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CHAPITRE 10 - VERS UN RÉGIME EFFICACE DE COOPÉRATION MULTILATÉRALE DANS LE DOMAINE DES RELATIONS CIRCUMPOLAIRES INTERNATIONALES


Dans notre dernier chapitre, qui sera bref, nous approfondirons plusieurs thèmes secondaires connexes que nous avons évoqués dans le premier chapitre et qui reviennent tout au long de notre rapport. Le premier de ces thèmes est celui de l'importance croissante de la coopération arctique internationale dans toute une gamme de domaines qui ont des répercussions à tous les niveaux, aussi bien local que mondial, et qui exigent un effort concerté, en particulier de la part des pays de l'Arctique. Le deuxième thème est celui du développement d'entités organisationnelles et d'outils d'intervention qui soient à la hauteur de la complexité et de la diversité des mesures qui s'imposent et des demandes de plus en plus insistantes des populations arctiques et des autres intervenants qui souhaitent participer davantage aux décisions internationales susceptibles d'apporter des avantages concrets à la région. Qu'il s'agisse de formuler au Canada même une politique étrangère sur les questions circumpolaires, d'établir des mécanismes de coopération bilatérale avec certains pays arctiques, d'assurer la participation du Canada à des initiatives spécialisées ou de définir son rôle futur au sein du Conseil de l'Arctique - la principale institution de l'internationalisme circumpolaire -, il faut un cadre global cohérent capable d'aider à coordonner ces multiples canaux et de fournir des orientations appropriées. Bref, il ne suffit pas d'accumuler les activités; il faut aussi se demander comment il sera possible de collaborer efficacement afin de réaliser les buts communs d'un développement humain durable et respectueux de l'environnement, ce dont il a été question à maintes reprises au cours de nos séances et dans les documents cités jusqu'ici.

Les grandes déclarations de politique générale entre États arctiques - dont celle du 19 septembre 1996 est à la fois la plus récente et la plus importante - ne sont que le prélude, malgré leur nécessité, au travail de longue haleine qu'il reste à accomplir pour établir des stratégies globales à plusieurs niveaux en vue de la réalisation des objectifs de la coopération circumpolaire. Comme nous l'indiquons à la recommandation 10, au chapitre trois, nous sommes d'avis que cette fonction doit être confiée explicitement au Conseil de l'Arctique lui-même. Mais nous ne nous faisons pas d'illusions : ce ne sera pas chose facile. Nos entretiens, surtout avec nos partenaires des pays du Nord, nous ont également rappelé que le Canada doit avancer prudemment à chaque étape afin de forger des alliances avec d'autres pays circumpolaires partageant des points de vue communs. La possibilité de présider le Conseil de l'Arctique offre un autre moyen d'exercer cette forme innovatrice de diplomatie, mais elle n'apporte pas de solution automatique. Les relations internationales, au niveau circumpolaire, ne peuvent pas se dérouler séparément; elles doivent pouvoir bénéficier de liens tant vers le haut, pour rejoindre les processus transnationaux et internationaux plus vastes, que vers le bas, pour se rattacher aux dossiers régionaux, nationaux et infranationaux.

Il est utile de rappeler les réserves exprimées dans un commentaire des Norvégiens au sujet des propositions originales (et plus ambitieuses) du comité d'experts qui s'est penché sur le Conseil de l'Arctique. Ils avaient fait, en effet, la mise en garde suivante : «. . . même lorsqu'un problème régional se révèle difficile à résoudre sur une base bilatérale, il ne deviendra pas nécessairement plus facile à gérer s'il est soumis à un organe auquel participent tous les pays circumpolaires», ajoutant que la coopération à ce niveau ne devait pas être encouragée pour faire concurrence aux autres formules qui fonctionnent déjà, ou à leur détriment. De plus, le Conseil ne serait pas nécessairement le mieux placé pour prendre des décisions sur certaines questions «liées sur le plan fonctionnel à d'importants contextes non arctiques322». Le Canada ferait bien de tenir compte du travail poussé qui a été accompli depuis lors, en particulier par les pays nordiques, pour répertorier et relier les différents éléments d'un régime de coopération arctique en constante évolution. Le Comité s'est fait rappeler cette contribution lors des séances qu'il a tenues au secrétariat du Conseil des ministres des pays du Nord à Copenhague. Les auteurs d'un important rapport soumis au Conseil au sujet de la coopération dans l'Arctique à la suite de la première conférence du Comité permanent des parlementaires de la région de l'Arctique, en 1993, faisaient observer, dans une perspective nordique :

En raison de la structure politique et administrative actuellement en place dans l'Arctique, il sera long et compliqué d'inclure tous les pays et toutes les régions de l'Arctique dans une quelconque structure de coopération générale. Tout porte à croire que ce processus doit être fondé, au départ, sur les mécanismes de coopération déjà établis dans des parties nordiques de la région et dans la région de Barents, et qu'il doit se rattacher d'abord aux questions concrètes déjà soulevées par l'important réseau d'ententes concernant l'Arctique323.
En même temps, ce rapport nordique était très favorable à l'établissement de liens à plus long terme entre les initiatives euro-arctiques et une solution circumpolaire plus vaste «conforme à la proposition canadienne sur la création d'un «Conseil de l'Arctique» international pouvant servir de complément aux accords de coopération sectoriels, bilatéraux ou multilatéraux déjà mis en oeuvre dans la région324». Dans son «programme de coopération» adopté par la suite, au début de 1996, le Conseil des ministres des pays du Nord approuvait sans réserve les derniers efforts pour la création du Conseil de l'Arctique afin d'atteindre ce but325.

Le soutien - et non le remplacement - des mécanismes fonctionnels de coopération et de défense des intérêts communs, de manière à permettre une collaboration politique plus intense au sujet des questions qui intéressent l'ensemble de la région arctique, est en fait la raison d'être même du Conseil. Comme l'ambassadrice Simon l'a fait remarquer à juste titre, au sujet des dimensions résolument internationales de ces relations:

. . . le Conseil de l'Arctique amènera pour la première fois les ministres les plus importants des huit pays de l'Arctique et des représentants des peuples autochtones à aborder des problèmes propres à l'Arctique. On devrait se garder de sous-estimer l'importance de tels pourparlers. Grâce à ce genre de rencontre, le Conseil permettra aux gouvernements de l'Arctique de se concentrer sur leurs propres priorités dans la région, de même que d'en discuter entre eux afin de définir des objectifs communs et d'élaborer des plans conjoints. Le rôle politique que le Conseil sera appelé à jouer pourrait aider les États de l'Arctique à planifier une coopération régionale à long terme, condition préalable à la solution de problèmes comme la pollution à grande distance ou à l'élaboration de projets délicats comme l'ouverture du passage du Nord-Est au transport maritime.
À un autre niveau encore, le Conseil pourrait un jour se charger de transmettre les préoccupations régionales de l'Arctique à des organismes internationaux, comme les Nations Unies, s'il estime que des activités menées ailleurs sont contraires aux intérêts de la région. Il pourrait par exemple user de son influence collective pour contrer les effets du lobby européen anti-fourrures. Il pourrait également jouer un rôle dans des initiatives visant la conception de normes mondiales, par exemple dans le cadre d'accords comme la Déclaration de Rio, Action 21 ou la Convention sur la biodiversité326.
Pour ce qui est des questions que soulèvent par exemple l'utilisation durable des ressources naturelles de l'Arctique et les effets que le transport à grande distance des polluants pourrait avoir sur la santé, on peut s'attendre à ce que les organisations autochtones qui participent aux travaux du Conseil occupent l'avant-scène, tout en travaillant dans le cadre d'alliances plus vastes comme le Conseil mondial des peuples indigènes, qui a ses bureaux à Ottawa, pour sensibiliser la population mondiale aux préoccupations relatives à l'Arctique. Toujours au sujet de la possibilité d'influer sur la politique mondiale, Oran Young fait remarquer que les ONG qui s'occupent d'environnement international, qui s'intéressent de plus en plus à l'Arctique, et dont plusieurs ont comparu devant le Comité, «pourraient également être mises à contribution dans certaines circonstances afin de sensibiliser davantage les résidants du Sud aux conséquences nuisibles de leurs actions sur les systèmes de l'Arctique». Il ne faut pas laisser ces interactions plus générales nous détourner de l'impératif immédiat, qui est de rendre opérationnel le Conseil de l'Arctique, mais la création de toute nouvelle organisation «qui détourne l'attention de ces liens mondiaux risque toutefois d'être interprétée tout simplement comme une victoire à la Pyrrhus327». Bref, il est essentiel d'éviter que l'Arctique ne devienne un «ghetto» politique qui ne retiendrait l'attention que de quelques intéressés et d'une poignée de spécialistes de la région. Toute organisation politique circumpolaire aura pour rôle essentiel de sensibiliser l'opinion publique et de piloter des dossiers aux Nations Unies et dans d'autres grandes tribunes internationales, y compris dans le cadre des sommets du «G7/P8» (notamment au sujet des préoccupations concernant la sécurité nucléaire dans l'Arctique).

Parallèlement aux objectifs de défense des droits autochtones, de protection de l'environnement et de sécurité humaine, d'autres questions très importantes liées à la coopération et au développement économiques se posent également aux niveaux mondial et régional. Par exemple, comme le souligne Oran Young, «le fait que la Russie et d'autres membres de la Communauté des États indépendants doivent absolument composer avec des sources extérieures de capitaux d'investissement, notamment ceux de la Banque mondiale, permet, dans le cadre du processus décisionnel concernant les prêts et d'autres formes de soutien financier, de mieux sensibiliser les parties aux impacts environnementaux et socioéconomiques [de leurs décisions] sur l'Arctique328». De façon plus générale, comme l'affirmait la Finlande dans le discours prononcé par son porte-parole lors de l'inauguration du Conseil de l'Arctique, «la coopération avec des institutions financières internationales comme la Banque mondiale, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et la Banque nordique d'investissement est importante pour la réalisation de projets relatifs à l'environnement, à l'industrie et aux transports dans la région329». Nous avons évoqué en détail dans le dernier chapitre le rôle que peut jouer la BERD pour soutenir elle aussi l'expansion de la petite entreprise et le développement communautaire durable en Russie. Il est clair que c'est ce pays qui a le plus à gagner de la coordination des efforts de coopération technique. Commentant le problème des maigres ressources financières disponibles pour la réalisation des objectifs multilatéraux, le ministre russe des Affaires étrangères en a tiré une autre leçon pertinente dont il a fait mention dans sa déclaration à la réunion du Conseil de Barents330 qui a eu lieu pendant le séjour du Comité en Russie :

. . . nous sommes conscients qu'il existe, en plus de notre conseil, d'autres organisations qui jouent elles aussi un rôle actif dans le nord de l'Arctique, notamment le conseil des États de la mer Baltique, le Conseil des ministres des pays du Nord, le Conseil de l'Arctique, et d'autres. Afin d'éviter le double emploi et l'éparpillement des fonds, nous devrions établir l'inventaire des projets en cours dans la région afin de déterminer lesquels d'entre eux se chevauchent et lesquels se complètent331.
Dans leur déclaration conjointe à l'issue de la conférence de Barents, les participants recommandaient expressément eux aussi, tout en applaudissant la création du Conseil de l'Arctique, «la coopération et la coordination du travail dans les domaines pertinents, et plus particulièrement dans celui de l'environnement identifié clairement par la Stratégie de protection de l'environnement arctique (SPEA)332.

En ce qui concerne l'établissement de relations entre les niveaux circumpolaire et euro-arctique de coopération multilatérale, la déclaration du représentant de la Finlande à l'occasion de la signature de la Déclaration sur la création du Conseil de l'Arctique a encore une fois insisté utilement sur le fait de se diriger vers une complémentarité souple et fonctionnelle :

Certains pourraient penser que les deux accords de coopération, le Conseil de l'Arctique et le Conseil euro-arctique de Barents, se chevauchent en partie. Cependant, les rôles de ces deux organismes peuvent être coordonnés : les problèmes globaux de l'Arctique ne peuvent être traités et résolus que par la collectivité arctique, tandis que les questions de portée régionale dans le nord de l'Europe peuvent être réglées par le Conseil euro-arctique de Barents. Grâce aux liens qui existent entre ces organismes, nous pourrons profiter de l'expérience acquise par chacun d'eux.
Le Conseil de l'Arctique sera une nouvelle tribune de coopération régionale dans le cadre de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Le régionalisme joue un rôle de plus en plus important dans la gestion du changement et l'établissement de la sécurité, en général. Il est clair que la coopération régionale dans le Nord a déjà augmenté considérablement les connaissances et les expériences.
Le Conseil de ces huit gouvernements constituera une nouvelle voie pour la gestion politique et la coordination pratique des initiatives transnationales et sous-régionales qui existent dans la région de l'Arctique. En créant une institution commune, nous renforcerons notre identité collective en tant que pays et sociétés partageant le même caractère nordique333.
De toute évidence, ce sont les membres européens du Conseil de l'Arctique qui vont orchestrer la contribution euro-arctique à ce multilatéralisme circumpolaire global. Puisque trois des cinq pays nordiques (Danemark/Groenland, Suède et Finlande) sont membres de l'Union européenne depuis janvier 1995, l'ampleur et le degré de réussite de l'intégration européenne représentent désormais des facteurs de plus en plus importants dont il faudra aussi tenir compte pour apprécier l'avenir des mécanismes institutionnels de coopération politique dans la région de l'Arctique. La politique régionale et étrangère de l'Union européenne inclut déjà une composante arctique334, et les États nordiques se retrouvent en quelque sorte aujourd'hui au carrefour de cette coopération panarctique. Comme l'indiquaient les auteurs d'une étude récente: «Dans le cadre plus vaste de l'intégration européenne, les pays du Nord pourraient fort bien être en mesure de favoriser les rapprochements au-delà des frontières de la Communauté européenne, vers ses voisins de l'Est et de l'Ouest dans la région de l'Arctique. [. . .] De cette façon, les pays du Nord pourraient contribuer au développement des petites collectivités et des petites nations de l'Arctique. [. . .] De tous les problèmes à régler, celui de la Russie est peut-être le plus difficile335.» Et dans le rapport que nous avons cité plus haut, le Conseil de l'Arctique insiste encore davantage sur l'importance cruciale des implications de ces liens et de cette politique pour le renforcement de la dimension à la fois nord-américaine et russe de la coopération circumpolaire :

Les gouvernements des pays nordiques devraient tenir compte des possibilités découlant du fait que trois d'entre eux sont maintenant membres de l'Union européenne, puisque cette organisation exercera inévitablement une influence par exemple sur la politique relative à la région et à l'environnement, sur celle des transports et sur certains aspects de l'exploitation des ressources. Par ailleurs, tous les pays nordiques devraient envisager sérieusement de nouer des liens avec les régions arctiques de la Russie et tout particulièrement avec le nord des États-Unis et du Canada.

À ce propos, il faut se rappeler que le Groenland fait partie - sur le plan géographique - du continent américain et que ses préoccupations sont à certains égards plus proches de celles du Canada et de l'Alaska que, par exemple, de celles de la région de Barents. Le Groenland et le Danemark doivent donc assumer un rôle de premier plan dans le rapprochement entre les régions euro-asiatiques et les régions groenlandaises/nord-américaines336.

Si les pays nordiques semblent faire ce qu'ils ont à faire, du moins d'après ce que nous ont dit plusieurs de nos témoins, le Canada a en revanche un certain retard à rattraper dans sa vision géopolitique et économique de l'Arctique. Les gens d'affaires inuits qui ont comparu devant nous examinaient avec intérêt la possibilité de s'implanter sur les marchés internationaux, mais ils n'avaient pas l'impression de pouvoir s'appuyer sur une stratégie canadienne cohérente au sujet du commerce et du développement économique durable dans les régions circumpolaires. Les organisations représentant les populations de l'Arctique, et en particulier la Conférence circumpolaire inuit (voir à la note 15), ont joué un rôle exemplaire en soulevant toute une gamme de questions de ce genre dans les tribunes internationales qui s'intéressent à l'Arctique. Mais ce sont les gouvernements nationaux qui doivent formuler la politique officielle, à la lumière des nouvelles réalités de la mondialisation et de l'intégration régionale, et compte tenu des conditions des régimes juridiquement contraignants comme ceux de l'Accord de libre-échange nord-américain et du marché unique de la Communauté européenne, qui parfois compliquent les choses. Robert Huebert est d'avis que le Canada doit réfléchir sérieusement à l'orientation future du Conseil de l'Arctique, et particulièrement à la conception d'une approche multilatérale qui inclurait notre plus proche voisin circumpolaire, à savoir les États-Unis :

Dans les débats concernant le Conseil de l'Arctique, on n'a jamais pris en considération les progrès importants réalisés dans le régime économique international. Sept des huit États membres du Conseil sont membres de l'ALENA ou de l'UE. Cela affectera-t-il les activités économiques à grande échelle dans le Nord? Et si c'est le cas, de quelle façon? Est-ce que ces accords limiteront la capacité du Conseil de l'Arctique de faire la promotion du développement dans le Nord de façon qu'il soit durable?

Ce sont toutes des questions importantes, et la capacité du Conseil de l'Arctique de les régler déterminera sa réussite ou son échec. S'il est incapable de conserver l'appui des Américains ou s'il est incapable de passer d'une approche environnementale à une approche économique, alors le Conseil aura peu de poids à long terme. Par ailleurs, s'il réussit à créer un régime qui maintient l'intérêt des Américains, s'il est capable de servir de coordonnateur pour encourager le développement durable, alors il connaîtra un succès remarquable337.
Nous aimerions que, pour maintenir la pression politique, le gouvernement favorise des contacts plus soutenus entre parlementaires et avec les organisations autochtones. Nous recommandons au chapitre sept que le Canada contribue davantage aux travaux courants du Comité permanent des parlementaires de la région de l'Arctique, qui doit surtout compter jusqu'ici sur l'appui du Conseil nordique; nous aimerions également que les associations parlementaires canado-américaine et canado-européenne se penchent régulièrement sur les questions liées à la coopération circumpolaire.

Enfin, comme nous l'avons déjà vu, il serait possible de prendre au niveau infranational toute une série d'initiatives gouvernementales et non gouvernementales d'envergure circumpolaire; ces initiatives pourraient venir des régions, des provinces et des territoires (par exemple, par l'entremise du Forum nordique - voir l'encadré 3, des municipalités (par exemple, par l'intermédiaire du Comité des villes d'hiver), de coentreprises ou d'entreprises privées, d'universités et d'autres établissements d'enseignement, ou encore d'autres types d'organisation. Comme nous l'avons fait valoir au chapitre trois, quand nous avons parlé du principe «européen» de la subsidiarité, il serait désastreux qu'une grande organisation fasse mine de «prendre le contrôle» de ces activités. En même temps, compte tenu surtout des conséquences transfrontalières possibles d'un nombre croissant de questions liées à la gestion des ressources arctiques (par exemple, l'opposition entre l'exploitation pétrolière et la protection de l'habitat des caribous dans la région de la mer de Beaufort) et de la diversité des mécanismes institutionnels instaurés pour répondre aux divers intérêts en place dans de nombreuses régions du Nord circumpolaire, Oran Young souligne la nécessité «d'éviter que les initiatives sous-régionales et régionales n'évoluent suivant des axes distincts et potentiellement contradictoires». À son avis, un des rôles constructifs que pourrait jouer le Conseil de l'Arctique consisterait à «appuyer de telles initiatives sous-régionales en facilitant la communication entre leurs artisans un peu partout dans la région, en renforçant la légitimité d'accords particuliers en tant qu'éléments d'un régime plus large d'administration pour l'Arctique et en accordant un soutien financier, lorsque la disponibilité des ressources matérielles constitue un facteur inhibant338».

Dans son examen du rôle de chacune des organisations à l'intérieur d'un cadre multilatéral efficace de coopération circumpolaire, le Comité a reçu d'excellents conseils d'au moins un de ses derniers témoins, M. Stephen Cowper, ancien gouverneur de l'Alaska qui est actuellement directeur général du Forum nordique. Il a raconté qu'il avait été invité, en mars 1996, à présenter un exposé lors de la foire commerciale du Nunavut; un certain nombre de participants lui ont demandé, à la fin de son exposé, si le Forum nordique et le Conseil de l'Arctique - qui n'était pas encore créé - ne risquaient pas de faire double emploi. «On semblait penser que le Forum nordique disparaîtrait de la scène après sa prise en charge par les «gros bonnets» des gouvernements nationaux.» La réponse détaillée de Cowper est instructive et tout à fait juste :

J'ai dit aux gens d'Iqaluit que je pensais que le Conseil de l'Arctique et le Forum nordique visaient des objectifs très différents, bien que sans doute complémentaires. Même si les objectifs du Conseil de l'Arctique ne sont pas clairs, celui-ci ne semble pas susceptible de s'engager un jour dans (par exemple) l'implantation de la technologie des plates-formes routières élaborées au Yukon à Yamalo-Nemets dans le nord de la Russie. Il ne semble pas non plus possible que le Forum nordique débatte, disons, de la politique environnementale globale de l'Arctique. Les membres de notre conseil d'administration n'ont ni le temps ni les ressources nécessaires pour réaliser de tels objectifs à long terme. Ils s'occupent de choses plus terre-à-terre : résoudre des problèmes sociaux permanents comme l'alcoolisme, importer une technologie de traitement des eaux usées adaptée aux petites collectivités, trouver de petites génératrices fiables, obtenir une bonne formation pour les pilotes de lignes aériennes régionales, apprendre à mieux gérer les troupeaux de rennes et comparer les régimes d'inspection conçus pour éviter les déversements de pétrole.

Les membres du Forum nordique croient que le Conseil de l'Arctique est absolument nécessaire. Il faut une organisation permanente grâce à laquelle les pays de l'Arctique pourront discuter des grandes questions du jour, notamment de la façon de contrôler la pollution qui traverse les frontières nationales, de protéger la faune qui migre d'un pays à l'autre et de résoudre les diverses revendications de souveraineté des groupes autochtones dans l'ensemble de l'Arctique. Ces importantes discussions peuvent mener à un consensus qui permettrait aux pays participants de conclure des traités ou d'autres accords qui les lieraient339.

Bref, il y a de la place pour des intervenants à tous les niveaux dans le processus continu d'élaboration et de mise en oeuvre d'une politique de coopération circumpolaire. La réussite ne passe pas obligatoirement par l'uniformité, ni même par la convergence, mais elle ne peut qu'être favorisée par la recherche d'une plus grande harmonie multilatérale, maintenant que la fin de la guerre froide rend enfin la chose possible. Les mots d'ordre doivent être la coordination, le consensus, la complémentarité et la subsidiarité. Nous avons déjà répondu par l'affirmative à la question du bien-fondé d'un Conseil de l'Arctique. Il reste maintenant à déterminer en quoi consisteront les prochaines étapes, mais nous croyons que les réflexions qui précèdent fourniront suffisamment de pistes pour permettre au moins d'enclencher un processus de collaboration multilatérale à l'échelle circumpolaire. Les enjeux sont énormes pour le Canada, encore plus peut-être que pour tous les autres pays. Il est temps par conséquent que nous manifestions notre intérêt pour cette oeuvre en évolution en appliquant à fond une politique étrangère circumpolaire conçue non seulement pour tenir compte des réalités complexes d'aujourd'hui, mais aussi pour relever les défis du siècle nouveau qui s'approche à grands pas.

À la lumière de toutes ces considérations :


322
John Skogan, «International Arctic Cooperation: Scope and Limitations», Northern Perspectives, été 1991, p. 19.

323
Cooperation in the Arctic Region, rapport soumis au Conseil des ministres des pays nordiques, Stockholm, 1995, p. 73. Voir également à l'Annexe II la signification de la véritable «soupe à l'alphabet» que composent les quelque 90 organisations et programmes dont il est question dans le rapport, et à l'Annexe III le tableau matriciel des institutions et des organismes de coopération.

324
Ibid., p. 11.

325
Programme on Cooperation in the Arctic Region Adopted by the Nordic Council of Ministers (Cooperation Ministers), Copenhague, février 1996.

326
Mary Simon, «Établir des partenariats» (1996), p. 6.

327
Oran Young, Le Conseil de l'Arctique : Marquer l'avènement d'une nouvelle ère dans le domaine des relations internationales (1996), p. 43.

328
Ibid.

329
Déclaration de M. Pekka Haavisto, ministre finlandais de l'Environnement, lors de la cérémonie d'inauguration du Conseil de l'Arctique à Ottawa, le 19 septembre 1996, p. 2. La délégation qui accompagnait le Président du Parlement finlandais a aussi fait des observations similaires sur l'importance des institutions transnationales pour le développement régional et la sécurité environnementale, à l'occasion d'une rencontre d'information avec le Comité juste avant que celui-ci ne se rende dans le nord de l'Europe (no 48, le 29 octobre 1996; séance non enregistrée), de même qu'au cours des séances du Comité à Helsinki.

330
On trouvera une description de ce conseil à l'encadré 3 du chapitre 3. En plus des représentants des États membres (pays nordiques et Russie), de la Commission européenne, du Conseil de la région de Barents, du Conseil des ministres des pays nordiques et des peuples autochtones de la région, cette conférence ministérielle qui s'est tenue les 5 et 6 novembre 1996 réunissait des observateurs du Canada, des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France, de l'Allemagne, de l'Italie, du Japon, des Pays-Bas et de la Pologne.

331
M. Primakov, ministre des Affaires étrangères, déclaration du président, quatrième session du Conseil de la région euro-arctique de Barents, le 6 novembre 1996, Petrozavodsk, Russie, p. 4-5.

332
Déclaration conjointe à l'issue de la quatrième session du Conseil de la région euro-arctique de Barents, les 5 et 6 novembre 1996 (Petrozavodsk), p. 2. Les membres du Comité ont été mis au courant des résultats de la réunion du 7 novembre à Saint-Pétersbourg par le consul général du Canada, Mme Ann Collins, qui a également évoqué les efforts déployés dans la région pour créer une association des parlementaires du Nord-Ouest.

333
Déclaration du ministre de l'Environnement Pekka Haavisto, Ottawa, le 19 septembre 1996, p. 2.

334
Par exemple en vertu de l'«Objectif six» de la politique régionale dirigée par la Commission bruxelloise des Communautés européennes, qui s'applique aux régions isolées de la Suède et de la Finlande. Quant à la politique étrangère de l'Union européenne, elle comprend plusieurs programmes dont peuvent bénéficier les régions du nord de la Russie, notamment le programme d'assistance technique aux membres de la Communauté des États indépendants (CEI).

335
Lassi Heininen, Olli-Pekka Jalonen et Jyrki Kakonen, Expanding the Northern Dimension, Université de Tampere, Institut de recherches sur la paix, rapport de recherche no 61, Tampere, Finlande, 1995, p. 75.

336
Cooperation in the Arctic region, 1995, p. 72. Au sujet de la participation des peuples autochtones à la promotion des relations internationales circumpolaires, nous tenons également à souligner l'important rôle de rassembleur de la Commission circumpolaire inuit, ainsi que les liens étroits que les Inuit du Canada ont noués avec ceux du Groenland, de l'Alaska et du nord-est de la Russie.

337
Robert Huebert, «Le Conseil de l'Arctique : La conduite des affaires de l'Arctique dans un contexte national et international» (1996), p. 22.

338
Oran Young, Le Conseil de l'Arctique : Marquer l'avènement d'une nouvelle ère dans le domaine des relations internationales (1996), p. 39.

339
Mémoire écrit présenté à Anchorage, Alaska, le 3 décembre 1996, p. 3-4.


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