[Enregistrement électronique]
Le jeudi 21 mars 1996
[Traduction]
La présidente: Mesdames et messieurs, bonjour. Merci d'être venus. Le Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration se réunit, conformément à l'article 108(2) du Règlement, pour examiner le projet d'entente entre le Canada et les États-Unis concernant l'examen des revendications du statut de réfugié. Nous allons poursuivre notre étude avec nos témoins.
Au nom du comité, je désire souhaiter la bienvenue à Mme Thomson et à M. Matas, qui sont membres de l'Association du Barreau canadien.
Merci d'être revenus. Je vous accorde dix minutes, pas plus. Il n'est pas nécessaire de lire votre mémoire puisque nous en avons un exemplaire. Vous pouvez commencer.
Mme Tamra L. Thomson (directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien): L'Association du Barreau canadien est une association nationale qui regroupe plus de 34 000 juristes, soit des avocats, des notaires, des professeurs et des étudiants en droit et des juges. Le mémoire sur le projet d'entente a été préparé par la Section nationale du droit de l'immigration de l'Association. Elle représente plus de 600 avocats spécialisés en droit de l'immigration.
L'objectif premier de l'Association du Barreau canadien est d'améliorer le droit et l'administration de la justice. C'est dans cette optique que nous vous présentons notre exposé aujourd'hui.
M. David Matas, qui m'accompagne, présentera l'essentiel des arguments ce matin. M. Matas pratique le droit depuis de nombreuses années à Winnipeg, au Manitoba. Il est le vice-président de la Section nationale du droit de l'immigration.
M. David Matas (vice-président, Section nationale du droit de l'immigration, Association du Barreau canadien): Merci beaucoup.
[Français]
Je vais faire mes remarques en anglais, mais je pourrai répondre à vos questions en français si vous le désirez.
La présidente: Merci.
[Traduction]
M. Matas: L'Association du Barreau canadien a préparé un mémoire assez long, comme vous pouvez le constater, dans lequel elle s'oppose à la ratification du projet d'entente, et ce, pour plusieurs raisons.
À notre avis, le projet d'entente met de côté et viole les obligations internationales en matière de droits de la personne, et affaiblit en outre les mesures de protection offertes aux réfugiés. Les véritables réfugiés finiront par être traités de façon inhumaine. Ce projet d'entente ne sert pas les intérêts du gouvernement. Il est impraticable et crée des problèmes d'ordre administratif et juridique qui n'existaient pas auparavant.
Comme notre mémoire est très long et que mon temps de parole est limité ce matin, je m'attarderai uniquement sur ce dernier point: le caractère impraticable du projet d'entente. J'invite les membres du comité à lire le mémoire, qui examine en détail d'autres questions.
D'abord, à notre avis, ce projet d'entente aura un effet négatif en ce sens qu'il créera des réfugiés en orbite - des revendicateurs du statut de réfugié qui sont renvoyés d'un pays à l'autre - , alors qu'il n'y en avait pas auparavant.
Le projet d'entente fixe des règles complexes pour l'attribution de la responsabilité en matière d'examen des revendications. Des différends surviendront inévitablement entre les deux pays au sujet de l'application de ces règles. Les demandeurs se retrouveront pris entre deux feux le temps que le conflit soit réglé. Cette situation ne fera qu'accroître l'incertitude qui entoure le sort réservé aux réfugiés.
Si vous jetez un coup d'oeil sur l'entente, vous allez constater qu'elle ne prévoit pas de mécanisme de règlement des différends. À l'heure actuelle, il n'y a pas de différends entre le Canada et les États-Unis concernant l'examen des revendications du statut de réfugié. Toutefois, le projet d'entente en crée. Même si les demandeurs ne sont pas renvoyés d'un pays à l'autre, leur cas restera en attente le temps que les deux pays déterminent à qui revient la responsabilité d'examiner la demande. Ces personnes ne sont peut-être pas en orbite, mais c'est tout comme.
Le projet d'entente dispose qu'une des parties peut demander une consultation avec l'autre partie au sujet de l'exécution globale du projet d'entente, mais cela ne constitue pas un moyen de résoudre les différends. Le projet d'entente ne fait que prévoir la tenue de consultations. De plus, comme il le précise, elles ne doivent porter que sur l'exécution globale du projet d'entente, pas sur des cas individuels. Si aucun mécanisme de règlement des différends n'est prévu, les cas en orbite ne pourront être évités. Voilà pour le premier problème.
Deuxièmement, le projet d'entente ne tient pas compte des problèmes qui peuvent survenir au cours de la période de transit, comme la mise en détention ou le mauvais temps, des circonstances indépendantes de la volonté du demandeur. Ce projet d'entente repose sur le principe du premier pays d'arrivée. Une exception est prévue si la personne est entrée dans le premier pays d'arrivée par avion et y est demeurée en transit moins de 48 heures, ou encore par terre ou mer et y est demeurée en transit moins de 10 jours. Cependant, une personne peut être mise en détention dans le premier pays d'arrivée et ne pas respecter le délai de 48 heures ou de 10 jours, ou encore rester coincée à l'aéroport en raison d'une tempête pendant plus de 48 heures. Donc, l'objectif présumé de l'entente, qui est de donner aux personnes en transit le temps d'arriver au point de destination, ne peut être atteint. Voilà pour le deuxième problème.
Troisièmement, le projet d'entente encourage les demandeurs à abuser du processus canadien de reconnaissance du statut de réfugié. Encore une fois, ce projet d'entente aura un effet négatif. La meilleure façon de décourager de tels abus, c'est d'instaurer un système efficace et équitable pour accélérer les décisions relatives au statut de réfugié. Il n'y aurait aucun avantage à recourir au processus de détermination du statut de réfugié pour le seul plaisir d'avoir le statut de demandeur, s'il existait une procédure qui permettait aux revendicateurs de changer de statut rapidement.
Or, plutôt que d'accélérer le processus en vigueur, le projet d'entente le prolonge en y ajoutant une étape supplémentaire. En effet, les revendicateurs devront attendre que l'on détermine à qui revient la responsabilité d'examiner la demande avant qu'une décision sur leur sort ne soit rendue. Il faudra mener des enquêtes sur des questions de fait qui n'ont rien à voir avec la question de savoir si cette personne est un réfugié ou non. Par exemple, il faudra déterminer si le revendicateur a séjourné pendant dix jours aux États-Unis avant de venir au Canada ou vice-versa, ou encore s'il a séjourné pendant un an à l'extérieur du Canada ou des États-Unis, ainsi de suite. Ces questions sont nombreuses, et je ne tiens pas à les énumérer, mais il est évident qu'elles devront faire l'objet d'une enquête.
C'est le troisième problème que pose le projet d'entente. Il prolonge le processus. Les revendicateurs devront se soumettre à des formalités avant que leur demande ne soit examinée, ce qui risque de créer des arriérés et des délais à l'heure actuelle inexistants, et d'encourager les abus.
Quatrièmement, le projet d'entente aura pour effet d'accroître les coûts du processus de détermination du statut de réfugié. Cette entente est censée éliminer les coûts générés par les doubles demandes négatives - le coût afférent au prononcé de deux décisions, dans chacun des deux pays, au lieu d'une seule. Or, à l'heure actuelle, ce phénomène est plutôt rare.
Le ministère n'a pas été en mesure de réunir des statistiques à ce sujet. Si nous nous fions aux discussions que nous avons eues avec certaines personnes, les décisions de ce genre sont plutôt rares.
Pour éliminer les coûts que génèrent ces décisions si peu nombreuses, puisqu'il serait plus économique de n'en rendre qu'une seule, le gouvernement propose de dépenser des sommes considérables pour examiner le cas de chaque personne passant d'un pays à l'autre afin de déterminer qui aura la responsabilité d'examiner la revendication. Le gouvernement propose de dépenser beaucoup d'argent pour réaliser des économies infimes.
Cinquièmement, l'entente aura pour effet d'entraîner des déplacements de population artificiels au Canada. Comme les revendicateurs ne peuvent présenter qu'une seule demande, il sera dans leur intérêt de le faire dans le pays où leurs chances d'avoir gain de cause sont les meilleures. Le projet d'entente attirera des revendicateurs qui autrement ne viendraient pas, pour réduire le risque de voir leur demande rejetée. Ainsi, les revendicateurs de presque de tous les pays du monde, sauf Cuba, qui ont besoin de protection, au lieu de présenter leur demande aux États-Unis, comme ils le font maintenant, essaieront d'entrer au Canada et de présenter leur demande ici pour accroître leurs chances d'obtenir une protection. Ces déplacements de population inciteront le Canada à modifier son processus afin de le rendre aussi restrictif que le système américain.
Sixièmement, l'entente risque de créer des déportations en chaîne du Canada vers les États-Unis, et ensuite vers n'importe quel autre pays. Il suffit que le gouvernement du Canada donne son consentement pour qu'une telle chose se produise. La demande du revendicateur ne sera pas examinée. De plus, les fonctionnaires du gouvernement ne s'occuperont même pas de vérifier si la personne sera en sécurité dans le pays de déportation.
Ce consentement sera automatique. Si le gouvernement s'est attaché à conclure une telle entente, il ne fera rien qui risque de la compromettre et accordera son consentement aux États-Unis dès qu'ils en feront la demande.
Septièmement, le processus de reconnaissance du statut de réfugié aux États-Unis accuse un arriéré de plusieurs années. Le Canada, lui, est plus ou moins à jour. Ce projet d'entente aura pour effet de transférer les revendicateurs dans un système qui accuse un arriéré de plusieurs années et qui est déjà surchargé.
La présidente: Je vous demanderais de conclure votre exposé. Nous avons trois groupes de témoins aujourd'hui, et nous ne terminerons pas à 11 heures si vous ne concluez pas votre exposé. Nous avons déjà votre mémoire, et nous vous remercions de nous en avoir fourni un exemplaire.
M. Matas: Alors je vais conclure en disant que le projet d'entente n'a aucun sens. Il vise à régler un problème qui n'existe pas. Il pénalise les réfugiés véritables qui ont besoin de protection. De plus, il crée de nouveaux problèmes pour les réfugiés et le système canadien d'immigration.
L'Association du Barreau canadien ne comprend pas pourquoi le gouvernement tient à conclure une entente qui crée tellement de problèmes. Le gouvernement lui-même n'arrive pas à justifier sa décision.
La présidente: Merci beaucoup.
[Français]
Monsieur Nunez.
M. Nunez (Bourassa): Je vous félicite pour votre excellente présentation. Je vois que vous avez élaboré un très bon document du point de vue juridique, en anglais et en français. Les arguments sont de poids et très convaincants. J'espère qu'ils vont rappeler aux députés de la majorité libérale que quand ils étaient dans l'opposition, ils s'étaient opposés à ce projet d'entente.
Ma première question concerne la possibilité de contester cet accord devant les tribunaux au Canada. Si c'était possible, quelles dispositions de la Charte pourraient permettre cette contestation? Également, y a-t-il des possibilités de contester cet accord au niveau de la Convention internationale pour les réfugiés? Le représentant du Haut-Commissariat qui est venu avant-hier avait des réserves très sérieuses à l'égard de ce document. Quelles sont les avenues, tant devant les tribunaux canadiens que dans le cadre des ententes internationales?
M. Matas: À mon avis, la proposition est contraire à la Charte et aux ententes internationales. Je pense que si elle devient loi, il y aura des contestations judiciaires ainsi que des demandes auprès des instances internationales.
Si cela arrive, l'entente va demeurer en vigueur. Des gens seront affectés par cette entente. On aura un jugement de la cour ou des instances internationales, mais seulement quelques années plus tard. Cela n'arrivera pas du jour au lendemain. Je pense qu'il faut faire quelque chose tout de suite et non dans quelques années.
M. Nunez: Ma deuxième question a trait aux instruments internationaux qui portent sur les droits de la personne. Certains organismes non gouvernementaux ont déploré que ce projet d'entente ne fasse pas référence à la Convention contre la torture, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Déclaration universelle des droits de l'homme. La ministre semblait, avant-hier, être disposée à envisager la possibilité d'inscrire dans cette entente une référence spécifique à ces instruments internationaux. Croyez-vous que ce serait suffisant pour que l'entente soit acceptable ou croyez-vous qu'elle ne vaudrait quand même pas la peine d'être adoptée?
M. Matas: Je pense qu'il ne suffit pas d'inscrire une telle référence. Il faut que ces instruments internationaux aient prépondérance sur cette entente en cas de conflit entre l'entente et les instruments internationaux. Il y a une référence à la Convention de Genève sur les réfugiés, mais en cas de conflit, c'est l'entente qui a prépondérance, et non la Convention. Cela pose un problème.
Si la Convention sur les réfugiés et les instruments internationaux des droits de la personne sont prépondérants, il n'y aura pas d'entente parce que cette entente est contraire à ces instruments.
M. Nunez: Ma troisième question porte sur l'absence de mécanismes pour résoudre les éventuels conflits. Dans toutes les ententes entre le Canada et les États-Unis que je connais, on prévoit des mécanismes pour résoudre les conflits. Je pense notamment à l'ALENA. Aujourd'hui, on négocie une entente commerciale entre le Canada et le Chili, et il y a un chapitre spécial pour prévoir des mécanismes destinés à résoudre les conflits.
Quels mécanismes devrait-on prévoir? Est-ce qu'on pourrait accorder au Haut-Commissariat pour les réfugiés un rôle de surveillance quant à l'application de cette entente? Comment voyez-vous cette situation?
M. Matas: Le Haut-Commissariat doit être là, mais si le Haut-Commissariat est contre l'entente, il n'est pas utile de l'adopter. S'il est là, il va faire en sorte que l'entente ne fonctionne pas. Pourquoi prévoir la présence du Haut-Commissariat s'il est contre l'entente?
Pour ce qui est des conflits entre les deux pays, le gouvernement nous a dit qu'on allait mettre cette entente dans la loi et parler d'un ordre du ministre, ce qui veut dire que les revendicateurs pourraient aller devant les cours pour revendiquer le respect de cette entente et faire valoir leur interprétation de l'entente. On va avoir des conflits, non seulement entre le Canada et les États-Unis, mais aussi entre les revendicateurs et le Canada et entre les revendicateurs et les États-Unis.
Si les deux pays sont d'accord et le revendicateur contre, et que la cour décide en faveur du revendicateur, il n'y aura aucun moyen de régler tout cela avec le mécanisme prévu dans l'entente. Ce n'est pas à nous de dire quel doit être le mécanisme de règlement des différends. Nous ne voulons pas améliorer l'entente; nous voulons qu'elle ne soit pas adoptée.
La présidente: Merci beaucoup.
[Traduction]
Madame Meredith.
Mme Meredith (Surrey - White Rock - South Langley): Merci beaucoup, madame la présidente.
J'aimerais vous poser quelques questions. D'abord, si les États-Unis ont ratifié l'entente, c'est qu'elle leur rapporte quelque chose. Je présume qu'ils en retireront beaucoup d'avantages, sinon ils ne songeraient même pas à conclure ce genre d'entente.
J'ai l'impression que vous pensez que le Canada sera obligé de refouler des revendicateurs du statut de réfugié parce qu'ils sont d'abord arrivés aux États-Unis. N'est-il pas dans notre intérêt que les personnes qui arrivent au Canada se rendent ensuite aux États-Unis pour y revendiquer le statut de réfugié? N'est-ce pas l'objectif que vise cette entente, soit de fixer des règles pour que le Canada et les États-Unis puissent traiter les demandes de personnes qui arrivent dans l'un ou l'autre pays et qui se rendent ensuite dans l'autre par d'autres moyens?
M. Matas: Certains témoins venant des États-Unis vont témoigner plus tard, mais j'ai discuté de cette question avec des Américains et je peux vous dire que vous avez tort de penser que ce sont les États-Unis qui veulent cette entente.
Ce projet d'entente n'a pas été négocié avec l'INS, le service d'immigration américain, qui s'y oppose depuis le début. L'entente a été conclue non pas avec l'INS, mais avec le Département d'État américain. Il s'agit d'une entente un peu particulière puisqu'elle a été élaborée sans la participation des fonctionnaires des Affaires étrangères et de l'Immigration.
D'après ce que je crois comprendre, il y avait désaccord entre le Département d'État et l'INS au sujet de cette entente. Le Département d'État - c'est du moins ce que j'ai entendu lorsque je suis allé aux États-Unis - , voulait conclure une telle entente ou était disposé à l'entériner l'entente parce que le Canada y tenait. Le Département voulait donc poser un geste de bonne volonté.
Donc, autant que je sache, les États-Unis ne sentent pas vraiment le besoin de conclure une telle entente.
Mme Meredith: J'ai parlé à certains membres du Congrès à plusieurs occasions, et on s'inquiète beaucoup du fait, du moins sur la côte Ouest, qu'il y a de plus en plus de personnes qui entrent clandestinement aux États-Unis, sans contrôle aucun. Donc, les fonctionnaires ne sont peut-être pas inquiets, mais je sais que certaines personnes, du point de vue politique, s'inquiètent du nombre sans cesse croissant de personnes qui entrent aux États-Unis en passant par le Canada.
J'aimerais également parler de ce que vous appelez les réfugiés en orbite. Vous laissez entendre que ces personnes seront renvoyées d'un pays à l'autre en raison de cette entente. Ai-je raison?
M. Matas: C'est gens vont être en orbite.
Ce qui risque de se produire, c'est que les revendicateurs devront attendre qu'on décide à qui revient la responsabilité d'examiner leur demande. Ils ne seront peut-être pas renvoyés d'un pays à l'autre. Physiquement, ils resteront dans un pays, mais leur cas sera renvoyé d'un gouvernement à l'autre, le Canada affirmant que la responsabilité revient aux États-Unis, les États-Unis affirmant que la responsabilité revient au Canada. Le revendicateur, lui, devra attendre que la question soit réglée.
Mme Meredith: Mais n'est-ce pas pour cette raison que cette entente fixe des délais, de sorte que si une personne arrive par avion aux États-Unis et qu'elle présente une demande au Canada trois ou quatre semaines plus tard ou avant qu'on ne découvre qu'elle est entrée clandestinement dans le pays, elle devient la responsabilité du pays d'arrivée, les États-Unis, et vice versa? Si elle arrive au Canada et qu'elle aboutit aux États-Unis trois, quatre ou cinq semaines plus tard, désolé, mais vous êtes arrivée au Canada; vous avez eu suffisamment de temps pour vous rendre aux États-Unis et présenter votre demande, mais vous avez choisi de ne pas le faire.
M. Matas: D'accord, ce problème n'existe pas à l'heure actuelle. Vous ne pouvez pas dire que l'entente vise à régler ce problème, puisqu'il n'existe pas. En fait, l'entente crée ce problème.
Mme Meredith: Je ne suis pas d'accord avec vous.
M. Matas: Si vous jetez un coup d'oeil sur les règles, vous allez constater qu'elles sont loin d'être simples. Il peut y avoir des différends sur des questions de fait: le demandeur a-t-il séjourné dans le pays pendant 48 heures, pendant dix jours? Il y a beaucoup d'autres règles qui s'ajoutent à celles-là. Par exemple, avez-vous quitté le pays pendant plus d'un an? Pendant plus de trois ans? Il y a toute une série de règles qui s'appliquent.
Les questions de fait peuvent causer des différends. Les gens interprètent ces faits de façon différente, et on peut passer beaucoup de temps à essayer de les éclaircir. Donc, vous mettez en place un mécanisme pour essayer de déterminer si la personne était absente pendant 48 heures, dix jours, un an, trois ans, et pendant ce temps-là, le revendicateur attend.
Mme Meredith: Mais l'entente ne vise-t-elle pas à empêcher une personne qui entre dans un pays de présenter une demande cinq ou six mois plus tard parce qu'elle juge qu'elle a plus de chances de voir sa revendication acceptée dans l'autre pays, et que la seule raison pour laquelle elle présente une demande, c'est parce qu'elle est en situation irrégulière? Elle constate qu'elle est en situation irrégulière, et choisit ensuite le pays dans lequel il est préférable de présenter une demande. N'est-ce pas le genre de situation que l'on cherche à éviter avec cette entente?
M. Matas: Eh bien, c'est très difficile à dire. Peu importe les situations qu'elle cherche, selon vous, à éviter - et vous en avez donné un exemple - , le fait est qu'elle s'applique à d'autres catégories de personnes que celles dont vous parlez.
Mme Meredith: A qui d'autre l'entente s'applique-t-elle?
M. Matas: Prenons l'exemple d'une personne dans un aéroport aux États-Unis, qui dispose de 48 heures pour arriver au Canada, qui a un billet à destination du Canada à utiliser dans les 48 heures, mais dont l'interrogation aux États-Unis dure 72 heures. L'entente s'appliquerait à une telle personne.
Mme Meredith: D'accord; comment empêcher que cette entente vise une personne qui a un billet pour le Canada, qui a pleinement l'intention de s'y rendre, mais qui, pour d'autres raisons, ne le peut pas? Que peut-on modifier dans cette entente de manière que cette personne n'en soit pas l'innocente victime?
M. Matas: C'est fort simple. Vous ne signez pas l'entente.
Mme Meredith: Vous péchez alors par excès de zèle. Si cela pose un problème, nous pouvons sûrement modifier cette entente pour le régler et continuer à l'appliquer dans le cas de ceux qui se trouvent illégalement dans le pays et qui, lorsqu'on s'en rend compte, tentent de savoir dans quel pays ils ont de meilleures chances d'être acceptés.
M. Matas: Vous parlez de migration illégale, or cette entente ne vise pas ceux qui se trouvent illégalement dans un pays. Elle vise aussi tous ceux qui sont en situation légale, ceux qui répondent à toutes les exigences relatives aux revendications du statut de réfugié et qui n'ont jamais été dans la clandestinité. Ils sont aussi touchés par cette entente.
Mme Meredith: Pourquoi ne présentent-ils donc pas leur demande de revendication dans le pays qui...
La présidente: Je suis désolée. Merci. Monsieur Dromisky.
M. Dromisky (Thunder Bay - Atikokan): Merci beaucoup.
On a déjà répondu à l'une de mes questions relatives au facteur temps du processus. Il est donc parfaitement possible non seulement que le même genre de choses se produise - c'est-à-dire l'incarcération d'un demandeur aux États-Unis - mais que nous fassions exactement la même chose au Canada: une personne pourrait être retardée, pourrait rater l'avion à destination des États-Unis, parce qu'on la retiendrait plus longtemps, tant et si bien qu'elle ne répondrait plus aux exigences du projet de loi.
Voyez-vous toutefois ce projet de loi comme un genre de fourre-tout qui permettrait d'uniformiser les règles du jeu pour les deux parties visées, à cause, tout simplement, des grandes divergences et différences entre les deux régimes juridiques relatifs aux lois sur les réfugiés et l'immigration, etc.? S'agit-il d'une simplification, d'un genre de fourre-tout qui faciliterait les choses pour les deux pays?
M. Matas: Cette entente ne sert pas à uniformiser les règles du jeu, car elle ne modifie pas les deux régimes. Il n'y a rien en matière d'harmonisation, aucune procédure commune d'appel, aucune norme commune. C'est une ingérence arbitraire dans le processus qui permet de dire à des demandeurs que non, ils ne peuvent pas aller dans le pays qu'ils ont prévu, là où ils ont des connaissances et là où il leur serait logique de se rendre; on leur dit qu'on va les envoyer dans un autre pays où ils ne connaissent personne, où ils ne veulent pas aller, où ils ont moins de chances d'être reconnus et où ils vont être moins bien traités. Cela crée beaucoup de problèmes et n'uniformise absolument rien.
M. Dromisky: Permettez-moi de poursuivre dans cette veine. Nous savons tous que le Congrès examine en ce moment un projet de loi d'exclusion sommaire, une sorte de loi globale relative à la plupart des points visés par cette loi. Dans un certain sens, il me semble qu'il s'agit d'une tentative de projet de loi omnibus qui annulerait et remplacerait toutes les ententes, les traités ou les projets de loi que les États-Unis ont signés avec le Canada, ou avec tout autre pays. Je me demande ce que nous pouvons faire, compte tenu de ce nouveau projet de loi qui se profile à l'horizon.
M. Matas: C'est une très bonne question. Je ne sais pas ce qu'ils se proposent de faire. Nous devrions au moins attendre afin de savoir ce que vont renfermer ces projets de loi, s'ils vont être adoptés et connaître les effets qu'ils auront sur cette entente; si le projet de loi d'exclusion sommaire est adopté, deux scénarios sont possibles. Le premier, c'est que l'entente n'aura d'effet sur qui que ce soit, car toute personne que nous enverrions aux États-Unis serait sommairement exclue et serait, par conséquent, visée par l'une des clauses d'exception de l'entente.
Le deuxième, c'est que les projets de loi d'exclusion sommaire auraient un effet sur les personnes renvoyées aux États-Unis, auquel cas l'entente ne permettrait absolument pas d'accorder de protection aux réfugiés.
M. Dromisky: Vous parlez bien de cette entente.
M. Matas: Oui, de cette entente. Nous devrions attendre afin de savoir ce que renferment les projets de loi et la manière dont ils se rattacheraient à l'entente. Si l'entente et les projets de loi, adoptés conjointement, signifient que nous allons renvoyer des gens aux États-Unis où ils vont se retrouver visés par les procédures d'exclusion sommaire et où ils ne pourront jamais présenter de revendication, je crois alors que nous devrions tous nous en inquiéter.
La présidente: Monsieur Wappel.
M. Wappel (Scarborough-Ouest): Monsieur, vous avez dit, je crois, que c'est au Canada qu'un demandeur du statut de réfugié a les meilleures chances d'être accepté. Est-ce exact?
M. Matas: Je me fondais à cet égard sur les pourcentages d'acceptation. Je n'ai pas étudié chaque pays en particulier, mais c'est l'impression que j'en retire. À l'exception de Cuba, le taux d'acceptation est en général plus élevé au Canada.
M. Wappel: Il serait donc juste de dire qu'à votre avis, en tant qu'avocat spécialisé en droit d'immigration, le Canada est le seul pays au monde où un éventuel demandeur de statut de réfugié a les meilleures chances d'être accepté.
M. Matas: Je faisais la comparaison avec les États-Unis.
M. Wappel: Faisons cette comparaison avec le monde entier. D'après votre expérience ou vos connaissances, y a-t-il d'autres pays où le taux d'acceptation est supérieur?
M. Matas: Le problème en ce qui concerne les taux d'acceptation, c'est que -
M. Wappel: Peu importe la façon dont vous mesurez les choses, y a-t-il un pays qui traite ces demandeurs de statut de réfugié mieux que le Canada?
M. Matas: La Suède suit de près le Canada, en ce qui concerne le nombre de personnes non renvoyées.
M. Wappel: Se classe-t-elle mieux, à votre avis?
M. Matas: Cela dépend de l'année. Certaines années, la Suède ne renvoie personne.
M. Wappel: Globalement, se classe-t-elle mieux ou bien le Canada offre-t-il les meilleures chances, selon vos propres termes?
M. Matas: En général, je dirais que je n'échangerais pas le régime canadien contre un autre.
M. Wappel: J'imagine que les éventuels demandeurs du statut de réfugié ne le feraient pas non plus.
Examinons le protocole, le paragraphe 3 plus précisément:
- Constatant que beaucoup de demandeurs du statut de réfugié présents sur le territoire de l'une
ou l'autre des parties y sont arrivés de façon irrégulière en provenance du territoire de l'autre
partie où ils auraient pu obtenir protection effective...
M. Matas: Oui.
M. Wappel: Comment expliquez-vous votre désaccord?
M. Matas: Pour deux raisons. Premièrement, je rejette la notion de «déplacements irréguliers», qui peut être déroutante dans ce contexte. «Déplacements irréguliers» ne signifie pas qu'il s'agit d'immigrants illégaux. Il ne s'agit pas de personnes ayant enfreint la loi. «Déplacements irréguliers» est une expression totalitaire. Ce qui est irrégulier à propos des déplacements irréguliers, c'est qu'ils ne sont pas préalablement approuvés par les gouvernements. C'est comme si l'on disait qu'un discours est un discours irrégulier, sous prétexte qu'il n'est pas préalablement approuvé par le gouvernement. À mon avis, il est choquant de fonder une entente sur les déplacements irréguliers.
Deuxièmement, cette entente se fonde sur une hypothèse, et non sur une garantie en matière de protection. Si quelqu'un obtenait protection aux États-Unis, je ne m'opposerais pas à ce qu'on lui demande d'aller ou de rester aux États-Unis. Cela ne poserait pas de problème du point de vue de la protection. Toutefois, en vertu de cette entente, comme il est théoriquement possible d'obtenir protection - laquelle peut être refusée dans votre cas - on vous oblige à retourner dans un système où, en fait, vous n'obtiendrez pas de protection et qui vous empêchera d'accéder à un système susceptible de vous accorder une protection.
M. Wappel: Vous voulez parler de l'article 5 du protocole?
M. Matas: L'article 5 traite uniquement des expulsions en chaîne. Il stipule qu'aucune expulsion en chaîne n'est possible à moins d'une entente avec, par exemple, le Mexique, ou à moins que le Canada ne l'accepte. C'est un sujet que j'ai déjà abordé.
M. Wappel: Je suis désolé, monsieur. Je cite:
- Aucune des parties ne doit renvoyer dans un tiers pays un demandeur dont la revendication lui a
été confiée
- - il ne s'agit pas d'expulsions en chaîne -
- aux termes de la présente entente avant que la revendication ne soit examinée conformément à
l'article 6
M. Wappel: «À moins que»... et il y deux exceptions.
Je ne dispose que de quelques minutes. Êtes-vous en désaccord avec la deuxième hypothèse du paragraphe 3, à savoir que d'après les parties à l'entente, les réfugiés devraient normalement demander asile dans le premier pays sûr où ils arrivent?
M. Matas: Effectivement, je ne suis pas d'accord.
M. Wappel: Pourquoi? Pourquoi devraient-ils être en mesure de faire de la surenchère?
M. Matas: «Faire du magasinage» signifie que vous achetez à divers endroits. Les Nations Unies ont abordé cette question -
M. Wappel: Non, ce que je vous demande, monsieur, c'est pourquoi une personne qui arrive en Suède devrait-elle venir au Canada présenter une demande de statut de réfugié? Pourquoi ne le ferait-elle pas en Suède?
M. Matas: Pour deux raisons. La première, c'est qu'elle peut entretenir des liens plus étroits avec le Canada.
M. Wappel: Nous parlons ici de réfugiés qui fuient la terreur, qui quittent leur pays avec seulement une chemise sur le dos. C'est à peine s'ils arrivent à fuir leur pays d'origine.
M. Matas: Effectivement.
M. Wappel: Pourquoi dites-vous qu'ils entretiennent des liens avec le Canada? Ils devraient être contents, me semble-t-il, d'arriver dans le premier pays sûr qui leur offre le réconfort et la possibilité de bâtir une nouvelle vie.
M. Matas: Dans la mesure où ils sont en sécurité dans ce pays-là. Si vous dites qu'ils doivent présenter leur demande de statut de réfugié en Suède, où elle sera rejetée, pourquoi ne peuvent-ils pas venir au Canada et être acceptés...
M. Wappel: C'est la raison pour laquelle je vous ai demandé quel pays se classe après la Suède.
La présidente: Monsieur Wappel, ce sera la dernière question. Je vous redonnerai la parole. Merci.
M. Matas: D'accord, je pensais avoir répondu à cette question.
[Français]
M. Nunez: Ma première question est d'ordre général. Vous dites qu'il n'y a pas actuellement de problèmes justifiant la signature de cette entente. Quand nous avons interrogé les fonctionnaires du ministère de l'Immigration, nous leur avons demandé de nous donner des chiffres concernant le nombre de revendications, mais il n'ont pas ces chiffres.
Pourquoi le gouvernement tient-il à la signature de cette entente, surtout qu'elle va porter préjudice à beaucoup de gens qui viendront du Sud, de l'Amérique centrale, de l'Amérique du Sud? En même temps, le gouvernement du Canada essaie de signer des ententes de libre-échange avec tous les pays des Amériques afin qu'il y ait une libre mobilité des capitaux, des biens et des services, mais pas des personnes.
Croyez-vous ce que certaines personnes disent, à savoir que l'Amérique du Nord, les États-Unis et le Canada sont en train de construire une forteresse face aux réfugiés et aux immigrants? Comment expliquez-vous qu'aujourd'hui ce gouvernement décide de signer cette entente, qui n'est pas nécessaire selon vous?
M. Matas: Nous avons eu beaucoup de discussions avec le gouvernement sur cette entente. Je n'ai pas entendu d'explication que je puisse comprendre.
Ce n'est pas à moi de donner à un gouvernement une explication que je puisse comprendre quand, à mon avis, il ne dit rien qui ait du sens. Je pense qu'il n'y a pas de vraie raison à cette entente. Il n'y en a pas.
M. Nunez: Dans votre document, vous mentionnez la question de la réunification des familles, mais vous ne l'avez pas abordée lors de votre présentation. Croyez-vous que ce projet d'entente va à l'encontre de la politique traditionnelle du Canada prévue dans la Loi sur l'immigration et dans le Livre rouge du Parti libéral, qui est de favoriser la réunification des familles? S'agit-il d'une violation de cette politique traditionnelle du Canada?
M. Matas: Je dirais que oui. Il y a dans l'entente une définition de la famille qui n'est pas la nôtre, qui n'est pas celle qui est dans notre loi. C'est une définition différente. Il y a des gens qui sont membres de la famille en vertu de notre loi, mais qui ne le sont pas aux termes de l'entente.
De plus, même si le concept de la famille existe, c'est le gouvernement qui choisit, et non l'individu. Si ce dernier veut rejoindre quelqu'un qui est défini comme membre de sa famille dans l'entente, c'est le gouvernement qui décidera si on doit tenir compte de la famille au Canada ou de la famille aux États-Unis. Ceci est contraire au principe de la réunification des familles.
M. Nunez: Avant-hier, le professeur Hathaway de Toronto a fait une proposition en vue de modifier l'article 12 du projet d'entente. Il a proposé que cette entente n'entre pas en vigueur tant et aussi longtemps que le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ne certifiera pas qu'il y a harmonisation entre les lois américaine et canadienne et que les deux pays offrent le même niveau de protection aux demandeurs d'asile.
Que pensez-vous de cette proposition du professeur Hathaway?
M. Matas: Oui, j'ai vu ça et et je suis en faveur d'un tel amendement.
M. Nunez: C'était d'ailleurs la politique du M. Marchi quand il avait été nommé ministre de l'Immigration.
M. Matas: Oui
[Traduction]
Mme Minna (Beaches - Woodbine): Vous avez dit plus tôt que le ministère n'avait été en rapport qu'avec le département d'État et non avec le département américain de l'immigration. Ce n'est pas exact. Pour commencer, nous avons travaillé avec les deux. Ces rapports existent donc bel et bien. Ce n'était donc pas tout à fait exact.
Vous avez parlé plus tôt de la situation de personnes qui ne peuvent pas se rendre là dans le pays où elles ont prévu se rendre et où elles entretiennent des liens. À mon avis, tel n'est pas l'objectif visé par cette entente. Il est parfaitement clair que si elles finissent par se rendre au Canada, ou si elles y entretiennent des liens, ce n'est pas l'entente qui les en empêche.
À propos des échanges que vous avez eus avec M. Nunez au sujet des familles, il m'est difficile d'accepter que, d'après vous, l'entente empêche la réunion des familles. En fait, les recommandations faites par les ONG, dont un grand nombre sont englobées dans l'entente, visent des liens familiaux, dépassant le concept de la famille nucléaire, dont il est tenu compte dans la détermination de l'admissibilité au Canada.
Il me semble donc que nous nous éloignons de l'essentiel et que nous extrapolons, ce qui me paraît injuste à propos de cette entente. Aucune personne ne sera renvoyée dans un pays où elle ne connaît personne ou où elle n'a aucun lien familial. Cela semble très clair.
Nous parlons de l'harmonisation des deux régimes; il serait intéressant de savoir quel pays, d'après vous, s'harmoniserait à l'autre. Le Canada devrait-il harmoniser son régime au régime américain? Je ne crois pas que vous seriez d'accord. Faudrait-il prévoir l'inverse? Je doute fort que les États-Unis ne l'acceptent.
Je serais plutôt en faveur de deux régimes distincts, comme c'est le cas actuellement, pour traiter de la question des personnes qui ont légitimement besoin d'asile. Si, pour commencer, les gens viennent au Canada, ou s'ils y viennent parce qu'ils y ont des liens familiaux, la porte leur est ouverte. Cela ne semble pas empêcher qui que ce soit d'entrer.
Il me semble que l'entente permet de régler la question de ceux qui ne viennent pas ici pour commencer et qui, après avoir passé quelque temps aux États-Unis, en arrivent à la conclusion qu'ils préfèrent être ici.
J'ai du mal à comprendre et à accepter certaines des grandes déclarations faites à propos des effets de cette entente, car elles semblent bien dépasser le cadre de ce projet de loi.
M. Matas: Vous soulevez plusieurs points différents.
Premièrement, je sais bien sûr que les représentants officiels du ministère canadien de l'Immigration sont en contact avec leurs homologues américains. Je parlais de la négociation de l'entente, non des contacts établis entre ces deux entités.
Mme Minna: C'est une nuance imperceptible. Je suis sûre que s'ils prennent part à des discussions, ils discutent également de l'entente, dans une certaine mesure. C'est comme si nous disions que nous parlons, sans toutefois parler.
M. Matas: Ce n'est peut-être pas aussi imperceptible que cela, car j'avais compris que les représentants officiels de l'immigration aux États-Unis ne voulaient pas de cette entente.
Au sujet de vos observations sur les liens et sur l'arrivée ici, il y a un malentendu au sujet du principe de base de cette entente. Le principe de base, c'est le premier pays d'arrivée. Ce ne sont pas les liens familiaux, ni la destination. S'il s'agissait des liens familiaux ou de la destination, l'entente serait complètement différente et beaucoup plus acceptable de notre point de vue.
Le problème que pose cette entente, c'est le principe de premier pays d'arrivée. Tel est le principe de base. Il est aussi question de liens et de destination ultime, mais il s'agit d'exceptions au principe de premier pays d'arrivée. Ces exceptions sont très détaillées et techniques.
En ce qui concerne les familles, dans notre mémoire - et je regrette que vous n'ayez pas eu l'occasion de le lire plus tôt - plusieurs pages sont consacrées aux problèmes que pose la réunion des familles, à cause des détails énoncés, à cause d'autres détails qui sont omis, qui ne vont pas manquer de soulever des problèmes techniques. Les familles qui veulent se réunir vont être déçues en raison des détails que renferme l'entente. Plutôt que de les lire, je vous y renvoie.
La même chose s'applique au principe de la destination ultime qu'est le Canada. Ce n'est pas un principe, ce sont plusieurs règles à propos de 10 jours et 48 heures, trois ans, etc. Tout n'est pas prévu, ainsi, le mauvais temps, l'incarcération, etc. Étant donné que le premier pays d'arrivée constitue le principe de base et que les liens familiaux et la destination ultime sont les exceptions prévues, plutôt que l'inverse, l'entente pose des problèmes insolubles. S'il était possible de la reformuler pour qu'elle corresponde à ce dont vous parlez, j'en serais beaucoup plus satisfait.
En ce qui concerne l'harmonisation, il ne s'agit pas ici de faire en sorte que les Américains nous ressemblent ou que nous ressemblions aux Américains; il s'agit d'assurer la compatibilité avec les normes internationales. Si nous voulons qu'intervienne le HCRNU, c'est pour qu'il puisse dire qu'effectivement cette entente respecte les normes internationales. Pour l'instant, la définition de réfugié s'inscrit dans le cadre d'un processus de reconnaissance du statut de réfugié, qui est en fait de nature locale.
Mme Minna: Cette entente ne s'écarte pas toutefois des normes internationales. Dans le cas contraire, je doute fort que nous y participions.
M. Matas: L'entente ne stipule pas que les normes internationales doivent être respectées. Ce que j'essaye de souligner ici, c'est que la définition de réfugié dans le cadre du processus de reconnaissance du statut de réfugié permet beaucoup de souplesse au plan local. C'est la raison pour laquelle les écarts sont si énormes d'un pays à l'autre. C'est la raison pour laquelle le Canada peut sembler offrir de bien meilleures chances que d'autres pays. Dans une certaine mesure, nous restons dans le cadre de la définition, mais c'est pratiquement à chaque pays qu'il revient d'interpréter la définition à sa façon.
Il n'existe nulle part de système qui permette d'harmoniser les normes à l'échelle de la planète. Il serait constructif que les Nations Unies essaient de dire, de manière beaucoup plus précise qu'elles ne le font actuellement, qu'il existe des normes qu'il faudrait adopter partout; ce serait utile, à mon avis. C'est la raison pour laquelle j'appuie la proposition de M. Hathaway.
Il existe en Europe un genre d'entente sur la reconnaissance du statut de réfugié comme celle-ci, sans harmonisation des normes toutefois. Il serait bon d'y parvenir en Amérique du Nord.
La présidente: Merci, madame Minna.
Madame Meredith, vous avez le privilège de poser la dernière question.
Mme Meredith: J'aimerais aborder deux points. Je vais commencer par le premier, car je risque de manquer de temps. J'aimerais donner suite à un point soulevé par M. Wappel, car la réponse que vous lui avez donnée m'a un peu déroutée.
Lorsqu'il a parlé de la troisième partie relative aux déplacements irréguliers des particuliers d'un pays à l'autre, vous avez dit que les gouvernements qui essaient de contrôler les déplacements des particuliers sont des gouvernements totalitaires. Vous avez laissé entendre que cela ne devrait pas se produire, que les gouvernements ne devraient pas être en mesure de contrôler le déplacement des particuliers. J'aimerais vous demander si, selon vous, des gens devraient pouvoir entrer et rester au Canada, ou aux États-Unis, sans statut juridique.
M. Matas: Je représente ici l'Association du barreau canadien et, de toute évidence, je crois que tout le monde doit respecter la loi.
Mme Meredith: J'imagine que c'est la raison pour laquelle je vous pose cette question. Nous parlons ici du statut juridique de particuliers qui vont d'un pays à l'autre, qui séjournent dans des pays; ce sont ces particuliers que vise cette entente. Je dois reconnaître que cela m'a dérangée, lorsque j'ai cru vous entendre dire que les gouvernements qui s'attendent à ce que les gens aient un statut juridique sont des gouvernements totalitaires.
M. Matas: Rien dans la loi n'empêche quiconque de venir au Canada revendiquer le statut de réfugié. Ce n'est pas illégal. C'est irrégulier, car le gouvernement ne l'a pas approuvé au préalable, mais ce n'est pas illégal; cette personne n'enfreint pas une loi canadienne du seul fait qu'elle présente une demande de statut de réfugié au Canada.
Mme Meredith: Il est toutefois illégal pour une personne de rester dans un pays sans avoir présenté de demande de statut de réfugié. Si une personne vient au Canada ou aux États-Unis et réside dans ce pays pendant quatre ou cinq mois, un ou deux ans, elle enfreint la loi. D'après ce que je comprends, cette entente vise à s'assurer que tout particulier qui arrive dans un pays, qu'il s'agisse du Canada ou des États-Unis, présente une demande de statut de réfugié dont la légitimité est examinée dans le premier pays d'arrivée.
À moins que cette personne n'ait eu l'intention de se rendre dans ce pays en raison de liens familiaux ou pour des motifs, qui selon elle, justifient le choix de ce pays, cette entente permet de déterminer si elle peut légalement arriver et choisir la meilleure option. Au sujet du HCNUR, d'après ce que j'ai compris du représentant, les États-Unis sont acceptables, mais le Canada est vraiment formidable.
Telle est la différence, d'après ce que je peux voir - ce n'est pas tant que les États-Unis ne répondent pas aux exigences internationales en matière de réfugiés, mais que le Canada représente une bien meilleure option; il a d'ailleurs décrit le Canada comme un pays béni à cet égard.
J'aimerais que vous me répondiez sur ce point, car j'ai l'impression, non seulement lorsque je vous écoute, mais aussi lorsque j'écoute d'autres témoins, que les États-Unis ne respectent pas leurs obligations internationales en matière de réfugiés.
M. Matas: Vous soulevez plusieurs points.
Évidemment, le régime américain n'est pas parfait. La détention y est un phénomène généralisé ce qui va, à mon avis, à l'encontre de la Convention. Au sujet de l'interprétation de la définition, nous pourrions en examiner chacun des éléments et s'apercevoir que le Canada et les États-Unis ne les interprètent pas de la même façon, au sujet de l'application régulière et de l'évaluation du fondement, par exemple. Il est possible de faire une telle comparaison.
Si vous permettez toutefois, pour répondre à votre question tout en faisant des commentaires sur certaines autres, je dirais que ces questions témoignent des problèmes que suscite cette entente. Les personnes qui posent les questions justifient l'entente ou expliquent comment elles la comprennent, ce qui est en quelque sorte hors sujet. Elles n'examinent pas vraiment l'entente directement.
L'entente ne porte pas sur la migration illégale, mais sur la migration légale également. En fait, la plupart des personnes qui seront visées, sont dans une situation légale dans l'un de ces pays ou dans les deux. Il ne s'agit pas ici de personnes qui se rendent directement au Canada ou aux États-Unis. Il n'est pas question de réunion des familles. Cette entente est simplement fondée sur le principe de premier pays d'arrivée - indépendamment de la légalité, de l'existence d'une famille, etc. - quelques exceptions techniques sont prévues dans le cas de certains de ces autres points.
Vous ne pouvez la justifier sous prétexte que vous vous inquiétez de la migration illégale, car ce n'est pas ce dont il s'agit. Vous ne pouvez la justifier sous prétexte que vous croyez à la réunion des familles, car ce n'est pas ce dont il s'agit. Le principe de premier pays d'arrivée, principe sur lequel se fonde cette entente, ne se retrouve pas dans les normes internationales et va susciter des différends à ce sujet.
La présidente: Merci beaucoup d'être venu comparaître devant le comité. C'est avec plaisir que nous vous recevrons à nouveau.
Nous allons maintenant céder la parole aux représentants du Conseil canadien pour les réfugiés, nos deuxièmes témoins. Je souhaite la bienvenue à Nancy Worsforld et je vais lui demander de présenter les autres membres du Conseil qui l'accompagnent aujourd'hui.
Mme Nancy Worsforld (directrice, Conseil canadien pour les réfugiés): Bonjour, madame la présidente et membres du comité permanent.
Le Conseil canadien pour les réfugiés est une coalition indépendante de 145 groupes disséminés dans tout le Canada. Je m'appelle Nancy Worsforld et je suis directrice du CCR depuis six ans et demi.
Roberta Farkas-Huezo représente l'organisme VIVE, de Buffalo. VIVE, organisme non canadien, est membre associé du Conseil canadien pour les réfugiés et travaille avec nous sur ce dossier, ainsi que sur d'autres, depuis 1990.
Ezat Mossallanejad est arrivé au Canada comme réfugié iranien en 1985. Il est analyste des politiques en matière de réfugiés pour le Jesuit Refugee Service (Canada) à Toronto, organisme membre du CCR.
Janet Dench est directrice des politiques et des programmes du CCR. Elle travaille pour le CCR depuis cinq ans et demi et, dans le domaine des réfugiés, depuis neuf ans.
Nous ne voulons pas reprendre les propos des témoins que vous avez entendus aujourd'hui et mardi et ne parlerons donc pas de la raison pour laquelle les 145 membres du Conseil canadien pour les réfugiés s'opposent en principe à cette entente. Nous voulons expliquer l'aspect humain de cette entente et faire des observations sur certains des propos de mardi.
Après avoir examiné de près le ministère depuis des années, nous sommes convaincus que le protocole d'entente sera une catastrophe administrative. Elle s'apparente au projet relatif au minimum de fondement, mal préparé, qui, en 1988, avait été présenté comme un facteur d'économie de coûts et qui a finalement été rejeté en 1993, après avoir englouti des millions de dollars et fait perdre beaucoup de temps.
On vous a dit que nous avons été consultés et que nos recommandations ont été entendues. Effectivement, des fonctionnaires ont assisté aux séances de ces derniers mois où nous avons présenté notre point de vue. Nos recommandations ont-elles été entendues? Et bien, nous avons essentiellement recommandé de ne pas donner suite à cette entente.
Nous avons posé des questions au sujet des coûts de la mise en application de l'entente. Nous n'avons pas eu de réponse. Nous avons demandé des preuves à propos du magasinage que feraient les demandeurs d'asile. Aucune preuve de ce genre n'existe. Nous avons enfin demandé ce qui se produirait si les mesures législatives dont est saisi le Congrès sont adoptées. Aucun plan d'urgence n'est prévu.
On ne peut parler de consultation que lorsque les conclusions ne sont pas décidées à l'avance, avant même la tenue des séances, et que lorsque l'information est mise à la disposition de tous. Sinon, la consultation est une parodie de la démocratie et les organisateurs devraient en avoir honte.
Robbie va maintenant vous parler des drames humains que vivent les réfugiés au Canada qui transitent par les États-Unis.
Mme Robbie Farkas-Huezo (Conseil canadien pour les réfugiés): Bonjour. Je suis coordonnatrice des services aux réfugiés de VIVE Incorporated, organisme à but non lucratif, situé à Buffalo (New York).
Depuis près de 12 ans, VIVE répond aux besoins des réfugiés du monde entier qui transitent par l'ouest de l'État de New York pour demander asile au Canada. VIVE est de loin l'organisme le plus important d'aide aux réfugiés qui se trouvent aux États-Unis et cherchent à s'établir au Canada. Nous aidons près de 2 000 personnes par an. VIVE dirige également un refuge qui reçoit plus de 100 personnes par nuit. Il s'agit d'hommes, de femmes et de nombreux enfants originaires de 40 pays environ. Le plus grand groupe vient de Somalie; le deuxième, du Sri Lanka.
VIVE s'occupe exclusivement des personnes qui seraient visées par le protocole d'entente. Selon notre organisme, il ne faudrait absolument pas donner suite à cette entente, ni la signer.
J'aimerais toutefois m'attarder ce matin sur les dispositions de transit du protocole d'entente, en les comparant au voyage typique de notre clientèle de réfugiés.
Le voyage qu'entreprend un réfugié pour trouver la sécurité est souvent indirect, dicté par les modes de transport, les questions monétaires et les conditions d'entrée. Les diverses étapes peuvent refléter ce qu'il est possible de faire dans les circonstances, sans nécessairement amener le réfugié à destination.
Pour de nombreux réfugiés, se rendre au Canada à partir de leur pays d'origine est impossible, à moins de transiter par les États-Unis. Cela s'explique en raison des horaires de vol, dans le cas des arrivées par avion, et de la géographie, dans le cas des arrivées par terre et par mer.
Les réfugiés dépensent souvent tout leur argent avant d'arriver à destination. Ils doivent parfois s'arrêter en cours de route pour obtenir des ressources supplémentaires qui leur permettront de poursuivre leur voyage. Ils doivent parfois changer de moyen de transport et en prendre un qui est moins coûteux et plus lent. Beaucoup de réfugiés à destination du Canada, par exemple, arrivent aux États-Unis par avion et prennent ensuite des cars jusqu'à Buffalo ou Détroit où ils présentent leur demande à la frontière canadienne.
Souvent, les réfugiés sont détenus par les autorités avant d'arriver à destination. Qu'ils soient détenus officiellement ou simplement retardés en raison d'un long examen par les agents d'immigration du premier pays d'arrivée, les réfugiés s'aperçoivent souvent que c'est en raison de circonstances indépendantes de leur volonté que leur voyage est prolongé.
Les dispositions de transit de l'entente proposée sont injustes et irréalistes pour les réfugiés qui doivent laborieusement préparer la traversée d'un pays en vue de présenter leur demande dans l'autre. Souvent, les réfugiés doivent vendre tous leurs biens et dépenser leurs derniers sous afin de pouvoir fuir la persécution, si bien qu'ils arrivent en Amérique du Nord avec peu ou pas de ressources.
Sous son libellé actuel, le protocole d'entente favorise ceux qui ont les moyens de voyager plus rapidement. De même, il défavorise les ressortissants d'Amérique Latine et des Antilles, par exemple, dont l'itinéraire est limité par la géographie. Enfin, il défavorise les femmes et les enfants qui, souvent, ne peuvent pas voyager aussi rapidement que les hommes.
Ceci est totalement inacceptable. J'ai tenté de déterminer jusqu'à quel point la clientèle de VIVE serait touchée par le protocole d'entente proposé et pour ce faire, j'ai examiné la durée de transit dans un échantillon aléatoire de 10 p. 100 de réfugiés à destination du Canada, qui en l'espace de trois mois, ont demandé de l'aide à notre organisme. Près de 60 p. 100 des réfugiés de cet échantillon auraient été défavorablement touchés par les dispositions du protocole relatives à la durée de transit.
Statistiques et échantillons aléatoires sont toutefois arides et ne font pas appel à l'émotion. Pour illustrer les véritables répercussions d'une telle entente sur les réfugiés qui demandent protection au Canada, j'aimerais citer un rapport établi par Jessica LaBumbard, de Freedom House, organisme situé à Détroit (Michigan) qui, comme VIVE, travaille avec des réfugiés à destination du Canada:
- Marta est une Guatémaltèque de 43 ans. En 1992, son mari a commencé à avoir des problèmes;
il était constamment harcelé, menacé et suivi en raison de ses activités politiques. Marta et son
mari ont quitté leur pays pendant plusieurs mois pour y revenir par la suite, croyant que tout
allait bien. Toutefois, à peine arrivés, ils ont de nouveau été harcelés. Au milieu de 1993, le mari
de Marta disparaît. Jusqu'à ce jour, personne ne sait s'il est toujours en vie. Marta est partie de
son pays dès qu'elle a pu le faire, confiant son jeune fils à un parent. Elle voulait se rendre au
Canada où une amie l'attendait pour lui apporter le soutien affectif nécessaire et l'aider à
s'installer. Au cours de sa traversée du Mexique, Marta a été arrêtée et agressée à plusieurs
reprises par les autorités. Une fois parvenue à la frontière américano-mexicaine, elle a payé un
passeur pour passer la frontière. Une fois aux États-Unis, le passeur l'a abandonnée après lui
avoir dérobé tous ses biens et l'avoir violée. Marta s'est retrouvée traumatisée, sans le sou, sans
pièce d'identité et sans pouvoir s'exprimer en anglais. Il lui a fallu quatre mois pour arriver
jusqu'à Détroit (Michigan); elle a pu alors demander au Canada le statut de réfugié, qui lui a été
accordé depuis. Avec l'aide de son amie, elle s'efforce de surmonter les expériences
traumatisantes de son passé.
Ce n'est là qu'un exemple parmi tant d'autres illustrant le cheminement de personnes qui ont péniblement souffert dans leur pays d'origine et qui peuvent trouver au Canada la paix et la sécurité dont ils ont besoin pour rebâtir leur vie. Je pourrais vous raconter des centaines d'histoires aussi convaincantes que celle de Marta. La signature du protocole d'entente par le Canada fermera une porte d'importance vitale aux réfugiés de bonne foi qui ont désespérément besoin de la protection du Canada.
La présidente: Il vous reste deux minutes, et je ne vous en accorderai pas une de plus.
M. Ezat Mossallanejad (Conseil canadien pour les réfugiés): J'aimerais vous exposer les raisons pour lesquelles les demandeurs d'asile choisissent le Canada comme pays d'accueil. D'après notre expérience, les gens choisissent le Canada pour les raisons suivantes.
En tout premier lieu, ils viennent pour des raisons de réunion de famille. Par «famille», nous voulons parler de famille élargie. La définition du mot famille est très restreinte dans l'avant-projet d'entente. Nous connaissons l'histoire d'un Rwandais qui a perdu tous les membres de sa famille, à l'exception d'un cousin au Canada, lequel représente maintenant la personne la plus importante dans sa vie.
Deuxièmement, ils viennent au Canada, car ils y ont des amis. Je suis venu au Canada, car j'y avais beaucoup d'amis d'enfance, d'amis d'école et d'amis que j'avais connus en prison à l'époque où j'avais été incarcéré pour des raisons politiques. Ils représentent mes les plus proches parents.
Je me demande pourquoi il faut signer un protocole d'entente et refuser à des gens comme moi de pouvoir choisir leur destination. Ma venue au Canada m'a permis de retrouver mes anciens compagnons de prison et compagnons politiques qui ont facilité mon installation dans ce nouveau pays.
Troisièmement, les gens viennent au Canada à cause de notre réalité multiculturelle et interconfessionnelle. Ils se sentent davantage chez eux ici et peuvent commencer à contribuer plus tôt à notre société multiculturelle.
Quatrièmement, je savais que le Canada était une société libre. Lorsque j'étais à l'école secondaire, je ne pouvais pas imaginer qu'un jour je finirais par me retrouver au Canada comme réfugié. Je suis heureux et fier d'être ici, et heureux de pouvoir contribuer au patrimoine canadien. Cela m'étonne toujours que notre gouvernement cherche arbitrairement à fermer la porte à des gens qui ont une si bonne impression de notre société.
Cinquièmement, les gens viennent au Canada, car ils savent qu'ils auront l'appui de leur collectivité et qu'ils pourront, à leur tour, renforcer celle-ci. Notre société a connu beaucoup d'épreuves au cours de son histoire, lorsqu'elle a tenté de renforcer les collectivités ethniques dans le cadre du multiculturalisme. Le Canada est en faveur de la diversité.
La présidente: Désolée, je dois vous interrompre. Nous sommes ici pour parler de l'avant-projet d'entente, et non de la politique multiculturelle du Canada. Je vous remercie toutefois beaucoup pour votre témoignage.
Nous allons passer aux questions. Monsieur Nunez.
[Français]
M. Nunez: Je vous félicite pour vos deux témoignages. Vous dites que le Conseil canadien pour les réfugiés regroupe 145 organismes. C'est beaucoup. Tout le monde semble être contre ce projet. J'aimerais que quelqu'un me dise qui est pour, parce que je ne vois pas d'organismes ou de témoins qui viennent ici nous dire: «Bravo! On est d'accord». C'est une première observation.
Deuxièmement, je pense que vous apportez tous deux un témoignage très pertinent. On a examiné cette entente au point de vue juridique, mais les gens oublient parfois que derrière ces ententes, il y a des drames humains. Ce que vous avez exposé tantôt est très intéressant.
Nancy, vous avez dit qu'il ne s'agissait pas de vraies consultations. La ministre nous a dit ici avant-hier qu'il y avait eu des consultations et que plusieurs revendications des organismes non gouvernementaux avaient été acceptées. Est-ce que vous pouvez nous dire si c'est vrai? Quelles propositions ont été acceptées? Est-ce que c'est suffisant?
[Traduction]
Mme Worsforld: Depuis que cet avant-projet d'entente a été rendu public en novembre dernier, une réunion a été prévue à Washington. Le Conseil canadien pour les réfugiés l'a boycottée, pensant qu'elle était parfaitement inutile. Nous avons cru qu'il ne convenait pas de dépenser l'argent des contribuables pour que plusieurs personnes puissent prendre l'avion et assister à une réunion de trois heures qui, nous avait-on dit, ne présenterait pas de conclusions ni de rapport.
M. Nunez: Madame Meredith...
Mme Worsforld: Il y a eu d'autres réunions par la suite, avec des fonctionnaires. Nous ne savons pas si nos recommandations seront acceptées et, comme je l'ai dit dans mon exposé, notre principale recommandation était de ne pas donner suite à l'entente. De toute évidence, elle n'a pas été retenue.
En ce qui concerne les recommandations dont la ministre a fait mention, je vais demander à Janet de répondre.
Mme Janet Dench (directrice des politiques et programmes, Conseil canadien pour les réfugiés): Mardi, la ministre a indiqué que le protocole d'entente englobait apparemment 15 des 26 recommandations présentées par le CCR. Ces recommandations ont été faites par le CCR en 1993 dans le cadre d'un avant-projet d'entente complètement différent.
Alors que l'avant-projet d'entente actuel règle dans un certain sens quelques-uns des problèmes que nous avons soulevés, la plupart de nos recommandations, y compris celle qui, à notre avis, est essentielle, n'ont pas été retenues. C'est la raison pour laquelle nous continuons à nous opposer entièrement à cette entente.
[Français]
M. Nunez: Selon vous, le droit des réfugiés de choisir le pays où ils vont déposer leur demande existe-t-il? C'est un principe qui a été contesté ici. Selon vous, ce droit existe-t-il? Est-il prévu dans la convention?
Mme Dench: Oui, ce droit existe dans la pratique. Le gouvernement nous a dit qu'il avait adopté le principe du premier pays d'arrivée, mais jusqu'à maintenant, il n'a pas pu démontrer, preuves à l'appui, comment c'était établi dans le droit international.
La présidente: Merci.
[Traduction]
Mme Meredith: M. Nunez, parce qu'il n'est pas une mère, ignore peut-être qu'il est possible de lire et d'écouter en même temps.
Je tiens à vous remercier d'avoir comparu devant le comité. Nous sommes sensibles aux positions que vous représentez. J'aimerais poser une question à la représentante de VIVE. Vous ne pourrez peut-être pas y répondre.
Vous indiquez que dans votre organisation les demandeurs d'asile avec lesquels vous traitez sont surtout des Somaliens et des Sri-Lankais. Est-ce qu'il ne les intéresserait pas de demander le statut de réfugié aux États-Unis? Y a-t-il une raison pour laquelle les États-Unis n'accepteraient pas leur demande et est-ce pour cela qu'ils estiment devoir venir au Canada?
Mme Farkas-Huezo: Il existe en fait aux États-Unis une petite communauté somalienne et par le passé, les États-Unis ont accepté des réfugiés somaliens. Il n'y a pas de grande communauté tamoule - la communauté sri-lankaise - aux États-Unis.
En ce qui concerne la raison pour laquelle ils préfèrent ne pas présenter de demandes aux États-Unis, je pense que cela va plus loin. Tout d'abord, de nombreuses personnes viennent ici pour rejoindre leur famille et dans leur cas, la définition de réunion des familles va au-delà de la définition restreinte prévue par cette entente. Donc, si toute ma famille a été tuée dans mon pays et que j'ai un oncle ou même un voisin qui peut m'offrir un soutien moral, c'est un facteur très important.
Je pense qu'il est très important de se rendre compte qu'il s'agit plus que d'une question de soutien juridique. Il y a effectivement un aspect juridique mais un soutien moral est nécessaire. Il faut pouvoir compter sur des gens qui peuvent vous offrir un soutien non seulement financier mais moral pour vous aider à vous établir dans un nouveau pays.
Mme Meredith: À votre avis, est-il possible de modifier cette entente pour qu'elle reconnaisse que dans les cas où tous les membres d'une même famille ont été tués et où le deuxième cousin au deuxième degré est le seul parent qui vous reste... Pensez-vous que l'entente peut permettre ce genre de choses?
Deuxièmement, simplement parce qu'une demande de revendication du statut de réfugié doit être traitée aux États-Unis, par exemple, cela n'empêche pas l'auteur de la demande de rejoindre sa famille après avoir fait une demande d'immigrant reçu une fois qu'il aura régularisé sa situation dans l'un ou l'autre pays. Au bout du compte, cela ne l'empêche pas de faire reconnaître ce lien ou ce statut légal dans l'autre pays.
Si je vous ai bien compris, vous estimez que le fait de se voir refuser le statut de réfugié ou de devoir demander le statut de réfugié aux États-Unis les empêchera de s'installer au Canada. À moins que je me trompe sur la façon dont fonctionne notre gouvernement, je ne crois pas qu'il soit juste de dire qu'il leur sera impossible de poursuivre le processus jusqu'au bout.
Mme Worsforld: Puis-je demander à Janet de répondre à la première question de nature juridique?
Mme Meredith: Bien sûr.
Mme Dench: Nous sommes assurément heureux de constater que certaines exemptions ont été prévues par l'entente dans le cas de la réunion des familles mais des questions demeurent quant à ceux qui seront visés par ces exceptions. Nous nous interrogeons également sur la façon dont cela sera appliqué dans la pratique.
Les commentaires faits mardi par Daniel Thérien des services juridiques nous ont beaucoup préoccupés. Il a déclaré que l'application de l'exception à la règle du premier pays d'arrivée, y compris les exceptions concernant la réunion des familles, serait laissée à la discrétion du pays où essaie d'entrer le demandeur d'asile.
D'après ce qu'il semble dire, si je l'ai bien compris, si une personne arrive à la frontière canado-américaine et que son cas correspond à l'une des exceptions prévues - par exemple une femme dont la famille entière se trouve au Canada - et si le responsable de l'immigration à la frontière canadienne décide de ne pas la croire et déclare qu'elle n'a pas le droit d'entrer au Canada, il peut le faire, sans lui donner d'explication et ni elle, ni les États-Unis n'auront le droit d'élever d'objections.
Mme Meredith: Je crois que votre interprétation est fausse. D'après les nombreux témoignages que j'ai entendus, je crois que nous sommes en train de voir beaucoup de problèmes là où il n'y en a pas. J'estime qu'il faudrait prévoir - et je dois avouer que je ne suis pas sûre que cela soit prévu - une période pour examiner les résultats de cette entente, la revoir et apporter les changements qui s'imposent.
Nous devrions peut-être prévoir une clause qui indique que cette entente sera en vigueur pendant un an ou deux après quoi elle sera revue. J'entends beaucoup de commentaires du genre «c'est probablement ce qui va se passer» alors que nous ne savons pas dans le cas de la personne qui déclare que toute sa famille vit au Canada, que c'est sa famille qui subviendra à ses besoins pour qu'elle ne soit pas un fardeau pour le gouvernement...
Vous partez du principe que le responsable à la frontière refusera d'admettre cette personne au pays. Pourquoi ne partez-vous pas du principe que ce responsable reconnaîtra les avantages de la situation et permettra à cette personne d'entrer au Canada?
Mme Dench: Parce que nous avons une grande expérience de ce genre de choses.
La présidente: Merci beaucoup, madame Meredith. Je crois que l'article 13 traite de ce que vous venez de dire.
Monsieur Wappel.
M. Wappel: Madame Dench, pouvez-vous me citer l'article de la Convention de 1951 relative au statut de réfugié ou du Protocole de 1967, qui prévoit qu'un demandeur d'asile a le droit de choisir son pays d'asile?
Mme Dench: La Convention ne renferme aucune disposition à propos du pays où un demandeur devra solliciter l'asile, ni de règle concernant le premier pays d'arrivée.
M. Wappel: Je vous remercie. Il existe de nombreuses maximes en droit et l'une d'elles c'est que les causes difficiles créent les mauvaises lois. Il se trouve que je souscris à ce point de vue. Est-il exact que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a reconnu que les normes américaines satisfont ou dépassent les normes internationales pour ce qui est de la reconnaissance du statut de réfugié? Est-ce vrai?
Mme Worsforld: Je pense que votre prochain témoin abordera cette question. Notre principale crainte, que nous avons d'ailleurs exposée dans notre mémoire, concernait le projet de loi dont est saisi le Congrès plutôt que la situation actuelle. Pourtant, les Américains...
M. Wappel: Nous ne pouvons pas parler de l'avenir. Je parle de la situation actuelle.
Mme Worsforld: Le Haut Commissariat a soulevé des préoccupations surtout à propos des pratiques de détention en vigueur aux États-Unis.
M. Wappel: N'est-il pas exact que le Haut Commissariat a déclaré que le système américain respecte ou dépasse les normes internationales à l'heure actuelle? Cette déclaration est-elle exacte ou est-elle fausse?
Mme Dench: Je l'ignore. Je n'en ai jamais eu connaissance.
M. Wappel: Vous n'avez jamais eu connaissance de cette déclaration?
Mme Dench: La déclaration, oui.
Mme Worsforld: Je ne sais pas.
M. Wappel: Eh bien, je suis en train de la faire.
Mme Dench: Vous avez entendu le Haut Commissariat faire cette déclaration?
M. Wappel: Oui. Par conséquent, est-ce que vous n'êtes pas d'accord, ou est-ce que vous n'êtes pas au courant ou est-ce que vous partez du principe que le Haut Commissariat n'a pas examiné le système américain?
Mme Dench: Si vous dites que c'est ce qu'a déclaré le Haut Commissariat, nous ne pouvons que vous croire.
M. Wappel: D'accord. Si tel est le cas, prenons alors la situation hypothétique d'une personne qui n'a absolument aucun lien que ce soit au Canada - aucun ami, aucun parent, aucun cousin, rien du tout - et qui arrive aux États-Unis. Pourquoi la demande de cette personne ne devrait-elle pas être entendue aux États-Unis, même si elle veut venir au Canada parce qu'elle croit que ses chances seront meilleures ici?
Mme Worsforld: J'aimerais signaler qu'environ 8 000 personnes traversent la frontière qui sépare les États-Unis du Canada chaque année et que les États-Unis ont un arriéré de plus de 400 000 demandes. Les gens n'arrivent pas en masse des États-Unis au Canada même s'il est vrai que notre système affiche un taux d'acceptation plus élevé.
D'après ce que nous croyons comprendre - car manifestement nous n'avons pas les moyens d'avoir des données solides puisque seul le gouvernement peut avoir ce genre de données - c'est que les personnes viennent au Canada parce qu'elles ont des liens avec le Canada. Nous croyons que cette entente leur sera préjudiciable.
M. Wappel: Mais vous n'avez pas répondu à ma question. Pourquoi une personne qui n'a absolument aucun contact avec le Canada et qui arrive aux États-Unis ne devrait-elle pas faire entendre sa demande aux États-Unis?
M. Mossallanejad: Cinquante pour cent des réfugiés sont victimes de torture. Lorsque les États-Unis ont parlé de protection, un aspect de cette protection est la possibilité de s'établir ailleurs. Les réfugiés, particulièrement les victimes de torture souffrent de troubles attribuables à une névrose post-traumatique. Au Canada, nous avons certaines organisations humanitaires, certaines institutions religieuses, qui s'occupent des victimes de torture.
Vous savez que M. Marchi, l'ancien ministre de l'Immigration, a accordé environ 260 000 $ au Centre canadien pour les victimes de torture. Il ne s'agit pas ici de réunion des familles, ni de liens avec le Canada mais de victimes de torture qui savent qu'elles auront de meilleures chances de se rétablir au Canada.
Mme Farkas-Huezo: Selon le pays d'origine d'une personne, il peut y avoir une très bonne raison. À cause du rôle important qu'ils jouent sur la scène internationale, les États-Unis ont malheureusement fait intervenir trop souvent de nombreuses considérations politiques dans le domaine de l'asile.
Dans les années 1980, les États-Unis n'acceptaient pratiquement aucun réfugié du Salvador et du Guatemala. Il y a eu un procès, appelé l'affaire ABC, où les responsables de l'Immigration ont essentiellement reconnu qu'ils avaient injustement empêché les Salvadoriens et les Guatémaltèques de profiter du système d'asile. Le INS est à l'heure actuelle en train de revoir tous ces cas, pratiquement l'ensemble des cas de demandes d'asile de Salvadoriens et de Guatémaltèques, présentées dans les années 1980.
Bill Frelick, qui sera le prochain témoin, sera probablement beaucoup mieux en mesure d'en parler. Je ne suis pas une spécialiste des questions juridiques.
M. Wappel: Mais le système judiciaire américain a détecté ce problème et est en train d'y remédier.
Une voix: Combien de gens sont morts entre-temps?
M. Wappel: Je l'ignore. Combien d'entre eux sont vivants?
[Français]
M. Nunez: Ce qu'on mentionne ici a été mentionné lors d'autres témoignages: c'est la situation aux États-Unis et le comportement de ce pays envers les Haïtiens et les Cubains. Les boat people ont été refoulés sans avoir eu droit à une audition. Ce sont les cas qu'on connaît le mieux ici. Est-ce qu'il y a d'autres cas où on refoule des gens sans qu'ils aient eu droit à une audition?
[Traduction]
Mme Farkas-Huezo: Est-ce que vous demandez si d'autres personnes ont été renvoyées sans avoir eu droit à une audition? Comme je l'ai dit, je ne suis pas une spécialiste des questions juridiques. Je travaille pour une organisation régionale.
La présidente: Notre prochain témoin répondra probablement à cette question. Poursuivons.
[Français]
M. Nunez: Comme vous venez de le dire, le taux d'acceptation des gens venant de l'Amérique centrale a déjà été très, très bas: 2 p. 100. Il semble qu'il ait monté par la suite à 25 p. 100.
Quand il y avait une guerre civile au Salvador, il y avait des problèmes de violation des droits de la personne énormes au Guatemala et dans d'autres pays. Pourquoi ce comportement des États-Unis envers des réfugiés légitimes venant de l'Amérique centrale?
[Traduction]
Mme Farkas-Huezo: Essentiellement, d'après ce que je crois comprendre, c'est à cause de la situation politique des États-Unis sur la scène internationale. Au plus fort de la guerre civile au Salvador, les États-Unis soutenaient le gouvernement salvadorien à coup d'un million de dollars par jour. Il était donc très difficile pour les États-Unis de dire oui, nous envoyons un million de dollars par jour au Salvador pour appuyer cette guerre et de reconnaître en même temps les Salvadoriens qui cherchaient asile aux États-Unis.
[Français]
M. Nunez: On a dit que le système d'incarcération aux États-Unis laissait beaucoup à désirer. Vous connaissez la région de Buffalo. Est-ce que vous pouvez nous en dire davantage sur ces mauvaises conditions d'incarcération?
[Traduction]
Mme Farkas-Huezo: Oui. Aux États-Unis, les demandeurs d'asile sont souvent incarcérés. Nous, à VIVE, travaillons très régulièrement avec plusieurs directeurs de district de l'Immigration afin d'essayer d'obtenir la libération des demandeurs d'asile qui souhaitent venir au Canada mais qui ont été incarcérés en cours de route. Cela présente bien entendu un problème à cause des restrictions en matière de transit et le protocole d'entente ne prévoit aucune exception à cet égard pour les personnes détenues. Par conséquent, nous tâchons parfois d'écrire une lettre de soutien afin de demander au directeur de district de libérer la personne pour qu'elle puisse se rendre au Canada qui était après tout sa destination initiale, afin d'y faire sa demande de statut de réfugié. Parfois nous réussissons, parfois non. Bien entendu, les cas où nous ne réussissons pas sont les cas problèmes.
[Français]
M. Nunez: L'entente prévoit quelques exceptions pour déposer une nouvelle demande au Canada, même si on en a déjà déposé une aux États-Unis, mais on ne mentionne pas les questions de langue. Par exemple, un Africain arrive aux États-Unis mais ne veut pas vivre aux États-Unis parce qu'on y parle seulement l'anglais et l'espagnol. Il veut vivre en français et il voudrait venir, par exemple, au Québec ou au Nouveau-Brunswick. Est-il logique que de telles gens ne veuillent pas déposer une demande aux États-Unis, mais plutôt au Canada pour des questions de langue?
[Traduction]
Mme Worsforld: C'est l'un des problèmes que nous avons constatés, particulièrement en ce qui concerne à l'heure actuelle la communauté algérienne. Il y a des groupes qui viennent à Montréal expressément parce qu'ils peuvent y vivre en français, entre autres la communauté des réfugiés algériens et la communauté des réfugiés haïtiens. Effectivement, nous considérons que c'est un problème et oui, l'entente nuira aux personnes qui souhaitent présenter leur revendication du statut de réfugié au Québec parce qu'elles sont francophones.
[Français]
La présidente: Merci, Monsieur Nunez.
[Traduction]
Mme Minna.
Mme Minna: Je voulais simplement revenir brièvement au processus de consultation qui a été mentionné plus tôt. Je comprends la frustration que l'on peut éprouver car il m'est arrivé d'être de l'autre côté et d'essayer de faire des présentations à des organismes gouvernementaux à propos de questions qui me tenaient à coeur. Je comprends donc votre position et la fermeté dont vous faites preuve. J'ai une certaine difficulté à comprendre pourquoi on boycotte une consultation car même si vous n'approuviez pas le processus, c'était une occasion d'exprimer publiquement votre point de vue. C'est un peu comme dire que vous ne participerez à des consultations qu'à vos propres conditions. Je considère qu'en général il vaut mieux s'exprimer publiquement que pas du tout.
Quoi qu'il en soit, le fait est que peu importe que les 15 recommandations aient été faites en 1993 ou plus récemment, le gouvernement a effectivement tenu compte d'un certain nombre d'entre elles. Même s'il ne s'agit peut-être pas des recommandations précises que vous vouliez...
Mme Worsforld: Il ne s'agissait pas de 15 recommandations non plus.
Mme Minna: Il y en a eu en fait un assez bon nombre et cela laisse supposer l'existence d'un dialogue permanent.
Il s'agit d'un projet d'entente internationale qui habituellement ne fait pas l'objet de débats publics ni de délibérations en comité. Habituellement, le comité est saisi de toutes sortes de projets de loi et non pas de projets d'ententes internationales et c'est donc une autre occasion qui se présente. Vos consultations avec les responsables n'ont peut-être pas été aussi satisfaisantes que vous l'auriez voulu mais il y a une possibilité ici encore de vous exprimer publiquement.
Tout ce que je voulais dire, c'est que selon mon point de vue, lorsqu'une occasion de s'exprimer publiquement se présente, je la saisis. Je trouve étrange que vous ne l'ayez pas fait.
Mme Worsforld: Puis-je répondre à cela? Nous avons fortement préconisé... Le bureau d'Eleni a reçu je ne sais pas combien d'appels téléphoniques de ma part la harcelant pour qu'elle tienne ces audiences. Oui, nous envisageons de faire des déclarations publiques lorsque le contexte s'y prête. Nous nous sommes opposés, comme l'ont fait les libéraux lorsqu'ils faisaient partie de l'Opposition, aux dispositions du projet de loi de 1980, qui faisaient de ce type d'entente une initiative interne du ministère plutôt qu'une initiative qui aurait d'abord été soumise à l'attention du Parlement. Oui, nous considérons que ce genre d'occasion est important tant que les résultats ne sont pas déterminés d'avance, tout comme nous avons envisagé de parler avec nos fonctionnaires. C'est ce que fait très fréquemment le CCR sur bien des questions. Oui, nous sommes d'accord.
Je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites que se présenter devant une fondation privée aux États-Unis est une occasion de s'exprimer publiquement. Il s'agit d'une réunion organisée par une fondation privée aux États-Unis. Je crois que notre organisation a la responsabilité de choisir les possibilités qui s'offrent à elle et de s'assurer qu'elle représente bien ses membres. Nous ne considérions pas que l'argent que le gouvernement était prêt à dépenser pour faire venir quelques douzaines de personnes du Canada pour une réunion de trois heures qui ne ferait l'objet d'aucun rapport... Pour nous, cela n'avait aucun sens.
Mme Minna: Là où je veux en venir toutefois, c'est que votre rôle premier doit ou devrait être d'influencer les décideurs. Si j'étais de l'autre côté, c'est ainsi que je verrais les choses. Par conséquent, saisir toutes les occasions qui me sont offertes... J'arrête ici mon argument.
Pour revenir à la question soulevée à propos des décisions prises par les Américains dans les années 80, j'aimerais vérifier quelque chose avec vous. Je crois comprendre que la politique étrangère actuelle aux États-Unis... qu'on a donné suite aux préoccupations exprimées au cours des années 80 et selon lesquelles effectivement des considérations en matière de politique étrangère avaient parfois influé sur les décisions prises en matière d'asile, et qu'aujourd'hui les décisions de ce genre sont prises indépendamment du pays d'origine. En fait, les représentants du département, grâce au centre de documentation de l'INS, ont accès à toute une gamme d'autres renseignements, dont ceux de notre propre CISR, et le processus est maintenant différent par suite de ce qui s'était passé à l'époque. Est-ce que je me trompe?
Mme Farkas-Huezo: C'est peut-être bien ce qui s'est passé mais cela n'a pas tellement contribué à améliorer la situation en ce qui concerne l'interdiction qui frappe les Haïtiens ou les Cubains. Par conséquent, j'estime que les considérations en matière de politique étrangère continuent à jouer un rôle.
Mme Dench: Bill Frelick répondra à vos questions à cet égard.
Mme Minna: Nous pourrons peut-être alors approfondir la question.
Mme Dench: Il y a eu d'importantes améliorations mais on est en train de proposer certaines initiatives très inquiétantes qui risquent d'être adoptées par le Congrès.
Mme Minna: J'y reviendrai.
La présidente: Madame Meredith.
Mme Meredith: J'aimerais soulever une question et peut-être contester certaines des observations qui viennent d'être faites ici selon lesquelles le mouvement n'est pas vraiment aussi important. Je crois, Nancy, que vous avez mentionné que cela ne touchera pas un si grand nombre de personnes qui viennent au Canada en passant par les États-Unis.
Mme Worsforld: J'ai dit 8 000 personnes.
Mme Meredith: Alors, 8 000 personnes. Bien, 58 p. 100 des demandes sont présentées au Canada par des demandeurs qui sont passés par les États-Unis; un tiers des demandeurs d'asile.
Mme Worsforld: Est-ce 58 p. 100 ou un tiers?
Mme Meredith: Je suis désolée. C'est 58 p. 100, environ un tiers de toutes les demandes présentées par des demandeurs qui sont passés par les États-Unis. C'est donc 58 p. 100...
Permettez-moi de vous lire ce qui suit:
- Environ 58 p. 100 des demandes présentées à l'arrivée au Canada provenaient de demandeurs
qui sont passés par les États-Unis, et environ un tiers de toutes les demandes.
Mme Worsforld: Il n'y en a pas d'autres.
Mme Meredith: Je suppose qu'on parle d'immigration en général ici.
Mme Worsforld: Non, ils parlent des 58 p. 100 de revendications au point d'entrée, ce qui n'inclut pas les demandes présentées par les demandeurs autorisés de séjour, et un tiers de toutes les revendications, dont le chiffre se situe pour les quelques dernières années entre 20 000 et 25 0000. On parle donc de 8 000.
Mme Meredith: D'accord. Expliquez-moi alors quelle est la différence.
Mme Worsforld: Par revendication au port d'entrée, on entend une personne qui arrive à un point d'entrée, qu'il s'agisse d'un point frontalier comme Buffalo ou un aéroport, et qui revendique le statut de réfugié. Il s'agit d'une revendication au point d'entrée.
Mme Meredith: S'agit-il des 58 p. 100?
Mme Worsforld: Oui, mais d'autres personnes qui séjournent au Canada, par exemple, avec un visa d'étudiant, revendiquent le statut de réfugié...
Mme Meredith: D'accord, mais ce dont nous parlons ce sont des revendications au point d'entrée qui tomberaient sous le coup de cette entente; 58 p. 100 de celles qui sont présentées au Canada le sont par des gens qui sont passés par les États-Unis.
Mme Worsforld: Oui, et on parle alors d'environ 8 000 personnes.
Mme Meredith: Ainsi ces 58 p. 100 des revendications au port d'entrée présentées par des personnes qui revendiquent le statut de réfugié au Canada proviennent de personnes qui sont passées par les États-Unis.
Mme Worsforld: Non, pas au Canada; on parle du point d'entrée. Il s'agit d'environ 8 000 personnes.
Mme Meredith: Le chiffre est exact alors; 58 p. 100 des revendications au point d'entrée sont présentées par des personnes qui sont passées par les États-Unis.
Mme Dench: Nous n'avons aucune raison de le contester.
Le président: Quelle est votre source d'information, madame Meredith? Ça pourrait aider.
Mme Meredith: Il s'agit du service de recherche de la Bibliothèque du Parlement.
Mme Worsforld: Cela se tient. Il s'agirait de 8 000 personnes.
Le président: Simple mise au point.
Mme Meredith: Les autres chiffres qu'il est important de mentionner pour l'instant, selon moi, sont que le taux de reconnaissance aux États-Unis est de 22 p. 100 par rapport à 70 p. 100 au Canada. Êtes-vous d'accord avec ces chiffres?
Mme Worsforld: Oui.
Mme Meredith: Ainsi, pour quelqu'un qui voudrait absolument que sa demande soit acceptée, il serait tout à fait logique qu'elle tente de se faire reconnaître au Canada afin de pouvoir y présenter sa demande.
Mme Worsforld: Si vous disposiez de toute cette information, vous agiriez peut-être de la sorte, mais ce n'est pas ainsi que les gens vivent leur vie. Le fait est que près d'un demi-million de personnes attendent aux États-Unis qu'une décision soit rendue et elles n'affluent pas toutes au Canada.
Mme Meredith: Et ces gens ne tomberont même pas sous le coup de cette entente, si je ne m'abuse? Cette entente ne s'appliquera qu'aux personnes qui présentent une demande et à qui s'applique cette entente à partir de la date de sa signature. L'arriéré aux États-Unis n'est pas du tout touché dans cette entente. L'arriéré au Canada...
Mme Dench: Quelqu'un qui se trouve à l'heure actuelle aux États-Unis décide, après la signature et l'entrée en vigueur de cette entente, de se présenter à la frontière serait touchée.
Mme Meredith: Je crois qu'on précise dans cette entente que les personnes n'ont que six mois pour le faire. Ainsi, si elles ont séjourné aux États-Unis plus que six mois, elles ne tomberaient pas sous le coup de cette entente.
Mme Worsforld: Ce n'est pas ainsi que nous comprenons les choses.
Mme Meredith: C'est ce que je comprends.
Mme Worsforld: Ce que j'aimerais dire c'est que tous ces gens pourraient venir au Canada demain et qu'ils ne le feront pas.
Mme Meredith: S'ils ont séjourné aux États-Unis plus de six mois ils pourraient venir au Canada, mais cela leur serait impossible si cette entente est adoptée.
Mme Worsforld: S'ils avaient séjourné aux États-Unis plus de 48 heures ou plus de 10 jours, selon la période, ils ne pourraient venir au Canada.
Mme Meredith: C'est exact et c'est la raison pour laquelle vous faites des réserves sur cette entente. Ce qui vous préoccupe c'est que ces personnes n'ont pas le choix de venir au Canada pour demander le statut de réfugié, en sachant qu'ils y ont beaucoup plus de chances d'y être acceptés qu'aux États-Unis.
Mme Worsforld: Non. Ce qui nous préoccupe c'est que ces personnes qui viennent au Canada devraient avoir le droit de décider. Nous avons reconnu que ces personnes ne devraient pas être autorisées à revendiquer le statut de réfugié dans les deux pays; si vous présentez une demande aux États-Unis, vous ne devriez pas alors être autorisé à venir au Canada pour faire la même chose. Nous avons tenu ces propos.
Mme Meredith: Mais cet avant-projet de loi s'adresse aux personnes qui n'ont pas décidé de revendiquer le statut de réfugié où que ce soit et pour quelque raison et qui ont séjourné aux États-Unis plus de six mois.
Mme Worsforld: Pas 6 mois; 48 heures ou 10 jours, comme dans le cas que Robbie a décrit.
Mme Meredith: Je parle de l'arriéré que vous avez mentionné, ces milliers de gens qui n'ont pas présenté une demande au Canada et ne le feront probablement pas. Puis vous avez dit qu'ils le feraient. S'ils présentaient une demande maintenant, après la signature de cette entente, ils auraient le droit de le faire.
Mme Worsforld: Non, ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai plutôt dit qu'à l'heure actuelle, ils pourraient présenter une demande et qu'ils ne viendront vraisemblablement pas. Les fonctionnaires plaident parfois en faveur de cette entente en disant qu'elle va empêcher ces gens de venir au Canada même si rien ne laisse croire qu'ils risquent d'y venir de toute façon.
Le président: Je vous remercie beaucoup. Le temps est écoulé. Je remercie le Conseil canadien pour les réfugiés d'avoir envoyé des représentants à ce comité.
Je demanderais au professeur William Frelick de bien vouloir prendre la parole. Nous devrions commencer dès maintenant.
Professeur Frelick, comme le temps nous presse, je vous demanderais de ne pas lire le mémoire écrit que vous avez déposé auprès du comité. Je vais devoir vous limiter à cinq minutes pour que nous puissions vous poser des questions, certains membres devant assister à d'autres séances de comité et s'acquitter d'autres obligations à 11 h 00. Je suis désolé; nous avons votre mémoire écrit que nous allons annexer à nos délibérations de ce jour.
M. William Frelick (analyste principal des politiques, U.S. Committee for Refugees): Je m'y reporterai tout au long de ma déclaration.
Le président: Merci.
M. Frelick: Premièrement, je ne suis pas professeur.
Le président: Oh! Je suis désolé. Vous êtes inscrit ici comme étant le professeur Frelick.
M. Frelick: Je représente une organisation non gouvernementale, le U.S. Committee for Refugees qui depuis 37 ans se porte à la défense des réfugiés de par le monde.
Je veux également vous dire qu'il existe une coalition ad hoc d'organisations non gouvernementales américaines qui étudie le protocole d'entente et a amorcé le dialogue avec le gouvernement américain à cet égard. Je ne suis pas le porte-parole officiel de cette coalition, mais celle-ci a fait parvenir cette semaine une lettre au procureur général Reno de même qu'au secrétaire d'État Christopher, lettre que vous trouverez à la deuxième page de mon mémoire. Vous y trouverez aussi la liste de 64 organisations qui représentent un large éventail de religions, tels les juifs, les protestants et les catholiques; d'organisations pour les réfugiés; d'organisations de défense des droits de la personne et ainsi de suite.
Cette lettre vise à mettre en question la présupposition forcément défaillante qui sous-tend le protocole d'entente, c'est-à-dire la notion du premier pays d'arrivée. On y signale également que la conclusion numéro 15 du Comité exécutif du HCNUR dit qu'il faut tenir compte autant que possible des intentions du demandeur d'asile quant au choix du pays où il demande l'asile et que les autorités ne sauraient rejeter une demande sous le seul prétexte que le droit d'asile pourrait être demandé dans un autre État.
Le protocole d'entente fait ces deux choses. Le Comité exécutif du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés n'affirme dans aucune de ses conclusions que la responsabilité d'examiner les demandes d'asile doit appartenir au premier pays d'arrivée.
Aux pages 11 et 12 de mon témoignage, je cite des arrêts américains pour montrer qu'en fait dans la pratique les États-Unis ont respecté les conclusions du Comité exécutif et qu'il est permis de rejeter une demande d'asile dans le cas seulement où la personne est bien rétablie dans un autre pays. Là où la personne est bien ré-établie, il faut comprendre qu'il y a un lien très important, en fait, une offre de ré-établissement permanent.
En adoptant le principe de base du premier pays d'arrivée, on ouvre la porte à des renvois en chaîne. En fait, l'article 5, auquel vous avez fait allusion dans la question que vous avez posée, ne poserait aucun problème s'il s'arrêtait avant le mot «à moins que». Mais là où nous exprimons des réserves, c'est qu'après «à moins que» il soit question de permettre à l'un ou l'autre pays de signer des accords avec des tiers pays et, avec le consentement de l'autre pays, de renvoyer un demandeur dans ces tiers pays.
Nous y voyons là une pente glissante à laquelle ont mené des ententes semblables en Europe, qui ont donné lieu à des expulsions en chaîne. Je donne entre les pages 15 et 17 de nombreux exemples de cas d'expulsion en chaîne compilés par le Conseil européen des réfugiés et des exilés que je vous recommande fortement d'examiner. Vous y constaterez comment des gens sont victimes des carences du système lorsqu'ils présentent une demande d'asile dans des pays comme la Belgique et le Danemark. On s'attendrait de ces pays à ce qu'ils fassent très attention pour ne pas qu'il y ait d'expulsions en chaîne. Ces cas se sont pourtant produits.
Il faut nous demander pourquoi les États-Unis voudraient conclure une telle entente avec le Canada. Madame Meredith, vous avez dit qu'ils doivent sûrement y trouver leur compte. À court terme, il est très difficile de voir en quoi ils en profiteraient parce que de toute évidence, avec les taux d'approbation dont vous avez parlé vous-même et des chiffres dont nous disposons, il semble que nous parlerions pour les États-Unis d'une augmentation, à coup sûr d'une augmentation nette, de notre arriéré qui atteint à l'heure actuelle 460 000 cas avec l'arrivée de 5 000 sinon 10 000 personnes. Il est donc difficile de voir pourquoi l'entente intéresse les États-Unis et pourquoi ils n'y verraient pas là une mauvaise entente.
Cela laisse place à la spéculation. Cela donne à penser que les États-Unis veulent conclure d'autres ententes avec d'autres pays afin de pouvoir renvoyer les réfugiés qui essaient d'entrer chez eux.
Telle était de toute évidence l'intention en juillet 1993. Certains d'entre vous se souviennent peut-être de ces bateaux chinois qui se trouvaient au large des côtes de San Diego et qui ont été détournés vers le Mexique. Ils ont été envoyés au Mexique d'où les gens qui se trouvaient sur ces bateaux ont été sommairement rapatriés en Chine. Les États-Unis ont payé pour ces déportations. En vertu d'un ordre présidentiel, 450 000 $ ont été versés au gouvernement mexicain pour qu'il s'acquitte de cette tâche. En fait, il existe un article d'exécution dans le budget du département d'État pour les déportations de ressortissants de pays tiers à partir du Mexique.
Le président: J'aimerais que vous terminiez. Je suis désolé. Je pourrais m'excuser pour la limite de temps.
M. Frelick: Permettez-moi de dire quelques mots sur les dispositions législatives en cours d'examen.
Les dispositions législatives en cours d'examen, qui ont de très bonnes chances d'être adoptées, comportent une disposition très vaste sur les renvois dans un tiers pays. On y dit fondamentalement que, en ce qui concerne tout pays qui veut accepter un demandeur d'asile, même une personne qui s'est vue octroyer l'asile, une personne pourrait être renvoyée dans ce tiers pays sans qu'il soit tenu compte de ses liens aux États-Unis ni de l'absence de liens avec ce tiers pays.
Par conséquent, si vous êtes un demandeur d'asile juif et qu'Israël est prêt à vous accepter, peu importe votre situation, peu importe que vous n'ayez pas de liens familiaux en Israël, que vous ayez des liens aux États-Unis, vous pourriez être renvoyé en Israël. C'est ce que renferment les mesures législatives qui doivent être examinées aujourd'hui par le sous-comité sénatorial du côté du Sénat.
Elles renferment également des procédures sommaires d'exclusion. Je pense qu'il est très important que le Canada sache que les demandeurs d'asile aux États-Unis ne bénéficient pas d'une représentation financée par les tribunaux. Par conséquent, les gens doivent se défendre eux-mêmes, alors qu'ils se trouvent à l'aéroport sans représentation ni connaissance du système.
La limite de 30 jours pour déposer une demande soulève les mêmes genres de problèmes, car les gens doivent trouver des avocats bénévoles, qui sont fort rares. S'ils en trouvent un, ils doivent prendre rendez-vous. Les bénévoles font leur propre sélection et fixent les rendez-vous. Dans de nombreux cas, il faut compter plus de 30 jours pour mettre le pied dans la porte et demander l'intervention d'une ONG.
Par conséquent, dans de nombreux sens du terme, si cette mesure législative est adoptée au Congrès... J'ai vu les amendements que la Commission du règlement permet de présenter à la Chambre et ceux qui portent sur la limite de 30 jours n'en font pas partie. Cette mesure législative ne risque donc pas d'être modifiée à la Chambre.
Si elle est adoptée - nous croyons qu'elle le sera - à de nombreux égards alors, la plupart des demandeurs d'asile arrivant aux États-Unis ne pourront pas être représentés. Ils ne pourront pas demander l'asile. Il y a également bien sûr les procédures sommaires de renvoi prévues pour ceux qui arrivent sans documents.
Je vous recommande donc vivement d'attendre afin de voir ce qui va se produire à l'égard de cette mesure législative et ensuite de conclure une entente, si vous croyez que les États-Unis sont un partenaire digne de l'être.
Merci beaucoup.
La présidente: Merci beaucoup.
Monsieur Nunez.
[Français]
M. Nunez: Je déplore qu'on invite un témoin qui vient des États-Unis, de Washington, et qu'on lui accorde moins d'une demi-heure.
La présidente: Monsieur Nunez, il a déposé un document.
M. Nunez: Il aurait pu l'envoyer par télécopieur.
La présidente: Monsieur Nunez, merci beaucoup. Avez-vous une question? Posez votre question.
M. Nunez: J'avais aussi demandé une copie du document soumis par le Haut-Commissariat aux gouvernements des États-Unis et du Canada, et on n'a pas encore ce document ici. J'ai demandé une copie de la présentation faite au président Clinton par la coalition des organisations. On n'a pas non plus ce document ici. Comment voulez-vous qu'on fasse un travail sérieux?
Monsieur Frelick, vous avez une coalition d'organisations qui s'opposent à cette entente. Quelle est la dimension de cette coalition? Est-ce qu'il y a des ONG qui appuient cette entente aux États-Unis?
[Traduction]
M. Frelick: Je ne connais pas d'ONG qui ait officiellement déclaré être en faveur de cette entente. La coalition regroupe chacune des grandes confessions religieuses, soit les Juifs, les Catholiques et les Protestants: le Service chrétien mondial; les Lutheran Immigration and Refugee Services; la U.S. Catholic Conference; la Hebrew Immigrant Aid Society. Elle comprend les principales organisations de réfugiés aux États-Unis, y compris certaines, assez conservatrices, comme le Comité international de secours. Elle comprend la Fondation mondiale de secours, bureau évangélique de l'Église protestante. Elle regroupe tous les principaux organismes des droits de la personne aux États-Unis et dans le monde: la Human Rights Watch; le Lawyers Committee for Human Rights et Amnistie internationale. Elle comprend l'American Immigration Lawyers Association, grande association regroupant tous les avocats spécialisés en immigration aux États-Unis. Elle fait intervenir de nombreuses organisations locales comme VIVE qui a comparu devant vous un peu plus tôt aujourd'hui.
C'est une remarquable coalition d'organismes opposés à cette entente.
[Français]
M. Nunez: Vous dites dans votre présentation qu'il y a incompatibilité entre ce projet d'entente et les normes internationales et américaines. Est-ce que vous pouvez élaborer un peu sur cette affirmation?
[Traduction]
M. Frelick: Oui, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, comme nous l'avons entendu plus tôt aujourd'hui, dans la Convention de 1951, les questions de déplacements irréguliers -
M. Nunez: Excusez-moi. Pourquoi les États-Unis n'ont-ils pas signé la Convention internationale relative au statut des réfugiés?
M. Frelick: Je crois qu'il s'agit d'un point plutôt technique. Nous avons signé le protocole. La Convention se limite géographiquement à l'Europe et aux déplacements de réfugiés antérieurs à 1951. La ratification du protocole a en fait suscité un débat sur la nécessité de ratifier la convention également, mais cela semble un peu bizarre, je dois l'admettre.
En ce qui concerne les normes internationales, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, par l'entremise du Comité exécutif, lequel se compose de plusieurs gouvernements dont ceux du Canada et des États-Unis, fixe officiellement les normes relatives au traitement des réfugiés. Aucune conclusion du Comité exécutif ne stipule que le premier pays d'arrivée doit être le principe de base des ententes de partage de la responsabilité.
La conclusion 58 qui traite des déplacements irréguliers et dont il a été fait mention plus tôt aujourd'hui, ne vise que ceux qui se sont en fait vu offrir un ré-établissement dans un pays, qui ont trouvé une protection dans un pays particulier et qui décident ensuite d'en partir.
Ce que nous recommandons essentiellement, c'est que si la personne a bénéficié d'un arbitrage complet et juste dans un pays, c'est effectivement dans ce pays-là qu'elle devrait rester. Même s'il s'agit d'un refus, si elle s'arrange pour se rendre dans un tiers pays, - les deux pays pourraient alors prévoir une entente de partage de l'information par laquelle on pourrait présumer que la demande est non fondée, obstacle dont la personne devrait venir à bout.
Par contre, aucune conclusion du Comité exécutif ne stipule qu'il faut empêcher une personne d'avoir une audition sous prétexte qu'elle serait arrivée dans un autre pays en premier lieu; aucune conclusion n'indique qu'il s'agit-là d'une norme pertinente de comportement international. C'est le point que nous soulevons. En fait, la conclusion 15 du Comité exécutif stipule exactement le contraire. En vertu de cette conclusion, il faut tenir compte de la volonté des demandeurs d'asile, dans la mesure du possible, et aucune personne ne devrait se voir refuser de demander l'asile uniquement parce qu'elle aurait présenté une demande dans un autre pays en premier lieu.
[Français]
M. Nunez: Comment pouvez-vous expliquer qu'on ait aux États-Unis un taux d'acceptation des réfugiés aussi bas? Est-ce le taux le plus bas parmi les pays industrialisés? Avez-vous des données comparatives?
[Traduction]
M. Frelick: Nous avons des données comparatives là dessus. En fait, le taux d'acceptation des États-Unis est plus élevé que bien des pays d'Europe en ce qui concerne l'octroi du statut de réfugié au sens de la Convention, mais la plupart des pays d'Europe prévoient des exceptions beaucoup plus vastes d'ordre humanitaire et de commisération, j'imagine. Ils ont des politiques beaucoup plus vastes en matière de non-refoulement de personnes fuyant la guerre civile, par exemple.
Les États-Unis interprètent la Convention de manière très rigoureuse. Chaque mot de chaque disposition de la Convention des réfugiés est interprété le plus rigoureusement possible. Les interprétations d'appartenance à un groupe social, par exemple, sont beaucoup plus larges au Canada et dans la plupart des pays d'Europe qu'aux États-Unis.
La présidente: Mme Meredith.
Mme Meredith: J'aimerais savoir pourquoi beaucoup des témoins ont l'impression que les États-Unis ne traitent pas les réfugiés et les demandeurs de statut de réfugiés comme il le faudrait. Pourtant, dans votre mémoire écrit, vous dites:
- Au contraire, le droit américain révèle une application assez cohérente des principes énoncés
dans les conclusions 15 et 58 du Comité exécutif. Selon les lois et règlements des États-Unis, la
personne a non seulement le droit de demander l'asile, mais elle a aussi la possibilité de se
ré-établir aux États-Unis dans les cas où elle a transité par d'autres pays et même dans les cas où
elle y a résidé avant d'arriver aux États-Unis. Selon la loi américaine sur l'immigration et la
naturalisation, seules les personnes bien ré-établies dans un autre pays sont considérées
expressément comme n'étant pas admissibles à titre de réfugiés.
M. Frelick: Ce que nous soulignons, c'est que les États-Unis ont été cohérents en ce qui concerne l'application de ces conclusions du Comité exécutif. S'ils souscrivent à ce protocole d'entente, ils ne respecteront plus ces conclusions et en fait, si cette mesure législative est adoptée, ils ne les respecteront pas non plus. Cette mesure législative modifierait la définition de ré-établissement.
Plusieurs autres points de droit sont soulevés. Nous avons parlé plus tôt aujourd'hui des années 80 et de la question des Salvadoriens et des Guatémaltèques. Il y a maintenant un recours collectif en leur nom et ces cas passent de nouveau par le processus d'arbitrage. Il y a eu une réforme en matière de droit d'asile. Comme cela l'a été dit plus tôt, un groupe d'agents spécialisés dans les questions de droit d'asile a été mis sur pied et nous sommes témoins de certaines améliorations.
Toutefois, au cours de l'année écoulée, en janvier 1995 plus précisément, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a publiquement réprimandé le gouvernement américain à propos du tri des Haïtiens à Guantanamo, avant leur rapatriement forcé vers Haïti. Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés intervient fréquemment dans des cas particuliers.
Par exemple, les définitions d'actes délictueux graves ont été appliquées précisément à la loi sur l'immigration d'une manière qui empêche les personnes coupables d'infractions relativement mineures en matière de drogues d'avoir droit à une audition de détermination du statut de réfugié.
Selon le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, cela n'est absolument pas compatible avec les normes de définition d'un crime grave ou d'une menace grave pour la collectivité. Selon lui, les États-Unis ne concilient pas les circonstances atténuantes et les circonstances aggravantes comme ils devraient le faire. Certains cas servent à interpréter le sens des dispositions d'exclusion, par exemple, ainsi que le sens de la Convention.
Mme Meredith: Lorsque vous parlez de conciliation vous dites également dans votre mémoire:
- Jusqu'à maintenant, les États-Unis ont donc réussi à bien concilier le respect de la volonté des
demandeurs d'asile et un examen rigoureux des liens de la personne dans d'autres pays...
J'imagine que d'après ce que vous dites, les États-Unis ne sont peut-être pas aussi méchants...
M. Frelick: Dans mon témoignage écrit, j'indique que le moment choisi pour ce protocole tombe à point nommé; en d'autres termes, l'année dernière à la même époque, je ne crois pas que le Canada aurait voulu conclure une entente de ce genre en raison du traitement accordé aux Haïtiens et de la situation en Haïti.
Tout au long des années 1980, vous aviez envisagé dans votre loi sur l'immigration de dresser une liste de tiers pays sûrs - je crois qu'il y en avait 68, environ. Si j'ai bien compris, le Canada ne souhaitait pas dresser une telle liste en raison des États-Unis. Or, nous sommes sur le point d'avoir une nouvelle loi qui modifiera considérablement certains points pertinents quant à un partenariat acceptable avec les États-Unis. Nous concluons une entente maintenant, alors qu'il y a un an, cela n'aurait pas été acceptable et dans six mois, cela risque de ne pas l'être non plus.
Effectivement donc, je dirais, tout comme vous, que la conduite des États-Unis est moins répréhensible qu'elle ne l'a été au fil des ans.
Mme Meredith: Permettez-moi de vous interrompre, car je crains manquer de temps. De quel délai disposons-nous... Vous dites qu'un projet de loi est en place. Vous avez parlé de six mois. Proposez-vous que nous reportions cette entente de six mois? Combien de temps faut-il prévoir pour que le projet de loi passe par toutes les étapes du système?
M. Frelick: Il s'agit de la session actuelle du Congrès. Le sénateur Simpson, comme vous le savez, prend sa retraite à la fin de la session du Congrès et je crois que le Congrès aimerait beaucoup adopter ce projet de loi avant son départ. C'est lui qui s'est occupé du dossier de l'immigration pendant de nombreuses années.
Je crois donc qu'il sera adopté au cours de la session actuelle du Congrès. Il est maintenant déposé à la Chambre et doit être examiné par la Commission judiciaire du Sénat. Je ne vois vraiment pas pourquoi ce projet de loi ne serait pas adopté au Congrès. Reste à voir ce qu'en fera le président.
C'est un projet de loi considérable, comme vous le savez probablement. Il vise essentiellement à diminuer les taux d'immigration et même à abaisser les taux d'admission de réfugiés, ce qui correspond aux recommandations du rapport de la Commission Barbara Jordan sur la réforme de l'immigration. Je crois donc que le président, surtout en cette année électorale, sera fortement encouragé à exercer son droit de veto. Je pense que ce projet de loi risque non seulement d'être adopté au Congrès, mais aussi de devenir loi, car ces dispositions, même si elles sont vraiment inadmissibles, se perdent dans le vaste débat sur l'immigration.
Mme Meredith: Quand prendront-elles force de loi? Il nous faut connaître cette date. Quel est le délai? Quelle date? D'ici six mois? Quand se termine la session?
M. Frelick: À la fin de l'année civile, je crois...
Mme Meredith: Vous parlez donc de décembre 1996.
M. Frelick: Oui. Il faudrait que je vérifie le calendrier du Congrès.
La présidente: Monsieur Dromisky.
M. Dromisky: Tout d'abord, madame la présidente, je crois que nous devons éclaircir un point. Nous avons beaucoup parlé des taux d'acceptation et je crois que nous ne savons pas que la façon de calculer les taux d'acceptation dans les deux pays est quelque peu différente. D'après ce que je comprends, les États-Unis comptent ceux qui sont acceptés, ceux qui sont rejetés plus ceux qui se désistent. Au Canada, nous n'incluons pas les désistements dans nos chiffres. Par conséquent, les chiffres sont différents. Nos jugements pourraient donc être faussés ou erronés en raison de ces chiffres. Est-ce exact?
M. Frelick: En fait, je crois que nous avons essayé de n'examiner que les cas acceptés, les cas rejetés...
M. Dromisky: Et non les cas de désistement.
M. Frelick: ...et de ne pas inclure les cas de désistement dans ces taux de 20 et de 70 p. 100. Nous n'avons donc pas englobé ces cas dans ces statistiques que nous avons essayé de rendre aussi cohérentes que possible.
M. Dromisky: En général, cependant, ce n'est pas ce que nous faisons. Vous l'avez fait.
M. Frelick: Je crois que cela se reflète toutefois dans les taux de 70 et de 20 p. 100.
M. Dromisky: Est-ce universel? Est-ce que chaque pays utilise la même approche?
M. Frelick: Lorsque nous publions ces statistiques dans le World Refugee Survey par exemple, qui passe pour une bonne source de référence pour les gouvernements et les organisations non gouvernementales également, lorsque nous donnons les taux de l'Europe, du Canada, des États-Unis, nous essayons d'examiner uniquement les cas pour lesquels une décision a été prise.
M. Dromisky: Je m'inquiète étant donné que les demandeurs du statut de réfugié arrivent, dans leur grande majorité, par les États-Unis, étant donné que la définition de réfugié varie d'un pays à l'autre et étant donné qu'aux États-Unis surtout les écarts sont très particuliers, selon les positions et les rapports politiques entre pays à un moment donné. Compte tenu de ce que renferme ce projet de loi, il est fort probable, à mon avis et en réalité je crois, que les États-Unis finiront par filtrer les réfugiés qui arrivent sur le continent nord-américain - non seulement aux États-Unis, mais également au Canada. En d'autres termes, il est possible que les États-Unis prennent la responsabilité de la plupart des décisions au sujet des personnes susceptibles d'êtres considérées comme réfugiés au Canada ou aux États-Unis, à la lumière des dispositions de ce projet de loi.
M. Frelick: Je pense qu'il est juste de dire que tel serait l'effet du protocole d'entente. Beaucoup plus de personnes cherchant à se rendre au Canada à partir des États-Unis seraient renvoyées aux États-Unis, que l'inverse.
Est-ce bien ce que vous voulez dire? Je n'en suis pas sûr. Je dirais que tel semble être le cas.
M. Dromisky: Oui, mais je vais un peu plus loin. Je parle du point d'entrée et du fait que des décisions doivent se prendre avant un certain nombre d'heures. Or, à ce moment-là, des décisions pourraient être prises au sujet du contrôle du mouvement de réfugiés. Nous pourrions les mettre en détention, car notre définition risque de ne pas correspondre à celle des Américains à ce moment-là.
M. Frelick: Surtout si les dispositions sommaires d'exclusion sont prévues à l'arrivée à l'aéroport ou à l'arrivée au point d'entrée. Le point d'entrée n'est pas nécessairement un aéroport. Les réfugiés peuvent arriver par bateau, par exemple.
Si une limite de 30 jours est fixée pour le dépôt des demandes, vous combinez cette limite de 30 jours prévue pour le dépôt des demandes du côté américain avec une limite de dix jours pour le transit du côté canadien. Beaucoup de personnes - comme Marta, la Guatémaltèque, dont l'histoire vous a été racontée plus tôt aujourd'hui - seraient inadmissibles du côté américain et ne seraient pas non plus admises du côté canadien.
M. Dromisky: Prenons un exemple simple. Le responsable aux États-Unis déclare au demandeur qu'il ne peut pas être considéré comme un réfugié éventuel parce que rien de ce qu'il a présenté n'appuie sa demande. Par conséquent, on lui dit de retourner dans son pays et on ne le laissera pas entrer même si son intention est d'aller au Canada. On lui dit qu'il n'est pas un réfugié et que ce sont les États-Unis, et non le gouvernement canadien, qui prennent la décision.
M. Frelick: Oui, je crois que ce genre de situation pourrait se produire.
M. Dromisky: D'accord, donc cela pourrait se produire.
M. Frelick: Si je comprends bien ce que vous êtes en train de dire, oui, de toute évidence c'est possible.
M. Dromisky: Même si nous, de l'autre côté de la frontière, pouvions déclarer que cette personne est un réfugié légitime et que nous l'accepterions?
M. Frelick: Oui.
M. Dromisky: Cette personne est donc perdante.
M. Frelick: Je pense qu'en ce qui concerne surtout l'attribution de la responsabilité, on ne tient pour ainsi dire aucun compte de l'intention des demandeurs. Par exemple, lorsqu'ils ont de la famille des deux côtés de la frontière, c'est un bureaucrate qui va décider qui constitue le parent le plus proche. Or, le réfugié sera porté à se tourner vers le parent qui est le mieux en mesure de l'aider et le mieux disposé à le faire. Ce n'est pas forcément le parent le plus proche. C'est peut-être la personne qui est financièrement en mesure de l'aider.
J'aimerais à nouveau ajouter que depuis janvier 1995, c'est-à-dire la réforme de l'asile aux États-Unis, une disposition prévoit qu'au cours des six premiers mois après une demande d'asile aux États-Unis, le demandeur d'asile n'a ni le droit de travailler, ni le droit de recevoir une aide publique. Essentiellement, au cours des six premiers mois après qu'une personne a demandé l'asile aux États-Unis, elle doit se débrouiller par ses propres moyens et compter essentiellement sur le soutien de membres de sa famille et d'amis si elle veut survivre au cours de cette période.
La présidente: J'aimerais savoir si les membres veulent continuer ou non. Je crois comprendre que certains d'entre vous ont d'autres réunions. Dans mon cas, il m'est impossible de rester au-delà de 11 h 30. Voulons-nous que la réunion dure jusqu'à 11 h 30?
D'accord, nous aurons une autre série de questions.
[Français]
Faites ce que vous voulez faire, monsieur Nunez. On vous en donne l'occasion.
M. Nunez: Merci beaucoup. Parfois je suis très d'accord avec vous.
On a entendu des rumeurs voulant qu'il y ait des divergences au sein de l'administration américaine concernant les avantages de cette entente. On se demande s'il faut la signer ou pas. Quant à moi, j'ai entendu dire que le Secrétariat d'État voulait signer cette entente, mais que les autorités de l'immigration n'y étaient pas très favorables. Avez-vous plus d'information sur ces divergences étant donné que vous êtes à Washington, aux États-Unis?
[Traduction]
M. Frelick: De toute évidence, nous ne sommes pas au courant de toutes les discussions qui se déroulent au sein de notre administration derrière des portes closes. Cependant, c'était manifestement le cas au cours des administrations Bush et Mulroney, lorsque cette question avait surgi antérieurement, cela ne faisait aucun doute à l'époque. Il est devenu assez évident que le Service de l'immigration et de la naturalisation était fermement opposé à une entente à cette époque.
Je reviendrai; j'irai ici et là. Demain nous aurons une autre réunion avec les représentants de notre gouvernement. Nous en apprendrons peut-être plus, même si je suppose qu'ils feront front commun au stade où se tiendra cette réunion. Cependant, je pense qu'il est juste de dire que les arguments qui ont été avancés en faveur de l'entente concernent surtout l'établissement d'une relation générale en matière de politique étrangère, par exemple, avec le Canada et l'élaboration d'ententes futures, ce qui est davantage dans l'intérêt du Département d'État.
Il ne fait aucun doute qu'à court terme - et je ne parle pas du court terme immédiat, en raison des exceptions et de certains articles qui parlent de 150 pour la prochaine année environ... Lorsque cette entente entrera réellement en vigueur, il ne fait aucun doute qu'elle représentera un fardeau supplémentaire pour le Service de l'immigration et de la naturalisation. C'est l'évidence même.
Sans vouloir les dénigrer, les bureaucrates ne tiennent pas particulièrement à ce que leur charge de travail augmente. Il va sans dire que ce n'est pas une initiative qui les enthousiasme particulièrement.
[Français]
M. Nunez: Concernant le refoulement massif d'Haïtiens et de Cubains, les boat people, quelles sont les dispositions précises de la loi américaine qui ont été violées lorsque cela s'est produit? Est-ce que cette décision de refouler massivement les demandeurs d'asile sans les entendre a été contestée devant les tribunaux aux États-Unis?
[Traduction]
M. Frelick: Oui. Cette affaire a été portée devant la Cour suprême des États-Unis. Il s'agissait de l'affaire Sale c. Haitian Centres Council. Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à titre d'intervenant bénévole, a plaidé devant la cour en faveur des demandeurs haïtiens en déclarant qu'il s'agissait d'une violation de la Convention sur les réfugiés. Elle l'a indiqué très clairement. La Convention sur les réfugiés interdit de renvoyer un réfugié, de quelque manière que ce soit, dans un pays où sa vie ou sa liberté serait en danger.
En utilisant un raisonnement que je qualifierais d'alambiqué, la cour a déclaré que pour qu'il y ait retour, il doit y avoir eu entrée et comme l'entrée de ces personnes en eaux internationales était interdite, la cour en a conclu qu'elles n'étaient jamais entrées au pays et que par conséquent en principe, elles n'étaient pas renvoyées. Or, en fait, elles l'ont été. Cela était évident pour tout le monde.
La cour a autorisé leur retour sommaire et cela a créé un précédent qui à mon avis continue d'avoir des ramifications tant aux États-Unis que partout dans le monde.
En ce qui concerne particulièrement les procédures de sélection à bord des navires, les nouvelles procédures s'appliquent uniquement aux Cubains. Elles sont établies en fonction de nationalités particulières. Si la présence des Cubains est interdite en haute mer, alors essentiellement on leur lit leurs droits et on leur dit qu'ils peuvent faire l'objet d'une sélection préliminaire à bord du navire avant d'être renvoyés à Cuba, ou sinon, que leur demande peut être traitée dans leur pays par l'intermédiaire de la section des intérêts américains à la Havane.
Il n'existe à l'heure actuelle aucune directive permanente visant les ressortissants d'autres pays, y compris les Haïtiens. Donc, essentiellement, nous sommes revenus à la situation qui existait au début des années 80, c'est-à-dire l'interdiction conjuguée au retour sommaire et aucune sélection pour les autres nationalités.
M. Flis (Parkdale - High Park): Si je répète une question, retirez-moi alors mon droit de parole, madame la présidente.
Je suis député depuis 12 ans. Le personnel de mon bureau de circonscription à Toronto consacre 60 à 80 p. 100 de son temps à aider les demandeurs d'asile, à s'occuper de cas d'immigration, etc. Nous devons d'une certaine façon réduire le temps que nous consacrons à cette tâche et si une entente peut le permettre... Je n'ai tout simplement pas les ressources humaines nécessaires pour que mon personnel consacre 60 à 80 p. 100 de son temps à des questions concernant les réfugiés et l'immigration. Je ne sais pas si vous considérez qu'une telle entente pourrait réduire entre autres les délais de traitement.
Ma question concerne l'aspect sécurité. Avant que le demandeur soit admis, il doit subir une vérification de sécurité. Si la demande est traitée aux États-Unis, est-il possible qu'on refuse l'admission au demandeur par suite de la vérification de sécurité si le demandeur vient de Cuba ou du Salvador, etc., tandis que si la vérification de sécurité était faite par le Canada, le Canada donnerait le feu vert? Je me demande si nous pourrions avoir des éclaircissements à ce sujet.
M. Frelick: Encore une fois, je ne suis pas entièrement sûr... Vous êtes en train de parler dans le contexte d'une demande d'asile?
M. Flis: Oui. N'est-il pas vrai que le demandeur devra tôt ou tard subir une vérification de sécurité?
M. Frelick: Oui, je pense que c'est le cas dans les deux pays.
M. Flis: C'est exact.
M. Frelick: Je ne vois pas la différence.
M. Flis: Est-ce que ces vérifications de sécurité s'effectuent selon les mêmes normes?
M. Frelick: Je l'ignore. Je n'ai pas les compétences requises pour répondre à cette question.
M. Flis: Je pense que cela est très clair, à cause de la différence en matière de politique étrangère avec certains pays. Le Canada pourrait admettre le demandeur par suite de la vérification de sécurité. Les États-Unis pourraient lui refuser l'entrée.
M. Frelick: Je ferai le commentaire suivant en ce qui concerne l'importance qui est accordée aux infractions criminelles. Par exemple, si une personne entrait aux États-Unis en transportant une petite quantité de drogue - l'exemple que j'ai donné plus tôt - cela anéantirait pratiquement ses chances de voir sa demande d'asile examinée. Or, je crois comprendre qu'au Canada, la gravité du crime serait évaluée en fonction de la gravité de la persécution dont elle pourrait faire l'objet à son retour, ce qui correspond à la norme appropriée établie par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. C'est là le genre de différences qui existent entre les deux systèmes de gouvernement.
M. Flis: Donc la question d'équité se pose lorsqu'un demandeur d'asile est accepté et qu'un autre voit sa demande rejetée.
M. Frelick: Oui. En ce qui concerne un Iranien, par exemple, qui aurait non seulement des antécédents politiques, puisqu'il aurait été un dissident politique mais qui en plus serait connu comme un ancien trafiquant de stupéfiants, le gouvernement iranien n'hésite pas à exécuter sommairement des gens non seulement pour dissidence politique mais aussi pour trafic de stupéfiants. Les conséquences risquent donc d'être très graves pour des gens susceptibles d'être renvoyés du Canada ou des États-Unis dans un pays comme l'Iran et qui, en plus de leurs activités politiques ou de la crainte de persécution, ont un casier judiciaire. Ces cas ne sont pas rares.
Je crois que le Canada a compris cela et a prévu des dispositions pour ce genre de situations qui sont tout à fait humaines à mon avis, alors que les États-Unis ont essentiellement traité ce genre de cas de façon très tranchée. En fait, dans la Loi sur l'immigration de 1990 et dans le projet de loi en cours, les États-Unis sont en train d'élargir la définition de criminels graves afin de les exclure du droit d'asile dans la Loi sur l'immigration.
La présidente: Monsieur Wappel.
M. Wappel: Merci. Je serai bref.
Je vois où on veut en venir mais je tiens à vous assurer que mes électeurs ne sont absolument pas intéressés à accorder le droit d'asile à des trafiquants de stupéfiants, peu importe le sort qui les attend à leur retour dans leur pays d'origine.
Tous les témoins ont signalé le terrible arriéré de 450 000 demandes du système américain. Je me sens obligé de signaler qu'il s'agit d'une partie infime de la population des États-Unis. Si nous divisons ce nombre par dix, ce qui équivaut à peu près au pourcentage de la population au Canada, nous obtenons un arriéré d'environ 45 000 demandes, et il ne fait aucun doute que notre pays a connu des arriérés au moins deux fois plus élevés. Par conséquent, je ne considère pas que ce soit un grave scandale international d'avoir 450 000 personnes qui attendent de recevoir le statut de réfugié ou dont les audiences d'immigration sont retardées aux États-Unis, sur une population de 300 millions.
J'ai une question très précise. En passant, je tiens à vous remercier pour votre mémoire. Dans votre lettre à Janet Reno et à Warren Christopher, qui a été signée entre autres par le Lawyers Committee for Human Rights, vous déclarez dans le deuxième paragraphe que le principe du magasinage des pays d'asile «va clairement à l'encontre d'un principe accepté internationalement et inscrit dans la conclusion no 15 du Comité exécutif du HCNUR». Je dois donc en déduire que ce n'est pas la conclusion no 15 du Comité exécutif du HCNUR qui en fait un principe accepté internationalement; elle se contente de le reformuler. Quelle est l'autorité à laquelle nous pouvons faire appel pour confirmer cette sèche déclaration selon laquelle ce qui est énoncé dans la conclusion est en fait un principe accepté internationalement? Je veux dire par là un principe accepté particulièrement par le Canada et les États-Unis.
M. Frelick: Il n'est manifestement pas accepté si ces deux pays sont en train de conclure un protocole de ce genre; ils ne l'ont donc pas accepté. Dans la jurisprudence que j'ai mentionnée, le droit américain indique expressément que la seule condition qui rend une demande d'asile inadmissible, c'est l'établissement ferme dans un pays tiers. Ce n'est pas d'avoir transité par un pays tiers...
M. Wappel: Je crois que vous m'avez mal compris. Votre lettre déclare catégoriquement qu'il existe un principe accepté internationalement, qui est repris dans la conclusion no 15. Quel traité, quel accord, quel protocole pouvez-vous nous citer, d'envergure internationale, où ce principe se trouve inscrit?
M. Frelick: Il est tiré de la conclusion no 15 qui constitue l'interprétation de la Convention de 1951 qui énonce qu'aucun demandeur ne doit voir sa demande refusée uniquement parce qu'il a pu présenter une demande dans un pays tiers.
M. Wappel: D'accord. Donc vous témoignez qu'une conclusion tirée par le comité exécutif...
M. Frelick: Qui se compose de représentants du gouvernement.
M. Wappel: ...qui se compose de qui vous voudrez - devient automatiquement une norme acceptée internationalement simplement parce qu'il s'agit d'une déclaration du Comité exécutif? Est-ce le témoignage que vous présentez aujourd'hui?
M. Frelick: Il n'existe aucune conclusion du comité exécutif qui indique le contraire.
M. Wappel: Ma question est simple. Est-ce le témoignage que vous présentez - à votre connaissance, parce que je ne connais pas bien vos antécédents... Une conclusion tirée par le comité exécutif du HCNUR devient-elle un principe accepté internationalement?
M. Frelick: Le comité exécutif établit les normes et les principes en vertu de la Convention de 1951 et du protocole sur les réfugiés, effectivement.
M. Wappel: Par conséquent, vous témoignez que le Canada et les États-Unis vont clairement à l'encontre de principes acceptés internationalement.
M. Frelick: Oui.
M. Wappel: D'accord. Merci.
La présidente: Je tiens à remercier M. William Frelick d'avoir comparu devant le comité.
Notre prochaine réunion aura lieu mardi matin mais je vous conseille de vérifier l'avis car il possible qu'elle débute à 10 heures au lieu de 9 heures. Je vous remercie beaucoup.
La séance est levée.