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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 10 juin 1996

.1641

[Français]

Le président: J'aimerais accueillir au comité M. Enrique ter Horst, représentant spécial du secrétaire général en Haïti. Je crois comprendre que vous avez préparé un texte et que vous serez disposé à répondre aux questions du comité par la suite.

Merci beaucoup d'être venu et bienvenue.

[Traduction]

Si vous voulez bien commencer, monsieur, nous passerons ensuite aux questions.

[Français]

M. Enrique ter Horst (représentant spécial du secrétaire général en Haïti): Merci beaucoup. Je suis très heureux d'être ici cet après-midi. Je suis très honoré d'avoir cette chance de vous présenter quelques commentaires sur la situation haïtienne.

[Traduction]

Je crois que le texte que j'ai préparé vous a été remis. Je vais donc me contenter d'aborder un certain nombre de questions sans vous ennuyer avec la lecture d'un texte que vous avez déjà.

J'insiste sur le fait qu'actuellement Haïti est en train de tourner la page. Depuis très longtemps ce pays est marqué par la violence et l'absence d'institutions. En particulier au cours des quatre dernières années, des 29 ans du régime Duvalier et des 10 ans de régimes militaires successifs et d'instabilité, ce pays n'a cessé de régresser au moment où le reste de l'Amérique latine, malgré tous ses problèmes, continuait de faire des progrès.

Aujourd'hui Haïti est à la croisée des chemins, ce qui lui ouvre des perspectives exceptionnelles. Le président Préval fait tout son possible pour saisir l'occasion qui lui est offerte. Son défi est immense: il doit instaurer et garantir la stabilité et la démocratie tout en pratiquant des politiques budgétaires avisées.

Après-demain, à Washington, le ministre des Finances signera avec le FMI un accord, qui sera ensuite étudié par le conseil d'administration, une fois que le Parlement d'Haïti aura approuvé un certain nombre de lois permettant l'application de l'accord.

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L'objectif principal de la mission de maintien de la paix à ce stade-ci est double. Il faut d'abord aider le gouvernement haïtien à créer un climat stable et sûr et, ensuite, créer une police de métier. Dans un certain sens, il s'agit des deux côtés de la même médaille. En effet, plus la police civile remplira ses fonctions avec professionnalisme, moins la présence militaire sera indispensable. À l'heure actuelle, il y a 300 policiers civils et 1 900 militaires, et environ 100 policiers canadiens. Il y a 100 policiers français tandis que les autres viennent d'un certain nombre de pays, le Mali étant le troisième contingent par ordre d'importance.

Du côté militaire, vous savez, je crois, qu'il y a trois contingents: canadien, pakistanais et bangladeshi. Le contingent canadien compte plus de 700 soldats, les contingents pakistanais et bangladeshi, 525 chacun.

[Français]

La composante militaire canadienne jouit, comme le Canada en général, d'une très grande sympathie en Haïti, comme vous le savez. Les liens entre les deux pays sont très étroits et datent de très longtemps. Il n'y a pas de doute qu'Haïti et les Haïtiens ont toujours su qu'ils pouvaient compter sur le soutien du Canada à la cause de la démocratie.

Très tôt après le coup d'État en 1991, le Canada était présent comme l'un des piliers du soutien international au président Aristide, comme vous le savez très bien, et en faveur de son combat pour le retour de l'ordre constitutionnel. Nombre d'initiatives sont dues au gouvernement de votre pays et à ses représentants sur place, qui ont toujours défendu dans les organisations internationales les intérêts du peuple haïtien.

Dans mon texte figure aussi une liste des forces de police canadiennes qui sont présentes sur place: la Sûreté du Québec, la Police provinciale de l'Ontario, le Service de la police de la Communauté urbaine de Montréal, le Service de police régional d'Ottawa-Carleton, le Service de police d'Aylmer, le Service de police de Gatineau-Métro et le Service de police de Brossard, en plus de la Gendarmerie royale du Canada qui, naturellement, fournit le plus gros du contingent policier canadien.

Je vais passer directement à la fin du texte puisque nous avons commencé un peu tard, pour qu'on puisse profiter de la période de questions.

Je voudrais terminer en disant qu'il y a maintenant cette chance de pouvoir avancer sur la route de la démocratie et du développement.

[Traduction]

Deux obstacles apparemment insurmontables ont été franchis. J'en ai parlé au début: les 29 ans de la dictature Duvalier et le fait que les forces armées, qui s'étaient presque transformées en association de malfaiteurs dans ce pays - et je n'hésite pas à employer cette expression - ont été démobilisées, ce qui a permis d'affecter les très rares ressources du pays au développement. C'est ce qui a sans doute écarté la principale menace de l'instauration de la démocratie.

Pour effectuer cette transition, il faudra une collaboration étroite avec la communauté internationale. Sous cet angle, les liens de longue date du Canada avec Haïti continueront d'être essentiels.

Alors que d'autres pays sont sollicités pour qu'ils apportent leur aide et partagent le fardeau au cours des prochaines années, je tiens à profiter de l'occasion qui m'est offerte d'exprimer à nouveau publiquement la profonde reconnaissance de l'ONU pour l'aide généreuse et éclairée du Canada dans cette opération destinée à aider Haïti à retrouver son aplomb.

Merci beaucoup, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur ter Horst.

Madame Debien.

.1650

[Français]

Mme Debien (Laval-Est): Monsieur ter Horst, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue à notre comité et bon après-midi. J'ai deux courtes questions d'information et je souhaiterais en particulier avoir votre opinion sur l'une d'elles.

Certains fonctionnaires du gouvernement canadien nous ont dit qu'il faudrait à peu près cinq ans pour réussir à former un corps policier haïtien professionnel. Qu'en pensez-vous?

Ma deuxième question concerne le groupe à qui le Canada a donné de la formation dans le cadre de son programme à l'intention des jeunes Haïtiens qui désiraient apporter leur contribution à la restauration de la démocratie en Haïti. Puisque la Constitution haïtienne ne permet pas que des policiers d'autres pays, qui ne sont pas citoyens haïtiens, exercent leurs fonctions de policiers en Haïti, ces jeunes n'ont pas pu exercer leurs fonctions.

Plusieurs d'entre eux sont revenus très déçus d'avoir suivi une formation qu'ils ne peuvent mettre en pratique. Je sais que des pourparlers ont eu lieu avec des fonctionnaires, ce que pourra confirmer mon collègue. Il semble aussi que des pourparlers aient eu lieu entre certains députés et ministres haïtiens en vue de tenter de donner des affectations aux jeunes qui sont restés là-bas.

J'ignore si vous possédiez cette information, mais j'aimerais, dans un premier temps, que vous répondiez à ma première question en ce qui concerne la formation d'un corps de police haïtien professionnel.

Étiez-vous au courant du problème que je soulève dans ma deuxième question? Comment pourrait-on le régler?

M. ter Horst: Merci beaucoup, madame. Il existe un programme de développement institutionnel de la police établi pour cinq ans. Jusqu'ici, nous avons mis au point les détails des 18 prochains mois. Ce programme se divise, pour ainsi dire, en quatre chapitres: la formation, les opérations, la gestion humaine et l'équipement.

Heureusement, le Canada, la France et les États-Unis ont tous les trois confirmé leur soutien à ce programme de cinq ans. Il faut tout de même séparer l'aspect assistance technique, qui sera probablement nécessaire pendant cette période de cinq années, de l'opération du maintien de la paix qui est présente en Haïti en ce moment.

En d'autres mots, l'opération du maintien de la paix ne devra pas nécessairement rester sur place pendant cinq années, jusqu'à ce que la police soit entièrement établie. Le but de ce programme est qu'on ait, après cinq ans, non seulement une police d'Amérique latine, mais une des meilleures polices d'Amérique latine.

En ce moment, la composante militaire, en plus d'assurer, avec le gouvernement, ce climat sûr et stable, est là pour protéger un nombre assez important de policiers civils des Nations unies, qui sont au nombre de 300 comme je le disais au début.

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La plupart de ces policiers devraient être sur place jusqu'à la fin de l'année. On pourra probablement constater une faible réduction au début de l'année prochaine et continuer la formation de la police après la mi-1997 jusqu'à la fin de 1997 avec moins de 100 policiers des forces internationales en tout. Je suppose donc qu'en répartissant à un tiers pour le Canada, un tiers pour la France et un tiers pour les autres contingents, on pourra continuer la formation de la police et le soutien technique avec quelque 35 ou 40 policiers canadiens après juillet de l'année prochaine.

La situation des jeunes Haïtiens qui ont été formés à Regina s'explique du fait que ce n'est que depuis mars que la police haïtienne a un directeur général qui commence à prendre les choses en main. Avant mars, toutes sortes de groupes s'étaient formés: il y avait les anciens membres des forces militaires, les jeunes qui sont entrés directement en Haïti et les jeunes qui ont été formés au Canada. Malheureusement, ces jeunes - je n'utiliserai pas le mot «clique», bien qu'en quelque sorte il s'agisse d'une clique - , unis par un sentiment de solidarité, ont constitué, au sein de la police, un groupe qui se sent parfois victime de discrimination. C'est vrai que l'appartenance a parfois été utilisée pour les écarter ou pour leur rendre la vie plus dure.

C'est une situation dont la nouvelle direction générale de la police est consciente. Elle est décidée à garder tous les bons policiers, peu importe d'où ils viennent, et j'ai toutes les raisons de croire que bon nombre des policiers qui ont été formés à Regina et qui sont des policiers très valables seront intégrés à la police.

Le président: Merci.

[Traduction]

Monsieur Mills.

M. Mills (Red Deer): J'aimerais vous poser une série de questions. Je vais les énumérer toutes et je crois que vous pourrez combiner certaines réponses.

Ma première préoccupation, c'est qu'il existe environ 75 familles très fortunées à Haïti à l'heure actuelle, qui ne participent nullement à la reconstruction du pays. Pour la suite des événements, cela est très important.

Deuxièmement, pour moi, les problèmes à Haïti ne pourront se régler que sur plusieurs générations. Quatre-vingt cinq pour cent de la population est analphabète, il n'y a pas de classe dirigeante et on ne fait que commencer à former des magistrats.

Troisièmement, le retour à la dictature semble imminent.

La force policière que je vous ai entendu décrire et celle que j'ai vue font deux. Moi, j'ai vu une soixantaine de policiers retranchés dans leur baraquement et ce n'est qu'après les avoir implorés que deux d'entre eux ont accepté d'effectuer une patrouille de nuit, tellement ils avaient peurs d'être assassinés. J'ai vu des policiers qui ne portaient plus leur uniforme parce qu'ils n'avaient reçu de paye depuis six semaines. J'ai vu des policiers à qui on a fait un tas de promesses mais qui se sentent trahis par leurs supérieurs.

Quatrièmement, j'aimerais savoir où en sont les négociations avec la Chine pour voir s'il est effectivement possible que l'ONU mette fin à sa présence à Haïti après le 30 juin. La question qui se pose ensuite est de savoir quel pays et combien de membre de l'OEA participeront à l'opération, et quelle sera leur contribution financière?

.1700

M. ter Horst: Voyons d'abord si je peux regrouper ces questions.

Il est certain qu'il y a encore un certain nombre de Haïtiens très fortunés qui ne sont pas entièrement convaincus, pour employer une expression diplomatique, de la nécessité d'investir dans leur pays à ce moment-ci. Néanmoins, le processus de réconciliation progresse. Le président Préval fait des efforts immenses pour rallier ce groupe de la population à sa cause.

La conclusion avec le FMI et la Banque mondiale d'un accord sur un programme d'adaptation augure bien pour l'avenir, en ce sens que cet attentisme cédera la place rapidement, je l'espère, à un contexte où tous les Haïtiens commenceront à croire en leur pays.

Comme vous, je pense qu'il s'agit ici d'un effort à long terme qui pourra durer le temps d'une génération, peut-être moins. J'ajouterai que cet effort exigera l'aide ininterrompue de la communauté internationale jusqu'à ce que s'installe une véritable dynamique de développement.

Nous travaillons actuellement à l'ONU à la mise en place d'un effort à long terme qui prendra en quelque sorte le relais de l'opération de maintien de la paix et qui réunira entre 20 et 25 pays de la région et du monde industrialisé pour assurer la continuité et aider Haïti à tourner la page de façon irréversible.

Pour ce qui est de l'éventuel retour de la dictature, personnellement, je n'entrevois rien de pareil dans un avenir rapproché.

L'armée a été démobilisée. Sur 6 000 soldats, 4 000 ont appris un nouveau métier. Il s'agit maintenant évidemment de redresser l'économie pour qu'ils puissent trouver un emploi rémunérateur. Nous lançons aussi un programme qui fournira des crédits aux anciens soldats pour leur permettre de créer des micro-entreprises et les aider à gagner leur vie sans devoir recourir à la violence.

Pour ce qui est de la situation actuelle des forces policières, la description que vous avez donnée est fidèle à la réalité. Cela ne fait pas de doute. À l'heure actuelle, entre le directeur général, son état-major immédiat et les policiers du rang, il n'y a pas d'officiers intermédiaires, ou presque. Nous avons commencé une formation accélérée de cinq semaines. Nous avons actuellement45 commissaires qui ont suivi une formation théorique de trois semaines et une formation pratique de deux semaines et qui devraient être déployés dans tout le territoire au cours des deux prochaines semaines.

Parallèlement, nous aurons mis en place d'ici à la fin du mois un réseau complet de télécommunications qui permettra au quartier général d'être en communication avec tous les commissariats de l'arrière-pays.

Le gouvernement des États-Unis ainsi que l'ONU ont déjà fourni et continueront de fournir un peu plus de 200 véhicules qui viendront compléter le parc qui a été reçu au cours des 18 derniers mois.

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Nous mettons sur pied des ateliers de réparation et facilitons également une collaboration plus étroite entre notre propre police civile et ces nouveaux commissaires qui seront en poste avant la fin du mois. Ils participeront ensemble à un colloque de cinq jours - qui s'adresse tout particulièrement aux futurs commissaires - à la suite duquel ils pourront retourner chez eux empreints d'une vision commune et ayant reçu des instructions très précises sur la façon de travailler ensemble.

Certains paiements commencent également à être lentement effectués. La semaine dernière, j'ai entendu dire que la moitié des policiers avaient touché leur traitement d'avril. Cette semaine, les autres policiers sont censés toucher leur solde d'avril. Cela permettra de remédier au moins en partie à la situation.

Cela prouve également que, outre le très sérieux problème de liquidités auquel le gouvernement est confronté depuis six semaines, cette force de police continue de fonctionner sans système ni procédure. Toute la gestion de la force en est encore à l'étape préliminaire, si l'on peut dire. Tout ce qui touche au budget, au personnel et à la logistique devrait être en place au mois de septembre, d'après le plan que nous avons établi.

En ce qui concerne la Chine, je préfère pour le moment m'abstenir de spéculer sur la façon dont les négociations actuelles ou la prolongation de la MINUHA ou encore la mise en place d'une nouvelle activité évolueront en fin de compte.

Tous les pays d'Amérique latine sont fortement en faveur de la prolongation de la MINUHA ou d'une opération semblable à celle-ci. La semaine dernière au Panama, l'OEA a approuvé une résolution dans laquelle elle appuyait le maintien de forces de la communauté internationale dans le cadre d'une opération pour le maintien de la paix. Il s'agit désormais de négocier avec assiduité et doigté.

M. Mills: Aucun budget ni quoi que ce soit n'a été mis en place, n'est-ce pas? Les budgets prévoyant une contribution des États-Unis, du Mexique ou encore du Brésil, du Chili...

M. ter Horst: Toutes les opérations de maintien de la paix sont financées en vertu d'un budget précis.

M. Mills: Mais si la question est soumise à l'OEA... L'un des pays membres a-t-il engagé des fonds?

M. ter Horst: Je doute fort que cela devienne un jour une opération de maintien de la paix sous les auspices de l'OEA. Certains des États membres sont extrêmement réticents à l'idée de participer à des opérations militaires pour le maintien de la paix ou même de les appuyer.

M. Mills: Je suppose donc que c'est là le problème relativement à la filière Chine-Taiwan, que le problème soit résolu d'ici au 30 juin.

M. ter Horst: Oui. C'est également un problème dont tous les membres du Conseil de sécurité doivent prendre conscience: il s'agit d'un pays qui aura tout particulièrement besoin de ce genre d'opération pendant une période qui ne devrait pas être trop longue. Nous pensons à une période d'au plus six mois, peut-être jusqu'au milieu de l'an prochain. Il est impossible de prolonger cette opération au-delà de cette époque, mais ces mesures d'appui sont indispensables à l'heure actuelle. Il serait dramatique à plusieurs égards que nous refusions à Haïti l'aide dont elle a besoin à ce tournant de son histoire.

M. Mills: Merci.

Le président: Monsieur Flis.

M. Flis (Parkdale - High Park): Merci. Je souhaite également la bienvenue à notre invité. Cela nous permet d'avoir une mise au point sur la situation à Haïti.

J'ai eu l'honneur de me trouver à Haïti le 15 octobre dernier pour l'anniversaire de la reprise du pouvoir par Aristide. J'ai profité de mon séjour dans ce pays pour aller voir sur place certains projets en cours. J'ai eu l'occasion de visiter les deux cliniques médicales qui sont déjà en service, une à Bero et l'autre à Montrouis. Des enfants et leurs mères fréquentent cette clinique. Ils doivent payer des frais d'inscription minimes s'ils en ont les moyens. Lors de leur deuxième visite, il est inutile de s'inscrire. Nous voyons donc là l'ébauche d'un système de soins de santé en action.

.1710

J'ai visité une école, ou plutôt une coopérative appelée Centre d'éducation pour la coopération internationale, qui a été construite et rénovée avec l'aide de la ville de Montréal. J'ai visité l'école. J'ai vu un tableau noir et j'ai voulu y inscrire un message; malheureusement, le professeur n'a jamais pu trouver de craie. La directrice a dit qu'elle allait en chercher une, mais après avoir fait le tour de l'école, elle est revenue toute penaude. Elle n'a jamais réussi à trouver le moindre morceau de craie dans toute l'école. En tout cas, il y a une école avec des salles de classe, et c'est donc le début d'un système scolaire.

À Saint-Marc, nous avons visité un chantier de construction routière, où la technologie est enseignée aux locaux par les Mennonites. Dans la même ville, nous avons également visité le Palais de Justice, en cours de restauration avec la participation financière du Canada. Le toit s'est effondré, il n'y a pas de fenêtre et la porte est sortie de ses gongs, mais nous avons pu y voir la justice en action. Il y avait un juge, un policier formé depuis peu a amené le prévenu, lequel est défendu par un avocat, et le procès s'est déroulé en public. Là encore, il y avait une apparence de justice dans tout ce processus.

Si l'on considère les besoins de ce pays dans le domaine de la médecine, de l'éducation, de la construction routière et de la justice, qui établit les priorités? Est-ce qu'on agit sur deux fronts en même temps et est-ce que certains pays se spécialisent dans certains domaines? Est-ce quelqu'un est chargé de coordonner toutes ces activités? Vous pourriez peut-être nous faire une mise à jour sur l'évolution de la situation dans le domaine de la santé, de l'éducation, de la justice, de la construction de routes, des communications, etc.

Le président: Voilà une question à plusieurs volets, et deux autres députés aimeraient également intervenir.

M. ter Horst: En un mot, il existe une coordination très étroite surtout entre les forces de police et le secteur judiciaire. En ce qui a trait à la police, nous avons approuvé il y a deux mois des programmes d'activités. Il y a 13 groupes de travail qui vont de la logistique aux opérations en passant par l'inspection générale. Il s'agit de groupes de travail trilatéraux, c'est-à-dire au sein desquels sont représentés le gouvernement, cela va sans dire, ainsi que les amis de Haïti, soit les six pays amis ou simplement ou deux d'entre eux, ainsi que les Nations Unies.

Dans le cadre de ces divers programmes, nous avons établi des listes de tâches précises avec des échéanciers précis, en désignant des personnes qui sont chargées d'assumer ces tâches dans un délai donné. Nous ne travaillons pas en Suède et certains de ces délais sont modifiés à l'occasion, mais, à mon avis, ils servent d'indication, de cadre pour les personnes chargées de mener à bien ces tâches dans une période délimitée. C'est ce qui m'a permis de dire plus tôt que nous avons 18 mois pour mener à bien la plupart de ces tâches.

Nous faisons pratiquement la même chose dans le domaine judiciaire. Le ministre de la Justice a dirigé un groupe, de concert avec notre organisation soeur, la mission civile à Haïti, qui s'occupe principalement des droits de la personne et du développement du secteur judiciaire; ce groupe doit fournir au gouvernement et à la communauté internationale un instrument semblable à celui qui a été mis sur pied dans le secteur de la police.

.1715

En ce qui concerne la santé, l'éducation, les travaux publics, etc. les responsables du PNUD se chargent de la coordination, pratiquement toutes les semaines, avec tous les organismes onusiens, la Banque mondiale et la Banque de développement inter-américaine. Il incombe alors au gouvernement, cela va sans dire, de prendre les décisions de signer les contrats, mais ces organismes spécialisés de l'ONU préparent le terrain au gouvernement, pour lui faciliter la prise des décisions qui s'imposent en matière politique et stratégique.

Le gouvernement en est encore à ses balbutiements. Tout a été plus ou moins mis en veilleuse, en attendant l'issue des négociations avec le FMI et la Banque mondiale. Dans toutes les activités que vous avez mentionnées, je pense que les choses vont désormais aller un peu plus vite.

[Français]

Le président: Monsieur Paré.

M. Paré (Louis-Hébert): Certains renseignements déjà donnés pourraient répondre en partie à mes questions, mais ne me satisferont pas si on ne m'en dit pas plus.

Lorsque je tente de me rappeler les cinq ou six dernières années en Haïti, je me souviens du temps énorme qu'a pris la communauté internationale avant d'intervenir à la suite du coup d'État de 1991. C'est mon premier souvenir et je suis un peu honteux de cette situation-là.

Mon deuxième souvenir n'est pas moins honteux. Au moment où la junte militaire a quitté - rappelons-nous le pont d'or qu'on leur a offert - , on a eu l'impression jusqu'à un certain point qu'on les récompensait pour ce qu'ils avaient fait, compte tenu de la façon dont ils sont partis.

Et on a entendu ensuite le président d'Haïti nous parler longuement de réconciliation. Est-ce que la réconciliation peut se faire sur l'impunité?

À ce point de vue-là, Haïti n'est pas un cas unique. Trop souvent, ces dernières années, lorsqu'il y a eu des conflits extrêmement graves - on pense au Rwanda et à l'ex-Yougoslavie - , des gens étaient responsables de quelque chose et la communauté internationale ne semblait pas capable de rendre un minimum de justice. Comment donc la réconciliation peut-elle se faire sur l'impunité?

Vous avez fait état de la démobilisation de l'armée. Dans le contexte que j'ai décrit - on a aboli les forces armées mais sans désarmer les anciens militaires qu'on pourrait presque qualifier d'anciens criminels - , comment peut-on prétendre être véritablement à l'abri d'un autre coup d'État puisque les coups d'État semblent payants?

M. ter Horst: Monsieur Paré, votre première question, qui portait sur la réconciliation sur l'impunité, est très difficile.

L'impunité persistera tant qu'on n'aura pas bâti un système judiciaire et un service de police qui puissent bien fonctionner; nous ne sommes pas en train de parler d'un tribunal international comme c'est le cas en ex-Yougoslavie en ce moment.

De toute façon, il est très difficile de se réconcilier avec les criminels, parce que la plupart sont à l'extérieur du pays. Ils ont fui.

.1720

Il appartiendra aux Haïtiens eux-mêmes, une fois qu'ils se seront dotés, avec l'aide de la communauté internationale, d'un système judiciaire qui fonctionne, de voir à ce que cette impunité ne crée plus une situation qui pourrait éventuellement permettre à d'autres de s'engager sur la même voie. Je partage plusieurs de vos soucis, en tout cas sur cette question.

Quant à votre deuxième question sur la démobilisation de l'armée, c'est vrai qu'il n'y a pas eu de désarmement formel de l'armée. Beaucoup sont retournés chez eux avec leurs armes. Il est vrai aussi que bon nombre d'anciens soldats sont revenus volontairement rendre leurs armes parce qu'ils ne se sentaient pas très à l'aise dans cette situation. Il est vrai aussi que les forces armées des États-Unis avaient implanté un programme de rachat d'armes qui a permis d'en récupérer quelque 30 000. Une partie de ces armes n'était pas en très bon état, d'autres étaient rouillées, mais tout de même plus de la moitié fonctionnaient bien.

Il s'est fait quelque chose, mais c'est vrai qu'il y a encore probablement trop d'armes en Haïti et qu'il faut s'efforcer, d'une manière ou d'une autre, d'en réduire le nombre. Merci.

[Traduction]

Le président: Monsieur Godfrey.

M. Godfrey (Don Valley-Ouest): Sachant que nous n'avons pas beaucoup de temps, je voudrais dire quelques mots au sujet des amis du secrétaire général de Haïti. La liste est intéressante: l'Argentine, le Canada, le Chili, etc. Ces pays semblent venir en aide à Haïti ou agir de manière amicale, si je peux dire, surtout dans les domaines de la sécurité et des forces de police.

Qui a établi cette liste? Qui s'est présenté? S'agissait-il de pays ayant à coeur les intérêts de Haïti ainsi qu'une certaine compétence en matière de police? Par exemple, existait-il au Salvador un groupe d'amis semblables ayant une expertise dans ce domaine? Je m'intéresse tout particulièrement aux pays d'Amérique latine, comme l'Argentine, le Chili et le Venezuela. Sont-ils devenus des spécialistes de l'appui au secrétaire général pour les questions touchant la sécurité de l'hémisphère? Quels sont les points communs entre ces pays?

M. ter Horst: Dans les deux cas, comme dans le cas du Guatemala, ces pays ont commencé par offrir leur aide politique au cours des négociations entre les deux parties belligérantes. Dans le cas d'Haïti, ils sont devenus particulièrement actifs au cours des négociations qui ont mené à l'accord de Governors Island. Pour ce qui est du Salvador, ils sont intervenus au cours des négociations de paix qui ont abouti à l'accord de Chacultepec. Enfin, en ce qui concerne le Guatemala, c'est à peu près la même chose.

Les puissances régionales ont intérêt à tenter d'assurer un règlement pacifique des conflits qui éclatent dans leur secteur, et, dans bien des cas, à fournir par la suite leur aide financière et économique et, dans le cas de Haïti et de sa police, à faire bénéficier ce pays de l'expérience particulière qu'elles ont acquise pour l'aider à mettre sur pied de nouvelles institutions.

M. Godfrey: Est-ce que ce sont toujours les mêmes pays qui offrent leur aide aux pays en difficulté, que l'on pense au Salvador, au Guatemala ou à Haïti? Après tout, le Chili et l'Argentine ne sont pas particulièrement des voisins d'Haïti. Le Venezuela se trouve nettement plus près. Donc, est-ce que ce sont d'habitude les mêmes pays qui facilitent les négociations, ou est-ce que cela peut varier?

M. ter Horst: C'est parfois une question de chance ou de circonstances. Le Chili et l'Argentine ont offert leur aide pour leur part parce qu'ils appartenaient à une époque au Conseil de sécurité. Le Chili fait toujours partie du Conseil de sécurité et offre une aide politique lors des négociations, comme par exemple celles qui se déroulent actuellement au sujet de la prolongation des opérations de maintien de la paix.

.1725

Ces pays forment une équipe de conseillers auprès du secrétaire général lors des négociations politiques qui se tiennent à New York, rôle qui se traduit par une aide au gouvernement d'Haïti, dans le cas qui nous occupe, pour ce qui est de plusieurs autres questions qui dépassent les négociations strictement politiques de New York.

C'est un arrangement qui est toujours très souple. Cela ne signifie pas par ailleurs qu'un pays en particulier a le monopole de ce type d'aide. Tout dépend de la région où se joue le conflit, de l'engagement qu'a le pays à l'égard des principes de la Charte des Nations Unies et des objectifs particuliers de politique étrangère qu'il se fixe à un moment donné.

M. Godfrey: Merci.

Le président: Monsieur Dupuy.

[Français]

M. Dupuy (Laval-Ouest): Il y a une institution haïtienne qui me semble devoir jouer un rôle important dans le retour de la démocratie, et c'est le Parlement d'Haïti. Comment peut-on avoir une démocratie si le Parlement ne joue pas son rôle?

On entend beaucoup parler de la police, du système judiciaire, des négociations avec le Fonds monétaire international et de la situation budgétaire. Quel jugement portez-vous sur le fonctionnement du Parlement? S'insère-t-il comme il le faut? Est-il en train de prendre sa place vis-à-vis de la présidence, ou est-ce une institution extrêmement fragile qui aurait besoin de secours?

M. ter Horst: Monsieur Dupuy, j'ai grand plaisir à vous dire bonjour après tant d'années.M. Dupuy et moi-même nous connaissons depuis maintenant 1975. Nous nous sommes rencontrés il y a 21 ans, lors de la Conférence de Paris, où le Canada et le Venezuela partageaient la présidence.

Le président: Nous devrons juger si c'était une bonne chose ou non après votre réponse.

M. ter Horst: En ce qui concerne votre question, monsieur Dupuy, c'est un Parlement assez dynamique, assez énergique, mais pas très discipliné. C'est un nouveau Parlement, avec de nouveaux parlementaires. Le président du Parlement au Venezuela, au moment de l'inauguration en 1947, disait lors d'une assemblée constituante qu'il y a deux choses dont on ne sait pas exactement laquelle fait le plus de bruit: une vieille voiture ou un nouveau député.

C'est un peu le cas du Parlement haïtien en ce moment. C'est un Parlement très lavalassien, car l'organisation politique Lavalas détient la grande majorité des sièges, et ce sont des députés choisis à partir de la base. C'est ça qui fait la grande différence en ce moment. Ce sont, dans la plupart des cas, des personnes très jeunes qui ont une attache très réelle à la base et qui ne sont pas manipulées par la direction de n'importe quel parti politique. Ils ont leurs propres opinions. Il est vrai qu'ils ont encore probablement beaucoup de choses à apprendre, et il y a un processus d'éducation qui est en train de se faire en ce moment, auquel participent les députés de manière très active et très intéressée.

Mais il y a eu des situations extraordinaires, pour ainsi dire. Par exemple, il y a un mois et demi, ils ont rejeté une loi approuvant un crédit de 17 millions de dollars de la Banque interaméricaine de développement. Maintenant ils commencent à se rendre compte que ce n'était peut-être pas la meilleure chose à faire.

.1730

Ils sont en train de revoir tout ça. M. Iglesias va venir en Haïti au cours du mois prochain et je n'ai aucun doute que, vers la fin du mois prochain, cette loi approuvant ce crédit sera adoptée. C'est un crédit dans des termes très concessionnels, en plus.

Parfois ils vont tous dans une direction parce que quelqu'un a mis une puce à l'oreille de quelqu'un, mais c'est probablement une chose dont on ne devrait pas s'étonner dans une démocratie qui est en train de s'établir.

C'est un Parlement qui se prend très au sérieux aussi. Même le président a parfois beaucoup de peine à bien gérer les choses. Ce n'est pas un Parlement docile. Il y a beaucoup de contact entre l'exécutif et le législatif, mais tout ça est très bon, finalement. Ils sont en train de faire leur apprentissage de la démocratie.

[Traduction]

Le président: J'aimerais clore la session en vous posant moi-même une brève question, monsieur ter Horst, puisque nous n'avons plus de temps.

J'aimerais faire suite à la question de M. Mills. Vous avez signalé qu'il serait prématuré de se retirer de Haïti maintenant et de laisser ce pays livré à lui-même. Vous semblez dire que ce n'est pas le même type d'opération qu'a Chypre. Les troupes canadiennes sont restées à Chypre pendant22 ans, que je sache. Les Américains, pour leur part se sont retirés d'Haïti car ils n'avaient pas l'intention d'y rester longtemps. Je suppose qu'ils se rappelaient d'être restés à Haïti pendant bien plus longtemps, dans les années 30.

À votre avis et d'après votre expérience, combien de temps les troupes canadiennes devraient rester en Haïti pour garantir la transition la plus douce qui soit?

M. ter Horst: Je ne puis que vous faire une estimation, et une estimation tout ce qu'il y a de plus prudente. Il est évident que l'on ne peut comparer la situation à celle de Chypre. On est en train d'établir à Haïti un corps policier qui devrait être en mesure d'assumer ses responsabilités assez rapidement. Si les autres pays quittaient l'île, cela pourrait être tragique, car...

Je crois que nous sommes à huis clos, n'est-ce pas?

Le président: Non, nous sommes en séance publique.

M. ter Horst: Si l'opération de maintien de la paix se termine le 30 juin, nous risquons de laisser sans aide un nombre relativement élevé de jeunes policiers - quelque 6 000 - sans que personne ne les prenne en main, alors qu'ils ont toujours besoin de se soumettre à une discipline interne, et de plus, sans que l'on ait réussi à se débarrasser de certains éléments peut-être indésirables... Nous risquerions de nous retrouver dans une situation semblable à celle qui existait auparavant, et que les forces policières mettent la main sur le pays et se transforment en un corps armé qui deviendra un fardeau et empêchera l'établissement de la règle de droit et le développement économique du pays.

La communauté internationale devra s'assurer que ce corps policier atteigne un stade de son développement où il sera en mesure de jouer le rôle prévu. Comme je l'ai dit au début...

Le président: Avez-vous une idée du moment où se produira cette transition? À regarder son état de préparation...

M. ter Horst: Le plus tôt, ce serait le milieu de 1997 et le plus tard, ce serait à la fin de 1997. Ce qui ne veut pas dire nécessairement que ce corps policier se transformera du jour au lendemain, dans la deuxième moitié de 1997, en une force capable d'assumer ses responsabilités. Il est évident que c'est une évolution permanente, et que les autres pays devront se retirer en 1997, plus ou moins rapidement.

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Le président: Je n'aurais jamais dû poser cette question, car j'ai piqué l'intérêt de M. Mills.

Monsieur Mills, soyez très bref, car c'est vous-même qui avez jeté un coup d'oeil à l'horloge il y a un moment.

M. Mills: Ne vaudrait-il pas mieux être honnête et dire clairement que si nous voulons réellement reconstruire ce pays, il faut lui donner une infrastructure, et qu'il faut donc autrement dit instruire sa population? Or, Haïti n'a rien de tout cela.

Il faut partir à la case de départ. Vous pouvez bien souhaiter que la force policière soit prête dans un an, mais ce n'est pas nécessairement ce dont a besoin le pays. Ce pays a besoin d'être reconstruit et d'avoir une vision d'avenir. Il a besoin d'emplois. Le tourisme pourrait être un grand atout pour le pays. Les Haïtiens doivent recommencer à croire en eux-mêmes et en leur pays. Il faut obtenir des investissements de la population locale et des investissements d'Haïtiens qui vivent à l'étranger. Il y a tant à faire. Pourquoi ne pas être honnête dès le départ et affirmer qu'il faudra une génération pour y parvenir et qu'il faut donc que le Canada investisse à long terme dans ce pays, sans nécessairement investir dans les forces militaires. À mon avis, ce serait plus franc. Il n'est pas réaliste, d'après moi, de parler d'un an.

Le président: Pouvez-vous répondre brièvement à cette question?

M. ter Horst: Je dirais que M. Mills et moi sommes du même avis. Je parlais de l'opération de maintien de la paix, en insistant sur le développement de la police. Je suis tout à fait d'accord avec vous. La communauté internationale devra continuer à aider Haïti au cours des 10, 15 ou même20 prochaines années, mais je crois que vous serez en mesure d'obtenir l'aide d'un plus grand nombre de pays pour déployer les efforts dont vous parlez. On pourrait envisager que 20 ou 25 pays s'installent en Haïti à long terme, et ce serait sans doute la seule façon... Les périodes de paralysie politique dans un secteur peuvent être compensés par une activité gouvernementale dans un autre secteur.

Le président: Mais cela se ferait dans le cadre d'une aide bilatérale ou multilatérale plus officielle comme celle que nous connaissons, que ce soit par le truchement de la Banque mondiale ou par des programmes éducatifs.

M. ter Horst: Tout à fait.

Le président: Monsieur ter Horst, merci de vos commentaires si utiles, dont nous tiendrons compte. Au nom du comité, je vous souhaite beaucoup de succès dans votre mission délicate et difficile en Haïti. Nous souhaitons du succès aux Nations Unies, et nous tous dans cette salle espérons que les Nations Unies ressortiront plus fortes de son leur intervention positive en Haïti. Merci d'avoir comparu.

M. ter Horst: Merci, monsieur Graham.

Le président: La séance est levée.

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