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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 18 mars 1997

.0911

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham, Rosedale, Lib.): La séance est ouverte. Il semble y avoir plus d'amplification que d'habitude. Des voix nous parviennent de partout dans la salle.

Il s'agit aujourd'hui de la séance inaugurale ou de la première séance publique du comité qui se réunit à la demande du ministre pour examiner la question du désarmement nucléaire et de l'élimination des armes de destruction massive. Comme nos travaux sont télévisés, il y a lieu je crois de décrire brièvement ce que seront les travaux du comité.

De tous les thèmes d'étude que nous avons entrepris, celui-ci est sans doute celui qui a suscité le plus d'intérêt et de communication de la part de la population. Les citoyens s'intéressent beaucoup au désarmement nucléaire, à l'élimination des armes de destruction massive, des mines terrestres et des autres types d'armes dans le monde. C'est quelque chose qu'il faut encourager je crois, et la participation des citoyens aux travaux des parlementaires pourra nous apporter une grande assistance dans nos délibérations.

Les membres du comité se souviendront toutefois que lorsque nous en avons discuté, nous avons dû composer avec la contrainte qui pèse toujours sur nous au Parlement, à savoir le manque de temps. La session actuelle durera peut-être jusqu'en mai et ne reprendra qu'à l'automne. Certains sont d'avis qu'il se produira peut-être un événement qui viendra changer le cours de la vie parlementaire.

[Français]

Le sous-comité du programme et de la procédure s'est réuni, et nous avons décidé d'examiner de façon préliminaire certaines questions qui portent sur la question du désarmement nucléaire et d'autres formes de désarmement. Nous allons aujourd'hui entendre les représentants de Project Ploughshares, de l'Association des médecins pour la survie mondiale (Canada), des Avocats en faveur d'une conscience sociale et du Centre de ressources sur la non-violence. Ce sera le volet d'ouverture de notre étude.

Compte tenu que nous devons compléter notre étude de la question circumpolaire, celle sur l'élargissement de l'OTAN, que nous pourrons peut-être terminer jeudi, ainsi que celle du budget des dépenses principal, il est évident qu'il sera nous peut-être difficile de présenter au ministre une étude détaillée sur toutes les questions qu'il nous a posées. Mais nous allons commencer aujourd'hui et nous ferons de notre mieux. Nous allons au moins ouvrir ce dossier et, s'il le faut, le transmettre au prochain Parlement pour qu'il le termine.

.0915

[Traduction]

Je souhaite la bienvenue à nos témoins. Je tiens à remercier MM. Roche, Robinson et Regehr d'être venus ce matin. Nous vous entendrons jusqu'à 10 h 30, après quoi nous passerons aux trois autres groupes de témoins.

Vous connaissez tous l'usage aux comités et je vous saurai gré de faire votre déclaration, après quoi les membres du comité voudront sûrement vous poser des questions. Je vous remercie d'être venus.

M. Ernie Regehr (directeur, Politiques et Affaires publiques, Projet Ploughshares): Merci beaucoup, monsieur le président. Nous sommes très heureux de l'occasion qui nous est offerte de comparaître devant le comité. Nous avons un texte dont je voudrais vous faire la lecture. J'aimerais d'abord féliciter le comité d'avoir entrepris cet examen des politiques du Canada concernant les armes nucléaires.

Votre étude est d'une importance historique dans l'évolution de la politique étrangère canadienne et ce, du fait que la Cour internationale de justice - la plus haute instance juridique au monde - a fait évoluer ce dossier déjà ancien des armes nucléaires et des préoccupations internationales sur le sujet vers ce moment décisif. Concrètement, la Cour internationale a ôté toute légitimité à l'armement nucléaire comme élément de stratégie militaire. La décision de la Cour s'inscrit donc en opposition directe aux politiques toujours actuelles de l'OTAN. Le Canada, désireux qu'il est d'une part d'être le défenseur du droit international, mais ayant des engagements à l'égard d'une alliance militaire, par ailleurs, est maintenant confronté à son plus sérieux dilemme de politique étrangère depuis la fin de la guerre froide. Notre témoignage a pour objet d'aider notre pays à relever ce défi de façon constructive.

M. Roche vous présentera maintenant l'essentiel du mémoire, et c'est moi qui lirai la conclusion, après quoi nous serons heureux de participer à un échange de vues.

[Français]

M. Doug Roche (membre de Project Ploughshares et ancien ambassadeur pour le désarmement): Merci, monsieur le président. Avec votre permission, je ferai mes remarques en anglais.

[Traduction]

Récemment en visite au Japon, où nous avons eu l'occasion une fois de plus de constater l'horreur de la dévastation nucléaire, nous avons reçu des maires de Hiroshima et de Nagasaki des messages de solidarité et de soutien destinés à votre comité, que nous déposerons donc auprès de lui par les présentes.

Le 8 juillet 1996, la Cour internationale de justice a émis un avis consultatif selon lequel la menace ou l'utilisation des armes nucléaires serait de façon générale contraire aux règles du droit international qui s'appliquent aux conflits armés, et plus précisément aux principes et règlements du droit humanitaire.

Bien que la Cour ait estimé qu'elle n'était pas en mesure d'établir de façon définitive s'il pouvait y avoir une circonstance extrême d'autodéfense dans laquelle l'arme nucléaire pouvait être utilisée légalement, elle a néanmoins conclu que toute utilisation, ou menace d'utilisation, du nucléaire doit se conformer au droit international.

En outre, la Cour a déclaré unanimement et clairement que:

Monsieur le président, la Cour a pris pour position que, dans la mesure où nulle loi existante autorise ou interdit les armes nucléaires, elle n'a pas la faculté d'inventer une telle législation. De plus, dans l'état du développement mondial, le mandat de la Cour ne lui confère pas de pouvoirs exécutoires d'application de ses avis. Mais il devrait exister une telle loi, et les gouvernements, dans le cadre d'un traité international, sont le seul instrument habilité à en créer une.

La Cour a déclaré, et je cite à nouveau, que:

Le comité doit maintenant sonder les positions fort divergentes concernant l'avenir des armes nucléaires. Les partisans de celles-ci estiment qu'elles sont essentielles à la sécurité et que, tant qu'elles sont réglementées par le droit des conflits armés, elles ne sont pas prohibées. Pour leur part, les abolitionnistes estiment que ces armes, et le risque de génocides universels qu'elles incarnent, menacent la sécurité de chacun.

.0920

Les armes nucléaires sont l'antithèse de la sécurité, et leur perpétuation ne peut garantir qu'un désastre. Le recours aux armes nucléaires, qui frappent aveuglément, ne pourra jamais être compatible avec les règles du droit humanitaire et il doit par conséquent être considéré comme prohibé.

Bien que la Cour elle-même n'ait pas jugé être en mesure de conclure que le droit international dans son état actuel exclut définitivement le recours aux armes nucléaires dans toutes les circonstances, elle a néanmoins déclaré que l'utilisation de telles armes semble «difficilement conciliable» avec le respect des exigences du droit qui s'appliquent aux conflits armés. Même dans le cas d'une «circonstance extrême d'autodéfense, qui aurait pour enjeu la survie même d'un État», la Cour n'a pas été capable de conclure de façon définitive si la menace ou l'utilisation des armes nucléaires serait légitime ou illicite.

Contrairement aux affirmations de certains partisans du nucléaire militaire, cet aspect de la décision de la Cour ne conforte aucunement leur position qui veut que la stratégie de dissuasion nucléaire soit légitime.

Dans une mise en garde, la Cour a averti que la stabilité de l'ordre international souffrira de cette différence permanente de points de vue quant au statut juridique des armes nucléaires. Le désarmement nucléaire est le meilleur moyen de résoudre ce dilemme. En conséquence, la Cour a fait référence au fameux article VI du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, qui oblige les pays à négocier de bonne foi dans le sens du désarmement nucléaire. Il ne suffit de s'engager à négocier. Comme le dit la Cour,

Monsieur le président, je passe maintenant à la question de l'OTAN. Le Comité des plans de défense/Groupe des plans nucléaires de l'OTAN s'est réunit à Bruxelles le 17 décembre 1996 et a publié un communiqué dans lequel les ministres de la Défense de l'Alliance ont affirmé que:

Non seulement cette déclaration fait abstraction de la décision de la Cour, mais elle va même par la suite jusqu'à affirmer que l'Alliance, pour citer les propos de l'OTAN,

La présence des forces nucléaires américaines en Europe, selon l'OTAN,

La seule concession que l'OTAN a faite à l'opinion mondiale se résume dans une déclaration, publiée par le Conseil de l'Atlantique Nord le lendemain, annonçant que l'Alliance n'a pas l'intention d'introduire des armes nucléaires sur le territoire de ses nouveaux membres une fois que l'actuelle expansion de l'OTAN sera terminée.

Monsieur le président, j'attire l'attention du comité sur le fait que les trois États dotés de l'arme nucléaire, membres de l'OTAN - les États-Unis, le Royaume-Uni et la France - poursuivent délibérément de nouveaux déploiements d'armes nucléaires, en dépit de leurs assurances que l'objectif «ultime» demeure le désarmement nucléaire.

Premièrement, cette année, les États-Unis consacreront 24 milliards de dollars au maintien de leur force de frappe composée de 7 000 ogives nucléaires stratégiques, capables d'atteindre n'importe quel point de la planète. Les États-Unis se préparent à déployer le nouveau B61-11, arme nucléaire dite «antiblockhaus», destinée à frapper les blockhaus abritant des postes de commandement enfouis à des centaines de mètres sous terre ainsi que d'autres cibles de grande profondeur. Avec une puissance variant de 300 tonnes à 300 kilotonnes, même dans sa version «micro-nucléaire», une telle explosion souterraine pourrait produire des retombées radioactives extrêmement considérables.

Au mépris du nouveau Traité d'interdiction totale des essais, qui était censé mettre fin à tous les essais nucléaires, dans tous les environnements, et pour toujours, les États-Unis ont l'intention d'entreprendre des essais souterrains dits «sous-critiques» afin de recueillir des données qui lui permettront de concevoir des armes nucléaires plus fiables et capables de survivre à une attaque.

.0925

Deuxièmement, le programme des missiles du Royaume-Uni prévoit des frappes nucléaires limitées pour défendre certains intérêts vitaux, lesquels sont définis dans le Livre blanc sur la défense de 1995 comme étant le commerce britannique, les voies maritimes qu'il emprunte, les matières premières importées de l'étranger ainsi que les investissements britanniques outre-mer. Chaque sous-marin britannique Trident a un potentiel meurtrier équivalent à 640 bombes de Hiroshima.

Troisièmement, la France, notamment au cours de sa récente campagne d'essais atomiques, continue de développer une capacité nucléaire sélective dirigée contre des forces militaires spécifiques ou des installations sensibles. Deux nouveaux programmes se poursuivent.

Bien que l'OTAN fonctionne de façon extrêmement secrète, il est évident que l'Alliance n'a pas l'intention de renoncer aux armes nucléaires, qu'elle est déterminée à maintenir une capacité militaire basée sur le nucléaire, et qu'elle est prête à envisager une première frappe avec des ogives nucléaires de faible intensité.

Le déploiement massif d'armes nucléaires que poursuit l'OTAN, ainsi que son refus de se lancer dans des négociations globales, est en violation directe de l'engagement pris par les États dotés de l'arme nucléaire, à l'époque de la prolongation indéfinie du Traité de non-prolifération en 1995, de poursuivre avec détermination des efforts systématiques et progressifs pour réduire les armes nucléaires à l'échelle mondiale, dans le but ultime de les éliminer totalement. Aujourd'hui, un certain nombre de pays non nucléaires accusent ces États de mauvaise foi et menacent de se retirer du TNP.

Monsieur le président, j'aimerais maintenant parler d'une nouvelle voie pour le Canada.

Le conflit entre la Cour internationale de justice et l'OTAN est devenu flagrant à l'Assemblée générale des Nations Unies en décembre 1996. Une résolution était présentée par la Malaysia avec le soutien de 45 autres membres de l'organisation en guise de suivi à la décision de la Cour internationale. En vertu de cette résolution, des négociations devaient commencer en 1997 pour aboutir le plus tôt possible à la conclusion d'une convention sur les armes nucléaires, qui interdirait le développement, la production, les essais, le déploiement, le stockage, le transfert, la menace ou l'utilisation d'armes nucléaires.

La résolution, qui est non contraignante, avait été adoptée par 115 voix en faveur, 22 contre et 32 abstentions. Les trois États dotés de l'arme nucléaire, membres de l'OTAN, se sont vigoureusement opposés à la résolution et ont exercé leur influence sur leurs partenaires de l'OTAN pour voter contre. En dépit de ces pressions, trois membres de l'Alliance - la Norvège, le Danemark et l'Islande - se sont abstenus. Quant au Canada, trahissant son malaise entre respect de la Cour internationale de justice et fidélité à l'OTAN, il a demandé que l'on scinde le vote et il a accordé sa voix au paragraphe de soutien à la décision de la Cour internationale de justice, mais il a ensuite voté non en ce qui concerne le paragraphe réclamant le début des négociations et il a encore voté non sur la résolution dans son ensemble.

Cette scission du vote canadien peut servir de stratégie transitoire, mais elle ne peut durer indéfiniment sans porter préjudice à la crédibilité du pays. L'énoncé du gouvernement en 1995, intitulé Le Canada dans le monde, affirmait solennellement:

Monsieur le président, ce que nous vous disons respectueusement, c'est qu'il n'est plus tolérable pour le Canada d'appuyer le droit international d'une part, et de s'opposer aux résolutions de l'ONU visant des négociations pour éliminer les armes nucléaires, d'autre part. La Cour internationale de justice a modifié la dynamique qui régissait l'appartenance du Canada à une alliance militaire de type nucléaire et notre pays se doit d'agir en conséquence.

Il y a longtemps déjà le Canada a adopté une approche graduelle face au désarmement. Mais elle est insuffisante car elle permet aux États dotés de l'arme nucléaire de perpétuer leur arsenal nucléaire en continuant de parler de désarmement.

En 1995, il existait 40 000 armes nucléaires dans le monde, soit davantage qu'à l'époque de l'entrée en vigueur du TNP en 1970. Même avec la pleine application de START II, qui doit être ratifié par la Douma russe, il pourrait toujours y avoir jusqu'à 23 000 armes nucléaires en l'an 2003.

.0930

L'objectif central doit maintenant être - et c'est ce que souhaite la Cour internationale de justice, la Commission de Canberra sur l'élimination des armes nucléaires, et la Déclaration faite par l'Amicale internationale des anciens généraux et amiraux - un engagement sans équivoque de la part des États dotés de l'arme nucléaire à éliminer leurs armes nucléaires et à lancer dès à présent un programme destiné à parvenir à ce but.

La clé de voûte de cet engagement serait une convention sur les armes nucléaires, qui servirait de point d'ancrage à un programme d'élimination. Une approche globale, représentée par une convention, n'exclut pas la possibilité d'étapes intermédiaires vers le désarmement nucléaire; de fait, une telle approche encouragerait même le développement de ces étapes. Et c'était là le raisonnement qui servait de base à un plan soumis à la Conférence sur le désarmement le 8 août 1996 par un groupe de 28 pays qui proposaient un programme d'action en trois phases pour l'élimination totale des armes nucléaires d'ici à l'an 2020, c'est-à-dire dans près d'un quart de siècle.

Enfin, monsieur le président, toujours en ce qui concerne le rôle du Canada, nous estimons que tout en demeurant dans l'OTAN, le Canada doit travailler de concert avec des pays qui partagent son point de vue pour convaincre les États dotés de l'arme nucléaire que le moment est venu de se lancer dans un programme global de désarmement nucléaire mutuel et vérifiable comportant de stricts contrôles internationaux. Le fait qu'il faudra de longues années pour parvenir à l'abolition des armes nucléaires n'invalide en aucune manière le but à atteindre. Ce qui compte, c'est un engagement réaliste dès à présent pour atteindre ce but.

Le Canada devrait publiquement, au prochain sommet de l'OTAN, réclamer l'examen exhaustif des politiques nucléaires de l'OTAN. Il devrait aussi activement contribuer à la défense du droit international comme substitut à la dépendance maintenant dépassée de l'OTAN à l'égard des armes nucléaires.

Nous engageons respectueusement le comité à insister auprès du gouvernement du Canada pour qu'il relève le défi en assumant cette énorme responsabilité et qu'il fasse publiquement savoir que si l'OTAN omet de donner favorablement suite à la position de la Cour internationale de justice - et à celle d'une opinion mondiale de plus en plus convaincue - , il pourrait devenir nécessaire pour le Canada de remettre en question son appartenance à une alliance qui se fonde sur les armes nucléaires. La guerre froide est bel et bien finie.

Monsieur le président, si vous me le permettez, je vais maintenant demander à M. Regehr de poursuivre la lecture du document.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Roche. Monsieur Regehr.

M. Regehr: Merci, monsieur le président.

En arrivant au terme du mémoire, nous tenons à insister sur la vigueur des appuis de la population en faveur du désarmement nucléaire. L'opinion s'affirme de nouveau dans le débat sur la sécurité internationale de l'après-guerre froide.

Lorsque le TNP a été indéfiniment prolongé en 1995, un mouvement populaire appelé Abolition 2000 a vu le jour. Le but était de mobiliser la volonté politique et d'obtenir que les gouvernements du monde s'engagent à aboutir aux termes des négociations, d'ici à l'an 2000, à une convention internationale qui établirait un calendrier bien défini pour l'élimination de toutes les armes nucléaires. À ce jour, quelque 700 organisations dans le monde entier ont manifesté leur soutien à l'énoncé d'Abolition 2000.

Le Canadian Network to Abolish Nuclear Weapons, composé de 11 organisations au Canada, a été créé pour la composante canadienne d'Abolition 2000.

Projet Ploughshares, en tant que membre fondateur du CNANW, a reconnu la conjoncture favorable créée par la décision de la Cour internationale de justice et par certains autres faits récents, pour obtenir ce qui semblait impossible durant la guerre froide, à savoir l'abolition des armes nucléaires.

Ainsi, Projet Ploughshares, travaillant de concert avec des groupes organisateurs locaux, a entrepris une série de consultations d'un bout à l'autre du Canada pour mieux faire connaître la problématique des armes nucléaires. Ces consultations ont pris la forme de tables rondes dans 18 villes, dans les 10 provinces, tout au long du mois de septembre 1996.

Quelque 404 personnes ont participé à ces rencontres, et elles venaient des horizons les plus divers: députés fédéraux et provinciaux, maires et conseillers municipaux, évêques et autres membres du clergé, professeurs d'université et enseignants, médecins, avocats et juges, journalistes et rédacteurs, chefs de premières nations et chefs syndicaux, directeurs de fondations et activistes pour la paix, membres et administrateurs de commissions scolaires et étudiants. Des gens d'affaires étaient aussi présents.

.0935

En sollicitant la présence de toute une gamme de leaders communautaires et d'activistes, y compris des personnes et des clientèles - et cela est important - qui ne sont pas habituellement associés à la cause du désarmement, les tables rondes avaient pour objet de prouver que c'est à tous les niveaux que les collectivités - de la communauté internationale jusqu'aux collectivités locales - ont la possibilité et la responsabilité de faire face à la réalité de la menace nucléaire et d'exiger des actions concrètes.

M. Roche a servi de personne ressource à l'occasion de ces tables rondes. Le rapport a été remis au comité. Nous l'avons déposé ce matin.

Au moment où commençaient les tables rondes, le ministre Axworthy a invité la population canadienne à s'exprimer sur la position que le Canada devrait adopter face à l'avis consultatif de la Cour internationale de justice. Les questions de M. Axworthy ont servi d'encouragement supplémentaire aux participants pour exprimer leurs points de vue. Les observations exprimées à ce moment-là ont également été incorporées au rapport. Elles constituent à notre avis une réponse significative aux questions de M. Axworthy.

Beaucoup se sont étonnés lors de la table ronde du peu de chose que sait le grand public sur les événements importants survenus au cours de l'année qui vient de s'écouler et qui ont remis les armes nucléaires au centre du débat sur les affaires internationales. Ainsi, aujourd'hui, on n'entend pas beaucoup l'opinion publique réclamer du gouvernement canadien qu'il encourage et fasse la promotion d'un programme universel d'élimination des armes nucléaires. En revanche, il n'y a certainement pas d'opinion publique en faveur de la conservation des armes nucléaires.

Toutefois, dès que la situation est présentée de manière exhaustive - l'appel de la Cour internationale de justice en faveur de la conclusion de négociations pour le désarmement nucléaire et la contradiction entre le discours et les actes des cinq membres permanents du Conseil de sécurité qui conservent les armes nucléaires alors qu'ils ne reconnaissent pas le droit des autres pays d'en posséder - , un sentiment d'urgence se manifeste aussitôt chez les participants. Cela conduit à des discussions portant sur des programmes d'information et des efforts plus poussés pour amener les médias à accorder davantage d'importance à une question qui est au coeur de l'ordre du jour international sur la sécurité dans cette période de l'après-guerre froide.

De nombreux participants ont déclaré que l'inaction de l'opinion publique ne doit pas servir de prétexte au gouvernement pour ne pas adopter une position ferme sur l'application de l'avis émis par la Cour internationale de justice qui juge essentielle l'abolition des armes nucléaires.

Les tables rondes ont montré que la recherche de la paix est fermement enracinée dans les valeurs canadiennes. D'importantes tranches de la société canadienne se réjouiraient et se mobiliseraient si le gouvernement prenait l'engagement d'agir immédiatement - et non pas dans un avenir incertain - pour assurer l'adoption d'un programme pour l'abolition des armes nucléaires.

Pour conclure, nous espérons que le comité examinera les arguments moraux et stratégiques que l'on peut invoquer contre les armes nucléaires: leur inutilité, le risque d'une guerre désastreuse provoquée par un accident, de mauvais calculs, la folie, le désespoir ou des actes terroristes délibérés, l'immoralité de la participation potentielle à un meurtre massif, les répercussions de la disparité qui existe toujours entre les nucléaires et les non nucléaires.

Ces arguments, convaincants en eux-mêmes, sont à présent renforcés par la confirmation que la Cour internationale de justice a faite de l'applicabilité du droit humanitaire aux armes nucléaires. Les arguments juridiques, moraux et stratégiques contre les armes nucléaires sont entrelacés.

Étant donné que les armes nucléaires peuvent détruire toute vie sur la planète, elles mettent en péril toutes les valeurs de l'humanité et l'humanité elle-même. C'est pourquoi le président de la Cour internationale de justice a déclaré que l'arme nucléaire est «le mal absolu». De fait, a-t-il ajouté, l'existence de l'arme nucléaire est un défi à l'existence même du droit humanitaire.

Durant les années acrimonieuses de la guerre froide, avec l'importance exagérée que l'on accordait à la doctrine militaire de la dissuasion nucléaire comme justification constante du surarmement nucléaire, la population semblait incapable de se rendre compte de l'horreur que représentait cette arme. Mais aujourd'hui, dans l'après-guerre froide, il n'y a plus aucune excuse pour rester aveugle à l'agression que l'arme nucléaire représente pour la vie elle-même.

Merci beaucoup, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Regehr.

J'aimerais faire quelques observations à propos de votre mémoire, qui nous est d'une grande utilité. Il établit très bien le lien entre la politique de l'OTAN, d'une part, et les armes nucléaires et le désarmement, d'autre part. Il expose aussi très bien les étapes et les éléments dont devra tenir compte notre étude. Vous avez donné un excellent coup d'envoi à nos travaux, car votre mémoire nous est d'une grande utilité.

.0940

J'ai deux courtes observations à faire.

Tout d'abord, monsieur Regehr, je dois dire que je ne partage pas tout à fait votre avis à propos du degré d'intérêt de l'opinion publique canadienne pour le sujet. Comme je l'ai dit au début des audiences, jamais le comité n'a reçu autant de communications sur une question. Les membres du comité vous le confirmeront, je crois. L'intérêt de la population est grand et nous avons fermement l'intention d'y être attentifs. Je tiens aussi à féliciter votre association d'avoir pris le temps de préparer le terrain et de mobiliser l'opinion. Cela est très utile.

Monsieur Roche, j'espère que ce que vous avez dit à propos du gouvernement britannique, qui se dit prêt à avoir recours à l'arme nucléaire pour protéger ses investissements à l'étranger, n'inspirera pas le sénateur Helms. Nous risquerions d'être atomisés à Cuba par les Américains, qui cherchent par tous les moyens à protéger leurs investissements autrement que par l'aide humanitaire.

Encore une fois, merci beaucoup de votre exposé.

Plusieurs députés veulent poser des questions, à commencer par Mme Debien.

[Français]

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Bonjour, messieurs. Je vous souhaite un bon matin.

Nous parlons ce matin de la non-prolifération des armes nucléaires et de leur éventuelle interdiction. Vous nous avez tracé un portrait assez vaste de l'ensemble de la problématique sur laquelle devra se pencher notre comité.

Je vous remercie également de votre présence et de votre intervention. On peut bien parler de la non-prolifération des armes nucléaires, mais je crois qu'il faut remonter à la source, à l'origine, soit à la matière nucléaire elle-même. À ce sujet-là, j'ai une préoccupation.

On sait que le gouvernement fédéral, en collaboration avec Énergie atomique du Canada, se prépare à mettre sur pied un plan d'implantation au Canada de 600 grammes de plutonium en provenance des stocks d'armes américains. On nous dit que ces essais de combustion devront se faire dans un réacteur à Chalk River, en Ontario. J'aimerais savoir ce que vous pensez de cette nouvelle économie du plutonium que le Canada a l'intention de mettre sur pied, ce qui est au fond une façon indirecte de donner un appui à l'industrie nucléaire canadienne en déclin.

J'aimerais aussi que vous nous disiez ce que vous pensez de cette manière de produire de l'électricité, qui est contraire au principe du développement durable. J'aimerais aussi que vous nous parliez du danger que représente le transport du combustible à plutonium, alors que l'Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire - organisme qui a d'ailleurs reçu un prix Nobel de la paix - nous dit que les 600 grammes qui seront importés des États-Unis peuvent, s'ils sont manipulés maladroitement, causer même la mort de toute la population canadienne. J'aimerais que vous nous donniez votre avis sur les différents points que je viens de soulever.

M. Roche: Merci pour vos questions. J'y répondrai en anglais.

[Traduction]

L'exposé d'aujourd'hui porte essentiellement sur les armes nucléaires. Notre principale préoccupation, c'est le respect du traité de non-prolifération. Ce texte prévoit non seulement l'obligation de négocier pour parvenir au désarmement nucléaire, mais aussi le transfert en toute sécurité des matières fissiles destinées à l'usage pacifique de l'énergie nucléaire.

Nous nous concentrons sur la capacité destructrice de l'énergie nucléaire, comme l'illustre de façon spectaculaire la capacité de destruction massive de l'arme nucléaire. Nous ne refusons pas de participer à un débat national sur l'efficacité de l'énergie nucléaire, mais nous voulons nous concentrer sur l'arme nucléaire et nous demandons au comité d'en faire autant. Je ne voudrais pas minimiser l'importance de votre question à propos des dangers du nucléaire, cependant. Pour cette raison, je vais demander à mon collègue, M. Robinson, également du Projet Ploughshares, de dire quelques mots pour répondre à votre question.

.0945

M. Bill Robinson (attaché de recherche, Projet Ploughshares): Bonjour. Je vais parler de la question de l'usage du plutonium dans les réacteurs, l'usage du combustible MOX.

Comme vous le savez, la question du plutonium qui était dans les stocks d'armes nucléaires est une question cruciale, dont il faut s'occuper. À l'heure actuelle, il y a deux façons de procéder, toutes les deux également réalisables. La première est la vitrification, qui consiste à enfermer le plutonium dans du verre avec les déchets radioactifs. L'autre est de l'utiliser comme combustible MOX dans les réacteurs, pour arriver à des résultats semblables.

Dans les deux cas, il s'agit d'une solution à long terme pour faire face aux problèmes actuels que représente le plutonium. Le problème immédiat, c'est la sécurité du plutonium, pour s'assurer qu'il ne tombe entre les mauvaises mains. C'est un problème aujourd'hui et ce sera un problème dans 25 ans, même si nous adoptons la technique du combustible MOX ou de la vitrification. Il s'agit ici d'un programme qui durera au moins 25 ans, ce qui laissera encore des dizaines de tonnes de plutonium dans les stocks qui ne sont pas assujettis à ces programmes, c'est-à-dire du plutonium en quantités suffisantes pour des milliers d'armes nucléaires.

D'une manière ou d'une autre, la vitrification ou le combustible MOX ne sont pas la solution au problème de la sécurité du plutonium. À court terme, c'est la surveillance des stocks, le contrôle des quantités, s'assurer qu'il bénéficie de la protection voulue. Dire que nous sommes pressés et qu'il faut régler le problème immédiatement ne devrait pas nous contraindre à suivre précipitamment la filière du MOX. Les techniques du MOX et de la vitrification sont des questions à long terme. Nous avons le temps de vérifier si les deux techniques sont réalisables et nous avons le temps de voir si l'une n'est pas efficace, si les deux sont efficaces ou si l'une est préférable à l'autre. Pour ma part, je dirais que l'option du combustible MOX n'est sans doute pas la meilleure parce qu'elle risque de favoriser le recours au plutonium dans l'économie civile, ou le plutonium récupéré à partir des déchets des réacteurs civils.

Si nous nous retrouvons dans un monde où bien des pays récupèrent du plutonium et l'utilisent dans des réacteurs, il y aura beaucoup plus de matière fissible utilisable dans l'armement dans beaucoup plus de pays qu'en ce moment. Par conséquent, nous ne voulons en aucune manière encourager l'utilisation du plutonium dans l'économie. Je pense que le recours au combustible MOX présente un risque important, et nous ne devrions donc pas adopter précipitamment cette solution par souci de sécurité.

Le président: Merci beaucoup. C'est une question sur laquelle nous réfléchissons depuis un certain temps; votre intervention est donc très utile.

Monsieur Assadourian.

M. Sarkis Assadourian (Don Valley-Nord, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Une fois de plus, je vous souhaite la bienvenue, monsieur Roche. Vous êtes déjà venu ici plusieurs fois, mais c'est la première fois que j'ai l'occasion de vous souhaiter de nouveau la bienvenue à la Chambre des communes. J'ai quelques questions à vous poser.

Tout d'abord, vous n'avez pas du tout abordé le concept de capacité de première frappe en ce qui concerne l'OTAN. C'est le premier point.

Deuxièmement, les armes nucléaires en Russie ou dans l'ex-Union soviétique posent un problème de sécurité. Nous savons que les Russes n'ont pas assez d'argent pour maintenir un programme efficace de sécurité nucléaire. Même s'ils tirent, ils pourraient manquer leur cible et frapper leurs propres bases. C'est ce que l'on nous a dit antérieurement.

Troisièmement, à la page trois de votre mémoire, au paragraphe 3.5, vous dites que les puissances nucléaires violent directement un accord qu'elles ont elles-mêmes signé. Qui est responsable ici? Qui prend les décisions? Si ces États adoptent une politique qu'ils violent eux-mêmes, comment expliquer cette contradiction? À part les États-Unis, l'Angleterre et la France, quelles sont les puissances nucléaires au sein de l'OTAN? À mon avis, il n'y en a pas d'autres; mais pouvez-vous confirmer qu'il n'y en a que trois? Ont-elles la capacité d'utiliser leurs armes comme bon leur semble? Doivent-elles consulter l'OTAN parce qu'elles en font partie? Je voudrais savoir si leur priorité nationale passe avant celle de l'OTAN ou vice-versa en ce qui concerne l'utilisation des armes de destruction massive.

.0950

M. Roche: Merci pour cette question, monsieur Assadourian.

Je répondrai à la première et à la troisième partie de votre question, et je demanderai à M. Regehr d'y répondre également, et de façon plus précise à la deuxième partie concernant la Russie.

Il y a au total cinq puissances nucléaires. Nous en avons mentionné trois jusqu'ici - les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France - qui font toutes partie de l'OTAN. Les deux autres sont la Russie et la Chine. Parlons d'abord de ces deux dernières avant de passer à autre chose.

Aux Nations Unies, la Chine a toujours voté en faveur d'un programme d'élimination progressive des armes nucléaires.

Quand elle faisait encore partie de l'Union soviétique, sous Gorbatchev, la Russie a proposé aux Nations Unies un programme d'élimination complète des armes nucléaires en 15 ans - et Gorbatchev l'a effectivement annoncé en 1985. Vers la fin de la guerre froide, la position de l'Union soviétique sous Gorbatchev consistait à appuyer l'élimination complète des armes nucléaires.

Quand M. Eltsine a succédé à M. Gorbatchev et la Russie à l'Union soviétique, M. Eltsine a participé à la première et unique réunion au sommet du Conseil de sécurité en janvier 1992. Il a réaffirmé que la nouvelle Russie suivrait les anciennes politiques de son prédécesseur - à savoir que la Russie s'engagerait en faveur de l'élimination complète des armes nucléaires.

Depuis lors, la Russie a été tellement tributaire de l'aide économique occidentale qu'elle a cessé de voter aux Nations Unies pour un programme ou une convention relative aux armes nucléaires. Actuellement, elle vote de façon ambiguë. Elle s'abstient sur certaines résolutions et elle en appuie d'autres, mais sa position n'est pas claire. Néanmoins, il est clair que le vote russe est déterminé par la position occidentale.

J'ai parlé tout à l'heure de la position occidentale. Vous avez demandé si les puissances occidentales sont maîtres de leur destin. Je réponds par l'affirmative, mais pour que l'OTAN même utilise des armes nucléaires, je présume que le consentement du Groupe de planification nucléaire de l'organisation serait nécessaire. Autrement, à quoi servirait donc un tel groupe?

À cet égard, le problème réside dans le fait que l'OTAN fonctionne dans le secret. En effet, il est étonnant que l'OTAN ait décidé de maintenir les armes nucléaires comme un aspect de sa doctrine militaire sans débat ni consultation préalable des parlements ou des gouvernements du monde. Voilà ce que nous contestons.

En ce qui concerne la capacité de première frappe, l'OTAN soutient depuis longtemps - depuis sa création - qu'elle n'utilisera pas les armes en premier. C'est une organisation de défense. Mais elle a décidé qu'en cas d'attaque - et telle a toujours été la doctrine pendant la guerre froide, car l'on tenait pour acquis que les Soviétiques avaient des forces conventionnelles supérieures - et si elle estime qu'elle est en train de perdre, elle se réserve le droit d'utiliser la première des armes nucléaires. Ainsi, elle n'a jamais fait partie de cette espèce de club qui refuse de tirer le premier. L'OTAN s'est toujours tenue à l'écart de ce club en disant qu'elle utilisera des armes nucléaires en premier si on l'attaque.

Nous pensons qu'une telle politique doit certainement changer, mais ce changement en soi ne suffit pas. Comme nous l'avons dit dans notre mémoire, afin de respecter les exigences du droit international énoncées par la Cour internationale de justice, l'OTAN doit maintenant examiner l'ensemble de sa stratégie en matière d'armement nucléaire et adopter un programme d'élimination de cet armement comme instrument au sein de l'organisation. Évidemment, il faudrait que les trois puissances nucléaires se conforment à cette démarche.

.0955

Nous ne pouvons pas forcer ces États à agir, mais nous estimons qu'un groupe de pays partageant les mêmes préoccupations, et dont le Canada serait certainement à l'avant-garde, peuvent travailler à la promotion des intérêts du droit international et faire pression sur les puissances nucléaires.

M. Regehr: J'ai quelque chose à ajouter.

Ce qu'il y a de nouveau dans la situation actuelle, c'est que la Cour internationale de justice a statué très clairement que si l'on doit utiliser des armes nucléaires, il faut le faire conformément au droit humanitaire, et je doute fort que cela soit possible quelles que soient les circonstances. Qui plus est, la Cour a déclaré qu'en vertu du droit international - article VI du TNP - les puissances nucléaires ont l'obligation de procéder effectivement au désarmement nucléaire.

Par conséquent, compte tenu de ce qui précède, le fait que l'OTAN publie une déclaration selon laquelle «les armes nucléaires sont essentielles et nous n'avons aucune intention de réviser notre politique» est une insulte à l'égard de la Cour internationale. En droit national, nous pourrions dire qu'il s'agit d'un outrage au tribunal, à tout le moins, car après un jugement rendu par la Cour, on n'a pas le droit de déclarer publiquement qu'on n'a pas l'intention de s'y conformer.

À tout le moins, l'OTAN a l'obligation de rejeter l'idée selon laquelle les armes nucléaires sont essentielles, de même que nous rejetons l'idée selon laquelle la torture, qui est contraire au droit humanitaire, est essentielle - chose inconcevable - , et de s'engager publiquement à examiner la question.

Si, à un moment donné, nous voulons régler la question de la sécurité et d'un désarmement nucléaire efficace en Russie, l'exigence absolument minimale est que nous ne poursuivions pas une politique nucléaire qui incite les Russes à réaffirmer leur stratégie nucléaire et à s'engager de nouveau à développer des armes nucléaires, ce qui ne fera qu'aggraver le problème de l'élimination des matières fissiles à l'avenir. Actuellement, nous devons promouvoir une stratégie nucléaire qui encourage l'élimination des armes nucléaires ici et là-bas, et qui donne lieu à la coopération technique qui serait nécessaire pour éliminer sans danger les déchets provenant du démantèlement.

Le président: Je vous remercie.

Permettez-moi de revenir sur la réponse de M. Roche à M. Assadourian. Nous avons entendu déclarer - je ne sais plus qui, mais il s'agissait de l'un des analystes stratégiques qui nous parlait de la question - que l'un des avantages de la position de l'OTAN serait peut-être l'ambiguïté positive: que la possibilité d'utiliser les armes nucléaires est un dissuasif dans la mesure où, si l'OTAN s'engageait formellement à ne pas les utiliser, cela serait dangereux.

On a donné l'exemple de la guerre du Golfe. Ce qui a empêché Saddam Hussein d'utiliser peut-être des armes chimiques c'était le fait de ne jamais savoir ce que quelqu'un d'autre pourrait utiliser à titre offensif ou défensif. Cela a servi de dissuasion.

Je sais que nous sommes dans un dilemme terrible, mais l'argument repose sur l'utilisation de la terreur pour combattre la terreur. Nous essayons tous de tenir compte des intérêts ultimes de l'humanité, et je sais que vous en faites autant. Je me demande si vous avez des observations à faire là-dessus, car cela recoupe la question de M. Assadourian.

M. Roche: Merci, monsieur le président.

En somme, la position actuelle de l'OTAN, qui consiste à garder les armes nucléaires en réserve sous prétexte qu'elles dissuadent les autres, ne contribue pas à la stabilité dans le monde. Les puissances nucléaires occidentales devront accepter le fait que les principaux pays du monde qui sont ostensiblement non nucléaires ne vont pas aborder le XXIe siècle comme membres de deuxième rang de la communauté internationale. On l'a dit.

.1000

Le fait que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité sont aussi les cinq puissances nucléaires est considéré comme un abus de pouvoir. Comme nous ne le savons que trop, des pays comme l'Inde prennent maintenant position en déclarant qu'ils veulent une interdiction mondiale des armes nucléaires. L'Inde a voté dans ce sens. En l'absence d'une interdiction mondiale des armes nucléaires, ces pays-là se réservent le droit de se doter de l'option nucléaire. C'est un risque énorme d'instabilité pour l'avenir.

En outre, maintenant que la guerre froide est terminée - et les arguments qui justifiaient l'existence des armes nucléaires pendant la guerre froide sont maintenant sujets à caution, mais je ne vais pas en parler maintenant - , il n'est absolument pas justifié que l'OTAN maintienne une arme à la capacité de destruction si phénoménale.

À certains égards, nous nous éloignons de plus en plus de Hiroshima et de Nagasaki du point de vue chronologique et ainsi de suite, mais je suis retourné dans ces deux villes il y a quelques semaines seulement; j'ai revu les artefacts et les expositions et j'ai parlé à certains survivants pour mesurer, une fois de plus, l'ampleur de la destruction et de la souffrance humaine causées par des armes qui détruisent tout sur leur passage. Le président de la Cour internationale de justice de l'époque les considérait comme le mal ultime.

Dans vos observations et vos questions, vous avez soulevé un point très important, à savoir le fait que l'OTAN déclare: «Eh bien, peut-être empêchons-nous ainsi quelqu'un d'autre de faire du mal»; autrement dit, «Les armes nucléaires sont un mal nécessaire et nous devons les maintenir». Nous rejetons fermement et vigoureusement l'idée selon laquelle on peut combattre un mal en recourant au mal suprême et ultime.

Le développement des stratégies de diplomatie préventive, d'établissement de la paix, de maintien de la paix et ainsi de suite, qui ont été proposées par l'ancien secrétaire général dans son Agenda pour la paix, donne des moyens de contribuer à promouvoir la paix dans le monde. En conservant tout simplement une stratégie militaire démodée, l'OTAN manque à son devoir de bâtir la paix dans le monde.

Le président: Merci. C'est utile.

[Français]

Monsieur Bergeron.

M. Stéphane Bergeron (Verchères, BQ): Bonjour, messieurs. Bienvenue parmi nous.

Je dois vous dire que j'ai également apprécié votre présentation. Elle fait état de la décision de la Cour internationale de justice, non pas comme d'une décision en l'air comme cela, mais de son application concrète pour un pays comme le nôtre, de par sa participation à l'Alliance atlantique.

Avez-vous bien dit que si l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord ne modifiait pas sa politique à l'égard des armes nucléaires, vous seriez favorables au retrait du Canada de l'OTAN?

M. Roche: Merci pour votre question.

[Traduction]

J'aimerais préciser notre position. Nous croyons qu'il incombe à l'OTAN d'examiner sa politique. Nous croyons que le Canada, en tant que membre important de l'OTAN et du Groupe de planification nucléaire, et en tant qu'auteur de l'article II, c'est-à-dire la clause politique de l'OTAN, a l'obligation précise de diriger l'OTAN dans l'examen que nous avons préconisé. Si cet examen a lieu, nous verrons ce qui va se passer.

Actuellement, l'OTAN déclare qu'elle ne va pas examiner sa politique et qu'elle ne va pas en discuter. C'est une position insoutenable et inadmissible, surtout pour un pays comme le Canada, qui assume 6 p. 100 environ du budget de l'OTAN, ce qui représente de 150 à 200 millions de dollars, et qui assume notamment le coût de l'expansion; nous croyons que cela est inacceptable pour la population canadienne.

.1005

Je dois dire, monsieur le président, que vous avez bien fait de rappeler notre commentaire selon lequel l'opinion publique n'est pas encore forte. Nous entendions par là que les Canadiens ne manifestent pas bruyamment comme dans les années 60. Nous vivons une période différente.

Le président: Quelqu'un a essayé d'entrer chez nous au volant de sa voiture. J'espère que vous n'allez pas recourir à une tactique semblable, monsieur Roche!

M. Roche: Vous avez absolument raison de dire que la population canadienne croit profondément que nous allons tirer parti de la série de tables rondes qui se tiendront un peu partout au pays. Je tiens à affirmer que ce sentiment existe au pays.

Monsieur Bergeron, les Canadiens sont réticents à l'idée que l'OTAN maintienne son attitude habituelle malgré la fin de la guerre froide. C'est ce que les gens disent. Ainsi donc, comme vous l'avez dit, c'est un sentiment très réel au Canada.

Enfin, vous vouliez savoir si j'ai dit que le Canada quitterait l'OTAN. Je ne l'ai pas dit. J'ai dit que le Canada doit militer en faveur de la révision. Si l'OTAN refuse absolument de réviser sa position sur les armes nucléaires, nous estimons que le Canada doit revoir sa participation à l'OTAN, car il ne peut jouer sur les deux tableaux.

Le Canada se veut respectueux du droit international. C'est une caractéristique fondamentale de la position du gouvernement, et nous l'approuvons. La Cour internationale de justice, qui est la plus grande autorité juridique dans le monde, s'est prononcée en délégitimisant en quelque sorte la stratégie nucléaire de l'OTAN. Par conséquent, il faudra à un moment donné que le Canada décide s'il doit respecter les exigences du droit international en ce qui concerne le développement de la civilisation au seuil du prochain siècle ou s'il doit succomber à la pression et à l'insistance d'une alliance militaire dirigée par trois puissances militaires qui maintiennent des armes nucléaires pour préserver leur hégémonie.

[Français]

M. Stéphane Bergeron: Puis-je poursuivre? J'ai soulevé auprès des fonctionnaires des ministères de la Défense nationale et des Affaires étrangères et du Commerce international une question ayant trait à l'utilité de l'arme nucléaire telle que la conçoivent ses partisans. L'arme nucléaire, semble-t-il, de par son effet dissuasif, a une utilité pour le maintien d'un monde sans déflagration majeure, dans la mesure où l'un des protagonistes est persuadé que s'il utilise l'arme nucléaire, l'autre protagoniste l'utilisera et que, par conséquent, il peut en résulter une destruction massive.

Si on s'engage dans un processus de dénucléarisation, le danger est qu'à un certain moment donné, l'un des protagonistes puisse avoir l'impression qu'il y a un avantage à utiliser l'arme nucléaire, parce que l'utilisation de l'arme nucléaire par lui pourrait conduire à une réaction de l'autre protagoniste, mais ne conduirait plus à une destruction massive, compte tenu du fait qu'on est rendu à un niveau suffisamment bas. Quelle est votre perception de cette réduction progressive jusqu'à un point tel qu'à un moment donné, certains pays pourraient être tentés d'utiliser l'arme nucléaire?

[Traduction]

M. Regehr: Premièrement, il faut dire que les armes nucléaires sont évidemment tout à fait incapables d'empêcher le genre de conflagration que vit actuellement le monde. En effet, il y a beaucoup de guerres, de destruction et d'insécurité un peu partout. Évidemment, les armes nucléaires n'ont aucune incidence sur cette situation et elles n'ont pas la capacité de maintenir la stabilité dans ces régions du monde où il y a la plus grande instabilité.

Deuxièmement, il est inconcevable que des nations respectueuses du droit menacent des États délinquants comme l'Iraq ou l'Iran d'une attaque nucléaire si l'on constate que ces derniers ont acquis la moindre capacité nucléaire. De toute évidence, la seule façon de réagir à cette éventualité est celle qu'adopte actuellement la communauté internationale, c'est-à-dire l'adoption d'un traité de non-prolifération par l'ONU, l'envoi d'équipes d'enquêteurs-experts, la diplomatie et des mesures de ce genre.

.1010

Il n'est pas possible de répondre par des représailles nucléaires à la menace nucléaire des États délinquants. Cela ne les intimide pas, car ils savent que la menace de telles représailles n'est pas crédible. Normalement, c'est le droit international et la diplomatie que nous avons comme moyen de combattre ce genre de prolifération.

Bill, vouliez-vous ajouter quelque chose?

M. Robinson: Oui. Quand vous dites que l'existence des armes nucléaires a peut-être incité les grandes puissances à faire un peu attention, cela ne fait aucun doute. Toutefois, il faut aussi tenir compte du fait que cela nous expose à des risques graves provenant de l'utilisation non délibérée des armes nucléaires - l'usage accidentel, les mauvais calculs, des cas de folie, un pays poussé dans une situation désespérée, l'usage par des terroristes qui s'estiment prêts à assumer les coûts du non-respect de la dissuasion.

Quant à la possibilité de faire face à des menaces nucléaires à l'avenir, vous conviendrez que la probabilité d'une guerre entre les grandes puissances est très faible par rapport à la possibilité que ces armes soient utilisées de façon accidentelle ou autre. Par conséquent, on ne fait qu'accroître le risque en maintenant ces armes.

L'une des raisons pour lesquelles l'on pourrait se passer de la présumée couverture de sécurité est qu'à ce stade de la civilisation industrielle, une guerre entre les grandes puissances serait énormément destructive, peu importe l'existence des armes nucléaires, et elles s'en rendent bien compte. Il y a un facteur dissuasif et existentiel qui demeurera même après l'abolition des armes nucléaires, essentiellement parce que de nos jours, les guerres conventionnelles sont extraordinairement destructives, et il ne sera jamais dans l'intérêt de quelque grande puissance que ce soit d'aller en guerre contre une autre, sinon de façon secondaire, car le monde pourrait se nucléariser très rapidement, malgré l'abolition, et ce danger demeurera.

Cela ne signifie pas que l'abolition ne soit pas une bonne idée. C'est une idée très importante et excellente. Il n'en demeure pas moins que s'il y a une guerre entre les grandes puissances, il se peut très bien que des armes de destruction massive soient utilisées, qu'il s'agisse d'arsenaux renucléarisés, d'armes biologiques ou d'autres choses. On le sait maintenant. Si les grandes puissances ne le savent pas, c'est qu'elles sont folles.

Ainsi donc, cet élément de dissuasion existentiel, si vous voulez, continue d'exister et réduit considérablement le risque d'une guerre entre les grandes puissances. Par conséquent, nous devons nous concentrer sur les risques d'une utilisation accidentelle de ces arsenaux.

[Français]

M. Stéphane Bergeron: Évidemment, je pense que tous et toutes ici nous nous entendons pour dire qu'idéalement, le monde devrait être complètement débarrassé de ces armes. Je pense qu'il n'y a aucun débat là-dessus.

Cependant, je pense que dans un monde idéal, on devrait passer d'un monde nucléaire comme celui dans lequel on vit actuellement à un monde totalement dénucléarisé dès le lendemain matin: une dénucléarisation instantanée. Le problème, c'est que cela, c'est dans un monde idéal. Mais si on s'engage dans un processus de dénucléarisation, on va devoir procéder de façon progressive.

La crainte de certains spécialistes est qu'à un moment donné, dans le processus de dénucléarisation, on en vienne à un niveau suffisamment bas que certains détenteurs de l'arme nucléaire puissent voir un avantage à l'utiliser, dans la mesure où il n'y a pas danger de destruction massive et totale. Tel est l'objet de ma question.

[Traduction]

M. Roche: Merci, monsieur Bergeron. Tout d'abord...

Le président: Désolé de vous interrompre, mais je dois vous demander de répondre assez brièvement à cette question. Je sais que c'est une question difficile, mais il y a trois autres personnes qui veulent en poser et il ne nous reste plus que 15 minutes.

M. Roche: Très bien.

.1015

Prôner l'élimination des armes nucléaires ne relève plus de l'idéalisme. C'est réaliste. Il faut le faire progressivement, comme vous l'avez dit, mais il faut que l'on s'engage à les éliminer totalement. Il ne s'agit pas de le faire du jour au lendemain. Il faut y aller progressivement, comme le groupe de 28 pays l'a déclaré, sur une période d'environ un quart de siècle.

Un engagement est nécessaire maintenant pour les raisons données par la Commission de Canberra, en plus de la Cour internationale de justice, et par le Groupe international de généraux et d'amiraux, à savoir que la présence des armes nucléaires sans aucune tentative d'élimination totale incite d'autres États à en développer pour acquérir du pouvoir.

Nous pouvons donc prendre une série de mesures dans le cadre d'une «convention sur les armes nucléaires». Et quand certains États disent qu'ils sont en faveur du désarmement nucléaire et votent contre le lancement des négociations à cet effet, ils font preuve d'incohérence.

Le président: Je pense qu'il y a d'autres intervenants, mais j'ai une observation à vous faire. Je pense que l'intervention de M. Bergeron portait sur une analyse stratégique précise, à savoir que dans le cadre du désarmement que vous voulez progressif - et tout le monde en convient - , en réduisant son arsenal de 15 p. 100, l'on peut craindre que quelqu'un dise, d'un côté ou de l'autre: «Maintenant, je peux frapper rapidement de façon préventive parce que je ne risque pas de subir des représailles massives qui pourraient me détruire ou détruire tout le monde.» À ce moment-là, des armes chimiques ou des horreurs pareilles deviennent une force utilisable. C'est un peu ce qui s'est passé en Afghanistan; nul n'aurait imaginé que de tels missiles arriveraient dans ce pays et seraient utilisés un peu partout, mais ils sont utilisés un peu partout maintenant par toutes sortes de gens.

Voilà la question. Je ne vous demande pas une réponse maintenant. Vous pourriez y réfléchir et nous répondre par écrit. Telle est la question précise de M. Bergeron. C'est une question qui intéresse le comité. Nous aimerions que vous y réfléchissiez, mais je ne veux pas interrompre le flux des autres questions.

Monsieur Flis.

M. Jesse Flis (Parkdale - High Park, Lib.): Je pense que dans le débat de ce matin, on a déjà souligné le dilemme du Canada. D'une part, nous militons en faveur du désarmement nucléaire dans le monde; d'autre part, nous faisons partie d'une alliance favorable à l'utilisation des armes nucléaires.

Dans le résumé du document de travail numéro 96.1 du Projet Ploughshores, intitulé «Canada and the Abolition of Nuclear Weapons: A Window of Opportunity», vous déclarez:

C'est très noble, mais de nombreux pays de l'ex-Union soviétique s'attendent à ce que le Canada les aide à adhérer à l'OTAN et à l'élargir. N'abandonnerions-nous pas les pays de l'ex-Union soviétique à qui nous avons promis de les aider à accéder à l'économie de marché et à la démocratisation? Bon nombre de dirigeants de ces pays ont visité Ottawa récemment, y compris le président de la République tchèque et l'ancien président de la Pologne, M. Walesa.

Vous n'êtes certainement sérieux lorsque vous recommandez que le Canada renonce à l'OTAN à un moment où ces pays-là, qui ont vraiment pris des risques en abandonnant l'ex-Union soviétique, cherchent à assurer la sécurité en Europe par l'entremise de l'OTAN. Comment sortir de ce dilemme?

M. Regehr: Un moyen sûr d'accroître notre insécurité - sinon notre dilemme - sera d'élargir l'OTAN alors qu'elle conserve des armes nucléaires, une option de première frappe, et exclut la Russie de son cercle. C'est la pire des éventualités et c'est le genre de scénario crédible qui risque de découler de la politique actuelle. C'est une politique que nous devons nous engager résolument à modifier: l'adhésion progressive de l'ex-Union soviétique à une coopération en matière de sécurité avec l'Europe occidentale. Évidemment, nous sommes tous d'accord.

.1020

Il est absolument essentiel que nous incitions la Russie à collaborer avec l'Europe de l'Ouest en matière de sécurité. Cependant, il serait désastreux d'étendre une alliance militaire qui considère officiellement les armes nucléaires comme étant essentielles, de refuser de réexaminer cette politique, et d'exclure la Russie de cette alliance. Le Canada ne peut pas se permettre de cautionner cet état de chose.

Il arrive un moment où la décision n'incombe pas au Canada, mais à l'OTAN. Nous devons aussi reconnaître qu'en matière d'abolition des armes nucléaires - et la même politique de la part de l'OTAN - le Canada n'est pas isolé. Au sein de l'OTAN, il y a des pays qui partagent cette position, notamment le Danemark, les Pays-Bas et ainsi de suite.

Le Canada est un expert quand il s'agit de créer des coalitions pour réaliser des choses à l'échelle internationale. Et c'est justement ce que nous devons faire activement en Europe et dans l'OTAN: bâtir une coalition d'États partageant la même position afin d'aider l'OTAN à adopter une politique plus crédible.

M. Jesse Flis: Je me demande si nous pourrions simplement modifier votre recommandation en disant que le gouvernement canadien doit s'engager en faveur du droit international et de l'élargissement de l'OTAN afin de renforcer en même temps la sécurité mondiale, car nous faisons partie d'une alliance qui milite en faveur de négociations visant à interdire toutes les armes nucléaires.

M. Regehr: Si le Canada prenait l'engagement très clair et sans équivoque de travailler au sein de l'OTAN pour promouvoir le désarmement nucléaire et pour rejeter la politique de l'organisation selon laquelle les armes nucléaires sont essentielles pour la sécurité, notre position serait alors beaucoup plus crédible.

M. Jesse Flis: J'ai beaucoup d'autres questions, mais je sais que mes collègues en ont aussi.

Le président: Madame Gaffney.

Mme Beryl Gaffney (Nepean, Lib.): Merci beaucoup.

Moi aussi, je vous souhaite la bienvenue devant le comité. Après avoir écouté vos commentaires, je vais probablement poser une question qui recoupe celle de M. Flis. Parfois, je pense que la guerre froide n'est pas vraiment terminée quand j'entends ce que vous dites au sujet de l'OTAN, de son intransigeance et de son refus d'écouter ce que les peuples du monde ont à dire sur les armes nucléaires.

Au cours des derniers mois, le comité est allé en Russie et dans les pays du Nord pour traiter de questions circumpolaires et de coopération circumpolaire. J'étais membre du groupe qui est allé en Russie. À chaque réunion, les Russes nous disaient que si la Russie n'était pas intégrée à l'OTAN, elle accroîtrait sa flotte de sous-marins nucléaires. Je prends cela très au sérieux.

Manifestement, quelqu'un n'écoute pas. Lorsqu'on intègre à l'OTAN des pays qui sont à la frontière même de la Russie, pensez-vous que cela plaît à la Russie d'avoir des armes nucléaires chez ses voisins immédiats? Bien sûr que non. C'est une menace et je pense qu'il faut prendre cette menace très au sérieux.

À partir de la question de M. Flis, permettez-moi d'aller un peu plus loin. Pourquoi personne n'écoute la Russie? Pourquoi cette menace n'est-elle pas prise au sérieux?

Deuxièmement, si la position du Canada au sujet des armes nucléaires est contraire à celle des autres pays de l'OTAN, quel effet cela a-t-il sur nos relations avec les États-Unis, par exemple? Cela compromet-il notre statut?

Je m'arrête ici. Je pourrais en dire davantage mais notre temps est précieux. Pouvez-vous répondre à ces deux questions, s'il vous plaît?

M. Roche: Merci, madame Gaffney.

Monsieur le président, les questions de Mme Gaffney sont très profondes. J'essaierai d'être bref.

Tout d'abord, au sujet du Canada et des États-Unis, nous pensons que le gouvernement Clinton pourrait bien accueillir une pression amicale des pays qu'il respecte et de ses alliés dans le but de l'encourager à s'acquitter de ses engagements.

Aux États-Unis, il y a d'importantes organisations, dont le Centre Stimson. Et nous espérons que votre comité, monsieur le président, étudiera ce qu'a dit le Centre Stimson au sujet de la nécessité pour les États-Unis de s'engager dans un programme d'abolition des armes nucléaires.

Les pressions amicales de pays comme le Canada pourraient être bien accueillies par le gouvernement américain afin de contrer l'obstination de certaines forces américaines qui freinent le mouvement vers l'avant du pays. Nous estimons que le Canada est dans une position très utile pour exercer ce genre d'amicales pressions.

.1025

Pourquoi n'écoute-t-on pas la Russie? Je ne sais pas. Je pourrais vous répondre longuement, ce qui déplairait au président. En une phrase, simplement, je vous dirai qu'il y a tellement de confusion dans le monde aujourd'hui que les gens ne sont plus sûrs de rien. Il n'y a pas de plan. Il n'y a pas de plan clair et bien défini pour l'avenir.

Je dirais toutefois - et cela répondra en partie à la question de M. Bergeron sur l'utilisation stratégique des armes nucléaires lorsque nous serons à 15 p. 100 - que le programme d'action présenté par les 28 États est un avant-goût du programme en trois étapes qui s'étend jusqu'en 2020. Comme le plan d'action des 28 États fait partie de l'ordre de renvoi du comité, nous espérons que le comité l'examinera, puisqu'on y traite de questions relatives à la vulnérabilité stratégique des États, lorsqu'on parle de dissuasion minimale.

Le président: Monsieur Dupuy.

M. Michel Dupuy (Laval-Ouest, Lib.): Comme vous, monsieur le président, je veux remercier les témoins de leurs excellents exposés. Il est réconfortant d'avoir ici M. Roche, qui a tant d'expérience.

Si j'ai bien compris, il y a maintenant deux conventions internationales que l'on peut utiliser pour procéder au désarmement nucléaire. Il y a une proposition, c'est la convention sur les armes nucléaires dont vous avez parlé. Il y a maintenant aussi une résolution des Nations Unies, une résolution de l'assemblée générale qui appuie cette convention. Mais comme vous l'avez dit, certaines puissances nucléaires clés ont adopté une attitude négative à son sujet.

L'autre n'est pas qu'une proposition. C'est un traité réel, c'est le traité sur la non-prolifération. Toutes les puissances nucléaires ont pris l'engagement en vertu de ce traité de se débarrasser un jour de leurs armes nucléaires.

Ce qui manque toutefois au traité, ou au TNP, c'est un calendrier d'exécution. Il y a toutefois une capacité de vérification, confiée à l'AIE. S'il n'y a pas de calendrier, voici ma question: pourquoi insistez-vous sur la position du Canada au sein de l'OTAN au sujet d'une convention sur les armes nucléaires, plutôt que sur la position du Canada au sujet du TNP?

Nous avons beaucoup milité contre le transfert de matériel et d'équipement nucléaires à des pays ne disposant pas d'armes nucléaires, mais nous n'avons pas fait beaucoup pour promouvoir d'autres aspects du traité, comme le désarmement des puissances nucléaires.

D'après votre expérience, avez-vous des raisons de croire que nous avons peu de chance d'arriver à des résultats avec une convention efficace, permanente, qui a été renouvelée plusieurs fois et au sein de laquelle le Canada a joué un rôle majeur?

M. Roche: Merci, monsieur Dupuy.

Monsieur le président, je vais dire quelques mots, puis je laisserai la parole à M. Regehr.

Tout d'abord, le Canada a joué un rôle clé dans le prolongement indéfini du traité de non-prolifération lors de la conférence de réexamen de 1995. Nous avons beaucoup fait pour veiller à ce qu'il y ait suffisamment de votes.

Le Canada a donc l'obligation morale de veiller à ce que le TNP soit mis en oeuvre et que son respect soit assuré au début du XXIe siècle alors que des pays comme le Mexique, notre propre partenaire de l'ALENA, ont déclaré qu'ils envisageaient l'abandon du traité de non-prolifération, non pas parce que le Mexique va fabriquer sa propre arme nucléaire, mais parce qu'il déplore la discrimination dont il fait l'objet, comme bien d'autres pays. Le Canada a l'obligation de voir à la mise en oeuvre complète du TNP.

Vous avez parlé de calendrier. La Cour internationale de justice n'a pu faire mieux que d'invoquer l'article VI du traité de non-prolifération, aux termes duquel les nations doivent négocier. La Cour internationale a déclaré que ce n'était pas suffisant, que les nations devaient «mener à terme» les négociations sur l'élimination complète des armes nucléaires.

.1030

Tout cela joue un rôle dans la résolution portant sur la convention sur les armes nucléaires contre laquelle nous avons voté, par suite des pressions de l'OTAN. Nous avons là une autre occasion d'agir. Le 7 avril, une convention modèle sur les armes nucléaires sera dévoilée à New York lors de la rencontre préparatoire sur le traité de non-prolifération, qui durera deux semaines en avril. Nous pensons que le Canada doit travailler avec les pays qui mettent cela de l'avant pour la raffiner, l'améliorer, en faire peut-être bien davantage, mais au moins pour appuyer l'idée intrinsèque selon laquelle les négociations sur l'élimination des armes nucléaires doivent commencer, pour respecter la déclaration de la Cour internationale de justice.

M. Regehr: Très brièvement, monsieur le président: c'est maintenant une question de volonté politique; il faut faire bouger les choses.

Comme nous l'avons dit, il y a davantage d'armes nucléaires de nos jours, même après un désarmement nucléaire important, que lorsque les principales puissances ont signé le TNP et se sont engagées à procéder à un désarmement nucléaire. Nous sommes allés encore plus loin, mais nous avons quand même maintenu davantage d'armes qu'ils ont dit en avoir lorsqu'on a entamé le désarmement. Les puissances nucléaires opinent du chef lorsqu'on parle d'abolition des armes nucléaires, mais ce n'est que rhétorique puisque par ailleurs, en parlant de realpolitik, elles défendent la nécessité essentielle des armes nucléaires pour leur sécurité.

Nous parlons donc de la naissance et du développement d'une volonté politique pour que cette obligation, renforcée par la Cour internationale, de vraiment procéder au désarmement nucléaire, conformément à l'article VI, soit respectée.

M. Michel Dupuy: Seriez-vous favorable, par exemple, à une recommandation de notre comité au ministre des Affaires étrangères pour qu'une délégation canadienne joue un rôle de premier plan à la réunion d'avril portant sur l'avenir de cette convention?

M. Roche: Monsieur le président, ma réponse est un oui sans équivoque. Je serais tout à fait d'accord pour que le Canada joue un rôle de premier plan à la rencontre préparatoire sur le traité de non-prolifération qui durera deux semaines.

En fait, le processus de réexamen du TNP créé en 1995 découle d'une déclaration du Canada selon laquelle il nous fallait un meilleur processus d'examen. On a donc estimé que, dans les comités préparatoires annuels jusqu'à l'an 2000, à partir de 1997, le Canada avait une excellente occasion de montrer sa bonne foi dans son intention de libérer le monde des armes nucléaires et de respecter le droit international en collaborant activement avec ceux qui poursuivent le même objectif.

Le président: Monsieur English, d'après la liste, vous êtes le dernier intervenant, mais il ne nous reste pas vraiment de temps. Avez-vous une question brève à poser, ou préférez-vous garder votre intervention pour le prochain groupe?

M. John English (Kitchener, Lib.): Je vais être bref.

La dernière fois que j'ai vu ces deux témoins, c'était lors d'une conférence sur le sujet. Je me souviens que M. Roche a prononcé une allocution et que notre ami, M. Kapur a répondu en disant, en gros, que la dissuasion était efficace, qu'il fallait cesser de nous inquiéter et commencer à aimer un peu plus la bombe.

D'après son analyse, en réponse à votre exposé, les vrais obstacles sont causés par la Grande-Bretagne et la France. Il a demandé comment on pouvait s'attendre à ce que la Grande-Bretagne et la France cèdent, alors que cette question est intimement liée à leur prestige en tant que nations. Il y a une élection en Grande-Bretagne et le Parti travailliste lui-même a accepté les armes nucléaires. Pour ceux d'entre nous qui se rappellent Hugh Gaitskell et le grand débat ou les débats des années 80 au sein du Parti travailliste britannique, on peut déduire que les efforts du Canada devraient viser ces deux nations membres de l'OTAN, dont la population semble être arrivée à un consensus politique sur la nécessité de conserver la puissance nucléaire au sein de l'OTAN.

Pourriez-vous répondre à cette question?

M. Roche: Merci, monsieur English. Je doute que le président veuille connaître mon opinion sur les élections en Grande-Bretagne, à ce moment-ci.

Le président: Vous êtes un politicien d'expérience et vous pourriez nous dire qui va gagner. Rupert Murdoch s'est déjà prononcé sur le gagnant, avec un changement.

M. Roche: Depuis longtemps, monsieur le président, je sais qu'il ne faut pas faire de prédictions en matière de politique.

De toute façon, les propos de M. English au sujet de l'attitude des Britanniques et des Français sont extrêmement importants. Bien entendu. Il est clair que le maintien des armes nucléaires dans leur arsenal leur confère un pouvoir politique.

Je pense que la meilleure façon d'influencer les Britanniques et les Français, comme les Américains, c'est de collaborer avec des pays ayant la même opinion. Le Canada doit collaborer avec la Norvège, le Danemark et l'Islande, trois pays de l'OTAN qui se sont déjà abstenus, au moins, de voter pour une convention sur les armes nucléaires. D'autres pays membres de l'OTAN seraient prêts à faire pression sur les puissances nucléaires. Je vous ai déjà donné les raisons pour lesquelles les États-Unis, l'administration Clinton, seraient prêts à recevoir des pressions amicales.

.1035

Je n'abandonnerai pas la partie, au sujet des Britanniques et des Français, simplement parce qu'ils disent qu'ils veulent continuer à avoir des armes nucléaires. Je pense que lorsque START III entrera en vigueur les arsenaux russes et américains diminueront et les trois autres puissances nucléaires, y compris la Chine, seront obligées de participer aux négociations multilatérales.

L'important comme on l'a dit à Canberra, et chez les généraux, et j'espère que le comité verra les choses ainsi dans le cadre de son étude, c'est que d'importants groupes de chefs d'États du monde qui réfléchissent à la question déclarent que les puissances nucléaires doivent maintenant prendre un engagement sans équivoque et mettre en oeuvre un programme d'abolition des armes nucléaires, sinon, ce sera le chaos au XXIe siècle.

Le président: Merci beaucoup.

Mme Beryl Gaffney: Voilà une dernière déclaration très impressionnante.

Le président: En effet.

Merci d'être venu. Nous apprécions la qualité de votre mémoire et de vos observations.

Nous vous serions obligés de répondre par écrit aux questions de M. Bergeron. Je sais que vous vouliez y répondre. Il s'agit du plan d'action des 28 pays. C'est une notion stratégique assez complexe et nous apprécierions votre opinion là-dessus. Je pense que cela nous serait très utile.

Il y a autre chose qui pourrait nous être utile et j'aurais posé la question si nous avions eu le temps: voyez-vous des liens entre les armes nucléaires, les armes chimiques et d'autres armes de destruction massive? Je sais que nous voulons nous concentrer sur l'élimination d'un groupe d'armes, mais on nous a rappelé récemment qu'aux États-Unis, il y a des problèmes au sujet de la ratification de la convention sur les armes chimiques à cause de la vérification, notamment. Le comité du Sénat américain hésite à ratifier la convention. Avez-vous réfléchi aux liens entre les armes nucléaires et les autres armes de destruction massive, particulièrement en ce qui touche le processus de vérification qui est certainement très important pour bâtir la confiance entre les pays? Nous apprécierions beaucoup vos commentaires là-dessus.

Nous levons la séance deux minutes, en attendant que l'autre groupe de témoins se présente à la table.

.1038

.1044

Le président: Nous accueillons maintenant un groupe de représentants de trois organismes: l'Association des médecins pour la survie mondiale (Canada); les Avocats en faveur d'une conscience sociale; et le Centre de ressources sur la non-violence.

Si cela convient aux témoins, nous suivrons l'ordre qui apparaît sur l'avis de convocation. Nous vous prions de limiter vos commentaires préliminaires à 10 minutes, afin que nous ayons suffisamment de temps pour vous poser des questions. Tout dépend de ce que vous pouvez faire, mais nous allons essayer de vous suivre.

.1045

Madame Grisdale, êtes-vous le porte-parole des Médecins pour la survie mondiale?

Mme Debbie Grisdale (directrice exécutive, Association des médecins pour la survie mondiale (Canada)): Monsieur le président, j'aimerais donner la parole à Konia Trouton. Le docteur Trouton est la présidente élue de notre association.

Le président: Je présume que vous êtes Mme Trouton?

Mme Konia Trouton (présidente élue, Association des médecins pour la survie mondiale (Canada)): Oui, en effet.

Le président: Bienvenue, madame Trouton. Vous avez la parole.

[Français]

Dr Trouton: Bonjour. Je m'appelle Konia Trouton et je suis médecin de famille et de santé publique. Je suis la présidente élue de l'Association des médecins pour la survie mondiale (Canada).

[Traduction]

M. Alex Bryans (membre du conseil d'administration, Association des médecins pour la survie mondiale (Canada)): Je suis Alex Bryans. Je suis médecin, pédiatre, et président sortant de l'Association des médecins pour la survie mondiale.

[Français]

Dr Trouton: Avez-vous tous une copie de notre présentation?

[Traduction]

Je vais lire certains extraits de notre mémoire mais je passerai vite sur certains détails dont ont parlé déjà d'autres témoins.

L'Association des médecins pour la survie mondiale est un organisme dirigé par des médecins et composé d'environ 2 400 membres. Il a été créé au Canada en 1981 et portait auparavant le nom d'Association des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire. Notre énoncé de mission se lit comme suit:

Nous faisons partie de l'IPPNW, l'International Physicians for the Prevention of Nuclear War, qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 1985. Nous sommes l'un des 700 organismes non gouvernementaux du monde qui compose Abolition 2000, mouvement international pour l'élimination des armes nucléaires. Nous sommes également l'un des membres fondateurs du Canadian Network to Abolish Nuclear Weapons, qui, en septembre 1996, a présenté au gouvernement un mémoire sur le rôle du Canada dans l'abolition des armes nucléaires.

Nous aimerions commencer par féliciter le gouvernement du Canada pour avoir entamé un examen de sa politique à l'égard des armes nucléaires. Les membres de l'AMSM considèrent les armes nucléaires à la fois comme un risque pour la santé et comme une question morale. Ces armes peuvent provoquer la catastrophe la plus massive que les hommes aient connue et entraîner une situation «qu'aucun service de santé au monde ne serait capable d'améliorer de manière significative». Il n'existe pas de traitement efficace des dégâts que causerait cette catastrophe sur les plans de la santé humaine et de l'environnement. L'Association des médecins pour la survie mondiale s'est consacrée à la seule action médicale rationnelle et morale: la prévention, par l'élimination des armes nucléaires. Faute de quoi, il existera toujours une menace de guerre nucléaire, qu'elle soit déclenchée délibérément ou qu'elle soit l'effet d'une erreur de calcul.

Les voix qui se sont élevées dans la population et le Traité de non-prolifération des armes nucléaires, énoncés par le précédent intervenant, renforcent notre conviction profonde et durable qu'il faut abolir les bombes nucléaires. Ceci nous conduit à notre première recommandation à la page 2:

Vous avez entendu M. Roche et les représentants du «Project Ploughshares» s'exprimer très clairement au sujet de l'avis consultatif de la Cour internationale de justice. Cela nous amène à la recommandation numéro 2, en haut de la page 3: «Que le gouvernement du Canada respecte l'avis consultatif de la Cour internationale de justice et les lois internationales en vigueur.» Cette recommandation a été mise en relief lors d'un récent séminaire, tenu les 6 et 7 mars derniers, sur les conséquences du jugement de la CIG sur l'illégalité de la menace d'usage ou de l'usage d'armes nucléaires.

L'argument suivant que nous trouvons convaincant émane de la Commission Canberra sur l'élimination des armes nucléaires, qui a publié son rapport en août 1996. Composée d'imminents dirigeants mondiaux, elle a instamment recommandé l'élimination des armes nucléaires et a proposé des mesures réalistes pour y parvenir. Voilà qui nous amène à notre troisième recommandation: que le gouvernement du Canada réclame l'application immédiate des mesures énoncées par la Commission Canberra.

La commission a en outre conclu que l'extension de zones dénucléarisées sur la planète, assortie de mécanismes spécifiques de contrôle des questions de sécurité dans chaque région, peut progressivement codifier la transition vers un monde exempt d'armes nucléaires. Par conséquent, notre quatrième recommandation est que le gouvernement du Canada soutienne tous les efforts déployés pour établir ou consolider des zones dénucléarisées.

.1050

Nous tenons à analyser de façon assez détaillée la question de la dissuasion - l'idée que le recours avéré ou implicite aux armes nucléaires accroît la sécurité en réduisant la probabilité qu'une autre partie utilise ses propres armes atomiques.

Il s'agit du principe qu'il faut disposer d'armes nucléaires pour dissuader des États récalcitrants ou des terroristes d'y recourir ou un État muni d'armements atomiques de les utiliser contre un autre, mais cet argument ne tient pas. Si certaines nations prétendent avoir besoin d'armes nucléaires pour leur sécurité, beaucoup d'autres en concluront qu'elles leur sont encore plus indispensables. Le seul moyen efficace d'éliminer la menace que représentent les bombes nucléaires, quels qu'en soient les détenteurs, est de créer un monde dénucléarisé.

Les arsenaux atomiques n'effraient ni ne dissuadent les terroristes. Il serait impensable de punir un groupe terroriste, quand bien même il aurait été identifié indubitablement, au moyen d'une bombe atomique. À cause de l'existence persistante de ces armes, les terroristes peuvent les obtenir, mais cela ne les empêchent pas de les utiliser pour réaliser leurs objectifs. Tant qu'il y aura des bombes atomiques, le terrorisme nucléaire continuera de nous menacer.

Bien que la confrontation bipolaire de la guerre froide ait pris fin, le danger d'une catastrophe nucléaire persiste. L'instabilité politique, ou l'affaiblissement de l'autorité de l'État dans un pays doté d'armes atomiques ou dans un pays sur le point d'en disposer, pourrait compromettre la capacité des nations à assurer la sécurité de la manutention et du contrôle des armes atomiques et de l'armement. Il s'ensuit que la marge de sécurité qui protège l'humanité contre une catastrophe atomique se réduit, tandis que la probabilité d'une erreur humaine augmente fortement.

La Commission Canberra décrit cet environnement de façon assez détaillée et poursuit en ces termes:

Voilà qui nous conduit à notre cinquième recommandation: que le gouvernement du Canada rejette la notion de dissuasion nucléaire comme garantie de sécurité nationale et internationale.

J'aimerais maintenant passer à une discussion sur la convention sur les armes nucléaires. La population en général, les militaires et les juristes estiment de plus en plus que les armes atomiques n'ont plus de rôle justifiable. Tous les efforts doivent concourir à déterminer leur élimination. C'est aux puissances nucléaires qu'il appartient de s'engager, au niveau politique le plus élevé, à réaliser cet objectif. Les États non détenteurs d'armes nucléaires doivent appuyer cet engagement et participer à une action coopérative internationale pour l'exécuter. Le Canada a beaucoup à offrir à cet égard, notamment par des stratégies de renforcement de la confiance, afin de réduire le climat d'hostilité, et par des processus de vérification.

Nous estimons que la décision de la CIJ établit une base judiciaire à partir de laquelle il serait logique d'envisager une convention sur les armes nucléaires qui définisse une stratégie globale et conduise à éliminer ces armements. Nous invitons instamment le Canada à étudier le projet de la Convention sur les armes nucléaires mentionnée par M. l'ambassadeur Roche, qui sera diffusé le 7 avril prochain, au début des travaux du Comité préparatoire de l'examen du Traité de non-prolifération des armes nucléaires.

Notre sixième recommandation est donc que le gouvernement du Canada soutienne les négociations jusqu'à la conclusion prochaine d'une convention sur les armes nucléaires qui aboutira au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international rigoureux et efficace.

Le rôle de premier plan du Canada afin d'obtenir l'interdiction à l'échelle mondiale des mines terrestres antipersonnel est exemplaire. Les leçons tirées de ce que l'on a qualifié de «stratégie d'Ottawa» peuvent s'appliquer aux efforts pour obtenir l'engagement sans équivoque des puissances nucléaires à se consacrer de toute urgence de l'objectif d'élimination de leurs arsenaux nucléaires.

Cela nous amène à notre septième recommandation: que le gouvernement du Canada collabore avec d'autres puissances moyennes pour obtenir des États possédant des armes nucléaires qu'ils s'engagent sur la voie du désarmement.

Je vais maintenant parler de l'Organisation du Traité de l'Atlantique nord (OTAN). Malgré la fin de la guerre froide, l'OTAN est toujours partisan d'une politique de maintien des armes atomiques, ce à quoi l'autre exposé a fait allusion.

Nous demandons où, dans la politique étrangère canadienne, il est énoncé que les armes nucléaires sont «indispensables» à notre bien-être. L'indifférence de l'Alliance à l'égard de la décision de la CIJ est inquiétante. Cette décision met le Canada en conflit avec les politiques nucléaires de l'OTAN.

Le retrait de l'OTAN n'est une solution ni viable ni réaliste pour le Canada. Il existe au sein de l'OTAN des possibilités de dialogue favorables à la crédibilité du Canada et de l'OTAN réciproquement. Nous reconnaissons que l'OTAN a besoin d'une période de transition pour se conformer aux avis juridiques internationaux et répondre aux préoccupations croissantes de l'opinion publique.

Notre huitième recommandation est donc que le gouvernement du Canada collabore avec l'OTAN pour la dégager de la dépendance nucléaire et modifier sa stratégie de combat axé sur la guerre atomique.

.1055

Le Canada est membre du Groupe des plans nucléaires de l'OTAN, comme vous le savez tous. Ce groupe se réunit deux fois par an et diffuse un communiqué à l'issue de chacune de ces réunions. Ses travaux sont en grande partie secrets. Nous nous préoccupons de l'écart grandissant entre ses déclarations publiques et sa doctrine réelle. Nous croyons comprendre que l'OTAN a révisé par deux fois sa stratégie nucléaire depuis la chute du mur de Berlin et l'éclatement du Pacte de Varsovie. Ces deux documents demeurent toutefois confidentiels.

L'OTAN est bel et bien divisée, ce dont témoigne, comme l'a expliqué le «Project Ploughshares», le vote sur la résolution présentée par la Malaisie à l'Assemblée générale des Nations Unies en décembre dernier. Ce texte invitait les États à amorcer des négociations multilatérales en 1997 pour en arriver rapidement à la signature d'une Convention sur les armes atomiques. Le Danemark, l'Islande et la Norvège se sont abstenus, se désolidarisant ainsi des autres pays membres de l'OTAN.

Voilà qui nous a conduits à notre neuvième recommandation: que le gouvernement du Canada collabore avec les États partageant les mêmes opinions pour réclamer un examen public et officiel de la stratégie de combat de l'OTAN axée sur la guerre nucléaire.

Comme certains d'entre vous l'ont évoqué au cours de la dernière période de questions, les préoccupations de la Russie à propos de l'élargissement de l'OTAN sont légitimes. La prétendue concession accordée à la Russie, selon laquelle il n'aura pas de déploiement d'armes atomiques sur le sol des nouveaux pays membres, n'est qu'une diversion, étant donné l'ampleur des armes atomiques. Nous estimons que l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) correspond mieux à la définition de la sécurité de l'après-guerre froide. Nous soutenons l'idée d'une zone dénucléarisée en Europe.

Notre dixième recommandation est que le gouvernement du Canada contribue à renforcer l'OSCE et envisage les moyens par lesquels cette dernière pourrait encourager l'abolition des armes nucléaires au sein de l'OTAN.

Enfin, j'aimerais consacrer quelques instants au texte que l'on nomme «Protocole additionnel I». Le Canada a ratifier le Protocole additionnel I aux conventions de Genève en 1990, étant entendu que les règles qu'il introduisait ne s'appliquaient pas aux armes nucléaires. Cette interprétation est indéfendable en droit international. Dans sa décision sur cette question, la Cour internationale de justice a conclu que

Notre dernière recommandation est que le gouvernement du Canada lève ses restrictions à la ratification et se conforme intégralement au Protocole additionnel I.

En conclusion, nous, médecins pour la survie mondiale, estimons que le Canada peut assumer, en intervenant au sein d'instances multilatérales avec le concours des États de même allégeance, un rôle de premier plan dans l'achèvement de l'ère nucléaire.

Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, docteur Trouton.

J'aimerais maintenant laisser la parole à M. David Matas, des Avocats en faveur d'une conscience sociale.

Prenez garde, à présent, car aux yeux de ce comité, les avocats prêtent parfois à controverse. Certains seraient tentés de penser qu'il est paradoxal d'affirmer que les avocats sont en faveur d'une conscience sociale. Je ne suis bien sûr, pas de ceux-là, étant moi-même avocat, mais je voulais simplement vous mettre en garde.

M. David Matas (membre du conseil d'administration des Avocats en faveur d'une conscience sociale): J'espère qu'après la fin de mon exposé, le comité ne partagera plus jamais ce point de vue.

Le président: Espérons qu'il rétablira notre foi dans cette profession.

M. Matas: Je tiens à vous remercier de nous inviter à comparaître. Je m'appelle David Matas. Je suis un avocat de Winnipeg et je fais partie du conseil d'administration des Avocats en faveur d'une conscience sociale.

Il s'agit d'une organisation d'avocats canadiens déterminés à faire abolir les armes de destruction massive. Nous sommes membres de l'IALANW, l'International Association of Lawyers Against Nuclear Weapons.

Nous avons participé à la rédaction d'un mémoire type à l'intention de la Cour internationale de justice préparé par l'IALANW et diffusé auprès des États. Notre contribution, à titre d'avocats en faveur d'une conscience sociale, a été d'affirmer que l'utilisation ou la menace d'utilisation d'armes nucléaires contrevenait au droit international en matière de droits de la personne.

Le 8 juillet 1996, la Cour internationale a statué sur la légalité de l'utilisation ou de la menace d'utilisation d'armes nucléaires. La décision de la Cour est de 37 pages et répond à huit questions différentes. Il y avait 14 juges, qui ont tous rendu un avis différent, dont le total représente 230 autres pages. Pour résumer convenablement cette longue décision, il faudrait que j'y consacre intégralement les 10 minutes que vous m'avez accordées, et beaucoup plus. Je propose au contraire de vous laisser entrevoir les conséquences de cette décision pour le Canada, telles que nous les envisageons.

.1100

L'un des 14 juges, M. Vereshchetin, dans son opinion distincte, a décrit la décision du tribunal non pas comme un simple jugement formel, mais comme un guide d'action. Nous aimerions aller plus loin. Nous considérons ce jugement comme un appel à l'action et un avertissement contre l'inaction. Maintenant que nous connaissons la loi dans ce domaine, nous l'ignorons au péril de l'ensemble de l'humanité.

Selon nous, il existe cinq principes d'actions distinctes qui découlent du jugement pour le Canada, neuf initiatives différentes qu'il devrait et même qu'il doit adopter par suite de la décision. Le premier consiste à exhorter l'OTAN et NORAD à se conformer à ce jugement dans leur planification nucléaire. Le Canada, comme nous l'avons entendu, fait partie du Groupe des plans nucléaires de l'OTAN et est commandant adjoint de NORAD. Le Canada devrait en profiter pour donner suite au jugement de la Cour internationale.

À l'heure actuelle, bien que la politique nucléaire de l'OTAN et de NORAD manque quelque peu de clarté par suite de décisions confidentielles, elle semble beaucoup plus large que ce que l'autorise la loi, selon la Cour internationale. La position publique de l'OTAN et de NORAD en matière de politique nucléaire repose sur la dissuasion, contre les attaques tant nucléaires que conventionnelles.

La Cour internationale a statué que l'utilisation et la menace d'utilisation d'armes nucléaires est illégale en toutes circonstances, sauf en cas de légitime défense dans une situation extrême qui menace la survie de la nation. Même dans ces circonstances exceptionnelles, la Cour n'a pas déclaré que l'utilisation ou la menace d'utilisation d'armes nucléaires était légale, mais simplement qu'elle ne pouvait aboutir à aucune conclusion définitive. Le fait que la Cour, le 8 juillet 1996, n'a pas pu aboutir à des conclusions définitives sur l'état des preuves et des arguments qui lui étaient soumis, ne signifie pas qu'aucune conclusion définitive ne pourrait être tirée à une date ultérieure, en soumettant à la Cour des informations plus étoffées et différentes. La décision ménage la possibilité que même dans les circonstances exceptionnelles énoncées par la Cour, l'utilisation ou la menace d'utilisation d'armes nucléaires dans une situation extrême qui menace la survie de la nation, la Cour à une date ultérieure, puisse statuer que ce recours à l'armement nucléaire serait illégal.

Ce que cela signifie, c'est que l'OTAN et NORAD s'exposent à la possibilité d'agir dans l'illégalité en utilisant ou en menaçant d'utiliser des armes nucléaires en toutes circonstances. Ce qui est certain, c'est que lorsque l'OTAN ou NORAD utilisent ou menacent d'utiliser des armes nucléaires en toutes circonstances autres que la circonstance exceptionnelle définie par la décision, pour laquelle il n'y a aucune déclaration officielle d'illégalité par la cour, ces organisations enfreindraient le droit international. Le Canada devrait s'efforcer de s'assurer que cette situation ne se produira pas.

La deuxième conséquence qui découle de cette décision est l'obligation faite au Canada et bien sûr à d'autres pays de s'efforcer de parvenir au désarmement nucléaire partout, y compris par l'intermédiaire de l'OTAN et de NORAD. Le désarmement nucléaire intégral devrait devenir l'objectif déclaré de ces deux organisations.

La Cour internationale a statué à l'unanimité qu'il existe une obligation de tenter d'obtenir le désarmement nucléaire. Cette obligation ne consiste pas simplement à s'engager dans un processus de négociation mais à obtenir un résultat précis. Le Canada devrait saisir l'OTAN et NORAD du dossier du désarmement nucléaire.

La troisième conséquence de ce jugement, ainsi que nous le laissons entendre, est que le Canada devrait refuser de participer à tout volet ou aspect de l'OTAN et de NORAD qui contrevient au jugement de la Cour internationale. Si le Groupe de planification nucléaire de l'OTAN refuse de recommander l'adhésion au jugement de la Cour internationale, le Canada devrait démissionner de ce groupe. Si NORAD refuse de se conformer au jugement de la Cour internationale, le Canada devrait démissionner de son poste de commandant adjoint. Si l'OTAN et NORAD doivent persister dans l'illégalité, le Canada doit faire tout son possible pour se dissocier de cette illégalité.

La quatrième conséquence est que le Canada devrait se retirer du parapluie nucléaire de l'OTAN et de NORAD. Ces organisations reposent sur des accords de défense collective dont la menace nucléaire fait partie. Selon nous, il est possible de dissocier la menace nucléaire de la défense collective. L'OTAN et NORAD peuvent exister à titre de système à deux niveaux.

Tout pays membre de l'une ou l'autre alliance peut renoncer à l'utilisation ou à la menace d'utilisation d'armes nucléaires dans le cadre de sa défense. C'est que le Canada devrait faire. Il faudrait qu'il déclare à l'OTAN et à NORAD qu'il ne souhaite pas être protégé par la menace d'utilisation d'armes nucléaires.

.1105

La cinquième conséquence est que le Canada devrait faire valoir l'obligation d'obtenir un désarmement nucléaire dans les instances internationales en dehors de l'OTAN et de NORAD. Il devrait voter pour toute résolution aux Nations Unies ou dans d'autres enceintes internationales qui appuient l'interdiction des armes nucléaires et qui réclament la dénucléarisation totale.

La sixième initiative que nous proposons est que le Canada tente de se placer sous la protection d'un traité comme celui de Tilatelolco ou de Rarotonga. À l'heure actuelle, le Traité de Tilatelolco fait de l'Amérique latine une zone dénucléarisée. Le Traité de Rarotonga fait de même pour le Pacifique Sud. Les cinq puissances nucléaires ont toutes signé les deux traités, bien que les États-Unis, le Royaume-Uni et la France n'aient pas ratifié le Traité de Rarotonga.

Dans le cadre de ces traités, les puissances nucléaires - il faut convenir que certaines les ont signés avec certaines réserves - se sont engagées à ne pas utiliser ni menacer d'utiliser les armes nucléaires contre les États de la région. Le Canada devrait chercher à obtenir un engagement semblable de l'ensemble des puissances nucléaires afin qu'elles n'utilisent ni ne menacent d'utiliser des armes nucléaires contre lui.

La septième conséquence de la décision de la Cour internationale est que le Canada devrait se proclamer zone dénucléarisée. Cela signifie notamment qu'il devrait refuser de stationner des armes nucléaires sur son sol, mais aussi qu'il devrait interdire l'utilisation de l'espace aérien, des terres ou des eaux canadiennes pour des patrouilles ou des exercices susceptibles d'utiliser ou d'être prêts à utiliser des armes nucléaires. Tout traité de défense auquel nous sommes partie doit clairement interdire le survol d'armes à charge nucléaire, le ravitaillement en carburant de transporteurs à charge nucléaire, l'accostage de navires à charge nucléaire, l'atterrissage d'avions à charge nucléaire ou le pointage de missiles à charge nucléaire au-dessus du Canada.

Nous affirmons que la huitième conséquence pour le Canada de la décision de la Cour internationale de justice consiste à améliorer nos propres lois. La Cour a à nouveau statué à l'unanimité que le droit humanitaire international s'applique à l'utilisation et à la menace d'utilisation d'armes nucléaires. Le droit humanitaire international fait partie de la loi canadienne: la Loi sur les Conventions de Genève, qui fait partie des Lois révisées du Canada.

La Loi sur les Conventions de Genève rend punissables au Canada les graves infractions à la Convention de Genève, aux lois régissant la guerre, au droit humanitaire international. Son champ d'application est universel. Pourvu que l'accusé soit reconnu coupable au Canada, les tribunaux ont compétence pour punir quiconque commet de graves infractions au droit humanitaire international.

Nous proposons que la Loi sur les Conventions de Genève soit modifiée pour intégrer au droit canadien ce qu'a déclaré la Cour internationale, à savoir que les violations du droit humanitaire international peuvent être commises par le biais de l'utilisation ou de la menace d'utilisation d'armes nucléaires. Les tribunaux canadiens devraient avoir compétence exclusive pour punir les personnes reconnues coupables au Canada d'avoir commis de graves infractions au droit humanitaire international par l'utilisation ou la menace d'utilisation d'armes nucléaires.

La neuvième recommandation que nous souhaitons formuler, et la dernière, consiste à réitérer une recommandation déjà faite par nos collègues de l'Association des médecins pour la survie mondiale, c'est-à-dire que le Canada lève ses réserves à l'égard du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève sur les lois de la guerre relatives à l'utilisation des armes nucléaires. L'effet juridique de ces réserves, selon lesquelles on estime que les règles du Protocole additionnel I ne s'appliquent pas aux armes nucléaires, peut être mis en doute à la lumière de la décision de la Cour internationale de justice. Selon un principe du droit international, les réserves à un traité qui sont contraires à l'esprit de ce traité, sont inapplicables.

Selon notre interprétation de la décision de la Cour, les réserves sont en effet contraires à l'esprit du traité et que mis à part dans le cas de cette situation très restreinte où il n'y a pas de jugement, le droit humanitaire international s'applique à l'utilisation ou à la menace d'utilisation d'armes nucléaires. Au lieu de semer la confusion avec les réserves suspendant l'application, le Canada devrait tout simplement les lever.

La légalité de l'utilisation et de la menace d'utilisation d'armes nucléaires, comme toute question juridique, peut parfois sembler technique, lorsqu'elle fait référence aux dispositions de traités et à la jurisprudence, mais dans ce domaine, il est question de la survie même de l'humanité.

.1110

Nous pouvons et devons examiner maintenant la question de l'utilisation des armes nucléaires car une fois que ces dernières auront été utilisées, il sera trop tard. Le moment actuel est propice, car nous avons à la fois la décision de la Cour internationale qui nous incite à abolir les armes nucléaires et la fin de la guerre froide qui leur enlève toute justification. Il nous faut profiter de ce moment et de cette occasion et oeuvrer dès maintenant en faveur de la dénucléarisation.

Voilà qui conclut mes observations, mais permettez-moi de dire pour terminer que nos remarques ne portent pas simplement sur des conseils stratégiques pour le Canada, mais qu'il s'agit selon nous de mesures que notre pays doit prendre afin de se conformer à la décision de la Cour internationale de justice.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Matas. Lorsque je vous ai présenté, j'aurais peut-être dû attirer signaler aux députés que vous avez récemment été nommé membre du conseil d'administration du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique à Montréal. Je vous en félicite, voilà une autre contribution que vous ferez à une institution que nous, membres du comité, suivons de très près.

[Français]

Nous entendrons maintenant les représentants du Centre de ressources sur la non-violence. Je crois que vous vouliez nous présenter quelque chose avant de procéder à votre présentation. Non? Excusez-moi.

Donc, allez-y.

Mme Judith Berlyn (Centre de ressources sur la non-violence): Parle-t-on de la carte ou de notre...

Le président: D'accord, mais...

Mme Berlyn: On va faire allusion à cette carte.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Boucher, je vous accorde la parole.

M. Jacques Boucher (directeur, Centre de ressources sur la non-violence): Je m'appelle Jacques Boucher. Je vais présenter le Centre et, par la suite, nous allons traiter de trois points: premièrement, la question du dilemme pour le Canada, chose qui a déjà été traitée, bien sûr, par les groupes qui ont comparu avant nous; deuxièmement, la question du mythe de la dissuasion; finalement, la participation du Canada à la prolifération nucléaire.

Le Centre de ressources sur la non-violence existe depuis 1988. On a le mandat de faire la promotion de la non-violence dans tous les aspects de la vie et de la société. On a un centre de documentation de 4 000 volumes qui sont à la disposition du public; les gens peuvent venir les consulter. On a des périodiques et des dossiers sur les différentes questions ayant trait à la violence et à la non-violence.

Également, on a un Bulletin d'information trimestriel et quelques publications que nous avons faites sur différents sujets. On a un service d'éducation, de conciliation et de consultation sur l'interaction pacifique qui travaille à la prévention de la violence et à la résolution de conflits dans les écoles secondaires à l'heure actuelle. Également, on a publié un guide sur la résolution de conflits.

Finalement, le Centre de ressources a un volet d'implication, un volet concernant la solidarité avec les autochtones, un autre sur la solidarité internationale et, finalement, un volet sur le désarmement et la paix. C'est dans le cadre de ce volet que nous faisons notre présentation, d'autant plus que nous faisons souvent des campagnes dans le cadre de coalitions aux niveaux international, national et local. Au Canada, nous faisons partie de l'Alliance canadienne pour la paix. Nous faisons partie du comité de direction.

Notre présentation s'inspire un peu de la position de l'Alliance canadienne pour la paix. L'Alliance canadienne pour la paix est une coalition qui regroupe plus de 200 organisations travaillant pour la paix partout au Canada.

Mme Berlyn va parler du dilemme du Canada et du mythe de la dissuasion.

.1115

Mme Berlyn: Merci, Jacques. Le document a été écrit dans les deux langues. Je parle le français, mais comme j'ai rédigé le texte anglais, je trouverais un peu difficile de le présenter en français. Donc, si c'est acceptable, je vais présenter cette partie dans ma langue maternelle.

[Traduction]

Depuis le 8 juillet 1996, les armes nucléaires ne sont pas seulement immorales, elles sont aussi devenues illégales en vertu du droit international. Les avis consultatifs rendus par la Cour internationale de justice à la date susmentionnée range les armes nucléaires dans la même catégorie juridique que les armes chimiques et biologiques. Il appartient maintenant aux gouvernements de faire de même. Ceci exigera une convention des Nations Unies interdisant les armes nucléaires, semblable aux conventions qui interdisent déjà les armes chimiques et biologiques.

Nous pensons que cet état de choses plonge le gouvernement dans un grand dilemme qui provient des liens du Canada avec l'OTAN et NORAD. Nous estimons que les avis consultatifs de la Cour internationale de justice rendent illégale la politique actuelle de l'OTAN en matière d'armes nucléaires en vertu du droit international existant. Cela crée un dilemme pour le gouvernement du Canada car il ne lui est plus possible de maintenir sa tradition de respect pour la Cour internationale de justice, alors qu'il continue d'appuyer la politique de l'OTAN en matière d'armes nucléaires. Contraint de choisir entre les deux, le gouvernement du Canada devrait accorder la préférence au droit international plutôt qu'à la politique des alliances. L'appartenance à l'OTAN ne devrait pas être autorisée à entraver le respect pour la Cour internationale de justice.

Nous tenons également à noter que nous avons été très troublés par une nouvelle diffusée par CTV à son bulletin d'information du 8 septembre 1996. On montrait la participation militaire canadienne aux plans de NORAD pour la militarisation de l'espace. Nous espérons que votre comité en prendra bonne note et partage notre inquiétude.

À propos de la dissuasion, nous estimons que la doctrine de la dissuasion est une illusion très dangereuse - et j'ajouterai simplement ceci à titre de note supplémentaire ne figurant pas dans le texte - car elle repose sur une hypothèse. Pour être efficace, elle doit l'être parfaitement à tout jamais. Comme aucune entreprise humaine n'a jamais donné des résultats parfaits à jamais, nous estimons que cela équivaut à jouer avec le feu. Ce n'est pas vraiment réaliste. C'est une théorie fondée sur un postulat erroné selon lequel les armes nucléaires peuvent empêcher la guerre.

L'histoire des 50 dernières années montre clairement que l'existence et la possession d'armes nucléaires n'empêchent pas la guerre conventionnelle. Vingt millions de personnes ont péri dans des combats depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Puisqu'il ne pourrait y avoir de guerre nucléaire sans armes nucléaires, il n'est évidemment pas nécessaire de disposer d'armes nucléaires pour empêcher la guerre nucléaire. La seule façon d'empêcher véritablement une telle guerre est d'éliminer les armes nucléaires, car alors, la possibilité d'un conflit nucléaire disparaîtra. Par conséquent, comme j'avais dit, la dissuasion est une illusion logique.

En ce qui concerne la politique canadienne des armements nucléaires, le gouvernement du Canada a jusqu'à maintenant appuyé les politiques des puissances nucléaires de l'OTAN, comme nous l'avons mentionné. Ce soutien contribue à perpétuer l'existence des armes nucléaires. Les avis de la Cour internationale de justice offrent une magnifique occasion de changer cela. Selon nous, les politiques canadiennes de désarmement ne devraient plus appuyer les politiques des États nucléarisés, en particulier des pays membres de l'OTAN, et ne devraient pas être établies par le ministère de la Défense nationale. Il est naturel que les militaires souhaitent les armes et le matériel dernier cri, le plus sophistiqué, mais il appartient au ministère des Affaires extérieures et du Commerce extérieur de s'assurer que le Canada honore ses engagements au regard du droit international et des traités des Nations Unies auxquels il est partie.

.1120

C'est là où je vous demande de sortir vos cartes, si elles vous ont été distribuées. Les avez-vous?

J'aimerais souligner que la carte figurant dans cette brochure a été réalisée pour la campagne lors des élections fédérales de 1988...

Le président: J'ai été un peu troublé lorsque je me suis rendu compte que notre gouvernement allait acheter des sous-marins nucléaires. J'ai pensé que nous nous engagions dans quelque chose que nous ne connaissions pas.

Merci de vos explications.

Mme Berlyn: Je vais faire ressortir les deux seules modifications que vous pouvez y apporter.

Mais pour finir, je dirais simplement que le fait d'opter en faveur du droit international oblige le Canada à mettre un terme à toute activité qui encourage ou appuie une politique militaire fondée sur l'utilisation ou la menace d'utilisation d'armes nucléaires.

Je ne suis pas enseignante de métier. Je suis bibliothécaire. Je suppose que c'est la raison pour laquelle j'aime les documents de référence. Cependant, si vous examinez cette carte, il n'y a que deux choses que vous pouvez y changer. Dans le coin supérieur droit, il y a une modification: nous ne prévoyons pas d'essais de missiles de croisière cette année, mais l'accord qui prévoit les essais de missile de croisière est encore en vigueur. Nous ne le faisons tout simplement pas pour l'instant. Alors vous pouvez éliminer cela, car il n'y a aucun projet de ce genre pour cette année. Et, deuxièmement, nous n'avons pas acheté les sous-marins à charge nucléaire. Toutes les autres activités sur cette carte sont soit encore en cours ou autorisées dans le cadre des accords internationaux. En fait, il y a cinq corridors d'entraînement au pilotage des B-52 et non pas seulement trois. Il y en a aussi un au Québec et un en Ontario.

Les activités mentionnées dans le cas du Québec et de l'Ontario, à savoir la production de composantes d'armes nucléaires, portent en fait sur les vecteurs, la recherche scientifique et ainsi de suite, et s'appliquent également aux deux provinces. Cela ne veut pas dire que l'Ontario se spécialise dans un domaine et le Québec dans l'autre. Les deux provinces mènent les deux types d'activités mentionnées.

C'est une situation que nous aimerions voir changer davantage. Nous n'avons changé que deux choses sur cette carte en neuf ans, et pour nous, cela n'est pas suffisant.

[Français]

M. Boucher: Quelque chose est troublant en ce qui a trait à la politique canadienne. Le Canada a signé le Traité de non-prolifération nucléaire, mais ses activités économiques, en gros, aident beaucoup à la prolifération nucléaire. Le Canada dit qu'il fait signer aux gens qui achètent des éléments qui entrent dans la production d'armements nucléaires un engagement à ne pas fabriquer d'armes nucléaires. Cependant, jusqu'à quel point le Canada peut-il faire confiance à cet engagement?

Premièrement, l'un des éléments fondamentaux dans la production des armes nucléaires est l'uranium, et le Canada est l'un des plus gros exportateurs d'uranium au monde. Il en exporte pour la production d'électricité, mais il en a également exporté aux États-Unis pour la fabrication d'armements nucléaires.

Sans uranium, il devient éventuellement impossible de fabriquer des armes nucléaires. C'est l'un des buts visés par le Traité de non-prolifération des armes nucléaires et c'est l'un des buts visés par la loi internationale, selon les opinions émises par la Cour internationale de justice.

Il y a également le plutonium, qui provient de l'uranium. En fait, l'uranium peut servir, s'il est enrichi, à faire des bombes atomiques. À l'heure actuelle, c'est plutôt le plutonium qui est choisi pour faire les bombes atomiques. Le réacteur CANDU canadien est l'un des plus gros producteurs de plutonium au monde.

Bien sûr, il y a les générateurs au plutonium qui en produisent plus, mais le CANDU est l'un des plus gros producteurs.

La conception même du réacteur fait qu'on peut en retirer les grappes de combustible pendant son fonctionnement, ce qui fait en sorte qu'il est très difficile de comptabiliser... Bien sûr, le Canada fait une comptabilité de ce qui entre dans les réacteurs au niveau des grappes de combustible, même à l'étranger.

.1125

Cependant, il est possible pour un autre pays de mettre d'autres grappes, qui ne sont pas nécessairement des grappes de combustible, par exemple ce qu'on appelle de l'uranium depleted. Il s'agit de déchets qui proviennent de la concentration pour faire de l'uranium fissile. Il est possible de mettre des grappes de cet uranium et de ne pas les comptabiliser comme du combustible et ensuite de les retirer quand on a du plutonium qui est à notre goût pour faire une bombe atomique.

Le Canada a vendu ses réacteurs partout à travers le monde, même s'il a signé le Traité de non-prolifération des armes nucléaires, à des pays qui étaient des dictatures militaires, ou bien qui étaient en conflit avec leurs voisins. On a vu l'Inde, au cours des années 1970, faire exploser une bombe atomique à l'aide d'un réacteur expérimental qui lui avait été vendu par le Canada.

Le Pakistan, qui est en conflit avec les Indes, a acheté un autre réacteur au Canada. On sait maintenant officieusement que les Indes et le Pakistan ont désormais l'arme atomique. La Corée du Sud est un autre endroit de conflit; c'est une dictature militaire. L'Argentine, sous les généraux, sous la dictature militaire également, a acheté un réacteur CANDU. La Roumanie l'a fait sous M. Ceausescu, et maintenant on est en train d'en vendre à la Chine.

Il s'agit là de pays qui, même devant l'opinion internationale, n'hésitent pas à violer les droits de la personne. Comment le Canada peut-il s'attendre à ce que ces pays-là respectent leurs engagements de ne pas produire d'armements nucléaires alors qu'ils ont l'instrument idéal pour en produire?

Le Canada s'est également montré intéressé à accepter le plutonium qui proviendrait du démantèlement des armements nucléaires des États-unis et de la Russie.

Nous faisons partie d'autres groupes, à l'intérieur de l'Alliance canadienne pour la paix, qui considèrent qu'une telle politique ferait en sorte que le plutonium deviendrait un produit de commerce. Déjà il y a des pays qui se sont lancés dans cette direction-là, soit la France, l'Allemagne et le Japon. Encore la semaine dernière, au Japon, il y a eu un accident dans une usine de traitement de combustible irradié. Il y a eu un feu, une explosion, et des travailleurs ont été contaminés.

Donc, ce sont des pays qui n'hésitent pas à traiter de nouveau le combustible irradié pour en extraire le plutonium. L'abondance de ce matériau-là va faire en sorte qu'il sera de plus en plus difficile de le contrôler, d'empêcher son détournement vers la prolifération des armes nucléaires et même, éventuellement, d'empêcher la mainmise de groupes terroristes sur ce matériau.

Il est irresponsable de continuer cette production de plutonium dans le monde. C'est la clef du problème nucléaire. C'est la clef de la production de bombes nucléaires. Si le Canada accepte ce plutonium, au lieu d'éliminer le problème, il va contribuer à son institutionnalisation, parce que cela va devenir acceptable au niveau international. C'est la planète qui est menacée par une telle politique.

Enfin, nous considérons que le Canada devrait déclarer fermement qu'il est en faveur de l'interdiction de l'extraction du plutonium partout dans le monde et de l'utilisation commerciale du plutonium à l'échelle internationale. Les stocks de plutonium existants devraient être conservés dans des lieux d'entreposage, sous une surveillance des plus strictes et sous le contrôle des instances internationales jusqu'à ce qu'on ait trouvé le moyen de les rendre complètement inaccessibles. Judith va maintenant vous présenter nos recommandations.

.1130

[Traduction]

Mme Berlyn: En somme, nous recommandons - nous nous sommes limités à cette recommandation seulement - que le gouvernement s'engage officiellement en faveur de l'élimination totale des armes nucléaires. Nous savons qu'il a pris cet engagement dans le cadre du traité de non-prolifération, mais il serait agréable de l'entendre dans un énoncé de politique. Le dernier Livre blanc sur la défense ne contient rien à cet effet. Il en est de même du document intitulé Le Canada dans le monde. Il serait vraiment agréable que cet engagement soit réaffirmé.

Nous pensons aussi que le Canada doit devenir et se déclarer une zone dénucléarisée, ce qui signifie qu'il ne doit plus mener le genre d'activité sur cette carte, en autres choses. Que le Canada doit voter en faveur de toutes les résolutions de l'ONU préconisant l'élimination la plus rapide des armes nucléaires, surtout une convention de l'ONU interdisant les armes nucléaires; et qu'il doit collaborer avec d'autres États alliés opposés à l'armement nucléaire afin de dénucléariser la politique militaire de l'OTAN.

Partout où nous allons, nous disons que nous sommes un État non nucléaire. Nous le professons, mais nous appuyons la politique des États nucléaires. Nous pensons que le Canada devrait à la fois être un État non nucléaire et refuser d'appuyer les politiques des États nucléaires. Ce n'est pas logique.

Nous voulons aussi une déclaration. Nous espérons que le comité conviendra que le gouvernement doit déclarer son opposition à la militarisation de l'espace. Nous vous exhortons vraiment à regarder cette séquence des nouvelles diffusées par le réseau CTV le 8 septembre. C'était très troublant.

Nous demandons aussi que le gouvernement du Canada rejette tous les nouveaux contrats d'exportation d'uranium et des réacteurs CANDU pour les raisons que Jacques vient de présenter, et que le gouvernement du Canada déclare son opposition à l'extraction de plutonium à partir du combustible nucléaire.

Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, madame Berlyn.

Monsieur Bergeron.

[Français]

M. Stéphane Bergeron: À suite de votre commentaire, je dirai que nous sommes heureux d'apprendre qu'il y a des avocats en faveur d'une conscience sociale.

Le président: Quelques membres de notre comité aussi, monsieur Bergeron.

M. Stéphane Bergeron: J'aimerais tout simplement vous poser la question que j'ai adressée plus tôt aux gens du Project Ploughshares à propos du processus de dénucléarisation et du danger qu'en cours de processus, un État détenteur de l'arme nucléaire puisse voir un avantage stratégique à utiliser l'arme nucléaire puisqu'il n'y aurait à ce moment-là aucun danger d'une réponse nucléaire donnant lieu à une destruction massive.

Pourriez-vous exprimer votre point de vue sur cette question qui est, à mon sens, fondamentale? Si on doit s'engager dans un processus de dénucléarisation, on doit nécessairement pouvoir s'assurer que le processus est sécuritaire jusqu'à la fin.

[Traduction]

Le président: La question d'un système d'inspection sûr pose un problème d'ordre juridique. Nous y avons été confrontés lors de la ratification de la convention sur les armes chimiques. Nous l'avons examinée ici. Je pense donc que cela regroupe bien des questions concernant l'élimination des armes de destruction massive, et non pas seulement des armes nucléaires. Du point de vue juridique, aviez-vous des observations à faire.

M. Matas: Vous présentez un scénario hypothétique. Évidemment, il est difficile de s'aventurer sur ce terrain, car nous ne sommes jamais confrontés à des situations hypothétiques; nous faisons face à des réalités. Les situations réelles surviennent dans un contexte qui est toujours différent de toutes hypothèses imaginables.

Cependant, je dirai que nous parlons ici de l'abolition totale des armes nucléaires par tout le monde, et non pas par certains seulement. Il ne s'agit pas de dire qu'il faut abandonner toutes les armes nucléaires d'un côté d'abord et de l'autre ensuite. Je ne sais même pas s'il existe encore deux côtés maintenant, avec la fin de la guerre froide, mais s'il faut demander à une puissance nucléaire de commencer avant les autres, il va falloir conclure des accords à ce sujet et être en mesure de vérifier que tout se passe comme prévu.

.1135

Dans votre question, vous présentez l'hypothèse dans laquelle il n'existe plus qu'une puissance nucléaire, mais dans notre hypothèse, tous les États devraient se débarrasser en même temps des armes nucléaires.

[Français]

M. Stéphane Bergeron: J'aurais une autre question, mais il me faut la préciser. Je parle là d'un processus généralisé de dénucléarisation. Il est important de le préciser.

En cours de processus, toute la logique de la dissuasion tient au fait qu'aucun État ne veut utiliser l'arme nucléaire parce qu'il craint pour sa propre sécurité, étant entendu que, dans l'ordre actuel des choses, si un autre État utilise l'arme nucléaire, cela peut conduire à une destruction totale.

Si on commence le processus de dénucléarisation d'une façon généralisée, on peut en arriver à un point où un État puisse juger qu'il est stratégiquement utile de se servir de l'arme nucléaire, puisqu'à ce moment précis, il sait qu'il ne peut être victime d'une réplique d'un autre État qui pourrait conduire à une destruction totale.

C'est l'objet de ma question, et c'est loin d'être hypothétique. Si on s'engage dans un processus de dénucléarisation, on doit pouvoir être certain qu'en cours de processus, il n'y a pas danger de déflagration.

[Traduction]

M. Matas: Je vais encore essayer de vous répondre. Si j'ai bien compris, vous ne dites pas que certains doivent avoir des armes nucléaires et d'autres pas, mais vous estimez qu'à un moment donné, la quantité d'armes nucléaires sera si faible que la destruction totale serait impossible, que la destruction ne serait que partielle, et que c'est un problème.

Pour moi, ce n'est pas un problème. De toute évidence, plus la possibilité d'une destruction totale est éloignée, mieux cela vaut pour nous tous.

Le président: Évidemment, c'est une hypothèse qui nous a été présentée, et la réponse est utile. M. Bergeron pense probablement au cas de l'Inde, du Pakistan ou d'un pays semblable. Je pense que l'on peut envisager une possibilité concrète, mais cette réponse est utile.

[Français]

Avez-vous d'autres questions?

M. Stéphane Bergeron: Non, mais j'en aurai peut-être une autre plus tard.

Le président: Quelqu'un d'autre veut-il répondre?

M. Boucher: J'aimerais répéter que c'est hypothétique, mais il y a aussi l'hypothèse qu'avec les arsenaux qu'on possède à l'heure actuelle, il puisse y avoir un accident quelconque.

Une bombe atomique a déjà explosé sur une ville. On a vu ce que cela faisait et on a vu qu'il se produisait aussi des accidents nucléaires comme ceux de Three Mile Island et de Tchernobyl. Il faut se débarrasser de cela. Cela n'a pas de sens. Moins on en a, mieux c'est.

Même s'il ne restait que quelques armes nucléaires, si quelqu'un décidait de s'en servir, on serait encore menacés par ceux qui les possèdent. Il faut en arriver à une réduction équilibrée, bien sûr, mais aussi à l'élimination complète de ces armes. Il faut surtout cesser d'en produire et cesser de rendre disponible le matériel qui sert à les produire.

Le président: Merci. Mme Bakopanos.

Mme Eleni Bakopanos (Saint-Denis, Lib.): Il me semble, monsieur Bergeron, que votre question est basée sur l'hypothèse qu'il serait possible à un moment donné, pour un régime ou un individu, de considérer que l'utilisation des armes nucléaires peut être avantageuse.

Compte tenu de la nature de ces armements, parce que même les bombes actuelles sont 10 fois, 20 fois et peut-être même 50 fois plus puissantes que les bombes utilisées à Hiroshima ou à Nagasaki, il m'est très difficile d'imaginer qu'un être humain rationnel pourrait considérer avantageux l'usage de ces armements.

.1140

Les retombées suivent les vents. Ce n'est pas simplement un endroit qui est menacé. Il est impossible de n'avoir qu'une destruction restreinte.

Le président: Docteur Trouton.

[Traduction]

Mme Trouton: Du point de vue de la santé, la situation actuelle, où l'on parle de dissuasion, est plus menaçante pour la santé de l'être humain et l'environnement. Le maintien du statu quo est beaucoup plus risqué.

Si nous établissons un parallèle avec la question des armes à feu, par exemple, l'étude comparant Seattle et Vancouver a montré très clairement qu'un plus grand nombre d'armes à feu par habitant à Seattle entraînait une augmentation des cas d'utilisation accidentelle et occasionnelle, ce qui faisait augmenter la morbidité et la mortalité dans cette ville. Voilà donc un excellent exemple: actuellement, l'existence de ces armes augmente les risques d'utilisation accidentelle, de mésaventure et d'utilisation par des personnes non autorisées, ce qui ne serait pas le cas si nous les réduisions graduellement tout en trouvant d'autres moyens de sauvegarder le monde.

Le président: Merci, madame. C'est utile. J'espère aussi que les députés du Parti réformiste ont bien entendu cette pertinente analogie...

Des voix: Oh, oh!

Le président: ... avec la Loi sur le contrôle des armes à feu qui s'est retrouvée devant notre comité. En effet, nous croyons très fermement qu'il y un lien étroit entre la politique nationale et la politique étrangère, et je pense que vous venez de le prouver.

Madame Bakopanos.

[Français]

Mme Eleni Bakopanos: Je vais commencer par remercier les témoins et dire que je suis d'accord sur tous les principes qui ont été énoncés aujourd'hui dans les présentations. Cependant, j'aurais quelques questions pour le Centre de ressources sur la non-violence.

[Traduction]

Je répondrai dans les deux langues officielles si vous n'y voyez pas d'inconvénient.

Tout d'abord, excusez mon ignorance, mais j'aimerais en savoir un peu plus sur votre groupe. Je ne m'en suis pas rendu compte pendant la campagne de 1988. Je suppose que vous en préparez une semblable pour la prochaine campagne. À moins que vous ne soyez simplement en train de nous donner une idée de l'emplacement des différentes armes ou des autres installations d'essai.

Mme Berlyn: En effet, nous voulons les mettre à jour, mais, comme nous l'avons souligné, il n'y a pas beaucoup de changements à apporter.

Mme Eleni Bakopanos: Par exemple...

Mme Berlyn: Justement. Elle a été utilisée par la Campagne d'engagement du Canada pour la paix, que l'Alliance canadienne pour la paix a facilité. L'alliance est l'organisme cadre des groupes pacifistes au Canada, et notre centre en est membre. Je travaille au centre comme bénévole.

[Français]

Mme Eleni Bakopanos: Le Centre de Montréal?

Mme Berlyn: Le Centre de Montréal.

Mme Eleni Bakopanos: Vous avez combien de membres?

M. Boucher: Le nombre de membres n'est pas énorme. Des bénévoles viennent y travailler.

Mme Berlyn: Mais le Bulletin est diffusé.

M. Boucher: Il est diffusé à travers le monde à environ 1 000 exemplaires.

Mme Eleni Bakopanos: Vous nous présentez un doomsday scenario,

[Traduction]

parce que c'est ce à quoi cela ressemble à certains égards. Quelqu'un qui ne s'y connaît pas dirait: «Oh mon Dieu, nous aurons une guerre demain!». C'est exactement le genre de réaction que certains auraient si l'on ne leur donnait pas également d'autres informations.

Par exemple je suis d'accord sur le principe d'une zone dénucléarisée, et je l'ai dit au début. Je tiens à le préciser. Je suis en faveur de ce principe, et je pense que la plupart des membres du comité partagent probablement cette position. Cependant, je ne suis pas convaincu que le fait de communiquer ce genre d'informations au public sans au moins... Par exemple, le fait de dire que les corridors d'entraînement au pilotage des B-52, que vous indiquez sur cette carte, sont des installations d'entraînement pour des équipements qui seront peut-être utilisés dans une guerre nucléaire... Si vous demandez au Canada d'arrêter l'entraînement je m'y oppose, pour la simple raison que nous devrions avoir voix au chapitre, à mon avis, dans le cadre de notre engagement au sein de l'OTAN. Nous ne formons pas les gens dans des équipements porteurs d'armes nucléaires, n'est-ce pas?

.1145

Mme Berlyn: Non, les armes nucléaires ne viennent pas au Canada, autant que nous sachions. Cependant, les navires de guerre qui mouillent dans les ports canadiens ne veulent ni confirmer ni nier qu'ils transportent des armes nucléaires.

Je crois que les États-Unis ont modifié leur politique en disant qu'en temps de paix normal, ou quelque chose de ce genre, ils n'équipent pas leurs navires d'armes nucléaires. Cependant, ils ne définissent pas l'expression «temps de paix normal», et ils ne veulent toujours ni confirmer ni infirmer que ces navires transportent des armes nucléaires.

À notre avis, la raison en est que toutes ces activités appuient une politique militaire fondée sur l'utilisation des armes nucléaires, et cette politique de l'OTAN est maintenant illégale. Tout se tient.

Il existe un très bon film vidéo intitulé Deep Water Danger sur l'entraînement naval à Nanoose Bay. Même s'il n'est pas question d'armes nucléaires en tant que telles, la formation vise à appuyer les sous-marins américains Trident, qui transportent certainement des ogives nucléaires, dont le nombre est mentionné.

Ainsi donc, tout cela appuie la politique nucléaire de l'OTAN et des puissances nucléaires membres de cette organisation, et c'est pour cela que nous disons que c'est un appui à la guerre nucléaire. Le fait de ne pas avoir d'armes nucléaires sur le territoire canadien est une excellente idée et un premier pas, mais en plus, nous estimons qu'il ne faudrait permettre aucune activité relative à une politique fondée sur l'utilisation ou la menace d'utiliser des armes nucléaires.

Mme Eleni Bakopanos: C'est exactement ce que je veux dire. Quand vous dites à la population que les navires de guerre transportant des armes nucléaires arrivent dans nos ports sans être sûr à 100 p. 100 qu'ils en transportent effectivement...

Mme Berlyn: Mais si on ne veut pas le nier, il faut bien présumer que cela est possible.

Mme Eleni Bakopanos: ... Je pense que vous amenez la population à présumer que tel est le cas, alors que vous n'en avez aucune preuve.

Mme Berlyn: En faisant la mise à jour, nous allons la formuler très attentivement.

Mme Eleni Bakopanos: C'est ce que je demande.

Le président: Vous feriez mieux de consulter.

Mme Berlyn: Je le ferai. J'apprécie ses observations.

Mme Eleni Bakopanos: Je soulève la question parce que j'estime que depuis trois ans, le Canada déploie des efforts considérables à l'échelle internationale afin que les pilotes de ces avions soient mieux formés. Nous ne voulons pas que ces avions transportent des armes nucléaires, mais nous voulons qu'au moins les pilotes aient la formation nécessaire pour faire face à d'éventuels problèmes. Supposons qu'il y ait une catastrophe irrémédiable. Je sais que c'est une situation hypothétique, mais si nous poussons le raisonnement plus loin, en tant que Canadiens, nous voulons avoir notre mot à dire et être en mesure de jouer le rôle de courtier auprès des États-Unis, du Royaume-Uni ou de la France.

Nous avons joué un rôle de premier plan, par exemple, dans l'interdiction des mines terrestres, et je pense que nous devons continuer dans cette voie. Si nous avons été si efficaces dans le cas des mines terrestres, c'est parce que nous avons participé au débat.

Je le dis parce qu'il faudrait éviter, au cours de la prochaine campagne, de dire au public que rien n'a été fait.

Mme Berlyn: J'aimerais bien vous avoir comme expert-conseil, si vous en avez le temps.

Mme Eleni Bakopanos: De plus,

[Français]

vous avez dit qu'il n'y avait rien eu jusqu'à maintenant, au niveau du gouvernement, pour éloigner...

[Traduction]

En tant que gouvernement, nous n'avons pas accepté les recommandations du Livre blanc sur la défense. J'espère que je ne me trompe pas. Je crois qu'il exprimait la position de l'ancien gouvernement. La nôtre est certainement différente. Le comité étudie la question afin que les résultats du débat reflètent le consensus que nous aimerions tous voir dans la loi.

Mme Berlyn: Merci.

[Français]

Le président: Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau (Terrebonne, BQ): Maintenant qu'on vient de faire la politique du gouvernement libéral, je vais essayer de revenir sur le sujet et poser quelques questions à l'Association des médecins pour la survie mondiale.

Je me reporte à votre document ainsi qu'à un document qui a été préparé par notre service de recherche. C'est un sujet très vaste. Comme mon collègue, M. Bergeron, l'a souligné plus tôt, la décroissance des armements nucléaires est un sujet qui peut nous amener à nous poser des questions continuellement.

Nous pouvons voir que le Canada a signé le Traité de non-prolifération des armes nucléaires en 1995, qu'un jugement a été rendu par la Cour internationale de justice en 1996, qu'il y a eu la Commission de Canberra en août 1996, et que le Canada a toujours été partie prenante ou, à tout le moins, a fait figure de bon joueur dans ces différentes décisions.

.1150

Dans son document, l'Association des médecins pour la survie mondiale (Canada) cite le Traité de non-prolifération des armes nucléaires:

La cour parle de mener cela à terme. Mais pour mener des négociations à terme, encore faut-il les entamer. Mon intervention fait suite à ce que M. Dupuy a dit plus tôt. En ce qui a trait à vos recommandations - je les ai regardées rapidement, parce qu'on vient de nous les remettre - , ne pourrait-on pas prioritairement recommander au gouvernement canadien d'entamer ces négociations-là et d'établir un échéancier?

Je ne dirai pas qu'il devrait le faire dans les plus brefs délais, même si c'est ce que j'allais dire, parce qu'on sait qu'il y a des «plus brefs délais» qui peuvent durer 30 ans, selon les négociations que l'on entame. Ne devrait-on pas, dans les recommandations qu'on fera au gouvernement, compte tenu du jugement de la Cour internationale de justice et suite à la signature du Traité de non-prolifération, lui demander d'établir un échéancier pour que lui et ses partenaires voient le cheminement qui a été fait et puissent s'entendre de bonne foi sur des moyens qu'on juge adéquats?

[Traduction]

Mme Trouton: Non, nous sommes tout à fait d'accord. Nous prenons à coeur vos observations. Nous convenons qu'il faudrait établir un calendrier d'élaboration de la politique et de mise en oeuvre des mesures appropriées. Ainsi donc, nous sommes d'accord sur l'idée d'un calendrier sur les deux plans: la ratification politique des documents, et les mesures que nous prendrons ultérieurement à cet égard.

Y a-t-il autre chose que vous voulez ajouter, monsieur Bryans?

M. Bryans: Je suis d'accord pour dire qu'il nous faut passer à l'action. Notre message est essentiellement que «le Canada devrait agir». Si vous me permettez cette digression, le faux-fuyant que l'on retrouve très souvent dans les documents juridiques, c'est le mot «ultime». Ultimement, nous ferons ceci; ultimement, nous ferons cela. Ce n'est pas de cela que nous voulons; nous voulons des dates.

Le président: Oui, c'est en quelque sorte ce que nous appelons le principe «des plus brefs délais».

M. Matas: D'après le souvenir que j'en ai, cette question d'un échéancier et de dates limites a été longuement discutée lors de la renégociation du Traité de non-prolifération des armes nucléaires. Il y avait un groupe de pays qui voulaient inclure un échéancier dans le traité renégocié, mais leurs efforts en ce sens ont échoué. Ce n'est toutefois pas parce que leurs efforts ont échoué à ce moment-là que la question ne pourrait pas être abordée de nouveau. Au contraire, le simple fait que la question ait été abordée montre qu'il y a une coalition d'États qui croient en l'utilité d'un échéancier.

Pour ma part, j'estime qu'il faut prendre cette coalition et ce qui s'est déjà fait comme point de départ au lieu de simplement se résigner. Nous devrions voir s'il n'y aurait pas moyen maintenant de faire accepter cet échéancier, même s'il n'a pas été possible de le faire accepter lors de la renégociation du Traité de non-prolifération des armes nucléaires.

Le président: Merci. Monsieur Dupuy.

[Français]

M. Michel Dupuy: Je serai assez bref. Mes questions s'adressent à M. Boucher et à Mme Berlyn, de façon à ce que je comprenne bien la philosophie de leur Centre de ressources. L'essentiel de votre argumentation semble reposer sur le fait que les technologies nucléaires sont dangereuses, voire même périlleuses, puisqu'elles peuvent être utilisées à des fins extraordinairement destructrices. Là je suis complètement d'accord avec vous, car je crois que c'est un point de vue qu'on peut très bien soutenir.

Cependant, considérez-vous qu'il y a un secteur de ces industries et de ces technologies nucléaires qui n'est pas militaire, qui peut être utilisé d'une façon raisonnablement sûre pour le service de l'humanité? Je pense notamment aux utilisations médicales et énergétiques, parce que la vision devient alors totalement différente.

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Si vous voulez éliminer le nucléaire de la planète, c'est un projet et on peut en débattre. Si vous acceptez qu'il y ait un secteur civil, un secteur non militaire, alors le problème change. Il s'agit de savoir comment on peut s'assurer que ce secteur continue de fonctionner sans qu'il y ait des débordements du côté militaire.

J'aimerais bien connaître votre point de vue là-dessus.

M. Boucher: Avec le nucléaire médical, on peut avoir des isotopes qui peuvent servir à traiter les gens sans avoir de réacteurs nucléaires commerciaux pour produire du plutonium, comme il y en a aux États-Unis. Aux États-Unis, on a construit des réacteurs seulement pour produire du plutonium pour faire des bombes atomiques.

C'est le plutonium et l'uranium qui sont le problème numéro un. Tant que les réacteurs nucléaires fonctionnent à l'uranium et au plutonium, il est très difficile d'empêcher que le plutonium serve éventuellement à fabriquer une arme nucléaire. C'est notre préoccupation première.

Bien sûr, il peut toujours y avoir des accidents dans les réacteurs nucléaires, et les réacteurs nucléaires canadiens sont comme n'importe quel autre réacteur. Les réacteurs canadiens CANDU ou autres ont le même potentiel de catastrophe que le réacteur numéro 3 à Tchernobyl. Ils contiennent exactement la même sorte de produits, peut-être un peu différents, selon le genre de filières. Si un accident se produit avec ces appareils-là, il y a des millions de réactions à la seconde, surtout quand les réacteurs se mettent à vieillir, comme c'est le cas ici, au Canada. À l'heure actuelle, surtout en Ontario, on a des réacteurs qui vieillissent, comme ceux de Pickering, Darlington et Bruce. On est sous les vents de cela.

On peut dire que cela donne de l'énergie. Cependant, il faut voir les dangers liés à cela. Le plus grand danger est sûrement la production de plutonium pour l'armement nucléaire et la prolifération de ces armements, surtout de la façon dont s'oriente la production commerciale de certains pays comme la France, l'Allemagne et le Japon. Le Canada est parfois tenté de se lancer dans le retraitement du combustible irradié.

À l'heure actuelle, le ministère de l'Environnement étudie le concept de l'enfouissement de déchets radioactifs dans le Bouclier canadien. Le Canada hésite à ne pas retraiter ces déchets avant de les enfouir. On trouve cela à la première page de la présentation de l'étude d'impact d'Énergie atomique du Canada.

Donc, tout cela est lié et c'est dangereux. C'est notre position. Vous pouvez ne pas la partager.

M. Michel Dupuy: Si l'on peut revenir à la politique du Canada, il faut quand même tenir compte des faits, n'est-ce pas? Le plutonium n'existe pas à l'état naturel; il est extrait du combustible irradié. Le Canada fabrique bien sûr du combustible irradié, puisque c'est le déchet qui sort des réacteurs nucléaires.

Cependant, la politique des gouvernements canadiens de toutes les couleurs a toujours été de ne pas extraire de plutonium de ce combustible irradié. Nous n'avons même pas, sauf peut-être dans des laboratoires, d'usine capable d'extraire le plutonium. Donc, il n'y a aucune possibilité que le Canada entre dans le commerce international du plutonium comme exportateur.

Deuxièmement, vous me direz que nous risquons d'importer du plutonium. Si nous le faisons, et il n'est pas encore décidé que nous allons le faire, la seule raison pour laquelle nous le ferons, ce sera pour le détruire. Donc, je ne crois pas qu'on puisse accuser le Canada d'être engagé dans des opérations dangereuses, puisque le but de cette politique sera précisément de le détruire.

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Je ne veux pas continuer ce discours, mais vous mettez en doute la crédibilité de l'Agence internationale de l'énergie atomique, parce que cette agence a précisément pour responsabilité d'assurer qu'il n'y a pas de détournements de matières fissiles du secteur civil au secteur militaire.

J'aimerais savoir si vous avez le plus grave doute quant à la capacité de cette agence à Vienne de jouer son rôle.

Le président: Je vous demanderais d'être assez bref dans votre réponse, parce qu'on a déjà dépassé le temps prévu pour la séance.

M. Boucher: Je vais conclure très simplement.

D'après vous, d'autres pays peuvent-ils faire la même chose que l'Inde et dire qu'ils feront exploser éventuellement une bombe atomique pour des fins pacifiques? Pourquoi creuser un trou? C'est ce que l'Inde a dit avec l'explosion qu'elle a fait. Elle a dit que cela provenait du plutonium qui venait d'un réacteur expérimental canadien.

Pensez-vous que les autres pays peuvent faire la même chose? Quel a été le rôle de l'Agence internationale de l'énergie atomique à ce moment-là?

M. Michel Dupuy: Je crois, monsieur le président, que ce serait nous engager dans un très long débat, mais je peux vous dire tout de suite, de façon courte, que je ne pense pas que d'autres pays le feront. C'est un cas très particulier. Je ne crois pas que d'autres pays le feront, pour la bonne raison qu'il leur suffit de faire exploser un engin nucléaire et de dire que, par cette explosion, ils entrent dans la catégorie des pays ayant des armements nucléaires. Le cas de l'Inde est un cas très particulier. Il n'a pu faire cela parce qu'il était engagé comme chef de file des pays non alignés qui étaient contre le nucléaire. Donc, je pense que le cas de l'Inde est un cas particulier et que nous ne verrons plus ce genre de chose à l'avenir.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Flis, voulez-vous poser une question ou voulez-vous simplement faire une courte déclaration?

M. Jesse Flis: Je voudrais poser une question, s'il vous plaît.

Tous les témoins ont dit que le Canada devrait travailler de concert avec d'autres pays qui partagent son point de vue afin de débarrasser le monde des armes nucléaires. Je songe notamment à l'Ukraine. Quand l'Ukraine cherchait à gagner son indépendance, elle disait: «Dans la mesure où nous aurons des armes nucléaires, l'Occident nous écoutera et tiendra compte de ce que nous avons à dire. Dès que nous nous débarrasserons de nos armes nucléaires, vous nous oublierez complètement.» C'est un dirigeant haut placé de l'Ukraine qui disait cela. Pourtant, très peu de temps après qu'elle a obtenu son indépendance, l'Ukraine s'est débarrassée de ses armes nucléaires. Je me demande si, parmi les membres de l'Association des médecins pour la survie mondiale ou des Avocats en Faveur d'une Conscience Sociale, il y en a qui savent pourquoi l'Ukraine a agi aussi rapidement pour se débarrasser de ses armes nucléaires. Ce pays aurait-il des enseignements à nous donner?

M. Matas: En réponse à votre première question, je connais quelque peu les raisons qui ont amené l'Ukraine à se débarrasser de ses armes nucléaires. Elle l'a fait en partie, ou peut-être dans une large mesure, en réponse aux pressions internationales qui s'exerçaient en ce sens, et l'Ukraine a d'ailleurs bénéficié de transferts de fonds pour cette raison. Pour ma part, je considère qu'il s'agit là d'une réussite de la communauté internationale relativement aux armes nucléaires, réussite dans laquelle l'Ukraine était, bien entendu, l'acteur de premier plan.

Nous sommes ainsi à même d'apprécier dans quelle mesure la communauté internationale peut travailler de concert avec un pays qui partage son opinion afin d'atténuer la menace nucléaire. Ce qui s'est produit en Ukraine pourrait très bien se produire dans d'autres pays. L'Ukraine s'est en fait dénucléarisée, et l'on peut considérer qu'il s'agit là d'un pas dans la voie de la dénucléarisation mondiale complète. Je ne vois pas pourquoi le Canada ou les autres membres de l'OTAN ne pourraient eux aussi se dénucléarisés même avant que la dénucléarisation mondiale complète soit chose faite.

Le président: Je crois que nous devons mettre fin à notre séance. Au nom des membres du comité, je tiens à remercier sincèrement tous les témoins qui sont venus ici ce matin. Cette question est bien sûr extrêmement importante pour nous, Canadiens, et pour le monde entier. Nous avons eu l'honneur d'entendre les témoignages de témoins aussi compétents et distingués. Nous vous remercions beaucoup d'être venus.

Les questions que les membres du comité ont posées montrent bien à quel point nous nous intéressons au sujet. Nous avons l'intention de l'examiner avec sérieux. Nous aurons peut-être du mal à réaliser une étude complète en raison du congé d'été et de notre emploi du temps déjà chargé, mais nous approfondirons la question autant que nous le pourrons. Comme vous le savez, nous examinerons aussi l'élargissement de l'OTAN, et les deux questions sont liées.

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Par ailleurs, l'étude que nous avons faite de la Convention sur les armes chimiques nous a aussi aidés à comprendre le dossier, en ce sens que nous reconnaissons la nécessité de prévoir des techniques de vérification appropriées.

Mme Gaffney a dit que nous nous étions rendus en Russie. Nous sommes préoccupés par la situation qui existe à Murmansk. En réponse a ce qu'a dit le Centre de ressources, vous pouvez avoir l'assurance que nous sommes très conscients des problèmes que pose la question nucléaire là-bas.

Nous sommes très reconnaissants à vous tous pour le témoignage que vous nous avez apporté ce matin.

Je tiens à rappeler aux membres du comité que nous ajournons maintenant jusqu'à

[Français]

demain à 15 h 30. Nous aurons alors une séance conjointe avec le Sénat pour recevoir les membres d'une délégation d'Irlande, une délégation communautaire du parlement irlandais. Ensuite, jeudi matin à 9 h, nous aurons une autre séance conjointe avec le Sénat pour entendre M. Axworthy sur l'élargissement de l'OTAN, qui sera suivie de nos propres délibérations sur le même sujet, de 10 h 30 à 12 h.

[Traduction]

À ceux d'entre vous qui sont venus témoigner devant nous et qui voudraient le savoir, je vous ferai remarquer que cette séance télévisée du comité de la Chambre sera sans doute diffusée en fin de semaine, soit samedi, entre 14 h 30 et 19 h, ou peut-être à compter de 11 h dimanche; la séance sera peut-être diffusée de nouveau la semaine prochaine, puisque la Chambre ne siégera pas.

Merci beaucoup de votre présence. La séance est levée et nous reprenons nos travaux à 15 h 30 demain.

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