[Enregistrement électronique]
Le mardi 23 avril 1996
[Traduction]
Le président: Je m'excuse encore une fois de notre retard. La séance est maintenant ouverte.
Je vais d'abord demander à nos témoins de ne pas prendre plus de 10 à 15 minutes pour faire leur exposé, ce qui nous donnera le temps d'avoir un bon échange de vues. Monsieur Fraser, auriez-vous l'obligeance de commencer? Je vous prie de prendre la parole l'un après l'autre, après quoi nous vous poserons des questions.
Je vous remercie beaucoup d'avoir bien voulu comparaître devant le comité.
M. Whit Fraser (président, Commission canadienne des affaires polaires): Bonjour et merci, monsieur le président. Je suis heureux de pouvoir vous entretenir de la politique étrangère canadienne dans le Nord à titre de président de la Commission canadienne des affaires polaires.
La commission a été créée en 1991 par le Parlement pour donner suite aux inquiétudes exprimées au sujet de l'état des recherches sur les questions polaires au Canada. Dans le cadre de notre mandat, nous devons évaluer l'avancement des recherches menées au Canada et dans le reste du monde sur les questions polaires, contribuer au maintien de la réputation internationale du Canada en favorisant la collaboration dans la région circumpolaire et conseiller le gouvernement du Canada sur les questions se rapportant à l'Arctique et à l'Antarctique.
Il est permis de se demander comment ce mandat s'inscrit dans la politique étrangère du Canada. La Commission canadienne des affaires polaires, pour sa part, est convaincue que le succès des efforts déployés dans l'Arctique, tant dans le domaine scientifique et technologique que dans le domaine du développement social et économique et de la protection de l'environnement, repose sur l'inclusion, dans notre politique étrangère globale, d'un volet scientifique important et d'une politique solide sur la région de l'Arctique.
Il nous apparaît évident que le Canada doit se doter d'une politique dans l'Arctique comportant une dimension étrangère. Depuis déjà assez longtemps, la commission a aussi constaté que les politiques canadiennes visant à régler les problèmes qui se posent dans le Sud n'ont pas souvent porté fruit dans le Nord. À vrai dire, il est souvent arrivé au cours des 25 à 30 dernières années que les programmes conçus pour les habitants du Sud du Canada ont été préjudiciables aux résidants du Nord.
La décision prise par le comité de tenir des audiences sur la politique étrangère du Canada dans le Nord nous apparaît susceptible de contribuer à l'adoption d'une politique répondant vraiment aux besoins essentiels des résidants du Nord canadien.
Permettez-moi de vous rappeler qu'il y a environ deux ans, la Commission canadienne des affaires polaires a coparrainé une conférence portant sur la politique étrangère canadienne dans le Nord. Monsieur le président, je vous remettrai, à l'intention de tous les membres du comité, un exemplaire du compte rendu des délibérations des participants à cette conférence. Je crois d'ailleurs qu'on vous l'a déjà distribué.
La conférence a porté sur un certain nombre de questions sur lesquelles vous voudrez maintenant vous pencher, des questions qu'aborde d'ailleurs le document d'information préparé par votre personnel de recherche. Sur certaines de ces questions, la conférence a d'ailleurs abouti à des résultats très importants et concrets.
Ainsi, les participants à la conférence ont recommandé à l'issue de leurs travaux la création d'un poste d'ambassadeur de l'Arctique. Recommandation à laquelle le gouvernement a donné suite.
Il a aussi été recommandé que le Canada continue de réclamer la création d'un Conseil de l'Arctique. Le gouvernement n'a pas ménagé ces efforts en ce sens. Les négociations en vue de faire aboutir ce dossier se poursuivaient la semaine dernière. Bien que le conseil n'ait pas été créé et qu'il reste encore quelques obstacles à aplanir avant qu'il ne le soit, je crois qu'il nous est maintenant permis d'être optimiste quant à l'issue des négociations.
La question reste de savoir quel sera le rôle de ce Conseil de l'Arctique ainsi que la raison d'être d'une politique étrangère canadienne dans l'Arctique.
La conférence dont je viens de vous parler ne réunissait que des Canadiens, et cela non pas par esprit de clocher, mais plutôt parce que nous avons jugé qu'une politique étrangère canadienne dans le Nord devait comporter comme point de départ les habitants de cette région, son environnement, les intérêts et les priorités de notre pays. Nous voulions avant tout faire participer à l'élaboration de cette politique, les résidants du Nord eux-mêmes, et en particulier les peuples autochtones.
Des dirigeants des Inuit, des Dene et des premières nations du Yukon participaient à la conférence, de même que le ministre des Affaires étrangères, le ministre des Affaires indiennes et du Nord, des députés, des sénateurs, des membres des assemblées législatives des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon, des fonctionnaires fédéraux ainsi que des spécialistes de diverses disciplines venus de tous les coins du Canada.
La conférence a fait ressortir quatre principes de base sur lesquels devrait prendre appui la politique étrangère canadienne dans le Nord.
Le premier de ces principes et le plus important à notre avis, c'est que les relations entre les pays de l'Arctique doivent tenir compte des intérêts et des aspirations des résidents du Nord, en particulier des peuples autochtones.
Deuxièmement, les Canadiens qui résident dans le Nord devraient être appelés dès le départ à participer activement et directement à l'élaboration de la politique étrangère canadienne dans le Nord.
Troisièmement, le développement économique de la région doit respecter avec le principe du développement durable.
Le meilleur moyen d'assurer l'établissement de relations civiles et pacifiques entre les pays de la région, c'est de favoriser l'échange d'informations et le respect de la sécurité de chacun.
Les participants à la conférence se sont penchés sur diverses questions qui revêtent un intérêt primordial pour l'élaboration d'une politique canadienne étrangère dans l'Arctique circumpolaire, dont la première est évidemment le développement économique et le commerce.
Je signale aux membres du comité que c'est dans le nord du Canada qu'on trouve le plus grand nombre de chômeurs, d'assistés sociaux et de familles éclatées. Dans certaines localités du Nord, le taux de chômage atteint même 80 p. 100 et il est parfois plus élevé. Les membres du comité savent sans doute qu'on attribue les taux élevés d'éclatement familial et de problèmes sociaux aux changements survenus dans le mode de vie des habitants du Nord depuis un siècle, un demi-siècle ou même 25 ans. Voilà ce dont il faut tenir compte lorsqu'on dit qu'il faut favoriser le développement économique et le développement durable de ces régions.
Par ailleurs, le taux de natalité dans ces localités est si élevé que selon les dernières statistiques que j'ai vues sur le sujet, 50 p. 100 de la population est âgée de moins de 25 ans. On peut donc s'imaginer ce qui risque de se produire dans 10 à 20 ans.
On nous répète constamment que le Nord abonde en ressources naturelles. Or, les peuples autochtones n'ont pas bénéficié du tout jusqu'ici au point de vue économique de l'exploitation des ressources naturelles du Nord. En fait, l'exploitation de ces ressources a parfois entraîné la destruction de leur environnement et leur a été nocive plutôt que bénéfique.
Il faut donc s'assurer que le développement économique du Nord bénéficie aux résidents du Nord.
Il ne faut pas pour autant négliger l'environnement. Dans le nord du Canada, on peut considérer que l'environnement est au coeur de toutes les préoccupations. Les résidents du Nord y attachent une grande importance au point de vue social, économique et, ce qui importe encore davantage, au point de vue culturel.
Il nous faut donc vraiment trouver des moyens de faire en sorte que le développement durable aille de pair avec la protection de l'environnement, d'où l'importance de la science et de la technologie. Le développement économique et la protection environnementale repose en effet sur une collaboration scientifique étroite à l'échelle nationale et internationale.
Notre politique étrangère dans le Nord devrait faire une place importante au transport. À la conférence dont je viens de vous parler, il a été fait état du fait qu'on s'attend à une augmentation importante des opérations de transport dans le Nord en raison du développement du service d'approvisionnement, du tourisme ainsi que des activités liées à l'extraction des ressources, à l'exploration et aux recherches scientifiques. Or, il nous faudra éviter de faire des erreurs dans ce domaine vu les énormes conséquences environnementales qui en découleraient.
L'ensemble des participants à la conférence se sont aussi entendus pour dire que la collaboration dans le domaine culturel devait constituer un élément essentiel de la politique étrangère canadienne dans le Nord tout comme la participation à la Francophonie et au Commonwealth est un aspect essentiel de la politique étrangère globale du Canada. Dans un effort afin de composer avec les changements rapides auxquels font face leur société et pour préserver leur langue et leur culture, les Inuit du Canada se sont employés à resserrer leurs liens et leur collaboration avec les Inuit des autres pays de l'Arctique.
D'autres groupes autochtones du Nord canadien ont appuyé les efforts déployés par les Inuit à l'échelle internationale afin de faire reconnaître leurs droits. Le gouvernement canadien devrait les appuyer également.
Monsieur le président, je viens de vous donner un aperçu seulement des thèmes et des idées qui ont été abordés lors de la conférence tenue il y a deux ans. Comme je n'ai pas pu vous exposer toutes les idées qui ont été formulées, je vous renvoie aux délibérations de la conférence dont je laisserai un exemplaire au comité.
Comme je l'ai dit, on n'a pas encore donné suite à un grand nombre des recommandations issues de la conférence. Cela en découragerait peut-être certains, mais pas moi, du moins pas encore. J'estime que le Canada, depuis deux ans, pose les jalons nécessaires à l'adoption d'une politique étrangère canadienne dans le Nord, notamment en ayant nommé un ambassadeur pour l'Arctique et en participant à des négociations en vue de la création d'un conseil de l'Arctique.
J'ai bon espoir qu'on confiera à l'ambassadeur et au conseil le soin d'oeuvrer à la réalisation d'initiatives et d'objectifs bien concrets.
Comme je l'ai dit, de nombreux problèmes se posent dans l'Arctique, mais j'ai préféré insister sur les énormes possibilités qui s'offrent dans cette région où des choses très intéressantes se passent actuellement. Je songe évidemment à la création de deux nouveaux territoires dans l'Arctique, le Nunavut et l'Arctique occidental, ainsi qu'aux négociations sur les revendications territoriales dont un bon nombre ont déjà été réglées et dont d'autres sont en voie de règlement.
On ne reconnaîtra plus bientôt le Nord. Il ne pourrait y avoir de meilleur moment pour le comité d'étudier ce qui se fait dans le Nord et de voir quelle est la place de cette région dans notre politique nationale et notre politique étrangère.
J'insiste encore une fois sur les énormes possibilités qu'offre le Nord. Il importe de saisir les occasions qui se présentent dans le Nord dans l'intérêt de tous les Canadiens mais surtout dans l'intérêt des résidents du Nord.
Je vous remercie, monsieur le président.
Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Fraser. Comme vous avez dit que l'environnement est au coeur de toutes les préoccupations en ce qui touche l'Arctique, peut-être devrais-je maintenant donner la parole à M. Roots d'Environnement Canada.
À vous, monsieur, de décider si vous voulez aborder le sujet par le début, le milieu ou la fin.
M. E.F. Roots (conseiller scientifique émérite, ministère de l'Environnement): Je vous remercie, monsieur le président.
Permettez-moi d'abord de vous dire combien je suis heureux de pouvoir participer à une discussion sur les sujets qui tiennent à coeur depuis si longtemps aux personnes regroupées au bout de cette table. Comme l'a dit M. Fraser, le Comité permanent des Affaires étrangères et du commerce international a choisi un très bon moment pour s'y intéresser également.
Permettez-moi aussi de remercier votre recherchiste, James Lee, d'avoir si bien su résumer ces questions et les replacer dans leur contexte.
Les recherches scientifiques que j'ai menées pendant de nombreuses années dans le Nord m'ont amené à m'intéresser à la question dont vous êtes maintenant saisis. Je me suis rendu compte il y a longtemps que la politique étrangère du Canada ne reflétait pas le fait que nous étions un pays du nord. L'absence d'une politique étrangère canadienne dans le Nord s'est fait grandement sentir à de nombreuses reprises. Nous insistons d'ailleurs sur cet état de fait depuis belle lurette, notamment dans les publications de l'Institut canadien des relations internationales.
J'ai pensé que ce qui vous serait le plus utile serait de vous présenter ce qui me semble les réalités incontournables en ce qui touche le Nord. Nous sommes d'avis qu'il faut clairement en tenir compte dans l'élaboration d'objectifs en matière de politique étrangère et en matière de commerce et de développement économique.
Comme je l'ai dit, on a eu tendance dans ce pays, et cela remonte au début du siècle, soit à faire comme si le Nord n'existait pas, soit à voir tout en rose, soit encore à faire preuve du pessimisme le plus profond quant aux perspectives d'avenir du Nord. Entre ces extrêmes se situe une réalité difficile. C'est ce qui m'amène à dire que les membres du comité doivent aborder les questions liées au Nord dans un tout autre esprit que celui avec lequel ils abordent les problèmes du reste du pays.
J'ai préparé un petit document portant sur le sujet que je vous remettrai si vous le souhaitez. Je crois qu'il convient de se pencher sur trois ou quatre aspects de la réalité dans le Nord.
Comme M. Fraser l'a souligné, l'environnement est au coeur de toutes les préoccupations en ce qui touche le Nord. Le climat et la géographie du Nord sont les causes de la faible productivité biologique de la région. C'est à ce facteur qu'on peut attribuer le fait que les ressources permettant de soutenir la vie fluctuent tellement d'un endroit à l'autre. L'instabilité plutôt que la stabilité caractérise les régions de faible productivité biologique.
De cette faible productivité biologique découle la rareté et l'éparpillement des ressources humaines, d'où une base économique presque inexistante. En raison des conséquences de cet état de fait, pour les communications et le transport, ce à quoi s'ajoutent des difficultés techniques, le coût de toute initiative de développement industriel est exorbitant. Les projets que le Canada pourrait vouloir mettre en oeuvre dans le Nord doivent nécessairement en tenir compte.
Du point de vue social et culturel, il faut bien aussi admettre que les cultures indigènes qui sont bien adaptées à l'environnement sont restreintes. Si elles s'adaptent bien aux changements naturels, elles ne s'adaptent pas aussi bien aux changements dans des politiques qui les visent. Ces cultures sont incapables de survivre si elles prennent trop d'ampleur. Elles se distinguent des cultures qui se sont développées plus au Sud et ne peuvent pas s'y intégrer facilement parce qu'elles ne partagent pas avec elles le même sens de la propriété. Quelle est leur relation avec la terre? Quelle est l'administration dont elles estiment relever? Voient-elles le succès comme le résultat d'une aptitude personnelle agressive ou d'efforts de collaboration? Quelle place accordent-t-elles aux droits collectifs par opposition aux droits individuels?
Ces caractéristiques de la société du Nord sont autant d'obstacles qui empêchent cette société de s'intégrer à la société canadienne dominante. Or, l'existence de ces cultures est de plus en plus prise en compte par les dirigeants politiques et par la population de tous les pays circumpolaires. Cette évolution survient à des rythmes différents selon les pays, mais le fait qu'on tienne maintenant compte des besoins particuliers des populations du Nord montre bien l'importance qu'on leur accorde.
Les cultures techniques venues du Sud sont fondées sur la confrontation avec la nature. Dans le Sud, on a tendance à recourir à certaines techniques ou à utiliser l'énergie pour surmonter les difficultés qui se posent. Ces cultures dépendent donc des liens établis avec le Sud et sont presque toujours transitoires; elles sont implantées pour deux générations tout au plus.
Qu'on le veuille ou non, le fait est qu'il faut tenir compte, dans l'élaboration d'une politique étrangère canadienne pour le Nord, du fait que le développement économique est fonction du besoin du marché du Sud qui n'accorde presque pas d'importance aux intérêts des régions de l'Arctique.
Cela signifie que contrairement à ce que nous pourrions souhaiter, le Nord est de plus en plus vu comme une colonie du Sud ou une zone périphérique. L'économie industrielle par laquelle on a cherché à générer de la richesse dans le Nord n'est pas adaptée à l'environnement local, d'où les coûts exorbitants de toute initiative de développement économique dans le Nord.
L'économie locale à laquelle participent les populations indigènes ou les résidents du Nord, dont l'existence est souvent le fait d'une décision politique, était à l'origine autosuffisante, mais elle est de plus en plus un artefact culturel malgré ce qu'on aimerait qu'elle soit.
Dans tous les pays circumpolaires, et même en Islande, le coût élevé du développement économique dans le Nord, le fractionnement politique des régions du Nord, fait en sorte que ces régions ont toujours dû compter sur une aide économique et administrative des régions du Sud. Soyons réalistes. Il est fort peu probable que l'exploitation des ressources du Nord contribue à long terme à faire augmenter la richesse économique nationale.
Ici et là on exploitera évidemment des gisements miniers. M. Fraser a mentionné le fait qu'il existait des ressources dans le Nord. Or, dans tous les cas, l'infrastructure est subventionnée par le régime fiscal, ce qui fait en sorte qu'elle n'existerait pas sans la contribution financière du Sud.
Le changement est aussi une caractéristique du Nord. Premièrement, la préoccupation en matière de sécurité ne repose plus sur des considérations militaires, mais sur des considérations beaucoup plus vastes. Je crois que d'autres personnes vous en parleront.
M. Fraser a aussi souligné le fait que le Nord connaissait de grands changements démographiques. Dans tous les pays circumpolaires, le taux de croissance démographique est beaucoup plus élevé dans le Nord que dans le reste du pays. Dans de nombreux pays, dont le Canada, la population dans le Nord croît à un rythme beaucoup plus rapide que dans le reste du pays. Si l'on compare le nombre d'habitants de ces régions aux ressources dont elles disposent, on constate que les régions arctiques sont parmi les régions les plus surpeuplées des pays développés.
Un autre facteur dont on doit tenir compte c'est que pour de nombreuses raisons, en partie attribuables à l'homme, mais aussi à des causes naturelles que nous comprenons mal, la faune tant terrestre que marine des régions arctiques est en régression et il y a dégradation des habitats terrestres et marins dans de nombreuses parties de l'Arctique sinon toutes.
Qu'il me soit aussi permis de souligner le fait que l'introduction et la diffusion dans l'Arctique de substances toxiques d'origine industrielle venant surtout d'autres régions ont entraîné la contamination chimique des chaînes alimentaires marines et terrestres.
Ironiquement - et c'est un hasard biologique - les substances qui causent le plus d'inquiétude sont les graisses solubles et animales. Les écosystèmes de l'Arctique et les habitants de cette région dépendent des graisses pour leur survie et pour leurs besoins énergétiques, dans une proportion plus élevée que ceux des régions plus au sud, ce qui explique qu'ils sont plus vulnérables au même niveau de contamination. En outre, le froid, la nuit polaire prolongée, la banquise et la neige empêchent la désintégration photochimique de ces substances dont on n'aurait pas tant à s'inquiéter s'il s'agissait de la vallée de l'Outaouais plutôt que du Nord.
D'après les connaissances scientifiques dont nous disposons à l'heure actuelle, on peut supposer que c'est dans les régions arctiques et subarctiques qu'on constatera surtout les effets d'un changement rapide et important dans les températures globales et dans les tendances en ce qui touche les précipitations, changements qui sont surtout dus à l'accumulation dans la haute atmosphère de gaz de serre générés par les activités humaines.
Loin d'être propice à l'Arctique, ce réchauffement des températures causera sans doute un tort important aux écosystèmes terrestres et marins de ces régions et pourrait même accroître le coût et la difficulté des activités humaines dans le Nord au moins pendant plusieurs décennies.
Il importe aussi de se rappeler qu'on constate à l'heure actuelle un mouvement vers la consolidation des ententes politiques internationales visant à favoriser les relations économiques et commerciales entre les économies dominantes des parties méridionales des pays circumpolaires, comme en témoignent les ententes comme celle de l'Union européenne et de l'ALENA. Ce mouvement est susceptible d'accroître la marginalisation des économies des régions arctiques et de diminuer l'influence que ces régions peuvent exercer sur le processus décisionnel économique de plus en plus centralisé.
En Europe, les Lapons et les Sami ne doivent pas seulement s'adresser à Oslo et à Stockholm pour présenter leurs vues, mais aussi à Bruxelles. De la même façon, les arrangements commerciaux visant les peuples du Nord ne peuvent plus être entérinés à Whitehorse ni même à Ottawa. Ils doivent plutôt faire l'objet de discussions internationales entre trois pays.
Par ailleurs, le processus décisionnel politique en ce qui touche l'Arctique devient de plus en plus décentralisé dans la plupart des pays arctiques. La façon dont l'économie fonctionne s'éloigne donc de plus en plus de la façon dont fonctionnent les relations internationales ainsi que les négociations politiques. Cela nous amène à une question très importante sur laquelle nous espérons que le comité se penchera dans son étude. Toute politique sérieuse en ce qui touche l'Arctique doit donc tenir compte de l'interdépendance des questions liées au développement de l'Arctique.
D'une part, il importe de plus en plus de tenir compte du fait que les régions arctiques sont des régions ayant leurs propres caractéristiques physiques, socio-culturelles, historiques et économiques ainsi que leur propre système de valeurs. Qui plus est, elles réagissent aussi selon un rythme qui leur est propre à tout changement dans ces caractéristiques. Il est de plus en plus évident que les politiques nationales et internationales conçues pour les parties méridionales des différents pays circumpolaires ne peuvent être appliquées telles quelles dans les régions arctiques car elles risqueraient d'être vouées à l'échec ou d'aboutir à un résultat tout à fait autre que celui escompté.
D'autre part, il est aussi de plus en plus évident du point de vue de la réglementation de la politique ou des investissements qu'on ne peut pas isoler les régions arctiques. En effet, ces régions, leur économie, leurs habitants et leur environnement sont de plus en plus touchés par ce qui se passe dans le reste du monde et inversement.
Il suffit de penser aux polluants qui voyagent sur de grandes distances, qui s'accumulent dans les chaînes alimentaires de l'Arctique et qui sont le fait de pratiques agricoles adoptées dans les régions subtropicales ou aux chlorofluorocarbones provenant des centres urbains industriels qui détruisent l'ozone stratosphérique de l'Arctique et nuisent à la productivité primaire dans les régions de l'Océan Arctique. Qu'on songe aussi à l'effet de la construction de la ligne de détection lointaine avancée sur les générations futures dans l'Arctique canadien et en Alaska ou à l'enthousiasme et aux préoccupations que suscitent les projets d'exploitation des gisements de diamant trouvés dans les Territoires du Nord-Ouest. Si les politiques adoptées en ce qui concerne l'Arctique ainsi que ses possibilités de développement sont aujourd'hui fonction de ce qui se passe dans le Sud, l'inverse n'est pas vrai.
Par ailleurs, on commence à se rendre compte que les environnements polaires, soit l'Arctique et l'Antarctique, sont beaucoup plus importants pour le reste du monde que ce qu'on croyait autrefois. De petits changements dans le climat et les conditions de glace dans l'Arctique peuvent avoir de grandes conséquences pour les systèmes climatiques du Sud. Le taux de reproduction des oiseaux migrateurs de l'Arctique peut avoir des effets sur le taux de reproduction de la faune et des insectes ainsi que sur les récoltes dans les régions agricoles. Comme vous le savez, c'est encore dans l'Océan Arctique que les sous-marins nucléaires de divers pays s'exercent et les mesures de renforcement de la confiance ainsi que les mesures de sécurité qui peuvent être prises dans les régions de l'Arctique sont susceptibles d'avoir des conséquences géopolitiques importantes à l'échelle mondiale.
C'est en raison de l'interdépendance de toutes les questions liées à l'Arctique qui vont de l'environnement aux ressources naturelles en passant par la rivalité militaire, que les politiques et les relations internationales en ce qui touche l'Arctique sont extrêmement complexes. Voilà pourquoi l'Arctique doit faire l'objet de politiques tenant compte de ces caractéristiques et c'est ce qui explique que plusieurs ententes internationales d'intérêt circumpolaire ont été conclues et que diverses institutions s'intéressent à ces questions.
J'espère, monsieur le président, que nous pourrons approfondir ces questions au cours de la discussion.
Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Roots, de cet excellent exposé.
J'aimerais maintenant inviter les représentants du Canadian Arctic Resources Committee à s'approcher. Il s'agit de M. Terry Fenge, directeur exécutif, et de M. Tony Penikett, directeur, qui, à une autre époque de sa vie, a participé à beaucoup de réunions de ce genre à titre de premier ministre du Yukon. Bienvenue messieurs.
J'aimerais d'abord remercier les représentants du CARC d'avoir annoncé dans leur publication la tenue de ces audiences, permettant ainsi à la population canadienne de savoir ce que nous essayons de faire. Nous espérons que cela enrichira nos travaux. Bon nombre d'entre nous lisons déjà votre publication depuis un certain nombre d'années, mais je tenais à faire remarquer que ce que vous avez fait nous sera tout particulièrement utile. Je vous en remercie donc, monsieur Fenge.
M. Terry Fenge (directeur administratif, Canadian Arctic Resources Committee): Je vous remercie beaucoup de vos mots de bienvenue. Nous sommes heureux d'être ici aujourd'hui pour vous entretenir brièvement des questions qui revêtent une grande importance pour le Nord.
Premièrement, permettez-moi de répéter quelque chose qu'a dit Fred. Je tiens moi aussi à féliciter votre recherchiste pour les excellents documents d'information qu'il vous a préparés. Je sais évidemment que les parlementaires sont des gens occupés. Votre horaire est très chargé. Je vous incite cependant à lire les documents qui vous ont été remis parce qu'ils sont très utiles.
Deuxièmement, j'aimerais reprendre à mon compte certains des commentaires de whit en ce qui concerne la conférence sur la politique étrangère tenue il y a quelques années où toute une gamme d'intérêts différents étaient réunies. Dans le volume contenant les annexes que vous ont fourni vos attachés de recherche, vous trouverez toutes les recommandations formulées au cours de cette conférence. Je pense que cela aussi est utile.
Hier, en songeant à ce que j'allais vous dire, je me demandais ce que je vous recommanderais de lire sur la politique nordique si je voulais m'en tenir à quatre ou six pages. Il est à noter que j'en suis venu à la conclusion qu'il ne s'agirait pas d'un document canadien.
En 1994, l'administration américaine a adopté une politique sur l'Arctique qui remplaçait celle mise en place au début des années 1980 par M. Reagan. Cette nouvelle politique n'a que six pages, mais c'est probablement le meilleur petit document de politique sur le Nord que j'ai lu. On y explore toute une gamme de thèmes autour du développement durable et des peuples autochtones. Je pense que votre personnel de recherche a ce document et je vous le recommande.
Plutôt que de vous présenter des visions grandioses, j'ai pensé m'en tenir peut-être à quatre ou cinq questions dont vous entendrez probablement beaucoup parler au cours de vos déplacements et discussions dans le Nord. Je vais essayer de faire assez vite et ensuite je pourrai répondre à vos questions. Je pense que dans la documentation que vous avez il est probablement question de tous ces sujets.
Tout d'abord, vieux refrain du Nord canadien, parlons de la question de la souveraineté. Vous avez un bon document de fond sur cette question, mais j'aimerais vous expliquer brièvement quelques-uns des événements intéressants qui se sont déroulés ici à Ottawa au cours de la dernière année ou deux dans ce dossier.
L'aspect juridique de la question n'a rien à voir avec le terrain dans le Nord. La question porte sur l'eau. Plus particulièrement, il s'agit de déterminer le statut juridique du passage du Nord-Ouest. Évidemment, la position canadienne consiste à dire qu'il s'agit d'eaux intérieures et que le Canada a donc entière compétence et souveraineté sur ces eaux. Certaines autres puissances maritimes, plus particulièrement les États-Unis et la Grande-Bretagne ne partagent pas ce point de vue.
Il y a environ un an et demi, le CARC publiait une analyse juridique de la situation actuelle des positions sur cette question. Cette analyse juridique, que je vous ai distribuée, a été préparée par Donald McRae - professeur de droit ici à Ottawa que plusieurs d'entre vous connaissent probablement. Nous avons entrepris cette analyse parce que nous tentions d'apprendre du ministère de la Défense nationale si le gouvernement avait l'intention d'installer le système de surveillance sous-marine dans l'Arctique promis depuis longtemps dans la région du passage du Nord-Ouest. Cette promesse du gouvernement fédéral remonte à 1988.
Mon travail consiste en partie à établir ce qui est certitude dans le vague des politiques et donc je tentais de déterminer si le gouvernement avait l'intention de remplir cet engagement.
Je n'ai toujours pas le niveau de certitude à ce sujet que j'aimerais avoir, mais je peux toutefois vous dire que le ministre de la Défense nationale a fait ici et en Chambre des commentaires que je considère erronés en ce qui concerne le système de surveillance sous-marine dans l'Arctique. J'ai inclus ces commentaires dans la documentation avec les communiqués de presse.
Essentiellement, la position, je pense, du ministre de la Défense nationale, c'est qu'il existe une entente entre le Canada et les États-Unis au terme de laquelle les États-Unis informent le Canada au préalable, lorsque des sous-marins nucléaires sont sur le point d'emprunter le passage du Nord-Ouest. À notre avis, ce n'est pas le cas.
Nous recommandons très fortement que vous vous acquittiez de votre devoir en vous renseignant à ce sujet puisque toute la question de la souveraineté s'insère très clairement dans votre mandat. Merci.
La deuxième question, encore une fois pour m'inspirer de ce que Whit a dit plus tôt, c'est le thème principal du développement durable. Je pense qu'au cours de vos déplacements, vous constaterez que cette expression revient encore et encore. Évidemment, selon votre interlocuteur, elle revêtira un sens différent. Toutefois, au niveau international, vous apprendrez sans doute que la stratégie de protection de l'environnement de l'Arctique et le conseil de l'Arctique proposés depuis longtemps et tant attendus s'intéressent essentiellement au principe du développement durable et à la façon de le mettre en oeuvre dans l'ensemble de la région de l'Arctique.
Vous voudrez peut-être interroger divers représentants du gouvernement du Canada et d'autres organismes pour déterminer s'il est souhaitable que le Canada adopte comme objectif à long terme la mise en place d'une convention cadre exécutoire entre les États de l'Arctique afin de mettre en oeuvre les principes du développement durable. Même si le Canada s'engage à mettre en oeuvre un tel principe, cela ne se fera pas facilement ni rapidement. Toutefois, à notre avis, ce serait un objectif à long terme approprié pour le Canada.
J'aimerais attirer votre attention sur deux questions encore. Tout d'abord, le litige de longue date entre le Canada et les États-Unis sur l'avenir des terrains de mise-bas de la harde de caribous de la Porcupine. Là encore, vous avez la documentation appropriée sous les yeux.
À l'heure actuelle, il s'agit de déterminer si l'on continuera de faire des forages pour trouver du pétrole et du gaz du côté américain sur ce que l'on appelle communément les «1002 lands», 1002 étant le numéro de la disposition de la 1980 Alaska National Interest Lands Conservation Act. Il y a une entente - en fait, un traité exécutoire à notre avis - entre le Canada et les États-Unis dans le but de préserver la harde de caribou de la Porcupine et son habitat.
Le gouvernement canadien s'est montré très franc dans cette affaire et a fait de l'excellent travail depuis un an à mon avis. Nous ne critiquons donc pas la politique canadienne en la matière. Toutefois, nous aimerions suggérer qu'à long terme, on devrait rechercher aux termes peut-être de la Convention du patrimoine mondial la désignation internationale de cette région transfrontalière afin de lui assurer un niveau supérieur de protection de gestion et en fait afin que l'on reconnaisse que la région est une ressource internationale. Vous voudrez peut-être là encore interroger des témoins à ce sujet.
Enfin, une question tout à fait à l'ordre du jour. Ceux qui se rendront à Yellowknife en entendront beaucoup parler. Je parle des diamants. Je pense qu'il est possible, et même fort probable, que d'ici cinq ou dix ans, les diamants seront au premier rang des exportations des Territoires du Nord-Ouest.
Cela fait réfléchir. Vous me direz peut-être, voilà qui est intéressant, mais pourquoi le Comité des affaires étrangères devrait-il s'en préoccuper? C'est à cause des dispositions que l'on prendra éventuellement pour la commercialisation des diamants canadiens. Il y a des questions intéressantes qui se posent mais que les députés n'ont pas encore soulevées en ce qui concerne la vente des diamants.
Même ceux qui ne connaissent pas grand-chose au marché des diamants savent qu'il est contrôlé par un cartel dirigé par la DeBeers établie à Londres en Angleterre et à Johannesburg en Afrique du Sud. C'est une question très intéressante. Le Canada comme participant au libre-échange va-t-il permettre la commercialisation de ses diamants par l'entremise d'un cartel établi en Europe?
Évidemment, le Canadian Arctic Resources Committee effectue des recherches sur les aspects juridiques et les politiques de cette question. Plus particulièrement, nous nous interrogeons pour savoir s'il serait souhaitable ou même possible de demander au Tribunal de la concurrence d'entreprendre une enquête de ces dispositions. Je pense donc qu'il serait des plus utiles que vous réfléchissiez à cette question aussi.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Le président: Monsieur Penikett.
L'honorable Tony Penikett (directeur, Canadian Arctic Resources Committee): Merci.
Comme vous l'avez mentionné, je suis ici en partie en ma qualité d'ancien leader du gouvernement du Yukon, mais surtout comme membre du conseil d'administration du CARC et comme coprésident du Comité consultatif sur l'Arctique de la Fondation Gordon, rôle que je partage avec le Dr Tom Axworthy.
Comme d'autres ici l'ont dit, il y a eu d'énormes changements au sein de la collectivité humaine dans le Nord canadien particulièrement et dans le monde circumpolaire en général au cours de la dernière génération. Dans une grande mesure, ces changements sont positifs. Toutefois, certains sont négatifs. Dans les deux cas toutefois, ces changements ont une incidence sur les questions politiques que vous allez examiner ici. J'aimerais ajouter à ce que les autres conférenciers ont dit en situant dans leur contexte historique certains des changements, surtout des changements politiques, survenus dans le Nord et aussi vous rappeler qu'il y a des dimensions de ces questions de politique étrangère qui vont au-delà des questions bilatérales qui ont tendance à dominer l'actualité.
Comme vous le savez, si vous vous reportez à certains des principaux événements survenus dans le Nord au cours des dernières décennies - y compris des événements marquants tels que les travaux de la commission Berger; l'enquête sur l'oléoduc de la vallée Mackenzie, sous la présidence de M. le juge Tom Berger; l'avènement du gouvernement responsable dans les deux territoires du Nord et l'évolution de leurs assemblées législatives, chacune de façon différente, mais tout à fait remarquable en une période aussi courte; la dévolution des responsabilités en matière de programmes normalement de compétence provinciale du gouvernement fédéral aux gouvernements territoriaux; et enfin des événements très marquants au niveau de la négociation et du règlement des revendications territoriales et de l'élaboration d'ententes d'autonomie qui constituent des instruments de coopération entre les communautés autochtones et les nouveaux arrivés comme nous n'en avons vu nulle part ailleurs au Canada. Tout en étant controversées dans certaines régions du sud du pays, ces ententes sont le fruit de longues négociations et d'une longue lutte par les deux éléments de la collectivité du Nord, pour en arriver à un contrat social ou à une certaine forme d'entente fondée sur le respect mutuel et la reconnaissance mutuelle - et toutes ces forces ont eu tendance à décolonialiser le Nord canadien.
Malheureusement, d'autres événements ont eu l'effet contraire. À ce titre, j'inclus le rapatriement de la Constitution canadienne, une initiative des plus louables, mais qui a eu l'effet, pour la première fois, d'assujettir les aspirations constitutionnelles du Nord au veto provincial, ce qu'aucune province canadienne n'avait eu à subir. Les propositions du lac Meech ont encore exacerbé cette situation. Comme d'autres l'on dit, les changements économiques tels que la mondialisation et les ententes commerciales ont également rendu certaines localités du Nord impuissantes.
Au cours de la dernière décennie, tous ces événements ont poussé les communautés du Nord à s'intéresser à nouveau à renouveler les relations avec leurs voisins du Nord. Dans toutes les nations circumpolaires, les lignes de communication et d'autorité ont tendance à se faire sur l'axe Nord-Sud ou Sud-Nord. Or on s'intéresse nouvellement aux relations est-ouest, non seulement à cause de la fin de la Guerre froide, mais à cause du nombre extraordinaire de nouvelles initiatives, pas uniquement les institutions mentionnées par M. Roots, mais d'autres aussi, depuis 10 ans. J'aimerais d'ailleurs en mentionner quelques-unes.
L'une des initiatives dont les effets se sont peut-être le plus fait sentir, dont on a parlé plus tôt, c'est la Conférence circumpolaire inuit. Il y a également eu des événements tels que la Conférence circumpolaire sur l'agriculture dont la première session a eu lieu à Whitehorse. À l'échelle nationale, il y a eu des conférences circumpolaires sur la santé depuis plusieurs années. À certains égards, des événements plutôt exotiques ont eu lieu, à la Conférence circumpolaire des ministres de l'Éducation où les ministres du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest, des compétences plutôt modestes, ont siégé au sein d'organismes avec les ministres de l'Éducation des pays scandinaves, de Québec, et même de la Russie pendant une certaine période. Il y a également eu la création du forum de l'Arctique, un organisme fascinant auquel participaient des gouvernements régionaux de l'ancien Extrême-Orient soviétique, de la province de Heilongjiang dans le nord de la Chine, de Hokkaido au Japon, des pays scandinaves, de l'Alaska et du Canada.
Outre ces institutions créées dans certains cas il y a jusqu'à dix ans, le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest envoyaient des missions commerciales axées sur le développement durable en Scandinavie. Les Territoires du Nord-Ouest et la Russie participaient à divers projets de coopération économique. Ce n'est pas très connu à Ottawa, mais par exemple, le Yukon a probablement conclu avec son plus proche voisin, l'Alaska, un plus grand nombre d'ententes intergouvernementales qu'avec toute autre compétence, sauf Ottawa. Il y a des ententes sur la gestion de la faune, les transports, l'éducation, la rationalisation des collèges, des initiatives conjointes dans le domaine de l'éducation. Les ententes sont administrées comme la Commission de gestion de la harde de caribous de la Porcupine avec la participation de groupes autochtones des deux côtés de la frontière ainsi qu'avec des représentants des gouvernements de l'État et du territoire.
Je tiens à souligner qu'aucune de ces ententes n'a été sanctionnée ou bénie par le ministère des Affaires étrangères. En fait, j'ai l'impression qu'on ne connaÎt même pas ici l'existence de la plupart d'entre elles. Je ne pense pas que qui que ce soit à Juneau ou à Whitehorse ait même pensé à demander la permission d'Ottawa ou de Washington.
Il est digne de mention que lorsque le premier Forum du Nord s'est réuni à Anchorage il y a quelques années, à la réunion d'organisation, il était fascinant de voir les représentants russes des gouvernements régionaux et les groupes autochtones se présenter à ces réunions avides d'informations sur ce que les habitants du Nord canadien faisaient dans des domaines tels que la protection de l'environnement, le développement durable, la négociation des revendications autochtones. Cette soif d'informations laissait supposer qu'il était probablement possible pour les Canadiens d'exporter certaines de ces compétences ou de participer à un dialogue ouvert sur ces questions.
Tous ces événements expliquent, je pense, pourquoi la nomination récente de Mme Mary Simon comme ambassadrice circumpolaire et le travail par le gouvernement canadien sur le Conseil de l'Arctique a rendu les habitants du Nord si heureux. Toutefois, les participants à ces discussions au nom des gouvernements territoriaux et tout particulièrement celui avec lequel j'ai moi-même travaillé, et je suis persuadé que c'est toujours vrai, tenaient à s'assurer de la participation des premières nations - c'est-à-dire les Dene, les Athapaskan du Yukon et en fait ceux des Territoires du Nord-Ouest et de l'Alaska. On a trouvé un mécanisme de participation semblable à celui qui permettra aux Inuit, aux Sami et aux Autochtones russes de participer tout en assurant un rôle officiel aux gouvernements territoriaux.
Incontestablement, au moment de la création du Forum du Nord - l'organisme qui regroupe les gouvernements régionaux - il a été question de savoir comment ces institutions collaboreraient avec le Conseil de l'Arctique. Je sais que les représentants au Forum du Nord se préoccupaient suffisamment de cet aspect pour créer une relation officielle avec les Nations Unies. J'oublie s'il s'agissait d'un statut officiel d'ONG...
M. Roots: Il s'agit du statut officiel d'ONG.
M. Penikett: ...Afin d'assurer des contacts avec ce qui se produit à l'échelle nationale et internationale.
Je peux vous dire pour avoir vécu dans le Nord et suivi ce que faisaient nos gouvernements pendant des décennies que comme l'a dit le Dr Roots, les Canadiens affichent une ambivalence perpétuelle au sujet du Nord et des questions qui s'y rattachent. J'aimerais d'ailleurs vous en donner un exemple positif et un exemple qui l'est moins.
La question des terres 1002 réservées pour la harde de caribous de la Porcupine dont a parléM. Fenge est un excellent exemple, car les gouvernements territoriaux ont été les premiers à énoncer la position du Canada à cet égard. Le Canada n'a fait qu'adopter la position des gouvernements territoriaux et fait valoir cette position à Washington. Notre ambassade là-bas a continué à jouer un rôle d'appui auprès des groupes autochtones et des groupes gouvernementaux qui se sont rendus à Washington pour présenter leur position devant divers organismes.
Il est intéressant de noter le nombre d'activités que cette question a suscitées et combien de personnes, accompagnées des dirigeants de l'Arctique se sont rendues à Washington sur cette question qui leur est très importante.
Un autre exemple moins édifiant est tiré de ma propre expérience, ce dont vous m'excuserez. Il y a quelques années, j'étais en Scandinavie pour des négociations avec des compagnies minières et de hauts fourneaux. Avant de partir, j'ai téléphoné aux Affaires étrangères pour voir s'il ne serait pas possible d'organiser une visite de courtoisie chez un vieil ami à moi, avec qui j'avais travaillé sur un comité, pour le compte de mon parti et du sien, en Europe, il y a plusieurs années. Ce vieil ami est maintenant le ministre des Affaires étrangères d'un pays scandinave et je pensais passer le voir. Les Affaires étrangères ont répondu à mes employés que quelqu'un d'un gouvernement territorial n'était vraiment pas suffisamment important pour rendre visite à un ministre d'un vrai pays, et donc que nous ne devrions pas nous donner la peine d'essayer de le faire.
Toutefois, lorsque je suis arrivé dans la capitale de ce pays, je me suis dit, et puis tant pis, je vais lui téléphoner. J'ai donc pris le téléphone et c'est le ministre des Affaires étrangères qui a répondu. Il m'a demandé ce que je faisais là, pourquoi je ne l'avais pas prévenu. Je lui ai dit que j'avais essayé. Il m'a dit que le Parlement était en crise, que le gouvernement tomberait peut-être cette nuit-là, mais de passer le voir pour le petit déjeuner le lendemain matin. J'ai accepté. Il m'a donné quelques messages à transmettre à notre ministre des Affaires étrangères sur des irritants communs et nous avons pris le petit déjeuner.
Je ne le mentionne que pour rappeler aux députés ici, comme l'a fait M. Roots, que le nord circumpolaire n'est pas très peuplé. On constate qu'un genre de communauté internationale du Nord émerge, une sorte de prise de conscience collective dans le nord.
Peter Høeg, dans son roman Smilla's Sense of Snow, souligne qu'à la première Conférence Circumpolaire inuit, les délégués de tous les pays ont été absolument fascinés de découvrir qu'ils avaient en commun le mythe commun de la création par le corbeau dans leurs cultures - ce qu'ils ne savaient pas. À bien des égards, il y a encore un processus de redécouverte, de retrouvailles parmi les gens du Nord.
Je suis là aujourd'hui pour vous dire qu'à mon avis, le Canada a joué un rôle de leadership et je souhaite énormément que cela continue. Merci.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Penikett, et merci à chacun de vous de vos remarques d'introduction très intéressantes. Je pense que c'est une très bonne entrée en matière des divers problèmes auxquels nous allons nous intéresser de près au cours des quelques prochains mois.
J'espère qu'avec votre aide, nous pourrons à tout le moins préparer quelques lignes directrices qui nous aideront à résoudre certaines de ces questions environnementales et internationales extraordinairement importantes. Il est très intéressant de voir à quel point tout est relié, à tous les niveaux, dans le Nord.
Nous allons maintenant passer à la période de questions.
[Français]
Madame Debien.
Mme Debien (Laval-Est): Ma question s'adresse à M. Fraser. Vous avez dit dans votre présentation que dans l'Arctique, le Canada devrait instituer une forme de coopération économique circumpolaire qui viserait à stimuler un développement économique durable dans le Nord. Vous avez dit que c'était un aspect de la question du développement économique.
Vous nous avez aussi exposé la problématique des populations nordiques, c'est-à-dire un taux de chômage très important dont les conséquences sociales sont très graves.
Lors de la conférence qui a eu lieu en 1994 ici, à Ottawa, on a mentionné un certain nombre de secteurs de développement économique potentiels dans l'Arctique. On a parlé entre autres du tourisme, toujours dans une perspective de développement de durable. On a aussi parlé de l'exploration des ressources naturelles, entre autres la fourrure, les oiseaux migrateurs, les mammifères marins et la pêche. En somme, on a parlé de tout ce qui peut faire partie d'un développement économique durable.
À ma surprise, j'ai entendu M. Fenge parler de l'exploitation de mines de diamants, ce qui, à mon avis, n'a rien à voir avec le développement durable, surtout quand on pense à l'expérience actuelle d'exploitation des mines dans le monde, au Canada et au Québec.
J'aimerais savoir quels projets d'économie durable pourraient être mis en marche au profit des populations du Nord, compte tenu bien sûr de la grande vulnérabilité de l'environnement de l'Arctique, et comment faire passer l'Arctique et les populations autochtones d'une économie coloniale à une véritable économie autonome.
[Traduction]
M. Fraser: En fait, vous parlez de deux types de développement. Il y a celui des ressources renouvelables de l'Arctique - la fourrure, le poisson et la faune - et celui des ressources non renouvelables - les métaux, le pétrole, le gaz et les diamants, qui sont des minéraux ou des pierres précieuses. Je suis d'avis tout comme l'organisme que je dirige qu'il nous faut une politique sur le développement durable qui vise ces deux aspects.
Lorsque vous vous rendez dans une région pour y faire l'exploitation des diamants, de l'or, du pétrole ou du gaz, ou pour y construire des oléoducs, et que vous détruisez ou nuisez à l'économie locale - la fourrure, le poisson et la faune - pour les localités du Nord, ce genre de développement n'est pas durable. À notre avis, il devrait être possible de mettre en place un programme d'exploitation des ressources non renouvelables - dans ce cas-ci, les diamants - tout en protégeant le caribou, le poisson, l'orignal et tous les animaux à fourrure dont dépendent les Autochtones tout en permettant l'extraction des ressources, d'une façon ordonnée, sur une longue période de façon à ce que les localités du Nord en bénéficient. Je vais vous en donner un exemple.
Dans la partie sud des Territoires du Nord-Ouest, tout près de la frontière de l'Alberta, on trouve les localités de Pine Point et Fort Resolution. À Pine Point, il y a une mine de plomb et de zinc. Si vous survolez aujourd'hui cette région, vous constaterez que c'est comme la face cachée de la lune; c'est un endroit sinistre. Le terrain est labouré, mille après mille de gravier entassé. Il n'y a plus de végétation et les carrières sont maintenant des étangs énormes.
Tout près, à Fort Resolution - et ce sont les gens de la place qui nous l'ont dit - une localité qui vit depuis le début de l'époque de la traite des fourrures de chasse et de piégeage, il ne reste que peu d'animaux à fourrure parce que la région avoisinante a été dévastée. Du point de vue de Pine Point, les ressources, avec une extraction lente, auraient pu être exploitées sur une période de 50 ou 75 ans et on aurait pu remettre en état, remplir les trous des carrières et permettre à la végétation de reprendre. Une exploitation plus lente et progressive aurait créé des emplois dans la localité.
Ce genre d'exploitation des ressources réfléchie, voilà ce qu'il faut faire dans les localités du Nord. Nous ne pouvons pas continuer à arracher les ressources du sol pour gagner des bénéfices plus élevés pour le Sud du Canada et les investisseurs étrangers, ne laissant rien pour les habitants du Nord.
C'était une longue réponse, mais j'espère que cela précise notre position.
Le président: Monsieur Morrison.
M. Morrison (Swift Current - Maple Creek - Assiniboia): Merci, monsieur le président.
Je souhaite la bienvenue à nos interlocuteurs.
J'aimerais parler du développement économique en général et poser ma première question àM. Fraser.
Monsieur Fraser, vous avez souligné et j'en conviens parfaitement que la surpopulation de certaines régions de l'Arctique constitue un problème et que les bénéfices de l'exploitation des ressources n'ont pas été bien répartis parmi les populations. Je me demande toutefois quelle solution vous offrez à ce problème particulier.
Je veux vous dire que, du moins dans certains cas, ce n'est pas un régime réglementaire coercitif qui nous donnera la solution. Je peux vous décrire précisément quelques événements qui ont eu lieu à Keewatin, il y a 12 ou 14 ans, lorsqu'une société minière, aux termes de son permis d'exploitation, a été tenue d'embaucher un certain nombre d'Inuit et de les garder à son emploi - c'est l'entente qui avait été conclue. Dans ce cas particulier, on a constaté des taux extrêmement élevés d'absentéisme, d'insubordination, de dommage à l'équipement, etc. Voilà quels ont été les résultats directs.
Le résultat indirect, c'est que cette situation était très mauvaise pour le moral de l'ensemble des travailleurs puisqu'on pouvait congédier certains employés mais non d'autres.
Quelle est la solution à cela? Comment éviter cela? Comment faire participer les habitants au développement sans créer de situation fausse et non productive?
M. Fraser: Tout d'abord, monsieur, je dois dire que la première chose que je ferais dans une telle situation - et je le dis très respectueusement - ce serait de mettre en place des programmes de formation appropriés que j'offrirais peut-être tout d'abord aux représentants de la compagnie, puisque ceux-ci viennent du Sud et que leur point de vue n'est pas nécessairement adapté à la région.
Je peux vous donner l'exemple d'autres entreprises qui ont bien réfléchi à ce qu'elles voulaient réaliser dans le Nord, qui ont embauché des Autochtones, leur ont donné la formation appropriée et ont connu beaucoup de succès. J'ai quelque expérience dans ce domaine dans un poste antérieur à la Société Radio-Canada qui a connu beaucoup de chance dans son choix de travailleurs du Nord.
Je pense que c'est en partie cela. Les entreprises ont beaucoup à apprendre lorsqu'elles se rendent dans le Nord et elles doivent comprendre qu'elles doivent prendre des engagements à l'égard de l'économie du Nord et des habitants du Nord.
Quant à la question plus vaste de l'exploitation des ressources dans le Nord d'une façon à ce que les localités en bénéficient, je pense tout comme la commission qu'il nous faut définir une politique globale de recherche dans le domaine des ressources de l'Arctique canadien. Quels sont nos engagements et nos obligations nationales? Que voulons-nous réaliser dans le Nord? Personne ne s'est encore arrêté à cette question.
À notre avis, il faut formuler une politique de concert avec les Autochtones, avec les gouvernements du Nord, une politique qui prévoit pour les 20, 30, 40 et 50 prochaines années une façon d'exploiter les ressources du Nord de manière à ce que les localités de la région bénéficient du développement économique et des avantages qui en découlent.
Nous devons commencer à tirer partie des efforts énormes que nous faisons actuellement au niveau de la recherche dans tous les domaines, surtout dans le domaine social et celui de l'environnement. Je vous le dis très franchement, monsieur le président, mesdames et messieurs, la commission le dit depuis au moins cinq ans, depuis sa création et M. Roots le disait dix ans auparavant: nous n'avons pas de sens précis de la direction à suivre, de nos obligations, de ce que nous voulons faire dans l'Arctique.
C'est notamment pourquoi, comme l'avait recommandé M. Roots à un gouvernement précédent, l'on a créé la commission. C'est le point de départ; reste à définir le tout. Nous dépensons les fonds, nous faisons le travail, mais sans coordination, en passant par une vingtaine de ministères, programmes et organismes, qui travaillent tous dans le nord sans coordination et même, je le crains, sans savoir si nous en avons pour notre argent.
Voilà la réalité. Tant que cela ne se sera pas, impossible de répondre à votre question. Toutefois, j'estime que les talents nécessaires existent dans le Nord, et au sein du gouvernement du Canada, s'il faut le faire. Incontestablement, c'est dans l'intérêt national de le faire enfin. Je ne pense pas que nous puissions attendre plus longtemps.
Le président: Monsieur Morrison, vous avez déjà dépassé vos cinq minutes.
Monsieur Fenge, pourriez-vous répondre rapidement? Nous passerons ensuite au suivant. Nous reviendrons. J'essaie de limiter le temps de parole des membres du comité aux cinq minutes prévues.
M. Fenge: Oui, certainement. Je vais faire vite.
Pour revenir à la réponse que nous venons de donner, vous vous rappellerez que six mois avant les dernières élections, M. Axworthy a rédigé un document d'orientation pour le Parti libéral du Canada dans lequel on s'engageait à formuler l'ébauche d'un plan d'action pour la région de l'Arctique. Il s'agissait de politique intérieure étrangère. En fait, il n'y a pas encore eu de suite à cette recommandation.
Merci.
M. Morrison: Puis-je poser encore une brève question?
Le président: Si c'est vraiment très bref.
M. Morrison: Ce sera très bref.
Monsieur Fraser, je pense que vous sous-estimez les Autochtones. Vous avez plus ou moins laissé entendre que, dans leur cas, il fallait leur mâcher le travail et que ces mesures coercitives sont nécessaires. J'ai fait de la prospection avec les Autochtones pendant cinquante ans. Je pense les connaître un peu. Lorsqu'il n'y a pas de contrainte et que l'on embauche les gens au mérite, ils travaillent de leur plein gré et librement, et cela marche toujours très bien.
Cette histoire de coercition me préoccupe, cette idée que sans coercition, il est impossible de faire participer un grand nombre d'Autochtones. Voilà vraiment ma question.
Le président: Excusez-moi, monsieur Fraser, mais j'essaie vraiment d'alterner aux cinq minutes. Croyez-moi, vous aurez l'occasion de revenir sur cette question.
Peut-être, monsieur Flis, voulez-vous reprendre.
M. Flis (Parkdale - High Park): Merci.
Vous avez mentionné le document d'orientation préparé par le Parti libéral lorsqu'il était le parti d'opposition. J'ai participé à la préparation de ce document et donc je suppose que je dois en assumer le blâme, en partie.
Le président: Ou le mérite.
M. Flis: Notre président a écrit à plus d'une centaine d'organismes et de citoyens et, grâce au Canadian Arctic Resources Committee, 6 000 personnes ont reçu avis des séances de notre comité. Dans cette lettre, le président disait que la formulation d'une politique étrangère pour le Nord devait répondre aux critères suivants:
- Les questions à examiner sont multidimensionnelles: ...la sécurité après la guerre froide, la
dépollution, la gestion durable des ressources et le développement économique approprié; les
revendications territoriales non réglées, la politique relative aux océans et le droit de la mer; les
institutions de coopération intergouvernementale - parlementaire, et politique - y compris la
création du Conseil de l'Arctique proposé...
Ma famille a été hébergée dans une famille inuit qui comptait sept enfants - une habitation très modeste. Dans cette famille, le fils aîné s'était suicidé. Le deuxième n'allait pas à l'école, parce que son père voulait qu'il apprenne comment survivre dans la nature - et, monsieur Fraser, vous mentionné l'importance de la nature. Les autres enfants allaient à l'école. Il y avait très peu d'échanges entre le fils qui n'allait pas à l'école et les enfants qui y allaient. Au sein même de la famille, on sentait le fossé des générations.
J'aimerais donc savoir comment élaborer une politique étrangère pour le nord du Canada en commençant par cette famille autochtone? Voilà ce dont il s'agit. On a beau parler de diamants, d'environnement ou que sais-je encore, si on ne commence pas par cette famille, on ne va que refaire le chemin parcouru au cours des vingt dernières années par la centaine d'organismes dont on a parlé, et on sera pas plus avancé.
Les témoins pourraient-ils nous aider? Comment déterminer les priorités qui nous permettrons d'élaborer notre politique, en pensant d'abord et avant tout à cette famille? Je conserve précieusement le souvenir des deux jours passés avec cette famille.
M. Fraser: Je pense que nous voulons tous répondre à cette question.
Je dirais qu'il faut commencer par aller dans le Nord, ce que vous faites. Enfin, les gouvernements des Territoires du Nord-Ouest sont élus par la population du Nord. Ils ne sont plus nommés par Ottawa, ce qui était encore le cas il y a à peine trente ans. Ils représentent leur localité - un excellent point de départ - et ils sont sur place.
Ce sont les habitants du Nord qui doivent régler ces questions. À l'heure actuelle, il se passe bien des choses dans les Territoires. Je crois que la création du Nunavut est un des événements les plus excitants au pays depuis des années, dans le Nord en tous cas. La commission de mise en oeuvre du Nunavut se compose de huit ou dix membres - tous autochtones sauf un - et est chargée de déterminer la forme du gouvernement, ses responsabilités, la façon d'aborder les questions dont nous discutons ici. Les membres de la commission s'intéressent vivement à la politique étrangère globale du Canada.
De fait, l'un des conférenciers les plus convaincus à notre conférence, comme je le disais précédemment, était le président de ce groupe, John Amagoalik, qui a une vision très claire de la façon dont le territoire du Nunavut va se situer non seulement à l'intérieur de la fédération canadienne, mais également à l'échelle internationale et au sein de la communauté internationale grandissante dont a parlé M. Penikett.
Je vais maintenant laisser les autres répondre, mais pour résumer je dirais qu'il faut en discuter avec les habitants et les dirigeants du Nord d'aujourd'hui.
M. Penikett: Monsieur Flis, si l'on constitue le conseil de l'Arctique et si on le fait de façon à faire participer directement des représentants des organismes autochtones et des gouvernements territoriaux, pour la première fois, on aura un instrument capable d'intégrer les opinions des Autochtones, des gouvernements régionaux, et des gouvernements nationaux dans la formulation non seulement d'une politique nationale pour ces régions, mais également, ce qui est plus important encore, l'élaboration, avec le temps, d'une compréhension internationale très profonde de toutes les questions que vous avez énumérées au début de vos propres. Cela n'a jamais existé.
Même entre le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et celui des Affaires extérieures ou étrangères il n'y a pas toujours eu, paraît-il, de communication parfaitement claire. Imaginez le problème lorsque vous parlez entre Whitehorse et Ottawa, ou même des problèmes encore plus difficiles de communication entre les localités près de la mer de Béring en Russie et leur capitale nationale.
Ces problèmes sont fascinants. Nous avons peut-être maintenant les outils pour solutionner certaines de ces difficultés. Toutefois, toute solution, qu'elle porte sur l'exploitation minière ou non, qui ne respecterait pas le droit des premiers habitants, qui ne les verrait uniquement dans rôle servile sans leur accorder voix au chapitre et le droit de participer aux décisions serait une mauvaise solution. Nous avons dépassé ce stade.
Le président: Pensez-vous que grâce à la Conférence circumpolaire inuit et aux autres institutions en cours d'élaboration il sera possible aux membres de la famille de M. Flis, peut-être pas directement, mais par l'entremise d'organismes qu'ils connaissent, de communiquer avec d'autres dans le Nord de façon à nous permettre de formuler une politique cohérente? Assis ici, nous vous avons entendu parler de l'Alaska et j'en conclus qu'il nous faut persuader le sénateur Murkowski autant que nous-mêmes. Ce sera l'une de nos tâches lors de ce voyage dans le Nord; rencontrer des représentants américains. Si nous ne pouvons convaincre le sénateur, on peut supposer que ceux de sa propre communauté devront le lui dire. Est-ce que nous avons créé des liens entre les communautés qui pourraient servir à cette fin?
M. Penikett: Il s'est passé une foule de choses fascinantes dans le Nord qu'on a en grande partie ignorées dans le Sud du Canada. Non seulement l'Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest est constituée sur un modèle différent - je parle du modèle par consensus que l'on essaie d'utiliser - mais encore les organismes autochtones tentent de redécouvrir leurs traditions tribales et se renouvellent en se fondant sur le respect de ces traditions. Ce n'est pas très connu, mais dans le Nord, il y a tous les ans des échanges entre les assemblées législatives, entre par exemple le Yukon et l'Alaska où les communications sont très étroites. Les participants à ces échanges ont probablement de l'influence sur les délégués de l'Alaska au Congrès. Ils ne leur ont sans doute pas parlé, par contre. Ce sont des gens comme eux qui participent au Forum du Nord.
On a vu des expériences fascinantes de planification économique à partir de la base au cours de l'opération Yukon 2000, à laquelle j'ai participé. Il y a toutes sortes d'exemples de modèles que je ne propose pas pour le Canada, mais qui sont le signe d'une vitalité, d'une curiosité et d'une créativité dans le Nord qui méritent notre respect et dont nous devrions nous servir à nos propres fins dans cette entreprise.
M. Fraser: Monsieur le président, puis-je intervenir et ajouter à ce que M. Penikett a dit au sujet du Conseil de l'Arctique. Si je comprends bien, un élément important de ce conseil vient de ce que l'on appelle «les participants permanents». Grâce à cette formule, des représentants autochtones par l'entremise de leurs organismes internationaux tels que la Conférence circumpolaire inuit ou les Peuples Sami des pays scandinaves et les Athapaskan du Yukon et de l'Alaska négocient la forme que prendra sur leur participation comme membres permanents - non pas comme observateurs, mais bien à un niveau supérieur. La représentation viendra en partie de là.
Le président: Monsieur Fenge.
M. Fenge: Je connais la famille dont vous parlez. J'ai travaillé pour les Inuit pendant quelques années. Certaines des personnes avec lesquelles j'ai travaillé ou pour lesquelles j'ai travaillé, ont tenté de se suicider et certaines y sont parvenues. C'est la réalité dont vous parlez, une réalité navrante.
Lorsque je travaillais pour les Inuit, je ne comprenais pas comment cela pouvait se produire. Je n'y comprenais rien. Pour tenter de comprendre, je suis allé à la bibliothèque et j'ai examiné certaines données économiques. J'ai tenté sur un tableau très simple de faire une corrélation entre le changement du prix des fourrures et des peaux de phoque et l'augmentation du taux de suicides. Sans pouvoir prétendre à un lien de cause à effet, il ressort très clairement qu'il y a un lien entre les deux quand on songe à la diminution considérable de la valeur de cette activité au début des années 1980 à la suite de ce que je considère avoir été le lobbying très mal venu des groupes pour la défense des droits des animaux. L'une des conséquences, c'est l'augmentation de toutes les pathologies sociales dans ces hameaux.
Deuxièmement, je dirais que l'intervention de l'État, ce qu'il peu faire, a ses limites. Cela dit, il serait peut-être utile d'examiner certaines des dispositions assez novatrices mises en place dans le Nord québécois. Suite à la convention de 1975 de la Baie James et du Nord québécois, on a mis en place deux programmes du soutien du revenu. Ceux-ci aident les Autochtones à rester sur leur territoire. À l'examen, vous constaterez, je pense, que ces programmes ont empêché une augmentation des pathologies sociales. Malheureusement, le gouvernement fédéral n'a pas jugé bon d'inclure des programmes semblables au nord du 60e parallèle dans ses ententes sur le règlement des revendications territoriales.
Le président: Merci. Nous reviendrons sur ce sujet.
Monsieur Roots, vouliez-vous ajouter quelque chose sur cette question?
M. Roots: J'aimerais revenir très brièvement sur ce que vous avez dit il y a un instant. Vous avez demandé si nous mettions en place des mécanismes qui permettront des progrès. Vous aurez sans doute compris que ce n'est pas nous qui le faisons; c'est la base qui s'en charge. C'est aux pouvoirs constitués de trouver des façons de mettre à profit ces méthodes de communication.
Pour vous répondre rapidement, je dirai que nous avons tous eu des contacts personnels avec des familles du genre que mentionnait M. Flis. Ce qu'il faut, dès le début de l'examen de toute nouvelle politique, c'est encourager ces gens non pas à venir à la table, mais à mettre en oeuvre ce qu'ils considèrent important. S'il s'agit des parents d'un foyer désuni, si en plus les enfants ne sont pas à l'école, il faut que ces éléments constituent une part importante des objectifs de nos politiques. Il faut beaucoup plus de temps aux mécanismes conventionnels d'élaboration de politique qu'aux pratiques séculaires pour s'attaquer à ces vrais problèmes.
Comme l'a dit M. Penikett, il a fallu longtemps pour créer le Nunavut. Dans le Sud, les gens disaient, pourquoi discutent-ils? Mais si vous comprenez ce qui s'est produit, vous savez que l'on a révolutionné la façon de s'entendre sur une entité politique. Cela aurait été impossible si nous n'avions eu que des députés des partis au pouvoir et des partis d'opposition.
Nous ne sommes pas les responsables du changement. Les changements se font d'eux-mêmes. Il faut trouver des façons d'en profiter.
Le président: Merci beaucoup.
Je pense que tous les membres du comité conviendront que si nous pouvons intervenir, ce sera parce que nous pourrons créer un lien entre ce que vous avez expliqué de l'évolution de ces nouvelles institutions et relations et le cadre international qui régit l'Arctique. C'est la tâche du comité. Si vous pouvez nous aider en nous montrant que...
Je me rends bien compte que c'est plus difficile que pour la politique interne, mais c'est ce qu'on nous a demandé de faire dans ce rapport. Si nous parvenons à trouver une réponse appropriée, nous aiderons non seulement notre propre gouvernement, mais aussi les autres gouvernements de l'Arctique qui tentent de trouver des réponses et des solutions, ce qui sera extrêmement important pour nous.
Je m'éternise.
[Français]
Monsieur Sauvageau.
M. Sauvageau (Terrebonne): Je tiens à remercier nos témoins pour leurs interventions qui nous ont permis d'apprendre beaucoup sur ce sujet.
Je ne voudrais pas qu'on revive les problèmes que l'on a vécus précédemment au comité. En effet, on avait commencé une étude sans avoir tous les outils nécessaires et toute la documentation pertinente au sujet et on s'était rendu compte par la suite qu'on avait un problème.
J'ai lu le rapport qui a été fait par les recherchistes. Vous serait-il possible de communiquer avec les recherchistes pour avoir le mandat et le rôle de l'ambassadrice circumpolaire, le mandat et le rôle de la commission canadienne qui existe depuis cinq ans, ainsi que le mandat et le rôle que l'on veut donner au Conseil de l'Arctique?
Si le comité a à définir une politique cohérente au niveau du Nord, il serait peut-être utile de le savoir. L'ex-premier ministre du Yukon disait tantôt que plusieurs accords avaient été conclus sans que le fédéral et Washington soient au courant. Il serait peut-être pertinent qu'on ait les principaux accords concernant le Nord canadien pour nous orienter dans nos décisions. C'est ma première demande.
Dans votre témoignage, vous avez dit que 20 ministères et programmes exerçaient des activités dans le Nord, en plus des commissions et multiples organismes régionaux, et que tout cela se faisait à peu près sans cohérence. Si j'ai bien compris, c'est de cette façon-là qu'on peut décrire les choses. Il y a peut-être des millions de dollars qui sont dépensés sans cohérence dans ces différentes activités.
De quelle façon le comité pourrait-il éliminer les dépenses inutiles au niveau des programmes et des ministères? Est-ce qu'il s'agit de l'un des principaux problèmes qu'il faut résoudre avant d'élaborer une politique cohérente au niveau du Nord? Est-ce qu'on ne devrait pas d'abord faire le ménage dans l'incohérence qui existe et, si oui, dans un deuxième temps, sur quels points principaux le comité devrait-il se pencher pour essayer d'y trouver des solutions, au lieu de trouver des solutions à tous les problèmes du monde entier?
Je vous remercie.
[Traduction]
Le président: Monsieur Fraser.
M. Fraser: Peut-être puis-je commencer. Je vais répondre du point de vue de la Commission canadienne des affaires polaires. Comme nous l'avons dit, nous considérons que le Canada doit avoir une politique claire et cohérente quant à nos objectifs nationaux et nos obligations à l'égard du Nord, et ce tout particulièrement pour la recherche dans le Nord, mais aussi pour l'environnement, l'économie, la structure sociale et la culture.
Notre commission a formulé une recommandation à cet effet au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et au Parlement. Elle se trouve ici. J'ose espérer que le comité l'examinera et peut-être encouragera sa mise en oeuvre.
Je vais laisser à mes collègues le soin d'expliquer les mesures précises que le comité pourrait prendre en réponse à la deuxième partie de la question.
Le président: Monsieur Penikett.
M. Penikett: Monsieur le président, brièvement, en réponse à la question de savoir si nous devons supprimer les incohérences, je dirais que non. L'un des aspects merveilleux du Nord à notre époque, c'est la grande diversité et le nombre considérable d'expériences sur les institutions qui s'y déroulent. À mon avis, c'est très bien.
Certaines choses marcheront, d'autres non mais ce n'est pas si mal. Ce qui importe c'est que pour la première fois ce sont les régions du Nord qui mènent l'expérience. Nous nous sentons en quelque sorte maîtres chez nous, ce qui n'était pas le cas autrefois. Je crois que nous devrions autoriser ces expériences qui respectent l'histoire culturelle de la région en faisant appel à des structures institutionnelles appropriées plutôt que de s'en remettre simplement comme toujours aux ressources matérielles et humaines du sud, bien que cela se fasse encore.
Je crois que cela finira par s'arranger. Nous devrions respecter ces expériences et en tirer profit. Si elles s'avèrent positives, répétons-les. Les décideurs à l'échelle nationale devraient s'en inspirer lorsqu'ils voudront se lancer dans des projets comme celui envisagé par votre comité.
Le président: Monsieur Roots.
M. Roots: Merci. Au risque de contester un tout petit peu l'impression laissée par mon amiM. Fraser, je ne pense pas qu'on puisse parler d'incohérence monstre tant sur le plan scientifique que sur celui de la collecte de renseignements dans le nord.
Il est vrai qu'il y a peu de coordination, mais il y a très peu d'argent de gaspillé. On ne pourrait pas faire ce travail d'une manière beaucoup plus efficace qu'il n'est fait actuellement. Mais ce qui se fait ne procède pas d'un plan ou d'un projet global. C'est comme si des artisans, au lieu de construire une maison, installaient les portes, les fenêtres, les planchers et l'électricité sans avoir de plan de la maison.
Nous manquons cruellement d'une vision pour le nord. D'après moi, votre comité a un rôle très important à jouer car il devrait permettre, en interrogeant ceux qui sont touchés par ce qui se passe dans le Nord, de déterminer les priorités.
Il est certain que cela ne marchera pas si ces priorités sont définies par le gouvernement central ou conçues à distance. Même si ces gens sont des élus, ils se retrouvent dans une sorte de creuset où il sera difficile à la famille de M. Flis de penser qu'elle exerce une quelconque influence.
Si votre comité peut proposer ce genre de question à la réflexion du nombre croissant de ceux qui veulent prendre en main leur destinée dans le nord mais qui ne sont pas représentés au sein du système et déterminer les priorités, il aura fait un travail que les pouvoirs constitués, les groupes scientifiques ou les gouvernements ne peuvent pas vraiment faire.
Le président: Merci, monsieur. Merci beaucoup.
Nous passons à M. Morrison suivi de M. LeBlanc et de Mme Debien.
M. Morrison: Merci, monsieur le président. Encore une fois, pour en revenir à la question du développement économique, M. Roots a mis le doigt sur le problème. Actuellement notre présence de l'Arctique ne nous rapporte rien tant sur le plan social qu'économique. C'est même le contraire. Ça n'a pas toujours été ainsi. C'est nouveau.
Ce qui m'inquiète, c'est que si je ne vous ai pas mal compris, vous semblez penser que c'est irréversible. Détrompez-moi, je vous en prie, si ce n'est pas ce que vous vouliez dire. Mais si tel est bien le cas, si la possibilité d'une collectivité financièrement indépendante dans l'Arctique grâce, par exemple, à l'exploitation de mines de diamants, etc..., est inexistante pourquoi insister pour y rester? Pourquoi même vouloir insister sur notre souveraineté? J'espère que ce n'est pas un cas de fierté mal placée qui nous coûte plusieurs milliards de dollars.
M. Roots: Personne ne peut prédire l'avenir. Je crois par contre que certains des commentaires que j'ai essayés de faire se sont avérés. La réalité incontournable, c'est que l'échelle et le coût de l'économie du nord sont tels qu'elle est vouée à l'échec. Les lieux dont les coûts d'infrastructure sont très élevés ne peuvent rivaliser sur un plan purement économique avec ceux dont les coûts d'infrastructure sont inférieurs.
Vous avez tout à fait raison. Autrefois ce n'était pas comme ça parce que nos coûts d'infrastructure n'avaient pas pris cette proportion gigantesque. Nous avons décidé que toutes les régions du pays jouiraient du même bien-être social, de la même qualité de vie, des mêmes normes d'éducation, etc. Toutes les régions du sud du Canada ne sont pas également productives. Nous les conservons au nom de l'unité de la nation et c'est la nation qui y gagne.
Il est incontestable que les ressources minières du Nord seront exploitées parce qu'elles sont utiles au monde et à l'économie mais pas forcément parce que leur exploitation est rentable. Beaucoup de gens sont surpris d'apprendre que le gisement de pétrole de la baie Prudhoe en Alaska, un des gisements les plus importants des États-Unis, ne couvre pas ses frais d'exploitation. Mais grâce à ce pétrole, les voitures roulent et même si ce gisement doit être financé indirectement, il vaut la peine d'être exploité. C'est le même principe qui sous-tend les raisons géopolitiques de notre présence dans le Nord.
La valeur des régions éloignées d'un pays évolue rapidement dans le monde d'aujourd'hui et ne devrait pas être jugée sur de simples bases économiques. La richesse que confère au Canada la simple existence de cette culture inuit ou de cette culture dene est appréciée par tous les Canadiens et le sera de plus en plus mais pas pour sa valeur économique. À mon avis, c'est le genre de facteur qu'il faut prendre en compte dans l'équation.
L'autre aspect, selon moi, est celui de la durabilité dont il a été question tout à l'heure. Nous nous rendons compte de plus en plus qu'il nous faut limiter l'exploitation des ressources biologiques renouvelables. Elle continue néanmoins à avoir une très grande valeur. Il nous faut trouver le moyen de donner une beaucoup plus grande valeur au caribou et au renard argenté originaires de l'Arctique. Nous ne le faisons pas. Nous ne donnons pas plus de valeur à la viande de caribou qu'à la viande de boeuf ou au renard argenté qu'au renard d'élevage. Il nous faut faire la différence et penser à une nouvelle dimension si nous voulons augmenter la valeur de notre pays.
Il faut donc que notre système de valeurs change et s'éloigne de la simple compétition économique. C'est nécessaire car autrement, il faudra continuer à subventionner administrativement et économiquement les territoires. Merci.
Le président: Merci. Monsieur Fenge.
M. Fenge: Partant de durabilité, il est évident que, par définition, l'exploitation minière n'est pas durable. C'est une ressource finie. Il est donc probablement plus productif de situer ce débat au niveau du rapport économique.
Quel est le rapport économique de l'exploitation minière? Laissez-moi revenir sur les diamants puisque c'est la question du jour dans le Nord.
Il y a seulement quelques semaines, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a présenté un projet à un panel d'évaluation environnemental fédéral. Selon les hauts fonctionnaires du ministère, les ententes actuelles de droits et de fiscalité rapporteront environ 2,1 milliards de dollars au gouvernement pendant les 20 années d'exploitation de cette mine.
Au moment où je vous parle, ces ententes sont en train d'être modifiées. Le Cabinet envisage de modifier les ententes concernant les droits versés, et il est vraisemblable que la durée d'exploitation de cette mine dépassera largement les 20 ans. Cependant, ce qui devrait vous intéresser, c'est qu'interrogés par les membres du panel, les représentants du ministère ont reconnu qu'en vertu de l'ancienne formule Dene-Métis dans l'accord final maintenant périmé, les Autochtones qui vivent dans la région auraient perçu de 4,5 à 5 p. 100 du rapport économique ainsi généré. C'est dérisoire.
À mon avis, il faudrait que les retombées économiques de l'exploitation minière servent à subventionner et à financer les activités préexistantes d'exploitation des ressources renouvelables. En faisant preuve d'imagination, il est peut-être possible de faire financer l'exploitation des ressources renouvelables dont dépendent les Autochtones par les droits d'exploitation d'une ressource non renouvelable.
Le président: Merci. M. LeBlanc.
M. LeBlanc (Cap-Breton Highlands - Canso): Merci, monsieur le président.
J'aimerais m'intéresser tout particulièrement à une question soulevée par nos panelistes pour essayer de jeter un peu de lumière sur le problème des mécanismes institutionnels internationaux dans le Nord évoqués tout à l'heure par notre président.
Elle concerne la harde de caribous de la Porcupine dans cette région entre le Yukon et l'Alaska et le conflit virtuel entre la préservation des habitats de reproduction et l'exploitation des gisements de pétrole et de gaz dans la mer de Beaufort, ainsi que les problèmes de souveraineté entre le Canada et les États-Unis.
Dans un tel cas, il faut faire la part des choses entre le développement économique et la préservation de l'environnement. Quelles que soient les institutions qui seront responsables de l'exploitation du Nord, il faudra que leurs décisions prennent en compte l'environnement. Avons-nous les mécanismes internationaux nécessaires pour trouver des solutions à ce genre de problèmes ou bien manque-t-il quelque chose?
M. Penikett: Je pourrais peut-être répondre, ayant dû m'occuper certaines de ces questions dans mes fonctions antérieures.
Je dirais qu'une des choses qui manquent, c'est la participation directe du Nord. Souvent ces questions sont réglées entre Ottawa et Washington sans vraiment connaître les problèmes de terrain. Je crois qu'il y a eu dernièrement une petite amélioration dans la mesure où les Affaires extérieures ont facilité la participation au débat des politiciens autochtones et régionaux surtout au niveau du lobby à Washington.
Je vais reprendre vos deux exemples. Il y a d'abord la zone contestée riche en pétrole au large du Yukon et de l'Alaska. Cette contestation est le résultat de l'interprétation d'un traité de 1825 entre la Russie et la Grande-Bretagne.
Tout près, il y a la question des 1002 terres de la harde de caribous de la Porcupine, question très importante pour le peuple Gwich'in dont la survie dépend depuis des milliers d'années de cette harde. La dernière fois que j'ai vérifié elle comptait 180 000 têtes. La harde parcourt les Territoires du Nord-Ouest, traverse le Yukon et met bas dans la zone des 1002 terres. Du côté canadien de la frontière, nous avons proposé la création d'un parc national. De leur côté, il y a un refuge naturel qui n'a pas beaucoup de défenseurs dans le Congrès actuel.
Les habitants du Nord craignent depuis toujours que les pontes de Washington et d'Ottawa ne finissent par mettre toutes ces questions dans le même panier et fassent certains compromis sans tenir vraiment compte de leurs avis ou de leurs aspirations. J'en veux pour preuve le Traité du saumon où à la dernière minute le fleuve Yukon en a été exclu à l'énorme détriment des pêcheurs de cette région du Yukon. La moitié des saumons de cette rivière se reproduisent au Yukon, mais ce sont des Américains qui en pêchent le maximum. C'est une question qui n'a jamais été résolue. Dernièrement, il y a eu quelques progrès mais ça reste très difficile à résoudre.
Je crois qu'une des vertus du Conseil de l'Arctique, pour y revenir, pourrait ne pas être que ce conseil résolve ce genre de problèmes bilatéraux, mais que le niveau de connaissance, de sensibilité, de conscience et de compréhension développé institutionnellement par Ottawa à propos de ces questions en participant à ces tribunes ou aux instances d'un organisme de ce genre, serait d'être utile en sensibilisant à l'évolution, aux attentes et aux aspirations des peuples de la région, les diplomates responsables de ces négociations. Je doute que, dans le cas particulier de la harde de caribous, il n'y ait de solution possible sans participation pour commencer des Autochtones, deuxièmement des gouvernements régionaux de l'Alaska, du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest, et troisièmement, des nations.
M. Roots: J'ajouterais une simple petite note au commentaire de M. Penikett. Pour répondre à votre question sur la méthodologie, il n'y a pratiquement pas de mécanisme qui permette de régler sur une base multinationale les problèmes de conservation ou de préservation des ressources. Il y a déjà eu des essais avec les diverses commissions sur la pêche à la baleine, par exemple. Mais dans l'Arctique il y a un espoir qu'on n'a pratiquement jamais connu ailleurs. Je veux parler de la nomination par plusieurs pays, la Finlande, la Suède, et maintenant le Canada, d'ambassadeurs aux affaires circumpolaires qui peuvent faire les premières ouvertures de manière systématique à propos de questions qui ne relèvent pas directement de la compétence d'un ministère particulier mais qui touche le Grand Nord. Nous avons l'espoir que ce club en expansion, pourrait-on dire, d'ambassadeurs mettra à notre disposition un mécanisme jusqu'à présent inconnu de nous ou extrêmement rare ailleurs dans le monde où des questions de ce genre surgissent.
Le président: Merci.
[Français]
Madame Debien.
Mme Debien: Ma question s'adresse à M. Fenge.
Compte tenu de l'extrême vulnérabilité de l'environnement arctique, compte tenu du peu d'intérêt que manifestent pour l'environnement les grandes compagnies exploratrices, quelles qu'elles soient, compte tenu qu'à peine 4 p. 100 des recettes de tels projets d'exploration auraient été remises sous forme de redevances aux populations nordiques, pour permettre aux populations de l'Arctique d'avoir ces recettes, faudrait-il, dans un premier temps, détruire l'environnement pour ensuite leur permettre de l'améliorer?
[Traduction]
M. Fenge: Pour commencer, au CARC nous ne considérons pas que l'exploitation minière du Grand Nord entraînera inévitablement une destruction massive de l'environnement. Nous considérons que l'exploitation minière peut et doit se faire à condition de respecter des règles, des règlements, que sais-je, appropriés. L'expérience des 25 dernières années nous enseigne également que toutes les compagnies minières n'ont pas la même attitude. Par exemple, le projet de mine de diamants est proposé par Broken Hill Proprietary, filiale d'une énorme compagnie australienne. Je crois que cette compagnie et d'une manière générale est très sensible aux problèmes d'environnement, beaucoup plus peut-être que nombre des petites entreprises canadiennes.
Je ne suis donc pas tout à fait d'accord avec votre prémisse.
Deuxièmement, nous estimons nécessaire une répartition plus équitable des recettes dégagées par l'exploitation des ressources non renouvelables dans le Grand Nord canadien. C'est la raison pour laquelle le Comité canadien des ressources arctiques est, sur le principe, tout à fait favorable à des accords miniers et énergétiques entre Ottawa, Whitehorse et Yellowknife. Ils seraient l'instrument permettant cette meilleure répartition des recettes et à long terme ils favoriseraient une plus grande autonomie économique du Grand Nord, voire son autosuffisance économique.
[Français]
Mme Debien: Monsieur Fenge, la solution que vous nous proposez est la solution idéale. Je regarde actuellement l'ensemble de la planète et je voudrais vous faire remarquer que ce qu'on va remettre à nos enfants n'est pas tellement beau. Vous pensez qu'en l'espace de quelques années, on va réussir à assainir l'environnement par une réglementation, alors que les gouvernements tendent actuellement à diminuer leur réglementation environnementale.
Vous pensez qu'en développant des ressources non durables du Grand Nord, on va faire abstraction de toutes les expériences de pollution qu'on connaît actuellement dans le monde et que les gens vont spontanément adhérer aux grandes politiques que les gouvernements pourraient mettre en place. Vous savez très bien que les compagnies, surtout les grandes, disposent la plupart du temps de moyens très importants, entre autres financiers, pour contourner toutes ces lois et tous ces règlements.
[Traduction]
M. Fenge: Monsieur le président, je ne suis pas sûr de comprendre la question.
[Français]
Mme Debien: Vous nous proposez une solution idéale sur laquelle je voudrais bien être d'accord, mais quand je regarde ce qui se passe actuellement, je suis un peu pessimiste.
[Traduction]
M. Fenge: Je vous comprends. Votre argument est tout à fait valide, les agences gouvernementales ont de plus en plus de mal à faire adopter des règlements pour défendre le bien public. Il est certain que c'est une tendance qui nous inquiète.
Les audiences d'évaluation environnementales auxquelles nous venons de participer dans le Nord nous ont clairement montré que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien souffrait d'une réduction, de compressions budgétaires alors que les perspectives d'exploitation minière deviennent de plus en plus réelles et de plus en plus importantes dans la région géologique du Lac des Esclaves, au nord de Yellowknife. Vous avez mis le doigt sur un problème très réel.
[Français]
Mme Debien: Merci.
[Traduction]
Le président: Avant de passer au suivant, j'aimerais que vous jetiez un coup d'oeil sur la résolution qu'on est en train de nous distribuer. Il faut absolument que je fasse approuver ce budget cette semaine. Il semble que pour le voyage dans l'Est, à cause des moyens de déplacement, l'avion nous coûtera 4 000 $ de plus que ce qui était prévu dans le budget. Si j'ai bien compris la greffière, cela ne concerne que l'Est.
Ensuite, à cause de problèmes à la Chambre, il a fallu que les deux voyages se déroulent deux semaines différentes. Ainsi nous n'aurons pas autant à nous battre avec nos whips pour obtenir leur autorisation.
Je demande aux témoins de nous excuser un instant pendant que j'essaie de régler ces petits problèmes internes car je crains qu'avec l'heure du déjeuner nous ne perdions le quorum.
[Français]
Monsieur Bergeron.
M. Bergeron (Verchères): Monsieur le président, pour le bénéfice de mes collègues, la traduction française comporte peut-être deux erreurs que j'aimerais porter à votre attention.
À la troisième ligne, on dit: «dans la région de l'Arctique de l'Est aura lieu», ce serait plutôt «ait lieu».
À la quatrième ligne, on devrait dire «le budget de déplacements soit augmenté de 4 000 $ pour un total de 135 553 $» et non pas «par 4 000 $».
Le président: Très bien. Vous mettez plutôt le subjonctif?
M. Bergeron: Ce n'est pas «aura lieu». On ne peut pas proposer que la réunion «aura lieu»; on peut proposer qu'elle «ait lieu».
Le président: D'accord. Merci.
[Traduction]
Quelqu'un pourrait-il proposer cette motion afin que nous puissions en débattre?
M. LeBlanc: Moi.
M. Morrison: Je crois qu'avec ce changement de date vous n'aurez peut-être pas besoin d'augmenter votre budget car à ces nouvelles dates je ne serai probablement pas libre. Je m'en faisais toute une joie mais maintenant je ne pourrai probablement pas. Ces 4 000 $ supplémentaires ne seront donc peut-être pas nécessaires. Je ne sais pas. Je suppose que vous n'êtes pas tenu de dépenser tout cet argent.
Le président: Non. Exactement. Il sera à notre disposition en cas de besoin mais nous ne le dépenserons certainement pas si ce n'est pas nécessaire.
Il est possible qu'il faille noliser un avion, auquel cas que nous soyons six ou cinq ne changera rien.
Je m'excuse du changement de date. Nous pensions faciliter les choses à certains membres et à la Chambre ce faisant. Je suis donc désolé que cela désavantage certains membres. J'avais cru comprendre...
M. Morrison: Certains d'entre nous planifient à long terme.
Le président: Je m'excuse mais d'après la greffière votre bureau nous avait informé que vous seriez libre cette semaine-là.
M. Morrison: Que je serais libre cette semaine-là?
Le président: Oui.
M. Morrison: Comment peuvent-ils le savoir? Ils ne connaissent pas mon programme pour cette semaine.
Le président: Non?
M. Morrison: Non.
Le président: Grand Dieu! C'est mon bureau qui règle ma vie. Dans votre cas, c'est vous? Nous devrions peut-être faire un échange...
M. Morrison: Quand vous dites «mon bureau» vous voulez dire mon bureau ou le bureau du caucus?
Le président: Votre bureau.
M. Morrison: Je crois qu'il y a eu une petite erreur de transmission.
Le président: Je m'excuse. Nous faisons de notre mieux pour satisfaire tout le monde et nous pourrons en rediscuter plus tard.
Voulez-vous adopter cette motion?
La motion est adoptée
Le président: Comme vient de le dire M. Morrison, nous ne dépenserons certainement pas cet argent si nous n'en avons pas besoin.
Je vous remercie infiniment. Je m'excuse d'avoir interrompu l'audience de nos témoins.
J'aimerais, avec votre permission, poser une petite question complémentaire suite aux réponses de M. Penikett et de M. Roots, aussi. Permettez-moi de commencer par un petit préambule.
Notre comité est confronté dans le domaine de l'environnement international au déficit démocratique comme l'appellent les Européens, au fait que dans une société mondialisée, comme l'a qualifié M. Roots, les décisions sont maintenant prises au centre et la majorité d'entre nous estiment que dans le monde d'aujourd'hui nous ne sommes plus au centre. Je suis de Toronto mais souvent j'ai l'impression que les décisions sont prises à Washington ou très loin ailleurs et que Toronto qui, si nous croyons nos propres discours, est la locomotive économique du pays, n'exerce que peu ou pas de contrôle du tout sur notre propre destinée.
Il est donc peut-être compréhensible que ceux qui pêchent dans le fleuve Yukon estiment n'exercer aucun contrôle sur certains des compromis négociés.
En revanche, c'est le bien-être global et mondial qui doit avoir la priorité. Cela nous ramène à la question de M. LeBlanc: quelles sont les institutions qui nous permettront de le garantir?
À propos de la harde de caribous, mon problème n'est pas de savoir si oui ou non la voix de la démocratie locale sera entendue car M. Murkowski que j'ai rencontré et à qui j'en ai parlé m'assure être la voix démocratique de l'Alaska et être en faveur de l'exploitation des ressources. Que faire alors dans un tel cas? Malheureusement, il se trouve que les ressources à exploiter se trouvent de son côté et non pas du nôtre.
Nous essayons dans ce comité d'imaginer le genre d'institution nécessaire ou tout du moins les structures nécessaires. On m'a dit, par exemple, qu'il est fort peu vraisemblable qu'un plus grand degré d'autonomie soit accordé aux Autochtones du grand Nord de l'Union soviétique. Nous avons pour tâche de trouver le moyen de faire participer à cet exercice l'Alaska, l'Union soviétique et tous les autres concernés tout en tenant compte de la réalité du problème général de déficit démocratique.
Si nous voulons une solution internationale à ces problèmes, il faut que les membres du comité et que le public canadien comprennent que ce faisant nous plaçons ces questions à un niveau de décision international qui les éloigne obligatoirement encore plus de la famille de M. Flis. Pour résoudre ces problèmes il faut une solution internationale mais ce faisant la voix de la famille deM. Flis devient de plus en plus inaudible.
Je me demande simplement comment nos responsables voient l'évolution à ce niveau particulier de la coopération arctique internationale. Je sais que c'est un énorme problème. En Europe il y a tout le problème de l'évolution de l'Union européenne. Au niveau du GATT, il y a tout le problème de son évolution. Je ne demande donc pas de réponse absolument limpide à ce genre de question mais j'espère que ce rapport nous permettra d'y voir un peu plus clair.
Si ce rapport est suffisamment clair et suffisamment bon, nous arriverons peut-être à persuader nos collègues alaskiens, scandinaves et russes de réfléchir dans les mêmes termes. En soi ce pourrait être notre contribution la plus importante, car si nous arrivions à proposer une structure qui incite les autres gouvernements de la région à s'intéresser...
M. Fraser: Si vous, député de Toronto, vous sentez loin du centre de...
Le président: J'ai parlé de centre de décision, et non pas du centre du monde. Je sais que le centre du monde est en plein milieu de ma circonscription de Rosedale. Simplement, les décisions sont prises ailleurs.
M. Fraser: Si vous vous sentez loin du centre de décision, en habitant Toronto, imaginez les sentiments des habitants de Tuktoyaktuk.
Le président: Exactement.
M. Fraser: Ce que je disais tout à l'heure c'est que la majorité des questions dont nous parlons ne relèvent pas vraiment, comme certains le diraient, de la politique étrangère mais de la politique intérieure. Je crois donc qu'en réalité il nous faut une politique forte et globale de l'Arctique canadien avec une composante de politique étrangère.
Je crois également que sur le plan international et dans le monde circumpolaire notre pays se débrouille très bien; il se débrouille beaucoup mieux depuis quelques années grâce à la mise en place de la Stratégie de la protection de l'environnement arctique, à la nomination d'une ambassadrice pour l'Arctique, et aux travaux visant à l'établissement du Conseil de l'Arctique. L'objectif est de coordonner nos efforts sur le plan international dans le monde circumpolaire. Par contre nous n'avons pas consacré autant de temps à la coordination de notre effort national dans l'Arctique.M. Roots l'a évoqué. Le problème n'est pas que nous ne faisons pas bien les choses ou que nous ne réfléchissons pas assez ou que nous ne nous attaquons pas aux vrais problèmes mais que nos efforts ne sont pas coordonnés. Il faut que tous ces efforts soient liés.
Enfin, à propos de la famille prise en exemple, celle de M. Flis, il est évident que le chef de famille, dans ce cas le père, a deux fois raison. Il envoie un de ses enfants apprendre à chasser et à poser des pièges et il envoie les autres à l'école car la survie des communautés du Grand Nord ne dépendra pas obligatoirement du développement économique pas plus qu'elle ne dépendra exclusivement de la chasse, du piégeage et d'une économie de subsistance. Il faudra combiner les deux. C'est ce que fait cette famille et c'est ce que font la majorité des familles autochtones du Grand Nord. Elles s'en rendent compte elles-mêmes.
Ce qui se passe dans le Grand Nord n'est pas différent de ce qui s'est passé dans les Maritimes ou dans l'ouest canadien et de qui continue à se passer. Je suis de la Nouvelle-Écosse. Lorsque j'allais à l'école, moi-même et la moitié de mes camarades savions que le jour où nous aurions terminé nos études il nous faudrait quitter la ville car il n'y avait simplement pas suffisamment d'emplois pour nous tous. C'était la réalité quotidienne en Nouvelle-Écosse pendant les années 1950 et c'est toujours la réalité dans ces communautés. C'est la réalité dans maintes petites communautés du pays. Dans le Grand Nord nous allons vivre la même chose: les enfants du Nord feront des études et trouveront leur place quelque part ailleurs dans le pays alors que d'autres devront rester sur place et vivre de l'économie locale de ces communautés.
Je m'en tiendrai à cela mais ce qu'il faut selon nous, pour résumer, c'est une politique nationale de l'Arctique dont le volet de politique étrangère soit bien articulé.
M. Penikett: Monsieur le président, ce problème du déficit démocratique dont vous avez parlé comporte diverses facettes et il peut être abordé de diverses façons. Certains membres de collectivités Gwich'in de l'Arctique de l'Alaska vont certainement faire valoir que Frank Murkowski n'exprime pas leur avis sur cette question.
Le président: Je connais certaines personnes de la circonscription de Rosedale qui en diraient autant à mon sujet. Telle est la démocratie.
M. Penikett: Je trouve cela étonnant, monsieur le président.
Le président: Venez avec nous et vous ne serez pas étonné.
M. Penikett: Les délégations du Nord qui sont allées aborder cette question à Washington ont, pour la plupart, bien veillé à faire savoir qu'elles ne souhaitaient pas contester le droit des Américains de prendre leurs propres décisions en matière de politique énergétique même si, comme le laisse entendre M. Roots, elles sont anti-économiques.
Nous avions déjà une entente selon laquelle les deux pays s'engageaient à protéger la harde de caribous de la Porcupine et c'est de cela - l'un des types d'instruments dont vous proposez la mise au point - que nous avons voulu discuter avec les décideurs américains. Un tel esprit de partage des responsabilités est tout à fait essentiel pour assurer le développement durable dans le Nord. En effet, nous ne pouvons pas, dans une juridiction donnée, prendre une décision qui en touche d'autres sans la participation des intéressés, pas plus que nous pouvons lier des générations futures par nos décisions.
Je tiens à souligner à nouveau à quel point certaines des nouvelles institutions qui sont envisagées, comme le Conseil de l'Arctique, vont être tout à fait indispensables. J'ai eu le rare plaisir d'échanger avec le sénateur Stevens, collègue de Frank Murkowski pour ce qui est de ces questions, et j'ai alors pu constater que certaines des assertions que faisait le sénateur Stevens au sujet du Canada étaient sans fondement.
Le président: L'intuition joue un rôle important en politique.
M. Penikett: J'en parle pour souligner à quel point, alors que nous commençons à établir des liens Est-Ouest dans le Nord, nous avons encore beaucoup à apprendre les uns sur les autres, au sujet des rapports les uns avec les autres, et au sujet des solutions possibles aux questions qui vous intéressent. J'ai bien l'impression qu'en dépit de vos conversations avec le sénateur Murkowski, il y a eu jusqu'à maintenant beaucoup de lobbying sur la question mais peu de véritable dialogue, jusqu'à maintenant. Cela viendra peut-être un jour.
Et cette question n'est pas la seule; il y en aura plusieurs autres. Je crois qu'il nous faut une structure institutionnelle. Il nous faut des moyens de faciliter le dialogue.
Le président: En effet, je suis d'accord. Merci beaucoup, monsieur.
Monsieur Roots.
M. Roots: Votre commentaire selon lequel Toronto est le centre m'a frappé. En 1987, lorsque je me suis rendu au pôle Nord pour la première fois, nous avons mis pied à terre et nous nous sommes tenus debout sur la glace, au pôle Nord. Nous nous disions, à ce moment-là, que nous étions au centre de la Terre. C'était d'ailleurs un peu vrai, jusqu'à un certain point, puisque, si les conditions climatiques s'étaient détériorées dans le Nord canadien, à Alert d'où nous avions décollé, l'endroit le plus proche où nous aurions pu nous rendre, compte tenu de notre réserve de carburant, aurait été Dikson, en Sibérie du Nord.
Je suis convaincu qu'il n'est pas possible de parler de questions intérieures et de questions internationales en ce qui vous concerne puisque les diverses questions sont intégrées. Elles ne peuvent être morcelées. Dans la mesure où le Canada souhaite avoir un objectif cohérent par rapport au Nord, voire une politique, et s'achemine vers cet objectif, il me semble qu'il y a beaucoup à apprendre des expériences des autres pays circumpolaires, étant donné que les conditions y sont très semblables même si les réalités politiques peuvent être différentes. Il y a des similitudes comme le multiculturalisme, l'économie et la protection de l'environnement. Également, certaines erreurs ont été commises et certaines leçons ont été tirées.
Permettez-moi de signaler à vos recherchistes que le livre que Tony a en main leur serait extrêmement utile. Il s'agit d'un livre publié il y a quelques mois par le Tampere Peace Research Institute - que vous connaissez peut-être, Jim. Il traite des effets sur la frange septentrionale de l'Europe du phénomène de l'intégration économique et les compare aux effets de l'ALENA sur les régions arctiques canadiennes.
Également, toujours dans l'optique des relations internationales, je vous signale une petite brochure récente publiée par le Conseil des ministres des pays nordiques au sujet du programme de coopération dans la région de l'Arctique, adoptée par les ministres en février dernier, en préparation aux discussions concernant le Conseil de l'Arctique.
Il est utile de savoir dans quelle optique les dirigeants gouvernementaux abordent ces questions. Il est également fort utile de savoir ce qui se fait plus près du citoyen.
M. Penikett a parlé du Forum nordique. Cet organisme a pratiquement été obligé de changer d'optique pour ce qui est des rapports qui doivent exister entre les questions environnementales qui intéressent les milieux d'affaires, le monde de l'enseignement et les groupes communautaires et la politique des divers paliers de gouvernement.
Il y a également lieu d'évaluer la nécessité d'un accord international qui tiendrait compte des échanges croissants de populations inuit entre l'île d'Ellesmere et le Groenland. Ces déplacements dépendent plutôt des glaces favorables que des autorisations de diplomates. On trouve du matériel et même des produits commerciaux assez exotiques dans les magasins de l'île d'Ellesmere. Allez donc savoir comment ils ont abouti là!
Est-ce à encourager ou à proscrire? Il me semble que, pour assurer un bon fonctionnement, les paliers supérieurs de gouvernement doivent se garder de toute intervention excessive.
Si votre comité est en mesure de constater que les échanges existent à divers paliers et de reconnaître que, dans les régions septentrionales, les échanges Est-Ouest sont souvent plus faciles même s'ils peuvent être plus coûteux et moins intenses - que les échanges Nord-Sud, il aura joué un rôle utile.
Le président: Merci. J'ose croire, M. Roots, que vous ne recommandez pas que certaines parties de votre témoignage ne soient pas transmises au ministère du Revenu. Nous allons tenir compte de tous les témoignages lors de nos audiences. Merci beaucoup.
M. Fenge.
M. Fenge: Au cours des dernières années, la chose est évidente, nous avons assisté à un rééquilibrage important des relations Nord-Sud. Il s'agit là d'une réalité fondamentale qui prend diverses formes: discussions constitutionnelles, dévolution, revendications territoriales, négociations visant les droits des traités, négociations visant la mise en oeuvre du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, etc.
Même si nous déplorons souvent que les décisions semblent se prendre de plus en plus loin de nous, nous ne devons pas perdre de vue que des pouvoirs importants ont été transférés vers le Nord au cours des dernières années. Voilà qui est de bon augure, selon moi.
En deuxième lieu, je puis vous dire que le rééquilibrage en cours au Canada a suscité un intérêt considérable chez les Autochtones du nord de la Scandinavie et de la petite partie du nord de la Russie que j'ai pu visiter. J'espère bien que votre comité aura l'occasion de se rendre dans le nord de la Russie et d'échanger avec certains des Autochtones qui y vivent.
Par exemple, j'ai passé près d'une dizaine de jours, il y a de cela un an et demi, avec les Sami de la péninsule de Kola, la région la plus militarisée de la Russie septentrionale. Les gens là-bas avaient une vague idée de ce qui se passait au Canada, mais ils souhaitaient en savoir beaucoup plus.
Les ententes qui sont en voie de mise en vigueur au Canada en matière de gestion coopérative et de rééquilibrage mériteraient peut-être d'être exportées.
Je suppose qu'un certain nombre d'entre vous ont lu le Globe and Mail dernièrement et les déclarations attribuées au premier ministre lors de sa participation à la réunion du G-7 au sujet d'Alexander Nikitin, l'écologiste qui est incarcéré à l'heure actuelle. Cette personne, d'après ce que j'ai pu comprendre, dénonce des situations scandaleuses.
J'invite le comité à discuter de la question et peut-être à adopter une résolution à l'appui de ce monsieur. La résolution pourrait peut-être reprendre certaines des paroles du premier ministre, selon lesquelles le Canada l'invite à venir s'établir chez nous. Merci.
Le président: Merci beaucoup. Pour ce qui est de votre dernier commentaire, nous sommes, de toute évidence, sur la même longueur d'ondes. J'avais justement eu la même idée et j'allais en parler aux membres du comité. Il semble bien que certains des commentaires qu'il a faits au cours de son entrevue d'immigration se soient retrouvés dans des dossiers de police, ce qui lui a valu d'être incarcéré. Dans la mesure où la chose est vraie, c'est tout à fait absurde. Je crois que notre comité pourra peut-être jouer un rôle utile dans ce cas. C'est une excellente proposition. Nous allons l'étudier.
Permettez-moi de dire quelques mots pour terminer la séance. Je tiens à remercier tous les députés d'avoir alimenté notre réflexion sur cette question de leurs excellentes contributions.
Je crois que le rapport à l'étude sera parmi les plus importants du comité. Il y a tellement à apprendre, et non pas seulement sur les régions septentrionales de notre propre pays, comme vous le dites. Je crois que nous devons nous déplacer vers les autres pays arctiques, et nous avons l'intention de le faire. Dans un cas comme dans l'autre nous avons l'intention d'apprendre.
Nous allons tenter de trouver des solutions qui sont, en quelque sorte, universelles. À divers égards, ces solutions transcenderont la réalité du Nord. Si nous sommes en mesure de résoudre certains problèmes qui concernent le Nord, tout au moins celui du rapport entre la politique intérieure et la politique étrangère, nous serons mieux en mesure de comprendre ce qu'il faut faire dans d'autres domaines.
Dans une perspective internationale, le problème de la pollution des Grands Lacs - qui sont, pour moi, plus proches que l'Arctique - ne diffèrent pas tellement des problèmes qui concernent le Nord. Les problèmes ne sont pas les mêmes, mais en définitive, les réalités humaines et institutionnelles ont tendance à se recouper. Par ailleurs, nous devons trouver des solutions dans le respect de la diversité.
Merci beaucoup à tous d'une entrée en matière stimulante à notre étude. Nous vous sommes reconnaissants et nous aurons peut-être d'ailleurs l'occasion de faire appel à vous à nouveau dans le cadre de nos travaux.
Avant de lever la séance, je tiens à signaler certains points à l'attention des membres du comité.
Le jeudi 25 avril - le jeudi qui vient - nous allons rencontrer un groupe de dirigeants religieux du Nigeria. Cela a rapport aux questions que nous avons posées au sujet de Shell et du Nigeria et à notre recommandation au ministre concernant la conférence du Commonwealth. Nous allons donc partager le travail entre les équipes A et B et vous aviser en conséquence.
En deuxième lieu, lundi le 29 avril, un dissident chinois important qui a lancé le mouvement démocratique en Chine et qui a été incarcéré au cours des 14 dernières années sera à Ottawa. Il est parrainé dans sa tournée des États-Unis par la Fédération pour une Chine démocratique. Compte tenu de l'intérêt que suscite la Chine, je vais organiser une rencontre entre les membres du comité et Wei Jinjshang, qui a été libéré.
Troisièmement, le jeudi 9 mai, entre 11 heures et midi, sir Patrick Mayhew, secrétaire d'État pour l'Irlande du Nord, et qui, à ce titre, a participé directement aux négociations visant l'Irlande du Nord, sera en mesure de rencontrer le comité. Une rencontre sera donc organisée.
Enfin, une délégation de défenseurs des droits de la personne dans le cadre d'un colloque international d'ONG sur l'Indonésie sera ici le 28 mai. Nous allons également organiser cette rencontre.
Comme d'habitude, notre programme est fort chargé. Nous allons cependant tenter de rendre les choses plus faciles aux députés en partageant les activités de sorte que tous les membres du comité n'auront pas à être tous ici en même temps.
Merci de votre participation. Encore une fois, au nom du comité, je tiens à remercier les témoins de leurs propos extrêmement utiles.
La séance est levée jusqu'à 15 h 30 demain.