[Enregistrement électronique]
Le mardi 19 mars 1996
[Traduction]
La présidente: Nous allons commencer. Bonjour à tous et bienvenue.
Premièrement, conformément à l'article 108(2) du Règlement, le Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration procède à une étude sur le projet d'entente paraphé par le Canada et les États-Unis concernant les demandeurs d'asile.
[Français]
J'aimerais souhaiter la bienvenue à l'honorable Lucienne Robillard, ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration du Canada. Vous avez la parole, madame la ministre.
L'honorable Lucienne Robillard (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration): Permettez-moi d'abord de vous dire le plaisir que j'ai à répondre à votre invitation et à celle des membres du comité à venir discuter avec vous.
Je suis accompagnée de collaborateurs de mon ministère. Ce sont M. Raphael Girard, sous-ministre adjoint aux opérations; M. Gerry Campbell, directeur général de la région internationale; M. Craig Goodes, directeur de la Section du droit d'asile de la division des réfugiés; et M. Daniel Therrien, avocat-conseil supérieur à nos services juridiques. Nous sommes là pour répondre à toutes vos questions.
Il est important de dire que le sujet qui nous préoccupe ce matin est un avant-projet d'entente entre le Canada et les États-Unis sur le partage des responsabilités ayant trait aux demandeurs d'asile.
Cet avant-projet d'entente a été rédigé à la suite d'un accord entre le président Clinton et le premier ministre Chrétien, en février 1995. On se souviendra que, dans le cadre de l'accord frontalier de février 1995, les dirigeants des deux pays avaient convenu que les deux gouvernements passeraient une entente de partage des responsabilités concernant les demandeurs d'asile.
Donc, en novembre dernier, nous avons publié l'avant-projet d'entente entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d'Amérique pour que tous les individus concernés puissent se prononcer sur ce texte. Aujourd'hui, c'est dans ce cadre que nous vous rencontrons.
Il est important de bien saisir le contexte de cette entente. Vous savez qu'à l'heure actuelle, toute personne qui arrive à un point d'entrée au Canada peut demander le statut de réfugié, qu'elle ait eu ou non la possibilité de demander la protection des autres pays par lesquels elle est passée avant d'arriver au Canada.
En moyenne, au moment où l'on se parle, un demandeur du statut de réfugié sur trois arrive au Canada en passant par les États-Unis. Je vous rappelle que les États-Unis ont les mêmes obligations que nous pour ce qui est de la protection des réfugiés et offrent un processus de reconnaissance du statut de réfugié juste et équitable.
C'est dans ce contexte que nous avons fixé de façon très claire nos objectifs dans ce projet d'entente.
On peut résumer nos objectifs en deux grandes catégories. Premièrement, il s'agit de protéger les réfugiés authentiques en établissant un ordre dans lequel seront attribuées les responsabilités entre le Canada et les États-Unis en ce qui a trait à la reconnaissance du statut de réfugié. Deuxièmement, nous visons à sauvegarder la confiance du public et à renforcer l'intégrité des systèmes de reconnaissance du statut de réfugié en Amérique du Nord en nous assurant que les demandeurs du statut de réfugié bénéficient d'une audience complète dans un pays ou dans l'autre, mais non dans les deux. Cela est très clair.
Il y a un principe de base sur lequel nous nous appuyons dans ce projet d'entente, entente qui est fondée sur le principe du premier pays d'arrivée. Ce principe veut qu'un demandeur présente sa revendication dans le premier pays acceptable à cet égard, à moins qu'il ne fasse que brièvement escale dans ledit pays ou qu'il essaie de rejoindre des membres de sa famille.
Il est très important que les membres du comité sachent - c'est le principe de base sur lequel on s'appuie - que la protection recherchée par la personne en demande de statut de réfugié doit être accordée par le premier pays dans lequel elle se retrouve où il y a déjà un processus de reconnaissance du statut de réfugié.
À cet égard, je vous rappellerai que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a déjà reconnu la valeur et la légitimité des accords de partage des responsabilités à condition qu'on maintienne l'accès à un processus de décision équitable.
Je vous réfère à un document qui s'intitule: The State of the World's Refugees, 1993: the Challenge of Protection, dans lequel le Haut-Commissariat déclare que toute personne a le droit de solliciter l'asile, mais qu'elle ne peut choisir le pays qui l'accueillera. C'est un principe très important sur le plan international.
Comme pays, nous nous sommes engagés à accueillir des réfugiés chez nous, à accorder cette protection au plan international, mais nous sommes voisins d'un très grand pays, les États-Unis d'Amérique. Dans cet accord de coopération que nous envisageons de signer avec les États-Unis d'Amérique, nous voulons nous appuyer sur le principe que la personne qui recherche protection doit d'abord faire sa demande dans le premier pays où elle arrive.
Naturellement, nous tenons pour acquis que le système de reconnaissance du statut de réfugié des États-Unis est aussi reconnu par le Haut-Commissariat des Nations unies. Nous nous devons de nous conformer à des normes internationales en matière de reconnaissance du statut de réfugié, et le Canada et les États-Unis sont deux pays reconnus pour se conformer à ces normes ou même les dépasser à plusieurs égards.
Donc, voici le principe de base du projet d'entente. Naturellement, dans ce projet, vous allez retrouver différentes dispositions que vous allez sans doute étudier en détail en comité.
Cependant, j'aimerais vous faire remarquer de façon particulière que vous allez retrouver dans ce projet d'entente des accès garantis à un système d'arbitrage juste et équitable: il y a des dispositions concernant la partie qui est responsable ou tenue d'admettre une personne; chaque partie conserve une pleine discrétion pour entendre une cause; le renvoi dans un troisième pays est strictement contrôlé. Donc, il y a des accès à des garanties pour les personnes qui demandent le statut de réfugié, ainsi qu'une mise en oeuvre progressive de ce projet d'entente.
Nous sommes tout à fait conscients que c'est la première fois que le Canada signera ce type d'entente. Donc, nous voudrions avoir une mise en oeuvre progressive de l'entente et procéder aux ajustements nécessaires au fur et à mesure de l'évolution de la situation. D'ailleurs, selon le projet, il doit y avoir un examen obligatoire de l'entente dès la première année de la signature.
Il est important de souligner que l'entente fait part d'exceptions pour les individus auxquels le projet d'entente ne s'appliquerait pas. Nous sommes arrivés à cela après plusieurs discussions avec les organismes intéressés. Là, je me réfère aux personnes qui seraient en transit de courte durée dans un pays, aux personnes qui auraient des membres de leur famille immédiate dans un des deux pays et qui voudraient aller rejoindre ces membres de leur famille, ainsi qu'aux enfants mineurs non accompagnés.
En plus de ces exceptions, il y a aussi un pouvoir discrétionnaire pour une partie ou l'autre qui pourrait, pour quelque raison d'ordre humanitaire que ce soit, décider d'entendre la cause d'une personne qui demande à recevoir le statut de réfugié.
Nous avons rendu cette entente publique au mois de novembre dernier et consulté le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ainsi que les organismes non gouvernementaux. Je puis vous dire que la majorité des intervenants impliqués ont répondu favorablement à cette demande de consultation. Le Haut-Commissariat nous a fait des recommandations très précises au sujet de l'accord. Nous étions heureux qu'il s'implique étant donné son expertise dans le domaine.
Au niveau des organismes non gouvernementaux, un symposium a été tenu à Carnegie, à Washington. Nous avons aussi eu, avec les organismes non gouvernementaux, des tables rondes au mois de décembre, à Montréal et à Toronto, ainsi qu'une autre rencontre au mois de février à Ottawa. Le Conseil canadien pour les réfugiés, notamment, nous a fait au-delà de 26 recommandations.
Notre projet d'accord reflète beaucoup des recommandations - au-delà d'une quinzaine - du Conseil canadien des réfugiés, entre autres pour ce qui est des exceptions à la règle du premier pays d'arrivée, les liens familiaux autres que ceux de la famille nucléaire qui peuvent être considérés pertinents, l'accès garanti tant aux cas à l'intérieur du pays qu'à ceux à la frontière, les renseignements personnels qui sont traités selon des protections législatives et le critère strict quant aux transferts vers un pays tiers. On y indique aussi que l'entente doit entraîner des obligations juridiques. Donc, beaucoup des recommandations qui nous ont été faites ont été retenues et incorporées au projet que vous avez devant vous.
Le dialogue se poursuit de façon régulière, tant avec le Haut-Commissariat qu'avec les organismes non gouvernementaux. Nous avons l'intention de discuter, dans les semaines à venir, d'un rôle de surveillance plus explicite pour le Haut-Commissariat lors de la mise en oeuvre de l'entente. Nous avons aussi l'intention de voir comment on pourrait renforcer les garanties contre les renvois dans les pays tiers, et aussi d'incorporer des principes de droit de la personne dans le préambule.
Voilà où nous en sommes au moment où l'on se parle, à la mi-mars. Les contacts se poursuivent. Le dialogue se poursuit actuellement avec les diverses personnes intéressées et avec les officiels américains.
Les discussions devront se poursuivre au cours des mois de mars et d'avril. J'espère pouvoir faire les recommandations finales au Conseil des ministres vers la fin du mois d'avril, mais tout dépendra du résultat des négociations, afin qu'on soit en mesure de signer l'entente dans les semaines qui suivent.
Cela étant dit, la démarche entreprise par votre comité aujourd'hui devrait nous aider à améliorer le processus et le projet d'entente. Nous attendrons vos recommandations avec plaisir. Mes collaborateurs et moi sommes maintenant disposés à répondre à vos questions.
La présidente: Madame la ministre, j'aimerais vous remercier d'avoir répondu assez rapidement à notre demande. Nous avons jusqu'à 9h50 puisque madame la ministre doit se rendre au Conseil des ministres. Je vais donc limiter les questions à cinq minutes, si vous me le permettez. On va commencer par l'Opposition officielle.
Monsieur Nunez.
M. Nunez (Bourassa): Félicitations, madame la ministre, pour votre nomination. Je connais vos antécédents et surtout le rôle que vous avez joué en tant que travailleuse sociale. J'espère que cela vous amènera à faire preuve de beaucoup de compassion et de générosité envers les réfugiés.
Premièrement, je dois déplorer le manque de collaboration de vos fonctionnaires envers l'Opposition officielle. Il y a eu plusieurs rencontres avec les Saoudiens et nous n'avons pas été invités. Mes adjoints ont appelé vos hauts fonctionnaires, mais on n'a jamais pu se rencontrer. On s'attendait à avoir un briefing en tant qu'Opposition officielle, mais il n'y en a pas eu.
Deuxièmement, je dois déplorer le fait qu'on ne consacre que six heures à un document très important. Beaucoup d'organismes voulaient venir témoigner et ils ne pourront le faire. Pour un document aussi important, on s'attendait à une consultation plus approfondie.
Troisièmement, on parle de cette entente depuis 10 ans. Lorsque les libéraux étaient dans l'opposition, ils avaient beaucoup de critiques à formuler à l'égard du projet conservateur du temps et exigeaient qu'avant qu'on procède à la signature, il y ait une harmonisation entre les deux niveaux de protection, celui des États-Unis et celui du Canada. C'est un excellent principe que l'Opposition officielle partage aujourd'hui. Vous savez que le niveau de protection diminue aux États-Unis. Le Congrès discute actuellement d'un nouveau projet de loi qui rendra l'accès au statut de réfugié encore plus difficile, soit le projet Simpson.
Croyez-vous que les deux pays, le Canada et les États-Unis, offrent le même niveau de protection aux demandeurs d'asile? Croyez-vous plutôt, comme je le crois, que le niveau de protection au Canada est un peu plus élevé qu'aux États-Unis? Tel est le danger de cette entente.
Mme Robillard: Je comprends très bien les inquiétudes du député de Bourassa. Si nous tentons de comparer dans le détail les deux processus de reconnaissance du statut de réfugié, nous allons certainement trouver des différences. On ajouterait un troisième et un quatrième pays, et les processus pourraient être différents dans le détail.
Ce qui est très important, c'est de se demander si les États-Unis répondent aux normes internationales en matière de reconnaissance du statut de réfugié. Le Haut-Commissariat nous dit que oui, les États-Unis sont un pays qui se conforme aux normes internationales. Le Haut-Commissariat considère que les États-Unis, comme le Canada d'ailleurs, se conforment à ces normes et même, dans plusieurs cas, les dépassent.
Donc, nos deux pays répondent aux normes internationales, et je n'ai pas besoin de vous dire que nous suivons de très près l'évolution du système américain. Nous avons été très heureux d'apprendre, au cours des derniers mois, que les États-Unis avaient décidé de suivre le Canada lorsqu'il avait émis des directives ayant trait à la reconnaissance du statut de réfugié pour les femmes qui étaient persécutées à cause de leur sexe. Vous savez que ces directives du Canada ont été une première. Les États-Unis font maintenant exactement la même chose; ils ont émis les mêmes directives.
En résumé, les deux pays répondent aux normes internationales et cela est confirmé par le Haut-Commissariat.
M. Nunez: Vous savez que ces normes internationales sont très vagues. Les critères sont très bas et chaque pays interprète la convention à sa façon. Soit dit en passant, les États-Unis n'ont pas signé la Convention sur les réfugiés, mais seulement le protocole.
Seriez-vous d'accord qu'on accorde un certain rôle de surveillance au Haut-Commissariat pour les réfugiés afin qu'il surveille la mise en oeuvre de cette entente? Autrement, comment allez-vous vous assurer par la suite que les États-Unis respectent toutes les normes prévues dans l'entente?
Mme Robillard: La réponse est oui. Nous travaillons depuis le début avec le Haut-Commissariat...
M. Nunez: Mais ce n'est pas prévu dans le projet.
Mme Robillard: Non, mais c'est un projet d'entente. Nous sommes d'accord qu'on y ajoute, si cela s'avère nécessaire, un rôle de surveillance pour le Haut-Commissariat dans la mise en oeuvre de l'entente. Cela ne nous pose aucun problème.
Il va falloir suivre de près la mise en oeuvre et même voir, au bout d'un an, si on ne doit pas apporter immédiatement des ajustements au projet d'entente. Je pense que le Canada fait preuve d'une très grande prudence pour s'assurer que toutes les personnes concernées reçoivent la protection nécessaire.
La présidente: Monsieur Nunez, on reviendra à vous si le temps le permet.
Madame Meredith.
[Traduction]
Mme Meredith (Surrey - White Rock - South Langley): Merci, madame la présidente.
Je tiens à vous féliciter de votre nomination à ce nouveau portefeuille.
Ma circonscription se trouve dans la région métropolitaine de Vancouver. C'est donc une question qui préoccupe beaucoup les gens de cette région.
En raison du peu de temps dont nous disposons, je passerai directement à la question qui m'inquiète le plus. Vous allez limiter le nombre de demandes qui seront traitées dans le cadre de cette entente au cours des prochaines années. Je crois comprendre que vous voulez mettre progressivement en oeuvre cette entente et ce partage des responsabilités concernant les réfugiés. Vous avez limité le nombre de premières demandes à 500. Comment allez-vous procéder pour faire le tri?
[Français]
Mme Robillard: Cela fait partie de nos éléments de prudence par rapport à la mise en oeuvre de cette entente. C'est ce pourquoi vous voyez un plafond pour la première année, quitte à ce qu'on rajuste les choses au fur et à mesure de l'expérience. Donc, les 500 premières demandes seront prises en considération.
Mon collaborateur, M. Goodes, pourrait peut-être ajouter quelque chose.
[Traduction]
M. Craig Goodes (directeur, Asile, ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration): Comme Mme Robillard l'a indiqué, selon l'entente que nous avons négociée jusqu'à présent, le plafond entrera en vigueur le 1er décembre 1996. Une fois ce plafond de 500 atteint dans un sens ou dans l'autre, nous cesserons toute autre application selon les conditions que nous avons négociées pour l'instant. Il est prévu de revoir ce plafond au cours de l'été 1997 et de procéder peut-être à de nouvelles négociations.
Mme Meredith: Si je comprends bien, il s'agit des personnes qui font déjà partie du système, qui ont déjà été identifiées comme des demandeurs d'asile dans les deux pays à la fois. Il s'agit donc d'un groupe existant de personnes. Est-ce qu'on fera un tri selon la formule du premier arrivé ou est-ce qu'on établira une liste de priorités? Comment le Canada décidera-t-il des 500 premiers demandeurs qui seront pris en considération?
M. Goodes: Ce seront les gens qui arriveront aux points d'entrée après le 1er décembre 1996.
Mme Meredith: Il s'agit donc de personnes qui ne sont pas encore au Canada ou aux États-Unis mais qui feront partie des nouveaux arrivants après 1996?
M. Goodes: Effectivement, ce seront de nouveaux arrivants. Il est possible que ces personnes soient à l'heure actuelle au Canada ou aux États-Unis mais n'aient pas encore demandé le statut de réfugiés.
Mme Meredith: Avez-vous des statistiques sur le nombre de personnes qui revendiquent le statut de réfugié dans les deux pays à la fois et pouvez-vous nous les fournir?
M. Goodes: Nous tenons un bon relevé statistique des personnes qui arrivent des États-Unis pour présenter une demande au Canada.
Pour répondre à votre question en particulier, nous avons de la difficulté à tenir un relevé statistique des personnes qui présentent une double demande. Jusqu'à présent, la collecte de ces données n'a présenté aucun avantage particulier puisque ces personnes sont fondamentalement autorisées à présenter une demande dans les deux pays. La collecte de ce genre de données présenterait un autre problème, celui de l'identité. Les personnes qui ont présenté une demande aux États-Unis préféreraient peut-être ne pas s'identifier par la suite auprès de nous. Il est donc très difficile de recueillir ce genre de données.
Mme Meredith: Merci.
Ai-je encore du temps?
La présidente: Oui. Vous avez une minute. Je suis très souple.
Mme Meredith: Merci, madame la présidente.
Je dois vous dire que je trouve qu'il s'agit d'une bonne mesure. Certaines personnes qui s'occupent du système et avec qui j'ai parlé considèrent que la personne qui demande le statut de réfugié a l'obligation de le faire dans le premier pays d'arrivée. Par conséquent, je félicite le gouvernement d'avoir pris cette initiative.
J'aimerais toutefois préciser une chose. Vous avez indiqué que vous avez déjà consulté les ONG et qu'elles ont déjà beaucoup contribué aux discussions qui ont eu lieu. Si j'ai bien compris les chiffres, le Conseil canadien pour les réfugiés a formulé 26 recommandations dont plus d'une quinzaine ont déjà été retenues dans ce document.
Mme Robillard: Oui, effectivement.
Mme Meredith: Vous estimez donc avoir largement consulté ceux qui défendent les réfugiés et les organisations qui les représentent?
[Français]
Mme Robillard: Je dirais que c'est le cas depuis le début. D'ailleurs, ce n'est pas dans toutes les situations que le gouvernement accepte de publier un avant-projet d'entente bilatérale. Nous l'avons fait pour permettre aux divers groupes de se prononcer sur l'avant-projet.
Par la suite, nous avons eu beaucoup de représentations. Nous avons eu un symposium à Washington, des tables rondes à Montréal et à Toronto, et une autre rencontre en février. Encore aujourd'hui, il y a encore place pour de l'amélioration. Si on doit apporter des améliorations au projet d'entente, nous sommes ouverts à des recommandations supplémentaires.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Dromisky.
M. Dromisky (Thunder Bay - Atikokan): Merci beaucoup. Je serai bref.
Le Haut-commissaire aux Nations unies pour les réfugiés appuie le principe selon lequel les gens ont le droit de demander l'asile mais pas celui de choisir leur pays d'asile. C'est pourquoi ce processus m'inquiète un peu. Je pourrais peut-être obtenir certains éclaircissements.
Il est vrai que plus de 90 p. 100 des avions et des navires à destination de l'Amérique du Nord arrivent aux États-Unis. S'il s'agit de la première destination, les bureaucrates respecteront-ils le principe fondamental de ce projet d'entente et empêcheront-ils ceux qui veulent venir au Canada en passant par les États-Unis de le faire? Est-ce possible?
[Français]
Mme Robillard: Vous faites allusion aux exceptions qui sont prévues. La personne qui va seulement transiter par les États-Unis pour venir au Canada sera admissible. On pourra examiner cela au Canada, mais il faudra que ce soit vraiment une mesure de transit aux États-Unis. On doit limiter le transit.
Par exemple, je pense que, dans le projet d'entente, il est prescrit que si la personne voyage en avion, le transit sera d'environ 48 heures, alors que si elle voyage en bateau, il sera de dix jours. S'il s'agit seulement d'un transit aux États-Unis pour venir au Canada, cela ne posera aucun problème. On accueillera la personne ici et on étudiera sa demande de statut de réfugié ici.
L'autre exception concerne une personne qui veut venir rejoindre des membres de sa famille immédiate qui sont au Canada. Même si elle arrive aux États-Unis, on pourra la recevoir ici.
Vous voyez donc que l'on a essayé, malgré le principe de base qui dit que le premier pays est celui où la personne doit trouver asile, de prévoir des exceptions pour faire face aux problèmes que vous soulevez.
[Traduction]
M. Dromisky: Merci beaucoup.
La présidente: Y a-t-il d'autres questions des députés ministériels?
Comme il nous reste trois minutes, monsieur Nunez, je vous laisse poser une autre question.
[Français]
M. Nunez: Je pense que vous n'avez pas répondu à ma question antérieure. Je vous demandais si vous reconnaissiez que le niveau de protection aux États-Unis était inférieur à celui offert par le Canada. Vous vous souvenez sans doute du refoulement massif des Haïtiens ou des Cubains qui n'ont pas eu droit à des auditions. Je pense que le niveau de protection est très inférieur aux États-Unis. C'est la principale critique des Saoudiens.
Vous dites avoir beaucoup consulté. Comment expliquez-vous que tous les Saoudiens au Canada soient contre ce projet d'entente? Il semble également qu'aux États-Unis, l'administration est divisée là-dessus. S'il y a tant de positions différentes, pourquoi êtes-vous si pressée de signer cette entente dès avril prochain?
Mme Robillard: Je vais émettre une hypothèse. Vous me demandez pourquoi les organismes non gouvernementaux, tant canadiens qu'américains, sont contre le projet d'entente. Ils viendront peut-être vous le dire pendant les jours d'audiences.
Personnellement, je pense que les organismes non gouvernementaux ne sont pas d'accord sur le principe de base de l'entente, à savoir le principe du premier pays d'arrivée. Comme je l'ai expliqué, c'est le principe de base. On reconnaît que l'on doit donner une protection internationale à toutes les personnes qui demandent le statut de réfugié. Le principe sur lequel on s'appuie est que la personne doit faire sa demande dans le premier pays démocratique où elle arrive.
Dans le fond, monsieur le député de Bourassa, on essaie d'accorder protection à ces personnes-là tout en assurant l'intégrité du système.
Il y a une objection de principe de la part des organismes non gouvernementaux, mais vous aurez sûrement l'occasion d'en discuter avec eux.
La présidente: Je vais laisser Mme Meredith poser une seule question.
[Traduction]
Mme Meredith: J'aimerais savoir quelle est la protection prévue pour le Canada si des personnes peuvent transiter par les États-Unis pour venir au Canada. Quel est le délai envisagé? Peuvent-ils prendre l'avion pour venir au Canada un jour après leur arrivée aux États-Unis ou trois mois après? Quelle est la période de transit prévue depuis le pays d'origine jusqu'au Canada?
Mme Robillard: Si c'est par avion, l'entente prévoit 48 heures. Si c'est par un autre moyen, pas plus de dix jours.
La présidente: J'aimerais remercier la ministre d'avoir comparu devant le comité. Nous lui sommes reconnaissants de la rapidité avec laquelle elle a répondu à notre invitation et des renseignements qu'elle a fournis au comité.
Je demanderais à ses collaborateurs de rester avec nous au cas où les membres du comité auraient d'autres questions à poser. Nos prochains témoins sont arrivés. Y a-t-il d'autres questions à l'intention des représentants du ministère?
[Français]
Monsieur Nunez. On va laisser partir la ministre. Merci beaucoup, madame Robillard.
M. Nunez: Parlons des coûts d'administration de cette éventuelle entente. Qui va l'administrer? Y aura-t-il des fonctionnaires, un organisme commun, un secrétariat? S'il y a des mésententes au sujet de l'interprétation, si certaines personnes sont refoulées dans l'autre pays ou vice versa, qui prendra la décision finale?
Vous savez que les relations entre le Canada et les États-Unis ne sont pas excellentes à tous les niveaux, surtout à celui de l'ALENA. Comment allez-vous administrer cette entente, surtout en cas de désaccord?
M. Raphael Girard (sous-ministre adjoint, Opérations, ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration): Les opérations seront mises en vigueur par le ministère de l'Immigration. Nos agents à la frontière seront formés; ils recevront des lignes directrices concernant le processus. L'étude et la gestion seront faites au quartier général par l'équipe qui travaille avec M. Goodes.
M. Goodes: Dans son application fondamentale, on parle ici d'une question d'admissibilité au système de revendication. On le fait déjà en vertu de la Loi sur l'immigration, et l'infrastructure nécessaire est donc déjà en place.
M. Nunez: Mais en cas de conflit, qui va trancher la question? Y aura-t-il un arbitre? Si les États-Unis et le Canada présentent chacun leur interprétation, qui va trancher dans ce conflit?
M. Goodes: Pour ce qui est des questions d'admissibilité, il y a un système de gestion. Par exemple, actuellement, si les gens à la frontière ont des questions sur l'admissibilité, ils consultent un superviseur qui, lui, a un directeur. Cela veut dire que le système de gestion est déjà en place pour régler ces questions.
La présidente: Voulez-vous ajouter quelque chose, monsieur Girard?
M. Girard: L'article 13 de l'entente prévoit des consultations entre les deux gouvernements en ce qui a trait au fonctionnement de l'entente et aux conflits qui pourraient en résulter.
M. Daniel Therrien (avocat-conseil supérieur, Services juridiques, ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration): Je pourrais ajouter un autre élément de réponse. Le principe général de l'accord veut que le pays responsable soit le premier pays d'arrivée. Il sera relativement simple de déterminer quel est le pays d'arrivée.
Les conflits risquent de se produire au niveau de l'application des exceptions à la règle. Dans l'entente, il y a des dispositions qui prévoient que les deux pays doivent être convaincus de l'application de l'exception. Donc, le pays qui serait responsable de l'examen de la revendication, en fonction de l'exception, doit être convaincu qu'il est responsable en vertu de l'exception.
Donc, pour que le Canada soit responsable en vertu de l'exception, un fonctionnaire canadien devra être convaincu pour que le cas soit examiné au Canada; autrement, les États-Unis devront examiner la demande.
[Traduction]
Mme Meredith: J'aimerais revenir à une question soulevée par M. Nunez. Vous estimez que l'infrastructure existe déjà. Cela signifie-t-il que la mise en oeuvre de cette entente n'entraînera aucun coût supplémentaire?
M. Girard: Le résultat net devrait être une réduction des coûts car selon le processus actuel, quiconque présente une demande a accès au système de détermination du statut de réfugié. Cette entente entraînera une réduction du nombre de personnes arrivées indirectement qui auront accès au système, c'est-à-dire qui arrivent au Canada en passant par les États-Unis. Cela sera nettement plus simple à déterminer que la détermination proprement dite du statut de réfugié. On devrait donc effectivement constater une diminution des coûts pour le contribuable.
Mme Meredith: Avez-vous une idée du nombre de personnes qui seront visées? Lorsque vous dites qu'il y aura moins de gens qui présenteront des demandes, avez-vous une idée du nombre que cela représente dans le cadre de cette entente?
M. Girard: Il faut tenir compte de deux choses. L'une, c'est le nombre de personnes qui par exemple pourraient retourner aux États-Unis selon les dispositions de l'entente. Ce nombre a été fixé à 500.
La mise en oeuvre d'un régime comme celui-ci a un effet dissuasif. Par conséquent, le résultat net pourrait être supérieur à 500 mais c'est difficile à évaluer. Certains groupes continueront à utiliser ce moyen pour venir au Canada parce que c'est la seule façon dont ils peuvent le faire. D'autres ont la possibilité de venir par l'Europe, par l'Asie et par les Antilles et éviteront ainsi le tri qui s'effectuera dans le cadre de l'entente conclue entre le Canada et les États-Unis.
Mme Meredith: Le gouvernement canadien envisage-t-il de conclure des ententes avec d'autres pays, disons la Grande-Bretagne, c'est-à-dire des pays par lesquels les demandeurs du statut de réfugié pourraient passer pour venir au Canada? Sommes-nous en train d'envisager également une entente européenne ou envisageons-nous uniquement cette entente américaine avec le Canada?
M. Gerry Campbell (directeur général de la région internationale, ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration): La réponse à cette question est non. Certains ont laissé entendre que les Américains envisageaient une entente avec le Mexique. Il n'existe aucune indication en ce sens. Le Mexique n'est pas un pays signataire et pour l'instant nous ne sommes pas en train de négocier d'entente avec d'autres pays et ce n'est pas une chose que nous envisageons dans un avenir prochain.
M. Collins (Souris - Moose Mountain): Pour revenir à une question soulevée par M. Nunez - et je suis désolé d'avoir dû m'absenter un instant - si je ne me trompe pas, il a dit avoir fait des démarches auprès des responsables du ministère sans qu'elles donnent de résultat.
Est-ce bien le cas? Si oui, j'aimerais savoir quels sont les problèmes qui auraient pu causer ce genre de situation.
M. Goodes: Je peux en parler parce que je suis le responsable à qui le bureau de M. Nunez a demandé cette séance d'information.
Je reste à la disposition de Mme Barraza, qui je crois a fait la demande initiale. Nous sommes en train de prendre des dispositions en ce sens par l'intermédiaire du bureau de la ministre. J'ai communiqué assez étroitement avec Mme Barraza à ce sujet.
M. Collins: Je voulais simplement une précision et je l'ai obtenue.
Je vous félicite pour ce processus, mais j'aurais une question à ce sujet. Je déteste faire des hypothèses mais une fois que vous aurez atteint ce chiffre de 500, j'ai l'impression que vous l'augmenterez parce que ce système permet une certaine efficacité, des économies et certains résultats nets pour les deux parties. Je pense que Mme Meredith en a parlé.
Combien d'autres cas prévoyez-vous avoir? Avez-vous fait des prévisions à court et à long terme?
M. Goodes: Je pense, comme M. Girard l'a indiqué, qu'à plus long terme, il faut tenir compte d'un certain facteur de découragement, c'est-à-dire que les gens dont l'intention est peut-être en fait d'émigrer plutôt que d'obtenir une protection comme réfugiés ne viendront tout simplement pas. Compte tenu du nombre que nous connaissons à l'heure actuelle, cela est difficile à évaluer.
Le mouvement Sud-Nord vers le système canadien est relativement facile à déterminer et les données à cet égard sont intéressantes puisque environ un tiers des personnes qui passent par notre système de revendication du statut de réfugié arrivent par les États-Unis. Ce chiffre relatif d'un tiers semble tenir, peu importe le chiffre absolu. Le mouvement Nord-Sud par contre est beaucoup plus difficile à évaluer parce qu'il s'agit d'un mouvement beaucoup plus traditionnel et clandestin où les personnes ne font appel au système de revendication du statut de réfugié qu'une fois qu'ils ont été découverts sans statut aux États-Unis.
Il est donc difficile d'en déterminer le nombre exact mais nous l'évaluons à environ 5 000, en fonction des personnes découvertes par les patrouilles frontalières et ce genre de choses. Comme de part et d'autre de la frontière, nous reconnaissons tous également que certaines personnes passibles de renvoi ne seront pas renvoyées en vertu de certaines exceptions que nous avons prévues, et comme cela demeure un sujet de négociation, il est en fait difficile d'avancer des chiffres exacts.
La présidente: Je vous remercie.
[Français]
Madame Gagnon, vous avez la dernière question.
Mme Gagnon (Québec): J'aimerais poser une question dans le but d'améliorer ma compréhension du projet d'entente.
Plus tôt, madame la ministre a dit que les groupes que vous aviez entendus n'étaient pas du tout d'accord sur le principe de l'entente. Je dis que lorsqu'on défend différents principes, c'est parce qu'on a des intérêts à défendre.
J'aimerais que vous m'expliquiez en détail les intérêts de ces groupes. Pourquoi, par exemple, un réfugié ne décidera-t-il pas de son pays d'accueil? C'est tout un changement de mentalité qu'on est en train d'effectuer avec ce projet d'entente.
Qu'est-ce qui vous motive à changer le principe voulant que le réfugié choisisse lui-même son pays d'accueil? Vous êtes en train de changer tout un principe.
M. Girard: Ce n'est pas un changement de principe. Le principe existe déjà dans la loi internationale qui détermine les obligations des pays selon la Convention de Genève.
Pour les demandeurs d'asile, il s'agit de trouver une protection internationale. Ce n'est pas un processus d'immigration. C'est pour cette raison que les pays de bonne volonté, qui mettent en oeuvre des processus pour remplir leurs obligations relatives à la Convention de Genève, exigent que les personnes qui font les demandes démontrent qu'elles ont un besoin réel de protection, ce qui représente plus qu'un choix d'immigration.
Il y a là une divergence fondamentale entre nous et quelques ONG. Cela existe depuis des années. On a eu le même débat pendant l'étude de la loi actuelle.
M. Therrien: J'ajouterai qu'en droit international, le droit de choisir n'existe pas.
La Convention de Genève ne donne pas aux revendicateurs le droit de choisir le pays où on va prendre une décision à leur égard. La Convention interdit aux pays d'expulser les revendicateurs, les réfugiés dans les pays où ils risquent la persécution. En renvoyant les gens aux États-Unis, pays qui se conforme à la Convention, afin que leurs revendications soient étudiés là, nous respectons tout à fait nos obligations internationales en vertu de la Convention de Genève.
La présidente: J'aimerais remercier M. Therrien, M. Goodes, M. Girard et M. Campbell. Merci beaucoup et à la prochaine.
[Traduction]
J'inviterai maintenant M. Yilma Makonnen, du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés, à prendre la parole.
Monsieur Makonnen, j'espère que j'ai bien prononcé votre nom, sinon n'hésitez pas à me corriger.
M. Yilma Makonnen (représentant pour le Canada, Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés): Je vous remercie, madame la présidente, et je tiens à vous assurer que vous avez correctement prononcé mon nom.
La présidente: Je vous remercie. Veuillez commencer lorsque vous serez prêt.
M. Makonnen: Madame la présidente, honorables membres du comité permanent, mesdames et messieurs, au nom de la délégation pour le Canada du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés, je tiens à vous remercier de cette occasion d'exposer aux membres du Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration le point de vue du Haut-commissariat sur le projet d'entente entre le Canada et les États-Unis concernant les revendications du statut de réfugié. Pour commencer, nous tenons à souligner que le HCNUR a pour mandat et pour principale raison d'être de fournir une protection internationale aux réfugiés et de trouver des solutions permanentes à leurs problèmes. Par protection internationale, nous entendons entre autres la promotion et la préservation de leurs droits, de leur sécurité et de leur bien-être grâce à des interventions directes et ponctuelles mais aussi par l'élaboration et le renforcement des normes et des principes juridiques internationaux.
Comme vous le savez, la délégation pour le Canada du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés est tenue de veiller au respect des normes internationales relatives au traitement des réfugiés et des demandeurs d'asile. C'est avec une profonde gratitude et une grande reconnaissance que nous soulignons, une fois de plus, le fait que le Canada se soit appliqué de façon constante et scrupuleuse à respecter ses obligations en vertu de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés. En effet, le Canada s'est distingué par les améliorations qu'il a apportées à la législation touchant les réfugiés grâce à une procédure très élaborée de détermination du statut et à une interprétation libérale de la définition de réfugié.
Les directives concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe et les nouvelles directives concernant les civils non combattants qui craignent d'être persécutés dans des situations de guerre civile sont des exemples, parmi d'autres, de mesures prises récemment par le Canada à cet égard. Nous sommes confiants que ces deux documents auront une incidence marquée dans de nombreuses parties du monde et qu'ils contribueront par le fait même à accroître la protection accordée aux réfugiés à l'échelle mondiale.
Je voudrais également souligner ici la générosité du Canada au plan de la fourniture de moyens pour assurer une aide matérielle aux réfugiés dans de nombreuses parties du monde et l'attitude hautement humanitaire dont le Canada fait preuve au sein du comité exécutif du HCNUR et de l'Assemblée générale des Nations unies. Notre Haut-commissaire, Mme Ogata, tient à exprimer sa profonde gratitude envers le Canada et sait qu'elle pourra continuer à compter sur l'appui soutenu et indéfectible de la population et du gouvernement du Canada.
J'en viens maintenant au sujet qui intéresse le comité permanent. Madame la présidente, permettez-moi tout d'abord de faire un rapide survol des ententes concernant la réadmission avant de parler de l'avant-projet d'entente proprement dit entre le Canada et les États-Unis.
Il existe un certain nombre d'ententes de réadmission. Elles portent généralement sur le retour des nationaux des États contractants ou des autres immigrants illégaux dans la juridiction appropriée. Ces ententes de réadmission ne tiennent habituellement pas compte de la situation particulière du réfugié ou du demandeur d'asile.
Par suite de l'intégration de plus en plus marquée des politiques européennes dans de nombreux secteurs au cours des années 1980, la question de l'harmonisation des politiques nationales relatives à l'asile et des procédures de détermination du statut de réfugié a pris une importance toute particulière. Ces efforts d'harmonisation ont conduit, notamment, à la signature des ententes de Shengen et de Dublin en 1985 et en 1991, respectivement.
Ce sont là les deux principales ententes concernant la réadmission des demandeurs d'asile. Elles contiennent des dispositions stipulant quelle partie contractante doit se charger d'étudier les demandes d'asile présentées dans l'un des pays membres et, par conséquent, elles honorent le principe voulant que toute demande faite par une personne en quête d'asile soit étudiée et que les personnes admissibles au statut de réfugié bénéficient de la protection dont elles ont besoin. Elles contribuent par le fait même à réduire le risque de «mise en orbite» et de refoulement. De plus, ces deux ententes mentionnent de façon explicite les obligations découlant de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés.
Il importe toutefois de souligner qu'en dépit des intentions bienveillantes qui ont présidé à la signature de ces deux ententes, l'application qu'en ont faite les pays d'Europe s'est parfois révélée plutôt négative. L'harmonisation des procédures des divers pays d'Europe, en particulier, apparaît difficile à réaliser.
Pour conclure ces remarques générales sur les ententes relatives à la réadmission, je voudrais souligner que le HCNUR ne s'oppose pas, en principe, à la signature et à la mise en oeuvre de telles ententes. La conclusion de ce genre d'ententes par divers États, dans les circonstances que j'ai évoquées précédemment, devrait à notre avis contribuer à accroître la protection internationale offerte aux réfugiés et aux personnes en quête d'asile en définissant clairement les modalités d'un régime propice à une gestion responsable et positive des demandes d'asile. Nous pensons également que cela pourrait permettre de réduire le recours non approprié aux procédures touchant l'asile, en particulier les demandes multiples, et d'atténuer le risque lié aux effets déstabilisateurs des déplacements inopinés de personnes ayant demandé le statut de réfugié.
À cet égard, toutefois, nous voudrions souligner qu'il est absolument essentiel que de telles ententes maintiennent certaines mesures de protection et établissent clairement la responsabilité qui revient aux États d'examiner les demandes d'asile afin d'éviter les refoulements et les cas en orbite. Voici des exemples, non exhaustifs, des mesures de protection qui devraient être assurées.
Premièrement toute personne réadmise aura le droit, et pourra exercer ce droit, d'entrer et de rester dans le pays où elle a présenté une première demande d'asile, et aura une possibilité réelle de présenter une telle demande. Deuxièmement, toute personne en quête d'asile ayant été réadmise sera protégée contre un éventuel refoulement. Troisièmement, l'entente de réadmission devra désigner clairement l'État auquel revient la responsabilité d'examiner la demande d'asile. Quatrièmement, les réfugiés réadmis et les autres personnes en cause pourront bénéficier de solutions durables.
En ce qui a trait à l'avant-projet d'entente entre le Canada et les États-Unis nous tenons à souligner tout d'abord que le Haut-commissaire attache une grande importance à ces négociations qui mettent en cause deux des plus importants promoteurs du régime international de protection des réfugiés. Nous sommes également conscients du fait que cette entente servira sans aucun doute de modèle pour d'autres ententes du même genre et qu'elle aura éventuellement des effets notables sur les efforts réalisés partout dans le monde pour assurer la protection des personnes qui en ont besoin.
Nous apprécions le fait que les deux gouvernements n'aient pas hésité jusqu'ici à consulter le HCNUR sur ce projet d'entente ainsi que l'occasion qui nous est offerte actuellement d'exprimer notre point de vue au présent comité permanent.
Dès 1991, les autorités canadiennes communiquaient officieusement avec nous au HCNUR pour solliciter notre avis sur la possibilité d'une entente en matière de réadmission entre le Canada et les États-Unis. On se rappellera qu'au mois d'août 1992, dans nos observations au comité législatif sur le projet de loi C-86, nous avions donné notre avis général sur les ententes en matière de réadmission, en prévision de l'entente proposée entre le Canada et les États-Unis à l'époque. À cette occasion, nous avions dit que la notion de premier pays d'asile peut s'appliquer en même temps que la conclusion no 15 du comité exécutif du HCNUR concernant les réfugiés sans pays d'asile.
La conclusion no 15 mentionne notamment que le retour au premier pays d'asile se fera seulement si ce dernier est sûr et accepte de réadmettre la personne. Si le revendicateur du statut de réfugié a des raisons valables de craindre la persécution ou si sa sécurité personnelle ou sa liberté est en danger dans le premier pays, il (elle) ne devrait pas être retourné(e).
En outre, si le revendicateur a établi des liens étroits avec l'État où il se trouve ou avance d'autres raisons humanitaires irrésistibles pour ne pas vouloir retourner au premier pays, l'État devrait admettre la personne à son processus de détermination du statut de réfugié. La conclusion no 15 stipule également qu'il convient de tenir compte, dans toute la mesure du possible des intentions de l'intéressé touchant le pays où il souhaite demander l'asile.
Concernant le présent avant-projet d'entente, le HCNUR a eu l'occasion d'examiner le texte et d'échanger avec la délégation mixte Canada-États-Unis en novembre 1995 à l'administration centrale du HCNUR à Genève. Par la suite, le HCNUR a soumis à l'examen des deux gouvernements des observations détaillées constructives sur cet avant-projet d'entente. Ces observations ont plus tard été reprises en résumé dans une allocution présentée par le chef de notre section nord-américaine au symposium de la dotation Carnegie pour la paix internationale tenu à Washington le 11 décembre 1995. D'une part, nos commentaires ont reconnu la vigueur du texte préliminaire et, d'autre part, ils ont aussi fait état de quelques-unes de nos préoccupations générales.
Sans entrer dans des détails excessifs, je vais maintenant tenter, madame la présidente, de résumer les points qui nous semblent les plus importants. D'abord, le HCNUR a reconnu que les rédacteurs du texte ont tenu compte de bon nombre des principes fondamentaux du droit international des réfugiés et ont engagé explicitement les parties contractantes à adhérer à ces principes. En fait, bon nombre de nos observations demandaient justement de renforcer la version préliminaire en reprenant, et en l'intensifiant même, le langage des dispositions contenues dans les diverses conclusions sur la protection internationale des réfugiés adoptée par le programme exécutif du HCNUR. Parmi ces conclusions du Comité exécutif reprises dans la version préliminaire, soulignons la conclusion no 8 sur le traitement équitable des demandeurs d'asile, la conclusion no 15 sur les réfugiés sans pays d'asile, la conclusion no 58 sur le problème des réfugiés et des demandeurs d'asile qui se déplacent de façon irrégulière et les conclusions nos 71 et 74 sur les mesures, les ententes et les garanties concernant les personnes ayant besoin de protection.
Cet exercice visait à ce qu'on raffine le langage le plus possible, de sorte que le texte final de l'entente respecte les concepts et la terminologie du droit international des réfugiés et crée un précédent positif à cet égard.
Deuxièmement, concernant les préoccupations générales du HCNUR, nous nous inquiétions de la possibilité que certains types de cas soient acceptés dans un pays - que par ailleurs le HCNUR juge aussi comme admissibles au statut de réfugié - mais rejetés dans l'autre. Ce scénario pourrait se produire à l'occasion à cause des différences entre les deux procédures.
Bien qu'à notre avis, l'entente reconnaisse que les deux processus nationaux de détermination du statut de réfugié respectent les normes internationales généralement reconnues, nous recommandons que ces cas susceptibles d'être des cas difficiles soient soigneusement examinés. À cet égard, nous invitons les deux gouvernements respectifs à nous consulter à nouveau concernant les questions et les problèmes qui pourraient survenir.
Troisièmement, et cela est étroitement lié à notre deuxième observation ci-haut, nous avons dit être préoccupés par un risque possible de diminution des garanties procédurales offertes aux demandeurs d'asile. D'une part, nous prônons l'harmonisation des procédures de détermination du statut de réfugié et, d'autre part, nous ne voulons pas que cela soit au détriment du dénominateur commun concernant les garanties procédurales et les voies de droit régulières prévues dans les systèmes de détermination. À cet égard, nous ne pouvons pas nous empêcher de rappeler l'expérience négative des Accords européens mentionnés précédemment.
Quatrièmement, en accord avec les préoccupations soulevées dans le passé par la délégation pour le Canada du HCNUR et par la délégation pour les États-Unis à Washington concernant l'application de la clause d'exclusion, nous avons dit qu'à notre avis, tout le monde devrait avoir le droit de revendiquer le statut de réfugié. Tous les demandeurs d'asile ayant besoin de protection internationale devraient avoir accès à un processus de détermination du statut de réfugié même si, après évaluation de son cas, la personne en question semble tomber sous le coup de la clause d'exclusion et ne se trouve pas considérée comme méritant la protection internationale. Nous estimons qu'à moins qu'un processus de pondération des avantages respectifs de l'inclusion et de l'exclusion ne soit mis en place, un réfugié qui ne répondrait pas au profil de la clause d'exclusion de la convention sur les réfugiés de 1951 pourrait être refoulé.
La question de l'exclusion sans considération préalable de l'inclusion a été abordée par la délégation du HCNUR dans les observations qu'elle a faites au présent comité dans sa déclaration sur le projet de loi C-44 le 29 novembre 1994 et sa déclaration sur le projet de loi C-86, le 11 août 1992.
Cinquièmement, nous avons mentionné que la question du tiers pays pose un problème en soi. Même si la délégation mixte canado-américaine a expliqué au HCNUR que la disposition du présent avant-projet d'entente concernant la question a été élaborée pour offrir certaines garanties quand des revendicateurs du statut de réfugié sont retournés dans un pays tiers, le fait qu'elle soit incluse dans le texte préliminaire ne garantit pas pour le moment qu'elle le sera dans l'entente finale.
La présidente: Je suis désolée, mais vous parlez déjà depuis 20 minutes. Pourriez-vous terminer en une minute?
M. Makonnen: Bien sûr.
La conclusion d'une telle entente comportant une clause de tiers pays soulève diverses questions de politique, dont celle des garanties procédurales et des normes concernant le traitement des personnes envoyées dans un pays tiers.
Madame la présidente, les observations précédentes sont faites dans un esprit constructif. Elles visent à concilier les normes internationales en matière de protection des réfugiés et l'intérêt légitime qu'ont les États à améliorer l'efficacité de leur système et dissuader les abus possibles. Nous espérons que nos commentaires prouvent de façon claire qu'on n'a pas besoin de sacrifier la qualité de la protection pour gérer les mouvements de réfugiés de façon efficace et responsable.
En conclusion, j'aimerais remercier le comité permanent de nous avoir demandé notre avis, qui, nous l'espérons, sera pris en considération sérieusement.
Pour terminer, j'aimerais réitérer la volonté du HCNUR d'être inclus dans le processus de consultation en cours sur cette entente, ce qui, entre autres choses, garderaient transparentes les intentions des gouvernements et permettraient au HCNUR d'aider à résoudre tout problème qui pourrait survenir.
Merci, madame la présidente.
La présidente: Je vous remercie beaucoup, monsieur Makonnen.
J'aimerais dire au nom des membres du comité que le Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés est toujours la bienvenue devant ce comité. Nous nous réjouissons à coup sûr des observations faites sur cette question. C'est en partie grâce à vous que nous nous maintenons parmi les pays les plus généreux dans le monde. Merci beaucoup.
Monsieur Nunez.
[Français]
M. Nunez: Merci, monsieur Makonnen. Pourriez-vous nous fournir le texte que vous avez lu plus tôt? Deuxièmement, vous avez mentionné que vous aviez fait des commentaires, des observations aux gouvernements du Canada et des États-Unis. J'aimerais demander à la présidente qu'on puisse obtenir ces documents. Ils seraient très importants pour l'examen de ce projet d'entente.
L'un des principaux problèmes de l'examen a probablement trait à la mise en oeuvre de ce projet d'entente et aux niveaux de protection offerts par les États-Unis et par le Canada. Si vous pouviez nous faire une petite comparaison, j'aimerais connaître votre opinion là-dessus. Vous dites que les deux gouvernements acceptent les principes internationaux. Mais n'est-il pas vrai que le niveau de protection est plus élevé au Canada? La crainte des gens porte là-dessus.
Je parlais plus tôt du refoulement des Haïtiens et des Cubains, les boat people, qui n'ont pas eu droit à une audience pour s'expliquer. C'est un principe fondamental dont vous avez parlé plus tôt. Je ne sais pas si vous avez analysé le projet de loi Simpson aux États-Unis, lequel rend les critères d'admissibilité pour les demandeurs d'asile beaucoup plus sévères. Quelle est votre opinion là-dessus?
[Traduction]
M. Makonnen: Je vais essayer de répondre aux trois questions. Premièrement, vous pouvez bien sûr obtenir une copie de ma déclaration. Deuxièmement, les observations détaillées que le HCNUR a présentées aux deux gouvernements ont été préparées à l'administration centrale...
M. Nunez: À Genève?
M. Makonnen: ... à Genève, pour que les ministères gouvernementaux aient un texte complet. J'ai seulement l'ébauche.
M. Nunez: Pouvons-nous en obtenir une copie?
[Français]
La présidente: On va essayer de l'obtenir.
[Traduction]
M. Makonnen: La troisième question est plus formelle, ce qui me pose un problème du simple fait que je ne connais pas très bien le système aux États-Unis. Je continue de me familiariser avec celui du Canada. Je ne suis arrivé qu'en juillet dernier. Cependant, j'essaie du mieux que je peux de partager, en règle générale, certaines des préoccupations du HCNUR.
J'aimerais commencer en utilisant une expression religieuse. J'aimerais dire qu'ici au Canada notre bénédiction est double. Aux États-Unis, je dirais simplement que nous sommes bénis, étant donné que dans le système de protection des réfugiés nous sommes toujours reconnaissants pour ce que nous obtenons et que nous continuons à en demander davantage. Ainsi, je suis convaincu que vous comprenez ce que je veux dire par bénédiction et double bénédiction et j'ai beaucoup de chance d'être dans un pays où la bénédiction est double.
En termes concrets, l'objet de notre inquiétude n'est pas seulement le dossier du gouvernement américain en ce qui a trait à ces processus ou à l'application ou à l'interprétation de la définition de réfugié en ce qui a trait à certains groupes de réfugiés. Je crois que l'un des honorables membres du comité a déjà fait allusion aux régions ou aux pays. Nous nous inquiétons davantage des tendances actuelles aux États-Unis.
Je n'ai pas suivi de très près les avant-projets de loi soumis au Congrès américain. Il y en a au moins deux, assortis de plusieurs amendements qui sont proposés dans certains cas même pour empirer le projet de loi déjà mal conçu. Bien sûr, lorsque je dis mauvais, je veux dire mauvais pour les réfugiés bien qu'ils puissent être avantageux pour certains autres groupes.
Je vous donnerai deux ou trois exemples. L'un des avant-projets de loi prévoit qu'un réfugié ou un demandeur d'asile qui arrive aux États-Unis sans papiers ou muni de faux papiers sera exclu des procédures relatives à la demande d'asile. Il n'en va pas ainsi au Canada. Je suis convaincu que le ministère peut certifier que nous avons des milliers de personnes au Canada dont la validité des papiers est mise en doute.
Il y a aussi le fait qu'un délai de 30 jours soit exigé pour la présentation d'une demande d'asile. J'ai même entendu dire récemment qu'il y a même certaines parties qui insistent pour qu'on laisse tomber les 30 jours immédiatement, ce qui signifie un délai inférieur à 30 jours. Je ne crois pas qu'il en soit ainsi au Canada.
Nous entendons également dire que les infractions qui devraient exclure les réfugiés des procédures d'octroi d'asile engloberont dorénavant les crimes de la catégorie des crimes majeurs qualifiés, qui sont punissables d'au moins deux ans et demi et d'au plus cinq ans d'emprisonnement. Il n'en va pas ainsi au Canada. Il s'agit de crimes punissables d'au moins cinq ans.
La présidente: Monsieur Makonnen, je ne veux pas vous interrompre, mais je crois que vous avez largement répondu à la question de M. Nunez.
Madame Meredith.
Mme Meredith: Merci, madame la présidente.
Je suis heureuse de vous voir ici ce matin. J'ai une question très directe à vous poser. Le HCNUR estime-t-il que tous les demandeurs qui cherchent à se faire accepter dans un nouveau pays pour des raisons économiques devraient pouvoir présenter une demande en tant que réfugiés plutôt que de présenter une demande en vue d'obtenir le droit d'établissement?
M. Makonnen: Je ne sais pas si j'ai bien compris la question, mais je vais tenter d'y répondre.
Mme Meredith: Je devrais peut-être la clarifier. Croyez-vous que la personne qui revendique le statut de réfugié, même si c'est pour des raisons économiques, devrait pouvoir le faire en présentant une demande de revendication du statut de réfugié au lieu d'une demande de droit d'établissement?
M. Makonnen: Les systèmes sont très clairs. Les immigrants sont des immigrants et les demandeurs d'asile, qui ont des raisons valables de craindre la persécution, devraient avoir accès au système. C'est très clair.
Mme Meredith: En partant de ce principe, le HCNUR est-il d'avis les États-Unis rejettent l'argument selon lequel ils n'accordent pas un traitement équitable aux revendicateurs du statut de réfugié en vertu des lignes directrices des Nations unies?
M. Makonnen: Comme je l'ai déjà dit, il est difficile pour moi de commenter la situation aux États-Unis. J'ai essayé, en termes généraux, d'expliquer les préoccupations sérieuses que soulèvent les procédures et critères en vigueur aux États-Unis.
Mme Meredith: Vous avez des inquiétudes au sujet de l'entente entre le Canada et les États-Unis, si j'ai bien compris vos propos, parce que vous estimez que les personnes qui arrivent d'abord aux États-Unis, se rendent au Canada, et sont ensuite renvoyées au États-Unis afin que leur demande soit examinée, ne recevront pas l'attention qu'elles méritent.
M. Makonnen: Je vais essayer de vous l'expliquer autrement. Nous avons cerné les problèmes que pose l'entente et nous aimerions qu'ils soient réglés. Nous aimerions aussi avoir l'occasion de consulter les autorités des deux pays pour trouver un moyen d'éviter de tels problèmes.
Mme Meredith: Voyez-vous d'autres problèmes en dehors des exceptions que prévoit l'entente? L'entente précise qu'il y aura des exceptions pour les personnes qui seront visées par celle-ci. Des exceptions, si j'ai bien compris, seront accordées pour des raisons humanitaires ou si les demandeurs ont de la famille dans l'un ou l'autre pays. Y a-t-il d'autres problèmes, en dehors de ces exceptions, qui ne peuvent être réglés dans le cadre de cette entente?
M. Makonnen: Comme je l'ai déjà mentionné, nous ne nous opposons pas à l'entente en tant que telle, dans la mesure où les problèmes que nous avons cernés sont réglés.
Mme Meredith: Vous voulez dire les quatre problèmes que vous avez mentionnés?
M. Makonnen: Oui.
Mme Meredith: Ils comprennent l'adoption de mesures de protection pour faire en sorte que les réfugiés puissent bénéficier de solutions durables. Qu'est-ce que vous entendez par cela?
Je n'ai pas bien compris ce que vous vouliez dire lorsque vous avez déclaré que les personnes réadmises doivent être protégées contre un éventuel refoulement.
M. Makonnen: Je vais d'abord commencer par votre dernier point. Le mot refoulement est de plus en plus utilisé dans la langue anglaise. Par refoulement, on entend le retour forcé d'une personne dans un pays ou un endroit où elle a des raisons valables de craindre la persécution. Cela veut dire qu'il ne faut pas renvoyer cette personne dans un pays où elle risque d'être tuée ou torturée. C'est pour ces raisons que nous avons des mesures de protection.
Le président: Je m'excuse, madame Meredith, mais votre temps de parole est écoulé.
Monsieur Dromisky, vous avez droit à la dernière question.
M. Dromisky: Merci beaucoup, madame la présidente.
Compte tenu des rapports qu'entretiennent les deux pays, toute entente conclue avec les États-Unis soulève chez moi un certain scepticisme. Je me demande dans quelle mesure une telle entente peut être crédible et valable.
J'ai des inquiétudes au sujet de la protection qui est accordée aux demandeurs aux États-Unis et peut-être même dans notre pays en raison de ce projet d'entente. Est-ce que les demandeurs bénéficieront de la même protection dans les deux pays? Est-il possible d'offrir aux demandeurs des mesures de protection comparables? Je ne le sais pas.
J'ai une autre question à ce sujet. Y a-t-il d'autres mesures législatives dans l'un ou l'autre pays qui pourraient l'emporter sur toute disposition ou partie du projet d'entente à l'étude, comme c'est souvent le cas dans bien d'autres domaines?
M. Makonnen: Pour le HCNUR, l'élaboration et l'adoption de normes et de principes pour les réfugiés, de même que l'existence d'un comité exécutif composé d'une quarantaine de gouvernements, visent à favoriser l'harmonisation du système d'examen des demandes de statut de réfugié. Nous estimons que le système peut être harmonisé, mais, évidemment, chaque pays à des particularités qui lui sont propres.
Toutefois, il est possible de maintenir certaines normes, sans nuire aux intérêts des réfugiés ou sans nuire aux intérêts des pays intéressés. Ces normes ont été maintenues dans bien des cas. En fait, la Convention de 1951 et le Protocole de 1967 découlent de négociations qui ont mené à l'harmonisation des règles visant le traitement des réfugiés. Nous avons adopté une définition commune du terme «réfugié». Nous avons adopté des critères communs pour exclure de cette définition les réfugiés qui ne devraient pas bénéficier d'une protection internationale.
Pour ce qui est de la deuxième question, il y a un point qui est étroitement lié à ce qu'a dit l'honorable député au sujet de ces amendements. Je parle du sous-alinéa 1(e)(i), qui porte sur la «personne dont la revendication du statut de réfugié est irrecevable». À la fin de ce paragraphe, on y lit les mots «compte tenu de toute modification à ces dispositions». On fait allusion ici à la loi américaine qui est en train de faire l'objet de modifications. La nouvelle loi américaine sera très différente de la loi actuelle. Elle pourrait influer sur les procédures ou même les critères.
M. Dromisky: Vous n'êtes pas obligé de répondre à la question suivante, si vous ne le voulez pas. Ce projet de loi peut-il servir à contrôler le mouvement des réfugiés ou des personnes qui entrent dans les pays les plus riches du monde? Peut-il servir à contrôler ces mouvements?
M. Nunez: Je vous en prie, répondez à la question.
M. Makonnen: Je dirais qu'il sert à gérer et, bien entendu, cela implique un certain contrôle. Je dirais qu'il sert plutôt à gérer le mouvement de réfugiés.
M. Dromisky: Merci.
La présidente: Je trouve merveilleux que le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés collabore étroitement avec le gouvernement canadien en vue d'assurer le maintien de ce généreux système que nous avons au Canada. Souhaitez-vous ajouter quelque chose en guise de conclusion?
M. Makonnen: On a soulevé plus tôt, et nous avons reçu beaucoup de demandes à ce sujet, la question de savoir si un réfugié est tenu, en vertu d'un principe juridique, de présenter une demande - est-ce obligatoire? - , dans le premier pays d'arrivée.
J'ai été un peu surpris d'entendre un des fonctionnaires mentionner la Convention de 1951. Cette convention ne précise pas qu'un demandeur d'asile doit présenter une demande dans le premier pays d'arrivée. Je dirais qu'il s'agit plutôt d'une formalité administrative bien établie.
Je crois déjà avoir mentionné que la conclusion no 15 stipule entre autres qu'il convient de tenir compte, dans toute la mesure possible, des intentions de l'intéressé touchant le pays où il souhaite demander l'asile.
La présidente: Merci beaucoup, et nous espérons que vous aurez l'occasion de comparaître de nouveau devant le comité.
Nous allons maintenant inviter le professeur James Hathaway, de la Refugee Law Unit du Centre for Refugee Studies, à nous présenter son exposé.
Avant de donner la parole à M. Hathaway, j'aimerais demander aux membres du comité, avant que le quorum ne soit perdu, s'ils acceptent d'adopter les deux motions suivantes. Je vais vous en faire la lecture.
La première porte sur les témoignages entendus par le comité permanent chargé d'examiner le renouvellement de l'établissement. Comme nous en avons discuté au sein du comité de direction, nous devons reconvoquer les témoins. La motion se lit comme suit:
- Que, conformément à l'alinéa 108(1)(a) du Règlement, les témoignages entendus par le Comité
permanent de la citoyenneté et de l'immigration dans le cadre de son étude sur le
renouvellement de l'établissement au cours de la première session de la législature actuelle,
soient réputés avoir été entendus par le comité dans la session en cours.
La présidente: Deuxième motion:
- Que le comité fasse réimprimer 800 exemplaires de son rapport Incidence économique de
l'immigration au cours des dernières années, 200 exemplaires du rapport Les conseillers en
immigration, 200 exemplaires du rapport Refugees, Immigration and Gender, et 300
exemplaires du rapport La citoyenneté canadienne: un sentiment d'appartenance.
M. Dromisky: J'en fais la proposition.
M. Nunez: Pourquoi 300?
La présidente: Parce que nous avons jugé que 300 copies suffiraient. Si vous estimez que nous devrions en faire imprimer plus, je suis prête à entendre vos arguments en ce sens.
Nous voulons faire imprimer 800 exemplaires du rapport sur l'incidence économique de l'immigration. J'ai déjà reçu plus de 500 demandes, et je pense qu'en en faisant imprimer 800, nous en aurons assez pour répondre à la demande.
Pour ce qui est des 200 exemplaires du rapport Les conseillers en immigration, nous n'avons pas reçu beaucoup de nouvelles demandes, mais il y a des gens qui viennent nous voir pour en avoir une copie.
Est-ce que vous faites allusion au rapport Un sentiment d'appartenance, monsieur Nunez? J'ai dit 300 parce que nous aurons besoin d'exemplaires supplémentaires du rapport lorsque le comité entreprendra l'examen de la Loi sur la citoyenneté. Je veux que nous ayons des copies en main. Croyez-vous qu'il nous en faut plus?
M. Nunez: Comme vous l'avez dit, nous verrons.
La motion est adoptée
La présidente: Professeur Hathaway, vous avez la parole.
M. James Hathaway (Refugee Law Unit, Centre for Refugee Studies, Université York): Étant donné le programme de travail très serré du comité, je tiens à vous remercier de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui.
Afin que mon exposé, qui doit être bref je le sais, soit aussi clair que possible, j'ai préparé un résumé d'une page des points que j'espère aborder. Ce résumé existe dans les deux langues. J'en ai quelques copies supplémentaires pour les médias et les autres personnes intéressées.
Plusieurs groupes viendront vous exposer les diverses préoccupations que soulève ce projet d'entente. Il m'est impossible de donner une juste appréciation de ce document en quelques minutes. Je vais donc, pour vous préparer aux exposés plus détaillés que vous allez entendre, m'attaquer de front à l'argument qu'a invoqué la ministre ce matin, et qui a été repris par les fonctionnaires, à savoir que le principe du premier pays d'arrivée constitue une base légitime pour refuser aux réfugiés le droit de décider où ils demanderont protection. Je compte m'en tenir à cet argument, mais j'aborderai volontiers d'autres questions avec vous, si vous le désirez.
D'abord, que vise le projet d'entente? Pourquoi conclure une telle entente? On nous a dit, dans un premier temps, que cette entente à empêcher les revendicateurs de présenter deux demandes. Autrement dit, si une personne demande la protection aux États-Unis, qu'elle a recours au processus américain en étant pleinement consciente des conséquences, et que sa demande est rejetée, elle ne devrait pas avoir le droit de venir au Canada et de reprendre les mêmes démarches, gaspillant du coup des ressources importantes.
Cette position avait été appuyée par l'ancien secrétaire parlementaire, en décembre dernier. Le ministère l'avait, dans un premier temps, laissée de côté. Je vois qu'elle refait surface aujourd'hui, comme en témoignent les commentaires de la ministre.
Donc, en clair, si une personne décide, en toute connaissance de cause, d'avoir recours à un système, elle ne devrait pas avoir le droit de tenter sa chance une deuxième fois.
Si tel était l'objectif visé par cette entente, je ne serais pas ici. Si l'entente précisait qu'une personne qui a choisi de demander l'asile aux États-Unis ne pouvait, par la suite, présenter une nouvelle demande au Canada, je serais satisfait.
Or, ce n'est pas - et j'insiste là-dessus - , ce n'est pas ce que dit l'entente. Elle stipule que toute personne, exception faite des personnes en transit et qui ont des liens de famille, qui est passée par les États-Unis, qu'elle ait ou non présenté une demande d'asile, ou même si sa demande d'asile a été entendue, ne peut être admise au Canada.
Si le ministère souhaite mettre de l'avant une proposition qui vise à empêcher une personne de présenter deux demandes, je l'appuierai. Mais ce n'est pas ce que propose cette entente.
Par ailleurs, on laisse entendre que cette entente vise à mettre un terme au soi-disant «magasinage des demandeurs d'asile». Les Nations unies n'utilisent pas cette expression; elles parlent plutôt de déplacements irréguliers de réfugiés. On revient à la question qu'a soulevée le député du Parti réformiste plus tôt. Si des personnes viennent au Canada pour des raisons essentiellement économiques, et non pour obtenir une protection, elles font ce que nous appelons du magasinage. Elles préfèrent vivre au Canada plutôt qu'aux États-Unis, peu importe la raison.
Si ce projet d'entente visait à mettre un terme à cette pratique, je l'appuierais dans une certaine mesure. Le comité exécutif des Nations unies, dans la conclusion numéro 58, a indiqué qu'il ne faut pas encourager les déplacements irréguliers des demandeurs d'asile. Donc, si l'on mettait en place un système qui viserait à demander aux gens qui se présentent à la frontière s'ils viennent s'établir au Canada pour obtenir une protection ou pour de simples raisons économiques, j'appuierais cette démarche.
Mais on ne pose même pas cette question. Il n'existe pas de mécanisme qui permette de cerner les raisons qui poussent une personne à demander l'asile ici. Le fait qu'elle arrive des États-Unis, peu importe la raison, justifie son exclusion. Nous ne pouvons donc pas prétendre que cette entente vise à mettre un terme au magasinage de demandeurs d'asile parce qu'il nous est impossible, par l'entremise de ce processus, de distinguer les demandeurs qui font du magasinage de ceux qui cherchent à obtenir une protection.
La seule façon dont l'entente pourrait mettre un terme à cette pratique, c'est si l'on reconnaissait que la protection ne peut être invoquée comme motif pour demander l'asile au Canada plutôt qu'aux États-Unis. Autrement dit, la protection offerte ici existe également là-bas, de sorte qu'il n'y a aucune raison de venir ici pour obtenir une protection.
Mais les choses ne se passent pas de cette façon. Je ne veux pas entrer dans les détails, mais permettez-moi de vous donner quelques exemples qui montrent pourquoi certains réfugiés estiment qu'ils doivent - et non pas veulent - venir au Canada pour obtenir une protection. Les deux systèmes sont différents.
Je dois dire que j'ai été étonné d'entendre les propos de la ministre. On pourrait peut-être effectuer un rapprochement avec les restaurants McDonald. Tous les restaurants de la chaîne McDonald se ressemblent. Si un pays signe la convention sur les réfugiés, ce pays ressemble donc à tous les autres qui l'ont signée. Pourquoi franchir onze pâtés pour aller au restaurant McDonald, s'il y en a un à dix pâtés d'ici? La nourriture est la même, les prix sont les mêmes, le restaurant est le même. Si c'était le cas, je serais d'accord avec la ministre.
Or, ce n'est pas le cas. Aux États-Unis, par exemple, si l'on jette un coup d'oeil sur les dix principaux pays d'où proviennent les demandeurs de statut de réfugié, on remarque que, pour chacun de ces pays, le taux de reconnaissance des revendications est au moins deux fois plus élevé au Canada qu'aux États-Unis.
Deuxièmement, les tribunaux américains ont statué que les demandeurs d'asile, par opposition aux réfugiés admis, ne peuvent se prévaloir des garanties prévues par la Constitution américaine ou le droit international, contrairement à la position défendue par le Canada à la suite de l'arrêt Singh.
Troisièmement, aux États-Unis, un demandeur d'asile a droit à une audience de 45 minutes devant un agent. Il n'y a qu'un seul fonctionnaire, pas d'interprète, pas de dossier. C'est très différent du système en vigueur au Canada.
Quatrièmement, si vous obtenez le statut de réfugié aux États-Unis - si vous répondez aux critères de la définition utilisée dans le processus d'octroi d'asile - , cela ne vous donne pas le droit de rester aux États-Unis. Cela veut tout simplement dire que le procureur général des États-Unis peut vous autoriser à rester, alors qu'au Canada, l'obtention d'un tel statut vous donne le droit de rester, conformément au droit international.
Si vous voulez avoir le droit de rester aux États-Unis, vous devez vous soumettre à une procédure appelée suspension de déportation, où le niveau de la preuve exigée par les tribunaux de la part du demandeur est plus élevé. Ce processus est, contrairement au nôtre, accusatoire. Là-bas, vous êtes à la merci d'un procureur. Pour avoir le droit de rester aux États-Unis, vous devez prouver non pas que vous avez des raisons valables de craindre la persécution, qui est le critère utilisé à l'échelle internationale, mais qu'il existe une probabilité certaine de persécution - critère que le Canada et le Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés ont condamné.
Cinquièmement, l'interprétation de divers éléments de la définition de réfugié est radicalement différente aux États-Unis. Pour vous donner un exemple, la Cour suprême des États-Unis - on ne parle pas ici d'un tribunal, d'un tribunal inférieur, mais de la Cour suprême - a décrété que tout particulier doit être en mesure de prouver que celui qui le persécute a véritablement l'intention de le persécuter pour des questions de race, religion, nationalité, etc., - motifs cités dans la Convention. Ainsi, une personne, coincée entre le gouvernement et les rebelles, a été persécutée en raison de la neutralité qu'elle a affichée; or, la Cour suprême des États-Unis lui a répondu: «Nous sommes désolés, vous n'êtes pas réfugié, car vous n'avez pas prouvé que le gouvernement ou les rebelles voulaient vous persécuter en raison de vos idées politiques», fait qu'aucune victime ne pourrait évidemment prouver.
Enfin, je ferais remarquer que les cours supérieures des États-Unis ne fonctionnent pas de la même façon que la Cour d'appel fédérale canadienne. Il n'existe aucun régime judiciaire qui offre une norme de protection équivalant à celle que l'on retrouve ici. Chaque cour de circuit aux États-Unis fonctionne uniquement en fonction de sa compétence géographique. Ses décisions n'ont aucun poids à l'extérieur de sa compétence, si bien que le traitement accordé aux réfugiés diffère complètement selon l'endroit ou ils sont expulsés aux États-Unis.
Je ne cherche pas à démontrer que le régime américain est effroyable; telle n'est pas mon intention. Ce que je veux faire ressortir, c'est que manifestement, il existe des différences en matière de protection, tant et si bien que l'on peut avancer qu'il est possible qu'un particulier se présente au Canada pour des raisons de protection. Cette entente ne vise pas non plus à mettre un terme au magasinage des demandeurs d'asile.
Permettez-moi d'aborder mon deuxième point qui représente, à mon sens, ce que vise le protocole d'entente. Il vise à refuser aux réfugiés le droit de décider où ils demanderont protection. En quoi ce droit importe-t-il? Pour revenir à ce que je disais il y a un instant, la Convention relative au statut des réfugiés est une entente peu précise renfermant une définition commune et un ensemble de droits communs; chaque État l'applique toutefois à sa convenance. La définition ne signifie pas la même chose dans chaque pays. Certains pays emprisonnent les réfugiés derrière des fils barbelés; d'autres, non. Certains permettent la réunion des familles; d'autres, non. Certains protègent les réfugiés de tout refoulement; d'autres, non. Aucune surveillance internationale n'est prévue.
Dans un tel contexte, le réfugié devrait pouvoir au moins décider de l'endroit où il veut demander protection, non de l'endroit qui lui accordera le droit d'asile - cette décision revenant au pays, en fonction de ses règlements - mais il devrait décider, à tout le moins, de l'endroit où demander protection, pas plus qu'une fois, mais au moins une fois. Si les États ont pratiquement entière discrétion en ce qui concerne la mise en application du système, il est tout simplement moral que le particulier soit en mesure de décider du pays où demander protection.
C'est ce que prévoit la conclusion 15 du Comité exécutif - que les souhaits du particulier servent de point de départ à l'analyse. C'est ce que prévoit la Convention: chaque État a des obligations particulières à remplir envers quiconque arrive sur son territoire, et, ainsi que vient de l'expliquer clairement M. Makonnen du HCNUR, la Convention ne permet sûrement pas le refoulement de particuliers sous prétexte qu'ils viennent d'un autre État.
Il y a quelques exceptions dont je n'aurai pas le temps de parler. Par exemple, en vertu de l'article 3, lorsqu'un particulier a déjà personnellement des rapports étroits, ou encore, lorsqu'il est nécessaire d'éviter le phénomène des réfugiés dont personne ne veut. Aucune de ces situations ne se rapporte à cette ébauche de traité.
L'autre situation évidente sur laquelle je veux insister, est la suivante: si l'on prévoit une véritable harmonisation de fond et de procédure des deux régimes, si la protection offerte aux réfugiés est la même partout, on ne pourra plus dire que la protection offerte par un État est supérieure à celle offerte par un autre. Ce sera le même produit. Si le Canada et les États-Unis avaient véritablement le même régime - et lorsque M. Marchi est devenu ministre, il avait déclaré que tel serait le cas - je crois alors qu'une entente de ce genre serait acceptable. On ne peut toutefois pas refuser aux réfugiés le droit de décider où ils demanderont protection sans cette garantie; c'est un droit qu'ils doivent avoir, comme le l'ai dit plus tôt.
Si vous voulez bien m'accorder deux minutes de plus, j'aimerais parler brièvement de l'argument présenté par le ministère à l'effet que cela suffit pour assurer le respect de normes internationales. Tout d'abord, ces normes n'existent que sous forme schématique. Elles n'entrent pas dans les détails de la nature de la procédure et ne donnent sûrement pas l'interprétation exacte de la définition requise.
Plus important encore, même si l'on acceptait cette norme qui, ainsi que l'a exposé clairement M. Makonnen je crois, n'a aucun fondement en matière de droit international, le ministère pourrait s'appuyer, au mieux, sur une seule ligne tirée d'une publication de plusieurs centaines de pages, non approuvée par un organe législatif des NU. C'est tout ce qu'il pourrait faire.
Même si vous acceptiez ce point de vue, les États-Unis ne répondent pas aux normes internationales minimales. Permettez-moi de vous donner simplement quelques exemples rapides.
En ce qui concerne la crise des réfugiés de la mer de Haïti, il faut savoir que les États-Unis sont allés chercher des réfugiés en haute mer, à l'extérieur des eaux territoriales américaines, les ont obligés à embarquer dans leurs bateaux, ont détruit les leurs et les ont remis à leurs persécuteurs à Haïti. Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés a ouvertement condamné ce procédé, allant même jusqu'à poursuivre le gouvernement américain devant la Cour suprême des États-Unis. Cette instance a décrété qu'il n'y avait aucune problème, qu'il ne s'agissait pas de refoulement.
Au cas où vous penseriez qu'il ne s'agit que de Haïti, je vous dirais qu'en juillet 1993, les États-Unis ont refoulé un bateau entier de demandeurs d'asile de Chine, pays représentant l'un de ses ennemis idéologiques, au Mexique, refusant qu'ils présentent leurs demandes aux États-Unis, même si le Mexique n'est pas signataire de la Convention du statut de réfugié.
Les États-Unis ont même signé une entente avec Fidel Castro. Il est difficile de le croire compte tenu du climat politique actuel, mais tel est le cas. En vertu de cette entente, Fidel Castro doit prendre des mesures, essentiellement des mesures de persuasion, pour empêcher les Cubains de partir de Cuba; par ailleurs, les Américains peuvent refouler les Cubains séance tenante, le cas échéant. Je pense qu'il est question de «mesures de persuasion essentiellement». Je ne sais pas vraiment ce que recherchaient les Américains. Il s'agit en fait de refoulement; c'est une violation claire et nette du droit international.
Les Américains refusent d'offrir des services d'interprète aux demandeurs d'asile, contrairement à la conclusion numéro 8 du Comité exécutif. Ils emprisonnent les demandeurs d'asile qui ne sont ni dangereux ni ne risquent de prendre la fuite, uniquement dans le but de bien faire comprendre certaines réalités à d'autres demandeurs d'asile. Dans chacun de ces cas, les États-Unis ont été ouvertement critiqués par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés pour le non-respect des normes internationales fondamentales; il ne faut pas oublier non plus les projets dont M. Makonnen vous a parlé, qui se profilent à l'horizon et qui forceraient tout demandeur d'asile à défendre sa cause dès son arrivée ou, en cas d'échec, à prendre le prochain avion.
Comment régler ce problème? J'ai essayé de vous donner une réponse constructive à deux volets. Premièrement, dans le document «Refuge» que j'ai distribué, je tente de vous proposer des solutions de rechange permettant d'appliquer le régime sans refuser la protection. Je sais que nous n'avons pas le temps de traiter de ce point aujourd'hui, mais je voulais vous remettre ce document pour que vous compreniez qu'il existe d'autres manières de gérer le système, sans pour autant être anti-réfugiés. J'ai toujours appuyé cet objectif et je serais heureux de travailler avec votre comité s'il souhaite donner suite à cette initiative.
Si toutefois le gouvernement décide de poursuivre ce projet bureaucratique, je me contenterais alors d'attirer votre attention sur la proposition figurant en bas de page, la modification proposée à l'article 12 du protocole d'entente.
[Français]
J'aimerais signaler que, dans la version française, il y a une erreur de traduction. Le mot «sensiblement» ne devrait pas paraître à la troisième ligne. Vous pouvez corriger cette faute de traduction.
[Traduction]
La modification proposée se lit comme suit: La présente entente entre en vigueur lorsque les parties et le HCNUR attestent par écrit que les systèmes de détermination du statut de réfugié du Canada et des États-Unis ont été sensiblement harmonisés quant au fond et aux procédures de façon à garantir une protection équivalente et pleinement suffisante à toutes les catégories de demandeurs d'asile et, de toute manière, pas avant le 1er décembre 1996. La présente entente demeure en vigueur sous réserve du renouvellement annuel de l'attestation précitée par les Parties et le HCNUR jusqu'à ce que l'une des deux parties y mettent fin moyennant un avis de six mois à l'autre partie.
Madame la présidente, cette entente reflète, je crois, l'engagement que renferme le paragraphe 5 du préambule à propos d'un régime juste et équitable qui serait le fondement de l'entente. Elle reflète la volonté de la ministre et du directeur de la politique d'asile de faire participer utilement le HCNUR au processus, répondant ainsi à la proposition de ce dernier. Pourtant, si vous suivez la logique de mon exposé, c'est la seule façon dont le principe de pays de premier asile peut se concilier avec le droit international: s'il n'existe pas de différence de fond ou de procédure entre les deux.
Je me ferais un plaisir de parler de cette modification et je vous remercie d'avoir pris le temps de m'entendre.
La présidente: Merci, monsieur Hathaway.
[Français]
M. Nunez: Merci, professeur Hathaway, pour votre excellente présentation et surtout pour votre proposition de modification que je trouve très intéressante et que le comité devrait examiner très attentivement.
On discute depuis 10 ans d'une éventuelle entente sur les réfugiés entre le Canada et les États-Unis. Les conservateurs ont essayé de conclure une telle entente et les libéraux de l'époque avaient des critiques très sérieuses à cet égard, particulièrement le critique de l'Opposition officielle d'alors, M. Marchi. Pourquoi revient-on aujourd'hui à cette entente? Est-ce à cause de problèmes particuliers? Avez-vous des données concernant les revendications multiples? Le Canada est-il menacé par une vague de réfugiés?
M. Hathaway: Comme M. Goodes l'a indiqué, même le ministère n'a pas accumulé de chiffres qui démontrent qu'il y a un problème de dédoublement de réclamations entre les États-Unis et le Canada. Je n'ai pas ces données.
Vous allez entendre de la part des ONG qui travaillent à la frontière canado-américaine que le problème n'existe pas. Vous allez entendre cela, et je préfère laisser cette question aux experts.
Lorsqu'on parle du fardeau de la protection des réfugiés à travers le monde, il faut dire que l'Europe, les États-Unis, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, globalement, n'ont reçu que 500 000 demandeurs du statut de réfugié au cours de la dernière année, bien qu'il y ait plus de 20 millions de réfugiés dans le monde.
Un petit pays comme la Côte d'Ivoire, par exemple, reçoit plus de réfugiés que les États-Unis. Donc, nous n'avons pas un problème au Canada à l'heure actuelle. Le nombre de demandeurs d'asile qu'on reçoit ne dépasse absolument pas la capacité de notre tribunal. Donc, ce projet n'a pas de raison d'être, à mon sens.
Mme Gagnon: Plus tôt, la ministre nous a dit que certains groupes qu'elle avait reçus et entendus ne s'entendaient pas sur le principe de nier aux réfugiés le droit de décider du pays qui serait leur protecteur. Qu'en pensez-vous? Plus tôt, j'ai demandé cela aux fonctionnaires et ils ont semblé dire que ce n'était pas un droit des réfugiés. Ils semblaient minimiser le nombre d'intervenants qui s'opposaient à cela.
[Traduction]
M. Hathaway: Peut-être puis-je vous donner une réponse très directe. Il n'y a pas de principe de premier pays d'arrivée. Un tel principe n'existe pas. Si vous écoutez attentivement la réponse fort diplomate de M. Makonnen à cette question, vous vous apercevrez que selon lui, un tel principe n'existe pas, mais que cela semble faire partie des procédures administratives. C'est sa façon de dire, je pense, que les États s'appuient sur un tel principe, mais qu'ils n'ont pas juridiquement le droit de le faire.
Des exceptions claires sont prévues, ainsi que je le disais plus haut: dans les cas où un demandeur a déjà des rapports étroits, lorsqu'il faut éviter le phénomène des réfugiés dont personne ne veut, et lorsqu'il convient de décider dans quel pays une personne peut présenter une demande d'asile. Mis à part ces cas particuliers, je mets au défi le ministère de trouver une seule ligne dans la Convention où le Protocole des réfugiés, une seule conclusion du Comité exécutif des NU ou une seule ligne dans le manuel HCNUR qui donnerait un poids juridique au principe de premier pays d'arrivée. Un tel principe n'existe pas.
[Français]
Mme Gagnon: Ça va. Merci beaucoup.
[Traduction]
La présidente: Mme Meredith.
Mme Meredith: J'aimerais vous remercier pour votre exposé qui nous donne certainement une perspective différente. J'aimerais vous demander si vous avez des statistiques sur le nombre de particuliers revendiquant le statut de réfugié aux États-Unis et au Canada, ainsi que des statistiques sur les taux d'acceptation. Vous avez dit que le système n'est pas mis en oeuvre de la même façon. Cela me laisse donc supposer que le nombre des réponses positives n'est pas non plus le même.
M. Hathaway: Comme M. Goodes l'a dit, il semble que le ministère ne réunit pas de telles statistiques ou alors qu'il ne les a pas encore diffusées; je n'en ai donc pas. Tout ce que je peux faire, c'est comparer les taux de reconnaissance dans le cas de demandeurs qui se présentent là-bas ou ici et dont la situation est semblable. Comme je le disais, dans le cas des principaux pays producteurs du plus grand nombre de demandeurs d'asile aux États-Unis - pour ces groupes seulement, notre taux de reconnaissance est le double de celui des Américains, ou lui est supérieur. Cela ne veut pas dire qu'ils ont tort et que nous avons raison. Je tiens à être clair à ce sujet. Je ne veux pas dire que nous sommes bons et qu'ils sont méchants. Tout ce que je veux dire, c'est que si l'on admet qu'un tel écart existe, on ne peut pas parler de magasinage.
Mme Meredith: Mais il y a une différence et vous dites vous-même que notre taux de reconnaissance peut être le double de celui des Américains, ou lui être supérieur. N'est-il donc pas normal de faire du magasinage? Si les demandeurs d'asile savent à l'avance qu'ils ont deux fois plus de chances d'être acceptés dans un autre pays, ou que leurs chances y sont meilleures, c'est à ce pays qu'ils vont s'adresser. Qu'ils trouvent un refuge sûr dans le premier pays d'arrivée ou qu'ils soient acceptés dans ce premier pays d'arrivée ou non, le fait est qu'ils ont deux fois plus de chances ailleurs ou que leurs chances y sont meilleures. Il ne s'agit donc pas vraiment d'une question de sécurité. Il ne s'agit pas vraiment de savoir s'ils vont trouver un refuge sûr dans le pays où ils arrivent initialement, ou non. Il s'agit tout simplement d'une meilleure possibilité d'acceptation ailleurs.
Ne pensez-vous donc pas que cette entente vise à régler cette question, à savoir que les États-Unis peuvent leur offrir un refuge sûr, mais qu'ils savent que leurs chances sont meilleures ailleurs? C'est presque comme s'il s'agissait d'un enfant qui veut de l'argent de poche ou plus de privilèges. Il va s'adresser au parent qui va probablement être plus porté à lui accorder ce qu'il veut. La question n'est pas de savoir s'il va essuyer un refus on non, il va aller là où il a de meilleures chances d'obtenir ce qu'il veut. Si ce n'est pas du magasinage, je ne sais pas ce que c'est pour vous.
M. Hathaway: Permettez-moi de m'expliquer. À mon avis, l'analogie que vous faites avec l'argent de poche d'un enfant peut poser un problème, car vous parlez là de l'accès à un privilège, à quelque chose qui serait agréable. C'est du magasinage.
Permettez-moi de faire une analogie avec ce qui, à mon avis, est plus proche de la réalité. Je vis dans la campagne ontarienne. L'hôpital le plus proche de chez moi est à 25 minutes de route. C'est un hôpital assez rudimentaire. On y trouve des médecins et l'équipement commence à dater. Si je conduis cinq minutes de plus, j'arrive à une ville où se trouve un assez bon hôpital doté de la technologie moderne et d'un bon personnel. Si jamais je tombe gravement malade, je tiendrais à conduire ces cinq minutes de plus. Je dépasserais l'hôpital rudimentaire pour aller à l'hôpital qui, à mon avis, sera probablement plus en mesure de me sauver la vie. C'est exactement ce dont il s'agit ici. Nous parlons de personnes qui viennent de très loin et dont la vie est en danger; dans le cas contraire, ce ne sont pas des réfugiés et nous allons les refouler. Notre politique est claire maintenant, s'il n'y a pas risque de persécution...
Mme Meredith: Certains vous contrediraient à ce sujet.
M. Hathaway: S'ils ne courent pas un risque de persécution, ils ne sont pas admissibles, un point c'est tout. Nous parlons donc uniquement de personnes qui risquent d'être persécutées. Dans ce traité, c'est un point que le gouvernement ne conteste pas.
Ce que je veux vous dire c'est que si je crois, à mon retour d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique latine, qu'en traversant une frontière de plus je ne risque pas d'être refoulé, je vais le faire. Permettez-moi d'aborder la question sur un plan plus personnel; je vais demander à chacun d'entre nous autour de cette table et dans cette pièce de réfléchir. Si nous devions fuir le Canada demain, si nous le pouvions, nous irions dans un pays où nous penserions avoir le plus de chances d'être protégés et de ne pas être refoulés. Chacun d'entre nous le ferait. Si et quand, comme je l'ai proposé, nous harmonisons nos systèmes pour accorder une bonne protection partout, la question du choix ne se posera plus. Tant que cela ne se produira pas, chacun de nous recherchera l'endroit le plus sûr.
Si vous voulez mettre les migrants économiques à part - conclusion 58 du Comité exécutif - faites-le. Ce n'est toutefois pas ce que vise ce traité. Aucun mécanisme n'est prévu dans ce sens. Je serais en faveur d'une modification prévoyant ce genre de processus. Il faudrait cependant l'adapter au problème réel, si vous croyez que tel est le problème.
Mme Meredith: Vous me dites donc que le processus de revendication du statut de réfugié comporte peut-être des lacunes, que l'on peut légitimement s'inquiéter du système et se poser des questions à ce sujet, mais que cette entente ne permet pas de régler ces problèmes.
M. Hathaway: Absolument. Je serais par contre en faveur d'une entente empêchant le dédoublement des demandes, d'une entente visant les personnes qui viennent au Canada pour des raisons autres que la protection, ou encore, d'une entente prévoyant le refoulement des personnes qui ont déjà des rapports étroits aux États-Unis. Ce n'est pas ce que prévoit ce traité. Il s'intéresse simplement à la présence physique de la personne aux États-Unis et, indépendamment de sa situation, indépendamment de ses problèmes, en permet le refoulement.
La présidente: Madame Meredith, je dois vous couper la parole, désolée. M. St. Denis.
M. St. Denis (Algoma): Merci d'être parmi nous, monsieur Hathaway.
Vous avez peut-être répondu à quelques éléments de ma question, mais pour mieux comprendre cette notion de magasinage... Il serait probablement conseillé que le Canada ne se mette pas à porter de jugement sur les mérites du système américain, ou l'absence de tels mérites, tout comme nous ne voudrions pas qu'ils portent un jugement sur le nôtre. J'ai été un peu déconcerté en vous entendant dire qu'un réfugié peut arriver aux États-Unis et ne pas entrer dans le système américain avant d'être transféré ici, dans le contexte du principe de premier pays d'arrivée. Je n'ai pas vraiment compris ce que vous vouliez dire.
M. Hathaway: Peut-être n'ai-je pas été suffisamment clair. Je parlais des gens qui passent par les États-Unis, sans toutefois y faire de demande de protection. À titre d'exemple classique...
M. St. Denis: Ils peuvent y passer six mois, par exemple.
M. Hathaway: Oui, ou par exemple, si vous examinez le cas des ressortissants d'Amérique centrale qui doivent voyager par voie de terre et qui sont très pauvres, il est évident qu'ils ne peuvent faire le trajet du Rio Grande au Peace Bridge en l'espace de 10 jours. Ils n'ont tout simplement pas les ressources nécessaires pour atteindre ce but. Cela prend du temps. Dans le cas des femmes accompagnées de jeunes enfants, etc., cela prend encore plus de temps. Les gens sont mal informés et, pour toutes sortes de raisons, n'arrivent pas nécessairement à destination en l'espace de 48 heures en prenant l'avion, ou en l'espace de 10 jours par voie de terre.
À mon sens, ces gens n'abusent pas du système américain d'asile, puisqu'ils ne l'utilisent pas. Le fait qu'ils s'arrangent pour arriver jusqu'à nous et tentent leurs chances à deux reprises me paraît tout à fait pertinent et c'est exactement ce que je ferais si j'étais à leur place.
Au sujet de ce que vous dites à propos d'un jugement que l'on pourrait éventuellement porter, je dirais que c'est une question importante; c'est en fait la raison pour laquelle, je crois, le gouvernement n'a pas déclaré jusqu'ici que les États-Unis sont un pays sûr, chose que nous aurions pu faire depuis quelques années déjà. Nous ne voulions pas nous trouver dans une situation où il aurait fallu critiquer ouvertement la manière dont notre partenaire commercial et notre principal allié stratégique et politique assure la protection des demandeurs d'asile.
Ironiquement, cette entente va nous faire tomber dans un véritable guêpier. Jusqu'à présent, ils avaient leur système, nous avions le nôtre et nous n'avions pas besoin de nous assurer qu'ils appliquaient le leur correctement. Or, maintenant il va falloir le faire.
M. St. Denis: Si certains acceptent l'idée qu'un refuge sûr est un refuge sûr, mis à part les chances de succès d'une demande - un refuge est sûr ou ne l'est pas, même s'il peut y avoir des degrés de sûreté... À l'article 4, il est clairement indiqué que chaque partie doit accepter la revendication, examiner la revendication et offrir la protection. Si nous permettons, ainsi que vous le suggérez, que des gens traînent aux États-Unis pendant quelque temps et choisissent ensuite de présenter leur revendication de statut de réfugié ici, ne sommes-nous pas en train alors de porter un jugement sur le système américain? Ne devraient-ils pas présenter leur demande aux États-Unis?
M. Hathaway: J'imagine que l'on pourrait aller plus loin.
M. St. Denis: Parce que cela pourrait fonctionner dans l'autre sens également.
M. Hathaway: Évidemment et c'est ce qui se produit parfois.
Par exemple, à une certaine époque, les États-Unis ont décrété que quiconque craignant la politique chinoise de l'enfant unique était automatiquement considéré comme réfugié. Tel n'était pas le point de vue du Canada. Nos critères étaient beaucoup plus rigoureux et, à mon avis, plus pertinents. Il y avait donc de bonnes raisons de choisir les États-Unis.
Selon l'article 4, ce n'est que lorsque l'État est responsable qu'il doit examiner la revendication. Je veux être clair à ce sujet. La règle du premier pays d'arrivée est toujours à la base de ce principe.
Je suis désolé, mais j'ai perdu le fil de votre question.
M. St. Denis: D'une certaine manière ne portons-nous pas un jugement sur le système américain en disant qu'une personne en provenance du Sud qui passe par les États-Unis devrait y présenter une demande en premier?
M. Hathaway: Exact. Je suppose que vous me demandez ce qu'il en est d'une personne qui passe par l'Azerbaïdjan ou un autre État qui est aussi partie à la convention. Nous ne flanquons pas ces gens à la porte. Nous leur disons que tant qu'ils n'ont présenté qu'une demande et qu'ils l'ont fait chez nous, nous l'examinerons. C'est ainsi que les choses se passent.
Autrement dit, je crois qu'il vaudrait mieux un système rationnel. Je suis d'accord pour que l'on s'entende sur l'objectif d'une gestion mondiale du mouvement des réfugiés, mais je ne veux pas que celui-ci donne lieu à un nouvel apartheid dans le Sud et nous isole au Nord.
Avançons d'un cran. Si vous appliquiez la logique du premier pays d'arrivée, il n'y aurait pas alors de réfugiés dans l'hémisphère nord. Ils doivent tous passer par quelque part...
M. St. Denis: Pour des raisons géographiques.
M. Hathaway: ... pour des raisons géographiques.
Ce n'est manifestement pas un principe qui a du poids en droit international. Si c'était le cas, ce serait contraire aux règles régissant le partage du fardeau. Cela n'a pas de sens.
M. Dromisky: Votre exposé n'a dissipé aucun de mes doutes au sujet de ce projet de loi et des relations que nous entretenons avec les États-Unis. Il n'a certes pas apaisé aucune de mes craintes.
Je vais vous poser la dernière question que j'ai déjà adressée au témoin qui vous a précédé. Y a-t-il des projets de loi ou des projets de loi d'ensemble de quelque nature qui supplanterait n'importe quel article de cet avant-projet d'entente ou aurait un effet direct sur celui-ci et qui pourrait être utilisé n'importe quand au profit du pays, chaque fois que celui-ci le veut?
M. Hathaway: Qui peuvent être utilisés au profit du Canada?
M. Dromisky: Ou des États-Unis. L'un ou l'autre.
M. Hathaway: Je ne suis pas sûr de bien comprendre la question, mais je crois que c'est important. Vous parlez d'un risque indirect que poserait l'entente.
M. Dromisky: Oui, un risque indirect - c'est une bonne façon de le dire - ou une menace indirecte. L'un ou l'autre.
M. Hathaway: Pour les réfugiés en raison de cette entente?
M. Dromisky: Ou d'un autre projet de loi. Je veux parler de...
M. Hathaway: L'un des principaux risques qui devrait inquiéter ce comité - et j'ai entendu la ministre dire ce matin qu'il s'agit peut-être d'un article qu'elle est disposée à modifier, et je me réjouis de cette initiative - c'était une disposition selon laquelle, par exemple, si nous renvoyons une personne aux États-Unis et que ces derniers ont signé une entente, disons, avec le Mexique, même si j'estime que ce n'est pas si hypothétique, pour y renvoyer cette personne, alors même si le Canada n'avait pas conclu d'entente avec le Mexique, les États-Unis pourraient y renvoyer cette personne pourvu que nous ne nous y opposions pas ou que nous ne soyons pas tenus de prendre des mesures.
Cette disposition est très choquante étant donné le terrible dossier des Américains dont j'ai parlé plus tôt en ce qui concerne le refoulement: les Haïtiens, les Cubains, les Chinois et bien d'autres. Cette disposition doit disparaître de toute évidence.
Je n'en ai pas parlé dans mon exposé parce que j'ai compris, en écoutant la ministre, qu'elle comprend elle aussi qu'il s'agit d'une violation indirecte de la Loi sur l'immigration, qui permet au Canada de renvoyer les personnes dans les seuls pays qui ont prouvé qu'ils respectent les droits de la personne et qui satisfont un certain nombre d'autres critères dont fait état la loi actuelle.
C'est la raison pour laquelle j'ai insisté sur la grande, c'est-à-dire l'importance du choix. Le choix ne serait pas important si les deux systèmes étaient les mêmes.
La présidente: J'aimerais savoir, professeur Hathaway, pourquoi vous avez l'impression que l'article 13 de l'avant-projet d'entente n'englobe pas dans une certaine mesure l'amendement que vous proposez au protocole d'entente.
M. Hathaway: L'article 13 prévoit une révision des conditions et des modalités d'application de l'entente avant la fin de juillet 1997. Il ne prévoit aucun critère d'harmonisation quant au fond et aux procédures pour l'entrée en vigueur de cette entente. Il ne prévoit pas une garantie en ce qui a trait à la protection équivalente que le ministre avait déjà annoncée en 1993 comme étant la norme appropriée et qui, je crois, est conforme au droit international. Il ne prévoit pas non plus de rôle pour le HCNUR en ce qui a trait à l'attestation initiale ou le renouvellement de l'attestation.
Le problème c'est qu'il n'y a rien dans le traité dans sa forme actuelle qui établit des normes qualitatives. Il y est simplement question de l'accès à une procédure d'examen complète et équitable et ce, dans une langue qui permet à peu près n'importe quoi pour satisfaire aux critères de l'examen. Les normes minimales du HCNUR sont simplement cela, comme l'a souligné M. Makonnen. Elles sont très minimales. Elles sont même loin des garanties relatives à la notion d'application régulière de la loi qui font partie intégrante de notre culture constitutionnelle, par exemple. L'amendement proposé crée donc la condition fondamentale qui fait que le choix importe peu, du point de vue de la protection. Pour revenir à la préoccupation de Mme Meredith, s'il n'y a rien pour établir la distinction entre les deux systèmes à part une préférence économique ou sociale pour un endroit par rapport à l'autre, le Comité exécutif du HCNUR permet alors de limiter le choix, mais pas autrement.
La présidente: Mais vous convenez que cet article permet des consultations permanentes au moins pendant un an. Le HCNUR participera à ces consultations tant aux États-Unis qu'au Canada.
M. Hathaway: Il le permet bel et bien. N'empêche qu'il fait aussi courir des risques pour cette période consécutive et ne prévoit aucun cadre obligatoire pour la prise de ces décisions.
Je terminerai là-dessus. Ce matin la ministre a très honorablement dit qu'elle visait l'équité et la justice en ce qui a trait à la mise en oeuvre de cette entente. Je la prends au mot. Je la crois sur parole lorsqu'elle dit qu'elle croit, comme ce fût le cas pour son prédécesseur, qu'il ne faudrait forcer personne à faire partie d'un système qui, selon nous, comporte des lacunes en matière de protection par rapport au nôtre. Je la crois sur parole lorsqu'elle dit qu'elle veut que le Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés intervienne. Le très simple amendement que je propose à l'article 12 atteindra tous ces objectifs et permet, selon moi, de rendre cette entente crédible.
La présidente: Voici ma deuxième question, si vous le permettez. Je sais que nous accaparons le temps des membres du comité. Même si M. Makonnen ou le HCNUR convient avec vous qu'il n'y a aucun fondement juridique à la prémisse de base, il a dit - et corrigez-moi si je me trompe - qu'un principe non écrit s'appuie sur la prémisse de base. Êtes-vous d'accord avec cela?
M. Hathaway: Je l'ai entendu dire que l'on assiste à l'émergence d'une pratique à cet effet. J'insisterai pour dire qu'on la trouve largement répandue en Europe où l'on était aux prises avec le problème des réfugiés dont personne ne veut; je veux parler des situations où aucun État ne prendrait de responsabilités pour personne. Ainsi le HCNUR, dans sa conclusion numéro 71, a disposé que ces ententes étaient valides lorsqu'il faut empêcher qu'un réfugié ne trouve aucune place où aller. Ce problème n'existe pas au Canada ni aux États-Unis et n'a jamais existé entre nous. Je nuancerais son observation uniquement dans cette mesure.
La présidente: Je vous remercie beaucoup, monsieur Hathaway de votre perspicacité de même que de vos analogies que nous accueillons toujours avec beaucoup de plaisir; je vous remercie aussi des recommandations que vous faites à ce comité.
La séance est levée jusqu'à 15h30.