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Annexe B
Les décisions de 1985 et de 1991 et le
rapport du vérificateur général

Dans le rapport du 7 mai 1996, et lorsqu'ils ont comparu devant le Comité, le vérificateur général et ses fonctionnaires ont centré leur attention sur deux décisions anticipées en matière d'impôt rendues par Revenu Canada en 1985 et en 1991. Nous examinons ici, de façon aussi approfondie que possible, les inquiétudes particulières exprimées par le vérificateur général au sujet de ces décisions. Nous arrivons à la conclusion que les décisions étaient fondées en droit et que Revenu Canada a eu raison de les rendre. Les conclusions du Comité n'entérinent donc pas, à cet égard, les critiques du vérificateur général. Toutefois, nous arrivons aussi à la conclusion que certaines des préoccupations d'ordre procédural du vérificateur général, quant à la façon dont les décisions ont été prises et consignées, étaient justifiées. Des recommandations sont donc formulées à ce sujet à l'intention du ministre du Revenu national.

1. Décisions anticipées en matière d'impôt

La Loi de l'impôt sur le revenu et son règlement forment plus de 2 000 pages de droit dense et complexe. Par conséquent, un contribuable qui envisage une opération d'une forme nouvelle ou inhabituelle est souvent incertain quant aux conséquences fiscales qui en résulteront. Pour donner aux contribuables la certitude requise, la Commission royale d'enquête sur la fiscalité de 1967 a recommandé que le ministère du Revenu national (Revenu Canada) leur offre un service de décisions anticipées. Ce service a démarré en 1970.

Les décisions anticipées en matière d'impôt constituent des interprétations officielles, par Revenu Canada, de la façon dont la Loi de l'impôt sur le revenu s'appliquera à une opération particulière qu'un contribuable envisage. Tous les contribuables peuvent se prévaloir de ce service. En 1995, la Direction des décisions de Revenu Canada a reçu 478 demandes de décisions (sans compter environ 1 500 demandes d'opinions fiscales moins officielles et 17 000 demandes de renseignements téléphoniques).

L'existence d'un processus de décisions anticipées n'a rien d'impropre. Les témoins entendus par le Comité et les autres observateurs ont même presque tous évoqué l'importance du processus pour le bon fonctionnement du système d'impôt sur le revenu. La remarque suivante de l'attaché de recherche principal de l'Association canadienne d'études fiscales, David Perry, est typique :


10 - The Globe and Mail, 14 mai 1996.

Le vérificateur général a maintes fois répété qu'il est tout à fait en faveur des décisions anticipées. Son rapport de 1993 renfermait une évaluation extrêmement favorable du processus. Lorsqu'il a comparu devant le Comité sur la question qui nous occupe, il a fait ressortir les avantages que ces décisions apportent aux contribuables :


11 - Le 28 mai 1996.

Le Comité abonde dans le même sens, et sait gré au vérificateur général d'avoir précisé que le service des décisions anticipées n'était pas lui-même en cause.

2. Les opérations en question

Les transactions en cause ici ont fait l'objet de décisions anticipées en 1985 et en 1991. Elles avaient toutes deux trait aux dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu concernant l'émigration des contribuables, et dans chaque cas le contribuable principal était une fiducie.

Comme nous l'expliquons dans le corps du rapport, la Loi traite une fiducie qui émigre du Canada avec des biens en immobilisation, ou qui attribue des biens en immobilisation à un bénéficiaire non résidant, comme si elle en avait disposé à moins qu'il s'agisse de biens canadiens imposables (BCI). Cette disposition réputée fait que la fiducie déclare un gain ou une perte en capital et peut devoir payer de l'impôt au Canada à ce moment-là. Lorsqu'une fiducie émigre du Canada avec des BCI ou attribue des BCI à un bénéficiaire non résidant, les gains en capital imposables sur ces biens demeurent assujettis à l'impôt canadien dans la mesure où les conventions fiscales le permettent.

Dans le cas des deux décisions rendues en 1985 et en 1991, les fiducies détenaient des actions de sociétés publiques obtenues lors de transactions antérieures en contrepartie d'actions de sociétés privées. L'une de ces fiducies se proposait d'attribuer les actions à un bénéficiaire non résidant; l'autre se proposait d'émigrer du Canada. Les conséquences fiscales pour les fiducies dépendaient donc de la nature des actions, à savoir si elles constituaient ou non des BCI. Si les actions étaient des BCI, les gains accumulés ne seraient pas imposés immédiatement, mais le Canada imposerait, sous réserve des conventions fiscales pertinentes, tout gain effectif sur les biens dès leur réalisation. S'il ne s'agissait pas de BCI, tout gain accumulé serait imposé au moment de l'émigration ou de l'attribution, mais le Canada n'imposerait pas les gains ultérieurs.

Les actions de sociétés publiques ne sont, la plupart du temps, des BCI que si l'actionnaire détient au moins 25 p. 100 d'une catégorie d'actions de la société. Dans les deux cas, en 1985 et en 1991, les contribuables étaient des fiducies qui détenaient moins de 25 p. 100 des actions d'une société publique. Les deux fiducies avaient obtenu leurs actions de sociétés publiques à la suite d'une opération de roulement, en contrepartie d'actions d'une société privée. Lorsque les biens cédés dans une telle opération sont des BCI, ceux qui les remplacent le sont également. Si les actions de la société privée que les fiducies ont abandonnées lors de ces opérations étaient des BCI entre leurs mains, les actions de la société publique reçues en échange l'étaient aussi.

Il n'était pas clair cependant, d'où la nécessité d'obtenir une décision anticipée de Revenu Canada, que les actions de la société privée cédées par les fiducies lors de l'opération de roulement étaient pour elles des BCI. La notion de BCI s'applique habituellement aux non-résidents et aux émigrants, puisque le Canada impose les résidents canadiens sur les gains tirés de BCI et d'autres biens. Les contribuables en question étaient des résidents du Canada au moment des opérations de roulement. La question essentielle dont les décisions dépendaient en dernière analyse était donc de savoir si des biens pouvaient être des BCI d'un résident du Canada.

Les conventions fiscales du Canada lui réservent habituellement le droit d'imposer les gains en capital réalisés par ses anciens résidents sur des biens qu'ils possédaient lorsqu'ils résidaient au Canada. Ce droit est maintenu pendant un nombre limité d'années après le départ du Canada de l'ancien résident, et ne s'applique que si celui-ci a résidé au Canada pendant une période donnée avant d'émigrer. La convention canado-américaine, par exemple, permet au Canada d'imposer les gains d'un particulier résidant aux États-Unis (sur des biens autres que des biens immobiliers canadiens et certains biens d'entreprise, que le Canada peut toujours imposer) uniquement si la personne :

Ces exigences ont notamment pour conséquence que si une fiducie a été cr#e moins de 10 ans avant de quitter le pays le Canada pourrait, en vertu de la convention, n'avoir aucun droit d'imposer ses gains sur des BCI.

Dans le cas visé par la décision de 1991, une fiducie résidant au Canada avait comme bénéficiaire une fiducie qui avait déménagé aux États-Unis moins de 10 ans après sa création au Canada. La possibilité existait donc que les gains réalisés sur les BCI transférés par la fiducie canadienne au bénéficiaire émigré échappent, à cause de la convention, à toute imposition au Canada même si le bénéficiaire aliénait les biens immédiatement après les avoir reçus. Cette éventualité compliquait les divers enjeux de la décision de 1991.

Les fins détails des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu relatives aux attributions par une fiducie faisaient naître une autre complication qui brouillait aussi les cartes. Comme nous l'avons expliqué, une fiducie peut attribuer des BCI à un bénéficiaire non résidant sans conséquences fiscales immédiates. Cette règle repose sur le principe selon lequel les gains réalisés sur les BCI demeurent, sous réserve des conventions, imposables au Canada. Toutefois, si les biens cédés sont des BCI présumés, plutôt qu'effectifs, de la fiducie, certains prétendent (12) que la règle déterminative qui leur donne ce caractère ne va peut-être pas jusqu'à présumer qu'il s'agit également de BCI pour un bénéficiaire non résidant. Comme la décision de 1991 portait sur l'attribution par une fiducie d'actions réputées constituer des BCI selon une disposition relative aux opérations de roulement (13), cet aspect plutôt technique peut influer sur le résultat final de l'opération. Même si la question ne semble pas s'être posée au moment de rendre la décision, ni dans le rapport du vérificateur général, elle figurait dans les reproches que le vérificateur général a adressés à Revenu Canada, au sujet de sa façon de traiter la demande de décision anticipée de 1991, lorsqu'il a comparu devant le Comité.


12 - Le Comité croit comprendre que Revenu Canada n'accepte pas cet argument et considère que les biens qui sont réputés être des BCI de la fiducie demeurent des BCI pour le bénéficiaire non résidant.

13 - Cela prend pour acquis que Revenu Canada avait raison de croire que des biens peuvent être des BCI d'un résident du Canada.


En somme, le problème fondamental d'interprétation soulevé dans les opérations tant de 1985 que de 1991 était de savoir si des biens peuvent être des biens canadiens imposables, ou BCI, d'un résident du Canada. Dans l'affirmative, les actions de la société publique détenues par les contribuables constituaient aussi des BCI, et ne tomberaient donc pas sous le coup d'une disposition présumée lorsque les contribuables soit quitteraient le Canada, soit attribueraient les actions à un bénéficiaire non résidant. Le Canada conserverait le droit d'imposer les gains réalisés sur les biens pour une période indéfinie, sous réserve des conventions fiscales.

3. Les décisions de Revenu Canada

Le Comité a entendu relativement peu de commentaires sur la décision de 1985, qui n'a par ailleurs été la cible ni de son examen, ni des travaux du vérificateur général. Dans cette décision, Revenu Canada arrivait à la conclusion que les actions d'une société publique détenues par un émigrant qui les avait obtenues dans une opération de roulement pendant qu'il était résident du Canada étaient des BCI de l'actionnaire. Le Ministère concluait donc, de façon implicite, que des biens pouvaient constituer des BCI d'un résident du Canada.

Cinq mois après avoir rendu la décision de 1985, Revenu Canada donnait à un autre contribuable une opinion non exécutoire qui contredisait carrément la décision précitée, laquelle revêt un caractère plus officiel (et exécutoire). Rien n'indique que Revenu Canada ait été conscient de cette incohérence à l'époque. Comme nous le verrons plus loin, le Ministère a depuis pris des mesures pour assurer une plus grande cohérence de ses opinions, décisions et autres publications.

Le dossier sur la décision de 1991 est relativement plus étoffé. Dans le cadre d'un examen approfondi des enjeux pertinents, Revenu Canada a demandé l'avis du ministère des Finances sur l'intention générale des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu concernant les biens canadiens imposables. Le ministère des Finances a répondu par écrit que, en principe, des biens peuvent constituer des biens imposables canadiens d'un résident du Canada. Revenu Canada a également obtenu par écrit un avis juridique de son conseiller du ministère de la Justice. L'avis juridique est venu confirmer que la Loi n'exclut pas que des biens puissent constituer des BCI d'un résident. En se fondant sur ces opinions, Revenu Canada a décidé que les actions d'une société privée que le contribuable avait données en contrepartie étaient effectivement des BCI, de sorte que les actions de la société publique obtenues en échange l'étaient également.

Avant de rendre sa décision de 1991, Revenu Canada a exigé du contribuable un engagement et une renonciation. L'opération de 1991 portait, nous l'avons déjà indiqué, sur l'attribution de biens fiduciaires à un bénéficiaire qui avait été un résident canadien antérieurement. Si les biens étaient des BCI, tout gain réalisé par le bénéficiaire sur les biens resterait imposable au Canada pendant une période déterminée après l'émigration du bénéficiaire. Toutefois, comme le bénéficiaire était une fiducie cr#e moins de 10 ans avant son départ du Canada, la convention fiscale aurait mis ses gains totalement à l'abri de l'impôt canadien (14). Le contribuable s'engageait à ne pas invoquer la convention pour se soustraire à l'impôt canadien s'il aliénait les biens dans les dix ans. Cette renonciation permettait à Revenu Canada de revoir la cotisation de la fiducie canadienne, malgré les délais fixés par la Loi, si jamais le bénéficiaire non résidant prétendait que les biens transférés n'étaient pas des BCI.


14 - La convention prévoyait toutefois l'imposition du montant total des gains dans le pays de résidence du bénéficiaire.

La chronologie des événements que nous venons d'exposer est un autre aspect de la décision de 1991 qui a demandé beaucoup de temps au Comité. Revenu Canada a reçu la demande de décision anticipée le 7 novembre 1991. Les discussions avec le contribuable et entre Revenu Canada, le ministère des Finances et le ministère de la Justice ont commencé au début de décembre. Pendant cette période, il semble que l'opinion dominante, au sein de Revenu Canada, était de refuser de rendre une décision, mais tout montre que ce n'était là qu'une conclusion provisoire. Le 23 décembre 1991, les hauts fonctionnaires de Revenu Canada ont tenu une série de réunions. Des représentants de Revenu Canada ont rencontré également des hauts fonctionnaires du ministère des Finances pour savoir si la décision soulevait des problèmes de politique fiscale, et des avocats du ministère de la Justice pour obtenir leur interprétation. La décision de rendre la décision anticipée a été prise le même jour, et Revenu Canada a communiqué la décision au représentant du contribuable le 24 décembre 1991. Le Comité croit comprendre que la date à laquelle la décision a été rendue traduit le désir du contribuable de procéder aux opérations envisagées avant la fin de son année d'imposition en cours.

4. Inquiétudes du vérificateur général

Dans son rapport du 7 mai 1996, le vérificateur général énumérait les inquiétudes que lui inspiraient ces décisions, et celle de 1991 en particulier, sur le fond et sur le plan des procédures. Même si le vérificateur général ne les a pas groupées de façon thématique, le Comité a jugé utile de le faire de la façon suivante :

a) Inquiétudes sur le fond

b) Inquiétudes d'ordre procédural

Nous examinerons maintenant chacune de ces questions l'une après l'autre.

a) Inquiétudes du vérificateur général sur le fond

L'aspect technique fondamental dont dépendaient, comme nous l'avons vu, les décisions de 1985 et de 1991 était de savoir si des biens peuvent être des biens canadiens imposables (BCI) pour un résident du Canada. En se fondant en grande partie sur l'avis du ministère des Finances sur la politique fiscale et sur l'avis juridique de son conseiller du ministère de la Justice, Revenu Canada a conclu que les biens d'un résident du Canada pouvaient être considérés comme des BCI.

Le Comité a entendu beaucoup de témoignages sur ce problème épineux. Les représentants de Revenu Canada, des Finances et de la Justice ont tous soutenu, ce qui n'est guère étonnant, que la conclusion tirée par Revenu Canada était la bonne dans le contexte global de la Loi de l'impôt sur le revenu. Ils ont fait ressortir d'autres dispositions de la Loi, notamment une disposition relative aux transferts à des sociétés de personnes, qui semblent aller dans ce sens.

Le vérificateur général et ses hauts fonctionnaires ont soutenu que l'interprétation technique de Revenu Canada était erronée. Lors de sa première comparution devant le Comité, le vérificateur général a résumé ainsi son opinion :


15 - 28 mai 1996.

Les éminents fiscalistes et comptables qui ont témoigné devant le Comité ne partageaient pas cet avis. Sur les huit, six estimaient que Revenu Canada avait bien interprété la Loi. Pour donner une idée de l'opinion majoritaire, citons la déclaration préliminaire de M. Wolfe Goodman, un avocat de grande expérience qui a publié nombre d'ouvrages de droit fiscal international :


16 - 12 juin 1996.

La plupart des autres experts qui sont venus témoigner, en étayant leurs opinions par de nombreuses références, bien réfléchies, au droit actuel, abondaient dans le même sens.

Presque tous les témoins convenaient en outre de l'ambiguïté des dispositions en cause. Le Comité ne prétend pas avoir une compétence particulière dans l'interprétation de dispositions fiscales ambiguës, ce qui exige une connaissance approfondie de l'ensemble du régime de l'impôt sur le revenu et de son évolution en tant qu'instrument de la politique gouvernementale. Il n'a, d'autre part, aucune raison de croire que le vérificateur général prétend à plus de compétence que lui dans ce domaine. Le Comité en conclut donc qu'il n'a aucune raison de privilégier l'opinion du vérificateur général à ce sujet par rapport à celles des deux fiscalistes du gouvernement et d'une forte majorité de fiscalistes du secteur privé. L'interprétation que Revenu Canada a donnée de ce point ambigu ne contourne pas l'intention du législateur.

En concluant que Revenu Canada avait eu raison de décider que des résidents du Canada peuvent détenir des biens canadiens imposables, le Comité ne répond pas à une autre affirmation, plus importante encore à certains égards, du vérificateur général. Ce dernier a laissé entendre que même si, dans l'abstrait, la décision était fondée, Revenu Canada n'aurait pas dû confirmer par écrit ses opinions au contribuable à cause des très graves conséquences qui en découleraient pour l'assiette fiscale.

Deux questions se posent à cet égard. Est-il possible et acceptable d'abord, pour Revenu Canada, de refuser de rendre une décision à cause de ses conséquences éventuelles? Ensuite, le vérificateur général a-t-il exposé de manière exacte les conséquences probables de cette décision?

Rien n'oblige, sur le plan légal, Revenu Canada à rendre une décision anticipée en matière d'impôt. C'est à lui de décider s'il y a lieu de le faire en s'appuyant sur tout critère raisonnable qu'il juge approprié. Revenu Canada pourrait refuser de rendre une décision, si bien fondée que la demande puisse être en droit, uniquement parce que les opérations envisagées seraient (ou pourraient être) coûteuses pour le fisc canadien.

Serait-il acceptable, cependant, que Revenu Canada refuse de donner une décision anticipée pour cette seule raison? C'est une toute autre question. La plupart des contribuables attendraient de Revenu Canada que non seulement il applique son interprétation de la Loi de façon impartiale, mais aussi qu'il fasse connaître cette interprétation en réponse à une demande de décision, surtout lorsque rien n'indique que la transaction envisagée soit motivée par l'évitement fiscal. Il est probable que peu de contribuables appuieraient Revenu Canada s'il refusait, par exemple, de rendre une décision sur toute opération dont la valeur totale dépasse un montant arbitraire. Le rôle de Revenu Canada dans le processus des décisions anticipées est de donner une interprétation de la Loi qui fait autorité, et non pas (du moins principalement) de s'ériger en gardien de l'assiette fiscale.

Cela ne veut pas dire que Revenu Canada ferme ou doit fermer l'oeil sur la nature et les conséquences des opérations sur lesquelles il rend une décision. Sauf erreur, les demandes de décisions anticipées sont une source importante d'information sur les nouvelles techniques de planification financière et d'évitement fiscal. Et bien qu'il ne l'ait pas fait, Revenu Canada aurait peut-être de bonnes raisons d'adopter comme principe de refuser de rendre une décision lorsqu'il s'agit manifestement d'une tentative d'évitement fiscal massif. À défaut d'une telle politique, le Comité ne saurait toutefois conclure qu'il serait acceptable, de la part de Revenu Canada, de se fonder uniquement sur les conséquences anticipées des opérations envisagées pour rendre ses décisions.

Même s'il était opportun que Revenu Canada refuse de rendre des décisions susceptibles d'être coûteuses, le Comité n'est pas convaincu que l'une ou l'autre des décisions dont il est ici question appartiennent à cette catégorie. D'une part, il n'est ressorti d'aucun témoignage que les opérations en cause ont déjà entraîné des pertes de recettes pour le fisc canadien. À quelques exceptions près, le Canada impose les gains en capital au moment de leur réalisation. Rien ne permet au Comité de savoir si ces contribuables ont réalisé des gains, ou s'ils l'auraient fait s'ils n'avaient pas obtenu ces décisions.

D'autre part, le vérificateur général et ses hauts fonctionnaires n'ont pu déceler aucune nouvelle possibilité d'évitement fiscal notable que ces décisions ouvriraient à d'autres contribuables. N'importe quel particulier (y compris une fiducie) peut quitter le Canada sans qu'il y ait disposition réputée de biens imposables canadiens, comme c'était le cas avant les décisions. Dans ses conventions fiscales, le Canada renonce à la plupart de ses droits d'imposer les gains réalisés par les résidents des pays signataires; les décisions n'ont rien changé sur ce plan. Il est vrai qu'un particulier détenteur d'actions d'une société publique obtenues en contrepartie d'actions d'une société privée pourrait s'appuyer sur la décision pour présenter les actions de la société publique comme des biens canadiens imposables, mais le Comité voit mal comment cela ouvre la voie à de l'évitement fiscal. En tant que biens canadiens imposables, les gains éventuels sur les actions restent assujettis à l'impôt canadien à moins qu'une convention fiscale entre en jeu, auquel cas les gains sont normalement imposables dans le pays signataire.

Il ne s'ensuit pas que le régime canadien d'imposition des gains en capital des émigrants soit parfait. Le Comité a décelé dans les dispositions actuelles plusieurs lacunes auxquelles il faudrait remédier, comme nous l'avons expliqué dans le corps du rapport. Il ne s'agit cependant pas de problèmes nouveaux, et les décisions rendues en 1985 et en 1991 par Revenu Canada n'ont aucunement empiré la situation.

Le Comité conclut donc que, une fois rassuré au sujet des problèmes d'interprétation pertinents, Revenu Canada n'avait aucune raison de ne pas rendre ces décisions. Même si le Ministère pouvait justifier une pratique consistant à refuser de rendre des décisions susceptibles d'être coûteuses pour le fisc, pratique que le vérificateur général ne préconisait pas dans son rapport de 1993 sur le processus des décisions anticipées, il est peu probable qu'il aurait été opportun de le faire dans les deux cas qui nous occupent.

b) Inquiétudes du vérificateur général d'ordre procédural

Pour être juste envers les contribuables, le régime d'impôt sur le revenu doit appliquer la Loi de façon uniforme. Le Comité partage les inquiétudes du vérificateur général au sujet de l'opinion donnée en 1985 par Revenu Canada qui contredit carrément la décision de 1985. Même si Revenu Canada donne un très grand nombre d'opinions (le Ministère a reçu près de 1 500 demandes d'opinion en 1995) au bout d'un processus passablement moins rigoureux que pour les décisions, rien n'excuse ce genre d'incohérence. Le Comité fait remarquer que depuis 1985 Revenu Canada s'est doté de systèmes pour assurer la cohérence des décisions et opinions. Depuis 1993, toutes les décisions et opinions formulées depuis 1986 sont stockées dans une base de données informatique. Cela permet d'avoir facilement accès, par mots-clés ou par articles pertinents de la Loi, à toutes les opinions et décisions antérieures. Le Comité félicite le Ministère de cette initiative.

Tout en contestant la justesse des décisions d'un point de vue légal et en s'interrogeant sur les éventuelles conséquences fiscales des décisions de 1985 et de 1991, le vérificateur général a également reproché à Revenu Canada de n'avoir publié les décisions qu'en mars 1996, lorsqu'une version modifiée du document de 1991 a été diffusée. Ces critiques vont dans le sens de la recommandation, formulée en 1993 par le vérificateur général, de publier un plus grand nombre de décisions anticipées.

Il est important de signaler, pour bien peser les remarques du vérificateur général à ce sujet, que les décisions de 1985 et de 1991 étaient loin d'être les seules à ne pas avoir été publiées. Malgré ce que les médias ont appelé «une décision anticipée en matière d'impôt rendue secrètement en 1991 (17),» Revenu Canada avait en réalité comme principe de ne diffuser que les décisions qu'il jugeait utiles à un grand nombre de contribuables. Le Comité n'a aucune raison de croire que Revenu Canada n'a pas bien appliqué la règle dans ces cas.


17 - The Globe and Mail, 29 mai 1996, p. B1.

Le Comité convient cependant que Revenu Canada devrait publier toutes ses décisions anticipées en matière d'impôt, et rappelle que le Ministère a annoncé en novembre 1995 son intention de les diffuser toutes au fur et à mesure, en y apportant les modifications nécessaires pour préserver l'anonymat des contribuables concernés.

L'absence de documentation complète sur la décision de 1991 a donné naissance à deux sujets d'inquiétude. Le premier concerne les procédures de documentation de Revenu Canada qui soit laissent à désirer de manière générale, soit ont fait défaut ici. Le deuxième vient de ce que des forces externes indéterminées, y compris des pressions politiques de la part du gouvernement de l'époque le cas échéant, ont pu influer sur la décision.

Le Comité considère ce dernier sujet de préoccupation totalement sans fondement. Tous les témoins entendus par le Comité, dont le vérificateur général et les membres de son personnel, ont vanté l'intégrité professionnelle des hauts fonctionnaires de Revenu Canada. L'échange suivant en témoigne :


18 - 4 juin 1996.

Le Comité tient à souligner que lui non plus n'a constaté aucun signe d'ingérence, politique ou autre, dans les décisions prises par le Ministère. Les allégations d'irrégularités, y compris l'allégation de «scandale des fiducies familiales (19)» lancée par les médias, sont absolument sans fondement.


19 - Le Journal de Montréal, 10 et 13 juin 1996.

Reste le sujet de préoccupation moins grave évoqué par M. Minto, lequel concerne le système de documentation de Revenu Canada, et en particulier le fait qu'on ait omis de consigner au dossier la teneur de réunions auxquelles des décisions importantes ont été prises. Le Comité fait remarquer qu'il est probablement possible de tirer, de la correspondance que Revenu Canada a reçue des Finances et de la décision elle-même, des déductions raisonnables sur le fondement de celle-ci. Cela étant dit, il est essentiel pour la mémoire collective de toute grande organisation d'avoir des dossiers et archives bien ordonnés. Il serait sans doute utile pour le Ministère lui-même, lorsqu'il veut réexaminer le fondement de sa position sur un point important, de tenir des procès-verbaux des réunions portant sur des décisions importantes. Il est certain qu'un dossier plus complet aurait permis de répondre plus facilement aux inquiétudes du vérificateur général au sujet de la décision de 1991.

Le Comité est heureux de constater que la ministre du Revenu, Jane Stewart, a annoncé dès la parution du rapport du vérificateur général qu'elle avait donné des instructions pour que son ministère prenne des mesures immédiates en vue d'améliorer la tenue de dossiers sur les interprétations de la politique fiscale.

Dans une lettre datée du 23 décembre 1991, le directeur général de la Direction de la politique de l'impôt a informé Revenu Canada que certaines dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu relatives aux biens canadiens imposables s'appliquaient, en principe, tant aux résidents du Canada qu'aux non-résidents. Cette lettre semble représenter les seuls avis sur la politique fiscale que le ministère des Finances a donnés par écrit concernant les décisions de 1985 ou de 1991. Rien n'indique que le Ministère a analysé les conséquences fiscales probables de ces avis, que ce soit avant ou après les avoir donnés.

Le vérificateur général a donné à entendre que le ministère des Finances aurait dû examiner ces conséquences fiscales avant de rédiger la lettre datée du 23 décembre 1991. Il laisse supposer qu'il n'y aurait pas eu de lettre si un tel examen avait permis de conclure qu'un coût considérable en résulterait.

Il semble manifeste que le ministère des Finances n'est ni tenu ni en mesure de se livrer à une analyse coûts-avantages pour chaque question de politique fiscale qu'on lui pose. Toutes choses étant égales par ailleurs, les ressources analytiques doivent servir avant tout aux enjeux qui ont le plus de répercussions sur les recettes fiscales et la situation économique du pays en général. Le problème soumis au ministère des Finances concernant la décision de 1991 était-il un enjeu du genre? Comme nous l'avons indiqué, rien ne permet au Comité de conclure que la décision de 1991 a causé ou causera globalement des pertes notables de recettes fiscales au pays. Il n'y a, par ailleurs, aucune raison de supposer que la question bien précise qui était posée au ministère des Finances, à savoir si aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu des biens peuvent être des biens canadiens imposables entre les mains d'un résident du Canada, aura une incidence fiscale notable (20). D'autre part, si le ministère des Finances tient souvent compte des conséquences sur les recettes fiscales de modifications envisagées à la Loi, il n'est pas aussi évident que les opinions qu'il donne sur les dispositions actuelles de la Loi devraient en dépendre.


20 - Par contre, une décision selon laquelle les résidents du Canada ne peuvent pas détenir des biens canadiens impos ables aurait rendu inopérante au moins une disposition anti-évitement de la Loi. Le vérificateur général donne à entendre qu'on peut faire abstraction de cette autre disposition (sur les transferts aux sociétés de personnes) parce qu'elle est mal libellée. L'argumentation est spécieuse, en ce sens que la seule raison pour laquelle l'on juge cette disposition mal libellée est qu'elle va à l'encontre de l'interprétation privilégiée par le vérificateur général.

Le Comité ne saurait conclure que le ministère des Finances aurait dû procéder à une analyse des conséquences fiscales de la position prise dans sa lettre du 23 décembre 1991.

L'observation du vérificateur général, qui reproche au ministère des Finances de n'avoir aucun document pour étayer les conclusions présentées dans sa lettre du 23 décembre 1991 à Revenu Canada, a trait au même sujet. Le Comité ne partage pas son inquiétude, qui semble fondée sur une conception erronée de ce à quoi les archives doivent servir. Les dossiers ne sont pas des voix qu'on peut compter pour déterminer si la décision prise était la bonne, et une décision consignée dans deux documents n'est pas forcément mieux fondée qu'une décision qui n'est consignée qu'une fois. Comme nous l'avons expliqué en parlant de l'absence de procès-verbaux de certaines réunions, si les institutions tiennent des dossiers c'est plutôt pour mieux comprendre et faire mieux comprendre aux autres le comment et le pourquoi de la tournure des événements. Puisque la lettre du ministère des Finances donne elle-même une explication concise des conclusions qu'elle renferme, tout document à l'appui aurait été en grande partie superflu. Du moment que la lettre elle-même était bien classée et facile d'accès, il était inutile d'avoir un autre document qui répète la même chose.

Il ne s'ensuit cependant pas que le ministère des Finances n'aurait pas intérêt à consigner dans ses dossiers la teneur de ses réunions avec Revenu Canada. La lettre du 23 décembre fait allusion à «diverses questions soulevées lors de la réunion», sans indiquer de quoi il s'agit. Une note au dossier qui résumerait la teneur de la réunion aurait éliminé toute spéculation ultérieure sur ce qui a ou n'a pas été discuté. Comme dans le cas de Revenu Canada, le Comité suggère que le ministère des Finances améliore ses procédures concernant l'établissement et la tenue de dossiers contenant les informations et documents relatifs aux décisions importantes.

Revenu Canada a pour règle de ne rendre des décisions anticipées en matière d'impôt qu'à l'égard de transactions envisagées. Les opérations déjà réalisées font normalement plutôt l'objet de vérifications que de décisions.

Tout au long de cette annexe, le principal enjeu des décisions de 1985 et de 1991 a toujours été de savoir si certaines actions d'une société publique étaient des biens canadiens imposables. Comme cet enjeu dépendait, en retour, des conséquences d'opérations antérieures par lesquelles les contribuables avaient obtenu les actions, le vérificateur général a laissé entendre que les décisions portaient en réalité sur des opérations déjà réalisées, et qu'en rendant des décisions Revenu Canada avait par conséquent contrevenu à sa propre règle.

Le Comité ne partage pas l'avis du vérificateur général. L'attribution de biens au bénéficiaire non résidant de la fiducie canadienne était manifestement l'objet d'une opération envisagée. D'un autre côté, pour rendre une décision sur cette transaction Revenu Canada se devait de tirer une conclusion implicite quant aux conséquences de transactions antérieures. La ligne de démarcation entre une transaction éventuelle et ses antécédents n'est donc pas toujours claire, et les conséquences de transactions antérieures sont souvent pertinentes, pense le Comité, lorsqu'une décision anticipée est sollicitée. Le fait que Revenu Canada dresse une séparation entre les décisions anticipées et la vérification fiscale ne veut pas dire qu'on ne peut prendre en considération, pour rendre une décision, les conséquences d'événements antérieurs. De toute manière, ce n'est là tout au plus qu'une question administrative d'importance secondaire sur le partage des responsabilités au sein du Ministère. Le Comité voit peu de raisons de mettre en question la façon dont Revenu Canada organise son travail.

Au cours des discussions relatives à la décision de 1991, le contribuable concerné a offert de prendre un engagement et de signer une renonciation. Comme nous l'avons indiqué, il s'agissait essentiellement d'un engagement de la part du bénéficiaire de la fiducie résidant au Canada de ne pas invoquer la protection d'une convention pour se dérober aux impôts canadiens s'il disposait des biens transférés avant l'expiration d'une période donnée. La renonciation permettrait à Revenu Canada d'adresser une nouvelle cotisation à la fiducie résidant au Canada même après la période de recotisation normale de trois ans.

Le vérificateur général a remis en question le fait que, comme condition d'une décision favorable, Revenu Canada ait accepté une renonciation à l'égard de la transaction. Sauf erreur, l'analyse du vérificateur général part du principe que les biens en question n'étaient pas des BCI, que le fait d'accepter de les considérer comme des BCI et donc de reporter les impôts exigibles à la suite de la cession des biens au bénéficiaire non résidant n'obligeait pas le non-résident à les traiter comme des BCI lors d'une disposition ultérieure, et que Revenu Canada a donc insisté pour obtenir la renonciation et l'engagement comme moyens de faire respecter une décision qui n'est pas conforme à la loi.

Puisque le Comité convient que la décision rendue était fondée en droit, en ce sens que les biens étaient des BCI, Revenu Canada n'a abandonné aucun droit actuel d'imposition sur les biens en question. Au contraire, la renonciation était une façon de se prémunir contre toute possibilité de déboutement. Si le non-résident parvenait à démontrer que les biens n'étaient pas des BCI, la renonciation permettrait à Revenu Canada d'adresser une nouvelle cotisation à la fiducie canadienne à l'égard des gains réalisés sur les biens lors du transfert initial au non-résident.

Le vérificateur général a aussi laissé entendre que Revenu Canada ne pourrait probablement pas faire respecter l'engagement. Le Comité n'est pas en mesure de juger si le vérificateur général a raison, mais il n'a aucun motif de croire qu'un tel contrat n'aurait pas force exécutoire selon les règles générales du droit. Même s'il était impossible de le faire appliquer, le Comité ne considère pas que Revenu Canada a surestimé l'importance de l'engagement. Au contraire, il est clair que le Ministère était pleinement conscient des limites de cet instrument, et n'a pas tablé indûment sur lui.

Le Comité considère que l'engagement et la renonciation amélioraient la capacité du Ministère de percevoir des impôts en cas de déboutement. Ces documents n'ont, par ailleurs, qu'une importance restreinte pour les questions de fond dont le Comité était saisi.


5. Conclusions et recommandations au sujet des inquiétudes du vérificateur général

Les principales conclusions du Comité au sujet des problèmes de fond et de procédure décrits dans le rapport du vérificateur général sont résumées ci-dessous.

Sur la base de ces conclusions, le Comité formule les recommandations suivantes:


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