[Enregistrement électronique]
Le mercredi 15 mai 1996
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte. Le Comité des finances de la Chambre des communes est très heureux d'accueillir le gouverneur de la Banque du Canada, Gordon Thiessen, qui est accompagné par le sous-gouverneur, M. Paul Jenkins.
Nous avons hâte de vous entendre, monsieur le gouverneur.
M. Gordon G. Thiessen (gouverneur de la Banque du Canada): Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis très heureux d'avoir été invité devant votre comité pour discuter de la livraison du printemps du Rapport sur la politique monétaire, qui a été rendue publique la semaine dernière.
Je dois dire, monsieur le président, que mes collaborateurs et moi considérons cette comparution semestrielle comme une occasion très importante de rendre compte de notre conduite de la politique monétaire.
[Français]
Chaque Rapport sur la politique monétaire présente l'évaluation que la Banque fait de la tendance actuelle de l'inflation et explique les mesures de politique monétaire que nous avons jugé nécessaire d'appliquer pour maintenir cette tendance à l'intérieur de la fourchette cible de maîtrise de l'inflation de 1 à 3 p. 100. Le Rapport donne également le point de vue de la Banque sur les perspectives d'inflation à court terme et à moyen terme, et un aperçu de notre analyse de l'évolution des indicateurs économiques.
[Traduction]
Si vous le permettez, monsieur le président, j'aimerais reprendre ce que je vous ai déjà dit sur le fonctionnement de nos cibles de maîtrise de l'inflation. Comme nous le faisons remarquer dans le rapport, ces cibles ne sont pas une fin en soi, mais le moyen par lequel la banque contribue à la bonne tenue de notre économie. Une économie fonctionne mieux lorsque l'inflation est faible. Qui plus est, grâce à des mesures visant à maintenir l'inflation à l'intérieur de notre fourchette cible de 1 à 3 p. 100, la politique monétaire joue en quelque sorte le rôle de stabilisateur automatique de l'activité économique.
Lorsque l'économie est vigoureuse et que les pressions sur les capacités de production qui en découlent sont susceptibles de pousser l'inflation au-delà de la limite supérieure de la fourchette que nous visons, la banque agira dans le sens d'un resserrement des conditions monétaires. De même, lorsque l'économie piétine et que par conséquent la tendance de l'inflation risque de tomber sous la limite inférieure de la fourchette cible, la banque sera amenée à assouplir les conditions monétaires.
J'aimerais expliquer davantage pourquoi nous estimons qu'il est important de maintenir la tendance de l'inflation à l'intérieur de la fourchette cible.
Nous nous sommes engagés auprès des Canadiens à faire en sorte qu'ils aient plus de certitude en ce qui concerne le niveau général des prix dans l'économie. Ils peuvent plus facilement préparer des plans d'avenir et prendre de bonnes décisions concernant l'épargne, l'investissement et la production lorsqu'ils sont convaincus que la valeur de la monnaie qu'ils utilisent sera stable grâce à des mesures rigoureuses de maîtrise de l'inflation.
Nous avons pour devoir d'agir avec diligence en présence de signes indiquant que la tendance de l'inflation menace d'augmenter au-delà ou de tomber en deçà de notre fourchette cible. En agissant promptement, nous réduisons l'incertitude à moyen terme entourant les mouvements des prix et favorisons l'éclosion d'attentes d'inflation future qui restent compatibles avec notre fourchette cible.
[Français]
L'indice de référence de la hausse des prix, soit l'indice des prix à la consommation hors énergie, alimentation et effet des modifications des impôts indirects, est descendu dans la moitié inférieure de la fourchette cible en décembre dernier. En même temps, malgré la très bonne tenue des exportations canadiennes au second semestre de 1995, le rythme global de l'activité économique a été plus faible que prévu, dans une large mesure en raison de l'érosion de la confiance des consommateurs. En conséquence, les capacités inutilisées se sont accrues, et les pressions à la baisse sur l'inflation ont persisté.
[Traduction]
Dans ce contexte, la banque a abaissé sa fourchette pour le taux du financement à un jour à six reprises depuis la fin d'octobre, assouplissant ainsi les conditions monétaires de 200 points de base environ. L'indice des conditions monétaires se situe actuellement à son niveau le plus bas en deux ans. Les marchés financiers ont réagi favorablement à ces mesures. Les taux du marché monétaire ont reculé sensiblement au même rythme que le taux de financement à un jour, et le dollar canadien est resté ferme.
Les bons résultats obtenus par le Canada sur le front de l'inflation, les progrès accomplis dans la voie de la réduction du déficit des finances publiques et l'amélioration marquée du solde de notre balance commerciale et de notre balance des paiements qui s'est produite au second semestre de 1995 ont contribué à cette réaction positive des marchés financiers.
La banque a fait preuve de prudence dans ses mesures parce qu'elle tenait à ce que l'amélioration de la situation économique soit comprise le mieux possible et qu'il y ait le moins d'incertitude possible au sujet de ses intentions.
[Français]
Les perspectives pour 1996 semblent prometteuses. L'économie américaine, l'élément le plus important de la conjoncture économique internationale dans laquelle évolue le Canada, semble avoir repris un profil de croissance constant. La demande intérieure devrait aussi s'améliorer dans les prochains mois, à la faveur du repli marqué des taux d'intérêt à court terme.
[Traduction]
Somme toute, des facteurs tant externes qu'internes laissent supposer que le rythme d'expansion de l'activité économique sera plus rapide en 1996 qu'en 1995. Néanmoins, il est peu probable que les capacités excédentaires dans l'économie se résorbent de façon significative avant la fin de l'année. Par conséquent, nous nous attendons à ce que notre indice de référence de l'augmentation des prix demeure dans la moitié inférieure de notre fourchette cible pendant toute l'année 1996.
Il reste que la politique monétaire doit être orientée vers l'avenir et, lorsque nous considérons le moyen terme, nous entrevoyons un certain nombre d'incertitudes entourant l'évolution future de l'économie canadienne.
[Français]
La relance attendue de l'activité économique devrait continuer de réduire une partie des capacités inutilisées dans l'économie au cours de 1997, mais une marge importante de surcapacité pourrait subsister. Cela laisse entrevoir la possibilité que dans un an ou deux, la tendance de l'inflation puisse se situer en deçà de la limite inférieure de notre fourchette cible. Dans ce cas, il y aura lieu d'assouplir la trajectoire souhaitée à moyen terme pour les conditions monétaires afin de contrer cette tendance.
[Traduction]
Mais, comme je l'ai dit, il existe en ce moment une grande incertitude, notamment en ce qui concerne le niveau de confiance des consommateurs. Nous devons donc aussi considérer la possibilité que la détente marquée des conditions monétaires survenue au cours des six derniers mois donne lieu à un fort regain de confiance chez les consommateurs, regain qui pourrait se traduire par une relance beaucoup plus forte de l'activité économique et une atténuation des préoccupations quant aux pressions à la baisse sur l'inflation.
Par conséquent, monsieur le président, nous continuerons de suivre de près les données économiques au cours de la période qui vient afin de nous faire une idée de la résultante des risques entourant la tendance de l'inflation.
Mon collaborateur, Paul Jenkins, et moi allons nous faire un plaisir de répondre à vos questions, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur le gouverneur.
Monsieur Loubier.
[Français]
M. Loubier (Saint-Hyacinthe - Bagot): Monsieur le gouverneur, je vous souhaite la bienvenue.
J'aurais deux questions à vous poser par rapport à la politique de la Banque du Canada. Une étude a été publiée récemment par M. Robson de l'Institut C.D. Howe, ainsi que M. Laidler. Cette étude concluait qu'en 1990-1991, la politique monétaire avait ralenti la reprise économique et qu'un peu après le début de votre gouverne, c'est-à-dire fin 1994 début 1995, là aussi l'économie avait été ralentie par la politique excessive des taux d'intérêt de la Banque du Canada.
Vous-même avez reconnu l'année dernière, lorsque vous avez rendu public votre rapport annuel, que la politique monétaire avait été excessive et que si on avait prévu une croissance économique plus faible lors des premier et deuxième trimestres de 1995, la politique de la Banque du Canada aurait été légèrement différente et on aurait pu être moins restrictif au niveau de la politique monétaire. La politique de taux d'intérêt aurait été moins rigide également et on s'y serait ajusté.
Depuis deux ans, j'observe la situation et j'ai regardé aussi les derniers chiffres sur le taux d'inflation. On parle, au mois de mars, d'un taux d'inflation au Canada d'à peu près 1,4 p. 100, ce qui se situe dans la partie inférieure de votre fourchette, qui est entre 1 et 3 p. 100.
Monsieur le gouverneur, par rapport à l'analyse que vous faisiez l'année dernière et à l'analyse faite par l'Institut C.D. Howe cette année, la politique monétaire de la Banque du Canada est-elle à nouveau excessive? À vouloir trop courir après un mal qui me semble contrôlé à l'heure actuelle, parce qu'on se situe toujours dans la partie inférieure de la fourchette inflationniste, est-ce qu'on ne détruirait pas tout à fait la faible reprise qu'on remarque depuis environ 18 mois? C'est ma première question.
M. Thiessen: Quand on regarde en arrière, on peut toujours trouver la possibilité d'améliorer quelque peu sa politique. Mais il faut reconnaître que le Canada a une économie très ouverte sur le reste du monde. Il y a toujours des chocs qui arrivent de l'extérieur. L'année dernière, par exemple, la conjoncture américaine était beaucoup plus faible que prévue, puis on a eu une crise de devise au Mexique. Ces choses-là ont beaucoup affecté le Canada. Il n'est certainement pas possible que la politique monétaire contrôle ou renverse toutes ces tendances.
À cause de ça, je pense que l'étude de l'Institut C.D. Howe est trop négative; ses économistes pensent qu'on peut toujours ignorer la situation des marchés financiers, particulièrement le marché du dollar canadien, ce que je n'accepte pas. Je crois qu'il faut toujours garder la confiance des investisseurs dans les marchés. Il faut parfois hausser les taux d'intérêt, comme au début de 1995, et accepter le fait que notre pays a une économie ouverte au reste du monde.
M. Loubier: Monsieur le gouverneur, je ne nie pas le fait que, dans des moments de crise momentanée comme la crise du peso de l'année dernière, la Banque du Canada soit obligée d'intervenir pour soutenir le dollar et en arriver à maintenir des taux d'intérêt assez élevés pendant une certaine période.
Mais, indépendamment de ceci, depuis la gouverne de votre prédécesseur et surtout de la vôtre à la Banque du Canada, vous visez la partie inférieure de la fourchette inflationiste. Je me demande si je ne dois pas souscrire aux critiques de MM. Robson et Laidler et s'il n'y aurait pas moyen d'en arriver à quelque chose de mitoyen pour permettre - je parle en termes de taux d'intérêts - de ne pas compromettre, même avec un taux d'inflation sensiblement plus élevé, la faible reprise que nous avons vue au cours des 18 ou 24 derniers mois au niveau de l'emploi. Je crois que les critiques vont continuer à abonder à cet égard. Vous l'avez vous-même reconnu l'année dernière.
J'aimerais aborder la question de la déflation. Voici ce qu'on lisait dans l'Ottawa Citizen le13 mai dernier:
[Traduction]
- «Si l'inflation est ramenée à 1 p. 100, nous risquons de connaître une déflation, de dire
Thiessen, et cela peut avoir des effets catastrophiques sur l'économie.»
Pourriez-vous décrire les effets dévastateurs d'une situation de déflation? Est-ce que les indices de prix que vous utilisez à l'heure actuelle pour réagir au niveau de la fixation des taux d'intérêt ne mériteraient pas d'être revus à la lumière des nombreuses critiques qui fusent à l'heure actuelle à la grandeur du Canada?
M. Thiessen: Excusez-moi, vous parlez de quels indices?
M. Loubier: La première question portait sur la définition des effets dévastateurs de la déflation.
[Traduction]
M. Thiessen: Effectivement.
[Français]
M. Loubier: La deuxième question s'y rapporte quelque peu aussi. Les indices de prix que vous utilisez à l'heure actuelle pour fixer les taux d'intérêt pour suivre l'évolution inflationniste au Canada ne surestiment-ils pas l'inflation et, le cas échéant, les effets de la déflation pourraient-ils déjà se faire sentir au Canada?
M. Thiessen: Tout d'abord, j'aimerais dire qu'on ne vise pas un taux d'inflation situé dans la moitié inférieure de notre fourchette. Il n'est pas possible de contrôler le taux d'inflation de façon aussi précise. En effet, nous avons un taux d'inflation dans la partie inférieure de notre fourchette, mais nous visons toujours la moitié de notre fourchette. Mais ça prend du temps. La politique monétaire a un effet sur le taux d'inflation pendant une ou deux années. Nous ne pouvons contrôler en tout temps le taux d'inflation.
M. Loubier: Juste une petite précision. Pouvez-vous, par exemple, contrôler les taux à court terme?
M. Thiessen: Les taux d'intérêts? Je parle du taux d'inflation.
M. Loubier: D'accord. Mais lorsque vous arrivez à une situation où depuis plusieurs trimestres consécutifs, vous êtes dans la partie inférieure de votre fourchette, n'y a-t-il pas lieu à un moment donné de faire une petite relâche dans la lutte à l'inflation, de façon à permettre un envol plus consistant au niveau de la création d'emplois? Vous l'aviez vous-même reconnu l'année dernière. Il ne faut pas attendre une autre année pour reconnaître en fin d'exercice qu'on aurait peut-être dû faire un peu de relâchement. C'est en ce sens que j'ai posé ma question.
M. Thiessen: Nous expliquions dans notre Rapport sur la politique monétaire que nous avions beaucoup assoupli les conditions monétaires au cours de la dernière année, et plus particulièrement au cours des six derniers mois, à cause de la très très faible tendance de l'inflation, de la déflation au Canada.
Je voudrais répondre à votre question en anglais parce que j'aimerais être plus clair.
[Traduction]
Lorsque j'ai parlé de déflation, je ne voulais pas donner l'impression que j'en prédisais une. J'essayais en fait de faire ressortir à quel point nous prenions au sérieux notre engagement à maintenir l'inflation à l'intérieur de la fourchette cible.
J'ai utilisé le cas extrême d'une évolution déflationniste des prix pour montrer pourquoi nous devions nous préoccuper des tendances à la baisse et à la hausse, mais je ne voulais pas laisser entendre que nous étions au bord de la déflation. Ce que mes collaborateurs et moi essayons de dire clairement, c'est que la tendance inflationniste semble très faible au Canada.
Le problème auquel nous faisons face consiste à savoir si la croissance de l'activité économique sera raisonnablement robuste, ce qui atténuerait les pressions à la baisse sur le taux d'inflation, ou s'il y a lieu, à moyen terme, d'assouplir davantage les conditions monétaires.
Je ne veux laisser subsister aucun doute. Je n'ai pas prédit de déflation. Je tentais simplement de montrer que nous étions très déterminés, que nous ne voulions pas que l'inflation soit supérieure à la fourchette cible, ni inférieure.
[Français]
M. Loubier: Monsieur Thiessen, dans votre exemple au sujet de la déflation, vous parliez d'effets dévastateurs. Quels sont-ils?
[Traduction]
M. Thiessen: Si on se retrouve avec une forte tendance à la hausse ou à la baisse dans les prix, les conséquences peuvent être néfastes pour l'économie. La spirale inflationniste a tendance à encourager la spéculation et l'accumulation d'une dette excessive. Par contre, une tendance des prix à la baisse peut décourager la consommation et affaiblir l'économie.
Mais, je le répète encore, je ne prédis aucune baisse. Je ne dis pas que nous sommes au bord de la déflation. J'ai simplement essayé de dire qu'il était très important que la banque se soucie également d'être au-dessus de la limite inférieure de la fourchette et au-dessous de la limite supérieure.
[Français]
Quant à votre troisième question, c'est l'indice des prix à la consommation que nous utilisions pour calculer l'inflation. Nous croyons qu'il y a une petite marge d'erreur - je n'en suis pas certain - et que cet indice n'est pas tout à fait impartial, mais l'écart n'est pas très élevé. On parle d'un demi-point de pourcentage, pas plus. On va revenir à cette question cette année parce qu'elle est importante.
Aux États-Unis, on parle souvent d'un écart de deux points de pourcentage; c'est beaucoup et ça change complètement la situation. Si vous avez un taux d'inflation de 2 p. 100 et une marge d'erreur aussi élevée, vous pouvez vraiment vous retrouver avec un taux d'inflation de 0. Ce n'est pas le cas au Canada.
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Loubier. Nous passons maintenant à M. Solberg.
M. Solberg (Medicine Hat): Merci, monsieur le président.
Monsieur Thiessen, nous sommes heureux de vous accueillir. Je vous prie de m'excuser de ne pas avoir été là pour votre exposé du début.
La question a peut-être été déjà posée. Le secteur privé s'entend généralement pour prévoir une croissance réelle du PIB de 2 p. 100. La banque partage-t-elle cette opinion et, dans l'affirmative, est-elle disposée à réduire davantage les taux pour éviter tout risque de déflation?
M. Thiessen: Cela dépend dans une grande mesure de la période dont vous parlez. Chose certaine, pour l'année civile 1996, la croissance moyenne sur l'année est effectivement de 2 p. 100, d'après ce que nous et la plupart des observateurs pensons. Cela suppose un taux de croissance d'environ 2 p. 100 au cours des deux premiers trimestres et d'environ 3 p. 100 ou plus au cours du deuxième semestre.
Ce qui importe vraiment, c'est ce qui va se passer après cela. Si nous commençons à avoir des taux de croissance de 3 p. 100 dans la deuxième moitié de l'année - et il est possible qu'il y ait une accélération, la situation sera tout à fait différente. C'est que nous commencerons alors à résorber une partie de la capacité inutilisée de l'économie canadienne. Comme nous l'avons dit ici, la pression à la baisse sur le taux d'inflation disparaîtra alors.
M. Solberg: J'ai une question à poser à propos des méthodes de la banque relativement à l'indice des conditions monétaires. Est-ce que la banque se fie à cet indice?
M. Thiessen: Oui, elle le fait.
M. Solberg: D'accord. Dans ce cas, un dollar faible fera-t-il augmenter les taux d'intérêt, si c'est là le mécanisme que la banque utilise?
M. Thiessen: Il faut penser à tout le reste de ce qui se passe dans l'économie au même moment. Nous n'établissons pas les conditions monétaires à maintenir pour nous y tenir rigidement, peut importe ce qui arrive. Nous évaluons constamment la conjoncture pour voir quelles sont les conséquences sur le plan de l'inflation et voir la voie qu'il importe de suivre en ce qui concerne les conditions monétaires.
Si le dollar se renforce et que tout le reste stable, il n'y a pas de raison de penser qu'un dollar plus fort veut dire que l'économie est plus forte et qu'une pression à la hausse de fait sentir sur l'activité économique. Et si la valeur du dollar promet de rester élevée, nous chercherons à compenser en abaissant les taux d'intérêt. Par contre, si le dollar se raffermit parce que, par exemple, le prix de nos produits explose et si l'économie canadienne semble sur le point d'enregistrer une croissance rapide, nous n'interviendrons peut-être pas.
M. Solberg: Monsieur le président, je cède la parole à quelqu'un d'autre pour l'instant.
Le président: Merci, monsieur Solberg. Monsieur St. Denis.
M. St. Denis (Algoma): Merci d'être venu nous rencontrer, monsieur le gouverneur.
Vous avez dit dans votre exposé qu'il existait une capacité inutilisée dans l'économie canadienne, ce qui peut être bien, surtout, comme vous l'avez dit, dans un contexte de croissance, car il y a une possibilité de croissance qui ne suscitera pas nécessairement des problèmes d'inflation. Avons-nous une façon de mesurer cette marge de croissance et, si oui, où en sommes-nous? Pouvons-nous tirer de ces chiffres quelque réconfort pour un certain temps, pour les deux prochaines années, en ce qui concerne la capacité de croissance?
M. Thiessen: Absolument. Dans notre Rapport sur la politique monétaire, nous donnons notre estimation du taux d'utilisation de la capacité par rapport au potentiel de production de l'économie. Selon nous, la capacité inutilisée est en gros de 2,5 à 3 p. 100. Je dois vous dire que cette estimation comporte une grande marge d'erreur. Les calculs sont difficiles à faire. Il faut les faire, car c'est important, mais on ne cherche pas une trop grande précision.
En général, on peut effectivement dire que l'économie peut croître assez rapidement au cours des prochaines années sans provoquer de fortes pressions inflationnistes, ni même aucune, à vrai dire.
M. Paul Jenkins (sous-gouverneur, Banque du Canada): Je pourrais peut-être ajouter quelques éléments de réponse. À moyen terme, le taux de croissance possible qui correspondrait à ces chiffres serait de l'ordre de 3 p. 100. On pourrait envisager un taux de croissance supérieur à3 p. 100. La capacité pourrait être absorbée sur une certaine période.
Il faut donc répondre oui à votre question.
Le président: Madame Brushett.
Mme Brushett (Cumberland - Colchester): Merci, monsieur le président.
J'ai une ou deux questions à poser. La première concerne l'harmonisation de la TPS. Elle fera diminuer le taux global des taxes de vente dans la région de l'Atlantique, mais la mise en oeuvre ne se fera pas avant un certain temps. Si les consommateurs retardent l'achat de gros articles en attendant la nouvelle taxe pour réaliser des économies, est-ce que la banque va intervenir? Que pouvez-vous faire pour stimuler l'économie?
M. Thiessen: La vraie question consiste probablement à savoir quelle sera l'importance de ce phénomène, dans quelle mesure les consommateurs retarderont leurs achats. C'est difficile à dire pour l'instant.
Une précision, toutefois. Lorsque nous examinons l'inflation et mesurons la tendance, nous faisons abstraction de tout effet des changements dans les impôts indirects. Nous ne prêtons pas attention aux hausses ou aux baisses fortuites provoquées par un élargissement de l'assiette de la TPS ou une réduction des taxes sur le tabac. Nous essayons de voir le mouvement d'ensemble.
Ce que nous devons faire, pour appliquer la politique monétaire, c'est tenir compte de la situation au Canada dans son ensemble et tenter de prévoir ce qui arrivera. Nous essayons constamment de voir ce qui va se passer un an ou deux à l'avance dans l'ensemble du pays. S'il semble, pour une raison ou une autre, que l'harmonisation occasionne un retard dans les achats, nous devrons en tenir compte. Mais s'il s'agit d'un phénomène provisoire qui ne durera pas très longtemps, je ne pense pas que nous puissions faire quoi que ce soit au moyen de la politique monétaire.
Mme Brushett: La deuxième question porte sur le taux bancaire. Vous avez annoncé votre nouvelle politique en février 1996. Je suis désolée si j'ai raté des explications que vous avez données à ce sujet. Pouvez-vous expliquer davantage la différence que cette modification a faite dans le système?
M. Thiessen: Nous avons essayé de l'expliquer par une note technique qui figure à la page 14 du Rapport sur la politique monétaire. Pendant environ 16 ans, nous avons établi directement le taux d'escompte. Il était fixé à 25 centièmes, ou un quart de point, au-dessus du taux des bons du Trésor du gouvernement canadien, à tous les mardis. Nous avons opté pour cette formule il y a 16 ans parce que, à l'échelle internationale, nous connaissions une période d'inflation très grave. Les taux d'intérêt étaient extrêmement volatils, et les fluctuations étaient d'une extraordinaire amplitude.
À l'époque nous avions beaucoup de mal à décider de la manière d'établir le taux d'escompte dans la politique monétaire du Canada. Nous avons contourné la difficulté en liant le taux d'escompte à un taux du marché. Nous devions toujours essayer d'influencer les taux d'intérêt à court terme au Canada, mais nous devions tenir compte de la grande instabilité des taux internationaux.
À l'heure actuelle, les taux d'inflation sont faibles partout dans le monde, en tout cas dans les pays industrialisés. Cela veut dire que les taux d'intérêt sont également plus faibles et moins instables qu'il y a 16 ans. Dans ces circonstances, il est possible de pratiquer un taux d'escompte fixe, que nous ne modifions que lorsque cela semble nécessaire pour adapter les conditions monétaires.
Au fond, c'est un avantage, si je puis dire, de notre monde d'inflation faible et de plus grande stabilité. Il est possible d'assurer une transparence beaucoup plus grande au sujet de la politique monétaire.
Nous avons constaté que les commentateurs des journaux et des stations de télévision et de radio avaient beaucoup de mal à interpréter l'évolution des taux. Par exemple, mettons que le taux d'escompte augmentait de 37 centièmes. Ce pouvait être à cause d'une information provenant des États-Unis et à laquelle le marché réagissait. Nos taux d'intérêt augmentaient donc cette semaine-là. Mais il se pouvait fort bien que les éléments fondamentaux de la politique monétaire canadienne n'aient aucunement changé.
Désormais, lorsque le taux de change officiel changera, ce sera parce que nous aurons modifié notre fourchette opérationnelle pour le financement à un jour. C'est sur ce taux que la politique monétaire a une énorme influence. Lorsque nous y apporterons des modifications, nous annoncerons un changement du taux d'escompte, et nous expliquerons pourquoi nous agissons de la sorte.
Le président: Monsieur Loubier.
[Français]
M. Loubier: Monsieur le gouverneur, je reviens sur l'indice utilisé qui, à mon avis, est très important. Lorsqu'on est rendu à un taux d'inflation d'environ 1,4 p. 100, une simple erreur dans l'utilisation d'un indice peut faire toute la différence. Mettons-la à 100 p. 100 - au pire - et on serait à un taux d'inflation qui avoisinerait 0 p. 100, et on se dirigerait directement vers une déflation. Une politique monétaire basée sur un mauvais indice surestime l'inflation et pourrait faire en sorte qu'on contribue aux effets dévastateurs d'une déflation auxquels vous faisiez allusion plus tôt.
On passerait d'une phase où les consommateurs se sentent dans l'insécurité face à leur avenir économique, à une phase où ils seraient en attente parce que les prix commenceraient à chuter année après année. Les investisseurs seraient aussi en attente, alors qu'ils étaient dans un environnement incertain face à l'avenir économique au cours des trois dernières années. Ils se retrouveraient dans une situation d'attente face à des perspectives de profit qui s'avéreraient moins bonnes en situation de déflation.
Il est donc important que la Banque du Canada se penche rapidement là-dessus. Si vous vous trompiez, si ce n'était pas seulement 0,5 p. 100, mais 1,5 p. 100 par exemple, et qu'on soit en pleine déflation, après deux années de faible reprise, on se retrouverait dans une situation de déflation qui serait catastrophique pour l'économie canadienne.
M. Thiessen: Je suis certain que nous ne sommes pas dans cette situation. Nous avons examiné de très près cet indice. Selon les résultats de notre recherche, l'erreur maximum serait d'un demi-point de pourcentage. En examinant la situation à nouveau, nous pourrions peut-être constater un autre petit changement. Je ne crois pas qu'une erreur de 1 point de pourcentage soit possible. Absolument pas.
M. Loubier: La politique que vous poursuivez à l'heure actuelle, qui est quand même encore rigide, ne risque-t-elle pas de nous précipiter dans une déflation qui nous plongerait dans une nouvelle récession avant tout le monde?
M. Thiessen: Non.
M. Loubier: Vous en êtes certain?
M. Thiessen: Il est difficile de dire que nous en sommes absolument certains, mais je ne crois pas que tel soit le cas. Je crois que la politique monétaire favorise maintenant une croissance plus élevée dans notre économie. Notre politique monétaire soutient l'économie.
M. Loubier: Je garde ceci en mémoire, monsieur le gouverneur, tout comme j'ai gardé en mémoire que vous affirmiez l'année dernière que la politique monétaire aurait dû être un peu plus flexible. Je garderai en mémoire que la politique de la Banque du Canada ne contribue pas à nous lancer en déflation.
Nous y reviendrons au cours de l'année. Il faut faire très attention à cela. Il y a à l'heure actuelle un débat très sérieux au Canada sur l'utilisation des indices. Je pense que la Banque du Canada y gagnerait en crédibilité, et nous en sécurité face à l'avenir, si les indices utilisés reflétaient davantage la réalité.
[Traduction]
M. Thiessen: Je répète que nous allons étudier de nouveau cette question, mais nous l'avons déjà examinée de très près.
Lorsque je vous parle de 0,5 p. 100, ce calcul repose sur l'erreur maximum dans chacune des catégories de l'indice des prix à la consommation. Lorsque nous avons examiné la question, nous avons pris en compte l'erreur maximum possible.
Nous allons de nouveau revoir la question. Je crois que c'est notre devoir de le faire, et nous allons le faire.
Pour l'instant, je dois vous dire que je suis très étonné de certaines des estimations rendues publiques aux États-Unis, et vous constaterez, je crois, qu'il y a divergence d'opinion entre certains des commentateurs et ceux qui produisent l'indice. Je crois que cet indice est beaucoup plus exact que cela.
M. Solberg: En parlant ouvertement de la possibilité de déflation, est-ce que la banque n'a pas accru la probabilité de déflation en encourageant les consommateurs à retarder leurs achats?
M. Thiessen: Je ne le pense pas, car, si j'ai évoqué cette possibilité l'autre jour, c'est pour expliquer pourquoi il faut se soucier tout autant de la limite inférieure de la fourchette cible que de la limite supérieure. Je dois dire que la plupart des interprétations que j'ai entendues reflétaient fidèlement ce que je voulais dire, soit, simplement, que la banque prend cet objectif très au sérieux et va s'efforcer d'empêcher l'inflation de descendre en deçà de la limite inférieure avec autant de détermination qu'elle en met à l'empêcher de dépasser la limite supérieure. Je ne pense pas qu'il faille y voir autre chose.
L'autre élément que j'essaie de faire ressortir, dans tout ceci, c'est que le taux d'inflation au Canada est très faible et promet de le rester, et que l'écart entre les taux d'inflation canadien et américain est peut-être en train de se creuser. Il est probable que cette situation favorisera un raffermissement plutôt que l'affaiblissement de la devise canadienne. Cette tendance à l'appréciation du dollar s'expliquera par le fait que le taux de change tient compte de l'écart entre les taux d'inflation. Nous percevons donc des conditions plutôt favorables sur le marché. S'il y a lieu d'assouplir les conditions monétaires, nous croyons que le marché réagira de manière tout à fait positive.
Il nous semble donc important de diffuser ce message. Le Canada est un pays dont le taux d'inflation est très faible. Probablement plus faible qu'on ne le croit. Il est probable que l'écart avec le taux d'inflation américain est plus important qu'on ne le pense. Cela rend très attrayants les investissements en dollars canadiens.
Le président: Merci, monsieur Solberg.
Monsieur Duhamel.
M. Duhamel (Saint-Boniface): Merci, monsieur le président.
Messieurs, je vous remercie de votre exposé.
J'ai sous les yeux quelques graphiques extraits des Perspectives économiques de l'OCDE de 1995. Évidemment, vous ne les avez pas en main et vous ne pouvez pas les examiner.
Au fond, si j'ai bien compris, on essaie de situer le taux d'inflation canadien, ou une mesure de ce taux, comme pourcentage du PIB et de le comparer au taux des autres pays du G-7, et nous nous en tirons plutôt bien. On fait la même chose pour notre dette brute par rapport à celle des autres pays. Nous faisons moins bonne figure, mais il semble que la courbe s'infléchit. Il y a une légère baisse.
Voici mes questions. Quelle est l'utilité de ces mesures, c'est-à-dire l'inflation en pourcentage du PIB, et la dette comme pourcentage du PIB? Comment nous en tirons-nous par rapport aux autres pays du G-7?
M. Thiessen: Dans le premier cas, s'agissait-il de l'inflation ou de la croissance économique?
M. Duhamel: Je suis désolé, il s'agit de...
M. Thiessen: Vous avez dit que c'était l'inflation.
M. Duhamel: J'ai dit inflation? Je suis désolé. Je voulais parler du déficit comme pourcentage du PIB.
M. Thiessen: Je vois. Il s'agit du déficit.
Il n'est pas simple de faire des comparaisons, car tous ne tiennent pas les livres exactement de la même manière. Je crois néanmoins que l'OCDE ne ménage pas ses efforts pour arriver à des chiffres comparables. Les analystes travaillent sur nos chiffres et ceux des autres pays et ils les rendent aussi comparables que possible. Je pense que ces chiffres sont passablement sûrs.
Vous avez raison. Les chiffres montrent que le Canada s'en tire assez bien et a ramené le déficit à un très faible niveau. Mais, comme vous l'avez aussi fait remarquer, les chiffres nous rappellent que, même si le déficit diminue, notre endettement public, comme proportion de notre économie, ou de notre PIB, est encore très lourd. C'est pourquoi, avec mes collaborateurs de la banque, j'ai incité les gouvernements à tenir le cap et à essayer d'abaisser le rapport entre la dette et le PIB. S'il reste élevé, nous serons vulnérables si des difficultés surviennent.
M. Duhamel: Question complémentaire sur le même sujet, monsieur le président. On demande souvent quel serait un niveau d'endettement approprié. Ce serait sans doute un endettement nul, mais est-ce bien réaliste? À propos du déficit, existe-t-il une mesure utile qui permette de savoir si nous sommes gravement en difficulté ou non? Y a-t-il des mesures qui sont meilleures que celles que j'ai données, par exemple? Y en a-t-il d'autres qui sont utiles?
M. Thiessen: Non, je ne le crois pas. Selon moi, ce sont là les mesures les plus pertinentes.
Il est très difficile de faire une analyse économique objective et de dire que les chiffres devraient être ceci ou cela. Ce qu'on sait, par contre, c'est que le niveau actuel de notre endettement par rapport au produit intérieur brut... Lorsque les taux d'intérêt ont augmenté à l'échelle internationale, ils ont eu de graves répercussions au Canada, surtout à l'hiver de 1994 et de nouveau à l'hiver de 1995. Cela révèle de vives préoccupations au sujet de notre endettement de plus en plus lourd.
Maintenant qu'on peut présumer que le niveau d'endettement va diminuer, les inquiétudes s'atténuent, mais elles ne sont pas complètement disparues.
L'une des données qui montrent que ces inquiétudes subsistent est l'écart entre les taux d'intérêt au Canada et aux États-Unis, surtout sur le long terme. Sur les obligations du gouvernement à très long terme, par exemple, l'écart est encore de l'ordre de 130 à 135 centièmes, ce qui est considérable.
Sur le plan de l'inflation, la situation du Canada est meilleure que celle des États-Unis. Le marché américain est très diversifié et liquide, et il est difficile d'avoir des taux d'intérêt plus faibles que ceux des Américains, mais un écart de 130 centièmes est encore considérable.
M. Duhamel: Quel serait l'écart acceptable?
M. Thiessen: Je voudrais qu'il soit de moins de 100 points de base.
M. Duhamel: Je me suis laissé dire que, lorsque la conjoncture était dominée par une incertitude assez considérable, l'épargne augmentait et que cela freinait probablement les dépenses et provoquait certaines difficultés. Y a-t-il sur ce plan une sorte d'équilibre qu'il serait utile d'atteindre? Quel est votre avis? Comment peut-on savoir quand ces deux facteurs - et d'autres aussi - sont à un bon niveau et en harmonie?
M. Thiessen: Vous voulez parler surtout de l'épargne?
M. Duhamel: Effectivement.
M. Thiessen: Je pense qu'il faut voir comment se comporte l'ensemble de l'économie. S'il manque beaucoup d'épargne dans notre économie, les emprunts à l'étranger sont considérables. Cela se traduit par une balance des paiements lourdement déficitaire. La conséquence est une diminution de la valeur du dollar, parce que le service de la dette contractée à l'étranger coûte de plus en plus cher et que, pour faire les paiements, il faut constamment exporter plus qu'on n'importe. C'est là l'indice qu'il y a des difficultés.
Lorsque ces éléments sont plus stables, le dollar est plus stable aussi; la balance des paiements est équilibrée. Elle n'a pas à être excédentaire; elle peut toujours être déficitaire, mais la situation ne semble pas se détériorer, s'aggraver. Je crois qu'on peut dire effectivement que, dans l'ensemble, les choses vont plutôt bien sur ce plan-là.
On ne peut pas dire que, si nous avions constamment un déficit de la balance des paiements de 0,5 p. 100, ce serait acceptable, ce serait très bien. Il y aura des moments où le déficit sera important. Si, pour prendre un exemple au hasard, on découvrait un énorme gisement de nickel au Labrador, il y aurait du jour au lendemain des dépenses considérables pour le mettre en exploitation. Il faudrait probablement, pendant une brève période, faire appel largement à l'épargne étrangère, parce qu'il faudrait faire d'importantes immobilisations. La balance des paiements serait donc déficitaire pendant un certain temps, mais ce serait pour des raisons parfaitement légitimes.
M. Campbell (St. Paul's): Monsieur le gouverneur, dans cette salle de comité, les mots en «d» que nous redoutions le plus étaient déficit et dette. Il vient de s'en ajouter un troisième, déflation.
Cela me rappelle la mise en garde que le ministre a faite au sujet des spéculations sur les taux d'intérêt. Vous regrettez peut-être d'avoir utilisé le mot «déflation».
Quoi qu'il en soit, je voudrais revenir sur les échanges au sujet de la déflation, car je suis un peu perdu.
Votre rapport parle d'une solide reprise de la croissance. Il me semble donc qu'il faut se préoccuper de tout le contraire de la déflation et plutôt de ce qui vous a préoccupé avant tout pendant si longtemps, la hausse de l'inflation. Pourriez-vous commenter vos prévisions en matière de croissance?
M. Thiessen: Nous croyons que les perspectives de croissance sont bonnes. Nous envisageons une solide reprise.
Pour en revenir à notre échange de tout à l'heure, il reste dans l'économie une certaine capacité de production inutilisée. Pourvu que cette capacité soit là et soit relativement importante, cela contribuera à freiner l'inflation.
Nous avons besoin, en fait, d'une croissance économique plus rapide que la normale, une croissance qui résorbera une partie de la capacité de production inutilisée. Cela diminuera les pressions à la baisse sur le taux d'inflation.
M. Campbell: Y a-t-il des signes qui annoncent une croissance plus rapide au cours du premier trimestre?
M. Thiessen: Oui, mais cela reste vraiment préliminaire. Les dernières données sur l'emploi sont bonnes, mais il y a encore des secteurs qui réagissent mollement, et il y a eu des grèves, par exemple. Nous prévoyons assurément que le deuxième trimestre sera meilleur, et que le deuxième semestre le sera encore plus. Comme nous l'avons fait observer dans notre rapport, il subsistera peut-être encore des pressions à la baisse sur le taux d'inflation à moins que, en 1997, nous n'ayons une reprise beaucoup plus vigoureuse.
Comme nous l'avons dit, l'une des grandes incertitudes concerne la confiance des consommateurs. S'il y a un regain de confiance de ce côté, je crois que les inquiétudes que nous avons exprimées au sujet du taux d'inflation, qui se rapproche de la limite inférieure de la fourchette, ne vont pas tarder à se dissiper.
M. Campbell: Je crois avoir vu quelque part que le niveau de confiance des consommateurs avait beaucoup augmenté, même au premier trimestre.
M. Thiessen: Il y a eu effectivement un regain au premier trimestre, mais à partir d'un niveau très bas. Il y place pour une nette amélioration.
Selon nous, certains éléments vont contribuer à raffermir cette confiance. Les chiffres sur l'emploi sont plus encourageants, ce qui est très important pour la confiance des consommateurs.
L'autre élément, c'est que les taux d'intérêt sont faibles. Le crédit coûte donc moins cher et le consommateur qui renouvelle son prêt hypothécaire le fait à un taux inférieur, si bien qu'il lui reste un plus gros revenu disponible qu'il peut dépenser ailleurs.
De la même manière, la diminution des taux d'intérêt, pour ceux qui en sont à l'étape de leur vie où ils investissent au lieu d'emprunter, aura permis de réaliser des gains en capital sur le marché des obligations ou sur le marché des actions. Tout cela contribue à raffermir la confiance des consommateurs.
Le président: Merci, monsieur Campbell. Monsieur Cullen, s'il vous plaît.
M. Cullen (Etobicoke-Nord): Merci, monsieur le président.
Pourriez-vous commenter l'influence que l'incertitude politique qui règne au Québec peut avoir sur votre politique monétaire, et dire quelles sont les tendances à cet égard. Ces tendances, cette influence, changent-elles ou demeurent-elles statiques, non pas en termes absolus, mais du point de vue de l'influence générale, à supposer qu'il y en ait une?
M. Thiessen: Comme nous le signalons dans notre rapport, il y a eu moins d'inquiétude sur les marchés financiers pendant la majeure partie de la période qui s'est écoulée depuis l'automne, et il est certain que ce facteur a eu un effet plutôt positif sur les marchés financiers.
Comme vous le savez, les marchés n'aiment pas l'incertitude politique. Lorsqu'il a été question, vendredi dernier et lundi, des perspectives d'avenir, il y a eu des soubresauts sur les marchés financiers.
L'inquiétude n'a donc pas disparu, mais je dois dire qu'elle s'est passablement résorbée, jusqu'à maintenant.
Le président: Merci, monsieur Cullen. Monsieur Bélisle.
[Français]
M. Bélisle (La Prairie): Monsieur Thiessen, on oppose souvent lutte à l'inflation et chômage. On a l'impression, en regardant la situation économique, que la Banque doit souvent choisir entre la lutte à l'inflation et un niveau de chômage plus élevé.
Combattre l'inflation, à court et à moyen termes, par une politique monétaire restrictive a-t-il réellement un effet positif sur les niveaux de chômage à long terme? Si oui, est-ce un phénomène difficile à évaluer ou à mesurer? Quelle est votre réaction?
M. Thiessen: Je pense que oui, puisqu'avec un taux d'inflation élevé, on va avoir, comme on dit en anglais, boom and bust. Il arrive souvent qu'au cours d'une période d'expansion avec beaucoup d'inflation, vous ayez une période de spéculation, une période d'accumulation de la dette; ce n'est pas une situation soutenable. Après une telle période de spéculation inflationniste, on se retrouve en récession. Nous savons, et c'est incontestable, que nous aurons une récession et un taux de chômage qui augmentera beaucoup. Grâce à un faible taux d'inflation, nous pouvons éviter de telles fluctuations. Je pense vraiment que c'est bon pour le taux de chômage.
Un taux d'inflation bas suscite moins d'incertitude. Nous pouvons prendre de meilleures décisions économiques et cela aide aussi la situation dans le marché du travail.
J'aimerais soulever un troisième point. Comme je le mentionnais, une politique monétaire qui vise une fourchette cible pour l'inflation est comme un stabilisateur automatique pour l'économie. Quand l'économie est faible et que la tendance de l'inflation est à la baisse, on assouplit les conditions monétaires. Si vous avez une économie très très forte et une tendance de l'inflation à la hausse, la Banque du Canada resserrera les conditions monétaires. Tout cela indique une économie plus stable et meilleure pour le marché du travail.
M. Bélisle: On dit que les opérations de la Banque doivent parfois viser en priorité, non pas à combattre l'inflation, mais à rassurer des marchés nerveux ou agités. Ne craignez-vous pas que vos interventions risquent d'être inopportunes et accroissent parfois l'agitation des marchés au lieu de la calmer, les gens disant que l'heure est grave puisque la Banque intervient? Comment réagissez-vous à ça?
M. Thiessen: Si vous manquez de confiance dans les marchés financiers, il est presque impossible d'avoir des taux d'intérêt bas; c'est vraiment impossible. Si les gens sont nerveux et pensent que la situation au Canada est incertaine, s'il y a un manque de confiance dans le dollar canadien, les investisseurs demanderont des taux d'intérêt plus élevés et il sera alors presque impossible pour la Banque du Canada d'essayer de gérer les taux d'intérêt à la baisse. Il faut établir un niveau de confiance élevé au début.
M. Bélisle: Merci.
[Traduction]
Le président: Monsieur Solberg, je vous prie.
M. Solberg: Merci, monsieur le président.
Depuis 20 ou 25 ans, les impôts ont beaucoup augmenté au Canada. Quel effet cela peut-il avoir sur la confiance des consommateurs? Quel sera l'effet des réductions d'impôt accordées en Ontario et dans d'autres provinces sur le degré de confiance?
M. Thiessen: Les impôts peuvent certainement avoir un effet sur la confiance des consommateurs. Mais il y a tellement de facteurs qui jouent simultanément qu'il est souvent très difficile de déceler quels sont ceux qui sont importants. Chose certaine, les éléments qui ont été les plus cruciaux, ces derniers temps, sont le taux de chômage relativement élevé, une croissance de l'emploi plutôt faible jusqu'il y a un ou deux ans, et des taux d'intérêt assez élevés.
Le ménage individuel se préoccupe de l'emploi, il a un niveau d'endettement élevé et le coût du service de cette dette est élevé. Ce sont sans doute là les éléments les plus importants. C'est pourquoi la croissance récente de l'emploi et la diminution récente des taux d'intérêt nous ont amenés à penser qu'il pourrait y avoir un important regain de confiance chez les consommateurs.
M. Solberg: Que dites-vous de la réduction des impôts annoncée en Ontario? Quels résultats prévoyez-vous?
M. Thiessen: Je me sens toujours un peu mal à l'aise lorsqu'il s'agit de commenter des mesures budgétaires spécifiques prises par des gouvernements, qu'il s'agisse du gouvernement fédéral ou du gouvernement d'une province. Selon moi, le rôle de la banque centrale consiste à faire ressortir les conséquences sur le plan financier de l'orientation générale du secteur public. Il est très désagréable pour la banque centrale de critiquer des gouvernements et les politiques spécifiques qu'ils adoptent. Je m'abstiens le plus possible.
M. Solberg: Je respecte votre attitude.
Le président: Monsieur Pillitteri, s'il vous plaît.
M. Pillitteri (Niagara Falls): Merci, monsieur le président.
Lorsque nous posons des questions sur la dette et le déficit, nous pensons à un seul niveau de gouvernement, le gouvernement fédéral, pour établir la dette et le déficit.
Mes questions portent sur deux choses. Lorsque nous parlons de dette et de déficit, ainsi que des taux d'intérêt qui s'y rapportent, parlons-nous seulement du gouvernement fédéral ou de l'ensemble des gouvernements, y compris les gouvernements provinciaux endettés?
Je me suis occupé de politique municipale, et je sais qu'on a toujours l'impression que le rôle de la Banque du Canada... Certains prétendent que, si les municipalités ou les administrations régionales ont besoin d'argent, elles n'ont qu'à emprunter à la Banque du Canada. Pourriez-vous donner quelques explications? Je suis sûr qu'il y en a dans ma circonscription qui voudraient avoir ces explications.
M. Thiessen: Bien sûr. Lorsque nous parlons de dette et de déficit, à la Banque du Canada, nous tenons compte de tous les gouvernements. Je répète ce que je disais à l'instant: selon moi, le rôle qui revient à la banque centrale est de parler du secteur public en général. Les chiffres dont nous parlons sont donc le total de la dette par rapport au PIB.
Quant à la possibilité que la banque centrale consente des prêts aux municipalités, je dois dire que la Banque du Canada a un bilan, et le gros de ses avoirs est composé de titres de dette du gouvernement fédéral, c'est-à-dire des bons du Trésor et des obligations. Si nous détenions des titres de dette des municipalités, nous devrions réduire nos avoirs en titres fédéraux.
Beaucoup de propositions que j'ai vues selon lesquelles la Banque du Canada prêterait aux municipalités reposent en fait sur l'idée que la Banque imprimerait de l'argent pour consentir les prêts. Il va sans dire que ce serait une très mauvaise idée. Le Canada a accompli d'énormes progrès sur le front de l'inflation, dont le taux est maintenant très faible, et cela commence à rapporter. Le fait que nous ayons des taux d'intérêt - presque jusqu'à deux ans - qui sont inférieurs à ceux des États-Unis témoigne de ce fait, du fait que le Canada est un pays à faible taux d'inflation. C'est là la résultante de la politique monétaire de la Banque du Canada et des politiques des gouvernements au Canada qui cherchent à faire diminuer leur déficit et à réduire le ratio de la dette par rapport au PIB. Il est hors de question de mettre cet acquis en péril.
Le président: Monsieur Pillitteri, est-ce qu'on a répondu à vos deux questions?
M. Pillitteri: Oui, monsieur le président.
Le président: Madame Chamberlain, je vous en prie.
Mme Chamberlain (Guelph - Wellington): Monsieur Thiessen, je voudrais faire suite à la question de mon collègue sur l'incertitude politique qui a balayé le Canada ces derniers temps. Je voudrais aussi revenir à vos observations sur le regain de confiance des consommateurs et son évolution favorable dans un proche avenir, et les bonnes perspectives d'emploi, et je voudrais savoir ce que vous pensez... si l'incertitude politique subsiste comme elle l'a fait... Je sais que vous avez dit que vous n'aimiez pas faire des observations sur des provinces en particulier, mais je crois que la question est importante. Je me fais l'interprète de mes électeurs. Ils ressentent une grande exaspération et sont très malheureux. Je dirais même qu'ils ont eu peu honte parce qu'une région veut se séparer du Canada. Ils ont l'impression que cela leur fait du tort sur tous ces plans.
Certains viennent me voir et se disent inquiets parce que leur régime de retraite se trouve au Québec et qu'ils ne savent pas ce qui va se passer là-bas, ou bien que le siège social de leur société se trouve au Québec et qu'ils ne savent pas s'ils devraient dépenser leur argent.
Je voudrais donc que vous essayiez de prévoir un peu ce que cela ferait à l'ensemble du Canada et particulièrement au Québec, si la sécession avait lieu. Pouvez-vous nous livrer quelques réflexions là-dessus?
M. Thiessen: Vous avez raison de dire qu'il est très difficile, pour mes collaborateurs et moi, de tenter de prévoir l'avenir et de dire ce qui pourrait se passer ou ne pas se passer, car ce que nous disons tend à influencer les marchés financiers. Il est donc très important que, lorsque nous essayons d'anticiper sur l'avenir, nous nous en tenions à l'aspect économique plutôt que politique. Nous ne sommes pas des experts en politique. Il nous est donc très difficile de nous livrer à des spéculations sur ce qui risque d'arriver à l'avenir. Vous en connaissez beaucoup plus long que nous à ce sujet.
Je dirais que les investisseurs et les marchés financiers, en général, n'aiment pas l'incertitude politique, parce qu'ils ne savent pas comment y faire face. Beaucoup d'entre eux sont un peu dans la même situation que nous. C'est leur métier de considérer les tendances économiques et de prendre des décisions en conséquence. Ils n'excellent pas dans l'étude des tendances politiques. L'incertitude politique rend donc les marchés nerveux.
Mme Chamberlain: Merci. Je comprends votre réponse, et j'abonde dans le même sens. Je crois que cela nous a fait beaucoup de tort. Merci.
Le président: Merci, madame Chamberlain.
[Français]
Monsieur Loubier.
M. Loubier: J'aimerais répondre à Mme Chamberlain.
Une chance que nous étions là, une chance que le débat a eu lieu, une chance que nous sommes les seuls au Canada à avoir un problème constitutionnel... N'oubliez pas que 75 p. 100 de la solution au problème constitutionnel du Québec se retrouve au Canada.
Vous êtes aussi responsables de la situation actuelle au niveau constitutionnel que les souverainistes que vous accusez. S'il y avait eu, depuis 30 ans, une quelconque évolution au niveau des exigences du Québec et de ses revendications traditionnelles, si M. Chrétien avait répondu favorablement au lieu de parler de la possibilité d'avoir un recours juridique, peut-être n'en serions-nous pas là.
Avant d'accuser les souverainistes et le Québec de déstabiliser quoi que ce soit, regardez donc dans votre cour. Je vous lance le même message que l'année dernière, soit qu'une partie de la solution se trouve chez vous. La grosse partie du problème se trouve chez vous.
C'est la dernière remarque que je voulais vous faire.
[Traduction]
Mme Chamberlain: Monsieur le président, cela me pose un problème. Je ne suis pas ici pour me faire interroger, mais, si c'était le cas, je voudrais pouvoir répondre ceci. Nous sommes ici pour nous entretenir avec M. Thiessen.
[Français]
M. Loubier: Vous n'êtes pas là pour accuser non plus.
[Traduction]
Mme Chamberlain: Je voudrais que le député...
[Français]
M. Loubier: Vous n'êtes pas là pour accuser non plus.
[Traduction]
Mme Chamberlain: ... je le dis au député, je voudrais qu'il pose ses questions à M. Thiessen, comme je l'ai fait, pour obtenir une réponse.
[Français]
Merci.
M. Loubier: Je voudrais que l'honorable députée cesse ses accusations qui ne sont pas fondées et qu'elle arrête de se servir des souverainistes comme des boucs émissaires pour tous les maux économiques et sociaux au Canada. Il y a une limite à respecter.
[Traduction]
Mme Chamberlain: Monsieur le président, je suis ici pour représenter le point de vue de mes électeurs, et ils sont d'avis qu'il y a une grande instabilité au Canada. Je suis sûr que cet avis est partagé par beaucoup de députés partout au Canada.
Merci, monsieur le président.
[Français]
M. Loubier: Expliquez la situation à vos électeurs.
[Traduction]
Expliquez la situation, la vraie situation, à vos électeurs. Vos électeurs sont eux aussi une partie du problème.
[Français]
Le président: C'est une question qui nous touche tous. J'aimerais toutefois revenir aux questions que nous adressons au gouverneur.
[Traduction]
Madame Brushett.
Mme Brushett: Merci, monsieur le président.
Je suis vraiment très heureuse que vous soyez parmi nous, gouverneur Thiessen, pour parler de questions financières.
Vous avez environ une centaine de clients, surtout de grandes institutions financières et le gouvernement du Canada, et votre intérêt principal - le seul, en fait - est de servir vos clients, comme c'est le cas pour tout le monde. Mes électeurs viennent souvent me voir et me demandent si la Banque du Canada est au service des citoyens canadiens, des simples citoyens. Je comprends que nous avons très bien réussi à contenir l'inflation et à faire régner un climat économique dans lequel les taux d'intérêt sont plus bas. Indirectement, les simples citoyens en profitent plutôt rapidement, mais n'y a-t-il pas quelque chose d'un peu paradoxal, car vous n'arrivez pas toujours à servir vos propres clients et les simples citoyens en même temps?
M. Thiessen: Je dois dire que mes collaborateurs et moi estimons que notre objectif est de servir les intérêts bien compris des Canadiens. Notre mission est de contribuer au bien-être des Canadiens sur les plans économique et financier.
La question consiste à savoir quelle est la meilleure façon de s'y prendre. Le ministre des Finances et nous nous sommes entendus pour dire que le mieux que nous puissions faire était de contenir l'inflation à l'intérieur d'une plage relativement étroite, à un niveau très bas. Nous avons reconnu d'un commun accord que cela assurerait une plus grande stabilité à notre économie et permettrait de prendre de meilleures décisions sur le plan économique, ce qui, par ricochet, relèverait le niveau de vie et abaisserait le niveau de chômage. C'est là la contribution que nous croyons pouvoir faire.
Bien des gens croient que, si seulement nous pouvions maintenir les taux d'intérêt à la baisse, nous réglerions beaucoup de problèmes. Nous sommes toujours mis en position de devoir expliquer qu'on ne peut pas aussi simplement faire baisser les taux d'intérêt.
Nous avons, il est vrai, beaucoup d'influence sur les taux d'intérêt à très court terme, mais ce que nous essayons de faire, en fait, pour que les taux d'intérêt baissent, c'est d'éliminer les inquiétudes que beaucoup d'épargnants peuvent avoir au sujet de l'inflation.
Toute une génération d'épargnants qui ont placé de l'argent en 1972 ou 1973 dans des types de placement à taux d'intérêt fixe ont fini par perdre beaucoup d'argent. Nous devons persuader ces personnes que nous n'allons pas tolérer que cela se reproduise. C'est ainsi que nous faisons baisser les taux d'intérêt, et des taux d'intérêt faibles se traduisent par un accroissement des investissements et une plus grande productivité.
Mme Brushett: Mais, avec tout le respect que je vous dois, en servant les grandes institutions financières, qui n'emploient peut-être pas autant de personnes qu'elles le devraient, est-ce que votre politique ne joue pas dans ce sens?
M. Thiessen: Oh, je dois dire que, en ce qui concerne la politique monétaire, j'estime que nos clients sont les citoyens du Canada, non les grandes institutions financières. Celles-ci sont nos clients dans la mesure où nous sommes des banquiers. On peut distinguer un certain nombre d'éléments dans les activités de la Banque du Canada. L'un d'eux est la politique monétaire, l'autre la prestation des services d'une banque centrale, une autre enfin la fourniture de devises. En ce qui concerne nos services de banque centrale, il est vrai que les grandes institutions financières sont nos clients, mais, s'agissant de la politique monétaire, ce sont les citoyens canadiens, purement et simplement.
Mme Brushett: Merci de ces éclaircissements.
Le président: Merci, madame Brushett.
[Français]
Monsieur Pomerleau, s'il vous plaît.
M. Pomerleau (Anjou - Rivière-des-Prairies): Merci, monsieur Thiessen, de vos bons commentaires. Vous n'avez pas précisé, comme vous le demandait mon collègue, quels sont les effets dévastateurs d'une déflation. Pourriez-vous nous les expliquer brièvement?
M. Thiessen: Je n'ai parlé que d'une situation où il y a un grand mouvement à la baisse relativement au niveau des prix dans notre économie. Dans un tel cas, les individus peuvent attendre avant de faire des achats parce que les prix chuteront à l'avenir. C'est seulement dans ce cas que nous pouvons avoir un effet négatif sur l'économie. On parle d'une situation extrême. Ce n'est pas ce qui arrive avec un taux d'inflation d'à peu près 1 p. 100. C'est vraiment un cas extrême où vous avez un mouvement à la baisse.
[Traduction]
Permettez-moi de souligner ceci. Lorsque j'ai parlé de cela - et je regretterai probablement toujours de l'avoir fait - c'était pour faire comprendre qu'il y avait des effets négatifs, tout comme il y a des effets négatifs lorsque les prix augmentent rapidement. Et il y a des effets négatifs très graves. J'essayais de dire que la banque se méfiait des deux extrêmes. Nous ne tenons pas seulement à freiner l'augmentation du taux d'inflation, mais aussi à contenir l'inflation à l'intérieur de la fourchette cible.
Pour le faire comprendre, j'ai rappelé aux journalistes qu'il y avait des conséquences très graves si nous perdions la maîtrise du processus. Mais je n'ai pas assez insisté sur le fait que je ne voulais aucunement dire que nous étions au bord de la déflation. J'ai dit simplement que, si l'inflation continuait de diminuer et se rapprochait de la limite inférieure, nous étions déterminés à réagir.
M. Solberg: Les provinces ont équilibré leurs budgets ou sont en voie de le faire. Cela a évidemment contribué à assainir la situation financière au Canada. Quels seront les effets si le gouvernement fédéral décide un jour d'équilibrer son budget?
M. Thiessen: Comme je l'ai dit tout à l'heure, la banque centrale se préoccupe de l'ensemble du secteur public. Si le ratio de la dette par rapport au PIB pour l'ensemble du secteur public au Canada était à la baisse, je crois que ce serait très utile, car nous serions moins vulnérables. Je songe à notre vulnérabilité au cas où des difficultés économiques surgiraient. Si, tout à coup, les taux d'intérêt internationaux augmentaient ou s'il se produit un événement auquel l'économie a du mal à s'adapter, nous serons en bien meilleure posture si le ratio de la dette par rapport au PIB est à la baisse.
M. Solberg: De toute évidence, lorsque le ratio augmente, il y a des effets négatifs sur les taux d'intérêt que nous devons payer.
M. Thiessen: Absolument.
M. Solberg: Lorsque le gouvernement accumule les déficits, tout le monde paie le prix.
M. Thiessen: Lorsque l'endettement est élevé et qu'on a l'impression qu'il augmente continuellement, il faut évidemment payer le prix.
Mais cela ne veut pas dire que, lorsque le niveau d'endettement est relativement faible, il n'est pas possible d'avoir un déficit dont aucun investisseur ne trouvera à s'inquiéter. Je veux dire par là que, lorsque l'endettement est raisonnablement faible, on peut accepter un déficit en période de ralentissement économique, quitte à avoir un excédent lorsque l'économie est plus vigoureuse. Si, pendant ces périodes de ralentissement, on enregistre un déficit, personne ne s'en inquiétera si l'endettement est faible, par rapport à la taille de l'économie. Tout le monde sera d'avis que c'est parfaitement légitime.
M. Solberg: Comme nous avons une dette extrêmement lourde, ne serait-il pas juste de dire que, de tous les pays industrialisés, le Canada est celui qui est le plus vulnérable, en ce qui concerne la dette?
M. Thiessen: Je l'ignore. Notre situation semble s'améliorer continuellement. Certains pays européens ont un peu de mal à satisfaire aux critères de Maastricht. Je dois sans doute dire non - surtout si on tient compte de l'Italie. Ce pays est aux prises avec de graves problèmes.
M. Solberg: Nous tenons donc compagnie à l'Italie.
M. Thiessen: Je ne suis pas sûr que ces comparaisons avec d'autres pays nous avancent beaucoup. Il est de loin plus utile, selon moi, de considérer les taux d'intérêt chez nous et de dire, pourvu que nous ayons un différentiel de taux d'intérêt relativement bon, que nous pouvons faire encore plus.
M. Cullen: Gouverneur Thiessen, j'ai deux questions. Vous les avez peut-être effleurées dans vos dernières observations.
La première concerne ce qu'on appelle le coût réel des capitaux et l'écart entre le taux nominal et l'inflation. Pourriez-vous nous dire où nous en sommes aujourd'hui? Dans quel sens les choses évoluent-elles? Quelles sont les conséquences, selon vous, sur l'investissement et la croissance économique?
La deuxième question a souvent été abordée. Il s'agit de la canadianisation de la dette. Autrement dit, on remplacerait des titres de dette détenus à l'étranger par des titres détenus par des Canadiens. Est-ce réaliste ou réalisable? Cela aurait-il une influence? Si cette solution était applicable, vous donnerait-elle plus de latitude dans l'établissement de la politique monétaire au Canada?
M. Thiessen: Tout d'abord, les taux réels. Quand il s'agit des taux à court terme, le calcul est assez simple. Mettons que les taux d'intérêt à court terme soient d'environ 4,75 p. 100 et que l'inflation est d'à peu près 1,5 p. 100. On soustrait un chiffre de l'autre et on obtient environ3,75 p. 100, ou peu importe le chiffre.
En ce qui concerne les taux à très long terme, les calculs sont un peu plus difficiles. Si on soustrait simplement le taux actuel d'inflation du rendement d'une obligation à 30 ans, on n'obtient le taux réel qu'à condition d'avoir la certitude que le taux d'inflation actuel va rester stable pendant les 30 années suivantes.
Ce qui importe vraiment, dans le calcul des taux d'intérêt réels, c'est le taux d'inflation que les épargnants et les investisseurs appréhendent. Je crois que vous constaterez qu'ils s'inquiètent moins de l'avenir, mais les inquiétudes ne sont pas encore entièrement disparues. Notre rapport donne quelques indications à ce sujet.
M. Jenkins: Dans le rapport, on trouve plusieurs sources d'information sur les prévisions en matière d'inflation. Celles du secteur privé tendent à montrer que, à court terme, on s'attend à un taux qui se situe au milieu de notre fourchette, c'est-à-dire 2 p. 100. La convergence des avis est très significative. Il y a donc une forme d'acceptation, si on veut, de notre objectif en matière d'inflation de la part de ceux qui font ces prévisions dans le secteur privé.
Il existe également d'autres mesures. Le gouvernement émet des obligations à rendement réel, indexées en fonction de l'indice des prix à la consommation. On peut faire des calculs pour déduire les attentes quant à l'inflation. Là aussi, on remarque une tendance à la baisse très nette dans le sens des objectifs de maîtrise de l'inflation.
À partir de toutes ces sources, on peut remarquer une convergence dans les attentes concernant l'inflation à moyen terme.
M. Thiessen: Mais je crois qu'il subsiste des inquiétudes au sujet du plus long terme. C'est pourquoi, si on soustrait simplement 1,5 p. 100, par exemple, au taux d'une obligation à long terme de 8,25 p. 100, on obtient un résultat très élevé. Ce n'est pas uniquement qu'on pense que l'inflation va être nettement au-dessus de 3 p. 100. Il y a aussi une sorte d'incertitude générale au sujet de l'avenir.
Nous venons de traverser 20 ans d'inflation relativement élevée, avec beaucoup d'inquiétudes au sujet des déficits budgétaires et de la dette. Ces inquiétudes ne se sont pas envolées. Beaucoup d'épargnants tiennent encore à avoir un taux d'intérêt élevé s'ils immobilisent leur argent pendant30 ans.
Votre autre question portait sur l'augmentation de la part de la dette détenue par des Canadiens. Si tout ce qu'on fait, c'est amener les Canadiens à détenir plus de titres de dette du gouvernement et donc moins d'autres placements, on n'est guère plus avancé. En ce moment, toute l'épargne canadienne est placée quelque part. Si, par exemple, on disait à toutes les caisses de retraite au Canada de vendre les actions canadiennes qu'elles détiennent pour acheter à la place des titres de dette des gouvernements fédéral et provinciaux pour qu'il n'y en ait plus aux mains des étrangers, on ne serait pas plus avancé. Il faut bien que les autres titres soient également détenus par quelqu'un.
En fin de compte, si on veut vraiment réduire la part de la dette détenue à l'étranger, il faut éliminer le déficit que nous avons accumulé à notre compte courant de la balance des paiements. Ce déficit a beaucoup diminué, récemment. Il est certain que, à cause de cette évolution, les étrangers n'accumulent pas de créances canadiennes, de titres de dette canadiens aussi rapidement qu'autrefois. Comme nous l'avons signalé, c'est une des raisons pour lesquelles les marchés financiers canadiens sont optimistes. Nous avons en même temps de bons résultats en matière d'inflation, une situation budgétaire bien meilleure, et l'élimination progressive de ce qui était un lourd déficit dans notre balance des paiements.
Tout cela est lié, d'ailleurs. Si les gouvernements empruntent moins qu'avant, nous n'avons pas autant besoin de l'épargne étrangère. Notre taux d'inflation est faible, ce qui a encouragé nos entreprises à être plus concurrentielles, et nous avons exporté davantage. Tous ces éléments sont liés entre eux.
Le président: Merci, monsieur Cullen.
Monsieur Pillitteri, vous aviez une courte question.
M. Pillitteri: Merci, monsieur le président.
Des questions ont été posées de ce côté-ci, monsieur le gouverneur, par exemple sur la dette, sur les allégements d'impôt et tout le reste. Je voudrais simplement quelques réflexions sur ce que l'investisseur prend en considération lorsqu'il examine une économie, un pays. Lorsqu'il étudie la situation d'un pays, est-ce qu'il s'intéresse aux allégements d'impôt, au montant du déficit, ou bien aux objectifs d'équilibre budgétaire dans deux ou trois ans? Ou bien tient-il compte de ce qui se passe dans l'immédiat?
M. Thiessen: Il tient probablement compte de tous ces éléments, ce qui ne doit pas être pour vous une réponse très satisfaisante. Il ne fait aucun doute pour moi que, lorsqu'une société envisage d'investir au Canada, elle se soucie de tous ces éléments.
Mais je pense que ce que vous recherchez en fait, c'est un ensemble de politiques économiques et que vous voulez savoir si nous avons un cadre politique qui est solide et stable, parce que, si vous investissez, vous ne vous préoccupez pas uniquement de ce qui se passera l'année suivante. Vous vous inquiétez aussi de l'année d'après, de l'autre année qui vient et ainsi de suite. Tout cela est difficile à prévoir si on fait de simples prévisions économiques.
Ce qui vous intéresse, c'est donc ceci: quels sont les fondements de la politique, et sont-ils rassurants ou non? Là-dessus, je dois vous répondre qu'il s'est passé des choses très constructives au Canada, notamment la réduction de l'inflation à un niveau très bas et le revirement de la situation financière. Ces deux éléments nous assurent des assises économiques qui rendent le Canada beaucoup plus attrayant qu'autrefois pour les étrangers.
Le président: Merci, monsieur Pillitteri.
Monsieur le gouverneur, le ton que vous avez adopté aujourd'hui me donne à penser que vous envisagez l'avenir avec un optimisme prudent, ce qui est une excellente nouvelle, car les députés de tous les partis ont observé chez leurs électeurs des manifestations d'inquiétude; certains n'ont pas vraiment l'impression d'être sortis de la récession. La confiance des consommateurs était à un très bas niveau à Noël. Il y a toujours des faillites dans le secteur du commerce de détail.
Ce que vous dites, c'est que nous allons avoir une longue reprise lente, mais qu'il y a maintenant des signes encourageants, et peut-être une lueur d'espoir.
M. Thiessen: Je tiens à souligner ce que vous venez de dire, monsieur le président. Il est vrai que l'économie a peiné au cours de la dernière année. Vous avez parfaitement raison de dire que la confiance des consommateurs n'est pas très forte. Mais je crois que, si on considère la situation fondamentale, comme je viens de le dire, on remarque beaucoup d'éléments positifs. Les économies ne se relancent pas soudainement pour devenir merveilleusement expansionnistes, mais, si on examine les facteurs de base et qu'ils ne semblent pas satisfaisants, il y a lieu de s'inquiéter.
En plus des deux éléments que j'ai mentionnés, il faut voir ce qui s'est passé dans le monde des affaires au Canada: investissements, gains de productivité, restructuration, efforts d'amélioration de la compétitivité internationale, succès sur le front des exportations. Tout cela est extrêmement positif, et je crois que nous allons commencer à en bénéficier.
Le président: Nous aurons probablement des taux d'emploi plus élevés, car, même si nous avons eu certains succès, les niveaux de chômage et de sous-emploi sont encore beaucoup trop élevés pour que quiconque les trouve acceptables.
M. Jenkins: L'autre chose que je voudrais ajouter à la liste est le contexte international. L'économie américaine, au sud de notre frontière, est engagée dans une solide croissance, à notre point de vue, ce qui se traduira par des marchés en expansion pour les produits canadiens. C'est certainement l'un des éléments favorables pour les Canadiens également.
Le président: Pour ce qui est d'accroître la confiance des consommateurs au Canada, peut-on dire que les consommateurs sont très endettés à l'heure actuelle? À quel niveau se situe l'épargne? Est-ce que ces facteurs vont compter dans le regain de confiance que nous attendons?
M. Thiessen: Vous avez raison, monsieur le président, les consommateurs sont très endettés. Le degré d'endettement, comparativement au revenu disponible des ménages, se situe encore à un niveau record, en quelque sorte.
Il y a encore deux autres éléments dont il faut tenir compte dans l'évaluation. Le premier est que les ménages ont des avoirs financiers beaucoup plus importants qu'autrefois. Certains de ces actifs, notamment l'avoir propre, ont augmenté. Mais on ne sait pas pour sûr si les dettes et les actifs se situent au même endroit. S'ils ne le sont pas, le niveau d'endettement reste élevé.
L'autre élément à prendre en considération est le ratio du service de la dette. Comme les taux d'intérêt ont diminué, ce ratio est beaucoup plus bas que les sommets atteints en 1991. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons tellement insisté sur ce que la diminution récente des taux d'intérêt pouvait avoir comme influence sur la confiance des consommateurs pendant le reste de l'année.
Le président: Je vous remercie beaucoup. Permettez-moi d'ajouter en guise de conclusion que, me semble-t-il, il est très utile pour vous de commenter publiquement votre rôle, qu'il s'agisse d'empêcher l'inflation de dépasser les 3 p. 100 ou de prévenir la déflation, en bas de 1 p. 100. Je crois que, plus les Canadiens comprendront votre rôle et son importance, mieux nous nous porterons. Vos observations sont donc les bienvenues et vous n'avez nullement à vous en excuser.
J'ajoute enfin ceci. Nous sommes des députés fédéraux, et notre dépense la plus importante, ce sont les intérêts sur la dette. Ils s'élèvent à 45 milliards de dollars par an, ce qui est énorme. À cause de cela, vous êtes un témoin très important, car vous pouvez influencer jusqu'à un certain point les frais du service de la dette.
Je suis heureux de la tendance suivie par la politique monétaire. Nous voudrions tous pouvoir faire les choses simplement en appuyant sur un bouton ou en agitant une baguette magique. Je pense cependant que les Canadiens sont conscients que les solutions magiques n'existent pas, et que nous allons probablement devoir faire des sacrifices pour régler les problèmes que nous devons aux excès du passé.
Cela donne de l'espoir. Les Canadiens commencent à comprendre. Ils appuient des politiques responsables qui n'ont pas nécessairement l'effet rapide que nous souhaiterions et qui ne sont pas sans présenter certains coûts. Il est très difficile de faire des compressions dans les programmes, aussi bien pour ceux qui font de la politique que pour les bénéficiaires des programmes touchés.
Je tiens à dire qu'il m'a semblé très utile que vous comparaissiez ainsi tous les six mois pour nous présenter votre rapport sur la politique monétaire du Canada. Il s'agit aujourd'hui de votre troisième comparution. Cela nous est très utile à nous et, par le fait même, aux Canadiens, nous l'espérons. Merci beaucoup, gouverneur.
M. Thiessen: Ce fut un plaisir, monsieur le président. J'ai hâte de revenir, dans six mois.
Le président: La séance est levée. Elle reprendra demain à 15h30.