[Enregistrement électronique]
Le mardi 26 mars 1996
[Traduction]
La présidente: Bonjour, chers collègues. Nous allons commencer.
Le Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration, conformément à l'article 108(2) du Règlement, poursuit son étude sur le projet d'entente paraphé par le Canada et les États-Unis concernant les demandeurs d'asile.
J'aimerais accueillir notre premier témoin, M. William Bauer.
Vous pouvez commencer dès que vous êtes prêt, et vous avez dix minutes.
M. William Bauer (témoignage à titre personnel): Merci, madame la présidente.
Je pourrais peut-être vous dire quelques mots sur mes antécédents car vous vous demandez peut-être comment il se fait que je me retrouve ici comme témoin et qu'elles sont mes qualifications.
La présidente: Allez-y, je vous en prie.
M. Bauer: J'ai été fonctionnaire auprès du ministère des Affaires extérieures, qui est maintenant le ministère des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, de 1952 à 1989, année de ma démission. Ensuite, après un bref interlude, je suis devenu membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Pour dissiper tout malentendu quant aux raisons de ma nomination à cette commission, après en avoir été membre pendant presque quatre ans, j'ai indiqué longtemps avant la fin de mon second mandat que je n'en souhaitais pas un troisième.
Pendant mon séjour aux Affaires extérieures, j'ai été posté dans de nombreux pays spécialistes en persécution, spécialistes en fermeture des frontières dans un sens ou dans l'autre. Ces pays ont inclus la Pologne à l'époque stalinienne et le Vietnam du Nord.
J'ai travaillé pour le comité intergouvernemental sur les flux migratoires européens comme représentant du Canada au début des années soixante. Vous vous souviendrez probablement qu'il s'agissait d'un groupe de représentants des pays industrialisés qui organisait l'immigration des personnes déplacées - qui par la suite prenaient techniquement l'appellation de réfugiés - principalement vers le Canada, les États-Unis et l'Australie.
J'ai été ambassadeur en Thaïlande en 1975 et j'ai alerté le gouvernement canadien sur le problème des réfugiés indochinois qui commençaient à s'amplifier à cette époque en Thaïlande. J'ai participé à ce programme pendant tout mon séjour en Thaïlande jusqu'en 1979.
J'ai été l'ambassadeur du Canada auprès de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe. À ce titre j'étais certainement considéré comme étant à la tête de la plus forte délégation sur les droits de l'homme et sur le droit des personnes à quitter leur pays et à être réunifiées avec leurs familles. Donc, les problèmes de persécution dans le monde ou les problèmes des réfugiés authentiques ne me sont pas inconnus.
Mon passage à la commission m'a persuadé de l'existence d'un problème croissant dans le domaine de la reconnaissance du statut de réfugié et je suis en train d'écrire un livre sur le système de reconnaissance du statut de réfugié au Canada. Un livre sur ses antécédents, son fonctionnement, ses problèmes, son imbrication dans l'énorme problème que posent au monde entier les flux migratoires et la menace et le discrédit que ces derniers font peser sur ce système de reconnaissance de statut de réfugié aux yeux des populations qui jusqu'à présent le soutenaient.
Cela dit, votre étude porte sur l'entente entre le Canada et les États-Unis concernant les demandeurs d'asile. Je l'ai lue avec le plus d'attention possible dans les brefs délais dont j'ai disposés et j'ai aussi lu les arguments favorables ou défavorables des divers groupes qui sont venus témoigner devant vous.
Je connais la plupart de ces arguments et je les ai déjà entendus. Je suis un peu désavantagé. La majorité de ceux qui ont comparu devant vous représentent quelque chose. La division nationale du droit de l'immigration représente les avocats spécialisés dans les questions d'immigration au Canada. Leurs clients sont les demandeurs de statut de réfugié et ceux et celles qui veulent immigrer au Canada. Le succès de leurs cabinets dépend de l'efficacité de leur représentation. Certains d'entre eux se font des millions de dollars par an. C'est un groupe de pression. Je ne suis pas un groupe de pression. Je ne suis pas épaulé par les ressources d'un groupe de pression et mes arguments ne sont pas ceux d'un groupe de pression.
Cela fait des années que je connais le professeur Hathaway. Sa position est très tranchée, il l'a fonde sur une masse de référence qu'il présente avec éloquence. C'est un universitaire. Je crois qu'il n'a jamais suivi une audience de la commission. Il étudie la loi. Il étudie les précédents. Il étudie la jurisprudence. Il donne des références et il est très bon. Mais il a un point de vue et je connais très bien son point de vue. Pour l'essentiel il veut élargir au maximum la définition pour qu'elle s'applique à tous les pays qui accueillent des réfugiés ou des demandeurs de statut de réfugié.
Le Conseil canadien des réfugiés de toute évidence est ouvertement un groupe de pression qui représente des centaines d'organismes, je suppose, divers groupes ethniques et ceux qui veulent augmenter l'influx d'immigrants et de réfugiés.
Je ne suis que moi et vous me pardonnerez si je n'ai pas à ma disposition toutes les ressources et tous les arguments que certains de vos témoins précédents maîtrisaient et qui, à franchement parler, dans certains des cas que j'ai pu observer, s'écartaient un peu du sujet et faisaient appel, dans une certaine mesure, plus aux sentiments qu'à la réalité.
J'aimerais replacer cette entente dans le contexte de problèmes pratiques qui ne cessent de croître dans le domaine de la politique des flux migratoires et des réfugiés.
Personne ne peut le certifier, mais la majorité des spécialistes dont j'ai lu les études estiment qu'il y a probablement une centaine de millions de candidats à l'immigration dans le monde aujourd'hui. Sur cette centaine de millions, probablement environ 20 millions correspondent à la définition de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et relèvent de la responsabilité de cette instance qui bien entendu est financée par des pays comme le Canada, pour leur assurer un toit, de la nourriture et des soins. Pour la plupart ils sont de l'autre côté de la frontière... les réfugiés rwandais sont un exemple typique. On ne pourra jamais oublier l'horreur des camps dans lesquels ils vivent au Zaïre et leur problème constant chaque fois que les autorités zaïroises leur disent: «Nous ne voulons de vous ici; nous allons vous renvoyer manu militari au Rwanda. Vous êtes peut-être Hutus et vous vous ferez peut-être massacrer mais nous n'en avons cure. Nous avons fait notre travail».
Pendant les années soixante et les années soixante-dix les Thaïlandais et les Malaysiens ont accueilli des camps de réfugiés en provenance du Laos, du Cambodge et du Vietnam, mais ils leur ont rendu la vie très difficile car ils ne voulaient pas que ces gens s'installent en permanence et ils ont exercé d'énormes pressions sur les pays occidentaux pour qu'ils absorbent les réfugiés qui se trouvaient dans ces camps, parfois depuis des années. Ils ont fait un excellent travail.
Quand on parle de réfugiés, il ne faut pas oublier que ce concept n'a une définition juridique que depuis fort peu. Le Canada n'a ratifié la convention de 1951 que 18 ans après sa négociation, en 1969, et c'était deux ans après le protocole de 1967 qui a simplement étendu cette convention aux personnes étant devenues réfugiées après 1951. Mais c'était la première fois qu'un régime international était appliqué aux réfugiés.
En plus des 25 millions de victimes de déplacements internes, qui se trouvent toujours dans leur pays mais qui ne peuvent vivre dans certaines régions pour des raisons de guerres civiles, de persécution... C'est le cas de l'ex-Yougoslavie. Vous connaissez très bien le cas de ces populations déplacées. Beaucoup se retrouvent en Allemagne, au Canada, en France, partout en Europe et en Amérique du Nord mais il y en a encore énormément qui se trouvent toujours en ex-Yougoslavie et qui ne pourront probablement jamais retrouver leur maison. Dans certaines républiques de l'ex-Union soviétique, des populations ont été victimes de déplacements internes.
Ce sont ces gens que je qualifie de réfugiés au sens large ou étroit du haut commissariat. En plus de cela, il y a probablement 60 ou 70 millions de personnes qui se déplacent dans le monde pour améliorer leur sort économique, leur vie, mais qui ne sont pas considérées comme de vrais réfugiés selon la définition même la plus large de réfugié en droit international. Ce sont des émigrants économiques. Ce sont des candidats permanents à l'immigration et le monde en a toujours compté.
Je crois que cette situation a fini par provoquer une crise dans le domaine de l'immigration et il est tout à fait évident que de nombreuses personnes utilisent le système de reconnaissance de statut de réfugié pour contourner les procédures d'immigration. Environ 16 p. 100 des immigrants acceptés chaque année par le Canada sont choisis par le gouvernement sur la base de la contribution qu'ils sont susceptibles d'apporter à la société canadienne ou à l'économie canadienne. Pour le reste, il s'agit de réunification familiale et de réfugiés.
Cela signifie que la nature du Canada est déterminée par d'autres personnes que les Canadiens, dans une certaine mesure. Je ne suis pas venu ici pour en discuter. C'est une décision politique que prennent les gouvernements sur la base de ce qu'ils estiment acceptable par l'opinion publique. Mais le simple volume de mouvements de population et la tendance des candidats à l'immigration à prétendre au statut de réfugié, avec l'aide d'organismes très puissants... les triades à Hong Kong, la mafia, un certain nombre de groupes criminels internationaux, aident des centaines de milliers de personnes à se déplacer illégalement pour d'énormes sommes d'argent. Selon maints experts, ce trafic rapporte plus actuellement aux organisations criminelles internationales que le trafic de la drogue.
Les gens viennent ici de Fujian en Chine. Ils paient de 20 000 à 30 000$ pour venir. Ils se retrouvent esclaves pour le reste de leur vie, à travailler dans des restaurants, pour des gangs. Leurs familles chez eux doivent sans cesse envoyer plus d'argent.
Ce ne sont pas des flux spontanés, ce sont des flux organisés.
Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés... le haut commissaire elle-même, je crois, a déjà plusieurs fois clairement dit sa crainte que le système de reconnaissance du statut de réfugié, le système de protection des réfugiés, ne soit menacé. Des gouvernements en Europe - les témoins que vous avez entendus vous l'ont dit - renforcent progressivement les contrôles car leur population commence à se sentir la cible de flux massifs de gens qui ne sont pas des réfugiés mais qui prétendent l'être. J'estime que l'entente dont vous êtes saisie - et après cette petite introduction je préférerais simplement répondre à vos questions plutôt que d'essayer de brosser un tableau de l'ensemble de la question - est une mesure très modeste, à mon avis, parmi celles qui permettront de régler ce problème particulier.
Il y a 450 000 dossiers en souffrance aux États-Unis - 200 000 ou 250 000 pour l'Amérique latine, sans inclure les 200 000 Salvadoriens qui sont accueillis par les États-Unis depuis dix ans et que leur propre gouvernement qui censément les persécute, incite à demander l'asile aux États-Unis afin qu'ils puissent continuer à envoyer des dollars américains chez eux. Il arrive qu'on retrouve à nos frontières ceux qui n'ont pas été acceptés aux États-Unis. Et croyez-moi, ce sont des candidats à l'immigration, ce ne sont pas des réfugiés dans la majorité des cas. Ils ont vécu à l'aise aux États-Unis et ils peuvent maintenant vivre en toute sécurité dans leur propre pays. Il y en a encore 150 000 de la Chine, l'Europe de l'Est, d'Asie et d'Afrique. Mais il y en a 600 000 qui attendent et ceux qui sont rejetés poursuivront probablement leur chemin, et une des destinations est justement le Canada.
Cette entente rendra peut-être possible la réglementation de ce problème. Cependant, j'estime que régler le cas de ces 600 000 personnes n'est qu'un tout petit début. Étant donné la situation il y aura encore beaucoup à faire.
Je répète que selon moi l'important est de préserver l'intégrité du système d'accueil des réfugiés, de maintenir l'intégrité du système de reconnaissance du statut de réfugié et d'éviter que de plus en plus l'opinion publique condamne ce système pour ces abus.
La présidente: Merci, monsieur Bauer.
Je serai un peu plus généreuse car nous n'aurons pas de troisième témoin.
[Français]
Monsieur Nunez, vous avez dix minutes.
M. Nunez (Bourassa): Merci, monsieur Bauer, pour votre présentation qui, malheureusement, n'a pas abordé le projet d'entente.
Vous en êtes resté au niveau des considérations générales et vous avez fait un plaidoyer que je considère anti-immigrants et anti-réfugiés. Vous n'avez pas démontré non plus beaucoup de considération pour la profession d'avocat. Vous croyez qu'ils viennent ici soutenir certains principes par intérêt monétaire. Je pense connaître la profession d'avocat; je l'ai été pendant plusieurs années. Or, je n'ai jamais été riche.
Vous savez, il y a des gens qui sont venus ici et qui ne sont pas avocats, mais experts, professeurs d'université, etc. Vous savez aussi qu'il y a beaucoup d'organismes qui s'opposent à ce projet d'entente, notamment les Églises. Quelles accusations pouvez-vous porter contre les Églises, et au Canada et au États-Unis? Ce sont des gens qui jouissent du plus grand prestige moral possible, et au Canada et aux États-Unis, et ils se sont prononcés sur des questions de principe.
Malheureusement, vous n'avez pas discuté de l'entente du point de vue des problèmes concrets qu'elle soulève, par exemple quant à la protection qui est offerte aux réfugiés aux États-Unis et au Canada. Ne reconnaissez-vous pas que le niveau de protection que les lois assurent aux réfugiés aux États-Unis est inférieur au niveau de protection offert au Canada et que les critiques formulées au cours des témoignages antérieurs sont très fondées à cet égard?
Connaissez-vous, monsieur Bauer, le problème des Haïtiens, ces boat people qui ont été refoulés avant même qu'ils puissent déposer une demande et que la demande puisse être examinée par les États-Unis? Vous savez que c'est un principe général reconnu dans la Convention de Genève que tout le monde, entre autres les réfugiés, a le droit de déposer une demande et que cette demande doit être entendue. Or, ce n'est pas le cas aux États-Unis. Pouvez-vous nous dire quelques mots à propos du niveau de protection qu'accordent les États-Unis? Selon vous, est-ce suffisant? Est-ce que, selon vous, c'est le même niveau qui est offert par le Canada?
[Traduction]
M. Bauer: Monsieur Nunez, je n'ai jamais dit que je n'aimais ni les avocats ni les représentants des Églises ni les universitaires. J'ai simplement dit - et il suffit de lire leurs documents pour en être convaincu - qu'ils défendent un point de vue spécial. Ils ne voient absolument rien de positif dans cette entente. Nombre de leurs arguments - si j'avais le temps ce matin je pourrais revenir sur le mémoire des avocats et citer certains de leurs arguments qui font simplement appel aux sentiments et certains des faits qu'ils présentent qui sont tout simplement faux.
Cela ne discrédite en aucun cas - je croyais m'être bien fait comprendre - ceux qui présentent ces mémoires conformément aux souhaits de l'organisme ou du groupe de pression qu'ils représentent. C'est leur travail. Je dis simplement qu'il faut prendre les arguments de ces personnes et de ces groupes intéressés avec un grain de sel. C'est tout. Je ne voulais médire de personne. Et je suis certain que les Églises sont tout aussi bien intentionnées.
Vous m'avez posé une question sur la différence de degré de protection qui selon vous est largement inférieur aux États-Unis par rapport au Canada. Je ne reviendrai pas sur le cas d'Haïti car j'ai tendance à être d'accord avec le haut commissaire des Nations Unies qui juge que c'est une abrogation d'obligations, ou que ce pourrait l'être, en vertu du protocole de 1967. En revanche, je me souviens également du tollé au Canada au milieu des années quatre vingt quand seulement 13 personnes sont arrivées dans un bateau en Nouvelle-Écosse. Cela a provoqué tout un remue-ménage dans le pays que personne n'a jamais oublié et en fait cela a mené à l'introduction de changements radicaux dans la loi. Maintenant quand vous parlez de dizaines de milliers...
Il faut distinguer, monsieur Nunez, entre la réaction du public et la réaction des politiciens à l'opinion, entre ce qui est légal et ce qui ne l'est pas, entre ce que nous aimerions faire et ce qu'il ne faudrait pas faire.
Ce qu'il faut comprendre, c'est que si la population canadienne finit par avoir l'impression d'être manipulée par de faux revendicateurs du statut de réfugié, tout le régime sera menacé. Les politiciens se doivent de réagir à l'opinion publique sinon ils ne seront pas réélus.
Ce n'est pas ce que je souhaite, pas plus d'ailleurs que la plupart de ceux qui croient vraiment qu'il faut aider les réfugiés.
Si vous prétendez que la protection aux États-Unis est moindre qu'au Canada, je vous répondrai que les États-Unis viennent en deuxième place au monde dans leur acceptation des revendicateurs du statut de réfugié.
Deuxièmement, les Américains possèdent un régime juridique extrêmement sophistiqué dans ce domaine. Il est légèrement différent du nôtre, mais les revendicateurs du statut de réfugié ont pu s'adresser à la Cour suprême, comme ils le font au Canada, et on voit constamment infirmer des décisions. Il y a des sauvegardes.
J'entends constamment dire que les sauvegardes aux États-Unis sont inférieures à ce que l'on retrouve au Canada. Je conviens, monsieur Nunez, que les sauvegardes sont supérieures au Canada qu'aux États-Unis, et elles le sont à un point incroyable.
Nous sommes un pays ou un régime qui accepte - et les chiffres changent constamment - mais d'après mon expérience, nous acceptons 80 p. 100 des demandes présentées à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. On décide qu'il s'agit de réfugiés. Or je sais pertinemment que nombre des décisions rendues sont fondées sur des motifs erronés et sont de mauvaises décisions.
Il se peut que le fait que nous ayons un taux d'acceptation supérieur attire les fraudeurs au Canada de même que les vrais réfugiés. S'il en est ainsi, le Canada doit prendre des mesures pour régler ce problème. Sinon, tout le régime est menacé ainsi que les réfugiés authentiques.
J'espère que cela répond à votre question.
Vous laissez entendre que je n'aime pas les immigrants et que je n'aime pas les réfugiés. C'est une déduction tout à fait injustifiée et j'en suis offensé.
[Français]
M. Nunez: Ce sont les propos que j'ai entendus qui m'ont amené à faire ces commentaires. Naturellement, tout le monde est contre les abus. Le système doit protéger les vrais réfugiés, c'est certain. Mais en quoi cette entente fera-t-elle en sorte que le système soit plus juste et plus équitable à l'égard des vrais réfugiés?
Vous avez dit que les États-Unis sont le deuxième pays en termes d'accueil des réfugiés, de taux d'acceptation. Je vous dirai simplement que la Côte d'Ivoire a reçu un million et demi de réfugiés il y a quelques années. C'est un pays très pauvre du tiers-monde. Les États-Unis n'ont reçu que 2 p. 100 des réfugiés venant de l'Amérique centrale lorsqu'il y avait une guerre civile au Salvador et au Guatemala.
Il n'y a pas une vague d'immigration ici et ce gouvernement libéral accueille moins de réfugiés que les conservateurs, il y a quelques années. Pourquoi croyez-vous qu'on doive se protéger de cette façon par une telle entente? Quel est la gravité du problème si aujourd'hui on reçoit moins de réfugiés qu'il y a trois, quatre ou cinq ans, avant l'arrivée de ce gouvernement?
[Traduction]
M. Bauer: Brièvement, vous savez certainement, monsieur Nunez, que plus d'un million de Salvadoriens sont arrivés aux États-Unis depuis quinze ans. Un septième de la population du Salvador habite aux États-Unis. Je considère que c'est là un taux d'acceptation plutôt élevé.
M. Nunez: Il ne faut pas confondre immigration et statut de réfugié.
M. Bauer: Il s'agit des deux. Il y a deux millions de Salvadoriens qui sont là comme réfugiés, à qui on a donné asile, et ce sont justement ces personnes que le gouvernement du Salvador, qui, selon eux, est leur persécuteur, encourage à demander asile afin qu'ils continuent à recevoir des prestations des États-Unis qu'ils peuvent envoyer à leurs familles au Salvador. Il ne s'agit pas là de réfugiés, monsieur Nunez.
Le Zaïre a accueilli trois millions de réfugiés, mais sans qu'il y ait de processus officiel de détermination du statut de réfugié et sans que les réfugiés eux-mêmes aient le choix. Ils s'étaient sauvés vers le pays le plus près où ils pouvaient se soustraire au massacre. Qu'il s'agisse de la Côte d'Ivoire, du Libéria ou du Zaïre... Le Kenya a accepté les Somaliens évidemment, mais ce dont il est question ici je pense, c'est d'un système qui permet de déterminer qui est et qui n'est pas un réfugié. Manifestement, ceux qui fuient de l'autre côté d'une frontière, qui se sauvent au péril de leur vie sont des réfugiés, mais il n'y a pas de processus de détermination dans ces pays. Le taux d'acceptation est de 100 p. 100 et c'est le Haut Commissaire aux réfugiés des Nations Unies qui s'occupe de ces réfugiés dans les camps.
La présidente: Merci, monsieur Nunez. Madame Meredith.
Mme Meredith (Surrey - White Rock - South Langley): J'aimerais revenir à la question de l'entente. Si j'ai bien compris, vous appuyez cette entente. Vous avez bien dit qu'elle n'était pas aussi serrée que vous l'auriez souhaité, mais que vous estimez qu'elle permettra d'exercer un certain contrôle sur les revendicateurs du statut de réfugié qui se présentent au Canada?
M. Bauer: Je pense que cela empêcherait ceux qui ont été refusés au Canada d'aller aux États-Unis présenter une deuxième demande et vice-versa.
Comme la plupart d'entre nous, je suis persuadé qu'une personne qui fuit la persécution, qui fuit vers la sécurité, tient à obtenir cette sécurité dans le premier pays où elle se présente plutôt que de faire le tour afin de voir où les avantages sont supérieurs ou même de déterminer en se fondant sur je ne sais quelles données, dans quel pays il sera le plus facile d'être accepté. Je pense que l'entente évitera cette situation tout comme elle évitera celle où un revendicateur ne peut faire entendre sa demande dans ni l'un ni l'autre pays. C'est très clair.
Toutefois, l'entente comporte une lacune qui ressort de mon travail à la commission. De nombreuses personnes qui se présentent aux postes de douanes prétendent ne pas avoir de documents. Or, ce n'est pas toujours le cas puisqu'une fois qu'elles obtiennent le statut de réfugié, souvent ces personnes retournent dans leur pays d'origine, en visite, avec leur passeport. Nous le savons. Toutefois, si ces personnes prétendent ne pas avoir de documents, il devient impossible de vérifier leur identité. Il vous devient impossible de savoir si elles ont ou non des parents ici, par exemple, ce qui permettrait d'invoquer l'une de ces exceptions.
Un grand nombre de personnes qui se présentent à Fort Erie et à Niagara Falls n'ont aucune pièce d'identité quelle qu'elle soit. Elles arrivent aux États-Unis, parfois légalement, parfois en venant du sud, souvent via New York, San Francisco ou Seattle, par avion en provenance de l'Europe et parfois d'un autre pays où il était possible de demander l'asile et elles prétendent ne pas avoir de papiers, que l'agent a saisi leur passeport, qu'elles avaient de fausses pièces et les ont détruites.
À ce moment-là, la seule pièce d'identité de la personne, c'est sa parole. Il me semble qu'en théorie, on pourrait demander si la personne a des oncles, des tantes, des frères ou des soeurs au moins, ou un père au Canada. Elles répondraient oui. Elles peuvent peut-être même donner des noms. Il est possible d'organiser tout cela. Ça se fait et dans ce cas-là on n'a pas fait avancer les choses.
Si l'entente est mise en oeuvre telle quelle, évidemment, comme vous le savez, la première année, le maximum n'est que de 600 - et si les dispositions administratives en rendent l'application plutôt efficace, cela favorisera certains revendicateurs qui en ce moment ne réussissent pas à se faire entendre et cela découragerait ceux dont la demande n'est pas bien fondée mais qui tentent de faire accepter leur histoire ou une version modifiée là où ils peuvent. Ou encore - et cela ne donnerait pas de très bons résultats, l'entente pourrait aider ceux qui changent d'identité après avoir été refusés dans un pays pour se présenter ailleurs en affichant une identité différente.
C'est très compliqué et je pense que cette entente, tout en étant bien intentionnée, comporte un trop grand nombre de sauvegardes pour être aussi efficace que de nombreux députés et certainement le gouvernement le souhaiteraient. Je pense qu'il faudra attendre un an pour voir comment cela fonctionne. J'ai l'impression qu'ici et aux États-Unis, on s'adressera aux tribunaux. En fait, c'est toujours le cas. Il faudra un certain temps pour roder. Il faudra un certain temps pour pouvoir évaluer l'entente. Toutefois, je dirais que c'est un pas dans la bonne voie et ses lacunes ne proviennent pas du texte proprement dit. Elles proviennent plutôt de la négociation, d'une tentative de tout faire pour être juste et raisonnable, je pense. On profitera peut-être de cette entente, mais cette dernière permettra d'accomplir quand même quelque chose. Est-ce que cela répond à votre question?
J'éprouve de la difficulté à vous répondre par oui ou par non, car c'est une entente très complexe. Afin d'assurer toutes les sauvegardes voulues, on y a inclut de nombreuses exceptions et échappatoires. Je ne veux pas vous donner l'impression que je ne souhaite pas protéger les revendicateurs du statut de réfugié pendant l'étude de leur demande. Au contraire. Mais j'estime également qu'il ne faut pas, en offrant des sauvegardes et des garanties, permettre qu'on contourne l'esprit de la loi.
Mme Meredith: L'une des façons les plus simples d'éclaircir l'une des accusations lancées contre vous, à savoir que vous ne voulez pas voir de revendicateurs du statut de réfugié au Canada... Dites-nous, lorsque vous étiez à la commission, en quatre ans, vous avez évidemment jugé d'un grand nombre d'affaires. Avez-vous rejeté toutes les demandes? Avez-vous rendu des verdicts négatifs dans tous les cas?
M. Bauer: Non, évidemment pas. Je ne connais pas les chiffres. Les avocats reçoivent régulièrement les chiffres des décisions de chaque membre de la commission et donc c'est à eux qu'il faudrait demander mon taux d'acceptation. Personnellement, je n'étais pas mis au courant. Je dirais que j'acceptais probablement un tiers des demandes. Dans de nombreux cas, comment dire, le revendicateur ne répondait pas précisément à la définition prévue dans la loi. Ce qu'il avait vécu n'était pas de la persécution selon la définition des tribunaux ou de la loi. Mais j'acceptais leur demande aussi.
Il y a des circonstances spéciales où on se rend compte qu'une personne qui n'est peut-être pas persécutée au sens juridique éprouverait beaucoup de mal en retournant pour des raisons qui découlent de siècles de discrimination, en Asie, en Europe et en Afrique. Même s'il ne s'agissait pas de persécution, vous aviez l'impression d'être là pas uniquement pour appliquer la loi de façon implacable, mais pour faire des exceptions lorsque c'était raisonnable et si cela n'était pas contraire à l'esprit de la loi et de la convention.
Je pense que la convention de 1951 est l'un des joyaux du droit international et de l'aide que des pays du monde veulent apporter. Nous ne savions pas au Canada ce qui était un réfugié. Ceux-ci étaient inclus dans le nombre total d'immigrants et leurs dossiers étaient étudiés au cas par cas. Comme nous le savons tous, il y a eu des injustices. Au cours des années trente, on a refusé des personnes que nous aurions dû accepter. Très franchement, l'opinion publique s'opposait à l'immigration à une époque de crise économique, de chômage et de misère. Les gouvernements n'osaient pas faire d'exceptions.
Nous avons maintenant dépassé cette étape. Même si on mettait complètement fin à l'immigration, on ne mettra jamais tout à fait fin à l'accueil des réfugiés puisque nous avons, de bonne foi, ratifié la convention et le protocole. Nous allons nous acquitter de nos obligations, j'en suis persuadé. Et je veux que cela continue. C'est pourquoi j'estime qu'il nous faut prendre grand soin de ne pas donner d'armes aux extrémistes, qu'il soit de l'un ou de l'autre côté de la question.
Non. Je dirais un tiers, voilà la réponse à votre question et je pense que j'ai démontré que je ne suis ni contre l'immigration ni contre les réfugiés.
Mme Meredith: Merci.
La présidente: Madame Minna.
Mme Minna (Beaches - Woodbine): Merci, madame la présidente. J'aimerais revenir brièvement sur un autre aspect que vous avez mentionné précédemment dans votre exposé. Vous ne l'avez peut-être pas mentionné clairement, mais vous y avez fait allusion. Vous avez parlé à plusieurs reprises de la confiance, de l'opinion ou des sentiments du public en ce qui concerne le régime des réfugiés et vous avez dit que cette entente aiderait peut-être à maintenir, l'intégrité de ce régime. Pouvez-vous m'expliquer ce que vous entendez par là et comment vous envisagez la chose?
M. Bauer: Lorsque je parle de l'intégrité du régime, je dis essentiellement que le régime est conçu de telle sorte que ceux qui voudraient s'en servir froidement pour se soustraire aux procédures normales d'immigration ou pour donner asile à des terroristes ou à des criminels peuvent le faire facilement pour parvenir au Canada.
D'une façon générale, il y a un nombre élevé de cas très connus où des personnes ont abusé et ont été acceptées comme réfugiés; par exemple, l'épouse du général Aidid de Somalie. Voici un homme qui a tué plus de gens, torturé plus de gens, détruit plus de choses en Somalie que tout autre homme, à l'exception de Siyad Barré. Sa femme a obtenu le statut de réfugié parce qu'elle aurait été persécutée. Elle et ses enfants ont touché l'assistance sociale à London en Ontario et ensuite elle est retournée passer six mois en Somalie avec son époux.
On lit cela dans les journaux et on se demande, qu'est-ce que nous faisons? Est-ce que nous ne pouvons pas découvrir ce genre de choses plus tôt?
Le ministre de la Justice de la Somalie, sous l'ancien régime, a été accepté au Canada comme réfugié. Pourtant, comme ministre de la Justice, il a dû être responsable de la mort, de l'emprisonnement et de la torture de milliers de personnes. C'était bien connu. Lorsque la Commission du statut de réfugié a étudié le dossier, un des membres a donné de nombreuses raisons pour expliquer pourquoi cet homme ne pouvait pas être un réfugié. Comme vous le savez, quiconque a commis des crimes contre l'humanité ou contre les Nations Unies, est exclu de l'application de la convention sur les réfugiés et doit être déporté. Ces arguments étaient très persuasifs, mais un autre membre n'y attachait aucune importance et a rendu une décision favorable. Voilà, il n'y avait rien d'autre à faire.
Il y a eu une affaire récente à London, en Ontario. Je la connais; c'est un ami à moi qui a entendu l'affaire. La requérante avait une histoire merveilleuse sur la façon dont elle avait été poursuivie et torturée en Colombie où son mari avait été blessé d'une balle. À la fin, après avoir obtenu son statut de réfugié, elle a reçu un paquet de cocaïne de son mari. Elle est maintenant emprisonnée pour deux ans. Le juge lui a dit qu'elle n'était évidemment pas une réfugiée; elle a fort probablement été envoyée ici comme courrier et receleur de stupéfiants.
Mme Minna: Je suis au courant de ces histoires sensationnelles dont vous parlez. Que ce soit au Canada ou aux États-Unis, c'est presque inévitable, vu le nombre de réfugiés qui se présentent, que parfois, il y a des erreurs parce que le SCRS n'a pas fait les vérifications de sécurité au moment où le requérant se présente à la frontière, mais on finit par les identifier et, espère-t-on, les éliminer.
Je parle plutôt de l'ensemble du régime plutôt que des cas sensationnels que vous avez cités.
M. Bauer: J'ai simplement mentionné quelques affaires connues. Je pense qu'il y a un sentiment général... c'est certainement le cas à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié où un grand nombre de membres, que je respecte, considèrent que le système est un échec et que son administration n'assure pas la justice. Je ne peux pas parler avec la même certitude que les députés ici présents, mais j'ai certainement l'impression que le régime ne jouit pas de la confiance des Canadiens qui sont impartiaux et qui s'intéressent à la question.
On se retrouve avec des anecdotes comme preuve, je m'en rends compte. C'est très difficile de procéder autrement que par déduction. Toutefois, si l'on songe à ce qui s'est produit au cours des cinq dernières années en Europe, on a au moins une idée de l'incrédulité qui prend naissance chez le public lorsqu'un grand nombre de personnes que l'on considère être des réfugiés ne le sont pas.
Dans de telles circonstances, toute population commence à fléchir sous la pression et à réagir de manière émotive. C'est ce qui se produit ici. On a l'impression, d'une façon générale, que le régime ne fonctionne pas tout à fait comme il se doit, et cela peut s'aggraver, comme en Europe, avec le résultat que presque tous les gouvernements européens resserrent plutôt que d'assouplir leur régime.
Les Français qui ont une excellente réputation depuis toujours dans l'accueil des réfugiés et dans le droit d'asile, deviennent plus sévères que quiconque en Europe sous les pressions politiques. Je pense que cette tendance va s'accentuer encore dans les pays industrialisés si nous ne prenons pas de mesures pour nous assurer que le régime fonctionne équitablement et avec intégrité.
La présidente: Merci. Monsieur Dromisky.
M. Dromisky (Thunder Bay - Atikokan): Merci beaucoup. J'ai deux déclarations ou questions et elles sont interdépendantes. On a dit qu'aux États-Unis, le taux d'acceptation était différent de celui du Canada et que l'écart était important. Pouvez-vous nous en dire plus long à ce sujet. Les Américains appliquent-ils des procédures ou des critères différents ou sont-ils beaucoup plus sélectifs? Qu'en est-il au juste?
M. Bauer: Voilà une question très difficile. Dans une certaine mesure, j'aimerais dire que les taux ici sont plus élevés qu'aux États-Unis parce que nous avons inclus de nombreuses sauvegardes, y compris l'exigence que les deux membres doivent rendre une décision négative, mais que dans le cas d'une décision positive, il suffit d'un seul membre. Dans la plupart des pays maintenant, et c'est très récent, dans le cas d'une décision négative, le membre de la commission doit expliquer ses motifs par écrit au cas où l'affaire serait portée devant les tribunaux. Dans le cas d'une décision positive, il n'est pas nécessaire de faire quoi que ce soit.
La nature humaine étant ce qu'elle est, je pense que nous incluons aux niveaux administratif et quasi judiciaire un grand nombre de garanties qui favorisent les décisions positives. Je n'entrerai pas dans la question des préjugés personnels, bien que ce problème existe également. Je pense que le régime des nominations en est en partie responsable.
Notre régime est le plus ouvert, le plus positif, le plus accueillant au monde et c'est connu. C'est tout ce que je peux vous expliquer, plutôt que de pouvoir vous dire pourquoi les Américains ne viennent qu'au deuxième rang des grands pays d'accueil des réfugiés. Je regrette.
M. Dromisky: J'accepte votre réponse.
Vous avez parlé de préjugés personnels, mais peut-il en être ainsi d'une nation? Je reviens à cette loi. La vaste majorité des réfugiés arrivent dans un port aux États-Unis avant de venir au Canada.
M. Bauer: Les revendicateurs du statut de réfugié.
M. Dromisky: Les revendicateurs, excusez-moi. C'est le cas d'un grand nombre d'entre eux. Si un pays a une politique qui est biaisée d'une certaine façon, et comme ce sont les États-Unis qui sont les premiers à examiner les demandes de ces personnes, il est fort possible, à cause des dispositions sur les limites de temps prévues dans cette loi - 48 heures dans le cas du transport aérien et 10 jours par terre - qu'ils pourraient provoquer des retards et rejeter des gens que normalement, nous accepterions.
D'après ce que je peux voir, les États-Unis auront vraiment les coudés franchis ici. Ce pays pourrait décider qui pourra s'établir, en grand nombre, sur le continent nord-américain, sans que nous ayons notre mot à dire.
M. Bauer: Je ne pense pas qu'il en soit ainsi, monsieur. Il y a un arriéré de 450 000 dossiers. Les Américains n'incarcèrent pas ces personnes. Elles sont en liberté. Je pense qu'à l'heure actuelle, elles peuvent se procurer un permis de travail. Elles possèdent tous les avantages d'un immigrant reçu.
Je sais que très souvent, les missions américaines à l'étranger délivrent des visas de transit aux ressortissants de divers pays afin que ceux-ci puissent venir directement au Canada en passant par les États-Unis. C'est possible en 24 heures à partir de New York. Les groupements religieux ont un trajet établi où on va tout simplement chercher les gens à New York et les dépose à Tonawanda ou à un de ces endroits. Ensuite les avocats viennent de Niagara Falls et de Fort Erie et s'occupent des éléments de base.
À moins que le nom de quelqu'un ne figure sur une liste de personnes recherchées, à moins que vous ne soyez un terroriste ou un criminel ou quelque chose du genre, il suffit de dire: «Je revendique le statut de réfugié», et les Américains prendront vos données de base et vous relâcheront. Nombreux sont ceux qui ne se présentent pas aux audiences par la suite. Voilà une des raisons de l'arriéré énorme.
Je ne connais pas les derniers chiffres, mais il y a probablement deux à trois millions de personnes sans papiers qui errent aux États-Unis. Toutes ces personnes ne revendiquent pas le statut de réfugié, mais elles sont nombreuses à l'avoir fait. Il n'y a presque pas de contrôle.
Donc je ne pense pas que qui que ce soit coure des risques. Personne ne refoulera de revendicateurs. Les États-Unis, aux termes du droit international, ne peuvent pas renvoyer un Rwandais au Rwanda. C'est impossible sans tenir d'audiences, sans déterminer si la personne court en fait le risque d'être persécutée. Donc je ne pense pas que cela comporte de grands risques aux termes de cette entente.
Évidemment, cela va dans les deux sens, si j'ai bien compris, car l'entente ne vise pas uniquement ceux qui viennent au Canada, mais également ceux qui se rendent aux États-Unis. Ils sont nombreux à venir ici, à présenter une demande, et à essayer ensuite d'aller aux États-Unis et d'y présenter une autre demande. Je le sais.
[Français]
La présidente: Monsieur Nunez, je vous accorde cinq minutes.
M. Nunez: Merci. Vous avez mentionné quelques cas particuliers, quelques «histoires à sensation», comme on les a appelées ici. Toutefois, je dois vous dire que je connais très bien le milieu des immigrants et des réfugiés, en étant un moi-même. Vous n'avez jamais fait mention de la contribution immense des réfugiés et des immigrants au Canada et aux États-Unis. Vous ne voyez aucun aspect positif dans tout cela. Vous ne savez pas que le Canada et les États-Unis ont été bâtis par ces gens qui sont venus d'ailleurs, qui ont subi la persécution dans leur pays d'origine, etc.
Je ne sais pas si vous savez également qu'il y a aujourd'hui une plus grande mobilité des capitaux, des biens et des services que tous les pays riches comme le Canada et les États-Unis favorisent. Cela est plus récent en Amérique latine. Le Canada et les États-Unis font beaucoup de pression pour que ces investissements soient protégés. Alors ils signent des traités. Un accord bilatéral entre le Chili et le Canada va être signé bientôt; on a signé l'ALENA et on va lui donner plus d'extension. Cela contribue grandement au bien-être du Canada et des États-Unis. Des millions d'emplois sont créés ici. Les compagnies font plus de profits ailleurs qu'ici, au Canada ou aux États-Unis. Pourquoi mettre tant de barrières lorsqu'il s'agit de réfugiés, de véritables réfugiés? Pourquoi cette contradiction entre ce qui est matériel - les capitaux, les biens et les services - et les personnes? Pourquoi ces barrières? Comment justifiez-vous cela?
[Traduction]
M. Bauer: Je ne pense pas vouloir le justifier. Je partage votre opinion sur presque tout ce que vous avez dit, monsieur Nunez. Je descends probablement moi-même d'immigrants. Il est évident que mes ancêtres n'étaient pas ici à l'origine puisque je ne suis ni anglais ni français. Je connais la contribution qu'ont apportée à ce pays les réfugiés et les immigrants légitimes. Je sais également ce que les immigrants illégaux ont apporté.
Je ne le conteste pas. Et très franchement, j'aimerais bien que vous ne m'imputiez pas des opinions que je n'ai pas exprimées et qui ne sont pas les miennes.
[Français]
M. Nunez: Madame la présidente, j'avais demandé une copie des observations adressées par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés au gouvernement canadien et au gouvernement américain. Je trouve que c'est indispensable pour étudier cette entente et pour ensuite réviser notre rapport. J'aimerais savoir où en est ma demande, que j'ai faite à deux reprises à ce comité.
La présidente: Monsieur Nunez, nous avons répondu à votre demande à deux reprises en disant qu'on avait fait la démarche. C'est le plus loin que peut aller le Comité. Est-ce qu'on peut poursuivre et continuer à entendre nos témoins?
M. Nunez: Mais j'insiste, parce qu'il est vraiment indispensable d'obtenir ce document adressé par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, et au gouvernement canadien et au gouvernement américain, concernant ce projet d'entente.
La présidente: Avez-vous une autre question pour le témoin, monsieur Nunez?
M. Nunez: Oui. Vous dites qu'il y a 20 millions de réfugiés dans le monde. Je ne sais pas d'où vous tenez ce chiffre, mais dans le document du gouvernement du Canada, on dit qu'il y en a 23 millions et que ce chiffre est en augmentation.
Concernant ce Haut Commissariat pour les réfugiés, l'entente ne lui accorde aucun rôle. Est-ce que vous croyez que le Haut Commissariat devrait jouer un rôle dans cette future entente afin de donner au moins quelque assurance aux gens qui ne croient pas beaucoup à cette entente, mais qui croient au travail fait par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés?
[Traduction]
M. Bauer: À ma connaissance, la grande majorité des Canadiens, et certainement tous les gouvernements canadiens, ont cru et croient toujours très fortement dans le travail fait par le HCNUR. Ils ont versé des sommes importantes au haut commissariat pour l'aider dans son travail. Et si je comprends bien aussi, dans le cadre des négociations de l'entente Canada-États-Unis qui se sont échelonnées sur plusieurs années, on a consulté le haut commissariat à toutes les étapes.
Le HCNUR a des bureaux ici au Canada. Son représentant est libre d'assister à toutes les séances d'étude des dossiers des réfugiés au Canada, est en communication constante avec les groupes de défense des réfugiés, avec le gouvernement canadien, avec les fonctionnaires. Je pense que le haut commissariat a un rôle très important à jouer. Je ne vois pas très bien ce qu'il pourrait faire de plus que ce qu'il fait maintenant.
Il ne faut pas oublier que dans le monde entier, la souveraineté est une question d'actualité. La plupart des gouvernements tiennent à maintenir leur souveraineté dans leurs propres affaires, dont l'une des plus importantes consiste à déterminer qui sera ou ne sera pas admis dans leurs pays. Aucun pays ne céderait au HCNUR le pouvoir total sur son immigration ni même son processus de détermination du statut de réfugié. Je pense qu'il en sera ainsi pendant de nombreuses années encore, car la souveraineté, comme vous le savez, est un bien très précieux.
La présidente: Monsieur McKinnon, je vous en prie.
M. McKinnon (Brandon - Souris): De temps à autre, à la Chambre, on parle de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et de la façon dont elle s'acquitte de ses responsabilités, d'après ce qu'on en sait. Ma question m'est venue en écoutant vos commentaires aujourd'hui sur le fonctionnement de la commission. Ai-je bien compris que vous avez l'impression qu'il y a de trop nombreuses sauvegardes et qu'il faudrait revoir la situation à la lumière du fait que des personnes dont les antécédents sont douteux parviennent toujours à obtenir un statut au Canada?
M. Bauer: Une petite précision. Bien que j'aie donné quelques exemples en réponse à une question, je ne voulais pas laisser entendre que tous ceux qui arrivent pour se jouer du système sont, comment dirais-je, des terroristes ou...
M. McKinnon: Ce n'est pas ce que j'avais compris.
M. Bauer: Non, exactement. Il y a de nombreuses personnes qui se servent du système pour se soustraire aux vérifications et aux contrôles habituels du processus d'immigration: les vérifications de santé, de qualités personnelles, et le reste. Cela déforme non seulement le régime à l'intention des réfugiés, mais également le régime d'immigration qui n'accepte de toute façon qu'un petit pourcentage d'immigrants.
Quoi qu'il en soit, à ce sujet, j'ai fait quelques remarques générales sur le problème lorsque j'ai comparu devant le comité il y a un an, le 14 mars. J'ai également rédigé des articles à ce sujet et je suis en train d'écrire un livre.
Il y a des problèmes. Il y a de graves problèmes et personne ici, je pense, ne refuserait toute la protection et tous les recours auxquels un revendicateur a droit, je pense que jusqu'à un certain point... C'est peut-être à cause de la Charte des droits et libertés qui est si générale et qui s'applique à tous ceux qui mettent le pied au Canada. Les garanties sont si nombreuses qu'il est très facile de se traîner les pieds et de finir par rester comme immigrant même si vous n'étiez pas vraiment un réfugié.
Cela s'explique de bien des façons au niveau judiciaire, administratif et au niveau des nominations. En toute honnêteté, il me faudra encore quelques mois avant de déterminer quelles améliorations pourraient être apportées, parce que c'est un sujet très complexe qui suscite bien des émotions.
J'estime que le régime n'est pas assez rigoureux. Il permet l'entrée au pays d'une proportion trop grande de gens qui présentent des demandes injustifiées; voilà pourquoi je préconise des changements. Pour l'instant, j'ignore encore quels changements seraient le plus efficace et le plus réaliste du point de vue politique, en toute honnêteté.
On avait la très bonne intention de créer un système qui réglerait un problème particulier, mais, malheureusement, je crains que l'on en crée d'autres. C'est ce que je crois en toute franchise.
La présidente: Est-ce que d'autres députés ministériels ont des questions à poser? Monsieur McTeague.
M. McTeague (Ontario): J'ai une brève question pour M. Bauer. Compte tenu de l'étude, l'harmonisation aura-t-elle une incidence sur les lacunes de la CISR et de son processus que vous avez soulevées, plus particulièrement, permettra-t-elle de lui redonner une certaine intégrité aux yeux du public?
M. Bauer: J'ai l'impression que les effets de cette entente, si elle entre en vigueur, ne seront pas évidents pour le public. Cela me semble assez clair. Ce sont les causes les plus spectaculaires qui ont la plus grande influence, et non pas le fonctionnement quotidien du système. Je ne suis pas certain que les effets de cette entente seront visibles aux yeux du public. Cela se verra plutôt au niveau administratif.
Comme je l'ai dit, je ne suis pas certain que bien des dossiers seront touchés par cette entente, et ce, pour toute une gamme de raisons qui sont intrinsèques au système dans son ensemble. J'estime que c'est un premier pas important, je le répète, qui montre que le gouvernement a l'intention de rehausser la crédibilité du système et d'améliorer la situation des demandeurs de statut de réfugié. D'après ce qu'ont dit d'autres témoins que vous avez entendus et d'après ce que j'ai lu, cela peut sembler un peu étrange. Mais à mon avis, cette entente prévoit de meilleures garanties pour ceux qui, pour une raison ou une autre, n'auraient pu auparavant obtenir une audience dans un ou l'autre pays.
Ce n'est rien de plus qu'un premier pas assez modeste. Le nouveau système présente toutes les caractéristiques dont j'ai parlé. Il prévoit de si nombreuses garanties, sauvegardes et exceptions que son efficacité n'atteindra pas plus de 10 p. 100. Mais je ne voudrais pas être trop critique ou laisser entendre qu'on ne devrait pas y donner suite. Je comprends qu'il faut que ce genre de mesures soient mises à l'essai et qu'on ne peut prendre des mesures trop draconiennes dans ce domaine si délicat du point de vue politique et où les répercussions de l'injustice sont assez horribles pour les intéressés.
J'espère avoir répondu à votre question.
M. McTeague: Oui, merci.
La présidente: Merci.
Madame Meredith, vous poserez la dernière question.
Mme Meredith: Merci, madame la présidente.
J'aimerais revenir à cette entente. Je suis plutôt inquiète de vous entendre dire que, bien que ce soit un bon premier pas, c'est un premier pas plutôt modeste et que cette entente est plutôt diluée. Vous estimez que des mesures plus draconiennes auraient fait l'objet d'une plus grande opposition. Or, plusieurs de nos témoins nous ont essentiellement dit que cette entente va trop loin, qu'elle ne devrait jamais être adoptée et que le Canada ne devrait pas l'assumer. Vous êtes d'avis que l'entente ne réglera pas les nombreux problèmes qui existent ou auxquels sont confrontés non seulement les agents d'immigration en première ligne, mais aussi les différentes collectivités qui se trouvent dans ma circonscription et qui me demandent régulièrement comment le gouvernement peut permettre que ce genre de situation se perpétue. Je parle là de communautés ethniques mêmes, qui se disent horrifiées par ce qu'elles voient au sein de leurs propres groupes.
Croyez-vous que nous pourrions renforcer cette entente et, dans l'affirmative, à quels chapitres pourrions-nous la rendre plus rigoureuse?
M. Bauer: Je ne voudrais pas prendre la place des fonctionnaires ou ministres qui ont consacré des années à l'élaboration de cette entente et qui connaissent la situation mieux que moi.
Toutefois, il y a un aspect de l'entente qui m'apparaît des plus vulnérables, à savoir les exceptions prévues au paragraphe 3 de l'article 6, qui sont très vastes. Dans le cas des membres de la famille immédiate, je sais que certains se sont plaints que cela ne s'applique pas à la famille étendue, mais, à mon avis, cela rendrait cette disposition inutile. Les membres de la famille immédiate qui jouissent d'un statut légitime peuvent présenter une demande de statut de réfugié et certains se sont vu accorder ce statut à cause d'une autre partie et des mérites de sa cause. On se rapproche dangereusement d'une disposition sur la réunification des familles alors qu'il devrait s'agir exclusivement de détermination du statut de réfugié. On nuance quelque peu l'objectif du processus. Puis, au sous-alinéa (ii)a), on dit: «un membre de sa famille proche qui»...
J'ai moi-même négocié bien des ententes et je sais que c'est de la folie de croire qu'on pourrait facilement faire mieux. Ces ententes se situent dans un contexte et ont une intégrité organique qui relèvent des deux parties à l'entente ou de quelques-unes d'entre elles... il y en a 35, je crois. Il faut d'abord trouver un terrain d'entente et s'il y a trop de mesures arbitraires ou sévères, l'accord sera mal accueilli par le public. Si vous incluez des dispositions trop complexes et difficiles, vous ne pourrez administrer l'entente et il sera alors impossible de la mettre en application.
Voilà pourquoi, si vous me le permettez, je préfère ne pas commenter le projet d'entente même. Si nous avions toute la journée pour examiner chaque article - c'est une entente ou libellé très serré, dont toutes les parties sont interdépendantes - je pourrais peut-être le faire. Mais je fais confiance aux ministres et aux fonctionnaires qui ont négocié cet accord et d'après ce que j'ai lu, c'est un bon premier pas; on ne pouvait vraiment s'attendre à mieux, mais on ne pouvait non plus s'attendre à moins.
Pour le reste, il ne sert à rien de rechercher une entente; d'ailleurs, si je peux me permettre, j'ai l'impression que certains préféreraient qu'il n'y ait pas d'entente.
La présidente: Merci, monsieur Bauer.
Chers collègues, nous sommes saisis du premier rapport du Sous-comité du programme et de la procédure de notre comité. Vous en avez tous un exemplaire sous les yeux. Le rapport est-il adopté?
Des voix: Oui.
La présidente: Merci beaucoup.
Mme Minna: Si je peux interrompre la discussion, j'aimerais déposer un autre document, qui est maintenant un document public, je présume. Il s'agit d'une lettre du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés en réponse à sa comparution devant le comité; elle traite donc directement de ce qui s'est passé pendant cette comparution.
J'en lirai quelques extraits avant de déposer le document, si vous me le permettez.
La présidente: Je vous en prie, allez-y.
M. Nunez: Puis-je en avoir une copie?
La présidente: Oui, bien sûr. Ce sera distribué à tous.
Mme Minna: La lettre est dans les deux langues; elle sera photocopiée et distribuée à tous. Vous l'aurez dans un moment. Pour l'instant, je n'en ai qu'un exemplaire.
Je cite:
Dans l'article critiquant le plan Canada-États-Unis sur les réfugiés, le journaliste a pris beaucoup de liberté en faisant un lien entre mes propos selon lesquels une personne ne devrait pas être renvoyée à la chambre de torture et le projet d'entente entre le Canada et les États-Unis sur les revendications du statut de réfugiés...
Il n'est pas question dans le projet d'entente des personnes qui fuient les États-Unis pour demander l'asile au Canada, ou l'inverse, mais du partage des responsabilités entre le Canada et les États-Unis. On veut s'assurer que les demandes des revendicateurs du statut de réfugié en provenance de tiers pays sont bien examinées dans l'un et l'autre pays. Le HCNUR ne s'oppose pas à ce type d'accord pourvu qu'il prévoie les garanties nécessaires à la protection des réfugiés.
Ainsi l'un des points strictement juridiques que j'ai voulu clarifier lors de ma présentation devant le Comité parlementaire est qu'il existe déjà des accords de réadmission dans de nombreux pays européens, par exemple les accords de Schengen (1985) et de Dublin (1991). De plus j'aimerais ajouter le Comité exécutif du HCNUR a adopté une conclusion en 1993 soulignant «...l'utilité de mesures visant à promouvoir la prompte détermination du statut de réfugié dans le cadre de procédures équitables et reconnaît l'opportunité de la conclusion d'accords entre les États directement concernés, en consultation avec le HCNUR...»
Le texte dit ensuite ceci:
Les rédacteurs de l'entente canado-américaine ont, à bien des égards, inclus des dispositions protégeant les droits fondamentaux des réfugiés, bien que certains aspects puissent entraîner des difficultés dont on discute encore. C'est avec plaisir que j'ai constaté que l'honorable ministre envisage sérieusement de demander au HCNUR de surveiller la mise en oeuvre de l'entente.
C'est un communiqué de M. Makonnen, du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, en réponse aux articles parus dans les journaux après son témoignage devant notre comité.
Ayant communiqué le contenu de ce document à mes collègues, j'aimerais le déposer. Il m'apparaît important que la position du HCNUR sur ces questions soit bien claire.
La présidente: Sommes-nous d'accord?
Des voix: D'accord.
La présidente: Puisque nous en sommes au dépôt des documents, notre troisième témoin, le représentant du Carnegie Endowment for International Peace, a dû se décommander. Il nous a envoyé un exemplaire du document que vous avez tous, je crois - si je ne m'abuse, il a aussi été traduit - intitulé «Rapport sommaire du symposium sur les protocoles d'entente entre les États-Unis et le Canada sur la collaboration en matière d'examen de demande du statut de réfugié, 11 septembre 1995, Carnegie Endowment for International Peace, Washington, D.C.»
Sommes-nous d'accord pour déposer aussi ce document et pour l'inclure au compte rendu?
Des voix: D'accord.
Mme Meredith: Puis-je obtenir un exemplaire traduit?
M. Dromisky: Moi aussi.
La présidente: Je demande maintenant au représentant de
[Français]
l'Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration, M. Jean-Michel Montbriand et M. Jean L'Heureux, de prendre leur place et de commencer.
[Traduction]
Me Jean-Michel Montbriand (président, Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration): Merci, madame la présidente. Nous vous remercions de nous avoir invités à témoigner au sujet du projet d'entente parafé par le Canada et les États-Unis concernant les demandeurs d'asile.
D'abord, quelques mots sur notre association: Notre association est une association provinciale représentant plus de 150 avocats pratiquant le droit de l'immigration, de la citoyenneté et du statut de réfugié. Jusqu'à 1990, environ, nous faisions partie de l'Association du Barreau canadien que nous avons alors quittée pour former notre propre association provinciale, pour des raisons pratiques et pour les raisons habituelles, à savoir que la plupart des associations d'avocats du Québec sont affiliées au Barreau du Québec, qui a des équivalents dans les autres provinces du Canada. Comme le veut la coutume, par conséquent, notre association est dorénavant affiliée au Barreau du Québec plutôt qu'à l'Association du Barreau canadien.
[Français]
Cela étant dit, tous nos membres sont des avocats. Notre association a des liens directs avec toutes les associations d'avocats en droit de l'immigration à travers le pays. Je peux vous affirmer une chose dès maintenant. C'est que personne, parmi la communauté juridique au Canada, ne génère des revenus de l'ordre de millions de dollars en représentant les réfugiés.
Je ne doute pas que certains de mes collègues qui travaillent davantage pour une catégorie d'immigrants du monde des affaires puissent se faire de tels revenus, mais la représentation des réfugiés n'engendre de tels revenus pour personne au Canada.
D'autre part, nous considérons, à tort ou à raison, avec le CCR, avec les professeurs d'université, avec des groupes comme Amnistie Internationale, que notre but fondamental n'est pas d'augmenter le nombre de réfugiés qui peuvent venir au Canada ou qui peuvent être acceptés par le Canada. Il est uniquement de nous assurer que les principes fondamentaux de justice soient respectés, que les véritables réfugiés se voient accorder la protection qui leur est due et que ceux qui n'ont pas droit à une telle protection se la voient refuser, mais toujours dans le respect des critères et des procédures en accord avec les règles fondamentales de justice.
Le CCR et Amnistie Internationale, vous en conviendrez, n'ont aucun intérêt financier ou autre à voir le nombre de réfugiés augmenter.
Cela étant dit, nous n'avons pas l'intention de répéter ce que beaucoup d'autres témoins ont déjà énoncé devant vous. Quant à l'absence de justification, factuelle ou autre, de cette entente, il est utile de rappeler qu'en droit international, il n'existe aucun principe juridique qui permette d'obliger un revendicateur du statut de réfugié à revendiquer ledit statut dans le premier pays signataire de la Convention de Genève qu'il traverse.
Il n'y a aucun principe en droit international qui permette d'empêcher quelqu'un de revendiquer le statut de réfugié parce qu'il aurait résidé dans un autre pays avant son arrivée chez nous. Il n'y a d'ailleurs aucun principe de droit international qui permette même d'empêcher quelqu'un de revendiquer ce statut parce que sa revendication a déjà été rejetée dans un autre pays.
On peut être d'accord ou pas sur cette absence de critères qui empêcherait des gens de revendiquer, mais la Convention de Genève est ainsi écrite. Elle existe depuis 1951 et elle prévoit des situations claires et nettes où un pays peut, tout en étant signataire de la Convention, décider de ne pas entendre une revendication, décider de ne pas accorder le statut de réfugié ou décider d'exclure une personne de ce statut.
Évidemment, comme vous le savez, les personnes qui ont commis des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou les personnes qui ont déjà été acceptées par un autre pays comme réfugiées, n'ont pas le droit de revendiquer ce statut au Canada. Ce sont des principes reconnus en droit international.
Cela étant dit, même si un réfugié n'est pas obligé de revendiquer ce statut dans le premier pays signataire de la Convention qu'il peut traverser lorsqu'il fuit son pays, son comportement peut, de fait, être examiné par les instances judiciaires du Canada qui examineront sa revendication éventuellement. Le fait de ne pas avoir revendiqué dans un tiers pays signataire est un critère parmi d'autres, et j'insiste sur l'élément «parmi d'autres», pour évaluer le bien-fondé, la crédibilité, la plausibilité de la crainte qu'une personne dit avoir.
Il n'y a aucun principe en droit international qui présume qu'un réfugié ou un revendicateur du statut de réfugié va - s'il en est un véritable - nécessairement revendiquer dans le premier pays signataire qu'il traverse. Ce n'est pas un principe d'évaluation de la preuve non plus.
La Cour fédérale du Canada, qui existait bien avant la création de la CISR et qui statue sur ce genre de dossiers depuis quelques décennies maintenant, a reconnu dans plusieurs arrêts qu'un revendicateur du statut de réfugié pouvait avoir des motifs raisonnables de ne pas le faire dans des pays signataires de la Convention qu'il ou elle traverserait dans sa fuite hors de son pays vers le Canada.
Ne tentons pas de réinventer la roue. Ne tentons pas de justifier cette entente sur la base de supposés principes de droits internationaux qui n'existent pas. Admettons clairement les faits: cette entente a pour but de réduire de façon brute et sans autre considération le nombre de personnes qui pourront se rendre à nos frontières pour revendiquer le statut de réfugié et rien d'autre.
Si cette entente avait vraiment pour but d'examiner les raisons que pourraient invoquer les revendicateurs pour ne pas avoir revendiqué dans un autre pays, elle les préciserait, parce que certaines d'entre elles sont valables. Je vous rappelle que la Cour fédérale d'appel du Canada l'a reconnu à plusieurs reprises.
Donc, si cette entente voulait vraiment réprimer les abus, au minimum elle permettrait aux gens qui ont séjourné peut-être quelques heures de trop aux États-Unis en y transitant de s'expliquer et de faire valoir leur justification. Ce ne sera pas possible avec l'entente telle que rédigée.
Qui plus est, il ne sera pas possible en vertu de cette entente qu'un revendicateur tente d'établir devant un forum canadien, quel qu'il soit, que les États-Unis ne sont pas un pays qu'on peut considérer sûr dans leur cas.
Dans un passé récent, je peux citer l'exemple des réfugiés chiliens qui avaient fui après la chute du régime Allende et qui ne croyaient pas pouvoir obtenir aux États-Unis une audition vraiment impartiale de leurs revendications parce que, évidemment et comme on l'a découvert par la suite de façon claire et nette, le gouvernement américain avait, en partie du moins, appuyé le coup d'État.
Beaucoup de réfugiés salvadoriens, qui avaient fui leur pays pendant les années soixante-dix et quatre vingt et qui voyaient les États-Unis financer à coups de centaines de millions de dollars par année l'effort de la dictature militaire pour réprimer les opposants, croyaient, je pense à juste titre, que les États-Unis ne constituaient pas un tiers pays sûr où ils pouvaient revendiquer le statut de réfugié.
Des fraudes, il s'en glisse sûrement au Canada dans notre système d'examen des revendications au statut de réfugié. Il y en d'ailleurs dans notre système fiscal, dans notre système d'assistance sociale; il y en a partout.
Le témoin précédent vous a fait valoir qu'il y avait peut-être trop de protection pour les revendicateurs du statut de réfugié. Je tiens à vous rappeler qu'il y a un pendant à ces protections pour les revendicateurs; il existe de multiples mécanismes en vertu desquels le ministère de l'Immigration peut demander que le statut de réfugié d'une personne soit révoqué s'il a été obtenu sur la base de fraude, de mensonge, de fausses preuves ou de preuves délibérément incomplètes.
Jusqu'ici, depuis que ce droit a été conféré au ministère en 1989, que je sache, le ministère n'a pas exercé ce droit une seule fois malgré les cas largement publicisés dont faisait mention, d'ailleurs, le témoin précédent.
On vous a aussi dit que lorsqu'une décision était positive, les commissaires de la Section du statut de réfugié n'étaient pas obligés d'en exposer les motifs. La loi prévoit que les deux parties, le ministre inclus, peuvent exiger, non pas demander mais exiger les motifs par écrit dans le cas de toutes les décisions positives, et le ministre peut évidemment attaquer toutes et chacune des décisions positives qui sont rendues par la CISR.
Alors, comme vous le voyez, la loi prévoit des mécanismes qui permettent de «réprimer les fraudes». Et il est certain que, si l'objectif visé par cette entente est de rétablir la confiance du public canadien envers notre système d'octroi du statut de réfugié, le ministère, qui est chargé de faire appliquer et respecter la loi, devrait tout d'abord exercer les droits qui lui sont reconnus dans la loi de façon claire, nette et non équivoque. Il devrait s'appliquer à attaquer les décisions positives accordant le statut de réfugié qui ont été, à son avis, erronées.
Il ne faudrait pas que, comme pour les criminels de guerre de la Deuxième Guerre mondiale, nous attendions 30 ou 40 ans avant d'agir.
Il existe actuellement des mécanismes. Si les membres de ce comité considèrent qu'il se commet des fraudes caractérisées, ils doivent rappeler au ministère d'exercer ses prérogatives.
Je termine par un point que nous avons indiqué à la dernière page de nos brèves recommandations. Il serait certainement souhaitable, si cette entente entre le Canada et les États-Unis devait être signée, qu'elle prévoie comme cause de dérogation la présence de membres de la famille immédiate dans l'un des deux pays signataires.
Nous vous soumettons respectueusement qu'il est impératif que soient reconnus la spécificité du Québec dans le cadre politique canadien, ainsi que le fait qu'on y parle français et que les revendications au statut de réfugié peuvent y être entendues intégralement en français. C'est le seul endroit où cela est possible au Canada et, oserais-je dire, en Amérique du Nord. Vous savez, évidemment, que ce n'est pas possible aux États-Unis où, d'ailleurs, on demande même aux gens de fournir leur propre interprète.
Il y a plusieurs centaines de revendicateurs au statut de réfugié par année qui choisissent le Québec comme destination finale parce qu'ils souhaitent pouvoir vivre dans un milieu français, pouvoir se faire conseiller par un avocat francophone et, surtout, pouvoir être entendus par des membres francophones de la CISR, assistés d'un agent d'audience francophone, dans un cadre où il y a un centre de documentation en français et francophone, etc. La Cour d'appel fédérale a reconnu d'ailleurs par le passé qu'il était justifié pour un revendicateur de se diriger vers un pays où on parle sa langue pour que sa revendication soit entendue.
Montréal, comme vous le savez, n'est plus ce qu'elle était, notamment sur le plan de ses aéroports internationaux. La plupart des vols qui viennent par exemple d'Afrique noire francophone, de la corne de l'Afrique ou même du monde arabe, se dirigent vers New York ou d'autres grandes villes américaines. Il n'y a pas de vols directs entre Montréal et l'Afrique noire francophone. Vous devez reconnaître cet état de fait. Vous devez reconnaître que les gens transitent en très vaste majorité par les États-Unis et que ceux-ci, pour mille et une raisons, ne sont pas nécessairement en mesure de respecter les délais de transition prévus à l'accord. La langue devrait être une cause de dérogation possible à cette entente susceptible d'être signée entre le Canada et les États-Unis.
Je vous remercie.
La présidente: Merci, monsieur Montbriand. Nous allons d'abord donner la parole àM. Nunez, pendant 10 minutes.
M. Nunez: Merci beaucoup pour votre présentation, excellente d'ailleurs.
Je souscris tout de suite à votre dernière suggestion de considérer la langue française comme un motif pour déposer une deuxième demande au Canada, en particulier pour aller au Québec, ce qui a été mon cas. Quand je suis venu ici, je parlais un peu le français et j'ai choisi le Québec parce que c'était une société francophone. C'est le cas également, comme vous l'avez dit, de beaucoup d'Africains, de Marocains, d'Algériens et d'Haïtiens et d'un certain nombre de Latino-Américains qui connaissent le français.
Surtout, comme vous venez de le dire, il n'y a parfois pas de vols directs entre l'Afrique noire et le Canada. Il faut traverser les États-Unis. Alors, je me réjouis de votre proposition, qui se trouvait aussi dans le document du Conseil canadien pour les réfugiés. Je la trouve excellente.
Vous avez dit quelque chose de très important. En droit international, on n'est pas obligé de revendiquer le statut de réfugié dans le premier pays par lequel on passe. Croyez-vous que cette entente pourrait être dénoncée devant les tribunaux canadiens comme une violation à la Charte canadienne des droits et libertés ou qu'elle pourrait être contestée devant d'autres forums internationaux en invoquant qu'elle viole la Convention de Genève ou d'autres accords internationaux?
Me Montbriand: Je vous parlerai du Canada seulement parce que je ne suis pas un expert eu égard au recours en droit international, à tout le moins en ce qui a trait aux instances internationales.
Au Canada, je vous dirais que toute possibilité de contestation dépendra beaucoup de la façon dont cette entente sera intégrée juridiquement à la Loi sur l'immigration. Nous pensons que ce sera fort probablement possible par le mécanisme de l'alinéa 46.01(1)b), cité dans notre texte, utilisé de concert avec l'alinéa 114(1)s), qui donne au Conseil des ministres le pouvoir réglementaire de désigner un tiers pays comme sûr et de prévoir que les modalités seront établies dans un accord.
Nous pensons que, si ce mécanisme était utilisé, il serait abusif de désigner les États-Unis comme étant un tiers pays sûr pour tous les types de revendicateurs, quelle que soit leur origine nationale ou ethnique, ou quel que soit le groupe auquel ils peuvent appartenir à l'intérieur d'une même origine nationale.
Il est impossible d'exercer à l'avance un tel pouvoir réglementaire qui prévoirait toute une myriade de possibilités, d'éventualités et de concours de circonstances. Au minimum, ceci semblerait être un exercice réglementaire abusif, et je dirais même que, selon les termes utilisés par la Cour fédérale, c'est un exercice du pouvoir qui pourrait être qualifié d'abusif et surtout d'arbitraire si on déterminait à l'avance des situations qui ne sont même pas encore connues aujourd'hui. Qui sait ce que sera l'attitude du gouvernement américain dans un mois vis-à-vis des revendicateurs d'un pays x ou y.
On dit souvent, à tort ou à raison, que les procédures américaines sont peu susceptibles de changer au gré de la politique extérieure des États-Unis. Je pense qu'il est pertinent de dire que l'entente, si je ne m'abuse, sera signée entre le State Department d'une part, pour les États-Unis, et le ministère de l'Immigration, pour le Canada. Ce n'est pas l'INS qui sera signataire du côté américain. C'est une entente qui semble contenir un certain volet, ou être marquée par une certaine orientation politique.
J'imagine que ça ne répond pas entièrement à votre question, mais c'est tout ce que je peux vous dire pour l'instant jusqu'à ce qu'on connaisse les mécanismes de...
M. Nunez: Ma deuxième question concerne le niveau de protection. Je ne sais pas si vous êtes au courant du type de protection qu'offrent les États-Unis et du cas des Haïtiens qui ont été refoulés en haute mer. Je ne sais pas si vous êtes au courant également de la nouvelle loi qui a été soumise au Congrès américain. Quelle est votre opinion sur le niveau de protection qu'accordent les États-Unis aux réfugiés?
Me Montbriand: Ce que je crois, c'est que les faits sont suffisamment clairs pour démontrer qu'il n'y a aucune assurance, dans un futur immédiat ou lointain, que le degré de protection envers différents types de revendicateurs sera adéquat. Ceci, selon nous, milite en faveur, ou bien d'un organisme indépendant de surveillance de l'application de cette entente, ou bien d'un mécanisme prévu dans l'entente tel que nous le soumettons dans notre exposé écrit.
Un tel mécanisme permettrait au moins à un revendicateur de faire des représentations pour démontrer qu'il ne peut pas obtenir une protection convenable et équivalente aux États-Unis compte tenu de la situation qui y prévaut ou compte tenu de ses particularités individuelles ou nationales, ou bien de ses origines.
Il est impossible de prévoir à l'avance toutes les situations. Il faut qu'on prévoie un modèle qui permette ou bien au revendicateur de faire valoir ses droits, ou bien à un tiers organisme d'intervenir.
M. Nunez: Je suis content que vous ayez mentionné la création d'un organisme de surveillance, ce qui n'est pas prévu dans ce projet d'entente. C'est extrêmement nécessaire, surtout lorsqu'on voit l'orientation de la loi américaine concernant la protection des réfugiés.
Comme vous le savez, il n'y a pas non plus de mécanisme pour résoudre les conflits. Toute entente au niveau international entraîne des conflits. Il faudrait prévoir un mécanisme à ce sujet.
Me Montbriand: Cela m'inquiète beaucoup d'ailleurs. Je m'excuse de vous interrompre. En cas de conflit ou de désaccord entre les deux États, on peut certainement se demander ce qui arriverait au revendicateur, qui se trouverait nécessairement d'un côté ou l'autre de la frontière, et dans quelle mesure il pourrait bénéficier de certains droits intérimaires ou temporaires, comme l'assistance sociale ou même un permis de travail.
Vous savez qu'au Québec, les autorités provinciales n'accordent aucune assistance financière à une personne et ne l'intègrent pas dans tout le mécanisme d'aide provincial tant qu'elle n'a pas ses papiers d'Immigration Canada. À ce que je comprends de l'entente, tant que la personne ne sera pas reconnue comme ayant droit de faire sa demande au Canada, elle n'obtiendra pas de papiers des autorités canadiennes. Elle n'aura pas d'existence aux yeux des autorités provinciales et, de ce fait, n'aura droit à aucune assistance, sauf peut-être à la charité des Églises.
M. Nunez: ...qui est toujours là heureusement.
La présidente: Merci, monsieur Nunez.
[Traduction]
Mme Meredith: J'ai du mal à croire qu'il n'y a pas de convention internationale ou de précédent international concernant le premier pays d'origine du demandeur. N'y aurait-il pas une entente internationale, avant 1951, concernant les réfugiés? Pourquoi ne pourrait-on pas établir une nouvelle entente, une nouvelle relation avec un pays voisin? Peu m'importe qu'une entente de ce genre n'ait pas existé auparavant; les démocraties sont des entités en constante évolution qui doivent changer et s'adapter. Je ne serais pas ici si je n'estimais pas que le système doive être modifié.
Par ailleurs, j'hésite à le dire, mais je trouve assez drôle d'entendre un réfugié dire toute sa bonne volonté à l'égard des pays qui donnent asile aux réfugiés mais qui tente aussi de détruire ce pays-ci. Cela ne me plaît pas du tout d'avoir à écouter ce genre de choses.
M. Nunez: Est-ce une attaque contre moi?
La présidente: Monsieur Nunez, je vous prierais de garder ces remarques pour la Chambre des communes.
Mme Meredith: J'aimerais en revenir à l'entente. Vous avez parlé de réfugiés qui devront aller de pays en pays sans jamais se faire entendre, sans protection aucune... Je suis désolée, mais l'article 9 décrit clairement le processus. Aucun réfugié ne se retrouvera dans les limbes. Ils devront être entendus ou par le Canada, ou par les États-Unis. L'entente le stipule clairement. J'aimerais donc que vous me disiez pourquoi vous estimez que les nouveaux accords ne sont pas nécessaires, pourquoi vous estimez que nous ne devrions pas signer de nouvelles ententes en vue d'établir de nouvelles modalités internationales sur le traitement des réfugiés et immigrants.
Me Montbriand: J'ai dit qu'on ne peut, pour justifier cette entente, invoquer un principe qui n'existe pas en droit international. C'est la première remarque que j'ai faite. Ce principe n'existe pas.
Je ne prétends pas que des États souverains ne peuvent pas discuter entre eux et signer des ententes. Je dis simplement à quiconque prétend qu'un principe sous-tend cet accord qu'il n'y en a pas. Aucun principe de ce genre n'existe en droit international. Peut-être voulez-vous en créer un. C'est peut-être ce que vous souhaitez. Mais à l'heure actuelle, ce principe n'existe pas.
Cela dit, je ne m'oppose pas à la signature d'ententes entre les États. Toutefois, si on compte signer de telles les ententes, on devrait prévoir un mécanisme quelconque permettant aux demandeurs de plaider leurs causes, à tout le moins, dans un pays ou un autre.
Dans sa forme actuelle, l'entente traite tous les réfugiés et les demandeurs d'asile de la même façon peu importe qui ils sont ou d'où ils viennent. Cela ne me semble pas juste. Pour certaines raisons très valables, on pourrait interdire le dépôt de demandes au Canada dans certaines circonstances, mais on pourrait aussi le permettre dans d'autres circonstances, selon le cas.
En 1988, le Parlement a adopté un projet de loi qui est entré en vigueur l'année suivante - le projet de loi C-55 - qui, pour la première fois en droit canadien, prévoyait le concept du tiers pays sûr. Cette loi prévoit donc une enquête dans le cadre de laquelle le demandeur peut invoquer son droit de présenter une demande au Canada après avoir essuyé un refus. Ce droit a été aboli en 1993 par le projet de loi C-86, bien que le concept du tiers pays sûr n'ait jamais été mis en pratique au Canada. L'idée nous semble bonne et nous croyons qu'on devrait y revenir.
On ne peut traiter des demandes d'asile en bloc. Chaque demande est particulière. Chaque demandeur a le droit de s'exprimer, tout comme M. Nunez a le droit d'exprimer ses opinions politiques. Je dirais même que c'est un des principes fondamentaux de notre patrimoine juridique canadien.
Mme Meredith: Mais on ne les prive pas de ce droit dans cette entente. Les demandeurs ont le droit de s'exprimer. Il est vrai qu'il y a des exceptions et que, si un demandeur fait l'objet d'une exception, on y mettra le temps auquel il a droit.
Me Montbriand: Le demandeur n'a qu'une chance.
Mme Meredith: Si un réfugié veut présenter sa demande au Canada, il a un temps limité pour y venir.
Me Montbriand: Et si je dépasse cette limite d'une heure, je suis fichu.
Mme Meredith: Honnêtement, votre argument me semble boiteux.
La présidente: Pas de débat, je vous prie, c'est une période de questions.
[Français]
Monsieur L'Heureux, voulez-vous ajouter quelque chose?
[Traduction]
Me Jean L'Heureux (Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration): J'aimerais vous donner un exemple précis.
Prenons le cas d'un immigrant haïtien qui, pour une raison ou pour une autre, s'est rendu en Floride après avoir quitté son pays; il ne tient pas à rester aux États-Unis, il préférerait venir au Canada. Si j'ai bien compris l'entente, il aurait dix jours pour se rendre au Canada. Sinon, il perdrait son droit de présenter une demande d'asile au Canada.
Je pratique le droit à Montréal. D'après mon expérience, les demandeurs d'asile qui arrivent au Canada, ou même ailleurs, en savent très peu sur le pays, ses lois et ses coutumes. Je peux facilement imaginer quelqu'un qui voudrait... Ainsi, le réfugié haïtien qui voudrait quitter la Floride pour venir au Canada aurait peut-être du mal à le faire en 10 jours, surtout s'il a une famille. C'est un bon exemple d'une limite arbitraire qui pourrait être très préjudiciable. On aurait pu penser à bien d'autres limites.
Nous, de l'Association des avocates et avocats en droit de l'immigration du Québec, ne nous opposons pas au changement. J'ai moins d'expérience dans ce domaine que mon collègueM. Montbriand, mais on est généralement mal à l'aise devant cette entente parce qu'on estime qu'elle s'inscrit dans un courant anti-immigrant qui existe actuellement au Canada et qui se reflète dans cette mesure législative.
Mme Meredith: Savez-vous que le public canadien se sent aussi mal à l'aise devant ce qu'il considère comme l'incapacité de son gouvernement à contrôler le programme des réfugiés et de l'immigration? Cette préoccupation a déjà été soulevée. Des représentants de groupes ethniques de ma circonscription m'ont souvent répété que cette absence de contrôle les inquiète. La menace que représente ce malaise généralisé au sein de la population canadienne à l'égard du système des réfugiés ou de l'immigration n'est-elle pas plus grande que celle que représente cette entente?
Me L'Heureux: Je ne crois pas. Les exemples que vous et le témoin précédent ont donnés sont véridiques. Certains abusent du système et ces abus sont déconcertants. Mais pour chacun de ces abus, il y a de nombreuses causes tout à fait légitimes. En attisant le sentiment d'opposition aux immigrants, comme on le fait ici, on risque d'aller vers l'autre extrême. Les gens ont des préoccupations légitimes à exprimer et des droits à faire respecter, mais ils ne pourront le faire en raison de l'atmosphère qui règne à l'heure actuelle.
Mme Meredith: Estimez-vous que cette entente va vers l'autre extrême? Êtes-vous d'avis que cette entente ne reconnaît pas les véritables réfugiés qui, sauf exception, veulent venir au Canada ou aux États-Unis pour des raisons de famille ou autres? Cet accord vous semble-t-il extrémiste?
Me L'Heureux: Non, mais ce qui sous-tend cet accord m'inquiète. C'est là ma principale préoccupation. Ainsi, je suis fondamentalement opposé au principe du premier pays d'arrivée, dont nous avons parlé. Ce n'est pas parce qu'on vous refuse le statut de réfugié dans un pays que vous essuierez de nouveau un refus ailleurs. Or, c'est sur cette philosophie que ce principe se fonde.
Mme Meredith: Mais l'intention de cette entente...
La présidente: Madame Meredith, votre temps est écoulé. Merci. Madame Minna.
Mme Minna: J'aimerais revenir un instant à la question du choix, parce que cela semble être un des principaux enjeux, l'autre étant le HCNUR. On nous répète que cela empêche les réfugiés de choisir le pays où ils s'établiront.
Après en avoir parlé avec différentes organisations qui ont témoigné ici, je crois savoir que la présentation de demandes multiples n'est pas un problème. Qu'en pensez-vous? Autrement dit, si le Canada ou les États-Unis rejettent une demande, le demandeur devrait-il avoir le droit de présenter une autre demande ailleurs?
Me Montbriand: Ce droit existe à l'heure actuelle.
Mme Minna: Est-ce une bonne idée? Il me semble qu'il n'est pas nécessaire de permettre deux, trois ou quatre tentatives. Lorsqu'un réfugié a présenté une demande dans un pays, a suivi le processus pertinent et que ce processus, reconnu par la loi et le droit international, mène à une décision, ce devrait être tout. Autrement dit, à l'heure actuelle, on permet le magasinage. On permet aux réfugiés de s'adresser à une dizaine de pays différents pour en trouver un qui les accueillera.
Me Montbriand: Croyez-vous que ce genre de cas existe vraiment? Qu'on rende dix décisions dans un seul dossier?
Mme Minna: Non, j'ai dit une dizaine, mais de toute façon là n'est pas le problème. Vous parlez surtout du choix, de la possibilité pour les réfugiés de présenter leur demande dans un seul pays, dans celui qui constitue leur premier choix.
Je ne crois pas que cette entente dénie aux réfugiés le droit de venir au Canada. On tente simplement, avec cet accord, d'imposer certaines limites de temps. Si vous avez l'intention de venir au Canada au départ et que vous n'êtes pas ici un mois après avoir quitté votre pays, il est fort probable que le Canada n'était pas votre destination mais que vous vous êtes retrouvé ici après être passé par un autre pays. On tente avec l'entente d'éviter ce genre de migration continue qui se produit souvent.
Me Montbriand: Dans le passé, il y a eu des cas où la Cour fédérale d'appel - qui est la dernière instance avant la Cour suprême du Canada, je vous le rappelle - a jugé acceptable d'accueillir un réfugié qui était passé par dix pays parties à la convention, sans y avoir fait de demande, parce que cette personne avait des raisons valables de le faire. Mais la cour en a décidé autrement dans d'autres causes.
Une limite de temps n'est pas un critère en soi. Si on imposait une limite de temps - et qui est très courte, soit dit en passant - pour l'exercice d'un droit dans ce pays, vous ne seriez pas nécessairement d'accord. Vous avez peut-être de bonnes raisons qui font que vous n'avez pu exercer ce droit en neuf jours mais que vous auriez pu le faire en dix jours. On ne parle pas d'années ici. Notre régime juridique prévoit des limites de temps pour prendre des mesures en justice, mais jamais il n'est question de délais aussi courts.
Nous estimons qu'il faudrait donner aux demandeurs la possibilité de justifier leurs actes. Nous ne savons pas pourquoi on ne pourrait pas leur donner cette chance. Les tribunaux l'ont fait souvent dans le passé. Pourquoi voulons-nous jeter au panier 20 ans de jurisprudence au Canada?
Mme Minna: Cela revient à dire que vous rejetez la décision du HCNUR. Le HCNUR, ayant examiné ce qui se fait dans le monde et les aspects complexes de cette question, a jugé cette entente acceptable. Il a déclaré que les accords de ce genre étaient tout à fait acceptables.
Me Montbriand: J'ai lu des documents auxquels vous avez fait allusion un peu plus tôt. Je n'ai pas eu le temps de les examiner attentivement, mais on y dit que, dans certaines circonstances, dans certaines conditions et si certaines mesures de contrôle sont prévues, ces ententes sont acceptables.
Mme Minna: Le HCNUR a aussi dit que les mesures de contrôle prévues par cette entente sont satisfaisantes. Il a reconnu que nous faisions l'impossible pour les inclure.
Me Montbriand: Si les deux régimes offrent le même niveau de protection - je comprends cela.
Je dois rencontrer des représentants du HCNUR dans dix minutes. Disons que je leur demande ce qu'ils pensent de la langue comme critère. Je suis certain qu'ils diront que c'est un critère raisonnable. Comment pourraient-ils dire le contraire? Il a été reconnu par les tribunaux, même au Canada, il y a déjà 20 ans. Comment cette entente ne pourrait-elle pas reconnaître qui nous sommes et ce qu'est la société du Québec?
C'est pour cette raison que M. Nunez a présenté sa demande au Canada, pour s'installer au Québec, il y a 20 ans. Il était un réfugié du Chili.
M. Nunez: C'était il y a 22 ans.
Me Montbriand: Il parlait français et voulait que sa demande soit examinée et jugée en français. Est-ce là un mauvais principe? Ne pourrait-on pas le prévoir dans l'entente?
Mme Minna: Mais vous parlez de deux choses. Premièrement, l'entente ne fait pas obstacle à cela. Elle stipule que, lorsqu'une personne quitte son pays avec l'intention de s'installer dans un autre pays en particulier, si c'est la destination au départ et que c'est là qu'elle se retrouve, on ne lui dira pas, si elle arrive à la frontière américaine et déclare qu'elle s'en va au Canada, qu'elle ne peut y aller. C'est ainsi que je comprends l'entente. Rien n'aurait donc empêché M. Nunez de venir au Canada.
Me Montbriand: Tout dépend si la personne a assez d'argent pour quitter le Chili en avion plutôt qu'en autobus. Si elle a des enfants par exemple, combien de temps pensez-vous qu'il lui faudra pour aller de Santiago - et cela s'est déjà fait - en autobus ou encore en auto-stop? Pourquoi y aurait-il discrimination à l'endroit d'une personne qui n'aurait pas les moyens de prendre un vol direct de Santiago à Toronto par exemple? Si donc il lui faut 10 jours pour atteindre la frontière, pourquoi ne pourrait-elle pas revendiquer le statut de réfugié?
Mme Minna: Je le répète, cette entente ne l'empêcherait pas de revendiquer le statut de réfugié.
Me Montbriand: Selon moi, oui. S'il faut 10 jours pour traverser les États-Unis avec toute une famille, cette personne ne peut pas demander l'aide à la frontière. Elle est forcée de le faire aux États-Unis et ne peut demander de le faire à Montréal.
Mme Mina: Je me suis documentée et je constate qu'en aucun cas les décisions sont arbitraires. On laisse beaucoup de latitude. Je pense qu'on est en train d'imaginer les pires cas de figure, ce qui se produit, quand on donne des exemples précis.
Me Montbriand: Dans l'entente, j'en conviens, on a fait un effort sincère pour tenir compte des cas particuliers. Quant à moi, je prétends qu'en plus des considérations familiales et des contraintes de temps, on devrait dire très clairement dans l'entente que les deux parties étudieront les motifs invoqués par le demandeur d'asile. Il faudrait qu'on tienne compte notamment du facteur linguistique.
La présidente: Monsieur McTeague, il ne reste que deux minutes au parti ministériel.
[Français]
M. McTeague: Même pas deux minutes.
Maître Montbriand, je suis un député de l'Ontario et j'ai bien entendu les commentaires à propos des francophones hors Québec. Ma question est tout à fait simple.
Vous avez dit tout à l'heure que si l'objectif de cette entente n'était pas de protéger les réfugiés de façon suffisante... Est-ce que vous pouvez nous parler de cas où cette entente pourrait nuire à celui ou celle qui recherche la protection?
Me Montbriand: Je ne saisis pas bien votre question. Je n'ai pas compris l'introduction.
M. McTeague: La question est tout à fait simple. Vous avez dit tout à l'heure que, d'après vous, cette entente n'assurait pas une protection suffisante. Pouvez-vous nous donner des cas dans lesquels cette entente pourrait...
Me Montbriand: Je ne vous dis pas que l'entente n'assure pas une protection suffisante. Je vous dis que cette entente est basée sur la prémisse que les deux systèmes, le système américain et le système canadien, offrent et offriront le même niveau de protection pour toutes les catégories de revendicateurs du statut de réfugié qui existent aujourd'hui ou qui existeront demain. Vous savez, il fut une époque où la très grande majorité des revendicateurs du statut de réfugié venaient de l'Europe de l'Est. Il n'y en a plus aujourd'hui. Ce fut la même chose pour le Chili un jour. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Ce que je vous dis, c'est qu'il est impossible d'établir à l'avance que les deux systèmes offrent le même niveau de protection pour tous. D'ailleurs, notre loi le reconnaissait jusqu'à il y a à peine deux ans. Notre loi précisait clairement que le Canada allait se réserver le droit de faire des ententes avec un tiers pays concernant tous les revendicateurs ou concernant certains groupes de revendicateurs. C'est une réalité du monde moderne.
M. McTeague: Donc, d'après vous, le système de protection canadien est bien supérieur à celui des États-Unis.
Me Montbriand: Dans certains cas. Dans certains cas peut-être pas, mais dans la majorité des cas, oui. Il est certainement supérieur pour ce qui est des Haïtiens qui fuient leur pays en bateau.
[Traduction]
La présidente: Monsieur McTeague, vous aurez la parole au tour suivant.
M. McTeague: D'accord. Je pensais que nous allions nous arrêter là.
La présidente: Pas du tout. Il y aura un autre tour. Je voudrais tout simplement compléter les dix minutes.
[Français]
Monsieur Nunez.
M. Nunez: Ma collègue du Parti réformiste a fait une allusion un peu méchante à mon égard. J'attribue son propos à sa frustration. En effet, son parti n'a gagné aucune élection hier soir et ne peut donc nous enlever notre statut d'Opposition officielle.
La présidente: Monsieur Nunez, nous avons dit que nous gardions ça pour la Chambre des communes. Est-ce qu'il y a une question pour les témoins?
M. Nunez: Oui.
La présidente: Merci. Les élections ne sont pas à l'ordre du jour. On connaît les résultats.
M. Nunez: L'article 5 de ce projet d'entente prévoit le renvoi des revendicateurs du statut de réfugié vers un tiers pays sans que leurs revendications soient entendues, sauf dans quelques cas exceptionnels.
Pour l'Opposition officielle, il n'y a aucune protection véritable pour les réfugiés qui seront renvoyés dans des pays tiers. Il n'y a aucun critère concernant les pays vers lesquels ils sont renvoyés.
Qu'est-ce que vous pensez de cet article 5 du projet d'entente?
Me Montbriand: Si, dans un cas donné, il était clairement établi ou possible d'établir que le renvoi dans ce tiers pays posait des risques pour le revendicateur, notre Constitution, telle qu'interprétée dans l'arrêt Singh, pourrait permettre d'obliger l'État canadien à entendre cette revendication au Canada.
Je vous rappelle qu'en 1996, quand la Cour suprême a rendu l'arrêt dans la cause de M. Singh, ce dernier n'était qu'un revendicateur du statut de réfugié. En tant que revendicateur du statut de réfugié, si on ne l'entendait pas - parce qu'à l'époque, on n'entendait pas les gens - , le bénéfice premier qu'il perdait était la protection contre un renvoi dans un pays où sa vie et sa sécurité pouvaient être en danger.
Comme c'était la prémisse fondamentale de toute la logique de la Cour suprême dans l'arrêt Singh, je pense que ceci serait un cas patent où, heureusement, la Constitution canadienne pourrait être d'une aide précieuse.
Mais c'est un mécanisme qui est très lourd. Il faut se présenter devant un tribunal supérieur, devant la Cour fédérale. C'est un mécanisme qui est coûteux et relativement long. Il n'est pas certain que la personne concernée pourrait vraiment exercer ce droit que je considère qu'elle possède intrinsèquement.
Je ne sais pas si je réponds à votre question.
M Nunez: Oui, c'est parfait.
Le professeur Hathaway, que vous connaissez et qui est, je pense, l'un des meilleurs experts au Canada concernant la question des réfugiés, nous a fait une proposition la semaine dernière ici. Il nous a proposé de modifier l'article 12 de ce projet d'entente de manière à ce que cette entente n'entre en vigueur que lorsque les lois des deux pays en la matière seront harmonisées.
Qu'est-ce que vous pensez de cette suggestion du professeur Hathaway?
Me Montbriand: Je pense que c'est le minimum de prudence que commande la situation.
Vous savez, il y a des propositions d'amendements assez majeurs aux États-Unis. De fait, ceci pourrait remettre en cause la présomption de compatibilité de nos deux systèmes.
Je n'ai pas besoin de vous rappeler que pour la même définition de «réfugié» qui est contenue dans la Convention de Genève, certains pays, de façon politique ou législative, adoptent des interprétations qui divergent beaucoup.
Par exemple, permettez-moi de vous rappeler qu'en Europe, certains pays ne reconnaissent que les gens qui sont persécutés par l'État. S'ils sont persécutés par des agents qui sont pas reliés à l'État, les gens ne peuvent pas être reconnus réfugiés, même si l'État est incapable de les protéger. La jurisprudence canadienne est tout à fait à l'opposé de cette situation.
Il peut y avoir des divergences majeures dans l'exercice de la souveraineté de chacun des États, ce qu'on ne peut pas nier. Mais à partir du moment où chaque État peut, dans une certaine mesure, faire ce qu'il souhaite, il est important qu'on en tienne compte dans les ententes bilatérales.
[Traduction]
La présidente: Monsieur McTeague, voulez-vous poursuivre?
M. McTeague: Non.
[Français]
On a déjà répondu à ma question grâce à ma collègue, Mme Minna. Je n'ai plus de questions.
La présidente: Merci.
[Traduction]
Madame Meredith?
Mme Meredith: Moi non plus.
La présidente: Avec votre permission, je vais poser quelques questions...
Me Montbriand: Madame la présidente, permettez-moi d'ajouter quelque chose à ce qu'a dit mon collègue. Dans mon exposé, je ne disais pas qu'il était impossible, dans des cas exceptionnels, très limités en nombre, qu'une demande soit entendue en français à l'extérieur du Québec. C'est possible, notamment à Toronto. Les ressources sont limitées mais la commission fait des efforts louables.
La présidente: C'était une question que je voulais vous poser. Merci. Je suis de la province de Québec, et...
Me Montbriand: À Toronto, il y a quelques avocats qui parlent français et quelques membres de la commission peuvent constituer un comité pour instruire une demande en français.
La présidente: En outre, la documentation dans toutes les commissions de l'immigration et du statut de réfugié est offerte dans les deux langues. C'est la politique officielle du gouvernement.
Me Montbriand: Vous avez raison pour ce qui est de la documentation préparée par la commission de l'immigration et du statut de réfugié. Toutefois, la documentation offerte est en général axée sur le genre de demandes d'asile présentées dans un district donné. Par exemple, à Montréal, la documentation concernant l'Algérie et le Zaïre est beaucoup plus abondante qu'à Toronto.
La présidente: Pourtant, au Canada, tous les réfugiés, tous les commissaires ont accès à une documentation dans l'une ou l'autre langue, n'est-ce pas? Répondez-moi par oui ou par non. Jamais on n'a refusé à quelqu'un qui demandait le statut de réfugié de la documentation dans une langue ou dans l'autre, n'est-ce pas.
Me Montbriand: S'il s'agit de documents préparés par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié...
La présidente: Elle est offerte dans les deux langues.
Me Montbriand: Assurément, mais...
La présidente: Merci.
À votre connaissance, est-ce la première fois qu'une telle ébauche ait été fournie d'avance à des organisations non gouvernementales, c'est-à-dire distribuée librement et discutée librement?
Me Montbriand: Voulez-vous dire au Canada?
La présidente: Au Canada.
Me Montbriand: Les ébauches de cette entente circulent depuis 1988, si je me souviens bien. Effectivement, c'est la première fois que l'on procède à des consultations publiques officielles.
La présidente: Autrement dit, il y a eu des consultations poussées sur une entente qui, dans des circonstances ordinaires, n'aurait pas été distribuée au préalable.
Me Montbriand: Que je sache, aucune règle n'interdit les consultations préalables mais dans d'autres pays, on procède de façon semblable à ce qui a été fait dans ce cas-ci. Selon moi, il s'agit de l'application d'un principe démocratique fondamental, principe auquel j'adhère entièrement.
La présidente: Autrement dit, à votre avis, tous les groupes qui souhaitaient exprimer leur opinion ont disposé de tout le temps nécessaire pour le faire, n'est-ce pas?
Me Montbriand: Je dois vous dire que oui. Je ne sais pas toutefois si l'on peut dire catégoriquement «tous les groupes». Des groupes ont peut-être demandé à être entendus par votre comité et je ne pourrais...
La présidente: Je ne pensais pas particulièrement au comité. Je songeais aux consultations qui se sont déroulées à propos de cette entente.
Me Montbriand: Que je sache, à part une réunion qui s'est tenue il y a quelques semaines ici à Ottawa, la séance du comité est la première consultation digne de ce nom.
L'ébauche a été distribuée à la fin de l'année dernière, officiellement et officieusement. Il y a quelques semaines, il y a eu une rencontre avec le sous-ministre Tsaï et son équipe, à laquelle assistaient des membres des ONG et des représentants des barreaux.
[Français]
La présidente: J'aimerais citer la lettre du Haut Commissariat pour les réfugiés:
Le HCR ne s'oppose pas à ce type d'accord pourvu qu'il prévoie les garanties nécessaires à la protection des réfugiés.
On dit plus loin, au troisième paragraphe:
- il existe plutôt une pratique établie par de nombreux États; ainsi l'existence des accords de
réadmission dans les pays européens, ex. Schengen (1985) et Dublin (1991).
Me Montbriand: En ce qui a trait à la dernière remarque, c'est une situation de fait qui existe.
[Traduction]
Même au Canada, les tribunaux qui instruisent des revendications du statut de réfugié ont toujours pris en compte le fait qu'une personne puisse être passée par d'autres pays signataires de la convention... ou des personnes dont la demande a été rejetée dans un autre pays. Au Canada, la coutume veut que nous tenions compte de ce facteur et dans certains cas, c'est précisément pour cette raison que la demande est rejetée.
La présidente: Dans certains cas...
Me Montbriand: Je ne veux pas dire que c'est précisément pour cette raison mais dans de tels cas, l'évaluation de la crédibilité d'un demandeur s'en ressent. Les commissaires tiennent toujours compte de ce facteur.
[Français]
La présidente: La raison pour laquelle je souligne ce paragraphe, c'est qu'il y a eu des discussions en 1991, à Dublin, auxquelles assistait le haut commissaire pour les réfugiés, si je ne me trompe. Il était d'accord, en principe, pour que la pratique devienne la loi. Il arrive - je m'excuse car je ne suis pas avocate et je ne veux pas prétendre l'être - que la pratique se transforme en loi, après qu'il y ait eu un premier accord ou une première entente qui aille dans le même sens. Mais il y a eu des discussions, tout de même, en 1991, allant justement dans le sens de cette entente.
Me Montbriand: On ne peut pas nier qu'il y a eu des discussions; on ne peut pas nier qu'il y a eu une entente de signée entre les pays membres de la communauté européenne. Je ne vous cacherai pas que la mise en vigueur et l'exercice de cet accord posent beaucoup de problèmes en Europe parce que, justement, les pays signataires de cet accord ne satisfont pas nécessairement aux critères minimaux ou fondamentaux qu'ils se sont tous engagés à respecter.
À partir du moment où il y a manquement au respect de ces conditions, l'accord devient déjà boiteux. Nous ne disons pas que le gouvernement canadien n'a pas le droit de signer un tel accord. Nous ne disons pas qu'un tel accord n'a aucune justification. Nous disons que s'il y en a un, il doit être basé sur des prémisses qui existent vraiment. Les objectifs de cet accord doivent être énoncés de façon claire et nette publiquement et, surtout, l'accord doit contenir des mécanismes, pas uniquement pour les pays signataires mais aussi pour les individus visés, par lesquels faire valoir certains aspects particuliers d'un cas ou l'autre.
Il est impossible, dans un texte de huit pages, de prévoir toutes les situations et tous les types de revendications, la façon dont chaque État les traitera et, surtout, ce qui arrivera au système dans chaque État au fil des mois peut-être. Aux États-Unis, c'est une question de mois peut-être.
La présidente: Oui, mais aucun système n'est parfait et aucune loi ne peut régler tous les cas individuels. Il y a toujours des exceptions.
Une dernière question, si vous me permettez. Les témoins qui ont comparu devant la Dotation Carnegie pour la paix internationale étaient nombreux. Il y avait M. Gerald Shannon qui était le représentant du Canada aux Nations unies, à Genève, et M. Eduardo Arboleda,
[Traduction]
chef de la section nord-américaine du bureau régional du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Amérique et Caraïbes,
[Français]
lesquels ont tous deux expliqué que...
[Traduction]
Permettez-moi de le lire:
- En règle générale, l'organisation estime que les ententes entre États ne peuvent que renforcer la
protection des réfugiés en favorisant l'instruction méthodique des demandes d'asile et ces
ententes pourraient réduire les abus de procédures à des fins de migration irrégulière. En
principe elle ne s'oppose pas...
- ...et il s'agit ici du Haut Commissariat des Nations Unies - pour les réfugiés...
- ...aux accords de réadmission pourvu qu'il prévoie les garanties nécessaires à la protection des
réfugiés et que la responsabilité de l'État face à une demande d'asile soit clairement définie afin
d'éviter les situations où les demandeurs se trouvent dans les limbes.
Est-ce que vous êtes d'accord que l'entente essaie quand même de régler ce que MM. Arboleda et Shannon désignent par le nom de migration management?
Me Montbriand: Honnêtement, madame la présidente, je ne vois pas le problème que tente de solutionner cet accord. On fait plutôt référence, à ce stade-ci, à des problématiques possibles ou à des abus possibles par des gens qui auraient vécu longtemps aux États-Unis ou qui auraient même été refusés aux États-Unis.
Jusqu'ici je ne sais pas si, dans les longues audiences que vous avez tenues, on vous a rapporté des cas concrets de telles situations. Moi je n'en ai pas entendu parler. Je ne doute pas que de tels cas existent. Je n'en doute pas.
Cela étant dit, s'agit-il de cinq cas par année, de 12 cas ou si, comme semblait l'insinuer le témoin de ce matin, M. Bauer, d'une éventuelle nuée de revendicateurs qui pourrait approcher les 450 000? Vous comprendrez que l'État canadien est vis-à-vis d'une grande marge de réactions possibles en rapport avec les chiffres.
Certains témoins l'ont dit clairement, je pense, devant vous. Ils l'ont dit aussi à la ministre. Nous tentons d'identifier la problématique que vous voulez solutionner par cet accord et nous n'arrivons pas à la cibler et à la visualiser. Je ne doute pas qu'il peut exister des problématiques, mais encore faut-il qu'on puisse être à même de les déterminer concrètement.
Avec tout le respect que je vous dois, madame la présidente, je pense que c'est la responsabilité des députés qui siègent en notre nom à la Chambre des communes de s'assurer qu'on légifère ou qu'on conclue des ententes pour solutionner de véritables abus. Je ne doute pas qu'il peut y en avoir, mais j'aimerais bien qu'ils soient précisés plus clairement. Je crains que les quelques abus nous fassent subir une solution du genre du bébé qu'on jette avec l'eau du bain. Ce sera à voir éventuellement, mais...
La présidente: Je vous remercie. Bonne journée.
[Traduction]
Nous nous réunirons à 15h30 dans la salle 701. Merci.
La séance est levée.