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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 29 novembre 1995

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[Français]

Le coprésident (M. Milliken): À l'ordre. Nous avons maintenant quorum. Je suis heureux de souhaiter la bienvenue à Mme Susan Murray, présidente de SAMCI, S.A. Murray Consulting Inc.

[Traduction]

Madame Murray, nous vous souhaitons la bienvenue et nous vous remercions d'avoir pris le temps de comparaître aujourd'hui devant le comité. Nous sommes désolés de commencer en retard. Vous avez une déclaration préliminaire, je crois, avant que l'on ne vous pose quelques questions. Vous avez la parole.

Mme Susan A. Murray (présidente, S.A. Murray Consulting Inc.): Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis accompagnée de mon associée, Kory MacDonald, qui m'a aidée à préparer mon exposé.

Je vous remercie de m'avoir invitée à vous faire part de mes observations sur l'instauration d'un code d'éthique à l'intention des députés et des sénateurs. J'ai rencontré certains d'entre vous auparavant - mais aucun des membres du comité, je pense - lorsque j'ai présenté des mémoires à propos de la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes.

Depuis plus de 13 ans, mes associés et moi-même travaillons à rendre les relations entre nos clients et le gouvernement productives, efficientes et efficaces. Une bonne partie de notre travail consiste à interpréter et à analyser ce qui se passe au sein du gouvernement, de manière à informer nos clients des possibilités et des problèmes qui se présentent pour qu'ils puissent y réagir immédiatement.

L'entreprise que nous formons n'est pas partisane. Nous avons travaillé avec des gouvernements libéraux, conservateurs et néo-démocrates dans tout le Canada. Un changement de gouvernement se traduit habituellement par l'arrivée d'une nouvelle équipe et par l'adoption de nouvelles priorités, mais l'essentiel de notre travail demeure le même.

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Je ne peux résister à la tentation de vous citer ce petit extrait d'une lettre merveilleuse adressée au rédacteur en chef du Globe and Mail, qui a paru le jour suivant une élection et qui résume très bien ce que je veux dire: «Je vois que rien n'a changé», maugréait le correspondant en question. «Le gouvernement est toujours entre les mains du gouvernement.» Tant qu'il en sera ainsi, mes associés et moi-même continueront, je crois, à avoir du travail.

Je veux axer aujourd'hui mon exposé sur des questions liées aux principes moraux, aux conflits d'intérêt et à ma propre expérience de lobbyiste tenue de respecter un code d'éthique écrit. Même si les lobbyistes ne sont pas titulaires d'une charge publique, ils ont tous travaillé au gouvernement. Ils sont préoccupés par bon nombre des mêmes questions que vous, et sont parfois dépeints, eux aussi, d'une manière négative par des citoyens cyniques.

Je commencerai par ce point. Les politiciens et les lobbyistes sont parfois considérés comme des opportunistes égoïstes dont la loyauté peut être librement achetée et dont la moralité est asservie à leur intérêt personnel.

Cette image m'attriste parce que mon expérience m'a montré qu'elle est presque toujours fausse. Vous, en tant que politiciens, et moi, en tant que lobbyiste, avons déjà été très déçus du comportement de certains de nos collègues. De l'ivraie a parfois poussé dans le bon grain, de part et d'autre. Toutefois, je crois que la très grande majorité des politiciens et des lobbyistes sont honnêtes et tentent d'agir dans l'intérêt public.

Je ne veux pas non plus paraître égoïste. Je ne suis pas une optimiste à tout crin et je n'ignore rien de ces questions. La firme SAMCI s'est dotée d'un code d'éthique écrit que j'ai joint en annexe à mon mémoire, pour votre information. De fait, nous venons tout juste de le mettre à jour.

Notre code d'éthique existe depuis 1983, c'est-à-dire avant que cette question ne soit à la mode, avant qu'une loi sur notre industrie ne soit adoptée et avant qu'il n'existe une association professionnelle; c'est dire que le code de notre entreprise a traversé l'épreuve du temps, et nous sommes toujours aussi résolus aujourd'hui à en respecter l'esprit et à en appliquer les principes.

J'ai pensé qu'après vous avoir dit cela, je devrais vous donner quelques exemples concrets de la façon dont mes collègues et moi-même appliquons pratiquement notre code d'éthique dans la conduite de nos activités quotidiennes. Je ne crois pas que le code d'éthique le plus fouillé ait quelque réalité que ce soit si on ne l'utilise pas dans une situation difficile.

Premièrement, je suis l'entrepreneure type. Lorsque j'ai lancé mon entreprise en 1982, j'ai passé trois mois à attendre le client, ce qui signifie donc que je n'avais aucun revenu. Il a fallu que je me débrouille. Quelques semaines après avoir retenu mes services, mon premier client m'a demandé d'intervenir auprès d'un procureur général provincial sur un point d'ordre juridique. J'ai immédiatement donné ma démission à ce client.

Deuxièmement, nous avons toujours refusé de nous occuper de dossiers où l'on prévoyait des honoraires conditionnels, et depuis bien des années, nous conseillons au gouvernement d'interdire les honoraires conditionnels, notamment dans le domaine de l'approvisionnement.

Troisièmement, il y a tout juste deux semaines, un des conseillers que j'emploie m'a prévenue que les avocats d'un de nos clients lui avaient fourni des informations à son propos qui changeaient concrètement la façon dont nous aurions travaillé avec les hauts fonctionnaires intéressés par ce dossier. Notre code d'éthique stipule que nous ne devons pas, sciemment, induire des fonctionnaires en erreur. Nous avons envoyé à notre client une lettre de démission, et nous avons appelé les fonctionnaires concernés pour leur dire que nous ne pouvions plus agir au nom de cette société.

Un code d'éthique n'est qu'une feuille de papier de plus à moins qu'on ne l'applique au jour le jour, au fur et à mesure que les difficultés surgissent, et qu'on en fasse ainsi quelque chose de bien réel.

De nos jours, il est clair que l'on cherche à renouveler et à réinventer toutes les institutions publiques. À titre de parlementaires, vous êtes confrontés à des défis majeurs et avez, plus que jamais, la possibilité de jouer le rôle de chefs de file dans ce processus de renouvellement; toutefois, je ne pense pas que l'on puisse réinventer nos institutions sans chercher à voir, tout d'abord, en quoi elles sont imparfaites et pourquoi elles ne permettent pas d'obtenir les résultats escomptés.

J'estime aussi que nous devrions reconnaître, dès le départ, les limites du projet qui nous occupe. Toute personne qui chercherait une norme parfaite ou une série de règles idéales sera déçue. Je me souviens d'un commentaire qu'a formulé l'année dernière, l'honorable Mitchell Sharp devant le comité de M. Zed: «On ne peut réglementer l'honnêteté». C'est là, je pense, une idée fondamentale qui devrait vous guider.

Quels que soient les éléments que vous décidiez d'inclure dans un code d'éthique, si vous en établissez un, selon moi, les résultats ultimes dépendront de la volonté des parlementaires d'agir d'une manière honorable et, essentiellement, de faire la différence entre ce qui est juste et ce qui ne l'est pas.

Cela signifie-t-il pour autant que cette initiative est sans importance ou qu'il ne s'agit que de paroles en l'air? Je ne le pense pas. Le public a un droit fondamental, celui d'être convaincu que les personnes qu'il élit se déchargent de leurs responsabilités honnêtement et impartialement. Selon moi, un code d'éthique aide les citoyens et les parlementaires à saisir toute la complexité de la vie publique et, ce qui est encore plus important, à s'assurer que les titulaires de charges publiques s'acquittent bien de leur travail. Si je peux évoquer la notion de «neutralité» dans un lieu où la politique est omniprésente, un tel code permet d'établir un juste équilibre entre la libre circulation de l'information et l'obligation de rendre compte au public. C'est un pas dans la bonne direction et un progrès important.

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L'intégrité et l'impartialité constituent les fondements de l'éthique dans le secteur public. Les gens s'attendent à ce que les services offerts par les organismes publics leur soient fournis sans que l'on attache d'importance aux caractéristiques personnelles qui les singularisent, en un mot, à ce qu'ils soient tous traités de la même façon. Ils s'attendent également à ce que les titulaires d'une charge publique, qu'il s'agisse d'un simple député, d'un sénateur, d'un fonctionnaire ou d'un juge, soient honnêtes en toute occasion et ne bénéficient pas, à cause du poste qu'ils occupent d'avantages personnels indus.

En fin de compte, tout se résume à un principe particulièrement simple: la corruption constitue une infraction criminelle grave. Un code d'éthique à l'intention des députés et des sénateurs permettra de leur rappeler des principes de ce genre et de les guider de manière à ce qu'ils évitent les situations qui peuvent menacer leur intégrité, et à ce qu'ils puissent faire face à des événements ou à des circonstances qui pourraient être interprétés comme une menace à leur intégrité de député et de sénateur ou comme un manque de probité.

Permettez-moi d'illustrer mes propos en vous donnant un ou deux exemples. Le siège social d'une entreprise pharmaceutique est situé dans la circonscription d'une députée nouvellement élue. Cette dernière est invitée à déjeuner par la vice-présidente des affaires publiques de la société en question, qui déclare qu'elle souhaite présenter son entreprise et offrir à la députée l'aide dont elle pourra avoir besoin pour s'occuper des dossiers relatifs aux soins de santé. Le déjeuner est agréable et les deux convives conviennent de partager les frais.

Quelques mois plus tard, cette même vice-présidente offre à la députée deux billets pour un match des séries éliminatoires de la coupe Stanley, et lui signale que l'entreprise dispose d'une loge et qu'elle offre fréquemment des billets à certains députés, de même qu'à ses clients et à d'autres invités. La situation pose-t-elle un problème?

Deuxième exemple. Un programme gouvernemental d'aide industrielle doit bientôt être renouvelé. L'association qui représente l'industrie engage une firme de lobbyistes et s'assure du concours de plusieurs représentants de l'industrie; un conseiller principal en relations avec le gouvernement organise des réunions avec de hauts fonctionnaires, ainsi que des membres du cabinet du ministre. Il rencontre également les députés des circonscriptions où sont situées les entreprises concernées.

Au cours de chacune de ces réunions, il présente une analyse qui démontre que l'aide gouvernementale suscite tellement d'investissements complémentaires au sein du secteur privé que le gouvernement retire du programme, sous forme d'impôts plus d'argent qu'il n'y contribue. Il demande donc que l'on tienne compte de cela lorsque la question du renouvellement de ce programme sera examinée. Cette intervention est-elle appropriée?

Selon moi, ces deux situations sont acceptables, à condition de prendre certaines précautions. Je pars du principe qu'un député se doit de représenter tous ses électeurs, et qu'il lui faut donc apprendre à les connaître et s'informer de leurs préoccupations pour faire son travail convenablement. Cela ne veut pas dire qu'il ne se posera jamais de problème.

Il n'y a aucun mal à ce qu'un député déjeune avec le représentant d'une entreprise ou d'un groupe d'intérêt implanté dans sa circonscription, particulièrement lorsque les intéressés partagent les frais du repas, comme dans l'exemple que j'ai donné.

L'offre de billets pour les séries éliminatoires de la coupe Stanley pourrait toutefois être perçue différemment. Premièrement, ils ont une beaucoup plus grande valeur - ou du moins, ils en avaient auparavant, cet exemple date.

Deuxièmement, c'est quelque chose qui était auparavant beaucoup plus rare. La question qu'il faut évidemment se poser est la suivante: Pourquoi la compagnie distribue-t-elle ces billets? La façon la plus simple d'éviter des problèmes est évidemment de refuser ces billets, sous prétexte qu'il y a certainement bien d'autres personnes avec qui la vice-présidente de l'entreprise en question préférerait passer une soirée. L'autre façon de s'en tirer est d'accepter les billets à condition de les payer.

Vous pouvez également envisager des règles semblables à celles qui ont été adoptées en Ontario, et qui prévoient qu'un membre de l'Assemblée législative peut accepter un cadeau ou un avantage personnel «qui est reçu dans le cadre du protocole ou d'obligations sociales qui accompagnent habituellement les charges de la fonction». Cependant, si ce cadeau est d'une valeur supérieure à 200 $ ou si la valeur totale des cadeaux reçus d'une même source dépasse 200 $ par an, le député doit transmettre une déclaration au commissaire de l'intégrité provincial. Le raisonnement logique que reflète la Loi concernant les conflits d'intérêt des membres de l'Assemblée de l'Ontario est qu'un avantage qui a été divulgué peut difficilement avoir un effet néfaste sur le comportement des législateurs.

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Le second cas est probablement le plus répandu. Il s'agit de rencontres entre les représentants d'une société, des fonctionnaires et des parlementaires, dans le but de défendre le financement d'un programme établi. Dans cet exemple, un lobbyiste rémunéré participe au processus, mais cette personne se contente de fournir des conseils et de faciliter les discussions qui sont menées par les représentants de la société concernée.

Mis à part le fait que quelqu'un est rémunéré pour l'aide qu'il fournit, il s'agit là tout simplement d'électeurs qui communiquent avec leurs représentants élus. Tant que tout autre groupe a également accès à ces représentants, le lobbyiste n'est rien de plus qu'un intermédiaire qui exécute des tâches dont la société concernée aurait pu se charger elle-même.

J'espère que ces exemples font ressortir plusieurs caractéristiques des conflits d'intérêt qui pourraient être pour vous des sujets de réflexion.

Premièrement, bon nombre de situations ne sont pas très claires. Il n'y a rien de mal à accepter deux billets pour assister à un match de hockey, même si cela fait l'envie de certains de vos amis, de vos parents et de vos collègues. Mais qu'arrive-t-il si l'on vous offre des billets pour un match éliminatoire qui a lieu dans une autre ville, et que l'on vous propose également un week-end à l'hôtel ainsi qu'un billet d'avion gratuits? Il est assez difficile de faire entrer cette offre dans la catégorie des avantages reçus dans le cadre du protocole ou d'obligations sociales.

Deuxièmement, des situations différentes appellent des réactions différentes. Parfois, le mieux, c'est de refuser - de dire tout simplement: «Non merci» - alors que dans d'autres circonstances, il peut être préférable de divulguer l'avantage dont on a pu bénéficier.

Enfin, il peut arriver qu'un député ou un sénateur étudie un dossier qui a trait à ses intérêts financiers personnels. Dans ce cas, le député ou le sénateur concerné ne devrait participer ni aux débats afférents ni à la prise de décision.

Il existera toujours des gens soupçonneux ou passés maître dans l'art de trouver quelque chose à redire. Un code d'éthique ne doit pas se limiter à chercher à réduire au silence ceux qui se plaignent des politiciens. En quelques circonstances que ce soit, ce qui est fondamental, c'est le droit du public à être traité de façon impartiale et représenté par des élus intègres.

Enfin, pour réglementer la conduite des députés et des sénateurs, il faudra toujours tenter de maintenir un équilibre entre la libre circulation de l'information et l'intégrité des représentants élus. Aucun règlement ne peut tenir compte à l'avance de tous les cas possibles.

Je suis convaincue que nous sommes parvenus à un carrefour en ce qui concerne la représentation publique au Canada - et cela n'a rien à voir avec la Constitution. Le gouvernement et la vie politique dans notre pays n'ont plus grand chose de commun avec les priorités, ou même les attentes, de bien des gens. Les deux choses ne concordent plus et les gens sont de plus en plus désenchantés et dégoûtés de constater qu'il existe un fossé entre ce qu'ils veulent - ou ce qu'ils pensent vouloir - et ce qu'ils pensent recevoir. Cet écart entre les plans d'action du gouvernement et les attentes des citoyens n'est pas sain, il favorise le gaspillage et l'inefficacité au sein du gouvernement.

Selon moi, les Canadiens ont des années d'avance sur leurs politiciens. Ils souhaitent un gouvernement moins omniprésent, mais ils croient encore au gouvernement et à son action positive. Ils souhaitent obtenir des services du gouvernement, mais ils sont prêts à en accepter beaucoup moins que ce que croient la plupart des politiciens. S'ils sont prêts à accepter que le gouvernement assure moins de services, ce n'est pas parce qu'ils estiment qu'ils sont de mauvaise qualité, que les fonctionnaires sont des fainéants ou encore que ceux qui sont pauvres et vulnérables ne les méritent pas. Ils en ont assez de financer un gouvernement qui se chargerait de tout, qui serait, en quelque sorte, une panacée répondant aux besoins de tous les Canadiens et à qui ils pourraient s'adresser pour se faire protéger, loger, instruire, élever, orienter, socialiser, prendre en charge, etc.

À mon avis, ils souhaitent que le gouvernement s'efforce, avant tout, de mieux répondre aux besoins de sa clientèle. Ils considèrent que le rôle du gouvernement est de créer des conditions propices pour que les particuliers, les entreprises et les associations de toutes sortes puissent se développer. Le gouvernement devrait se préoccuper bien davantage d'établir des normes, de définir un cadre de fonctionnement et de jouer un rôle de facilitateur, mais de moins en moins de fournir directement des services.

Il est temps de préparer le gouvernement à faire face à l'avenir. Au Canada, le gouvernement est en train de se redéfinir; il est obligé de le faire. L'organisation de nos gouvernements, les principes de base, ainsi que les pratiques commerciales qu'ils ont adoptées jusqu'ici, sont dépassés. Les anciens modèles ne valent plus rien et nous devons commencer à en inventer de nouveaux.

Le défi que vous devez relever, à titre de députés ou de sénateurs, me rappelle la situation dans laquelle je me suis trouvée lorsque j'ai créé mon entreprise de relations avec le gouvernement au début des années quatre-vingt. Je me suis dit au départ que les secteurs public et privé constituaient souvent deux blocs qui s'opposaient à cause de leur méfiance mutuelle et d'un manque d'information pertinente. Je me suis rendu compte que ces deux blocs pourraient bénéficier des services de quelqu'un qui tenterait de les rapprocher; autrement dit, une firme dont la fonction serait d'aider les entreprises et autres organismes à jouer un rôle de chef de file dans la recherche de solutions à leurs propres problèmes, de concert avec leur gouvernement.

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Il fut un temps où les relations avec les gouvernements étaient très différentes. À une époque, il suffisait de faire appel à ses contacts ou à ses amis politiques pour obtenir des résultats - où ce qui comptait, ce n'était pas ce que vous saviez mais qui vous connaissiez - et où le lobbying consistait à échanger des faveurs politiques contre des contributions à la caisse électorale ou d'autres avantages monétaires.

Ces jours sont révolus. Les décisions gouvernementales ne laissent plus de place aujourd'hui à des mesures et des solutions qui ne sont pas justifiables dans l'optique de l'intérêt public. Les électeurs ont clairement indiqué qu'ils sont prêts à prendre des mesures de rétorsion lorsque de mauvaises décisions sont prises.

De nos jours, toute firme de lobbying qui ne s'en remettrait qu'à ses relations politiques ne ferait pas long feu. Quelques mots glissés dans l'oreille d'un ami politicien au cours d'un dîner ou d'une partie de golf - pendant longtemps, j'ai beaucoup entendu parler de golf - ne permettront tout simplement pas de résoudre les problèmes complexes qui se posent aujourd'hui. Les lobbyistes ne peuvent plus uniquement se fier à un carnet d'adresses bien rempli ni à leur éloquence.

J'espère... et je suis persuadée que SAMCI continuera de fonctionner dans le cadre d'un nouveau système où l'on rejette le copinage, l'influence déguisée, ainsi que l'échange de faveurs politiques. De mon point de vue, les parlementaires ont aujourd'hui également l'occasion d'adopter un nouveau système.

Je crois que la tendance, parmi les Canadiens, est d'accorder moins d'importance aux questions partisanes qu'à la probité, la bonne foi et la volonté politique d'agir correctement, quitte à y perdre en popularité à l'occasion. Non pas que l'appartenance à un parti soit mauvaise en soi, ni que le respect de la ligne de conduite définie par un parti ainsi que la loyauté politique soient des concepts dépassés, mais cela ne peut plus constituer la seule pierre angulaire de la politique au cours des années quatre-vingt-dix et du prochain millénaire.

L'adoption de principes éthiques est un des aspects fondamentaux du processus de renouvellement engagé par le gouvernement. C'est ce qui pousse la population à exiger de plus en plus de comptes de ses dirigeants. Ce n'est pas que la plupart des gens estiment que les élus et les fonctionnaires sont malhonnêtes, mais ils souhaitent que les titulaires d'une charge publique s'engagent sans réserve à respecter certaines normes en matière d'honnêteté, de responsabilité et d'intégrité. À mon avis, c'est l'occasion rêvée pour les députés et les sénateurs d'assumer un rôle de chefs de file.

SAMCI a été la première entreprise canadienne de relations avec le gouvernement à adopter un code d'éthique officiel. Je crois que nous avons fixé la norme en matière de relations éthiques avec les gouvernements. Pendant la période de questions, je pourrais vous parler des difficultés que nous avons rencontrées pendant de nombreuses années. Il a fallu payer, d'un certain point de vue, mais au bout du compte, c'était la façon la plus sensée de procéder.

Nous n'avons pas toujours évité les problèmes. Toutefois, l'expérience m'a démontré que faire du respect de certaines normes éthiques la pierre angulaire des activités d'une entreprise a toujours, au bout du compte, des retombées positives qui ont une énorme importance.

En premier lieu, les deux parties en cause savent à quoi s'attendre et évitent bien des risques de malentendus et d'interprétations erronées. Nos clients savent que nous ne vendons pas à la sauvette une certaine influence dans les milieux politiques ou auprès de bureaucrates. Avant de retenir nos services, ils savent que nous ne fournirons pas sciemment aux fonctionnaires des renseignements inexacts ou susceptibles de les induire en erreur, et que nous ne jouerons pas sur les deux tableaux. Quand nous signons un contrat avec un client, nous nous engageons à refuser tout travail qui nous placerait directement en situation de conflit d'intérêts par rapport à d'autres clients.

En deuxième lieu, étant donné que nous préconisons une représentation transparente, nos rapports avec les fonctionnaires et les politiciens sont équitables, raisonnables et ouverts. Cette façon d'agir nous a mérité le respect de fonctionnaires et de députés partout au Canada, et c'est un atout sur le plan professionnel.

En troisième lieu, nous sommes ainsi sensibilisés aux problèmes qui peuvent survenir lorsqu'aucune règle n'a été établie. Par exemple, au début des années quatre-vingt-dix, j'ai engagé deux conseillers principaux qui avaient leurs entrées au gouvernement de l'Ontario, alors dirigé par le NPD. Une de ces personnes avait été conseillère politique et était alors fonctionnaire, mais son conjoint était encore chef de cabinet d'un ministre. L'autre personne était conseiller principal au cabinet du Premier ministre.

Comme vous le savez peut-être, aucune règle ne régit l'après-mandat du personnel politique du gouvernement de l'Ontario. Dans chaque cas, nous avons demandé conseil au commissaire chargé des conflits d'intérêt - qui s'appelle maintenant commissaire de l'intégrité - , et nous avons circonscrit avec précision les tâches qui seraient confiées à ces personnes par SAMCI. Et c'était à l'époque où d'anciens sous-ministres proposaient leurs services dans le secteur dont ils étaient encore chargés la veille.

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Encore une fois, aucune règle n'existait. Mais nous étions persuadés que nous devions montrer la voie à suivre. Cette formule s'est soldée par des avantages pour SAMCI ainsi que pour le gouvernement. Cela a permis de souligner que notre firme s'engageait à avoir des relations éthiques avec le gouvernement, mais cela a également encouragé les conseillers en question et leurs interlocuteurs au gouvernement de l'Ontario à travailler sans craindre de tomber dans l'irrégularité ou les conflits d'intérêts.

Enfin, avec notre code en place, nous pouvons nous concentrer sur notre spécialité, c'est-à-dire donner à nos clients des conseils professionnels sur les questions qui les concernent. Encore une fois, c'est un point qui a une importance particulière pour les députés et les sénateurs. Les pressions qui s'exercent sur le gouvernement sont tellement nombreuses que cela vaut vraiment la peine de prendre toute mesure susceptible de simplifier votre travail de représentation, et de démontrer davantage à la population que vous respectez les normes d'intégrité les plus sévères.

Dans toute l'Amérique du Nord, les difficultés financières et autres contraintes ont obligé les gouvernements à se renouveler, à devenir plus efficaces et à faire davantage avec des moyens réduits. Je sais que vous partagez ces objectifs, et j'espère que vous envisagerez l'élaboration d'un code d'éthique à l'intention des députés et des sénateurs comme un moyen important de faire reposer sur des principes éthiques les activités quotidiennes de notre démocratie parlementaire.

En terminant, je tiens à vous dire que je serais ravie de travailler en collaboration avec les membres du comité ou avec son personnel, et de vous donner toute l'aide dont vous pourriez avoir besoin au fur et à mesure que vous avancez dans vos travaux. Je me ferai maintenant un plaisir de répondre à vos questions.

Le coprésident (M. Milliken): Merci beaucoup de cet exposé très approfondi.

Je prie Mme Catterall de poser les premières questions.

Mme Catterall (Ottawa-Ouest): Tout d'abord, merci beaucoup de nous avoir présenté un exposé qui m'a frappée par sa fraîcheur, et d'avoir situé la question dans un contexte concret.

En 20 ans de vie publique, j'ai rencontré très peu de titulaires de charges publiques qui n'étaient pas animés des plus nobles sentiments, au point d'agir avec une quasi totale abnégation. Je m'étonne constamment de voir à quel point mes collègues se soucient de l'intérêt public - que j'approuve ou non les méthodes qu'ils préconisent. J'ai donc personnellement beaucoup de mal à comprendre ce qui préoccupe la population.

J'aimerais revenir tout de suite sur ce que vous écrivez à la page 11 car c'est le coeur d'une question qui, selon moi, revêt une importance cruciale. J'aimerais savoir sur quoi vous vous fondez pour décrire, comme vous le faites, la façon dont la population envisage le gouvernement de nos jours, notamment pour dire que les gens souhaitent un gouvernement moins omniprésent, qu'ils ont l'impression d'être tenus à l'écart, qu'il y a un fossé entre ce qu'ils souhaitent et ce qu'ils obtiennent, et un écart important entre les plans d'action du gouvernement et les attentes des citoyens. Je ne suis pas sûre d'être d'accord avec vous. C'est la raison pour laquelle je vous demande sur quoi vous vous fondez pour avancer ces opinions.

Mme Murray: Je me fonde en partie sur ce qui s'est passé, en règle générale, au cours des élections fédérales et provinciales qui ont eu lieu notamment au cours de la dernière décennie. Jusque-là, l'exercice du pouvoir au Canada avait été marqué par une très grande stabilité. Cela n'a cependant pas été le cas au cours de la dernière décennie, quel que soit le parti au pouvoir, sur la scène fédérale ou au niveau provincial; pour preuve, il suffit de voir ce qui s'est passé en Ontario depuis 1985.

On peut aussi citer en exemple les élections fédérales de 1993 où l'angoisse de la population s'est exprimée par le balayage du gouvernement en place, au point qu'il ne reste que deux députés Conservateurs à Ottawa. En Ontario, le parti au pouvoir a changé trois fois en moins de dix ans. De mon point de vue, c'est un phénomène absolument nouveau par rapport à ce que nous avons connu jusqu'ici. Cela n'a rien à voir avec la fidélité envers un parti. Je ne pense pas, par exemple, que les Conservateurs ont été portés au pouvoir en Ontario à cause de la fidélité envers un parti. Le parti n'est plus le même qu'en 1985. C'est un tout nouveau groupe qui a été porté au pouvoir, et il ne fait aucun doute que, pour ce faire, il s'est appuyé sur certaines des tendances que j'ai essayé de mettre en évidence.

Nous travaillons pour le compte de tant d'organismes différents qui représentent des secteurs si divers que c'est probablement en partie pourquoi nous ne voyons pas les choses de la même façon que vous. Les gens sont de plus en plus frustrés d'avoir, à l'aube du XXIe siècle, un gouvernement dont les structures datent du XIXe siècle et qui n'évolue pas assez rapidement.

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Il faut à tout organisme de grande envergure qui veut évoluer et se renouveler beaucoup plus de temps qu'à un organisme de moindre importance. Je ne pense donc pas que les comparaisons avec le secteur privé sont tout à fait équitables.

Les gouvernements sont en partie responsables de la situation. Encore une fois, depuis 1984, les autorités fédérales ont dit aux Canadiens que le gouvernement devait évoluer et qu'il ne devait plus attendre autant de l'État. Le public a fini par accepter cette notion et s'est mis à attendre les changements promis. Il est vrai que le gouvernement actuellement en place à Ottawa a fait de réelles compressions. À mon avis, la population s'est faite à cette idée et, en toute franchise, ce sont les citoyens qui poussent les autorités à prendre ce genre de mesures dans toutes les provinces.

Mme Catterall: Vous répondez vous-même en partie au point que j'ai soulevé dans ma question. Vous insistez notamment - et là-dessus, je suis entièrement d'accord avec vous - sur l'importance de traiter tous les citoyens de façon juste et équitable.

Les politiciens doivent particulièrement se garder de considérer que les gens qu'ils connaissent personnellement, ou ceux qui leur ressemblent - que ce soit des gens avec qui ils ont des relations d'affaires, qui appartiennent à la même classe sociale ou qui vivent dans le même quartier - constituent la totalité de leur électorat, toute la gamme des citoyens dont ils doivent s'occuper et qu'ils doivent représenter de façon équitable.

Il y a quelque temps - à une époque où un autre gouvernement était en place, bien qu'à la réflexion, cela puisse également s'appliquer aujourd'hui - un de mes collègues m'a dit que le problème de la plupart des ministres, c'est qu'ils ne connaissent personne qui soit pauvre. Nous devons tous veiller à ne pas nous couper de certains groupes qui appartiennent à l'ensemble de notre électorat.

Je vous demandais donc sur quoi vous fondiez l'opinion que vous avez exprimée. Vous vous basez en partie sur les observations que vous a inspirées la nature transitoire des gouvernements au cours de la dernière décennie et, dans une certaine mesure, sur l'expérience que vous avez acquise en traitant avec vos propres clients. Je ne sais pas si votre clientèle est largement représentative.

Le troisième point que vous avez fait valoir était peut-être le plus intéressant. Vous avez dit que les pouvoirs publics avaient déclaré à la population que le gouvernement devait évoluer. Je ne suis pas sûre que cela m'amène à la même conclusion que vous, c'est-à-dire que les citoyens souhaitent voir leur gouvernement changer.

Mme Murray: Les gens veulent que les pouvoirs publics reviennent à des choses fondamentales. Après la Deuxième Guerre mondiale, l'argent nous filait entre les doigts au Canada jusqu'à ce que nous nous rendions compte, disons, il y a dix ans, que notre situation financière n'était pas brillante. Mais l'État s'était chargé de la prestation d'un nombre croissant de services et, dans certains domaines, se trouvait directement en concurrence avec le secteur privé; c'est une situation qui, de mon point de vue, est plus marquée au Canada que dans bien d'autres pays.

Pour répondre à votre observation à propos des pauvres et des démunis, je pense que la population souhaite que le gouvernement assure des services fondamentaux dans le domaine de la santé, de l'éducation et de l'environnement, et cherche à déterminer dans quel secteur son intervention est nécessaire et dans quels autres elle est superflue. Les gens cherchent à voir s'il n'y a pas d'autres moyens de fournir un service dont l'utilité n'est plus avérée.

Quand on voit avec quelle rapidité les choses évoluent, on peut comprendre pourquoi le CRTC, par exemple, est un organisme qui est, dans l'ensemble, dépassé, étant donné que la technologie change beaucoup trop vite pour qu'on ait la possibilité de la réglementer. Il y a toute une génération d'entrepreneurs dans la vingtaine qui bricolent dans leur garage. Ils ne comprennent pas ce que cela a à voir avec l'organisme de réglementation, ce qui, encore une fois, est dû en partie à la rapidité des changements structurels ailleurs qu'au gouvernement.

Dans l'ensemble, le gouvernement fonctionne encore comme au XIXe siècle, qu'il s'agisse d'acquérir des services ou de les fournir. Par conséquent, on demande au gouvernement de revenir aux choses fondamentales, c'est-à-dire d'agir dans l'intérêt de la population. C'est cela que je voulais faire valoir.

Mme Catterall: Sur le plan de l'éthique, je ne suis pas d'accord.

J'ajouterai autre chose. J'ai déjà dit qu'il était important que les politiciens se souviennent de la grande diversité de leur électorat, et reconnaissent qu'ils ne doivent pas opérer dans l'état d'esprit qui a régné au cours du référendum, car il n'est pas seulement question de suivre la loi du plus grand nombre. La décision que 90 p. 100 de mes électeurs souhaitent peut-être que je prenne peut fort bien ne pas les affecter du tout. Par contre, cela peut avoir de très graves retombées sur les 10 p. 100 restants. Il ne s'agit donc pas simplement de voter selon les désirs de la majorité ni de promouvoir les politiques qu'elle met de l'avant.

L'autre obligation éthique que nous avons, à mon avis, est d'aider nos électeurs à comprendre que nous représentons une diversité d'intérêts. Tous les gens qui nous téléphonent pour exprimer une opinion disent vouloir que nous représentions notre électorat. Ils pensent que cela signifie faire valoir leur point de vue.

.1715

Mme Murray: Je pense que c'est vrai. Je suis toujours choquée... Nous demandons toujours à tous les clients que nous rencontrons, qu'ils représentent une ONG, un organisme à but non lucratif, une association industrielle ou une entreprise, s'ils connaissent leur député; dans 85 p. 100 des cas, la réponse est non.

En toute franchise, il faut dire qu'au fond, les gens hésitent à prendre contact avec leur député un peu par timidité. Nous leur disons: «Votre député serait ravi de recevoir des représentants de votre organisme, d'en savoir davantage sur ce que vous faites et de promouvoir vos activités.» Ils répondent: «Vous croyez? Cela l'intéressera?»

Étant donné la quasi-omniprésence du gouvernement, cela me surprend beaucoup. Nous consacrons une bonne partie - je dirais même une part importante - du temps que nous passons avec nos clients à les informer. C'est une chose qui ne cesse de me surprendre. Il y a un nombre incalculable de gens qui occupent de hautes fonctions dans les entreprises les plus importantes qui n'ont jamais mis les pieds au Parlement et qui ont des idées très étranges sur le gouvernement et sur la façon dont les décisions sont prises.

Cela entre donc dans toute cette notion d'éducation. Je pense que vous avez raison, chacun doit faire sa part. Les députés doivent, eux aussi, faire la leur.

Mme Catterall: Merci.

Le coprésident (M. Milliken): Monsieur le sénateur Gauthier, s'il vous plaît.

[Français]

Le sénateur Gauthier (Ontario): Bienvenue, madame Murray.

[Traduction]

Je me joins à ma collègue et amie, Marlene Catterall, pour vous féliciter de votre exposé. Dans une certaine mesure, votre présentation est une véritable bouffée d'air frais. Vous avez lancé une idée neuve en comparant les lobbyistes aux politiciens et en les mettant dans le même sac car, d'habitude, on nous classe dans des catégories distinctes.

J'ai deux ou trois questions. En règle générale, est-ce que votre firme cible les députés?

Mme Murray: Cible les députés?

Le sénateur Gauthier: Oui, lorsque vous cherchez à exercer des pressions. Par exemple, avez-vous une liste des députés et des sénateurs? Je ne parle pas des ministres, mais des simples députés ou sénateurs, comme moi. Avez-vous une telle liste de gens que vous pourriez appeler de temps en temps au nom de certains de vos clients?

Mme Murray: Nous recommandons à chacun de nos clients de s'assurer le concours des députés fédéral et provincial de la circonscription dans laquelle leur entreprise est située ou, s'il s'agit d'un organisme à but non lucratif ou d'une association nationale, des députés des circonscriptions dans lesquelles leur groupe est représenté.

Le sénateur Gauthier: Oui, mais je parle de vous. Je ne parle pas de vos clients, je parle de vous à titre personnel, en tant qu'entreprise. Dans le cas d'un simple député, essayez-vous de le rencontrer à cause des fonctions dont il est chargé et, si c'est le cas, faites-vous souvent appel à lui?

Mme Murray: Vous voulez dire à titre personnel?

Le sénateur Gauthier: En tant qu'entreprise.

Mme Murray: Uniquement lorsque nous sommes accompagnés d'un client. Nous appelons les députés pour leur parler de questions bien précises, mais nous ne les ciblons pas.

Le sénateur Gauthier: Ciblez-vous d'autres personnes, par exemple, les secrétaires parlementaires, les ministres ou leur personnel?

Mme Murray: Nous prenons contact avec eux au nom de nos clients, mais nous n'organisons aucune réunion avec le personnel d'un ministre, avec un fonctionnaire ou encore avec un député, sans que notre client nous accompagne. Notre rôle n'est pas de représenter notre propre firme.

Le sénateur Gauthier: C'est uniquement un rôle d'intervenant que vous jouez.

Mme Murray: Oui.

Le sénateur Gauthier: Vous agissez uniquement à titre d'intermédiaire, n'est-ce pas?

Mme Murray: Non, pas uniquement à titre d'intermédiaire. En règle générale, les gens ont l'impression que les ministres peuvent résoudre toutes les difficultés. Beaucoup de gens pensent...

Le sénateur Gauthier: Pas sur le plan politique.

Mme Murray: ...que s'ils peuvent communiquer avec un ministre, ils pourront résoudre leur problème. Nous passons donc généralement beaucoup de temps avec les organismes que nous représentons pour leur expliquer que c'est au niveau de la bureaucratie qu'il est préférable d'intervenir si la question qui les préoccupe a trait à la réglementation. Je dirais que, sur le plan des politiques, nous passons autant de temps à discuter et à travailler avec des fonctionnaires qu'avec des politiciens.

Le sénateur Gauthier: Oui, et c'est à cela que je voulais en venir. En effet, à ce que je vois, vous ne trouvez pas très pertinent que de simples députés qui n'ont absolument aucune influence directe sur les politiques du gouvernement... Ils sont là pour apporter un appui. Ils sont là pour participer aux débats. Ils sont là pour jouer le rôle de parlementaires -

Mme Murray: Ils peuvent défendre très efficacement certaines causes.

Le sénateur Gauthier: Je sais; cela fait 23 ans que je suis ici. Je vous dis tout simplement que, pour vous, ils ne sont pas aussi importants que les membres du cabinet des ministres qui ont des contacts dans la fonction publique ou, par exemple, qu'un secrétaire parlementaire dont l'un des adjoints peut s'occuper d'un ministère qui vous intéresse.

Mme Murray: Vous essayez de me faire dire qu'un député est moins important qu'un fonctionnaire.

Le sénateur Gauthier: On nous l'a déjà dit.

.1720

Mme Murray: Nous ne classons pas les gens par ordre d'importance. En toute franchise, les députés que nous pouvons intéresser à certaines questions, qui ont le temps de s'y intéresser... Par exemple, nous avons beaucoup travaillé sur le dossier de l'acier. Nous recommandons essentiellement que les députés qui s'intéressent à ce dossier se rencontrent et en parlent plus souvent.

De fait, il est intéressant, je pense, de noter que notre contexte gouvernemental encourage la participation plus fréquente de députés à des débats publics. S'il y a une chose qui a changé au cours des cinq dernières années, c'est la façon dont un député se sert de certaines questions: on se rapproche davantage aujourd'hui des méthodes adoptées aux États-Unis.

Je dirais donc que l'intérêt d'un député pour les questions de premier plan au niveau provincial et fédéral est important.

Le sénateur Gauthier: Lorsque vous embauchez des gens... vous avez dit quelque chose, dans votre exposé, que j'ai trouvé intéressant. Vous avez déclaré que vous avez embauché deux anciens membres du NPD, dont l'un était adjoint d'un ministre ou membre de son cabinet.

Mme Murray: Avait fait partie de l'appareil bureaucratique...

Le sénateur Gauthier: Oui. Ces personnes savaient donc exactement comment le système fonctionnait. Vous les avez embauchées parce qu'elles savaient comment le système marchait.

Mme Murray: Tous les membres du personnel de notre entreprise ont travaillé au gouvernement. Nous avons tous, sans exception, occupé une charge politique ou une fonction administrative. Malheureusement, la plupart d'entre nous sommes également des politicologues.

Le sénateur Gauthier: Mais vous nous avez dit que vous aviez convenu avec les personnes que vous avez embauchées que certaines contraintes s'appliqueraient aux fonctions qu'elles seraient appelées à remplir.

Mme Murray: C'est exact.

Le sénateur Gauthier: Quel genre de contraintes imposeriez-vous à quelqu'un qui vient juste de quitter le gouvernement, par exemple?

Mme Murray: Il ne s'occuperait plus, pendant au moins un an, des dossiers auxquels nous les avions intéressés au nom de certains de nos clients.

Le sénateur Gauthier: C'est une des règles que vous appliquez au sein de votre entreprise.

Mme Murray: Oui. Cela fait partie des idées que nous avons lancées. De fait, à l'époque, j'ai parlé au premier secrétaire du Premier ministre et je lui ai dit que cela faciliterait notre tâche si l'Ontario se décidait à adopter des directives sur l'après-mandat visant les personnels politiques. Cela n'a suscité aucun intérêt. L'ordre du jour du gouvernement était trop chargé. C'est alors que nous avons pris contact avec le commissaire de l'intégrité et que nous avons établi nos propres directives.

Le sénateur Gauthier: Eh bien, je pense que vous avez fait un bon exposé. C'est très bien.

Monsieur le président, je n'ai pas d'autres questions.

Le coprésident (M. Milliken): Monsieur le sénateur Bosa.

Le sénateur Bosa (York - Caboto): Je vous félicite également de votre exposé. Vous nous avez donné l'exemple d'un conflit d'intérêts possible, lorsque vous avez cité le cas d'un député invité à déjeuner qui décide, avant de partir, de partager la note avec son hôte. Vous avez également suggéré que nous devrions peut-être adopter la règle qui existe dans la province de l'Ontario, en vertu de laquelle les députés peuvent recevoir un cadeau à condition que sa valeur ne dépasse pas 200$, et alors le... Je vous demande pardon?

Mme Murray: C'est 200 $ par an, d'une seule et même source.

Le sénateur Bosa: Je vois. Qu'en est-il des contributions aux partis politiques? Vous avez cité l'exemple d'une compagnie pharmaceutique.

Mme Murray: Eh bien, voilà une bonne question.

Le sénateur Bosa: Cette compagnie a appris que le député X a organisé un dîner-bénéfice; elle fait une contribution de 1 000 $ ou réserve une table. Je sais que cela entre dans les informations qui sont divulguées...

Mme Murray: Nos clients nous posent souvent la question. Je pense que les entreprises - surtout les entreprises - ont beaucoup de mal à résoudre le problème que leur posent les contributions aux partis politiques. Que devraient-elles faire? Devraient-elles donner de l'argent? Combien? Encore une fois, cela soulève des questions de... Nous vivons dans un système démocratique auquel tout le monde peut participer. Nous recommandons de faire des contributions à condition d'en faire bénéficier tous les partis politiques. Encore une fois, je pense que nous pouvons avoir un système démocratique sans... N'est-ce pas?

De fait, cela ne me plaît guère de constater qu'un certain nombre d'entreprises canadiennes nationales ne font aucune contribution aux partis politiques. Il y en a auprès de qui nous intervenons depuis des années, en leur disant que si elles veulent participer au processus d'élaboration des politiques, elles doivent également faire leur part pour soutenir le système des partis.

Voyez les problèmes que posent les dettes qu'ont contractées certains partis qui ont pris des années à s'en tirer. Je pense que c'est très dangereux. Encore une fois, si les gens veulent que l'on s'intéresse à leurs affaires, ils devraient contribuer.

Nous conseillons aux entreprises d'agir équitablement. La plupart d'entre elles ne connaissent même pas les règles. Nous leur donnons habituellement une copie des directives fédérales et provinciales sur les contributions aux partis politiques en leur disant de commencer au niveau local.

.1725

Le sénateur Bosa: Permettez-moi de vous poser une autre question. Dans votre profession, vous devez faire de la promotion. Avant de pouvoir parler à un député ou à un ministre, il faut que vous établissiez des relations avec cette personne.

Mme Murray: Nous avons l'occasion de le faire.

Le sénateur Bosa: Oui, mais invitez-vous les députés à déjeuner?

Mme Murray: Personnellement, je suis très prudente. En ce qui me concerne, cela fait à peu près dix ans que j'évolue dans les milieux politiques. La plupart de mes amis - et je ne sais pas ce que cela dénote chez eux ou à mon propos - sont d'anciens politiciens. J'ai l'obligation, il me semble, de me montrer très prudente. Je leur parle de certaines questions dont nous pouvons discuter librement - comme certaines de celles auxquelles nous avons fait allusion - et des orientations que l'on envisage prendre, mais, la plupart du temps, nous en restons à des généralités.

Le sénateur Bosa: Vous invitez donc des députés.

Mme Murray: J'invite des députés si, par exemple, nous achetons des billets pour un dîner, car j'ai constaté que les députés, les ministres et les sénateurs sont invités partout. Nous invitons donc des gens, mais encore une fois, nous avons, je pense, certaines obligations et il y des limites que nous ne pouvons pas dépasser. Nous devons nous montrer scrupuleux, sans pour autant rester sur la touche.

Pour ce qui est de donner le nom de mes contacts, je ne le fais pas. Notre firme a pour habitude de se concentrer sur la question à résoudre, sur les points qui touchent la politique publique. On me demande souvent qui je connais, quels ministres, quels députés. Je réponds généralement en demandant à la personne qui me pose cette question quels fonctionnaires elle connaît. Nous disons aussi que nous ne pouvons pas connaître tout le monde au gouvernement. Nous travaillons avec des représentants de tous les partis politiques. Nous nous occupons de dossiers dans la plupart des provinces ainsi qu'au niveau fédéral et, oui, c'est vrai, nous connaissons des gens, mais cela n'a pas d'importance.

Au fil des années, de nombreuses personnes m'ont demandé de les aider à rencontrer le ministre X. Je leur ai toujours répondu qu'elles avaient parfaitement le droit de prendre le téléphone, mais que cela n'allait pas résoudre leur problème, à moins qu'elles aient une bonne idée de la façon dont elles allaient aborder la question avec le ministre. Je leur demande quel est le cas qui les occupe mais, généralement, je leur renvoie la balle en leur disant qu'elles n'ont pas besoin de moi pour appeler le ministre et qu'il ne devrait d'ailleurs pas en être ainsi.

Cela rejoint ce que vous disiez à propos de l'équité en matière d'accès, car là n'est pas la question.

Le sénateur Bosa: J'ai une dernière question, madame la présidente.

Recommandez-vous que nous adoptions des règles précises pour régir les cas que vous avez cités en exemple, ou pensez-vous que l'on devrait établir des principes généraux dont la portée est plus large?

Mme Murray: J'ai joint à mon mémoire la liste des règles que nous nous sommes fixée et vous pouvez voir qu'elles entrent dans des catégories générales. Ces choses-là évoluent. Le nombre des questions qui peuvent surgir m'étonnent toujours. Par exemple, je suis continuellement confrontée à des gens qui veulent savoir qui je connais. Je dirais que les députés sont dans la même situation. J'entends très souvent dire: «Ah, mais je connais bien la personne qui s'occupe de recueillir des fonds pour le député X; elle m'introduira auprès du ministre». Les députés subissent donc le même genre de pressions de la part de gens qui veulent profiter de leurs entrées.

Quelles sont les directives à observer dans ces cas-là? Il me semble que leur portée doit être assez générale, mais qu'elles doivent aussi servir à rassurer les gens. Il y a une expression que j'utilise souvent: On ne peut faire de bonnes affaires qu'entre gens de bonne foi. J'espère qu'au fil des années nous allons attirer des gens qui partagent ce point de vue, aussi bien au sein de notre firme, qu'à titre de clients désireux de travailler avec nous dans le cadre de ce code d'éthique. Il me semble en effet que les gens que ces règles de base rendent mal à l'aise ne chercheront pas à transiger avec nous.

Le sénateur Bosa: Merci, madame la présidente.

La coprésidente suppléante (la sénatrice Spivak): Puisqu'il n'y a pas d'autres questions, je vous remercie, madame Murray.

Le sénateur Gauthier: Puis-je vous poser une dernière question à Mme Murray?

Faites-vous une distinction entre un sénateur et un député?

Mme Murray: Oui. J'ai utilisé le mot député dans mes observations...

Le sénateur Gauthier: À votre avis, si nous adoptons un code d'éthique, devrait-il s'appliquer aux deux Chambres?

Mme Murray: Je pense que cela va présenter quelque difficulté dans le cas des sénateurs puisqu'ils peuvent avoir d'autres obligations professionnelles - comme les députés, d'ailleurs. Vous allez aboutir - c'est d'ailleurs peut-être la conclusion à laquelle vous êtes déjà arrivés, même si je n'ai pas vu grand chose à ce sujet dans les témoignages que j'ai lus - à ce que toutes vos autres obligations, notamment... La plupart des sénateurs ont d'autres obligations. Il y en a beaucoup qui sont encore avocats...

Le sénateur Gauthier: Je ne fais pas partie de ceux-là.

Le sénateur Bosa: Cela touche peut-être 20 p. 100 d'entre nous.

Mme Murray: Je pensais que c'était plus de 20 p. 100.

Le sénateur Bosa: Non, je voulais dire qu'à peu près 20 p. 100 d'entre nous ont d'autres activités.

Mme Murray: Si peu que cela?

Le sénateur Gauthier: Je vous ai aussi demandé si, à votre avis, il y avait une différence. Vous avez répondu oui.

Mme Murray: Je pense que les sénateurs qui ont d'autres activités professionnelles et qui les exercent encore ont probablement autant d'obligations, sinon plus.

Le sénateur Gauthier: Bien. Si tel est le cas, pensez-vous que nous devrions adopter trois codes d'éthique - un pour les ministres, les secrétaires parlementaires et les titulaires d'une charge, un pour les députés et un pour les sénateurs?

.1730

Mme Murray: J'ai beaucoup réfléchi au cas des membres du cabinet. Le cabinet est un cas à part, car ses membres sont au courant d'informations qui sont connues d'eux seuls. Ils ont des informations qui ne sont pas destinées à être rendues publiques, sinon des années plus tard, ou alors, jamais. Je pense que les membres du cabinet sont déjà tenus d'observer des codes d'éthique très rigoureux.

Dans l'ensemble, je ne vois pas pourquoi le même code ne s'appliquerait pas aux députés et aux sénateurs.

Le sénateur Gauthier: Vous voulez dire le même code que celui qui s'appliquerait aux ministres?

Mme Murray: Non. Les ministres doivent déjà observer un grand nombre de directives.

Le sénateur Gauthier: Bien. Vous estimez qu'il devrait y avoir un autre code pour les députés et les sénateurs.

Mme Murray: Oui. Il devrait probablement y en avoir un.

Le sénateur Gauthier: Un seul code.

Mme Murray: Oui.

Le sénateur Gauthier: Nous pourrions avoir recours aux lois, à la Loi sur le Parlement du Canada, peut-être, ou à une autre, pour prendre en compte les divers intérêts qui sont en jeu.

Mme Murray: Oui, mais je pense que vous vous heurteriez au problème que posent les interprétations. J'ai signalé que notre code a été établi en 1983. Nous le mettons continuellement à jour. Il y a des gens qui le lisent et qui en tirent des conclusions différentes. C'est la raison pour laquelle j'ai dit que ce genre de chose devait évoluer.

Le sénateur Gauthier: Approuvez-vous, par exemple, l'idée d'appliquer les mêmes règles aux conjoints des députés et des sénateurs?

Mme Murray: Non.

Le sénateur Gauthier: Vous n'allez pas aussi loin que les nombreux témoins qui nous ont dit que ces règles devraient même s'appliquer aux enfants, qu'ils soient encore à charge ou non, et que tous les membres de la famille d'un député ou d'un sénateur devraient être tenus de faire le genre de déclaration dont vous avez parlé. Vous n'êtes pas d'accord avec cela.

Merci beaucoup.

Mme Murray: Merci.

Le sénateur Bosa: Lorsque vous invitez un député à déjeuner, lui dites-vous d'emblée que vous tenez absolument à partager les frais?

Mme Murray: Oui.

D'ailleurs, si je vous invite à déjeuner, monsieur le sénateur, et si je règle la note, je vous dirai que la prochaine fois, ce sera à votre tour de m'inviter. Je procède très souvent de cette façon pour que mon invitation ne pose pas de problème aux gens, et qu'ils ne pensent pas que chaque fois que...

Le sénateur Bosa: Bien. Merci.

La coprésidente suppléante (la sénatrice Spivak): Y a-t-il d'autres questions?

Madame Murray, je vous remercie infiniment de nous avoir présenté un exposé très intéressant.

Le témoin suivant est l'honorable Jean-Jacques Blais. Il nous a fourni des copies de son exposé en français et en anglais. Les membres du comité auraient-ils l'amabilité de se servir ou de faire circuler ces documents.

Le sénateur Gauthier: C'est ce que j'appelle une décision très judicieuse.

La coprésidente suppléante (la sénatrice Spivak): Oui. On m'a donné quelques conseils.

[Français]

Bienvenue, monsieur Blais.

[Traduction]

Je sais que la plupart des membres du comité connaissent bien M. Blais. C'est un ancien fonctionnaire dont la réputation n'est plus à faire.

[Français]

M. Blais fait maintenant partie d'un cabinet d'avocats, McTaggart Blais Martin Stein, à Ottawa, et s'occupe notamment des relations avec le gouvernement.

[Traduction]

Monsieur Blais, voulez-vous nous présenter votre déclaration préliminaire? Je suis sûre que les membres du comité auront des questions à vous poser.

[Français]

L'honorable Jean-Jacques Blais (témoigne à titre personnel): Madame la présidente, membres du Comité, je vous remercie de votre invitation à comparaître devant ce comité, dans cette enceinte où j'ai vécu des moments très plaisants et des défis très stimulants. Ma déclaration va durer environ 15 minutes.

[Traduction]

Comme vous l'avez fait remarquer, j'ai été député à la Chambre des communes de 1972 à 1984, membre du cabinet de 1976 à 1984, et membre du Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité de 1984 à 1991. Si je mentionne le CSARS, c'est que cet organe a de nombreux points communs avec un comité parlementaire. Je serais heureux de discuter de cette comparaison au cours de la période des questions.

Je me présente également devant vous à titre de conseiller en relations avec le gouvernement, autrement dit, de lobbyiste, car c'est l'activité que j'exerce depuis dix ans, à titre bénévole et contre rémunération. Mes observations seront brèves et je serais heureux de répondre à vos questions en espérant que mon concours vous sera de quelque utilité.

[Français]

Tout d'abord, je voudrais vous assurer que je crois à la nature essentielle de l'exercice dans lequel vous vous êtes engagés. J'ai noté, en lisant le magazine L'Actualité, qu'un sondage CROP attribuait aux politiciens un taux d'approbation de 4 p. 100. Ce n'est pas très flatteur, mais ce n'est cependant pas très surprenant, selon les dires des hommes politiques.

La chose publique est en crise: déficit, attaques par les gouvernements contre les acquis que nous considérions jadis intouchables, accusations d'abus de pouvoir, de pots-de-vin, et j'en passe.

.1735

[Traduction]

Tout cela favorise une remise en question continuelle de la confiance que nous avons dans nos institutions démocratiques et ceux à qui nous en avons confié l'administration. Les politiciens ont été cloués au pilori. Même si ce n'est pas uniquement parce que la population a acquis la conviction que les normes éthiques s'étaient dégradées, cette façon d'envisager les choses s'est bel et bien imposée, et c'est donc une des causes du manque de popularité des politiciens.

Étant donné que les pouvoirs détenus par le Parlement lui permettent de faire le nécessaire pour lutter contre cette vision des choses, vos activités ont donc un rôle essentiel dans le processus de réhabilitation. J'espère que la population canadienne s'intéresse à vos initiatives. D'après les témoignages reçus jusqu'ici par votre comité, les suggestions qui ont été faites devraient vous être très utiles pour parvenir à des recommandations constructives. J'ai été très agréablement surpris de constater à quel point l'expérience dont vous pouvez vous inspirer au niveau provincial est vaste.

La télévision et l'évolution rapide de la situation dans le domaine des communications facilitent votre travail; toutefois, on peut voir «en direct», en quelque sorte, le poids des responsabilités qui pèsent sur vos épaules. Je siégeais à la Chambre, tout comme le sénateur Gauthier, lorsqu'on a commencé à téléviser les débats. Le sénateur Bosa était aussi autour.

Cela a été un des signes de la révolution qui a eu lieu dans le secteur des communications, qui s'est poursuivie et qui continue de gagner du terrain. J'ai pu avoir accès au compte rendu de vos délibérations par le biais de l'Internet. C'est merveilleux de voir toute l'information sur les activités du gouvernement à laquelle on peut avoir accès par ordinateur. De fait, on peut s'attendre à pouvoir en obtenir toujours davantage. On me dit que l'on pourra bientôt avoir des copies des projets de loi par le biais de l'Internet, dans les deux langues officielles.

Une voix: Vous savez donc comment vous servir d'un ordinateur.

M. Blais: Bien sûr. Une fois que l'on a quitté la politique, on apprend vite.

Des voix: Oh, oh.

[Français]

M. Blais: Je suis d'accord que le manque de crédibilité de nos institutions publiques exige la formulation d'un code de déontologie et que celui-ci doit comprendre plus qu'une obligation de divulgation des avoirs des membres de la Chambre et du Sénat.

Je crois que les députés ainsi que les sénateurs sont suffisamment liés au processus de prise de décision pour se trouver dans une situation qui les rend vulnérables aux abus de confiance. Je m'explique.

[Traduction]

Même si les simples députés, comme les sénateurs, n'interviennent pas directement dans les prises de décision, ils participent bel et bien au processus. Leur responsabilité ne se limite pas à être présents à la Chambre lorsqu'il y a un vote, mais, par le biais de la structure des partis, des délibérations des caucus, des études et des débats engagés par les comités de la Chambre et du Sénat - ainsi que par leur participation aux Assemblées législatives - ils exercent une influence sur le processus de prise de décision, et assurent que les gouvernants agissent avec toute la responsabilité dont ils devraient faire preuve - du moins, il devrait en être ainsi.

Je ne peux pas voir comment cela serait possible si les députés ne cherchaient pas à obtenir autant d'informations que possible, y compris des informations qui peuvent fort bien être confidentielles et secrètes.

[Français]

Alors qu'il est vrai que la décision et l'imputabilité pour celle-ci se trouvent ailleurs, le député ou sénateur peut aussi contribuer au fonds de renseignements que doit posséder le preneur de décisions. Pour que le système fonctionne, le député se doit d'employer les mesures qui s'imposent pour enrichir ses connaissances.

En effet, sa présence à plein temps à la Chambre ou au Sénat est non seulement souhaitable, mais requise. Les salaires payés, alors qu'ils ne sont pas des plus alléchants, ont été majorés durant les 25 dernières années pour permettre à la députation de concentrer son attention quasi totale sur la chose publique.

[Traduction]

J'ai entendu certaines personnes prétendre que les députés et les sénateurs devraient occuper leurs fonctions à temps partiel et avoir une activité professionnelle à l'extérieur, rester sur le marché, afin de mieux témoigner de la réalité canadienne au cours des débats qui se tiennent à la Chambre et au Sénat. Permettez-moi de ne pas être d'accord. Tout d'abord, étant donné les diverses responsabilités qui incombent à un député ou à un sénateur, il ne dispose pas du temps nécessaire.

Par ailleurs, dans ce cas, le risque est grand de confondre les priorités afférentes aux intérêts privés et à la charge publique; le contribuable canadien peut aussi être amené à penser que cela multiplie les occasions de conflit d'intérêts.

Vous vous rappelez peut-être qu'au cours du débat sur les pensions des députés, on a fait valoir qu'un député, qui a consacré tout son temps pendant six ans à ses fonctions de législateur et de représentant du citoyen, est censé avoir, au pire, abandonné, ou au mieux, négligé tout autre moyen de gagner sa vie. Lorsque, par le biais du processus démocratique, les citoyens décident qu'il a fait son temps, il a donc besoin de quelque chose pour assurer sa subsistance et celle de sa famille.

Le système est ainsi fait que le député ou le sénateur occupe une position qui lui permet de faire jouer son influence sur la politique publique, le processus législatif et les prises de décision. Les députés et les sénateurs ont des contacts quotidiens avec les décideurs et, au besoin, avec des fonctionnaires qui peuvent leur fournir des informations, des conseils et des opinions sur l'administration des affaires. Même si la cité parlementaire n'est pas un monde hermétiquement clos, c'est un milieu relativement intime au sein duquel les décideurs, leurs partisans et même leurs opposants peuvent échanger et mieux comprendre les informations, les points de vue, les préoccupations et les arguments qui se révèlent utiles pour prendre des décisions.

.1740

J'estime donc que les députés et les sénateurs devraient être tenus d'observer un code d'éthique qui va plus loin que la simple obligation de divulgation. Si l'on prend en considération les dispositions du code sur les conflits d'intérêts qui visent «les titulaires d'une charge publique», les principes généraux que l'on trouve dans la partie I pourraient fort bien s'appliquer aux députés, à part les restrictions portant sur l'après-mandat et les références à la prise de décision.

On devrait également laisser de côté la partie II, qui porte sur les biens que l'on détient et leur administration par le biais de fonds fiduciaires sans droit de regard ou d'accords de gestion; même chose en ce qui concerne les dispositions plus sévères qui visent les titulaires d'une charge publique directement responsables de certaines décisions.

[Français]

Je me ferai un plaisir de discuter de cette question plus amplement après ma présentation, mais je voudrais aussi vous parler quelque peu du rapport entre le député ou sénateur et le lobbyiste.

À prime abord, j'ose espérer que vous considérez le consultant en relations gouvernementales comme un actif et non pas comme un passif lorsque vous faites votre boulot. Comme je vous le disais, l'information est essentielle au processus décisionnel, et pour la Chambre et pour le Sénat.

Le processus d'imputabilité est bien servi par les renseignements qui éclairent des failles gouvernementales ou qui ajoutent aux débats touchant des dossiers épineux. Je suis certain que les membres de ce comité ont plein d'exemples personnels.

Il me semble essentiel à l'efficacité et au bon fonctionnement de notre système que le député ou sénateur ait accès à toute l'information qu'il ou elle considère pertinente. Il va de soi que toute source d'information utile au processus d'administration publique doit être exploitée, fût-elle à l'intérieur de la Fonction publique ou dans le secteur privé.

Par exemple, dans le domaine de la privatisation, qui devient de plus en plus populaire, qui encourage le partenariat entre les secteurs public et privé, le volume de renseignements pertinents sous le contrôle d'individus ou d'organismes à l'extérieur du gouvernement est immense et essentiel à la bonne prise de décision. Il me semble que le député ou sénateur intéressé doit se faire un devoir d'identifier les sources de ces renseignements et la nature de ces derniers, en faisant attention de bien y donner les biais qui s'y trouvent.

Et ce n'est qu'un exemple. Il y en a tant d'autres. Évidemment, ceux du secteur privé qui offrent ces informations ont des chats à fouetter. Leurs intérêts sont en cause, qu'il s'agisse d'une question de droits de douane, de contrats d'approvisionnements ou de politique d'application générale, comme la Loi sur les armes à feu.

Il est évident que le député ou sénateur a l'obligation d'analyser avec attention cet intérêt et de déterminer où celui-ci se situe, ayant le bien public comme point de repère.

[Traduction]

Comme vous le savez fort bien, il y a toujours des groupes d'intérêt du secteur privé qui suivent l'évolution de la politique publique pour s'assurer que personne ne marche sur leurs plates-bandes. Ils représentent des intérêts économiques ou sociaux, provinciaux ou étrangers qui cherchent à influencer le cours de la politique publique canadienne. Ils s'assurent de la collaboration de lobbyistes qui savent comment marche le système administratif public au niveau des fonctionnaires ou des politiciens.

Étant donné que l'administration publique est devenue de plus en plus complexe et sophistiquée et que les groupes d'intérêt rivaux qui cherchent à influencer la politique publique se multiplient, il y a de plus en plus de lobbyistes et les méthodes qu'ils appliquent s'améliorent. Ils conseillent à leurs clients de trouver des alliés - de préférence parmi les décideurs eux-mêmes - mais aussi parmi les hauts fonctionnaires dont les conseils sont écoutés par les décideurs, ainsi que parmi les députés et les sénateurs.

Leurs conseils sont destinés à servir les intérêts privés de leurs clients. Toutefois, le contexte dans lequel ils travaillent est un processus de prise de décision conçu pour favoriser l'intérêt public. Il est donc essentiel que ceux sur lesquels ces pressions sont susceptibles d'être exercées, quelles que soient leurs fonctions, soient persuadés que leur responsabilité première est de défendre le bien public, qu'ils fassent partie des décideurs, des fonctionnaires chargés de conseiller les ministres ou des représentants élus et nommés chargés de s'assurer que les gouvernants remplissent leurs obligations vis-à-vis les gouvernés.

Je trouverais étrange que ceux qui appartiennent aux deux premières catégories soient tenus d'observer un code d'éthique, alors que la troisième y échapperait. Comme je l'ai indiqué, il devrait y avoir un code d'éthique pour les députés et les sénateurs.

.1745

Je me permets d'ajouter qu'adopter un code d'éthique qui exige davantage que la divulgation des biens que l'on détient, et qui impose l'obligation de «respecter les normes éthiques les plus élevées», notamment en défendant l'intérêt public, permettrait de donner à la population canadienne un message des plus positifs.

À titre de lobbyiste, je suis particulièrement conscient de la nécessité de protéger les titulaires de charges publiques, et de respecter leurs obligations vis-à-vis la défense de l'intérêt public.

J'ai eu le privilège d'élaborer un code d'éthique que doit bientôt adopter l'Institut canadien des relations avec le gouvernement. J'avais pensé vous le distribuer mais, après réflexion, étant donné qu'il n'a pas encore été approuvé par l'ICRG, j'ai jugé qu'il était préférable d'y faire simplement allusion. Je pourrai toujours vous en transmettre une copie plus tard, si vous le jugez utile.

Autrement dit, ceux qui exercent la même profession que moi, en cherchant à favoriser les intérêts privés de leurs clients, entrent en contact avec ceux qui ont la responsabilité de défendre le bien commun.

Étant donné que leur activité leur assure certains privilèges, et qu'ils disposent souvent d'autant d'informations sur une question donnée que ceux qui participent aux prises de décision, ils ont l'obligation de préserver l'intégrité de nos institutions démocratiques et les gens qui en assurent le fonctionnement.

Les lobbyistes fournissent un service utile à l'administration publique. Ils possèdent des informations dont ils se servent pour défendre la cause de leurs clients mais, ce faisant, ils doivent reconnaître que, lorsque des intérêts rivaux entrent en jeu, c'est l'intérêt public qui doit l'emporter.

Les députés et les sénateurs sont bien placés pour obtenir ce genre d'information et l'utiliser dans leur analyse de la politique gouvernementale ou des mesures législatives que les pouvoirs publics envisagent adopter. Ils peuvent tester cette information qui peut ne pas être exacte, ni pertinente, ni dans le meilleur intérêt du contribuable canadien - ni même du citoyen canadien - mais toute initiative de leur part doit nécessairement être motivée par le souci de l'intérêt public.

À cet égard, ils doivent être plus purs que la femme de César, et il faut aussi qu'ils donnent cette impression. Il faut que les échanges entre les parties se fassent dans la transparence et l'équité, qu'ils soient au-dessus de tout soupçon et ne laissent planer aucun doute sur leur honnêteté. De mon point de vue, cela signifie qu'en plus de divulguer la liste des biens qu'ils possèdent, les intéressés doivent être tenus de respecter un code d'éthique. En outre, toute infraction devrait entraîner des sanctions sévères.

Il est évident que l'on peut donner toutes sortes de définitions de ce que l'on entend par «bien public». C'est une notion qui peut faire l'objet de débats passionnés, et qui motive cette institution et ceux qui en sont membres. Toutefois, s'il y a bien quelque chose qui fait l'unanimité, c'est la notion de transparence.

Pour revenir au bien public, un lobbyiste qui effectue des analyses portant sur les affaires publiques devrait nécessairement savoir en quoi consiste le bien public et, de fait, devrait être tenu de respecter les limites dont je viens de parler.

Comme je le disais, s'il y a un point qui fait l'unanimité, c'est la notion de transparence. La population, les citoyens du Canada sont, au bout du compte, juges et jurés. Ils ont le droit de faire débattre ouvertement par leurs représentants, avec toute la sagesse et les connaissances qu'ils peuvent rassembler, des mesures qui sont dans leur intérêt. Par conséquent, ils exigent non seulement que ces débats soient publics, mais que la même notion de transparence s'applique aux intérêts privés de ceux qui participent de très près à ces discussions.

Il faut que les députés et les sénateurs puissent librement obtenir de différentes sources des informations, des données pertinentes et des analyses portant sur des questions et des dossiers précis. La population qu'ils desservent doit savoir que, dans leurs relations avec des groupes d'intérêt privés qui s'intéressent au processus public de prise de décision, ils agissent toujours dans le meilleur intérêt du public.

Un code d'éthique bien rédigé devrait souligner cette exigence de transparence, tout en reconnaissant que les députés ou les sénateurs sont dans une situation particulière et doivent avoir les coudées aussi franches que possible dans les limites du système, et que, même s'ils ne sont pas responsables de décisions qu'il appartient au cabinet de prendre, ils contribuent au processus de prise de décision et demandent des comptes à ce propos au sein du caucus, à la Chambre et au Sénat ou ailleurs.

[Français]

Membres du Comité, je suis à votre disposition.

[Traduction]

La coprésidente suppléante (la sénatrice Spivak): Merci beaucoup, monsieur Blais.

Monsieur le sénateur Gauthier, je vous en prie.

[Français]

Le sénateur Gauthier: Je voudrais remercier M. Blais de sa présentation que je trouve intéressante et bien équilibrée, quoique un peu surprenante par moments. Je m'interroge; vous semblez mettre tous les politiciens dans le même sac: députés, sénateurs et ministres. Est-ce le cas?

.1750

M. Blais: Non. Il y a une distinction très nette. J'ai dit que les ministres, les fonctionnaires et les secrétaires parlementaires formaient une catégorie. Les députés et les sénateurs en sont une autre.

Le sénateur Gauthier: Donc, il y aurait deux codes de déontologie: un code pour les gens...

M. Blais: Celui qui existe déjà et ensuite un code pour les députés et sénateurs.

Le sénateur Gauthier: D'après vous, que devrait contenir ce code de déontologie pour rétablir la confiance des Canadiens?

M. Blais: Puis-je emprunter une copie du code de déontologie actuel, car j'ai oublié d'apporter le mien?

Il devrait y avoir d'abord une déclaration de principe qui établirait des normes d'éthique très élevées et qui s'imposerait à tous les parlementaires, qu'ils soient ministres ou députés. Ensuite, comme je l'indiquais dans mon énoncé, je me réfère au code de déontologie qui précise, au paragraphe 2 de la partie I, que le but du code est d'augmenter la confiance publique dans l'intégrité de ceux qui détiennent des responsabilités. Ensuite, il identifie quatre éléments que je considère applicables aussi bien aux députés qu'aux ministres.

Ensuite, au paragraphe 3, on parle de normes d'éthique, puis de transparence, puis de prise de décision. J'éliminerais toute référence à la prise de décision et aux éléments d'intérêt privé directement afférents aux preneurs de décision.

Je pourrais continuer ainsi. Je dis seulement qu'on doit avoir des normes de niveau très élevé, mais qu'on doit reconnaître que le député n'est pas responsable de la prise de décision et qu'il doit disposer du degré de liberté nécessaire pour bien s'acquitter de ses responsabilités. Il devrait avoir la liberté de fouiner partout, si je peux me servir d'une expression populaire, d'obtenir des sources disponibles ainsi que des ministres, s'il est capable de les faire parler, ce qu'on peut faire quand on s'y efforce, les renseignements nécessaires pour s'acquitter de ses responsabilités.

Le sénateur Gauthier: Vous avez dit, dans votre texte, qu'on devrait, bien sûr, avoir un code de déontologie ou un code de conduite, mais qu'il faudrait davantage. Vous demandez la divulgation. Vous pensez qu'elle est absolument essentielle, mais qu'il devrait y avoir plus que cela.

Par exemple, à chaque fois qu'un député rencontre un lobbyiste et est invité à déjeuner avec lui, doit-il le déclarer?

M. Blais: Non, je ne suis pas d'accord sur cela. Ce n'est pas ce que je vise. On doit quand même s'en remettre au jugement des particuliers.

Le sénateur Gauthier: Mais à quoi au juste pensez-vous?

M. Blais: Le député doit constamment se préoccuper de la possibilité d'abus de confiance. Un abus de confiance peut se produire quand, à la suite des efforts qu'il déploie, il obtient des renseignements dont la divulgation pourrait nuire à la chose publique. Il doit donc éviter de transmettre de tels renseignements. Deuxièmement, il pourrait, lors de ses échanges avec des particuliers du secteur privé, communiquer des renseignements qui pourraient avantager ces gens-là à l'encontre de l'intérêt public. Il doit s'abstenir de les transmettre, même s'il n'en retire pas de compensation.

Évidemment, les pots-de-vin sont condamnés par le Code criminel. Personnellement, je pense que le pot-de-vin est le crime ultime de la femme ou de l'homme public. On ne peut tolérer que quiconque fausse la chose publique en s'autorisant des bénéfices privés qu'il empoche ou qu'il reçoit d'une façon ou d'une autre pour vicier la prise de décision, même si, ultimement, la décision est la bonne.

.1755

Le sénateur Gauthier: Dans votre texte, vous faites une déclaration assez claire sur l'emploi du temps du sénateur ou du député. Encore une fois, je comprends que les ministres et les autres aient des obligations tout à fait différentes et que leur code restreigne leurs activités à l'extérieur de la Chambre des communes ou du Sénat. Mais vous semblez appuyer la thèse selon laquelle les députés et les sénateurs ne doivent pas poursuivre des intérêts professionnels ou pécuniaires autres que ceux qui sont liés à leur travail de sénateur ou de député. Est-ce que je vous ai bien compris?

M. Blais: C'est mon point de vue. C'est un point de vue auquel j'ai beaucoup réfléchi. Je considère effectivement que, dans une administration publique aussi sophistiquée que la nôtre, le député a la responsabilité d'influencer le processus décisionnel et la question d'ordre public. Il a l'obligation d'insister sur l'imputabilité des preneurs de décisions. Et pour faire cela de façon précise, il doit être très professionnel dans son approche et aussi être perçu comme n'ayant pas de conflits d'intérêts.

Le sénateur Gauthier: Vous voulez dire que celui qui a une ferme devrait être obligé de vendre sa ferme parce que...

M. Blais: Ah non, pas du tout. Pas du tout. Si un cultivateur a une ferme ou si un avocat a une étude d'avocat, je ne vois pas pourquoi l'avocat devrait vendre son étude. Mais je vois mal l'avocat qui est aussi député aller voir le ministre de la Justice et lui dire: «Écoute, mon vieux, j'ai des associés dans mon étude d'avocats. Est-ce que tu ne pourrais pas leur envoyer quelques cas?».

Le sénateur Gauthier: Je suis bien d'accord avec vous. Mais à la page 12 de votre texte, vous dites:

[Traduction]

M. Blais: S'il s'agit d'une infraction relativement grave, l'interdiction d'assister aux travaux de la Chambre pendant un certain nombre de jours me paraîtrait une sanction appropriée. Il pourrait y avoir une disposition prévoyant la suspension pendant des périodes de temps plus longues.

Vous savez, le fait de mentionner en public à la Chambre que la conduite d'un député a été jugée condamnable, ou de faire une proposition en ce sens, est en soi une méthode très efficace de punir quelqu'un qui cherche à être réélu. Bien entendu, en ce qui concerne le Sénat, il faudrait que je réfléchisse un peu plus. Peut-être que vous, sénateur Gauthier, qui avez l'expérience des deux Chambres...

Le sénateur Gauthier: C'est ma dernière question. Je voulais m'assurer que je vous avais bien compris. Qui jugerait les représentants au Parlement, qu'ils siègent à la Chambre ou au Sénat?

M. Blais: Le commissaire à l'éthique serait responsable de...

Le sénateur Gauthier: Il devrait y en avoir un?

M. Blais: Il y en a un.

Le sénateur Gauthier: Je sais, mais il serait appelé à juger les députés?

M. Blais: Oui. Cela ne me pose aucun problème. Il faut qu'il y ait un commissaire à l'éthique à qui les députés peuvent faire appel, qui les conseille et se charge des enquêtes qu'il faut mener quand des plaintes sont déposées.

En ce qui a trait aux enquêtes et aux recommandations, il existe un Comité des privilèges et des élections qui s'occupe de questions connexes. C'est peut-être par son intermédiaire qu'il faudrait passer. Je n'ai pas vraiment discuté de cela d'une façon assez approfondie pour pouvoir vous aider en la matière.

Le sénateur Gauthier: Vous et moi, nous sommes des vieux de la vieille. Et vous et moi, nous avons connu le processus dans le cadre duquel on faisait appel à ce comité pour faire juger un député par ses collègues à la Chambre des communes. Je pense que vous avez assisté à deux ou trois des réunions dont c'était l'objet.

M. Blais: J'ai été vice-président du comité.

Le sénateur Gauthier: Vous avez trouvé cela pas mal difficile, n'est-ce pas?

M. Blais: Oui, très difficile. Mais je pense que les choses ont évolué. J'écoutais, par exemple, ce que disait Susan Murray. De mon point de vue, les ministres n'ont plus les connaissances nécessaires pour se décharger de leurs fonctions. Il faut qu'ils obtiennent de l'aide pour pouvoir aller au fond des choses. Ce ne sont pas les fonctionnaires qui peuvent leur apporter ce soutien. Il vient de députés qui peuvent aider le ministre à obtenir la collaboration des fonctionnaires sur le plan administratif et non sur celui des politiques.

.1800

Je dis cela en m'appuyant sur l'expérience que j'ai acquise au Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité dont les cinq membres, qui travaillaient à temps partiel - mais s'occupaient uniquement de ce comité - et qui pouvaient compter sur la collaboration de 14 employés, ont pu mener des enquêtes sur le service de sécurité

Sans me vanter, nous avons pu modifier sensiblement et visiblement le mode opérationnel et l'efficacité de cet organisme par le biais des initiatives que nous avons prises. Ce faisant, nous avons pu fournir régulièrement au Solliciteur général des informations qui l'on aidé à se décharger de ses responsabilités ministérielles. Et pourtant, à l'époque, ce n'était pas un membre de mon parti qui occupait ce poste. Par ailleurs, nous n'avons pas une fois cherché à influencer le processus d'établissement des politiques.

La coprésidente suppléante (la sénatrice Spivak): Monsieur le sénateur Bosa, c'est à vous, je crois, de prendre la parole.

Le sénateur Bosa: Je suis heureux de vous revoir. Vous avez l'air en forme.

M. Blais: Vous aussi.

Le sénateur Bosa: Merci.

Étant donné que vous avez été des deux côtés de la barrière, j'aimerais avoir votre point de vue sur la question. Dans votre mémoire, vous parlez de divulguer la liste des biens que l'on détient. Voulez-vous dire que tous les députés...?

Tout d'abord, permettez-moi de dire que je suis d'accord avec vous pour reconnaître qu'un simple député a beaucoup d'influence sur le caucus ou sur le processus de prise de décision, peut-être pas tout le temps, mais du moins pour certains dossiers. Je suis sûr que vous vous rappelez ce qu'a fait un jour Len Hopkins, alors que M. Trudeau revenait d'une conférence de...

M. Blais: L'OTAN?

Le sénateur Bosa: ...des sept pays les plus industrialisés; le «Groupe des Sept».

Vous faisiez partie du cabinet à cette époque. À son retour, M. Trudeau a annoncé qu'il avait décidé unilatéralement de réduire les dépenses de 2,5 milliards de dollars et que, par conséquent, des programmes allaient être coupés partout.

Len Hopkins est intervenu de façon très convaincante pendant une réunion du caucus. C'est du passé, maintenant; nous ne trahissons aucun secret. Il a défendu de façon très éloquente le Centre de recherche forestière qui se trouvait dans sa circonscription. Ce centre était censé disparaître, et il l'a sauvé.

Un simple député peut dire: «Lorsque je passe devant des journalistes, ils ne m'arrêtent jamais, ils ne s'occupent pas de moi; je pourrais être n'importe qui.» Certains simples députés ont peut-être l'impression de ne pas être importants, mais ils le sont. Dans certains cas, leur intervention peut faire toute la différence.

Cela dit, j'aimerais savoir si, à votre avis, ces simples députés devraient être tenus de respecter les mêmes règles qu'un ministre. Vous avez parlé de divulguer la liste des biens que l'on détient. Vous dites qu'à ce sujet, les parlementaires devraient faire preuve de transparence et qu'ils devraient publiquement...

M. Blais: Mais, de mon point de vue, il ne serait pas nécessaire que ces biens soient contrôlés par d'autres. Les députés seraient tenus de divulguer la liste de tous leurs biens, mais ils auraient toujours la possibilité d'en assurer la gestion comme bon leur semble.

S'ils n'ont pas d'informations d'initiés qu'ils peuvent utiliser pour en tirer eux-mêmes avantage, il n'est pas nécessaire, dans ce cas, de placer les biens en question dans un fonds fiduciaire sans droit de regard, ni de passer un contrat de gestion.

Toutefois, étant donné que la liste des biens est divulguée, si un député qui est membre du comité des ressources naturelles utilise les renseignements dont il dispose et qu'à un moment donné, la valeur de ses biens augmente de façon spectaculaire, le commissaire à l'éthique va l'appeler et lui demander ce qui se passe.

Le sénateur Bosa: Même s'il gagne à la 6/49?

M. Blais: S'il gagne à la loterie, c'est autre chose, mais je suis sûr que l'intéressé voudra, de toute façon, donner 50 p. 100 de ses gains au Trésor.

Des voix: Oh, oh.

Le sénateur Bosa: Voyez-vous un inconvénient à cela?

Mme Catterall: Je suis sûre que cela devrait être signalé.

Le sénateur Bosa: Par exemple, vous avez donné la liste de tous vos biens. Tous les députés ne sont pas sans ressources; certains sont fortunés. À votre avis, y a-t-il un risque que quelqu'un puisse chercher à profiter de...

.1805

M. Blais: Mais vous n'avez pas à rendre cela public. C'est au commissaire à l'éthique que cette information est divulguée.

Le sénateur Bosa Oh, je vois.

M. Blais: À partir du moment où il y a eu divulgation, ce n'est plus de votre ressort et le commissaire à l'éthique peut prendre les dispositions qui lui semblent appropriées. Je m'excuse, j'aurais dû préciser cela. Je ne parlais pas de rendre public... Je voulais dire que vous divulguez cette information à quelqu'un qui a la possibilité de vérifier la valeur de ces biens de temps en temps pour s'assurer que vous vous comportez comme un petit en garçon bien obéissant.

Le sénateur Bosa: Donc, vous divulguez la liste de tous vos biens?

M. Blais: C'est à Peter que je parle.

Des voix: Oh, oh.

Le sénateur Bosa: C'est à cause de ma jeunesse que vous m'appelez par ce nom.

Des voix: Oh, oh.

Le sénateur Bosa: Vous donnez la liste de vos biens au commissaire à l'éthique, et il lui appartient de décider de la publier ou de la garder -

M. Blais: Non, cela n'est pas nécessaire. Il n'a pas besoin de décider de la publier ou non. C'est uniquement si vous faites des bêtises qu'il la publiera. Dans ce cas, il doit... Ou bien le comité recommande, pour justifier ses initiatives... que cette information soit mise à sa disposition.

Le sénateur Bosa: C'est une précision très importante.

M. Blais: En commençant, vous avez parlé de l'importance des députés et des sénateurs. Monsieur le sénateur, quand je pense à ma propre expérience passée, ce que je regrette le plus, je pense, c'est de ne pas avoir été contacté par des gens qui avaient des informations, des gens qui voulaient faire avancer certains dossiers en Chambre.

Pour pouvoir comprendre ce qu'ils recherchaient, quel but ils poursuivaient, comment ils envisageaient la relation entre la position qu'ils occupaient et l'intérêt national, et ainsi de suite...

De mon point de vue - et les conseils que je donne à mes clients vont dans ce sens - les gens laissent passer une belle occasion lorsqu'ils ne cherchent pas à cibler certains députés, à leur parler et à les tenir informés de leurs affaires, afin de tirer profit de leur présence à la Chambre des communes.

Je veux dire que, lorsqu'on parle de lobbying, c'est aux groupes de pression qui agissent dans les coulisses de la Chambre que l'on fait allusion et personne n'a plus facilement accès à ces groupes de pression que les députés et les sénateurs.

La coprésidente suppléante (la sénatrice Spivak): Monsieur le sénateur Bosa, est-ce...?

Le sénateur Bosa: Je peux m'arrêter là. Nous ne voulons pas qu'il n'y ait plus quorum, vous savez.

La coprésidente suppléante (la sénatrice Spivak): En effet.

Madame Catterall, je vous en prie.

J'apprécie cette remarque.

Le sénateur Bosa: Je n'ai rien dit. Je n'ai pas entendu ce que vous avez dit.

La coprésidente suppléante (la sénatrice Spivak): Pardon?

Le sénateur Bosa: Lorsque j'ai parlé de quorum, je n'ai pas entendu ce que vous avez dit à ce sujet.

La coprésidente suppléante (la sénatrice Spivak): Je n'ai rien dit à propos du quorum.

M. Blais: Madame la présidente, je ne savais pas que vous serviez du scotch. On ne m'a donné que de l'eau.

Des voix: Oh, oh.

La coprésidente suppléante (la sénatrice Spivak): C'est du jus de pomme.

M. Blais: Merci.

Mme Catterall: Je tiens tout d'abord à vous remercier. Je pense que vous nous avez donné un point de vue très perspicace. Il y a des idées qui n'ont pas été exprimées par d'autres témoins et qui me plaisent assez. Je pense qu'elles démontrent un certain respect pour le rôle que jouent les députés qui ne sont pas ministres, et une bonne compréhension de leur situation. Bien des témoins qui ont comparu devant nous n'ont pas saisi cela et, par conséquent, ne sont pas allés aussi loin qu'ils auraient pu, pour déterminer quels pouvaient être les fondements d'un bon code d'éthique.

Je veux également vous remercier de nous avoir donné une bonne description du rôle des conseillers en relations avec le gouvernement. Vous avez vraiment mis le doigt dessus. Il s'agit essentiellement d'essayer de convaincre la personne chargée de prendre les décisions que ce que votre client cherche à accomplir, ou ce qu'il a à vendre, est d'intérêt public. C'est une façon très astucieuse de dire les choses.

J'ai également été très satisfaite de vous entendre dire que, selon vous, les députés ou les sénateurs ne devraient pas avoir d'activités professionnelles dans le milieu des affaires. Vous êtes peut-être au courant des observations que j'ai faites à ce sujet; quoi qu'il en soit, selon moi, les députés ont d'autres moyens de rester en contact avec leur électorat. Je pense qu'il est préférable qu'ils s'intéressent à toute une foule de choses plutôt que de se focaliser sur leurs intérêts personnels qui sont nécessairement étroits. À mon avis, vous avez fort bien exprimé cela.

L'autre point est l'influence qu'exercent les députés. Les députés eux-mêmes la sous-estiment.

Venons-en à la divulgation: qu'entendez-vous par «biens»?

M. Blais: Je ne parle pas de ceux qui sont exclus, c'est-à-dire les biens personnels - voiture, chalet, etc. - mais de tout ce qui peut faire problème, parce que le public pourrait considérer que le député ou le sénateur, étant en proche contact avec le décideur, peut faire fructifier ce bien.

.1810

Le sénateur Bosa: Personne...[Inaudible - Éditeur]...le téléphone.

M. Blais: Eh bien, naturellement, vous partagez le téléphone de Bell. Toute la question est de choisir entre Stentor et les câblodistributeurs. Ce sont des sujets auxquels le gouvernement s'intéresse de très près, et je suis sûr qu'un député qui souhaiterait suivre ces dossiers pourrait trouver, parmi les gens que je connais, un certain nombre de personnes qui lui fourniraient beaucoup d'informations fondamentales sur ce qui se passe dans ce secteur.

Mme Catterall: Vous avez également signalé que les députés ont l'obligation de chercher à obtenir des informations. En ce qui me concerne, qu'on les appelle des lobbyistes ou des conseillers en relations avec le gouvernement, j'ai toujours réservé un accueil chaleureux à ces «groupes d'intérêt représentatifs», pour reprendre l'expression de notre ami, John Bryden. Je ne peux pas être au courant de tout, et je suis donc très heureuse qu'il existe des gens capables de préciser, de façon concise, les questions que soulèvent certains dossiers. Pensez-vous que l'on devrait indiquer clairement dans un code d'éthique qu'il appartient aux députés de se renseigner auprès de groupes représentant des intérêts aussi divers que possible?

M. Blais: Je ne pense pas qu'il soit souhaitable de codifier précisément la conduite que vous devez adopter, par exemple, quelle situation est acceptable, dans quelles circonstances vous pouvez accepter ou refuser une invitation à déjeuner, qui doit régler la note, si vous devez partager les frais, et ainsi de suite.

J'ai entendu Mme Murray vous dire qu'elle n'entretient pas de relations d'affaires avec des politiciens. Je le fais, parce que j'aime les politiciens. De fait, j'ai beaucoup de respect pour ce qu'ils font et pour la manière dont ils procèdent. Par conséquent, si j'ai un client qui a certains intérêts à défendre, j'aborde la question. Je cherche à savoir dans quelle direction générale s'oriente la politique en la matière, j'élabore une stratégie et je conseille mon client sur la façon dont son entreprise ou lui-même doit s'y prendre pour tirer profit de la politique publique, de façon à ce que tous les intéressés en sortent gagnants.

Pour ce faire, il faut que je sache quels sont les courants d'opinion, et il n'y a rien de mal à chercher à vérifier ce qu'il en est. Je ne demande pas aux gens de me dire de quoi on a discuté aujourd'hui à la réunion du caucus. Toutefois, si quelqu'un veut me donner une idée générale de l'opinion du caucus sur une question précise, je ne dis pas non.

La coprésidente suppléante (la sénatrice Spivak): Madame Catterall, est-ce que c'était votre dernière question?

Mme Catterall: Il y a encore une chose que j'essaie de préciser. Je ne sais pas si cela fait partie des sujets que nous devons aborder au comité, mais je pense que vous avez très bien souligné pourquoi il est important d'allouer aux députés une rémunération raisonnable. Parmi toutes les opinions que j'ai entendu formuler à propos du régime de retraite qui existait lorsque je me suis portée candidate, et qui a maintenant été modifié, celle que vous avez exprimée est la plus convaincante.

Si nous allions trop loin et si nous en venions au point où les députés, pour assurer la situation financière de leur famille, étaient obligés d'avoir une autre activité et une autre source de revenus, est-ce que cela vous poserait un problème?

M. Blais: Je serais vraiment désolé que l'on en arrive là. Cette notion est dépassée. Le calendrier législatif est très chargé et aucun allégement n'est à prévoir. Selon moi, il est évident que les députés doivent y consacrer tout leur temps.

Si l'on compare les tâches que je devais assumer lorsque j'étais député et les vôtres, vous travaillez plus que moi, en moyenne. J'en faisais beaucoup plus que le député auquel j'ai succédé, et ainsi de suite. Les choses sont ainsi et, contrairement à ce que croient les Conservateurs, je ne pense pas que le gouvernement va disparaître. Les Conservateurs ont disparu, mais le gouvernement demeure.

Mme Catterall: Je pense que ceux qui préconisent aujourd'hui la disparition du gouvernement sont en meilleure position qu'ils ne l'étaient de votre temps.

Quand je pense à tout ce que je dois faire entrer dans mon emploi du temps, en toute franchise, je n'envie pas les électeurs de ceux qui passent ici deux ou trois jours, et qui rentrent ensuite dans leur circonscription pour y pratiquer leur art. D'un côté comme de l'autre, c'est mal faire les choses. Mais je ne sais pas vraiment comment nous pouvons fixer des normes éthiques s'appliquant au cas de ceux qui, de mon point de vue, négligent clairement leurs devoirs.

.1815

La coprésidente suppléante (la sénatrice Spivak): Est-ce que cela met fin à vos questions?

Mme Catterall: J'ai fini.

La coprésidente suppléante (la sénatrice Spivak): Monsieur Rideout.

M. Rideout (Moncton): J'ai une brève question, en quatre ou cinq parties. Vous avez parlé du commissaire à l'éthique. Avez-vous des idées sur la manière dont nous pourrions nous organiser pour créer ce poste? Comment procéderait-on pour faire cette nomination? Devant qui le commissaire à l'éthique serait-il responsable? Quel genre de sujets entreraient dans le champ de ses compétences?

M. Blais: De mon point de vue, le commissaire à l'éthique devrait être responsable devant le Parlement, étant donné que son rôle est de s'occuper des députés, sans aucun parti pris. Il faut isoler cette charge de toutes les influences partisanes qui se sont exercées, par exemple, lorsque nous avons examiné la question au comité des privilèges. Pour que le titulaire de cette charge puisse examiner la conduite des députés en tant que tels, il faut qu'il n'y ait aucun parti pris et qu'il soit donc un agent relevant du Parlement.

Il pourrait être nommé par le Bureau de régie interne ou par le biais de toute autre méthode que le Parlement peut souhaiter adopter. Par exemple, le Parlement pourrait vouloir que cette nomination soit faite par le gouvernement, par le biais d'un décret, suite à des recommandations formulées par les chefs des divers partis. Il y a toute une série de moyens que vous pourriez prendre et de nombreux précédents. Vous n'aurez aucun problème.

Le sénateur Bosa: Plutôt que de faire appel au gouvernement, ne serait-il pas préférable de demander à un aréopage de sélectionner le titulaire de cette charge? S'il était nommé par le gouvernement ou les chefs des partis politiques, le commissaire se retrouverait dans une position conflictuelle puisqu'il aurait à juger et à contrôler ceux qui l'ont désigné. Ne serait-il pas préférable, par exemple, de demander à un comité de juges de se charger de cette nomination?

M. Blais: Non, je ne voudrais pas que le pouvoir judiciaire intervienne dans les affaires législatives.

Le sénateur Bosa: Ce n'est pas nécessairement ce que je veux dire.

Je m'excuse d'être intervenu.

La coprésidente suppléante (la sénatrice Spivak): Je pense que M. Rideout n'en a pas encore terminé; je donnerai ensuite la parole au sénateur Gauthier. Il ne nous reste que quelques minutes.

M. Rideout: J'ai une autre question.

Sur le plan des pouvoirs que détiendra le commissaire en question, sera-t-il tenu de faire rapport au Parlement une fois par an? Le fera-t-il chaque fois qu'un incident s'est produit? Quel genre de pouvoirs lui donneriez-vous?

M. Blais: Il me semble que le commissaire devrait présenter un rapport officiel une fois par an. Toutefois, on devrait prévoir qu'il peut faire des rapports spéciaux lorsque certains incidents se produisent. Il faudrait déterminer si la Chambre peut approuver une motion permettant d'effectuer des enquêtes spéciales à un moment donné. Ce qu'il faut régler, c'est comment cette motion serait présentée à la Chambre. Devrait-elle nécessairement émaner du gouvernement ou acceptera-t-on une motion d'initiative parlementaire? Par combien de personnes devrait-elle être appuyée avant que l'on puisse lancer une enquête? Je pense que tous ces mécanismes peuvent être facilement précisés.

La coprésidente suppléante (la sénatrice Spivak): Monsieur le sénateur Gauthier, avez-vous une autre question à poser?

Le sénateur Gauthier: J'ai une question qui reprend le point soulevé par M. Rideout.

En Ontario, il existe ce que l'on appelle un commissaire de l'intégrité - je ne sais pas si, en anglais, on lui donne le nom de Commissioner of integrity ou Commissioner to integrity. Quoi qu'il en soit, je pense que c'est un meilleur titre, car le mot «éthique» recouvre une notion de morale et, comme on l'a fait remarquer au comité, c'est quelque chose qu'il est un peu difficile de définir. Certaines personnes - par exemple un chrétien, un juif ou un arabe - peuvent avoir une définition différente de la morale selon l'enseignement de leur église ou de leur religion. Cela ne doit pas entrer en ligne de compte.

Pour faire suite à la question de M. Rideout sur le processus que nous pourrions adopter pour procéder à cette nomination - il s'agit en réalité de trouver un mécanisme approprié et je pense que nous pouvons le faire - si l'on accepte l'idée qu'il nous faut un commissaire de l'intégrité ou un commissaire chargé d'assurer que la conduite des députés est toujours irréprochable, quel genre de mesures disciplinaires cette personne pourra-t-elle prendre? À part la possibilité de rendre publiques certaines informations, ce commissaire aura-t-il le pouvoir de recommander des mesures disciplinaires au Sénat ou à la Chambre des communes?

.1820

M. Blais: Oui.

Premièrement, je ne pense pas qu'il devrait y avoir une disposition légale permettant d'engager des poursuites criminelles. Il existe déjà des mesures à cet égard dans la loi. Je ne vois rien qui... et si quelqu'un accepte des pots-de-vin, alors, on peut engager ce genre de poursuites.

Sur le plan du code d'éthique, il me semble que le commissaire à l'éthique est un agent du Parlement et détient une délégation de pouvoirs. Je ne vois pas comment quelqu'un qui bénéficie de cette délégation de pouvoirs peut vraiment imposer des sanctions à ceux qui les lui ont délégués ou aux députés.

Le sénateur Gauthier: D'accord.

M. Blais: Il serait peut-être utile de jeter un coup d'oeil au système mis en place par les Américains.

Le sénateur Gauthier: De cette façon, la personne en question ne peut être à la fois juge, juré et bourreau.

Cela dit, vous avez fait la différence entre le recours à la législation et quelque chose d'autre. Vous parlez sans doute d'une proposition.

M. Blais: Oui, ou d'un code.

Le sénateur Gauthier: Que préféreriez-vous: un code d'éthique obligatoire ou une proposition qui aurait les mêmes effets dans les deux Chambres?

M. Blais: L'un ou l'autre. D'après ce que je peux voir, vous pourriez avoir soit une mesure législative, soit un code.

Le sénateur Gauthier: Quelle solution préféreriez-vous?

M. Blais: Je préférerais avoir les moyens nécessaires pour mener des enquêtes et appliquer des sanctions, de façon à ce que les députés sachent qu'ils doivent respecter le code, qu'il ne s'agit pas uniquement d'un voeu pieux, mais d'une obligation qui peut faire l'objet de vérifications menant à des sanctions en cas d'infraction.

Le sénateur Gauthier: Ne pensez-vous pas qu'une proposition nous laisserait une plus grande marge de manoeuvre? On peut la modifier au besoin.

M. Blais: Il faudrait toutefois éviter d'avoir une trop grande marge de manoeuvre pour que les règles ne puissent pas changer au gré du vent, comme on dit. Il faut éviter que quelqu'un puisse dire: «Vous êtes assis du même côté que moi à la Chambre et je peux donc me montrer moins sévère envers vous; ou encore, vous êtes assis en face de moi à la Chambre et je peux donc vous traiter avec plus de rigueur.»

À mon avis, les normes devraient s'appliquer uniformément à tous les députés, et il devrait être possible de savoir de façon certaine quelles obligations cela entraîne.

Le sénateur Gauthier: Si je vous comprends bien, vous adopteriez la deuxième solution. Vous préféreriez une mesure législative.

M. Blais: Si l'on se décide en faveur d'une proposition, il faut qu'elle soit intégrée au Règlement de la Chambre des communes pour qu'elle ait une certaine permanence et qu'on ne puisse pas la changer simplement parce que quelqu'un a des ennuis.

Le sénateur Gauthier: Très bien.

La coprésidente suppléante (la sénatrice Spivak): Merci beaucoup.

Monsieur Blais, tout cela était fort intéressant.

M. Blais: Merci beaucoup.

La coprésidente suppléante (la sénatrice Spivak): La séance est levée.

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