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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 6 décembre 1995

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[Français]

Le président: À l'ordre. Nous reprenons nos travaux. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous continuons de nous pencher sur le changement climatique.

[Traduction]

Nous accueillons aujourd'hui Jim Bruce, président du Conseil du Programme climatique canadien et Louise Comeau, coordonnatrice du changement climatique au Club Sierra du Canada. Nous vous souhaitons la bienvenue et vous sommes très reconnaissants d'avoir trouvé le temps de venir nous rencontrer.

Quelques collègues se joindront à nous dans quelques instants. J'ai en outre invité des députés qui s'intéressent à la question et qui ne sont pas membres de notre comité. Comme nous avons déjà du retard, je pense que nous devrions commencer tout de suite et je vous laisse décider lequel d'entre vous prendra la parole en premier. Bienvenue.

M. Jim Bruce (président, Conseil du Programme climatique canadien): Monsieur le président, avec votre permission, je vais vous exposer en quelque 35 minutes les conclusions de la deuxième évaluation à grande échelle faite par le Groupe d'experts intergouvernemental pour l'étude du changement climatique. Je vais donc tenter de vous résumer un texte de 2 000 pages. Le rapport de 1995 est beaucoup plus volumineux et sera près trois volumes contenant plus de2 000 page. Je vais donc tenter de vous résumer tout cela au cours des prochaines minutes, à l'aide de transparents.

J'aborderai surtout le problème du point de vue international. Je suis certain que Louise Comeau pourra expliquer aux membres du comité ce que cela signifie pour le Canada. J'utiliserai quelques graphiques. J'espère que vous pourrez bien les voir.

Il s'agit donc d'une étude des perspectives environnementales et économiques du changement climatique qui a été effectuée par le Groupe d'experts intergouvernemental pour l'étude du changement climatique. Ce groupe a été créé en 1988 en vue d'offrir des conseils scientifiques relativement neutres au sujet de la science du changement climatique aux divers gouvernements du monde et aux pays signataires de la convention cadre sur le changement climatique. La science du changement climatique inclut maintenant les sciences sociales. Pour la première fois, le rapport portait sur les aspects économiques et sociaux du problème ainsi que sur les aspects scientifiques.

Je tiens à vous rappeler, soit dit en passant, que la question des changements climatiques fait intervenir des liens très complexes entre l'atmosphère, les océans, les surfaces terrestres et les activités humaines, celles qui modifient les forêts, par exemple, et qui émettent des substances dans l'atmosphère.

C'est l'énergie solaire qui fait fonctionner tout le système, de sorte que le gain de chaleur provient du soleil. La chaleur de la terre s'échappe dans l'espace et les gaz naturels, comme la vapeur d'eau, le dioxyde de carbone et d'autres gaz à effet de serre dans l'atmosphère captent une partie de la chaleur qui provient du soleil et la retient près de la surface de la terre, ce qui fait que cette dernière est habitable.

Avec les activités humaines, nous avons augmenté cet effet de gaz à effet de serre naturel, causant ainsi un réchauffement des couches inférieures de l'atmosphère. Une plus grande quantité de chaleur est ainsi retenue près de la surface.

Pour vous montrer comment ce changement s'est produit, le graphique que vous voyez ici montre la tendance des concentrations de dioxyde de carbone de l'an 900 jusqu'à nos jours. En fait, si on recule d'environ 160 000 ans, on constate que les concentrations de dioxyde de carbone n'ont jamais été supérieures à 280 parties par million dans l'atmosphère terrestre.

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Avec la révolution industrielle, l'ingéniosité humaine a perturbé ou modifié cette concentration de façon très marquée, et nous voyons ici que la courbe augmente rapidement. Il s'agit d'une augmentation d'environ 30 p. 100 par rapport au niveau préindustriel. L'augmentation de la concentration de dioxyde de carbone suit de très près l'augmentation dans l'utilisation des combustibles fossiles dans le monde.

Il y a un certain nombre de facteurs qui influencent le rayonnement total résultant, ou l'équilibre des échanges de chaleur à la surface de la terre. Certains de ces facteurs réchauffent le climat terrestre et d'autres - ceux que l'on retrouve ici sous la ligne zéro - ont tendance à refroidir un peu le climat de la terre. Ceux qui réchauffent la terre sont ce qu'on appelle les gaz à effet de serre direct. Il s'agit notamment du dioxyde de carbone provenant surtout de la combustion des combustibles fossiles; le méthane provenant des lieux de remplissage, des rizières et d'un certain nombre d'autres sources; l'oxyde nitreux; et les halocarbures, les CFC et les HCFC utilisés en réfrigération qui ont également tendance à appauvrir la couche d'ozone.

L'ozone troposphérique que l'on retrouve dans le smog et qui a de graves conséquences pour la santé, est également un gaz à effet de serre qui a contribué au réchauffement climatique. Depuis 1850, il y a eu plusieurs augmentations de la quantité d'énergie solaire.

Pour compenser cette augmentation, il y a eu un léger refroidissement dû à la diminution de la couche d'ozone stratosphérique. Cela a donc légèrement refroidi la surface de la terre. Mais l'effet de refroidissement le plus important, qui compense en partie le réchauffement dû aux gaz à effet de serre, provient de ce que l'on appelle les ozones troposhériques, ou les aérosols. Ces minuscules particules près du sol sont émises surtout lors de la combustion des combustibles fossiles et ce sont surtout des aérosols sulfatés, qui causent également les pluies acides.

Donc, les substances qui causent les pluies acides compensent en outre dans une certaine mesure les gaz à effet de serre. Cette compensation est très localisée, soit dans l'est de l'Amérique du Nord, en Europe, dans l'est de l'Asie, où les concentrations des aérosols sulfatés sont assez élevés. L'effet des aérosols ne se fait pas sentir très longtemps. Certains dioxydes de carbone et autres gaz à effet de serre restent dans l'atmosphère pendant des centaines d'années, tandis que les aérosols n'y restent que pendant une semaine environ. Il faut donc émettre constamment ces aérosols dans l'atmosphère pour avoir un léger effet de refroidissement.

Par suite de l'augmentation des gaz à effet de serre dans l'atmosphère, y a-t-il eu un changement dans la température dans le monde? Vous avez ici un graphique centré sur le Canada qui montre l'hémisphère nord et qui a été préparé par le Service de l'environnement atmosphérique d'Environnement Canada. Ce graphique montre les tendances de la température de 1961 à 1990. On voit qu'il y a une région où le réchauffement est important, soit dans la partie centrale du Canada; dans le Nord-Ouest, qui est la région en jaune, on voit que le réchauffement a été modéré. Dans ces autres régions rouge en Europe, dans le reste de l'Amérique du Nord et en Asie, on voit qu'il y a eu un réchauffement très considérable dans certains endroits et beaucoup d'autres endroits en jaune également. Remarquez également les régions de refroidissement. Les régions en bleu sont les régions où il y a eu en fait un refroidissement au cours des trois dernières décennies.

Globalement, il y a eu réchauffement, car on voit ici la tendance de réchauffement moyenne. Cependant, il y a en refroidissement dans le sud du Groenland et ce refroidissement dans le détroit de Baffin serait à l'origine d'un nombre assez important d'icebergs à la dérive provenant du Groenland.

Tâchez de garder à l'esprit cette tendance lorsque je vous montrerai la prochaine diapo, qui est une projection de modèle climatique montrant à quoi ressemblera le climat futur si nous ne prenons pas de mesures pour réduire la quantité de gaz à effet de serre émis dans l'atmosphère. Ce modèle du Hadley Centre au Royaume-Uni est l'un des meilleurs modèles qui relie l'atmosphère aux océans et montre la circulation complète des océans. On peut voir ici que les régions en rouge seront de quatre à six degrés - ou même plus de six degrés - plus chaudes dans 66 à 75 ans si les gaz à effet de serre continuent à augmenter au rythme actuel.

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Les régions en orange sur les continents sont d'environ deux à quatre degrés Celsius, et un peu moins pour ce qui est des océans. On peut voir ces régions plus fraîches dans certains secteurs des océans du monde et une région plus fraîche au sud du Groenland. On se demande toujours si l'effondrement des stocks de morue pourrait être attribuable au refroidissement de l'eau et de l'air que l'on a observé dans cette région récemment, et qui selon les modèles actuels, corresponde aux changements dans la circulation des océans liés au réchauffement de la planète.

Comme ce que nous avons observé correspond aux prédictions des modèles, le groupe d'experts intergouvernemental pour l'étude du changement climatique en est arrivé à la conclusion que nous commençons à voir l'empreinte humaine, ou les conséquences des gaz à effet de serre sur le climat. Nous commençons à constater ce changement climatique dû aux gaz à effet de serre. Les experts disent également que dans les décennies à venir, le réchauffement que nous connaîtrons fera en sorte que la terre n'aura jamais été aussi chaude au cours des 10 000 dernières années.

Pour vous montrer l'augmentation moyenne de la température dans le monde entier, nous vous exposons ici le résultat de deux modèles différents. Le MPI est le Max Planck Institute for Comparative Public and International Law en Allemagne et le Hadley Centre est celui qui a créé le graphique que je viens tout juste de vous montrer.

Ces modèles tentent de simuler ou de reproduire le climat actuel, et ils ont reproduit le climat actuel ici depuis environ 1850. Si on introduit aucun gaz à effet de serre et aucun aérosol dans les modèles, on obtient cette ligne que vous voyez ici. En d'autres termes, on obtient des fluctuations climatiques, même s'il n'y a pas de changement réel dans le climat. Cependant, si on introduit des gaz à effet de serre dans les modèles, on obtient l'augmentation que vous voyez ici, et cela se traduit par une augmentation de la température d'environ quatre degrés Celsius d'ici l'an 2100. En introduisant les aérosols et en supposant qu'ils vont continuer d'augmenter - c'est-à-dire si nous ne faisons rien pour réduire l'émission des aérosols sulphatés - alors on obtient un ralentissement d'environ 20 à 25 p. 100 du réchauffement si l'on continue d'émettre ces aérosols qui causent des pluies acides. Si nous réduisons ces aérosols afin de résoudre le problème des pluies acides, nous revenons à cette courbe que vous voyez ici.

Quel impact cela pourrait-il avoir? Le groupe d'experts intergouvernemental pour l'étude des changements climatiques dit que l'impact se fera sans doute le plus sentir dans quatre régions. Tout d'abord, il y a les écosystèmes naturels - les récifs de corail du monde entier et les forêts boréales. Et l'on sait que les forêts boréales sont extrêmement importantes pour le Canada.

Voici un modèle de ce qui pourrait arriver aux forêts boréales canadiennes si le dioxyde de carbone que l'on retrouve dans l'atmosphère doublait, ce qui risque bien de se produire vers le milieu du prochain siècle si nous continuons. La région que vous voyez avec des hachures verticales est la région qui est couverte à l'heure actuelle par la forêt boréale, c'est la situation qui existe à l'heure actuelle. On peut voir ici quelle sera la situation à l'avenir, lorsque la forêt boréale aura été confinée à certaines régions du nord du Québec et tout au nord-ouest du Canada, les prairies couvrant toute la région l'Ouest et les forêts tempérées supplantant les forêts boréales dans certaines parties du pays.

Certaines études ont démontré que les forêts boréales ont déjà diminué rapidement au Canada. Une de ces études indique que les incendies de forêt et les invasions d'insectes ont augmenté au cours des 20 dernières années, ce qui se traduit par une perte de la biomasse d'environ 20 p. 100 déjà. Voilà donc l'un des principaux impacts pour le Canada.

Les effects sur la santé sont importants. L'un des effets sur la santé proviendrait du grand stress dû à la chaleur, ou des périodes pendant lesquelles les températures sont supérieures à celles que l'on peut facilement supporter. Au cours des grandes vagues de chaleur dans nos grandes villes, il y a un plus grand nombre d'admissions dans les hôpitaux pour les malades et les personnes âgées, et il y a même des décès. Le graphique que vous voyez ici montre le changement qui pourrait s'opérer, disons à Winnipeg, par rapport à notre climat actuel, le nombre de jours pendant lesquels la température est supérieure à 30 degrés Celsius et où les émissions de dioxyde de carbonne doublent. On voit ici la colonne pour London, en Ontario.

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L'autre chose qui se produit au cours d'une telle période, c'est que la concentration d'ozone tend à augmenter, ce qui peut également nuire à la santé humaine.

L'effet de l'augmentation du niveau de la mer est le troisième que j'aimerais mentionner parmi les effets particulièrement importants. Le graphique que vous voyez ici montre les trois principales projections du groupe d'experts pour ce qui est de l'augmentation du niveau de la mer qui pourrait accompagner le réchauffement de la planète. Le niveau de la mer augmentera à cause de la fonte des glaciers et à cause de l'expansion des eaux océaniques. Les lignes en pointillé incluent les aérosols et supposent que nous allons continuer d'émettre de plus grandes quantités d'aérosol à l'avenir. Les lignes noires supposent que nos émissions d'aérosol ne seront pas plus élevées qu'elle ne l'étaient en 1990.

La projection la moins élevée, qui correspondrait à une augmentation du niveau de la mer de23 centimètres d'ici l'an 2100 - soit de 1990 à 2100 - se fonde sur la supposition que la population mondiale et, par conséquent les émissions de gaz à effet de serre, seraient très peu élevées. En fait, elles supposent une augmentation de seulement 10 p. 100 de la population entre 1990 et 2001. Cette supposition est de moins en moins probable. Cette projection moyenne est sans doute plus probable que la projection inférieure. La projection moyenne correspond à une augmentation du niveau de la mer d'environ un demi-mètre et la projection élevée correspond à une augmentation de près d'un mètre. Une augmentation d'un demi-mètre du niveau de la mer doublerait le nombre de gens dans les régions côtières et dans les petites villes qui seraient exposés à des inondations, soit de 46 millions à 92 millions.

L'autre préoccupation est la question des désastres naturels. C'est une question âprement débattue dans le milieu scientifique. Les diagrammes que vous voyez ici - et j'aimerais attirer votre attention plus particulièrement sur celui-ci - le dommage important - montrent pourquoi il y a eu de grands désastres dans le monde. Le terme «dommage important» n'est utilisé que pour les désastres qui ont causé une perte de plus de 1 p. 100 du produit intérieur brut du pays d'un seul coup. Dans ce cas-ci, pour la période entre 1963 et 1992, nous constatons que les inondations, les tempêtes tropicales et les sécheresses sont de loin les causes les plus importantes de dommages importants et de pertes provenant de désastres naturels, beaucoup plus que les tremblements de terre. Naturellement, les trois sont liés au climat.

Une autre chose que nous constatons, c'est que le nombre de pertes a augmenté assez rapidement. Les désastres importants dus à des inondations, des tempêtes tropicales et des sécheresses ont augmenté trois fois plus rapidement que les désastres importants dus aux tremblements de terre. On se demande si cette différence entre le nombre de désastres importants dus aux tremblements de terre et le nombre de désastres importants dus aux changements climatiques est attribuable à une plus grande exposition aux risques de désastre, l'exposition aux désastres climatiques étant plus grande que l'exposition aux tremblements de terre. Mais on a peine à croire que toute cette différence soit uniquement attribuable à l'augmentation de l'exposition.

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Les compagnies d'assurance sont convaincues pour leur part que les pertes dues à un désastre naturel ont augmenté rapidement, et elles attribuent une bonne partie de cette augmentation aux changements climatiques. Le graphique que vous voyez ici, tiré de l'Economist, indique qu'entre 1980 et 1984, leurs pertes annuelles étaient de moins de deux milliards de dollars à l'échelle mondiale, et entre 1990 et 1994, elles ont grimpé à près de 11 milliards de dollars. Il ne s'agit là que des pertes assurées. Les pertes totales sont d'environ cinq fois plus élevées.

Par conséquent, les compagnies d'assurance ont décidé de ne plus assurer les villes dans le sud-ouest du Pacifique et, pour les Caraïbes, elles ont augmenté les tarifs de sorte que les gens n'ont plus les moyens de s'assurer. Même si, dans le milieu scientifique, on conteste le fait que ce soit là une manifestation du réchauffement de la planète, l'impact se fait déjà sentir dans ces pays, car les compagnies d'assurance sont convaincues que c'est le cas.

D'où proviennent ces émissions de carbone qui sont à la source de tous ces problèmes? Au bas de ce graphique, on retrouve un certain nombre de pays. J'espère que vous pouvez bien voir. La largeur de la colonne est en proportion de la population. Par exemple, la Chine est un pays très peuplé, de sorte que la colonne est très large. La colonne de l'Australie est étroite, tout comme celle du Canada, en raison de notre faible démographie. En haut, on indique le nombre de tonnes de dioxyde de carbone émises par ces pays par personne, par année.

On peut voir que les États-Unis, le Canada et l'Australie sont les pays où les émissions de dioxyde de carbone sont les plus élevées au monde par habitant. Nos émissions sont deux fois plus élevées que celles du Japon et des pays d'Europe, d'autres pays très industrialisés, ce qui indique que nous avons beaucoup à apprendre de certains de ces pays qui utilisent l'énergie de façon plus efficace. Ensuite, naturellement, nos émissions sont beaucoup élevées que celles des pays en voie de développement, notamment l'Inde, les pays d'Afrique, la Chine, etc.

Cela soulève des questions d'équité. La plupart des émissions par habitant proviennent des pays industrialisés et le graphique suivant montre que la plupart des dommages ou des dommages les plus importants par unité de produit intérieur brut, se produiront dans les pays industrialisés. On estime qu'il y aura une perte d'environ 1,3 à 1,6 p. 100 du PIB si on impose à l'économie actuelle des pays de l'OCDE des dioxydes de carbone deux fois plus élevés. Pour les pays en voie de développement, ces pourcentages augmentent jusqu'à 8,6 et 8,7 p. 100, dans le cas de l'Afrique. Donc, la perte économique serait beaucoup plus importante dans les pays en voie de développement. Voilà donc pour les pertes.

Combien en coûtera-t-il si on tente de régler le problème en réduisant les émissions? Voici un schéma qui donne différentes possibilités concernant le coût de la réduction des émissions. Les coûts augmentent à partir de zéro ici et de zéro là, de sorte que ce sont des coûts négatifs ou en fait des profits. On a ici la quantité de réduction des émissions.

La première courbe est développée à partir de modèles macro-économiques qui supposent qu'il n'y aucune imperfection réductible du marché; c'est-à-dire, que le marché fonctionne parfaitement pour introduire des mesures d'efficacité énergétique ou remplacer les combustibles fossiles ou autres. Pour réduire les émissions, les modélisateurs imposent une taxe sur les hydrocarbures ou un système de permis. Les coûts pour chaque pays deviennent assez importants, soit plusieurs points de pourcentage du PIB, à mesure que les réductions s'accentuent.

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D'autres analystes disent: attention, il y a de nombreuses imperfections dans le marché; il y a beaucoup de choses qui empêchent l'utilisation de mesures énergétiques efficaces, qui empêchent l'utilisation de combustibles de rechange, etc. Si on tient compte de ces imperfections, il est possible de prendre un certain nombre de mesures pour améliorer l'efficience énergétique à un coût négatif ou sans qu'il en coûte un sou. Le groupe d'experts estime que la plupart des pays industrialisés pourraient, grâce à ces mesures, réduire leurs émissions de 20 p. 100 dès maintenant et les réduire même jusqu'à 50 p. 100 à l'avenir.

Voyons la courbe C: on constate que si les recettes obtenues par l'imposition des hydrocarbures, de permis ou des mesures de ce genre, selon le scénario de la courbe A, sont réinjectées dans l'économie par l'élimination de taxes plus déformantes - c'est-à-dire non pas tout simplement recueillir les recettes d'une taxe sur les hydrocarbures, mais les utiliser pour abolir des taxes plus déformantes et investir davantage dans l'économie du pays - on exerce un effet positif sur l'économie. C'est ce qu'on appelle un double dividende économique dans le rapport du groupe d'experts.

Enfin, il y a ce qu'on appelle les doubles dividendes environnementaux, c'est-à-dire que si l'on réduit la consommation de combustibles fossiles, on réduit en même temps un nombre important d'autres contaminants dans l'atmosphère. D'après bon nombre d'études effectuées en Europe et en Amérique du Nord, ces doubles dividendes environnementaux représentent entre 30 et 100 p. 100 du coût total des réductions des émissions.

Donc, ces mesures d'efficience énergétique, la possibilité de doubles dividendes économiques et de doubles dividendes environnementaux pourraient nous permettre de réduire considérablement les émissions sans que cela ne coûte quoi que ce soit ou même en réalisant de petits profits.

On voit ici les doubles dividendes environnementaux pour le Canada. C'est le pourcentage de divers contaminants provenant de la production énergétique, sans compter les émissions de dioxyde de carbone, par rapport à la pollution totale. On peut voir que les aérosols dont on a parlé ainsi que les anhydrides sulfureux qui causent les pluies acides proviennent surtout de la production d'énergie et contribuent considérablement à la pollution totale. Les oxydes d'azote et les hydrocarbures, qui causent le smog, proviennent en grande partie de l'utilisation de l'énergie. Le plomb et le mercure, les métaux toxiques, proviennent eux aussi surtout de l'utilisation des combustibles fossiles. Toutes ces émissions pourraient être considérablement réduites si l'on consommait moins de combustibles fossiles.

Selon le groupe de travail numéro 2 du groupe d'experts, qui s'est penché sur le secteur des transports, la technologie actuelle permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre par unité d'activité de transport de 20 à 50 p. 100 d'ici l'an 2025 sans changer la taille des véhicules ou leur rendement, et si l'on est prêt à accepter des changements dans la taille ou le rendement des véhicules, il serait possible de réduire les émissions de 60 à 80 p. 100 d'ici l'an 2025.

Le rapport du groupe numéro 3 porte sur les subventions et révèle que d'après un certain nombre d'études, il est possible de réduire les émissions globales de 4 à 18 p. 100 tout en augmentant les recettes réelles en éliminant progressivement les subventions pour le carburant à l'échelle mondiale.

Voilà donc pour les mesures d'efficience énergétique.

Il est en outre possible de séquestrer ou de capter une plus grande quantité de dioxyde de carbone dans l'atmosphère ainsi que dans les arbres et dans le sol. Il serait donc possible d'avoir des programmes de reboisement qui permettraient d'absorber entre 15 et 30 p. 100 des émissions de dioxyde de carbone du secteur industriel. Cependant, ce reboisement devrait se faire surtout dans les forêts tempérées et tropicales car les forêts boréales seront gravement menacées, donc le reboisement de ces forêts ne serait sans doute pas un bon investissement.

Le rapport dit qu'il est économiquement justifié de prendre des mesures. Les mesures irréprochables, c'est-à-dire les mesures qui permettent une efficience énergétique de 20 p. 100 maintenant et peut-être de 50 p. 100 pour les décennies à venir - qui permettent d'économiser de l'argent, sont justifiées par définition. Les avantages non climatiques pour la société dépassent leurs coûts.

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Les mesures dont les coûts sont équivalents aux dommages climatiques prévus sont économiquement justifiées et, bien que toute une gamme de changements climatiques soient possibles, toutes les études indiquent que le résultat attendu est un dommage net.

Enfin, les mesures dont le coût dépasse le dommage net peuvent être justifiées pour éviter le risque. Nous ne devons pas oublier que certains impacts, particulièrement pour les petites îles et les pays en voie de développement, pourraient être catastrophiques ou irréversibles.

La Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique demandait aux pays industrialisés de réduire leurs émissions au niveau de 1990 d'ici l'an 2000. C'est ce que bon nombre de pays, notamment le Canada, tentent de faire à l'heure actuelle. Cependant, ce n'est que la première phase, la première étape envisagée par la Convention cadre sur le changement climatique. Le but ultime est la stabilisation des concentrations de gaz à effet de serre - ce qui est beaucoup plus difficile à réaliser que la stabilisation des émissions - dans l'atmosphère à un niveau qui empêcherait une interférence anthropogénique dangereuse avec le système climatique.

Qu'est-ce qui constitue une interférence humaine dangereuse? C'est vraiment à chaque pays de le déterminer. Il faut décider si les effets sur la santé dont nous avons parlé, les effets sur les récifs de corail et les forêts boréales et le niveau de la mer, etc., constituent en fait une interférence anthropogénique dangereuse. Les gouvernements devront en décider. Le groupe d'experts ne peut que fournir des conseils quant aux effets qu'ils pourraient avoir.

Pour stabiliser les concentrations, il faudra vraiment intervenir. La concentration pré-industrielle de dioxyde de carbone était de 280 parties par million. La concentration actuelle est de 360 parties par million. Si nous voulons stabiliser entre la concentration actuelle et deux fois et demi la concentration de dioxyde de carbone... N'oubliez pas que tous les impacts dont nous avons parlé, ne sont que pour deux fois les émissions de dioxyde de carbone, et que nous atteignons les750 parties par million, soit environ deux fois et demie le niveau industriel. Si nous tentons de stabiliser entre les deux niveaux, alors nous devrons réduire nos émissions actuelles de 50 p. 100. Cela représente un changement très important dans l'économie énergétique du monde entier et un changement dans bon nombre d'autres choses que nous faisons.

Étant donné les incertitudes, nous recommandons une approche semblable à celle que prendrait un investisseur face aux incertitudes du marché boursier. Nous disons qu'un portefeuille de mesures visant à limiter le changement climatique devrait être adopté par chaque pays, et c'est un peu ce que nous avons fait au Canada.

Tout d'abord, il faut éliminer progressivement les politiques qui causent des distorsions, notamment les subventions, les allégements fiscaux, etc. Deuxièmement, il faut mettre en oeuvre les mesures de rentabilité dont nous avons parlé précédemment dans le secteur du transport pour réduire les émissions. Ensuite, il faut mettre en oeuvre des mesures rentables pour améliorer les puits, en pratiquant le reboisement, etc. Quatrièmement, il faut, conjointement avec les pays en voie de développement et d'autres pays, mettre en oeuvre certaines des meilleures technologies qui existent au Canada, par exemple, et dans d'autres pays industrialisés.

Cela nous permettrait de retirer des avantages importants, car dans de nombreux cas, l'application de ces technologies est moins coûteuse à l'étranger qu'elle ne l'est ici au pays, de sorte qu'il serait très utile de promouvoir une telle mesure.

La recherche sur le changement climatique demeure une activité importante visant à réduire les incertitudes et à déterminer le type de mesures d'adaptation qu'il nous faudra prendre de toute façon, car selon le scénario le plus optimiste, nous assisterons à d'importants changements climatiques au cours des décennies à venir. Naturellement, la recherche sur les technologies d'atténuation, sur la façon d'améliorer l'efficience énergétique et sur la façon la moins coûteuse, d'utiliser les énergies renouvelables, etc., est extrêmement importante.

Qu'arrivera-t-il si nous ne faisons rien? Le graphique que vous voyez ici décrit trois scénarios possibles. Celui-ci, le scénario IS92c, suppose une augmentation de seulement 10 p. 100 de la population d'ici l'an 2000, alors il vaut sans doute mieux ne pas en tenir compte. Les boîtes bleues indiquent les émissions cumulatives de dioxyde de carbone provenant de sources industrielles pour les 150 années précédant 1990, et on peut voir ici la quantité de dioxyde de carbone cumulative qui a été émise. C'est l'accumulation de dioxyde de carbone dans le système qui doit nous inquiéter. Si nous regardons la projection moyenne pour l'avenir, sans contrôle important des émissions, ces dernières seront sept fois plus élevées au cours du prochain siècle.

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D'autre part, 70 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre ont eu lieu au cours des 50 dernières années. Si nous ne prenons pas de mesures de prévention, nous produirons probablement la même quantité au cours des 20 prochaines années.

Permettez-moi de résumer très brièvement les points saillants du rapport du GIEC. Tout d'abord, l'incidence anthropique sur le climat est maintenant décelable. Deuxièmement, s'il n'y a pas d'intervention importante au cours du prochain siècle, il fera plus chaud sur terre qu'au cours des 10 000 dernières années. D'où de graves répercussions sur les écosystèmes naturels, surtout les forêts boréales et les récifs de corail, sur la santé humaine avec le stress dû à la chaleur et la propagation des maladies tropicales, et sur le niveau de la mer qui augmentera. Pour une augmentation d'un demi-mètre, la projection médiane montre que le nombre de personnes exposées aux inondations et probablement à des désastres naturels plus graves, notamment les tempêtes, les inondations et les sécheresses, passera de 46 millions à 92 millions.

Dans ce domaine, il y a une grande inégalité entre les pays en ce qui concerne les causes et les conséquences, la plupart des causes provenant des pays développés et la plupart des conséquences étant subies dans les pays en développement. Par conséquent, nous devrons réduire les émissions d'environ 50 p. 100 au cours des prochaines décennies si nous voulons atteindre les objectifs fixés dans la convention cadre sur le changement climatique.

Enfin, le coût des mesures de correction n'est pas nécessairement excessif. Nous avons examiné les diverses solutions de rechange que nous pourrions appliquer si nous mettons en oeuvre intelligemment les mesures de correction. Nous estimons qu'en raison des incertitudes, nous devons adopter une démarche globale et non pas miser sur une seule mesure.

Si nous ne prenons pas de mesures énergiques, il y aura une augmentation considérable des émissions de gaz carbonique au cours du prochain siècle, ce qui entraînera des répercussions climatiques très importantes et peut-être même désastreuses.

J'en ai terminé, monsieur le président.

Le président: Merci.

M. Lincoln (Lachine-Lac-Saint-Louis): Avez-vous des textes?

M. Bruce: Il y en a quelques exemplaires seulement. J'en ai donné un au président et je suis sûr que vous pouvez en faire d'autres copies.

Le président: Madame Comeau, voulez-vous commencer, s'il vous plaît?

Mme Louise Comeau (coordonnatrice du changement climatique, Club Sierra du Canada): Merci, monsieur le président. Je serai brève; mon exposé ne durera que dix minutes environ.

Je suis directrice de campagne pour le changement climatique au Club Sierra du Canada. Dans ce contexte, je dois être guidée par la science sur cette question très importante et j'essaye de la rendre accessible et de développer des programmes et des idées qui pourraient constituer la réponse du Canada dans ce domaine.

À cet égard, je fais partie d'un groupe connu à l'échelle mondiale sous le nom de Réseau d'action face au changement climatique. Au Canada, j'ai travaillé d'arrache-pied au cours des derniers mois pour terminer une étude que nous appelons le plan de rationalisation de l'énergie au Canada. Je vais vous en parler pendant quelques minutes pour vous en donner une idée.

Je vous laisserai un exemplaire de l'analyse micro-économique complète. L'analyse macro-économique est en cours. Je vais dire quelques mots en me servant des documents que j'ai devant moi. Je vais lire brièvement cette page-ci, vous montrer quelques diapositives, et nous discuterons de discussion, si cela vous convient.

Dans le cadre de notre étude, nous avons constaté qu'un programme d'efficience énergétique bien ciblé peut stabiliser les émissions de gaz à effet de serre au Canada au niveau de 1990 d'ici l'an 2000. Un tel programme permettrait de réduire les émissions responsables des pluies acides et du smog et comporterait de nombreux avantages du point de vue de la santé, de la réduction du déficit et de la création d'emplois.

Le plan de rationalisation énergétique comprend un ensemble d'instruments réglementaires, volontaires et économiques qui ont permis d'adopter des normes d'efficience plus élevées en ce qui concerne les immeubles résidentiels et commerciaux, les équipements, les appareils électroménagers et les véhicules, d'investir dans les sources d'énergie renouvelable et la cogénération, et de lancer une vaste gamme d'initiatives en matière de transport afin que les gens cessent d'utiliser leur véhicule pour recourir au transport en commun et ferroviaire, à la bicyclette et à la marche.

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Ressources naturelles Canada a analysé les initiatives touchant à la consommation d'énergie en utilisant les mêmes modèles informatiques qu'il utilise pour faire ses prévisions en matière d'énergie. Environnement Canada y a participé avec des mesures non énergétiques. L'appui de ces deux ministères ne constitue en aucun cas un appui à notre programme, mais leur participation à notre projet était certainement très appréciée. Nous avons constaté que le plan de rationalisation énergétique va réduire les émissions à effet de serre au Canada de 76,9 millions de tonnes d'ici l'an 2000, soit 3,3 millions de tonnes de moins que les niveaux de 1990. C'est le seul programme ou plan qui ait été lancé et qui stabilise les émissions au pays. D'ici l'an 2010, nos émissions de gaz à effet de serre diminueront de 176 millions de tonnes, soit 6,5 p. 100 de moins que les niveaux de 1990.

L'utilisation d'instruments économiques comme la taxe sur les hydrocarbures n'est pas nécessaire pour stabiliser les émissions de gaz à effet de serre au Canada. Deux instruments économiques seulement ont été utilisés dans la phase initiale de notre programme: une taxe de deux cents sur l'essence en 1996, et un système de compensation selon lequel l'achat de véhicules énergivores était taxé et l'achat de véhicules économiques autorisiait un rabais. Le programme de compensation n'a aucune incidence sur les recettes, autrement dit, les rabais sont compensés par les recettes générées par le programme.

Une petite taxe sur les hydrocarbures, fixée à 20$ la tonne à compter de l'an 2000, et 25$ la tonne en l'an 2005, contribuera à la réduction des gaz à effet de serre jusqu'en l'an 2010, mais il s'agit d'une très petite contribution. Comme Jim l'a mentionné, les avantages du programme découlaient de la réorientation des recettes. Nous en reparlerons dans un instant.

Actuellement, Informetrica analyse notre programme du point de vue macro-économique. Nous lui avons demandé de recycler toutes les recettes générées dans le programme pour financer ce dernier et réduire les charges sociales. Les résultats sortiront bientôt, mais d'après les premiers résultats, qui figurent dans votre trousse, notre programme n'est pas inflationnaire, ne nuit pas à la compétitivité du Canada et crée des emplois. Selon Carl Sonnen, si l'on en juge par le nombre total d'emplois, il y a des raisons de croire que notre programme va créer de 50 000 à 100 000 emplois en moyenne chaque année au cours des 15 prochaines années.

Au cours de notre étude, nous voulions examiner les multiples avantages qui découleraient de notre action. Je pense que si nous voulons acquérir la volonté politique nécessaire pour avancer, il faut que nous soyons en mesure d'énoncer ces avantages multiples. J'ai un peu parlé de la création d'emplois et de la stabilisation des émissions de gaz à effet de serre. Cependant, les combustibles fossiles produisent plus de chaleur par BTU que le changement climatique.

La production et la consommation de charbon, de pétrole, de diesel et de gaz naturel sont responsables de 45 p. 100 des émissions d'anhydride sulfureux, qui contribuent aux pluies acides, de 95 p. 100 des oxydes d'azote, et de 60 p. 100 des composés organiques volatiles qui contribuent au smog au Canada. Comme Jim l'a mentionné, ces émissions contiennent des particules qui contribuent à l'asthme et à la bronchite, ainsi que divers produits toxiques causant le cancer, surtout la leucémie et les tumeurs nasales.

Dans notre étude, nous avons constaté que la réduction de ces émissions était encore plus grande que celle des émissions de gaz carbonique. Nous ne nous attendions pas à ce résultat. D'après Ressources naturelles Canada, nous avons réussi à réduire de 24 p. 100 les émissions d'anhydride sulfureux. Les composés organiques volatiles ont diminué de 13 p. 100 et les oxydes d'azote de 16 p. 100 par rapport au niveau de 1990. Même si elle n'est pas directement comparable, une étude à laquelle j'ai participé et qui a été effectuée par le groupe de travail sur les carburants plus propres dans les véhicules a constaté que les initiatives visant à réduire les émissions de soufre contribuaient également à réduire les émissions de particules, et qu'un tel programme pourrait faire économiser jusqu'à 24 milliards de dollars dans le domaine de la santé.

Après la stabilisation des gaz à effet de serre, l'assainissement de l'air et la création d'emploi, notre dernier avantage est la réduction du déficit. Dans le cadre de notre programme, nous avons envisagé l'élimination des subventions accordées au secteur des combustibles fossiles.

Dans la deuxième partie du Budget des dépenses principal de 1995, on prévoyait de consacrer 410 millions de dollars à ce secteur. Même si Ressources naturelles Canada et le Réseau d'action face aux changements climatiques ne s'entendent toujours pas sur les incitatifs fiscaux - je dirai que Ressources naturelles Canada parle d'une marge de 2 millions de dollars à 300 millions de dollars, et les groupes comme le Réseau d'action face aux changements climatiques vont jusqu'à 1 milliard de dollars - le gouvernement accorde d'importants allégements fiscaux aux producteurs de combustibles fossiles en plus des déductions fiscales existant déjà dans le système.

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En outre, les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux dépensent chaque année des montants considérables pour construire des routes. Il n'y a pas longtemps, Transports Canada m'a mentionné le chiffre de 4 milliards de dollars environ par an. Notre programme préconise une réduction substantielle de ces dépenses, de même que le recours à d'autres moyens de transport.

Je vais vous montrer quelques diapositives pour expliquer notre propos, car ce discours est généralement assez ésotérique. Les gens ne comprennent pas très bien ce que nous voulons dire.

Étant donné que les immeubles actuels existeront encore dans 30 à 50 ans, le Canada doit lancer un grand programme de rénovation de tous ses immeubles, surtout dans le secteur commercial et institutionnel. Un tel programme de rénovation - ajouter des fenêtres, des portes, des éclairages isoler et réduire la consommation d'énergie, a permis d'économiser 11 milliards de dollars dans le secteur des immeubles commerciaux. C'est de l'argent que le secteur privé peut réinvestir dans ses activités.

Ce genre de démarche est logique, au point de vue changement climatique et rendement énergétique, car que faisons-nous? Nous réduisons nos coûts d'exploitation. Le secteur privé investit. Cet investissement est éminemment rentable. Les bénéfices réalisés peuvent être réinvestis ailleurs dans l'économie.

Par conséquent, nous avons vraiment besoin d'un programme de rénovation dans le secteur immobilier. Dans le cadre de ce programme, on concilierait mesures réglementaires, notamment l'adoption de normes de construction plus rigoureuses, et mesures volontaires. Il faut créer des conditions de marché qui améliorent l'accès au capital pour les gens qui veulent faire des rénovations. Il faut faire participer les banques, et ainsi de suite. Toutefois, le programme doit être volontaire.

Nous avons aussi besoin de normes plus strictes pour les appareils électroménagers et l'équipement. Les vraies réductions que nous avons obtenues - et je vais vous montrer les chiffres dans un instant - découlaient de l'examen des secteurs du transport et de l'électricité.

Nous avons besoin de normes plus exigeantes en ce qui concerne l'efficacité énergétique des véhicules. C'est un fait indéniable. Nous avons réduit de 26 millions de tonnes les émissions de gaz carbonique d'ici 2010 avec cette mesure. Comme Jim l'a dit, la norme que nous recherchons ne réduirait pas la taille ni la puissance des véhicules. On peut atteindre ce résultat avec la technologie existante.

Nous voulons aussi créer un fonds alternatif de transport, c'est-à-dire un partenariat fédéral-provincial si vous voulez, qui permettrait de trouver des fonds, de conclure des ententes pour lever des fonds et les investir dans le transport public et autres moyens alternatifs. Il s'agit-là d'un domaine particulièrement important, non seulement pour les changements climatiques mais aussi pour la qualité de l'air local.

Nous avons beaucoup de travail à faire ici du point de vue politique, surtout quand on sait ce qui se passe dans des provinces comme l'Ontario qui cherche à assouplir la loi relative à l'urbanisation afin de permettre un développement plus polyvalent et plus dense. C'est absolument critique. Compte tenu de la façon dont nous concevons et bâtissons nos villes, le Canada n'a prévu d'autres moyens de transport que l'automobile. Nous devons reprendre la situation en main.

En outre, nous préconisons une importante réforme du secteur des services publics au Canada, et cette réforme est en cours. Nous sommes très favorables à l'augmentation de la concurrence dans ce secteur. Nous voulons un marché compétitif, mais les conseils d'administration des sociétés de services publics doivent exiger que les facteurs environnementaux soient pris en compte dans l'achat de l'électricité. On ne le fait pas, et cela nous préoccupe beaucoup; à mesure que les marchés deviennent compétitifs, on tient moins compte des facteurs environnementaux, le charbon va gagner à tous les coups et nous allons tous y perdre. Il y un important besoin à ce niveau.

Dans notre étude, nous avons postulé une réforme du secteur des services publics, avec investissement dans le domaine de l'efficacité énergétique - surtout la co-génération, une technologie qui récupère la chaleur perdue et la réoriente pour qu'on l'utilise comme vapeur ou électricité pour chauffer l'eau et l'air, et ainsi de suite - et dans les sources d'énergie renouvelable.

Dans le secteur des services publics, l'électricité est la porte d'accès à l'énergie renouvelable. C'est une voie très importante dans laquelle nous devons investir pour développer notre capacité à long terme au Canada.

Comme je l'ai mentionné, nous avons parlé de réduction possible du déficit par la réorientation des subventions, ainsi que des besoins à long terme. Si vous voulez obtenir des réductions de l'ordre de 50 p. 100, vous devez vous pencher sur la question du juste prix de l'énergie, c'est-à-dire l'établissement du coût réel de l'énergie. L'incidence sur l'environnement n'est pas nulle.

De plus, nous avons examiné les mesures non-énergétiques comme la récupération du méthane dans les sites d'enfouissement et la récupération des fuites de méthane dans le secteur amont de l'industrie pétrolière et gazière.

Un tel programme a permis de réduire les émissions de 176 millions de tonnes, provenant essentiellement du secteur des transports, avec 61 millions de tonnes. Dans le secteur électrique - grace à la conversion - c'est 34 millions de tonnes. Cela n'est pas vraiment représenté sur le tableau, mais voici le secteur de l'électricité, et voici le secteur des transports. Les petits gains - évidemment - quoique importants - sont réalisés dans les domaines résidentiel, commercial et industriel.

.1715

Le Réseau d'action face au changement climatique constate, et cela a été reconfirmé à maintes reprises, que l'argument politique est que toute action serait contraire à l'intérêt du Canada. En réalité, c'est l'inaction qui n'est pas dans l'intérêt du pays. Nous privons l'économie canadienne de possibilité de devenir plus compétitive et plus productive, et nous l'empêchons de prendre sa place dans la nouvelle économie. Nous privons notre économie et nos travailleurs des possibilités qu'offre cette économie, en adoptant la démarche actuelle et en pensant que nous protégeons notre intérêt. Des changements s'imposent, mais nous avons constaté à maintes reprises qu'ils s'inscrivent dans le sens des intérêts à long terme du Canada.

Ici, vous voyez comment nous avons stabilisé les émissions. Comme je l'ai mentionné, c'est le seul programme qui obtienne ce résultat, et voici les réductions, ainsi que leur provenance.

Il ne s'agit là que d'une évaluation faite par Informetrica. Je vais vous la montrer sous forme de tableau. Au fond, nous montrons que le mouvement, le changement et les initiatives politiques visant à remédier aux changements climatiques ne nuiront pas à l'économie canadienne. Ce n'est pas la conclusion finale de notre étude; c'est la conclusion d'une étude antérieure qui n'a pas stabilisé les émissions, mais qui y est presque parvenue. Je pense que nos résultats seront très similaires.

Il y a un léger impact positif, mais en fait, ce sont d'autres facteurs - le taux d'intérêt, le déficit, etc - qui ont une plus grande incidence sur l'économie. L'argument de l'apocalypse économique est un mythe que nous devons combattre.

En fait, voici ce qui a été démontré. Voici les projections du PIB, avec et sans les mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, et vous pouvez voir qu'il y a une légère amélioration ici.

Quelles en sont les répercussions régionales? Nous voyons ici une légère amélioration pour le Canada, et c'est un tableau exagéré. La réduction du PIB, même pour une province comme l'Alberta, est inférieure; au fond, c'est peut-être une réduction de 0,5 p. 100 par rapport à la croissance du PIB prévue pour l'an 2020. Cela ne veut absolument rien dire, et une fois de plus, cela participe du mythe de la catastrophe économique.

Ce tableau montre, à une échelle différente, l'incidence sur la Saskatchewan et l'Alberta. Comme vous pouvez le voir, c'est assez modeste; en fait, Informetrica a constaté que même en Alberta, province dont le secteur énergétique est très actif, toute initiative visant à améliorer l'efficacité énergétique rend la province plus productive et plus compétitive. En réduisant sa consommation d'énergie, elle réalise des économies qu'elle peut réinvestir dans son économie.

M. Lincoln: Louise, voulez-vous expliquer ce tableau avec un peu plus de détails?

Mme Comeau: Je vais essayer. Il s'agit là des projections économiques d'Informetrica pour l'an 2010. L'auteur a fait des projections sur la croissance du PIB en fonction de certaines hypothèses - vous savez tous comment ces modèles fonctionnent - relatives à la croissance démographique, l'activité économique et ainsi de suite, jusqu'en l'an 2010. Ensuite, il a intégré nos mesures pour en évaluer l'incidence sur l'économie. Il dispose d'un modèle économique complet, applique nos mesures à l'économie et obtient les projections des croissances du PIB d'ici l'an 2000. Tout ce qu'il a trouvé c'est un changement très très infime, et évidemment, les résultats...

M. Lincoln: Quelle est la barre qui indique la croissance?

Mme Comeau: La case de base est en pointillé, et la barre solide représente ce qu'on appelle «le scénario 5», c'est-à-dire l'étude antérieure à celle que je viens de terminer, qui a été effectuée par le groupe de travail sur le changement climatique auquel ont participé les gouvernements fédéral et provinciaux. Je n'ai pas encore les résultats finals de notre étude.

Chez Informétrica, on estime que les résultats seront très semblables. À mesure que l'auteur applique les programmes dans ses modèles, il constate que lorsqu'une entreprise investit dans l'efficacité énergétique, elle réalise des économies.

Ici un autre facteur important qui pourrait modifier considérablement les choses: l'hypothèse d'une croissance sans les exportations - et c'est ici plus une affaire de modèle informatique que de politiques, et j'invite les membres du comité à y réfléchir, car je ne pense pas que cela soit conforme à la réalité.

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Personnellement, je ne crois pas que tel sera le cas pour le gaz naturel, à court terme. Je pense que la demande de gaz naturel - qui augmentera les émissions au Canada - continuera d'être forte. On considère le gaz comme un carburant de transition qui doit être utilisé pour économiser l'énergie.

Mais pour d'autres raisons, il se pourrait fort bien que ça soit encore plus prometteur, si vous voulez. Est-ce que je me suis fait comprendre?

M. Lincoln: Si je vous ai bien compris, les barres dans chacun de ces tableaux montrent que l'incidence sur le PIB sera presque nulle si l'on adopte vos propositions.

Mme Comeau: C'est exact.

M. Lincoln: Mais cela ne montre pas nécessairement que le PIB va s'améliorer.

Mme Comeau: Je n'ai pas encore les résultats finals, mais dans le scénario 5, on a constaté une amélioration de 0,3 p. 100 du PIB dans l'ensemble de l'économie canadienne. C'est ce que montre ce tableau. C'est le léger avantage ici, et on a aussi constaté un résultat positif dans la création d'emplois - je pense qu'il s'agissait de 50 000 emplois par an. Nos mesures sont plus énergiques; par conséquent, elles ont permis de créer plus d'emplois; évidemment, il faudrait faire une ventilation par secteur.

En fait, il s'agit d'un exercice d'ajustement. L'objectif est de promouvoir une économie plus durable, si vous voulez. Je n'essaie pas de critiquer certains secteurs; je présente tout simplement les faits. Je pense que le secteur de l'énergie doit s'adapter aux réalités du nouveau marché, réalités qui sont inévitables à cause de ces réductions, et je veux qu'ils participent à la nouvelle économie énergétique.

On constate effectivement des gains. Évidemment, les transports urbains, le camionnage, les pâtes et papier - ces secteurs progressent aux dépens, si je puis m'exprimer ainsi, des autres secteurs où la demande sera réduite. Toutefois, dans l'ensemble de l'économie canadienne, c'est le secteur manufacturier surtout - c'est-à-dire le secteur des biens et services - qui sera le grand gagnant. Cela fait partie de cet ajustement de notre économie.

Dans ce secteur, si nous formulons nos hypothèses relatives aux sources d'énergie renouvelables... Ce tableau n'est pas fondé sur nos hypothèses. C'est une version antérieure. Je dois souligner le fait que cela ne fait pas encore partie de notre étude.

Nous présumons que les résultats du secteur de électricité seront assez différents. Dans l'étude, nous avons constaté que nous ne construirons pas toutes les usines hydro-électriques prévues; ainsi donc, il y a une diminution de la croissance prévue, mais notre étude révèle un investissement important dans les sources d'énergie renouvelables. Je présume que le résultat sera différent. C'est le genre de chose que nous examinons.

À force de travail et de conviction, nous allons développer un consensus social.

Le président: Très bien, merci. Qui veut commencer? Madame Kraft Sloan.

Mme Kraft Sloan (York - Simcoe): Je voudrais revenir aux observations que vous avez faites tout à l'heure sur la réduction de 50 p. 100 - je n'ai pas le document devant moi - pour maintenir les émissions de gaz à effet de serre entre 350 et 750 parties par million. En combien de temps? Combien de temps nous faudra-t-il pour obtenir une réduction de 50 p. 100?

Ma deuxième question porte sur notre consommation actuelle de la capacité biotique de la terre à produire; actuellement, nous en consommons à peu près 40 p. 100, et dans 40 ans, la population mondiale doublera. Si nous ne modifions pas nos habitudes de consommation - ce qui est éminemment improbable - nous en consommerons 80 p. 100 dans 40 ans. Je me demande quelles seront les répercussions de notre consommation et du changement climatique sur l'écosystème. Y a-t-il une étude quelconque sur l'interaction de ces deux phénomènes?

M. Bruce: Votre première question porte sur la petite diapositive que j'ai projetée...

Mme Kraft Sloan: En effet.

M. Bruce: Si vous voulez vous stabiliser à 350 parties par million, ou à peu près au niveau actuel, vous devez agir dès demain pour obtenir une réduction de 50 p. 100 dans les émissions de gaz à effet de serre à l'échelle mondiale. Si vous êtes prêt à accepter 750 parties par million ou plus comme objectif pour toute l'atmosphère, vous pouvez vous permettre d'attendre plusieurs décennies avant de prendre des mesures pour atteindre 50 p. 100 de réduction.

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Je soutiens - comme on l'a fait dans le rapport de l'IPCC - que même si vous voulez atteindre ce genre d'objectif dans 20 ou 30 ans, vous devez commencer dès maintenant. Les grands investissements de l'appareil productif, puisqu'il faut bien le remplacer, doivent être faits de façon à consommer moins d'énergie si nous voulons nous engager dans la voie de la réduction des gaz à effet de serre dans le monde entier.

Mme Kraft Sloan: À titre de clarification, si vous voulez maintenir les concentrations au niveau actuel, faut-il atteindre 50 p. 100 de réduction tout de suite?

M. Bruce: Il faut viser 50 p. 100 tout de suite.

Mme Kraft Sloan: D'accord; donc, si nous commençons demain à viser les 50 p. 100, quand devons-nous atteindre cet objectif?

M. Bruce: Je ne pense pas qu'il soit possible de le dire. Et nous devons agir très rapidement si nous voulons atteindre une concentration semblable à celle qui prévaut actuellement.

Mme Kraft Sloan: D'accord.

M. Bruce: Votre deuxième question concernait les changements dans la consommation des ressources biologiques dans le monde et les problèmes qui en découlent.

C'est un domaine qui n'est pas tout à fait connu. Il y a eu des études approfondies sur certaines interactions entre biomasse forestière et climat, mais elles ne portaient pas sur toute la gamme des biotes et des biomes sur la terre. Actuellement, on est en train de développer certains modèles - dont celui de l'image - aux Pays-Bas pour essayer d'analyser l'interaction entre la consommation de biomasse ou l'utilisation de la biomasse par l'homme, et le climat.

Bien entendu, depuis le milieu du siècle dernier, ou même avant, le principal problème est celui de la réduction de la couverture forestière, qui a eu une incidence considérable, et qui a contribué d'environ 1/5 à 1/4 à l'augmentation du gaz carbonique dans l'atmosphère terrestre.

Le président: Nous y reviendrons.

[Français]

Monsieur Lavigne, s'il vous plaît.

M. Lavigne (Beauharnois - Salaberry): Dans votre énoncé, vous avez démontré l'importance des coûts que pourrait engendrer une modification de nos modes de vie. C'est difficile à calculer. Si on ne suivait pas votre scénario, pourrait-on calculer les coûts des dommages à réparer si on tardait à enclencher le processus?

Vous ne parlez pas des dommages et des coûts pour la santé. Selon moi, il y a des dommages qui pourraient être irréparables. Je ne pense pas que l'on pourra un jour remettre de l'ozone dans l'atmosphère. Donc, il y a des dommages irréparables. Dans votre scénario, voyez-vous 100 ans à l'avance? À un moment donné, les dommages pourraient-ils être irréversibles?

[Traduction]

M. Bruce: Oui. L'estimation des dégâts, si nous ne combattons pas le changement climatique, figure dans notre rapport. À l'échelle mondiale, cela représente de 1,5 p. 100 à 2,5 p. 100 environ du produit intérieur brut chaque année, mais le chiffre est beaucoup plus élevé dans les pays en développement que dans les pays industrialisés. Les premiers sont beaucoup moins capables de s'adapter au changement climatique, et beaucoup plus tributaires de l'agriculture et des ressources naturelles que les seconds. Par conséquent, il y a un coût, apparemment plus lourd que celui des mesures correctrices, à condition de savoir profiter et tirer parti de tous les avantages et gains supplémentaires possibles.

.1730

M. Lincoln: Je voudrais demander à Jim et à Louise: peut on utiliser les connaissances disponibles pour persuader les pouvoirs en place de faire quelque chose. À mon avis, c'est notre défi le plus important. Votre démonstration est si claire. Ceux d'entre nous qui sont déjà convaincus le seront davantage, mais le problème phénoménal réside dans le fait que les sceptiques sont très nombreux et semblent tellement plus nombreux que les croyants.

Moi, ce qui me renverse, c'est le fait qu'on refuse avec véhémence d'admettre, par exemple, qu'on aura des difficultés si on ne délaisse pas les combustibles fossiles pour des combustibles propres. C'est tellement évident dans mon esprit, et pourtant, on se heurte dans notre pays à tant de gens extrêmement bien informés et peut-être convaincus, qui vont se battre à mort, presque, pour défendre la thèse contraire. Je me demande comment on va changer cette mentalité.

Je sais qu'aux États-Unis, les progrès en ce sens ne valent pas mieux que les nôtres, quand on voit les chiffres. Et pourtant, en dépit de la poussée républicaine, des émules de Gingrich et de tout le reste, il me semble qu'on a assisté à une plus grande pénétration là-bas, de gens qui ont traduit ce que nous voulons faire... Qui ont traduit ces connaissances en conviction parmi les masses ou qui ont réussi à convaincre les dirigeants qu'il y a un bénéfice économique à en retirer.

Je songe à la Fondation énergétique, à Al Harvey et au Lawrence Berkeley Institute et à Amory Lovins, et à toutes ces personnes qui ont exercé une influence considérable, chose certaine à l'échelle nationale dans une certaine mesure, sur les services publics et sur les états, qui ont réussi à faire adopter des lois pour la centralité énergétique et ce genre de chose - on est allé beaucoup plus loin qu'ici. Je me demande comment rassembler nos forces respectives - les chercheurs scientifiques, les ONG et les groupes économiques - afin d'amener suffisamment d'industriels à exercer des pressions sur les autorités, qu'elles soient provinciales et fédérales, et les convaincre qu'il y a de l'argent à faire ici et qu'il faut agir vite. Aux États-Unis, on fait ce que Louise fait aujourd'hui, mais à une plus grande échelle. Je ne sais pas comment on va... D'accord, vous travaillez en collaboration avec Ressources naturelles Canada à l'heure actuelle, vous vous servez de ces modèles et de tout le reste, mais avez-vous persuadé le ministère d'abandonner les combustibles fossiles?

Comment faire? Je ne le sais pas moi-même. Tout ce que je vois, c'est un mur.

Mme Comeau: Toute la question est là, de toute évidence. Je crois qu'il y a divers éléments de réponse ici.

Je viens de terminer une tournée de trois mois au Canada. Je me suis rendu dans 20 villes différentes. J'ai parlé à des milliers de gens de cette question. Je pense que cela fait partie de la réponse, c'est-à-dire sensibiliser le public au problème et s'assurer que les gens ont les informations voulues.

Ce que nous faisons, c'est prendre les informations scientifiques les plus pointues pour en faire des exposés qui portent sur des secteurs précis. Par exemple, la dynamique politique au Canada a été telle que l'industrie des combustibles fossiles a réussi à dominer la politique gouvernementale. Ce qui se passe ici, c'est que personne ne parle au nom des pêcheurs, des fermiers, des forestiers, des entrepreneurs en tourisme, des peuples autochtones, ou de quiconque s'inquiète de la santé publique. Dans ce débat, ces clientèles ne sont pas représentées. Je crois qu'il est absolument essentiel de monter une vaste opération politique si nous voulons réaliser un consensus politique quelconque.

Donc, ce que nous faisons, au Réseau d'action face aux changements climatiques, compte plusieurs volets. Le premier, c'est que nous sommes en train de nous doter de notre propre réseau au sein du mouvement lui-même qui nous permettra de comprendre le problème, d'obtenir les informations scientifiques les plus pointues, d'agir sur le plan politique et sur la politique gouvernementale et tout le reste, et nous allons continuer en ce sens.

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Deuxièmement, nous sommes en train d'établir une base politique. En ce moment, je donne des conférences. J'assiste à toute les conférences auxquelles on m'invite. Nous nous assurons de faire savoir aux gens dans ces secteurs que leurs intérêts économiques ne sont pas protégés, et que ce problème va les frapper de plein fouet.

Troisième chose, c'est que nous devons trouver... Et, bien sûr, nous faisons cela dans le secteur des énergies renouvelables, le secteur de l'efficience énergétique et tout le reste; là nous nous sommes déjà dotés de certains moyens. Mais je crois sincèrement qu'il ne se fera rien, tant et aussi longtemps que nous ne nous serons pas concertés pour rassurer le secteur des combustibles fossiles sur son avenir financier, tant qu'on ne l'aura pas sécurisé quant à son avenir économique dans cette transition de l'ancienne économie carbonique à l'économie solaire. Voilà la dynamique qui se présente à nous. Ce secteur représente 10 p. 100 de l'économie globale. Nous avons besoin de son esprit d'entreprise, nous avons besoin de ses compétences, nous avons besoin de ses capitaux, nous avons besoin de sa créativité, nous avons besoin de ses ressources humaines et matérielles.

Je pense que ce que nous devons faire, c'est nous donner les moyens politiques voulus pour nous fair enteindre. Je crois sincèrement qu'avant 1990, à l'époque où ce problème n'était pas bien connu et que nous n'avions pas de convention et tout le reste, je pouvais accepter certaines choses. À mon avis, depuis 1990, 150 pays ont signé la convention, et le Canada est l'un des pires. Ressources Naturelles Canada consacre le gros de son énergie à chercher de nouveaux créneaux de combustibles fossiles, partout dans le monde. On est en train d'injecter entre 50 milliards de dollars et 100 milliards de dollars dans de nouveaux projets de combustibles fossiles rien que dans les pays en voie de développement.

C'est un crime contre l'humanité. Il faut interdire, interdire totalement, toute nouvelle exploitation de combustibles fossiles. C'est le signal dont le secteur a besoin. Allez voir Sunoco ou n'importe quelle autre entreprise, ils vont vous dire qu'ils savent que le changement s'en vient, mais qu'on ne vous prend pas encore au sérieux. Ces entreprises ne veulent pas bouger trop tôt, ni trop tard non plus, mais lorsque vont commencer à être menacées la rentabilité de leurs opérations et la sécurité de leurs actionnaires, elles vont bouger.

Nous avons donc besoin du signal politique voulu, et je pense que la convention est le mécanisme approprié. Les négociations qui vont mener à la ratification d'un protocole au Japon en 1997 font partie de ce processus. Il faut donner le bon signal politique pour amener l'industrie à participer à ce changement, parce que je pense que nous avons besoin d'elle, et l'on sait que la réforme globale du système énergétique est une entreprise colossale. Mais ce qui m'inquiète maintenant, c'est que tout nouveau projet de combustibles fossiles, toute nouvelle usine de transformation du charbon, sont 30 ans de perdus, parce qu'il faut rentabiliser les investissements. ça se comprend pour les capitaux qui ont déjà été investis, mais les nouveaux investissements sont inacceptables.

Je pense donc que nous avons besoin de ce signal. Nous devons mettre l'industrie de notre côté. Je pense qu'un élément de réponse réside dans la force croissante de la science. Mais nous devons nous doter d'une base politique. L'Association canadienne de l'électricité vient de me dire que tant que ça ne se reflètera pas dans ses sondages, elle ne fera rien. Nous avons donc besoin d'un programme massif. Je crois que mon approche politique fondée sur les avantages multiples est absolument essentielle; pour réussir, c'est ce que nous devons faire.

M. Bruce: J'ai deux ou trois observations. La première, c'est que le panel intergouvernemental sur le changement climatique réunit les travaux d'environ 500 scientifiques du monde entier, qui ont participé à la rédaction du rapport, qu'environ 5 000 autres scientifiques ont lu et commenté; c'est incorporés dans le rapport. C'est donc de loin le consensus scientifique le plus solide qui soit.

Il y aura toujours quelques voix dissidentes, et certaines d'entre elles bénéficient bien sûr de la complicité de gens qui tiennent au statu quo. Cependant, je crois essentiellement que nous devons tout simplement tenir notre bout et faire savoir à tous que c'est la conclusion scientifique la plus fiable possible. C'était un processus très perfectionné, qui a permis d'obtenir un consensus très fort de la communauté scientifique, et il ne reste que quelques réfractaires. L'ennui, c'est que les médias adorent ces réfractaires et, comme je l'ai dit, ces voix dissidentes sont encouragées par certaines personnes qui refusent le changement.

Cependant, je me sens quelque peu encouragé, du côté du secteur énergétique; À sa dernière séance au Japon, le Conseil mondial de l'énergie, qui est une vaste organisation rassemblant des gens de l'industrie énergétique, des gouvernements etc., a produit une très belle déclaration où il reconnaît clairement ses responsabilités environnementales. Permettez-moi de vous lire l'une de ces conclusions:

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Quand on entend l'industrie et le Conseil mondial de l'énergie dire de pareilles choses, il y a lieu de penser que des progrès se font à l'échelle globale. Tout ce que nous devons faire maintenant, c'est concrétiser cela à l'échelle canadienne.

Merci.

Mme Payne (Saint-John's-0uest): Madame Comeau, monsieur Bruce, j'imagine que si on ne fait rien et que la tendance au réchauffement se maintient, toute la population du Canada central et de l'Ouest ira s'installer dans les provinces maritimes, et je ne suis pas sûr que les gens des Maritimes aiment tant que ça nos amis de l'Ouest.

Des voix: Ah, ah!

Mme Payne: En fait, nous les aimons bien.

Il y a une chose qui n'a pas été dite, et j'aimerais entendre votre avis à tous les deux là-dessus, et c'est le fait que sur la côte ouest, l'eau se réchauffe, et sur la côte est, elle se refroidit, présumément à cause de la fonte des glaces résultant de la tendance au réchauffement. Je me demande si vous pouvez me dire l'effet que cela aura sur la biologie océanique et sur le fond marins.

M. Bruce: Les scientifiques des pêches sont plutôt prudents quant aux effets parce que de nombreux facteurs influencent la biologie océanique. Mais on semble penser de plus en plus, me semble-t-il, que sur la côte nord-est du Canada, par exemple, où la dévastation des stocks de morue est dûe essentiellement à la surpêche, l'incapacité des stocks à se renouveler rapidement serait attribuable au refroidissement de l'eau.

Sur la côte ouest, les anadromes comme le saumon sont très sensibles aux variations de température dans les fleuves de la Colombie-Britannique, ils sont également très vulnérables aux prédateurs, aux autres espèces de poissons qui apparaissent sur la côte ouest de l'Amérique du Nord lorsque des vents comme El Nino soufflent sur la côte du Pacifique. Donc les variations climatiques exercent de toute évidence une influence importante sur l'abondance de saumon et autres poissons sur la côte ouest.

Mme Comeau: De toute évidence, plus on avance, plus les examens scientifiques démontrent, que si l'on change la température de l'air en surface, on change aussi la température de l'eau et les courants marins; et il y aura donc des répercussions sur les emplacements des espèces. On parle d'un mouvement vers le nord pour certaines espèces commerciales de la côte est.

Cependant, il y a un autre effet dont les gens ne sont pas aussi conscients, et c'est l'effet sur les lacs. Une bonne part de notre industrie touristique vit de l'exploitation des espèces d'eau douce, par exemple, la truite et le doré. De nombreuses études du Sommaire du changement climatique d'Environnement Canada démontrent que ces espèces souffrent beaucoup et qu'elles ont éprouvé des pertes considérables.

Mme Payne: J'ai une autre question qui a trait aux activités d'exploration pétrolière au large des côtes. Je pense surtout à Terre-Neuve. Ces dernières années, on a vu apparaître là-bas une nouvelle substance en dépot, de la vase. Chose circule, cette substance n'est apparue qu'après que l'exploration pétrolière a commencé. Maintenant, il se peut fort bien qu'il s'agisse d'une coïncidence. Si vous connaissez ce phénomène, j'aimerais savoir ce que vous en pensez?

M. Bruce: Désolé, je ne suis pas au courant.

Mme Comeau: J'aimerais intervenir, si je le pris, étant donné que vous soulevez la question d'une exploitation pétrolière et gazière potentielle sur la côte est. Quand j'étais là-bas, nous avons parlé de l'exploitation des gisements de gaz naturels au large de l'île-de-Sable, en Nouvelle-Écosse, et bien sûr on a fait d'autres découvertes à la péninsule de Port-au-Port et à Stephenville. Et nous avons déjà Terranova et Hibernia.

Je crois sincèrement, et je l'ai dit plusieurs fois au ministre de l'Environnement et de l'Énergie là-bas, que Terre-Neuve doit y aller prudemment. Voyez les chiffres que Jim mentionnait - et nous le disons tout haut maintenant, parlons des plafonds globaux de gaz carbonique - il s'agit ici de projets à très grande échelle, à long terme, qui immobilisent des capitaux énormes, et qu'on entreprend justement au moment où l'on envisage des réductions importantes.

.1745

D'après ce que m'ont dit les gens à qui j'ai parlé dans le Canada atlantique, la plupart de ces exploitations visent le marché américain. Ce n'est pas le Canada qui va en profiter. C'est pourquoi j'ai de sérieux doutes quant à la participation canadienne à l'expansion de ces projets pétroliers et gaziers.

Mme Payne: Il me paraitrait tout de mêne plus important de réfléchir aux effets que tout cela aura sur l'habitat océanique.

Merci, monsieur le président.

Le président: La ministre des Ressources naturelles, ici sur la Colline, dit que la stabilisation du gaz carbonique peut être réalisée par des mesures volontaires. Qu'en pensez-vous?

Mme Comeau: Je vous ai remis aujourd'hui une évaluation publiée par notre Institut Pembina d'Edmonton. L'institut reconnaît qu'en fait, ce programme volontaire, au maximum, ne couvrirait que le tiers des objectifs. Selon l'angle selon lequel on envisage la chose, avec les projections actuelles, nous pourrions dépasser de 13 p. 100 notre objectif de stabilisation. Il semble que le programme volontaire pourrait nous aider à réaliser un tiers de cela, nous sommes donc très loin du compte. Je crois de plus en plus que les programmes à normes plus élevées dont je parle, et tout le reste, sont tout simplement inévitables.

Le président: À votre avis, que faut-il faire pour réaliser ces 20 p. 100, d'ici l'an 2005, cites dans le Livre rouge?

Mme Comeau: Vous allez voir, dans l'introduction à notre étude, que je parle de la nécessité d'apporter davantage de changements structurels. Les améliorations graduelles en matière d'efficience énergétique et les améliorations graduelles en matière d'énergie renouvelable sont importantes, mais il faut apporter des changements structurels dans deux secteurs précis.

Il faut d'abord se pencher sur notre mode de vie, et c'est largement un problème à caractère urbain, municipal. La conception de nos villes, les problèmes relatifs à la conception de nos villes, et notre capacité d'utiliser d'autres formes d'énergie, sont critiques. Par exemple, tant et aussi longtemps que nous allons continuer de bâtir de vastes complexes à usage unique, nous ne pourrons tout simplement pas examiner d'autres options comme l'énergie de district.

Donc les changements structurels sont essentiels, tout comme le sont aussi les grands investissements. Il faut investir rapidement et massivement dans les énergies renouvelables. À notre avis, le Canada doit se doter d'un objectif d'énergie renouvelable, et les gouvernements fédéral et provinciaux doivent s'engager à acheter ce que nous appelons «l'énergie verte», qui est essentiellement l'énergie renouvelable, l'électricité qu'on peut tirer de l'énergie renouvelable.

Nous avons besoin de ce genre de grand changement structurel, et de là nous devons fixer des objectifs et agir afin de les réaliser.

Le président: Merci.

Monsieur Forseth, s'il vous plaît.

M. Forseth (New Westminster - Burnaby): J'aimerais m'écarter un peu du sujet avant de poser ma question. Quand vous parlez d'énergie renouvelable, vous dites essentiellement que les barrages hydro-électriques sont préférables à la consommation de combustible fossile.

Mme Comeau: Non. Je songe davantage à des investissements dans l'énergie éolienne, solaire, dans la biomasse, à exploiter les déchets du bois et les déchets agricoles et tout le reste. Mais nous sommes favorables aux projets hydro-électriques à petite échelle. Si nous devions nous engager dans un débat sur la façon de faire ces choses, je vous dirais tout de suite que je suis pour l'énergie douce. Je crois dans les projets énergétiques à petite échelle, taillés sur mesure, où la production locale est faite pour la consommation locale. Nous ne sommes donc pas nécessairement favorables aux projets hydro-électriques pharaonesques.

M. Forseth: Voici ma question. Vous pouvez répondre tous les deux. Tous vos tableaux et tout ce que vous avez dit aujourd'hui portaient essentiellement sur le contexte canadien. Dans le système global, quelle est l'importance de l'activité économique canadienne?

Dans la situation politique où nous sommes, nous voulons sûrement contenter nos voisins, mais d'un point de vue technique, peu importe ce que nous fassions, quelle influence le Canada exerce-t-il à l'échelle mondiale? Ce n'est peut-être pas grand-chose.

Mme Comeau: J'ai deux points de vue ici. On me dit tout le temps cela: le Canada compte pour 2 p. 100 des émissions globales, dont à quoi bon se faire du souci avec ça?

Je pense qu'il faut examiner la question à partir de deux points de vue. Le premier, c'est que nous subissons plus que 2 p. 100 des effets. Le Canada va être grandement touché par les variations climatiques. Je pense que c'est une question essentielle. Le Canada doit agir avec dynamisme à l'échelle mondiale. Il faut absolument réduire les émissions globales.

L'autre chose, c'est que le Canada est un pays exportateur. Notre prospérité est tributaire dans une large mesure de nos exportations. Nous devons être compétitifs à l'échelle internationale. Notre économie ne se portera bien que si nous pouvons être compétitifs à l'échelle internationale. Le Japon, l'Allemagne, et d'autres pays du G-7 et de l'OCDE intègrent ces données dans leur stratégie industrielle. Le Japon investit des millions dans les énergies renouvelables. L'Allemagne est sans conteste le chef de file en matière de technologies efficientes.

.1750

Le Canada a des possibilités. Nous avons les technologies Ballard. Nous avons des compétences que nous pouvons commercialiser dans le monde entier et dont nous pouvons profiter. Il y a des possibilités authentiques de ce côté.

Nous exerçons également une influence à l'étranger, et ce n'est pas tant au niveau de nos émissions que du rôle que nous jouons sur la scène internationale: je pense à l'aide bilatérale dans le cadre de l'ACDI, à la société pour l'expansion des exportations. Nous jouons un rôle important dans les exploitations pétrolières et gazières partout dans le monde. Comme je l'ai dit plus tôt, Ressources naturelles Canada dépense... Partout où je vais, je rencontre son personnel de la Direction du développement économique en Russie ou dans les divers pays du Bloc de l'Est, qui collaborent aux exploitations pétrolières et gazières. On peut dire que nous exerçons dans ces pays plus d'influence que chez nous.

Mais ce qui m'inquiète, c'est le plus long terme. Nous allons perdre nos possibilités et nous allons perdre notre avantage concurrentiel et nos propres possibilités économiques si nous n'agissons pas.

Je pense ici aux services. Nous voulons de l'éclairage, du chauffage, de la climatisation, et tout le reste, et il y a toutes sortes d'activités économiques associées à ces services. Notre attachement aux sources énergétiques qui nous permettent d'obtenir ces services va nous désavantager à long terme.

M. Bruce: Même si 2 p. 100, ce n'est pas beaucoup, le Canada compte parmi les 10 pays qui produisent le plus de gaz à effet de serre. Il y a 150 pays dans le monde, qui émettent tous des gaz à effet de serre. Si chacun d'eux dit, eh bien, nous n'en produisons que 0,3 p. 100, le problème ne se réglera jamais. Le Canada, à titre de membre de la communauté mondiale, et à titre de producteur de gaz à effet de serre très important comparativement à la plupart des autres pays, doit faire sa part ici.

M. Forseth: Si l'on calcule per capita, nous paraissons moins bien.

M. Bruce: Per capita, nous sommes les deuxièmes au monde.

M. Forseth: Comparativement à...?

M. Bruce: À tous les pays du monde.

Mme Kraft Sloan: Nous avons un problème de surpopulation dans notre pays, de surpopulation énorme.

Mme Comeau: Du point de vue de la consommation.

Mme Kraft Sloan: Oui.

[Français]

M. Lavigne: Ne croyez-vous pas que le principal moyen, pour nos gouvernements, d'influencer l'industrie pétrolière ou autre serait de sensibiliser davantage le commun des mortels, la population en général? Ils pourraient le faire au moyen de rapports scientifiques très vulgarisés qui seraient mis à la portée de tout le monde par le truchement de la télévision.

Aujourd'hui, les gens dans la rue ou dans leur maison ne s'aperçoivent pas que la couche d'ozone s'en va. Ce n'est pas évident pour eux. Cela n'étant pas évident, ils n'exercent pas de pressions quand vient le temps d'élire un nouveau gouvernement.

Selon moi, tant et aussi longtemps que les citoyens n'exerceront pas de pressions sur les gouvernements, ces derniers ne prendront pas l'initiative de cette démarche, et encore moins ceux qui exploitent des puits de pétrole. Le gouvernement canadien a investi beaucoup d'argent dans le projet Hibernia. Donc, on n'est pas près de s'en retirer ou de prendre une nouvelle direction pour atteindre vos objectifs.

Je ne veux pas être plus pessimiste qu'il ne le faut, mais je crois que c'est la population, une fois sensibilisée, qui pourra enclencher ce processus. Je ne sais pas si vous avez des commentaires à faire là-dessus. C'est peut-être un peu farfelu de présenter les choses comme cela, mais je pense que cela pourrait aider beaucoup.

[Traduction]

Mme Comeau: J'entends cela tous les jours, cela ne me dérange donc pas.

Je crois que cela nous ramène à la question que j'ai mentionnée auparavant, les avantages multiples. Il faut faire comprendre ce problème aux gens, et le leur faire comprendre de telle manière qu'ils vont bien voir qu'ils en sont victimes eux aussi.

Les aspects relatifs à la santé revêtent une importance critique, et je ne parle pas seulement des torts que les pluies acides et le smog causent à la santé, mais des nombreux torts que vont causer les variations climatiques elles-mêmes. Nous allons voir au Canada de nouvelles maladies, des maladies que nous ne connaissions pas. Les gens vont être touchés par des phénomènes météorologiques plus graves. Comme vous l'avez vu, on a vu cette année des gens fuir leur foyer à cause des feux de forêts et des inondations. Ces deux phénomènes vont augmenter avec les variations climatiques. De même, les gens seront touchés par les phénomènes météorologiques extrêmes, par exemple, les ouragans, les tornades et le reste.

.1755

Je pense que l'aspect santé est également important. La communauté scientifique dit clairement que les variations climatiques vont faire beaucoup de morts. Ils disent que la malaria se propage et frappe des millions de gens. Des gens vont mourir à cause des variations climatiques, et c'est pourquoi je pense qu'il faut leur en parler franchement.

Comme vous dites, il faut aussi communiquer ces informations aux gens sous une forme plus simplifiée, ce sur quoi nous travaillons maintenant. Plusieurs groupes écologistes s'emploient à traduire en termes accessibles les informations du GIEC. David Suzuki parlera du changement climatique à son émission The Nature of Things le 29 février. Cela nous aidera aussi.

Comme je l'ai dit, je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que cela nécessitera une longue préparation. Je pense que les groupes d'écologistes ont travaillé très fort, et à plusieurs égards, nous avons appris des choses. Nous avons perdu trop de temps à siéger dans des salles de comité, à discuter avec d'autres parties intéressées, à essayer de convaincre des groupes industriels qui ne veulent pas changer. Nous devons retourner sur le terrain, nous devons rentrer chez nous, nous devons rejoindre les gens. C'est ce que nous faisons maintenant. Je pense que vous allez voir un mouvement croissant en ce sens, si vous voulez, où nous tâcherons de faire réagir le public. Malheureusement, ça va prendre du temps.

Au même moment, nous tâchons de faire valoir les avantages économiques de nos idées en espérant que les gouvernements vont voir eux-mêmes les possibilités que tout cela revêt pour réduire le déficit et les coûts des soins de santé. C'est donc un programme multiple.

[Français]

M. Lavigne: Dans votre présentation, vous avez parlé de la création d'emplois. J'ai trouvé cela extraordinaire. Je n'ai pas noté les chiffres que vous avez cités, mais c'était assez important. Vous parliez de 50 000 à 100 000 emplois chaque année, pendant 15 ans. Il n'y a pas un gouvernement, avec le taux de chômage qu'on connaît, particulièrement au Canada, qui ne devrait pas être impressionné par ces chiffres.

Avec les moyens que nous avons aujourd'hui, connaissez-vous une façon de passer à cette transition et, comme vous nous le suggérez, de créer des emplois? Pour les gouvernements qui voudraient emprunter cette voie, y a-t-il un tremplin de passage? Est-ce assez bien défini? Comment un gouvernement pourrait-il s'y prendre pour en arriver à ces résultats?

[Traduction]

Mme Comeau: Nous envisageons plusieurs initiatives. Nous faisons valoir l'avantage qu'il y a au niveau de la création d'emplois, ce qui veut dire qu'il faut faire plusieurs choses ici. Il faut essentiellement écarter les gouvernements parce qu'ils font obstacle dans plusieurs cas.

L'autre chose, c'est qu'il n'y a pas d'information. Il nous faut plus d'information, et l'obtention de cette information incombe à des ministères comme Environnement Canada, Ressources naturelles Canada et les autres.

Pour impulser l'efficience, il faut de meilleures normes. Il faut des règlements. Par exemple, si l'on veut procéder à la réhabilitation thermique d'un immeuble, il faut respecter certaines normes. Des normes plus élevées constituent un facteur très important. Les gouvernements peuvent jouer un rôle ici.

Il faut aussi éliminer le favoritisme fiscal. La catégorie 43 en est un exemple parfait, et je crois savoir que le Pembina Institute for Appropriate Development vous en a déjà parlé. Pour avoir droit à cette catégorie, il faut être essentiellement une société énergétique, ce qui veut dire que si vous êtes médecin ou dentiste et que vous avez quelque argent à investir, vous ne pouvez investir dans l'énergie renouvelable et obtenir la déduction fiscale accélérée.

Nous envisageons donc des changements à la fiscalité. Nous voulons éliminer les distorsions que sont ces subventions qui pénalisent, par exemple, les investissements dans l'efficience énergétique et le reste. Nous voulons des normes plus élevées et nous voulons aussi des investissements. Même à l'heure où l'on réduit les déficits gouvernementaux, nous voulons que les gouvernements redirigent certaines dépenses, par exemple, les investissements dans le transport public et autres, parce que nous croyons que ça rapporte. Nous voulons faire ce genre de choses. C'est une cause difficile à plaider par les temps qui courent, mais nous avons la conviction que nos propositions n'auront pas pour effet de creuser les déficits gouvernementaux. Nous tâchons de nous montrer responsables ici.

La recherche-développement gouvernementale doit s'éloigner du nucléaire, de l'énergie au charbon et autres combustibles fossiles, pour se rapprocher des énergies renouvelables et des technologies avancées - c'est absolument essentiel - et au même moment, les gouvernements fédéral et provinciaux doivent s'entendre d'une manière quelconque pour rediriger certaines dépenses, par exemple, préférer certaines options à la construction de nouvelles routes. Il faut que les gouvernements participent d'une manière quelconque.

.1800

M. Bruce: Cette cause ferait des pas de géant si l'on pouvait avoir ce genre de discussions avec le comité des finances ou le comité des ressources naturelles, ainsi qu'avec le comité de l'Environnement bien sûr, parce que l'un des problèmes, c'est que le message que nous essayons de faire passer n'est pas bien entendu ou compris par les fonctionnaires ou ceux qui s'intéressent au ministère des Finances ou de l'Industrie.

M. Steckle (Huron - Bruce): Vous avez dit cet après-midi beaucoup de choses qui m'ont impressionné. Je vous remercie d'être venu.

Je veux vous poser une question simple, après quoi je vous en poserai une plus difficile.

Si vous étiez employé au service des routes ou au service des Travaux publics de la ville d'Ottawa et que vous étiez aux prises avec le problème que posent les averses de neige maintenant, comment envisageriez-vous toute cette question du réchauffement de la planète? La tendance au réchauffement vous rendrait-elle heureux?

M. Bruce: L'un des faits remarquables, qui s'est produit dans l'est de l'Amérique du Nord, et que les statistiques permettent de relever, c'est que l'hiver et le printemps commencent plus tôt. Si vous examinez les changements de température saisonniers, nous avons constaté un certain refroidissement en automne, bien que le réchauffement en hiver, au printemps et en été fasse contrepoids. Le refroidissement est dû, dans une grande mesure, à l'avancement du début de l'hiver; la plupart des modèles projettent également un avancement du début du printemps.

Je pense donc que dans votre ville, l'administrateur chargé du déneigement devrait prévoir un budget un peu plus chargé en novembre, car il n'aura probablement pas besoin de déneiger au printemps.

M. Steckle: Peut-être aurons-nous des chiffres plus précis là-dessus en avril prochain.

M. Bruce: Je l'espère.

M. Steckle: Permettez-mois de me faire un peu l'avocat du diable: vous parliez de la résistance des gens aux changements. Beaucoup de nos modes de vie contribuent à abréger celle-ci. Certains de nos actes ne nous permettent peut-être pas de vivre aussi longtemps que nous l'aurions fait si nous ne les avions pas commis. Certaines de ces habitudes sont génératrices d'impôts, mais tout en étant conscients de tout cela, le pli est pris. Pourquoi pensez-vous que nous penserions différemment sur cette autre question qui est bien au-dessus de nous où nul ne peut vraiment s'identifier à elle? Pouvez-vous répondre à cette question?

M. Bruce: Il y a une grande différence entre connaître un acte qui va abréger votre vie, et subir de la part des autres quelque chose qui va abréger votre vie. Ce que nous constatons ici, c'est que le nombre de décès dus aux changements climatiques sera probablement plus grand dans les régions tropicales, autrement dit dans les pays en voie de développement. La vraie question que nous devons nous poser, c'est s'il est de notre devoir, dans une certaine mesure, en tant que principale source d'émissions par habitant, d'essayer d'empêcher certains de ces décès dans les pays en voie de développement ainsi que dans le nôtre.

C'est une question bien différente des excès commis par les fumeurs ou les buveurs, dont les effets nocifs s'exercent sur eux-mêmes.

Mme Comeau: Cette question a en effet de profondes répercussions morales. Jim a tout à fait raison, il y a une grande différence entre les risques pris de son propre gré et les risques involontaires. Même dans notre milieu, nous imposons aux Canadiens des risques involontaires très élevés.

Je vous ferai remarquer que dans les mesures que je proposais rien ne contribuait d'aucune manière à réduire le niveau de vie des Canadiens. Bien au contraire, ce dernier n'en est qu'amélioré, en raison des avantages supplémentaires tels que moindre exposition à la pollution et aux dangers pour la santé. C'est une amélioration de la qualité de vie que ces mesures entraîneraient et ceci a été prouvé maintes fois.

.1805

Ce que j'essaie d'expliquer aux gens, qui y réagissent très positivement, c'est que la plus grande partie des problèmes liés aux changements de climat, qu'il s'agisse de pluie acide, de smog, de produits toxiques et autres, résultent des déchets. C'est une chose que les gens comprennent.

Examinons par exemple l'efficacité d'un véhicule: 25 p. 100 seulement de l'énergie de l'essence fait mouvoir les roues et actionne l'équipement de la voiture; tout le reste est gaspillé par la chaleur qui se dégage dans le moteur à combustion interne.

Pareille inefficacité règne dans tout notre système, allant de 25 à 35 p. 100 pour nos centrales thermiques, par exemple. Il existe de nos jours des technologies qui économisent de l'argent et suppriment les déchets; c'est là un message positif, auquel les gens réagissent fort bien.

Il serait injuste envers ce que Jim et moi proposons de l'associer avec un changement qui, d'une façon quelconque, entraînerait une diminution du niveau de vie. Nous pensons plutôt que c'est une amélioration de notre niveau de vie.

M. Steckle: Ce que je voulais plutôt dire, c'est que pour la plupart des gens ce sont des idées qui paraissent éloignées de leur vie quotidienne.

Me permettez-vous maintenant une autre question? Le Canada devrait-il participer à l'avenir au projet de fusion thermonucléaire, à la science de la fusion?

M. Bruce: En principe, et dans une situation idéale je répondrais par l'affirmative, mais vous ne pouvez isoler cette activité. Il y a d'autres investissements qui sont tout aussi importants, voire davantage, et que nous devrions faire, comme par exemple améliorer l'efficacité des sources d'énergie renouvelable, en particulier l'énergie solaire. Ce serait, à mon avis, une option préférable, mais je ne dirais pas pour autant qu'il est mauvais d'investir dans la fusion, riche de promesses si on peut résoudre certains problèmes.

Le président: Monsieur Lincoln.

M. Lincoln: J'ai deux questions: l'une est d'ordre international, et fait suite à celle deM. Forseth. Je me demandais, à propos du pourcentage de participation du Canada, quelle force exerce un exemple, au plan international. Il est évident que ceux dont la consommation d'énergie par habitant, en particulier d'énergie polluante, est beaucoup plus basse que la nôtre nous reprochent toujours ce fait quand nous essayons de les convaincre en les sermonnant.

L'un d'entre vous pourrait-il me dire ce qui se passe en Chine, par exemple, où nous essayons de vendre le projet du barrage des Trois Gorges et les réacteurs CANDU, alors que les Chinois procèdent actuellement à une exploration massive des gisements de charbon et envisagent de les utiliser, ce qui, avec 1,3 milliard d'habitants, multiplié par tous ceux qui naîtront dans les années à venir, va avoir un effet dévastateur. Comment cependant recommander aux Chinois de ne pas utiliser de charbon alors qu'ils en ont un besoin désespéré? C'est là ma première question.

Enfin je voulais dire à Louise que je suis d'accord avec elle sur le fait qu'il convient de faire ressortir l'aspect santé et les autres multiples motifs mais en dernier ressort, à court terme tout au moins, c'est l'idée de bénéfices qui va faire changer les choses. C'est là que j'ai vu Louise, et d'autres comme elle, travailler sans qu'on lui en donne les moyens. Il en est de même pour vous: sans aucune financière, sans recherche, vous vous efforcez désespérément de convaincre le monde. Ce sont des gens qui font tout tout seul, la plupart du temps en tirant le diable par la queue.

Là encore je compare avec mon expérience dans le même domaine aux États-Unis, où des gens comme Lovins, le professeur Rosenberg, Al Harvey et la NRDC ont de vastes moyens à leur disposition. Ceci est dû au fait que les fondations et les instituts de recherche des États-Unis sont appuyés par les crédits d'impôt à des personnes fortunées, qui y investissent de l'argent pour éviter l'impôt. Aussi ces fondations, étant des organismes indépendants, ont-elles les moyens de changer les choses.

.1810

C'est ainsi qu'en matière de post-transformation la NRDC à New York, et Audubon peuvent être fiers de leurs bâtiments, qui sont à la pointe de la technologie. Aux Laboratoires Lawrence, à Berkeley, vous pouvez voir exactement quels changements climatologiques se sont produits. Des gens comme Lawrence se promènent dans le monde en prêchant la bonne nouvelle, il a un bâtiment modèle à Snowmass.

S'il faut penser en termes pratiques, je me demande si ce n'est pas au ministère des Finances qu'il faudrait s'adresser pour leur dire que nous devons donner à Louise Comeau les moyens de se faire connaître. Certes, elle n'est pas une inconnue, mais si elle en avait les moyens elle pourrait convaincre les industries, elle pourrait trouver des associés.

C'est un domaine où on a toujours du mal à joindre les deux bouts. Ceux qui essayent de convaincre les autres sont pauvres, et ceux qui doivent être convaincus ont tous les moyens nécessaires pour vous écraser, avec leurs lobbyistes et autres.

Excusez-moi, je sais que les questions sont trop complexes, mais je serais heureux si vous répondiez à ces deux points.

M. Bruce: Je vais peut-être me charger de la question relative à la Chine, et vous pourrez parler des questions plus complexes.

Dans un avenir pas très éloigné la Chine et les autres pays en voie de développement vont constituer un très grand problème. D'après les projections actuelles, les rejets de gaz de serre provenant des pays en voie de développement, en particulier la Chine et l'Inde, dépasseront, vers 2025, ceux des pays développés si les choses continuent à aller du même train. Mais si nous permettons à ces projections de se concrétiser dans le monde entier, nous nous trouverons aux prises avec de très graves problèmes touchant l'environnement et toutes ses répercussions. Il est donc essentiel de trouver comment convaincre la Chine et l'Inde, et autres pays de cette catégorie, à consommer l'énergie de façon plus efficace.

Plusieurs études ont été faites à présent, et un livre remarquable dont l'auteur estJosé Goldemberg, ancien ministre des Sciences du Brésil, a été publié et traite de diverses voies de développement durable pour les pays en développement. L'esprit est le même que celui de Louise: ce qu'il faut faire, lit-on dans ce livre, c'est de créer des sources d'énergie basées sur les collectivités, et de nous détourner des mégaprojets et des lignes de transmission sur grande distance. Une collectivité peut trouver ses sources d'énergie dans l'énergie solaire et éolienne, dans la biomasse et parfois dans de petits projets d'hydro-électricité. C'est là le message que ce livre sait présenter avec beaucoup de conviction.

Ce que nous devrions faire dans nos programmes d'assistance, c'est d'encourager fortement ce genre d'évolution dans des pays comme l'Inde et la Chine. Ce ne sera pas facile, comme vous le faisiez remarquer, mais c'est pourtant bien ainsi qu'il faudra procéder.

Mme Comeau: Je voudrais revenir sur la même question, Clifford. Le Canada peut faire beaucoup avec Len Good à la Banque mondiale, en utilisant judicieusement les fonds de l'ACDI et ceux de la Société pour l'expansion des exportations. Le Canada doit adopter une politique homogène en matière de prêts, et nous devons mettre fin au financement de l'exploitation du pétrole et du gaz.

Une des idées que nous devons démystifier, c'est celle que nous essayons de refuser aux pays en voie de développement leurs droits à ce dernier. Rien ne pourrait être plus faux: ce que nous essayons de faire, c'est leur garantir l'accès aux sources énergétiques dont ils ont besoin pour développer leur économie comme ils le jugent bon, avec le moins dégâts possibles pour l'environnement et pour la santé. Nous devons aborder la questions en toute franchise et nous disculper.

Ce n'est pas du tout le cas à l'heure actuelle: il est beaucoup question d'écologie, mais ce n'est pas le chemin que prennent nos dollars. Le Canada doit exercer là un rôle plus utile, et nous ne le faisons pas.

D'après l'information que j'ai reçue récemment, le portefeuille actuel de la Société pour l'expansion des exportations contient environ 90 p. 100 de projets énergétiques à base de combustibles fossiles. Le Canada est donc complice d'accroissement de ces émissions.

Mme Kraft Sloan: Quatre-vingt dix-huit p. 100.

Mme Comeau: Non, je crois que c'était 90 p. 100; on s'en vantait quasiment.

L'information est très difficile à obtenir. Si le comité voulait examiner la question je l'apprécierais beaucoup, car il m'est très difficile d'obtenir cette information. Ces gens se vantaient de n'avoir jamais vu tant de projets énergétiques dans leur portefeuille, que c'était un fait sans précédent. Nous devrions vraiment chercher à y mettre le holà.

.1815

À mon avis, le Canada contribue en complice à l'augmentation des émissions dans les pays en voie de développement. Nous avons des sociétés telles que TransAlta, par exemple, qui investissent en Chine, dans des installations de traitement du charbon. Ce n'est pas une chose qui se passe à notre insu.

Mme Kraft Sloan: Il est intéressant de vous entendre parler de système d'énergie basé sur les collectivités. Le développement économique des collectivités est en effet un sujet qui m'intéresse beaucoup, et j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec M. Yunus, fondateur, au Bangladesh, de la Banque Grameen, qui constitue un succès remarquable.

À l'heure actuelle, M. Yunus organise une conférence qui aura lieu à New York l'an prochain; l'intention est de réunir les principaux décideurs pour faire participer, dans le système de prêts de la Banque Grameen, 100 millions des plus démunis parmi les pauvres de ce monde. À l'heure actuelle, 12 millions de personnes empruntent à la Banque Grameen - c'est actuellement la plus grande banque du Bangladesh - et 50 p. 100 de ceux-ci ont su ainsi se tirer de la misère, ce qui est remarquable. Ce serait là une entreprise extraordinaire, celle dont vous nous parliez, à savoir un développement vraiment durable qui soit ainsi lié aux sources d'énergie.

Vous aviez mentionné cela auparavant, et vous le mentionnez de nouveau. Vous n'avez peut-être pas cette information, mais j'aimerais savoir combien le Canada dépense à cet effet en Russie et dans certains des pays en voie de développement. Vous disiez que EnerCan a fait des investissements en Russie; savez-vous à combien ils s'élèvent?

Mme Comeau: Je le sais, mais je n'ai pas les chiffres sur moi. J'ai toutefois de l'information que je peux procurer au comité. L'ACDI vous remettra une liste de tous les projets énergétiques qu'elle finance. Je n'ai pas pensé à apporter avec moi cette information, j'ai une liste récente sur disquette. Quant à l'information sur la Banque mondiale, notre bureau pourra certainement donner toute l'information dont nous disposons sur ce qui se dépense là-bas, mais cette information n'est pas toujours facile à obtenir. Ainsi, si vous examinez le rapport annuel de la Société pour l'expansion des exportations, vous constaterez qu'il ne contient aucune information. C'est donc là un secret bien gardé. Mais pour tous les organismes à financement public nous avons fait des progrès dans l'obtention des informations.

ÉnerCan est plus récalcitrante; la société publie bien une liste des projets auxquels elle participe, mais d'après ce que je peux constater les ressources proviennent du temps en personnel, ce qui ne se traduit pas, dans leur budget, comme dépense de projets.

Mme Kraft Sloan: Mais nous pouvons obtenir une liste des programmes et projets en cours, et extrapoler de là.

Est-ce que nous pourrions revenir sur le tableau 8.4, monsieur Bruce: je voudrais un éclaircissement. J'essayais de prendre des notes en toute vitesse.

M. Bruce: Du quel s'agit-il?

Mme Kraft Sloan: Celui-ci, sur les énergies de rechange et les coûts de réduction des émissions.

M. Bruce: L'un de mes tableaux préférés.

Mme Kraft Sloan: Il serait peut-être bon, en raison du travail que notre comité a fait l'an dernier avec notre forum sur divers facteurs de dissuasion à des pratiques environnementales saines, que ceci figure plus complètement au procès-verbal.

M. Bruce: J'en ai donné un exemplaire à votre président.

Mme Kraft Sloan: Oui, nous en avons également reçu un exemplaire au cours de la séance.

M. Bruce: Voulez-vous d'autres explications là-dessus?

Mme Kraft Sloan: Oui, est-ce que vous pourriez le passer en revue, et m'aider peut-être à mieux le comprendre.

M. Bruce: Les macro-économistes, ceux qui voient les choses de haut, ont tracé pour nous cette courbe A, qui représente les coûts croissants des réductions d'émissions au fur et à mesure que celles-ci augmentent. Ils ont posé plusieurs hypothèses, comme le font tous les modélisateurs. Ils posent l'hypothèse principale, à savoir qu'il n'y a pas d'imperfections du marché.

Mme Kraft Sloan: Voilà ce que j'aime toujours entendre.

M. Bruce: ..., que le marché énergétique est un marché parfait, que les autres marchés qui contribuent aux émissions de gaz de serre sont tous des marchés parfaits, et que s'il y avait des bénéfices à engranger, ils seraient repris par les marchés...l'un des articles attendrissants de la profession de foi des économistes.

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La seconde courbe B montre que les imperfections du marché existent effectivement, mais que certaines d'entre elles peuvent être redressées de façons diverses, par exemple les programmes d'éducation, de réglementation, et autres mesures émanant du gouvernement et des industries. Le point de départ se trouve alors en-dessous de la ligne zéro et vous tirez quelques avantages des petites réductions d'émissions. Quelque part sur cette ligne vous arrivez à une réduction des émissions qui ne vous coûte rien, ou qui produit un bénéfice net. Cette ligne, étudiée pour un grand nombre de pays, se situe actuellement quelque part entre 10 p. 100 et 30 p. 100, et pourrait passer à 50 p. 100, au fur et à mesure que de nouvelles technologies se développent.

Avec la courbe C vous constatez que ce coût négatif potentiel, présenté par les modélisateurs B, vous permet, si vous parvenez à réduire les émissions en augmentant les taxes sur le carbone, en faisant payer les permis d'émissions ou en réalisant des recettes d'autres façons, de recycler efficacement ces recettes et d'augmenter, en fait, les avantages nets pour l'économie, par exemple avec une taxe sur les combustibles fossiles, qui remplacerait également d'autres taxes sujettes à causer des distorsions.

Enfin, la courbe D montre qu'il existe quantité d'autres retombées favorables pour l'environnement - dont Louise vous a parlé - si vous réduisez votre dépendance envers les combustibles fossiles, en réduisant le smog, la présence de produits chimiques toxiques dans l'environnement et les pluies acides.

Ces avantages, d'après des études faites en Europe, compensent pour 30 p. 100 au moins tous les coûts de réduction d'émissions. D'après une étude faite au Royaume-Uni, cette compensation des coûts était de 100 p. 100. Autrement dit, tout ce qu'il en coûterait pour cesser de dépendre des combustibles fossiles pourrait être attribué à ce qu'on appelle ici les avantages environnementaux secondaires, sans compter pour autant la réduction des gaz de serre.

C'est donc là la signification de ces trois courbes.

Mme Kraft-Sloan: C'est à ce propos que je voulais vous poser une question. La seule différence entre C et D, c'est que vous avez quantifié les avantages environnementaux.

M. Bruce: La courbe D prend en compte tous ces facteurs, en plus des doubles dividendes environnementaux.

Mme Kraft-Sloan: C'est remarquable. Je vous remercie beaucoup.

M. Forseth: De quel pourcentage s'agit-il?

M. Bruce: Des réductions d'émissions.

M. Forseth: Est-ce que vous pouvez nous donner quelques chiffres?

M. Bruce: J'ai essayé de le faire. Ce que dit le rapport, c'est que cette réduction est de l'ordre de 10 à 30 p. 100 pour les pays développés, avec les technologies actuelles. Elle est en moyenne de l'ordre de 20 p. 100, de sorte que vous avez ici 20 p. 100 avec la courbe B - c'est-à-dire avec un potentiel de coûts négatifs, des mesures d'économie de l'énergie et les coûts pour changer de combustible, etc. Avec le temps, et l'amélioration des technologies et de l'expérience, nous en arrivons peut-être à une réduction de 50 p. 100.

Quant à la question de savoir jusqu'où on peut aller avec la courbe C, les doubles dividendes, pour l'économie, du recyclage d'une taxe sur le carbone, tout cela varie considérablement d'un pays à l'autre, et seules quelques études ont été faites. Toutefois, celles-ci donnent à penser que l'on peut en tirer quelques dividendes doubles pour l'économie, autrement dit, que si vous recyclez judicieusement la taxe sur le carbone, vous pouvez, en fait, améliorer l'économie.

Quant à la question des doubles dividendes environnementaux, aucune des études que j'ai consultées ne donnent moins de 30 p. 100 de réduction supplémentaire des émissions à un coût zéro. Une des études faites au Royaume-Unis affirme que 100 p. 100 des coûts de réduction des émissions étaient justifiées par ces doubles dividende environnementaux.

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M. Forseth: Très bien, mais quelle est la signification, sur le tableau, de D1 et de D2?

M. Bruce: Je ne pense pas qu'ils aient une signification, ce sont simplement des points sur la courbe D.

M. Forseth: Et l'échelle des coûts, le X et le Y...

M. Bruce: C'est une courbe schématique, les coûts n'y sont qu'à titre d'illustration. Les chiffres que je viens de citer nous donnent une idée de l'ampleur de ces sommes.

Si vous examinez A, par exemple, les modélisateurs de macroéconmie vous diront qu'il peut en coûter 2 ou 3 p. 100 du produit intérieur brut d'un pays si vous posez en hypothèse d'imposer une taxe sur le carbone, un point c'est tout.

M. Forseth: Ces courbes sont donc, en réalité, de pures spéculations et leur forme pourrait être toute différente.

M. Bruce: La forme de la courbe est probablement exacte mais les quantités varient considérablement d'un pays à l'autre, ainsi que d'une analyse de modèle à l'autre, mais la distance que vous pouvez franchir sur la ligne de réduction des émissions à un coût zéro correspond à peu près aux données que je viens de vous fournir.

Le président: Madame Comeau, Dans votre mémoire vous aviez un plan de réduction des énergies. Savez-vous s'il existe un plan, établi au Canada et pour chaque secteur, de réductions des émissions énergétiques, et dans l'affirmative, qui en est l'auteur?

Mme Comeau: Ralph Torrie et Danny Harvey viennent de terminer un article qui paraîtra très prochainement dans Energy Journal. Ces auteurs ont examiné ce qui serait nécessaire pour parvenir au genre de réductions préconisées par le GIEC et sont parvenus à générer des réductions de 50 à70 p. 100. Je peux certainement vous faire parvenir cette étude, dont la conclusion était proche de la mienne: nous avons besoin de changements structurels, ainsi que d'un investissement considérable dans l'économie de l'hydrogène. En effet, on a beau se démener, il arrive un moment où, pour effectuer des changements en profondeur, il faut investir dans les énergies renouvelables et procéder à ces changements. Ce sont les conclusions d'une de ces études.

Il existe toute une gamme d'études qui examinent ces questions sous différents angles, entre autres l'étude Cogger, qui a examiné comment nous pourrions stabiliser les émissions. Il est vrai que le plan du ministère de l'Industrie, des Sciences et de la Technologie est un plan de stabilisation, mais il est déjà très ancien, et ce n'est pas de lui qu'il est question en ce moment. Toutefois, c'est le dernier et il est habile, au plan politique, en ce sens qu'il s'appuie sur le travail du groupe d'étude sur le changement climatique, qui a élaboré cette liste de 88 mesures. Mais comme il n'y avait pas consensus là-dessus, aucune de ces mesures n'a été mise en oeuvre. Le Climate Action Network, le réseau de planification climatologique, lui, s'en est servi. Nous avons constaté que nous pouvions, en fait, parvenir aux objectifs que nous nous étions fixés, ce que le comité lui-même n'avait pu faire.

Le président: Et qu'en est-il de l'acide adipique?

Mme Comeau: L'acide adipique résulte de la production de nylon et dégage de l'oxyde azoteux.

Le président: Nous nous entretiendrons certainement, que ce soit à titre individuel ou collectif, avec le président du Comité des finances pour voir si nous pouvons le convaincre d'organiser, quand les travaux de son comité seront achevés, une audience là-dessus, avec peut-être le président du Comité des ressources naturelles.

Une voix: Vous voulez dire des audiences mixtes?

Le président: Non, simplement le Comité des finances, qui est tout à fait en mesure de le faire tout seul, mais nous pouvons toujours y assister, si nous le voulons.

Nous vous remercions de tout coeur. Votre exposé arrive à point nommé, parce que nous sommes en train de rédiger un rapport sur la nécessité de déterminer les obstacles à surmonter pour atteindre ou nous rapprocher de la durabilité, et l'énergie est un secteur clé. Nous garderons le contact, et nous sommes très heureux de vous avoir entendus.

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Mme Comeau: Je vous remercie.

M. Bruce: Je vous remercie.

Le président: La séance est levée.

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