusieurs d'entre eux, au Canada, ont en fait témoigné de beaucoup de bonne volonté et de disposition à le faire, et je pense que le programme tant du 3TC et du saquinavir en sont des exemples.
Ce dont nous devons nous garder, je pense, c'est de mettre en place un programme d'accès élargi qui entrave effectivement la recherche clinique pour des médicaments qui ont déjà été mis à l'essai...avec peu de résultats positifs prouvés.
Là encore, je pense, nous nous trouvons en difficulté pour savoir ce qui est un traitement avéré ou traitement potentiel, ou s'il s'agit simplement d'un traitement expérimental qui n'a pas fait ses preuves. Comme je le disais dans mon intervention, les médicaments qui se sont avérés sûrs et efficaces lors d'études préliminaires devraient être distribués dans le cadre des programmes d'accès humanitaire, et ces derniers devraient être élargis.
De même que le Dr Tsoukas, je considère que la distribution individuelle de médicaments, par l'intermédiaire du PMU, n'est d'aucune utilité. Les programmes élargis d'accès ouvert nous permettent de recueillir des données de sécurité qui seraient autrement hors de notre portée. Toute donnée d'efficacité que nous pourrions en retirer constituerait un avantage, mais le rôle d'un programme d'accès humanitaire ne consiste certainement pas en cela.
Le président: Merci.
Dr Logue: Je ne sais pas si j'ai répondu à votre dernière question.
Le président: Docteur Tsoukas, que pensez-vous de la première question?
[Français]
Dr Tsoukas: Je pense qu'il n'y a aucune différence entre la responsabilité juridique des médecins qui soignent des patients dans le cadre d'un essai clinique et celle de ceux qui en soignent dans un autre programme humanitaire. Le médecin et les compagnies pharmaceutiques ont toujours la même responsabilité individuelle. Donc, au point de vue juridique, qu'on ait un programme ou non, cela ne change rien: le médecin a toujours la responsabilité juridique des soins dispensés aux patients.
M. Ménard: Si quelqu'un décède par suite d'une autorisation donnée par un médecin, cela n'engage pas ce dernier au sens corporatif du terme et cela ne l'expose pas à des poursuites. Par exemple, si un patient est devant vous et dit qu'il souhaite consommer ce médicament non expérimenté et non homologué par le Canada et que, finalement, il en décède, comme dans le cas auquel vous avez fait référence dans votre présentation, cela ne vous expose pas, comme corps médical, à une poursuite éventuelle.
Dr Tsoukas: Il y a peut-être une différence au point de vue du jugement d'un corps par rapport à un autre, mais il reste que le patient a le droit d'intenter une poursuite juridique. Si on utilise les médicaments actuellement sur le marché et approuvés par la DGPS, il y a moins de risques. Mais il y a toujours des risques quand on utilise des dosages plus élevés d'un médicament approuvé ou dont l'efficacité n'a pas été prouvée.
Le président: Merci.
[Traduction]
Monsieur Jackson.
M. Jackson (Bruce - Grey): Merci beaucoup, monsieur le président. Je voudrais formuler une observation et poser deux questions.
En tant que représentant du gouvernement, je trouve très intéressant d'entendre des gens demander une intervention gouvernementale. D'un côté, vous avez des personnes désespérées atteintes d'une maladie qui souhaitent que l'on trouve un remède, comme nous le désirons tous, j'en suis sûr, et qui nous demandent d'y consacrer le maximum de ressources. D'un autre côté, les médecins et l'industrie pharmaceutique nous disent que certaines précautions s'imposent. L'un des médecins a demandé sur qui la responsabilité retomberait au cas où un médicament tuerait quelqu'un. C'est généralement le gouvernement, mais je pense que ce devrait être le médecin ou l'industrie pharmaceutique.
Nous dépensons parfois beaucoup d'argent et ce sont généralement les avocats qui touchent cet argent, que les poursuites soient intentées contre des médecins ou l'industrie pharmaceutique.
Nous avons maintenant l'enquête Krever. En général, cela finit par se retrouver entre nos mains. Une bonne partie de ces ressources devrait être consacrée à trouver des remèdes.
Nous devons donc faire preuve de prudence, veiller à procéder de la bonne façon et je pense que la profession médicale qui est représentée ici aujourd'hui en a largement fait la preuve.
L'éducation du public me paraît extrêmement importante. Des malades nous ont dit qu'ils résidaient dans des régions rurales où l'information n'était pas suffisamment véhiculée. Nous savons également que l'information peut être diffusée par l'Internet, diverses sources et divers groupes, mais il y a des lacunes de ce côté-là. Il faudrait un échange au niveau international en ce qui concerne toutes les expériences réalisées, les médicaments disponibles, leurs effets secondaires, les risques, et cette information devrait sans soute être donnée tant aux malades qu'aux médecins.
Je voudrais poser ma première question. Existe-t-il un programme éducatif adéquat ou comment pourrions-nous contribuer à l'information du public? Cela me paraît extrêmement important.
Ma deuxième question concerne le rôle du gouvernement. Nos ressources sont limitées. Nous aimerions consacrer à cette question le plus d'argent possible. Le ministère de la Santé ne dispose que d'un budget limité et une partie de ce budget est consacrée aux diverses maladies qui ont été mentionnées et pour lesquelles il est très difficile de trouver un remède.
Dans quelle mesure faudrait-il tenir compte des résultats? Ce résultat doit-il être la guérison? Doit-il s'agir de la qualité de la vie du patient? Quelqu'un a mentionné les algorithmes et je me demande si c'est la même chose.
Dr Tsoukas: Étant donné que le gouvernement précédent et le gouvernement actuel ont fait tout en leur pouvoir pour détruire tous les progrès réalisés ici en ce qui concerne le traitement, nous avons désespérément besoin de programmes qui auraient pu être mis en place il y a cinq ans.
Au Canada, aucun financement n'est prévu pour des essais cliniques. Les fonds proviennent uniquement des sociétés pharmaceutiques privées. C'est tout à fait insuffisant.
Je participe au processus du NIH qui octroie des subventions pour les essais cliniques aux États-Unis. Nous avons un budget de 330 millions de dollars. Je doute fort qu'au cours des cinq dernières années nous ayons dépensé ne serait-ce que le centième de cette somme pour la recherche clinique sur les médicaments thérapeutiques au Canada. Nous n'avons qu'un réseau d'essais cliniques qui est totalement incapable de faire de la recherche parce qu'il n'a pas les moyens d'assumer le coût des essais.
Ce n'est donc pas une question d'éducation. Il s'agit plutôt de consacrer de l'argent à ces études et de mettre à la disposition du Canadien moyen des médicaments qu'il ne peut obtenir par l'entremise des compagnies pharmaceutiques.
M. Jackson: Dans ma deuxième question, je demandais quels critères le gouvernement devra utiliser pour répartir ses ressources. Que ce soit dans le domaine de la recherche-développement ou ailleurs, certaines personnes voudraient consacrer notre argent à toutes sortes de projets qui ne donneraient sans doute aucun résultat. Comment les évaluer?
Dr Tsoukas: Monsieur le président, nous avons un système qu'il est très facile de financer. En fait, je préside le sous-comité du Réseau canadien d'essais cliniques sur les vaccins et les immunothérapies. Jusqu'ici, une seule étude a été réalisée sur les vaccins et cela, par une compagnie pharmaceutique privée financée par des fonds américains. Nous sommes un pays du G-7 qui ne consacre pas un sou à la mise au point de vaccins contre le VIH en dehors du secteur privé. Nous devons compter sur les sociétés canadiennes comme Connaught, Pasteur et Mérieux. Nous ne faisons rien sur le plan des essais cliniques. Le reste du monde compte sur des pays comme le nôtre pour mettre au point un vaccin qui enrayera cette épidémie. Nous n'avons pas dépensé un seul sou à cet égard.
M. Jackson: Je regrette, docteur, mais vous m'avez fait un discours politique. Je vous ai demandé comment nous pouvions mesurer les résultats, mais vous me dites que nous n'avons pas les ressources nécessaires. Comme vous l'avez dit une fois, vous n'avez pas besoin de le répéter. Si je vous donne de l'argent, je veux savoir à quoi il servira et comment nous pourrons mesurer les résultats. C'est tout ce que je vous demande. Je ne connais pas la réponse.
Dr Tsoukas: La population a besoin de thérapies expérimentales. Nous avons des chercheurs qui peuvent faire des essais et des études dans l'intérêt des citoyens du pays. Nous n'avons pas d'argent pour réaliser ces études. Nous n'avons pas d'argent à cette fin. Même si nous voulions fournir à un malade des médicaments fabriqués par de petits laboratoires pharmaceutiques, nous n'avons aucun mécanisme qui nous permet de le faire au moyen des fonds fédéraux.
M. Jackson: Nous en revenons donc à la question d'argent. Désolé, mais vous n'avez pas répondu à ma question.
Le président: Madame Fry.
Mme Fry (Vancouver-Centre): Merci beaucoup, monsieur le président. Ma question s'adresse à Mme Pinault et concerne son mémoire.
Dans la recommandation 2 qui préconise de donner l'accès à certains médicaments pour des motifs humanitaires, vous dites que si la DPS n'obtient pas des renseignements suffisants ou si la société pharmaceutique ne démontre pas qu'elle compte donner accès à un médicament pour des raisons humanitaires, il y a deux possibilités. L'une d'elles consiste à enlever à cette société l'autorisation de commercialiser un médicament. À votre avis, cela aurait-il des conséquences pour d'autres Canadiens qui ne sont pas nécessairement atteints d'une maladie incurable, mais qui risquent de mourir parce qu'un permis aura été révoqué. Pensez-vous que cela risque d'arriver?
[Français]
Mme Pinault: Non, je ne pense pas que ce soit un risque, parce que je ne pense pas que les compagnies de produits pharmaceutiques en viendraient là. C'est une menace, mais je ne pense pas que les compagnies de produits pharmaceutiques en viendraient à refuser l'accès humanitaire et ainsi risquer de perdre un permis de commercialisation de leur produit au Canada.
Les compagnies de produits pharmaceutiques ont les moyens d'offrir l'accès humanitaire. C'est une question de volonté. Pour qu'elles aient beaucoup de volonté, il faut les aider un peu. Le gouvernement a ce qu'il faut pour les aider.
[Traduction]
Le président: Merci.
Nous allons maintenant passer à l'Association canadienne de l'industrie du médicament. Nous recevons ce soir le Dr Sophia Fourie, vice-présidente des Affaires médicales et réglementaires de Pharmacia and Upjohn, Inc., le Dr Michael Levy, vice-président des Sciences médicales à Glaxo Wellcome, et M. William Milligan, vice-président de la Division des affaires biomédicales d'Hoffman-La Roche.
Je crois que vous allez partager votre temps. Qui désire commencer et parlez-vous au nom de tout le groupe?
Dr Sophia Fourie (représentante, Association canadienne de l'industrie du médicament): Merci beaucoup de nous avoir invités à venir aujourd'hui. Nous sommes ici au nom de l'Association canadienne de l'industrie du médicament. Je tiens à dire que nous n'avons pas préparé de mémoire étant donné que nous n'avons disposé que d'un court préavis, comme nous en avons déjà discuté avec le président.
Je tiens également à dire, comme nous l'avons fait lors de notre comparution antérieure, que la meilleure façon de donner accès à un médicament est de faire en sorte que la Direction de la protection de la santé l'homologue dans des délais raisonnables afin que le médicament soit réellement disponible.
Je tiens également à déclarer ouvertement que, comme les patients et les médecins, nous souhaitons que les médicaments capables de sauver ou de prolonger des vies soient mis, le plus tôt possible, entre les mains des médecins afin qu'ils puissent soigner les malades.
Nous tenons beaucoup à ce que l'on continue à rationaliser le processus d'homologation des médicaments. Il faudra absolument y consacrer des ressources suffisantes.
Il existe de nombreux moyens de raccourcir le processus d'examen des médicaments. Par exemple, le recours à des examinateurs de l'extérieur ou des études entreprises conjointement avec la FDA permettrait certainement de l'abréger. L'approbation conditionnelle dont le docteur Tsoukas a parlé tout à l'heure sera une autre solution à envisager. Contrairement aux États-Unis, nous n'avons pas ce moyen à notre disposition.
Comme l'a dit Mme Pinault, nos sociétés pharmaceutiques communiquent avec des groupes de patients et les consultent, mais il faudrait certainement consolider ces liens afin que nous comprenions mieux nos préoccupations et nos difficultés mutuelles.
Je suis également reconnaissante aux personnes qui ont parlé de notre désir de donner accès à des médicaments expérimentaux pour des raisons humanitaires. Cette question est directement en rapport avec de nombreux aspects dont on a parlé cet après-midi en ce qui concerne la déontologie, la science, la médecine et la compassion.
Nous souhaitons élargir nos horizons au maximum de façon à établir un juste équilibre entre ces facteurs importants.
Merci encore de nous avoir accordé la parole.
Le président: Merci, docteur.
Docteur Levy.
Le Docteur Michael Levy (représentant, Association canadienne de l'industrie du médicament): Merci, monsieur le président, de nous avoir permis de participer aujourd'hui à cette table ronde.
Je représente, avec le docteur Fourie et M. Milligan, l'Association canadienne de l'industrie du médicament. À ce titre, je tiens à appuyer tout ce que le docteur Fourie vient de vous dire. Je tiens à souligner, moi aussi, que nous vous sommes reconnaissants de nous avoir invités à venir ici pour écouter et en apprendre plus sur la façon dont l'accès humanitaire peut répondre aux besoins des patients atteints de maladies invalidantes.
Plusieurs questions concernant l'accès humanitaire ont été abordées aujourd'hui et je sais que nous en discuterons davantage demain.
Je tiens toutefois à souligner qu'un certain nombre de réussites ont été enregistrées sur ce plan au Canada. Par exemple, à titre de vice-président des sciences médicales et chef du service médical chez Glaxo Wellcome, j'ai eu le privilège, ces dernières années, d'appuyer une équipe qui a effectué des recherches cliniques dans le but de déterminer l'innocuité et l'efficacité du 3TC, un nouveau traitement contre le VIH.
Je suis fier de pouvoir dire que, ces dernières années, environ 2 900 personnes infectées à VIH ou atteintes du sida au Canada ont été traitées au 3TC avant son homologation. La plupart de ces patients ont été traités dans le cadre du programme d'accès humanitaire tandis que les autres ont reçu le médicament dans le cadre du programme d'essai clinique. Cela représente un nombre très important si vous considérez qu'en tout 7 500 personnes environ sont traitées pour le VIH-sida au Canada. Je sais que M. Milligan souhaite nous parler d'autres réussites de ce genre ce soir.
Enfin, j'aimerais répéter ce que j'ai dit au sous-comité en mars dernier, à savoir que la meilleure façon de donner accès à de nouveaux médicaments est d'avoir un système d'homologation rapide et efficace. La distribution de médicaments d'urgence n'est qu'un palliatif et ne peut pas remplacer l'accès aux médicaments par les voies habituelles.
Monsieur le président, merci beaucoup. J'attends impatiemment la table ronde de demain.
Le président: Monsieur Milligan.
M. William Milligan (représentant, Association canadienne de l'industrie du médicament): Merci, docteur Levy. En plus de ce que vous ont dit le docteur Levy et le docteur Fourie, j'aimerais vous faire part de quelques autres réussites sur le plan de l'accès humanitaire aux médicaments expérimentaux.
Bon nombre des questions touchant la distribution de médicaments expérimentaux avant leur homologation ont déjà été abordées par certains témoins et par mes collègues. Néanmoins, à l'heure actuelle, trois programmes d'accès humanitaire ont été annoncés pour les derniers produits arrivés sur le marché du traitement du VIH. Il s'agit des inhibiteurs protéasiques cités par nos collègues médecins. Les trois compagnies pharmaceutiques qui fabriquent ces inhibiteurs protéasiques ont annoncé qu'elles mettraient sur pied des programmes d'accès humanitaire. Hoofmann-La Roche, Merck Frosst et Abbott ont toutes fourni des renseignements concernant les programmes d'accès humanitaire aux saquinavir, indinavir et ritonavir. Le saquinavir a été mis à la disposition d'environ 4 000 patients dans le monde entier, y compris au Canada. On a annoncé aujourd'hui que plus de 400 patients y auraient accès.
Le saquinavir fait partie de la catégorie d'agents antirétroviraux. Il bloque l'activité de la protéinase, une enzyme sans laquelle le VIH, le virus du sida, ne peut pas se reproduire. Les études in vitro montrent son efficacité. La phase 3 des essais cliniques in vivo se poursuit. Les essais cliniques ont révélé des améliorations dans le nombre de CD4, les marqueurs de substitution, mais on n'a pas encore de données finales sur leur survie.
Le programme d'accès humanitaire au saquinavir a été mis sur pied dans le cadre d'un programme d'accès humanitaire international mis au point en collaboration étroite avec les malades atteints du sida et les médecins qui les soignent de même que le Réseau d'essais cliniques. Au départ, ce programme sera réservé aux personnes qui en ont le plus besoin en raison des problèmes de disponibilité du médicament dont on a déjà parlé. On ne procède à un tirage au sort que lorsque la quantité des médicaments n'est pas suffisante pour le nombre de patients d'une catégorie donnée.
Comme la quantité de saquinavir disponible a augmenté ces derniers mois, le comité de huit personnes où sont représentés le Réseau d'essais cliniques, les patients et les médecins traitants a accru le nombre de patients qui pourront avoir accès au saquinavir. Très bientôt, peut-être même cette semaine, la FDA pourrait homologuer le saquinavir aux États-Unis. Cela devrait inciter les autorités canadiennes à essayer de mettre ce produit à la disposition des Canadiens sur une plus grande échelle.
Abbott a annoncé cette semaine un programme mondial d'accès humanitaire au ritonavir et fournira davantage de précisions sous peu. De plus, Merck Frosst a annoncé qu'il mettait actuellement sur pied un programme mondial d'accès humanitaire à l'indinavir dont les détails seront également annoncés prochainement.
Comme le docteur Tsoukas l'a mentionné, ces médicaments soulèvent des questions sur le plan de la résistance, de la séquence et du moment où ils doivent être utilisés. Créent-ils des problèmes pour l'administration d'autres médicaments? Offrent-ils des possibilités de traitement supplémentaires? Un grand nombre de ces questions restent sans réponse et augmentent la complexité du problème.
Je vous remercie de m'avoir accordé la parole.
Le président: Merci, monsieur Milligan.
[Français]
M. Ménard: Monsieur le président, vous avez l'air fort libéral dans l'utilisation du temps. J'espère donc qu'on pourra avoir le maximum d'échanges.
J'aurais trois questions et une remarque. Je formule d'abord le voeu que, d'ici la fin de nos travaux, on développe une certaine familiarité les uns avec les autres. J'espère aussi que les gens de l'ACIM seront convaincus du bien-fondé de l'accès humanitaire puisqu'ils ont commencé en nous disant que le meilleur accès était l'homologation, ce dont je conviens, mais si le programme d'accès humanitaire est inévitable, quelle forme idéale doit-il prendre, selon eux?
Il serait intéressant également d'avoir un complément d'information sur les trois suggestions qui ont été faites par la première intervenante en vue bonifier le processus d'homologation. Je pense même que cela devrait faire l'objet d'un document écrit, s'ils ont l'expertise nécessaire, puisqu'on nous a fait trois suggestions novatrices qu'aucun de nos témoins ne nous avaient faites en travaux parlementaires.
Ces trois suggestions sont: premièrement, utiliser l'évaluation extérieure; deuxièmement, un examen conjoint avec la FDA; troisièmement, l'approbation conditionnelle.
Ma troisième question est nettement plus indiscrète, mais je la pose quand même, étant entendu que je suis un peu effronté. Serait-il possible de connaître un jour les profits qui ont été réalisés par les compagnies pharmaceutiques regroupées sous l'ACIM? Je le dis en rendant hommage auDr Levy, qui en est à sa deuxième visite devant notre comité. Je me rappellerai toujours sa fierté quand Brian Farlinger avait exhibé un document dans lequel il soulignait le travail tout à fait admirable réalisé par la compagnie pharmaceutique qu'il représente.
Cependant, cela ne doit pas nous empêcher de nous rappeler qu'entre le moment où vous avez comparu et le moment où on se retrouve, le 3TC a été commercialisé aux États-Unis, mais pas au Canada.
Donc, voilà mes questions. Je souhaiterais beaucoup qu'on puisse partir du principe que le processus d'homologation doit être bonifié. Mais, lorsqu'on met cela dans la balance, on doit aussi accepter que ce comité devra faire une recommandation très virile, à savoir que l'accès humanitaire est inévitable.
Le président: Votre question s'adressait-elle au Dr Levy?
M. Ménard: Au premier qui voudra s'exprimer. On peut réserver les profits pour la fin.
Le président: Vous n'aurez pas de réponse sur les profits.
[Traduction]
Dr Fourie: Je répondrai d'abord à ce qui m'a semblé être une question au sujet de ces trois suggestions. Je m'excuse de ne pas pouvoir vous parler en français. Même si j'ai un nom français, j'ai perdu la capacité de m'exprimer dans cette langue.
Je dirais que ces initiatives ne sont pas nouvelles. Elles n'ont pas été tellement utilisées dans le domaine du sida, mais on y a eu recours notamment dans le cadre des examens conjoints, des études externes et surtout lorsqu'on s'est penché sur la question des ressources à la disposition de la Direction de la protection de la santé.
Regardez le processus et les améliorations apportées depuis le rapport Gagnon - je pense que des améliorations sont encore possibles. Et là, malheureusement, on en revient aux ressources et à l'argent. D'après moi, la DPS fait de son mieux avec les ressources très limitées dont elle dispose en ce moment.
Les ressources sont certes limitées. Voyons comment sont évalués les médicaments, surtout dans le domaine du sida. Les compagnies mettent au point des médicaments révolutionnaires qui représentent un progrès considérable et demandent qu'ils soient évalués en priorité. Cela nécessite beaucoup de ressources locales et accapare le temps des évaluateurs à la DPS. Il faut mettre au point une vraie capacité d'évaluation conjointe. Cela ferait gagner beaucoup de temps, puisqu'une partie de l'évaluation serait effectuée par la FDA américaine, et que nous pourrions utiliser les données obtenues. Il faut explorer cette possibilité. Il faut aussi faire un examen critique des ressources dont dispose la DPS en ce moment. Il faut penser sérieusement à un processus d'évaluation externe, et voir ce qu'on pourrait obtenir des experts dans ce domaine qui pourraient aussi participer au processus d'évaluation.
Si l'on n'étudie pas tous ces aspects en profondeur, d'après moi, l'impact des évaluations accélérées ne sera pas aussi important qu'il pourrait l'être.
Je laisserai M. Levy répondre à votre deuxième question.
Dr Levy: Monsieur Ménard, vous m'avez posé une question précise sur les profits de l'industrie pharmaceutique. Si je ne m'abuse, vous pensiez au VIH/sida. Je dois dire que vous m'avez un peu surpris. Les propos que j'ai préparés pour aujourd'hui portaient sur l'utilisation humanitaire des médicaments et sur les possibilités d'accès à ces médicaments pour ceux qui vivent avec le VIH et le sida et d'autres maladies invalidantes.
Je dois dire que j'en sais plus sur la recherche et le développement que sur le côté commercial de l'industrie pharmaceutique. Mais j'essaierai de répondre à votre question. Je vais contacter mes collègues qui travaillent du côté commercial et vous préparer une réponse.
Je devrais ajouter que ces informations ne sont pas communiquées aux compagnies de l'Association canadienne de l'industrie du médicament. Elles sont la propriété de chaque compagnie et restent confidentielles. Cela me surprendrait qu'un employé d'une compagnie puisse vous parler des profits ou de la rentabilité d'autres compagnies membres de l'ACIM.
Mais j'aurais tout de même un commentaire. Ces derniers mois, j'ai siégé au comité de planification du forum national sur le sida. À notre dernière réunion tenue ici à Ottawa il y a quelques semaines, nous avons fait quelques calculs pour déterminer l'envergure du marché VIH-sida ici au Canada. On prétend à tort que cela est un grand marché ou un marché lucratif pour les compagnies pharmaceutiques. D'après nos calculs - qui étaient très approximatifs mais probablement assez exacts - , ce marché représente moins de 1 p. 100 du marché pharmaceutique global au Canada. Vous voyez donc que le marché n'est pas très grand, et que les compagnies font des recherches dans ce domaine parce qu'elles considèrent que c'est leur devoir, et non parce qu'elles escomptent en retirer des profits énormes.
N'oublions pas que la R et D pour un produit pharmaceutique est très long et très coûteux. Vous le savez bien sûr parce que vous êtes un expert dans le domaine. Une étude récente effectuée par l'Université Tufts a démontré qu'il en coûte en moyenne à peu près 270 millions de dollars pour mettre au point un nouveau produit.
Le processus est aussi très risqué. On sait très bien que sur tous les nouveaux produits mis à l'essai, seulement un sur 10 000 finit par être commercialisé.
Cela étant, vous devez comprendre qu'une compagnie pharmaceutique doit investir beaucoup en recherche et développement pour offrir un nouveau médicament aux malades et aux victimes du VIH-sida qui en ont besoin. L'entreprise n'est donc pas nécessairement très rentable.
Le président: Rose-Marie.
Mme Ur: Merci, monsieur le président.
J'aurais quelques questions rapides. Quand une compagnie pharmaceutique reçoit une demande d'accès humanitaire, quels critères applique-t-elle pour approuver ou rejeter la demande? L'accès humanitaire représente-t-il un avantage ou un inconvénient pour les compagnies en matière de relations publiques?
Cet après-midi, nous avons entendu quelques témoignages de personnes qui souffrent de différentes maladies. Comment établissez-vous des priorités pour la fabrication des médicaments? En avez-vous? Vous concentrez-vous sur tout un domaine, ou faites-vous le détail?
Dr Fourie: J'essaierai de répondre à votre question, et puis mes collègues pourront ajouter leurs commentaires.
Dans l'environnement d'aujourd'hui, on peut dire que les compagnies pharmaceutiques font généralement leur possible pour que leurs produits soient commercialisés aussi rapidement que possible. Donc, dans ce processus, la première définition de votre stratégie de développement touche évidemment la question d'un accès élargi. Quand faut-il considérer cet accès? Cette question est un critère important dans tous les plans de développement.
Il y a toutes sortes de possibilités. Vous pouvez décider d'investir toutes vos ressources... On a dit qu'il faut à peu près 270 millions de dollars pour mettre au point un médicament. Donc, quand je parle de ressources, je parle de fonds de développement, de ressources et de personnes - tout cela investi dans un programme conçu pour que le produit soit mis en marché le plus tôt possible, pour que les médecins disposent du médicament pour traiter leurs patients.
Souvent, cela veut dire qu'on écourte la phase 2. On la comprime beaucoup. Le résultat, c'est qu'on dispose du minimum de données sur la sécurité et sur les effets exigé pour l'étude d'homologation.
Après cela, commence cette étude. Il en faut deux pour que le produit soit homologué en Amérique. Ces études doivent être très rigoureuses, assorties de critères stricts, parce que les données sur la sécurité ne sont pas aussi nombreuses. Dans le cadre d'un programme conventionnel, ce qu'on appelle la phase 2, la sécurité du produit et d'autres effets d'efficacité auraient été étudiés envore plus à fond avant la phase 3 qui est l'étude d'homologation.
On écourte ce processus. On obtient vraiment le minimum de données sur le plan de la sécurité et des effets. Puis on procède aux essais d'homologation. Puis, si tout va bien, on a un médicament révolutionnaire dont on peut demander une évaluation prioritaire. Voilà en résumé comment on procède.
Quand élargit-on l'accès? Cela dépend des décisions au niveau des essais, de la concurrence pour le nombre de patients et des patients qui participeront aux études. Ce qu'on vise, c'est de compléter les études, faire venir les patients, analyser les données, et présenter la demande. On ne veut évidemment pas compromettre les études.
On en arrive finalement à un point où on a assez de données sur la sécurité pour pouvoir évaluer les risques et les avantages. C'est là qu'intervient l'accès élargi. Il faut trouver un équilibre entre la sécurité et les effets dont pourrait raisonnablement bénéficier le patient. Au début, on n'a pas assez de garanties pour cela. Donc, si je dois généraliser pour toutes les compagnies, je dirais que les décisions sont déterminées par ces deux facteurs.
Le président: Merci.
M. Milligan: Vous avez demandé comment sont sélectionnés les participants aux essais humanitaires. Permettez-moi de vous donner quelques informations sur l'essai du saquinavir, qui a débuté en juin dernier.
Un comité de huit personnes est en train de formuler le plan d'accès à ce médicament pour des raisons humanitaires. Le comité se compose d'un spécialiste des maladies infectieuses, d'un dénéraliste, d'un spécialiste en éthique médicale, d'un représentant non médical du Réseau canadien des essais VIH et de quatre personnes séropositives. Celles-ci sont aussi membres de grandes organisations communautaires de lutte contre le sida.
Le comité comprend aussi deux représentants de Hoffmann-La Roche qui gèrent le programme d'accès humanitaire et qui identifient les personnes à qui l'utilisation pour des raisons humanitaires pourrait être offerte.
[Français]
M. Ménard: Vous vous rappellerez que, lorsque nous avons reçu Catherine Hankins, de l'Association canadienne de recherche sur le VIH, que vous tenez en haute estime, à moins d'indication contraire, et le Réseau canadien d'essais cliniques de même que l'Association canadienne de santé publique, on avait eu l'impression, ou en tout cas c'est ce que j'avais retenu, que la recherche pharmaceutique était conduite en territoire canadien ou à l'étranger par de grandes entreprises.
Plus tôt, j'ai eu un peu le sentiment, en écoutant des panélistes médecins, qu'il y avait un type de difficulté qui pouvait se poser pour des compagnies pharmaceutiques. On nous a parlé de la petitesse de la taille de certaines d'entre elles. Dites-moi, existe-t-il une appréhension? Faut-il que les membres du comité portent une attention particulière face à l'éventualité de rendre l'accès humanitaire obligatoire pour de petites compagnies pharmaceutiques qui se seraient illustrées dans la recherche?
Je suis désolé si ma question ayant trait aux profits a pu embêter l'un ou l'autre des panélistes. Mais le Dr Levy sait combien, en vieillissant, je deviens un homme terriblement prévisible. Je pourrais peut-être lui dire tout de suite que je vais lui reposer cette question dès demain.
[Traduction]
Dr Fourie: J'essaierai encore une fois de répondre à la question. Je ne sais pas au juste à quoi on fait allusion, aussi je ferai de nouveau une constatation générale: les petites compagnies ont normalement tendance à s'associer à de plus grandes compagnies pour faire équipe avec elles. En cette ère d'entreprises conjointes et de fusions, une petite compagnie qui disposerait d'un traitement potentiel vraiment original et avancé serait dans l'incapacité de faire la recherche.
Vous ne manqueriez pas de partenaires si vous aviez un traitement concret prometteur, même si vous ne disposiez que de données précliniques. Cela dist, en général. Je parle du secteur privé. Il pourrait y avoir des exemples particuliers que je ne prends pas en considération. Prenons l'exemple du 3TC. Michael pourrait dire quelques mots sur ce produit, car n'oublions pas que le 3TC est une découverte canadienne, un grand succès. Où en sommes-nous aujourd'hui avec ce médicament? Il pourrait peut-être nous faire un bref rappel historique pour illustrer ce que j'essaie de dire.
Dr Levy: Le Dr Fourie soulève un point intéressant. Il existe une bonne synergie entre tous ceux qui participent à la recherche dans le domaine du VIH-sida, entre ceux qui travaillent ensemble pour fournir de nouveaux médicaments à ceux qui en ont besoin. Il existe une synergie entre la communauté, les médecins et, j'espère, entre les compagnies pharmaceutiques et les agences de réglementation, et même entre les députés présents aujourd'hui.
Pour répondre à votre question, il y a toujours eu une donne synergie entre les petites boutiques de recherche - comme on les appelle - et les grandes compagnies pharmaceutiques multinationales. La synergie fonctionne très bien. Les petites boutiques de recherche ont besoin d'avoir accès à l'expertise et aux ressources nécessaires pour mettre leurs produits au point et les commercialiser. Et, bien sûr, les grandes compagnies cherchent toujours à soutenir les bonnes idées innovatrices.
BioChem Pharma à Montréal et Glaxo Wellcome - l'ancien Glaxo - sont d'excellents exemples. BioChem est un vrai succès canadien. À ses débuts, il y a dix ans, la compagnie n'avait que quelques employés seulement; aujourd'hui elle en compte plus de 1 000. Une grande partie de son succès est venue de sa collaboration avec Glaxo Wellcome pour la conception du médicament 3TC. Les deux compagnies ont mis en commun leurs expertises respectives pour s'assurer que ce médicament soit offert aux personnes qui en ont besoin. En même temps, le partenariat souligne la contribution du Canada au sida sur le plan international.
Le président: Docteur Tsoukas, aimeriez-vous répondre à la question?
Dr Tsoukas: En fait, je veux poser une question - on soulève cela très souvent. C'est merveilleux d'être fier du succès d'une compagnie spécifique qui a mis au point un médicament. Malheureusement, au Canada, aussitôt qu'une firme a la possibilité de développer un certain produit ici, ce potentiel quitte le pays jusqu'aux études des phases 2 et 3.
D'après moi, un de nos grands problèmes ici au Canada c'est que le Canada n'a pas effectué beaucoup d'études à la phase 1. Qu'est-ce que l'industrie pharmaceutique canadienne pourrait faire pour promouvoir les études à la phase 1 pour de nouveaux produits qui sont en train d'être mis au point ici au Canada et qui en sont au stade préclinique?
Le président: Allez-y, docteur Levy.
Dr Levy: Vous serez content de savoir qu'une partie des travaux de la phase 1 du médicament 3TC a été effectuée ici au Canada. Ils n'ont pas tous été effectués à l'étranger. Comme vous le savez, les essais à la phase 1 nécessitent très peu de participants en moyenne peut-être 12 à 24 personnes, qui se portent volontaires. Les essais à la phase 2 sont beaucoup plus importants et exigent la participation de centaines de personnes, ceux de la phase 3, des milliers de personnes.
Alors, un pays en particulier a vraiment très peu de possibilités de participer fortement à des essais à la phase 1. Mais, dans le cas du 3TC notamment, le Canada a participé dans une certaine mesure.
Cependant, je pense que notre pays pourrait améliorer la réglementation pour faciliter la tenue de ces essais au Canada. À l'heure actuelle, la réglementation canadienne pour les essais de nouveaux médicaments est très rigoureuse, sinon la plus rigoureuse au monde. En conséquence, il y a des retards importants, et il faut soumettre des propositions volumineuses au gouvernement pour commencer ce genre de recherches au Canada. Donc, le Canada n'est pas très attirant pour les fabricants de produits pharmaceutiques, qui peuvent effectuer des recherches dans d'autres pays où le gouvernement appuie davantage les recherches aux premières phases.
Le président: Avez-vous une brève observation, docteur Fourie?
Dr Fourie: Comme j'en ai fait l'expérience, je suis tout à fait d'accord avec le docteur Levy. Je dois vous dire qu'il y a des gens en Europe et ailleurs qui s'intéressent particulièrement aux essais à la phase 1, ainsi qu'aux autres phases. Ces gens sont prêts. Ils ont les unités voulues. Dans ces pays, la réglementation des médicaments est telle que l'on peut pratiquement y aller tout de suite pour effectuer une étude.
En effet, nous avons connu ce même problème quand nous avons commencé à élaborer notre médicament. On m'a demandé de trouver un endroit pour mener une étude à la phase 1 au Canada. J'ai cherché une unité de soins et j'en ai trouvé une. Malheureusement, il fallait effectuer cette étude à l'interne, à l'hôpital. Il nous fallait de 12 à 18 lits, et nous avions plusieurs autres exigences qui rendaient l'étude encore plus compliquée. En tout cas, une fois l'unité trouvée et une fois prêts à soumettre la proposition, j'ai appris que l'Espagne avait donné son aval et que la compagnie pouvait tout simplement s'y rendre pour commencer l'étude. C'est ainsi que l'occassion nous est passée sous le nez.
À mon avis, il nous faut examiner le processus pour l'accélérer, pour réduire la paperasserie et pour déterminer ce qui est vraiment nécessaire. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Nos spécialistes sont de premier ordre, mais nous n'avons pas le nombre d'études de phase 1 que nous méritons ici au Canada.
M. Milligan: Permettez-moi d'ajouter quelque chose.
Au Canada, nous n'avons pas eu de vision pour créer un pays qui appuie la recherche fondamentale. À mon avis, la motivation est venue des médecins et des universitaires. Cependant, comme l'octroi de licences est obligatoire au Canada depuis presque 18 ans, on peut comprendre pourquoi les sociétés pharmaceutiques à la recherche de marchés susceptibles de leur assurer une croissance continue choisissent d'autres pays pour élaborer l'infrastructure nécessaire.
Je vous donne un exemple de la société Roche. Il y a aux États-Unis des centres d'excellence pour bon nombre des maladies dont nous parlons aujourd'hui. Si ces centres d'excellence se sont établis là-bas, et je vous signale que bon nombre de ces centres comptent dans leurs rangs des Canadiens très doués qui ont déménagé aux États-Unis pour y travailler, c'est en raison de l'environnement dans lequel évolue l'industrie pharmaceutique au Canada depuis les deux dernières décennies.
Le président: Merci. Docteur Logue, vous avez la dernière question.
Dr Logue: Je voudrais simplement faire deux observations. D'abord, je voudrais souligner certains commentaires formulés par le docteur Tsoukas. Après avoir entendu les représentants des sociétés pharmaceutiques parler des programmes d'accès humanitaire qui existent actuellement au Canada, et des avantages de ces programmes, j'applaudis à ces efforts et leur en suis reconnaissant.
Toutefois, le docteur Tsoukas a signalé que des programmes d'accès humanitaire à un médicament qui est à peine efficace, qui n'est pas efficace, qui risque de ne pas être efficace ou dont l'efficacité n'a pas encore été démontrée, ne peuvent pas remplacer un essai qui permettra d'approuver rapidement un médicament efficace.
Pour faire suite à la discussion sur le 3TC, je signale que ce médicament est maintenant homologué aux États-Unis. Les avantages cliniques de ce médicament ont été démontrés de façon probante. On parle beaucoup du fait que les recherches pour ce médicament ont commencé au Canada, et que le Canada y a participé, mais aujourd'hui le 3TC est homologué aux États-Unis, mais pas au Canada.
J'ai accès au médicament grâce à un programme humanitaire administré par Glaxo Wellcome aux États-Unis. Je crois qu'il serait intéressant que les membres du comité peut-être posent la question aux représentants des sociétés pharmaceutiques. Est-ce que l'accès à ce médicament n'aurait pas été accéléré pour mes patients. si on avait déjà mis en oeuvre certaines des recommandations que vous et le docteur Tsoukas avez faites en ce qui a trait à l'approbation du médicament? Par cela, j'entends un examen entrepris conjointement par la DPS et la FDA américaine ou une approbation subordonnée.
Dr Levy: Je crois que vous avez tout à fait raison pour ce qui est de dire que la chose la plus importante, c'est de nous assurer que nous avons la démarche d'approbation la plus rapide et la plus efficace possible au Canada, pour pouvoir assurer un bon accès aux nouvelles découvertes thérapeutiques importantes.
Pour ce qui est du 3TC en particulier, par contre, nous sommes très heureux de la collaboration qu'il y a eue entre nous et la Direction générale de la protection de la santé. L'homologation de ce médicament pour l'utilisation générale au Canada est inminente. Si cela se passe comme nous l'espérons, la DPS aura examiné et approuvé ce médicament dans environ cinq mois, un temps record pour elle, en vertu du système accéléré qu'elle a mis en place.
Je crois que lorsqu'on regarde les ressources dont dispose une très grande bureaucratie comme la FDA et qu'on les compare aux ressources limitées dont dispose une bureaucratie relativement petite comme la DPS, nous devons être impressionnés et ravis qu'elle ait pu passer essentiellement au travers de la même quantité de documentation et de matériel pour en arriver à cette approbation. Le fait qu'un médicament soit approuvé deux jours ou même deux semaines plus tôt dans un pays que dans un autre n'est pas si important. Je crois que c'est un cas particulier où nous pouvons être fiers des efforts de la DPS.
Dr Logue: Puis-je faire un autre commentaire? Je ne crois pas qu'un court laps de temps soit si important. Mais, en même temps, si j'étais un malade, cela m'inporterait. Si le cadre d'approbation et d'élaboration d'un médicament est multinational, si les études actuelles du 3TC sont multinationales et se déroulent aux États-Unis, au Canada et ailleurs, et si les renseignements tirés de ces études et les données scientifiques sont présentés à deux organismes de réglementation en même temps, pour quelle raison - en tant que malade au Canada - ne pourrais-je pas m'attendre à une démarche d'approbation aussi expéditive qu'au sud de la frontière? Ce sont les mêmes renseignements. Pour quelle raison ne pourrais-je pas m'attendre, en tant que malade ou consommateur, à ce que nous fassions tout notre possible pour nous assurer qu'il y ait une communication conjointe de l'étude multinationale, pour permettre une approbation plus rapide?
Le président: Monsieur Milligan.
M. Milligan: Je crois que c'est une excellente question. Le docteur Tsoukas a mentionné deux exemples où nous avions été très efficaces, pour ce qui est des examens parallèles du ddI et ddC il y a environ deux ans et demi. Je crois qu'ils ont été commercialisés la même semaine dans les deux pays. Il y a donc des réussites dans notre histoire. Quant à savoir pourquoi nous n'avons pas pu y arriver plus récemment, eh bien, c'est un point d'interrogation.
[Français]
Le président: Merci beaucoup pour votre participation à cette grande demi-journée. Je tiens à remercier tous les panélistes, tous les gens qui se sont déplacés pour venir rencontrer les membres du Sous-comité sur le VIH/sida.
Nous allons reprendre nos travaux demain matin à 9 h, dans la salle 253-D. Je vous souhaite un bon retour et une bonne fin de soirée. Merci beaucoup.
La séance est levée.