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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 29 novembre 1995

.1546

[Traduction]

Le président: Bon après-midi, mesdames et messieurs. Nous accusons un léger retard à cause du discours prononcé à la Chambre des communes par le premier ministre. Le discours étant terminé, nous pouvons commencer sans plus tarder.

Comme vous le savez, nous sommes ici pour discuter, dans le cadre d'une table ronde, des obstacles financiers au développement durable et à des pratiques environnementales saines. C'est notre dernière séance. Nous sommes très heureux de vous recevoir comme invités et témoins, et nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur Dillon, monsieur Plourde et monsieur Gale.

Je vous laisse choisir la personne qui va commencer; veuillez vous présenter avant votre exposé, à la suite duquel les députés vous poseront des questions. Nous allons écouter les trois exposés sans interruption, et après, nous passerons au jeu de questions et réponses.

Monsieur Dillon, vous avez la parole.

M. John Dillon (associé principal, Conseil canadien des chefs d'entreprise): Monsieur le président, nous avons convenu que M. Plourde commencerait le premier. Comme vous le savez, il est président du groupe de travail.

Le président: Certainement.

[Français]

M. André Plourde (directeur, Département des sciences économiques, Université d'Ottawa): Je m'appelle André Plourde et je suis directeur du Département des sciences économiques à l'Université d'Ottawa.

[Traduction]

J'ai présidé le Groupe de travail sur les instruments économiques et les obstacles à des pratiques environnementales saines.

[Français]

Monsieur le président, messieurs et mesdames les députés, je vous remercie de l'invitation que vous m'avez faite de comparaître devant vous aujourd'hui.

Au cours des quelques minutes qui me sont accordées, je traiterai de la nature du processus qui devrait encadrer l'étude en profondeur de la fiscalité et des subventions fédérales qui est mentionnée dans le document pour la création d'emplois et la relance économique, et j'aborderai brièvement la structure du système d'impôt sur le revenu des sociétés.

[Traduction]

Comme vous le savez peut-être, j'ai présidé le groupe de travail, dont le rapport a été publié à la fin de novembre 1994. C'est à la lumière de cette expérience que j'aimerais faire quelques commentaires sur la nature du processus qui pourrait encadrer l'étude de base proposée.

.1550

Le groupe de travail comptait jusqu'à 37 membres représentant une vaste gamme d'intérêts. Même si le groupe était grand et parfois indiscipliné, il n'était pas suffisamment grand. D'autres groupes d'intervenants désiraient y participer. Ainsi donc, la première leçon que nous en avons tirée est que de nombreux particuliers et groupes veulent se prononcer sur les questions environnementales. Cependant, la façon la plus efficace de les faire participer à ce genre de processus n'est peut-être pas de les réunir ensemble dans un groupe et de les charger de produire un document.

Un autre aspect du travail du groupe semble pertinent. J'ai constaté que souvent, une question que je croyais réglée, resurgissait beaucoup plus tard au cours de la même réunion ou lors d'une réunion subséquente. Certains membres du groupe de travail m'ont signalé que cela était dû, ne serait-ce qu'en partie, au fait que le groupe était censé produire un document et y réagir en même temps. Ainsi, la leçon numéro 2 est de séparer ces fonctions afin que la contribution attendue des participants soit claire, et que les questions controversées soient examinées directement.

En faisant l'étude de base, par exemple, le gouvernement pourrait recourir à un processus à deux niveaux. Au premier niveau, un petit groupe de hauts fonctionnaires provenant de ministères clés comme l'Environnement, les Finances, les Ressources naturelles - et j'en passe - et en collaboration avec quelques experts de l'extérieur - j'entends par là des personnes n'appartenant pas au gouvernement - pourraient entreprendre une étude qui serait fondée sur un mandat clair provenant du gouvernement, et après avoir sollicité l'opinion des intervenants sur la nature des questions à examiner. L'objectif de cette étape serait de produire un document que l'on utiliserait ensuite dans le cadre de consultations élargies avec tous les groupes concernés.

Ce type de processus devrait être itératif, c'est-à-dire que la consultation devrait se faire en fonction du rapport d'étape interne. À la fin, on n'obtiendrait pas un ensemble de résultats faisant l'unanimité de tous les groupes concernés, mais on aurait terminé une analyse systématique du système financier. Le même genre de questions auraient été posées sur divers types de situations. En ce qui concerne la production d'information, je pense que cela serait assez utile.

Si l'on mettait en marche un tel processus dans la nouvelle année, je pense que l'étude pourrait être prête à temps pour les consultations relatives au budget de 1997.

[Français]

Avec votre permission, je vais maintenant dire quelques mots sur la structure du système d'impôt sur le revenu des sociétés.

L'expérience démontre que ce système peut être manipulé pour atteindre différents objectifs tels qu'encourager certains types d'activités et en décourager d'autres. L'expérience nous démontre aussi que, bien que ce genre de manipulation se révèle coûteux, les gouvernements ne résistent pas à la tentation d'y recourir.

Je vais donc mentionner trois choses qui, à mon avis, militent contre l'utilisation du système d'impôt sur le revenu des sociétés comme outil incitatif.

[Traduction]

Tout d'abord, cela susciterait des investissements dans des activités qui produiraient des bénéfices dans un secteur. Même si cela est avantageux pour un ou plusieurs secteurs donnés, c'est tout simplement du gaspillage pour l'ensemble de la société.

Deuxièmement, les avantages de telles utilisations du régime de l'impôt sur le revenu sont généralement offerts aux entreprises sous forme de dépenses fiscales. Toute l'opération est pour le moins opaque, et les sociétés qui bénéficient des avantages ne sont pas responsables devant le contribuable.

.1555

Le troisième problème concerne l'application de la loi et la surveillance. Dans ce type de situation, il est très difficile d'éviter les fuites ou les dérapages, si vous voulez.

À la fin, on se retrouve avec un régime de base de l'impôt sur le revenu. Le régime de l'impôt sur le revenu est conçu pour prélever des impôts sur les revenus; par conséquent, il faut obtenir une mesure des revenus, en déduire une mesure des frais généraux, en traitant différemment les formes de dépenses produisant des bénéfices à long terme par rapport aux formes de dépenses produisant des bénéfices ponctuels, et ensuite appliquer un taux d'imposition à cette mesure de revenu. Ces règles sont simples, claires, faciles à comprendre et difficiles à manipuler.

Si le gouvernement veut agir sur d'autres fronts, il doit identifier ces fronts et utiliser les instruments qui sont mieux conçus pour ces besoins précis - instruments qui sont plus transparents et qui permettent d'assurer une plus grande responsabilité que cet accès différentiel aux dépenses fiscales.

[Français]

Merci.

Le président: Vous terminez au moment le plus intéressant, monsieur Plourde.

[Traduction]

M. Robert Gale (Recherche et consultation, Ecological Economics): Je suis expert-conseil chez Ecological Economics à Toronto et chercheur indépendant. J'essaie de consacrer le plus de temps possible à l'écriture. Parfois, je collabore avec les universités à ce titre; très récemment, j'étais attaché supérieur de recherche à la Faculté des études environnementales à l'Université York.

Je vous confesse que je suis le rédacteur en chef de Green Budget Reform, document qui vous a été distribué, je crois. Certains d'entre vous ont eu l'occasion de le parcourir. C'est mon talisman, que je brandis maintenant partout où je vais pour éloigner les sceptiques. J'espère que j'y reviendrai tout à l'heure.

Je voudrais remercier le comité permanent de m'avoir invité à participer à ce forum sur les obstacles financiers et l'environnement. Dans le cadre de ce dernier débat, je vais me concentrer sur la réforme fiscale écologique, qui consiste, comme vous l'avez définie dans vos notes aux participants, à transférer l'application de l'impôt sur le revenu et l'emploi vers les activités polluantes et les pratiques non durables. Je vais aussi faire quelques propositions sur la façon de mettre en oeuvre cette réforme.

Pour commencer, même si j'ai travaillé sur les instruments économiques, je crois beaucoup à la réglementation gouvernementale à cause des lacunes très évidentes des forces du marché. J'aime les dispositions de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement et les amendements que l'on y a apportés. Je crois beaucoup à la nécessité de l'intervention gouvernementale pour remédier aux manquements des forces du marché et corriger les facteurs externes; je tenais à faire cette observation.

Je crois aussi à l'approche volontaire. Je pense que nous allons beaucoup gagner en mettant en oeuvre les mesures actuelles de l'Organisation internationale de normalisation, c'est-à-dire la série ISO 14000 sur les normes de gestion environnementale. Je suis un critique de ce processus, mais je crois qu'en fin de compte, il sera extrêmement avantageux et il disciplinera considérablement les organisations en matière de gestion environnementale.

Je comprends autant que possible les limites des instruments économiques. Je voudrais déposer, aux fins du compte rendu un article que j'ai rédigé pour la table ronde nationale intitulé Environmental Taxation, Revenues, and Effectiveness: The Need for Principled Guidance. Je vais en laisser un exemplaire au greffier du comité, et le document peut être obtenu auprès de la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie. Le document souligne la nécessité d'une démarche raisonnée si nous voulons créer des taxes environnementales.

Je vais commencer par certaines observations que j'ai faites dans Green Budget Reform. Au premier chapitre, j'ai écrit:

.1600

C'est ma conviction profonde. Pour moi, le budget est le document que je consulte pour connaître la politique environnementale du gouvernement. Dans mon mémoire, je vous ai présenté certaines raisons pour lesquelles les budgets sont importants. Vous les connaissez. Par conséquent, je n'ai pas besoin de les répéter.

À mon avis, le problème en ce qui concerne le processus budgétaire, et malgré les interventions sporadiques du vérificateur général, c'est que l'on ne rend pas compte adéquatement des dépenses publiques. Celles-ci visent à promouvoir certaines activités, mais ces activités ne sont pas examinées de façon suffisamment approfondie.

Je crois que le budget est absolument essentiel pour intégrer les décisions économiques, sociales et environnementales. Je pense que l'on peut effectuer des réformes écologiques dans le cadre d'un budget, car on peut faire valoir l'idée selon laquelle les taxes sont transférables et les recettes recyclables.

La question est la suivante: qu'est-ce que la réforme écofiscale? L'on s'accorde pour dire qu'il s'agit d'une tentative d'utiliser plus largement la main-d'oeuvre et plus sagement la nature. Je pense que l'écofiscalité touche directement à trois éléments de la durabilité. Du point de vue social, elle permet de s'attaquer aux questions relatives au chômage. Elle permet certainement de combattre la détérioration de l'environnement. C'est aussi un moyen d'accroître l'efficacité économique. À mon avis, la réforme écofiscale permettrait d'atteindre trois objectifs, et elle a l'avantage supplémentaire de produire des recettes permettant de réduire le déficit et la dette.

La réforme écofiscale peut permettre de régler ces problèmes en redéfinissant ce qui constitue un développement économique sain. D'une part, nous taxons les activités des gens que nous devrions encourager: les employés, les entrepreneurs, les épargnants et les investisseurs. D'autre part, nous ne taxons pas la consommation d'énergie et de matières premières. Autrement dit, nous ne réglons pas la question des facteurs externes. Cela signifie que nous surconsommons la nature et sous-consommons les gens, pour emprunter les termes du Livre blanc publié en 1993 par l'Union européenne sur l'emploi et la compétitivité en matière de croissance.

Je soutiens que la réforme écofiscale n'est pas un concept embryonnaire; elle est déjà en cours. Il est vrai qu'au Canada, aux États-Unis ou en Europe, il n'existe ni plan directeur ni politique en la matière. Mais en Europe, on en discute largement dans bien des secteurs. Là-bas, le débat porte davantage sur l'orientation et le rythme de la réforme écofiscale que sur sa faisabilité ou son opportunité en tant que telle.

En Europe, on reconnaît certaines choses. Premièrement, les taxes actuelles forcent les choses. Deuxièmement, les taxes sur l'emploi sont élevées et augmentent, tandis que les taxes sur l'environnement sont faibles et stables. Troisièmement, les prix ne reflètent pas les coûts réels.

Permettez-moi d'illustrer mon argument selon lequel la réforme écofiscale n'est pas un concept embryonnaire en parlant très brièvement de certains événements récents.

Premièrement, j'aimerais parler d'une conférence qui aura lieu la semaine prochaine à Londres, en Angleterre, les 5 et 6 décembre. Elle est intitulée: «Managing the Costs and Benefits of Ecological Tax Reform in Britain and Europe». Il s'agit d'une conférence regroupant des représentants de l'industrie et des gouvernements. Les frais de participation s'élèvent à 1 169 livres sterling, soit2 400$ environ. Il y aura beaucoup de conférenciers issus de divers milieux gouvernementaux et industriels. Le sous-secrétaire du Trésor parlera de l'écofiscalité. Un porte-parle d'IBM présentera le point de vue des entreprises sur le développement durable. Il y aura des débats sur l'inclusion fiscale par opposition à l'emploi. Le responsable de la Section environnementale de la Confédération des industriels britanniques parlera de la gestion des coûts de la réforme écofiscale. Il y aura aussi un débat sur la réforme écofiscale et les perspectives d'avenir pour les entreprises européennes.

.1605

Si vous permettez, je vais citer un extrait de la brochure, car je veux vous donner une idée de ce qui se passe déjà. Le débat est déjà en cours; il n'est pas hypothétique.

Les entreprises travaillant en Grande-Bretagne et dans d'autres pays de l'Union européenne font face à une nouvelle série de menaces et de possibilités - des changements au régime fiscal des principaux pays reflétant les pressions politiques et les préoccupations mondiales relatives à l'environnement. Ces changements concernent essentiellement l'augmentation des taxes sur les carburants et la pollution, et la réduction des taxes sur l'emploi, connue collectivement en Europe sous le nom de «Réforme écofiscale».

En Grande-Bretagne, dans le cadre du débat sur la réforme écofiscale, le gouvernement a imposé une TVA sur le carburant, des droits de consommation de carburant augmentant chaque année sur les véhicules et, plus récemment, une nouvelle taxe sur les sites d'enfouissement pour l'élimination des déchets. De tels instruments de politique environnementale axés sur les marchés deviennent de plus en plus populaires dans toute l'Union européenne et en Amérique du Nord.

Dans tous les pays européens, l'industrie manufacturière fait face à d'importants défis, surtout aux Pays-Bas où des taxes sur l'énergie existent déjà, et en Allemagne où tous les partis politiques proposent une augmentation considérable des taxes sur l'énergie. Au Royaume-Uni, les partis conservateur et travailliste s'opposent actuellement à l'idée d'une taxation considérable de l'énergie, compte tenu des difficultés qu'ils ont eues à augmenter la TVA sur le carburant. Néanmoins, les entreprises britanniques risquent d'être touchées par les propositions de la Commission européenne ou par un durcissement des politiques fiscales du gouvernement dans ce sens à mesure que l'on reconnaîtra les répercussions économiques du changement climatique.

Je vais simplement me concentrer sur la dernière déclaration, portant sur les dégâts infligés à l'économie par le changement climatique.

Voici les avantages que les participants retireront de la conférence. Celle-ci leur permettra de savoir:

Je mentionne cette conférence parce qu'elle n'est pas organisée par des ONG s'occupant de l'environnement; il s'agit plutôt d'une conférence organisée par les milieux d'affaires et le gouvernement et portant sur les pratiques actuelles et leurs répercussions.

Je pourrais présenter d'autres documents, mais compte tenu du temps qu'il nous est imparti, je vais simplement y faire allusion, comme je viens de le faire.

J'ai résumé les études de cas, où l'on parle du montant des recettes et des subventions, dans l'annexe I de mon mémoire. Ces données proviennent du livre intitulé Green Budget Reform. Je veux simplement mentionner ce qui se passe; il ne s'agit pas de situations hypothétiques. J'ai aussi résumé les leçons choisies dans le premier chapitre de Green Budget Reform, une fois de plus pour vous montrer qu'il existe des cas très concrets.

Je pense qu'hier, vous avez entendu parler du rapport du collectif sur le transport et le changement climatique. Il était question de l'augmentation des taxes sur les carburants. Nous pourrions en parler un peu plus tard. Pour l'instant, passons à autre chose.

Je voudrais vous montrer les formulaires fiscaux des États-Unis. Les gens aiment toujours les voir quand je les leur montre à la toute fin de mes exposés. J'espère que je les ai ici; ils ne figurent pas dans mon exemplaire. L'avez-vous? Il devrait y avoir un tableau fiscal du Internal Revenue Service. L'avez-vous?

Actuellement, aux États-Unis, on impose des taxes sur les produits chimiques. Les gens sont toujours surpris quand j'en parle parce qu'il s'agit de la démonstration d'une pratique.

Je sais que le temps presse, et je ne veux pas empiéter sur le temps de parole du témoin suivant. Il faut tenir compte du fait que nous concevons déjà des instruments économiques. En Europe et en Amérique du Nord, les gouvernements craignent de ne plus pouvoir augmenter les impôts directs. Ils envisagent des impôts indirects. Troisièmement, je ne crois pas qu'une théorie globale de réforme écofiscale soit absolument essentielle pour accomplir des progrès; nous pouvons y aller pas à pas.

J'ai quelques observations à faire sur une stratégie de réforme écofiscale, mais je serai ravi d'y revenir. Pour laisser du temps aux autres intervenants, je vais arrêter ici.

Merci beaucoup, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Gale.

Monsieur Dillon.

M. Dillon: Merci, monsieur le président.

Je suis un associé principal du Conseil canadien des chefs d'entreprises, organisme de gens d'affaires représentant 150 présidents-directeurs généraux de grandes sociétés canadiennes. Nos membres oeuvrent dans tous les secteurs de l'activité économique au Canada et nous sommes présents dans toutes les régions du Canada.

.1610

Le sujet dont est saisi votre comité est extrêmement complexe, cela va de soi. J'ai jugé qu'il serait peut-être plus utile pour ma part de vous exposer mes réflexions sur la question, du point de vue des gens d'affaires, en m'attardant à quelques grandes considérations.

Tout d'abord, j'aborderai la question des subventions, dont votre comité, je le sais, a déjà amplement discuté. Puis, je dirai quelques mots sur le recours aux instruments économiques et sur la réforme écofiscale, que M. Gale a déjà mentionnée. Enfin, je vous suggérerai brièvement quelques sujets d'études ou quelques priorités à envisager dans vos travaux futurs.

Tout d'abord, commençons par la question des prétendues subventions. Le CCCE affirme déjà depuis nombre d'années que les subventions inconditionnelles sont moins rentables du point de vue fiscal étant donné la conjoncture budgétaire actuelle du Canada. Nous exhortons le gouvernement à éliminer pratiquement tous les cadeaux qu'il fait aux entreprises et, à tout le moins, les éliminer beaucoup plus rapidement qu'il n'a songé à le faire jusqu'à maintenant.

Le gouvernement ne devrait pas, d'après nous, distribuer des subventions qui faussent le jeu des forces du marché et nuisent à la concurrence. Il a été démontré que nombre de ces subventions sont inefficaces du point de vue économique et qu'on ne peut s'attendre que les emplois et les industries qui ne reposent pas sur les principes fondamentaux de l'économie soient viables à long terme. Je ferai remarquer que dans son rapport de la semaine dernière, le vérificateur général faisait remarquer que des agences de développement régionales avaient eu bien du mal à prouver qu'elles avaient effectivement créé des emplois.

Il me faut toutefois apporter une précision. Je sais que les témoins ont été nombreux à expliquer au comité à quel point nombre de subventions versées actuellement par le gouvernement pouvaient être nuisibles à l'environnement. Ne croyez pas pour autant que je sois convaincu que toutes les subventions nuisent à l'environnement. La question est beaucoup plus complexe que cela.

Je crains que beaucoup de gens, notamment les écologistes, adoptent une position plutôt simpliste. Ils remettent en question la viabilité, sur le plan environnemental, de l'industrie ou de l'activité elle-même. Il va de soi que l'utilisation de combustibles fossiles au Canada et ailleurs dans le monde est d'une grande importance économique et écologique. Ces questions ne sont pas simples. Nombre de programmes qui existaient naguère avaient évidemment des objectifs sociaux et économiques bien spécifiques. Mais il est évident aussi qu'ils ont eu des répercussions imprévues et nuisibles sur l'environnement.

Il faut également noter que de nombreux témoins ont également soulevé ce problème; toutefois, il faut prendre garde à la façon dont on définit le terme «subvention». Je répète que le CCCE s'est toujours opposé aux cadeaux faits aux entreprises. Comme l'ont prouvé nos différends commerciaux avec les États-Unis, les subventions sont souvent définies comme étant le cadeau que l'autre reçoit. Étant donné la grande propension qu'ont les intérêts commerciaux américains à invoquer leurs lois pour harceler les producteurs canadiens et d'ailleurs en criant aux subventions, il est très important que votre comité utilise avec grand soin le terme «subvention».

Comme l'a déjà signalé M. Plourde, il existe toute une gamme de dépenses dites fiscales dont l'importance est connue du comité, mais qui doivent être traitées autrement que ce que l'on appelle communément les subventions.

Passons maintenant aux instruments économiques qui, comme l'a expliqué Robert Gale, ne sont pas un phénomène nouveau. Toutefois, nous ne semblons pas avoir fait beaucoup de progrès de ce côté-là: en effet, nous ne semblons pas être capables de comprendre quels peuvent en être les avantages ni de savoir comment les appliquer dans des cas où ils pourraient se révéler bénéfiques à la fois pour l'environnement et pour l'économie. Soyons clairs: les gens d'affaires canadiens reconnaissent qu'il est nécessaire d'intégrer l'environnement aux décisions économiques.

.1615

Le Canada a fait beaucoup de progrès en matière d'environnement, comme l'a souligné l'OCDE dans un de ses rapports publiés il y a à peine quelques semaines. Une équipe d'évaluation indépendante de l'Organisation de coopération et de développement économiques a visité le Canada, rencontré de nombreux représentants gouvernementaux d'un océan à l'autre et publié un examen très objectif du rendement du Canada en matière d'environnement.

Si vous ne lisez que les comptes rendus médiatiques du document, vous obtiendrez une fausse idée des progrès accomplis par le Canada sur plusieurs plans en matière d'environnement. Toutefois, il va de soi qu'il y a encore beaucoup de chemin à faire. Pour beaucoup de gens d'affaires, il s'agit de se demander si les instruments économiques et la prétendue réforme écofiscale pourront ou non nous aider à faire encore plus de progrès, et jusqu'à quel point, là où les problèmes persistent.

L'idéal, ce serait bien sûr de trouver des solutions qui réduiraient la pollution et le gaspillage tout en rendant les entreprises plus concurrentielles. C'est la raison, plus que toute autre, pour laquelle beaucoup de gens d'affaires veulent explorer plus à fond la possibilité d'utiliser des instruments économiques.

J'ai déjà dit plus tôt que la notion n'était pas nouvelle. Le principe du pollueur-payeur remonte au début des années soixante-dix, à l'époque où l'OCDE l'adoptait officiellement comme principe. En termes très simples, on entend par ce principe que ceux qui polluent devraient assumer les frais de toute mesure s'avérant nécessaire pour remettre l'environnement dans un état acceptable.

Il va également de soi que l'intérêt que l'on pourrait avoir à utiliser les instruments économiques vient notamment du fait que l'on reconnaît aujourd'hui que l'approche réglementaire directe traditionnelle n'a pas toujours donné de bons résultats dans le secteur de l'environnement. Cette réglementation directe peut être très lourde. Elle exige d'énormes ressources de la part du gouvernement et de l'industrie, ce qui coûte très cher aux consommateurs; de plus, cette réglementation directe a trop souvent dans le passé dicté l'adoption de solutions aux points de rejet plutôt que l'adoption d'approches plus innovatrices qui auraient pu empêcher la pollution au départ.

Toutefois, notons également que les instruments économiques ne sont pas nécessairement une fin en soi. Comme l'ont fait remarquer plusieurs témoins, ils ne sont qu'un des outils que renferme un coffre de plus en plus riche en méthodes et possibilités d'intervention dans le secteur de l'environnement. Il faudrait les utiliser comme complément d'intervention ou comme solution de rechange aux règlements, mais seulement lorsqu'ils sont appropriés au problème que l'on veut régler.

Il faut également qu'ils s'inscrivent dans une stratégie globale permettant au gouvernement de se fixer de grands objectifs environnementaux. Les instruments économiques peuvent alors devenir un moyen plus efficace d'atteindre l'objectif environnemental convenu. Pour les gens d'affaires, ils sont des plus efficaces lorsqu'ils incitent les industriels à modifier leur façon de faire pour trouver des façons innovatrices de réduire la pollution et les émissions ou pour éviter l'apparition du problème au départ.

Le fait est que le Canada a eu rarement recours aux types d'instruments économiques que je viens de décrire. Les gouvernements ont jusqu'ici trop souvent imposé des tarifs d'utilisation en les faisant passer pour des instruments économiques, et les ont ajoutés à des règlements gouvernementaux déjà existants, ce qui a bien sûr entraîné un certain cynisme chez les consommateurs et les gens d'affaires.

Comme l'a signalé Robert Gale, c'est en Europe et aux États-Unis qu'on a le plus facilement recours aux instruments économiques. Ainsi, nombre d'études démontrent que le recours à des permis de polluer négociables aux États-Unis a permis l'élimination du plomb dans l'essence beaucoup plus rapidement et à moindre coût que si l'on avait imposé des règlements. À mon avis et de l'avis de nombreux gens d'affaires, ces permis et droits d'émissions négociables pourraient être très prometteurs dans certains cas au Canada.

Passons maintenant rapidement à la réforme écofiscale, que M. Gale vous a déjà décrite et qui, comme il l'a souligné aussi, n'est pas non plus une notion nouvelle, même si elle est beaucoup plus d'actualité aujourd'hui qu'elle ne l'a jamais été. Comme il vous l'a expliqué, il s'agit de remodeler le système fiscal et de moins imposer les phénomènes positifs comme les épargnes et le capital, pour imposer plutôt les phénomènes nocifs, comme la pollution et les déchets.

Je n'ai pas à vous dire que toute nouvelle taxe sera difficile à négocier du point de vue politique au Canada comme ailleurs. C'est justement pourquoi ceux qui ont prôné la réforme écofiscale ont parlé d'une taxe n'ayant aucune incidence sur les recettes: autrement dit, l'imposition de toute nouvelle taxe devra être compensée par la réduction d'autres taxes. Cette mesure est destinée à la rendre plus acceptable d'un point de vue politique, mais également à faire en sorte que cette nouvelle taxe ne nuise pas à la compétitivité des entreprises canadiennes.

.1620

Bien qu'une réforme écofiscale soit intéressante du point de vue théorique et qu'il vaille la peine de l'étudier avec soin, je m'en voudrais de ne pas vous signaler qu'elle sera extrêmement difficile à mettre en pratique. Nous devrions être conscients de ces difficultés avant de voir la réforme écofiscale comme la voie de l'avenir.

J'aimerais signaler certaines de ces difficultés. Je l'ai déjà dit, une réforme écofiscale tient pour acquis que les taxes peuvent modifier le comportement humain. Je ne sais si M. Plourde est d'accord ou pas, mais les économistes ont de tout temps affirmé que l'objectif d'une taxe, ce n'est pas de modifier le comportement, mais tout simplement d'accroître les recettes gouvernementales.

La notion de la réforme écofiscale se fonde sur l'hypothèse que nous aurons moins recours à une ressource ou à un produit si son prix est plus élevé. Je n'ai pas besoin de vous dire que ce principe ne vaut pas nécessairement pour tous les produits. En effet, nombreux sont les systèmes fiscaux élaborés au Canada et ailleurs qui se fondent sur l'hypothèse que les gouvernements peuvent continuer à imposer des produits tels que le tabac et l'alcool, tout simplement parce que la demande continuera à être très élevée, de sorte que les taxes continueront à rapporter beaucoup au gouvernement.

Lorsque l'on parle de l'opportunité d'une réforme écofiscale, on donne souvent l'exemple des taxes sur l'essence ou sur le combustible. Toutefois, étant donné les grandes fluctuations dans le prix de l'essence, on peut véritablement se demander si de faibles augmentations des taxes sur l'essence pourront effectivement influer sur le comportement du consommateur et, plus important encore, sur ses habitudes de conduite qui, nous le savons, contribuent énormément aux divers problèmes environnementaux.

Mais il est un facteur encore plus important à cet égard: si l'imposition de ces nouvelles taxes et de ces nouveaux droits réussissent effectivement à modifier le comportement, il va de soi que ces sources traditionnelles de recettes pour le gouvernement pourraient se tarir. Si le gouvernement réussit à inciter la population à utiliser moins un produit et à investir dans moins d'activités polluantes, les recettes qu'il aurait pu anticiper à partir de ces nouvelles taxes ne pourront que décliner au fil des ans. Le gouvernement se verra peut-être obligé d'imposer de nouvelles taxes encore pour compenser cette diminution de ces recettes. Clairement, le débat n'est pas près d'être clos.

M. Gale vous a expliqué ce qui se passait en Europe: j'aimerais signaler que même si les Européens ont fait preuve d'innovation en imposant beaucoup de nouvelles taxes, il est également vrai que plusieurs d'entre elles ont mis en lumière les difficultés que je viens justement de vous signaler pour ce qui est de leur acceptation par le consommateur, de la compétitivité des entreprises à l'échelle internationale et des exemptions que l'on a dû accorder à toute une gamme d'intérêts individuels. Vous voyez qu'il s'agit d'un sujet extrêmement complexe et qui exige une réflexion à long terme.

Laissez-moi maintenant vous suggérer quelques mesures possibles.

Tout d'abord, comme je vous l'ai déjà signalé, le CCCE et plusieurs autres organisations de gens d'affaires ont déjà dit publiquement qu'ils appuyaient toute réduction supplémentaire des subventions aux entreprises.

Deuxièmement, je conviens avec M. Plourde qu'il est nécessaire d'effectuer cette étude de base dont tout le monde parle. Mais je soulignerais qu'elle doit analyser le régime fiscal et les divers subventions et incitatifs fiscaux du point de vue du développement durable à la lumière des objectifs économiques et environnementaux à atteindre.

Comme l'a signalé M. Plourde, il faut qu'une analyse de ces divers stimulants et obstacles soit effectuée par les ministères du gouvernement, à l'interne, en collaboration avec des spécialistes de plusieurs domaines, dont certains représenteraient évidemment le monde des affaires et le milieu environnemental. Il va de soi qu'il faut aussi être très au courant de ce qui se fait actuellement à l'OCDE là-dessus.

Une ou deux suggestions plus spécifiques. Comme je l'ai déjà dit, les programmes de droits de pollution négociables pourraient être très prometteurs au Canada. Plusieurs gens d'affaires se sont dit frustrés par le peu de progrès effectués dans ce domaine, et il serait peut-être très utile que votre comité recommande la mise sur pied d'un projet pilote en ce sens. Le Groupe d'étude sur les instruments économiques, présidé par M. Plourde, et le collectif des instruments économiques de 1993 dont votre comité a certainement entendu parler, ont présenté plusieurs idées innovatrices à ce sujet.

.1625

Enfin, une réflexion plus personnelle: il est grand temps que l'on étudie les instruments que sont les redevances sur les émissions ou un droit de produire, par exemple. Il est temps de démonter les rouages de ces mécanismes pour voir comment cela pourrait fonctionner s'il y aurait moyen de les utiliser.

Il faudrait évidemment respecter certains critères à cet égard, et tenir compte, par exemple, de l'efficience économique et de l'efficacité environnementale de la mesure, de l'équité des diverses régions du Canada, des incidences sectorielles et se demander qui paiera le prix au bout du compte. Enfin, comme je l'ai déjà dit, il faudra prendre en considération l'incidence possible de l'un ou l'autre de ces instruments sur la compétitivité à l'échelle internationale.

Merci, monsieur le président. Je répondrai avec plaisir à vos questions.

Le président: Merci. Vous nous avez donné amplement matière à réflexion, et je suis sûr que les membres du comité sont prêts à vous poser des questions.

Commençons par M. Forseth.

M. Forseth (New Westminster - Burnaby): Monsieur Dillon, vous nous avez présenté la perspective des gens d'affaires. Nous avons entendu beaucoup de théories frisant l'ésotérisme, en cours de route, mais vous, pour votre part, expliquez à quel point il est difficile de concrétiser une idée dans la pratique et de la mettre en oeuvre pour qu'elle donne le résultat escompté au départ.

Je suis d'accord avec la nécessité d'effectuer une analyse à long terme, mais que faites-vous du court terme? Que nous proposez-vous de faire à court terme, entre-temps? Le cycle budgétaire de cette année avance. Que peut faire le gouvernement fédéral? Vous avez mentionné les permis négociables, et aussi suggéré d'imposer une taxe dont vous contrôleriez les paramètres pour en analyser les effets. Pouvez-vous nous en parler un peu plus et nous donner quelques idées pour le court terme, sans pour autant que l'on rejette l'idée d'une analyse à long terme?

M. Dillon: Je ne sais pas si je puis vous donner plus de détails que je ne l'ai fait. Mais en ce qui concerne les permis ou droits d'émission négociables, il y a eu deux suggestions émises par le Groupe de travail sur les instruments économiques et ce que l'on a appelé le Collectif des instruments économiques, parrainé par la Table ronde nationale en 1993: il s'agissait de contrôler les émissions d'anhydride sulfureux pour diminuer les dépôts acides, d'une part, et, de limiter l'oxyde nitreux qui, nous le savons, contribue au smog urbain, d'autre part.

Un des problèmes, pour le groupe de travail, c'est qu'à strictement parler, ces questions ne relèvent pas de la compétence fédérale, mais des provinces. Par conséquent, tout ce que le gouvernement fédéral, ou même ce comité, pourrait recommander, exigerait leur coopération.

Sur une note plus positive, ce sont des domaines où beaucoup a déjà été fait sur les plans analytique et conceptuel, si bien qu'on pourrait y accomplir des progrès très rapides.

Enfin, en ce qui concerne l'élimination des subventions, j'ai déjà dit qu'il restait beaucoup à faire dans ce domaine.

M. Forseth: Vous dites que pour le court terme un travail de base important a déjà été effectué et que nous pourrions commencer... Vous parlez d'une sorte de taxe sur les émissions d'anhydride sulfureux et d'oxyde d'azote. Qu'est-ce que vous envisagez exactement, ajouter un régime différent?

M. Dillon: Excusez-moi, ce que j'ai suggéré, c'est un permis échangeable pour les émissions d'anhydride sulfureux et d'oxyde nitreux.

M. Forseth: Très bien. Pouvez-vous développer? Que pouvez-vous nous dire de plus au sujet des essais expérimentaux effectués sur une mesure donnée, et également la façon dont on peut contrôler les variables?

M. Dillon: Je crains de ne pouvoir vous donner un exemple précis, mais je crois que vous en trouverez dans le rapport du Groupe de travail sur les instruments économiques, des exemples qui méritent d'être approfondis. De toute évidence, c'est surtout avec le secteur concerné qu'il importe d'en discuter.

M. Forseth: J'aimerais avoir l'opinion des deux autres témoins au sujet du court terme. Je comprends la situation en ce qui concerne le long terme, mais vous connaissez la réalité des cycles gouvernementaux, des budgets, et les gens qui regardent ce programme voudront sans doute compléter la théorie par des exemples pragmatiques. L'un d'entre vous pourrait-il répondre aux mêmes questions?

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M. Gale: On parle souvent de l'harmonisation des taxes au Canada et aux États-Unis; dans ma documentation, je vous ai soumis un formulaire où l'on voit les taxes environnementales américaines sur les produits chimiques, y compris les produits chimiques qui attaquent la couche d'ozone. Sur cette base, on pourrait chercher des solutions. C'est une occasion de reconsidérer cette mesure. Je ne peux vous dire si cela se fait ou pas, mais ce qui me frappe, c'est que grâce à cette taxe sur les produits chimiques qui attaquent l'ozone, les États-Unis ont recueilli un milliard de dollars. C'est donc très efficace, c'est plus qu'on aurait pu accomplir par réglementation.

Je me demande si ce tableau fiscal pourrait s'appliquer dans le cadre de la politique financière canadienne? Est-ce qu'on ne pourrait pas faire quelque chose de ce genre dans le prochain budget?

M. Forseth: Je vois que vous nous avez donné un exemple concret. Voilà le formulaire d'impôt 6627. J'imagine que ce formulaire est envoyé aux raffineries.

M. Gale: C'est un formulaire qui est envoyé à toutes les entreprises américaines qui fabriquent ou qui entreposent des produits chimiques dans leurs locaux. Par exemple, prenez le chlore à la première page, qui est taxé au taux de 2,70$ la livre à l'entrepôt. Il faudrait que je consulte mes notes pour voir en détail comment cela s'applique. L'intérêt de ce tableau, c'est que c'est déjà calculé d'avance.

Si nous nous intéressons à l'harmonisation, voilà une occasion toute trouvée d'harmoniser. On dit souvent que certaines mesures sont impossibles parce que les États-Unis ne font pas la même chose. Voilà une chose que les États-Unis font et que nous pourrions imiter.

M. Forseth: J'imagine que les taux et les chiffres étant différents pour chaque substance, il a fallu procéder à des études approfondies avant de déterminer que telle substance est taxée à 4,45$ et telle autre à 3,41$.

M. Gale: C'est exact.

M. Forseth: D'accord. Merci, monsieur le président.

Le président: Nous entendons maintenant Mme Kraft Sloan; je vous en prie.

Mme Kraft Sloan (York - Simcoe): Je suis désolée d'avoir raté la majeure partie de votre intervention, monsieur Plourde. Malheureusement, aujourd'hui, les affaires de la nation l'emportent sur les affaires du comité. Cela dit, c'est une intervention que j'ai trouvé très intéressante car elle a permis une discussion approfondie, non seulement de la théorie et des aspects déontologiques, mais également d'exemples bien précis.

En ce qui concerne la réforme écofiscale, il y a plusieurs façons de considérer et de concevoir le système fiscal. Quand on dit que le système fiscal ne suffit pas à changer les comportements, ce n'est pas forcément vrai. Par exemple, le régime enregistré d'épargne-retraite est administré dans le cadre du système fiscal et beaucoup de Canadiens utilisent ce moyen pour économiser en prévision de leur avenir. En fait, le gouvernement subventionne ce régime à raison de 14 milliards de dollars, ce qui est très important.

Par ailleurs, en même temps que la réforme écofiscale, il faudrait peut-être envisager d'autres aspects. Par exemple, si certains secteurs ou certains procédés se traduisent par des coûts supplémentaires, on pourrait alimenter un autre programme pour donner au public d'autres possibilités. Dans le secteur de l'énergie, une partie de cet argent pourrait être canalisée vers les autres formes d'énergie, ce qui donnerait un choix aux gens. En faisant appel à d'autres méthodes, ils changent de comportement.

En outre, même si les revenus tirés de la réforme écofiscale diminuaient parce que les gens polluaient moins, ce serait tout de même une économie pour le gouvernement. Les revenus diminuent, mais les dépenses diminuent également, en particulier les travaux de remise en état de l'environnement et les coûts dans le secteur de la santé.

Ce sont donc des choses sur lesquelles je ne suis probablement pas tout à fait d'accord.

Cela dit, monsieur Dillon, j'aimerais savoir ce que le Conseil canadien des chefs d'entreprises pense de la méthode de capitalisation du coût entier, en tenant compte des effets externes.

M. Dillon: Notre organisme n'a pas pris position sur la méthode de capitalisation du coût entier. Je peux vous dire toutefois que dans notre secteur, plusieurs personnes se sont penchées sur cette question et, comme c'est le cas dans d'autres domaines, comme la réforme écofiscale et les instruments économiques, les opinions sont variées parmi les chefs d'entreprises.

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Pour un pays comme le Canada, il faut tenir compte de plusieurs considérations. Tout d'abord, quand vous parlez de capitalisation du coût entier, que voulez-vous dire? Jusqu'où cela va-t-il? Quels sont les coûts qui entrent dans le calcul: la totalité des coûts sociaux, économiques et environnementaux?

Je vous avouerai que certaines théories au sujet de la méthode de capitalisation du coût entier ont tout pour effrayer les gens d'affaires. En fait, si on essayait de calculer véritablement tous ces coûts, d'assigner une valeur à tous ces éléments et de calculer les prix sur cette base-là, cela aurait tout pour effrayer les consommateurs également.

Cela dit, et je le répète, la plupart des gens dans notre secteur acceptent le principe du pollueur-payeur. Autrement dit, celui qui pollue doit s'assurer qu'il remet en état l'environnement d'une façon acceptable. Évidemment, il faut ensuite déterminer ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas, c'est un débat qui dure depuis des années et qui n'est pas prêt de s'arrêter.

La méthode de capitalisation du coût entier est une idée théorique qui, sur le plan pratique, comprend tout ce que j'ai mentionné tout à l'heure au sujet de la concurrence internationale. C'est particulièrement vrai pour un pays comme le Canada qui, dans une large mesure, fonde sa richesse économique sur un certain nombre de produits tirés de ses ressources naturelles.

Mme Kraft Sloan: Prenez un pays comme l'Allemagne où les fabricants d'automobiles ou de postes de télévision sont responsables non seulement des procédés de fabrication de ces produits, mais également de la récupération de ces produits une fois que les consommateurs ont fini de les utiliser. Autrement dit, au départ, l'idée de la prévention de la pollution est intégrée à la production, parce qu'il faut s'assurer que toutes les composantes de la production sont faciles à récupérer, à séparer. Cela représente une valeur, c'est l'ensemble du processus qui compte.

Je suis convaincue des vertus du marché libre, mais d'un autre côté, je ne pense pas que ce marché fonctionne efficacement tant qu'on ne tient pas compte de tous les coûts. Si vous prenez le marché libre qui existe actuellement, vous verrez qu'il manque de maturité. J'aimerais savoir ce qu'en pensent les autres témoins, pas seulement M. Dillon.

M. Plourde: Nous demandons peut-être au marché libre plus qu'il ne peut nous donner. S'il n'existe pas de marché des permis de pollution, par exemple, ou quelque chose d'équivalent, il ne peut pas tenir compte de ces coûts-là, ce qui est regrettable.

Il se trouve qu'un des facteurs de la production s'appelle l'environnement, mais c'est une produit qui ne peut ni s'acheter, ni se vendre. C'est tout de même un facteur, c'est un facteur qu'on utilise. Dans ce sens-là, l'État doit intervenir et travailler en collaboration avec le marché pour corriger ce genre de situation. Évidemment, le problème c'est qu'à ce jeu-là il y a toujours des gagnants et des perdants. Du jour au lendemain, on demande aux gens de payer pour quelque chose qu'ils ne payaient pas auparavant. C'est une situation difficile.

Dans cette discussion, il y a une comparaison qui me vient à l'esprit. Lorsque le FMI et la Banque mondiale interviennent dans un pays en voie de développement et décident qu'il est temps pour ce pays-là d'effectuer des ajustements structurels à son économie, ils ne s'attardent pas sur la question de savoir combien de temps cela prendra ou combien d'informations doivent d'abord être recueillies. Ils appliquent des règles bien précises. D'une certaine façon, ce comité, ou quelqu'un d'autre, aurait peut-être intérêt à appliquer des règles fondamentales de cette façon, à dire aux gens: vous devez faire telle et telle chose.

La notion de compétitivité à l'échelle internationale revient vous hanter du point de vue du FMI. Nous ne pouvons pas logiquement imposer ce genre de choses à des pays en voie de développement si nous ne sommes pas prêts à le faire nous-mêmes.

M. Gale: Je vais peut-être alimenter la controverse, mais d'après ce que je sais de l'industrie, elle ne veut pas être réglementée, et lorsqu'on lui impose une réglementation, elle réclame une démarche volontaire ou des instruments économiques. Quand elle découvre l'impact véritable des instruments économiques - méthode de capitalisation des coûts entiers, etc. - elle s'aperçoit qu'elle ne veut pas de cette solution non plus parce que c'est tout aussi douloureux. Elle se tourne alors vers la démarche volontaire, et elle tient à se charger de l'appliquer elle-même. À ce moment-là, on a bouclé la boucle et le gouvernement est forcé de constater les manquements du marché et de revenir à la réglementation.

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À mon avis, on a besoin de ces trois séries d'instruments: démarche volontaire, réglementaire et instruments économiques. Mais la solution pour rassurer l'industrie sur le plan de la concurrence, de la rentabilité, etc., est d'élaborer des stratégies de transition, de déterminer où cela fait mal et de recycler les revenus de manière à faciliter la transition.

D'après ce que j'ai pu lire, en présence d'un signal simple, un signal qui se maintient et reste inchangé pendant une certaine période, l'industrie finit par comprendre qu'elle doit internaliser ses coûts et effectuer des ajustements, et elle finit par comprendre que cela peut se faire sans trop de mal. Et lorsque cela fait mal, les stratégies de transition sont une solution.

Je préfère parler d'internalisation des coûts plutôt que de capitalisation du coût entier. À mon avis, il est plus facile de convaincre les gens quand on parle d'internalisation des coûts. La capitalisation du coût entier, comme M. Dillon vous l'a dit, provoque certaines hantises qui ne sont pas toujours faciles à dissiper, mais par contre, il est plus facile de fournir des explications quand on parle d'internalisation des coûts.

M. Reed (Halton - Peel): Ce qui est durable pour une personne est souvent déchéance pour une autre. Si c'est votre boeuf qu'on mène à l'abattoir, votre point de vue est différent. Tout le monde n'a pas la même vision de l'environnement, la même vision de l'impact qu'ont les choses sur l'environnement.

B.C. Hydro a essayé de prendre le taureau par les cornes dans certains domaines, comme la capitalisation du coût entier. Ils ont publié un livre qui est en réalité une invitation à soumettre des propositions pour le développement hydroélectrique de la Colombie-Britannique. Ils ont même essayé de quantifier financièrement les impacts environnementaux. Autrement dit, quand on construit une centrale nucléaire, les coûts augmentent à cause des déchets nucléaires. Que faut-il faire de ces déchets, et quelle est leur incidence sur le coût de l'énergie électrique? Si c'est une centrale qui brûle du charbon et qui libère tant de tonnes de soufre dans l'environnement... Ils ont donc essayé de déterminer, de quantifier tous ces éléments-là.

Je ne sais pas quel succès ils ont remporté jusqu'à présent, mais en tout cas, ils ont déblayé le terrain en ce qui concerne les diverses options pour la production d'électricité. Dans les provinces qui insistent beaucoup sur des préoccupations environnementales qui ne devraient peut-être pas être des préoccupations, on continue à voir...

Si je cite surtout l'exemple de l'énergie hydroélectrique, c'est que ce secteur m'est particulièrement familier. Un des problèmes du développement hydroélectrique, c'est que Dieu n'a jamais fait une chute d'eau qui soit laide à regarder. Si on la compare à d'autres options, c'est peut être la méthode de production d'énergie qui a le moins d'impact sur l'environnement, mais cela préoccupe tout de même les gens. D'autres forces viennent donc déranger notre conception de ce qui est durable.

Nous nous débattons avec ce terme «durable» depuis un certain temps. Je ne sais pas si le terme est bien choisi, mais il me semble que certaines entreprises humaines sont plus durables que d'autres, et que certaines entreprises pourraient devenir plus durables qu'elles ne le sont actuellement.

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Par exemple, à l'époque où le raffinage du pétrole en était à ses débuts, on déversait la gazoline dans les ruisseaux parce que c'était considéré comme un déchet non utilisable. À l'époque, ce qui intéressait l'industrie, c'était les vertus lubrifiantes des composantes plus visqueuses. L'industrie a souvent eu l'occasion de changer sa façon de voir du tout au tout, de changer ses procédés. Par exemple, l'eau qui sort d'une raffinerie est souvent plus potable que l'eau qui y entre. On a donc fait des progrès.

Est-ce que nous devons coter la durabilité? Faut-il définir une échelle?

M. Dillon: Contrairement à mon collègue, M. Gale, je ne pense pas que la première réaction de l'industrie soit de décider que les instruments économiques vont coûter trop cher et qu'ils préfèrent une autre solution.

Vous avez parfaitement raison. En plus de B.C. Hydro, je connais plusieurs autres industries et compagnies qui cherchent à internaliser leurs coûts, ne serait-ce que pour se faire une idée plus précise de leur propre situation. Si elles le font, ce n'est pas parce que le gouvernement les y oblige, ou encore parce qu'un fonctionnaire va fixer le coût de quelque chose, mais parce que la compagnie ou l'industrie elle-même essaie de mieux comprendre les coûts de divers produits, sous-produits et émissions, et de déterminer quelles sont les options. Cet exercice a déjà convaincu plusieurs compagnies d'électricité et compagnies de produits chimiques de changer leur attitude, de reconnaître l'existence de problèmes et de chercher les solutions possibles.

Pour répondre à votre question, j'imagine que si vous demandiez à dix Canadiens quelles sont les priorités environnementales et quelles sont les activités les plus durables, vous auriez dix réponses différentes. Dans une certaine mesure, nous sommes le produit de notre expérience et de nos habitudes. Ce qui me semble durable, les activités industrielles qui me semblent les plus durables, les choix qui me semblent préférables sur le plan de la consommation, tout cela ne coïncide pas forcément avec la position de quelqu'un d'autre.

C'est un débat qui est déjà bien amorcé dans le pays, un débat qui va se poursuivre. Sur le champ de bataille de l'opinion publique, les gouvernements doivent faire des choix et arrêter des priorités sur le plan de l'environnement. Il y a tout de même un élément positif, car plusieurs industries, comme je l'ai déjà dit, relèvent déjà ce défi de façon interne. Elles redéfinissent l'ensemble de leurs activités et elles essaient de comprendre les conséquences des règlements du gouvernement et des exigences des consommateurs.

Qu'il s'agisse des industries chimiques, de la production de chlore, des industries de pâtes et papiers ou de l'énergie nucléaire, il faut bien comprendre que ce sont des facteurs qui auront un impact certain sur l'ensemble de l'industrie dans les années à venir. C'est tout simplement une pratique commerciale saine que d'essayer de comprendre les impacts de ces facteurs-là et s'y préparer.

Le président: Monsieur Steckle.

M. Steckle (Huron - Bruce): Je vous remercie d'être venus. Ce que vous dites m'a beaucoup intéressé, mais à mon avis, c'est un sujet dont nous pourrions discuter pendant très longtemps.

Nous vivons dans un environnement économique différent de ce qu'il était il y a un certain nombre d'années. En tant que gouvernements - et nous faisons partie du gouvernement - , nous allons trouver plus difficile d'attacher des taxes à certaines mesures et objectifs éventuels. Pensez-vous qu'il serait plus facile de le faire si ces taxes étaient cachées ou serait-il préférable qu'elles soient visibles? Nous savons que les citoyens ne prisent guère les impôts sur les sociétés ou les revenus, et c'est pourquoi nous avons essayé de dissimuler certaines taxes. Pensez-vous que le gouvernement est mieux servi s'il prélève ses impôts de façon directe ou indirecte? Qu'en pensez-vous?

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M. Dillon: Je peux vous répondre en fonction de la perspective qui est la mienne. Je crois que les taxes devraient être visibles. Nous faisons partie de ceux qui préconisaient la visibilité de la TPS alors qu'un grand nombre de personnes proposaient qu'elle soit cachée.

Si l'objectif de nouvelles taxes est d'aider les gens à comprendre quels sont les véritables coûts environnementaux et autres des produits ou services qu'ils utilisent, je ne pense pas qu'on atteindra cet objectif en cachant la taxe. Lorsqu'ils achètent un produit, il faut que les consommateurs comprennent que non seulement une taxe s'applique, mais si nous décidons de choisir cette option, ils doivent aussi comprendre qu'elle s'applique pour des raisons environnementales précises.

Les contribuables doivent comprendre que la taxe a un but. Depuis de nombreuses années, le gouvernement prélève un certain nombre de taxes, notamment la taxe sur les pneus, mais il n'a jamais rien fait pour régler le problème de l'accumulation des vieux pneus. Il est donc très facile d'alimenter le cynisme des consommateurs au sujet des taxes environnementales à moins que ces derniers voient vraiment qu'on se sert de cet argent pour résoudre un problème environnemental.

M. Plourde: En ce qui concerne la réaction des consommateurs et des producteurs à un changement de prix, peu importe, à mon avis, que la taxe soit visible ou cachée. Dans ce contexte, j'estime que c'est sans importance. Il sera peut-être plus difficile politiquement de faire accepter une taxe visible, mais elle est beaucoup plus propice à la reddition de comptes. Les citoyens connaissent le pourquoi de la taxe, mais au bout du compte, pensez-vous que les gens achètent moins tel ou tel produit en raison de la TPS? Je ne pense pas que cela compte. En bout de ligne, j'estime qu'il importe peu que la taxe soit visible ou non. Cependant, du point de vue de la responsabilité financière, cela a énormément d'importance.

M. Gale: Je pense que nous sommes témoins d'un mouvement des taxes directes vers les taxes indirectes. Je crois en la visibilité. Je pense qu'il est important de savoir ce pourquoi on est taxé.

Il y a d'autres secteurs de l'économie où l'on pourrait prélever des taxes, et je songe à une variante de la taxe Tobin. Il nous faut trouver un moyen d'imposer des facteurs externes que nous ne pouvons atteindre par l'entremise du système de marché. Je trouve plutôt curieux qu'il y ait plus d'argent en circulation à l'heure actuelle dans la société que jamais auparavant, et pourtant, nous croulons sous des déficits et des dettes publiques considérables et il y a moins d'argent pour les programmes et les services gouvernementaux.

Lorsque l'indice industriel Dow Jones a franchi la barre des 5 000 points, il m'est apparu qu'il fallait imposer des frais de transaction sur la vente d'actions. Je ne parle pas en l'air. Je suis un petit investisseur, mais c'est un marché qui m'a été favorable. Je suis un capitaliste en ce sens, mais je serais tout à fait disposé à ce qu'on prélève des frais de transaction pour régler ce problème des facteurs externes.

À mon avis, nous avons besoin de mécanismes d'envergure pour imposer ces facteurs externes, et cela représente des milliards de dollars. Quiconque ne pense pas en termes de milliards de dollars devrait réviser ses chiffres dans une proportion de 10 ou de 100.

M. Steckle: M. Dillon a dit tout à l'heure que nous ne prélevons pas des impôts pour modifier le comportement des contribuables, mais plutôt pour recueillir des recettes. Permettez-moi de citer des exemples. Lorsque la TPS est entrée en vigueur, elle a provoqué un certain nombre de choses sur le marché. Comme les représentants du secteur immobilier vous le diront, les gens ont cessé d'acheter des maisons neuves au profit de maisons plus anciennes. En raison de cela, l'industrie a connu un déclin considérable. Il y a donc eu une réaction précise à cette taxe en particulier. Sans compter que des millions et peut-être des milliards de dollars ont pris le chemin de l'économie souterraine.

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Prenez la taxe sur la cigarette et mesurez son incidence. Que s'est-il passé lorsqu'on a réduit la taxe? Certains diraient que plus de gens fument alors que d'autres diraient que ce n'est pas le cas. Mais le fait est que les fluctuations de cette taxe ont eu une incidence directe sur ce secteur.

Le président: Un instant. Veuillez garder à l'esprit le mandat qui est le nôtre lorsque vous posez cette question.

M. Steckle: L'autre jour, nous avons accueilli les représentants d'associations agricoles. Lorsqu'on constate que certaines taxes sont appliquées en dépit du fait qu'il est impossible pour les intervenants agricoles, les producteurs, d'ajouter ce coût supplémentaire à leurs produits et ce, simplement parce que quelqu'un, au gouvernement ou ailleurs, a appliqué le principe selon lequel il faut taxer certaines choses...

D'après ce que j'ai entendu ici, il semble que les accords internationaux en matière d'environnement influencent énormément la formulation de la politique environnementale d'un pays. Lorsque nous adhérons à ce genre d'initiative, je pense qu'il est important de ne pas créer de fardeau indu pour certains secteurs de notre société.

M. Dillon: Avec votre permission, monsieur le président, je voudrais corriger une impression fausse que mes propos auraient pu créer. Je ne voulais pas dire que nous ne concevons jamais des taxes pour modifier le comportement. Manifestement, nous l'avons fait et nous continuerons de le faire. Je voulais tout simplement dire qu'un grand nombre des taxes dont nous avons parlé n'ont pas été conçues dans ce but.

Si nous voulons commencer à créer de nouvelles taxes pour modifier le comportement, il faudra réfléchir au moyen de nous y prendre, sans compter qu'il faut nous demander si on réussira effectivement à modifier le comportement. Comme je l'ai dit, si ces taxes provoquent un changement de comportement, il faut déterminer leur incidence sur l'assiette fiscale. Je ne sais pas si mes collègues voudront commenter ce point ou l'autre question que vous avez soulevée.

M. Plourde: Je m'excuse auprès de vous tous. Je dois partir sous peu, mais j'aimerais auparavant intervenir sur ce point.

Qu'elles aient été conçues dans ce but ou non, les taxes modifient le comportement. Voilà pourquoi nous disons qu'elles sont sources de déformation. Que déforment-elles? Elles déforment le comportement. Et c'est ça l'important. Qu'elles soient conçues pour altérer le comportement ou pour le modifier, nous affirmons que les taxes ont un effet de distorsion, la signification précise de ce terme étant «de nature à changer le comportement». En jargon économique, c'est habituellement parce que ces facteurs modifient les prix relatifs, etc.

En un sens, nous devons commencer à admettre que ce phénomène se produira que cela nous plaise ou non. À ce moment-là, il faudra décider si nous voulons de ces effets secondaires. Les taxes en question nous permettront-elles d'atteindre le but visé? Existe-t-il des mécanismes plus efficaces d'atteindre nos objectifs et faut-il s'inquiéter des effets secondaires?

Le président: On pourrait dire qu'un feu rouge a un effet de distorsion sur mon désir d'aller vite sans m'arrêter et me force à adopter une vitesse différente. Ce que vous appelez un facteur de distorsion pourrait être qualifié d'inconvénient peut-être, mais cela ne provoque pas nécessairement une distorsion du comportement - un changement de comportement peut-être, mais pas une distorsion. Franchement, qui va décider de ce qu'est une non-distorsion?

Avant que vous ne partiez, nous devons vous interroger au sujet de quelque chose de plus urgent. Voilà pourquoi j'interviens maintenant pour vous demander si vous pouvez nous donner des conseils, outre que ceux que vous nous avez déjà donnés, sur les leçons que vous avez tirées à la suite du groupe de travail. Si on devait entreprendre une telle initiative, pensez-vous que ce serait une étude de base? À votre avis, dans quel délai pourrait-on la compléter?

M. Plourde: Tout dépend du mécanisme que vous choisissez et de l'ampleur des consultations. En un sens, une fois qu'un mandat précis est déterminé, il s'agit d'un exercice relativement simple. Une fois que les participants ont compris quels sont les objectifs de l'étude, il n'y a pas de problème à recueillir l'information. Il s'agit de s'entendre sur la méthodologie et d'aller de l'avant.

Cependant, j'estime qu'il faut faire des consultations pour être sûr d'aborder les bonnes questions. À mon avis, si vous commenciez en début d'année, il n'y a pas de raison que cela ne soit pas terminé pour les consultations budgétaires de 1997. Tout dépend de... Si vous envisagez demander à 100 personnes de faire une étude de base, vous pouvez attendre quelques années, elle ne sera pas encore prête.

.1700

Le président: Qui devrait être le chef de file?

M. Plourde: J'estime qu'il y a une certaine asymétrie quant à l'information disponible. À ce stage, je crois que les fonctionnaires des ministères gouvernementaux ont sans doute plus d'information sur toute une gamme de sujets que des intervenants de l'extérieur. Je pense donc que l'étude devrait être menée à l'interne, évidemment avec la participation de personnes de l'extérieur.

Le président: La prochaine question porte sur la composition. Tout à l'heure, vous avez parlé de deux paliers. Pouvez-vous nous dire plus précisément ce que vous entendez par là?

M. Plourde: Je pense qu'il faut établir une distinction entre l'étude elle-même, du début à la fin, et le fait qu'il faut faire des consultations au sujet des différentes questions, que ces questions que l'on juge importantes soient traitées par le biais d'un autre mécanisme. L'aspect critique devrait être officiellement distinct du travail de parachèvement de l'étude.

Si vous voulez entreprendre une étude de base, je vous recommanderais de la faire faire par un groupe relativement restreint de personnes bien informées. Une fois qu'il y aura un produit, une fois que les gens pourront lire un document et le commenter, servez-vous-en pour consulter une vaste brochette d'intervenants, sans nécessairement vous limiter à 37. À ce moment-là, il peut y avoir une certaine interaction. Après cet exercice de collecte d'information, il vous sera possible de réviser le document issu de l'étude et de le modifier.

Quiconque pense qu'en bout de ligne, il en sortira un document qui ralliera tout le monde, sera déçu. Cela n'arrivera pas. L'important, c'est de s'assurer que les questions auxquelles les participants sont sensibles sont traitées dans les paramètres de l'étude.

Le président: Serait-il utile que cette tâche soit confiée à l'extérieur du gouvernement?

M. Plourde: Je pense que la participation des employés gouvernementaux est essentielle car d'habitude, ces personnes ont facilement accès à davantage d'information que les employés d'établissements privés. C'est pour cette raison que je recommande à tout le moins une participation importante de l'intérieur. Je pense que vous prolongerez les délais si vous allez à l'extérieur du gouvernement. C'est une opinion personnelle.

Le président: Vous pensez qu'on ira plus vite en confiant la chose à une entité gouvernementale?

M. Plourde: Dans la perspective de la disponibilité de l'information, je crois que cette étude peut être réalisée plus efficacement au sein du gouvernement, avec la participation de personnes de l'extérieur, plutôt qu'en l'absence de participation d'employés gouvernementaux et un recours exclusif à l'extérieur.

Le président: Des études pourraient-elles être entreprises à l'extérieur, avec la participation du gouvernement?

M. Plourde: Oui.

Le président: Croyez-vous qu'une fois terminée, une étude de base devrait être révisée annuellement?

M. Plourde: Tout dépend de ce que l'on entend par étude de base. En l'occurrence, je crois qu'il s'agit d'une description du régime fiscal. Si le régime fiscal change, l'étude devrait être actualisée. Mais à moins que l'on ne constate que certaines questions n'ont pas été traitées, je ne vois pas la nécessité d'une mise à jour s'il n'y a pas de changement.

Le président: Les budgets successifs modifient la structure financière dans son ensemble, ce qui a sans doute une répercussion sur l'étude de base.

M. Plourde: Il faudra peut-être rendre le système plus automatique de sorte que lorsque des changements se produisent, un mécanisme nous permette de réviser l'étude de base afin de prendre en compte les effets des changements proposés. Ces changements pourraient se faire à l'interne et prendre la forme d'une annexe au budget, par exemple.

Je ne comprends pas cet argument du remaniement constant, parce qu'il faut maintenant concevoir une étude. On ne l'a jamais fait avant, tandis qu'une fois qu'il y a un consensus quant aux paramètres de l'étude, on peut se contenter de reprendre cette étude à un coût relativement beaucoup plus faible.

.1705

Le président: On a entendu dire qu'il y a une tendance à délaisser l'imposition du capital et des revenus pour imposer plutôt la consommation et l'énergie, mais surtout la consommation. Quelles sont vos réflexions là-dessus? Est-ce faisable dans notre économie qui dépend tellement de l'énergie? Quelles pourraient être les conséquences sociales de ce changement?

M. Plourde: Voilà bien des questions.

Premièrement, malheureusement, selon l'argument standard des économistes, s'il y a des personnes qui n'assument pas le coût entier de leurs activités, il faut faire un changement quelconque pour les obliger à assumer ce coût entier. Que cela s'appelle l'internalisation des coûts ou bien la comptabilisation du coût entier ou quoi que ce soit d'autre, il semble que ce soit une orientation souhaitable dans tous les cas de figure. Cela dit, est-ce qu'il s'ensuit que nous n'avons aucun besoin d'autres mécanismes de fiscalité? On ne saurait répondre à cette question avant d'avoir effectué cette réforme.

Le président: Je vais demander à mes collègues s'ils ont des questions à vous poser avant de vous laisser partir. Quelqu'un veut-il poser une question à M. Plourde?

Je vous remercie pour votre participation. J'espère que nous ne vous avons pas retenu trop longtemps.

M. Plourde: Merci, monsieur le président.

Le président: Avant de commencer une deuxième ronde, je m'excuse auprès de Mme Payne. Voudriez-vous poser des questions?

Mme Payne (St. John's-Ouest): Monsieur le président, j'avais seulement une brève question à laquelle on a d'ailleurs essentiellement déjà répondu. Mais je vais la poser.

On a parlé de la fiscalité et de la comptabilité du coût entier en termes d'énergie. Je me demande jusqu'où on peut aller. Je songe notamment au secteur minier et à l'extraction de minéraux qui sont des polluants; ils sont assurément utiles, mais ils polluent également. Dans ces secteurs, il faut payer une cotisation pour l'indemnisation des accidents du travail. Jusqu'où peut-on aller en termes d'internalisation des coûts?

M. Dillon: Il est difficile de répondre à cette question. J'ai essayé d'aborder ce point dans ma réponse à la question sur le coût entier. Il est évident que toute tentative visant à identifier et calculer tous les coûts serait non seulement extrêmement complexe et controversée, mais aboutirait probablement à un prix que beaucoup seraient incapables de payer.

C'est un enjeu particulièrement grave dans un pays comme le Canada où, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous dépendons tellement de l'extraction des ressources naturelles, notamment notre secteur minier. Il faut bien comprendre que la plupart des partisans de ce concept et beaucoup de gouvernements qui s'en sont faits les défenseurs sont loin de dépendre aussi étroitement que le Canada des ressources naturelles.

J'hésite à suggérer qu'il y a seulement des intérêts commerciaux en cause dans cette affaire. Mais il serait naïf de notre part de croire que ces gouvernements n'envisagent pas les choses sous l'angle de leurs propres intérêts commerciaux, sachant que leurs concurrents qui ont des coûts plus élevés dans ces secteurs seraient touchés très différemment. Il faudrait s'assurer que les taxes de ce genre, si jamais elles étaient appliquées, soient coordonnées sur la scène internationale, mais il est tout aussi important pour des pays comme le Canada de comprendre quelles en seraient les répercussions sur certains secteurs précis.

Par ailleurs, étant donné la structure économique du Canada et la concentration dans certaines régions de nos industries des ressources naturelles, il est évident qu'un système de ce genre... À moins d'inventer un système permettant d'absorber cet impact par la neutralité fiscale et d'autres mécanismes, si l'on ne peut concevoir pareils mécanismes de façon efficace et efficiente, alors on se retrouve dans une situation où le Canada pourrait subir le contrecoup de ce genre de programme.

Comme je l'ai déjà dit, l'idée que l'on se précipite dans cette direction ne fait pas consensus dans le milieu des affaires en raison du type de problèmes que j'ai mentionnés.

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M. Gale: Je vais répondre à la question concernant le recyclage des recettes. Si les régimes d'indemnisation des travailleurs sont coûteux pour les sociétés minières, alors nous pouvons transférer le fardeau fiscal aux éléments polluants, aux produits chimiques utilisés dans le processus d'exploitation minière. Nous pouvons essayer d'atteindre une certaine neutralité sur le plan des recettes, ou même accorder une sorte d'allégement fiscal, pourvu qu'au bout du compte leur efficacité environnementale s'améliore. Je pense qu'il est possible de le faire.

Mme Payne: Je pense que M. Dillon a déjà dit ce que je voulais dire - ou du moins c'est l'une des choses qu'il a dites, c'est-à-dire jusqu'à quel point cela affecte négativement notre compétitivité en fin de compte.

Merci, monsieur le président.

Le président: Monsieur Gale, voulez-vous répondre à ce commentaire?

M. Gale: Au sujet de la compétitivité? Il y a de nombreuses questions liées à la compétitivité; entre autres, quels sont nos concurrents. Je pense qu'en examinant quel est le niveau de compétitivité et en déterminant quels sont nos concurrents... Le problème de la compétitivité est-il dû au fait que la main-d'oeuvre coûte trop cher? Est-ce que le gisement de minerai n'est pas suffisamment riche pour générer des profits considérables? Faisons-nous concurrence à l'Indonésie ou au Chili?

Je pense qu'il y a de nombreuses questions dont il faut tenir compte ici et que dans certains cas la réponse est que nous ne pouvons faire concurrence de façon efficace. Nous devons accepter cela de la même façon que nous ne pouvons faire concurrence de façon efficace dans le secteur de l'imprimerie ou dans d'autres secteurs. Voilà ma réponse.

Le président: Très bien; alors nous allons commencer le deuxième tour de table.

M. Gale: Monsieur le président, si vous me le permettez, j'aimerais revenir sur les questions qui s'adressaient à M. Plourde. J'aurais quelques réponses à proposer à cet égard.

Le président: Allez-y.

M. Gale: Il s'agit de votre question au sujet d'une étude de base. Ce que je voulais dire, c'est que lorsque j'étais gestionnaire du bureau de la protection environnementale de Toronto, nous devions préparer un rapport sur l'état de l'environnement et un rapport sur l'état de la ville. Pour ce faire, nous devions déterminer une année repère en particulier pour fins de comparaison. Nous avons finalement choisi l'année 1988, parce que c'était l'année pour laquelle on semblait avoir considérablement d'informations.

Une bonne partie de l'information était incomplète, mais nous pensions que cela pouvait servir de point de départ. C'était en 1992. Nous avons donc utilisé les données de 1988 comme point de départ et préparé un rapport sur l'état de l'environnement pour 1988, en utilisant le plus d'indicateurs et le plus de données que nous pouvions obtenir pour cette année-là. Cela a naturellement déclenché un processus répétitif selon lequel la ville est maintenant en mesure de réviser périodiquement son rapport sur l'état de l'environnement et de l'améliorer au cours des années subséquentes.

J'ai l'impression qu'une étude de base sur les désincitatifs fiscaux serait le même genre de chose. Cette étude ne serait peut-être pas parfaite la première fois, mais on pourrait l'améliorer chaque année, ou périodiquement.

Je pense qu'il doit y avoir énormément d'informations disponibles. Je me rappelle le moment où le groupe de travail a été mis sur pied. Il y a dix ans, on a fait des efforts énormes pour examiner les dépenses publiques, et toutes sortes de documents ont été rédigés. Bon nombre de renseignements ont été générés à l'époque sur les subventions aux entreprises et à l'industrie, et j'ai même participé à la rédaction d'un rapport sur un aspect de la question à ce moment-là. Nous avons fait beaucoup de progrès depuis, mais il doit certainement y avoir énormément de renseignements disponibles.

J'ai l'impression que le modèle qu'il serait le plus logique d'utiliser est celui selon lequel le principal fournisseur de données serait le gouvernement, avec peut-être aussi certains intervenants de l'extérieur. J'hésite un peu à dire que les institutions de recherche auraient la capacité de faire ce genre de travail ou d'obtenir le type de coopération qui serait nécessaire. Si ce doit être un organisme de l'extérieur, j'imagine que l'une des grandes entreprises de comptabilité aurait peut-être plus de succès que certaines institutions de recherche pour faire une étude de cette nature, mais je ne propose pas ce modèle non plus. Je pense qu'il serait plus logique d'avoir un modèle selon lequel le gouvernement serait le principal intervenant.

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J'ai été frappé également au fil des ans par la façon dont le vérificateur général s'est montré intéressé par les dépenses publiques. Je me demande, ne sachant pas exactement en quoi consiste son mandat, si le vérificateur général pourrait participer à cet exercice dans une certaine mesure ou si le Bureau du vérificateur général pourrait participer à une enquête ou à une étude de base.

J'entends constamment parler de l'importance des ministères des Finances, des Ressources naturelles et de l'Environnement, etc., mais pour moi il serait absolument essentiel d'avoir également la participation du ministère du Développement des ressources humaines, pour qu'il se penche sur les aspects liés à l'emploi, et d'avoir une étude sur les désincitatifs fiscaux à la protection environnementale, et également sur les désincitatifs fiscaux à l'emploi. Je crois qu'il y a là une certaine convergence.

Je pense que j'éviterais un processus auquel devraient participer de nombreux intervenants. Il s'agit d'une question de dépenses publiques, d'une question qui intéresse le gouvernement. Si un trop grand nombre d'autres intervenants y participent, on risque de se heurter aux intérêts qui sont touchés, et je pense que cela pourrait être difficile.

C'était donc, en quelques mots, mon point de vue sur la question.

Je suis d'accord avec M. Plourde lorsqu'il dit que cela n'est pas nécessairement quelque chose d'extrêmement complexe. Même le résumé du cadre de travail pour analyser la politique publique... de saines pratiques environnementales, selon le rapport du groupe de travail, seraient une façon de s'y prendre. On pourrait entreprendre cette étude très rapidement.

J'ajouterais que dans le cadre de cette étude de base il faudrait avoir des cibles en plus des objectifs, de façon à savoir exactement ce que l'on recherche. On pourrait évaluer la Loi de l'impôt sur le revenu, la loi sur la TPS et toutes les autres lois pertinentes, ligne par ligne.

Je ne l'ai pas apporté avec moi, mais j'ai un ancien rapport de Woods Gordon - on ne trouve plus ces rapports aujourd'hui - dans lequel on a fait exactement cela il y a dix ans. On a examiné la Loi de l'impôt sur le revenu et la Loi sur l'accise et on les a évaluées ligne par ligne pour voir quelle était leur incidence sur la protection environnementale.

Personnellement, je pense que ce n'est pas difficile à faire. Cela peut se faire dans un délai d'un an. Cette étude devrait être effectuée par le gouvernement, avec la participation d'autres intervenants, pour s'assurer qu'il s'agit d'une étude générale et globale. Idéalement le vérificateur général y participerait, pour qu'on ait ainsi la bénédiction officielle d'un autre organisme. C'est tout à fait faisable.

Le président: Voilà qui est extrêmement utile. Je vous remercie, monsieur Gale.

Monsieur Forseth, vous avez la parole.

M. Forseth: Aujourd'hui, nous avons entendu un débat plutôt optimiste concernant les changements qui s'opèrent dans le milieu des affaires - on a dit que les entreprises étaient en train d'apporter elles-mêmes des changements, d'instaurer des pratiques commerciales responsables. En effet, les entreprises sont en train d'internaliser le coût de leurs activités. Les entreprises, dites-vous, deviennent de plus en plus respectueuses de l'environnement. Mais j'imagine qu'elles ne sont certainement pas en train de changer tout simplement parce qu'elles veulent passer pour des anges.

Je vous pose la question, car vous avez peut-être la réponse; c'est pour vous l'occasion d'écrire ce qui motive vraiment les changements qui se sont opérés jusqu'à présent. Peut-être pourrez-vous également nous donner une idée de ce que devrait être notre orientation à l'avenir, pour que nous allions dans le même sens.

M. Dillon: Je pense que vous avez déjà mis le doigt sur certains éléments de réponse. Il y a de toute évidence toutes sortes de motivations qui font en sorte que les sociétés prennent une orientation particulière - certainement leur image publique, l'importance que le public accorde à la question environnementale. La réglementation motive les sociétés, mais pas toujours dans la bonne direction. Comme nous le savons tous, la réglementation dicte parfois des solutions précises plutôt que de donner à l'industrie la souplesse voulue pour trouver des façons plus innovatrices de faire les choses. La réglementation a certainement eu un impact, mais je pense qu'en fin de compte, c'est le marché et les actionnaires qui ont eu le plus d'impact.

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Les actionnaires sont beaucoup plus sensibles, qu'il s'agisse de particuliers ou d'institutions, et ils sont très importants à l'heure actuelle, car ce sont eux qui détiennent les actions dans les sociétés canadiennes. Ils comprennent que la société qui n'a pas un bon rendement sur le plan environnemental diminue la valeur de l'actif, la valeur de la société et ultimement la valeur des actions qui sont détenues par des institutions ou par des Canadiens ordinaires.

Tous ces facteurs ont une influence réelle sur des industries spécifiques. Comme je l'ai déjà mentionné, c'est un marché mondial, qu'on soit dans le secteur des produits chimiques ou dans l'industrie des pâtes et papiers. Ce n'est pas seulement les attitudes des consommateurs au Canada qui comptent. Nous avons constaté que, pour certaines personnes, certains groupes environnementaux - pas nécessairement basés sur des éléments scientifiques solides - ont néanmoins un impact réel sur le type de produits canadiens qui sont vendus sur d'autres marchés.

Je pense qu'en fin de compte, ce qui motive le plus les sociétés, c'est le marché des actionnaires, beaucoup plus que le fait de vouloir avoir une bonne image publique.

M. Gale: Personnellement, je pense qu'au cours des dix dernières années le type d'intervenants dont une société doit tenir compte a bien changé. Auparavant, les sociétés n'étaient responsables que devant un tout petit groupe d'intervenants financiers, ceux qui avaient des avoirs propres dans la société ou qui avaient fourni des prêts qu'ils voulaient se voir rembourser. Les sociétés n'étaient pas comptables à la population générale.

Depuis la Commission Brundtland, en 1987, nous avons vu l'émergence d'autres intervenants. Nous pouvons classifier ces intervenants de diverses façons, mais disons tout simplement qu'il y a des intervenants pour les générations futures, des intervenants pour l'équité intergénérationnelle, et des intervenants pour la biodiversité et la capacité de peuplement de la planète.

Permettez-moi de préciser quels sont ces intervenants. Ce sont des organisations non gouvernementales; des employés des sociétés, car les employés veulent travailler pour de bonnes personnes morales, non pas pour des sociétés qui ont une mauvaise réputation concernant l'environnement; le grand public; et les collectivités. Ce n'est qu'une petite liste de ces nouveaux intervenants qui émergent.

Ces nouveaux intervenants ont un intérêt économique, mais ils ont également un intérêt de survie. Je pense que c'est ce qui a changé. Les gens ont maintenant un intérêt de survie dans ce que font les sociétés ou n'importe quel organisme.

M. Forseth: Vous avez déjà souligné pour moi la nécessité pour le gouvernement d'intervenir par tous les moyens uniques dont il dispose, notamment des instruments de réglementation et des instruments économiques, et tout le reste, mais il doit intervenir.

M. Gale: Oui. J'ai tendance à lutter contre le conformisme. Je crois fermement à la réglementation gouvernementale, aux trois instruments qui peuvent être appliqués au niveau volontaire, avec des instruments économiques et la réglementation. Les instruments économiques ne peuvent avoir de succès que s'ils s'appuient sur une réglementation solide. Les instruments facultatifs ne fonctionnent que si on menace d'imposer davantage de réglementation.

Mme Kraft Sloan: Monsieur Dillon, je viens tout juste de vous entendre dire que même si le travail des groupes environnementaux n'est pas fondé sur des éléments scientifiques solides, ces groupes ont aidé à faire progresser les choses. Eh bien, plus de 2 000 personnes ayant reçu le Prix Nobel ont dit qu'il y avait un problème sur cette terre. Je pense que certains de leurs travaux sont fondés sur des éléments scientifiques solides. Je voulais tout simplement le souligner.

Monsieur Gale...

M. Dillon: Puis-je répondre à ce commentaire?

Mme Kraft Sloan: Certainement, vous pouvez répondre.

M. Dillon: Par mon commentaire, je voulais laisser entendre que, de l'avis de certaines personnes dans le secteur qui était visé, certaines campagnes environnementales en Europe n'étaient pas fondées sur des éléments scientifiques solides. Je n'avais certainement pas l'intention de laisser entendre, et je ne pense pas avoir laissé entendre, que le travail des groupes environnementaux ou, en fait, d'un bon nombre de scientifiques qui travaillent dans le domaine est de façon inhérente fondé sur des éléments qui ne sont pas solides. Je ne voudrais pas que l'on pense que j'ai dit une pareille chose.

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Mme Kraft Sloan: Je vous remercie de cet éclaircissement, car ce n'est certainement pas ce que j'avais compris.

Je répondais tout simplement aux observations de M. Gale, qui a dit que tout travail que nous faisons dans ce domaine tient compte des ressources humaines. Il est absolument essentiel, si nous voulons nous pencher sur la question de la durabilité, de parler de l'intégration de l'écologie, de l'économie et de l'équité sociale.

Si on examine certaines des activités dans le secteur des sables bitumineux, qui fait du lobbying pour obtenir un amortissement accéléré pour ces projets, on s'aperçoit que ces projets ne sont pas économiquement viables. Ils ne sont pas écologiquement viables. Si on regarde la production unitaire en main-d'oeuvre humaine, elle diminue en fait. D'un autre côté, s'il s'agit d'une entreprise de remise en état ou d'une autre source de production énergétique, l'élément main-d'oeuvre est beaucoup plus considérable. Lorsqu'on fait travailler davantage de gens, cela réduit en fait les coûts pour le gouvernement et la société.

Étant donné que le Canada est un pays qui compte énormément sur ses ressources naturelles, il est absolument crucial que nous nous assurions de conserver cette base de ressources, de ne pas tout simplement l'utiliser entièrement du jour au lendemain.

Sur la côte est, il y a eu une crise des pêches qui a causé énormément de misère économique et sociale ainsi qu'une dévastation écologique. Nous sommes aux prises avec un problème semblable sur la côte ouest. Il est donc absolument crucial que nous conservions nos ressources naturelles et que nous cherchions des moyens d'ajouter de la valeur à nos ressources naturelles, en tenant compte de l'aspect ressources humaines.

Pour ce qui est de la concurrence, un autre problème lié à la compétitivité, c'est celui de l'échéancier. Voulons-nous être compétitifs au cours du mois prochain, ou dans dix ans?

En ce qui concerne certaines des politiques et le prix élevé du pétrole au début des années quatre-vingts et à la fin des années soixante-dix, on sait très bien que les pays qui ont permis au marché de dicter les prix, les pays qui n'ont pas protégé artificiellement leurs industries, ont très bien réussi sur le plan de la compétitivité. En fait, ce sont les pays auxquels le Canada essaie de faire concurrence. Je parle du Japon et de l'Allemagne.

À long terme, la compétitivité est améliorée. Souvent, le débat tourne autour des mesures à long terme ou à court terme. Je m'intéresse à la viabilité future. À long terme, nos déficits et nos dettes diminuent.

Je me demandais tout simplement si M. Gale ou M. Dillon voudrait nous parler de l'élaboration d'une stratégie visant une réforme fiscale écologique et nous dire comment nous pourrions nous y prendre dans ce domaine. Je sais que vous en avez parlé de façon générale, mais je me demande tout simplement s'il existe une stratégie. Est-ce quelque chose que nous voudrions envisager?

M. Gale: Ma réponse serait de commencer par une taxe sur les hydrocarbures, de transférer le fardeau fiscal à cet égard, et ce, pour de nombreuses raisons. Cela est le point de départ le plus utile.

Je crois comprendre que Colin Isaacs a parlé hier d'une stratégie pour le transport durable en Ontario. À la page 24 de ce document, on fait allusion au fait qu'une augmentation annuelle du prix de l'essence de l'ordre de 3 ¢ le litre en Ontario se traduirait par une réduction de 20 p. 100 des émissions de dioxyde de carbone d'ici à l'an 2015 et générerait en outre des recettes annuelles pour le gouvernement ontarien pouvant atteindre environ 2 milliards de dollars. Il s'agit de 2 milliards de dollars par an jusqu'en l'an 2015 pour 3 ¢ de plus. Il me semble que l'on pourrait utiliser ces recettes pour aider à transférer le fardeau fiscal.

Donc, on taxe ce qui est considéré comme une mauvaise chose sur le plan économique, car cela contribue au changement climatique. On prend ces recettes pour les appliquer à d'autres activités ou pour réduire les taxes sur la main-d'oeuvre.

Je suis partisan de ce modèle. J'ai un vieux tableau de l'OCDE pour 1990 où il est question d'une taxe hypothétique sur les hydrocarbures de 50$ la tonne et qui montre que le Canada pourrait aller chercher 6 milliards de dollars grâce à une telle taxe. Cela me semble être un chiffre utile qui pourrait alors être utilisé pour réduire les impôts sur le revenu, réduire le déficit, ou être utilisé ailleurs.

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Pour ce qui est d'un mécanisme, de la façon dont on devrait s'y prendre, à la fin de mon mémoire, vous trouverez certaines observations, non pas sur la façon de s'y prendre, mais sur ce qu'on ne doit pas avoir peur de faire.

En général, si l'on peut dire que les instruments économiques ont du mérite, on a fait la moitié du chemin. Si on en discute déjà, si on met déjà en place des taxes environnementales, tôt ou tard, nous prendrons cette nouvelle orientation.

En Ontario, en ce moment même, on nous parle de compressions très importantes. On prévoit réduire l'an prochain l'impôt sur le revenu des particuliers. On voit donc déjà certaines de ces choses se produire. On pourrait peut-être même prétendre qu'il y a une certaine convergence dans les plans de la droite et de la gauche, tant au Canada qu'en Europe.

Une autre chose au sujet de la stratégie: on peut trop s'attarder sur les détails, et on aurait tort. Je ne crois pas qu'une plus grande précision soit nécessaire davantage pour l'écologisation fiscale que pour toute autre mesure. Que savions-nous de la TPS? Nous savions certainement que c'était une mesure impopulaire, qui a pourtant été adoptée. Pour revenir à la question stratégique, si l'on s'entend en général sur le bien-fondé de l'écologisation fiscale, sur le fait que c'est mieux que ce que nous avons maintenant, cela nous donne une bonne idée de ce qui peut être fait.

J'ai finalement présenté cette proposition: associer l'examen complet au remaniement des taxes et des subventions. C'est quelque chose que j'ai oublié de mentionner tantôt. Il me semble qu'une fois effectué l'examen complet, ce rapport pourrait servir de point de départ à une stratégie d'écologisation fiscale. On disposerait alors de tous les éléments d'information sur les subventions et les taxes. On pourrait créer un deuxième rapport, une sorte de budget fictif ou d'ébauche budgétaire, et s'en servir comme document de travail.

Je suis désolé de ne pas avoir une formule plus précise à proposer; j'en cherche une.

M. Dillon: Il y a au moins deux questions dont je voudrais parler, même si elles sont très complexes.

Permettez-moi de revenir aux commentaires formulés par Mme Kraft Sloan au sujet de la comparaison entre le rendement environnemental et la compétitivité. Parfois, certains affirment que dans beaucoup de pays il y a à la fois un rendement environnemental supérieur et une industrie très concurrentielle. C'est le vieux problème de la poule et de l'oeuf. Autrement dit: ces pays ont-ils des normes environnementales élevées parce qu'ils peuvent se le permettre ou parce qu'ils sont plus concurrentiels? Les travaux effectués sur le sujet n'ont pas permis de tirer des conclusions,et toutes sortes de points de vue ont été exprimés à ce sujet, y compris celui de Michael Porter.

Cela dit, il est clair à mon avis que le Canada a un rendement supérieur dans divers secteurs de l'industrie de l'environnement et au sujet de divers facteurs environnementaux. J'ai déjà parlé du rapport de l'OCDE, qui, comme je le disais, n'a pas fait l'objet d'articles très positifs dans les médias, mais qui signale que le rendement environnemental du Canada dans divers domaines est somme toute assez bon.

Il faut garder à l'esprit que nous sommes un pays plus petit que la plupart de ceux avec lesquels nous sommes comparés pour ce qui est du rendement environnemental: les pays européens, le Japon et les États-Unis. Nous ne pouvons être le chef de file dans tous les secteurs de l'industrie et dans tous les domaines de la technologie environnementale. Mais dans bien des cas, nous sommes des pionniers, pas seulement pour ce qui est de la technologie et des normes environnementales, mais également du côté des politiques environnementales. On ne peut pas simplement dire que certains pays sont des leaders, et que les autres suivent.

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Au sujet de la taxe sur les combustibles fossiles, ou les hydrocarbures, dont on a parlé, on en discute déjà depuis longtemps. J'aimerais signaler que, bien que les Européens parlent beaucoup de ce genre de taxe, ils ont en fait beaucoup de difficulté à s'entendre sur la création d'une taxe de ce genre à l'échelle de l'Europe.

Évidemment, une taxe de ce genre, sur l'utilisation d'un produit particulier en fonction des émissions de gaz carbonique, peut très bien avoir une influence sur la consommation, en faveur de certains combustibles moins nocifs. Ce serait certainement un objectif souhaitable.

Au Canada en particulier, nous devons penser très sérieusement aux incidences que cela pourrait avoir, surtout aux niveaux régional et sectoriel. Ce ne sont pas des considérations auxquelles doivent vraiment penser les autres pays qui sont les principaux partisans de ce genre de taxe.

Et encore une fois, on peut se demander comment se ferait la coordination internationale de cette taxe. Comme M. Gale le signalait, comment atténuer les répercussions particulières que cela aurait au Canada?

Le président: Monsieur Dillon, permettez-moi de vous interrompre une minute. À une conférence internationale organisée par le gouvernement suisse, plus tôt ce mois-ci, et portant sur les taxes environnementales et une réforme globale de la fiscalité tenant compte des points de vue économique et financier, l'économiste en chef de la Norvège a parlé des taxes écologiques. Il a présenté une documentation importante sur les frais imposés par tonne d'émission de CO2 dans les pays scandinaves, et leur effet sur les tonnes d'émissions de CO2. Il disait que ce qu'ils appellent une taxe sur les combustibles fossiles - et c'est peut-être une question de terminologie - il y en avait beaucoup dans les pays scandinaves. Je voulais le signaler à votre attention. Le saviez-vous?

M. Dillon: Oui, je sais qu'ils appellent cela des taxes sur les combustibles fossiles. Comme je le disais, je ne suis pas convaincu qu'ils aient réussi à créer une telle taxe à l'échelle de l'Europe. Nombre de pays européens sont plutôt réticents à l'idée d'adopter une taxe pour toute l'Europe.

Le président: C'est exact. Certains sont réticents, mais d'autres ont adopté l'idée. Dans le cas de la Norvège, une taxe de 2 ¢ est réservée au changement climatique. Certaines instances vont bientôt faire de même.

M. Dillon: Je sais en outre que le gouvernement danois a mis en oeuvre une telle taxe mais en a exempté certaines entreprises sur lesquelles elle aurait eu un effet négatif. Il y a donc toutes sortes de mesures qu'on désigne sous le vocable de taxe sur les combustibles fossiles, toutes sortes de types de programmes.

M. Gale: Je tiens à dire qu'il y aurait des incidences régionales et sur l'équité, au Canada, mais rien qu'on ne puisse pas gérer. On peut rendre les recettes aux parties touchées ou concevoir des systèmes d'indemnisation.

Je reviens au document que je vous ai présenté au début, que j'ai rédigé pour la table ronde nationale, l'an dernier: Environmental Taxation, Revenues, and Effectiveness: The Need for Principled Guidance. Voilà vraiment la question qu'il faut se poser. Quels principes doit-on suivre en mettant au point une taxe sur les combustibles fossiles qui nous permettra d'aider les parties qui en souffriront à assumer les coûts de la transition?

Je constate également que dans l'écologisation budgétaire, nous avons une étude de la taxe suédoise sur le CO2. En 1983, les Suédois ont ainsi obtenu des recettes de 1,3 milliard de dollars. La plupart des gens reconnaissent que cette taxe est modeste. Elle n'est pas destinée à changer le comportement du public. Si c'était le but visé, on pourrait recueillir plus d'argent.

Comme M. Dillon le signalait, les Européens ont eu de la difficulté à mettre au point une taxe à l'échelle de l'Europe. Mais je pense qu'on ne tardera pas à trouver une solution.

Même aux États-Unis... je pense à un nouveau film, populaire, intitulé: Un président américain. Si vous ne l'avez pas déjà vu, je vous signale une partie intéressante du scénario, où le président met sa réputation en jeu pour faire approuver une réduction de 20 p. 100 des émissions de CO2. Un très bon film.

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M. Reed: Mais c'est une fiction.

M. Gale: Je ne sais pas dans quelle mesure c'est fictif. Il me semble que ce film arrive à point nommé.

M. Reed: Vous avez parlé d'une taxe sur les combustibles fossiles. Vous pourriez peut-être me dire à qui doit appartenir ce combustible. Je chauffe au bois. Certains Européens utilisent du charbon. Sont-ils également assujettis à des taxes sur les combustibles fossiles?

M. Gale: Cette taxe s'appliquerait à tous les produits, tous les combustibles fossiles. Il y aurait un ajustement en fonction des émissions de gaz carbonique associées au combustible et, par conséquent, des taux variables.

M. Reed: Je peux donc éviter cette taxe, parce que je n'ai qu'à couper du bois à la ferme, mais mon voisin, qui vend 2 000 à 3 000 cordes de bois par hiver, devra la payer.

M. Gale: Oui. Il y aura des failles dans le système. Mais il est destiné aux grands consommateurs et au public en général, à l'approvisionnement en énergie de la grande majorité de la population. Je crois que c'est ce que nous souhaitons.

M. Reed: Au sujet de la réduction des émissions de gaz carbonique et de la consommation de pétrole, je crois qu'il est bon de signaler qu'à la fin des années soixante-dix, lorsque la consommation de pétrole augmentait de manière exponentielle, aux États-Unis, contrairement au Canada, on a permis au prix de suivre le cours mondial. On a ainsi réussi à provoquer le plus gros effort de conservation de l'énergie qu'on ait jamais vu en Amérique du Nord. Avec l'augmentation de la consommation, on avait brûlé plus de pétrole en dix ans que depuis la découverte du pétrole. Une fois que le prix a atteint les 50$ le baril, pour le prix du disponible sur le marché de Chicago, les consommateurs sont par eux-mêmes devenus des conservationnistes, et on a vu une baisse marquée de la consommation de pétrole.

Là où je veux en venir, c'est que la méthode de la carotte est préférable à celle du bâton. C'est une question très complexe, mais je vais vous parler d'un autre cas, celui de l'Inco et du raffinage du nickel à Sudbury. Cette entreprise a réduit ses émissions de soufre de plus de 90 p. 100 au cours des 15 dernières années. Manifestement, ce n'est pas parce qu'on lui a tapé dessus. C'est grâce à la méthode de la carotte, l'entreprise ayant pu réinvestir, par exemple. Ne pensez-vous pas que c'est le genre de taxe que nous devrions adopter?

Le président: Monsieur Reed, cette entreprise a obtenu ces résultats grâce à des subventions, grâce aux deniers publics fournis par les gouvernements fédéral et provincial.

M. Reed: Mais c'est bien là une carotte, monsieur le président. C'est une dépense fiscale.

M. Gale: Dans le cas de l'Inco, il faudrait une plus grande internalisation des coûts et moins de subventions. Cette entreprise a très bien fait au niveau local, mais elle a également exporté certains de ses problèmes, notamment en recourant à des cheminées plus hautes. Mais je ne veux pas en parler pour l'instant.

Revenons à votre exemple au sujet des prix de l'essence aux États-Unis comme encouragement à la conservation. C'était peut-être vrai à très court terme, mais s'il y avait eu une augmentation des taxes après l'embargo pétrolier de 1972, les comportements auraient été modifiés d'une manière beaucoup plus positive.

Aux États-Unis, d'après ce document qui date de 1993, comme vous l'avez vous-mêmes sans doute appris ailleurs, la proportion des taxes pour chaque litre d'essence est de 29,6 ¢ par rapport à 47,6 ¢ au Canada. Nous savons tous que les États-Unis profitent du prix de l'essence le plus bas du monde.

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Hier, le président des États-Unis a éliminé les limites de vitesse sur les autoroutes. On peut être d'accord, ou non, selon notre prédisposition à peser sur le champignon. Si cette mesure avait été assortie, par exemple, d'une augmentation du prix de l'essence, je pense que cela aurait été plus acceptable.

Je ne pense pas que ce à quoi on a assisté aux États-Unis au cours des 20 dernières années ait quoi que ce soit à voir avec la conservation. Je pense qu'il s'agit plutôt de subventions inutiles à l'industrie.

M. Dillon: J'ai quelques commentaires à faire, tout d'abord au sujet de l'expérience des années soixante-dix. Je pense qu'au Canada comme aux États-Unis l'impact de ces augmentations rapides du prix du pétrole sur la conservation a été clair. Pour l'industrie, au moins, la plupart des entreprises ne veulent pas dépenser plus qu'il ne faut en énergie; elles recherchent constamment de nouvelles façons de réduire leur consommation d'énergie. Ce n'est pas nécessairement vrai pour les propriétaires d'automobiles. Comme vous le savez, il y a toute une gamme de choix de styles de vie. Mais il reste que même pour les automobiles, les gens ont clairement opté pour des véhicules qui consomment moins d'essence, et les constructeurs automobiles, particulièrement en Amérique du Nord, ont eu un peu de difficulté à s'adapter à ce changement dans la demande.

On apprend vite la leçon quand il est question de prix. Le genre de taxes dont on parle parfois peuvent ou non envoyer un message clair au consommateur, qui devra ultimement changer son comportement.

J'ai un bref commentaire à faire aussi au sujet de la méthode de la carotte et du bâton. Je suis d'accord avec M. Gale: il faut toute une gamme d'approches. Je n'ai évidemment pas la même façon de voir le bien-fondé de la réglementation par rapport aux instruments économiques ou par rapport aux programmes d'application volontaire, mais je tiens à dire que l'objectif environnemental doit être clair. Il a raison de dire que rien de tout cela ne donne de résultats si nous ne comprenons pas quel est l'objectif environnemental et si nous ne l'acceptons pas.

Le seul argument que je veux présenter, c'est qu'on a prouvé que la réglementation n'est pas toujours efficace pour arriver à ce résultat. Nous avons de nombreux exemples d'instruments économiques, dont certains que j'ai mentionnés auparavant, comme les échanges de permis d'émission, et des programmes d'application volontaire par l'industrie dans divers domaines. Ils ont non seulement prouvé qu'ils permettaient d'atteindre des objectifs environnementaux, mais ils l'ont fait aussi plus rapidement et à moindre coût que la réglementation.

Le président: Nous sommes maintenant à une nouvelle étape dans l'évolution de notre pensée au sujet de l'environnement. Comme vous le savez, nous nous sommes engagés dans un exercice de développement durable, à la recherche de façons d'atteindre un objectif général, qui tienne compte non seulement de l'environnement, mais également de considérations économiques et sociales. Nous sommes d'une certaine façon passés de la discussion de la simple protection de l'environnement au développement durable. Il y a eu une transcendance du débat, si je peux dire.

Dans le chapitre sur le choix des principaux instruments, monsieur Gale, il y a une phrase qui se lit comme suit, que j'aimerais que vous m'expliquiez:

Pouvez-vous nous expliquer cela davantage, nous dire dans quelle mesure le processus dans lequel nous nous lançons aujourd'hui correspond à cette phrase?

M. Gale: Quelle était la dernière phrase?

Le président: On dit: «la façon de concevoir les budgets changera». C'est à la page 3, sur le choix des principaux instruments.

M. Gale: J'ai été frappé par le fait que les budgets sont traditionnellement conçus par... Je vais revenir à quelque chose qu'on a dit plus tôt pour répondre à votre question: la définition de la durabilité. Je ne pense pas qu'elle soit si large qu'on puisse en faire littéralement ce qu'on veut.

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Au départ, souvent, on met de côté les aspects sociaux et économiques pour commencer par l'écologie. Hier, nous avons appris que le trou dans la couche d'ozone au-dessus de l'Antarctique est deux fois plus grand que ce qui avait été déterminé par les scientifiques l'été dernier. Tous les jours on apprend que la situation s'aggrave.

Je dirais donc qu'il faut revenir à la définition de la Stratégie mondiale de la conservation de 1980 et dire que la durabilité, dépend de notre capacité de maintenir les processus écologiques essentiels et les systèmes de soutien de la vie, de préserver la diversité génétique et de prévoir une utilisation durable des espèces et des écosystèmes. Cela pourrait être notre point de départ. Si on remet en question ces trois critères dans notre définition de la durabilité, il y a de quoi s'inquiéter.

Au sujet de la conception des budgets, je me demande dans quelle mesure les responsables des finances sont au courant du problème écologique. Savent-ils que les problèmes environnementaux ont des causes budgétaires? Savent-ils que c'est dans le budget qu'on peut les régler? En concevant un budget, il me semble que le ministère des Finances doit adopter une approche plus intégrée et multidisciplinaire pour ces questions.

J'ai également étudié toute la question de l'évaluation environnementale. Pourquoi n'y a-t-il pas d'évaluation environnementale du processus budgétaire? Les réponses sont à mon avis très claires. La simple évocation d'une évaluation environnementale du budget fait courir des frissons le long de l'échine de tant de gens au gouvernement que c'est considéré comme impensable. Pourtant, je pense qu'une évaluation environnementale stratégique du processus budgétaire serait très sensée. Il faut évaluer tous les éléments de politique et tous les programmes dans le cadre d'une sorte d'évaluation environnementale, et tout budget devrait faire l'objet d'une sorte d'évaluation environnementale stratégique.

Peu importe comment on l'appelle. Si on ne peut pas dire «évaluation environnementale du budget», disons autre chose. Par exemple, une analyse environnementale du budget, une analyse stratégique du budget, une analyse de la durabilité du budget. Dans ce chapitre, je disais que l'élaboration des politiques est cruciale et qu'il faut absolument trouver un mécanisme qui fera en sorte que les décisions budgétaires prendront en compte les préoccupations environnementales et écologiques.

J'ai répondu de mon mieux à votre question, monsieur le président. Puis-je faire quelque chose de plus précis pour vous être utile?

Le président: Vous avez tous les deux été très utiles au comité aujourd'hui, de bien des façons et de bien des points de vue. Je ne pense pas qu'on puisse vous en demander davantage, à moins que certains membres du comité ne veuillent vous poser des questions. Comme ce n'est pas le cas, voilà qui termine notre série d'audiences, commencée la semaine dernière, sur les obstacles budgétaires et fiscaux à de saines pratiques environnementales.

La semaine prochaine, nous travaillerons à une ébauche de rapport, et nous espérons que ce forum contribuera à nous faire avancer sur la voie d'un avenir durable, dans le respect des valeurs environnementales, économiques et sociales.

Au nom de mes collègues du comité, je vous remercie de votre participation et de votre contribution.

M. Dillon: Merci.

M. Gale: Merci.

Le président: La séance est levée.

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