INTRODUCTION : ORIGINE, DÉMARCHE ET OBJECTIFS DE L'ENQUÊTE
À la fin de 1995, le Comité a décidé que sa prochaine étude porterait sur la promotion des intérêts canadiens en matière de politique étrangère dans le Nord. Cette décision était motivée par deux facteurs : d'une part, l'évolution radicale de la situation avec la fin de la guerre froide, qui devrait permettre d'élargir considérablement la coopération entre les nations circumpolaires1, et d'autre part, la possibilité - parfois oubliée - pour le Canada d'exercer un leadership important à l'échelle internationale dans cette sphère. La coopération dans l'Arctique constitue en effet un domaine encore sous-exploité qui présente pourtant un potentiel énorme pour la politique étrangère canadienne. Malgré certaines initiatives récentes, notamment la proposition faite par le Canada en 1989 et les pressions qu'il a exercées avec succès en vue de la création d'un Conseil de l'Arctique international, de même que la nomination en 1994 d'un «ambassadeur aux affaires circumpolaires», il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine.
On a beaucoup souligné qu'il fallait que le Canada se positionne à l'avenir comme une nation riveraine du Pacifique, et nous n'en doutons nullement. Toutefois, la diversification des intérêts internationaux du Canada ne doit pas nous faire oublier que notre pays occupe une position géopolitique déterminante (qui le deviendra encore probablement davantage) en tant que nation riveraine de l'Arctique reliant l'Amérique du Nord à l'Eurasie (voir la carte en couverture et l'encadré 1, «Profil de la région circumpolaire»). En s'intéressant à cette immense région transarctique en transition - dont le quart est situé en territoire canadien - nous entrevoyons pour le Canada une chance unique de jouer un rôle stratégique qui, selon Oran Young, l'un des principaux spécialistes en relations internationales, non seulement «correspond à l'image que beaucoup de Canadiens se font de leur place dans la communauté internationale [mais] dissipe aussi certaines de leurs craintes d'être coincés entre les deux grandes puissances présentes dans le cercle polaire2».
Huit pays sont considérés comme des États arctiques, mais les frontières de la région arctique ou du Nord circumpolaire n'ont jamais été définies de façon précise. De plus, le «Nord» constitue une notion qui semble plus vaste que «l'Arctique». Chaque pays tend à tenir compte de divers facteurs géographiques, politiques ou administratifs pour déterminer ce qui fait partie de l'Arctique ou du Nord. Dans le présent rapport, on utilisera la définition de la région circumpolaire habituellement acceptée à l'échelle internationale, soit celle d'Oran Young : «L'Alaska (sauf la région dite du sud-est); le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest, le nord du Québec et tout le Labrador au Canada; tout le Groenland; l'Islande; les comtés septentrionaux de la Norvège, de la Suède et de la Finlande (collectivement appelés la Fennoscandie); et tout le territoire que les Russes incluent dans l'Arctique et le Nord russe [. . .] [ainsi que] les systèmes marins de l'Océan arctique et des mers contiguës, notamment celles de Bering, des Tchouktches, de Beaufort, de Norvège, de Barents, de Kara, des Laptev, et de Sibérie orientale2». Néanmoins, nous voudrions signaler qu'au Canada, seules les trois provinces maritimes n'ont pas d'intérêt direct dans le Nord. Mis à part les régions de l'extrême nord du Québec et du Labrador, les conditions arctiques s'étendent en dessous du 60e parallèle, et la plupart des provinces comprennent de vastes territoires que la Commission royale sur les peuples autochtones inclut dans le «Moyen Nord3».
La région internationale du Nord circumpolaire telle que nous l'avons définie couvre quelque 8 p. 100 de la surface du
globe (40 millions de kilomètres carrés ou 15 p. 100 des terres et 5 p. 100 des océans), mais on n'y trouve qu'à peine
1 p. 100 de la population mondiale. De plus, environ un million de ses habitants, soit 10 p. 100, sont des Autochtones qui
ne constituent une majorité que dans quelques régions seulement (p. ex., les Inuit de l'est de l'Arctique canadien, du
nord du Québec et du Groenland). À peu près les trois-quarts des habitants de l'Arctique vivent en Russie. Les seules
villes importantes situées à l'extérieur du nord de la Russie se trouvent en Islande et en Alaska. L'Islande ne compte
aucune population autochtone, mais constitue le seul État entièrement arctique. Dans les sept autres pays, l'Arctique a
toujours été considéré comme une «région éloignée» gérée à partir des métropoles du Sud. Cette situation est en train de
changer à la suite d'une décentralisation politique et d'une plus grande participation des habitants de la région aux
décisions. Toutefois, on peut s'attendre à ce que l'intérêt que le Sud et en fait toute la planète portent à la région
circumpolaire s'accroisse au cours du prochain siècle. L'Arctique ne constitue plus un pion sur l'échiquier de la guerre
froide, mais ce continent pourrait revêtir une grande importance géopolitique dans des dossiers comme les
changements climatiques, les droits des Autochtones et le développement humain durable étant donné les ressources
naturelles considérables qu'on y trouve et les pressions qui sont ou seront exercées pour qu'on les mette en valeur4. Il
pourrait donc se révéler essentiel d'établir des cadres d'action afin de régir la coopération circumpolaire de manière à
éviter tout conflit
international.
De plus, la fin de la guerre froide et les transformations politiques et économiques rapides qui s'annoncent permettront, comme jamais auparavant, aux décideurs canadiens de se concerter avec les autres États arctiques pour élaborer une action commune pour la sécurité régionale et des principes de développement humain durable, notamment dans les domaines suivants : la protection de l'environnement et ses répercussions planétaires, de nouveaux modèles d'institutions et de structures participatives incluant les collectivités et les peuples autochtones de l'Arctique, le commerce et les stratégies d'investissement dans la région circumpolaire, l'aide technique, de même que les échanges scientifiques, technologiques, éducatifs, sociaux et culturels.
Lors de sa première comparution devant le Comité, le 21 novembre 1995, la première ambassadrice du Canada aux affaires circumpolaires, Mary Simon, a approuvé de façon très concrète la participation des parlementaires :
. . .une fois que le Conseil de l'Arctique sera lancé, nous devrons décider quelles sont les questions prioritaires exigeant une attention multilatérale. [. . .] il serait extrêmement utile de pouvoir compter sur de l'aide en ce qui concerne la recherche ou bien pour établir le programme du Conseil de l'Arctique [81:5]3.Après le rappel du Parlement, le nouveau Comité a confirmé en mars 1996 qu'il entreprendrait l'étude sur la région circumpolaire et il a reçu un appui ferme de la part du nouveau ministre des Affaires étrangères, Lloyd Axworthy, lors de sa première comparution devant le Comité en avril.
Des notes d'information préliminaires et divers documents de travail ont été distribués dans le sillage de deux conférences internationales importantes qui venaient tout juste d'être tenues en mars dans l'Arctique canadien - soit la troisième conférence ministérielle sur la Stratégie de protection de l'environnement arctique à Inuvik et la deuxième conférence du Comité permanent des parlementaires de la région arctique, à Yellowknife. De plus, durant cette période, de délicates négociations se tenaient à Ottawa pour finaliser une entente entre les huit nations de l'Arctique visant la mise sur pied du «Conseil de l'Arctique», cet organisme tant attendu devant promouvoir la coopération circumpolaire et que le Canada présiderait au cours de ses deux premières années d'existence4. Cette initiative, qui s'est finalement concrétisée en septembre 1996, fournit l'occasion de discuter des aspects et objectifs en matière de politique étrangère que le Canada se doit de mettre de l'avant à titre d'intervenant clé au sein de la collectivité circumpolaire internationale naissante.
La première phase de l'étude du Comité a surtout consisté à recueillir les opinions des Canadiens à l'égard du plan d'action international en voie d'établissement pour l'Arctique. Durant la série de tables rondes tenues à Ottawa (cinq à la fin d'avril et au début de mai, une au début de juin et une dernière en octobre), le Comité a entendu près de 30 témoins sur les principaux thèmes à introduire dans une politique étrangère canadienne dans le Nord et sur la façon de promouvoir les intérêts canadiens dans le cadre d'un renforcement de la coopération circumpolaire. Parmi les témoins entendus par le Comité, notons des spécialistes canadiens de longue expérience comme Fred Roots, conseiller scientifique émérite auprès du ministère de l'Environnement, le professeur Franklin Griffiths qui a participé, avec l'ambassadrice Simon, à une table ronde axée sur le Conseil de l'Arctique, et Rosemarie Kuptana, présidente de la Conférence circumpolaire inuit (CCI), qui a brossé un tableau général, du point de vue des Autochtones, sur la coopération dans l'Arctique5. Les professeurs David Cox et Donald McRae se sont penchés sur les questions plus classiques de la sécurité et de la souveraineté. Des porte-parole du Comité canadien des ressources arctiques (CCRA) et de plusieurs autres ONG environnementaux ont surtout traité des défis de plus en plus grands que représente le développement durable de l'Arctique conjugué à la préservation de son écosystème fragile ainsi qu'à l'amélioration des moyens de subsistance des habitants de ces collectivités. D'autres intervenants considéraient que les questions liées au potentiel économique et commercial futur de cette région, au développement des entreprises autochtones et aux transports et communications dans l'Arctique constituaient les principaux dossiers réclamant l'intensification de la coopération circumpolaire.
Nonobstant les possibilités que présente cette coopération internationale, la dernière table ronde réunissant des spécialistes du Nord venant d'universités québécoises et du Centre pour la santé publique du Québec a soumis aux membres du Comité une série de questions lucides sur les déficiences permanentes de la politique canadienne dans ce secteur. Le professeur Paul Painchaud de l'Université Laval a été particulièrement direct lorsqu'il a affirmé que le Canada aurait dû depuis longtemps adopter une politique étrangère plus substantielle et stratégique en ce qui touche aux affaires circumpolaires.
Qui plus est, la plupart des intervenants s'accordaient pour affirmer que les facteurs internationaux revêtent une importance de plus en plus grande pour la défense des intérêts du Canada dans l'Arctique, ce qui revient à dire qu'il est de plus en plus nécessaire d'ajouter une dimension nordique à la politique étrangère. Cependant, des questions ont été soulevées concernant l'adéquation entre les structures, les processus et les ressources financières actuellement disponibles et la poursuite de ces objectifs internationaux d'une manière qui soit cohérente et conforme aux politiques gouvernementales globales touchant le Nord. Comment, de façon concrète, des initiatives liées à la politique étrangère peuvent-elles à la fois combler les besoins des habitants du Nord et servir les intérêts du Canada à long terme? L'importance de garantir des avantages tangibles aux collectivités locales disséminées dans les vastes territoires arctiques du Canada a été sans cesse abordée durant les visites effectuées par le Comité dans cette région à la fin de mai, de Whitehorse au Yukon à Inuvik et Baie Resolute au nord du cercle polaire, ou à Kuujjuaq dans le nord du Québec.
De ce point de vue, le voyage que le Comité a effectué au nord du 60e parallèle, loin des audiences habituelles de hauts fonctionnaires, de représentants des ONG et d'experts invités à Ottawa, a constitué l'élément central de cette première étape. Les membres du Comité ont pu pour une rare fois écouter et observer ces gens qui habitent l'Arctique canadien, dans le but de s'assurer que leurs préoccupations soient entendues directement au cours de l'élaboration des grandes orientations du gouvernement. Le Comité s'est partagé en deux groupes afin d'être en mesure de rencontrer un plus grand nombre de collectivités. Les deux groupes ont entendu le témoignage de représentants d'organisations autochtones, et tout spécialement d'importantes entreprises installées dans le Nord (Inuvialuit Regional Corp. dans l'ouest de l'Arctique, Dennendeh Development Corp., Nunavut Tunngavik à Iqaluit, ou Makivik Corp. dans le nord du Québec); des représentants de conseils de cogestion des ressources, de gouvernements locaux et territoriaux (dont des organismes de mise en oeuvre du Nunavut); des chefs de collectivités; des porte-parole des gens d'affaires, d'entreprises culturelles, ainsi que d'établissements d'enseignement et de recherche. Le Comité a aussi rencontré le public de manière non officielle, par exemple, au moyen de «lignes ouvertes» à la radio communautaire. Le Comité a également pu apprécier sur place les principaux développements en cours dans les collectivités arctiques et inspecter des installations comme celles de l'Étude du plateau continental polaire à Resolute. À leur retour de l'Arctique, les membres du Comité ont pu aussi rencontrer des spécialistes en études nordiques à des centres de recherche universitaires d'Edmonton, de Calgary et de Montréal6.
Cette première phase des travaux du Comité a confirmé que la plupart des intervenants appuyaient l'initiative prise par le gouvernement - tout en se montrant très critique vis-à-vis d'elle - d'établir un Conseil de l'Arctique rassemblant huit pays comme pièce maîtresse de la coopération circumpolaire. Le troisième chapitre de ce rapport porte d'ailleurs sur l'exploitation du potentiel de ce Conseil maintenant qu'il est établi officiellement depuis septembre dernier. Pour tout dire, nous nous sommes rendu compte que la plupart des témoins espéraient beaucoup que ce Conseil devienne un forum multilatéral permanent par lequel les États de l'Arctique pourraient conduire une action en coopération, ce qui s'avère de plus en plus nécessaire dans le domaine de l'environnement et dans d'autres secteurs. Maintenant que le Conseil existe, il devra démontrer ce qu'il peut faire. On est également dans l'expectative quant à la structure unique de participation pour les peuples autochtones qui a été promise et quant au mandat confié au Conseil d'étudier un large éventail de sujets liés au «développement durable». On a aussi soulevé des questions qui touchent à son mandat, à ses structures représentatives et à ses responsabilités fonctionnelles, à ses priorités d'action, à son financement, aux appuis politiques dont il bénéficie à l'extérieur du Canada et aux pouvoirs et moyens importants qui lui seront sans doute essentiels pour apporter des changements. Comment, en effet, un tel organisme pourrait-il arriver à provoquer une amélioration concrète et importante des conditions de vie des Canadiens dans l'Arctique et des possibilités qui s'offrent à eux?
Au sujet des avantages pour l'État et de l'obligation de rendre compte, on a appuyé une plus grande participation des parlementaires à ce processus comme représentants de tous les Canadiens et des citoyens des autres pays arctiques, un point de vue que certains n'approuvaient pas. Ainsi, on a pu le constater une première fois lors de la troisième table ronde du Comité, tenue le 2 mai conjointement avec le Comité permanent de l'environnement et du développement durable de la Chambre des communes, quand les représentants du gouvernement canadien et du Parlement n'ont pu se mettre d'accord avec la présidente de la CCI, Rosemarie Kuptana, quant à la nature et à la forme des liens entre le Parlement et le Conseil et quant au moment où ceux-ci devraient être déterminés. (Au sein des autres nations arctiques, la question de la participation des parlementaires n'était pas encore réglée à ce moment. Ainsi, une entente de coopération arctique, approuvée par le Conseil des ministres des pays nordiques en février 1996, énonçait de manière quelque peu ambiguë que les gouvernements soulignaient que la coopération avec le Comité permanent des parlementaires de la région arctique doit être prioritaire, mais que la forme finale que prendrait la participation des parlementaires serait arrêtée après l'établissement du Conseil de l'Arctique et après que les décisions quant à sa structure auraient été prises7.)
Le Comité a noté la ferme position adoptée par ses collègues du Comité de l'environnement de la Chambre dans le rapport qu'ils ont publié en juin 1996 sur les conférences de Yellowknife et d'Inuvik. En effet, pour exhorter le gouvernement canadien à prendre des mesures énergiques qui mettent en oeuvre les résolutions de ces conférences parlementaires, ils ont recommandé que : «le gouvernement du Canada fasse les démarches nécessaires pour appuyer la proposition voulant que le Comité permanent des parlementaires de la région de l'Arctique joue un rôle essentiel et permanent au sein du Conseil de l'Arctique8». À cet égard, nous estimons que le fait qu'on ait permis au député canadien Clifford Lincoln de faire une déclaration officielle au nom du groupe parlementaire durant la cérémonie d'inauguration du 19 septembre, à Ottawa, constitue un signe prometteur. La question de la participation active des parlementaires à l'élaboration des institutions de coopération circumpolaire dans l'avenir constitue un dossier important sur lequel nous reviendrons dans le chapitre trois lorsqu'on se penchera sur la charte et les modes de fonctionnement du Conseil de l'Arctique, et de nouveau dans le chapitre sept en rapport avec la promotion de la participation démocratique au développement durable des régions circumpolaires.
Le deuxième volet de l'étude menée par le Comité a surtout porté sur les points de vue des nations autres que le Canada, sur les politiques et priorités qui devraient guider la coopération circumpolaire à venir. Peu de temps après l'établissement officiel du Conseil de l'Arctique, le Comité a eu le privilège de bénéficier de l'avis perspicace et stimulant d'un grand spécialiste américain, Oran Young, directeur de l'Institute of Arctic Studies au Dartmouth College9. En décembre, plusieurs autres témoins américains de premier plan sont également venus témoigner. Stephen Cowper, un ancien gouverneur de l'Alaska qui occupe actuellement le poste de directeur administratif du Forum nordique - une organisation chapeautant un certain nombre d'entités infranationales réparties entre dix pays nordiques - a donné à une vidéoconférence à partir d'Anchorage, en Alaska. En ce qui touche plus directement aux intérêts et points de vue des États-Unis concernant l'Arctique, George Newton et Garrett Brass, respectivement président et directeur administratif de la U.S. Arctic Research Commission, ont été parmi les derniers témoins entendus le 12 décembre.
Le point saillant de cette deuxième phase a été les visites que le Comité a effectuées au début de novembre dans cinq des six autres pays membres du Conseil de l'Arctique10. Une fois de plus, afin de se rendre dans le plus d'endroits possibles et d'utiliser les ressources d'une manière efficace, le Comité s'est divisé en deux groupes. L'un s'est rendu à Oslo et à Tromsø en Norvège, à Stockholm en Suède et à Copenhague au Danemark (là où se trouvent les bureaux du gouvernement autonome du Groenland ainsi que le secrétariat des peuples autochtones du Conseil de l'Arctique). Ce groupe a également rencontré des chercheurs renommés du fameux Scott Polar Research Institute de l'Université Cambridge, en Angleterre. L'autre moitié du Comité s'est rendue à Helsinki en Finlande, ainsi qu'à Moscou et à Saint-Pétersbourg en Russie. Il est malheureux que ce groupe n'ait pas pu tenir les rencontres prévues dans l'Arctique à Mourmansk, en raison de mauvaises conditions météorologiques. Il a néanmoins pu se faire une bonne idée des graves problèmes qui existent dans la presqu'île de Kola et qui avaient inquiété la communauté internationale (voir en particulier les chapitres quatre, cinq et neuf).
Au cours de ces visites intensives, le Comité a rencontré des ministres et hauts fonctionnaires, des parlementaires, des porte-parole de peuples autochtones, des représentants d'organismes non gouvernementaux, des universitaires et des experts dans la recherche sur l'Arctique, des représentants du secteur privé canadien et les participants à d'importants projets conjoints avec des partenaires canadiens. En Russie, certains de ces intervenants reçoivent l'aide du programme de coopération technique de l'Agence canadienne de développement international (ACDI). Ainsi le Comité a rencontré Mikhaïl Gorbatchev, qui dirige une fondation participant à d'importants projets conjoints avec l'Université de Calgary, notamment au financement d'un projet innovateur dirigé par l'Arctic Institute de cette université dans la région de Mourmansk. Les discussions menées dans chaque pays visaient à mieux faire comprendre les points de vue des pays euro-arctiques sur les nombreux aspects de la coopération circumpolaire. La question plus vaste de l'amélioration des rapports bilatéraux avec le Canada, des relations transatlantiques et interrégionales étaient également au programme. Les leçons à tirer de cette expérience interculturelle enrichissante figurent en particulier dans la partie III du rapport.
Le rapport commence par un examen des préoccupations primordiales concernant la structure d'un plan d'action cohérent devant orienter les politiques internationales du Canada en matière de coopération circumpolaire, se poursuit par une étude des divers processus et politiques pouvant faire l'objet de projets pratiques, et se termine par l'étude de points portant sur le renforcement des relations avec les autres pays riverains de l'Arctique.
La Partie I porte sur l'établissement du cadre d'action et des fondements institutionnels qui permettront au Canada d'exercer un leadership au sein de la nouvelle collectivité circumpolaire. Dans le premier chapitre, on définit la situation à l'échelle internationale en explorant l'importance grandissante de l'Arctique en tant que région dynamique dans les affaires mondiales ainsi que les répercussions de ce phénomène sur l'établissement d'un plan d'action stratégique pour le Canada. Le chapitre deux porte pour sa part sur le défi intérieur que constitue l'ajout d'une «dimension nordique» à la politique étrangère canadienne de façon qu'elle intègre les préoccupations internationales et intérieures et améliore le sort des Canadiens vivant dans le Nord. Dans lechapitre trois, on examine le rôle primordial du Canada pour faire du nouveau Conseil de l'Arctique un atout dans les relations multilatérales. Le Conseil de l'Arctique y occupe une large place, non seulement parce que sa mise sur pied est attribuable en grande partie à l'inspiration et à la persévérance des Canadiens, mais aussi parce qu'il associe de façon unique toutes les nations circumpolaires dans un partenariat avec les peuples autochtones. Maintenant qu'il existe, il faut se demander comment le Conseil devrait évoluer et quelles mesures devraient être prises à court et à long terme relativement à l'élaboration de son mandat, à l'accroissement de ses membres, à l'établissement de structures et de processus efficaces, au choix de priorités claires et - ce qui ne constitue pas le moins important - en ce qui touche à la consolidation de son financement et de son soutien politique.
La Partie II traite des aspects relevant plus spécifiquement des intérêts et objectifs du Canada dans certains dossiers qu'il considère prioritaires dans la coopération circumpolaire. Le chapitre quatre fait le lien entre l'ancienne politique étrangère dans l'Arctique, fondée sur des contraintes imposées par les conflits entre États, et le nouveau plan d'action axé sur la coopération maintenant que la guerre froide est chose du passé. Ce chapitre porte sur l'héritage de préoccupations nationales tournées vers «la souveraineté et la sécurité» dans l'Arctique et propose des façons de dépasser ce stade afin de tirer profit des possibilités de consolider la paix par des initiatives favorisant la sécurité humaine et la stabilité régionale. Le chapitre cinq constitue le noyau du rapport puisqu'il énonce le nouveau programme en matière de développement durable que la plupart considère comme le principal défi que doit relever la région circumpolaire dans les décennies à venir pour garantir la «sécurité» humaine et environnementale. Ce chapitre porte principalement sur les plus grandes priorités environnementales et examine comment le Canada pourrait oeuvrer à la mise en place dans l'Arctique d'un «régime» environnemental international et global afin de préserver des écosystèmes vulnérables ainsi que la santé des populations.
Poursuivant sur le thème central du développement durable, le chapitre six examine les questions tout aussi capitales de l'exploitation durable des ressources et des possibilités économiques offertes aux populations de l'Arctique dans un contexte international en rapide transformation. Comment des instruments comme les investissements publics et privés, la promotion du commerce intérieur et extérieur de la zone circumpolaire, les réseaux de transport et de communication, etc., peuvent-ils être utilisés d'une manière réfléchie pour servir à l'édification d'une économie durable qui assure la viabilité des collectivités de la région arctique? Dans le chapitre sept, on se penche d'une façon plus approfondie sur la nécessité d'élaborer des modèles participatifs de développement durable dans l'Arctique qui, non seulement confirment les droits des peuples autochtones, mais prévoient une participation démocratique élargie et établissent que l'ensemble du public canadien souhaite qu'on lui rende compte des politiques et institutions visant la région de l'Arctique. Le chapitre huit porte sur une gamme de sujets qu'on pourrait regrouper sous le thème du «renforcement de l'expertise», c'est-à-dire sur l'établissement d'un système circumpolaire favorisant l'échange des données de recherches scientifiques et technologiques, les réseaux autochtones de transmission du savoir, ainsi que la coopération éducative et culturelle. En résumé, comment le Canada pourrait-il contribuer à développer le «capital» en ressources humaines de la région au profit des générations actuelles et futures?
Dans la Partie III du rapport, on délaisse ces grandes orientations pour examiner la dimension plus particulièrement géopolitique des défis que le Canada devra relever relativement à ses relations internationales dans l'Arctique. Le chapitre neuf porte sur les initiatives de coopération bilatérales avec les autres États membres du Conseil de l'Arctique. Dans le cas de la coopération entre le Canada, l'Amérique du Nord et les autres pays nordiques, il faut tenir compte d'un facteur important, soit celui de l'intégration régionale (comme l'ALENA et l'Union européenne). Dans le cas de la coopération entre le Canada et la Russie dans l'Arctique, la compréhension transatlantique et l'aide à fournir aux réformes démocratiques et commerciales occupent le premier rang dans l'établissement de la politique étrangère canadienne. Le chapitre dix dépasse le stade des relations bilatérales pour approfondir les possibilités d'une collaboration multilatérale efficace entre le nombre de plus en plus grand d'organismes intergouvernementaux et non gouvernementaux, régionaux et circumpolaires (comme les conseils des pays nordiques et de la mer de Barents, les initiatives infranationales comme le Forum nordique, les groupes s'occupant de santé et de recherche scientifique dans l'Arctique, etc.) Le Comité craint que d'importants objectifs en matière de coopération arctique ne soient négligés si les maigres ressources et énergies dont dispose le Canada sont dispersées plutôt que d'être assujetties à des mécanismes efficaces de concertation et de coordination.
Le rapport conclut en soulignant que le Canada doit adopter une approche proactive et systématique à l'égard de la coopération circumpolaire et continuer à perfectionner ses outils d'intervention dans le domaine de la politique étrangère, en particulier, les moyens d'action dont dispose le bureau de l'ambassadrice aux affaires circumpolaires, pour remplir les multiples tâches décrites précédemment dans l'intérêt à long terme des Canadiens. Le fait que la présidence du nouveau Conseil de l'Arctique soit exercée par le Canada jusqu'en 1998 constitue maintenant pour notre pays une épreuve stratégique importante sur laquelle sera jugée sa détermination et, sur un plan plus concret, sa capacité de donner suite à l'échelle internationale à des intentions prometteuses. Le Comité estime toutefois qu'il ne s'agit là que d'une première étape parmi plusieurs autres. Pour poursuivre dans cette voie, il est temps que le Canada prenne réellement conscience et commence à tenir compte de l'émergence d'une région circumpolaire, dont le rôle sera capital dans l'orientation de sa politique étrangère future. Ce rapport signale l'importance de cette prise de conscience et vise par-dessus tout à donner l'impulsion politique qui est encore nécessaire pour maintenir la coopération dans la zone circumpolaire dans l'intérêt même du Canada.
1
Huit États revendiquent un territoire dans l'Arctique : le Canada, les États-Unis, la Fédération de Russie, la Finlande, la Suède, la Norvège, le Danemark/Groenland, et l'Islande. Cette liste comprend donc les deux «superpuissances» de la guerre froide et trois des pays nordiques qui font actuellement partie de l'Union européenne (la Finlande, la Suède et le Danemark).
2
Oran Young, Arctic Politics: Conflict and Cooperation in the Circumpolar North, University Press of New England,
Hanover and London, 1992, p. 188-189; cité dans Gerald Schmitz et James Lee, Le Canada et la coopération
circumpolaire : Relever le défi de la politique étrangère, synthèse des questions de fond préparée pour le Comité,
mars 1996, p. 1. M. Young a témoigné devant le Comité le 1er octobre 1996 (fascicule n5 40).
3
Témoignages, réunion n5 81, p. 5. (Les renvois aux témoignages enregistrés devant le Comité seront indiqués
ci-après sous cette forme abrégée.)
4
La documentation de base comprenait des documents de synthèse (voir la note 2) sur les rudiments de la
coopération arctique, sur la politique étrangère canadienne et sur des thèmes spécifiques - la sécurité dans
l'Arctique, les revendications légales, le développement durable, les contaminants de l'environnement, les
sciences et la technologie - de même que des documents de travail spécialisés préparés en vue de la
conférence des parlementaires de Yellowknife. Un document de travail résumant les principales questions
d'orientation a aussi été distribué. Le Comité a assisté à une séance d'information sur la SPEA, en vue de la
conférence d'Inuvik, qui a été donnée par John Rayner, sous-ministre adjoint responsable des affaires du Nord au
ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC). Patrica Low-Bédard, conseillère principale auprès
de l'ambassadrice Simon, et Mary Vandenhoff, une ancienne ambassadrice canadienne en Finlande et directrice
administrative du secrétariat provisoire du Conseil de l'Arctique, ont également tenu les membres informés de
l'état des négociations et des désaccords subsistants (principalement au sujet de la représentation des
participants autochtones et du mandat du Conseil dans le domaine du «développement durable»).
5
Les trois étaient membres d'un groupe non gouvernemental (Panel du Conseil de l'Arctique) composé de
spécialistes indépendants de l'Arctique qui avaient produit en 1990, grâce à des fonds de la Gordon Foundation,
un rapport riche et intéressant ayant servi de fondement aux premiers efforts déployés par le gouvernement
canadien en vue de l'établissement du Conseil de l'Arctique. Voir Robert Huebert, «Le Conseil de l'Arctique : la
conduite des affaires de l'Arctique dans un contexte national et international», document non publié, département
des sciences poltiques, Université du Manitoba, octobre 1996, p. 2-3. Le professeur Huebert a également
comparu devant le Comité.
6
Les constatations faites lors de ces voyages seront mentionnées tout au long du rapport. De plus, des rapports
détaillés sur ces déplacements sont aussi disponibles sur demande.
7
Programme de coopération dans la région arctique. Adopté par le Conseil des ministres des pays nordiques
(ministres responsables de la coopération), Conseil nordique, Stockholm, février 1996, p. 9-10.
8
Comité permanent de l'environnement et du développement durable, Premier Rapport sur la Deuxième
Conférence des parlementaires de la région arctique, Yellowknife, T.N.-O., les 13 et 14 mars 1996, et la troisième
rencontre ministérielle sur la stratégie pour l'environnement arctique, Inuvik, T.N.-O, du 19 au 21 mars 1996,
Ottawa, juin 1996, p. 5. Voir aussi Charles Caccia, «Le Conseil de l'Arctique : Une perspective parlementaire»,
Revue parlementaire canadienne, automne 1996, p. 7-9. (Un article était déjà paru sur cette question dans The Hill
Times, («`Nobodies' in Ottawa, Backbenchers Set Sights on Global Scene: MPs Want a Piece of Arctic Council
Action», 20 mai 1996, p. 13.)
9
Oran Young a aussi remis au Comité une monographie non publiée, Le Conseil de l'Arctique : Marquer
l'avènement d'une nouvelle ère dans le domaine des relations internationales (1996), qui constitue l'analyse la plus
approfondie à avoir été préparée jusqu'à maintenant.
10
L'Islande n'a pu être incluse au programme en raison de contraintes de temps et d'argent.