[Enregistrement électronique]
Le mardi le 25 avril 1995
[Français]
Le président: Bonjour, mesdames et messieurs. Je voudrais vous souhaiter la bienvenue à notre forum sur la situation de la faune et de la flore au Canada. Ce forum est ouvert au public et est télédiffusé sur le canal parlementaire.
[Traduction]
Vous vous souviendrez que, dans les mois qui ont précédé la présente séance, nous avons prévu la tenue de ce forum pour aujourd'hui, demain, et jeudi parce que nous voulons informer le public en général et nous informer nous-mêmes au sujet des tendances et de la situation de la faune au Canada. Nous voulons accroître notre compréhension des questions liées à la faune et, si possible, découvrir des moyens et des démarches pour que les Canadiens et les Canadiennes puissent participer à la préservation de notre grand patrimoine faunique.
[Français]
Notre rôle est très important au Canada. Il n'y a pas si longtemps encore, la faune était essentielle aux autochtones, fournissant nourriture, vêtements et abri. Encore aujourd'hui, elle contribue aux besoins de base et demeure au centre de la vie spirituelle et culturelle des nations autochtones au Canada.
[Traduction]
Par ailleurs, nous savons tous que la faune a joué un rôle déterminant, sur le plan économique notamment, au début de la colonisation et du développement de notre pays. Aujourd'hui, la faune joue toujours un rôle central car elle représente une contribution substantielle au produit national brut que l'on estime à 7 milliards de dollars environ par année. Plus encore, la faune fait partie de l'identité canadienne sur les plans culturel et psychologique.
Certains d'entre vous se souviendront qu'au cours des audiences de l'an dernier sur le projet de loi relatif aux oiseaux migrateurs, nous avons mis au jour des tendances inquiétantes. Certains d'entre vous ont alors fait valoir qu'il fallait que nous tenions un forum sur ce sujet pour examiner davantage la situation actuelle de la faune. Aujourd'hui et au cours des deux prochaines journées, nous allons mettre en oeuvre certaines des propositions faites il y a un an.
Nous savons tous que des menaces continuent de peser sur la faune au Canada, dans certaines régions en particulier. On nous a fait savoir que neuf espèces de plantes et d'animaux ont été ajoutées à la liste d'espèces menacées qui en compte déjà 254. Le comité, à l'aide de ce forum, a l'intention de contribuer au renversement de cette inquiétante tendance.
Ce matin, demain et jeudi, nous entendrons, des experts, des représentants du gouvernement, des scientifiques, des porte-parole d'organisations non gouvernementales et des peuples autochtones. Ces témoins nous donneront les renseignements les plus à jour sur la faune au Canada. En votre nom, je voudrais les remercier d'avoir accepter l'invitation de participer à ce forum et de nous faire part de leurs connaissances, de leur point de vue et - pourquoi pas - de leur passion pour la faune.
Je voudrais maintenant inviter les premiers groupes à amorcer nos travaux en faisant leurs déclarations préliminaires. Nous avons la chance d'avoir avec nous ce matin M. Alan Emery, président et directeur général du Musée canadien de la nature, qui parlera le premier. Suivront ensuite le grand chef adjoint Kenny Blacksmith, du Grand conseil des Cris, Mme Julie Gelfand, directrice administrative de la Fédération canadienne de la nature, et M. Jacques Prescott, président du comité canandien de l'Alliance mondiale pour la nature.
Monsieur Emery, à vous la parole.
M. Alan Emery (président et directeur général, Musée canadien de la nature): Je vous remercie tous sincèrement de m'avoir invité à prendre part à ce forum. C'est une de ces occasions où nous pouvons tous apprendre les uns des autres.
Je voudrais dire que si je suis ici aujourd'hui en tant qu'expert, ce n'est pas seulement à cause de mon poste de président du Musée canadien de la nature, mais aussi en raison de mes antécédents dans le monde des sciences. Cela dit, l'une des choses dont il faut se souvenir, c'est que l'on peut aborder la nature d'une grande variété de points de vue.
Pour en résumer tous les problèmes, je dirais d'abord que l'une des principales difficultés est que nous ne savons pas vraiment quel est le principal problème. Par conséquent, nous ne savons pas non plus quelle est la solution. J'expliquerai cela un peu plus tard, mais, pour l'instant, qu'il suffise de dire que l'un des principaux moyens est d'adopter une sorte de politique de transition nous permettant au moins de gagner du temps pendant que nous cherchons les solutions.
Vous constaterez que l'un des grands obstacles à cet égard - et je le constate à peu près tous les jours - est qu'il y a une réelle insuffisance de renseignements dignes de foi pour que l'attitude et le comportement des gens à l'égard de la nature s'améliorent constamment.
Le problème le plus immédiat, c'est que, en tant que décideurs intéressés à la réglementation et à la compréhension de nos processus, vous n'avez pas encore de mandat clair de la part du public et que vous n'avez pas vraiment de solution scientifique claire quant à ce qu'il faut faire.
Je voudrais tout d'abord souligner ce qui, à mon avis, constitue sans doute l'une des questions qui entraînent le plus de confusion.
La nature ne se résume pas vraiment à une question de fourrure et de plumes. Pas vraiment. L'une des difficultés que l'on rencontre en considérant la nature du point de vue du public en général - soit simplement comme des choses que l'on chasse ou que l'on pêche - c'est qu'il est vraiment impossible de gérer les systèmes dans lesquels vivent les espèces fauniques si l'on ne pense qu'aux animaux qui nous intéressent. La meilleure définition que l'on puisse donner à la nature, c'est qu'elle est l'ensemble des espèces vivantes. Elle doit être gérée d'une manière systémique et non en fonction des espèces distinctes.
Le concept de développement durable est un autre exemple de terme qui prête beaucoup à confusion - d'aucuns diront que c'est un oxymoron. Selon définition utilisée dans la stratégie de la biodiversité, que vous élaborerez bientôt, il s'agit de répondre à nos besoins sans compromettre ceux des générations à venir.
Un autre point important que l'on oublie souvent, c'est que les dettes écologiques ne s'effaceront jamais. Il arrive souvent que les pertes ne puissent jamais être épongées, comme lorsque des espèces disparaissent.
Si vous regardez sur la table devant vous, vous verrez un document intitulé Biodiviersité mondiale. C'est un bulletin publié par le Musée. L'un des articles qu'on y trouve traite des services écologiques, lesquels sont en fait les services que la nature nous fournit. Ils sont très importants. Ils consistent littéralement à nous donner les choses que nous mangeons et l'air que nous respirons. Ils permettent littéralement aux animaux et aux plantes de s'intégrer et d'avoir leur propre répartition. Les animaux et les plantes préservent notre sol et notre climat. Ils nous rendent tous ces services, et il importe que nous reconnaissions que ce sont là essentiellement des services de soutien que nous fournit la nature.
Les tendances dans la nature aujourd'hui sont vraiment inquiétantes. On assiste à une réduction importante de la faune ou à la disparation d'espèces. Nous utilisons maintenant environ 60 p. 100 de la productivité primaire - c'est-à-dire la production des matières initiales que les animaux peuvent utiliser - de source terrestre. Les quelque 50 millions d'espèces doivent se contenter des 40 p. 100 qui restent. C'est un problème.
Je dirais même, monsieur le président, que, comparativement à votre estimation pécuniaire de la valeur de la nature au Canada, cette dernière est environ dix fois supérieure si on songe que la nature représente essentiellement l'équivalent de la biodiversité brute produite à l'endroit où elle est d'abord utilisée. Cela étant dit, l'argent ni ne se respire ni ne se mange. Sans la nature nous ne pouvons pas survivre. C'est plus important que l'argent.
L'un des aspects les plus importants de cette question, c'est que nous devons être en mesure de gérer la nature dans son ensemble. La seule manière de le faire, c'est de diviser en zones les différents aspects de la région que l'on veut gérer. Nous devons élaborer une loi sur la biodiversité qui englobe toutes les lois existantes pour que nous soyons en mesure de travailler d'une manière systémique.
J'ai pensé que vous aimeriez peut-être que je vous donne un bref aperçu des différents moyens utilisés sur le plan conceptuel dans la gestion de la nature aujourd'hui. C'est important, parce que dans bien des cas, la définition de la nature dont les gens se servent dépend de leurs objectifs. Leurs objectifs détermineront la manière selon laquelle ils géreront ce qu'ils considèrent comme la nature.
Dans les pratiques actuelles, cette gestion se fait d'après ce qui est selon moi la perception la plus courante, c'est-à-dire en fonction de la chasse et de la pêche. Par conséquent, la nature, c'est essentiellement l'ensemble des espèces que l'on veut chasser et pêcher. À l'heure actuelle, on se sert d'un concept appelé rendement équilibré maximal, qui est en fait une manière d'utiliser seulement la production excédentaire créée par les systèmes biologiques. Le taux de succès de cette pratique, comme en témoignent nombre d'exemples de par le monde, y compris chez nous, n'est pas très bon. En fait, elle est souvent désastreuse, comme l'attestent plusieurs exemples de nos propres lacs où des espèces ont été pêchées jusqu'à l'extinction, de sorte qu'elles n'existent plus.
Un concept plus moderne consiste à utiliser la biodiversité comme l'équivalent de la nature, c'est-à-dire, la plupart des êtres vivants à l'exception notable des humains. Ce concept se fonde sur l'idée que la nature répond à nos besoins. Ce concept a pour fondement la notion de développement durable. Il s'agit du développement qui répond à nos besoins actuels sans compromettre la capacité des générations à venir de répondre aux leurs. Le taux de succès, si on se fonde du moins sur les profils de subsistance, à courte échelle, est assez bon. Cependant, à l'heure actuelle, on ne dispose d'aucun modèle de prédiction fondé sur des données scientifiques pour gérer la nature à l'aide de ce système.
Tout en m'excusant auprès des peuples autochtones de faire une description simpliste de leurs méthodes de gestion, je dois néanmoins souligner que, traditionnellement, pour les autochtones, la nature comprend toutes les formes de vie, y compris la vie humaine. Autrement dit, la sagesse traditionnelle consiste à dire que toutes les formes de vie font partie d'un tout intégré, que tout le système fonctionne comme une seule entité. Ils adoptent l'hypothèse d'un usage sage. Dans le cadre de cette vision, ils font une foule d'observations de nature rituelle sur la valeur de toutes les formes de vie. Fait à remarquer, l'utilisation du monde naturel, y compris tous les animaux et toutes les plantes, n'est pas considérée comme séparée de la vie de tous les jours. Elle en est vraiment une partie intégrante.
Le problème, c'est qu'à l'heure actuelle, ce mode de vie intégré a été détruit par la rencontre de notre culture et de la leur, de sorte qu'il n'est plus vraiment possible de le maintenir dans la situation actuelle.
Une autre pratique qui se manifeste dernièrement est celle de la cogestion, qui fait appel à la fois au concept actuel de chasse et de pêche et au respect traditionnel pour toutes les formes de vie que pratiquent les peuples autochtones. C'est essentiellement un compromis pratique qui est fondé non seulement sur la gestion d'espèces distinctes mais encore sur la connaissance intuitive des autochtones qui a pour fondement le monde naturel. Cette pratique se fonde donc sur une combinaison de l'usage sage traditionnel et du rendement équilibré maximal.
Il s'agit en fin de compte d'une sorte de gestion intuitive faisant appel au bon sens à la fois des autochtones et des experts scientifiques qui sont vraiment en contact avec la nature. Cette pratique a donné de meilleurs résultats que toutes les démarches isolées qui viennent d'être décrites. Cependant, son succès dépend de deux systèmes conceptuels différents et il repose sur le bon sens des gens appelés à prendre les décisions sur place, ce qui peut causer de l'instabilité sur le plan politique.
Un autre concept fondé sur l'idée que la nature comprend toutes les formes de vie est ce qu'on appelle le concept de l'utilisation des terres par zones. Dans ce cas là, le système a pour principe de base que toutes les formes de vie doivent être incluses dans la définition de ce qui doit être géré, y compris nous-mêmes.
C'est un concept qui est vraiment assez simple. On crée une zone de nature sauvage pour maintenir la diversité maximale. C'est simplement une zone centrale. Selon une estimation intuitive, environ le tiers de toute la région, si elle est fondée là-dessus, devrait être une zone de nature sauvage. Un autre tiers correspond à une zone mixte d'agriculture et d'usage suburbain. Le tiers qui reste serait d'usage urbain uniquement.
En écologie, on dit que si la superficie de la zone est réduite de 90 p. 100, la biodiversité s'en trouvera réduite d'environ 50 p. 100. Suivant ce modèle, on aurait un taux de rétention de 70 p. 100 de la biodiversité actuelle dans le monde. Le problème avec ce concept, même s'il comporte d'excellents fondements théoriques et nombre de modèles prévisionnels, est qu'il n'a pas été mis à l'épreuve.
Si nous prévoyons un échec dans l'immédiat, cela s'explique en particulier par le fait qu'on est très peu sensibilisé aux principes de gestion fondés sur l'utilisation de la terre par zones. Les zones de nature sauvage pourraient en souffrir du point de vue politique et autrement si l'usage mixte était permis partout. Cela démolirait immédiatement le concept.
Dans tout cela, il existe un certain nombre de facteurs prêtant à confusion sur lesquels nous devons vraiment nous pencher. La nécessité pour l'agriculture de nourrir un grand nombre de gens...
Le président: Je m'excuse de vous interrompre, M. Emery, mais je voudrais vous demander si vous avez une série de transparents en français pour alterner avec les autres afin d'assurer un équilibre des deux langues.
M. Emery: J'ai bien peur de ne pouvoir le faire à l'heure actuelle. J'ai bien fourni à tout le monde une version abrégée de cet exposé dans les deux langues. Je pourrai certainement vous en fournir d'ici une semaine environ si vous me laissez le temps de faire faire la traduction.
Le président: Veuillez continuer.
M. Emery: Je disais que l'un des problèmes que présente l'agriculture tient au fait que cette dernière doit nourrir un grand nombre de gens. Une partie de ce problème correspond à l'action fondamentale de l'agriculture qui est de réduire la diversité afin de pouvoir accroître la productivité. Cela donne lieu à une grave perte de la variété génétique au profit de la productivité.
Un autre facteur de confusion est la croissance démographique. J'ai fait des petits calculs. J'ai pris note de l'âge de chacun d'entre vous et établi une moyenne. Il vous intéressera peut-être de savoir que votre âge moyen - non pas le vôtre, évidemment, mais l'âge moyen du groupe - est de 52 ans. Si on remonte 52 ans en arrière et qu'on cherche à savoir quelle était la population mondiale à ce moment-là, on apprendra qu'elle était de 2,2 milliards d'habitants. Rappelez-vous que 10 000 ans avant, la population mondiale était égale à l'actuelle population de Long Island. Pendant ces 10 000 ans, la population du globe est passée de deux ou trois millions à 2,2 milliards. Depuis 52 ans, soit votre âge moyen, la population mondiale a encore augmenté de 3,5 milliards. En 52 ans, la population mondiale - qui a pris 10 000 ans à atteindre 2,2 milliards - s'est accrue de 157 p. 100. Ça ne peut pas continuer. Si elle s'accroît au même rythme, la gestion de la nature sera impossible.
C'est un facteur de confusion. Comment l'aborder? On estime que la capacité d'assimilation démographique de la terre se situe à l'heure actuelle entre 8 milliards et 12 milliards d'habitants, et c'est tout. Nous sommes aujourd'hui très près de la limite.
À l'échelle internationale commencent maintenant à se manifester beaucoup de problèmes, dont des guerres ethniques, qui sont en fait des guerres économiques, et un déclin de la biodiversité comparable à celui qui a mené à l'extinction des dinosaures. C'est-à-dire que des espèces animales disparaissent aujourd'hui au même rythme qu'à l'époque de l'extinction des dinosaures. Il se produit bien d'autres changements climatiques auxquels les animaux et les plantes sont incapables de s'adapter. Il y a donc des faits très importants à retenir.
Ce qu'il ne faut surtout pas oublier, dans le système actuel, c'est qu'on ne peut pas gérer ce qu'on ne possède pas. Comme la gestion espèce par espèce de la faune ne donne aucun résultat; il faut gérer des systèmes entiers. Il y a vraiment une limite à la croissance démographique, et la faune est absolument nécessaire à notre existence. Les écosystèmes sont nos systèmes de survie; il nous les faut absolument. Un système de zonage va faire l'affaire tant que l'on n'aura pas trouvé mieux. Il va au moins permettre de tenir le coup en attendant.
Que faire? D'abord reconnaître que toutes les formes de vie animale sont équivalentes afin de pouvoir les gérer ensemble. Essentiellement, la faune se gère en fonction des écosystèmes. Il faut mettre au point des modèles de prévision de façon à comprendre ce qui arrivera si l'on modifie les choses. Avant de commencer à gérer la faune, il faut reconnaître qu'elle nous appartient. Cela pourrait se faire au moyen d'une déclaration commune des gouvernements fédéral et provinciaux, mais c'est essentiel. On peut adopter une politique de zonage en ce qui concerne l'utilisation des terres.
Ce qu'il faut faire, notamment, c'est lancer immédiatement une campagne d'information de la population de telle sorte que les Canadiens comprennent bien quels sont les véritables enjeux. La tribune prévue pour les trois prochains jours constitue une première étape extrêmement importante à cet égard. Elle calmera tout de suite le débat animé qui contribue davantage à embrouiller les gens qu'à les informer.
Enfin, il est aussi absolument indispensable de veiller à ce que les gens aient un contact personnel avec la nature. Dans notre société, on passe 4 p. 100 environ de son temps dans la nature. Ce n'est pas suffisant.
Merci beaucoup.
Le président: Merci, monsieur Emery.
Je vous demanderai maintenant au Chef Blacksmith de prendre la parole.
Le chef Kenny Blacksmith (grand chef adjoint, Grand conseil des Cris du Québec): Merci.
La faune et son habitat et le développement durable de l'environnement comptent parmi les premières préoccupations de notre peuple. Les gens de mon peuple s'intéressent tellement à ces questions qu'ils auraient pu venir ici en si grand nombre, ce matin, qu'ils auraient rempli cette salle. Toutefois, comme nous sommes en pleine saison de chasse à l'oie, j'ai dû venir tout seul, les autres étant tous allés à la chasse. La chasse et la pêche font partie du mode de vie traditionnel de mon peuple. Je vais m'efforcer de bien représenter celui-ci en exprimant ici ses préoccupations.
Je remercie le Comité de l'environnement de m'avoir invité à venir parler de la faune. Pour mon peuple, la faune est symbolique et très importante aux plans social et économique. Je ne nie pas que la faune ait aussi son importance pour la collectivité autochtone. Toutefois, elle est importante parce qu'elle est liée à la connaissance de soi, à la maturité et à l'âge adulte. Elle constitue aussi une partie importante de la vie quotidienne de la collectivité. Elle est associée dans nos vies à la création, à la société et aux relations des gens entre eux et avec les animaux. C'est pourquoi nous, Cris, protégeons la terre et conservons le patrimoine naturel que nous ont légué nos ancêtres. Nous avons gardé la nature intacte pendant des milliers d'années. Elle nous a nourris et nous a permis, grâce à son abondance, de faire vivre nos familles et de préserver notre culture et notre mode de vie.
Pour beaucoup d'autochtones, aujourd'hui, au Canada, la faune revêt une grande importance économique. Dans ma propre collectivité, soit celle des Cris de l'est de la baie James, on estime que 10 000 personnes consomment quelque 1,7 million de livres de viande provenant d'animaux sauvages. Trente p. 100 environ des familles cries trouvent leur première source de revenu dans la forêt. Une autre importante proportion de famialles cries combinent emploi saisonnier et activités traditionnelles agraires.
Tous les membres de nos neuf collectivités cries se partagent le produit de la chasse. Ce partage se fait conformément aux normes qui existent dans notre société. Les bêtes sont dépecées à la manière traditionnelle, puis les morceaux sont répartis entre les membres de la collectivité. Très souvent, les personnes qui reçoivent de la nourriture grâce à ce réseau de partage trouvent le moyen de repayer ce don en nature ou d'une autre façon. Toutefois, l'obligation de remettre est loin de compter autant que l'importance pour notre société de nourrir gratuitement ses nécessiteux.
Dans ma culture, un enfant n'a pas le droit de poser le pied sur la terre à l'extérieur de sa demeure avant l'âge d'un an - ou de trois ans au plus tard - soit tant que la «cérémonie de la sortie» n'a pas lieu. Cette cérémonie marque le début du processus social et éducatif qui fera de l'enfant un adulte. Un tipi est érigé et les anciens sont invités à venir s'asseoir autour du feu. Les enfants, vêtus à la mode traditionnelle, y sont emmenés et, après un certain temps, sont menés à l'extérieur par un adulte. En mettant le pied dehors, ils se trouvent à entrer symboliquement dans la «forêt» ou dans le «monde», où on leur donne du bois à brûler et de la viande de sauvagine, d'ours ou de quelque autre gibier qu'ils ramènent au tipi et offrent aux anciens.
À partir de ce moment-là, l'enfant apprend à fabriquer le matériel et les outils nécessaires au mode de vie traditionnel cri et à chasser. Les garçons autant que les filles apprennent à faire la cuisine, à fabriquer des raquettes et à chasser. Au fur et à mesure qu'ils grandissent, des cérémonies marquent l'acquisition par eux de différentes compétences. C'est cette capacité de remplir certaines tâches traditionnelles qui fait la maturité et l'acceptation dans notre société. Cette maîtrise a aussi un aspect spirituel, en ce sens qu'elle apprend à aimer et à respecter la terre et la faune.
Un Cri apprend notamment que la relation entre les humains et les animaux repose sur le respect avec lequel les premiers traitent les seconds. Les personnes qui violent le code de conduite établi courent de grands risques et en font courir aux membres de leur famille. C'est aussi à ses risques et périls qu'une société viole ce code.
Dans la société crie, il revient évidemment à chacun de s'assurer que le code est respecté. Dans chaque famille élargie, toutefois, c'est le Nidoohuu Otchimu, ou pointeur qui est chargé du territoire ancestral de chasse de la famille. C'est à lui de déterminer où la chasse aura lieu et le nombre des prises possibles. C'est aussi lui qui veille à ce que le chasseur respecte la tradition crie et à ce que les bêtes abattues soient correctement dépecées.
La tradition crie veut que la terre soit cultivée. Une année, la chasse a lieu dans une certaine partie du territoire, l'année suivante dans une autre, la troisième année dans une autre encore et, la quatrième année, peut-être à la même place que la première année. Cette rotation permet à la terre de se refaire et aux ressources non migratrices de se renouveler.
Il faut saisir ce point de vue cri pour comprendre notre préoccupation, en 1972, lorsque la société Hydro-Québec a construit une route pavée au beau milieu de nos territoires de chasse. Pour la première fois de notre histoire, ce que nous considérions comme des éléments permanents de notre environnement, tel que le Créateur l'avait fait, a été aplani au bulldozer, dynamité, puis inondé. Les traditions cries, qui reposent sur un accès limité à la terre, ont été érodées par l'ouverture totale du territoire au moyen d'un réseau de routes et de chemins de terre. En outre, des lieux de campement, des cimetières et des endroits sacrés ont été inondés aussi.
Des familles qui avaient été jusqu'alors sûres d'elles-mêmes et de leur place dans le monde se sont trouvées coupées de leur patrimoine. Le savoir des anciens ne comptait plus et les jeunes ne savaient plus quoi penser. L'habitat de la faune, les cours d'eau - qui étaient aussi devenus la patrie et les voies culturelles de mon peuple - avaient disparu.
Le traité qu'ont conclu, en 1975, les Cris, le Québec et le Canada, visait à régler ces prétendus problèmes d'utilisation du territoire et garantissait la survie du mode de vie traditionnel des Cris.
On nous avait dit, en 1975, que le développement du territoire se ferait de façon contrôlée, de telle sorte que la réalisation de tout nouveau projet approuvé ne menace pas le mode de vie traditionnel des Cris. C'est ce que prévoit l'article 22 du traité concernant l'évaluation de l'impact sur l'environnement. Pour que soit préservée la nature particulière du mode de vie traditionnel cri, l'article 22 du traité prévoit que le Comité consultatif pour l'environnement de la Baie James recommande un règlement aux gouvernements et examine le règlement et la loi proposés à la lumière des objectifs du traité.
En outre, un comité cri-inuit-fédéral-provincial de coordination de la chasse, de la pêche et du piégage a été spécialement chargé de gérer les ressources fauniques.
Enfin, l'accord établit le principe de la conservation en vertu duquel, chaque fois qu'une espèce animale est menacée, on mette fin d'abord et avant tout à la chasse sportive, puis on réduise la chasse à laquelle s'adonnent les Cris; et si c'est absolument nécessaire pour la protection d'une espèce, les Cris cesseront de chasser cette espèce. Les chasseurs cris ont respecté ce principe à l'égard de la bernache cravant, par exemple, dont la population se renouvelle maintenant.
On croirait que, dans son ensemble, un tel programme devrait protéger les ressources fauniques et le mode de vie cri. Dans la réalité, ce n'est pas tout à fait le cas.
Le Comité consultatif pour l'environnement de la Baie James n'a jamais recommandé de règlement au gouvernement canadien ni au gouverenement québécois. Chaque fois que le Québec ou le Canada veut mettre en place des programmes concernant la faune, dans le cadre de la Loi sur la Convention sur les oiseaux migrateurs, par exemple, les autochtones participent au processus de consultation. Mais, quand vient le temps de préciser comment on va s'y prendre pour protéger à la fois les espèces menacées et les intérêts des autochtones, les gouvernements laissent les autochtones de côté.
Nous sommes reconnaissants au comité d'avoir proposé la disposition de non-dérogation aux traités conclus avec les autochtones, qui figure dans la Loi sur la Convention sur les oiseaux migrateurs, mais nous estimons que cette disposition n'assure pas la reconnaissance nécessaire à l'application de notre traité et à la protection de notre mode de vie. Je suis persuadé que, lorsque le comité a examiné le projet de loi, les mesures particulières que nous proposions d'adopter concernant notre traité ont été rapidement écartées.
Car, voyez-vous, tel est le problème que nous avons avec les gouvernements et les bureaucrates. Il s'ensuit que des mesures précises prévues dans le traité finissent par ne plus rien signifier parce qu'elles sont petit à petit et constamment contournées.
De la même manière, la plupart des traités ne sont plus, au Canada, que des reliques intéressantes, sans rapport précis avec la politique ni la loi actuelles. Pour que les gouvernements respectent les engagements qu'ils ont pris dans les traités, il faudrait que les traités soient constamment mis à jour et incorporés à la législation et à la politique gouvernementales.
Un exemple encore plus concret de la situation se trouve dans la façon dont l'exploitation forestière est gérée dans le nord du Québec et dans son incidence sur la population d'orignaux. Conformément au traité de 1975, l'exploitation forestière est réglementée de deux façons. La coupe du bois est régie par le plan de gestion, qui est approuvé par le comité consultatif. La construction des routes d'accès et des campements forestiers est aussi assujettie à l'évaluation de leur impact sur l'environment.
Le Québec a exempté presque complètement les compagnies forestières de la nécessité de respecter bon nombre de ces garanties. En outre, le Québec a refusé de réglementer l'exploitation forestière sur le territoire cri d'une manière qui soit conforme à l'accord de la Baie James. Le rythme auquel on coupe le bois sur notre territoire ne correspond pas à un développement durable et le reboisement ne suffit pas à corriger la situation.
Tout cela, parce que le Québec a accordé des exemptions spéciales aux compagnies qui font de l'exploitation forestière sur nos terres. Il s'ensuit que quelque 500 kilomètres carrés de territoire de chasse cri sont rasés chaque année. Et cette coupe à blanc a de graves répercussions sur la population d'orignaux. Le Québec ne s'est pas inspiré d'études scientifiques pour gérer la population d'orignaux. Les routes de chantier ont permis aux chasseurs sportifs d'investir l'habitat des orignaux, auquel seuls les Cris avaient jusqu'alors accès.
Préoccupés par cette situation, les Cris ont engagé un spécialiste de la gestion des orignaux. Dans son rapport, celui-ci recommande que la chasse sportive cesse complètement dans la région et que les chasseurs cris se limitent à un orignal par territoire de chasse familial par année. Cela permettrait tout probablement à la population d'orignaux de se renouveler en quelques années.
Lorsque nous avons présenté ce rapport au comité de coordination de la chasse, de la pêche et du piégeage, la première réaction du Québec a été d'en contester les conclusions. Après avoir mené des études, toutefois, il s'est rendu compte qu'elles étaient exactes, mais a quand même refusé de respecter le principe de la conservation. Le Québec préconise plutôt que cessent complètement la chasse sportive et la chasse effectuée par les Cris, ce qui contrevient au traité et au principe de conservation qui y est prévu.
Je n'ai parlé que des incidences légales et pratiques de cette affaire. Je pourrais évidemment vous décrire bien d'autres situations similaires. L'attaque du Parlement européen contre le commerce de la fourrure par les autochtones et l'incompétence manifeste du Canada à régler cette question exacerbent une situation qui a des conséquences terribles pour notre société et notre culture.
L'absence de règlements efficaces et la non-participation des Cris à la gestion des ressources fauniques du nord du Québec ont aussi des incidences culturelles. La situation n'est pas sans précédent. Après la première Guerre mondiale, nos territoires ont été envahis par des colons et des trappeurs à gages du Sud qui se servaient d'appâts empoisonnés pour tuer le plus d'animaux à fourrur possibles. L'anthropologie Harvey Feit a parlé de «chasse de préemption», chacun tuant tout animal rencontré avant que quelqu'un d'autre ne le fasse. En moins de vingt ans, la famine décimait nos collectivités.
Une situation similaire prévaut aujourd'hui dans le nord du Québec. Il n'en résultera pas de famine, mais l'arrogance avec laquelle les gouvernements fédéral et québécois s'accaparent toute la compétence en la matière, excluant les Cris tant de la mise au point des programmes concernés que de l'application des mesures requises, constitue une grave menace pour notre société. Je dirais que, avec les mégaprojets et l'exploitation forestière, l'absence d'une réglementation de la gestion des ressources fauniques constitue la principale menace d'extinction culturelle pour notre société.
La solution à ce problème serait notamment - et je le dis à tous les peuples autochtones qui sont en train de négocier des traités - de faire participer davantage les peuples autochtones aux décisions concernant tant l'utilisation du territoire que la gestion de la faune. J'estime que les ressources pourraient être co-gérées, mais que les peuples autochtones devraient participer bien davantage à l'établissement des programmes de gestion.
Les gouvernements fédéral et québécois traitent les questions intéressant la faune de façon décousue et rejettent le point de vue holistique des Cris à l'égard de l'environnement. Les orignaux relèvent d'un ministère, les forêts d'un autre, et les pêches, d'un autre ordre de gouvernement, et aucun des scientifiques consultés n'a une idée de la façon dont tout cela s'harmonise.
C'est là que nous entrons en scène. Par tradition et par intuition, nous croyons que tout cela fait partie de la création. Nous devons participer à la gestion de la faune, depuis la rédaction de la loi jusqu'au choix des activités à mener sur le territoire. Sinon, votre démarche de bric et de brac va détruire notre culture. Il est dans votre intérêt comme dans le nôtre que nous le faisions. Une société qui contrevient aux principes d'une saine gestion de la faune risque de voir son patrimoine naturel et culturel gravement avili. Nous espérons éviter cela.
Merci beaucoup. La version française de notre mémoire vous sera communiquée dès que possible.
Le président: Merci, Grand chef adjoint. Vous avez présenté ce matin des déclarations bien senties. Je suis persuadé que les membres du comité voudront les approfondir plus tard avec vous.
C'est maintenant au tour de la Fédération canadienne de la nature. Madame Julie Gelfand, la parole est à vous.
Mme Julie Gelfand (directrice exécutive, Fédération canadienne de la nature): Merci.
Je vous inviterai tout d'abord à ouvrir la petite enveloppe brune qui vous a été distribuée. Elle contient les pièces d'un casse-tête, que vous pouvez commencer à faire pour vous reposer un peu. Le casse-tête, qui représente le logo de la Fédération canadienne de la nature, témoigne de notre façon de communiquer avec la population canadienne.
Tout d'abord, je voudrais vous parler du boeuf musqué et de la raison pour laquelle nous avons conçu ce casse-tête. Face au danger, les boeufs musqués se regroupent, se tiennent côte à côte, pour protéger leurs petits. Notre groupe représente 15 000 Canadiens et 150 groupes écologiques de différentes villes et localités du Canada. Nous utilisons le boeuf musqué pour illustrer essentiellement le fait que les gens qui se préoccupent de la nature sont prêts à se regrouper, à se serrer les coudes, pour la protéger. J'espère que le casse-tête vous plaira et que vous en ferez cadeau à vos amis ou à vos enfants.
Je tiens avant tout à préciser que je ferai une petite partie de mon exposé en français, mais la majorité en anglais. Je tenterai de traduire au fur et à mesure.
Je voudais vous donner quelques renseignements de base à notre sujet. Je suis la porte-parole d'une organisation non gouvernementale qui représente la population. Nous croyons que le Canada a des responsabialités et des obligations envers les espèces animales. Nous croyons aussi que nous avons nettement le mandat d'agir, car, comme vous le dira probablement Fern Filion un peu plus tard, plus de 80 p. 100 des Canadiens jugent qu'il est très important de protéger la nature.
Examinons certaines obligations au niveau international. La plus évidente est certes liée au fait que le Canada a été le premier pays industrialisé à ratifier la convention internationale sur la protection de la biodiversité. L'ex-premier ministre, M. Mulroney, a fait beaucoup d'éclats à ce sujet et a dit au monde entier que les Canadiens allaient devenir des scouts ou des guides, selon leur sexe, et se faire les défenseurs de la biodiversité. Malheureusement, cela ne fut pas le cas. Nous croyons que vous êtes en mesure de nous aider. Premièrement, définissons la biodiversité.
[Français]
La biodiversité, qu'est-ce que c'est? C'est la vie, c'est la variété de la vie sur la planète. Ça représente les gènes, les espèces que l'on retrouve à travers le Canada, toutes sortes d'espèces et toute la variété au sein des espèces. Ça représente aussi la variété des écosystèmes à travers le Canada. En résumé, c'est ça, la biodiversité.
Pourquoi est-ce important? La biodiversité est importante pour plusieurs raisons. Elle est ce que nous mangeons. On peut donc dire qu'on mange la biodiversité. Elle est aussi l'endroit où on trouve de nouveaux médicaments qui nous aident à combattre le cancer, la leucémie et ainsi de suite.
La biodiversité nous donne la capacité de résister aux changements externes. S'il y a un changement externe extrême, le fait qu'il y ait une diversité d'humains et d'insectes fait en sorte que certains insectes et certains humains vont survivre, alors que d'autres ne le pourront pas.
[Traduction]
Le plus important, c'est que notre économie repose presque entièrement sur des ressources biologiques ou naturelles. Il suffit de songer à l'importance que revêtent la pêche, l'exploitation forestière et l'agriculture pour notre économie. Donc, à notre avis, la biodiversité est très importante.
Nous avons signé cet accord international et nous avons dit que nous prendrions des mesures concernant la biodiversité. Quelles obligations cette convention impose-t-elle au Canada exactement? La convention oblige le Canada à étudier les diverses espèces.
[Français]
Il faut les étudier et découvrir ce que nous avons sur la planète.
[Traduction]
La convention nous oblige à protéger les espèces et les espaces. Par «espaces», j'entends les habitats où vivent ces espèces.
[Français]
Il faut donc protéger les espèces et leurs habitats.
[Traduction]
Enfin, nous devons utiliser la biodiversité judicieusement. Nous devons modifier ou adapter toutes nos pratiques qui tendent actuellement à nuire à la biodiversité afin qu'elles n'aient plus de répercussions négatives.
La convention oblige donc le Canada à étudier la biodiversité, à la protéger et à l'utiliser judicieusement.
Le but de mon exposé est de vous décrire les problèmes et la situation du point de vue d'une organisation non gouvernementale, car c'est le seul que je peux vous donner. Je vais vous décrire la situation en tenant compte de ces trois obligations: étudier la biodiversité, la protéger et l'utiliser judicieusement.
Quels sont les problèmes liés à l'étude de la biodiversité? Premièrement, nous ne savons pas ce que nous avons. C'est une chose qu'il nous faut avant tout déterminer. Nous continuons de découvrir de nouvelles espèces au moment où je vous parle. Une station de recherche, située à Carmanah, a découvert dans un vieux peuplement des centaines de nouvelles espèces d'insectes au cours des dix dernières années. Nous ne savions même pas que ces espèces existaient. Vous pourriez nous demander ce que cela peut vous faire, réflexion qui est intéressante. En fait, nous pourrions découvrir le remède à certaines maladies chez l'un de ces insectes ou dans une sécrétion qu'ils produisent. On pourrait dire que la diversité de la vie est très importante ne serait-ce que pour les être humains, en omettant de mentionner qu'elle est aussi importante pour le reste de notre écosystème.
Il y a de moins en moins de subventions pour cette science qui découvre de nouvelles espèces. Nous perdons nos systématiciens. L'organisation de M. Emery, le Musée canadien de la nature, a diffusé une très bonne étude sur l'exode des spécialistes capables de découvrir et de comprendre de nouvelles espèces.
Nous n'avons pas de répertoire national des espèces. Nous n'avons pas une sorte de guichet unique où nous adresser pour découvrir si telle espèce existe. Il faut consulter à droite et à gauche. Nous ne savons pas non plus les espèces qui disparaissent. Comme nous ne connaissons pas toutes les espèces que nous avons, nous ne pouvons pas savoir lesquelles disparaissent.
Voilà les problèmes liés à ce genre d'étude.
Pour ce qui est de la protection de la biodiversité, j'ai divisé les problèmes en deux catégories. Le Canada, et le gouvernement fédéral en particulier, possèdent d'énormes pouvoirs dans le domaine de la protection de la faune. Nous avons notamment des pouvoirs sur la pêche, la protection des mammifères marins et des oiseaux migrateurs et le commerce international. Nous avons déjà plusieurs mesures législatives qui portent sur la nature. Vous connaissez surtout la Loi sur la faune du Canada et la Loi sur les oiseaux migrateurs, que vous avez étudiées. Il y a aussi la Loi sur la protection d'espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial, un titre incroyable, ainsi que la Loi sur les pêches.
Nous avons de bonnes lois. Nous avons une excellente loi sur les pêches. Nous avons aussi des lois pour lesquelles il n'existe toujours pas de règlements, comme la loi au titre incroyable que je viens de mentionner. Même si nous avons sur papier d'excellentes lois, elles sont très peu appliquées, ce qui est à l'origine de l'un de nos principaux problèmes. Peu de gens ont été reconnus coupables d'une infraction à la Loi sur les pêches. On ne fait pas assez respecter la loi. Lorsqu'elle viendra témoigner devant vous, Liz White abordera cette question en détail. Je veux simplement vous donner, pour l'instant, un aperçu des problèmes qu'il nous faut régler.
L'application de la loi pose un grave problème au Canada. En fait, c'est tellement un gros problème que l'organisation de Liz White a présenté une pétition aux États-Unis pour leur demander de prendre des sanctions commerciales contre le Canada, parce que nous ne respectons pas plusieurs de nos accords internationaux.
Un autre problème touche les espèces fauniques, soit l'augmentatiaon du commerce dans les parcs fauniques. Je suis sûre que vous avez entendu parler de ce problème. On trouve des ours morts dans le nord de l'Alberta et le nord de la Saskatchewan. Après avoir coupé les pattes de l'ours et lui avoir retiré la vésicule biliaire, les chasseurs abandonnent le reste de la bête. Ce commerce de membres et d'organes est en pleine croissance. Joan Gregorich vous en dira plus long à ce sujet lorsqu'elle témoignera.
Fait assez surprenant, le Canada n'a pas de loi visant à protéger les espèces menacées d'extinction. Il y a à peine deux semaines, la chouette des terriers a changé de catégorie, passant d'espèce «menacée» à espèce «en voie de disparition». Pourtant, aucune mesure législative ne protège la chouette contre l'extinction. Les Canadiens trouvent cela monstrueux. En trois semaines, 70 000 personnes ont signé une pétition que nous avons remise à Sheila Copps pour l'exhorter à faire adopter une loi fédérale sur les espèces en voie de disparition. En trois semaines seulement.
Sheila Copps elle-même est restée interdite lorsque nous lui avons demandé si elle se rendait compte que nous n'avions pas de loi protégeant les espèces en voie de disparition. Elle ne le savait pas et a été très surprise de l'apprendre. C'est souvent la réaction que nous obtenons lorsque nous discutons avec les Canadiens.
On peut comparer la situation au Canada à un hôpital qui ne fait qu'enregistrer les patients. Nous dressons une grande liste des espèces en voie de disparition, mais ne faisons rien pour les aider. Le Canada a besoin d'une loi sur les espèces en voie de disparition. La population le réclame. Nous avons un mandat. Nous avons un peu de difficultés à traiter avec les bureaucrates, tant au niveau fédéral que provincial. Toutefois, la population demande aux dirigeants politiques d'adopter une loi sur les espèces en voie de disparitiion.
Le Canada possède 20 p. 100 des zones de nature sauvage à l'extérieur de l'Antarctique, mais seulemnt 5,2 p. 100 de ces zones sont protégées. Dans le dernier bilan qu'ils ont publié la semaine dernière, le Fonds mondial pour la nature et la Fédération canadienne de la nature évaluent de façon lamentable la performance du gouvernement fédéral, lui accordant une note de C- pour les parcs terrestres et de D- pour la protection du milieu marin.
Pour certaines espèces, le Canada constitue le dernier refuge sur ce continent. Les loups ont disparu dans presque tous les 48 États américains. Des loups vivent encore dans quelques régions du Canada, malgré les campagnes d'extermination en vigueur dans certaines provinces et certains territoires. Notre pays est l'un des derniers qui a assez d'étendues de sauvages pour permettre aux ours de survivre. Nous avons assez d'espace pour que les oiseaux chanteurs continuent de chanter.
Toutefois, malgré les voeux pieux des gouvernements - les parlementaires ayant reconnu il y a déjà plusieurs années que 12 p. 100 de la superficie du Canada devrait être protégée - très peu de mesures concrètes sont prises. Aucun nouveau parc national n'a été créé depuis 18 mois. Aucun nouveau parc maritime n'a été créé depuis 1989. Il n'existe aucun plan public officiel en vue de la création d'un réseau d'étendues sauvages au Canada. Je le répète, nous n'avons aucune mesure législative visant à protéger l'habitat de nos espèces en voie de disparition.
Pour reprendre l'exemple d'une espèce en voie de disparition - vous pouvez constater que cela est devenu l'un de nos chevaux de bataille - la chouette des terriers, qui a changé de catégorie, passant d'espèce «menacée» à espèce «en voie de disparition», vit dans le parc national des Prairies, dont la moitié seulement est aménagé. Le dernier budget fédéral ne prévoit aucune ressource pour compléter l'aménagement du parc national des Prairies et, partant, protéger l'habitat de la chouette des terriers.
Je veux tenter de vous faire comprendre à quel point il est difficile de protéger des régions au Canada. Il faut en moyenne quinze ans, des études préliminaires couvrant des milliers de pages, de nombreuses démarches de la part de lobbyistes et généralement l'intervention du premier ministre ou d'un ministre pour qu'un parc national soit créé. Pourtant, en moins d'un an, des permis d'aménagement ont été délivrés dans une importante zone sauvage qu'on appelle la province géologique des Esclaves - située dans les Territoires du Nord-Ouest - et en un an des milliers d'hectares de nature sauvage ont ainsi été réservés à l'exploitation. Aucune zone n'est protégée dans cette partie du pays. Des grizzlis sont abattus et personne ne le sait. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.
[Français]
Finalement, il faut utiliser de façon saine la biodiversité et les espèces sauvages. Nous avons besoin de faire une utilisation et une gestion saines de nos ressources renouvelables. Si on ne parvient pas à bien gérer nos espèces, on peut s'attendre à d'autres désastres tels ceux qui se sont produits dans les cas de la morue et du saumon du Pacifique.
Selon nous, il faut aussi adapter plusieurs pratiques qui sont habituelles aux niveaux forestier et agriculturel. Plus particulièrement, il faut arrêter d'utiliser certains pesticides, notamment le carbofurane et le fenitrothion.
[Traduction]
Lorsque nous utilisons de façon adéquate nos espèces fauniques, nous devons veiller à ce que nos lois sur la chasse soient bien appliquées afin d'éviter le braconnage. Il y a un autre problème dont il faut tenir compte, soit les plombs de chasse et leurs répercussions sur la faune. Les plombs de chasse posent un grave problème. Leur utilisation a été interdite en Colombie-Britannique pour la chasse au canard et à la sauvagine. Leur utilisation est également interdite dans certaines régions névralgiques du Canada. M. Vernon Thomas vous apportera des précisions sur les plombs de chasse un peu plus tard au cours de vos audiences.
La Fédération canadienne de la nature représente 15 000 membres et 150 groupes écologiques du Canada. Nous agissons sur deux fronts. Nous croyons que la solution réside dans la protection de la vie sauvage et dans la modification des méthodes que nous utilisons actuellement dans l'exploitation forestière, l'agriculture et l'urbanisation ailleurs au pays.
Pour être plus précis, nous tentons d'élaborer une stratégie de protection du milieu marin pour le Canada afin de protéger les grands habitats des oiseaux chanteurs partout au pays. Nous nous employons à promouvoir la biodiversité et à faire un peu ce que nous proposait M. Emery un peu plus tôt.
Une nouvelle coalition a été créée. Nous avons fait des démarches auprès des médias à Vancouver. Nous nous rendrons à Toronto et à Montréal pour parler de biodiversité. J'ai une trousse. Je vous ai remis des renseignements sur la Coalition canadienne pour la biodiversité. Nous avons publié 100 000 bulletins pour tenter d'expliquer à la population ce qu'est la biodiversité. Ces bulletins sont distribués dans toutes les régions du pays.
Pour inciter les gens à participer directement, nous avons publié une édition spéciale de notre revue qui portait sur la façon de nourrir et d'attirer les espèces sauvages dans leur cour. Nous avons des exemplaires de tous ces documents. Voilà la façon dont nous tentons d'inciter les Canadiens à appuyer personnellement notre cause. Il y a différentes façons de faire et nous les décrivons dans notre revue.
La FCN cherche à faire adopter d'une loi sur les espèces en voie de disparition. Nous tentons de compléter le réseau des parcs nationaux et de faire interdire l'utilisation du fenitrothion et du carbofurane. Voilà notre contribution à la recherche de solutions pour nos espèces sauvages.
À notre avis, vous avez le mandat de prendre des mesures pour protéger la nature. En fait, 80 p. 100 de la population canadienne croit que c'est très important. Pourtant, au niveau fédéral, notre capacité de protéger la faune diminue. Nous croyons que nous devons tous nous regrouper, universitaires, politiciens, bureaucrates, autochtones, citoyens et organisations non gouvernementales, et nous serrer les coudes pour protéger la nature.
[Français]
Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président: Je remercie la Fédération canadienne de la nature.
Je vais maintenant passer à notre prochain témoin.
[Français]
M. Jacques Prescott, président du Comité canadien de l'Alliance mondiale pour la nature. À vous la parole, monsieur.
M. Jacques Prescott (président, Comité canadien de l'Alliance mondiale pour la nature): Merci, monsieur le président. Merci de m'avoir invité à cette rencontre.
[Traduction]
L'Alliance mondiale pour la nature est probablement la plus grande ONG écologique au monde. À l'heure actuelle, 800 ONg nationales et 60 ou 70 États sont membres de l'UICN. Le Canada est l'un des États membres de l'UICN, et j'ai l'honneur de présider le Comité canadien de l'UICN. Pour votre gouverne, je précise que l'UICN a récemment ouvert un bureau à Montréal et que la prochaine assemblée générale de l'UICN aura lieu à Montréal en 1996. Vous serez tous invités à participer à ce congrès mondial de la conservation.
Je présenterai mon exposé en français.
[Français]
On a vu ce matin que l'exploitation de la faune est étroitement liée à l'histoire économique et culturelle du Canada. Depuis des millénaires, le mode de vie des premiers habitants de ce pays est intimement associé à la faune. On sait aussi que depuis le XVIe siècle, les baleiniers, les pêcheurs européens ont tiré profit des incroyables richesses halieutiques du nord-ouest de l'Atlantique et du golfe du Saint-Laurent. La traite des fourrures a aussi favorisé l'établissement des Européens au Nouveau-Monde et le développement du Canada moderne. Aujourd'hui encore, le bien-être des Canadiens dépend en grande partie des ressources fauniques.
M. Filion, plus tard cette semaine, nous parlera de l'importance économique de la faune au Canada. Celle-ci est extrêmement grande.
Par exemple, en 1991, les activités reliées à la chasse et à l'observation de la faune ont contribué pour 7 milliards de dollars au produit intérieur brut et maintenu plus de 126 440 emplois au Canada. On ajoute à ces chiffres l'importante contribution économique de la pêche commerciale et récréative et on arrive à un bilan financier de plusieurs milliards de dollars.
Toutefois, dans bien des cas, cette croissance de la richesse s'est faite au détriment même de la ressource. Certaines espèces comme le canard du Labrador et le grand pingouin ont été complètement exterminées par la chasse dès le XVIIIe siècle. D'autres espèces, comme le morse, ont disparu de certaines zones, dont la côte atlantique. On peut mentionner aussi le béluga du Saint-Laurent et le carcajou de l'Est, qui ont rejoint la longue liste des espèces menacées d'extinction.
Les stocks de morue, de saumon et de flétan, qu'on croyait inépuisables, se sont effondrés avec fracas, entraînant dans leur chute le mode de vie ancestral des pêcheurs. La mise en valeur et l'exploitation durable des ressources fauniques sont étroitement liées à la conservation des écosystèmes qui supportent ces ressources et à la mise en place de modes d'exploitation qui favorisent la pérennité de la faune.
Déjà, en 1990, le Conseil canadien des ministres de la faune a reconnu formellement ce fait en adoptant une politique des espèces sauvages pour le Canada. Cette politique prône et recommande notamment d'intégrer la gestion des espèces sauvages dans le contexte des politiques environnementales et économiques. La politique des espèces sauvages au Canada propose et recommande d'assurer la participation des populations autochtones à la gestion des espèces sauvages. Cette politique favorise aussi une meilleure conservation des populations d'espèces sauvages et de leurs habitats et recommande aussi de trouver des moyens de faire participer davantage le public à la gestion de la faune au Canada.
En 1992, au Sommet de Rio, les Nations unies ont adopté la Convention sur la diversité biologique à laquelle le Canada s'est empressé d'adhérer. Cette Convention a pour objectif la conservation de la diversité biologique, l'utilisation durable des composantes de la biodiversité et le partage juste et équitable des bénéfices tirés de l'utilisation des ressources génétiques.
Au cours des derniers mois - vous le savez, car M. Emery vous l'a rappelé - , le Canada a élaboré une stratégie nationale de la diversité qui vise à réaliser ces objectifs sur le territoire canadien. Cette stratégie est le fruit d'une vaste consultation pancanadienne réalisée par un comité multipartite dirigé par le Bureau canadien sur la biodiversité, qui a été mis en place en 1992. Cette stratégie reflète un très large consensus et compte sur l'appui des provinces et des territoires.
Le mois prochain, le Conseil canadien des ministres de l'Environnement devrait adopter formellement ce projet de stratégie canadienne. Cette stratégie devrait constituer l'assise des actions canadiennes en matière d'utilisation durable des ressources renouvelables et plus particulièrement, de la faune. Cette stratégie présente une vision pour le Canada. Je vous cite cette vision telle qu'on la trouve dans le document: «une société qui vit et évolue en harmonie avec la nature, qui apprécie la vie sous toutes ses formes, qui ne prend de la nature que ce qu'elle peut donner sans s'appauvrir et qui laisse aux générations futures un monde dynamique et nourricier, riche dans sa diversité biologique».
La stratégie qui sera adoptée bientôt appuie cette vision sur une série de 11 principes directeurs qui rappellent notamment l'importance de la biodiversité aux plans économique, culturel, écologique et scientifique, qui rappelle la responsabilité de tous les Canadiens à l'égard de la conservation et de l'utilisation durable de ce patrimoine, la pertinence d'une gestion écologique des ressources et de l'action coopérative à tous les niveaux, ainsi que le partage des connaissances, des coûts et des avantages reliés à la conservation et à l'utilisation de la biodiversité.
Nous avons déjà entre les mains un outil politique pour agir. C'est à nous de l'utiliser de façon adéquate. Au Canada, la gestion des ressources naturelles est de juridiction provinciale. Cette réalité constitutionnelle représente un net avantage pour la mise en place de mesures d'exploitation et de gestion adaptées aux réalités régionales.
Pour être vraiment efficace, la stratégie canadienne de la biodiversité devra s'appuyer sur des plans d'action régionaux qui devront mettre à contribution les forces vives du milieu. Plusieurs expériences de gestion paticipative existent et ont déjà fait leurs preuves au Canada, qu'il s'agisse du programme des forêts modèles, de la gestion des réserves mondiales de la biosphère ou des expériences de cogestion de la faune nordique. En encourageant la participation des intervenants du milieu, on développe chez eux un sentiment d'appartenance régionale et on raffermit la responsabilité des gens vis-à-vis des ressources qu'ils exploitent.
Pour être efficace, cette participation du public devrait toutefois être appuyée par un développement des capacités régionales suivant un concept comparable à ce que pratique maintenant l'ACDI dans ses programmes d'aide internationale. Je le répète, un développement des capacités régionales demande la formation des gens et des populations à la gestion intégrée des ressources renouvelables.
Les programmes de gestion participative doivent aussi tenir compte des ententes territoriales et reconnaître notammment le fait que les autochtones ont droit à un accès privilégié à la faune. Pour être efficace, la décentralisation de la gestion de la faune doit miser sur l'écoute, la consultation et surtout l'humilité des décideurs face à la sagesse populaire.
Un animal, comme vous le savez, ne peut vivre en dehors de l'habitat naturel auquel il est adapté. Même si les jardins zoologiques réussissent à recréer les conditions nécessaires à la survie de nombreuses espèces animales, il est fort improbable qu'on puisse y préserver les 1 950 espèces de vertébrés qu'on retrouve au Canada. Je vais citer les chiffres de 1992, car je n'ai pas eu le temps d'intégrer les nouvelles données du Fonds mondial pour la nature sur les espaces protégés. En 1992, 9,8 p. 100 du territoire canadien jouissait d'un statut permettant de protéger les espèces fauniques qu'on y trouve et moins de 4 p. 100 du territoire canadien jouissait d'une protection complète. À peine la moitié des régions naturelles du Canada sont représentées dans ce réseau d'aires protégées. Que se passe-t-il sur 90 p. 100 de notre territoire?
Les conservationnistes recommandent de protéger intégralement au moins 12 p. 100 du territoire canadien. Ces aires protégées sont importantes à plus d'un titre. Elles constituent de véritables pépinières pour la faune et des réservoirs génétiques de première importance. Elles sont aussi des témoins de notre patrimoine vivant qui nous permettent de mieux comprendre l'évolution des écosystèmes.
Il serait temps, à l'aube du prochain millénaire, de penser à nos enfants et de compléter le réseau canadien des parcs nationaux. Pour jouer pleinement leur rôle, les zones protégées doivent devenir partie intégrante de plus vastes stratégies et plans de développement durable. Elles doivent aussi être entièrement intégrées dans les processus locaux et régionaux de planification de l'aménagement du territoire de même que dans tous les processus d'affectation des terres du gouvernement.
Pour y arriver, le gouvernement fédéral doit adopter un rôle de catalyseur et de facilitateur en collaboration avec les provinces et les territoires qui pourraient contribuer à la réalisation et à l'élargissement d'une vision nationale commune.
Je vais maintenant passer en revue rapidement certains éléments sectoriels, notamment en milieu forestier. Les forêts sont non seulement une source de matière ligneuse, mais elles jouent un rôle important dans la conservation des sols, la régulation des cycles hydrologiques, les échanges de gaz et de nutriments, incluant le bioxyde de carbone, et le maintien de la diversité biologique. Une gestion rationelle de la forêt est indispensable pour la diversité biologique et pour la protection et la mise en valeur de la faune.
La stratégie nationale sur les forêts adoptée par le Canada en 1992 prône les objectifs d'une utilisation durable des ressources forestières et de la conservation de la biodiversité. Ces objectifs ont été repris par la Déclaration de principe sur les forêts que le Canada a fait adopter au Sommet de Rio. Or, encore cette année, dans certaines régions du Canada, on récolte plus de 160 p. 100 de la production annuelle de la matière ligneuse. Dans certaines localités, on détruit des écosystèmes entiers sans se préoccuper de l'avenir.
La conservation de la faune passe par l'application de normes d'exploitation forestière qui favorisent le maintien des rendements forestiers, le respect des composantes biophysiques du milieu et l'élimination graduelle des pesticides, comme Mme Gelfand l'a souligné.
Selon la stratégie mondiale de la conservation, il est essentiel de protéger les zones de forêts naturelles et notamment les forêts anciennes. Il est essentiel d'entretenir et d'utiliser, de manière durable, les forêts modifiées, de créer des plantations pour une exploitation intensive et, surtout, de faire participer les communautés locales à la gestion des forêts.
Dans un avenir rapproché, les marchés internationaux pourraient se fermer aux produits forestiers qui ne respectent pas ces critères. Nous devons prendre dès maintenant les mesures qui s'imposent pour assurer la durabilité écologique de notre industrie forestière et en même temps la pérennité de notre patrimoine faunique.
En milieu agricole, il faut dire que l'agriculture, telle qu'on la pratique au Canada, est responsable d'une importante dégradation des sols, notamment l'érosion, et d'une considérable pollution diffuse qui ont un impact direct sur les habitats et la qualité de vie des animaux sauvages, tout particulièrement des espèces aquatiques.
Les agriculteurs doivent réviser leurs pratiques culturales. Nou devons mettre en place une réglementation visant à contrôler l'utilisation de l'eau à des fins agricoles et favoriser, encore une fois, la participation des agriculteurs aux prises de décisions. Il faut instaurer des mesures incitatives qui visent à encourager ou à implanter des techniques d'exploitation moins coûteuses, moins énergivores et qui augmentent la productivité des sols. Ce sont autant d'objectifs que nous devons rencontrer sur la route du développement d'une agriculture durable.
En milieu aquatique, nous avons vécu ces derniers temps une situation dramatique relativement au flétan noir, ressource que les pêcheurs canadiens et étrangers ont outrageusement surexploitée au cours des dernières années.
Au moment où les fonctionnaires de Pêches et Océans Canada sonnent l'alarme et décrètent l'arrêt de la pêche dans les eaux canadiennes, les pêcheurs étrangers s'empressent de jeter leurs filets dans les eaux internationales situées en dehors des limites de la juridiction canadienne pour cueillir les derniers fruits de la corne d'abondance.
On peut tirer deux leçons du dossier de la pêche au flétan noir. La première, c'est qu'on ne peut dissocier la qualité de la gestion de nos ressources renouvelables et celle de notre économie. La seconde, c'est qu'on ne peut gérer nos ressources renouvelables en vase clos, sans tenir compte des intérêts étrangers.
Encore une fois, comme pour le secteur agricole ou forestier, certaines mesures bien précises s'imposent pour assurer la conservation de la faune aquatique. Il faut éviter la surpêche, mais surtout, pour les lacustres, en eau douce notamment, stopper les pluies acides qui causent un tort effroyable aux ressources halieutiques, restreindre la pollution domestique, agricole et industrielle, empêcher la destruction des frayères et surtout favoriser la participation des pêcheurs à la gestion et à la prise de décisions. On ne règle jamais rien si on n'inclut pas dans le processus, depuis le début jusqu'à la fin, les gens qui auront à gérer les ressources en bout de ligne.
Les milieux humides, comme vous le savez, sont importants non seulement pour la faune aquatique comme les oiseaux, les animaux à fourrure comme le rat musqué, le vison et le castor, mais aussi pour les amphibiens, les invertébrés, les insectes, toutes les espèces.
Il nous faut continuer de participer au plan nord-américain de gestion de la sauvagine qui constitue sans doute le plus important effort international de conservation des milieux humides.
Pour prendre de bonnes décisions, un gestionnaire doit s'appuyer sur la meilleure information disponible. Toutes les stratégies et tous les plans d'action soulignent l'importance d'accentuer le développement des connaissances sur la faune et d'assurer un suivi de l'état des populations d'animaux sauvages. Est-ce qu'on aurait eu autant de succès dans nos négociations avec les Européens si nos connaissances de l'état de la ressource du flétan noir avaient été encore moins bonnes que celles que nous avons présentement?
Confrontés aux difficultés financières que nous leur connaissons, les gouvernements devront éviter de commettre l'erreur de diminuer indûment leurs investissements en matière de recherche et de monitoring des populations animales.
Depuis 1978, le Comité sur le statut des espèces menacées d'extinction au Canada, le COSEWIC, évalue le statut des populations des espèces en difficulté sur notre territoire. Ce Comité a fait un travail admirable, mais en dépit de cela, le COSEWIC est appelé à réviser ses opérations en s'assurant, d'une part, que les auteurs des rapports scientifiques utilisent les méthodes d'évaluation du statut des espèces sauvages et les techniques de modalisation les plus à jour, d'autre part, que le statut des espèces soit déterminé de manière objective en fonction de critères prédéterminés et, troisièmement, que les débats entourant la désignation des espèces impliquent la participation du public et des groupes d'intérêt, notamment les utilisateurs de la ressource.
On a souligné, et je le répète, la très grande faillite de notre système public et universitaire. Le Groupe fédéral de la biosystématique a souligné récemment, dans une publication financée par le Musée canadien de la nature, que la capacité du Canada à identifier ses plantes, ses animaux et ses micro-organismes décline au fur et à mesure que les experts des gouvernements et des universités prennent leur retraite sans être remplacés. L'identification exacte des spécimens et des espèces est vitale pour la protection de nos ressources naturelles, de notre santé et de notre environnement.
L'identification des ravageurs et des maladies doit être précise et opportune pour maintenir l'élan de notre économie, c'est-à-dire nos forêts, nos pêcheries et nos ressources agricoles, et pour mettre nos exportations à l'abri des barrières commerciales non tarifaires. Les gouvernements et les institutions de haut savoir doivent s'associer pour régler cette situation qui est fort inquiétante.
Je conclurai en disant que la surexploitation des ressources naturelles est largement tributaire des systèmes économiques actuels. Il nous serait extrêmement plus facile de protéger adéquatement notre patrimoine naturel si nous disposions de mesures économiques qui encouragent la conservation de la biodiversité. Les outils économiques qui s'offrent à nous sont nombreux: permis, redevances, taxes directes ou indirectes, crédits d'impôt. Il est temps de réviser l'ensemble de la fiscalité canadienne pour encourager financièrement les actions qui améliorent la situation environnementale et décourager du même souffle les pratiques qui entraînent la dilapidation du patrimoine naturel.
Le ministère de l'Environnement devrait faire un effort particulier pour s'associer aux autres ministères et particulièrement au ministère des Finances pour développer ces outils économiques nécessaires qui ont été rappelés hier au président américain, M. Clinton, par le sénateur qui a inauguré le premier Jour de la terre, il y a 25 ans, aux États-Unis.
La fiscalité et la conservation doivent aller de pair. Actuellement, ces deux aspects de notre société sont opposés, travaillent dans des directions opposées.
Les principaux obstacles à la conservation de la faune sont le manque de vision d'ensemble - nos amis autochtones nous l'ont bien rappelé - , la centralisation excessive des décisions et le manque de concertation entre les intervenants des différents secteurs économiques. Il est primordial d'harmoniser les efforts du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires pour éviter les dédoublements. Une vision commune doit guider les actions en région et ces actions doivent s'appuyer, à leur tour, sur la participation des utilisateurs à l'élaboration, à la mise en place et au suivi de mesures de conservation qui favorisent l'utilisation durable et la pérennité du patrimoine faunique.
Merci beaucoup.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Prescott, de votre exposé et de nous avoir rappelé l'existence d'un document politique aussi important pour l'étude des espèces sauvages au Canada.
[Traduction]
Ce document est déjà dans vos classeurs. Il s'intitule: «La politique sur les espèces sauvages au Canada», comme M. Prescott nous l'a rappelé tout à l'heure. Je vous invite à lire la page 31 concernant la mise en oeuvre de cette politique et à vous pencher peut-être, soit collectivement, soit individuellement, sur ce mandat d'une durée de cinq ans en vue de déterminer vous-même si, selon vous, l'engagement pris a été respecté, ou au moins si des mesures suffisantes ont été prises en vue de les respecter.
[Français]
Madame Guay, s'il vous plaît.
Mme Guay (Laurentides): J'ai beaucoup apprécié les différents commentaires. On a beaucoup de travail à faire pour la préservation de la faune. J'ai des questions à adresser aux différents intervenants, particulièrement à M. Prescott, au sujet du dédoublement et du chevauchement. S'il n'y a aucune loi fédérale sur la protection de la faune, comment réussirons-nous à harmoniser tout ça avec les provinces? On sait que les ressources naturelles sont strictement de juridiction provinciale. Comment percevez-vous cela? Comment peut-on réussir à harmoniser tout ce qui se fait déjà dans différentes provinces?
M. Prescott: Déjà, lors de la préparation de la politique sur les espèces sauvages au Canada, il y a eu des tables de discussion fédérales-provinciales et on est arrivé à un consensus national sur cette question, ce qui a permis de donner aux Canadiennes et aux Canadiens une vision d'ensemble de la conservation de la faune.
De la même façon, la stratégie canadienne sur la biodiversité résulte d'un processus de consultation fédéral-provincial et aussi de consultations avec différents intervenants du milieu. On est arrivé, là aussi, à un terrain d'entente en quelques mois à peine. On s'aperçoit que, sur les enjeux majeurs comme ceux des ressources renouvelables au Canada, qui forment en grande partie la base de notre économie, les Canadiennes et les Canadiens se regroupent aisément derrière une vision commune.
Il faut s'assurer qu'une loi fédérale sur ces questions reflète une vision commune et donne suffisamment de marge de manoeuvre aux provinces et aux territoires pour mettre en application des plans d'action régionaux, provinciaux ou territoriaux qui soient adaptés aux réalités régionales, parce que la situation de chaque province varie.
Par exemple, j'ai mentionné le carcajou de Wolverine, qui est une espèce menacée au Québec, mais ne l'est pas nécessairement dans les Territoires du Nord-Ouest. Si on a une politique nationale sur le carcajou, il est évident qu'elle doit s'appuyer sur des plans d'action régionaux qui vont varier d'une région à l'autre.
Avec les expériences passées sur la politique sur la faune ou sur la stratégie canadienne sur la biodiversité, on a fait énormément de chemin en matière de concertation et, à mon avis, on est en mesure de continuer dans cette voie. Je crois beaucoup en une loi qui donne suffisamment de souplesse pour que la mise en place de plans d'action soit laissée aux provinces et aux territoires.
Mme Gelfand: Je suis d'accord avec M. Prescott, mais je voudrais ajouter un commentaire. Il faut se souvenir que les espèces fauniques n'ont pas de frontières. Par exemple, l'ours grizzly est protégé aux États-Unis, mais ne l'est pas en Alberta, ce qui n'a aucun sens.
Nos frontières politiques, qu'elles soient provinciales ou internationales, n'ont aucun sens en ce qui a trait à la faune; il est important que les Canadiens le comprennent bien. C'est pourquoi il faut protéger la faune indépendamment du lieu de l'habitat. Tel est, je dirais, l'objectif promordial.
Mme Guay: Comment fait-on dans le cas des autochtones qui vivent de la chasse, laquelle représente pour eux une base de vie? Pourriez-vous me répondre là-dessus?
[Traduction]
Le chef Blacksmith: Je crois vous avoir dit tout à l'heure que les traités ne sont pas respectés à l'heure actuelle. Dans notre cas, les Cris de la baie James ont signé un traité tripartite qui vise le Québec, le Canada et la nation crie. Notre peuple était censé obtenir des garanties en matière d'exploitation, mais le Québec et le Canada ne semblent pas vouloir collaborer pour assurer le respect de ce traité.
Il faut absolument qu'on prenne les mesures qui s'imposent pour garantir le respect de ces traités et pour éviter d'inclure des clauses dérogatoires dans les projets de loi qui sont déposés. Ces traités doivent être respectés parce qu'ils font partie intégrante de la Constitution. Le Canada doit absolument s'acquitter de ces responsabilités fiduciaires. Dans les domaines de la protection de la faune et de l'environnement, le Canada doit absolument travailler en étroite collaboration avec nous pour garantir le respect de nos traités et des droits des peuples autochtones.
M. Emery: Le projet de stratégie sur la biodiversité canadienne aborde justement la question des lois, et je pense que cela se rapporte tout à fait à votre question. On y propose que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, en collaboration avec les groupes et les particuliers concernés, appliquent ou élaborent, le cas échéant, des projets de loi ou d'autres mécanismes pour assurer la conservation des espèces et des écosystèmes en péril. Qu'ils adoptent des règlements régissant les fermes à gibier, l'aquaculture et des installations semblables afin qu'elles ne nuisent pas de façon importante à la biodiversité autochtone; qu'ils favorisent la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité sur les terres privées en vue de déterminer s'il faut ou non élaborer d'autres mesures et lois visant à réglementer la fabrication, le transport et l'exportation de substances dont l'incidence négative sur la biodiversité est connue; et enfin, qu'ils s'efforcent d'harmoniser les différentes lois liées à la biodiversité en vue de réduire le double emploi et de combler les lacunes. Il conviendra de revoir les procédures administratives actuelles prévues dans les différentes loi pour déterminer s'il faut y apporter des modifications en vue d'améliorer la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité.
Il est donc très clair, dans cette stratégie qui est déjà en voie de préparation au sein du comité, qu'on souhaite que les lois soient élaborées collectivement au Canada, c'est-à-dire par voie d'efforts collectifs entre les gouvernements fédéral et provinciaux et les groupes d'intérêt. Je pense que l'approche stratégique prévue répond justement à la question que vous avez soulevée.
[Français]
Mme Guay: Je suis d'accord avec vous, mais je me demande comment on pourra appliquer cela. Les provinces ont des lois environnementales. Déjà on essaie de conclure des ententes d'harmonisation et on ne réussit jamais à s'entendre avec toutes les provinces afin que tous adhèrent au programme. Comment fera-t-on avec une loi sur la faune? Cela semble se compliquer.
Vous dites qu'il n'y a pas de répertoire fédéral des espèces en voie de disparition, des espèces menacées.
Mme Gelfand: Non, il n'y a pas de répertoire de nos espèces. Je n'ai pas parlé simplement des espèces en voie d'extinction. On a une liste d'espèces en voie de disparition. Il y a au-delà de 200 espèces. On croit que plus de 8 000 espèces sont vraiment en danger, mais on n'a pas la capacité scientifique de faire faire toutes les études par l'entremise du COSEWIC dont a parlé M. Prescott.
Nous avons une liste officielle d'environ 230 espèces, mais nous croyons qu'il y en a plus de 8 000. Il nous faudrait un inventaire de toutes les espèces canadiennes et pas seulement de celles en voie d'extinction.
Mme Guay: Qui va se déplacer pour aller faire cet inventaire? Est-ce que ce sont des groupes comme les vôtres? Le gouvernement ne peut pas vraiment...
Mme Gelfand: Au niveau provincial, il y a certaines provinces qui ont ce qu'on appelle un conservation data centre. Cet organisme a été mis sur pied par la Société canadienne pour la conservation de la nature. Je sais qu'un contrat a été accordé par le Service canadien de la faune pour évaluer la faisabilité d'un centre de données national. J'ai déjà écrit une lettre à ce sujet. Il y a eu consultation avec le Musée, qui étudie également ce problème. Je pense qu'Alan pourrait y répondre.
[Traduction]
M. Emery: Répertorier ce qui existe actuellement est extrêmement important. Julie a dit tout à l'heure que nous ne savons même pas les noms de nombreuses espèces au Canada, sans parler des façons dont elles vivent. D'après certaines évaluations, environ 50 p. 100 des espèces animales et végétales restent inconnues. Nous ne savons même pas quels sont leurs noms, et encore moins comment elles vivent.
C'est donc un aspect très important de ce qui doit être fait. Il y a certaines espèces qui sont moins bien connues que d'autres. Par exemple, nous connaissons déjà presque toutes les espèces d'oiseaux, de mammifères, de poissons et de reptiles au Canada. Par contre, nous ne connaissons pas toutes les espèces de micro-organismes, particulièrement les insectes, toutes les espèces animales et végétales qui assurent le fonctionnement du système. C'est pourquoi il est vraiment important de répertorier les espèces. C'est d'ailleurs prévu dans la Convention sur la biodiversité.
Notre musée a préparé une étude - et si nous arrivons à trouver 25 000$ de plus nous pourrons la publier - dans laquelle nous examinons la situation au Canada: ce que nous connaissons déjà de notre système écologique, ses valeurs économique ainsi que les mesures à prendre pour en assurer la conservation. Cela a déjà été fait. Ce dont nous avons besoin maintenant, c'est d'un inventaire détaillé de toutes les espèces qui existent dans chacun des types d'habitat.
C'est donc une partie importante de ce qui doit être fait. Et il n'est pas nécessaire que cela soit fait par des titulaires de doctorat. Nous pouvons former des gens pour faire ce travail au niveau technique. On les appelle souvent des parataxonomistes. Ce ne serait pas une tâche énorme, sans toutefois être une tâche insignifiante. Ce serait une tâche utile que le Canada pourrait entreprendre et qui donnerait à notre pays la capacité de commencer à élaborer des modèles dont nous avons besoin pour préserver et gérer notre biodiversité d'une façon sensée.
Une partie du problème lié à certaines de ces aspirations, c'est que nous devons reconnaître que la race humaine existe et nous rendre compte que, si nous voulons survivre en tant qu'espèce, nous devons avoir suffisamment de diversité autour de nous pour supporter le système. Pour le moment, personne ne sait quel devrait être ce niveau. Le pourcentage estimatif de 12 p. 100, qu'on utilise dans le moment, nous ramènerait à environ la moitié, ou u n peu plus, du niveau actuel de notre biodiversité. Je ne suis pas certain que ce soit suffisant pour assurer notre survie.
[Français]
Mme Guay: On pourrait utiliser ce qu'on a déjà comme information dans les différentes provinces, se faire une base de données avec ça et la compléter. Est-ce que les Américains ont cette base de données? Comment fonctionnent-ils exactement? Est-ce que vous en avez une idée?
[Traduction]
M. Emery: Oui. Comme Julie l'a mentionné, Nature Conservancy est une force active aux États-Unis. Il y a quelques années, on avait l'intention de faire adopter une loi sur la diviersité biologique. C'est une idée qui plane depuis longtemps, mais qui semble faire l'objet d'interminables tergiversations.
On a aussi commencé à prévoir un relevé biologique national aux États-Unis. L'organisation reponsable de ce relevé, qui porte maintenant le nom de National Biological Service, est directement menacée par de nombreux groupes de lobbyistes qui préféreraient qu'on ne fasse pas d'inventaire. Cela est en partie attribuable au fait que tout ce qui est inventorié prend de la valeur.
Si on compare le Canada aux États-Unis, on peut dire que le Canada est plus avancé pour ce qui est d'être en mesure de comprendre ce qui constitue notre environnement naturel. Notre musée et beaucoup d'autres musées possèdent d'importantes bases de données sur les espèces présentes au Canada. Nous publions souvent des guides de poche qui s'adressent au grand public, mais nous vons aussi de nombreux guides techniques sur toutes les espèces présentes dans notre pays. Mais, comme Julie et d'autres l'ont mentionné, il y a tant de choses que nous ne savons pas dans le moment, qu'il est très difficile de faire autrement que deviner ce que nous devrions faire.
Les prochaines étapes seraient fort simples: un inventaire dressé selon une approche réglementée et un effort concerté pour créer les modèles prédictifs dont nous vons besoin. Cela ne représente par un travail énorme - environ 2 millions de dollars par année pendant les cinq ou six prochaines années suffiraient.
Le chef Blacksmith: Je veux dire brièvement qu'une partie de la base de données, lorsqu'on parle des espèces en voie de disparition... Beaucoup de nos peuples vivent en harmonie avec la nature depuis des milliers d'années. Ils ont beaucoup de connaissances qu'ils aimeraient partager, mais personne n'y a accès. Il n'y a rien de prévu à cet égard.
Par ailleurs, il y a des responsabilités qui sont liées aux traités signés. Le Québec doit travailler avec les peuples autochtones, mais on n'encourage pas ce genre d'initiative dans le moment. De plus, le gouvernement fédéral a également des responsabilités bien définies dans les domaines de la protection de la faune et de l'environnement. Mais, encore une fois, cela ne donne pas de résultats.
En ce qui concerne les Cris, on n'a pas encore achevé la mise en oeuvre d'une entente signée il y a 20 ans. Cette entente prévoit certains mécanismes devant permettre aux gouvernements provinciaux et fédéral de travailler de concert avec les autochtones. Ces derniers possèdent beaucoup de connaissances dont il faudrait profiter.
M. Emery: J'appuie entièrement ce point. Je le juge très important. Nous, au musée, avons ce que nous appelons notre centre de connaissances écologiques traditionnelles. Le président estM. James Bourque, qui a été sous-ministre de l'environnement dans les Territoires du Nord-Ouest. Il est lui-même autochtone.
Les sentiments qui viennent d'être exprimés ici sont réels. Il est essentiel de reconnaître la valeur légitime des connaissances traditionnelles et de ne pas les juger négligeables. Il y a là une quantité énorme d'informations, mais elles disparaissent rapidement car beaucoup se trouvent dans la tête des aînés de la société autochtone, et nous avons désespérément besoin d'aller chercher ces informations, sans permettre toutefois l'exploitation abusive de cette ressource. La propriété intellectuelle est très importante en l'occurrence.
M. Gilmour (Comox-Alberni): La création de réserves est évidemment une des meilleures façons de préserver les espèces. Certains d'entre vous ont parlé de l'achèvement de notre réseau de parcs nationaux. Où en sommes-nous à cet égard et où y a-t-il des lacunes?
Mme Gelfand: Je ne connais pas les chiffres exacts. Je crois que nous avons maintenant 31 parcs nationaux, et je crois savoir que nous avons 43 régions terrestres. J'ai les statistiques ici. Notre réseau n'est donc pas complet. Il reste encore des secteurs qui ne sont pas représentés du tout, spécialement dans le sud du Canada. Je pense, par exemple, aux bases-terres du Manitoba. Il y a également beaucoup d'endroits au Québec qui ne sont pas représentés à cause du problème de compétence qui oppose la province au gouvernement fédéral. Il y a certains secteurs en Colombie-Britannique qui ne sont pas protégés non plus, et il y en a aussi plusieurs dans le Nord.
Le Canada s'est engagé à compléeter son réseau de parcs nationaux d'ici l'an 2000. Je crois que cela veut dire que nous devons établir entre 10 et 15 nouveaux parcs au cours des six prochaines années. Nous sommes donc quelque peu sceptiques, mais nous allons certainement pousser le gouvernement à agir.
Il y a de vraies bonnes nouvelles. Bien que le budget de Parcs Canada ait été réduit d'environ 25 p. 100 sur les trois prochaines années, ce service a décidé, de façon interne, de doubler le montant affecté à l'achat de nouveaux parcs nationaux. Ainsi, le service que vous dirigez, Parcs Canada, est tout à fait déterminé à achever le réseau de parcs nationaux.
La seule autre chose qu'il faut reconnaître, c'est que l'établissement d'un nouveau parc national nécessite habituellement une grande volonté politique. Le premier ministre Chrétien, lorsqu'il était ministre de l'Environnement, a été lui-même responsable de l'établissement de plusieurs nouveaux parcs nationaux. Il faut habituellement que le ministre, en l'occurrence le ministre Dupuy, ou le premier ministre jouent un rôle actif dans le dossier.
Je pourrais vous donner des chiffres précis si vous voulez.
M. Gilmour: Non. Ce n'est pas nécessaire.
Il semble y avoir une stratégie globale.
Mme Gelfand: Oui, il y a une stratégie globale pour ce qui est du réseau de parcs nationaux. Nous avançons étape par étape. Nous réclamons la création de quatre ou cinq nouveaux parcs nationaux l'an prochain. J'ai déjà mentionné que depuis 18 mois aucun nouveau parc national n'a été aménagé. Le dernier l'a été en 1993; je crois que c'était le Parc national Vuntut, dans le nord du Yukon. Nous avons entendu beaucoup de belles paroles, mais il va falloir passer aux actes si nous voulons que le réseau soit achevé d'ici l'an 2000.
M. Emery: Puis-je ajouter quelque chose très brièvement? Un des autres facteurs que nous devons considérer, c'est ce qui se passe à l'intérieur de ces parcs. Si nous voulons préserver la biodiversité, nous devons incontestablement avoir des zones vierges intouchables. C'est quelque chose qui ne s'est pas fait dans un nombre suffisant de nos parcs.
[Français]
M. Prescott: J'aimerais vous rappeler aussi que le Conseil consultatif canadien de l'environnement, en 1991, a publié un document intitulé Une vision des zones protégées pour le Canada dans lequel on retrouve une analyse de la situation canadienne. On démontre l'importance de développer non seulement un réseau intégré de parcs nationaux, mais aussi d'un ensemble d'autres espaces protégés et d'intégrer tous ces éléments dans un plan de zonage global pour le Canada.
Il est très important de ne pas penser à créer un parc en disant: «On va installer une clôture autour de cet espace et on va payer des centaines de millions de dollars pour que les gens cessent d'utiliser cet espace.» Il faut trouver une façon d'intégrer les pratiques des populations locales, d'intégrer un usage harmonieux des ressources renouvelables dans des espaces, soit en périphérie des zones protégées intégralement, soit dans certains zonages plus particuliers à l'intérieur d'un espace déjà désigné. Il faut développer de nouvelles pratiques de gestion des espaces et continuer de s'assurer qu'on a des espaces protégés intégralement.
[Traduction]
Certaines zones doivent être protégées intégralement et, autour de ces zones, nous devons avoir des zones tampons où une certaine forme d'utilisation est possible. Tous ces plans d'aménagement devraient être établis en collaboration avec les populations locales.
Le chef Blacksmith: Je veux seulement ajouter que l'idée de réserver certains espaces à un usage particulier n'a pas été une très bonne expérience pour les peuples autochtones. Lorsque la Convention de la Baie James et du Nord québécois a été signée, d'importantes parcelles de terrain ont été réservées à l'usage exclusif des autochtones. Cependant, le gouvernement n'a pas tardé à changer d'idée à ce sujet en permettant la réalisation de divers projets dans ces zones qui devaient être protégées.
Par ailleurs, dans l'établissement des parcs nationaux, nous voudrions qu'on tienne compte du mode de vie des autochtones, de la façon dont ils utilisent la terre, de leurs habitudes de chasse, et de leurs mesures de conservation, qui sont efficaces depuis des milliers d'années. On doit tenir compte de ces facteurs.
Encore une fois, si on veut que ces zones soient protégées, il faut mettre en place des mesures de contrôle qui soient efficaces. Pour le moment, il n'y a aucune mesure de contrôle de ce genre pour diverses parcelles de terrain réservées aux autochtones en vertu des traités.
M. Gilmour: Compte tenu des compressions budgétaires, nous allons désormais devoir faire plus avec moins. Nous ne pourrons pas tout faire, mais il serait intéressant de savoir quelles devraient être nos priorités, selon vous. Sur quoi devrions-nous concentrer nos efforts? Sur l'achat de parcs nationaux? Sur des inventaires? Que devrions-nous faire, selons vous? Nous ne pourrons pas tout faire.
M. Emery: Je vois deux grandes priorités. La première, c'est que vous ne pouvez pas gérer ce secteur si vous n'avez aucun moyen de le contrôler. On ne peut pas invoquer le principe de la communauté de biens. Il y a un excellent article intitulé «The tragedy of the commons: twenty years of policy literature, 1968-1988», une bibliographie de Garrett Hardin. Il est clair qu'il faut réserver des espaces afin de maintenir un certain degré de biodiversité. Le concept des réserves de la biosphère - et cela rejoint ce que Jacques disait - est vraiment une bonne façon d'atteindre cet objectif.
À mon avis, ce serait donc là la plus grande priorité. Il faut créer des zones protégées.M. Blacksmith a raison lorsqu'il dit que vous devez respecter les engagements que vous prenez lorsque vous créer ces zones protégées. C'est là votre première priorité. La deuxième priorité, c'est que vous devez savoir ce que nous avons et avoir des modèles qui permettent de prévoir la façon d'utiliser ces ressources. Ce sont là les deux seules priorités pour moi.
[Français]
M. Lincoln: Je dois m'excuser parce que je devrai bientôt aller au Comité de l'environnement et du développement durable. Nous discuterons sans doute de parenthèses et de virgules pendant plusieurs heures. C'est pourquoi je pense qu'il est très important qu'on ait ce genre de conférence ici, ce matin, où nous pouvons discuter de choses pratiques et centrées sur des actions potentielles très importantes pour nous tous.
Malheureusement, je n'ai pas entendu les conférences précédentes et je m'en excuse, mais j'ai été très heureux d'entendre Julie Gelfand et Jacques Prescott que je connais depuis plusieurs années.
[Traduction]
Je crois que beaucoup de télespectateurs vont penser que nous perdons notre temps. Ils vont demander pourquoi nous parlons de la faune au lieu de parler du budget, du déficit, des emplois et du marché. C'est peut-être la majorité des gens qui s'imaginent que ce que nous faisons aujourd'hui est inutile. Je crois que notre tâche la plus importante à faire ici aujourd'hui, c'est justement de montrer à ces gens pourquoi il est tout aussi important de parler de la faune que de parler du déficit et du budget. S'il n'y a plus de faune, cela veut dire que les écosystèmes n'existent plus et que les habitats ont disparus. S'il n'y a pas d'habitat, il n'y a pas d'écosystème, pas de faune, pas de budget, pas de déficit.
C'est ce que nos autochtones nous disent depuis maintes années, en fait depuis le premier jour où nous sommes venus ici pour leur dire que nous étions plus intelligents et que nous pouvions faire mieux qu'eux. Horrifiés, ils ont vu nos immeubles de béton pousser comme des champignons et ils ont vu toutes ces marques de progrès. En même temps, ils ont été témoins de la pollution de nos rivières, de l'érosion de nos terres et de la disparition graduelle de notre faune. Il y a longtemps qu'ils nous disent que nous ferions mieux de changer notre façon de faire les choses.
Je crois que nous devons essayer aujourd'hui de sensibiliser les gens qui nous écoutent, et j'espère qu'ils sont nombreux à vous écouter, vous particulièrement. Nous avons une mission très importante à remplir, et c'est d'essayer de dire aux gens, comme l'a dit mon ami David Crombie, que tout est interdépendant, que les écosystèmes et les biorégions et les systèmes qui assurent la survie des espèces sont la clé de tout soi-disant progrès et que, sans eux, rien ne va. Qu'on parle de qualité de vie, d'environnement, de développement durable ou de quoi que ce soit d'autre, la terminologie n'a pas d'importance. Ce que nous essayons de dire aux gens, c'est que, si nous n'accordons pas une plus grande place aux processus qui soutiendront ce que nous appelons le progrès à long terme, non seulement la faune disparaîtra, mais nous ne retrouverons assis au beau milieu d'un désert, même si cela semble ridicule lorsqu'on habite le Canada, entouré de glace et de neige.
Il fut un temps où les peuples africains croyaient aussi que leur continent était tellement riche en eau et en ressources que toutes ces richesses ne disparaîtraient jamais. Je viens d'Afrique. Je suis né à l'Île Maurice, petite île située au large du continent africain. C'était peut-être à une époque le paradis sur terre, mais, malheureusement, cette île est célèbre à cause du dodo, animal dont les gens rient maintenant. Les habitants de l'Île Maurice voudraient bien revoir le dodo. Ils étaient très fiers d'avoir cette espèce unique dans leur île. Il y avait 29 autres espèces et elles ont toutes disparu.
Je me souviens d'un oiseau vert appelé cateau que je voyais lorsque j'était enfant. C'était un magnifique oiseau qui volait partout. Puis, il y a quelques années, il n'en restait plus que quelques paires.
Dans le temps, il y avait la crécerelle, une sorte de faucon qui a disparu progressivement jusqu'à ce qu'on se rende compte qu'il n'en restait qu'un seul couple à l'état sauvage. Il y avait aussi le pigeon rose, une espèce unique au monde. Lui aussi, il a disparu. Sauf erreur, il n'en reste que neuf.
L'Île Maurice est typique de ce qui se passe ailleurs. On prend ces oiseaux et ces espèces dans la nature et on les enferme dans des zoos, on les entraîne à se reproduire en captivité, puis on les relache dans des zones protégées, ici et là. C'est ce qui se passe à l'Île Maurice. On a réussi, si je puis dire, à redonner vie à la crécerelle, dans des zones protégées, ainsi qu'au pigeon rose et au cateau dans une certaine mesure.
C'est surprenant, mais en Inde, lorsqu'on veut aller voir des tigres, il faut se rendre dans une réserve où une poignée d'entre eux sont encore en vie, comme témoignage de notre évolution. J'ai lu la semaine dernière qu'au Zimbabwe, les éléphants meurent à nouveau par centaines, et auparavant, les éléphants vivaient en excellente santé dans ce pays. J'en ai vu moi-même un grand nombre dernièrement, mais cette année, ils meurent car il n'y a pas d'eau. Il n'y a pas d'eau parce que nous avons coupé tous les arbres et que les rivières s'assèchent plus vite que jamais.
Comment pouvez-vous nous aider? Je vous pose la question, car sans vous, nous sommes impuissants. Vous représentez la collectivité en général. À mon sens, vous pouvez nous aider de bien des façons, car nous avons les mêmes convictions que vous.
Les membres de notre comité, quelle que soit leur affiliation politique, partagent fortement vos convictions. Vous pouvez nous aider en exerçant énormément de pression auprès de nous pour nous obliger à tenir nos promesses. Dans le livre rouge, nous avons pris des engagements fermes, comme l'a dit Julie, en disant que notre réseau de parcs serait achevé d'ici l'an 2000, et que 12 p. 100 des terres seraient protégées. Vous pouvez nous rappeler à l'ordre. La Loi canadienne sur l'évaluation environnementale est désormais en vigueur. Vous pouvez nous rappeler à l'ordre si nous autorisons des activités de développement injustifiées, surtout dans nos parcs nationaux.
Vous pouvez exercer de très fortes pressions pour nous faire comprendre ce que Jacques Prescott a signalé avec tant d'éloquence, le recours aux instruments économiques. Nous avons créé un groupe de travail l'an dernier. Il a battu de l'aile et n'a pas réalisé grand-chose. Toutefois, le groupe de travail a au moins été créé et il vous est donc possible d'inviter les deux ministres compétents, M. Martin et Mme Copps, à le remettre sur pied l'an prochain en lui accordant plus de pouvoirs. Je pense que c'est la solution.
Vous pouvez également exercer des pressions par d'autres moyens. Julie, vous avez parlé de la grenaille de plomb et des zones d'accumulation du plomb. Combien de gens en parlent-ils? Le professeur Thomas a pratiquement fait cavalier seul en intervenant à ce sujet. Quant aux rares personnes qui osent en parler, on les prend pour des excentriques. Toutefois, si un plus grand nombre de gens de votre côté insistaient pour qu'on mette un terme à ce problème, cela exercerait beaucoup plus de pression auprès des ministres, comme nous l'avons fait à notre comité, pour aller de l'avant. Il n'y a aucune excuse à endurer ce problème lié à la grenaille de plomb et aux zones d'accumulation du plomb.
Enfin, j'aimerais dire un mot au sujet du texte de loi sur les espèces en voie d'extinction. Je suis d'accord avec Jacques sur ce point. Nous sommes une fédération et nous ne pouvons pas simplement imposer des mesures au gré de notre fantaisie. Sur le plan régional, il faut concentrer nos efforts dans les biorégions. Parallèlement, je conviens avec Julie que les oiseaux ne connaissent pas de frontières. Si nous adoptions une sorte de loi sur les espèces menacées d'extinction qui soit le fruit d'un consensus très réel entre tous les intervenants, les provinces et le gouvernement fédéral, ce serait pour nous un instrument des plus utile.
Nous avons créé un groupe de travail qui doit présenter un rapport à la ministre d'ici la fin juin, environ, ou peut-être à la fin mai. J'oublie la date exacte. Le gouvernement fédéral et les provinces, ensemble, entreprendront alors un processus de consultation dans tout le pays. Nous recommanderons en fin de compte un projet de loi sur les espèces menacées d'extinction qui permette de combler les lacunes qui subsistent après que les instruments provinciaux seront mis en vigueur.
La ministre s'est engagée à le faire. Un programme précis a été établi et il sera mis en oeuvre. Il y aura consultation avec toutes les parties intéressées qui participeront au processus. Si cela prend un peu plus de temps que prévu, tant pis, ce n'est pas du temps perdu. J'espère que cela se fera. Nous sommes déterminés à aller de l'avant. J'espère que là aussi vous pourrez nous aider, avoir voix au chapitre et donner votre avis.
Enfin, j'aimerais dire quelques mots à l'intention de Kenny Blacksmith. À mon avis, les peuples autochtones au Canada, en ce qui a trait à la biodiversité faunique, sont peut-être la clé de notre succès futur car ils exercent un certain poids et une certaine influence au niveau politique, beaucoup plus que je ne le pensais. Il semble paradoxal de le dire, mais c'est vrai. Je pense qu'ils pourront continuer d'exercer de fortes pressions, tout en mettant de l'avant des idées originales.
J'ai toujours cru que si, demain, il nous était donné de combiner notre programme de parcs nationaux à l'avenir économique des peuples autochtones, grâce à un règlement de fait de nos revendications territoriales, à l'écotourisme, dans ces grandes lignes - je ne parle pas du point de vue constitutionnel ou politique, mais simplement de grandes idées - nous contribuerions à résoudre une bonne partie des problèmes. Nous respecterions nos engagements à l'égard des Nations unies quant à la protection de 12 p. 100 de nos terres, ce qui est un début. Je conviens avec vous que ce n'est qu'un début mais c'est au moins un bon début. Nous jetterions ainsi les bases d'un processus en vertu duquel vous nous donneriez des exemples à suivre, car vous saurez comment protéger cette terre beaucoup mieux que nous l'avons fait, tout en assurant la protection des espèces fauniques.
J'espère sincèrement que vous nous apporterez une contribution utile en nous soumettant des idées originales. Lorsque nous terminerons ce réseau de parcs, nous le ferons peut-être de façon différente, selon des méthodes plus novatrices et originales, en y intégrant l'écotourisme, en vous donnant la chance d'un avenir économique, d'un bien-être et d'une qualité de vie que vous méritez sans l'ombre d'un doute.
J'espère que ces quatre jours seront des plus fructueux. Nous avons là une occasion extraordinaire de sensibiliser les Canadiens à l'importance de notre étude.
M. Adams (Peterborough): J'ai écouté les exposés avec beaucoup d'intérêt. Je me demande s'il nous serait possible d'obtenir des copies des acétates - j'en ai reçu un jeu - car ils nous seront très utiles lorsque nous reverrons toute la question. Je pensais qu'ils seraient distribués, mais j'en ai reçu un jeu.
Je vous remercie de vos interventions. J'ai écouté les remarques de M. Lincoln et je vous ai écoutés attentivement. Je sais que vous avez fait des pieds et des mains pour formuler des suggestions concrètes, mais il m'est très difficile de ne pas être déprimé en vous écoutant. Nous discutons de la faune en particulier, mais aussi de notre environnement en général. Je parle de l'une des remarques de M. Emery.
À mon avis, nous pouvons faire toutes sortes de choses. Nous pouvons vivre mieux et nous pouvons légiférer dans divers domaines. Toutefois, le problème est dû en bonne partie au fait que nous existons et que nous vivons sur cette planète. Vous avez indiqué le taux d'accroissement démographique. Je sais par exemple que la Chine a pris des mesures draconiennes pour contrôler l'augmentation de sa population. Celle-ci augmente d'environ 1,25 p. 100 par an, ce qui représente toute la population du Canada tous les 18 mois et il s'agit là d'un pays dont l'accroissement démographique est contrôlé.
J'ai entendu dire - et vous pourrez peut-être me le confirmer - que chacun d'entre nous représente, en matière de consommation, 50 ou 60 Chinois. Autrement dit, notre population consomme davantage que l'ensemble de la population chinoise. C'est comme si nous étions un milliard et demi. Monsieur Emery, sauf erreur, vous avez parlé d'une capacité de huit ou dix milliards, je ne me rappelle plus le chiffre exact. Sur le plan de la consommation, si le chiffre est exact, la population nord-américaine équivaut déjà à 17 milliards de Chinois.
Je le répète, ce qui me déprime, c'est que...
Mme Gelfand: C'est déprimant pour nous tous.
M. Adams: Notre population, qui est déjà supérieure à celle de la Chine en termes de consommation, augmente au même rythme que la sienne, soit de 1,25 p. 100 environ. Notre population augmente donc en fait plus rapidement que celle de la Chine sur le plan de la consommation, ce qui m'inquiète au plus haut point.
Je préfère ne pas m'étendre davantage sur cette question déprimante et je dois dire à tous les Chinois que si je cite l'exemple de la Chine, c'est uniquement parce que je connais les données. Si son niveau de vie double - à l'heure actuelle, ce pays compte 1,2 milliard d'âmes du point de vue de la consommation, et son niveau de vie pourrait doubler au cours des cinq prochaines années - la population chinoise passera à 2,5 milliards d'habitants.
C'est ce qui m'amène à vous demander à tous ce qu'il faut faire pour y remédier. Nous sommes ici au Canada, pays dont on se plâit à dire qu'il est vide, et notre population augmente plus rapidement que celle de la Chine sur le plan de la consommation. Comment y remédier?
M. Emery: Je n'ai pas de panacée à vous proposer mais je peux vous dire que la situation est assez grave, et elle est déjà à nos portes. Par exemple, je ne sais pas si ces données statistiques sont exactes, mais il paraît qu'environ 40 p. 100 des écoliers canadiens partent à l'école le ventre creux. Autrement dit, ce n'est pas simplement le problème des autres.
Si on examine la situation dans le monde entier, des guerres pour les ressources font rage en Afrique, en Extrême-Orient et en Europe. Ce sont des problèmes très réels. Si l'on fait la comparaison entre notre façon de réagir à ces problèmes et la réaction biologique normale à laquelle il faut s'attendre, on constate qu'elles sont identiques. Nous avons l'intelligence voulue pour y remédier, mais nous ne la mettons pas en pratique, et c'est là notre gros problème.
On en vient alors à se demander quand on en arrivera au point où, pour les habitants des pays du monde où la consommation est la plus élevée, comme le Canada, les États-Unis et certains pays d'Europe, le problème est si grave qu'ils se décident enfin à faire quelque chose pour le résoudre? On en vient alors à se demander, si nous poursuivons notre comparaison avec les systèmes biologiques, si nous procéderons de la même façon que les autres; c'est-à-dire en nous battant et en nous livrant concurrence continuellement pour, en dernier ressort, selon nos propres termes, en arriver à nous faire la guerre? J'espère sincèrement que non.
Toutefois, cela constitue un enjeu monumental et on ne pourra le résoudre que d'une seule façon: il nous faut sensibiliser les gens avec objectivité et véhémence à l'idée que le monde a ses limites.
La nature en est une preuve flagrante. Les leçons que nous pouvons tirer des gens qui vivent proche de la terre sont à mon avis très importantes. Elles nous prouvent que la nature, ce n'est pas ce qui nous entoure, mais qu'elle fait partie intégrante de nous-mêmes. Nous faisons partie intégrante de la nature. Tant que nous ne comprendrons pas que nous devons gérer la nature non seulement comme un système qui nous englobe mais également à l'échelle mondiale, il n'existera pas de solution vraiment facile si ce n'est laisser les principes biologiques s'appliquer.
Pour vous brosser un tableau rapide de ce que cela veut dire, dans tout milieu sauvage où l'on introduit une nouvelle espèce, comme cela a été notre cas il y a 10 000 ans, la population va en augmentant jusqu'à ce qu'elle déborde. Elle augmente au-delà de la capacité de l'environnement d'accueillir cette population. Nous venons tout juste d'atteindre ce stade et tout porte à croire que nous allons déborder. Ensuite, la population diminue à nouveau en raison de catastrophes qui entraînent le dépeuplement et, après une série de variations, elle atteint une sorte de niveau harmonieux. Toutefois, lorsqu'on a l'intelligence voulue pour éviter ce genre de chose, c'est à mon avis aberrant d'en arriver là.
Comment sensibiliser les gens? Cela ne peut se faire que par l'éducation. Cela ne peut se faire qu'en encourageant nos enfants à comprendre le problème et à prendre des mesures qui respectent notre monde naturel, car nous en faisons partie intégrante.
Mme Gelfand: Je voulais ajouter simplement que, pour ceux d'entre nous qui ont travaillé dans ce domaine, comme le docteur Emery et certaines personnes un peu plus âgées que moi, il ne faut pas se laisser déprimer par la situation, au risque de laisser complètement tomber. Au départ donc, il faut éviter d'être continuellement déprimé face à la situation. Autrement, nous baisserions totalement les bras.
Cela me fait penser que vous et moi passons énormément de temps à discuter de questions tout à fait futiles... Lorsqu'on parle de l'avenir de notre espèce, on s'interroge vraiment sur l'intérêt de la période des questions et sur nos activités quotidiennes. Dans notre pays, on se querelle au sujet de questions sans intérêt plutôt que d'aborder les problèmes vraiment cruciaux touchant l'avenir de notre population et la dépression que l'on va connaître, ici comme ailleurs, et il faut donc se demander comment nous utilisons notre temps.
Je peux vous dire que cela touche les gens. Cela les incite à attendre beaucoup plus tard pour avoir des enfants. Cela les pousse à s'interroger même sur l'opportunité d'en avoir. Au Canada, les gens se demandent s'ils devraient avoir des enfants. Je me suis personnellement posé la question et j'ai attendu longtemps pour me décider. J'en ai discuté pour les mêmes raisons que vous en discuter. Chacun de mes enfants - et pour le moment je n'en ai qu'un en jeune âge - va utiliser les ressources de 50 ou 60 personnes en Inde, et c'est tout simplement impensable.
Cette question me tient très à coeur. Ce matin, j'ai écouté à la radio les propos de M. Parizeau et du ministre des Finances M. Martin, et, Grand Dieu... La seule personne qui fasse preuve de la moindre logique à l'heure actuelle, c'est le ministre Tobin. Il parle de conservation. Il parle de l'avenir des stocks de poisson. Nous devrions parler de notre avenir et de la façon dont l'espèce humaine va vivre sur cette planète.
De toute façon, je suis beaucoup plus raisonnable la plupart du temps, mais lorsqu'on me parle de cette question avec autant de passion, je me dois d'y répondre de la même façon. Il nous faut réfléchir à la façon dont nous allons assurer notre survie.
Les guerres dont parle M. Emery sont inévitables. Elles se déroulent déjà en Israël et en Egypte. Elles vont se poursuivre. Il y aura un grand nombre de réfugiés qui se présenteront à nos portes pour des raisons environnementales. Ils seront là non pas parce qu'ils sont persécutés dans leur pays mais parce qu'ils leur est impossible d'y survivre. Ce phénomène va se produire plus vite que nous ne le pensons et toutes ces choses dont nous discutons continuellement au Canada vont nous sembler bien futiles.
Le chef Blacksmith: J'aimerais ajouter rapidement que, d'après l'expérience de mon peuple, nous avons passé ces 20 ans à nous interroger sur ce qu'il est advenu d'un accord visant à protéger le mode de vie des nôtres et à protéger l'environnement et la faune. Nous étions censés avoir conclu un accord et cela s'est soldé par un échec. Au cours de ces 20 ans, pendant que nous faisions notre possible pour mettre cet accord en vigueur, les activités de développement n'ont jamais cessé sur notre territoire.
J'aimerais faire une seule suggestion, et nous l'avons déjà faite à maintes reprises. Il faut revoir toute la notion de développement. Il faut mettre un terme aux mégaprojets. Il faut envisager des solutions de rechange. Il faut protéger l'environnement ou du moins ce qu'il en reste. Il nous faut entre autres choses réfléchir sérieusement à la façon dont on conçoit le développement dans le Nord ou ailleurs.
M. Adams: Vice-grand-chef, j'espère du fond du coeur que le niveau de vie de tous les peuples autochtones va nettement s'améliorer. Vous savez sans doute que le seul ministère fédéral dont le budget est augmenté cette année - si pitoyable que fut cette augmentation - a été en fait celui du ministère des Affaires indiennes et du Nord. Comme quelqu'un l'a dit, nous sommes en période de coupures. Cette augmentation s'explique par le fait que la population autochtone augmente à peu près deux fois plus rapidement que la population canadienne en général.
Soit dit en passant, j'ai entendu ce que vous avez dit au sujet du développement et des projets. Je me demande toutefois, en ce qui a trait à la chasse et à la pêche et à la préservation du mode de vie traditionnel, que vous avez décrit de façon très éloquente, comment à votre avis on va pouvoir faire face à l'accroissement de la population cri. Je ne veux pas que vous reculiez devant les mégaprojets et je sais que ces derniers font l'objet de coupures. Toutefois, cela ne se passe pas il y a 1 000 ans, ni il y a 100 ans, cela se passe aujourd'hui et la population autochtone augmente très rapidement, n'est-ce pas?
Le chef Blacksmith: En effet. Je voudrais simplement en revenir à l'augmentation du budget du ministère des Affaires indiennes. Même si ce dernier a augmenté, la plupart des nouveaux crédits sont destinés à l'aide sociale. Cela n'a pratiquement pas contribué à faire avancer...
M. Adams: Je regrette d'avoir parlé du budget.
Le chef Blacksmith: De toute façon, le fait est qu'on ne fait rien pour aider les autochtones à contribuer sérieusement à la protection de l'environnement et à participer aux discussions sur les questions de développement. Même si notre population est à la hausse, la chasse et le piégage, eux, diminuent de jour en jour.
Encore une fois, cela nous ramène au rythme accru du développement. Il n'existe pas vraiment de mécanismes de surveillance et de protection de l'environnement. Les gens de notre peuple ont à leur disposition des étendues de terre de plus en plus petites pour mener leurs activités de chasse traditionnelles.
Encore une fois, donc, le gouvernement doit avoir pour politique non pas de se battre pour des questions de compétences à l'égard de territoires, mais plutôt de faire son possible pour préserver ce qu'il nous reste pour l'avenir, non seulement pour notre jouissance mais également pour celle de tous les habitants du Québec et du Canada.
Mme Kraft Sloan (York - Simcoe): J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt la discussion ce matin, et vous avez abordé de nombreux domaines différents sur lesquels j'aimerais poser des questions.
Paul Hawkin a écrit un ouvrage intitulé The Ecology of Commerce: A Declaration of Sustainability; selon lui, à l'heure actuelle, nous utilisons environ 40 p. 100 de la capacité de production biotique de la terre et, d'ici 40 ans, la population mondiale aura doublé. Ces prévisions ne tiennent même pas compte de l'utilisation accrue des ressources qui aura lieu dans certains pays à mesure qu'ils se développeront. Si l'on s'en tient aux données actuelles, d'ici 40 ans, nous utiliserons 80 p. 100 de la capacité de production biotique de la terre. Les écosystèmes s'effondrent lorsqu'on atteint un niveau de 60 à 70 p. 100. Nous avons déjà été témoins de ruptures sérieuses de l'écosystème et nous en avons discuté.
J'en ai parlé à ma fille de 17 ans qui avait les larmes aux yeux. C'était une réaction extraordinaire de sa part car nous parlons là de ses petits-enfants. Cela signifie que tout sera fini dans 40 ans. Pouvons-nous donc nous permettre d'attendre 10 ans pour mettre un frein à ces activités?
J'aimerais faire quelques autres remarques. Vous avez parlé des guerres pour les ressources. À mon avis, il y en a une qui se déroule ici même dans notre pays. Il s'agit d'une guerre de ressources mettant en cause nos ressources financières, les prétendues ressources économiques traditionnelles, notre déficit, le déficit social du Canada et son déficit écologique. À mon avis, nous sommes en pleine guerre à l'heure actuelle, mais nous ne le savons pas.
Si l'on pense aux régions septentrionales de l'Amérique du Nord, le Canada et les États-Unis, on n'utilise que des mots qui commencent par «d» dans le discours politique, par exemple déficit, dérèglementation, décentralisation, délégation et diminution des effectifs et des ressources. Nous avons tous entendu ces mots. ll faut maintenant changer de discours. Ce qui m'inquiète, c'est que lorsque cela se produira, il sera beaucoup trop tard pour revenir en arrière. Il y a d'autres termes commençant par «d» qui sont d'actualité, comme départ ou dissolution, sans oublier démarginalisation ou marginalisation.
Ce qui est regrettable, c'est que la volonté politique et la volonté publique agissent actuellement de connivence dans tout cela, de sorte que lorsqu'on parle de questions touchant les pesticides, les processus accélérés... J'ai rencontré des représentants de AGCare et nous avons discuté de l'idée de sensibiliser la population pour qu'elle accepte des produits imparfaits, ce qui nous permettrait de restreindre l'utilisation de pesticides. On m'a demandé à quoi cela servirait, puisque les pesticides ne posent aucun problème.
La recherche et le développement est une question qui me préoccupe considérablement et lorsque certains, sur la scène politique, aux vues de certains titres d'études et de projets de recherche, disent que l'on gaspille des deniers publics en finançant par exemple une étude sur les habitudes de socialisation des écureuils, sans vraiment comprendre à quoi cela mène, je pense qu'il faut revoir également toute cette question. Il faut considérer le climat d'appui de la R & D.
Quant à la protection et à l'application - lorsqu'on parle d'harmonisation avec les provinces, de compressions et de délégation de pouvoirs, comment aborder ce domaine avec toute la vigilance qu'il faut?
Les ressources en eau - je me réjouis que quelqu'un ait dit qu'elles constituent l'un des principaux éléments de notre habitat. Les Canadiens ne se rendent pas compte que les ressources d'eau douce sont restreintes dans notre pays.
Il existe également d'autres formes de pollution. À mon avis, ce qui importe avant tout, c'est le respect, tant entre les cultures qu'entre les espèces. La biotechnologie est un autre secteur qui m'inquiète au plus haut point, et je pense que nous pourrons en parler au cours des quatre prochains jours.
Pour ce qui est de mes questions, vous souhaiterez peut-être répondre à certains points que j'ai soulevés, car il faut vraiment réfléchir sérieusement aux moyens à prendre pour entendre un autre son de cloche. Comme l'a dit Julie, il ne faut pas baisser les bras tout simplement parce que le problème est trop important pour être résolu par une seule personne.
L'analyse est faite. Il faut cesser d'ergoter sur des vétilles car c'est le problème en général qui va entraîner notre perte à tous. Il nous faut trouver une façon de permettre à l'autre son de cloche de se faire entendre. En second lieu, il faut commencer à envisager des solutions possibles. Vous pourriez peut-être répondre à tout cela.
J'ai également une question sur les vols à basse altitude effectués au-dessus du territoire innu. Je me demande si le vice-grand-chef peut nous dire ce qu'il en pense, et si Julie ou quelqu'un d'autre souhaite répondre à mes préoccupations concernant les pesticides, j'aimerais savoir ce qu'ils en pensent.
Le chef Blacksmith: J'ai rencontré la semaine dernière certains membres de la collectivité innu. Nous avons discuté de façon assez générale, comme nous le faisons ici, des diverses solutions qui s'offrent à nous. Leur situation est très précaire et ils ont été dépossédés de leur terre et de leur mode de vie. Personne ne les prend très au sérieux.
Lors de nos discussions, j'ai entendu des récits de femmes qui ont énormément de problèmes pendant leur grossesse, des personnes âgées qui ne peuvent pas faire tranquillement du canot pour communiquer avec la nature comme elles l'ont fait pendant de nombreuses années; sans oublier les nombreux changements dans l'habitat faunique, relativement à la migration des cariboux, la chasse à l'oie, à laquelle les Innu tiennent beaucoup. Il se passe toutes sortes de choses qui les touchent directement.
Les vols d'entraînement militaire effectués à basse altitude dans cette région sont très néfastes pour l'environnement et ont des répercussions énormes sur le mode de vie des Innu. Tout ce que nous pouvons faire pour eux à l'heure actuelle, c'est les encourager et les aider par tous les moyens possibles.
Il va sans dire que, là encore, la province et le fédéral, mais peut-être ce dernier surtout, répugnent à tenir compte des intérêts de ces autochtones et à leur fournir l'aide nécessaire, non seulement sur le plan moral mais également sur le plan politique et financier, tout en leur faisant une place parmi la société canadienne. Nous sommes apparemment mieux disposés à ouvrir nos portes aux autres pays pour qu'ils profitent, au risque de le détruire, de notre environnement naturel. Nous ne faisons pratiquement rien pour protéger notre chez-nous. C'est tout à fait anormal à mon avis et cela constitue une violation de leur droit fondamental de vivre selon leur tradition, comme ils l'ont fait pendant des millénaires. Toutefois, tout le monde semble s'en moquer.
Je n'ai pas de solution à offrir, si ce n'est pour dire que le gouvernement doit prendre cette question très au sérieux, et rencontrer des représentants du peuple innu pour trouver des façons d'éviter que leur vie sociale et leur environnement continuent de se détériorer.
M. Emery: Si vous me permettez de faire une brève remarque, le problème général est dû en partie au fait que, quoi qu'on dise, personne ne veut le croire. Très peu de gens sont vraiment convaincus, dans leur for intérieur, que le problème est assez sérieux pour entraîner la disparition totale de l'espèce humaine. Personne ne le croit encore vraiment. Si on le croyait, on ferait quelque chose pour y remédier car ce serait vraiment une réalité très difficile à vivre.
J'ai deux petits enfants moi-même, et cela m'inquiète sincèrement car je pense à la vie qu'ils mèneront plus tard. Qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie que nous allons devoir nous débrouiller pour convaincre les gens. Et nous allons devoir le faire non pas avec de stupides prévisions de malheur, mais avec des indications claires, nous allons devoir expliquer que si nous n'agissons pas nous allons disparaître de la planète.
Qu'entend-on par agir? Pour commencer il faut reconnaître l'importante de maintenir les systèmes. Et pour maintenir les systèmes, il faut faire des zonages, il faut les faire de façon rigoureuse, et il faut procéder systématiquement, avec rigueur.
Le chef Kenny Blacksmith nous a indiqué une démarche assez simple avec laquelle on pourrait commencer. Le concept des réserves de la biosphère est un autre concept très simple qui peut être utile. La notion de parcs nationaux s'intègrent dans ce concept. On a posé une question tout à l'heure au sujet de la législation, on a parlé de créer une loi nationale qui engloberait toutes les lois actuelles, qui les mettrait en contexte, et qui nous donnerait une perspective que nous n'avons pas pour l'instant; c'est une chose qui semble possible également.
Il faut atteindre le public. L'idée de ce forum est excellente. Il faut absolument mobiliser le public et le convaincre de la gravité de notre problème. Faute de cela, rien ne se fera.
Des modèles existent, il y a des gens qui commencent à agir. Ici, il s'agit de la stratégie ontarienne en ce qui concerne la faune et la flore. Tout cela part d'excellents sentiments.
Une chose pourrait poser un problème, le fait que tous les cinq ans, le ministre de l'Environnement produit un rapport sur l'état de l'environnement au Canada. Si j'ai bien compris, c'est la dernière année où ce rapport sera produit. Que devons-nous en déduire? Pourquoi est-ce que de notre environnement au Canada cesserait de nous intéresser? Le problème, c'est que nous ne sommes tout simplement pas convaincus de la gravité du problème, mais il existe, et, un jour ou l'autre, c'est une réalité qui va nous frapper en plein front.
Mme Gelfand: Vous me permettez d'ajouter quelque chose? Nous avons le pouvoir de déprimer les gens et votre fille, qui a 17 ans, réagit tout à fait comme tous ceux qui sont au courant de la situation. Je dois dire que vous tous ici avez déjà des connaissances considérables, et cela m'impressionne.
J'aimerais retourner le défi qui nous a été lancé par Clifford Lincoln: que pouvons-nous faire pour aider. Dans votre qualité d'hommes et de femmes politiques, c'est vous qui êtes au pouvoir à l'heure actuelle, et à ce titre vous avez accès à ceux qui sont au pouvoir. Permettez-moi de vous expliquer les outils dont les gens ont besoin pour véritablement agir. À mon avis, nous devons donner des outils à votre fille en faisant ce qu'Alan a proposé: nous avons besoin d'éducation publique, nous devons dire aux gens ce qu'ils peuvent faire individuellement. C'est une chose que nous pouvons faire. Nous avons l'intelligence nécessaire pour mettre fin à cette surexploitation de nos capacités si nous commençons maintenant.
Quant à la façon dont vous pouvez nous aider, je suis certaine que vous siégez à d'autres comités. Vous devez pouvoir faire entendre la voix de la raison, faire comprendre l'urgence de la situation aux membres des autres comités, en particulier dans les secteurs financiers et budgétaires. Vous devez également reconsidérer très sérieusement les projets que vous financez actuellement et que vous avez décidé de cesser de financer. Vous avez décidé de cesser de financer les rapports sur l'état de l'environnement, des rapports très importants parce qu'ils sont un moyen d'informer le public. Apparamment, vous continuez à subventionner toutes sortes d'industries qui ont des effets négatifs sur l'environnement. Vous devriez donc vous interroger sérieusement sur ce que vous financez.
En votre qualité de députés, vous pouvez parler aux ministres de l'Agriculture et leur dire ce que vous ont dit les gens d'Agriculture Canada. Le fait est que les Canadiens pourraient vivre avec des pommes qui ne sont pas parfaites, ils survivraient facilement, et ce sont tout de même de bonnes pommes. C'est ce qu'on vous dit à Agriculture Canada, c'est ce qu'on nous dit également. Nous ne pouvons pas arrêter d'utiliser des pesticides sous prétexte que les pommes ne seront plus parfaites? Les gens mangeront des pommes qui ne sont pas parfaites.
Nous devons parler aux ministres responsables des forêts et de l'agriculture. Vous pouvez envisager de financer des programmes d'éducation publique qui ont tous subis des coupures à Environnement Canada. Environnement Canada est un des gros ministères qui a subi d'énormes coupures récemment.
Alan parlait de protéger les terres et de réviser les zonages. C'est une des choses les plus importantes. Au Canada nous avons cette chance que 20 p. 100 de notre territoire est sauvage mais, malheureusement, 5 p. 100 à 9 p. 100 seulement - cela dépend des sources - est protégé. Vous pourriez prendre des mesures pour protéger les terres sauvages. C'est vous qui avez le pouvoir de dire: nous allons faire telle et telle chose. Nous pouvons vous aider, nous avons l'intention de le faire, vous n'avez qu'à nous le dire quand vous êtes prêts. Nous exerçons sans cesse des pressions, mais ce sont les gens qui sont au Parlement qui ont la possibilité, et c'est ce que vous devriez faire.
Enfin - je pense surtout à ceux d'entre vous qui sont libéraux - parlez à Paul Martin qui était jadis critique de l'environnement. Lui aussi y croit, mais malheureusement, il est tellement obnubilé par toutes ces questions financières qu'il finit par oublier d'autres questions qui sont plus importantes. Cela dit, je pense qu'il accepterait d'entendre les préoccupations de ce comité et d'en discuter. Il pourrait apporter des changements à la Loi de l'impôt sur le revenu, des changements qui modifieraient considérablement la protection des régions sauvages du Canada et de la nature.
Il y a donc des choses à faire. Il n'est pas nécessaire d'être déprimé, il vaut probablement mieux travailler fort et vite, et espérer qu'on s'en tirera.
Le président: Il y a un changement dans le dernier budget, on reconnaît maintenant les transferts de terres destinés à protéger l'environnement. Ce n'est pas grand-chose. Peut-êtreM. Martin n'a-t-il pas eu l'occasion de discuter avec vous récemment, peut-être pourriez-vous renouer avec lui et lui rafraîchir la mémoire.
Monsieur Prescott, vous voulez terminer rapidement car nous manquons de temps.
[Français]
M. Prescott: Certainement. J'aimerais ajouter un mot sur les pesticides. Au Québec, en 1994, nous avons mis en place une stratégie de protection des forêts qui vise justement l'élimination progressive de l'usage des pesticides en forêt. Cette stratégie a été élaborée non pas par les bureaucrates du ministères des Forêts, mais par un ensemble d'intervenants du milieu qui ont travaillé collégialement à élaborer une stratégie commune de protection des forêts. On a mis en place des mesures qui favorisent l'élimination progressive des pesticides.
Nous avons une politique nationale des forêts qui reflète un peu - peut-être pas assez - cette préoccupation de conservation, mais nous n'avons rien en matière de stratégie de l'agriculture durable. Je pense que nous aurons besoin, pour le Canada, d'une stratégie agricole qui va tenir compte des objectifs de développement durable et des aspects de conservation que nous avons mentionnés tout à l'heure.
Il s'agit là d'une action qui devrait être mise en place dès maintenant par un comité multipartite. Je suis certain que les organismes ici présents se feront un plaisir de vous aider à élaborer cette stratégie nationale sur l'agriculture.
Le président: Merci, monsieur Prescott.
[Traduction]
Je suis surpris qu'on ait si peu parlé du fait que les insecticides ne sont pas assujettis à la TPS. Je me demande si par hasard vous ne vous êtes pas dit qu'il serait indélicat ou peu respectueux de mentionner cela devant le comité, ou bien pensez-vous que ce sujet-là doit être soulevé ailleurs. Si vous avez des propositions à faire, je vous encourage vivement à le faire avant que nous ne terminions aujourd'hui.
M. DeVillers (Simcoe-Nord): Il y a une chose dont je voulais parler et dont Mme Kraft Sloan a parlé, il s'agit des vols à basse altitude au-dessus du Labrador et des effets de ces vols sur la faune et la flore. Le chef Blacksmith en a parlé également.
D'autre part, il y a toute la question de l'habitat. Monsieur le président, je sais qu'une séance est prévue pour discuter de ce sujet-là, mais je me demande si ça ne s'intègre pas également dans la question de la faune et la flore au Canada. Je sais que cela a été mentionné au sujet des parcs, mais je songe au secteur privé et aux exemptions ou préférences fiscales.
Je sais que la société de conservation de Couchiching dans ma circonscription de Simcoe-Nord voudrait qu'on accorde un traitement fiscal préférentiel, un peu comme pour les organismes de charité, aux gens qui souhaitent donner ou léguer des propriétés pour la protection et la conservation des terres humides. Est-ce que les organismes que vous représentez ont lancé des initiatives comparables, est-ce que vous êtes au courant de développements dans ce domaine?
Mme Gelfand: Je siège au conseil d'administration d'Habitat faunique Canada, dont la devise, qui figure sur le papier à lettre, est: Sans habitat, pas de faune. C'est aussi simple que cela. Habitat faunique Canada est un organisme qui travaille avec des propriétaires terriens dans tout le pays. Il travaille avec les gouvernements provinciaux et fédéral et essaie de protéger l'habitat en l'achetant, en le restaurant, en l'améliorant pour assurer la survie de la faune dans des régions qui ne sont pas protégées.
Il y a donc des organismes à l'heure actuelle. De nombreuses initiatives sont en cours et, comme vous l'avez dit, de nombreuses lettres ont été envoyées à Paul Martin pour le convaincre de changer la Loi de l'impôt sur le revenu.
Pour l'instant, si vous faites don d'une terre, vous devez déclarer un gain en capital sur votre formulaire d'impôt sur le revenu. En fait, vous n'avez pas eu de gain en capital, vous avez simplement fait don d'une terre. C'est complètement négatif. De nombreux groupes réclament un changement à la Loi de l'impôt sur le revenu. Beaucoup de groupes de naturalistes, Nature Saskatchewan ou la Fédération des naturalistes de l'Ontario, ont l'intention de travailler avec les propriétaires locaux pour obtenir des servitudes, des covenants et des transferts de droits et pouvoir ainsi protéger l'habitat. C'est un dossier important.
Nous insistons avant tout sur la protection de l'habitat des parcs nationaux car nous sommes un groupe de conservation national, mais au niveau provincial et même au niveau local, il y a des groupes comme le groupe Thunderbird Field-Naturalists, qui travaillent pour protéger les terres. Ici même à Ottawa, nous avons le Ottawa Field-Naturalists' Club qui travaille actuellement à la préparation du jardin faunique Fletcher, un jardin qui se trouve dans la ferme expérimentale et qui montre comment chacun, dans son propre jardin, peut préserver les habitats et favoriser la faune. Beaucoup de projets sont en cours.
Le chef Blacksmith: Pour la communauté autochtone, l'habitat a toujours été une préoccupation importante; en effet, nous avons toujours essayé de protéger l'animal et l'endroit où il vit. Dans notre mode de vie traditionnel, ce sont deux éléments qui vont de pair. On essaie toujours de protéger l'habitat de l'animal.
Or, de plus en plus, les gouvernements provinciaux et fédéral adoptent des lois chacun de leur côté, par exemple, en foresterie, et ils le font sans tenir compte de la protection de l'habitat. Ils ne s'en soucient pas. Les zones tampons sont très étroites. Nous avons expliqué au gouvernement fédéral que ces zones tampons ou zones de transition devraient être dix fois plus importantes que la législation ne le prévoit actuellement pour mieux protéger l'habitat de l'animal.
En ce qui concerne les vols à faible altitude, si les Innu sont là-bas, c'est pour travailler et vivre selon leur mode de vie et également protéger l'habitat de l'animal. Ces vols à faible altitude ne font rien pour aider. En fait, c'est une façon supplémentaire de détruire l'environnement.
Si le gouvernement était vraiment sérieux et souhaitait réellement encourager les communautés autochtones, il ne devrait pas augmenter les paiements du bien-être social. Au contraire, il devrait fournir plus de ressources et donner aux autochtones les outils dont ils ont besoin pour travailler de façon plus constructive dans leur environnement. Il y a peut-être d'autres solutions, des solutions originales... Il pourrait y avoir des gardiens de la faune pour protéger l'environnement. C'est ce que nous faisons depuis des centaines et des milliers d'années. Il y a tellement de choses qui peuvent être faites. Au lieu d'être à la charge de l'État, nous pourrions jouer un rôle utile et protéger l'habitat de l'animal.
Mme Finlay (Oxford): Je tiens à remercier nos témoins de ce matin qui nous ont apporté d'excellentes informations. D'un bout à l'autre de vos exposés, il n'y a pratiquement rien que nous puissions contester. Et comme vous l'avez dit, Julie, c'est un sujet pour lequel on ne saurait être trop émotif. Le M. Emery nous a parlé avec passion, de même que le chef et M. Prescott. Quant à mon ami Clifford Lincoln, il nous a brossé un tableau d'ensemble assez complet.
J'ai une question à poser à Clifford. Il est né sur une petite île, tout comme moi, qui suis née sur une petite île des Antilles, mais la sienne est plus célèbre que la mienne car c'est là que vivait l'oiseau dodo. Il dit que certains Mauriciens voudraient voir le retour du dodo. Ici, nous sommes nombreux à vouloir que le loup gris ne disparaisse pas, pas plus que les ours grizzly, les ours noirs et beaucoup d'autres animaux. C'est une bonne leçon.
Je ne pense que la majorité des gens aient bien saisi la signification de ce que nous avons dit. C'est probablement M. Emery qui s'en est le plus rapproché.
Dans votre déclaration d'ouverture, monsieur Emery, vous avez dit que la faune et la flore étaient absolument essentielles. La plupart d'entre nous, autour de cette table, comprennent cela dans une certaine mesure, mais je ne sais pas ce que nous devons faire pour faire comprendre cela à l'ensemble de la population. C'est précisément ce que vous voulez.
Julie, vous dites que certaines choses se font, et c'est vrai: j'ai passé la journée de samedi à planter des arbres. Nous avons eu un séminaire à Woodstock sur l'utilisation des insecticides dans les jardins, la possibilité d'avoir une pelouse qui n'est pas absolument parfaite, et des fleurs qui ne sont pas absolument parfaites.
Quand je regarde la télévision, et ça n'arrive pas très souvent, je vois des jeux télévisés, des comédies familiales. Ce qui me frappe quand je regarde ces émissions - et je les regarde jamais très souvent ni très longtemps - c'est que personne ne travaille, personne n'a faim, personne n'est sale, et tout le monde vit dans un superbe appartement. Les gens sont toujours en train de sortir pour souper, de sortir pour déjeuner, de faire la sieste, d'aller se coucher, ce genre de choses. Il y a des aspects de la vie dont on ne parle jamais. J'ai l'impression que la plupart d'entre eux ne veulent pas entendre ce que M. Emery a dit il y a dix minutes et ce que le Club de Rome a dit il y a 24 ans. Notre ancien premier ministre, M. Trudeau, était membre du Club de Rome et c'est une chose que la plupart de nous ont lue. C'est un message qui semble ne pas passer.
Nous avons discuté des vols à faible altitude. Je vais vous faire part d'une petite expérience personnelle. Je désherbais des fleurs dans une serre d'aluminium et de plastique en Israël en 1988 quand la fierté des Forces de l'air israéliennes, un F-15 ou un F-16, est passé au-dessus de moi. J'ai cru que la fin du monde était arrivée, que c'était le chaos final. J'ai lâché mon outil et je me suis précipitée à l'extérieur pour apercevoir la queue de ce truc, à environ 200 pieds du sol, qui disparaissait au-dessus de la frontière libanaise. Il lui a fallu environ cinq minutes pour changer de direction, il devrait être au-dessus de l'Arabie quand il a réussi à tourner. Il a repassé au-dessus des serres et, encore une fois, j'ai involontairement cherché à m'abriter. Je n'ai jamais entendu quoi que ce soit de si... S'il y en avait eu six, j'aurais été complètement sourde.
Si nous ne croyons pas que cela met en cause l'environnement, nous sommes vraiment idiots. Je n'ai pas besoin d'aller écouter ce qui se passe au Labrador, je l'ai déjà entendu, et je sais de quoi vous parlez, monsieur.
Comment allons-nous faire comprendre aux gens que la faune et la flore sont absolument essentielles? À mon avis, quand on a besoin d'un emploi, quand on paye trop de taxes, comme beaucoup de gens le pensent, c'est une notion qui est très difficile à saisir.
M. Emery: Je peux vous proposer une solution partielle. Ce serait une solution progressive et qui mettrait en cause les jeunes.
D'après des études sur le comportement, il est prouvé que les jeunes de 12 à 15 ans possèdent déjà les valeurs qu'ils conserveront pour le reste de leur vie. Il est donc très important de donner à nos enfants les valeurs morales nécessaires pour bien traiter le monde naturel, c'est ce qui leur permettra de préserver éternellement leur existence et celle de leurs enfants. Ce n'est pas une tâche facile mais c'est un des moyens d'action que nous avons.
En fait, il est très difficile de changer le comportement des adultes. Il n'est pas tellement difficile de changer leurs attitudes, je suis certain que nous partageons tous des attitudes semblables face au monde naturel. Nous pensons tous que c'est très important, que cela joue un rôle primordial pour le maintien des systèmes qui soutiennent la vie, etc., mais en même temps, je suis prêt à vous parier que vous êtes tous arrivés ici ce matin en voiture et que vous étiez seul dans votre voiture. Nous avons tous des schémas de comportement qui ne sont pas seulement l'expression de nos attitudes.
Chez les jeunes on constate autre chose: c'est qu'ils enseignent des choses aux adultes. Combien d'entre vous ont entendu un enfant vous dire de ne pas jeter un morceau de plastique quelque part, de ne pas jeter ces feuilles de papier mais de les mettre dans la corbeille du recyclage? Ce sont des choses simples, mais ce sont des valeurs que nous devons donner à nos enfants et encourager chez tous les jeunes.
Au musée, nous nous adressons avant tout à la famille. En effet, nous pensons pouvoir expliquer aux petits qui sont accompagnés par leurs parents les attitudes et les comportements qu'ils doivent avoir face à la nature. Nous touchons ainsi deux générations et, dans l'ensemble, ce sont les jeunes qui montrent l'exemple aux adultes, et non l'inverse. Je suis convaincu que c'est la voie à suivre, nous devons dans l'éducation des petits insister sur la valeur et sur l'importance du monde naturel.
Mme Gelfand: Je vous rappelle que nous avons réussi à changer les attitudes et les comportements dans le cas de la conduite avec des facultés diminuées. Grâce à une initiative du gouvernement fédéral, grâce à une campagne massive d'éducation du public, en faisant appel à Luba pour chanter des chansons qui visaient certains groupes d'âges, le gouvernement est parvenu à ses fins. Ce sont des techniques dont il dispose et il lui suffit de réaménager les fonds dans un certain sens. Si vous pensez qu'il est important de faire comprendre aux gens le caractère essentiel de la faune, de la flore et de la biodiversité, vous en avez les moyens. Cela peut être fait.
Le président: On pourrait peut-être ajouter ParticipACTION à cette liste.
Mme Gelfand: Oui, exactement, et il y a d'autres exemples.
M. O'Brien (London - Middlesex): Pour commencer, je m'associe à mes collègues qui vous ont remerciés pour vos exposés. Je les ai trouvés très intéressants et, tout comme Peter, je pense que c'est une source de préoccupation, sinon de dépression. J'imagine que la dépression est une solution de facilité.
Je vais commencer par le contrôle des naissances. J'aimerais faire une mise en garde à l'intention du comité et je vais le faire par une question et une observation. Je me demande comment il est possible de véritablement contrôler la population, mais d'une façon naturelle, d'une façon que je puisse considérer comme étant morale.
La séance d'aujourd'hui m'intéresse d'autant plus que récemment j'ai eu l'occasion de rencontrer des gens qui ont attiré mon attention sur un phénomène que nous connaissons tous et qui est regrettable. Je veux parler des tentatives de contrôle de la population dans ce que nous avons tendance à appeler le tiers monde. C'est une initiative importante, mais à mon avis on ne doit pas aller jusqu'à la stérilisation obligatoire dont on entend parler au Canada.
Par conséquent, comment faire pour s'attaquer à ce grave problème de surpopulation de la planète, mais comment le faire d'une façon naturelle, sans exploiter les populations du tiers monde? Il y a une certaine ironie à parler de la protection de diverses espèces quand nous avons tendance à oublier l'être humain lui-même.
C'est donc une mise en garde que je fais en ce sens que nous devons éviter les solutions qui ne sont pas naturelles, les solutions immorales. Il serait vraiment ironique de tenter de contrôler la population de cette façon-là. Est-ce que nous avons une solution, est-ce qu'il est possible de contrôler les naissances d'une façon responsable?
[Français]
M. Prescott: Dans les pays en voie de développement, et même dans les pays développés, le contrôle volontaire des naissances se fait lorsque les femmes et les hommes sont éduqués aux méthodes contraceptives d'une part et, d'autre part, lorsque le niveau de vie s'améliore. Les gens pauvres ont davantage d'enfants que les gens riches.
Je crois qu'il faut d'abord et avant tout s'attaquer au problème du contrôle de la consommation des ressources avant de s'attaquer à celui du contrôle de la population. Il est très facile de contrôler la consommation des ressources par des mesures fiscales appropriées. Lorsque l'essence est chère, on en utilise moins. Lorsque les pesticides sont taxés, on les utilise avec beaucoup plus d'attention. Je crois qu'il faut d'abord et avant tout éduquer les jeunes et aussi les adultes, ceux qui dépensent tous les jours pour acheter des biens de consommation. Il faut les éduquer par de mesures fiscales beaucoup plus sévères que celles que nous connaissons aujourd'hui.
Lorsque les gens ne comprennent pas, on peut leur montrer la voie de façon un peu plus agressive, c'est-à-dire un peu plus directe et précise, par des mesures qui existent déjà dans certains pays, des taxes sur l'environnement notamment. Comment se fait-il que, dans un pays qui souffre d'un manque d'emplois et d'un chômage effréné, nous taxions l'emploi et les services et que nous ne taxions pas les pesticides?
Merci.
[Traduction]
M. O'Brien: J'apprécie vos observations et vous remercie d'avoir dit qu'il faudrait peut-être commencer sur le plan de la consommation et non pas sur le plan du contrôle des naissances, bien que cela soit important également. À mon avis, ce serait une réaction simpliste. En fait, je m'alarme quand j'entends parler de pays occidentaux, dont le Canada, qui ferment les yeux face à certaines pratiques du tiers monde comme la stérilisation forcée. Cela ressemble à certaines mesures stupides que nous avons imposées à nos propres autochtones et qui nous ont valu, à eux et à nous, des résultats très amers. Je note donc votre commentaire avec plaisir car il apporte une certaine note d'équilibre.
Cela m'amène à ma seconde et dernière question. En ce qui concerne la consommation, Julie nous a dit que les gens mangeraient des pommes imparfaites, mais je me demande si c'est vrai quand je les vois choisir leurs pommes au supermarché. J'imagine qu'on pourrait finir par les convaincre.
J'ai jadis travaillé dans le secteur de l'éducation et je vous demande quelle serait votre priorité absolue si le gouvernement fédéral voulait adopter une seule nouvelle initiative sur le plan de l'éducation du public? L'un d'entre vous aurait-il une idée à nous soumettre, une idée que notre comité pourrait défendre ou que moi-même je pourrais défendre devant le Parlement?
Mme Gelfand: À notre niveau, nous disposons de petits budgets, et pourtant, nous réussissons à éduquer nos membres, et en même temps, une proportion du public par l'entremise des médias. Vous-mêmes, qui faites partie du gouvernement fédéral, vous avez accès à une bourse beaucoup plus importante. À mon avis, vous êtes le seul organisme capable d'acheter les services des médias qui seraient nécessaires. Je pense qu'une campagne d'éducation du public à l'image de ParticipACTION ou de la campagne sur la conduite avec des facultés amoindries serait indiquée. Vous n'avez qu'à parler aux gens de Santé Canada qui ont mis sur pied ces énormes campagnes d'éducation. C'est là que je commencerais. Les gens regardent la télévision. C'est là qu'on peut les atteindre.
M. Emery: En partant de cette base, on pourrait également élaborer des encouragements fiscaux, des encouragements économiques pour les gens qui ont la bonne attitude. Cela donnerait plus de réalité aux problèmes et aux messages, plus de poids.
Un de nos principaux problèmes économiques à l'heure actuelle, c'est que toutes les théories économiques qui circulent tiennent pour acquis que l'environnement est un bien gratuit, et c'est une chose qui doit changer. La seule façon d'obtenir ce changement, c'est d'insister pour que les gens remettent l'environnement dans l'état où il l'on trouvé ou soient taxés pour que quelqu'un d'autre puisse le faire à leur place.
Le président: Je demanderais aux membres du comité d'être patients pendant cinq minutes encore. Lorsque nous aurons terminé, le greffier souhaite soulever une question qui exigera trois ou quatre minutes de discussion. Je vous demande donc votre indulgence.
Quant à notre groupe de témoins, au nom du comité, je tiens à vous remercier infiniment. Vous avez extrêmement bien amorcé cette discussion et vous nous avez apporté les moyens d'asseoir cette discussion sur un fondement très solide. En écoutant toutes nos questions vous avez dû comprendre à quel point nous avons apprécié ce que vous avez fait.
Peut-être aimeriez-vous avoir une minute chacun pour conclure avant que nous ne levions la séance?
M. Emery: Je serais heureux de commencer.
Si une chose est ressortie de cette discussion, une chose particulièrement importante, c'est la notion que nous devons nous faire une véritable idée d'ensemble de la nature du problème. Si quand on pense faune, on pense: poisson, plume et fourrure, ça ne marchera pas. Il faut mettre en place une gestion systématique, et les gens auront leur rôle à jouer dans ce système. S'ils ont un rôle à jouer, c'est que nous pouvons enseigner à nos enfants en particulier, et finalement à tous le monde, la valeur de notre monde naturel. Sans ce monde, nous cessons d'exister.
Mme Gelfand: J'aimerais profiter de cette dernière minute pour vous dire: faites ce que vous pouvez. S'il n'est pas possible de résoudre tous les problèmes du monde, faites du moins ce que vous pouvez faire: adoptez des lois sur les espèces menacées, mettez la dernière main à la Loi sur les parcs nationaux, lancez une campagne d'éducation du public, interdisez certains insecticides, changez la Loi de l'impôt sur le revenu. Voilà des choses qui sont en votre pouvoir et qui seraient déjà un pas de plus dans la voie d'une solution génrale.
Le chef Blacksmith: Au nom de la communauté autochtone, j'aimerais que les gouvernements respectent leurs obligations en vertu des traités, des obligations qui sont inscrites dans la Constitution et qui permettraient à la communauté autochtone de participer activement et utilement à toutes les discussions sur la faune, la flore et l'environnement. Voilà les deux questions sur lesquelles j'aimerais insister.
[Français]
M. Prescott: Nous pouvons déjà bénéficier d'une vision commune qui est imparfaite, mais qui existe déjà dans les documents qui ont été adoptés par les gouvernements fédéral et provinciaux, notamment la politique sur la faune et la stratégie sur la biodiversité.
[Traduction]
Dans ces documents, nous trouverons une vision, la vision dont nous avons besoin, et nous allons devoir lutter ensemble pour appliquer chacune des recommandations de ces documents.
Le président: Encore une fois, nous vous remercions tous.
Nous reprendrons la séance à 15h30 avec un autre groupe. Je suis certain que la discussion sera aussi passionnante et intéressante que celle-ci. Encore une fois, merci infiniment.
La séance est levée.