[Enregistrement électronique]
Le jeudi 6 mars 1997
[Traduction]
Le président: Nous avons ce matin six invités distingués. Nous recevons Mme Van Loon, naturellement, que nous connaissons très bien, de l'Association canadienne des producteurs d'acier. M. Rivard et M. Leduc représentent les Producteurs laitiers du Canada. M. Kinnear représente la Fédération canadienne de l'agriculture. M. Jackson est économiste principal du Congrès canadien du travail. M. Klepak représente la Fondation canadienne pour les Amériques (FOCAL). Le professeur Sigler n'est pas ici pour le moment.
Nous allons commencer. Nous allons suivre la procédure habituelle; nous entendrons les exposés de chacun dans l'ordre où leurs noms apparaissent à l'ordre du jour. Je vous demanderais de limiter vos exposés entre cinq et dix minutes; ainsi, il restera davantage de temps pour les questions, puisque vous êtes si nombreux et que vos témoignages susciteront j'en suis certain de nombreuses questions importantes.
Nous pourrions donc peut-être commencer par Mme Van Loon et passer ensuite au prochain témoin dont le nom apparaît à l'ordre du jour.
Mme Jean Van Loon (présidente, Association canadienne des producteurs d'acier): Bonjour.
[Français]
Merci, mesdames et messieurs, de m'avoir invitée ce matin.
[Traduction]
Nous nous réjouissons de cette occasion de venir vous présenter des suggestions positives plutôt que de réagir par des critiques aux choses qui sont proposées.
Le président: Vous dites que ce sont des critiques, madame Van Loon? J'ai toujours pensé que c'était des remarques des plus objectives et utiles.
Mme Van Loon: Le défi le plus important pour l'industrie sidérurgique canadienne dans le domaine du commerce international, c'est de faire transposer dans la réalité la vision libre-échangiste de l'Amérique du Nord. Nous aimerions recevoir toute l'aide possible pour convaincre les décideurs et les guides d'opinion des États-Unis de la nécessité d'appliquer à fond les dispositions de la l'ALENA, pour que les deux camps puissent concrétiser tous les avantages d'une rationalisation étendue à l'ensemble du continent nord-américain.
J'aimerais prendre le temps ce matin de vous expliquer les raisons commerciales qui justifient cette position. Essentiellement, la réalité est que le commerce de l'acier entre le Canada et les États-Unis est très différent du commerce de l'acier entre le Canada et tout autre pays. Nous avons essentiellement la même clientèle qui est rationalisée à l'échelle nord-américaine.
C'est assez évident si on considère l'industrie de l'automobile, mais il y a également les centres de service, les fabricants d'appareils électroménagers et le secteur de l'emballage. Même dans le cas des secteurs comme le bâtiment, le pétrole et le gaz, elles ne sont pas nécessairement rationalisées à l'échelle nord-américaine. Elles sont surtout concentrées dans certaines régions de telle sorte que les livraisons entre le Nord et le Sud seraient pour eux très avantageuses. Cette tendance s'est accentuée par suite de l'ALE et de l'ALENA ce qui fait que dans certains cas certaines compagnies de pavage qui approvisionnaient une entreprise donnée ont dû exporter aux États-Unis plutôt qu'au Canada pour pouvoir continuer à approvisionner cette entreprise.
La méthode juste-à-temps par camion à contrat est le mode type de livraison à la clientèle commune aux deux pays. Cela est très différent du commerce de l'acier avec des fournisseurs d'outre-mer. Ces relations commerciales particulières font ressortir deux traits distinctifs. Le premier, c'est que le Canada et les États-Unis sont l'un pour l'autre, et de loin, le plus important partenaire commercial pour l'acier. Le second, c'est qu'on dénombre chaque année plus de 500 000 transactions individuelles d'importation et d'exportation des produits de l'acier entre le Canada et les États-Unis, soit plus de 1 400 par jour.
Quels obstacles surgissent dans cet environnement commercial unique? Le problème le plus épineux provient des causes antidumping. Dans le contexte tout à fait particulier du commerce nord-américain de l'acier, on peut relever des cas techniques de dumping dans le cours normal des affaires si le produit traverse la frontière. Par exemple, si on a des problèmes de qualité, habituellement lorsqu'une aciérie a expédié un produit à un fabricant et qu'il y a un problème de qualité, elle ajuste le prix. Le fabricant vend l'acier sur un marché secondaire et l'aciérie compense la différence.
Si on fait une telle chose avec une exportation, il s'agit de dumping. Si on prépare de l'acier pour un essai de matrice pour pièces d'automobile, on prépare un lot spécifique d'acier et on l'expédie. Selon les exigences techniques des définitions du dumping, il faut amortir tous les frais généraux pour ce petit lot, de telle sorte que si on le vend à un prix raisonnable, cela constitue un acte de dumping. Les entreprises doivent donc le donner et le ramener. Il y a donc un certain nombre de pratiques commerciales normales qui sont considérées comme un cas de dumping pour des raisons d'ordre technique.
En raison du volume des échanges commerciaux pour les produits de l'acier, les enquêtes antidumping sont nécessairement plus encombrantes que pour qui que ce soit d'autre. Si on a un petit nombre d'importantes transactions où le produit est expédié par navire, il n'est pas nécessaire de rendre autant de comptes que s'il y a des milliers d'expéditions par camions.
Nous préconisons, comme solution, de faire en sorte que tant d'un côté que de l'autre, on reconnaisse que cela n'a plus de sens et que nous devrions travailler main dans la main pour nous attaquer aux causes réelles de déstabilisation du marché, qui viennent d'outre-mer. Comme les gens ici autour de cette table le savent, nous n'avons pas eu beaucoup de succès à cet égard jusqu'à maintenant.
L'antidumping n'est pas le seul obstacle qui nous empêche de tirer vraiment profit de l'ALENA. Les politiques qui consistent à inciter les Américains à acheter aux États-Unis les procédures douanières des États-Unis représentent aussi un obstacle. Je pense que les gens ici autour de cette table connaissent sans doute ces politiques qui consistent à inciter les Américains à acheter aux États-Unis, et qui en fait empêchent les aciéries canadiennes de participer à de nombreux projets de construction. Vous ne connaissez peut-être pas aussi bien les procédures douanières, mais les États-Unis appliquent ces procédures de façon tellement agressive qu'elles sont presque un instrument de protection en soi.
Par exemple, un camion de produits sidérurgiques d'une de nos sociétés, qui s'apprêtait à faire une livraison juste-à-temps, a été retenu à la frontière l'an dernier, parce que le caractère d'impression sur une partie de l'étiquette d'expédition ne correspondait pas exactement au rapport qui doit exister avec le caractère d'impression d'une autre partie de l'étiquette d'expédition. Donc, pour ne pas désavantager le client, notre membre a dû payer une amende équivalente à 10 p. 100 de la valeur de l'envoi et protester plus tard pour faire relâcher le camion. C'était en août dernier. Aucune réponse n'a encore été reçue à cette protestation.
Dans un autre cas, les agents des douanes ont insisté pour découper deux pouces de l'extrémité d'une plaque taillée sur mesure à des fins de vérification.
Voilà le genre d'obstacles qui subsistent. Nous allons continuer de travailler avec nos homologues américains et quiconque serra prêt à nous écouter afin de leur faire comprendre que l'industrie sidérurgique des deux côtés a des problèmes commerciaux communs.
Par exemple, le Canada et les États-Unis subissent tous les deux les à-coups d'une poussée d'importations à des prix déloyaux en provenance de la Russie et de l'Ukraine. Il en est ainsi parce que les entreprises sidérurgiques de ces pays connaissent mal le fonctionnement du marché libre, ce qui se double de la nécessité pour eux d'obtenir des devises étrangères. Nous travaillons de pair avec nos homologues américains et mexicains pour mettre au point une façon de procéder que nous pourrions présenter aux trois gouvernements de l'ALENA de façon à pouvoir travailler la main dans la main pour régler nos problèmes communs.
Nous allons aussi étudier, de concert avec nos homologues américains, les conditions que nous aimerions voir établir, selon nos intérêts communs, pour permettre à la Russie et à la Chine de faire partie de l'Organisation mondiale du commerce.
Le gouvernement pourrait donc nous aider dans nos démarches en insistant, dans les relations inter-gouvernementales, sur l'importance qu'il y a à éliminer tout ce qui fait encore obstacle à la libération des échanges commerciaux au sein de l'ALENA et en appuyant et en encourageant les initiatives communes de l'industrie sidérurgique nord-américaine.
Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Rivard.
[Français]
M. Claude Rivard (président de la Fédération des producteurs de lait du Québec; Producteurs laitiers du Canada): Merci, monsieur le président. Madame et messieurs les membres du comité, je vous remercie d'avoir invité les Producteurs laitiers du Canada à présenter ce matin leur point de vue sur les irritants commerciaux entre le Canada et les États-Unis. Comme bien d'autres secteurs de l'industrie agricole canadienne, l'industrie laitière canadienne fait l'objet d'attaques répétées de la part des Américains.
Comme vous le savez, l'industrie laitière sort à peine d'un conflit commercial l'opposant aux Américains devant le Groupe spécial de l'ALENA. En juillet 1995, le représentant américain du Commerce extérieur contestait officiellement la mise en place des équivalents tarifaires négociés par le Canada et demandait la mise sur pied d'un tribunal d'arbitrage afin de déterminer si les droits de douane instaurés en 1995 en vertu de l'Accord général de l'Organisation mondiale du commerce contrevenaient à l'Accord de libre-échange américain.
Le 2 décembre dernier, c'est avec une joie non équivoque que les Producteurs laitiers du Canada et le gouvernement canadien accueillaient la décision finale et unanime des cinq panélistes, dont deux panélistes américains, au niveau du Groupe spécial. En effet, ce dernier a déclaré que les tarifs appliqués par le Canada sur les produits assujettis à la gestion de l'offre sont conformes aux dispositions de l'ALENA. C'était une première au niveau du chapitre 20, qui était testé dans cette section-là.
Après 18 mois d'efforts soutenus de la part du gouvernement canadien et de l'industrie laitière, nous avons cru, pour un court instant seulement, que les Américains cesseraient d'harceler le Canada et son industrie laitière. Mais les Américains ne sont toujours pas satisfaits de leur accès au marché des produits laitiers canadiens. À peine quelques heures après que le Groupe spécial ait rendu sa décision, les Américains exprimaient leur déception et, dans une déclaration conjointe, le secrétaire à l'Agriculture, M. Glickman, et la représentante au Commerce, Mme Barshefsky, promettaient que les États-Unis prendraient les mesures nécessaires tout en respectant leurs lois commerciales en vue d'arriver à éliminer les tarifs douaniers.
L'instauration des équivalents tarifaires a pour but, je vous le rappelle, de fournir un niveau de protection équivalent aux barrières non tarifaires qui ont été remplacées, soit les quotas d'importation dans le cas qui nous concerne. Les Américains désirent un accès illimité au marché canadien. Il est bon de rappeler que les tarifs douaniers pour les produits laitiers en provenance des États-Unis, à l'intérieur des limites de l'engagement d'accès négocié au GATT, c'est-à-dire les accès minimums, seront réduits à zéro dès 1998, tel que le stipule l'ALENA.
Mais ceci ne satisfait toujours pas les Américains, qui ne cessent de véhiculer des faussetés sur le système des classes spéciales. Entre autres, le lundi 24 février 1997, un article de la Presse canadienne citait à nouveau Mme Barshefsky, représentante du Commerce aux États-Unis, annonçant que l'administration américaine pourrait déposer une plainte officielle contre les méthodes canadiennes de fixation du prix du lait et des oeufs, plainte qui s'articulerait vraisemblablement autour des mesures déloyales de réduction et de mise en commun des prix appliquées à ces denrées au Canada.
Monsieur le président, il est crucial pour l'industrie laitière canadienne que le gouvernement s'engage à combattre les allégations américaines et ne cède pas sous le poids de la menace. Les classes spéciales sont une extension du système de prix classifiés en fonction des différents marchés desservis et une façon de faire que nous exploitons depuis de nombreuses années au Canada. Ce n'est pas nouveau.
Les producteurs desservent plusieurs marchés et les prix pratiqués sur ces marchés sont représentatifs de ce que les consommateurs canadiens sont prêts à payer. Par le biais de la classe 5, les producteurs se sont donné un moyen d'être concurrentiels avec des produits substituts, entre autres la margarine. De plus, au contraire des dires de Mme Barshefsky, ce système de prix vise non seulement les marchés d'exportation mais aussi le marché domestique. Bref, il semble bien que nos concurrents soient en train de planter le décor pour contester notre régime national de classes spéciales, et il devient de plus en plus plausible que cette contestation nous frappera dès cette année. Le dossier est en train de se monter présentement, d'après les informations que nous avons aux États-Unis.
Les Producteurs laitiers du Canada ont travaillé en étroite collaboration avec les représentants du gouvernement pour développer et instaurer le système des classes spéciales. De plus, ils nous ont confirmé que le système est tout à fait conforme aux dispositions de l'OMC. Nous avons apprécié les efforts déployés par le gouvernement dans la bataille devant le Groupe spécial de l'ALENA, mais ces efforts s'avéreront inutiles si nous ne continuons pas à nous défendre avec énergie.
Pendant que l'industrie laitière canadienne développe des outils pour être plus compétitive dans le nouvel environnement commercial, les États-Unis maintiennent leurs programmes actuels. Le U.S. Farm Bill de 1996 indique clairement que les Américains n'ont pas l'intention de se départir de leurs programmes de subventions à l'exportation. Le Dairy Export Incentive Program sera maintenu jusqu'en l'an 2001 et les Américains y investiront les sommes maximums permises par le GATT. Je vous rappelle qu'au Canada, il n'existe plus de programme de subventions à l'exportation pour les produits laitiers. De plus, le paiement direct a été réduit de 30 p. 100 au cours des deux dernières années et sera éliminé, tel que précisé dans le dernier budget Martin, au cours des cinq prochaines années.
Monsieur le président, notre industrie ne peut concurrencer à armes égales l'industrie laitière américaine, qui continue de recevoir des aides significatives de la part du Trésor américain.
Il existe de nombreux irritants au commerce entre le Canada et les États-Unis. Pendant qu'ils se battent pour accroître leur accès au marché canadien, ils maintiennent une série de mesures protégeant leurs marchés. Souvenez-vous qu'en 1993, un groupe spécial constitué en vertu du chapitre 18 de l'Accord de libre-échange Canada - États-Unis et à la demande du Canada jugeait que les États-Unis avaient annulé et compromis les avantages que le Canada pouvait raisonnablement tirer de l'entente de l'ALE en fermant le marché portoricain au lait UHT du Québec alors même que les négociations se poursuivaient sur la question de l'équivalence. La fermeture du marché portoricain au lait UHT a fait perdre des revenus considérables à l'industrie laitière québécoise et canadienne. Nous étions présents sur ce marché depuis 20 ans. On estimait à l'époque que la seule région de la Beauce, qui produisait ce type de lait, avait perdu 8 millions de dollars aux États-Unis.
L'importation de lait UHT avait été prohibée sur la base qu'il n'était pas produit selon les normes de l'Ordonnance américaine sur le lait pasteurisé (PMO). Tout comme le Canada, les États-Unis ont imposé des restrictions tarifaires à leurs importations de produits laitiers, se conformant ainsi aux règles de l'OMC.
Je vais vous donner un exemple, comme l'ont fait tout à l'heure les gens de l'acier. Selon l'entente, entre la laiterie et l'étable, il doit y avoir des murs étanches. Il y a longtemps que ces normes sont pratique courante au Canada, et on avait exigé la réciprocité. Lorsque nos inspecteurs sont allés de l'autre côté de la frontière, à Porto Rico, pour voir si on y avait des pratiques équivalentes, ils ont constaté qu'il n'y avait tout simplement pas de murs entre la laiterie et l'étable. C'est une aberration. Donc, sous de faux prétextes, on tentait de nous interdire l'accès aux États-Unis. Ce sont des pratiques qu'ils ne mettaient pas en oeuvre.
De plus, les États-Unis maintiennent plusieurs barrières techniques contre l'importation de produits laitiers. Pour être exportés aux États-Unis, les produits laitiers canadiens doivent être conformes à diverses lois et divers règlements comme le U.S. Federal Import Milk Act et les ordonnances de commercialisation du lait des États-Unis. Pour se conformer à cette règle, leurs inspecteurs doivent venir au préalable inspecter notre réseau ou les produits, autant des usines que des fermes. Uniquement pour le lait de Porto Rico, on a dû créer dans la région de la Beauce un réseau d'environ 175 fermes qui ont déjà été inspectées et réinspectées par les inspecteurs américains, chose que nous n'exigeons pas avant d'accepter certains produits laitiers des États-Unis.
Le Répertoire des obstacles au commerce maintenus par les États-Unis de 1996 citait:
- L'application de restrictions techniques américaines imposées sur l'importation du yogourt
présente des difficultés pour les exportateurs canadiens. À la suite d'interprétations ambiguës et
parfois contradictoires de la réglementation adoptée en vertu du United States Federal Import
Milk Act et de l'ordonnance sur le lait pasteurisé de catégorie A, plusieurs entreprises
canadiennes ne sont pas parvenues à obtenir l'autorisation nécessaire pour distribuer aux
États-Unis leurs yogourts.
- Au niveau des permis, même entre les États, ils exigent des permis de réseaux de distribution, et
c'est très très restrictif.
Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Rivard. On reviendra pour les questions.
[Traduction]
Monsieur Kinnear, vouliez-vous ajouter quelque chose?
M. Don Kinnear (représentant de la politique du commerce international et ancien président, Fédération canadienne de l'agriculture): Merci, monsieur le président. Si vous me le permettez, j'aimerais vous présenter Denis Desrosiers de Chicken Farmers of Canada et Gordon Pugh des syndicats du blé des Prairies. Ils pourront m'aider à répondre aux questions si les députés en ont à me poser.
Vous avez un exemplaire de notre exposé dans les deux langues. Je vais essayer de le résumer sans dépasser le temps que vous avez fixé. Nous nous sommes occupés principalement de la rencontre entre notre premier ministre et le président américain. Nous ne nous attendons pas à ce qu'ils entrent dans beaucoup de détails, et nous avons donc essayé d'exprimer nos principales préoccupations et de dégager les messages que nous voulons faire passer. Il y a quatre situations dont nous souhaitons parler rapidement pour illustrer le genre de problèmes auxquels nous nous heurtons et il y a quatre arguments qui pourraient être avancés utilement par le premier ministre.
Nous avons annexé des notes qui nous ont été communiquées par nos membres pendant que nous préparions le mémoire, et également un exemplaire de l'énoncé de politique sur le commerce adopté à notre dernière assemblée annuelle.
Pour passer aux questions particulières, il y a le problème des contingents tarifaires dont on a déjà parlé. Les États-Unis ont contesté les contingents tarifaires du Canada, mais cette contestation n'a pas vraiment de fondement juridique. S'ils avaient accepté la décision du Groupe spécial et s'ils avaient laissé tomber la question, nous aurions peut-être réussi à oublier les frustrations et les coûts de ce processus extrêmement long, et considérer que c'était le prix à payer pour parvenir à une entente commerciale stable. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Les Américains refusent d'accepter les faits. Ils disent qu'ils vont s'y prendre autrement pour nous attaquer, tout cela devient de l'intimidation.
La situation aux États-Unis, les pressions politiques exercées sur le gouvernement sont aggravées du fait que là-bas on ne semble pas expliquer les modalités des accords aux groupes du secteur privé. Les groupes américains étaient absolument convaincus que les États-Unis gagneraient cette affaire sans la moindre difficulté. Ils ne comprennent tout simplement pas les droits et les obligations.
Nous avons eu des différends dans le secteur céréalier, des problèmes considérables. De toute évidence, l'ACCEU devait servir à éliminer les restrictions applicables à l'importation des céréales, dans un sens ou dans l'autre. Au moment de la négociation de l'accord, le mouvement des céréales aux États-Unis n'était absolument pas restreint, mais l'ONC leur donnait tout de même certains droits qui leur permettaient d'invoquer leur article 22 dans ce domaine. Au Canada, il y avait des restrictions. Le Canada a accepté d'abolir ces restrictions et une formule fut adoptée pour accomplir cela. Le Canada a respecté ses obligations.
Lorsque les exportations canadiennes de blé vers les États-Unis se sont mises à augmenter, les États-Unis ont menacé d'imposer des restrictions sur les exportations canadiennes, et cela donna lieu à de longues consultations. À la suite de ces consultations, le Canada a accepté, à regret, de limiter ses exportations de blé pendant un an en attendant que la commission ait étudié la situation. Ces limitations n'existent plus parce que les engagements pris envers les États-Unis dans le cadre de l'OMC ne permettent plus légalement d'imposer des restrictions sur les exportations canadiennes, mais encore une fois, les États-Unis commencent à s'inquiéter et ils veulent nous consulter et trouver une solution.
Les exportations canadiennes de céréales ne sont pas la seule cible des attaques des États-Unis. Ils attaquent constamment notre Commission canadienne du blé depuis le début des négociations, et cela continue depuis que les accords ont été conclus. Les États-Unis font cela en dépit du fait qu'ils ne peuvent pas établir ou prouver que la Commission du blé fait quoique ce soit qui cause des problèmes. Ils n'ont jamais réussi à prouver que les décisions de la Commission du blé contrevenaient aux engagements que nous avons pris aux termes d'accords commerciaux bilatéraux ou internationaux. Et s'ils n'ont pas pu le prouver, c'est parce que ce n'est pas vrai.
Là encore, ce qui aggrave la situation, c'est que les États-Unis ne semblent pas comprendre quels sont leurs droits et leurs obligations aux termes des accords commerciaux qu'ils ont signés.
En ce qui concerne le sucre, j'en ai parlé à certains membres du votre comité lorsque nous avons fait un exposé au sujet de la LMSI. Dans ce cas, les États-Unis ont conservé des droits considérables dans le cadre de l'accord de l'OMC, et l'ALENA n'a pas modifié ces droits de façon notable. Les États-Unis se sont réclamés de ces droits l'année dernière pour fermer un débouché important que nous avions pour l'exportation du sucre et des produits contenant du sucre.
Les États-Unis ont beaucoup augmenté leurs exportations de sucre à destination du Canada. C'est un droit qu'ils ont conservé à cause d'une disposition de l'ALENA que nous considérons comme une anomalie regrettable et qui leur permet d'appliquer leur programme de réexportation au sucre raffiné. D'après l'ALENA, à partir du début de l'année dernière, ils ne devaient plus être autorisés à utiliser leurs programmes de réexportation pour les produits contenant du sucre. En fait, ils ont continué, et le Canada va devoir chercher une solution plus officielle.
C'est une situation où les États-Unis pensent qu'ils peuvent tout avoir. Ils sont tout à fait disposés à exercer leur droit d'imposer des limites, lorsque la chose semble servir leurs intérêts. Par contre, s'ils considèrent que cela est contraire à leurs intérêts, ils refusent de respecter l'esprit de l'accord. Ils auraient dû respecter notre niveau historique d'accès lorsqu'ils ont imposé ces quotas. Ils ne l'ont pas fait. Apparemment, ils refusent d'honorer leurs obligations dans le cadre de l'accord puisqu'ils continuent à utiliser leur programme de réexportation dans le cas du sucre.
L'horticulture est un secteur très diversifié où l'on trouve beaucoup de petits groupes, mais c'est probablement un excellent exemple du genre de petits détails qui peuvent vous rendre fou. Jean Van Loon en a mentionné certains, mais j'imagine que pour les gens du secteur ce ne sont pas de petits détails. Il s'agit des règlements, des normes et des procédures imposées à la frontière.
Les problèmes des exportateurs horticoles ne sont pas aussi dramatiques, peut-être, ou aussi visibles que les problèmes posés par les CT ou les problèmes dans le secteur céréalier, mais les effets sont tout aussi graves. Ce qui aggrave encore la situation, c'est que les produits horticoles sont des produits hautement périssables. Tout retard constitue un problème majeur.
Pour les petits groupes sectoriels, le simple coût des contestations des recours commerciaux américains, qu'il s'agisse d'une mesure compensatoire ou d'une autre procédure, peut être prohibitif. Cela prouve bien que si l'on veut déterminer les conditions nécessaires au bon fonctionnement de l'accord, il faut s'occuper des petits détails tout autant que des gros problèmes.
Avant de vous faire part de notre principal message, j'ai encore une observation au sujet du climat aux États-Unis. D'une façon générale, je crois pouvoir dire que les dirigeants agricoles canadiens comprennent bien nos droits et nos obligations dans le cadre des accords commerciaux. Nous ne sommes pas toujours d'accord, mais au moins nous essayons de comprendre quels engagements ont été pris par le Canada. C'est parfois frustrant, mais au moins, nous avons des relations relativement ouvertes et honnêtes avec notre gouvernement. Nous essayons de ne pas tourner le dos à nos problèmes en acceptant des illusions. Ce genre d'attitude n'est pas constructif.
Apparemment, ce n'est pas le cas aux États-Unis. Un aspect fondamental, c'est que pour appliquer avec succès de nouvelles conditions commerciales, il ne suffit pas de prendre des mesures techniques et de respecter la réglementation. En effet, il faut également éduquer les gens pour que, dans chaque pays, ils comprennent ce qui se passe, et pour qu'ils soient prêts à faire ce qu'il faut pour que le système fonctionne.
Monsieur le président, nous pensons que quatre messages fondamentaux doivent être envoyés aux États-Unis.
Premièrement, l'ACCEU et l'ALENA ont amélioré les débouchés commerciaux des deux pays. Les deux pays ont donc intérêt à adopter un comportement qui assurera le succès à long terme de ces accords.
Deuxièmement, un ingrédient essentiel de ce succès, c'est d'accepter et de respecter les dispositions et les engagements actuels de l'ALENA. On ne résoudra pas les problèmes en se comportant comme des maquignons. Le Canada ne renoncera pas à ses droits dans un secteur dans l'espoir d'aplanir les conflits commerciaux dans un autre secteur. Des modifications à l'accord ou des ajouts pourraient être utiles, mais pour commencer, nous devons être assurés que les États-Unis respecteront leurs engagements actuels.
Troisièmement, les deux gouvernements doivent prendre des mesures pour faire comprendre aux groupes d'intérêt les droits et les obligations de leur pays respectif découlant de l'ALENA. Le risque de conflit augmente considérablement lorsque les gens sont mal informés ou comprennent mal ce qui est autorisé ou interdit en vertu de l'accord. Certaines initiatives conjointes pourraient faciliter cette compréhension. Les syndicats du blé des Prairies ont fait allusion à cette possibilité.
Enfin, l'harmonisation des méthodes, des normes et des règlements est l'un des engagements importants au titre de l'ALENA. Les deux gouvernements devraient redoubler leurs efforts dans ce domaine.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Kinnear.
Monsieur Jackson, je vous en prie.
M. Andrew Jackson (économiste principal, Congrès du travail du Canada): Je vous remercie beaucoup de cette invitation à comparaître. J'aimerais examiner d'une façon un peu plus générale l'impact des accords commerciaux Canada-États-Unis sur les travailleurs, et j'aurais ensuite une recommandation qui en découle.
Je n'ai pas suffisamment de temps pour en parler, mais j'aimerais tout de même attirer l'attention des députés sur un rapport important publié récemment par le CTC sur les effets de l'intégration économique sur les travailleurs canadiens, américains et mexicains. Pour préparer ce rapport, nous avons bénéficié de l'appui de Développement des ressources humaines Canada. Le chapitre de ce rapport consacré au Canada examine en profondeur les impacts de l'ALE, ainsi que les coûts et les avantages de cet accord. Je me ferai un plaisir d'en envoyer des exemplaires aux députés.
J'aimerais vous parler très rapidement d'un court exposé que j'ai eu l'occasion de faire la fin de semaine dernière à Dallas. En fait, c'était le premier séminaire organisé par la Commission de coopération dans le domaine du travail, un organisme créé dans le cadre de l'accord parallèle de l'ALENA et chargé d'étudier toute la question de la productivité et des salaires. Je pense que c'était une manifestation importante. Comme je l'ai dit, c'est la première fois que la commission elle-même organisait une telle réunion, car en effet, c'est une nouvelle institution qui commence à définir son rôle.
Pour résumer rapidement, si on se réfère aux arguments en faveur d'un accord de libre-échange, on disait que l'intégration économique serait favorable au commerce dans les deux sens. Cela devait provoquer une restructuration et une spécialisation des deux côtés de la frontière. Par voie de conséquence, la productivité dans le secteur affecté allait augmenter, et cela aurait pour effet de faire accroître les revenus. Le marché s'élargirait et de nouveaux emplois seraient créés. Je pense que tels étaient les principaux éléments de ces arguments qui n'envisageaient que des avantages.
De notre côté, nous avons toujours pensé que ce modèle était fondé sur certaines hypothèses qui n'étaient pas particulièrement solides, c'est le moins qu'on puisse dire, par exemple le plein emploi des deux côtés de la frontière et la mobilité du capital.
En fait, que ce soit pour l'ALE ou pour l'ALENA, nous pensions de notre côté que les pressions de la concurrence et les différences considérables entre les deux pays en ce qui concerne les normes de travail et l'organisation syndicale pouvaient faire craindre un mouvement vers le plus petit dénominateur commun ainsi que des pressions à la baisse sur les salaires au Canada. Il fallait également s'attendre à voir des emplois disparaître.
J'aimerais vous parler des conclusions du séminaire de Dallas. Plusieurs universitaires ont parlé, dont Daniel Treflen, de l'Université de Toronto, le principal universitaire canadien à la conférence. Ce qui s'est produit - et cela est particulièrement frappant aux États-Unis, au Canada, et au Mexique aussi d'ailleurs - c'est que la première partie de ces scénarios s'est bel et bien réalisée. À la suite de la signature de ces accords, le commerce a augmenté dans les deux sens et on a assisté dans la plupart des secteurs concernés à une augmentation importante de la productivité.
Mais le revers de la médaille, c'est que cette augmentation de la productivité s'est traduite par la perte de certains emplois. Ce qui ne s'est pas réalisé, et cela est vrai des États-Unis, du Canada et du Mexique, c'est que ces augmentations de la productivité ne se sont pas traduites par des augmentations salariales pour les travailleurs, même dans les secteurs directement touchés.
J'attire votre attention sur le graphique de la page 5. On y étudie le rapport entre salaire et productivité dans le secteur manufacturier canadien, et cela sur une très longue période, puisqu'on remonte au début des années 60. Vous trouverez plus de détails dans le texte.
Ce que vous voyez ici, c'est qu'à partir de la fin des années 80 on assiste à une augmentation de la productivité dans le secteur manufacturier canadien, et à mon avis, on peut attribuer une bonne partie de ce phénomène à l'Accord de libre-échange. Toutefois, comme vous le voyez, les salaires véritables ont à peine bougé. Autrement dit, on a assisté à une croissance considérable de la productivité, mais en même temps, l'augmentation des salaires a été très limitée.
Le professeur Treflen, qui assistait au même séminaire, a également étudié cet aspect. Il a brossé un tableau où les industries canadiennes qui jouissaient d'une haute protection tarifaire avant l'accord se sont restructurés, supprimant ainsi de nombreux emplois. Beaucoup d'entreprises ont tout simplement disparu.
Il a constaté qu'une bonne partie des effets de l'accord s'étaient manifestés dans des industries qui jouissaient d'une certaine protection tarifaire, mais dont la protection n'était pas d'un niveau très élevé. Dans ces industries, il a constaté qu'il y avait eu des gains de productivité considérables, des gains d'efficience, et certaines pertes d'emploi. D'après lui, abstraction faite d'autres facteurs, entre la mise en place de l'ALE et 1996, 130 000 personnes auraient perdu leur emploi. Comme je l'ai dit, il ne faut pas oublier non plus que dans les secteurs où on a assisté à des gains de productivité, il y a eu en même temps une stagnation et une baisse des salaires véritables des travailleurs.
Pour parler sans ambages, pour les travailleurs, les perdants sont ceux qui ont perdu leurs emplois et les gagnants sont ceux qui ont gardé leurs emplois mais qui n'ont vu aucune amélioration sur le plan des salaires. C'est un résultat qui n'est pas particulièrement réconfortant, c'est le moins qu'on puisse dire.
J'aimerais aussi signaler une constatation qui me paraît intéressante, quand on regarde les statistiques sur la productivité et les salaires, il est évident que l'accord a provoqué au Canada une augmentation de la productivité. Par contre, ce qui n'est pas très clair, ce qui est même inquiétant, c'est que l'écart entre l'augmentation de la productivité aux États-Unis et au Canada reste très important.
Pour vous donner une idée, entre 1992 et 1995 - ces données viennent du Bureau américain des statistiques du travail - la productivité, c'est-à-dire la production horaire, dans le secteur manufacturier, a augmenté de 11,9 p. 100 aux États-Unis comparé à 7,2 p. 100 au Canada. Pour nous, une augmentation de 7,2 p. 100 constitue une performance relativement bonne si on la compare à la situation avant le tout début des années 80. Toutefois, cela reste inférieur à la performance américaine. Pendant cette même période les salaires véritables ont diminué de 0,5 p. 100 au Canada et aux États-Unis.
De ces chiffres, je pense qu'on peut tirer, et qu'on doit tirer une conclusion, et cela mérite d'être souligné, c'est que l'augmentation considérable de nos exportations vers les États-Unis ces dernières années, une augmentation qui explique une bonne partie de la croissance de notre économie, est en fait attribuable à la dépréciation du dollar par rapport à sa valeur à la fin des années 80. À date, et c'est le moins qu'on puisse dire, il y a toujours lieu de douter que l'Accord de libre-échange ait permis de combler l'écart entre l'augmentation de la productivité au Canada et aux États-Unis. C'est donc inquiétant.
J'aimerais tirer une conclusion de toute cette affaire, et dire que dans une large mesure, mais peut-être pas dans une mesure absolue, ce processus d'intégration est irréversible. Si on considère le secteur de l'acier, il est certain qu'il serait extrêmement problématique de ramener une plus grande proportion de la production sur le marché national aux dépens des exportations. Je pense qu'il y a lieu d'envisager des changements à l'accord, et que c'est souhaitable, et cette intégration axée sur le commerce ne va pas disparaître.
Dans ce contexte, les chiffres que je vous ai cités démontrent l'existence d'un problème considérable dû au fait que nous avons d'une part une intégration économique rapide mais d'autre part des normes de travail qui sont toujours très différentes dans les trois pays. Cela est particulièrement vrai lorsque le Mexique commence à figurer dans l'équation. Le taux de syndicalisation au Canada dans le secteur privé et dans le secteur manufacturier est à peu près le double de ce qu'il est aux États-Unis. À mon avis, notre législation ouvrière n'est pas sans susciter de problèmes, à de nombreux égards et dans de nombreuses provinces, mais il reste qu'elle est bien plus favorable aux négociations collectives que les lois américaines, en particulier dans les États qui ont une législation sur le droit au travail.
Il y a toutes sortes de questions à régler avec le Mexique, des questions de respect pour les droits fondamentaux des travailleurs. En règle générale, les normes d'emploi aux États-Unis sont nettement inférieures à celles qui existent au Canada. Au fur et à mesure qu'on apporte des ajustements, on assiste à un renforcement du pouvoir de négociation des employeurs vis-à-vis de leurs travailleurs. Cela apparaît dans cet écart croissant qui existe entre les salaires et la productivité.
Dans le cadre des ententes de l'ALENA, nous avons bien un accord parallèle au sujet des normes de travail, et à de nombreux égards, cet accord commence à avoir des dimensions institutionnelles. Toutefois, les effets de cet accord restent très faibles et inefficaces. On se contente surtout de s'assurer que chaque pays observe et respecte ses propres lois nationales, mais on ne précise pas dans l'accord parallèle que chaque pays doit respecter une série de droits et de normes de travail auxquels les divers pays se sont généralement ralliés.
Certainement, quand il a été question de l'accession du Chili à l'ALENA, nous étions convaincus que c'était une bonne occasion d'aller beaucoup plus loin que l'accord parallèle actuel dans ce domaine. Les mouvements syndicaux chiliens et nous-mêmes avons discuté de la question et nous avons convenu de l'importance de cette action. Il n'est certes pas question de protectionnisme pour les travailleurs canadiens lorsque les travailleurs des autres pays ne profitent pas des mêmes conditions.
Ce que je veux expliquer, c'est que l'accord parallèle existe, mais il peut toujours être changé. À notre avis, quand on discute avec les États-Unis de la possibilité de renforcer les accords parallèles pour véritablement préciser les obligations réciproques en ce qui concerne les droits des travailleurs, il faudrait partir d'une série de normes de base comme celles de l'Organisation internationale du travail et c'est une question qui devrait figurer en permanence à l'ordre du jour de la politique commerciale.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Jackson. Vous nous avez fait un exposé très réfléchi.
L'intervenant suivant est M. Klepak qui représente la Fondation canadienne pour les Amériques (FOCAL).
[Français]
M. Hal Klepak (directeur des programmes du gouvernement et des fonds d'État, Fondation canadienne pour les Amériques): Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Étant donné mon sujet, je devrais sans doute commencer par dire: «Mesdames et messieurs, voici un numéro entièrement différent». En effet, je vais vous parler des aspects géopolitiques des relations entre le Canada et les Amériques, et j'espère pouvoir vous montrer le rapport que cela a avec ce que vous venez d'entendre.
En écoutant les autres témoins et en me demandant ce que je pourrais bien ajouter, je ne peux m'empêcher de penser à une entrevue célèbre de Ghandi à la.AAC. Quand on parle de l'Amérique latine, c'est un sujet très vaste qu'on aborde, un sujet qui a de nombreuses ramifications. Les différences entre le Honduras et l'Argentine sont remarquables. Lorsqu'en 1947, un correspondant de la.AAC avait demandé à M. Ghandi ce qu'il pensait de la civilisation occidentale, il aurait répondu: «Je pense que ce serait une excellente idée». Je me dis parfois que lorsque nous parlons d'«Amérique latine» c'est un peu la même chose. Ce serait vraiment très bien de pouvoir dire que c'est une entité, mais en fait, ce n'est pas très utile, car c'est loin d'être le cas.
On m'a demandé d'aborder les aspects géopolitiques, et c'est toujours amusant devant un auditoire canadien parce que, comme la plupart d'entre vous le savent, dans cette situation géographique bizarre, où nous nous trouvons, une situation qui ne nous est pas particulièrement favorable sur le plan historique, il est arrivé qu'on compare notre situation à celle de la Pologne.
Dans le contexte de mes observations, monsieur le président, j'aimerais commencer par rappeler que par le passé nous nous sommes remarquablement bien débrouillés avec cette situation géopolitique plutôt regrettable. Les experts en géopolitique vous diront que leur sujet est une constante de la vie politique, c'est-à-dire la géographie. Abstraction faite des Pays-Bas, je pense que c'est assez exact. La géographie ne change pas tellement, mais de toute évidence, elle a plus changé pendant notre siècle que pendant de nombreux siècles auparavant. À mon avis, en cette période d'évolution constante, il est toujours utile de garder à l'esprit les réalités géographiques.
À mon avis, ce dont il est vraiment question en géopolitique et qu'ont souligné ceux qui m'ont précédé, pas forcément explicitement, mais certainement implicitement, c'est que l'aspect politique - et c'est ce dont il est question aujourd'hui - dénote une absence de symétrie. Nous vivons sur un continent et dans un hémisphère où les formes d'asymétrie sont remarquables et frappantes. Elles sont toujours difficiles à cerner, et les ressemblances sur le plan de la taille sont aussi importantes que les autres types de ressemblance.
Évidemment, nos relations avec les États-Unis, ce voisin géant, sont un grand atout en notre faveur lorsqu'il s'agit d'affronter les aspects asymétriques de notre situation. Historiquement, nous avons eu le fait français et la francophonie qui nous a servi de rempart contre toutes possibilités d'assimilation excessives, si je puis m'exprimer ainsi. Nous avons eu également le fait britannique, qui a été un contre-poids extrêmement important pour les aspects asymétriques dont je parle.
Depuis 1867, et jusqu'à tout récemment, nous avons eu des politiques qui cherchaient surtout à éviter ce que M. Pearson redoutait tant, soit la crainte de devenir au nord de la frontière une pâle copie de notre voisin du Sud. Tout cela est très bien, bien sûr, et en même temps, une véritable adoration de tout ce qui est multilatéral est venu étayer cette tendance. Quand on est petit et qu'on a pour voisin quelqu'un de très gros, il est vraiment bien agréable de trouver toutes sortes de petites équivalences ou similarités pour se rassurer.
Si vous le permettez, je vais passer au français pendant quelques instants.
[Français]
Le problème qui se pose actuellement, c'est qu'il y a des changements absolument énormes dans le cadre de ces asymétries. D'un côté, il y a une révolution dans les rapports qu'on a établis avec les États-Unis. On a abandonné la troisième option qui avait été envisagée par plusieurs gouvernements successifs, puisqu'elle était devenue impossible. Même si presque tout le monde au Canada était d'accord dans les années 1970, on a abandonné l'idée d'une troisième option, celle de se distancer davantage des États-Unis. C'était louable et c'était quelque chose qu'on devait viser, mais on a accepté dans les années 1980 que c'était un rêve, que ce n'était tout simplement plus possible. Évidemment, si on envisageait les choses dans cette optique dans les années 1980, c'est encore plus frappant dans les années 1990, alors que nous parlons d'un monde complètement dominé par les États-Unis dans plusieurs sens. Si le monde est dominé par les États-Unis, logiquement, l'Amérique du Nord ou même l'Amérique tout court est dominée par ce pays.
Comme plusieurs observateurs l'ont signalé, le Mexique et le Canada combinés produisent un peu moins de 11 p. 100 du produit global de l'ALENA. Alors, comment voulez-vous faire face aux États-Unis lors de négociations? Il est pas mal difficile de trouver une position de force.
Dans les rapports entre les grands États et les petits États, un peu comme Thucydide le disait il y a 2500 ans, les grands poissons décident de ce qui arrivera et les petits poissons subissent les conséquences des décisions des grands. Je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit de spécial dans cela. Évidemment, dans le contexte actuel, tous les États des Amériques sans exception essaient de réagir et de trouver leur espace face à cette situation.
Curieusement, notre tradition de multilatéralisme gagne beaucoup d'adhérents dans l'hémisphère. Je pense que c'est basé sur quelque chose d'assez logique. Je reviens à l'anglais, si vous me le permettez.
[Traduction]
Bien sûr, cette suite logique d'idées devrait nous conduire à un système fondé sur des règles. C'est un sujet qui, à la longue, doit passablement fatiguer les gens qui sont autour de cette table, mais il me semble tout à fait naturel pour de petits États de se tourner vers le confort offert par des règles. Les grands États peuvent agir par caprice, car ils ont les moyens de donner du poids à leurs caprices, mais les petits États ne trouvent pas cela aussi facile, du simple fait qu'ils sont petits.
Dans les Amériques, et j'arrive maintenant à la question de la rencontre du premier ministre - ce qui est frappant dans la réalité de l'après-guerre froide, c'est que dans une certaine mesure, le Canada a eu beaucoup de chance. En effet, cela nous a plutôt surpris, l'évolution de la politique américaine a été telle que nos désaccords traditionnels avec ce pays sur de nombreuses questions relatives aux Amériques ont perdu de leur importance. Je pense aux désaccords sur la démocratie, des relations civiles et militaires, les droits de la personne, le rôle d'un système interaméricain, etc.
Aujourd'hui, on peut dire que la pensée américaine a rejoint notre position d'il y a quelques années, car aujourd'hui, les Américains ont ce luxe que la guerre froide est une chose du passé. À mon avis, nous avons moins de sujets de mésentente avec les États-Unis, nous avons plus de terrains d'entente et de valeurs communes aujourd'hui, et cette situation est particulièrement confortable.
D'un autre côté, il reste évidemment un certain nombre de sujets de discorde. En ce qui concerne la rencontre du Premier ministre, il faut se souvenir que des mesures comme la législation Helms-Burton, sont loin d'être utiles, et sont, de la part de Washington, une prise de position déplorable en ce qui concerne l'hémisphère, et bien sûr, le système international que nous voulons construire. J'espère qu'il sera possible de ne pas limiter Helms-Burton au Canada, et je suis certain que cela fera partie des discussions. En fait, il n'est pas vraiment question de Cuba, mais plutôt d'un système juridique dans lequel nous puissions tous travailler, un système où les petits États peuvent trouver leur place et conserver une certaine indépendance.
J'espère aussi qu'on pourra parler d'un rôle que nous avons joué dans les Amériques, un rôle qui a été très utile aux Américains, si je puis m'exprimer ainsi. En effet, tout près de Cuba, à Haïti, les Canadiens ont joué un rôle qui, sans être à proprement parler essentiel, n'en était pas loin.
En ce qui concerne les aspects politiques nationaux et plus particulièrement l'immigration, etc., le Canada, du moins les Forces armées canadiennes, ont joué un rôle absolument magnifique, réussissant à calmer, du moins pendant un certain temps, une situation extrêmement tendue. Reste à voir quels seront les résultats à long terme. Bien qu'on trouve de nombreux exemples de ce genre de choses dans les Amériques, j'espère que ces deux exemples démontreront que nous pouvons travailler ensemble à condition de nous souvenir que les ordres fondés sur des règles précises ne sont pas si mauvais après tout.
Le fait que l'ALENA se trouve bloqué est une circonstance troublante. Quand on ajoute à cela des situations comme Helms-Burton, le bilan est assez négatif et regrettable.
Pour conclure, j'aimerais dire que l'unilatéralisme est notre ennemi. Qu'il s'agisse de commerce ou de tout autre domaine, instinctivement, on a tendance à vouloir agir seul. Lorsqu'il s'agit d'un grand pays, ce n'est pas surprenant. Évidemment, cela peut paraître beaucoup plus efficace, beaucoup plus rapide et simple, et à l'occasion, cela peut également servir à se faire élire.
L'unilatéralisme exprime une réalité. Malheureusement, les discours américains sont actuellement remplis de références à la nécessité d'agir multilatéralement et de constituer des équipes pour faire face aux problèmes. Des phrases comme «les problèmes communs exigent des solutions communes» font partie intégrante du monologue qu'on entend actuellement à Washington. Dans la réalité, bien sûr, cela ne permet pas forcément de remplacer les problèmes de drogue par des considérations de droits de la personne, de démocratie, criminalité, criminalité internationale ou, inutile de le dire, des questions économiques d'intégration, entre autres. C'est tout à fait regrettable car cela fait douter de la sincérité de Washington.
À mon avis, l'extraterritorialité et la législation Helms-Burton en sont un symptôme très net. D'une façon plus générale, il me semble que même si ces attitudes tyranniques en sont un symptôme, l'unilatéralisme est la maladie véritable, il ne faut pas s'y tromper. Il faut faire valoir que si nous conjuguons nos efforts pour lutter contre le trafic des drogues, c'est beaucoup plus efficace que lorsqu'un État se contente de déclarations. La même chose est vraie pour la criminalité, l'économie, et le reste.
Bien sûr, vous adopterez sans doute une attitude cynique et répondrez que bien entendu tout cela a déjà été dit. Je suis certain que c'est vrai, et ce serait une critique valable de mes arguments. J'espère simplement que si l'on continue à insister sur cet aspect-là à un moment où on discute tellement d'unilatéralisme à Washington, nous réussirons à faire passer haut et clair le message que l'unilatéralisme s'accompagne d'un prix, et que ce prix est probablement plus élevé pour les États-Unis que le prix d'une coopération multilatérale accrue.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur Klepak.
Comme le professeur Sigler n'est pas là, nous allons passer tout de suite aux questions. Mais auparavant, j'aimerais dire un mot à M. Klepak au sujet de son groupe, FOCAL. Vous nous invitez à vos conférences, et nous apprécions beaucoup vos invitations. Pour ma part, je suis désolé d'en rater certaines, car ces conférences sont très utiles, et je suis très heureux que vous soyez parmi nous aujourd'hui. Nous apprécions beaucoup votre présence. Et même si nous ne venons pas toujours, continuez à nous inviter.
Monsieur Paré.
[Français]
M. Paré (Louis-Hébert): Albert Jacquard dit que la loi du marché est la loi du plus fort. Il y a quelques centaines d'années, M. de La Fontaine disait que la loi du plus fort est toujours la meilleure. J'ai l'impression que ce qu'on entend ce matin est exactement la pensée de ces deux personnages.
Mon commentaire sera très hypothétique parce que je vais défaire l'histoire. Ce n'est pas toujours facile. Si on avait su que les discussions du GATT aboutiraient à l'OMC, est-ce qu'on aurait signé l'ALENA?
Deuxièmement, est-ce qu'on peut penser que les États-Unis tentent d'utiliser l'ALENA pour éviter les effets des accords du GATT?
Troisièmement, comme on sait que la loi du plus fort est toujours la meilleure, est-ce que le Canada n'aurait pas eu avantage à signer des accords bilatéraux avec tous les pays d'Amérique sauf les États-Unis?
[Traduction]
Le président: Cela me rappelle l'adage qui veut que les grandes puissances font ce qu'elles peuvent et les petites puissances font ce qu'elles doivent. M. Paré vous a lancé tout un défi; qui sera le premier à le relever?
Monsieur Jackson. Allez-vous nous donner une réponse d'économiste ou une réponse politique?
M. Jackson: Ce qui m'a frappé en écoutant mes collègues, c'est que dans l'ensemble, cela est assez conforme à ma perception. La réalité sous-jacente, c'est que ce qu'on attendait vraiment de l'Accord de libre-échange, c'était une protection contre le protectionnisme américain. C'était censé être un système fondé sur des règles, qui nous donnerait des chances égales d'accès au marché américain. Or, le message de tous les secteurs est tout à fait clair: le moins qu'on puisse dire, c'est que les résultats sont extrêmement problématiques. Lorsque les États-Unis décident d'orienter le commerce dans la voie de ses propres intérêts, et de tenir compte des pressions nationales, ils continuent à le faire.
Je suis d'accord avec vous quand vous dites qu'il est probablement plus facile de lutter contre ce comportement des États-Unis dans un contexte multilatéral que dans un contexte bilatéral. Nous avons tous dit que les intérêts des petits États sont mieux servis sur une scène élargie.
D'autre part, il y a beaucoup d'aspects de l'ALENA qui ont servi de prototype à l'Accord GATT-OMC. J'ajoute que beaucoup de ces aspects ne me plaisent pas du tout. D'une certaine façon, les États-Unis ont réussi à obtenir une bonne partie de ce qu'ils voulaient obtenir, comme les droits à la propriété intellectuelle, ou les dispositions sur les médicaments brevetés. Cela a commencé avec l'ALENA, et ensuite à l'OMC, et...
Dans une certaine mesure, je crois que les États-Unis ont une prédilection pour les petits accords, car ils deviennent des précédents pour les grands accords. Vous en avez un exemple actuellement avec l'accord multilatéral sur les investissements qui est cours de négociation à l'OCDE. Dans ce cas-là, je suis certain qu'on essaye de se mettre d'accord avec un petit groupe de pays, ce qui créera un précédent qui conduira à l'OMC.
Le président: Monsieur Kinnear.
M. Kinnear: Je vais essayer d'être bref. C'est une question que je n'ai jamais posée aux gens que je représente, j'aimerais tout de même faire certaines observations.
Nous pensons que l'OMC est essentiel pour un pays comme le Canada et qu'il doit être le fondement même de notre politique commerciale. L'ALENA ne remplace pas l'OMC ni l'inverse. Les objectifs sont quelque peu différents. Notre gouvernement n'a jamais dû penser qu'en ayant l'un on pouvait se dispenser de l'autre. Je suis à peu près certain que les membres de mon organisme partagent cette opinion.
L'idée d'avoir des accords bilatéraux avec tout le monde sauf son plus important partenaire commercial n'est pas très séduisante. Il faudrait faire certaines choses à l'OMC. C'est le seul endroit où nous avons suffisamment de poids pour soulever la question. Je n'ai pas de temps d'expliquer pourquoi.
Dans la mesure du possible, il vaut mieux traiter avec un groupe plus vaste, multilatéral mais nous avons des ententes bilatérales ou des accords régionaux de portée limitée parce qu'il n'y a que là que l'on peut accomplir certaines choses. Il faut trouver un équilibre entre les deux, mais il ne faut pas s'abstenir de faire une chose sous prétexte qu'on en fait une autre.
Le président: Oui.
Madame Van Loon, où en serait l'industrie sidérurgique s'il n'y avait que l'OMC et non l'ALENA? Seriez-vous dans la même situation? C'était la question de M. Paré, je crois.
Mme Van Loon: Je confirme ce qu'a dit Don Kinnear: que cela nous plaise ou pas, les États-Unis sont notre plus important partenaire commercial. Vu la nature de l'industrie, pour des raisons géographiques, ces liens continueront d'être les plus importants. Pour nous, il est donc précieux d'avoir accès à un forum bilatéral ou trilatéral où l'on peut approfondir les dossiers et peut-être prendre des mesures qui vont un peu plus loin de ce qu'il est possible d'accomplir dans un cadre multilatéral.
Oui, je pense qu'il y a eu des améliorations dans le domaine des recours commerciaux adressés dans le cadre multilatéral et qui n'auraient jamais vu le jour sous le régime de l'ALENA. N'empêche, certaines ententes conclues dans le cadre de l'ALENA sont très utiles et elles n'ont pas leur équivalent à l'OMC. Par exemple, des améliorations ont été apportées aux prescriptions relatives au marquage grâce à l'ALENA. Il n'est plus nécessaire de détruire son produit pour répondre à ces prescriptions.
Il reste encore beaucoup à faire, mais il y a du bon à avoir une tribune différente pour son partenaire commercial le plus proche.
Le président: Monsieur Rivard.
[Français]
M. Rivard: La question est large. Je dirais qu'on n'avait pas le choix de les signer. On peut voir les choses sous un angle différent. Avec l'ALENA et ses panels de règlement des différends, les Américains sont pour une fois liés un peu plus fortement qu'ils ne l'ont été par d'autres panels dans le passé. On peut prendre les exemples récents du porc et des produits laitiers. Ils sont liés par le fait qu'on a des arbitres au sein du tribunal. Par exemple, dans le panel de l'ALENA sur les produits laitiers, il y avait deux Américains et, de façon unanime... Au plan politique, notre façon de faire peut être renforcée lorsque les ententes sont positives pour nous ou lorsque les panels rendent des décisions intéressantes.
L'autre élément intéressant, c'est que dans différents secteurs, entre autres le nôtre, lorsqu'on a fait des ententes bilatérales, que ce soit avec le Mexique, le Chili ou Israël, on a reconduit ce qu'on avait mis dans les ententes bilatérales avec les Américains. Je ne sais pas si c'est positif pour tous les secteurs, mais ça peut l'être pour le nôtre. Quand on a négocié des pratiques avec les Américains, elles sont reconduites dans les accords avec d'autres pays. Lorsqu'elles sont favorables pour nos secteurs, c'est un avantage.
M. Klepak: Sous la IVe République en France, on disait que cinq Français, ça fait six partis politiques. Des gens ont dit plus tard que cinq économistes, ça fait six opinions.
Je ne sais pas si j'ai quelque chose à ajouter aux commentaires des autres panélistes, mais je pense que l'élément clé est effectivement la question du protectionnisme. On était dans une situation où ce danger était tellement énorme qu'il fallait absolument répondre. Ce qui allait arriver dans le cas du GATT, c'était autre chose. L'éventail de choix qui se présentait au Canada à l'époque n'était pas très étendu. Le timing était important.
Je suis absolument d'accord qu'il y a plusieurs bons côtés à la chose. Le côté bilatéral ne devrait pas toujours être mis de côté non plus. Il y a des situations où le fait que le Canada est conçu autrement que le reste des Amériques joue en notre faveur à Washington.
Je verrais avec beaucoup de mécontentement ou même de peur l'idée qu'on soit transférés à la division des Amériques au Département d'État aux États-Unis. On est considérés comme un pays européen. On fait partie de la division Europe pour des raisons historiques, culturelles etc. Si on était transférés à la division des Amériques, ça refléterait un changement dans l'optique américaine qui ne nous serait pas nécessairement favorable. Les États-Unis voient les pays latino-américains bien différemment de nous. Je pense donc que le côté bilatéral peut aider. Ma seule inquiétude est que, de plus en plus, les Américains veulent que l'ALENA ait son côté politique et même son côté militaire, ce qui pourrait gêner notre indépendance. Je pense qu'il faut être sur nos gardes à cet égard, comme le sont les Mexicains.
[Traduction]
Le président: Pour que ce soit bien clair, vous dites qu'actuellement au département d'État américain, nous relevons du service européen, ou du système du directeur général, si vous me passez l'expression, plutôt que du système américain.
À votre avis, si l'on nous plaçait dans la section américaine, à cause de la façon dont par le passé les États-Unis ont envisagé leurs relations avec l'Amérique latine, les fonctionnaires pourraient retomber dans de très mauvaises habitudes, dont certaines remontent à la célèbre doctrine Monroe. Tout à coup, on risquerait de s'apercevoir que la doctrine Monroe s'applique non seulement dans la Loi Helms-Burton mais aussi ailleurs.
J'ai bien résumé votre point de vue?
M. Klepak: C'est ainsi que je vois les choses. Je ne pense pas qu'on se précipite au département d'État pour apporter des changements, et j'en suis fort aise. Dans ces domaines, le cadre bilatéral nous a bien servis, en tout cas si l'on compare à ce qui est arrivé à d'autres dans l'hémisphère.
Le président: Je veux passer aux questions des autres députés, mais j'aimerais que vous nous disiez un jour comment on peut avoir une vision cohérente de l'ALENA si le Mexique relève de la section de l'Amérique latine.
Monsieur Mills.
M. Mills (Red Deer): Cela fait suite à la question à laquelle j'ai songé lorsque M. Klepak a répondu.
J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'avenir de l'OEA. Il est évident que les Américains sont très satisfaits de l'organisation tant qu'ils occupent l'avant de la scène, mais cela ne durera pas s'ils se retrouvent sur un pied d'égalité avec 32 autres pays. Anticipez-vous des changements et quels effets auraient-ils sur le commerce?
Par ailleurs, vous avez aussi dit qu'il fallait payer le prix de l'unilatéralisme. Quel serait ce prix?
M. Klepak: Vous m'en demandez beaucoup. Je vais faire de mon mieux.
Joel Sokolsky, un collègue à moi de l'Université Queen's, de l'autre côté du fleuve, face au Royal Military College, où j'enseigne à temps partiel, dit que la vision des Américains du multilatéralisme c'est que cela existe pour que, lorsqu'il y a un problème, ils se perçoivent comme le shérif qui réunit un détachement et se lance à la poursuite du vilain qui a troublé la paix ou s'est dit en désaccord avec vous. Pour le Canada et les pays d'Amérique latine, le multilatéralisme, cela sert à ligoter le shérif pour qu'il ne s'énerve pas trop et ne décide pas lui-même en quoi consiste le délit et comment il faut le punir. Ce n'est pas une mauvaise façon de décrire l'OEA.
Depuis le début de l'Union panaméricaine, soit il y a 108 ans, il s'agissait pour les États-Unis d'un moyen de réunir un détachement. Les autres membres de ce détachement envisageraient le multiculturalisme comme un moyen de ligoter le shérif.
Je pense que nous avons eu tendance à nous associer aux Latino-américains. Mais l'OEA est devenue plus active y compris dans le domaine commercial, surtout depuis le sommet de Miami où le Canada, notamment, a fait la promotion du rôle de l'OEA dans le développement de structures et d'idées sur la façon de procéder à l'avenir dans ce domaine. Depuis la fin de 1994, bien des rancunes se sont manifestées. Bien entendu, Washington veut profiter de ces aspects asymétriques et 32 pays peuvent former une opposition assez forte. On n'a pas fini de jouer ce jeu-là.
Pour expliquer ce que je voulais dire par «prix», je peux peut-être donner l'exemple des drogues. Pour toutes sortes de raisons, les États-Unis ont pris position au sujet des médicaments et prescrit les modes d'homologation, de déshomologation et toute une litanie de questions de ce genre semblent être d'actualité et ont progressé au niveau national. En réalité, ces mesures très unilatérales ont eu tendance à freiner la coopération avec les partenaires du Sud. On va aux réunions, on dit ce qu'il faut dire, mais il n'y a pas de collaboration réelle pour régler les problèmes.
Je crois personnellement qu'après avoir reçu l'appui de divers pays, on devrait s'attendre à bien plus de collaboration au niveau multilatéral. Le problème des médicaments ne s'en ira pas facilement. Ce n'est pas ce que je dis. Mais je pense que nous aurions dû faire davantage de progrès si ça n'avait été des confrontations qui ont marqué les 15 dernières années. Je pense qu'on voit le même genre de problèmes dans les relations des États-Unis avec d'autres pays.
C'est de ce prix-là que je parlais.
Le président: Monsieur Penson.
M. Penson (Peace River): Monsieur Klepak, vous avez parlé de l'importance d'un régime fondé sur les règles aux États-Unis, comme l'ALENA ou l'Organisation mondiale du commerce. Mais est-ce que ce pays ne se contente pas de porter un intérêt de façade à tout cela.
Nous avons constaté que pour que notre bois d'oeuvre ait accès au marché américain, il nous fallait accepter moins que ce à quoi nous avions droit, soit des plafonds à l'exportation, ce qui va carrément à l'encontre du libre-échange.
De plus, en ce qui concerne la législation Helms-Burton, ils disent qu'ils vont boycotter ce processus. Je suis peut-être cynique, mais je pense qu'on pourrait affirmer qu'ils n'utilisent cette tribune que pour défendre leurs propres intérêts et qu'ils n'ont nullement l'intention de se conformer aux règles internationales qui ne leur conviennent pas.
J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Klepak: Je pense qu'à mon âge, le cynisme devient chronique et je crois abonder dans le même sens que vous.
Mais je pense qu'il ne faut pas aller trop loin dans la thèse du complot. Je crois vraiment qu'il y a des éléments importants du régime américain au sein du département d'État et même, étonnamment, au Pentagone, qui reconnaissent les avantages d'un régime de collaboration et qui comprennent très bien qu'on ne peut pas agir de manière tout à fait indépendante sur la scène internationale et que des choses comme la Guerre du Golfe persique et d'autres grandes réussites ne sont extraordinaires que parce qu'on a eu l'appui d'autres pays.
Je ne suis pas convaincu que tous pensent ainsi. Mais la politique nationale étant ce qu'elle est aux États-Unis, dans la lutte entre les divers intérêts à Washington, ce genre de courant de pensée auquel vous faites allusion finit par prendre le dessus et faire taire ceux qui à notre avis sont plus éclairés et plus réfléchis, avec le résultat remarquable que l'on reconnaît.
Mais je ne pense pas que tous les groupes d'intérêt les plus importants des États-Unis soient complètement aveugles aux avantages de la coopération. Je crois toutefois qu'à l'occasion, sur des questions importantes, c'est l'impression qu'on peut avoir et cela peut nous attrister. Tout régime à base de règles, je pense qu'on y a fait allusion quelques fois, qui permet une négociation et une sorte d'arbitrage ou des jugements éventuels me semble préférable à la mêlée générale.
J'espère que rien de ce que j'ai dit ne laisse entendre que je suis contre cela. Je pense que les règles sont très nécessaires. Mais nous ne pouvons nous attendre à ce qu'elles règlent tout.
M. Penson: Vous avez laissé entendre que les États-Unis avaient récemment fait un bon bout de chemin. Je me demande toutefois si ce n'est pas le Canada qui s'est rapproché des valeurs ou des principes américains, ce qui peut donner l'impression que nous sommes restés là pendant qu'eux bougeaient.
Je pense à notre réduction des tarifs. Notre politique était plus centralisatrice, plus portée à l'érection de barrières tarifaires. Nous nous sommes certainement beaucoup réorientés. Il me semble que c'est nous qui avons bougé beaucoup et non pas eux.
M. Klepak: Oui, je pense que c'est une partie du phénomène et que les choses bougent beaucoup au Canada. Notre pays n'est plus le même qu'il y a dix ans, loin de là et votre exemple est excellent.
Je pense que ce à quoi je faisais allusion, c'est l'idée que si l'on revient aux années de la guerre froide ou avant, le gouvernement américain était alors très interventionniste et prêt à sacrifier les droits de la personne, la démocratie et d'autres bons principes dans le but plus large de limiter l'expansion du communisme et d'écraser la réforme, sans parler de la révolte, dans notre hémisphère. Bien entendu, le Canada était dans une toute autre position lorsqu'il considérait le même problème, comme on l'a vu en Amérique centrale, à Cuba, à Grenade et pour tant d'autres questions.
Je présume que je pensais surtout à la politique, mais qu'au sujet de l'économie, vous avez vu juste.
Le président: Merci.
[Français]
Monsieur Rivard, vous aimeriez ajouter quelque chose?
M. Rivard: Oui, j'aurais peut-être un commentaire. Dans la dernière question, on parlait d'évolution. Oui, le Canada évolue, mais je vous donnerai un exemple où il faudra faire attention dans notre secteur.
Dans les règles de l'OMC, on a convenu de donner un accès minimum sans tarif à l'ensemble des pays. Au moment de la signature de l'entente, on donnait un accès au Canada dans notre secteur en fonction de la consommation canadienne, qui s'établissait en 1996 à 4,28 alors que celui des Américains était à 1,86. À la fin de la période, en l'an 2000, le Canada devrait être à 4,71 tandis que les Américains devraient être à 2,17. Nous allons donc beaucoup plus rapidement que les Américains. Peut-être avons-nous pris la track trop rapidement; il faudrait peut-être ajuster notre vitesse de croisière. Sinon, on donne notre marché et on n'a pas la réciprocité. Merci.
[Traduction]
Le président: Madame Bakopanos.
Mme Bakopanos (Saint-Denis): Merci, monsieur le président.
Je ne sais pas par où commencer. J'ai trouvé que nos témoins étaient en général très pessimistes. C'est l'impression que j'ai, moi qui ne connais rien à l'agriculture, sauf lorsqu'il s'agit de manger un oeuf par jour. Je tiens à continuer à consommer des produits canadiens.
Ma question s'adresse à M. Kinnear. Si les États-Unis ne respectent pas leurs obligations et leurs responsabilités envers le Canada, pourquoi faites-vous la promotion de la mise sur pied d'autres structures? Autrement dit, dans votre mémoire écrit, vous vous prononcez en faveur d'un système d'alarme ou d'une commission canado-américaine bilatérale. Mais si les Américains ne respectent pas les structures qui existent déjà, pourquoi vouloir en créer d'autres?
C'est ma première question, j'en ai deux autres, monsieur le président.
Le président: S'il vous plaît, n'entrons pas dans le problème de l'oeuf et de la poule. Le comité a déjà eu beaucoup de problèmes à cause de ça.
Des voix: Ho, ho!
M. Kinnear: Le problème, c'est que tout est relatif. Si vous avez lu notre mémoire, nous ne disions pas que la relation était mauvaise. Vous vous attachez particulièrement...
Mme Bakopanos: J'ai dit que votre mémoire était pessimiste, pas que c'était mauvais.
M. Kinnear: Non, il n'est pas pessimiste. Je pense qu'il est simplement réaliste. Si l'on considère les statistiques du commerce des produits agricoles avec les États-Unis, on constate que nos exportations vers les États-Unis ont crû de plus de 250 p. 100 de 1988 à 1995, tandis que les exportations américaines connaissaient une augmentation d'environ 85 p. 100. Les chiffres de 1996, que nous n'avons pas pu faire entrer dans nos calculs, sont encore plus frappants. Comme l'assiette est plus large aux États-Unis, les chiffres absolus sont plus importants que les simples pourcentages.
Nous avions un déficit commercial chronique avec les États-Unis pour les produits agricoles. Nous avons maintenant tourné la page et nous accusons un excédent commercial croissant avec nos voisins du Sud. Si l'on regarde les choses globalement, il va de soi que certaines choses fonctionnent. Si l'on considère la balance commerciale, les Américains se conforment à l'accord car nous avons été en mesure de tirer partie de la situation.
Nous constatons que certains problèmes sont des problèmes de croissance. Qu'on le veuille ou non, c'est une phase qu'il faut traverser. Ce qui nous inquiète davantage, ce sont les difficultés liées à des problèmes chroniques ou fondamentaux qui sont nuisibles au processus.
Dans la mesure où le Canada doit avoir un système fondé sur des règles il faut ajouter que même si nous ferons toujours des efforts pour obtenir de nouveaux changements à l'accord qui soient dans l'intérêt du Canada, nous devons par ailleurs nous assurer d'avoir la collaboration des parties concernées.
Plus précisément, vous avez mentionné que nous voulions une meilleure compréhension. Il y a eu des cas où des producteurs se sont réunis en groupes, où les gouvernements ont collaboré en processus en dépit du climat politique qui règne aux États-Unis. Lorsqu'un volume suffisant d'information est disséminé, cette information commence à contrecarrer certaines tendances politiques américaines. Selon les syndicats du blé des Prairies, il se peut qu'il y ait, dans le secteur céréalier, certaines entreprises conjointes qui pourraient avoir pour effet de contrer en partie cette désinformation.
En effet, cette désinformation crée pratiquement un cycle qui s'autoperpétue. Le gouvernement réagit aux pressions politiques. Les citoyens sont mécontents des changements. Si le gouvernement n'est pas honnête avec ses citoyens et ne leur dit pas qu'il défendra leurs intérêts car l'autre partie a tort, les pressions tendent à s'intensifier. Le gouvernement doit alors y réagir, et le cycle continue. Mais si l'on peut disséminer certains faits, les gens ne seront peut-être pas contents, ils ne manqueront pas de le faire savoir, mais la majorité dira qu'il faut accepter ce qui se produit et cherchera ailleurs quelque chose de constructif.
Ce n'est pas une relation qui est bonne ou mauvaise, mais c'est sans doute une relation nécessaire. D'ailleurs, elle a plutôt bien servi le Canada sur le plan économique. Notre pays étant plus petit, nous devons faire tout en notre pouvoir pour susciter l'acception des règles, ainsi qu'une bonne attitude, pour que ce partenariat soit encore plus rentable à l'avenir.
Le président: Je pense que M. Pugh voudrait ajouter quelque chose brièvement.
M. Gordon Pugh (directeur, Affaires nationales, Syndicats du blé des Prairies): Oui. En corollaire, je voudrais simplement faire un bref commentaire général.
Par définition, si l'on s'attache aux causes de friction, on entendra des choses négatives. Par définition une pomme de discorde est une chose négative.
Je tenais à signaler que notre secteur, celui des céréales de l'Ouest, vend aux États-Unis des produits d'une valeur de 9 milliards de dollars. Les États-Unis, pour leur part, nous en vendent pour 8,5 milliards de dollars. Cela représente une croissance phénoménale et qu'à cet égard, nos rapports ont été empreints de succès. Je pense que les causes de friction qui surviennent se retrouveraient dans n'importe quel domaine. Lorsque ce genre de problème survient, il faut le régler.
Au sujet de la question, plus précise, de la création d'une commission transfrontalière, cette recommandation provenait en fait d'un comité créé en 1995 par le ministre Goodale et son homologue américain. On proposait la création d'une commission composée de représentants canadiens et américains pour tirer la sonnette d'alarme face à certains problèmes, ou voire même recommander certaines façons de les régler avant qu'ils ne prennent une dimension politique. Nous appuyons sans réserve cette idée.
Mme Bakopanos: Merci.
Ma deuxième question s'adresse à M. Jackson, et elle porte sur la main-d'oeuvre. Le Canada devrait-il négocier plus serré les accords que nous signons? Comment y arriver si, comme vous le dites, il n'existe aucun mécanisme dans certains autres pays pour s'assurer que les conditions seront respectées, notamment en ce qui a trait au travail des enfants? Dans certains pays, il n'existe aucune règle concernant le travail des enfants. Tout récemment, à Amsterdam, le Canada a adopté une position très claire et rigoureuse concernant les normes relatives au travail des enfants. Dans quelle mesure réussirons-nous à les appliquer? Je sais que c'est une question très vaste.
M. Jackson: Tout d'abord, je tiens à dire que nous avons été extrêmement déçus qu'à la réunion ministérielle de l'OMC, on n'ait pas réussi à élaborer une clause sociale pour l'organisation. Comme vous le savez sans doute, notre position - c'est-à-dire celle du mouvement syndical international - est que les membres de l'Organisation mondiale du commerce devraient respecter les droits et les normes relatifs au travail définis dans les principales conventions de l'Organisation internationale du travail. Essentiellement, il y aurait alors en place une procédure qui permettrait le renvoi à l'OIT des cas où l'on estime que ces droits ont été bafoués. En effet, l'OIT possède la capacité d'enquêter sur le terrain et le fait d'ailleurs tous les jours. Ce que n'a pas l'OIT, c'est un mécanisme d'application.
Le problème ne va pas disparaître. Toute la couverture médiatique de la réunion des ministres de l'Organisation mondiale du commerce a joué un rôle important. Certes, les États-Unis et la France étaient en faveur d'une telle mesure, mais nous avons été déçus par la position du gouvernement du Canada. Mais d'après ce que je sais, du moins, certains pays appuient l'idée de poursuivre la discussion sur le sujet, ce qui est encourageant.
Quant à savoir comment cela se rattache à l'accord parallèle de l'ALENA la discussion est ouverte. Au sujet des pourparlers concernant le Chili, on pourrait considérer ce qui sera adopté, à l'échelle de l'hémisphère ou par le biais de l'ALENA, comme un tremplin vers ce que nous souhaitons instaurer à l'échelle internationale.
De prime abord, si les États-Unis exercent des pressions en faveur d'une clause sociale dans l'OMC... j'avoue être assez cynique, c'est-à-dire que je me demande dans quelle mesure ils en feraient intensément la promotion si c'était véritablement une possibilité concrète. Étant donné qu'officiellement, les États-Unis appuient cette position, pourquoi ne pas convenir de respecter ces normes dans nos relations continentales et hémisphériques?
Pour ce qui est des obstacles pratiques, reste à savoir si la législation relative au droit au travail résisterait à un examen de l'OIT si l'on invoquait la disposition sur la liberté d'association. Honnêtement, lors des négociations de l'accord parallèle de l'ALENA, je pense que les États-Unis y ont fait obstacle précisément parce qu'ils ne souhaitaient pas qu'un tribunal international puisse porter un jugement sur la législation ouvrière américaine.
De toute évidence, le contexte politique actuel se prête extrêmement mal à des pressions en ce sens. Chose certaine, si les Républicains s'opposent à l'entrée du Chili dans l'ALENA, c'est qu'ils ne souhaitent pas non plus élargir l'accord parallèle. Je pense qu'à tout le moins, ces questions doivent faire l'objet de discussions avec nos partenaires.
En ce qui concerne l'Accord de libre-échange pour les Amériques, et les négociations connexes, nous souhaitons instamment que toutes ces questions fassent partie des discussions relatives à ce processus. Il nous faut avoir des groupes de travail sur les droits et les normes relatifs au travail, comme nous en avons pour d'autres dossiers. En fait, je crois que certains pays d'Amérique du Sud, notamment le Brésil, ont fait état de leur appui pour une telle initiative.
Essentiellement, nous souhaitons simplement que le gouvernement fasse avancer la discussion sur ces questions sur la scène internationale et, à long terme, je pense que nous progressons dans cette voie. Le problème ne va pas disparaître. D'une façon ou d'une autre, il nous faudra nous pencher sérieusement sur les questions environnementales et les questions d'emploi au sein des structures internationales et le plus tôt sera le mieux.
Le président: Merci, monsieur Jackson. À titre d'information, je vous signale que M. Sauvageau, M. Penson et moi-même étions tous présents à la réunion de l'OMC à laquelle ont participé les représentants du Congrès des États-Unis à Singapour. Il était assez évident à ce moment-là qu'il y avait un clivage politique manifeste entre les membres de la délégation du Congrès quant à la clause sociale et aux normes de travail. D'ailleurs, je pense que cela s'applique également au Chili. À cet égard, vous avez tout à fait raison.
Monsieur Sauvageau.
[Français]
M. Sauvageau (Terrebonne): Ma première question s'adresse aux producteurs de lait. Dans votre mémoire, vous dites:
- Le 2 décembre dernier, c'est avec joie que les Producteurs laitiers du Canada et le
gouvernement canadien accueillaient la décision finale et unanime du Groupe spécial de
l'ALENA.
- Vous disiez aussi que deux Américains siégeaient sur ce panel. Plus loin dans votre mémoire
vous dites:
- Mais ceci ne satisfait toujours pas les Américains qui ne cessent de véhiculer des faussetés...
Tout ce préambule m'amène à vous dire que les fonctionnaires du ministère du Commerce international nous ont donné l'impression que les décisions étaient presque toujours respectées, pour ne pas dire toujours respectées, ou qu'elles enthousiasmaient les Américains qui répondaient aux décisions de ces panels. Puisque vous en parlez dans votre mémoire et que vous le soulevez ailleurs aussi, je vous demanderai d'abord si vous croyez que les Américains respectent les décisions prises par les panels de l'ALENA ou ceux de l'OMC.
Vous avez parlé d'un groupe, monsieur Rivard, qui se proposait d'aller encore une fois devant un panel afin de représenter des Américains et d'essayer de vous contester. Pouvez-vous nous expliquer un peu de quelle façon ils vont essayer de contourner la décision prise par l'ALENA pour aller vous attaquer de côté?
M. Rivard: La raison pour laquelle nous avons accueilli positivement ces panels respectés, c'est qu'au cours des dernières années, dans plusieurs secteurs, dont ceux de l'agriculture, du porc, du lait et de la pêche, nous avons gagné ces panels.
C'est sûr aussi qu'ils respectent ces panels. Au moins, nous avons maintenant une balise comparativement à autrefois, alors que les Américains arrivaient avec une position unilatérale - Porto Rico en est un bel exemple - , nous présentaient une décision et nous disaient que c'était terminé pour le Canada parce que nous entravions le commerce et ne respections pas certaines normes. On nous a complètement sortis de ces marchés.
Maintenant, grâce au règlement des différends, qui est balisé, les délais sont moins longs. En ce sens, entre autres dans le secteur laitier, en vertu de l'article 20, c'était la première fois que ces panels étaient utilisés, et ils étaient plus expéditifs. Nous ne sommes donc pas nécessairement sortis du marché à ce niveau.
Je disais que le respect est important. À moins que je ne me trompe, ils sont revenus à la charge dans les secteurs du porc et du bois d'oeuvre. Je pense qu'il y a un changement de tendance ou d'approche de la part du gouvernement canadien; on sent plus fermement qu'on a une situation assise pour tenir des discussions et essayer de régler les différends qui peuvent se présenter. On sait que les Américains sont spécialistes à ce niveau. Peut-être devrions-nous utiliser davantage cette tactique et préparer la défensive par des contre-attaques, chose dont les Américains sont spécialistes.
Quelle était votre deuxième question?
M. Sauvageau: Excusez-moi, j'étais distrait.
M. Rivard: Pour devenir compatibles au niveau du GATT, nous avions auparavant adopté une façon de faire. Nous jouissions d'un niveau d'exportation intéressant au Canada, soit historiquement d'environ 5 à 6 p. 100. À la suite de l'ouverture du GATT et de l'entente de libre-échange, certains produits, dont la pizza congelée, étaient moins bien protégés au contrôle à la frontière. Le gouvernement canadien, les conseillers du ministère du Commerce extérieur et nous avons regardé comment nous pourrions nous adapter sans qu'il y ait de transfert de fonds entre transformateurs et de subventions directes versées pour l'industrie à l'exportation. Nous avons donc adopté un système de prix différenciés d'un bout à l'autre du Canada pour certains produits qui subissaient une plus grande compétition ou étaient plus à risque.
M. Sauvageau: Ma question n'a peut-être pas été claire. Vous disiez qu'à la suite de la décision du panel américain, un groupe d'Américains s'était formé et se proposait de revenir à la charge.
M. Rivard: J'y arrive. Selon les renseignements dont nous disposons, c'est sur cet élément qu'ils se proposent de nous attaquer. Selon leur interprétation, on pratique des prix différents selon qu'il s'agit d'exportations ou de ventes qu'on effectue au Canada.
Ce n'est pas un phénomène nouveau pour nous. Auparavant, nous avions peut-être huit à dix prix, selon les provinces. Par exemple, le lait de consommation se vend à tel prix, le lait pour la fabrication du yogourt est fixé à tel prix et le beurre poudre, qui est le résidu, est vendu à un prix moindre. Ces prix étaient pratiqués anciennement, mais puisqu'on ne fait plus de transfert de fonds entre les transformateurs, on vend le lait partout au Canada au même prix pour certains marchés spécifiques; c'est un arrangement dont ont convenu les producteurs et les provinces. Selon les renseignements que nous avions et que nous avons toujours, nous croyons être conformes. Il n'y a plus de transfert de fonds, mais une facturation qui est uniforme partout au Canada. Nos transformateurs ont accès à une même matière première et à des prix qui sont similaires.
Bien sûr, les Américains cherchent des moyens de nous contester et invoquent cette approche que nous avions adoptée. La CEE est en train d'établir un système équivalent, qui s'appelle le double prix. Certains pays pratiquent aussi cette politique des prix et les Américains sont en train de mettre en place un programme similaire dans leur politique d'exportation. C'est là qu'ils jouent sur un terrain qu'ils essaient de miner. Indirectement, ils essaient eux aussi d'utiliser des tactiques similaires.
Selon le ministère des Affaires extérieures, la Commission canadienne du lait et les avis juridiques du contentieux du gouvernement canadien, nous étions corrects, et c'est d'ailleurs à leur recommandation que nous avons agi. Mais on voit une attaque venir et on pense que ce sera dans l'année qui vient.
C'est un peu comme dans le cas du porc. Ils avaient invoqué le fait que les employés avaient droit à l'assurance-chômage et à l'assurance-maladie dans certaines provinces. Ils disaient qu'il s'agissait là de subventions qui créaient des distorsions au commerce.
M. Sauvageau: D'accord, je vous remercie.
Le président: Je désire vous accorder à tous cinq minutes. Je donne donc la parole à M. Dupuy, à M. Penson, puis à M. Bergeron.
[Traduction]
M. Dupuy (Laval-Ouest): Je voudrais poser à M. Klepak une question brève portant sur l'élargissement de l'ALENA. D'après une école de pensée, ce serait une initiative positive pour le Canada car au lieu d'être coincés dans une relation bilatérale avec les États-Unis, comme c'était le cas à l'origine, nous serions dans une relation davantage multilatérale. D'ailleurs, nous connaissons vos sentiments au sujet du multiculturalisme, sentiments que je partage.
Mais j'ai une opinion assez différente, que j'aimerais vous soumettre; je pense en effet que c'est une erreur fatale que d'essayer d'élargir l'ALENA, tout simplement en raison du fait qu'avec chaque élargissement, un nouvel accord doit être présenté au Congrès des États-Unis qui ne manquera pas d'y ajouter des clauses supplémentaires ou de le rendre plus restrictif. Et compte tenu du fait que l'entente initiale entre le Canada et les États-Unis constituera l'essence de l'accord pendant de nombreuses années à venir, nous courrons le risque de voir les bons aspects de l'accord original limités et dilués progressivement dans l'accord élargi.
Que pensez-vous de ce deuxième argument?
M. Klepak: Je pense qu'il a un mérite considérable, même si, n'étant pas économiste, je ne suis peut-être pas bien placé pour répondre à cette question, car nous avons ici de vrais économistes. Je pense qu'il faut passer de la théorie à la pratique. Dans chaque cas d'expansion, on peut imaginer une dilution qui pourrait ne pas être nécessairement dans l'intérêt du Canada. Comme vous le savez tous, nous ne sommes pas d'accord avec le Mexique sur bien des questions et très souvent, nous nous retrouvons du même côté que les Américains sur des questions relevant de l'accord trilatéral.
En principe, il pourrait être utile d'amener beaucoup de gens autour de la table, mais l'on pourrait encourir des pertes précises sur le plan économique, et cela pourrait avoir des répercussions, peut-être même sur les plans social et culturel.
On peut cependant aller trop loin. Nous perdrons peut-être le contrôle de la situation, car la plupart des pays latino-américains - et je présume que les pays antillais membres du Commonwealth pourraient être inclus - réagissent à la situation qui émerge actuellement dans le cadre de la même législature dont vous parliez. Ils se disent: «Il nous faut plus de muscle. En relations internationales, il faut avoir du poids. Si nous n'en avons pas, nous ne compterons pas; par conséquent, nous devons mettre de l'ordre chez nous et venir en force autour de la table des négociations de l'ALENA.»
Ainsi donc, les pays du MERCOSUR en particulier et, dans une certaine mesure, du CARICOM, des accords centraméricains et du Pacte andin sont tous à l'affût et se disent: «Nous pouvons voir ce qui se passe dans le cas du Chili et du Mexique. Nous voulons grossir et montrer que nous pouvons réussir. Nous ne voulons pas être des quémandeurs».
Pour ce faire, ils doivent s'organiser, progresser chez eux d'abord et ensuite, s'adresser à Washington et à d'autres capitales de l'ALENA en position de force.
En tant que partenaires, ils veulent vraiment négocier en faisant valoir leurs succès au lieu de se fonder sur des facteurs politiques et ainsi de suite. Telle semble être la tendance dominante.
Je présume que le risque de dilution de l'accord n'existera pas longtemps parce que nous ferons face à un bloc beaucoup plus important la prochaine fois.
M. Dupuy: Dans ce contexte, évidemment, nous avons pris l'initiative de négocier avec le Chili un accord bilatéral qui pourrait être inclus ou non dans l'ALENA lorsque le Chili le ratifiera. Je présume que tel sera le cas en fin de compte.
Est-ce une bonne stratégie? Pensez-vous qu'il serait indiqué pour le Canada de prendre des initiatives semblables avec d'autres pays latino-américains avant d'entamer les négociations avec d'autres membres de l'ALENA?
M. Klepak: Je vais vous donner une opinion très personnelle, mais je ne pense pas que l'élargissement de l'accord à un grand nombre de pays - ou même à un petit nombre de pays - serait particulièrement utile, et ce, pour les raisons que vous avez mentionnées tout à l'heure.
Cependant, j'estime que le cas du Chili était tout à fait différent. Une fois de plus, je pense que c'est une question de calendrier. Il fut un temps où, en raison de la position du Congrès américain, l'on pensait que c'était la fin du rêve. Ce message était fortement véhiculé dans une communauté interaméricaine qui se remettait à peine des terribles années 80 et qui se préoccupait sérieusement de ses possibilités de survie dans le monde actuel, qui est encore plus impitoyable que par le passé.
Je pense donc qu'il est certainement important pour un pays développé, et un grand pays - en Amérique latine, le Canada est considéré comme un grand pays - de prendre cette initiative politique supplémentaire en affirmant que le processus n'a pas tourné court, qu'il a sa propre dynamique, ses propres valeurs, et que le Canada va prendre cette mesure supplémentaire qui n'a pas de répercussions énormes. L'accord commercial entre le Canada et le Chili ne nous a pas subitement transformés, mais il était important de donner cet exemple en disant que le Canada et le Chili croient au libre-échange, qu'on peut le réaliser véritablement entre le Nord et le Sud, et qu'il ne faut pas le fermer. Si on l'avait fermé à ce moment-là, les répercussions auraient été très négatives.
Cependant, il serait maintenant très compliqué de s'adresser à d'autres États ne faisant pas déjà partie du processus pour leur proposer de négocier de petites ententes. Ce serait tout à fait improductif.
Le président: Monsieur Penson.
M. Penson: Monsieur Jackson, je voudrais revenir sur la question des normes de travail. À la réunion de l'OMC à Singapour, comme vous le savez, on a débattu de la nécessité de ces normes, mais je pense que bon nombre de pays en développement se méfiaient du motif invoqué et craignaient qu'il ne s'agisse peut-être pas simplement des normes fondamentales que vous avez mentionnées; cela pourrait être un prétexte pour imposer une barrière commerciale afin de limiter leur capacité de croître et de profiter des possibilités commerciales qu'offre une main d'oeuvre moins coûteuse, par exemple. Je me demande ce que vous en pensez; si nous n'avons pas l'appui des pays en développement, comment avancerons-nous dans ce dossier?
M. Jackson: Je pense que votre observation est juste. En effet, les pays en développement, surtout ceux d'Asie, ont beaucoup contesté la proposition. Toutefois, il faut faire une nuance importante. Dans la plupart de ces pays, les mouvements syndicaux étaient en faveur de cette clause. Cela ne peut pas dire nécessairement qu'il y avait une unanimité chez eux à ce sujet.
En ce qui concerne la question du protectionnisme déguisé, je pense qu'il est vraiment important de comprendre que la proposition des syndicats vise à faire reconnaître par l'OMC, non pas vraiment une série de normes de travail communes, mais plutôt un ensemble de droits ouvriers et la capacité des travailleurs de constituer des syndicats et de nouer des liens de négociation collective - en ce qui concerne les syndicats indépendants de l'État. Pour mettre sur pied un mouvement syndical efficace, rien n'oblige à stipuler que les salaires à Taïwan, en Corée ou ailleurs doivent s'élever à un certain niveau. Nous disons que le processus de négociation pourrait et devrait se dérouler comme dans nos négociations collectives, dont les résultats sont essentiellement déterminés par les réalités du marché et où il faut deux parties pour parvenir à une entente.
L'incidence réelle d'une clause sociale dans l'organisation mondiale du commerce... Je pense que cela aurait des répercussions mineures sur la compétitivité relative des pays comme le Canada, vis-à-vis du Mexique, par exemple. Il pourrait y avoir une certaine incidence. Celle-ci serait vraiment cruciale dans le cas d'un pays comme la Malaisie ou même la Thaïlande par rapport au Vietnam, par exemple, qui vient d'adhérer au système. Les pays nouvellement industrialisés eux-mêmes se sont fixé en quelque sorte un seuil critique en ce qui concerne les salaires. Actuellement, beaucoup de nouveaux investissements vont de la Thaïlande au Vietnam, et même en Birmanie, dont les industries emploient une main d'oeuvre très importante mais sous-payée. Il n'y a vraiment pas de seuil.
Une clause sociale, fixerait en quelque sorte un plancher pour les pays dont le niveau de développement est relativement semblable pour leur donner la possibilité de progresser à partir de ce que nous considérons comme des normes de travail très faibles; en fait, il s'agit de les mettre sur un pied d'égalité, comme on dit.
M. Penson: Une autre chose. Vous avez dit que les ententes auxiliaires que nous avons négociées à propos des normes de travail dans l'ALENA n'étaient pas très exigeantes et qu'elles permettent aux différents pays d'appliquer leur propre droit en la matière. Par ailleurs, je crois vous avoir entendu dire - reprenez-moi si je me trompe - que les États-Unis y voient un facteur contraignant. C'est une des raisons pour lesquelles les États-Unis ne veulent pas signer une entente semblable à l'ALENA avec le Chili, parce que cela les obligerait à accorder au Chili le même traitement à propos de la main-d'oeuvre. La logique m'échappe. Si cela ne les oblige pas à autre chose que d'appliquer leurs propres normes de travail, où est la difficulté?
M. Jackson: Voilà une question intéressante.
L'essentiel pour nous c'est qu'il devrait y avoir dans les ententes sur la main-d'oeuvre une promesse de respecter... Nous sommes d'accord sur un ensemble commun de principes et de droits et il y aurait une forme quelconque d'arbitrage indépendante. Essentiellement, comme vous l'avez dit, dans l'entente auxiliaire de l'ALENA, la seule obligation vraiment contraignante est d'appliquer sa propre législation ouvrière. Pourquoi les Républicains au Congrès américain jugeraient cela inacceptable pour ce qui est de l'extension de l'ALENA? C'est à eux qu'il faut poser la question. J'imagine que c'est l'idée d'un accord parallèle sur la main-d'oeuvre qui ne leur plaît pas. En réalité, l'effet est très limité sur les États-Unis.
Il est intéressant de constater que l'une des mesures prises en vertu de l'accord parallèle a été lancée par le Mexique contre les États-Unis. C'est un niveau modeste auquel l'accord parallèle... Il est certain que les partisans soutiendront qu'il peut être utilisé pour faire connaître ce qui sera perçu comme des restrictions à la liberté d'association et autres questions de ce genre. Il est certain qu'en vertu de cet accord il est possible de soulever la question et d'obtenir les réponses. Il est très faible, puisqu'il n'est contraignant qu'en ce qui concerne le respect des lois nationales, mais cela ouvre des possibilités. C'est peut-être à cela qu'ils pensent.
Le président: Merci
[Français]
Monsieur Bergeron.
M. Bergeron (Verchères): J'aimerais revenir rapidement sur la question de M. Sauvageau. On sait que même lorsque les Américains réussissent ou perdent dans un panel en vertu de l'ALENA, ils cherchent toujours à avoir raison et à obtenir gain de cause. Nos amis de l'industrie de l'acier savent fort bien que les Américains se sont dotés dans leurs propres lois d'un certain nombre de mécanismes qui leur permettent d'être très embarrassants et très embêtants pour les importateurs étrangers, particulièrement les importateurs canadiens sur le territoire américain. Il y a toutes sortes de mécanismes qu'ils mettent en place pour être le plus embêtants possible, ce qui fait en sorte que le Canada a eu tendance dans le passé à chercher à acheter la paix en négociant un accord sectoriel allant en deçà de ce à quoi ils auraient eu droit en vertu des dispositions de l'ALENA ou de l'Accord de libre-échange. Ce fut le cas pour le blé dur et le bois d'oeuvre.
Voici la question que j'aimerais vous poser. Craignez-vous que le Canada tente d'acheter la paix dans le cas des produits agricoles contingentés, notamment dans le cas des produits laitiers?
M. Rivard: La question est intéressante et en voici la chronologie. Ils nous attaquaient il y a18 mois en vertu des tarifs qui nous avaient été imposés à la suite de l'accord du GATT. À peu près à mi-parcours des discussions, ils nous disaient qu'il serait peut-être possible d'en venir à un règlement hors cour et nous rappelaient qu'en 1988, nous avions perdu un panel crème glacée-yogourt. Ils nous proposaient d'en venir à une entente même si cela impliquait que 15 p. 100 de l'industrie aurait dû être plus ouverte que ne le prévoyaient les règles du GATT et même du libre-échange.
Pour une fois, je pense qu'on doit saluer la façon dont nous avons agi. Nous avions donné avis au gouvernement canadien qu'on ne devait pas négocier et que si on avait des droits, il fallait les faire respecter. Je pense que cela a très bien fonctionné.
Le même scénario pourrait s'appliquer. À ce jour, on n'a pas de signe qu'ils vont récidiver, mais ils se cherchent un prétexte pour essayer de nous lancer un défi et de trouver des moyens d'élargir l'accès. C'est en ce sens qu'il faut faire attention.
Bien que je ne travaille pas dans le secteur du bois, je pense que c'est exactement ce qui est arrivé dans le bois d'oeuvre. Par la suite, on est pris avec le problème. Pour garder un accès minimum là-bas, on restreint nos quotas d'exportation aux États-Unis. L'exemple du bois est très réaliste et cela a causé certains problèmes dans l'industrie partout au Canada. Encore une fois, si on a des droits, je suis fermement convaincu qu'on doit mettre toutes nos énergies pour les faire respecter dans nos ententes, comme le font Américains. Jusqu'à présent, je n'ai pas d'indication qu'ils vont agir, mais on peut présumer de leur stratégie.
Le président: Est-ce qu'il n'y a pas une différence entre la question du bois et celle des produits laitiers? Les Américains avaient le droit selon l'accord de modifier leurs lois internes, ce qu'ils ont fait, tandis que dans ce cas-ci, ils n'ont pas le droit de modifier n'importe quel aspect de leurs lois internes. Ce n'est pas exactement la même chose. On n'a pas la même crainte.
M. Rivard: Je ne dis pas la même peur, mais je dis que le Canada a fait un arrangement en ce qui concerne le bois. Je suis loin d'être un spécialiste dans ce secteur, mais le principe fondamental derrière cela est qu'on trouve une façon de faire pour essayer d'engager la cause. Lorsque vous allez devant un tribunal, vous n'êtes jamais sûr du verdict qui sera rendu. Même lorsqu'on a convoqué le panel de l'ALENA dans le secteur laitier, nous n'étions pas sûrs. Nous nous sommes demandé si nous allions doser le risque. Nous avons pris une chance et nous avons gagné. Nous pensions que nous étions dans notre droit. C'est là qu'il y a des risques importants.
Le président: Merci beaucoup.
[Traduction]
J'aurais adoré poser cette question. Si vous faisiez partie d'un groupe spécial américain, ici devant nous, nous auriez-vous dit que les Canadiens sont à l'origine d'autant de points de friction commerciaux? C'est quelque chose que le comité doit examiner. Après tout, si les deux parties ne sont pas sans torts... J'imagine que s'il y avait un groupe d'Américains ici, ils diraient: mais vous faites telle chose, vous trichez sur tel point vous avez coupé nos importations d'acier de moitié, vous avez ces droits de dumping idiots sur telle ou telle chose. Ça risquerait d'être intéressant parce que si là-bas nous leur causons autant de frustrations sur l'application de l'accord, il est certain que cela va avoir des effets sur la nature de nos rapports. Mais ce sera pour une autre fois.
Je tiens à vous remercier tous d'être venus.
Avant de lever la séance, j'aimerais attirer l'attention des membres du comité sur certains points importants.
Le ministre Eggleton a demandé à comparaître devant le comité pour discuter de la promotion du commerce international. Il semble toujours une bonne idée d'entendre les ministres en comité. Est-ce que le 13 mars vous conviendrait? Le ministre Boudria voudrait aussi comparaître pour discuter de certaines questions. Peut-être pourrions-nous essayer de l'entendre le même jour. Est-ce que ce serait acceptable?
Le ministre algérien aux Affaires étrangères sera à Ottawa le lundi 17 mars. Le jour de la St. Patrick. C'est très important. On pourrait ne tenir qu'une de nos réunions officieuses, parce que je sais qu'un grand nombre de membres du comité ne seront pas ici.
[Français]
Le ministre des Affaires étrangères de l'Algérie sera en visite ici. C'est un pays qui a de nombreux intérêts.
[Traduction]
On a proposé d'entendre Mme Menchu, lauréate du Prix Nobel, au mois de juin si nous sommes toujours en session. Je vous donnerai d'autres détails plus tard. Elle vient du Guatemala.
La question suivante est la plus importante: le Budget principal des dépenses. Les membres du comité souhaitent-ils procéder comme nous l'avons fait par le passé, à savoir assister à une séance d'information à huis clos aux Affaires étrangères pendant une demi-journée pour essayer d'en apprendre le plus possible sur le budget principal? Dans ce cas, nous proposons de réserver le mardi 8 avril; le groupe se rendra aux Affaires étrangères pour assister à une séance d'information complète sur le budget, comme nous l'avons fait par le passé.
[Français]
M. Sauvageau: Ce serait une bonne idée. Cependant, chaque fois qu'ils viennent nous voir, ils répondent de façon encore plus évasive que les ministres.
Le président: À mon avis, une demi-journée au ministère a toujours produit des résultats plus positifs qu'une séance ici en public.
M. Bergeron: N'avions-nous pas convenu d'un procédé, monsieur le président, selon lequel on confierait à nos sous-comités d'entreprendre des études exhaustives sur des secteurs particuliers de dépenses du ministère, après quoi on aurait du matériel, ou du jus comme on dit, pour inviter en comité les ministres et les fonctionnaires du ministère et ensuite entreprendre un certain nombre d'échanges avec eux sur la base d'une étude, d'un premier déblayage? Quand on a à discuter des chiffres en général, on se retrouve toujours à tenir des discussions très superficielles.
Le président: Il est ici question d'assister à une journée d'information qu'ils nous donnent. Je crois que c'est l'étape préliminaire et qu'ensuite nous procéderions comme vous le suggérez.
M. Bergeron: D'accord.
[Traduction]
Le président: Le troisième point, donc, sera l'élargissement de l'OTAN et le ministre Axworthy comparaîtra devant nous.
[Français]
M. Bergeron: Quand aura lieu la réunion du Sous-comité du programme et de la procédure?
[Traduction]
Le président: Est-ce que je pourrais d'abord finir ceci?
Le ministre Axworthy comparaîtra devant le comité le 20 mars à l'occasion d'une séance mixte avec les membres du Sénat, à sa demande.
De plus, l'Institut canadien pour la paix et la sécurité mondiales est disposé à comparaître en compagnie du professeur Gartner, spécialiste européen dans le domaine. Il sera peut-être utile de profiter de l'occasion. Il vient de Salzbourg en Autriche. Nous pouvons voir s'il serait bon de l'inclure et de lui poser certaines de ces questions. M. Bergeron et moi-même avons discuté de la question de l'expansion de l'OTAN et de la sélection des candidats. Si l'on ne parle à personne...
En revanche, je crois bien que nous nous entendons pour dire qu'il n'est pas possible d'entendre des représentants des 12 pays qui veulent devenir membres de l'OTAN. Nous n'avons pas le temps. Ce serait donc peut-être une bonne chose de saisir au passage un Européen qui connaît bien la question pour savoir ce qu'il en pense.
M. Penson: Monsieur le président, je pense que l'on pourrait aussi demander à notre ambassadeur à l'OTAN s'il pourrait s'organiser pour venir ici. Cela pourrait être utile
Le président: Entendu. C'est juste, parce qu'il faudra nous prononcer sur cette question rapidement.
Pour terminer,
[Français]
M. Bergeron me demandait quand aurait lieu la réunion de notre sous-comité que nous avons manquée la dernière fois. Pourrions-nous la tenir après la réunion du mardi 11 mars à 11 h 30? D'accord?
Merci tout le monde.
La séance est levée.