[Enregistrement électronique]
Le jeudi 30 mai 1996
[Traduction]
Le président suppléant (M. St. Denis): Je déclare ouverte cette séance du Comité permanent des Finances du 30 mai. J'aimerais tout d'abord, avec grand plaisir, souhaiter la bienvenue àM. Wolfensohn, président de la Banque mondiale, et à M. Len Good, directeur exécutif de la Banque mondiale.
Je ne dirai pas grand-chose en guise d'introduction. Je me contenterai de dire, monsieur Wolfensohn, que j'étais impressionné au déjeuner aujourd'hui, lorsque vous avez dit que vous vouliez vous assurer que les parlementaires de toutes les régions du monde savent ce que fait la Banque mondiale et que vous tentiez de promouvoir peut-être une nouvelle vision à la Banque, à l'aube du prochain millénaire.
Sans plus tarder donc, je vous demanderais de prendre 10, 15 ou 20 minutes pour vos remarques liminaires, et ensuite nous passerons aux questions des membres du comité. Merci.
[Français]
M. James D. Wolfensohn (président de la Banque mondiale): Puisque je suis ici au Canada, je parlerai un petit peu en français pour vous montrer que je comprends cette langue. Je suis très fier d'être ici. Lors de mon dernier voyage, j'étais venu visiter de grands bâtiments. Je suis très très content d'être ici cette fois comme invité de ce comité.
[Traduction]
Peut-être puis-je parler anglais maintenant que je vous ai montré que je parle français. Je serai heureux de parler ou de répondre dans l'une ou l'autre langue.
Tout d'abord, permettez-moi de dire que je suis très heureux d'être ici, car depuis un an que je suis en poste, je tente d'élargir les relations de la Banque mondiale afin de vraiment répondre aux besoins de notre époque. Il faut que la banque elle-même évolue, comme vous l'avez indiqué dans l'un de vos rapports, il y a un an. J'aurais aimé avoir lu ce rapport plus tôt, car je me serais ainsi épargné la peine de découvrir un certain nombre de choses moi-même. Toutefois, il y a concordance entre mon analyse, ce que je fais, et certaines de vos opinions.
Permettez-moi de vous expliquer en quelques mots, ce que je tente de faire à la banque. Ensuite, j'essaierai de répondre à vos questions.
Je pense que vous savez que le groupe de la banque comprend la Banque mondiale, la Société financière internationale, SFI, et AMGI, une société d'assurance affiliée.
Nous faisons pour environ 22 milliards de dollars d'affaires par année. Environ 6 milliards de dollars sont consentis par l'AID sous forme de prêts assortis de conditions libérales aux pays dont le revenu moyen est de 400$ par habitant. Les autres prêts sont consentis à des pays dont le revenu moyen ne dépasse pas 5 000$ par habitant.
Les pays qui font affaire et l'AID et la Banque représentent environ 4,5 milliards d'habitants. Ces pays sont importants pour le Canada et le monde car ils représentent 50 p. 100 du taux de croissance du PIB et 70 p. 100 du taux de croissance du commerce mondial au cours des cinq premières années de cette décennie.
C'est essentiel pour l'économie mondiale et important pour le Canada. En fait, le Canada est un participant à part entière, non seulement au niveau de ses exportations, mais par sa participation de 2,6 p. 100 aux projets de la Banque mondiale.
Depuis toujours, il existe des liens étroits entre la Banque mondiale et le Canada, liens qui se maintiennent aujourd'hui, grâce à la direction du conseil d'administration qui est assumée par le directeur exécutif qui est canadien et grâce aux relations entre vos institutions d'aide au développement et la Banque Export-Import que je viens d'aller visiter. J'ose espérer que nous pourrons étoffer cette relation qui existe déjà. Nous avons cofinancé pour 600 millions de dollars de projets avec vous. Nous administrons des fonds en fiducie qui viennent de vous. Nous travaillons très étroitement avec vous dans des endroits où il y a des troubles comme la Bosnie, Gaza et Haïti.
Je pense qu'en ce qui concerne les orientations qu'adoptera l'institution pour alléger la pauvreté, protéger l'environnement et créer une atmosphère où le secteur privé peut investir, nos objectifs sont tout à fait semblables à ceux du comité, d'après ce qu'on me dit.
À la Banque mondiale, nous sommes en pleine réorganisation afin de nous assurer que nous ne faisons pas simplement inscrire des prêts approuvés, mais que nous parvenons vraiment à soulager la pauvreté. C'est très important d'y parvenir, car, comme vous le savez fort bien, avec le resserrement des budgets partout au monde, tous les pays veulent s'assurer que l'on dépense leur argent à bon escient et que nous sommes un instrument efficace de votre politique, vous qui êtes actionnaire de la banque.
Nous examinons donc, de façon approfondie, les procédures de la banque, du point de vue non seulement du temps qu'il faut pour faire quelque chose, mais également de l'opportunité et de l'efficacité de la mise en oeuvre de nos programmes.
Vous savez, je pense, que l'AID, les prêts à des conditions de faveur qui représentent environ, comme je l'ai dit, 6 des 22 milliards de dollars par année, sont financés à même les dons annuels des parlements et des gouvernements. La décision se prend, règle générale, à tous les trois ans. Dans le cas du AID 11 de cette année, cela représente une somme de 22 milliards de dollars qui comprend une période de transition d'un an afin de permettre aux États-Unis de rattraper son arriéré de935 millions de dollars et deux autres années de contributions approuvées.
Il faut vous dire qu'à l'heure actuelle, l'atmosphère au Congrès est très introspective et que l'appui aux institutions et aux pratiques internationales a beaucoup diminué par rapport au passé. Toutefois, heureusement -
Le président suppléant (M. St. Denis): Nous nous réjouissons de la présence ici de quelques enfants sous la supervision de M. Peter Adams, député. Vous avez donc l'occasion de parler aussi à la génération montante.
[Français]
M. Wolfensohn: Je les ai vus.
[Traduction]
Le président suppléant (M. St. Denis): Je vous en prie, continuez, monsieur Wolfensohn.
[Français]
M. Wolfensohn: Je suis très content de les voir, puisque cette occasion ne nous est pas habituellement offerte à la Banque mondiale. C'est un grand plaisir.
[Traduction]
Le président suppléant (M. St. Denis): M. Adams est un excellent député. Il vient de Peterborough.
[Français]
M. Wolfensohn: C'est l'avenir, la promesse de l'aube.
[Traduction]
Le président suppléant (M. St. Denis): Je vous en prie, veuillez continuer, monsieur Wolfensohn.
M. Wolfensohn: Je ne veux pas prendre trop de temps, mais je tiens simplement à souligner que nous revoyons les activités de la banque et que nous mettons en place de nouvelles pratiques afin d'avoir un programme qui soit le plus efficace possible.
Je me dois également de mentionner, en ce qui concerne Halifax, et vous êtes tous probablement au courant, que les dirigeants canadiens ont sommé la Banque mondiale et les autres institutions multilatérales de travailler plus étroitement ensemble. Nous l'avons fait et continuons à le faire.
Nous avons pris l'initiative de réunir ensemble les institutions multilatérales, et nous avons demandé aux banques régionales de développement de se joindre à nous. Nous travaillons en très étroite collaboration avec les Nations Unies. En fait, pour la première fois, nous avons accueilli à la banque des représentants des agences des Nations Unies. La réunion avec les représentants des banques régionales était également une première.
Je peux donc vous apprendre que nous nous inspirons, dans une grande mesure, de l'esprit de la conférence de Halifax. J'attends avec impatience l'occasion qui s'offre à nous à Lyon, puisque le président Chirac nous y a invités afin que nous discutions avec les sept dirigeants des progrès que nous avons réalisés jusqu'à présent et de nos plans d'avenir.
Il y a eu plusieurs événements différents dans le domaine international. Permettez-moi de n'en mentionner qu'un qui est déterminant pour la banque.
Au cours de la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, lorsque la banque a été constituée, nous étions un organisme monolithique sur le mont Olympe auquel s'adressaient les pays du monde pour obtenir de l'argent. La banque s'est créé un caractère peut-être plus arrogant qu'il n'aurait fallu, peut-être plus imbu de savoir qu'il fallait et moins axé sur ses clients que ne le souhaitaient les parties intéressées.
Cela avait moins d'importance au cours de la période de la guerre froide, car alors, nous avions l'appui des parlements de toutes les régions du monde. Nous avions de l'argent pour tous, car nous avions comme impératif politique de nous attacher le tiers monde plutôt que de le laisser passer de l'autre côté.
Avec la fin de la guerre froide, et avec la conversion des économies de transition à des économies de marché, nous avons dû faire face à un système différent. Les parlements se laissaient moins impressionner par les arguments politiques et ont commencé à exiger des arguments de développement tout en commençant à se dire: «Qu'est-ce que tout cela nous a apporté? Regardons nos propres budgets nationaux». Dans un parlement après l'autre, il y a eu examen systématique des apports publics aux pays du tiers monde.
Parallèlement, les investissements du secteur privé ont progressé. Les données statistiques de cette année sont intéressantes. Les investissements du secteur privé dans les pays en voie de développement atteignent 170 milliards de dollars alors que les apports publics, y compris ceux de la banque, l'aide bilatérale et toutes les autres formes d'aide se chiffrent à 55 milliards de dollars. Donc dans le monde d'aujourd'hui, si l'on compare la situation à celle d'il y a sept ans, lorsque les apports du secteur public étaient deux fois plus élevés que ceux du secteur privé, nous constatons maintenant que nous ne représentons plus qu'un tiers par rapport au secteur privé. Les apports du secteur privé augmentent alors que ceux du secteur public, au mieux, se maintiennent. Il y a donc un nouvel intervenant, le secteur privé, qui comprend, évidemment, le secteur privé canadien.
Autre différence, la société civile et les organisations non gouvernementales jouent un plus grand rôle dans le secteur du développement, autant sur le plan de la prestation de services que sur celui de la création et de la mise en oeuvre d'idées.
En résumé donc, je peux vous affirmer que le cadre de la banque nouvelle formule favorise l'efficacité dans les programmes, ainsi que le partenariat avec d'autres institutions: les institutions bilatérales, y compris celles du Canada; les institutions multilatérales; les banques régionales; les organisations non gouvernementales; la société civile qui comme vous le savez est également représentée au Canada et justement en partant d'ici je me rends à une rencontre avec des représentants d'ONG; et le secteur privé.
Nous tentons donc de nous organiser pour participer à des partenariats avec toutes les parties intéressées, autant pour le financement que sur le plan des idées et des ressources. S'il est arrivé que la banque siège sur le Mont Olympe, nous sommes maintenant sur le terrain, traitant avec les clients et tentant de procéder de façon efficace et avec beaucoup plus d'humilité. Cette humilité s'explique par les accidents que nous avons connus dans le passé et aussi, très franchement, par la difficulté de tout cet exercice de développement.
Je conclurai en disant que je pense que vous êtes actionnaires dans une institution qui s'améliore. Je pense pouvoir affirmer qu'il s'agit d'une institution plus réaliste qui crée des partenariats en toute tranquillité avec des institutions dans les pays donateurs, comme c'est le cas au Canada. Je suis heureux d'affirmer qu'il s'agit d'une institution dont les objectifs sont compatibles avec les idées que vous avez exprimées, au fil des ans, depuis la Commission Pearson jusqu'à aujourd'hui. Les positions des dirigeants, en ce qui concerne la paix et le développement, sont tout à fait compatibles avec les objectifs de la banque.
Je suis heureux du partenariat avec le Canada. Celui-ci a une longue histoire, mais a également un avenir.
Monsieur le président, je serai très heureux de répondre aux questions que souhaitent me poser les membres du comité.
Le président suppléant (M. St. Denis): Merci beaucoup, monsieur Wolfensohn.
Mesdames et messieurs, je dois vous prévenir que M. Wolfensohn et M. Good doivent partir peu après 16 h 15. Je vous exhorte à poser des questions précises. Nous allons commencer parM. Bélisle pour ensuite passer du côté libéral, pour revenir ensuite à M. Pomerleau puis aux libéraux.
Monsieur Bélisle, je vous en prie.
[Français]
M. Bélisle (La Prairie): Je vous remercie, monsieur le directeur exécutif et monsieur le président de la Banque mondiale, d'être venus répondre à nos questions aujourd'hui. J'ai assisté au déjeuner lors duquel vous avez fait un exposé devant le Centre de recherches pour le développement international. J'ai grandement apprécié la profondeur et la largeur des vues que vous avez exprimées dans votre discours d'aujourd'hui.
Selon vous, quel est le plus grand frein au combat contre la pauvreté dans le monde? Est-ce le manque de ressources financières des pays donateurs, les barrières culturelles, le manque d'éducation, les conflits ethniques, les guerres tribales, l'absence d'appui de la part d'institutions bien établies dans ces pays, ou un peu tous ces facteurs à la fois?
M. Wolfensohn: Tous ces facteurs entrent en ligne de compte. Les problèmes varient d'un pays à l'autre; la Banque mondiale doit travailler avec chaque pays pour déterminer quel est le vrai problème.
Il va sans dire que dans tous les pays en voie de développement, il n'existe pas un assez grand nombre de personnes instruites pour faire le travail. Les parlementaires, les hommes d'affaires, les membres de la presse et nous tous devons partager notre expérience et éduquer les pays, en nous assurant que nos efforts respectent vraiment l'esprit de ce pays.
Il ne suffit pas de donner de l'argent; nous devons travailler en équipe avec ces pays. C'est la première question.
La deuxième question qui se pose habituellement est celle de l'éducation. Ce qui distingue habituellement l'Afrique de l'Asie, c'est la grande force de l'éducation en Asie. La population asiatique pense normalement à l'éducation en premier lieu. Je reviens du Viêt Nam; le jour de mon arrivée était un jour de fête pour l'éducation. On ne retrouve pas cela en Afrique.
La communication, que ce soit par route ou par téléphone, crée aussi dans un pays une atmosphère favorisant l'échange d'idées.
En troisième lieu, dans quelques pays se côtoient des gens de cultures très différentes.
En Indonésie, on retrouve 340 différents groupes, dont les gens de West Irian et ceux de Lombok, les hindous et les musulmans. Tous les pays ont leurs différences. Je crois qu'au Canada, vous comprenez bien cela.
Il nous est très difficile d'obtenir de l'aide et des efforts concertés dans certains pays où les gens ne veulent pas être liés en tant que nation. C'est très clair; malheureusement, des guerres ont éclaté à cause de cela en Afrique.
Je pourrais parler de cette question pendant tout l'après-midi. Cela dépend normalement du pays. Nous devons toutefois penser à tous les facteurs que vous avez énumérés.
M. Bélisle: Malgré les compressions budgétaires et le combat contre le chômage qui les préoccupe beaucoup, comment les pays développés, tels le Canada, pourraient-ils aider davantage les pays plus pauvres? Y aurait-il une façon de contribuer davantage à combattre la pauvreté dans le monde?
[Traduction]
M. Wolfensohn: Je pense qu'il y a autre chose que nous pouvons faire. Il ne s'agit pas uniquement d'argent. Il y a également quelque chose à faire sur le plan des idées et de l'aide non financière.
Ce matin par exemple, j'ai parlé de l'Afrique. Le Canada pourrait jouer un rôle spécial en Afrique. Comme pays, vous avez les deux principales langues d'Afrique. Vous n'êtes pas une puissance coloniale. Vous faites partie du G-7 et cela fait de nombreuses années que vous vous intéressez au développement. À titre d'exemple, il existe une possibilité très réelle que le Canada puisse s'associer aux activités de développement de la banque en Afrique. Dans ce contexte, il a été question ce matin de l'éducation puisque nous examinons l'apprentissage à distance en Afrique.
Je pense que nous allons marquer un grand pas non pas uniquement sur le plan financier. En effet, nous allons relier le financement à la capacité d'accroître les ressources dans le domaine de l'éducation, de l'acquis, dans ces pays. Je pense qu'il faut nous associer à des institutions bilatérales. Très précisément, dans le cas du Canada, il existe la possibilité très réelle de faire affaire avec cette partie du monde où traditionnellement, vous avez consenti la plupart de vos prêts. Je dirais qu'entre 40 et 50 p. 100 de votre financement a été dirigé vers l'Afrique. Nous devons collaborer, pas uniquement sur le plan financier, mais aussi sur le plan des idées. À mon avis, ce sera probablement l'orientation essentielle pour l'avenir.
M. Bélisle: Merci.
Le président suppléant (M. St. Denis): Merci, monsieur Bélisle. Nous allons maintenant passer à M. Campbell.
M. Campbell (St. Paul's): Monsieur Wolfensohn, je suis très heureux, tout comme mes collègues, de vous accueillir ici aujourd'hui. Nous souhaitons aussi la bienvenue à M. Good, le directeur exécutif canadien de la banque.
L'an dernier, notre comité, en collaboration avec le comité des affaires étrangères et du commerce international, a constitué des sous-comités sur les institutions financières internationales. Nous avons repris la formule encore cette année. Cela s'insère tout à fait dans l'optique dont vous avez parlé au début de vos propos, y compris la nécessité de mieux comprendre le rôle des IFI.
Comme membres du Comité des finances ou comme membres du Comité des affaires étrangères et du commerce international, nous savons qu'il faut que les contribuables, les citoyens canadiens, comprennent le rôle important que jouent les institutions financières internationales. Il leur faut comprendre le rôle que joue le Canada au sein de ces institutions. Je pense que nous sommes un des rares pays, peut-être le seul, qui soit membre de toutes les banques régionales de développement et de toutes les institutions financières internationales. C'est sans doute le cas d'autres pays aussi, et nous sommes certainement de leur nombre. Je pense qu'il y a lieu d'être particulièrement fier de cette participation du Canada.
Je suis très heureux d'avoir l'occasion de vous écouter aujourd'hui. Au cours des quelques derniers mois, les présidents de quelques-unes des autres banques régionales ont comparu devant nous. Vos institutions permettent un degré essentiel de surveillance parlementaire, si je peux m'exprimer ainsi, qui est nécessaire si nous voulons promouvoir l'appui des Canadiens pour les institutions telles que la Banque mondiale à l'avenir.
Je veux faire le suivi du travail que nous avons fait dans les deux comités en préparation du sommet de Halifax. Vous avez parlé de coopération et de coordination entre les IFI. Vous avez mentionné les banques régionales et des réunions sans précédent. À cause de mes propres antécédents, j'aimerais savoir où en est la coopération avec le FMI de l'autre côté de la rue chez vous à Washington.
Dans le même ordre d'idées, j'aimerais aborder une question dont on entend beaucoup parler à divers paliers de gouvernement. Il s'agit du chevauchement et du double emploi. Il y a longtemps que je me préoccupe du manque de coopération entre la Banque mondiale et le FMI et du chevauchement accru, au fil des ans, dans le genre de travail que vous faisiez chacun. Nous sommes très loin de ce qu'étaient ces institutions lors de leur création aux termes de l'accord de Bretton Woods.
Donc je me demande si vous pourriez nous dire quelques mots au sujet des relations entre le FMI et la Banque mondiale et de votre coopération ou autonomie, selon le cas.
M. Wolfensohn: Deux fois par mois, je prends mon petit déjeuner avec M. Camdessus. Je pense que cela ne s'était jamais fait. En effet, je me suis rendu voir M. Camdessus pour la première fois à 9 heures, de mon premier jour, et je lui ai dit à cette occasion que je pensais qu'il était beaucoup mieux renseigné sur les institutions internationales que moi et donc que j'avais besoin de son aide. Je lui ai également dit que si jamais il voulait se lancer dans les services bancaires d'investissement, je l'aiderais. Nous nous sommes donc bien compris. Je doute fort qu'il souhaite un jour se lancer dans les services bancaires d'investissement, mais j'ai son aide. Depuis lors, nous avons pu faire savoir à travers les deux organismes que nous nous réunissons deux fois par mois.
On me donne une séance d'information sur chaque pays où je me rends, 40 pays au cours de cette dernière année. Dans chaque pays, j'ai obtenu un mémoire du FMI. Lorsque Michel voyage, il reçoit un mémoire de la banque. Cela ne s'était jamais vu.
En ce qui concerne la question très épineuse des pays les plus endettés, les «pays à dette élevée», je suis revenu d'Afrique en disant, voilà un problème réel. Je l'ai dit tout naïvement, parce que je ne connaissais pas l'ampleur du problème au sein des institutions financières internationales. Toutefois, je l'ai dit, parce que j'estime que si nous voulons rendre ces pays viables, il nous faut vraiment faire quelque chose pour ces pays qui ne se sortiront jamais de leurs dettes. Dans le secteur privé, dans la même situation, vous faites faillite. On sait donc à quoi s'en tenir et on peut relancer les activités. Toutefois, les institutions internationales ne peuvent pas procéder ainsi.
Je pense que le monde entier a été impressionné par le fait que le document qui a été présenté au comité intérimaire, et dont on discutera aussi à Lyon, je crois, et certainement aux réunions annuelles, est un document conjoint signé par M. Camdessus et moi-même. Je pense qu'il s'agit là d'un exemple de collaboration sans précédent, ce qui n'était probablement pas le cas à votre époque.
M. Campbell: Il faut s'en féliciter. Aussi récemment que l'année dernière, quand nous étions à Washington pour préparer le sommet de Halifax, on nous a dit que les choses se sont beaucoup améliorées. C'était avant votre nomination. En fait, il existe maintenant un accord écrit exigeant la coopération entre la Banque mondiale et le FMI, ce que j'ai trouvé un peu amusant. Je suis donc ravi d'entendre que la coopération se poursuit comme vous l'avez indiqué.
Dans le domaine des prêts à l'ajustement structurel, d'aucuns se sont plaints au fil des ans du fait que les banques commençaient à faire ce que faisait le fonds et vice versa. Est-ce qu'on remédie à cette situation dans le cadre de la réforme des IFI?
M. Wolfensohn: Tout d'abord, en ce qui concerne les exigences, je pense qu'elles ne valent pas le papier sur lequel elles sont écrites si les intéressés n'ont pas la volonté d'agir. Je ne savais même pas qu'il y avait une exigence. Mais nous agissons. Cela devrait donc vous rassurer beaucoup plus qu'un phénomène dont je n'avais même pas entendu parler.
En ce qui concerne l'ajustement structurel et le lien, nous avons maintenant un représentant du FMI qui participe à toutes les réunions de la banque où il est question de la stratégie d'aide à un pays, ce qui représente le pivot de nos activités dans chaque pays. À chacune de ces réunions, nous avons un représentant du FMI, et nous consultons cette institution avant de mettre en oeuvre la stratégie d'aide à un pays. Il s'agit d'une démarche qui a débuté avant ma nomination, mais que j'ai vigoureusement encouragée.
Je pense donc que s'il y avait un problème, il n'existe plus maintenant. L'important est de pouvoir adopter des positions indépendantes, car étant donné que nous examinons des choses différentes, notre évaluation des pays peut diverger. Le FMI s'intéresse à la situation macro-économique. Nous aussi. Toutefois, pour ce qui est des questions liées au développement, nous pourrions avoir des perspectives différentes. Nous devons nous pencher notamment sur des questions d'ordre social, environnemental ou non financier. Nous pourrions examiner des questions relatives à la paix et à la guerre.
Le FMI peut évaluer une situation, mais nous devons intervenir, comme nous l'avons fait à Gaza et en Bosnie, par exemple. Le FMI a une mission et il s'efforce d'aider, mais nous devons le précéder en octroyant des prêts pour éclaircir les choses.
Je dirais donc, monsieur Campbell, que les rapports... Je ne dirai pas qu'ils n'ont jamais été meilleurs, car je ne sais pas comment ils étaient autrefois, mais ils sont excellents. Pour ce qui est de l'alignement des politiques, je pense que nous avons fait beaucoup de chemin.
M. Campbell: C'est très encourageant, monsieur Wolfensohn.
[Français]
M. Pomerleau (Anjou - Rivière-des-Prairies): Je remercie MM. Wolfensohn et Good de nous visiter. Ma question est d'ordre beaucoup plus global.
Le poste que vous détenez vous donne l'occasion de participer, jusqu'à un certain point, à une analyse internationale de la situation. Dans le cadre de notre comité, plus souvent qu'autrement, nous analysons différents scénarios, mais plutôt au niveau local. Nous n'avons pas souvent l'occasion de nous adresser à des personnes qui ont une perspective du village global, si je puis dire.
Aujourd'hui, j'ai eu la chance de participer au déjeuner auquel vous invitait le Centre de recherches pour le développement international. Le président de cet organisme m'a laissé savoir qu'il aimerait rencontrer sous peu les députés pour leur expliquer qu'à son point de vue, en raison de la globalisation des marchés, la situation ne serait pas aussi encourageante qu'elle semble l'être.
Nous ferions mieux de prendre conscience dès aujourd'hui des très nombreux problèmes qui existent et qui vont se manifester. C'est le fruit de son analyse; nous le rencontrerons probablement à ce sujet.
J'aimerais vous faire part de mon point de vue à titre de simple citoyen et connaître votre opinion. Il me semble inévitable que la robotisation, la mécanisation et l'informatisation auront éventuellement un effet négatif sur l'emploi au niveau local dans les pays industrialisés.
Par surcroît, la plupart des compagnies qui sont actuellement dans les pays industrialisés, où se trouve leur marché, se déplaceront vers des pays où la main-d'oeuvre est moins chère. Les revenus de la classe moyenne des pays industrialisés vont décroître.
Je crois que nous verrons la classe moyenne des pays industrialisés diminuer considérablement et s'appauvrir. Je songe au niveau d'emploi et au chômage chez nos jeunes qui continuera d'augmenter. Je n'entrevois pas d'autre solution.
D'autre part, nous constatons partout, tant au niveau local ici, au Canada, qu'ailleurs dans le monde, que les capitaux s'installent désormais dans les paradis fiscaux. Nous n'avons qu'à visiter Singapour, Hong Kong, Tokyo ou les îles Caïmans pour constater que c'est là que se retrouvent les capitaux afin qu'on paye le moins d'impôt possible.
Nous nous trouvons dans une situation problématique où les compagnies ont tendance à embaucher de moins en moins d'employés, à s'installer là où la main-d'oeuvre est moins chère et à déclarer leurs profits dans les paradis fiscaux où il leur en coûte moins cher. L'effet sur les pays industrialisés, tels le Canada, l'Italie, la France, l'Allemagne et probablement l'Angleterre, dont la plupart ont d'énormes dettes, sera catastrophique.
Si les compagnies ne contribuent plus et que la classe moyenne n'est plus capable de payer, qui payera ces dettes et qu'en résultera-t-il? Lorsque les pays industrialisés seront dans l'impossibilité de rembourser leurs dettes, cela aura sans doute un effet colossal au niveau international, et ce sous peu. C'est mon point de vue. Quel est le vôtre, vous qui voyez l'ensemble de la situation internationale?
M. Wolfensohn: Je vous remercie de ces questions. Je vous prie de m'excuser, mais je vais répondre en anglais parce que ce sera plus facile pour moi.
[Traduction]
Je pense que vous avez tort pour un certain nombre de raisons, que je vais vous présenter. J'ai eu cette discussion avec des dirigeants syndicaux américains et d'autres personnes qui partagent votre position; par conséquent, j'ai peut-être raison ou vous avez peut-être raison, mais je vous dirai ce que je pense.
Tout d'abord, il découle de vos observations qu'il faut remédier à la situation, soit en limitant les capitaux, soit en freinant l'importation, si nous voulons défendre le monde développé et nos emplois au pays. Si nous ne voulons pas nous retrouver dans une situation où il n'y a pas d'emplois et où nous ne pouvons pas rembourser nos dettes, il faut sans doute agir. Les syndicats réagissent en disant qu'il ne faut pas exporter les emplois ni permettre le libre-échange.
En réalité, d'après toutes les études dont j'ai pris connaissance, d'après ma propre réflexion et d'après les faits dont nous disposons, le progrès des pays en développement, qui représente plus de 50 p. 100 de la croissance du PIB à l'échelle mondiale, crée un plus grand nombre d'emplois dans les pays industrialisés que dans les pays en développement.
Si vous prenez le cas des États-Unis pendant l'administration Clinton, le président Clinton est très fier de parler de la création de deux ou trois millions d'emplois. Le président Clinton vous dirait que la plupart de ces emplois sont liés à l'exportation. Il est très difficile d'analyser les statistiques, mais il est tout à fait évident que l'industrie américaine s'adapte à la prestation des biens et services, qui se fait beaucoup plus dans le domaine de la haute technologie que dans celui du travail manuel. Ces biens et services - avions, machines, équipement, services techniques et transferts de services non physiques - sont axés sur les besoins des pays en développement et non pas sur ceux des pays industrialisés.
Vous n'avez qu'à regarder les statistiques. Dans les pays en développement, le taux de croissance dépasse 5 p. 100, contre 2 ou 2,5 p. 100 environ dans les pays industrialisés. Par conséquent, à mon avis, la création d'emplois et les exportations augmenteront certainement si nous amenons les pays en développement... même s'il faudra des rajustements pour les produits fabriqués à l'étranger qui requièrent une plus forte densité de main-d'oeuvre et qui ne sont pas assujettis aux progrès technologiques.
Vous avez ce qu'on trouve sur n'importe quel marché. Vous avez progressivement un avantage relatif. L'avantage relatif des pays industrialisés réside dans la haute technologie, les coûts plus élevés, les emplois de meilleure qualité, tandis que les pires emplois, si vous voulez, vont dans les pays où les coûts de la main-d'oeuvre sont inférieurs.
Soit dit en passant, il est vrai qu'en Asie actuellement, les emplois vont de Singapour en Inde, en Thaïlande et maintenant au Vietnam à mesure que le niveau de vie dans ces pays augmente. La réaction de ces pays n'a pas été d'exclure les nouveaux pays en développement, mais simplement de fabriquer des produits de catégorie supérieure. À Singapour aujourd'hui, le niveau de scolarisation est le plus élevé qui soit, de même que la valeur ajoutée, car la population a un revenu moyen de 24 000$ par an. La réserve de devises à Singapour s'élève à 160 milliards de dollars pour un pays de 2,5 millions d'habitants.
Le fait est que les pays industrialisés doivent s'adapter. À mon avis, il est beaucoup plus probable que la croissance soit plus stable si l'économie mondiale est ouverte que si l'on érige des barrières.
Pour ce qui est des paradis fiscaux, chaque pays y fait face différemment. À bien y regarder, cela pose moins de problème aujourd'hui qu'autrefois, car les conventions fiscales et l'impôt des sociétés - je ne sais pas qu'elle est la situation au Canada, mais les gens commencent vraiment à lever le voile sur cette question. Vous pouvez accumuler des bénéfices à l'étranger pour les réinvestir là-bas, mais en fin de compte, quand vous les ramenez ici, vous devez payer des impôts. Dans la plupart des pays, il s'agit d'un report de l'impôt et non pas d'un évitement fiscal. Je ne veux pas dire qu'il n'y a pas de manoeuvres frauduleuses et que les gens jouent le jeu s'ils ne peuvent pas faire autrement, mais la plupart des entreprises américaines sont des contribuables internationaux et les manoeuvres frauduleuses sont assez limitées. En particulier, j'ai examiné les sociétés multinationales allemandes et suédoises. Je ne me suis pas penché sur les sociétés canadiennes. Je pense que les paradis fiscaux posent un problème, mais ce problème n'est pas crucial.
En guise de conclusion, je ne pense pas que nous soyons au bord d'un désastre parce que la classe moyenne des pays industrialisés va se retrouver au chômage. Au contraire, j'estime qu'en raison de la croissance et de l'augmentation des revenus, notre situation va s'améliorer.
Il faut commencer par le budget. La première chose à faire est de cesser d'emprunter, et c'est ce que vous essayez de faire au Canada. À mon avis, c'est là qu'il faut aborder le problème. Si vous pouvez vous attaquer au problème budgétaire, et s'il y a une croissance des revenus et de la population, je doute fort que vous soyez confrontés à une crise dans les pays industrialisés.
En tout cas, en ce qui concerne le rapport entre le déficit budgétaire et le PIB, la tendance dans la plupart des pays de l'OCDE, comme le vôtre, est à la baisse. Dans votre pays, il est passé de 6 p. 100 à 3,5 p. 100 ou 4 p. 100, je pense. Il en est de même de la plupart des pays de l'OCDE qui envisagent des compressions budgétaires. Je pense que c'est à ce niveau qu'il faut s'attaquer au problème, mais je ne pense pas que nous soyons confrontés à une crise. J'estime cependant que nous devons appuyer le développement, car c'est le gage de notre avenir. Nous parlons de 4,5 milliards de personnes. Nous serions fous de nous exclure d'un marché de 4,5 milliards de personnes qui augmente de 5 p. 100 à10 p. 100 par an.
M. Duhamel (Saint-Boniface): Merci pour votre exposé.
J'avais une série de questions. Je suis arrivé un peu en retard - je m'en excuse - et vous y avez peut-être répondu. Si tel est le cas, je lirai le procès-verbal.
Ma question est la suivante. À votre avis, est-il possible d'éliminer totalement ou pratiquement la pauvreté dans le monde? Comment faut-il procéder? Faut-il adopter une démarche différente d'un pays à l'autre? Cela dépend-il de la situation qui prévaut dans chaque pays? Savons-nous comment faire, ou existe-t-il simplement un certain nombre de théories auxquelles personne ne croit particulièrement? Avons-nous la capacité, les connaissances et les ressources pour le faire?
M. Wolfensohn: Si seulement je pouvais répondre à votre question!
Je travaille dans ce domaine parce que je pense que nous pouvons contribuer à réduire la pauvreté. Si je pensais que ma tâche consistait à éliminer la pauvreté, j'irais probablement à la pêche. À mon avis, tel ne doit pas être l'objectif. Je doute que vous ayez éliminé la pauvreté dans ce pays, et les inégalités, si le Canada est comme la plupart des pays, sont plus grandes qu'auparavant. Cela n'est peut-être pas vrai ici, mais dans bien des pays de l'OCDE, tel est le cas.
La question est de savoir si nous pouvons améliorer la situation, et le cas échéant, comment? Dans le cas de Haïti, Aristide m'a dit qu'il voulait que son pays passe de la misère à la pauvreté, et de la pauvreté à une meilleure situation. Je pense que nous avons obtenu des résultats remarquables dans certains pays.
Prenez le cas de l'Indonésie. Il y a 20 ans, ce pays avait un PNB par habitant de 70$. Aujourd'hui, il s'élève à 900$. L'élimination de la pauvreté dans ce pays a été considérable, même s'il y a encore 24 millions de personnes qui vivent avec moins d'un dollar par jour.
En Chine, le taux de croissance se situe entre 12 p. 100 et 20 p. 100, selon la façon dont on le mesure, mais il y a encore 90 millions de personnes qui vivent avec moins d'un dollar par jour. Dans le monde, 1,2 milliard de personnes vivent avec moins d'un dollar par jour. C'est ce que nous appelons la pauvreté absolue. C'est cela que nous essayons d'éliminer. Pour le reste, je vous répondrai en disant que cela varie d'un pays à l'autre.
Je reviens du Vietnam. Ce pays a 70 millions d'habitants, un revenu par habitant de 200$ par an, soit moins d'un dollar par jour. Je suis absolument convaincu que dans 10 ans, l'économie du Vietnam sera en plein essor et sa population ne sera plus pauvre - j'en suis convaincu. Les Vietnamiens veulent s'instruire et promouvoir le libre-échange, même s'ils sont issus du socialisme et du communisme. Ils veulent développer les communications; ils veulent développer les services de santé et les services sociaux - le fondement social qui sous-tend le développement. Ils profitent des événements survenus en Europe de l'Est et dans d'autres pays.
Je ne peux pas vous le prouver, mais je sais que le Vietnam va réussir. Je suis moins optimiste en ce qui concerne certains pays africains qui connaissent la même situation depuis 20 ans parce qu'ils négligent l'éducation, encouragent le tribalisme et la corruption, refusent de promouvoir la justice sociale et la démocratie. Il y a beaucoup de facteurs qui entrent en jeu, mais même en Afrique, 20 pays aujourd'hui ont un taux de croissance supérieur à 5 p. 100 par an; on ne peut donc pas généraliser en ce qui concerne l'Afrique.
À mon avis, ce que nous devrions faire dans le cas de l'Afrique, car l'Asie semble bien se débrouiller... Prenez le cas de la Corée, de la Thaïlande ou de la Birmanie. Ce sont des pays qui se sont développés. Il en est de même de Singapour et de la Chine. Je pense que l'Asie s'en sort assez bien. Quant à l'Amérique latine, elle a accompli des progrès considérables dans l'ensemble au cours des vingt dernières années, surtout depuis dix ans, la plupart des pays de cette région ayant renoncé à la dictature pour libéraliser leurs économies.
Notre problème, c'est l'Afrique, mais pas toute l'Afrique. Les problèmes varient d'un pays à l'autre. Si vous prenez le Rwanda et le Burundi - qui intéressent particulièrement votre gouvernement actuellement - où l'on a tué un million de personnes et où la crise continue, il est difficile d'envisager une diminution de la pauvreté à court terme. Pour commencer, ces pays sont inaccessibles. Cependant, dans d'autres pays comme l'Ouganda ou la Côte d'Ivoire, on assiste à un développement considérable. Il existe des possibilités de développement.
Je dirais donc qu'il faut procéder pays par pays. J'ai abordé certaines questions qui doivent vous intéresser, mais je ne pense pas qu'il existe une solution théorique à la pauvreté. Je pense que notre tâche consiste à la soulager. J'espère qu'un jour nous l'éliminerons, mais cela m'étonnerait.
M. Duhamel: Merci.
Le président suppléant (M. St. Denis): Madame Brushett.
Mme Brushett (Cumberland - Colchester): Merci, monsieur président. Je serai brève.
Ma question est semblable à celle de mon collègue. J'ai lu récemment qu'au cours des deux dernières décennies, l'Inde a amélioré son taux d'alphabétisation chez les enfants de 60 p. 100 à 80 p. 100 aujourd'hui. Quand vous parlez de restructurer la Banque mondiale, de rechercher et de mesurer les résultats, tenez-vous vraiment compte de tels résultats, mesurez-vous ces aspects? Quels sont les moyens pratiques que vous utilisez pour tenir compte des bons résultats?
M. Wolfensohn: Je pense qu'il faut les mesurer. Il serait beaucoup trop simpliste de le faire en fonction du rendement financier. Pendant des années, bon nombre d'institutions, y compris la Banque mondiale, ont mesuré le développement en fonction du rendement financier.
Je pense qu'il faut examiner les aspects sociaux du développement, non seulement pour voir dans quelle mesure on rejoint le peuple en ce qui concerne la justice sociale et la distribution équitable de la richesse. Il faut le faire, car si l'on obtient un PNB moyen - comme dans le cas de l'Indonésie, où le PNB par habitant est de 900$ - on a encore 24 millions de personnes qui vivent avec moins d'un dollar par jour. Il faut viser non pas des moyennes, mais une analyse beaucoup plus attentive de la distribution.
À mon avis, et c'est ce que nous faisons actuellement à la banque, il faut tenir compte, en plus du rendement financier, de toutes sortes de considérations d'ordre social, c'est-à-dire le soubassement social: la santé, l'éducation, la culture et l'environnement.
Actuellement à la banque, j'essaie d'élaborer une méthode nous permettant d'apprécier le développement dans un cadre plus global que le cadre financier et englobant les valeurs et les considérations sociales qui nous tiennent tous à coeur. Actuellement, telle est la priorité en matière de développement. Je pense que c'est tout à fait nécessaire, car au bout du compte, nous essayons de changer la vie des êtres humains. Cela ne se mesure pas simplement en termes financiers; toutes sortes de facteurs entrent en jeu: les possibilités, l'éducation, la mobilité, les emplois.
À la banque, j'essaie de dresser la liste de nos activités et de déterminer si elles correspondent à nos objectifs tant financiers que non financiers. J'applique cette démarche à l'échelle nationale pour mesurer la pauvreté et même le développement de la condition humaine.
Mme Brushett: Est-ce que le secteur privé, qui investit trois fois plus que le secteur public, accepte facilement votre nouvelle démarche? Je pense qu'elle est vraiment intéressante.
M. Wolfensohn: Nous ne pouvons pas obliger les entreprises à participer à des projets à vocation sociale; mais nous pouvons les guider et les conseiller dans ce sens.
J'étais tout dernièrement à Java, dans la partie occidentale, où j'ai visité l'usine Indorama qui fabrique du nylon de qualité internationale avec du matériel Du Pont. La famille d'immigrants indiens qui dirige cette entreprise offre des pensions de retraite à ses employés, des hypothèques pour le logement et finance les installations hospitalières et scolaires. Si nous sommes tombés d'accord ce n'est pas parce que c'était socialement acceptable mais qu'ils y voyaient aussi leurs intérêts. Ils ont l'avantage d'une main-d'oeuvre plus stable tout en apportant leur contribution à la collectivité.
Je crois que même dans le cas de l'environnement, les rapports de Stephan Schmidheiny sur les relations entre les entreprises et l'environnement montrent que les entreprises les plus sensibilisées au problème de l'environnement tendent à être les mieux gérées.
Je ne pense pas qu'on puisse obliger le secteur privé à prendre en compte les aspects sociaux mais on peut l'y inciter en le guidant. Je crois que c'est le cas de plus en plus d'entreprises. Ce n'est pas vraiment leur problème mais je crois qu'on peut arriver à les convaincre non pas pour des raisons morales ou sociales mais pour des raisons économiques et de stabilité. Nos projets fonctionnent sur cette base dans la mesure du possible.
Le président suppléant (M. St. Denis): Monsieur Dhaliwal.
M. Dhaliwal (Vancouver-Sud): Bonjour, monsieur Wolfensohn. Nous sommes vraiment contents de vous voir.
La pauvreté est une question très importante pour moi et pour mes autres collègues, j'en suis sûr. L'année dernière j'ai eu l'occasion de me rendre en Inde, en Thaïlande et en Birmanie. Comme vous le savez, la Birmanie est l'un des pays les plus pauvres du monde. Certaines familles n'ont pas plus de 100$ à leur disposition.
J'aimerais vous parler plus particulièrement de l'Afrique. Vous en avez parlé. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec Kenneth Kaunda en Zambie. Certains estiment que la formation de ces nouveaux blocs commerciaux, qu'il s'agisse de l'ALENA, de l'Union européenne ou d'autres pays, pourrait être très mauvaise pour un continent comme l'Afrique qui se retrouve en fait totalement oublié. Ils créent des barrières.
Ne craignez-vous pas que ces blocs commerciaux qui se créent un peu partout dans le monde auront des conséquences néfastes pour les pays les plus pauvres, en particulier les pays africains qui sont totalement oubliés par le reste du monde? Qu'en pensez-vous?
M. Wolfensohn: Absolument. Pour commencer je crois que tout développement est impossible sans libre-échange ou tout du moins, très limité. Il y a donc un lien étroit avec les initiatives d'ouverture de marchés de l'OMC.
En ce qui concerne l'Afrique, il y a des quotas et la fermeture de marchés dans de nombreux cas. Le marché le plus proche est l'Europe. Ce qu'on essaie de faire en Afrique... J'ai visité les pays d'Afrique australe mais je reviens du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisie, pays du nord de l'Afrique mais assez différents des pays de l'Afrique subsaharienne. Le problème est le même, bien qu'il ne soit pas aussi grave. Leurs économies se développent mais les barrières commerciales entravent leurs efforts.
Je crois que si on est sérieux et qu'on veut vraiment développer l'Afrique, il faut lui donner les moyens d'accéder aux marchés en plus de ceux pour développer leur propre marché intérieur ou leur marché interrégional qui est très limité. Le commerce interrégional en Afrique est pratiquement négligeable.
À mon avis, le problème est grave. Je crois que vous avez tout à fait raison. Il faut non seulement investir en Afrique mais aussi commercer avec l'Afrique, sinon nous ne réglerons pas le problème.
M. Dhaliwal: Je suis d'accord avec vous à 100 p. 100. Les pays pauvres, y compris les pays africains, vont devenir de plus en plus pauvres. Ces blocs commerciaux ont pour vocation de commercer entre eux et d'empêcher toute intrusion sur leur territoire. Les pays les plus pauvres du monde vont en pâtir et c'est un gros problème. J'estime que la Banque mondiale et les autres institutions financières internationales devraient se pencher sur cette question et essayer de trouver une solution pour faire tomber ces barrières commerciales afin d'aider les pays les plus pauvres du monde.
M. Wolfensohn: C'est ce que nous faisons mais bien entendu nous ne sommes pas un groupe de pression. C'est l'OMC qui a la responsabilité des questions commerciales.
Je rencontre Ruggiero, le secrétaire de l'OMC, une fois par trimestre. Je ne le rencontre pas par accident; je le rencontre parce que ces rencontres sont cruciales. En fait, quand Ruggiero se déplace, il est reçu par les représentants de la Banque mondiale dans les pays africains - il vient juste de terminer une tournée en Afrique - car il n'a pas de bureau dans ces pays.
Je tiens à ce lien permanent avec Ruggiero en matière de développement. J'oeuvre donc dans le sens que vous préconisez.
Mme Torsney: Monsieur Wolfensohn, je suis ici en tant que représentante du Comité permanent des affaires étrangères. Je vous signale également que j'ai été pendant deux ans présidente du caucus des femmes et j'ai donc été particulièrement enchantée de voir ce livre qui expose le rôle du Canada au sein de la Banque mondiale et qui parle tout particulièrement des questions liées aux femmes et au développement et d'entendre vos commentaires sur le développement d'une société socialement juste et ces entreprises respectueuses de l'environnement, etc.
Votre prédécesseur avait dit que la Banque mondiale avait l'intention de procéder à une analyse des rôles masculins et féminins dans toutes ses activités. Comme beaucoup d'entre nous le savent, quand on fait une telle analyse on s'aperçoit parfois que les résultats ne sont pas les mêmes. Malgré tout, l'essentiel c'est que cette analyse soit faite.
Ma question est la suivante. En 1993, un projet sur trois de la Banque mondiale comportait une analyse des rôles masculins et féminins. Avez-vous mis en place un programme vous permettant de vous assurer que seuls les projets comportant une analyse des rôles masculins et féminins sont financés et continuez-vous à le faire? Je crois que cela permet aussi d'atteindre beaucoup d'autres objectifs.
M. Wolfensohn: Oui. Si vous avez suivi mes initiatives à la banque, j'ai commencé au niveau des nominations par m'assurer d'une représentation adéquate de femmes qualifiées aux postes supérieurs parce qu'à mon avis nous avions pris du retard. J'ai même été encore plus loin. Chaque fois que je me déplace, je m'arrange pour rencontrer des groupes de femmes.
Je viens de me rendre, comme je l'ai dit, au Maroc, en Algérie, en Tunisie, en Jordanie, en Égypte et en Indonésie où je me suis intéressé tout particulièrement à la question de la condition des femmes musulmanes qui n'est pas la même d'un pays à l'autre. Le fait que je les rencontre et que je leur parle a déjà une incidence sur ces sociétés. Elles ont aussi beaucoup à nous apprendre. Le personnel de la banque comprend aussi l'importance que je prête à cette question des rôles masculins et féminins. Ce ne sont pas toujours des questions qui concernent les femmes mais des questions de rôles masculins et féminins.
Dans chaque projet que nous entreprenons la question des rôles masculins et féminins est prise en considération. Je ne dis pas que nous sommes parfaits; je ne pense pas qu'aucune institution ait atteint la perfection dans ce domaine. Mais je peux dire que notre performance est largement supérieure à ce qu'elle était il y a 12 mois et que les progrès sont constants.
Je crois que si posiez la question aux organisations de femmes de n'importe lequel des 40 pays que j'ai visités, vous constateriez qu'elles estiment que la banque fait de très gros efforts dans ce domaine et que si elle a été loin d'être parfaite dans le passé, pour le moins nous en sommes conscients et c'est un élément de l'analyse de chaque projet.
Mme Torsney: Avez-vous des statistiques sur le taux de succès de projets spécifiquement ciblés...
M. Wolfensohn: Tout est relatif comme je l'ai dit tout à l'heure en réponse à une autre question. Cela dépend des critères utilisés pour mesurer le succès.
Mme Torsney: D'accord.
M. Wolfensohn: Je crois que le rapport annuel de la banque fait état d'un budget de 9 milliards de dollars pour les projets prenant en compte les rôles masculins et féminins. L'année précédente il n'était que de 6,9 milliards de dollars ou à peu près. Pour être honnête avec vous, je ne crois pas vraiment à mes propres statistiques.
À mon avis, la conscience et la reconnaissance de ce problème sont beaucoup plus grandes qu'avant et c'est ce qui compte le plus. Je ne crois pas que quiconque sache comment mesurer l'efficacité d'un projet sans prendre en compte les conditions locales, les cultures locales, etc. Nous essayons d'influer sur ces cultures sans nous ingérer dans la vie politique ou culturelle de ces pays. Je crois que si nous poursuivons nos efforts, nous pourrons voir des améliorations. Pour être honnête avec vous, c'est la meilleure mesure.
Mme Torsney: Extra, merci.
Le président suppléant (M. St. Denis): Merci, chers collègues.
Merci à vous monsieur Wolfensohn et monsieur Good. Je sais que vous êtes pressés par le temps. Je me permettrai de faire un ou deux commentaires avant de lever la séance.
Je crois pouvoir dire au nom de tous ceux ici présents que nous sommes heureux d'avoir pu vous avoir comme témoins à ce moment critique pour la Banque mondiale et pour le monde. Comme vous l'avez dit, notre premier ministre a souvent dit que le phénomène de mondialisation progressait à un rythme effréné et qu'il nous faut désormais penser en termes planétaires. Un retour en arrière est impossible. Nous ne pouvons que regarder devant.
Nous vous souhaitons de réussir dans votre tâche. Je sais que cela ne fait pas un an que vous occupez cette fonction. Tous nos souhaits vous accompagnent pour les années à venir. Nous comptons sur vous. Nous vous remercions infiniment d'avoir pris sur votre temps pour nous rencontrer.
La séance est levée.