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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 26 septembre 1996

.0838

[Traduction]

Le président: Je déclare ouverte la séance extraordinaire du comité convoquée pour accueillir le secrétaire d'État politique du ministère des Affaires étrangères de la Hongrie, M. Szent-Iványi.

M. Iványi, au nom de tous, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie énormément d'avoir accepté d'être des nôtres, ce matin, pour cette brève séance d'information. Mes collègues, j'en suis convaincu, ont lu votre curriculum vitae et savent donc que vous êtes un professeur d'université éminent, ce qui, comme vous pouvez l'imaginer, donne beaucoup de poids à votre opinion. Mes collègues portent un jugement un peu plus sévère à ce sujet, mais nous savons qu'en Europe, être professeur, c'est très bien.

Auriez-vous la bonté de nous faire part de vos réflexions, pendant quelques minutes, après quoi mes collègues auront des questions à vous poser, si vous avez le temps d'y répondre.

M. István Szent-Iványi (secrétaire d'État politique, ministère des Affaires étrangères, République de Hongrie): Monsieur le président, mesdames et messieurs, je tiens tout d'abord à vous remercier de votre bienveillante invitation. C'est pour moi un grand privilège et une joie d'être ici pour faire un très court exposé. Si vous le désirez, nous pourrons ensuite avoir une discussion ou un échange de vues.

Le président: Ce serait merveilleux.

M. Szent-Iványi: Je viens de la Hongrie, pays qui a vécu de grands bouleversements et des transformations radicales depuis 1989. Depuis lors, il a renforcé et consolidé ses institutions démocratiques de base, la règle du droit et la Constitution, et il a mis en place un régime parlementaire multipartite.

L'économie hongroise a beaucoup évolué. Grâce aux principes de base et aux méthodes qu'elle a adoptés, la Hongrie a maintenant une économie libre, ouverte et libéralisée et elle accueille beaucoup d'investissements étrangers venus d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord. En fait, mon pays accueille presque la moitié de tous les investissements étrangers faits en Europe centre-orientale. Beaucoup de ces placements viennent des États-Unis et, dans une mesure moindre mais tout de même importante, du Canada.

.0840

La Hongrie a comme grand objectif, entre autres, de faire partie de la famille des États démocratiques de l'Occident. Cela signifie que la Hongrie aimerait être membre à part entière de l'Union européenne et de l'OTAN. J'ai pour mission entre autres, durant ma visite ici, de favoriser la réalisation de l'objectif hongrois d'être un des premiers membres de la nouvelle OTAN élargie, avec un peu de chance d'ici à 1999. Je sollicite votre aide et votre appui à cette fin.

Nous avons soumis une procédure et un calendrier acceptables à mon gouvernement et, que je sache, aux autres pays intéressés. Cela signifie que le conseil de l'OTAN se prononcera à ce sujet, ainsi que sur les principales modalités d'adhésion, en décembre. Au printemps, il sera appelé à décider quels pays au juste seront admis ou invités - c'est l'expression juste - à faire partie de la première vague de nouveaux adhérents. Croyez-moi, la Hongrie mérite de faire partie de ce groupe.

La Hongrie est un partenaire actif. Elle est prête. Elle a déployé de nombreux efforts en vue d'obtenir l'élargissement de l'OTAN. Comme vous le savez, la Hongrie est un partenaire très actif du MIR en Bosnie. Elle a mis à sa disposition les couloirs de support logistique et d'approvisionnement qui ont servi à toute l'opération. La Hongrie est un pays ouvert et coopératif.

Je sais que beaucoup d'entre vous avez déjà visité la Hongrie et êtes demeurés en communication avec des Hongrois. Nous tenons la communauté ethnique hongroise de votre pays en très haute estime. Nous sommes conscients de son importance et nous savons que vous en connaissez les membres. Permettez-moi de vous remercier d'avoir accueilli par le passé les réfugiés hongrois qui ont fui mon pays et de les avoir aidés à s'établir.

Monsieur le président, je vous remercie beaucoup. Voilà qui met fin à mon court exposé.

Le président: Monsieur le ministre, c'est nous qui vous remercions. Je sais que mes collègues ont des questions à vous poser ou certaines observations à partager avec vous.

Monsieur Bergeron. Pourriez-vous vous limiter à quatre ou à cinq minutes, je vous prie?

[Français]

M. Bergeron (Verchères): Monsieur le ministre, bonjour. Je suis heureux de vous accueillir au Parlement du Canada. J'ai eu l'occasion, en 1985, de faire une courte visite dans votre magnifique pays, à l'époque où le pays était encore sous le régime socialiste. Nous accueillons avec beaucoup de satisfaction, de ce côté-ci de l'Atlantique, le fait que la Hongrie se dirige de plus en plus vers la démocratie et l'économie de marché et l'idée que la Hongrie puisse se joindre aux institutions européennes et éventuellement à l'OTAN.

On parle beaucoup à travers le monde, par les temps qui courent, de l'impact de l'instabilité politique sur le développement économique. Nous savons que la Hongrie a dû traverser un certain nombre de bouleversements sur la voie de la démocratie avant même la chute du Rideau de fer. Elle a dû traverser un certain nombre de bouleversements lorsqu'on a dû passer du régime d'économie planifiée à celui de l'économie de marché, lorsqu'on a dû passer d'un régime plutôt autoritaire à un régime démocratique. Il y a donc eu un certain nombre de bouleversements.

J'aimerais que vous nous fassiez part, monsieur le ministre, de votre vision quant aux possibilités de succès économique en dépit de cette foule de bouleversements qu'un pays comme la Hongrie peut connaître.

M. Szent-Iványi: Monsieur le député, je vous remercie beaucoup de vos mots très cordiaux. Excusez-moi de parler en anglais, mon anglais étant meilleur que mon français.

[Traduction]

Pour ce qui est des bouleversements économiques, la Hongrie en a déjà vécu la plus grande partie. La très radicale privatisation de son économie est presque achevée. Une nouvelle économie compétitive voit le jour en Hongrie. La plupart de ces changements mettent en jeu des technologies, des capitaux, voire les possibilités du marché.

.0845

Comme vous le savez, la Hongrie pourrait détourner les deux tiers du commerce extérieur mené par l'ancien marché de l'Est - c'est-à-dire par le marché soviétique et tous les autres pays - vers les marchés occidentaux. Elle pourrait les livrer au marché le plus perfectionné et évolué de l'Union européenne. C'est possible, mais pas sans difficultés.

L'économie hongroise a deux grands obstacles à surmonter. D'une part, le budget de l'État n'est pas équilibré. Nous avons hérité d'un déficit relativement élevé; la plus grande partie de celui-ci a été accumulée durant des régimes antérieurs. J'entends par là que le régime communiste hongrois a accumulé une dette extérieure énorme. Comme vous le savez, elle atteint environ 22 ou 23 milliards de dollars US. Il ne faut pas oublier, non plus, une dette intérieure également élevée qui a beaucoup entravé la bonne marche de l'économie. D'autre part, il existe aussi un déséquilibre du commerce extérieur. L'an dernier, le commerce avec nos partenaires étrangers a été déficitaire par presque 2 milliards de dollars US. Toutefois, les nouvelles tendances sont rassurantes et prometteuses.

Cette année, notre déficit budgétaire représentera moins de 4 p. 100 de notre PIB. C'est une performance relativement bonne. Si elle parvient à éliminer le service de sa dette, la Hongrie aura un surplus budgétaire. De tels phénomènes sont presque rares, et nul ne peut vraiment... Mais tout d'abord, il nous faut rembourser notre lourde dette.

D'après les tendances, le commerce extérieur est dans la bonne voie. Beaucoup de pays font face à une vive concurrence. Nos industries jeunes et nouvelles, comme l'industrie de l'automobile et celle de la haute technologie... la production hongroise est suffisamment compétitive et elle est capable de se creuser une niche sur la place internationale.

Je vous remercie beaucoup.

M. Bergeron: Merci.

Le président: Monsieur Assadourian.

M. Assadourian (Don Valley-Nord): Je tiens tout d'abord à vous souhaiter la bienvenue au Canada.

J'ai deux petites questions à vous poser. Pour commencer, j'aimerais que nous parlions du commerce entre le Canada et la Hongrie - de ce que nous échangeons, des quantités échangées. L'autre question a trait au fait que tous les pays d'Europe orientale souhaitent adhérer à l'OTAN. Je suis sûr que chacun d'entre eux a ses raisons particulières de vouloir en devenir membre. Pourriez-vous nous préciser quelles sont vos raisons? Je vous remercie.

M. Szent-Iványi: En réponse à votre première question, sachez que, malencontreusement, le volume des échanges entre la Hongrie et le Canada est très limité. Ainsi, au cours de la dernière année, la Hongrie a importé du Canada des produits d'une valeur de 42 millions de dollars US, ce qui n'est vraiment pas beaucoup, et les exportations hongroises, de 21 millions de dollars, sont encore moins imposantes.

Les exportations hongroises au Canada sont en grande partie composées de matières premières, de produits semi-ouvrés, de pièces de rechange, de produits agricoles et de vêtements. En parallèle, le Canada exporte en Hongrie des produits agricoles, des pièces de rechange et des produits industriels, dont certains sont importants; voilà plus ou moins de quoi se compose le commerce entre nos deux pays. Nous serions très intéressés à accroître ces échanges, et l'un des buts de ma visite est d'essayer de faciliter cette croissance.

M. Assadourian m'a dit, et il a raison, que l'investissement canadien en Hongrie atteint200 millions de dollars US environ. Le principal projet d'investissement est la construction du deuxième terminal de l'aéroport de Budapest, Ferihegy. Huang & Danczkay, les mêmes qui ont construit l'aéroport d'Ottawa, en seront les maîtres d'oeuvre. Les travaux débuteront cette année. Il s'agit-là d'un important projet de construction à Budapest.

Quant aux raisons pour lesquelles la Hongrie souhaite adhérer à l'OTAN, son principal objectif est l'intégration. Le gouvernement de Hongrie et le peuple hongrois ont en commun avec le Canada, les États-Unis et l'Europe occidentale les mêmes valeurs et normes fondamentales. Ils aimeraient s'intégrer à cette famille qui s'est engagée à protéger ces droits, libertés et valeurs. C'est la raison principale.

.0850

De plus, nous aimerions contribuer à la stabilisation de l'Europe centre-orientale. Nous sommes vraiment confiants que l'élargissement de l'OTAN contribuera massivement à la stabilité et à la consolidation de la démocratie, de la paix et de la sécurité dans cette région.

Enfin, on ne peut nier que l'avenir n'est pas tout à fait prévisible dans cette région d'Europe, et tous ont besoin de se prémunir jusqu'à un certain point contre d'éventuels contretemps qui, espère-t-on, ne se concrétiseront pas.

Le président: Je vous remercie beaucoup.

Monsieur Flis.

M. Flis (Parkdale - High Park): Monsieur le ministre, je vous souhaite un bon séjour au Canada. Moi-même, je me suis rendu dans votre pays plusieurs fois et, grâce aux bons soins de votre ambassadeur, nous disposons d'informations de première main au sujet de ce qui se passe là-bas. Nous vous sommes d'ailleurs reconnaissants de cette étroite collaboration.

Nous savons que des Hongrois vivent dans les pays voisins - et bon nombre, bien sûr, au Canada. Certains de ces pays auraient adopté des lois qui pourraient menacer la langue et la culture hongroises à l'extérieur de la Hongrie. Sur quoi portent vos négociations avec ces pays? Quel succès remportent-elles? Le problème persiste-t-il ou a-t-il été réglé?

M. Szent-Iványi: Voilà une bonne question, monsieur.

Le problème des minorités et des droits des minorités ne se réglera pas du jour au lendemain en Europe centre-orientale. Il remonte loin dans notre passé. La Hongrie déploie beaucoup d'efforts en vue de trouver une solution pacifique fondée sur le dialogue, l'accord et la bonne entente. C'est pourquoi elle a signé un traité avec l'Ukraine, la Slovénie, la Croatie et la Slovaquie. Il y a tout juste quelques jours, nous avons signé une entente avec la Roumanie, également.

Les principales difficultés concernent les communautés de Slovaquie, de Roumanie et de Yougoslavie ou, plutôt, de cette partie de la Serbie. Comme vous le savez, on cherche constamment à restreindre et à réduire les droits acquis des minorités. En toute franchise, la situation s'est nettement améliorée en 1989-1990. Les droits des minorités hongroises et leurs droits de la personne étaient alors respectés. Depuis lors, cependant, on cherche à les restreindre et à inverser la situation.

En Slovaquie et en Roumanie, il existe de nombreuses lois et de nombreux décrets visant ces droits. La Hongrie a signé une entente en vue d'au moins préserver les acquis: avoir le droit fondamental de recevoir l'enseignement, de se faire juger par les tribunaux et de communiquer avec le gouvernement dans sa langue maternelle. C'est tout ce que nous demandons, qu'on leur permette de préserver leurs identités nationale et culturelle, ce qui est important, et de leur donner la possibilité de se rapprocher de la Hongrie, des partis et organismes hongrois, et ainsi de suite. Si nous pouvons atteindre cet objectif à court ou à moyen terme, nous nous réjouirons. Nous comptons beaucoup sur ces ententes.

Si vous examinez la situation dans le sud du Tyrol, vous verrez qu'il a fallu beaucoup de temps, trois décennies en fait, pour éliminer les conflits et tensions. Nous ne nous attendons pas que le problème se réglera du jour au lendemain. Nous misons sur une progression lente, mais réelle et constante.

Je vous remercie.

Le président: Monsieur Flis, merci.

Notre comité vous souhaite la bienvenue, monsieur Telegdi, en votre qualité d'ambassadeur honoraire de la communauté hongroise au Canada.

M. Telegdi (Waterloo): Je suis ici pour représenter un membre de ma circonscription, John English.

Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue. Je vous assure que j'ai beaucoup d'estime pour les professeurs d'université. La circonscription de Waterloo, que je représente, en compte un grand nombre.

Pourriez-vous en dire davantage au comité au sujet du genre de mesures qu'a prises la Hongrie pour protéger les droits des minorités en Hongrie et quelles sont les diverses minorités ethniques dans ce pays?

M. Szent-Iványi: Je vous remercie.

.0855

Le Parlement hongrois a adopté une loi très progressive en 1993, soit la loi concernant les minorités ethniques et nationales. C'est la première fois qu'une telle loi était adoptée en Europe centrale et dans cette région en vue de conférer des droits collectifs à toutes les minorités ethniques. Elle prévoit un autre genre d'autonomie pour les minorités ethniques, de même qu'une représentation par un ombudsman, c'est-à-dire qu'elle établit un bureau d'ombudsman des minorités. Celui-ci peut intervenir, même au Parlement lorsque des droits et des intérêts de minorités sont en jeu. Il peut même empêcher l'adoption d'une loi et la renvoyer au Parlement, et ainsi de suite.

La Hongrie compte 13 minorités ethniques, d'après la loi. Toujours selon celle-ci, chaque minorité peut compter jusqu'à mille membres au pays. Si un groupe de personnes déclare qu'il constitue une minorité, il sera alors considéré comme tel. Jusqu'ici, 13 organes autonomes ont été établis.

Le principal groupe autonome, soit le principal groupe minoritaire, est celui des Rom, c'est-à-dire la minorité tzigane de la Hongrie. Le deuxième est composé des Allemands. On en compte à peu près 100 000 en Hongrie. Les Rom, eux, sont 300 000 à 400 000.

Le troisième groupe est composé des Slovaques, suivi des Croates, des Serbes, des Roumains, et ainsi de suite. Les plus petites minorités représentent entre 100 000 et 200 000 personnes, par exemple celles des Arméniens, des Grecques et des Polonais. Ces ethnies ne représentent que quelques milliers de personnes chez moi. Chacune d'entre elles a une communauté nationale, une autonomie nationale.

Les principales minorités ont leur propre réseau scolaire et elles ont le droit de recevoir des fonds du budget hongrois. Cet accès au budget devrait leur donner la possibilité de préserver leur identité ethnoculturelle.

La loi hongroise concernant les minorités ethniques est vue par le Conseil d'Europe, principal organisme européen traitant des droits des minorités, comme l'une des mesures les plus progressives en la matière.

Je vous remercie beaucoup.

Le président: C'est nous qui vous remercions, monsieur.

Madame Debien.

[Français]

Mme Debien (Laval-Est): Le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international a récemment mis sur pied un sous-comité du développement humain durable, dont l'un des premiers mandats est de s'occuper du sort des enfants dans le monde, en particulier du travail des enfants, de l'exploitation des enfants et de tous les problèmes reliés à la situation des enfants.

On sait, et les journaux en ont fait état récemment, que la Hongrie vit actuellement de graves problèmes d'infanticide, de trafic de bébés, d'adoption illégale de nouveau-nés par des étrangers. Il existe aussi une situation dramatique en ce qui a trait aux orphelins et aux enfants abandonnés, pour la plupart d'origine tzigane.

J'aimerais savoir quelles mesures votre gouvernement a mises en place pour faire face à cette situation. Je sais qu'à Budapest, il existe une couveuse, comme nous disons ici, pour enfants abandonnés. Je sais aussi que vous avez resserré les critères de la loi en matière d'adoption. Par contre, il se fait aussi, comme on le sait par le réseau Internet, des transactions illégales en ce qui a trait à l'adoption des enfants étrangers. Une Canadienne d'origine hongroise a même été condamnée récemment pour avoir hébergé illégalement des enfants.

J'aimerais que vous nous traciez un bref portrait de la situation de ces enfants chez vous.

[Traduction]

M. Szent-Iványi: Je vous remercie beaucoup, madame.

Vous abordez-là un problème très grave qui sévit en Hongrie. Toutefois, il n'y a pas que la Hongrie qui soit aux prises avec ce mal; il est généralisé en Europe centrale et en Europe orientale. Plus on se dirige vers l'Est, plus il s'aggrave.

[Français]

Mme Debien: C'est vous qui êtes ici ce matin. D'accord?

M. Szent-Iványi: Exactement. Je suis de la Hongrie.

[Traduction]

Comme vous le savez, le gouvernement de la Hongrie projette de renforcer la loi en vue de protéger les enfants. Vous avez parfaitement raison - les problèmes sont nombreux, et vous les avez tous énumérés: exploitation des enfants, trafic de bébés, adoption illégale.

.0900

Comme vous l'avez précisé, les tribunaux hongrois ont été saisis d'une affaire retentissante mettant en cause une dame de Los Angeles, Marianne Gati si j'ai bonne mémoire, qui faisait le commerce d'enfants. Ces prédateurs misent sur le faible niveau de vie et les graves maux sociaux de mon pays pour s'enrichir.

Le gouvernement de la Hongrie a l'intention d'adopter une loi de protection des enfants. La police a déjà pris des mesures spéciales contre tout genre d'exploitation des enfants, car il commençait à y avoir de la prostitution infantile, etc. Cette histoire, en réalité, nous perturbe tous et nous attriste beaucoup.

Nous aimerions améliorer la situation des orphelins. Cependant, la société hongroise devient de plus en plus compétitive. Les enfants qui ont un lourd handicap sont incapables de s'y adapter facilement. En réalité, ils ont besoin de l'aide de l'État.

Tout compte fait, nous sommes insatisfaits de la situation, mais nous sommes aussi conscients des difficultés. Nous faisons de notre mieux pour la redresser et pour régler tous les problèmes qui sont plus ou moins le sous-produit d'une transformation radicale. Jamais mon pays n'aura connu un aussi grand bouleversement. Comme vous le savez, des pans entiers de notre histoire économique, politique et sociale ont été effacés, inversés, et cette transformation a de nombreuses conséquences fâcheuses, y compris celles que vous avez mentionnées, madame.

Je vous remercie.

Le président: Monsieur le ministre, merci d'avoir répondu à la question.

Il reste une personne, M. Dupuy, après quoi nous devrons peut-être conclure et passer à l'examen de la LMEE. M. Dupuy.

M. Dupuy (Laval-Ouest): Monsieur le ministre, vous vivez à côté d'une région du monde fort troublée, soit les Balkans. J'ai eu la chance de visiter Budapest, il y a deux ans, et d'y rencontrer beaucoup de vos collègues. Leur connaissance et leur maîtrise du dossier balkan m'ont beaucoup impressionné.

Ce que vous pensez des perspectives de stabilité dans les Balkans m'intrigue énormément, et j'aimerais connaître la politique étrangère de la Hongrie à l'égard de cette partie du monde. Êtes-vous en train de chercher à conclure des partenariats? Y a-t-il des chances que les relations s'améliorent?

Mais surtout, croyez-vous que les Balkans seront en mesure de sortir de cette période de tensions et de tragédies qu'ils ont connue au cours des dernières années?

M. Szent-Iványi: Merci beaucoup. Vous savez, la Hongrie aspire à la stabilité et à la paix dans les Balkans, et nous suivons ce dossier de très près.

Je dois toutefois dire aux très honorables membres du Parlement canadien que la situation n'est guère rassurante. Certains pays sont sur la bonne voie, comme par exemple la Slovénie, qui est très prospère et qui fait beaucoup de progrès. D'autres - et je fais surtout allusion ici à la Bosnie et à la Serbie, ou à la Yougoslavie - sont confrontés à un avenir imprévisible étant donné qu'ils ont encore des problèmes à régler.

Comme vous le savez, il y a eu des élections en Bosnie et celles-ci constituent un petit pas, mais un pas dans la bonne voie. Toutefois, nous continuons de nous poser des questions au sujet de cette région.

Nous ne savons pas si la cohésion interne du pays est suffisamment solide pour unir les trois nations. Les problèmes sont nombreux, et nous craignons que tout désengagement de la part des pays occidentaux, du MIR, n'entraîne une détérioration de la situation et une reprise du conflit.

En ce qui concerne la Serbie, elle ne constitue pas un État-nation. Environ deux tiers des habitants sont Serbes, et presque le tiers de ceux-ci appartiennent à d'autres nationalités. Les Albanais, au Kosovo, représentent la principale minorité ethnique, et ce problème reste entier. On dénombre environ 400 000 Hongrois et de nombreuses autres ethnies.

.0905

La Serbie devrait assurer la protection des minorités ethniques et fournir à celles-ci des garanties. Autrement, de nouvelles confrontations ou de nouveaux problèmes vont surgir.

Bien entendu, tout le monde veut éviter la déstabilisation interne du pays. Il serait bon qu'on lui fournisse de l'aide et des conseils sur les lois à adopter pour protéger les droits des minorités.

En résumé, les problèmes sont réels et nombreux, mais nous espérons que l'engagement des pays de l'Ouest - du Canada, de la Hongrie et de nombreux autres pays - , leur engagement continu et leur soutien contribueront à apaiser la situation. Merci.

Le président: Monsieur le ministre, nous devrons bientôt mettre un terme à notre rencontre parce que nous devons discuter d'un autre projet de loi.

J'aimerais vous poser une dernière question au sujet de l'élargissement de l'OTAN, puisque le comité va se pencher là-dessus cet automne.

L'objectif du Canada, en tant que pays non européen, demeure, bien entendu, la stabilité. Notre participation à l'OTAN a toujours reposé sur ce principe. Nous serions en faveur de l'adhésion de la Hongrie à l'Alliance, pour les raisons que vous avez données.

Par ailleurs, on laisse sous-entendre que l'élargissement de l'OTAN créerait de l'instabilité, constituerait une menace pour les pays de l'ex-Union soviétique qui en seraient exclus. Quel est votre avis là-dessus, et comment devrions-nous aborder ce problème?

M. Szent-Iványi: Monsieur le président, la position de la Hongrie est très claire à ce sujet: l'élargissement de l'OTAN ne constitue une menace pour personne. La Hongrie est en faveur de cette initiative, qui vise à encourager la stabilité et la coopération.

L'OTAN et ses principaux pays membres, y compris ceux qui souhaitent y adhérer, aimeraient établir de bons partenariats et de bons rapports avec la Russie. Nous ne sommes pas contre le Partenariat pour la paix plus et toute autre proposition mise de l'avant par les dirigeants russes. Toutefois, la Russie devrait comprendre qu'elle ne peut avoir un droit de regard ou un droit de veto. Elle ne peut freiner l'élargissement de l'OTAN.

En fait, cet élargissement ne peut que servir les intérêts de la Russie - j'en suis certain - , parce que la Russie a besoin d'une certaine stabilité à l'ouest de sa frontière ou dans les pays voisins. Cela peut être très important.

Si j'étais un politique russe, je serais conscient du fait que les véritables défis viennent non pas de l'ouest, mais de l'est. Il est donc préférable d'avoir un partenaire sûr à l'arrière plan, dans l'ouest, plutôt qu'un partenaire hostile et tendu...

Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre. Au nom du comité, j'aimerais vous remercier, de même que l'ambassadeur, d'avoir comparu devant le comité ce matin. Comme vous avez pu le constater, bon nombre d'entre nous avons eu l'occasion de visiter votre merveilleux pays. Nous sommes nombreux au Canada à avoir des parents ou des amis qui viennent de la Hongrie.

J'aimerais vous remettre une copie de notre dernier rapport. Vous pouvez voir le genre de travail qu'effectue le comité. Il s'agit d'un rapport sur les petites et moyennes entreprises et le marché de l'exportation.

Il a un chapitre qui traite des rapports que parviennent à établir les petites et moyennes entreprises grâce aux liens culturels et linguistiques qui unissent nos deux pays, puisqu'il y a de nombreux - par exemple - Hongrois au Canada. Nous prévoyons établir des liens économiques très étroits avec votre pays, et je suis certain que les échanges bilatéraux entre le Canada et la Hongrie vont augmenter et non pas diminuer.

Nous espérons que votre séjour au Canada sera des plus agréables. Je crois comprendre que vous comptez vous rendre à Toronto demain. C'est une très bonne décision, si je puis me permettre, et je vous souhaite bon voyage. J'espère que nous aurons un jour l'occasion de vous rendre visite en Hongrie. Merci beaucoup d'être venu nous rencontrer.

M. Szent-Iványi: Monsieur le président, je tiens à vous remercier pour votre chaleureuse invitation.

Le président: Merci.

Nous allons prendre une pause avant d'entreprendre l'étude de la Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères.

.0910

[Français]

M. Bergeron: Avant qu'on ajourne, j'aimerais soulever une préoccupation à l'égard de la rencontre que nous devions avoir mardi matin à propos de l'Irak.

Le président: D'accord. Peut-on d'abord dire au revoir au ministre et ensuite traiter de cela?

[Traduction]

Mesdames et messieurs les membres du comité, le ministre n'a pas beaucoup de temps à nous consacrer. Toutefois, avant de lui demander de nous parler de la Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères...

[Français]

Monsieur Bergeron, vous aviez un bref rappel au Règlement, je crois.

M. Bergeron. J'ai encore une fois une préoccupation à l'égard de la transparence et de la collaboration que nous offre le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Je fais allusion à la rencontre que nous devions avoir mardi matin à propos de l'Irak. On a prétexté la maladie du spécialiste du ministère pour suspendre, si je puis dire, la tenue de cette rencontre avec le fonctionnaire qui, selon les renseignements que nous avons eus, s'appelle M. Lavertu et on a expliqué son absence de ce matin-là par la maladie.

D'abord, nous sommes surpris que personne de l'entourage de M. Lavertu ne soit en mesure de le remplacer pour venir nous faire part des vues du ministères sur l'Irak, comme s'il n'y avait qu'une personne au ministère en mesure de nous adresser la parole sur l'Irak. Mais, ce qui est encore plus inquiétant, monsieur le président, c'est qu'après vérification, il est apparu que M. Lavertu n'était pas malade, mais bel et bien présent à son bureau au ministère.

Nous sommes très préoccupés par ce manque de transparence de la part des autorités du ministère à l'égard du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.

J'aimerais soulever cette question et vous demander de faire une vérification ou d'obtenir des explications de la part du secrétaire parlementaire qui, malheureusement, n'est pas avec nous ce matin. Je soulève cette question en demandant à nos collègues du parti gouvernemental s'ils acceptent d'être ainsi bernés par les autorités du ministère. Nous l'avons été à plusieurs reprises et j'aimerais que ce genre de situation cesse.

Le président: Je prends note de votre observation, monsieur Bergeron.

Je savais que M. Lavertu n'était pas disponible ce matin-là, mais je ne savais pas que c'était parce qu'il était malade. Donc, je ferai de mon mieux pour connaître la vérité sur ce qui s'est passé et j'en ferai rapport au comité.

Merci beaucoup de cette observation.

Nous passons maintenant à l'étude du projet de loi C-54, Loi modifiant la Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères. Nous avons avec nous, pour une brève période de 45 minutes, M. le ministre...

.0915

[Traduction]

Le greffier m'informe que nous devons lire l'ordre de renvoi. Il est donc ordonné que le projet de loi C-54, Loi modifiant la Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères, soit maintenant lu une deuxième fois et renvoyé au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international. Voilà pour l'ordre de renvoi que nous avons reçu de la Chambre.

Je demanderais au ministre de nous expliquer brièvement les modifications proposées. Nous pourrons peut-être ensuite vous poser quelques questions, monsieur le ministre, si vous avez le temps. Nous entendrons ensuite les représentants du ministère, qui nous présenterons un exposé détaillé du projet de loi.

L'honorable Arthur C. Eggleton (ministre du Commerce international): Avec plaisir, monsieur le président. Merci de m'avoir invité ce matin.

Je suis accompagné de plusieurs fonctionnaires du ministère: Gilles Lauzon, Joanne Osendarp, Ray Boomgardt et Ross Snyder.

Je devrai vous quitter dans une demi-heure environ parce que je dois assister à une autre réunion.

Monsieur le président, l'adoption, par les États-Unis, de la Loi Helms-Burton a obligé le Canada à renforcer les dispositions de la Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères. Si ce n'était de cette loi, ce projet de loi ne constituerait pas une priorité.

En dépit des mesures américaines qui présument du contraire, les Canadiens croient que le droit d'établir leur propre politique étrangère en matière de commerce constitue un principe fondamental qui doit être respecté.

La Loi Helms-Burton est inacceptable, et ce, pour de nombreuses raisons. D'abord, elle vise à imposer une vision unique des relations internationales et à brimer le droit des autres pays d'établir leurs propres politiques.

[Français]

Le Canada et les États-Unis sont des nations commerçantes. Elles commercent non seulement entre elles, mais aussi avec le reste du monde.

[Traduction]

Les Américains ont toujours milité en faveur du libre-échange à l'échelle de la planète. Ils savent que l'on assiste présentement à un resserrement des liens commerciaux dans le monde. Il est également évident que la libéralisation des échanges et l'établissement de règles claires devant servir de cadre à cette libéralisation constituent des objectifs importants et réalisables.

Toutefois, nous avons été témoins récemment de signes inquiétants qui dénotent un changement d'attitude de la part des États-Unis vis-à-vis du libre-échange. D'abord, il y a eu le discours isolationniste des candidats aux élections primaires présidentielles. Et voilà maintenant qu'on nous impose la loi Helms-Burton ainsi que d'autres limitations, plus récentes celles-là, en ce qui concerne l'Iran et la Libye. .

Ceux qui, au sein de la communauté internationale, s'efforcent d'éliminer les barrières et d'ouvrir des débouchés ne peuvent se montrer sélectifs dans leur approche. Nous ne pouvons défendre ce principe et ensuite le défier.

Le Canada et les États-Unis partagent le même objectif en ce qui concerne Cuba: promouvoir les principes démocratiques, les réformes économiques et le respect des droits de la personne. Nos divergences de vue constituent le moyen le plus efficace d'obtenir des résultats.

Les Américains prônent l'isolement de Cuba. Nous préférons, nous, miser sur l'engagement. Nous croyons qu'une politique axée sur l'engagement et le dialogue encouragera Cuba à amorcer un virage pacifique qui fera de lui un pays respectueux des droits de la personne, doté d'un gouvernement représentatif et d'une économie ouverte.

Cette loi comporte un deuxième volet inquiétant: elle touche à la fois les alliés et les ennemis des États-Unis. La loi Helms-Burton a donné une dimension internationale à un différend qui concerne essentiellement les États-Unis et Cuba, du fait qu'elle s'attaque aux échanges commerciaux et aux investissements.

Deux parties de la loi sont particulièrement offensantes. Il y a le titre III qui permet aux citoyens américains qui revendiquent des biens expropriés à Cuba d'intenter des poursuites contre un pays étranger, le Canada par exemple, devant les tribunaux américains. Si l'entreprise ne possède pas d'actifs aux États-Unis qui peuvent être saisis, le requérant américain peut demander aux tribunaux canadiens d'exécuter l'ordonnance et de saisir les actifs se trouvant au Canada.

Il y a deux mois, le président Clinton a suspendu le droit d'intenter des poursuites pour six mois. Mais il ne s'agit là que d'une mesure temporaire qui devra être renouvelée tous les six mois. Le président peut changer d'avis et mettre fin à cette interdiction à n'importe quel moment. Les entreprises canadiennes continueront d'être exposées à cette menace tant que la loi Helms-Burton restera en vigueur.

Le titre IV de la loi autorise le gouvernement américain d'interdire l'entrée du pays aux cadres supérieurs d'entreprises qui, de l'avis du département d'État américain, se livrent au trafic de biens expropriés qui font l'objet d'une réclamation aux États-Unis. L'interdiction s'applique également aux familles, aux enfants et aux représentants de ces cadres.

La loi Helms-Burton est régressive à d'autres égards. Alors que nous assistons à un resserrement des liens à l'échelle de l'hémisphère, la loi Helms-Burton cherche non pas à encourager l'intégration, mais à favoriser l'isolement.

.0920

Des initiatives ont été entreprises, comme le sommet de Miami en 1994, en vue de libéraliser les échanges entre les Amériques. Nous avons l'occasion, grâce à ces initiatives, de créer un nouveau partenariat à l'échelle de l'hémisphère, un partenariat qui repose sur l'ouverture et la libre circulation des idées, des individus et des produits. La loi Helms-Burton va à l'encontre de ce mouvement du fait qu'elle érige des barrières, crée du ressentiment et introduit des tensions dans les échanges et les rapports internationaux.

Enfin, la loi Helms-Burton est inacceptable parce que contraire aux principes juridiques mondialement reconnus qui servent de base au règlement des différends entre nations concernant les revendications des investisseurs étrangers dont les biens ont été expropriés. Ces principes ont été fort utiles dans le passé. En choisissant d'en faire fi, la loi Helms-Burton crée un précédent dangereux.

[Français]

Nous croyons que les modifications présentées à la Chambre constituent une réponse adéquate à ces préoccupations.

[Traduction]

Les modifications que nous proposons renforceront la Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères de deux façons. Elles donneront au procureur général le pouvoir de bloquer l'exécution au Canada d'un jugement étranger rendu sous le régime d'une loi comme la loi Helms-Burton. En outre, elles permettront aux Canadiens d'intenter des poursuites devant les tribunaux canadiens si des amendes leur sont imposées par des tribunaux américains. Autrement dit, les Canadiens peuvent intenter des poursuites devant les tribunaux pour obtenir le recouvrement, du requérant américain, d'une somme équivalente à l'amende imposée par le tribunal américain.

Par exemple, un ressortissant américain peut, en vertu de la loi Helms-Burton, intenter des poursuites contre un Canadien devant un tribunal américain. S'il obtient gain de cause et que le Canadien ne possède pas d'actifs aux États-Unis, le ressortissant américain peut demander à un tribunal canadien d'exécuter le jugement. Le procureur général du Canada serait en mesure d'émettre un arrêté bloquant l'exécution du jugement étranger en vertu des modifications que nous proposons. Si le tribunal américain ordonne au Canadien de payer les dommages-intérêts, ce dernier peut intenter des poursuites contre le ressortissant américain, devant les tribunaux canadiens, pour récupérer le plein montant des dommages-intérêts. Ce montant, ainsi que les frais engagés dans les deux pays, serait récupéré à même les actifs que le ressortissant américain possède au Canada.

Les entreprises canadiennes ont déjà refusé dans le passé de se conformer à la Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères parce que les amendes imposées par le pays étranger sont plus élevées que celles imposées par la loi canadienne. Il était tout simplement moins coûteux pour une entreprise canadienne de violer la loi canadienne.

Afin de favoriser l'observation de la loi, nous avons décidé d'augmenter le montant des amendes imposées en vertu de la LMEE, lesquelles passeront de 10 000 $ à 1,5 millions de dollars. Ainsi, les amendes imposées en vertu de cette loi correspondront aux amendes imposées aux termes des lois américaines équivalentes et aussi des autres lois canadiennes, comme la Loi sur la protection de l'environnement et la Loi sur la concurrence.

Les modifications autoriseront également le procureur général à inscrire à l'annexe jointe à LMEE toutes les lois commerciales étrangères qui portent atteinte à nos intérêts. Cette liste vise à donner au gouvernement une plus grande marge de manoeuvre et à lui permettre d'intervenir plus rapidement pour défendre les intérêts canadiens victimes de lois étrangères offensantes.

Les modifications que nous proposons sont raisonnables et ont pour but de nous aider à nous défendre. Nous espérons qu'il ne sera jamais nécessaire d'y avoir recours. Elles constituent un antidote que nous utiliserons, si le besoin s'en fait sentir. En effet, il est essentiel que les entreprises canadiennes avoir à leur disposition des outils qui leur permettront de se défendre, si besoin est.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre, pour votre bref exposé. Nous avons du temps pour des questions.

[Français]

Monsieur Sauvageau.

M. Sauvageau (Terrebonne): Merci, monsieur le ministre, pour votre présence ce matin. Nous avons quelques questions à vous poser. Je vais y aller rapidement parce que vous n'avez pas beaucoup de temps à nous donner.

Dans un premier temps, vous savez que tous les partis, le Bloc québécois, le Parti réformiste et votre parti, s'opposent à la loi Helms-Burton. Nous avons cependant eu quelques différends au niveau de notre opposition quant aux délais et aux méthodes d'action.

J'ai trois questions. Étant donné que, depuis le 19 juillet dernier, il y a une possibilité qui s'offre au gouvernement et à vous en ce qui a trait à la formation d'un comité spécial sur le règlement des différends commerciaux en vertu de l'ALENA, y a-t-il une raison pour laquelle le gouvernement canadien n'utiliserait pas plus rapidement ce processus ou ce recours?

Deuxièmement, le lendemain de l'annonce de la loi Helms-Burton, on en connaissait les tenants et les aboutissants. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour modifier le projet de loi C-54? Autrement dit, pourquoi avoir attendu que M. Clinton dise qu'il met de côté la loi Helms-Burton avant de se décider à agir?

La décision du comité juridique de l'OEA déclarant que la loi Helms-Burton violait le droit international peut-elle être utilisée dans le processus à venir?

.0925

Troisièmement, pourquoi a-t-on laissé de côté l'article 4 de la loi Helms-Burton qui, lui, est en vigueur?

[Traduction]

M. Eggleton: Je suis content que tous les partis appuient les mesures prises pour contrer la loi Helms-Burton. J'espère qu'ils vont également appuyer les modifications proposées à la LMEE.

En ce qui concerne l'ALENA et le groupe spécial de règlement des différends que vous avez mentionné, nous sommes en mesure maintenant - depuis la fin juillet - de mettre sur pied un tel comité en vertu de l'ALENA. Deux étapes ont déjà été franchies. Nous avons tenu des consultations et rencontré les commissaires - je crois que c'est le terme qu'on utilise - , c'est-à-dire les trois représentants des trois pays qui font partie de l'ALENA. Le processus peut être mis en marche à n'importe quel moment.

La question est toujours à l'étude et nous consultons nos alliés au Mexique et au sein de l'Union européenne.

Nous savons également qu'il y a des élections aux États-Unis. Nous ne retarderons pas le processus à cause de cela, mais il s'agit d'un facteur dont il faut tenir compte. En plus, et peut-être plus important encore, il y a le fait que, après la tenue des élections en janvier, le président des États-Unis devra prendre une décision concernant le titre III.

Nous examinons tous ces facteurs afin de déterminer à quel moment il conviendrait de jouer cette carte, pour ainsi dire. Mais nous continuons de nous opposer vigoureusement à la loi Helms-Burton. Il suffit tout simplement de déterminer à quel moment il conviendrait de mettre sur pied ce comité. Nous suivons le dossier de près et soupesons tous les facteurs que j'ai mentionnés. Nous n'avons fixé aucun délai pour cette décision.

En ce qui concerne le projet de loi C-54 et la question de savoir pourquoi nous avons attendu avant d'agir, d'abord, nous devions attendre de connaître les dispositions finales de la loi Helms-Burton. Nous en avons pris connaissance au printemps dernier. Nous avons ensuite rédigé le projet de loi dont vous êtes saisis. Nous sommes maintenant à l'automne. Je crois que les choses évoluent assez rapidement. Mais comme je l'ai mentionné il y a quelques instants, ces mesures ne seront peut-être jamais appliquées.

Cette loi va être en place bien avant que l'on en ait besoin. C'est en janvier prochain, au plus tôt, qu'un tribunal pourrait recevoir des réclamations en vertu du Titre III de la Loi Helms-Burton, si le président revient sur la suspension de poursuites en justice. À ce moment-là bien sûr, les poursuites en justice pourraient reprendre et Dieu seul sait combien de temps cela pourrait prendre ou encore si les parties demanderesses pourraient avoir gain de cause. Il pourrait se passer des mois, des années, avant la mise en oeuvre des modifications à la LMEE.

Je pense que nous avons été raisonnablement rapides compte tenu du flot d'informations et aussi des vacances d'été, puisque nous avons réussi à saisir la Chambre et ce comité de la question tout au début de l'automne et de la session. J'espère que nous n'aurons jamais besoin d'y avoir recours, mais elle sera prête, en cas de nécessité.

Nous partageons la position de l'OEA et avons certainement exprimé notre opposition à la Loi Helms-Burton devant cette organisation ainsi que devant d'autres instances. Ce processus se poursuit à l'OEA et nous continuerons à l'appuyer dans ce sens, même si les Américains ont, bien entendu, essayé de convaincre l'OEA qu'elle ne devrait pas s'occuper de cette question. Nous ne sommes pas d'accord sur ce point, pas plus que les autres pays de l'OEA.

[Français]

M. Sauvageau: Vous avez oublié l'article 4. Pour ce qui est de l'excuse des vacances d'été, vous pourriez en trouver une autre, parce que vous avez profité de ce moment pour conclure l'entente avec Israël.

[Traduction]

M. Eggleton: Il a raison.

[Français]

M. Sauvageau: On avait demandé des renseignements mais on nous les a refusés.

[Traduction]

M. Eggleton: La Chambre faisait relâche.

.0930

[Français]

M. Sauvageau: Et l'article 4, s'il vous plaît.

[Traduction]

M. Eggleton: Le Titre IV est étroitement lié au Titre III en ce qui concerne l'ALENA et les deux représentent une mise en demeure. J'ai déjà répondu à propos de l'ALENA. Je le répète, nous agissons promptement en ce qui concerne le projet de loi C-54. Il ne s'agissait pas de vacances d'été, mais plutôt du fait que la Chambre ne siégeait pas. Il n'était donc pas possible de présenter cette mesure législative à la Chambre avant l'automne.

Le président: Monsieur Penson.

M. Penson (Peace River): Merci, monsieur le président, et bienvenue au comité, monsieur le ministre.

J'aimerais dire pour commencer que le Parti réformiste appuie le projet de loi C-54, bien que selon lui, il ne s'agisse en quelque sorte que d'un pis-aller, en ce qui a trait à ce différend. Nous aurions certainement préféré que la question soit réglée par un groupe spécial de l'ALENA. Si je comprends bien, vous avez entamé le processus.

Ce qui nous inquiète dans le contexte des États-Unis, c'est que chaque fois que nous sommes à deux doigts d'agir et que nous n'allons pas jusqu'au mécanisme ultime de résolution des différends, nous créons un précédent. C'est ce que nous avons fait à propos du blé, lorsque nous avons accepté des plafonds d'exportation il y a maintenant deux ans et demi. C'est ce que nous avons fait à propos du bois de résineux.

Ce qui me préoccupe, c'est que nous n'avons pas recours à un processus pour lequel le Canada s'est battu. En d'autres termes, ces genres de différends doivent être réglés par un groupe spécial de l'ALENA ou, dans le cas du GATT, par l'Organisation mondiale du commerce. Il me semble que ce soit l'endroit tout choisi pour résoudre cette question.

Monsieur le ministre, vous avez déjà dit que le président des États-Unis nous a donné une exemption de six mois. Elle peut être prolongée, ou non. Le temps presse cependant, puisque ces différends continuent de s'accumuler, tout comme les responsabilités. Telles sont mes inquiétudes.

De toute évidence, c'est aux États-Unis et à Cuba de régler leur différend et nous nous opposons à ce qu'ils essayent d'imposer toute solution à d'autres pays. C'est, à mon avis, une menace à notre souveraineté. Les membres du Parti réformiste sont choqués de voir que les États-Unis essayent d'appliquer leur loi au-delà de leurs frontières. Ce différend devrait être réglé entre eux.

Il me semble que le projet de loi C-54 aborde certaines des questions sur la façon de résoudre ce problème, sans toutefois aller suffisamment loin. C'est le premier point sur lequel j'aimerais m'attarder. L'autre bien sûr, me semble difficile à accepter; je veux parler de l'article 9 de ce projet de loi, qui vise le recouvrement des frais. Je me demande simplement comment cela peut se faire. Avez-vous une liste de sociétés ou pensez-vous qu'une société canadienne touchée pourrait recouvrer ces frais en intentant des poursuites? Est-ce vraiment du domaine du possible? Comment envisagez-vous la chose?

M. Eggleton: Tout d'abord, merci de votre appui.

Le projet de loi C-54 représente les modifications à la LMEE et n'aborde pas la question d'un groupe spécial de règlement de différends en vertu de l'ALENA. Il s'agit d'un processus distinct, mais complémentaire. Comme je l'ai indiqué plus tôt, nous jouerons cette carte au moment voulu. Nous ne nous sommes absolument pas dégagés de ce processus. Nous n'avons tout simplement pas encore déclenché le processus du groupe spécial.

Nous sommes encore devant les instances de l'ALENA qui sont saisies de la question. Nous ne nous sommes absolument pas désistés. Au moment opportun, nous passerons à l'étape suivante, soit le processus du groupe spécial.

J'aimerais ajouter que nous ne répugnons absolument pas à avoir recours au processus du groupe spécial de règlement des différends. Dans le cas d'un différend particulier dont a été saisie l'OMC, c'est le Canada et les États-Unis qui y ont eu recours beaucoup plus que n'importe quel autre pays. Bien entendu, dans le cas du groupe spécial de l'ALENA sur la régulation de l'offre, nous allons très bientôt arriver à une conclusion sur cette question particulière.

Au sujet des frais, effectivement, les frais seraient compris. En fait, nous sommes tout à fait prêts à inclure des dommages indirects également pour ce qui est de toute perte économique pouvant découler de la saisie d'un bien aux États-Unis. Cela exigerait, je crois, un amendement supplémentaire au projet de loi. Je crois toutefois qu'il est raisonnable de dire que les coûts, y compris les dommages indirects, pourraient en fait être recouvrés.

.0935

M. Penson: Connaissez-vous des sociétés américaines, susceptibles de poursuivre en dommages-intérêts des sociétés canadiennes, qui ont des biens au Canada, lesquels pourraient donc être recouvrés par ces sociétés canadiennes?

M. Eggleton: C'est l'une des premières questions que j'ai posées au moment de la rédaction de cette mesure législative. J'ai en effet dit qu'il serait bon d'essayer de protéger les sociétés canadiennes de cette façon, en cas de besoin - espérons que cela n'arrivera jamais - dans la mesure bien sûr où ces sociétés possèdent des biens ici. Nous avons en fait examiné la situation de plusieurs Américains susceptibles de poursuivre des Canadiens dont les biens pourraient être visés par la loi Helms-Burton, et plusieurs d'entre eux possèdent des biens au Canada. Cela pourrait donc s'appliquer.

Je remarque toutefois que beaucoup de sociétés, notamment aux États-Unis, ne sont pas en faveur de la loi Helms-Burton. Elles déclarent qu'elles préféreraient suivre l'exemple des Canadiens et d'autres et traiter avec les Cubains pour régler ces réclamations. Vous pouvez passer par un mécanisme de règlement des différends avec des tiers, si vous devez le faire, mais réglez ces réclamations avec les Cubains; n'essayez pas de le faire ailleurs et ne vous exposez pas à ce genre de mesure de rétorsion. Je crois que c'est ce que beaucoup de sociétés aux États-Unis préféreraient.

Il y a donc des frais; il y a donc des dommages indirects et nous pensons que cela pourrait s'appliquer à plusieurs sociétés au Canada. Evidemment, cela ne peut s'appliquer si elles ne possèdent pas de biens au Canada.

M. Penson: Je pense que nous posions essentiellement la question du caractère exécutoire de cette loi; si tel est le cas, nous sommes satisfaits.

M. Eggleton: La loi ne vise pas tout. Il y a évidemment des situations qu'elle ne prévoit pas.

M. Penson: Oui, mais je me demandais simplement s'il y a des sociétés qui possèdent effectivement des biens ou s'il ne s'agit que de la poudre aux yeux.

M. Eggleton: Oui, il y en a.

M. Penson: Monsieur le président, je terminerai en disant que j'encourage le ministre et le ministère à essayer de parvenir à une résolution définitive de la question. Il me semble que les Américains réagissent à la faiblesse ou à la force; je ne crois pas que le Canada devrait avoir la faiblesse de ne pas protester contre leur attitude à propos de ces questions.

Nous le voyons de nouveau dans le différend qui couve à propos de nos exportations de blé vers les États-Unis. La récolte canadienne est très bonne et les exportations risquent d'augmenter. Les États-Unis laissent entendre qu'ils vont de nouveau imposer des plafonds aux exportations de blé et il me semble que si nous avions résolu ce différend devant un groupe spécial de l'ALENA il y a deux ans ou deux ans et demi, nous n'aurions pas besoin de repasser par tout ce processus. J'encourage donc le ministre à avoir recours au processus dont nous disposons et à user de notre force.

M. Eggleton: Absolument.

Le président: Monsieur Flis.

M. Flis: Je suis très heureux de voir que les trois partis appuient le projet de loi. Ce dernier sera, je l'espère, adopté rapidement.

Je suis un peu déçu de l'attitude partisane du député du Bloc québécois, monsieur le ministre. Il sait que le projet de loi constitue une priorité pour la Chambre des communes, pour le comité. Il a tort d'accuser le ministre ou le ministère de tergiverser. Je tiens à mettre les choses au clair.

Monsieur le ministre, ma question porte sur les entreprises canadiennes installées à Cuba. Je suis allé là-bas, il y a un an, pour assister à l'inauguration d'une foire commerciale internationale. Il y avait là 26 entreprises canadiennes, dont 14 du Québec. Savons-nous si les entreprises canadiennes présentes à Cuba se livrent au trafic de biens confisqués? Peut-on avoir accès à ces renseignements? Savons-nous s'il y a des entreprises qui le font?

M. Eggleton: Ces mots viennent de la bouche de Jesse Helms. Je rejette totalement l'idée voulant que des entreprises canadiennes se livrent au trafic de biens confisqués. Les gouvernements exproprient des biens tout le temps, qu'il s'agisse de gouvernements démocratiques ou autres.

Toutefois, ils sont tenus d'indemniser les gens s'ils exproprient leurs biens. Je crois que les entreprises aux États-Unis, les Américains dont les biens ont été confisqués à Cuba, ont le droit d'être indemnisés. Si le gouvernement américain leur permettait d'entreprendre des démarches, comme d'autres l'ont fait, la question serait réglée. Au lieu de réclamer des dommages-intérêts des Cubains pour les biens expropriés ou pour les biens confisqués qui font l'objet de trafic, pour reprendre les paroles de Jesse Helms, ils s'en prennent à nous. C'est totalement injuste.

.0940

Y a-t-il des entreprises qui le font? Eh bien, les Américains semblent croire que le Sherritt International se livre à ce genre d'activité puisqu'il figure sur la liste visée par le titre IV. Y en a-t-il d'autres? Eh bien, il n'y a pas d'autres entreprises qui figurent sur cette liste, n'est-ce-pas? Je ne sais pas si d'autres vont y être ajoutées. À ma connaissance, personne ne fait actuellement l'objet d'une enquête relativement à cette affaire. Donc, si l'on se fonde sur la définition qu'ils utilisent, il n'y en a qu'une seule. Toutefois, la situation pourrait changer. On ne sait jamais.

Peu importe à qui appartient le terrain sur lequel se trouve le Sherritt, l'entreprise ou le citoyen américain devrait réclamer des dommages-intérêts des Cubains, pas du Sherritt.

M. Flis: Est-ce que ce projet de loi va protéger les Canadiens qui se trouvent dans des situations identiques dans d'autres pays, comme l'Iran, la Libye, etc.?

M. Eggleton: Tel est son objectif. Toute mesure extraterritoriale qui porterait atteinte aux intérêts du Canada et qui serait visée par les modifications apportées à cette loi pourrait être déclarée comme étant préjudiciable au Canada par le procureur général. Cela comprend la loi Helms-Burton et toutes les autres lois du même genre, qui pourraient entraîner des saisies de biens, des demandes de recouvrement ou des arrêtés de blocage au Canada.

Le projet de loi s'appliquerait également aux entreprises, qui se verraient imposer des amendes, lesquelles ont maintenant été augmentées, si elles se conformaient à une loi étrangère.

Le président: Vous avez parlé des pays européens dans votre déclaration. Je sais que le représentant étranger de la commission, le représentant britannique, a vivement attaqué le projet de loi. Y a-t-il d'autres entreprises européennes qui figurent sur la liste visée par le titre IV? Pourriez-vous nous dire rapidement si les Européens ont adopté une loi identique à celle-ci?

M. Eggleton: À ma connaissance, aucune entreprise européenne ne figure sur cette liste. On y trouve une entreprise mexicaine.

Mme Joanne Osendarp (Analyste de la politique du commerce international, Direction de la politique des investissements et du commerce international, ministère des Affaires étrangères et du commerce international): Je peux répondre à cette question. Le département d'État a envoyé plusieurs lettres explicatives en juin, dont une à une entreprise européenne. Depuis, ces lettres ont été suivies d'avis. Aucun avis n'a été envoyé à une entreprise européenne; seule l'entreprise mentionnée par le ministre, de même que l'entreprise mexicaine, en ont reçu un.

Le président: Le président du Mexique, lorsqu'il est venu au Canada, a vivement dénoncé cette loi à la Chambre. Je présume que vous bénéficiez de l'appui du gouvernement mexicain dans ce dossier.

M. Eggleton: Absolument. Ils sont également en train d'adopter une loi anti-dumping. Les pays européens envisagent de faire la même chose.

Cette question sera débattue dans plusieurs tribunes au cours des prochains mois, de sorte que les États-Unis continueront de subir des pressions. Nous n'avons pas l'intention de lâcher prise. Cette loi sera débattue à l'OCDE lors des discussions portant sur l'adoption d'une entente multilatérale visant les investissements, et aussi lors de la réunion de l'Organisation mondiale du commerce, à Singapour. Cette loi continuera de faire l'objet d'une opposition vigoureuse au sein de nombreuses tribunes.

Le président: Monsieur Mills, est-ce que vous vouliez faire un bref commentaire? Le ministre doit nous quitter.

M. Mills (Red Deer): J'ai une question très brève à poser.

Vous avez dit que les États-Unis sont en faveur de la démocratisation du régime cubain. Toutefois, ils cherchent à l'isoler, à le paralyser et ensuite à en prendre le contrôle. Nous misons plutôt sur la collaboration. Nous sommes essentiellement d'accord avec ce principe.

La situation perdure depuis tellement. Quelles mesures concrètes prenons-nous pour faire de Cuba une démocratie? Nous devons composer avec le fait que Fidel Castro est un dictateur qui a commis plusieurs atteintes aux droits de la personne, etc. Nous contentons-nous tout simplement de dire que nous voulons aider Cuba à devenir un pays démocratique, ou est-ce que nous prenons des mesures concrètes pour atteindre cet objectif? Est-ce que nous parvenons à faire quelque chose?

M. Eggleton: Je crois que oui. Nous participons, de concert avec des organismes et des particuliers, à de nombreux programmes dans le domaine des droits de la personne. Pour ce qui est des réformes économiques, je vais demander à mes fonctionnaires de vous donner des précisions là-dessus.

.0945

Le président: Je me demande s'ils ne pourraient pas attendre quelques instants avant de le faire. Il ne vous reste que deux minutes environ. Nous répondrons à la question de M. Mills. Mais M. Sauvageau souhaite vous poser une très brève question. Ensuite, je crois comprendre que vous devez nous quitter.

[Français]

Vous avez à peu près deux minutes, monsieur Sauvageau, c'est tout.

M. Sauvageau: Plus tôt, lors de notre première intervention, vous avez dit qu'avec le projet de loi C-54, on ne réglait pas seulement l'article 3, mais aussi l'article 4 qui, lui, n'a pas été mis de côté. Je vous ai parlé de l'article 4.

[Traduction]

M. Eggleton: Non, je parlais du groupe spécial de l'ALENA. Le projet de loi C-54 ne porte que sur les réclamations visées par le titre III. Toutefois, les dispositions visées par le titre IV seront également contestées et débattues dans d'autres tribunes où il sera question de la loi Helms-Burton. Le titre IV n'est pas visé par le projet de loi C-54.

[Français]

M. Sauvageau: Qu'entend faire le gouvernement canadien pour contrer l'article 4 de la loi Helms-Burton, qui est encore en vigueur, que le gouvernement américain n'a pas suspendu? Allez-vous attendre de mettre sur pied une commission d'étude là-dessus ou si vous allez agir rapidement?

[Traduction]

M. Eggleton: Nous comptons nous pencher sur cette question dans le cadre de l'ALENA. Cet article viole les dispositions de l'ALENA qui traitent de la libre circulation des personnes qui se livrent à des activités commerciales. Nous avons fait valoir ce point dans les consultations que nous avons eues. Lorsque nous prendrons une décision au sujet du groupe spécial, nous en discuterons. Nous aborderons également cette loi dans d'autres tribunes où il sera question d'investissements.

Le président: Je vous remercie, monsieur le ministre, d'être venu nous parler du projet de loi.

Nous allons maintenant céder la parole à vos fonctionnaires. Nous allons discuter en premier du point soulevé par M. Mills concernant la démocratisation de Cuba et le rôle joué par le Canada à ce chapitre. Nous passerons ensuite au projet de loi lui-même.

Je propose que le comité prenne une pause de cinq minutes afin de donner au ministre le temps de quitter la salle. Nous avons également quelques détails administratifs à régler. Nous reprendrons nos travaux à 9 h 55. Merci beaucoup.

M. Eggleton: Merci.

Le président: Merci, monsieur Eggleton.

.0947

.1008

Le président: Je tiens à m'excuser auprès des membres du comité, la pause ayant été plus longue que prévu. Nous devions régler une question de procédure. Je tiens à remercier tous les membres pour leur collaboration.

Nous allons maintenant procéder à l'examen article par article du projet de loi. Mais avant, M. Mills voudrait qu'on réponde à sa question sur le processus de démocratisation à Cuba et les mesures prises par le gouvernement canadien pour atteindre cet objectif.

Nous avons parmi nous M. John Kirk, de l'université Dalhousie, et M. Robert Muse, un avocat de Washington, D.C. Donc, avant de passer à l'examen article par article du projet de loi, je vais demander à nos invités de nous parler du projet de loi. Nous poserons ensuite des questions avant de nous attaquer au projet de loi.

M. Mills: Si j'ai posé cette question, c'est, bien entendu, parce que le ministre en a parlé dans sa déclaration. C'est un argument qui a été invoqué à maintes et maintes reprises et qui sert à justifier cette démarche. Je crois qu'on mérite au moins une réponse. Que se passe-t-il? Est-ce que nos efforts donnent des résultats?

M. Ross Snyder (Directeur adjoint, Direction générale des Antilles et de l'Amérique latine, ministère des Affaires étrangères et du commerce international): Je dirais d'abord très brièvement que les efforts que nous déployons à Cuba, sur le plan des droits de la personne et de la démocratisation, s'apparentent à ceux que déploient de nombreux autres pays, en particuliers les pays européens. Ils ont suivi ce que nous appelons un processus de dialogue et d'engagement qui vise à promouvoir le respect des droits de la personne et les principes démocratiques.

.1010

Nous avons régulièrement des discussions avec les Cubains à tous les niveaux, ici et à la Havane, et nous abordons très souvent avec eux la question des droits de la personne et de la démocratisation du régime. Nous encourageons le gouvernement cubain à se conformer aux normes et aux obligations reconnues à l'échelle internationale.

En ce qui concerne Cuba, nous mettons surtout l'accent sur les droits civils et politiques. Nous estimons que Cuba a réalisé d'énormes progrès au chapitre des droits sociaux et économiques, puisqu'il n'y a eu aucune violation systématique de ces droits, c'est-à-dire des actes de torture ou des exécutions sommaires, récemment. Toutefois, des restrictions très graves continuent d'exister au chapitre des droits civils et politiques, comme par exemple les détentions arbitraires, de même que des atteintes à la liberté d'expression et à la liberté d'association.

Donc, nous abordons ces questions régulièrement avec le gouvernement cubain. Par exemple, nous en avons discuté avec le ministre cubain des Affaires étrangères lorsqu'il est venu au Canada l'année dernière. Nous en avons discuté avec les autres ministres qui sont venus au Canada. Les fonctionnaires canadiens qui se rendent à Cuba abordent également ces questions. Mme Stewart l'a fait lors de sa visite là-bas en 1994.

Nous entretenons également des contacts suivis avec les dissidents et les groupes de défense des droits de la personne à Cuba. Nous avons assister aux procès de dissidents. Nous les rencontrons régulièrement, aussi bien à l'ambassade qu'ailleurs, pour montrer que nous sommes en faveur de la liberté d'expression et d'association.

Nous essayons également d'encourager Cuba à faire preuve d'une plus grande ouverture par le truchement de mesures plus concrètes. Par exemple, nous fournissons un appui financier aux organisations locales par l'entremise du Fonds canadien d'initiatives locales, qui est administré par l'ambassade canadienne à Cuba. Nous fournissons également, par le biais la direction générale du partenariat de l'ACDI, une aide financière aux organisations non gouvernementales canadiennes qui établissent des partenariats avec leurs homologues à Cuba. Nous essayons également d'aider le gouvernement cubain à trouver des moyens de moderniser ses institutions économiques.

Donc, nous essayons par divers moyens de promouvoir, comme je l'ai dit plus tôt, le respect des droits de la personne et les principes démocratiques à Cuba.

Il conviendrait également de mentionner, bien entendu, les nombreux échanges parlementaires qui ont eu lieu. Plusieurs parlementaires, y compris certains membres du comité, ont eu l'occasion de se rendre à Cuba. Leurs homologues ont fait de même. Les deux présidents, M. Parent et le président de l'Assemblée cubaine, se sont rencontrés et ont eu ensemble de nombreuses et longues conversations.

À l'échelle internationale, nous n'hésitons pas, aux Nations Unies, à appuyer vigoureusement les résolutions qui dénoncent l'attitude du gouvernement cubain dans le dossier des droits de la personne. En outre, nous avons publiquement condamné les autorités cubaines lorsqu'elles ont abattu, en février, deux avions de chasse et lorsqu'elles ont harcelé, plus tôt cette année, des groupes de défense des droits de la personne.

Il faut du temps pour obtenir des résultats. Au chapitre des droits politiques et civils, il est difficile de percer le système et de réaliser des progrès rapidement. Quelques progrès ont été enregistrés en 1995, grâce à l'intervention de pays comme le Canada et quelques pays européens. Plusieurs prisonniers politiques ont été relâchés. Le gouvernement cubain a accepté que plusieurs groupes internationaux de défense des droits de la personne se rendent à Cuba, et il a accepté de ratifier la convention des Nations Unies contre la torture.

Il s'agit-là de pas importants pour Cuba, des petits pas dans l'ensemble, qui sont attribuables, à notre avis, à la politique d'engagement et de dialogue que nous avons adoptée. Cette année toutefois a été plus difficile. Plusieurs incidents au début de l'année ont eu pour effet de compliquer le processus. Toutefois, nous continuons de dialoguer avec le gouvernement cubain et d'essayer de trouver des moyens de réformer le régime.

Nous croyons que l'isolationnisme, l'affrontement, contribue à renforcer le nationalisme militant qui, à notre avis, est malsains. Donc, même si les résultats ne sont pas spectaculaires, des progrès continuent d'être réalisés à un certain niveau.

.1015

M. Mills: Je ne peux m'empêcher, encore une fois, de penser à l'expérience que j'ai vécue là-bas. Vous avez parlé des parlementaires. Malheureusement, bon nombre de ces voyages nous mettent en contact avec des gens qui vont nous dire ce qu'ils veulent bien nous faire entendre.

Je ne peux m'empêcher de penser à la fois où je suis allé dans une prison et où...

Une voix: Vraiment?

M. Mills: ...j'ai vu des Cubains travailler, couper des tiges de bambou pendant 18 heures et ensuite être enfermés dans des cellules où ils étaient trop nombreux. Il n'y a pas beaucoup de parlementaires qui ont vu ce genre de choses. Souvent, lorsque nous soumettons des projets de loi comme celui-ci, nous nous vantons de faire beaucoup. Nous devons admettre qu'il y a là-bas de très nombreux problèmes.

Il n'y a pas de liberté d'expression. C'est une dictature. Je ne crois pas que l'approche américaine soit la bonne. Mais nous, est-ce que nous agissons correctement en fermant les yeux? D'après ce que vous dites, ce n'est pas ce que nous faisons. Mais il faut faire plus. Cette expérience, je l'ai vécue il y a 15 ans. Les problèmes... Je ne vois pas beaucoup de progrès.

Nous devons collaborer avec les Américains en vue de trouver une solution à ces problèmes. Si nous essayions de faire comprendre aux Américains que l'objectif que nous visons, c'est la démocratisation du régime cubain, nous n'aurions pas devant nous de loi Helms-Burton. L'affrontement non plus n'est pas la réponse.

Merci, monsieur le président

Le président: Merci, monsieur Mills.

Contrairement à ce qui s'est dit récemment à la Chambre, vous n'êtes pas nécessairement en faveur d'une justice vengeresse lorsque vient le temps d'imposer des sanctions criminelles. Vous prônez plutôt la réadaptation. Je trouve cette optique encourageante...

M. Penson: Pour les prisonniers politiques.

Le président: Ah, pour les prisonniers politiques.

M. Morrison (Swift Current - Maple Creek - Assiniboia): Au Québec.

Le président: Je vois. Nous nous écartons du sujet puisque cette question intéresse le comité de la justice.

Merci beaucoup.

Nous avons la chance d'avoir parmi nous MM. Kirk et Muse. M. Muse vient de Washington. J'ai déjà eu l'occasion de vous entendre parler au sein d'une autre tribune. Je sais que vous connaissez très bien cette loi. Vous pourriez peut-être commencer. Je demanderais ensuite à M. Kirk de faire une déclaration. Les membres du comité auront sans doute des questions à vous poser avant que nous ne passions à l'examen article par article du projet de loi.

Je vous remercie d'être venu nous rencontrer aujourd'hui.

M. Robert L. Muse (avocat, Mansfield and Muse, Washington, D.C.): Je vous remercie de m'avoir invité.

Ce matin, je commencerai par vous lire un article paru le 21 septembre, soit vendredi dernier, dans le Miami Herald. Pour des raisons que j'essaierai de vous expliquer plus tard, cet article est à la fois significatif et inquiétant.

Voici ce qu'a publié le Miami Herald:

«Les téléphones ne sonnent pas», se plaignait un haut fonctionnaire, vendredi.

Bien que les 5 911 réclamations initiales reconnues par le gouvernement des États-Unis soient amplement documentées, les hauts fonctionnaires ont dit qu'ils aimeraient que les citoyens américains leur fournissent de l'information sur les autres biens confisqués durant la révolution cubaine.

On pousse l'obligeance jusqu'à fournir des numéros de téléphone et de télécopieur.

Les «autres biens» au sujet desquels ils demandent des renseignements afin de pouvoir appliquer le Titre IV interdisant l'entrée aux ressortissants étrangers qui investissent dans les produits de tels biens ou en font le commerce sont en fait les biens d'Américano-Cubains, de prétendus biens faisant l'objet de réclamations. Or, ces biens étaient la propriété de Cubains au moment où ils ont été expropriés par le gouvernement de Cuba, le plus souvent au début des années 60.

Il faut se demander s'il convient que les États-Unis appuient, par recours au Titre IV et au Titre III - les dispositions de la loi Helms-Burton concernant les poursuites judiciaires - les réclamations de personnes qui n'étaient pas des ressortissants américains au moment de l'expropriation.

Deuxième source de préoccupation pour vous, quel effet aura probablement cet appui sur les citoyens canadiens?

.1020

En réponse à la première question, c'est-à-dire s'il convient de donner un tel appui, il faut prendre note qu'il viole un principe fondamental du droit international public, soit le principe de la nationalité des réclamations: si l'on veut que le droit international s'applique à la confiscation d'un bien par un gouvernement, la personne dont le bien a été exproprié doit, au moment de l'expropriation, être un étranger du pays où a été exproprié le bien.

Je suis d'accord que l'énoncé est peut-être mal rédigé, mais à l'analyse, l'intention est claire.

Le droit international ne s'applique pas quand un gouvernement confisque le bien de ses propres citoyens sous forme d'expropriation, par exemple pour construire des routes, procéder à une réforme agraire en Amérique latine, voire dans le cadre d'un programme de nationalisation maintenant tout à fait désuet comme l'a fait le régime castriste au début des années 60. Le gouvernement des États-Unis n'a pas le droit d'adopter une loi qui punit les ressortissants d'un tiers pays comme le Canada à l'égard de tels biens.

La loi adoptée est préoccupante en raison du nombre élevé de réclamations qui seront faites par des personnes ayant la nationalité cubaine lorsque leurs biens ont été expropriés à Cuba. Le nombre total de réclamations certifiées d'entreprises américaines au moment de l'expropriation - j'en représente certaines - atteint un peu moins de 6 000. Les réclamations d'importance ne se comptent que par quelques centaines - les réclamations d'une valeur de plus d'un million de dollars au moment où les biens ont été expropriés, en 1960.

L'expression «réclamations certifiées» désigne les entreprises, américaines au moment de l'expropriation, dont la réclamation a été certifiée par la Foreign Claims Settlement Commission des États-Unis, organe relevant du Département de la justice. Parmi les 10 plus importantes réclamations d'entreprises américaines, on compte une entreprise d'électricité, une entreprise de services téléphoniques, deux raffineries de pétrole, une mine de nickel et cinq producteurs de sucre. À elles seules, ces entreprises représentent des réclamations de plus d'un milliard de dollars, contre un total de 1,6 milliard de dollars pour toutes les entreprises américaines.

Souvenez-vous: nous n'avons pas voulu la loi Helms-Burton. Cependant, même si nous y avons recours, son incidence sur les ressortissants canadiens serait en grande partie limitée. Il n'y a pas tant de réclamations que cela. À mon avis, il faut se demander ce que les États-Unis ont fait pour trouver une solution aux problèmes de ce groupe d'ayants droit. Il existe des recours en droit international. Nous en avons déjà parlé. Mais qu'ont fait les États-Unis jusqu'ici pour régler le litige international et que sont-ils disposés à faire dans l'avenir?

Quant au second groupe, les Américains d'origine cubaine dont le gouvernement des États-Unis sollicite actuellement, de manière alarmante, des réclamations, ils risquent d'avoir beaucoup plus d'incidence sur le Canada et ses ressortissants.

Entre 1959 et 1980, 800 000 Cubains se sont établi aux États-Unis. Environ 200 000 de plus ont débarqué au cours des 15 dernières années, ce qui donne, au total, une population d'environ un million. Le plus souvent, les Cubains qui ont émigré aux États-Unis sont naturalisés et peuvent donc soit entamer une poursuite en vertu du Titre III, si cette disposition était appliquée, soit composer les numéros de téléphone publiés dans le Miami Herald pour essayer de faire interdire l'entrée aux États-Unis de tout ressortissant étranger qui a un lien quelconque avec leurs biens.

Je ne vous embêterai pas avec des détails, mais, il y a environ un an, j'ai écrit à la Commission des finances du Congrès pour lui signaler que, si le Titre III est appliqué, entre 300 000 et 400 000 Américano-Cubains pourraient entamer des poursuites.

.1025

J'ai témoigné devant le Sénat des États-Unis, le 30 juillet dernier, soit il y a à peine quelques mois, et je me suis plaint au président du sous-comité de l'hémisphère occidental, sénateur Paul Coverdell, de Georgie, qu'un an plus tard presque, je n'avais toujours pas reçu de réponse à cette lettre. Le sénateur démocrate Chris Dodd, du Connecticut, qui bien connu s'est plaint qu'il n'avait pas reçu de réponse à la lettre dans laquelle il se plaignait du retard mis à répondre à la mienne.

Jusqu'ici, nul n'a nié la possibilité que 300 000 à 400 000 poursuites puissent être entamées. Chacun des éventuels plaideurs en vertu du Titre III est un éventuel plaignant contre vos ressortissants.

Petite parenthèse, je signale qu'avec le temps, la plupart des propriétaires originaux des biens expropriés sont morts. La plupart des expropriations datent d'environ 35 ans. Ce sont leurs descendants vivant dans le sud de la Floride qui présenteront une demande d'indemnité. La croissance géométrique du nombre d'Américano-Cubains explique, en partie, le nombre de poursuites prévu.

J'aurais quelques brèves observations à faire au sujet de la portée des Titres III et IV dans la mesure où ils touchent le Canada. Ces articles de loi se fondent sur un principe appelé l'effet de la cocotte-minute: on exerce tant de pressions sur Cuba au moyen d'un embargo que, tôt ou tard, on provoque la chute du gouvernement actuel, de même qu'une débâcle économique et l'effondrement des institutions sociales et politiques de l'île. C'est l'effet visé. Les poursuites lancées en vertu du Titre III et les interdictions en vertu du Titre IV sont destinées à priver l'île des devises fortes dont elle a besoin et, en fin de compte, de provoquer l'effondrement de son gouvernement et de son économie.

Une fois le gouvernement tombé et l'économie en débâcle, la loi Helms-Burton fixe plus de 20 exigences précises établissant ce qui constituerait alors un gouvernement démocratique à Cuba. Parmi ces conditions, on prévoit notamment que le gouvernement de Cuba cesse de brouiller les signaux de radio et de télévision commandités par le gouvernement des États-Unis et l'inclusion, dans la Constitution, d'une disposition garantissant le droit à la propriété privée. Je ferai remarquer qu'au Canada, lorsque vous avez rédigé votre charte des droits, il n'y a pas si longtemps, vous avez décidé, après débat, de ne pas inclure le droit de propriété dans vos droits fondamentaux. Pourtant, les États-Unis l'imposent maintenant à Cuba.

Enfin, parmi les nombreuses conditions imposées, il s'en trouve une qui est fort intéressante, à la lumière du débat qui a eu lieu récemment pour décider si Ross Perot pouvait participer au débat présidentiel aux États-Unis et que certains d'entre vous ont peut-être suivi. La loi Helms-Burton exige la tenue d'élections supervisées par des instances étrangères «avec la participation de multiples partis politiques jouissant d'un droit égal d'accès non restreint aux médias», et tout le reste.

Voici où vous en êtes. En tant que pays souverain, on vous empêche, au moyen de la loi Helms-Burton, d'exercer votre prérogative d'avoir une politique étrangère distincte à l'égard de Cuba. La seule façon dont vous pourrez maintenir des liens économiques avec l'île sera, par exemple, de passer par votre entreprise privée, soit pour investir à Cuba ou pour y faire du commerce. Les Titres III et IV sont conçus de manière à nuire économiquement à l'entreprise privée en vue de vous dissuader de continuer à entretenir des liens avec Cuba.

Pour en revenir à la question des Américano-Cubains, je le souligne parce qu'ils sont les architectes de la loi et que les principales répercussions découleront de l'application à la fois du Titre IV, qui est actuellement en vigueur, et du Titre III, qui entrera en vigueur plus tard. Lors d'une audience devant le Sénat des États-Unis, le 14 juin, un avocat américano-cubain du sud de la Floride a déclaré que «l'inclusion des Américano-Cubains [dans le Titre III]... est impérative si l'on veut réaliser les objectifs de la politique étrangère [énoncés dans la loi Helms-Burton]. D'après M. Sanchez, les ayants droit reconnus «représentent au plus 5 p. 100 des biens productifs à Cuba». Il a ensuite ajouté: «L'inclusion des Américano-Cubains permet de viser un nombre beaucoup plus élevé de biens et, partant, de limiter davantage le bassin d'investissement éventuel à Cuba. En limitant le champ d'investissement, le projet de loi à l'étude pourrait décourager l'investissement étranger à Cuba et, partant, nuire aux chances que pourrait avoir le régime de se maintenir au pouvoir, de sorte que l'objectif de notre politique étrangère est atteint».

.1030

Comme dernier point au sujet du principe de la nationalité des réclamations, nous pourrions débattre pendant des heures encore des diverses répercussions juridiques du projet de loi. Encore une fois, je rappelle que, d'après ce principe, pour qu'un pays appuie les réclamations, quelle qu'en soit la forme, d'un particulier pour la perte d'un bien à l'étranger, il faut que ce particulier ait eu la citoyenneté du pays lorsque le tort lui a été causé. C'est un principe établi du droit international, auquel ont longtemps adhéré les États-Unis.

Lorsqu'ils placent une annonce - essentiellement une annonce pour rendre publics les numéros de téléphone et de télécopieur - dans le Miami Herald invitant les Américano-Cubains à présenter des réclamations concernant leurs biens aux fins du Titre IV, c'est le droit international qu'ils violent. Ils le font en connaissance de cause et délibérément. J'ai passé 18 mois de ma vie à le leur répéter. Ils savent parfaitement qu'ils ne peuvent étendre ces droits aux Américano-Cubains.

J'aimerais vous parler brièvement de quelques procès. Dans l'affaire Palacio, un procès entendu par la Cour de district fédérale des États-Unis et mettant en cause les réclamations de propriétaires cubains d'entreprises de fabrication de cigares à Cuba, le tribunal a déclaré:

Je pourrais vous en citer d'autres comme cela; les exemples sont nombreux. Cela ne servirait qu'à souligner que le principe de la nationalité des réclamations est bien ancré - il est incontestable en droit international - et que les États-Unis y ont toujours souscrit, tout comme le Canada, par exemple lorsqu'ils ont établi leur programme de réclamations à l'égard de Cuba en 1971.

Dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères d'Ottawa, le 14 janvier 1971, le Canada affirmait:

Avant de vous quitter, j'aimerais vous laisser sur cette note: le Canada a souscrit au droit international en ce qui concerne le principe de nationalité des réclamations. Vous êtes parfaitement en droit de vous attendre que les États-Unis le fassent aussi.

Je vous remercie.

Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Muse.

Monsieur Kirk, vous pourriez rejoindre M. Muse, après quoi nous entamerons la période de questions.

M. John Kirk (Département des études latino-américaines, université Dalhousie): Il serait peut-être utile que je vous décrive d'abord mes compétences.

Je suis professeur d'études latino-américaines. Ma spécialité est le Cuba contemporain, que j'ai visité 40 fois au cours des 20 dernières années. J'ai rédigé et révisé sept livres, je crois, sur Cuba. Je viens tout juste d'en terminer un sur les relations canado-cubaines, sujet que j'étudie depuis cinq ou six ans.

J'ai aussi travaillé de concert avec plusieurs entreprises canadiennes, essentiellement de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de l'Ontario, qui soit ont des investissements à Cuba ou y font des exportations. J'ai accompagné le premier ministre Savage lors de deux missions commerciales couronnées de succès en 1991 et cette année.

Je ne suis pas avocat. Je n'ai absolument aucune expertise en droit. Des observations à cet égard seraient donc nulles et non avenues. Cependant, aux fins de ma recherche, j'ai analysé des mesures législatives antérieures d'embargo et je tenais à partager avec vous certaines de mes conclusions à ce sujet. J'aimerais aussi établir un cadre qui vous aiderait peut-être à comprendre les relations canado-cubaines, la dynamique essentielle en jeu et leur orientation actuelle.

Cependant, j'aimerais commencer par éclaircir un point qu'a fait valoir Ross Snyder. Le dossier du respect des droits de la personne à Cuba ne s'est pas beaucoup amélioré - pour en revenir à votre question - , mais j'estime que la position adoptée par les États-Unis est manifestement improductive. On peut en voir l'hypocrisie, étant donné la politique d'ouverture pratiquée à l'égard de la Chine et du Viet-Nam.

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N'est-il pas vraiment étrange que les États-Unis cherchent à assommer Cuba alors qu'en Chine et Viet-Nam, ils parlent d'ouverture. C'est de l'hypocrisie crasse.

Permettez-moi tout d'abord de vous expliquer ma réaction au projet de loi. Après avoir lu la prose plutôt indigeste pour un professeur d'études latino-américaines, j'avais l'impression que la mesure était sensée, sauf sur un point. La mesure antérieure destinée à mettre fin au semblant de démocratie à Cuba - le projet de loi Torricelli de 1992 - paraissait bien, elle aussi. Elle prévoyait des peines limitées. Il s'agissait d'un geste symbolique avant tout. Cependant, elle imposait tout de même des peines de 8 500 $ et de cinq ans au plus d'emprisonnement.

Lorsqu'elle a pris la parole, le 13 octobre 1992, la ministre de la Justice d'alors, Kim Campbell, a dit que le projet de loi était destiné à préserver la primauté du droit canadien et de la politique commerciale canadienne. Si nul ne s'y opposait, la mesure adoptée par le Congrès le 5 octobre 1992 représenterait un empiétement inacceptable du droit américain sur celui du Canada et pouvait nuire à d'importants intérêts canadiens en matière de commerce international. Les entreprises canadiennes devraient se conformer aux lois et aux règlements du Canada, non pas à ceux d'un pays étranger.

Des paroles de défi, s'il en est! Malheureusement, en réalité, de nombreuses entreprises ayant leur siège social aux États-Unis ont simplement ignoré la loi. J'ai vu des prévisions selon lesquelles entre au moins 12 et au plus 20 entreprises ont suivi les ordres de leur siège social situé aux États-Unis et ont ignoré la loi canadienne. Il s'en est suivi un processus d'auto-censure.

Les entreprises les plus souvent citées sont Eli-Lilly, Pepsi-Cola, Red Lobster, Heinz et American Express. À l'époque, les dossiers avaient été transmis, si j'ai bien compris, au ministère des Affaires étrangères qui les avait ensuite refilés au ministère de la Justice. Il semble qu'ils se soient perdus dans l'appareil bureaucratique. Le dossier d'American Express aurait été le dernier à faire l'objet d'un examen.

Durant cette période, il y eut une bouffée de nationalisme. Cependant, elle ne s'est pas accompagnée de la volonté politique nécessaire pour appuyer la politique clairement énoncée du gouvernement. De plus, les exportations canadiennes... dans ces pays se sont simplement taries. Elles ont cessé. Légalement, il était très difficile de poursuivre ces entreprises pour autocensure. Je crois savoir que de la documentation a été remise au gouvernement du Canada illustrant comment le siège social avait ordonné à la filiale canadienne d'ignorer la loi canadienne. Encore une fois, ces documents se sont perdus dans les limbes.

Je souligne le fait parce qu'il faudrait mettre fin à certaines échappatoires. Il faudrait mener une campagne rigoureuse afin d'aviser les fabricants et exportateurs canadiens et faire un exemple en punissant ceux qui enfreignent la loi canadienne. Je souligne donc un point essentiel: on a déjà fait l'essai de ce genre de mesure, et elle a été un échec retentissant. Il importe donc, cette fois, l'appliquer avec la plus grande rigueur.

Je voulais aussi vous faire connaître la réaction de clients que je représente et de dirigeants d'entreprises que j'ai rencontrés au sujet de la loi Helms-Burton. Leur réaction me semble varier en fonction de deux éléments. D'une part, elle dépend de la vulnérabilité de ces entreprises aux États-Unis et de leurs objectifs à court ou à long terme.

Certaines grandes sociétés qui ont des investissements aux États-Unis ont donc décidé d'attendre. Deux grandes banques nationales qui s'étaient montrées enthousiastes et intéressées à aider des sociétés canadiennes à investir à Cuba et à exporter vers ce pays se sont retenues de le faire. La plupart des petites et moyennes entreprises, toutefois, ont continué à investir et à exporter. Elles entrevoient un marché à créneaux, ont peu à craindre des mesures américaines de rétorsion et veulent s'établir avant la normalisation attendue des relations avec les États-Unis.

La même chose s'applique dans le monde entier. Il est important de se rappeler que la politique du Canada à l'égard de Cuba n'est pas exceptionnelle. Très souvent, nous prenons Jesse Helms trop au sérieux et croyons jouer un rôle de conciliation. Nous croyons peut-être qu'il est vrai, dans un certain sens, que notre politique est différente.

En fait, notre politique n'est pas plus différente de celle de la plupart des pays d'Europe et des pays d'Amérique latine. Pas plus tard que la semaine dernière, les pays de l'ASEAN ont dénoncé la loi Helms-Burton. Ils ont ainsi emboîté le pas aux pays de la CARICOM, du groupe de Rio, de l'OEA, comme cela l'a été mentionné plus tôt, ainsi qu'aux pays de l'Union européenne.

.1040

La politique étrangère comme la politique commerciale du Canada à l'égard de Cuba sont normales. Il s'agit d'une politique identique à celle adoptée par tous les pays du monde à l'exception des États-Unis.

L'effet de la loi Helms-Burton a été également assez limité. Il y a deux mois, le vice-président Carlos Lage a annoncé que 25 nouvelles coentreprises ont été conclues à Cuba depuis l'adoption de la loi Helms-Burton.

J'aimerais vous donner un bref aperçu des relations canado-cubaines, telles qu'elles existent aujourd'hui. J'ai eu la chance, ces cinq dernières années, d'avoir accès à des diplomates à La Havane et à Ottawa, de consulter les archives des Affaires étrangères et du Commerce international à Ottawa, ainsi qu'à La Havane. Je n'insisterai jamais assez sur le fait que nos relations avec Cuba sont normales. Elles ne sont pas particulièrement chaleureuses; elles sont normales.

Le Canada n'aime pas certains aspects du système cubain et je crois, ainsi que l'a mentionné M. Snyder, que des instances ont été présentées au plus haut niveau à La Havane, exprimant notre préoccupation à l'égard de la situation des droits de la personne à Cuba. Toutefois, nous croyons qu'une politique d'engagement, de rapprochement, et non une politique d'isolation, est la voie à suivre; ce qui explique la mission commerciale du gouvernement canadien en Chine et en Indonésie, pays qui, d'après moi, ont des antécédents encore pires que Cuba en matière de droits de la personne.

J'indiquerais également que les relations commerciales portent fruit. J'ai laissé quelques chiffres à la greffière. Il suffit de les examiner pour s'apercevoir qu'entre 1990, date de la disparition de l'Union soviétique, et 1995, les échanges ont en fait augmenté de 100 p. 100, ce qui est considérable. Ces dernières années, de 1994 à 1995, les exportations canadiennes vers Cuba sont passées de 114 à 274 millions de dollars.

Les exportations cubaines à destination du Canada ont également augmenté de manière importante, soit de 65 p. 100, passant de 194 à 320 millions de dollars. Si l'on examine le premier trimestre de cette année pour essayer de mesurer l'effet de la loi américaine, les exportations de Cuba à destination du Canada ont considérablement augmenté; elles ont doublé. Les exportations canadiennes vers Cuba ont encore augmenté de 32 p. 100. Je prétends donc que notre politique d'engagement porte fruit, qu'elle est solide et partagée par la communauté internationale.

J'aimerais toutefois conclure en vous rappelant l'échappatoire qui a été exploitée la dernière fois. Je pense qu'il est important que cela ne se produise plus.

Je vous laisse également une caricature qui, je l'espère, au fil de votre examen de chaque article, vous aidera à voir les aspects plus légers de cette mesure législative, ainsi que la réaction du Canada qui, à mon avis, est admirable.

Merci beaucoup.

[Français]

M. Sauvageau: Messieurs, merci pour votre présentation. Mes questions vont s'adresser surtout à M. Kirk, de l'Université Dalhousie. Cependant, si M. Muse veut y répondre aussi, il n'y a pas de problème.

Vous avez parlé plus tôt des échappatoires qui existent déjà dans la loi et vous avez fait mention du cas American Express. Nous savons pertinemment, et j'ai posé la question en Chambre le 18 juin dernier, que le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international avait en sa possession des lettres disant que la filiale canadienne de la compagnie American Express suivait les directives de la maison mère par rapport à ses actions à Cuba.

La modification apportée à la loi par le ministre Eggleton lui-même n'est-elle pas de la poudre aux yeux ou vient-elle plutôt rendre la loi plus rigoureuse? La loi existante n'a jamais été utilisée depuis 10 ans même si on a eu l'occasion de le faire. Cette fois-ci, veut-on vraiment la rendre applicable?

.1045

Monsieur, je m'excuse, mais j'ai aussi un commentaire qui ne vous concerne pas. Il concerne M. Morrison. Je tiens à lui citer le Nouveau Testament par rapport à ses propos déplacés sur le Québec: «Nous lui pardonnons car il ne sait ce qu'il dit». Je vous remercie.

[Traduction]

M. Kirk: J'ai commencé mon exposé en disant que je n'avais aucune formation juridique. Je répète donc que ne suis pas qualifié pour donner un avis sur la façon de faire disparaître cette échappatoire. A première lecture, il me semble que cette fois-ci les mesures ou les peines prévues sont beaucoup plus lourdes. La question, par conséquent, est de savoir s'il existe une volonté politique à cet égard cette fois-ci.

À tout le moins, le fait de pouvoir proposer les peines possibles prouve, à mon avis, que maintenant, contrairement à 1992, le gouvernement prend la chose beaucoup plus au sérieux. Si par ailleurs, nous examinons les antécédents du gouvernement canadien par rapport à ceux du gouvernement précédent, je pense que l'ensemble de la politique à l'égard de Cuba a été beaucoup plus constructive, beaucoup plus utile et, je le prétends, beaucoup plus raisonnable.

Compte tenu du fait que Washington a clairement croisé le fer avec Ottawa et exprimé sa frustration à l'égard de la politique que ce gouvernement a adoptée, avec raison, je crois, le symbolisme, les antécédents, l'alourdissement des peines pourraient donc servir d'antidote, pour reprendre l'expression de M. Eggleton, et permettre de montrer que cette fois-ci nous ne plaisantons pas. Je l'espère, car, dans le cas contraire, il serait futile d'avoir une telle mesure législative. Il faut l'appliquer.

Le président: Monsieur Penson.

M. Penson: Ma question s'adresse à M. Muse et se rapporte à ce qu'il a dit sur le million de Cubains exilés qui vivent aux États-Unis et sur la possibilité de 300 000 ou 400 000 réclamations. Vous avez dit dans votre exposé que cela devrait inquiéter les Canadiens.

Je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous voulez dire. Est-ce que des sociétés canadiennes sont installées sur des terres ou dans des entreprises auparavant exploitées par ces Cubains ou leurs parents? Existe-t-il un risque supplémentaire?

M. Muse: Je pense qu'il est impossible pour des sociétés étrangères de s'implanter à Cuba sans s'installer sur des biens susceptibles de faire l'objet de réclamations à Miami. Cela s'explique de plusieurs manières.

Au plan démographique, les Cubains qui ont quitté Cuba entre 1959 et 1964 essentiellement, appartenaient aux couches supérieures de la société cubaine. Cela revient à dire qu'ils étaient propriétaires de la plupart de l'île, de la plupart de ses entreprises productives. Soit dit entre parenthèses, entre le moment où les petits avions ont été abattus le 24 février et la conférence qui a produit la version finale de la loi, on a supprimé un mot important de la loi Helms-Burton.

Les biens confisqués à Cuba susceptibles de faire l'objet de poursuites devaient être utilisés au plan commercial. Maintenant - je dépasse peut-être la portée de votre question - pratiquement tout bien à Cuba, les écoles, les hôpitaux, les installations militaires, les biens côtiers non développés, peuvent faire l'objet de poursuites intentées par des Américano-Cubains résidant à Miami. Il s'agit donc pour le monde entier d'une zone interdite à l'investissement.

J'ajouterais que bien des poursuites vont être motivées par l'idéologie. Elles vont servir à harceler et dissuader les autres pays du monde d'investir sur l'île. La loi Helms-Burton l'interdit au Canada, ainsi qu'à l'Europe, à l'Amérique latine et à d'autres pays. Tel est son objet. C'est la raison pour laquelle elle devrait inquiéter les Canadiens.

.1050

M. Penson: Elle viserait donc davantage les investissements à venir, plutôt que les sociétés canadiennes qui sont déjà installées à Cuba.

M. Muse: D'après ce que je comprends, un Américano-Cubain a déjà intenté des poursuites contre Sherritt, ou des filiales de Sherritt aux États-Unis, pour raison de trafic. C'est plutôt complexe. Bien que l'application du Titre III soit suspendue, des poursuites de common law sont déjà intentées. Cela illustre le fait que pratiquement tout bien à Cuba puisse faire l'objet d'une réclamation de la part d'un Américano-Cubain.

M. Penson: D'accord.

Le président: Sans aller trop loin dans les détails, monsieur Muse, si je comprends bien, mis à part le fait que cette loi s'applique à des gens qui n'étaient pas de nationalité américaine au moment de l'expropriation, cette définition extraordinairement vaste du trafic pose l'un des grands problèmes.

En fait, quiconque... Si j'achetais un gadget fabriqué dans une usine qui appartenait autrefois par un Cubain devenu maintenant Américain, je pourrais être poursuivi en vertu de cette loi pour avoir acheter ce bien, sous prétexte que je fais du trafic. Cela s'appliquerait à la propriété intellectuelle, aux brevets, à toute forme de biens. Comme vous le dites, une propriété agricole où l'on construit un hôtel, alors qu'il s'agissait autrefois d'une ferme - tout cela serait visé par cette définition assez large du trafic que renferme cette loi.

M. Muse: Ou tout ce qui est produit sur des biens soi-disant confisqués. Je dirais...

Le président: Vous voulez dire que si vous achetez du rhum cubain fabriqué à partir de canne à sucre appartenant autrefois à un particulier, maintenant installé aux États-Unis, vous feriez du trafic, même à titre de ressortissant canadien.

M. Muse: C'est exact. D'après le libellé de la loi, vous tirez profit de ces biens expropriés.

J'aimerais préciser que je ne suis pas ici pour dénigrer ni rabaisser les réclamations présentées par des Américano-Cubains. Ces biens ont été expropriés en vertu de divers programmes et lois. Ce que je dirais par contre, c'est que les réclamations des Américano-Cubains ne sont pas reconnues en droit international. Elles doivent être réglées à Cuba, comme cela s'est récemment passé dans le cas du Nicaragua où les expropriations sandinistes ont été réglées par le truchement d'une campagne d'obligations découlant de la vente de l'un des monopoles de l'État.

Le président: Comme il n'y a pas d'autres questions, j'aimerais vous remercier tous les deux. Vous avez expliqué certains des points techniques et philosophiques du projet de loi et nous vous remercions de votre témoignage.

Nous allons maintenant passer à l'examen article par article. Je ne pense pas que nos invités doivent rester, contrairement aux fonctionnaires, pour que nous puissions poser des questions à ces derniers au sujet de l'examen article par article.

Membres du comité, puisque nous avons entendu divers témoignages, je ne vais pas demander aux fonctionnaires de faire des observations sur chaque article. Je vais simplement nommer l'article et si un membre du comité a une question qu'il aimerait poser, il pourra le faire. Je n'ai donc pas prévu de discussion sur chaque article.

Les articles 1 à 5 compris adoptés

.1055

Article 6

Le président: Peut-être pourrais-je rapidement m'adresser aux fonctionnaires au sujet de l'article 6 qui se rapporte à l'application de la loi, par suite des observations de M. Kirk. De toute évidence, cet article renforce énormément les dispositions en matière de peine et je prends très au sérieux les propos de M. Kirk. Cependant, si nous frappons les sociétés d'une amende de 1,5 million de dollars, il s'agit de poursuites pénales; nous aurons donc le problème de prouver hors de tout doute raisonnable devant un tribunal canadien qu'une infraction a été commise; c'est tout simplement la nature de notre système judiciaire.

Même si nous voulons régler la question, nous ne pouvons certainement pas le faire en dehors des paramètres du système judiciaire canadien. Je présume toutefois que du point de vue des fonctionnaires de la Justice et d'autres, il s'agit de la façon la plus efficace dont nous disposons dans le contexte de notre système judiciaire. Est-ce que je me trompe?

M. Gilles Lauzon (avocat général, ministère de la Justice): Merci beaucoup, monsieur le président.

Effectivement, il s'agit à mon avis d'une refonte des peines qui s'est fait longuement attendre et qui entraîne davantage de respect en ce qui concerne les arrêtés canadiens. Ces peines seraient infligées en vertu des arrêtés pris par le procureur général. En janvier de l'année dernière, nous avons resserré considérablement les arrêtés afin d'élargir leur champ d'application.

Il semblait auparavant que les services, contrairement aux transactions liées aux biens, n'étaient pas visés et que, par conséquent, plusieurs sociétés profitaient de ces échappatoires. C'est donc une mesure que nous avons prise, mais l'autre, soit l'augmentation des peines, est beaucoup plus fondamentale; nous pensons qu'elle permettra de considérablement favoriser le respect de notre arrêté.

Il est ressorti, me semble-t-il, très clairement des conversations que nous avons eues avec des avocats représentant diverses sociétés, avocats qui agissaient toujours anonymement, sans révéler le nom de leurs clients, que lorsque les sociétés avaient le choix entre une amende de 10 000 $ au Canada et une amende d'un million de dollars américains aux États-Unis, il leur était assez simple de prendre une décision.

Nous avons assez bien harmonisé nos amendes avec celles en vigueur aux États-Unis. L'amende d'un million de dollars américains est égale à un peu plus d'un million de dollars canadiens, si bien que nous avons fixé l'amende à 1,5 million de dollars canadiens. Cela nous permet de relever légèrement notre amende par rapport à l'amende américaine pour favoriser le respect. Il s'agit d'amendes maximales, bien sûr, et nous avons le loisir d'infliger une amende moins importante. Mais ce sont ces montants qui viendront à l'esprit de ceux qui s'apprêtent à ne pas respecter un arrêté pris par le procureur général.

Le président: Vous n'avez pas pensé qu'il conviendrait d'indiquer le montant de l'amende en dollars américains dans votre loi?

M. Lauzon: Pas dans une loi canadienne, monsieur.

Le président: Toujours dans le même domaine, ces peines seront-elles étendues aux autres dispositions de la loi visant les arrêtés antitrust et autres, ou resteront-elles pour l'instant dans la loi précédente? La loi traitant d'autres formes de mesures extraterritoriales aux États-Unis, qu'il s'agisse de contrôles d'exportations ou autres, existe depuis longtemps. Allons-nous étendre ces dispositions à toutes ces mesures?

M. Lauzon: Non, nous n'élargissons pas le champ d'application de ces dispositions. Ces peines continuent de s'appliquer dans le cas des infractions visées aux articles 5 et 3; il s'agit des arrêtés que prend le procureur général pour interdire le respect de la loi américaine.

Lorsque l'on arrive aux règles relatives au domaine antitrust, il s'agit d'un recours de type civil. Ce que nous proposons d'étendre à la loi Helms-Burton donnera aux Canadiens la possibilité de recours civil. Les poursuites pénales ne sont donc pas vraiment possibles.

Nous donnons aux Canadiens le droit de s'adresser à un tribunal ou, à tout le moins, de venir nous demander de dire aux tribunaux de ne pas exécuter de jugements étrangers, ainsi que le droit à une récupération au Canada. Nous avons donc choisi une approche civile.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Penson.

M. Penson: Toujours dans le même domaine, j'aimerais une explication. Si une société canadienne est implantée à Cuba et aussi aux États-Unis, possède des biens au Canada et aux États-Unis, ne respecte pas la loi américaine, elle se voit infliger une amende d'un million de dollars américains. Si elle respecte la loi américaine, elle se voit infliger une amende de 1,5 million de dollars canadiens. Est-ce bien cela?

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M. Lauzon: Oui, théoriquement.

M. Penson: Autrement dit, cela revient pratiquement au même.

M. Lauzon: En un mot, oui. On peut, je crois, nuancer ce point de vue, cependant. Tout d'abord, des deux côtés de la frontière, les autorités compétentes devront disposer de suffisamment de preuves avant de poursuivre. C'est un avertissement. Mais il est possible que dans le cadre des poursuites américaines, la partie défenderesse puisse invoquer la loi canadienne comme un genre de protection.

Ce n'est pas une protection garantie. Il est possible en jurisprudence de présenter ce genre d'argument. Par exemple, nous ne pouvons pas donner aux Canadiens la garantie qu'ils s'en sortiront indemnes aux États-Unis. Ce n'est pas ainsi que se passent les choses. Mais il est possible de présenter un tel argument pour diminuer le risque encouru.

M. Penson: L'article 9 proposé vise à les aider à recouvrer ce coût compensatoire... voyons, comment cela fonctionne-t-il? Si cette société aux États-Unis a des biens au Canada, elle pourrait en recouvrer une partie? Ou est-ce différent?

M. Lauzon: Je ne le crois pas, car l'article 9 proposé traite du cas où vous faites l'objet de poursuites intentées par une partie américaine, vous pouvez alors avoir droit à la récupération. Dans ce cas-là, l'amende serait perçue par le gouvernement américain.

Le président: Merci beaucoup.

Les articles 6 et 7 sont adoptés

Article 8

M. Flis: Monsieur le président, au sujet de l'article 8, l'annexe est nouvelle et renvoie à la loi pour la liberté cubaine et pour la solidarité démocratique (LIBERTAD) de 1996. Je me demande si je peux avoir quelques détails à ce sujet.

Le président: Cela se rapporte-t-il à l'annexe?

M. Flis: Oui.

Le président: Il s'agit de la loi Helms-Burton, d'après ce que je comprends. On nous a tous incités à l'appeler loi Helms-Burton.

M. Flis: Oui, nous avons ici tout ce qui se trouve dans la loi Helms-Burton.

M. Lauzon: Cela englobe la loi Helms-Burton dans son ensemble.

M. Flis: Le Congrès a-t-il apporté des amendements au projet de loi Helms-Burton?

M. Lauzon: Cela comprend l'ensemble de la loi Helms-Burton telle qu'elle a été promulguée par le Congrès, avec toutes ses modifications.

M. Flis: Merci.

L'article 8 est adopté

Article 9 - Entrée en vigueur

M. Penson: D'après ce que je comprends, l'article 9 fera l'objet d'amendements à l'étape du rapport. Y a-t-il une discussion sur ce point?

Le président: Ce ne serait pas l'article 9. Je pense qu'il serait possible de faire quelques amendements, avec l'accord de tous les partis, à l'étape du rapport. Si c'est possible, nous ne manquerons pas de vous consulter.

M. Penson: Nous aimerions un préavis à ce sujet. Merci.

L'article 9 est adopté

Le président: L'annexe est-elle adoptée?

Des voix: Oui.

Le président: Le titre est-il adopté?

Des voix: Oui.

[Français]

Le président: Dois-je présenter le projet de loi à la Chambre?

Des voix: Oui.

[Traduction]

Le président: J'informerai les membres du comité du moment où il sera fait rapport du projet de loi à la Chambre; nous passerons probablement très rapidement à son adoption. Merci beaucoup.

Merci de votre participation de ce matin, messieurs les témoins.

La séance est levée jusqu'à 9 h 30, mardi.

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