Passer au contenu
Début du contenu;
TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 22 octobre 1996

.1837

[Traduction]

Le président: La séance est ouverte.

[Français]

À l'ordre, s'il vous plaît.

La séance de travail du comité est terminée. On va maintenant entendre les témoins sur le projet de loi C-32,

[Traduction]

Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur.

[Français]

Ce soir, quatre groupes se feront entendre. Je vais demander à chaque groupe d'essayer de respecter strictement l'horaire.

[Traduction]

Il y a quatre groupes ce soir. Nous sommes heureux d'accueillir, pour commencer, le représentant de l'Association canadienne des supports d'enregistrement, M. John Clarry de BASF Canada Inc.

Monsieur Clarry, auriez-vous l'obligeance de nous présenter vos collègues.

M. John Clarry (Association canadienne des supports d'enregistrement): Merci, monsieur le président.

Je travaille pour BASF Canada et je suis président de l'Association canadienne des supports d'enregistrement. Je suis accompagné ce soir de Brian Peterson qui représente Maxell Canada; Richard Singerman, qui représente le distributeur canadien de TDK, et nos conseillers juridiques du cabinet Stikeman Elliott, Randall Hofley et Stuart McCormack.

Collectivement, l'ACSE représente les principaux fabricants, importateurs et distributeurs de supports d'enregistrement au Canada. Ses membres sont Sony Canada, Maxell Canada, Memorex Canada, TDK, Fuji Photo Film et BASF. Collectivement nous représentons environ 90 p. 100 des ventes annuelles sur le marché canadien de supports d'enregistrement.

Nous aimerions, monsieur le président, remercier votre comité de nous avoir invités à comparaître ce soir - même s'il est un peu tard - et de nous donner l'occasion d'exprimer notre ferme objection à la proposition de redevances pour les copies à usage privé contenue dans le projet de loi C-32. Si nous intervenons si tard c'est parce que notre industrie n'a pas été consultée par le gouvernement au sujet de cette proposition. Nous estimons tout à fait opportune notre présence car il semble que tous vos témoins jusqu'à présent soient passés très rapidement sur les dispositions visant les copies à usage privé. Pour eux, cette redevance correspond à une simple transition; pour nous, c'est l'arrêt de mort d'une industrie.

.1840

Bien que nous soyons favorables à toutes les formes d'encouragement pour la musique canadienne, si notre industrie avait été consultée, elle aurait dit au gouvernement que cette proposition de redevance ne permettra pas d'atteindre ce but louable d'indemnisation des musiciens canadiens. Qui plus est, ce sont les consommateurs canadiens, les gouvernements et l'industrie qui en feront les frais. Nous sommes venus pour répéter cet avertissement.

Une étude attentive de la proposition de redevance du projet de loi C-32, de ses paramètres, de l'expérience de telles redevances dans d'autres pays, et l'état fragile de l'industrie des supports d'enregistrement magnétiques incitent notre association à demander à ce comité de reporter l'adoption des dispositions régissant les copies à usage privé du projet de loi C-32 et, à la suite de consultations complémentaires, de déterminer un moyen juste et efficace d'indemnisation des musiciens. Nous accompagnons cette demande de notre engagement à travailler avec tous les organismes, parties et gouvernements intéressés à la mise au point d'un régime pratique assurant un soutien réel aux artistes canadiens.

Notre exposé est divisé en trois parties: les problèmes associés à cette proposition, les gagnants et les perdants et des suggestions au gouvernement.

M. Brian Peterson (directeur général, Maxell Canada; représentant, Association canadienne des supports d'enregistrement): Le projet de loi C-32 présente de nombreux problèmes. Nous estimons nécessaire de commencer par dissiper un malentendu cultivé par la ministre du Patrimoine canadien. Faire des enregistrements chez soi n'est pas de la piraterie pas plus qu'il n'y a infraction aux droits d'auteur dans de nombreux cas. Il y a piraterie, quand il y a copie non autorisée à des fins commerciales. La copie à usage privé est une copie à usage personnel. Plutôt que d'apporter sa contribution à la bataille légitime contre la piraterie, le projet de loi C-32 ouvre la porte à une multiplication des activités du marché noir.

Du point de vue du consommateur, cette redevance constitue une taxe qui vient s'ajouter au coût de chaque achat. L'Association canadienne des consommateurs a indiqué que si une redevance de 37c. comme l'a proposée la ministre Mme Copps est imposée pour une cassette vierge de 60 minutes, le prix pour le consommateur augmentera de 50 à 60 p. 100.

L'impact négatif de cette proposition de redevance ne se limite pas au consommateur. Une augmentation importante du prix de ces bandes vierges entraînera une augmentation spectaculaire de la vente des produits sans redevance du marché gris et du marché noir comme le montre l'expérience européenne.

Sur la base des 37c. de Mme Copps, nous estimons que les ventes du marché gris, et par conséquent des produits sans redevance, pourraient atteindre 40 à 50 p. 100 de notre marché total. La vente de produits sans redevance aura bien entendu pour résultat une réduction importante des redevances perçues. Elle aura aussi pour résultat une réduction de l'impôt sur le revenu des sociétés et des taxes de vente ainsi que des droits douaniers payés par les fabricants et les importateurs légitimes.

Quand on examine de plus près la proposition du projet de loi C-32, on découvre d'autres problèmes. Il n'est pas très juste qu'un grand nombre de consommateurs de supports vierges qui n'enregistrent pas des oeuvres protégées par le droit d'auteur aient à payer la redevance. Parmi ces consommateurs, se trouvent les gouvernements, comme celui-ci qui enregistre les débats du Parlement, notamment les délibérations de la séance de ce soir, et qui enregistre aussi les délibérations devant les tribunaux. Dans le monde médical, on se sert également de supports audio; les groupes religieux enregistrent des sermons et les musiciens indépendants s'enregistrent eux-mêmes.

Richard va maintenant vous donner la liste des gagnants et des perdants si cette proposition est retenue.

[Français]

M. Richard Singerman (AVS Technologies, Association canadienne des supports d'enregistrement): Qui sont les gagnants et les perdants? Étant donné ce dont nous venons de parler, la réponse à cette question ne devrait pas vous surprendre.

Les gagnants sont les suivants: les multinationales de publication et d'enregistrement de musique; les spécialistes des opérations parallèles et les contrebandiers qui verront leurs ventes et leurs possibilités de vente augmenter; les organismes de perception et les sociétés de gestion de droits d'auteur qui bénéficieront d'une autre source de revenus; les artistes à succès et les artistes établis qui seront les seuls particuliers à toucher une partie appréciable des sommes perçues.

.1845

Si le projet de loi est adopté, il y aura cependant plusieurs perdants importants. Les consommateurs canadiens seront touchés en raison de la hausse des prix et de la double imposition. Les consommateurs qui n'enregistrent pas d'oeuvres protégées par des droits d'auteur devront, pour leur part, payer la redevance sans profiter d'aucun autre avantage. Les sociétés membres de l'ACSE seront particulièrement touchés parce qu'elles devront remettre et administrer la redevance. Les musiciens canadiens nouveaux et peu connus ne recevront presque rien des sommes recueillies, s'ils en reçoivent.

Fait plus important encore, si on réduit les copies pour usage privé, ces artistes perdront la publicité que leur assurait l'enregistrement à domicile.

Les détaillants subiront des pertes directes, une diminution des ventes et des marges bénéficiaires et, fort probablement, des pertes indirectes.

Le gouvernement fédéral ainsi que les gouvernements provinciaux et municipaux toucheront moins de revenus sous forme de taxes et de droits de douanes.

En outre, à titre d'acheteurs importants de ces produits, les gouvernements verront leurs propres coûts augmenter.

[Traduction]

M. Clarry: Il faut se demander ce qu'il faut faire. L'ACSE propose que l'on réunisse en un groupe de travail tous les intervenants, dès que possible, pour réfléchir à la façon de d'indemniser les musiciens. On pourrait songer notamment à un crédit d'impôt à l'investissement remboursable, semblable au crédit qu'avait proposé le groupe de travail sur la musique, ou encore à un coupon-rabais à la manière de ce qu'avait proposé en 1982 le Comité fédéral-provincial de l'examen de la politique culturelle. En fait, il y aurait d'autres solutions et on devrait examiner et débattre de chacune d'entre elles. Ce qu'il faut retenir, c'est que nous sommes prêts à participer à ce processus afin d'aboutir à une mesure réalisable qui va profiter à tous et ne fera de tort à personne.

En résumé, depuis dix ans, les principales compagnies d'édition et d'enregistrement de musique ont fait un lobbying intense au Canada et à l'étranger pour qu'on impose des redevances sur les supports audio vierges et sur le matériel. Pourquoi? Parce que ce sont ces compagnies qui vont profiter du gros des redevances car elles détiennent les droits d'auteur des artistes et elles réalisent des enregistrements sonores.

Il est ironique que cette proposition de redevance figure dans le projet de loi C-32 alors qu'en ce moment le secteur des supports audio vierges est beaucoup moins prospère que le secteur de la musique préenregistrée. On voit l'écart énorme sur le tableau qui est à ma droite. Une courbe représente les ventes de musique préenregistrée, avec indexation jusqu'en 1992. C'est la courbe du haut. On constate qu'elle est bien au-dessus de la croissance du produit intérieur brut. La courbe qui représente la vente de supports audio vierges tend vers le bas. Elle est inférieure à celle du PIB. Je vous le demande: est-ce que cela est typique d'une industrie en crise?

Comparons les ventes: le tableau de droite indique la courbe des ventes de musique préenregistrée et ces dernières sont 15 fois plus élevées que les revenus tirés des cassettes audio vierges. Si l'on compare les bénéfices tirés de la vente de musique préenregistrée, on constate que ces bénéfices sont trois fois plus élevés que les revenus tirés de la vente des cassettes audio vierges.

Je pense que la question capitale est la suivante: avons-nous affaire ici vraiment à une industrie en crise? Je ne pense pas.

Notre industrie parvient à maturité et elle est en recul. Certaines compagnies... On a vu au cours des trois derniers mois la Société 3M se retirer du marché, et plus récemment, ma propre compagnie, BASF, a annoncé qu'elle se retirerait du marché le 31 décembre 1996. Il y aura des pertes d'emplois que l'on ne pourra pas regagner dans d'autres compagnies du même secteur, croyez-moi.

L'ACSE s'oppose à la proposition de redevance qui figure dans le projet de loi C-32 parce qu'elle n'est pas juste et ne constitue pas un moyen efficace d'atteindre les objectifs du gouvernement. Nous sommes ici ce soir pour demander que le comité et le Parlement marquent un temps d'arrêt. À défaut de cela, quand vous allez revoir le projet de loi dans cinq ans, vous n'aurez plus rien à dire en ce qui concerne notre secteur. Notre industrie aura disparu et il n'y aura pas d'argent pour venir vous en parler. Nous espérons que cela pourra être évité grâce à la consultation et au dialogue.

Encore une fois, nous vous remercions de bien vouloir lire notre mémoire et de l'occasion de venir présenter notre point de vue ce soir. Mes collaborateurs et moi-même nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

Le président: Monsieur Clarry, merci.

[Français]

Monsieur Plamondon.

M. Plamondon (Richelieu): J'aurais une courte question. Le groupe de travail sur l'industrie canadienne de la musique qu'avait constitué le gouvernement canadien avait noté, dans son rapport, qu'il s'était vendu 44 millions de rubans vierges en 1995 au Canada et évalué à 39 millions le nombre de ces rubans vierges utilisés pour copier des enregistrements sonores. Cela ne concorde pas beaucoup avec les chiffres dont vous nous parlez aujourd'hui. Qu'avez-vous à redire sur ces chiffres-là?

.1850

[Traduction]

M. Clarry: Nous avons obtenu nos statistiques auprès d'une association qui regroupe les entreprises de notre secteur, l'International Tape/Disc Association. Cette association représente tous les membres de l'ACSE sauf Memorex. Les statistiques que nous vous avons données prennent en compte 80 p. 100 des entreprises de notre industrie. Aux chiffres que nous avait fournis l'Association internationale, nous avons ajouté les non-membres de cette association, comme Memorex, et nous avons fait une estimation du marché gris, qui selon nous représente environ 10 p. 100 du total, et c'est ainsi que nous avons obtenu un total. Autrement dit, vous avez là des statistiques officielles, des estimations pour tenir compte des grosses entreprises qui ne fournissent pas de chiffres, et du marché gris. Vous avez donc des chiffres fondés sur des faits à 80 p. 100.

[Français]

M. Plamondon: Mais ce rapport-là disait que 39 millions de rubans sur 44 millions étaient utilisés pour copier des enregistrements. Plus tôt, vous avez parlé des exceptions. À quoi sert une cassette vierge, sinon à copier quelque chose? Il me semble que le meilleur moyen de contrer la vente au noir, c'est de percevoir un léger montant lors de la vente de la cassette. Je ne comprends pas qu'un montant de 0.30 $, 0.35 $ ou 0.15 $ - il n'est pas encore établi - puisse nuire à la vente d'une cassette vierge, d'autant plus que cela va compenser un peu les auteurs qui seront plagiés. Pour ce qui est des personnes qui ont l'intention de les utiliser pour la revente ou pour faire du plagiat, ce n'est pas 0.30 $ de plus qui va les empêcher de le faire. Je ne comprends pas qu'un montant aussi minime perçu à la base puisse tant nuire à votre industrie.

[Traduction]

M. Clarry: Il faut bien définir ce qu'est le marché gris et comment il nous affecte. Il se crée un marché gris quand il y a un écart de prix entre deux régions ou deux pays. Dans le cas du marché gris, on parle très souvent «d'importation parallèle». Très souvent ces importateurs parallèles peuvent obtenir un produit américain qui ne serait pas frappé par la redevance. Ils pourraient donc importer ce produit au Canada. Très souvent il s'agit de compagnies où il n'y a qu'une seule personne, des compagnies éphémères - installées dans un camion ou un petit entrepôt - et il ne serait pas possible de les poursuivre, pas plus qu'il ne serait possible pour une société de gestion de droit d'auteur de percevoir la redevance auprès d'elles. Ainsi, sur le marché canadien, elles jouiront d'un avantage important car leurs prix seront nettement plus bas que ceux des fabricants ou des distributeurs légitimes comme les membres de l'ACSE.

La ministre Copps propose une redevance de 37c., et cela représente un écart de prix gigantesque entre le prix du produit BASF que nous vendrions ou encore le prix du produit TDK, Memorex ou Sony que nous commercialiserions au Canada. Cela représenterait un écart de 37c. pour le consommateur. Les détaillants découvriront vite qu'ils peuvent acheter les mêmes produits au marché gris à bien moins cher. Les détaillants qui le feront auront un avantage par rapport aux autres.

On a pu en faire l'expérience par le passé. Nous avons évalué à 40 à 50 p. 100 de nos ventes, la part que nous perdrions au profit des importations parallèles qui ne seront pas touchées par la redevance.

Si la société de gestion essaye de percevoir la redevance, elle constatera vite que ces compagnies d'une ou deux personnes peuvent rapidement fermer leurs portes, disparaître, pour, sous un autre nom, une autre raison sociale, reprendre les affaires le lendemain.

M. Peterson: Je voudrais répondre à ce que l'on a signalé tout à l'heure, à savoir que nos chiffres ne correspondent pas à ceux de la SOCAN. La Industry Tape Association qui représente toutes les compagnies membres signale que 29 600 000 supports audio vierges ont été vendus au Canada en 1996. Ce chiffre est bien loin des projections citées par la ministre Copps, c'est-à-dire 44 millions.

.1855

Nous nous attendons à ce que près de 50 p. 100 du marché soit touché. Cela représente 20 millions de dollars. Je ne pense pas qu'il soit raisonnable de s'attendre à ce qu'un secteur essuie une telle perte et se maintienne.

[Français]

M. Plamondon: Supposons que je vous donne raison sur tout ce que vous dites. Vous nous dites, dans votre description de la situation, qu'il vaudrait mieux rémunérer les artistes par une forme d'intervention autre que la perception sur les cassettes vierges et que les montants perçus devraient être versés directement aux artistes par les importateurs et les fabricants. De façon concrète et pratique, que voulez-vous dire exactement? Que seriez-vous prêts à donner et comment le donneriez-vous?

[Traduction]

M. Clarry: Un des enjeux fondamentaux est la perte potentielle de revenus et de revenus d'exploitation que subiraient les fabricants et les distributeurs de supports audio vierges. Si la redevance est perçue auprès d'un importateur ou du fabricant, cela signifie dans bien des cas que c'est à deux ou trois paliers en amont du consommateur. Sans que ce soit une solution définitive, car il faudra en discuter, nous proposons un régime suivant lequel la société de gestion fera affaire avec le palier le plus proche possible de l'utilisateur, le consommateur. Ainsi, on supprime les importations parallèles et on garantit que l'on percevra un maximum de recettes car la perception se fera au niveau de la vente au détail. C'est ce que nous recommandons. Ainsi, toute la somme pourra être distribuée aux artistes canadiens, les propriétaires légitimes, ou encore à d'autres ayant droit.

Le président: Monsieur Abbott.

M. Abbott (Kootenay-Est): Je voudrais avoir une idée du nombre. Il s'agit de 35 à 44 millions de supports audio, n'est-ce pas? Quelles sommes cela représente-t-il au niveau de l'importation et au niveau du détail?

M. Clarry: Pour les grossistes, il s'agit d'environ 38 millions de dollars actuellement. En 1995, c'était exactement...

M. Abbott: Je ne veux pas me montrer pointilleux mais je veux un chiffre.

M. Clarry: ...37 millions de dollars.

M. Abbott: Ainsi les supports audio qui entrent au Canada coûtent 37 millions de dollars, n'est-ce pas?

M. Clarry: Au niveau des grossistes, oui.

M. Abbott: C'est cela qui m'inquiète. Je veux m'assurer que nous parlons de la même chose. L'importateur vend aux grossistes, n'est-ce pas? C'est là que j'essaie de définir les choses. Je voudrais savoir quelle est la valeur de ces supports audio à l'importation. Alors est-ce bien le montant?

M. Clarry: Non, ce ne l'est pas.

M. Abbott: Alors à peu près...?

M. Clarry: Il est difficile pour moi de répondre à cette question du fait que je n'ai pas accès aux chiffres concernant les coûts de mes compétiteurs.

M. Abbott: Pourriez-vous nous donner une estimation? La norme pour l'ensemble de l'industrie serait-elle de 40 p. 100, pour les fins de notre discussion?

M. Clarry: Non. Ce chiffre est extrêmement élevé.

M. Abbott: Serait-ce de 25 p. 100? J'ai simplement besoin d'un chiffre avec lequel travailler.

M. Clarry: Selon le produit, je dirais que ce serait de 10 p. 100 à 20 p. 100.

M. Abbott: D'accord. Au niveau du détail, quelle serait la valeur de la marge?

M. Clarry: La marge de détail se situe généralement aux alentours de 35 p. 100 pour les ventes courantes. Elle est toutefois beaucoup moins élevée pour les ventes de promotion, puisque les détaillants abaisseront leur marge à 10 p. 100 ou à 15 p. 100 dans ces cas.

M. Abbott: Je n'en suis pas absolument certain, mais je crois savoir que la redevance de 37c. s'appliquerait au niveau de l'importation.

M. Clarry: C'est juste. Dans le cas, par exemple, d'une audiocassette ferrique C-60 d'une heure, dont la valeur moyenne est d'environ 82c. au niveau du gros - il s'agit là d'un chiffre de l'ITA - , les 37c. représentent une hausse considérable par rapport aux 82c.

M. Abbott: Nous semblons encore une fois mêler les cartes. Je ne veux pas parler du niveau du gros, puisque c'est déjà à un niveau supérieur de la chaîne. Je veux commencer au bas de la chaîne, là où le produit entre au Canada. Si nous appliquons une redevance de 37c. et que nous supposons, pour les fins de notre discussion, une marge de 20 p. 100 sur 80c., il s'agit en réalité de 60c. environ plus 37c. C'est bien cela?

M. Clarry: Oui.

M. Abbott: Ainsi, si nous prenons comme point de départ les 60c. et que nous y ajoutons 37c. pour un total de 97c., nous passons ainsi de 60c. à 1 $.

M. Clarry: Exact.

M. Abbott: Quel serait le prix au détail d'une cassette dans ce cas-là?

M. Clarry: Dans le cas d'une audiocassette ferrique C-60 de type I qui se vend à 82c. au niveau du gros et qui se vend au détail pour aussi peu que 99c. en promotion, ce prix-là pourrait passer à1,59 $. Le consommateur subirait donc une hausse de 50 à 60 p. 100 environ.

.1900

M. Abbott: Si les 37c. sont appliqués au point de départ plutôt qu'au point de vente au détail, il y a une différence considérable, n'est-ce pas?

M. Clarry: Oui, il y a un effet multiplicateur à toutes les étapes du processus. Les grossistes ont aussi leur marge, car nous devons débourser l'argent et nous assurer d'avoir un rendement sur notre investissement. Les détaillants ont leur marge, puis il faut bien sûr ajouter à cela la TPS et la TVP, qui viendraient s'ajouter à la redevance au niveau du détail. Ainsi, en raison de l'effet multiplicateur, la hausse de prix pour le consommateur pourrait se situer entre 50 et 60 p. 100.

M. Abbott: Ainsi, dans un monde imparfait où vous n'obtiendriez rien de ce que vous demandez et où les 37c. seraient appliqués... Supposons qu'il soit décidé d'imposer une redevance de 37c. qui irait dans un fonds pour les artistes. Il importe peu que la redevance s'applique au moment de l'entrée au pays ou au point de vente au détail; le montant serait de 37c. Le point où elle s'appliquerait ferait cependant toute la différence pour ce qui est du prix de détail de la cassette.

M. Clarry: Oui, vous avez parfaitement raison. Plus elle s'applique en amont, moins importante sera l'incidence pour le consommateur. Si donc elle était appliquée au niveau du détail, l'incidence...

M. Peterson: On part du principe que des redevances seront perçues. Nous soutenons que ce ne sera pas le cas parce qu'on trouvera le moyen de les contourner. Par conséquent, il n'y aura pas d'argent à remettre aux artistes.

M. Abbott: À propos, combien d'employés sont représentés par votre association au total - un total approximatif?

M. Clarry: Nos organisations représentent ensemble quelque 2 500 employés au Canada.

M. Abbott: D'accord.

Je comprends la comparaison avec les cigarettes. Autrement dit, parce que les libéraux n'arrivaient pas à faire respecter la loi à Akwesasne, ils ont dû abaisser le prix des cigarettes à cause de l'écart de prix, ce qui a eu pour effet de tarir le marché gris, la contrebande et tout le reste. Je comprends ce que vous dites au sujet des marchés gris, mais comment avez-vous fait pour en arriver à ce chiffre de 40 p. 100? C'est un chiffre vraiment très élevé.

M. Clarry: Oui, le chiffre est effectivement très élevé. Nous nous fondons pour cela sur deux cas, notamment sur le cas de la redevance que le Québec avait commencé à imposer sur les vidéocassettes dans les années 80. Nous avons effectivement vu un détournement du marché de cet angle-là - les ventes des détaillants légitimes ont baissé considérablement au profit du marché gris de la rue Saint-Laurent. Nous avons vu cela à divers moments récemment quand l'écart de prix entre le Canada et les États-Unis devenait plus important pour diverses raisons. Le marché gris a souvent dépassé la fourchette des 30 à 40 p. 100.

M. Abbott: Je vous remercie.

Le président: Monsieur Bélanger.

M. Bélanger (Ottawa - Vanier): Je veux poursuivre quelque peu l'examen de cette question.

Quels produits autres que les audiocassettes vierges vos agences ou entreprises vendent-elles?

M. Clarry: Notre activité est vraiment très diversifiée. Certains d'entre nous vendent des vidéocassettes, d'autres vendent des disquettes et d'autres encore vendent des produits pour le stockage des données. Certains d'entre nous sont aussi fournisseurs auprès de l'industrie de la musique et de la radiodiffusion.

M. Bélanger: À propos de ce graphique, si vous deviez représenter la situation des autres produits, serait-elle semblable ou différente?

M. Clarry: Pour ce qui est des recettes...

M. Bélanger: Pour ce qui est de la croissance ou...

M. Clarry: Notre industrie n'est pas une industrie en croissance.

M. Bélanger: Non, mais les ventes d'autres produits sont-elles toutes à la baisse? Dans le cas des vidéocassettes par exemple, les ventes ont-elles augmenté depuis cinq ans?

M. Clarry: Non, elles n'ont pas augmenté. Le nombre d'unités est demeuré stable. Les prix ont baissé considérablement.

M. Bélanger: Le nombre d'unités est stable?

M. Clarry: Il est stable dans le cas des vidéocassettes.

M. Bélanger: Et les disquettes?

M. Clarry: Les recettes sont à la baisse et, de manière générale, sans toutefois connaître dans le détail tous mes compétiteurs et leurs produits, je dirais, d'après la connaissance que j'ai de l'industrie dans son ensemble après y avoir passé une dizaine d'années, que très peu d'entre nous ont vu croître leurs recettes. Le nombre d'unités vendues a peut-être augmenté, mais ce n'est certainement pas le cas de nos recettes.

M. Bélanger: Qu'en est-il des disquettes?

M. Peterson: Je dirais que, dans le cas des disquettes, il y a eu une érosion considérable des prix et...

M. Bélanger: Quels sont les chiffres?

M. Clarry: Le marché est à la baisse.

M. Peterson: C'est exact, le marché est à la baisse.

M. Clarry: C'est un marché qui a atteint sa maturité et d'autres technologies viendront supplanter les produits actuels.

M. Bélanger: Il y a donc d'autres technologies qui feront leur apparition?

M. Clarry: Oui, et beaucoup d'entre elles nous échappent.

.1905

M. Bélanger: Je veux revenir à cette proportion estimative de 40 p. 100 à laquelle vous êtes arrivés à partir de l'expérience québécoise. Que s'est-il produit à ce moment-là? Les cassettes qui arrivaient au Québec venaient-elles des autres provinces?

M. Clarry: Elles venaient essentiellement des États-Unis.

M. Bélanger: Donc, pas des autres provinces.

M. Clarry: C'est possible, mais le plus souvent, elles semblaient venir des États-Unis. Encore là, c'est la proximité de Montréal par rapport...

M. Bélanger: Il n'y avait donc pas de tarifs qui étaient imposés à la frontière.

M. Clarry: Il n'y avait pas de tarif.

M. Bélanger: S'il était décidé d'imposer un tarif ou une redevance... dois-je comprendre que, si la redevance était appliquée à la frontière, au niveau des producteurs, 40 p. 100 des cassettes entreraient au Canada de manière clandestine?

M. Clarry: Non, je dis qu'elles seraient importées au Canada, mais que, comme il s'agit le plus souvent de petites entreprises exploitées par une seule personne et qui bien souvent n'ont pas de lieu d'affaires permanent, elles ne pourraient pas être identifiées par une société de gestion et, même si elles pouvaient l'être, elles n'auraient qu'à fermer leurs portes et à les rouvrir le lendemain sous un autre nom.

M. Bélanger: La redevance n'est pas appliquée à la frontière sous forme de tarif; elle est appliquée à l'importateur. Si elle était appliquée à la frontière, cela résoudrait-il le problème?

M. Peterson: Nous ne le croyons pas.

M. Bélanger: Je ne fais que poser des questions.

M. Clarry: L'écart est tel que, selon nous, cela ouvrirait la voie au marché noir.

M. Bélanger: Je dois m'inscrire en faux contre ce que vous dites. Si je suis moi-même un détaillant et que tous les autres détaillants doivent hausser leur prix du même montant en raison de la redevance, qu'elle soit de 37 ou de 25c. ou peu importe - le montant n'a pas encore été établi - , pensez-vous vraiment arriver à nous faire croire que je hausserais mes prix d'un montant supérieur à celui de la redevance?

M. Clarry: C'est fort possible.

M. Bélanger: Si vous étiez en concurrence avec moi, ne vous arrangeriez-vous pas pour ne hausser vos prix que du montant de la redevance afin de vous accaparer une part plus grande du marché, et ne réagirais-je pas en conséquence? Voyons donc, vous ne pouvez pas vous imaginer que nous allons croire cela.

M. Abbott: Vous n'avez jamais été détaillant.

M. Bélanger: Oui, je l'ai été.

M. Clarry: Il s'agit ici d'un produit. Pour le détaillant, la redevance fait augmenter le coût, et l'acheteur du produit - la direction de l'établissement doit chercher à obtenir un rendement sur chaque dollar investi.

M. Bélanger: Si la redevance est de 37c. ou de 25c. ou peu importe, j'en fais porter le coût à mes acheteurs, à mes clients, mais je n'augmenterai pas nécessairement mes prix d'un montant supérieur à celui de la redevance. Voulez-vous laisser entendre que tous les détaillants feraient cela?

M. Clarry: Je ne peux pas parler au nom de tous les détaillants.

M. Bélanger: Croyez-vous que la concurrence sur le marché serait suffisante pour que cela ne se produise pas?

M. Clarry: Voici. Le risque ne vient pas tellement du fait que le détaillant pourrait vouloir réaliser un bénéfice sur la redevance, mais bien plutôt du fait qu'il achèterait à un des grands fournisseurs du marché.

M. Bélanger: Bon, d'accord, mais la concurrence dans l'industrie n'est-elle pas suffisante pour empêcher que le détaillant majore ses prix d'un montant supérieur au montant de la redevance?

M. Clarry: Nous n'avons malheureusement pas de détaillants parmi nos membres, de sorte que nous ne sommes pas vraiment en mesure de nous prononcer là-dessus.

M. Bélanger: Nous intensifierons quelque peu la concurrence.

Merci.

Le président: Nous passons maintenant au tour suivant

[Français]

monsieur Plamondon, si vous avez des questions.

M. Plamondon: Non, ça va.

[Traduction]

Le président: Monsieur Abbott - brièvement.

M. Abbott: Ayant travaillé dans le secteur du détail pendant de nombreuses années, le coût des biens qui sont vendus n'a pas de secret pour moi et, si quelque chose fait augmenter le coût des biens vendus, je prendrai ma marge sur le prix auquel le produit m'est livré. C'est aussi simple que cela.

Je suis un peu perplexe en ce qui concerne les chiffres, car nous en avons entendus beaucoup ici. J'ai demandé de l'information et j'en ai ici devant moi, mais avez-vous présenté au comité des chiffres qui réfutent ces 44 millions de dollars et ces 39 millions de dollars?

M. Clarry: Dans notre mémoire, nous avons fait état des chiffres de l'ITA ainsi que des estimations de ce que représente le marché au total quand on tient compte des membres qui ne font pas de déclaration et des transactions sur le marché gris.

M. Abbott: J'essaie de comprendre exactement dans quelle mesure les ventes de musique préenregistrée seraient en fait déplacées.

M. Clarry: Si nous nous reportons à certaines des autres études, comme celle de l'OTA, il est difficile de mesurer le phénomène de façon précise.

.1910

Nous reconnaissons que des enregistrements sont faits pour utilisation dans un autre lieu. Les gens achètent de la musique et l'enregistrent pour pouvoir l'écouter dans leur voiture, c'est-à-dire pour leur usage personnel. Voilà le genre de choses qui se produit. Dans quelle mesure les ventes de cassettes préenregistrées s'en trouvent-elles déplacées, je ne le sais pas. En tout cas, moi, je n'irai pas acheter deux fois la même oeuvre. Si je me fie à mon instinct, je dirais que le phénomène est assez minime, quoiqu'en disent les études. Il est très difficile de le quantifier et de le définir.

M. Peterson: Selon l'OTA, 84 p. 100 des supports vierges sont utilisés pour copier des oeuvres musicales. Toujours selon l'OTA, les copies faites à domicile ne déplacent les ventes que dans une proportion maximale de 22 p. 100. C'est là l'estimation de l'OTA.

M. Abbott: Si le montant des revenus ou des redevances - peu importe le terme qu'on utilise - qui découlera du projet de loi se situe entre 12 millions et 14 millions de dollars, pensez-vous que vous pourriez vous asseoir...? Vous parliez de méthodes de rechange. Sans aller jusqu'à décrire ces méthodes, avez-vous de bonnes raisons de croire que vous pourriez produire les 12 à 14 millions de dollars dans votre industrie par des méthodes autres que celle qui est proposée selon le projet de loi C-32?

M. Clarry: Je crois que le montant doit faire l'objet de discussion entre toutes les parties. Je crois que nous pourrions élaborer une formule acceptable qui ne nuirait à personne et qui pourrait profiter à l'ensemble de l'industrie.

M. Abbott: Mais il y aurait peu de chance, d'après vous, que vous atteigniez les 12 millions à 14 millions de dollars?

M. Clarry: À nous seuls, certainement pas.

M. Abbott: Très bien.

M. Arseneault (Restigouche - Chaleur): Il y a deux ou trois points que je voudrais préciser pour ne laisser aucun doute.

Les témoins ont mentionné le terme «piraterie», et je veux d'emblée préciser les choses. N'est-il pas illégal, à l'heure actuelle, d'enregistrer sur une cassette vierge de la musique protégée par le droit d'auteur? N'est-ce pas illégal actuellement, au Canada?

M. Clarry: Le transfert à domicile n'est pas de la piraterie.

M. Arseneault: Je ne parlais pas de piraterie, je vous demandais si c'était légal ou non?

Supposons que j'aie un lecteur de cassettes: je vais acheter une cassette dans un magasin, je rentre chez moi, je l'enregistre. Mettons qu'il y ait eu des artistes qui m'ont vu, qui se sont adressés à des agents de police et qui ont porté plainte. Serais-je ou non dans la légalité?

M. Stuart McCormack (avocat canadien, Association canadienne des supports d'enregistrement): Cette question n'a pas été tirée au clair, à savoir s'il est permis à un particulier de copier une cassette pour son usage personnel.

Si vous êtes au courant d'une décision prise par les tribunaux à cet égard, je m'empresserais de l'examiner.

M. Arseneault: D'après vous ce serait donc légal?

M. McCormack: C'est possible.

M. Arseneault: Il faudra donc que nous tirions cela au clair.

M. McCormack: Certainement.

M. Arseneault: Est-ce bien ce que vous dites?

M. McCormack: Oui, c'est bien cela.

M. Arseneault: C'est là une opinion très discutable, et certainement pas celle de la plupart des gens qui ont comparu devant le comité.

M. McCormack: Je suis heureux de vous entendre dire qu'elle est très discutable.

M. Arseneault: Revenons au point suivant, à savoir les 44 millions de bandes, la question soulevée par M. Abbott. Je voudrais vous signaler que c'est un chiffre que la ministre a tiré d'un rapport d'un groupe d'étude, ce n'est pas elle qui a procédé à cette étude statistique, elle a obtenu ce rapport.

Vous évaluiez le montant à 29 millions, mais en vérifiant les ventes et en multipliant par le prix des bandes magnétiques, il semblerait que le chiffre réel soit plus proche de 40 millions que de 29 millions.

Pourriez-vous également, dans votre réponse, me donner l'indication suivante, puisque la ministre nous a donné une idée du nombre de bandes qui seraient utilisées pour copier de la musique? Ces bandes seraient-elles utilisées pour copier de la musique, ou serviraient-elles à d'autres usages? Quel pourcentage est-ce que cela représenterait?

.1915

M. Peterson: Il y a des évaluations en ce qui concerne le pourcentage de copies préenregistrées. L'OTA donne le pourcentage de 84 p. 100, le CROP a une évaluation de 86 p. 100, mais à part ces chiffres qui se trouvent dans les études il n'y a pas d'autres indications.

M. Arseneault: Qu'en est-il de vos ventes?

M. Peterson: Les ventes sont en baisse. Nous envisageons un chiffre approximatif de...

M. Arseneault: Je ne parle pas de baisse, je parle d'unités de vente. Vos chiffres sont de 29 millions, mais vos ventes semblent indiquer qu'ils seraient plutôt de l'ordre de 40 millions.

M. Peterson: En 1994 les recettes ont passé de 40,3 millions de dollars à 36,8 millions de dollars, soit une diminution de 8,7 p. 100; non seulement le nombre d'unités a baissé, mais les recettes, elles aussi, ont baissé.

M. Arseneault: Je ne conteste pas que le nombre d'unités a baissé.

M. Peterson: Les recettes ont également diminué.

M. Arseneault: Vous n'avez donc pas de commentaires à faire sur l'écart entre les chiffres de vente et votre évaluation de 29 millions?

M. Peterson: Nous n'y voyons pas d'écart.

M. Arseneault: Vous n'y voyez pas d'écart. Très bien. Merci.

Le président: Madame Phinney.

Mme Phinney (Hamilton Mountain): J'ai une question quelque peu singulière. Il y a tellement d'entreprises dans le monde, surtout au cours des dix dernières années, qui ont disparu à cause du progrès de la technologie, ce qui est regrettable pour ceux qui en ont fait les frais. La plupart des groupes qui ont comparu devant nous ont parlé de l'essor si rapide de la technologie, bien en avance sur des articles comme les bandes magnétiques, par exemple. Il est question d'innovations comme des mini-compacts, la technologie numérique et autres nouveautés qui se succèdent.

La Commission du droit d'auteur a le droit, à l'heure actuelle, de prendre des décisions concernant ces divers produits. Votre secteur est-il resté à la hauteur de l'évolution technologique, ou entrevoyez-vous de nouveaux horizons? On ne grave plus de disques, parce que personne ne joue plus les disques. Pensez-vous lancer de nouveaux produits? Songez-vous à adopter cette technologie de pointe, afin d'ouvrir de nouveaux débouchés...?

M. Clarry: Les technologies sont en mutation, mais la décision revient, en dernier ressort, au consommateur, et à l'heure actuelle, pour l'enregistrement à domicile, il n'y a pas de moyens économiques d'enregistrer sinon par audiocassette.

Mme Phinney: Aujourd'hui, certes, mais d'ici deux ans il pourrait y avoir un produit tout différent. Y songez-vous?

M. Clarry: Certainement. Au cours des dix dernières années, nous avons vu beaucoup de produits lancés sur le marché; certains ont duré, comme le disque compact, qui a remplacé le disque vinyle, alors que d'autres ont été éphémères. Mes concurrents ont lancé de nouveaux produits, dont certains très innovateurs, mais qui n'ont pas été assez acceptables pour le consommateur pour se tailler une part du marché et évincer les produits actuellement en place. C'est le consommateur qui décide, en dernier ressort, de la forme du produit qu'il adoptera.

Tout ce que nous pouvons faire, dans notre métier, c'est de nous tenir au courant de ce qui se fait et de participer à l'évolution des supports dans toute la mesure de nos moyens, afin que nous puissions évoluer avec le marché, mais nous sommes quand même, d'une façon générale, à la merci du consommateur.

Mme Phinney: Vous dites que vos ventes de bandes magnétiques font plateau ou ont diminué... Vous parlez du consommateur. Avez-vous fait un sondage auprès de ces derniers, en leur demandant ce qu'ils feraient si le prix devait augmenter de 50c. ou de 1 $...? En l'absence d'autres technologies, comme vous le dites, pour remplacer les bandes magnétiques... Vous affirmez que les gens vont tout à coup cesser d'utiliser des bandes magnétiques.

M. Clarry: Non, nous ne disons pas...

Mme Phinney: ... en raison de leurs coûts. Pourquoi les ventes diminueraient-elles si les consommateurs continuent à utiliser les bandes magnétiques, même si elles coûtaient 1 $ de plus?

M. Clarry: La question fondamentale, c'est celle des activités du marché gris, qui créeront une différence entre le prix de vente des membres de l'ACSE et les prix des cassettes en vente sur le marché. Si le consommateur peut entrer dans un magasin et voir un membre de l'ACSE vendre une cassette 1,59 $ alors que la même cassette, sans redevance, se vend 99c., je vous garantis que c'est la deuxième qui se vendra. C'est là la question fondamentale.

Je voudrais citer à cet égard un autre exemple, celui de l'industrie du câble. En proposant, pour un grand nombre de ses nouvelles stations, un contenu canadien, il y a des enquêtes mirobolantes qui montrent que les consommateurs achèteront ce service et en apprécient la valeur, mais quand vient le moment de débourser les 2,45 $ par mois, par exemple, qu'il en coûte, le nombre de preneurs est bien moindre.

Mme Phinney: Je vous remercie, monsieur le président.

.1920

Le président: Avant de clore, je voudrais autoriser deux brèves questions, l'une de M. McTeague et l'autre de M. Peric.

M. McTeague (Ontario): Je vous remercie, monsieur le président.

Vous disiez tout à l'heure qu'il y avait un marché gris d'environ 10 p. 100 dans votre secteur. Est-ce dû aux États-Unis? Dans l'affirmative, compte tenu des différences de devises, pourriez-vous me dire quel est, aux États-unis, le pourcentage ou la différence de coûts des bandes, par rapport au Canada, qui contribue à ces 10 p. 100?

M. Clarry: Un certain nombre de ces marchands profitent des fluctuations des devises, même si celles-ci sont aussi minimes que la différence, un jour, entre le dollar canadien et le dollar US. Nous parlons ici de cents, voire de fractions de cents, mais comme ils n'ont pas de frais généraux, les vendeurs de ce marché peuvent survivre avec de très petites marges bénéficiaires. C'est un genre de commerce essentiellement éphémère, le commerçant n'a donc pas de responsabilité pour la qualité ou la garantie du produit, par exemple.

M. McTeague: Mais si vous dites que c'est une question de devises, ne serait-il pas plus avantageux d'acheter les produits au Canada, compte tenu de la valeur de notre dollar par rapport aux produits américains?

M. Clarry: Dans des circonstances normales on considère que les marchés américain et canadien ont des coûts qui sont approximativement les mêmes.

M. McTeague: Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Monsieur Peric.

M. Peric (Cambridge): Qui était le plus grand consommateur de votre produit l'an dernier?

Le président: Vous parlez de...?

M. Peric: Je m'adresse à monsieur Clarry. Il ne s'agit pas de votre association, simplement de votre société.

M. Clarry: J'aimerais vous répondre, mais je ne suis pas autorisé à rendre cette information publique. J'ai des concurrents ici présents et...

M. Peric: Je veux bien, mais qui était le plus grand consommateur de votre produit?

M. Clarry: Le consommateur canadien. En tant que groupe...

M. Peric: Pourriez-vous nous indiquer un seul consommateur?

M. Clarry: La plupart des grands magasins de musique, les chaînes de produits électroniques...

M. Peric: Lequel, pourriez-vous nous en nommer un?

M. Clarry: Dans la catégorie des grands magasins vous en avez toute une série: Zellers, K Mart, Wal-Mart et la Baie; quant aux chaînes de produits électroniques, vous avez Aventure, Future Shop ainsi qu'un grand nombre de magasins de produits électroniques, certains nationaux, d'autres régionaux. Ce sont là les consommateurs et principales lignes de produits.

M. Peric: Où est le fabricant de votre produit?

M. Clarry: Cela dépend, selon le membre de l'ACSE.

M. Peric: Nommez-en deux.

M. Clarry: Ce pourrait être l'Europe, l'Amérique du Sud, le Japon ou les États-Unis.

M. Peric: Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Clarry. Vous nous avez fait connaître, clairement et ouvertement, votre position, et nous vous remercions d'être venus.

M. Clarry: Je vous remercie.

.1925

Le président: Nous souhaitons maintenant la bienvenue au Conseil européen de l'industrie de la bande magnétique, qui a pour président M. Bill Andriessen et pour avocat canadien M. Randall Hofley. Monsieur Andriessen, vous avez la parole.

M. Bill Andriessen (président, Conseil européen de l'industrie de la bande magnétique): Je vous remercie, monsieur le président et membres du comité, de me donner l'occasion de renseigner le comité sur l'expérience européenne en matière de redevances sur les supports d'enregistrement vierges. Je m'appelle Wilhellmus Andriessen et je suis le président actuel du Conseil européen de l'industrie de la bande magnétique, le CEIBM.

Notre conseil a été constitué en 1984 pour représenter les principaux fabricants et importateurs de supports d'enregistrement vierges en Europe. Depuis, j'ai participé aux discussions soulevées par la proposition, la mise en oeuvre et l'évaluation des redevances sur les supports d'enregistrement, audio et vidéo, et sur l'équipement. Je suis également l'auteur d'une étude récente sur l'impact des redevances imposées dans les divers pays européens, et vous trouverez ce texte à l'annexe A du mémoire que notre conseil dépose auprès de ce comité.

Les pays européens ont abordé de façons très diverses la question de la copie pour usage privé. Certains ont rejeté la demande de redevances, d'autres l'ont adoptée pour y renoncer par la suite. Deux pays l'imposent à des degrés divers et sur diverses catégories de supports et d'équipements d'enregistrement. Ce sont nos sociétés-soeurs, membres de l'ACSE, qui nous ont demandé de fournir à ce comité l'information concernant l'expérience européenne en matière de redevances sur les copies à usage privé.

Nous espérons que vous trouverez cette information intéressante. Notre conseil n'entend pas proposer des politiques, ni au gouvernement canadien ni à ce comité. Mon exposé sera donc bref, afin que le comité puisse me poser des questions qu'il jugera importantes pour l'étude en cours.

Avec votre autorisation, je voudrais donc d'abord vous donner un bref aperçu de la situation des redevances en Europe; je traiterai ensuite de l'impact de ces redevances sur le commerce interne et transfrontalier en Europe. En troisième lieu, j'examinerai qui, en Europe, profite de l'argent des redevances à percevoir et, en dernier lieu, j'espère vous donner une brève description de l'étude à laquelle procède la Commission européenne sur la situation des redevances.

Je vais commencer par la question des redevances en Europe. Au début des années 80, l'industrie musicale européenne stagnait. C'est pourquoi elle s'est lancée dans une campagne vigoureuse pour l'imposition de redevances sur les supports d'enregistrement audio et vidéo vierges. Cette campagne a été menée par la Fédération internationale des producteurs de phonogrammes et vidéogrammes et les grandes sociétés de gestion collective des droits d'auteur d'Europe. L'Allemagne a été le premier pays à imposer une redevance sur les appareils d'enregistrement en 1967, après quoi des redevances ont été proposées et acceptées ou rejetées au début des années 80. Aujourd'hui, l'Autriche, la Belgique, le Danemark, la France, l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas, la Suisse et l'Espagne imposent une redevance quelconque pour la copie à usage privé.

La Grèce et le Portugal veulent imposer une redevance de ce genre; la Suède a essayé d'imposer une taxe culturelle mais elle a fait marche arrière à cause de l'effet qu'elle appréhendait sur le marché suédois. L'Irlande, le Luxembourg et le Royaume-Uni ont résisté aux pressions de l'industrie musicale qui réclamait des redevances. Les redevances varient considérablement d'un pays à l'autre. De manière générale, là où l'on a imposé des redevances, elles sont imposées sur les supports d'enregistrement audio et vidéo.

L'industrie musicale de l'Europe et les sociétés de gestion collective des droits d'auteur ont donc réussi dans une certaine mesure à convaincre les gouvernements qu'elles méritaient indemnisation pour les pertes attribuables aux enregistrements privés.

.1930

Elle a réussi également à détourner l'attention du fait qu'elle n'a pas su prouver que la vente de supports d'enregistrement audio vierges nuit aux auteurs, aux interprètes et aux producteurs de musique.

L'industrie musicale européenne, et je crois savoir que c'est la même chose au Canada, est dominée par les grandes entreprises d'édition et d'enregistrement de musique. Elle n'a jamais été aussi prospère qu'à l'ère de la technologie d'enregistrement privé, même si elle dit souffrir de cette technologie. Ses ventes ont augmenté à un rythme record au cours des dix dernières années, sans égard au fait que les pays européens ont imposé des redevances ou non. En effet, l'industrie musicale européenne n'a pas pu présenter la moindre preuve que la redevance encourage la vente de musique préenregistrée, comme elle l'affirme depuis toujours.

Puisqu'il est question de l'effet de la redevance et des sources de vente, quel a été l'effet de la redevance dans les pays qui l'ont imposée? Les marchés de ces pays ont réagi comme on s'y attendait. Il y a eu évitement substantiel, et dans certains cas épidémique, de la redevance, principalement au niveau des détaillants. Les consommateurs ont pu acheter chez eux des produits sur lesquels ils n'ont pas payé de redevance. De même, les consommateurs dans les pays où il existe une redevance achètent ces produits dans les pays où il n'y en a pas ou dans les pays où la redevance est moins élevée.

Les grands fabricants et les importateurs, en conséquence, ont été forcés de maintenir les prix aux niveaux qui existaient avant l'imposition des redevances. En dépit de ces efforts, les ventes des membres du CEIBM ont baissé considérablement. En conséquence, les recettes des redevances ont baissé aussi étant donné que les détaillants qui vendaient des produits exempts de redevance ont pu contourner les régimes de redevance.

La baisse de redevances qui en est résultée a amené les sociétés de gestion collective de droits d'auteur à exiger des redevances de plus en plus élevées. Les redevances plus élevées n'ont fait qu'accroître l'évitement. Comme vous pouvez le voir, il en est résulté un cercle vicieux dont personne ne profite.

En dépit de tous ces efforts, les membres actuels et anciens du CEIBM ont subi des pertes substantielles qui ont pris la forme de ventes réduites, de profits en déclin et de pertes de parts du marché. C'est pourquoi plusieurs entreprises comme EMI Tape, Agfa, JVC, PDM Magnetics et 3M se sont retirées du marché européen. Tout récemment, la BASF a annoncé qu'elle vendrait son intérêt dans les supports d'enregistrement vierges. Les entreprises qui sont restées ont déclaré des pertes importantes dans le secteur des supports d'enregistrement vierges.

Pour ce qui est de la solution d'avenir, la Commission européenne a entrepris une étude approfondie de la question des redevances au milieu des années 80. Elle est en train de préparer une proposition visant l'harmonisation des redevances et l'imposition des redevances au niveau le plus près possible du consommateur. Nous appelons cela le principe de responsabilité du premier acheteur par opposition au principe de responsabilité du grossiste.

La Commission européenne continue d'étudier la gestion de la copie ou les solutions de rechange aux licences en partant du principe que les régimes traditionnels d'indemnisation, comme les redevances, n'offrent pas de solution aux défis que pose la technologie de numérisation à la protection du droit d'auteur. La Commission européenne, de concert avec tous les intervenants, s'emploie à articuler une politique unique sur la copie pour usage privé.

Permettez-moi de résumer. Si je devais résumer les leçons de l'expérience européenne, je dirais ceci.

1. Afin de déterminer si une redevance est nécessaire et, le cas échéant, son montant, les législateurs doivent entreprendre une étude détaillée des torts que l'industrie de la musique dit avoir subis en conséquence des enregistrements privés de matériel protégé par le droit d'auteur.

2. Les législateurs doivent aussi entreprendre une analyse détaillée des effets de la redevance par rapport aux divers montants qui seront perçus et par rapport à l'industrie afin de s'assurer que le régime de redevance n'est pas contourné dès le début, ce qui cause des pertes sociales nettes.

3. Il faut établir des mécanismes qui préviendront les distorsions commerciales qui se produiront si les pays ont des systèmes de redevance différents.

.1935

Il y a une autre leçon encore plus importante à tirer de l'expérience européenne. Ni les législateurs ni les corps administratifs n'ont pu établir et faire respecter des régimes de redevance justes. L'expérience européenne en témoigne, chaque pays a une vision différente de ce qui est juste ou équitable. Il en est résulté un chaos au niveau de l'application, la destruction de l'industrie et un échec au niveau des objectifs que la redevance se proposait d'atteindre.

Je serai heureux de répondre à toutes les questions que vous aurez sur ce sujet ou d'autres sujets concernant l'expérience européenne.

Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Andriessen. Je vous remercie d'être venu d'Europe pour nous faire part de votre expérience, qui nous intéresse tous grandement.

[Français]

Monsieur Plamondon.

M. Plamondon: J'ai trois petites questions. Dans votre mémoire, vous dites estimer que le principe de base des redevances appliquées sur les supports audio vierges est erroné. Vous invoquez trois raisons pour cela. Premièrement, vous dites qu'un régime de redevances est injuste en principe. J'aimerais que vous m'expliquiez cela. Deuxièmement, vous dites que le prélèvement pour la distribution entraîne un prélèvement de redevances. J'ai de la difficulté à comprendre votre argumentation. Troisièmement, vous dites que les régimes de redevances n'atteignent pas adéquatement leurs objectifs. Quels étaient les objectifs du régime de redevances en Europe et lesquels de ses objectifs n'ont pas été atteints?

[Traduction]

M. Andriessen: Comme je l'ai déjà dit, vous pouvez voir d'après les divers montants dans les divers pays d'Europe qu'il était extrêmement difficile de trouver un mode ou une formule de calcul pour fixer les montants des redevances. La raison en est qu'il n'y a pas de liens évidents entre ce que les gens utilisent pour faire des enregistrements privés, ou des copies à usage privé si vous préférez, et la valeur de l'oeuvre.

C'est l'un des éléments. Il se pose aussi la question de savoir si les gens utilisent du matériel protégé par le droit d'auteur qu'ils ont déjà acheté. Autrement dit, est-ce qu'ils copient les disques compacts qu'ils ont achetés parce qu'ils veulent établir leur propre compilation? S'agit-il d'une situation où chaque consommateur comprendra qu'il a le droit d'utiliser son matériel aussi souvent qu'il le veut? Ou se sert-il seulement de son propre support pour effectuer un changement de support, ce qui est le cas parce qu'un disque compact est une excellente source de copie mais la cassette est un support portable idéal. Il se peut qu'il utilise sa musique de cette façon.

Il y a donc plusieurs questions auxquelles on ne trouve jamais réponse et c'est ce qui fait de la redevance, par sa nature même, une sorte de mesure de justice arbitraire qu'on ne peut jamais définir clairement. C'est une indemnisation, mais une indemnisation qui soulève des questions nombreuses et épineuses.

Il se pose aussi automatiquement cette question de justice arbitraire parce que cela fait partie intégrante de la redevance. Par exemple, on parle beaucoup de redevance, mais une redevance à proprement parler est toujours liée à la valeur d'une oeuvre, laquelle est clairement définie et connue.

Encore là, dans le cas des cassettes, ou dans le cas des enregistrements privés, on s'en sert pour des oeuvres qui ne sont pas toujours protégées par le droit d'auteur. Il faut y penser aussi parce que ces oeuvres échappent à la période de protection d'une année. C'est donc très confus. Ou l'oeuvre peut-elle être diffusée gratuitement à la radio? Il pourrait s'agir, disons, d'un enregistrement que des musiciens diffuseraient gratuitement ou presque pour le consommateur. Donc tout cela est très vague et très confus.

.1940

La troisième question, c'est-à-dire les objectifs, est plus ou moins liée aux deux premières questions. Si l'objectif est d'instaurer une indemnisation pour utilisation abusive d'un bien protégé par le droit d'auteur, et s'il n'est pas possible d'évaluer clairement ou de calculer le rapport, on passe à côté du principe, ou du moins on aboutit à un système très vague faute d'une définition claire.

M. Abbott: Si on prenait au hasard trois pays d'Europe qui ont approximativement la même proportion PIB/population, par exemple l'Irlande, le Luxembourg et la Grande-Bretagne, et si on comparaît les achats par habitant de cassettes vierges, est-ce qu'on constaterait que dans ces trois pays où on ne perçoit pas de redevance, les gens achètent plus de cassettes par habitant? Autrement dit, est-ce que ce serait la cause de la présence d'un marché gris?

M. Andriessen: Oui, c'est une des causes dans une large mesure, mais dans l'environnement européen où, comme vous le savez, les marchés sont aujourd'hui ouverts, il y a de nombreuses façons d'éviter de verser cette redevance lorsque le régime est différent d'un État à l'autre. Les termes «importation» et «exportation» n'ont plus cours en Europe où les biens sont censés circuler librement. C'est d'ailleurs un des objectifs de l'Union européenne.

Par exemple, prenez un détaillant allemand qui a une occasion d'exporter vers la Pologne. En réalité, les produits en question ne vont pas en Pologne, mais une déclaration est faite à cet effet. Les agents de douane ont très peu de contrôle sur ce genre d'activités et les produits en question restent en Allemagne et réapparaissent dans les magasins, mais cette fois-ci, les redevances ne sont pas perçues. Voilà pour un élément.

Il y a un autre élément dont j'ai parlé plus tôt; dans notre industrie, nous avons souvent été forcés d'ajuster les prix que nous faisons aux détaillants pour que le prix payé par le consommateur ne soit pas trop différent du prix payé dans d'autres pays d'Europe où les biens sont moins cher. Évidemment, cela encourage les détaillants à exporter pour que la redevance soit versée dans le pays où le prix de détail est le plus faible. Ils peuvent ensuite récupérer l'argent puisqu'ils peuvent prouver qu'il s'agit d'une exportation. Par exemple, ils exportent vers l'Allemagne ou vers des pays comme le Danemark où les droits exigés sont très élevés.

Enfin, il y a un autre moyen très répandu de ne payer les redevances, c'est d'exporter quand il s'agit de pays qui n'exigent pas de redevance.

M. Abbott: Quelles sont les redevances les plus élevées? Il va falloir trouver un dénominateur commun, qu'il s'agisse de livres sterling, de marks, de dollars, etc.

M. Andriessen: Je peux vous répondre en ECUS ou encore...

M. Abbott: Il va falloir convertir en dollars canadiens.

M. Andriessen: Nous avons ces chiffres en dollars canadiens. Les redevances les plus élevées sont perçues par le Danemark et représentent l'équivalent de 58c. canadiens, d'après cette conversion.

Une voix: Pour une cassette de 60 minutes.

M. Abbott: Et quelle est la redevance la plus faible, approximativement?

M. Andriessen: La plus faible est celle de la Belgique, qui n'est d'ailleurs pas sur cette liste, et représente 10c. en marks allemands, c'est-à-dire 8c. ou 9c.

M. Abbott: Cela va donc de 8c. ou 9c. à 58c.

M. Andriessen: Oui.

M. Abbott: À quel moment la redevance est-elle perçue? Est-elle perçue lorsque les cassettes sont importées dans le pays? Je parle d'un produit qui parvient au détaillant directement, et non pas du marché gris.

M. Andriessen: En principe, la redevance doit être versée au moment de l'importation.

M. Abbott: Mais dans les faits? Est-ce que la redevance est versée de cette façon-là dans les différents pays?

M. Andriessen: L'Europe a actuellement le système qu'on envisage d'adopter au Canada, c'est-à-dire que les importateurs des grosses compagnies de cassettes, les importateurs de ces compagnies-là, sont responsables du paiement, tout autant que les fabricants. Par exemple, prenez BASF qui fabrique des cassettes en Allemagne, cette compagnie paie l'organisme chargé de la perception pour les produits vendus en Allemagne, mais les importateurs de TDK, de Sony ou d'une autre marque doivent payer également.

.1945

En principe, tous les autres importateurs devraient payer également, mais puisqu'on a pratiquement éliminé la notion d'importation en Europe, il est très facile de faire circuler les produits au niveau du détail, et on ne parle plus d'importation.

M. Abbott: Peut-être pourriez-vous arbitrer notre différend à M. Bélanger et à moi, il s'agit de cette question de répercuter le coût supérieur que représente la redevance ou de répercuter la redevance. Est-ce que cela se fait? Autrement dit, supposons que la cassette coûte 1 $ une fois arrivée dans le pays et qu'il y ait une redevance de 50c., cela devient donc une cassette de 1,50 $. Est-ce que c'est le point de départ? Est-ce que la surcharge s'applique à 1,50 $ ou à 1 $? Dans ce cas-là, en quelque sorte, les 50c. restent en marge. Vous comprenez ma question?

M. Andriessen: Vous parlez de la marge que le détaillant...?

M. Abbott: Est-ce que la marge s'applique à 1,50 $ ou à 1 $?

M. Andriessen: Si le détaillant est impliqué dans l'évitement de la redevance, il va trouver un compromis pour qu'on ne puisse pas l'identifier clairement, mais en même temps, pour ne pas s'écarter trop de la transaction. Si au niveau du consommateur la différence correspond seulement à la redevance plus la marge du détaillant, celui-ci devient facile à identifier, et c'est justement ce qu'il ne veut pas. Le plus souvent, il y a donc un compromis qui le rend difficile à identifier.

M. Abbott: Il le fait à cause de l'existence d'un marché gris.

M. Andriessen: Exactement.

M. Abbott: C'est là la question.

M. Andriessen: C'est la question, bien sûr.

M. Abbott: La concurrence, c'est le marché gris. C'est une observation importante.

Le président: C'est votre dernière question.

M. Abbott: D'accord.

Dans votre mémoire, vous dites: «tout indique que les redevances ont en majeure partie été remises aux grandes sociétés spécialisées dans l'édition et dans l'enregistrement». Pouvez-vous développer? Nous voulons favoriser une meilleure dissémination, et vous nous dites que les fonds ainsi constitués ont simplement abouti dans les grandes maisons d'édition et d'enregistrement.

M. Andriessen: Le plus souvent, ces maisons-là sont propriétaires du droit d'auteur, et par conséquent, bien que l'artiste soit l'élément créateur, il vend son produit dans des termes de quasi-exclusivité, et cela comprend le droit d'auteur. Pour cette raison, le titulaire du droit d'auteur finit par toucher le produit de ces droits.

La façon dont ces droits sont répartis entre les différents intéressés n'est pas très claire dans tous les pays d'Europe. Dans certains pays, les auteurs ou compositeurs touchent 50 p. 100, les artistes de la scène 25 p. 100, et les musiciens 25 p. 100. Mais beaucoup d'artistes de la scène et d'auteurs vendent la totalité de leurs droits aux maisons d'enregistrement, et là encore, ce sont elles qui touchent le produit de ces droits même si, en théorie, ce sont les artistes.

Le président: Monsieur Arseneault.

M. Arseneault: Dans votre mémoire, vous passez en revue plusieurs pays et vous dites que dans certains d'entre eux, la redevance pose des problèmes. D'après ce que vous dites, j'ai l'impression que le problème ne tient pas forcément à l'existence d'une redevance, mais plutôt à la nécessité de trouver un mécanisme pour s'assurer que cette redevance est perçue adéquatement. Est-ce que cela résume bien votre mémoire?

M. Andriessen: Oui, mais en principe nous continuons à penser que ces redevances sont aujourd'hui dépassées et que bientôt elles seront remplacées par des moyens techniques de rémunération. Toutefois, comme ces redevances sont perçues dans tellement de pays d'Europe, nous avons décidé de nous en accommoder pour l'instant et d'essayer d'en tirer le meilleur parti possible. C'est la raison pour laquelle nous coopérons activement avec l'Union européenne. Nous sommes très conscients du fait que le système actuel, et surtout le mécanisme qui rend les fabricants et les importateurs responsables du paiement, provoque forcément des évitements et nous affecte considérablement.

.1950

Nous considérons qu'il faut améliorer le système de contrôle, et puisque les organismes de perception ne disposent pas des outils et des moyens - ce ne sont pas des organisations policières - qui leur permettraient d'effectuer un contrôle véritable, la seule façon d'améliorer les choses est de situer le versement de la redevance au niveau du détail, c'est-à-dire le plus près possible du consommateur, et non pas comme jusqu'à présent, le plus loin possible. Cela a d'ailleurs été reconnu par la Commission européenne. Quoi qu'il en soit, c'est là notre problème.

Notre situation est la suivante... Nous avons entendu dire qu'au Canada ce sont des détaillants géants qui monopolisent pratiquement le commerce des bandes magnétiques, et dans la plupart des pays européens, ils sont encore moins nombreux que les gens qui importent des bandes. Si je dis cela, c'est pour expliquer que cela ne rend pas les choses plus complexes que la situation actuelle, une situation où les importateurs et les fabricants sont responsables du paiement.

Si on plaçait cette responsabilité au niveau du détail, on assisterait à deux phénomènes; premièrement, les détaillants s'imposeraient eux-mêmes un contrôle et, d'autre part, ils se surveilleraient mutuellement parce qu'ils sont des concurrents. Si l'un d'entre eux constate une différence de prix due à l'évitement de la redevance, il vient nous voir pour nous dire qu'il doit baisser ses prix parce que son voisin pratique de meilleurs prix, etc. Lorsque la responsabilité du paiement passe au niveau du détail, ces mêmes détaillants peuvent se surveiller mutuellement.

M. Arseneault: Cela semble fonctionner très bien, par exemple en France et en Allemagne.

M. Andriessen: Cela marche en France, mais pas en Allemagne. La situation en France est très différente de ce qu'elle est dans tous les autres pays européens et dans tous les autres pays du monde, différente aussi de votre projet de loi.

En France, ce sont les autorités fiscales qui exercent le contrôle. Évidemment, c'est une grosse différence. Il y a également un contrôle au niveau du détail, et là encore, c'est une grosse différence. Cela est possible en France et non en Allemagne, entre autres, pour des raisons légales.

En fait, en Allemagne, où la redevance n'est pas aussi élevée que dans d'autres pays, le problème de l'évitement n'est pas aussi grave. Toutefois, c'est tout de même un problème. Comme mon collègue canadien l'a dit tout à l'heure, dans le marché des bandes magnétiques, il y a déjà des différences minimes qui provoquent des distorsions. Dans nos discussions avec les détaillants, nous parlons de fractions de cent. Voilà le genre de concurrence auquel nous nous heurtons. Pour cette raison, c'est seulement au niveau du détail qu'on peut exercer un contrôle efficace.

Certains pays européens ont adopté une première mesure et introduit une notion de responsabilité des détaillants en ce qui concerne les informations sur le paiement ou le non-paiement de la redevance. La responsabilité en ce qui concerne l'information est déjà un progrès si considérable, que la responsabilité en ce qui concerne le paiement ne devrait pas être très difficile à mettre en place.

M. Arseneault: On semble avoir beaucoup de problèmes en Suède, et vous semblez dire que vous allez attendre l'harmonisation. Que signifie cette harmonisation pour tous les pays de l'Union européenne? Est-ce qu'une redevance va s'appliquer dans l'ensemble de l'Union européenne? Est-ce que tous les pays qui n'ont pas actuellement de redevance vont en imposer une? S'agira-t-il de la même redevance partout?

Vous avez parlé aussi de moyens techniques de rémunération. Pouvez-vous nous expliquer un peu le rapport?

M. Andriessen: Effectivement, nous espérons que les tarifs seront harmonisés. Cela nous semble très important pour assurer l'avenir de ce secteur. Je vous le dis très simplement.

Toutefois, il est possible que cela s'avère trop difficile à cause des différences qui existent entre les États membres. Vous vous souviendrez qu'à l'époque de Maastricht, et après Maastricht, on a une fois de plus élargi le principe subsidiaire, ce qui signifie que ce qui peut être fait au niveau national sera fait de préférence au niveau national.

À la commission, dans l'Union européenne, il y a beaucoup de gens qui sont sceptiques et qui doutent de la possibilité d'une telle harmonisation. Toutefois, et justement parce que cette harmonisation des taux de redevance n'est pas une affaire certaine, ces mêmes gens sont en faveur d'une harmonisation du mécanisme. Comme je l'ai dit, c'est une notion qui est si bien accueillie au niveau de la commission, qu'il devient absolument nécessaire de situer la responsabilité du paiement au niveau du détail. Si on pense cela, c'est que l'Union européenne a décidé, entre autres choses, que le commerce devait devenir aussi facile que possible, et que les biens devaient circuler à n'importe quel niveau, et en particulier au niveau du détail. C'est ce que souhaite la commission, et c'est une des intentions de l'Union européenne.

.1955

M. Arseneault: Mais la première priorité est d'établir une redevance.

M. Andriessen: Pour nous, c'est certainement l'une des premières priorités, mais compte tenu de la situation qui prévaut en Europe, il se pourrait bien que l'on n'en arrive pas à un taux harmonisé, mais l'on adoptera probablement un mécanisme commun de perception, qui sera effectivement le principe du premier acheteur, au point où en sont les choses.

En ce qui concerne les moyens techniques de paiement, comme nous l'avons déjà entendu de la part des représentants de l'industrie du disque au Canada, la technologie numérique offrira la possibilité de combiner l'accès aux programmes et les modes de paiement. Autrement dit, un consommateur ne peut avoir accès à une émission qui est diffusée par des moyens électroniques que s'il paie la valeur commerciale de l'émission de l'une ou l'autre chaîne.

Si le téléchargement est demandé - et ce sera très probablement le moyen d'acheter de la musique et d'autres logiciels à l'avenir - on en tient compte dans le prix. Bien entendu, dans ce cas, les paiements arbitraires et des choses de ce genre deviennent dépassés et absolument inutiles.

M. Arseneault: Merci.

Le président: Avant de terminer, monsieur Andriessen, j'aimerais vous poser une question brève. Dans votre mémoire, vous avez énuméré 15 pays; dix d'entre eux imposent des redevances et cinq ne le font pas ou ont cessé de le faire. D'après la nouvelle étude de la commission, pourriez-vous me dire si les pays qui ont imposé des redevances par voies législatives - à savoir la France, l'Autriche, l'Allemagne et ainsi de suite - ont l'intention de conserver leur loi, du moins à votre connaissance?

Deuxièmement, est-ce que les autres pays - c'est-à-dire les cinq qui ont retiré leur loi ou qui n'en ont pas actuellement - coopèrent avec l'union? Qu'est-ce que ces pays pensent de la proposition? Pensez-vous qu'ils vont légiférer? Quelle est la position de ces cinq pays?

M. Andriessen: En ce qui concerne votre première question à propos des pays qui imposent des redevances, je ne pense pas qu'ils considèrent les redevances comme un moyen infini de régler le problème. Autrement dit, si l'on trouve d'autres solutions dans un avenir plus ou moins éloigné, des moyens techniques de paiement par exemple, ils pourraient bien abandonner le système de redevances.

En plus de cette question, il y a aussi la volonté de faire des compromis en ce qui concerne l'adoption d'un taux harmonisé.

Quant aux pays qui n'imposent pas de redevances, même si, actuellement, du point de vue politique, ils ne semblent pas disposer à en imposer, nous pensons qu'il pourrait y avoir un compromis sur la question. Par exemple, si les taux de redevances harmonisées étaient raisonnables - Dieu seul sait ce que cela signifie - équitables, etc., ce serait un compromis entre leur position, qui consiste à ne pas percevoir de redevances, et la position extrême, qui consiste à percevoir les redevances les plus élevées.

J'attirerais votre attention au fait très intéressant qu'en Europe c'est surtout les très petits pays ayant une faible population qui exigent les redevances les plus élevées. C'est un phénomène très remarquable.

M. Bélanger: Dans l'annexe de votre mémoire, j'ai constaté que tous les pays qui perçoivent des redevances sur les cassettes audio en perçoivent aussi sur les cassettes vidéo.

M. Andriessen: C'est exact.

M. Bélanger: Dans la plupart des cas, sauf en ce qui concerne la Belgique, les redevances sur les vidéocassettes sont beaucoup plus élevées.

M. Andriessen: En effet.

M. Bélanger: J'aimerais que vous nous en disiez plus. Y a-t-il des pays qui imposent des redevances sur d'autres supports, notamment les disquettes, à votre connaissance?

M. Andriessen: Pour répondre à votre dernière question, je dirai non. Actuellement, aucun pays ne perçoit de redevances sur les disquettes. Cela va peut-être changer quand le CD-Rom va devenir un produit important. C'est fort possible.

.2000

La logique joue beaucoup contre la vidéo, car en réalité, le principal objet de l'enregistrement vidéo à domicile est l'enregistrement éphémère. Cela signifie que, en ce qui concerne le consommateur, l'objectif est de regarder et d'apprécier l'émission, qu'il s'agisse d'une copie ou non, d'une manière générale, et on estime que l'enregistrement éphémère n'est pas une utilisation préjudiciable ou difficile du logiciel dans le cas de la vidéo. Cela est apprécié.

Je pense qu'au départ, on s'est fondé sur le principe que la vidéo comprenait l'audio, et l'on savait déjà que l'enregistrement audio faisait partie de l'enregistrement vidéo.

Je ne veux pas citer de noms, mais certains pays ont trouvé là une excellente occasion de subventionner leur industrie cinématographique au moyen de ces redevances. C'est ainsi que les choses ont évolué très rapidement et que la vidéo est finalement devenue l'intégration de la composition de l'image et du son.

Le président: Monsieur Andriessen, je tiens à vous remercier d'être venu d'Europe pour nous faire profiter de vos connaissances manifestement vastes du sujet. Cela nous aide vraiment à nous connaître nous-mêmes. Nous vous en sommes très reconnaissants. Je vous souhaite un excellent voyage de retour.

M. Andriessen: Je vous remercie beaucoup de votre hospitalité. La prochaine fois, ne forcez pas la note de l'hospitalité en ayant au Canada une Hollande de type western.

Des voix: Oh, oh!

Le président: Nous accueillons maintenant les représentants de la Canadian Booksellers Association. Il s'agit de Mme Jane Cooney, présidente, M. Ron Johnson, premier vice-président, et M. John J. Finlay, directeur exécutif. Madame Cooney, vous avez la parole.

Mme Jane Cooney (présidente, Canadian Booksellers Association): Merci beaucoup. Bonsoir, mesdames et messieurs.

.2005

Comme vous venez de l'entendre, je suis présidente de la Canadian Booksellers Association. Je dirige aussi une entreprise de Toronto appelée Books for Business. Ron Johnson, qui est vice-président de l'association, est aussi directeur de la Librairie de l'Université de Toronto, et John Finlay, notre directeur exécutif, en plus de nous donner tout l'appui dont nous avons besoin pour des événements comme celui-ci, se charge d'aider les libraires canadiens à mieux faire leur travail. Ils sont beaucoup plus intelligents que moi dans bien des domaines, par conséquent, ils sont ici pour m'aider à répondre à vos questions tout à l'heure.

Nous vous remercions beaucoup de nous donner la parole. Nous savons que le projet de loi C-32 est très compliqué et manifestement ennuyeux; nous vous sommes donc doublement reconnaissants de vous y intéresser.

Nous saluons votre volonté d'élaborer un projet de loi équilibré qui protège les droits des créateurs et traite équitablement les gens qui utilisent leurs oeuvres.

Nous savons que vous travaillez par thème, et je présume que nous sommes les premiers dans votre étude de l'un des thèmes. Je ne sais pas comment vous l'appelez, mais il doit se rapporter aux livres. Nous espérons que vous allez changer de vitesse ce soir, car je sais que pendant le reste de la journée, vous avez entendu parler de choses très différentes.

Vous allez entendre des propositions énergiques de la part de nos collègues qui écrivent des livres et qui les publient, mais c'est nous qui les vendons. Je vais donc prendre quelques minutes pour définir le cadre du débat et vous laisser le temps de poser des questions sur notre mémoire, que vous avez tous reçu.

La Canadian Booksellers Association est une association professionnelle nationale comptant environ 1 250 librairies indépendantes et universitaires dans toutes les provinces et les territoires du Canada. Une librairie indépendante peut être une librairie générale qui vend un peu de tout, une librairie spécialisée comme la mienne, ou toute autre librairie que vous avez probablement visitée, notamment les librairies vendant des livres pour enfants, des livres de voyage, des livres de recettes, des livres sur le Canada ou de la littérature, etc.

Nos librairies de campus existent dans les universités et les collèges un peu partout au pays, et elles visent surtout à appuyer les programmes enseignés dans ces établissements. Elles peuvent être très petites - par exemple, les librairies de campus dans les collèges communautaires ou les cégeps - ou plus grandes dans des établissements plus importants comme l'Université Laval, l'Université de la Colombie-Britannique, ou l'Université de Toronto que représente Ron.

Cependant, la majorité de nos membres sont essentiellement les petits libraires, qui exploitent des entreprises familiales, c'est-à-dire les dépanneurs de la vente de livres si vous voulez, qui sont là si vous avez besoin d'eux. Nous offrons aux Canadiens de tous les âges et de toutes les régions un accès à une vaste gamme de documents à lire à des fins éducatives, de croissance personnelle, commerciales, culturelles et récréatives. Nous sommes pour la plupart des PME, que le gouvernement s'est engagé à aider.

À l'instar du gouvernement, et en tant que libraires, nous tenons également beaucoup à appuyer le travail des auteurs canadiens. Nous avons la réputation de stocker leurs oeuvres, d'encourager leur achat à travers des campagnes de marketing assez innovatrices, et d'agir d'une manière générale comme des équipes-écoles en les présentant à la population canadienne avant qu'elles ne soient très bien connues. Ce n'est que plus tard que les grosses compagnies s'y intéressent.

Nous sommes un peu différents des autres organisations du secteur du livre dans la mesure où nous nous efforçons de connaître très bien nos clients, de les servir et de leur fournir les livres dont ils ont besoin lorsqu'ils en ont besoin. La chose la plus importante que nous faisons est peut-être de vous livrer des commandes spéciales à Noël, pour les anniversaires et à toutes les occasions spéciales de votre vie lorsque vous estimez qu'un livre est le cadeau idéal.

En somme, nous faisons partie intégrante de l'industrie canadienne du livre, et vous constaterez que la plupart des livres dans ce pays sont vendus dans nos librairies. Si les librairies indépendantes, collégiales et universitaires n'existaient pas, toute l'industrie canadienne du livre serait gravement menacée.

Je voudrais prendre quelques minutes pour vous donner une idée des conditions dans lesquelles nous travaillons actuellement. Pour résumer, je dirai que ces conditions évoluent constamment.

.2010

En 1995, le gouvernement a approuvé la fusion des deux plus grandes chaînes de librairies au Canada, ce qui a entraîné la création d'un concurrent géant pour les librairies indépendantes et de campus. Même si les pratiques commerciales de ce géant seront surveillées par la direction des fusions pendant un certain temps, cette chaîne pourrait influer considérablement sur les choses qui sont publiées au Canada et, en raison de sa domination sur le marché, elle peut influer sur les priorités d'expédition des éditeurs.

Vous avez probablement lu récemment dans les journaux qu'un géant américain de la vente au détail de livres a acheté 20 p. 100 des actions de la compagnie, et cette injection de capitaux a certainement aidé notre principal concurrent à connaître une croissance assez rapide.

Nous assistons également à une concurrence féroce à cause de la prolifération des super librairies, comme on les appelle dans notre secteur; en raison de leur taille, ces géants peuvent aussi négocier d'excellents prix avec les fournisseurs, et leur stratégie semble consister à éliminer les librairies indépendantes, qui sont plus petites, en offrant des rabais.

Il y a aussi eu un certain nombre de changements sur le marché universitaire. La technologie a assurément modifié le fonctionnement des universités. Les effectifs des cours ne sont connus qu'à la toute dernière minute. Par conséquent, on ne connaît les effectifs des classes qu'à la dernière minute et l'on doit également commander les livres à la dernière minute pour que les étudiants les obtiennent pour le semestre. Vous pouvez comprendre qu'un retard d'une semaine dans l'obtention d'un livre puisse avoir des répercussions profondes sur un étudiant qui doit réussir un cours avant Noël.

Après avoir parlé de ce genre de concurrence - de la part des grandes chaînes et des super librairies - , nous devons vous informer que notre deuxième plus grand concurrent est l'industrie canadienne de l'édition elle-même. Nos propres fournisseurs, qui veulent que le projet de loi C-32 les protège et ferme le marché à leur avantage, vendent directement leurs produits aux consommateurs par le biais de campagnes très actives de promotion et de publicité directe, des clubs de lecture, du réseau Internet et de lignes téléphoniques sans frais. Les ventes directes des éditeurs au public représentent près de 25 p. 100 de toutes les ventes de livres au Canada.

Notre seule arme dans cet environnement en évolution consiste à demeurer proche de nos clients, nous assurer que nous disposons de ce dont ils ont besoin, et quand nous n'en avons pas, nous empresser de les leur fournir.

Nous faisons face aux réalités du marché. Nous savons que le marché évolue. Nous travaillons très fort pour répondre aux défis, mais nous ne demandons pas que la loi nous protège contre nos concurrents.

J'aimerais maintenant dire quelques mots sur les dispositions du projet de loi C-32 qui touchent le plus les librairies indépendantes et universitaires. Il s'agit des articles 27 et 45, qui portent les importations parallèles et les exceptions.

Les dispositions sur les importations parallèles, d'après ce que nous comprenons de l'intention du législateur dans le projet de loi C-32, visent à protéger le distributeur de livres étrangers au Canada. Cependant, ces dispositions font de nous des criminels simplement parce que nous essayons d'offrir d'excellents services à nos clients.

À notre avis, cela n'a rien à voir avec la culture canadienne. Il s'agit simplement de questions de distribution et de service. En fait, il se pourrait bien que si ce projet de loi est adopté ou si cette disposition du projet de loi est adoptée dans son libellé actuel, le gouvernement n'atteigne pas du tout les objectifs visés. Nous sommes très déçus que le gouvernement ait adopté comme politique l'enchâssement de ce qui est à notre avis une question de contrat et de service de distribution dans une loi sur le droit d'auteur. Les membres de notre association ne peuvent pas appuyer cette disposition.

Le projet de loi assure une protection extraordinaire à un secteur de l'industrie du livre qui, comme je viens de le signaler, est déjà avantagé parce qu'il fonctionne dans un système de marché ouvert où il peut vendre directement au public.

.2015

Je vais vous donner un exemple que vous comprendrez probablement tous, ce qui me permettra d'illustrer le problème qui existe au niveau des dispositions du projet de loi C-32 sur les importations parallèles.

Supposons que vous vous rendez dans une librairie pour acheter un cadeau à l'occasion de l'anniversaire de votre belle-mère; vous savez qu'elle veut un livre en particulier et qu'elle ne sera pas heureuse si elle ne l'a pas. Malheureusement, nous ne l'avons pas au magasin. Nous communiquerons avec le distributeur. Supposons qu'il s'agit d'un livre publié à l'étranger, parce que s'il s'agit d'un livre canadien le problème ne se pose pas. S'il s'agit d'un livre publié à l'étranger, nous communiquerons avec l'agence locale. Si cette dernière n'a pas le livre en stock, et c'est probablement ce qui se produira parce que la majorité des agents régionaux sont des filiales canadiennes de multinationales américaines qui n'entreposent pas leurs livres au Canada. Vous devrez probablement attendre quatre à huit semaines pour obtenir ce livre de cette source. Cependant, puisque l'anniversaire de votre belle-mère est dans trois semaines et que vous avez besoin du livre beaucoup plus tôt, nous communiquerons avec un grossiste américain qui pourra nous livrer ce livre dans les 48 heures ou peut-être 72 heures.

C'est là selon nous le genre de service que nous voulons offrir à nos clients, car ce sont là les services que désire le client canadien.

De la même façon, en ce qui a trait à l'article 45 du projet de loi, il nous faut étudier de très près les exceptions limitées prévues dans cette disposition. Nous les appuyons parce que nous croyons que cela permettra au consommateur canadien d'avoir le livre qu'il désire.

Cependant, ce qui nous inquiète c'est que les seules personnes au monde qui ne semblent pas pouvoir commander un livre des États-Unis d'après cette disposition ce sont les libraires, soit ceux qui vendent le plus de livres au Canada.

Ainsi, en ce qui a trait à l'article 45, nous proposons qu'il soit modifié afin d'autoriser toutes les personnes mentionnées aux alinéas 45(1)a) à e) à transférer leurs exceptions à d'autres particuliers ou sociétés canadiens. Cette modification permettrait aux libraires, au nom de ceux qui ont des exceptions, de se procurer ces livres pour eux.

Comme nous l'avons dit, nous n'appuyons pas du tout l'article 27. S'il était adopté, il faudrait alors maintenir le libellé du paragraphe 27.1(5) à l'égard des avis pour que ceux qui vendent des livres au Canada sachent clairement qui détient les droits de distribution exclusifs pour un livre donné.

Un de nos problèmes c'est que ces agences changent sans cesse. Nous ne savons jamais vraiment qui représente quoi, et nous ne voudrions certainement pas qu'un de nos distributeurs intentent des poursuites contre nous parce que nous avons un livre pour lequel il détient un droit exclusif sans que nous le sachions.

Dans son mémoire, la Canadian Library Association a appuyé notre désir de demander des modifications à l'article 45. Des représentants de cette association vous donneront de plus amples détails plus tard.

De plus, l'Association des consommateurs du Canada nous a dit qu'elle appuierait toute proposition qui serait à l'avantage des consommateurs. Nous sommes d'avis que le consommateur serait avantagé si la modification que nous avons proposée était adoptée. Les seuls grands perdants dans toute cette affaire, si l'article 27 dans son libellé actuel est adopté, seront les consommateurs canadiens.

Ceci met fin à notre bref exposé. J'espère que j'ai bien su vous brosser un tableau de la situation. Je sais que tout cela est fort complexe. Je suis maintenant prête à répondre à vos questions.

Le président: Merci beaucoup, madame Cooney.

Monsieur Plamondon.

.2020

[Français]

M. Plamondon: J'avoue que j'avais une idée différente de vous avant que vous nous adressiez la parole concernant ces réseaux de distribution. J'avoue que vous avez ébranlé mes convictions. On regarde l'aspect du service. Je suis un consommateur de livres faisant souvent affaire avec un petit libraire de mon coin et lui demandant des livres particuliers. Il me les procure toujours en 24 ou 48 heures. S'il avait à passer par le réseau de distribution de Toronto, de Vancouver et d'une autre ville canadienne, je me demande s'il ne lui faudrait pas un mois pour me les procurer.

Cependant, ce genre de distribution existe pour le cinéma et cela a eu pour effet d'amener des investissements de 95 à 100 millions de dollars dans le cinéma canadien. Le fait d'avoir des réseaux de distribution a eu un effet bénéfique.

Quelle comparaison pourriez-vous faire? C'est ma seule question. Quelle comparaison pourriez-vous faire par rapport au cinéma? Dites-vous que cela a été bon pour le cinéma, mais que ce serait mauvais au niveau du livre? Pouvez-vous m'éclairer davantage?

[Traduction]

Mme Cooney: Je serais heureuse de vous répondre mais M. Finlay a demandé de le faire.

M. John Finlay (directeur exécutif, Canadian Booksellers Association): Quand vous comparez la situation des livres à celle du cinéma, vous devez quand même vous rappeler le nombre de films canadiens qui sont distribués. En fait, je crois que moins de 5 p. 100 des films que l'on peut visionner en salle de cinéma sont des films canadiens. Je ne crois pas qu'on puisse dire que, parce que l'argent est disponible, vous obtiendrez nécessairement les résultats escomptés, au niveau important, soit celui du consommateur ou, dans l'exemple que vous avez présenté, en salle de cinéma.

Je ne sais pas si cela répond vraiment à la question que vous avez posée, mais je ne crois pas que ce genre de mesure ou de comparaison soit vraiment pertinente.

Le président: Madame Cooney, n'hésitez pas à ajouter quelque chose si vous le désirez.

M. Cooney: Je n'en connais pas très long sur le cinéma. Je ne sais si ce que vous essayez de dire est que si ces distributeurs de livres étrangers font tout, ils pourraient très bien investir plus d'argent dans leur propre programme d'édition de livres canadiens. Est-ce que c'est ce que vous vouliez dire?

[Français]

M. Plamondon: Oui, et aussi aider les auteurs. Si on bâtissait, à l'aide de vos conseils, un bon réseau de distribution bien contrôlé, avec des impositions de délais et de service, ces réseaux ne pourraient-ils pas contribuer au développement du livre canadien et au soutien des auteurs? Cela a eu cet effet au cinéma même si cela ne concernait que 5 p. 100 des films canadiens. Combien cela représenterait-il si on n'avait pas les 98 millions de dollars qu'ils amènent dans le domaine? Ce serait peut-être moins que 5 p. 100.

Je m'interroge et je voudrais que vous m'éclairiez.

Cela aurait-il le même effet dans le domaine du livre? Je m'interroge, et vous pouvez essayer de me convaincre de votre point de vue.

[Traduction]

Mme Cooney: Je ne sais pas vraiment comment répondre à cette question, mais je peux vous dire que nous serions très heureux d'avoir au Canada un réseau de distribution efficace pour les livres. Ce n'est pas le cas actuellement.

La situation aux États-Unis est complètement différente, car les livres y sont vendus principalement par des grossistes plutôt que par les maisons d'édition, ou le représentant d'une maison d'édition. Ici il faut commander le livre d'un agent, c'est-à-dire habituellement une maison d'édition qui vend une série de livres étrangers en plus de publier des ouvrages canadiens.

Ils ne sont pas des distributeurs efficaces, et c'est là le problème. Nous devons nous procurer un livre rapidement. Nous essayons toujours de les obtenir d'eux, mais nous sommes d'avis que nous devrions avoir le droit de nous les procurer où nous pouvons obtenir le meilleur service.

M. Arseneault: Ou où vous pouvez obtenir le meilleur prix.

Mme Cooney: Quelqu'un a mentionné le facteur prix. Le prix n'est pas vraiment important dans cette affaire, parce que lorsque nous importons des livres des États-Unis, cela coûte cher, mais nous le faisons pour offrir un meilleur service.

Le président: Monsieur Abbott.

.2025

M. Abbott: Tout comme mon collègue, j'ai trouvé votre exposé fascinant, mais j'aimerais comparer vos commentaires, que je comprends d'ailleurs, à mon interprétation de la situation au Canada, où tout le monde veut évidemment non seulement que les auteurs canadiens survivent, mais aussi s'épanouissent. J'ai cru comprendre que les maisons d'édition font croître les revenus de ces derniers, si je peux m'exprimer ainsi, en signant ces contrats avec ceux qu'on appellera, pour simplifier les choses, les maisons d'édition américaines.

Vous avez présenté un argument fort convaincant. Cependant, je peux m'imaginer une situation dans laquelle Chapters ou Borders, ou un autre intervenant semblable, contournerait simplement la maison d'édition canadienne qui est payée pour distribuer un livre américain très populaire, peu importe le livre. Le fait qu'elle est payée renforce le secteur de l'édition et cela aide nos auteurs canadiens.

Soudainement, Chapters peut, en l'absence bien sûr de cette mesure législative, communiquer avec Ann Arbor, au Michigan, ou peu importe, et Borders fera exactement la même chose. Ainsi cette source de revenu du secteur de l'édition, qui à son tour aide les auteurs canadiens, disparaîtra.

Il existe donc deux problèmes, n'est-ce pas?

Mme Cooney: C'est exact.

M. Abbott: Comment les régler?

Mme Cooney: Oui, je comprends votre point de vue. Je ne suis pas convaincue que cette mesure législative nous permettra de régler le problème. Rien n'empêche Chapters, qui domine clairement le marché ici, de négocier une entente ou un contrat distinct avec un fournisseur américain. Il suffit de signer un contrat. C'est une question de négociation.

Ainsi, et c'est le cas maintenant et ce sera le cas lorsque le projet de loi aura été adopté, Chapters, qui est une organisation importante, qui a un pouvoir d'achat phénoménal, pourra communiquer directement avec Random House, par exemple, aux États-Unis. Les représentants de Chapters diront qu'ils veulent être exclus du réseau d'agences au Canada parce qu'ils veulent commander leurs livres directement de Random House.

Nous croyons que c'est ce qui va se produire. Rien dans la loi n'empêche qui que ce soit de procéder de cette façon-là. C'est pourquoi nous sommes convaincus que c'est ce qui se produira si cette loi est adoptée dans son libellé actuel.

Actuellement, le système d'agences fonctionne assez bien. Tout cela est fondé sur un régime de confiance. Nous communiquons avec eux d'abord. Nous espérons qu'ils auront le livre, et nous l'achèterons s'ils l'ont. Dans l'ensemble, ce n'est pas tout à fait efficace. Nous croyons que nous devrions avoir le droit de nous adresser à qui nous voulons pour obtenir le livre que nous désirons.

M. Finlay: Je crois que les libraires sont d'avis que si le projet de loi C-32 est adopté dans son libellé actuel, cela accélérera la disparition du système d'agences. Permettez-moi de m'expliquer clairement. Disons que vous avez pour le marché un système que les gens respectent dans une large mesure et que vous adoptez une solution législative qui dit aux gens comment ils doivent procéder désormais. Immédiatement, vous constaterez que les gens essaient de contourner ce que vous voulez leur imposer. Actuellement, il n'y a pas de choix. On ne peut pas procéder de façon différente, mais avec le projet de loi les gens chercheront des façons de contourner le système.

Pensez à la maison d'édition américaine. Rien n'empêche Simon & Schuster, par exemple, de négocier un contrat avec Stoddart Publishing. Ils peuvent faire des négociations qui ne touchent qu'un segment du marché. Puis l'autre segment, qui est Chapters ou un autre groupe, doit être exclu. Cela peut être n'importe quel groupe.

Évidemment, certains pourront dire qu'à ce moment-là, il suffit de légiférer pour empêcher ce genre d'activités. Mais ne tenez compte que des forces du marché: on vous dira à vous, le fournisseur de cette entreprise canadienne, que si vous n'arrivez pas à contourner ce petit problème pour vos clients, ces derniers se procureront leurs livres ailleurs. Je crois qu'à ce moment-là, vous ferez tout ce que vous pouvez pour répondre aux exigences de clients très importants.

Nous croyons que tout cela finira par détruire le système d'agences, et que des gens contourneront les dispositions, qu'il s'agisse de Chapters, de groupes de gros détaillants indépendants, ou n'importe qui d'autres.

.2030

M. Abbott: Je sais que vous faites preuve de beaucoup de bonne volonté. Je dois dire que je trouve toute cette affaire très intéressante. Comme vous l'avez indiqué, ce projet de loi est très compliqué. J'ai à peine commencé à le comprendre. J'avais crû comprendre que cette disposition dont nous parlons dans le projet de loi C-32 visait à fermer la porte que ce projet de loi d'après vous ouvrira. Est-ce ce que vous dites?

M. Finlay: Nous croyons que c'est ce qui se produira.

M. Abbott: C'est très intéressant.

M. Bélanger: C'est plutôt intéressant. Nous oublions pour quelques moments la télévision.

Lorsque le projet de loi a été déposé, il était assorti d'une date, je crois que c'était la mi-juin, pour l'entrée en vigueur de contrats exclusifs. Quelle a été la réaction dans l'industrie face à cette annonce?

Mme Cooney: Vous parlez de ce cadeau qu'ont reçu les maisons d'édition dans le projet de loi? Il s'agissait de mesures rétroactives à juin 1996.

M. Bélanger: Si le projet de loi est adopté dans son libellé actuel, cette mesure sera rétroactive, mais le projet de loi a été déposé en mars ou en avril. On vous avisera que vous avez jusqu'à cette date. Après cela, tout contrat...

Mme Cooney: Il s'agissait de tout livre que vous avez en stock et que vous avez reçu dans les 60 jours suivant juin 1996, après l'entrée en vigueur du projet de loi.

À notre avis, personne ne se précipite pour entreposer...

M. Bélanger: Ils ne signent pas de contrats? Je vois.

Mme Cooney: Non, nous n'avons ni le temps ni l'espace ni l'argent pour accumuler des livres en inventaire.

M. Bélanger: Savez-vous si les maisons d'édition ont pris de telles mesures?

Mme Cooney: Non, je ne le sais vraiment pas. Vous devrez leur demander.

M. Bélanger: Très bien. Bon, je vais vous dire quelque chose. C'est une nouvelle idée. Lors de l'une de nos réunions on nous a dit qu'il devrait y avoir des normes que devraient respecter ceux qui ont des droits exclusifs pour répondre à vos besoins. Est-ce que vous avez pensé à ce que devraient être ces normes?

Mme Cooney: Certainement.

M. Bélanger: Voulez-vous nous en parler?

Mme Cooney: C'est une question qui est très importante dans notre secteur. Nous avons travaillé très fort pour créer un système de normes volontaires afin qu'il ne soit pas nécessaire de prévoir dans la loi de telles normes. Rien ne nous pousse à croire que nos collègues du secteur de l'édition seront prêts à respecter les normes que nous voudrions établir.

Je crois que la norme raisonnable dont on peut s'inspirer c'est ce que peuvent faire nos fournisseurs américains. Nous supposons que s'il est possible d'acheminer du Tennessee au Canada un livre en 24 heures, vous pourriez quand même recevoir d'un bout à l'autre de la même ville, à Toronto par exemple, un livre dans la même période.

S'il faut recourir à de telles mesures pour régler la question, nous aurons un système beaucoup plus strict que ce serait le cas s'il s'agissait de normes volontaires.

M. Bélanger: Ma dernière question porte sur la proposition fort intéressante que vous avez présentée, à propos du droit de transférer une exemption. Est-ce que cela veut dire qu'un libraire pourrait tout compte fait accumuler des exemptions?

Mme Cooney: Je ne crois pas. Nous voulons permettre au client d'obtenir plus facilement un livre. Je crois qu'il serait beaucoup plus simple pour vous d'aller voir votre gentil libraire plutôt que d'essayer de découvrir une façon d'obtenir le livre vous-même si vous ne pouvez pas l'obtenir dans la localité.

M. Bélanger: Alors ce ne serait pas une mesure générique; elle interviendrait dans les cas où on veut un livre particulier, une commande spéciale?

Mme Cooney: Oui, une commande spéciale. Lorsque vous voulez un livre que vous ne pouvez pas obtenir localement, vous devriez pouvoir nous demander de nous le procurer pour vous.

M. Bélanger: Mais il ne s'agirait pas d'une école ou d'une bibliothèque.

Mme Cooney: Peut-être, parce que...

M. Bélanger: Permettez-moi de terminer. Supposons que vous êtes mon libraire préféré. Je vous dis voici mon transfert général d'exemption, et dès qu'il y a un livre sur le marché, commandez-le pour nous. Il devra s'adresser à vous chaque fois avec une commande particulière pour un livre particulier. J'aimerais vraiment savoir ce que vous proposez en fait.

Mme Cooney: Pour un livre. Nous parlons des circonstances lorsque vous devez importer un livre. Évidemment, une école peut dire qu'elle désire que vous commandiez tout pour elle. Nous le faisons pour des écoles et d'autres établissements d'enseignement, mais nous proposons ici cette politique pour les circonstances spéciales où vous avez besoin d'un livre et que vous le voulez le plus tôt possible.

M. Bélanger: Ce n'est pas de cela que je veux parler. Je veux parler des bibliothèques qui s'approvisionnent sans cesse, par exemple, en romans populaires. La majorité de ces romans populaires sont édités aux États-Unis.

Proposez-vous que la bibliothèque de n'importe quelle petite ville puisse donner au libraire de cette petite ville son autorisation d'exemption pour tous les achats futurs ou faudrait-il qu'elle refasse une demande chaque fois qu'elle veut acquérir un roman particulier.

.2035

Mme Cooney: Je ne pense pas que nous demandions d'exemptions permanentes de ce genre. Je crois - si je ne me trompe, n'hésitez pas à me corriger - qu'il s'agissait simplement de ces cas particuliers parce qu'en l'occurrence il ne s'agit que d'importations. Cela ne concerne pas toutes les commandes de livres en général. Pour nous, il s'agit de cas ponctuels.

M. Finlay: J'ajouterais simplement que dans la loi - ces exemptions figurent déjà dans la loi.

M. Ron Johnson (premier vice-président, Canadian Booksellers Association): Les bibliothèques jouissent toujours de ces exemptions.

M. Finlay: Pratiquement tout le monde sauf les libraires. Les gouvernements, les établissements d'enseignement et les bibliothèques.

M. Bélanger: Ils doivent eux-mêmes passer les commandes.

M. Finlay: Oui.

M. Bélanger: Ils voudraient que vous puissiez passer ces commandes pour eux.

M. Finlay: Oui, mais cela concerne plus les commandes spéciales et c'est probablement un des plus gros arguments de vente des petits libraires indépendants. Si on leur retire cette possibilité - comme nous l'avons dit, notre secteur doit déjà faire face à d'énormes pressions concurrentielles - , la possibilité de placer des commandes spéciales, cela peut poser de très gros problèmes.

M. Johnson: Il y a aussi le cas des simples clients - par exemple, un étudiant peut venir dans un de mes magasins pour commander trois livres sur un sujet particulier. Ces trois livres peuvent être publiés par trois maisons différentes. Il est possible qu'il faille tellement de temps pour avoir ces livres qu'il ait terminé son travail avant qu'ils ne soient disponibles. S'il les commande séparément lui-même, il va lui falloir payer les frais de port pour chacun et en plus il faudra qu'il s'adresse aux trois distributeurs ou éditeurs séparément. S'il vient me voir et que je peux commander pour lui un exemplaire, il n'a besoin de faire qu'une seule démarche et c'est moi qui s'occupe de ces commandes. Il n'a donc pas à s'adresser à trois endroits à la fois et à payer trois frais de port différents.

Le président: Monsieur Arseneault.

M. Arseneault: À propos des importations parallèles et de la possibilité qu'après l'adoption de ce projet de loi les gros vendeurs puissent s'approvisionner directement de l'autre côté de la frontière, j'estime personnellement que le système canadien de distribution des livres est très important pour les auteurs canadiens. S'il disparaît, il pourrait y avoir de gros problèmes de circulation sur le marché intérieur.

Sauf erreur, les distributeurs paient pour avoir le droit de distribuer des livres au Canada. Il leur faut récupérer cet argent. Ils paient une certaine somme et ce qui se passe c'est que certains courtiers se rendent aux États-Unis, négocient directement avec les distributeurs américains et rapportent ces livres sans rien payer à nos distributeurs canadiens. Aujourd'hui c'est tout à fait légal.

Le projet de loi propose d'y mettre un terme. Désormais, si un distributeur canadien - corrigez-moi si je me trompe - détient un droit sur un certain livre, il sera impossible à ces gros vendeurs d'aller les acheter de l'autre côté de la frontière pour les ramener. Aujourd'hui c'est possible mais après l'adoption de ce projet de loi, quand les droits seront détenus par un distributeur canadien, ce ne sera plus possible.

Mme Cooney: C'est là qu'on voit la complexité de cette situation car en l'occurrence, encore une fois, il s'agit d'un contrat entre deux entreprises - un distributeur canadien et un fabricant américain, par exemple. Il n'y a rien dans la loi ou, c'est à supposer, dans un contrat - à moins que ce contrat ne soit si exhaustif qu'il l'interdise - qui empêcherait quelqu'un de négocier un autre droit de distribution exclusive ou non exclusive avec un éditeur. Ce n'est pas facile à expliquer.

Est-ce que pouvez être plus clair que moi?

M. Finlay: Prenons l'Amérique comme exemple, mais c'est la même chose pour tous les livres étrangers. Un éditeur américain pourrait donner le droit de distribution de ses livres à deux éditeurs canadiens, disons Douglas et McIntyre dans l'Ouest, et à McClelland et Stewart dans le reste du Canada - fort peu vraisemblable, mais en théorie tout à fait possible. Rien n'empêche la négociation d'un tel contrat. De la même manière, rien n'empêche McClelland et Stewart de proposer à Simon et Schuster d'acheter les droits sur ce livre. Rien n'empêche Simon et Schuster d'accepter à condition que Chapters en soit exclu. À condition d'exclure un groupe particulier ou d'exclure une région particulière ou que sais-je encore. La loi le permet.

.2040

Vous avez raison, les droits des distributeurs canadiens sont actuellement protégés par la loi. Ils ont un droit d'auteur. Ils ont le droit de poursuivre devant les tribunaux toute personne qui fait quelque chose qu'elle ne devrait pas faire comme par exemple vendre un livre qu'elle n'a pas le droit de vendre, mais il faut faire jouer la machine judiciaire. Nous aimerions une autre solution législative ayant beaucoup plus de poids.

Nous craignons qu'à long terme les perdants ne soient les auteurs canadiens car si tout le système de distribution s'écroule, et nous pensons qu'il y a de très bonnes chances que cela arrive, le marché deviendra complètement ouvert et les éditeurs canadiens ne pourront plus commercialiser et subventionner leurs programmes d'édition canadiens.

Il suffit de regarder le marché pour voir que nous avons progressé. Je crois qu'au milieu des années 60 à peu près 10 p. 100 des livres offerts par les librairies canadiennes étaient d'auteurs canadiens et qu'aujourd'hui c'est environ 30 p. 100. C'est le système actuel qui l'a permis. Sommes-nous prêts à le risquer pour aboutir peut-être à un résultat totalement opposé à celui recherché?

M. Arseneault: Oui mais le projet de loi prévoit que si un distributeur canadien ou deux distributeurs canadiens détiennent les droits sur un certain livre, sur un livre américain, par exemple, ce livre américain ne peut être importé au Canada que par ces deux distributeurs.

M. Finlay: Mais nous disons simplement...

Allez-y.

M. Johnson: Je vais essayer de vous expliquer la chose ainsi.

Supposons que mon campus et six autres campus offrent un cours de première année de psychologie, qui demande le livre Psychology de Gleitman - pour un grand campus, cela signifie des milliers d'exemplaires. Il est possible que le distributeur canadien n'ait pas suffisamment d'exemplaires pour fournir en quantité suffisante les commandes de ces six librairies à temps avant que le cours ne débute.

M. Arseneault: Il y a une certaine norme de service.

M. Johnson: Il y a de fortes chances qu'il n'y parvienne pas, car les distributeurs n'aiment pas stocker de telles quantités d'exemplaires aussi coûteux. C'est logique et c'est une pratique commerciale tout à fait raisonnable. Cependant, quand ces six commandes arrivent les unes derrière les autres, nos librairies enregistrent des retards de livraison et nos enseignants et nos étudiants n'ont pas tous le matériel nécessaire pour le début du cours. C'est un gros problème.

Rien n'empêche les librairies de ces six campus de s'adresser à, disons, la maison Prentice-Hall aux États-Unis et de lui dire: Mettez fin à ce contrat de distribution exclusif car c'est devenu un vrai casse-tête pour fournir nos enseignants et nos étudiants; si vous ne faites pas attention nous choisirons un autre manuel. Parler à l'éditeur américain de choisir un autre manuel est un argument choc. Généralement il répond immédiatement: Pourquoi ne modifiez-vous pas simplement votre entente et nous pourrons négocier des modalités pour la prochaine distribution?

Si cela se répète suffisamment de fois, et je vous cite simplement ce campus comme exemple... C'est ce qui se passe dans les superlibrairies et dans d'autres magasins, car la chose que nous partageons avec les grosses machines c'est que notre éventail de titres est large - plus large que celui de la librairie moyenne. Nous avons donc un éventail de titres beaucoup plus large, titres qui ne sont pas actuellement stockés par les distributeurs canadiens.

M. Arseneault: Oui mais si le fournisseur américain peut vous approvisionner dans les 48 heures ou dans la semaine - disons que vous vouliez 1 000 de ces livres de psychologie - pourquoi est-ce que cela vous cause un problème d'appeler votre distributeur canadien et de lui dire que vous avez besoin de 1 000 livres? Pourquoi ne peut-il pas lui-même appeler et se faire livrer ces livres dans les 48 heures?

M. Johnson: Nous envoyons notre commande à notre distributeur. Il vérifie pour voir s'il a ce livre en stock. Dans la négative, il passe commande à son fournisseur américain. Celui-ci en retour envoie les livres au distributeur canadien, qui à son tour les envoie à la source canadienne, qui finit par vendre le livre au pauvre étudiant.

M. Arseneault: C'est donc une question d'efficacité.

M. Johnson: Absolument.

M. Finlay: En plus, ce projet de loi va protéger ces livres. Prenez Random House, une compagnie américaine avec une filiale canadienne, ou Bantam, Doubleday, etc., la majorité de leurs livres sont en réalité entreposés aux États-Unis. Quand on leur commande un livre, la commande aboutit aux États-Unis.

Comme nous le disons, je crois, dans notre mémoire, vous accordez aux éditeurs américains une protection qu'ils n'ont pas sur leur propre marché. Nous ne pouvons pas nous adresser directement à la source, nous devons passer par un distributeur canadien qui s'adresse aux États-Unis pour se faire livrer.

.2045

Comme Jane l'a dit, le vrai problème dans notre industrie c'est celui de la distribution. C'est un problème de distribution et de normes de service car nous n'avons pas le genre d'entrepôts ou de système de grossistes qu'on trouve aux États-Unis.

Il y a aujourd'hui une nouveauté aux États-Unis qui est peut-être, à notre avis, la solution partielle à notre problème. J'essaie de me souvenir du nom.

M. Johnson: VOR.

Mme Cooney: Vendor of record.

M. Finlay: C'est un concept adopté par une compagnie appelée Ingram aux États-Unis, un des plus gros grossistes. En fait, elle propose de rembourser les éditeurs et les représentants, etc. pour les ventes qu'ils font. Si nous pouvions adopter un concept du même genre, ce serait peut-être la solution.

M. Bélanger: Avoir un entrepôt au Canada.

M. Finlay: Oui.

Le président: Merci beaucoup, madame Cooney. Merci, monsieur Finlay et monsieur Johnson.

Mme Cooney: Merci beaucoup.

M. Finlay: Merci beaucoup.

[Français]

Le président: Je souhaite la bienvenue à des personnalités très connues de l'Union des artistes: M. Serge Turgeon, le président; Mme Marie-Denise Pelletier, chanteuse et membre du conseil d'administration; Mme Katherine Sand, secrétaire générale de la Fédération internationale des acteurs; et Mme Lucie Beauchemin, consultante.

Monsieur Turgeon.

M. Serge Turgeon (président, Union des artistes): Bonsoir, monsieur le président, mesdames, messieurs les membres du comité.

D'entrée de jeu, je dois vous avouer que je pensais qu'il n'y avait que des artistes qui travaillaient tard le soir. Je me rends compte que c'est le cas des députés aussi.

M. Arseneault: On est des artistes!

M. Turgeon: C'est sans doute, comme vous le dites, que vous avez une âme d'artiste et, en ce sens-là, on va certainement bien se comprendre et vous allez bien comprendre ce qu'on a à vous dire.

M. Plamondon: Nous, on fait du théâtre le jour.

.2050

M. Turgeon: Vous avez présenté, monsieur le président, les personnes qui m'accompagnent.

Lorsque le gouvernement a déposé ce projet de loi, l'Union des artistes, dès le départ, a salué l'introduction dans la loi canadienne du principe des droits pour les artistes-interprètes. Mais, après une lecture attentive, nous devons cependant vous faire part de notre immense, mais vraiment immense, déception.

Pourquoi? À cause des exceptions. Bien sûr, il y a 13 pages d'exceptions peut-être, mais la grande exception pour nous, dans ce qui est déposé sur la table, ce sont les radiodiffuseurs qui, à toutes fins pratiques, me semble-t-il, sont exclus de ce projet de loi.

Pour comprendre notre réaction, je vais demander aux membres du comité d'examiner avec nous les faits suivants. Il faut que vous sachiez que nous représentons, à l'Union des artistes, les 5 000 artistes-interprètes de la scène, de la télévision, du cinéma et du disque francophones au Canada.

Il y a plus de 75 p. 100 de nos membres, et c'est énorme, qui gagnent moins de 13 700 $ par année. Une bonne année de 33 000 $ peut être suivie de trois années de vaches maigres, ou encore de rien du tout. C'est cela, la réalité des artistes.

Les artistes assument ces difficultés, des difficultés qui sont inhérentes à leur statut de travailleurs autonomes. Bien sûr, la culture pour les artistes n'est pas qu'un gagne-pain; c'est aussi un devoir et c'est en même temps une passion, fort heureusement.

Mais voilà que leurs principaux employeurs, la télévision publique et les théâtres notamment, subissent les coupures draconiennes que vous savez et les formes de production et de diffusion en émergence ignorent tout du respect de nos droits.

Pour faire face à l'avenir dans ces circonstances, les artistes ne demandent aucun traitement de faveur, seulement que la loi reconnaisse enfin qu'ils sont propriétaires de leurs oeuvres et de leurs prestations et que nul ne peut utiliser leurs oeuvres et leurs prestations sans leur consentement et sans en négocier les modalités d'utilisation, comme cela se fait dans tous les autres domaines.

Première déception pour 80 p. 100 des artistes qui sont membres de l'UDA: il n'y a aucune reconnaissance de droits sur leurs prestations audiovisuelles ni redevances pour les copies privées sur cassettes audiovisuelles. On vit pourtant dans un monde d'audiovisuel.

Seconde déception: les 20 p. 100 d'entre nous qui sont principalement des chanteurs n'auront aucun droit sur les vidéoclips ou sur toute autre fixation où leurs chansons seront accompagnées d'une image. On vit pourtant dans un monde d'images.

À l'aube du XXIe siècle, alors que l'audiovisuel domine la planète, le législateur canadien ne serait donc pas prêt à y penser. Je vous demande respectueusement, madame, messieurs: est-ce que nous vivons dans le même monde?

Les artistes voulaient une loi claire, sans exceptions. Après tout, ou on est propriétaires de nos oeuvres, ou on ne l'est pas.

Troisième déception: les artistes découvrent que le gouvernement qui dépose la loi s'en exempte lui-même. Les bibliothèques et les archives nationales n'auront pas à s'y conformer; toute association se définissant comme «fraternelle» ou «charitable» non plus.

Quant aux écoles, comment se fait-il, dites-moi, que les institutions qui sont chargées d'apprendre aux jeunes l'amour et le respect des oeuvres de l'esprit soient les premières à obtenir le droit d'utiliser ces oeuvres sans bénéfice aucun pour leurs créateurs, pour leurs interprètes ou pour leurs producteurs?

Est-ce qu'il y a dans tout cela une bonne nouvelle? Je vous dirai quand même que oui. Ce projet de loi contient la reconnaissance du principe des droits des artistes sur leurs prestations sonores. Trente-cinq ans après la Convention de Rome, le Canada franchit le pas. Trente-cinq ans plus tard!

Les artistes se sont dit: «Bon, c'est quand même quelque chose. Au moins les radiodiffuseurs vont enfin faire ce qu'ils auraient dû faire depuis longtemps, c'est-à-dire payer ce qu'ils nous doivent pour l'utilisation de nos oeuvres.»

.2055

Quatrième déception: Si le principe est dans le projet de loi, en pratique, c'est autre chose. Le principe d'un paiement, vous le savez autant que moi, n'a jamais nourri son homme ni sa femme. Les membres du comité l'ignorent peut-être, mais lorsque vient le temps de nous payer, les radiodiffuseurs ont toujours «des difficultés». Les plus anciens chez nous se rappellent qu'en 1937, au moment où l'Union des artistes a été créé, ils travaillaient en direct à la radio. On va fêter les 60 ans de la radio de Radio-Canada cette année et aussi les 60 ans de l'Union des artistes. C'est cela, l'origine de l'UDA.

Or, quand ces chanteurs se sont réunis au sein de l'Union des artistes dans le seul but d'être payés pour ce qu'ils faisaient, les postes de radio, à ce moment-là, il y a 60 ans, ont crié famine comme aujourd'hui. Mais nos archives relatent les témoignages d'artistes - tenez-vous bien - qui se sont fait offrir, il y a 60 ans, jusqu'à 10 000 $ pour casser l'Union dès le départ. Dix mille dollars en 1937-1938, pour un chanteur qui rêvait de négocier un gros 10 $ pour son émission en direct! Pensez-y un peu.

Il y en d'autres qui se souviennent qu'un peu plus tard, en 1951, les postes de radio à Montréal faisaient signer des contrats d'exclusivité pour 30 $ par semaine. À l'époque, une secrétaire à l'Union des artistes était payée, elle, 45 $ par semaine, plus cher que les chanteurs qui la faisaient vivre, parce que les temps étaient durs pour les radiodiffuseurs.

Croyant que les temps sont toujours aussi durs pour eux aujourd'hui, en 1996, plusieurs d'entre nous se sont demandé pourquoi les licences octroyées par le CRTC trouvaient encore preneur.

Les membres du comité se souviendront sans doute qu'il y a quelques mois, l'annonce de la disponibilité d'une licence pour le marché montréalais a provoqué un véritable mouvement de foule. Sur la foi d'un témoignage privilégié, on a appris qu'au moins un des requérants avait investi plus de 100 000 $ dans l'espoir d'acquérir la précieuse licence et, pourtant, c'est une entreprise qui ne marche pas, paraît-il. C'est payer cher quelque chose qui, s'il faut en croire les radiodiffuseurs, est au bord de la faillite, ne trouvez-vous pas?

Les artistes sont indignés que le gouvernement annonce la reconnaissance de leurs droits sur leurs prestations sonores en accordant aux principaux utilisateurs de ces prestations des conditions taillées sur mesure pour ne pas les payer.

Les radiodiffuseurs ont toujours considéré que l'expropriation de notre travail faisait partie de leur plan d'affaires. Le gouvernement du Canada, notre gouvernement, nous dit-il maintenant que, par timidité ou inconscience, il se fera leur complice?

Considérant les chiffres que je vous ai cités plus tôt, nous sommes les premiers à savoir que les temps sont durs, et pas seulement au Canada. Mais comment se fait-il qu'une cinquantaine de pays à travers le monde appliquent depuis 35 ans, depuis 1961, des régimes de droits au bénéfice de leurs artistes-interprètes et de leurs producteurs d'enregistrements sonores? Est-ce qu'on nous dit que l'industrie de la radiodiffusion de l'un des pays membres du G-7 ne pourrait pas faire face à ses obligations sous peine de faillite? Est-ce que c'est cela qu'il faut comprendre?

Toutes les stations de radio privées canadiennes, sans égard à leur chiffre d'affaires, seraient donc incapables de verser plus de 100 $ en droits annuels aux artistes-interprètes et aux producteurs de disques sur les premiers 1 250 000 $ de leurs revenus publicitaires sous peine d'être acculées à la faillite? C'est cela?

De cette somme de 100 $, il faut que vous sachiez que 50 $ iront au producteur, et c'est normal, et 50 $ aux artistes-interprètes. Faites le même calcul que nous. Réparti sur 365 jours de diffusion, cela représente 13 cents par jour, 13 cents noires pour l'ensemble des musiciens et des chanteurs admissibles qui auront été entendus sur les ondes de la station de radio ce jour-là. Puisque ces 13 cents, on doit les diviser moitié-moitié entre les musiciens et les interprètes, cela veut dire six cents et demi par jour seulement pour utiliser les oeuvres de tous les artistes-interprètes cette journée-là. C'est honteux! Ce n'est plus une fraction de cent que vont recevoir les artistes, ce sont des poussières de cent.

.2100

L'Association canadienne des radiodiffuseurs vous invite à penser qu'au-delà de ces 13 cents par jour pour les interprètes et les musiciens par station de radio, un nombre incalculable de ses membres feront faillite. C'est ce qu'on appelle une situation économique assez précaire, si vous voulez mon avis.

Soixante-six pour cent des stations de radio au Canada, les deux tiers des stations de radio du pays, se déchargeraient ainsi de leurs obligations par ce paiement symbolique de 13 cents par jour. Quant au tiers restant, les 33 p. 100 de stations restantes, 13 cents par jour suffiraient à les décharger de leurs obligations pour les premiers 1 250 000 $ par année de leur revenus publicitaires.

Donc, on s'est interrogé sur cette belle générosité du gouvernement et, finalement, on s'est dit que c'était sans doute en reconnaissance du fait que c'est le premier million qui est le plus difficile à gagner. Mais c'est cela, le message que nous recevons. Le gouvernement du Canada évalue que la reconnaissance du principe de leurs droits donne aux artistes droit à un paiement symbolique de 13 cents. C'est payer cher le principe. Évidemment, c'est peut-être pour cela aussi qu'on dit qu'un principe n'a pas de prix.

Il reste la part des recettes publicitaires des radiodiffuseurs au-delà de ces fameux 1 250 000 $ qui serait soumise à une tarification approuvée par la Commission du droit d'auteur. Est-ce qu'on peut au moins espérer qu'en cette matière, la Commission aura entière liberté d'exercer son mandat? Eh bien, non. La Commission, qui pourtant est habilitée à entendre les radiodiffuseurs et les auteurs-compositeurs avec un minimum de directives, devient tout à coup inapte à distinguer le haut du bas dans le cas des artistes et des producteurs sans principes directeurs, critères limitatifs, application progressive du régime, bref sans que le gouvernement se charge personnellement d'éviter qu'elle ne mette les radiodiffuseurs en faillite.

Mais est-ce que le gouvernement croit vraiment que les radiodiffuseurs, si habiles pourtant à convaincre le législateur, soient incapables de faire valoir leurs arguments devant la Commission? Le gouvernement doit-il les prémunir contre une commission inconsciente des réalités du marché? Pourtant, la lecture du recueil de ses décisions révèle plutôt une conscience assez aiguë de ses responsabilités en matière d'équilibre des forces en présence.

Est-ce qu'il faut craindre alors que la Commission se laisse séduire par les demandes irresponsables des artistes irresponsables? Nous, les artistes, avons une solide expérience de la négociation individuelle et collective. Tous les jours, depuis 60 ans, on parle affaires avec des gens d'affaires. Depuis 60 ans, les gens avec qui on parle affaires sont toujours en affaires aujourd'hui.

La vérité, c'est que les radiodiffuseurs profitent d'une période de grâce depuis l'introduction de la radio dans ce pays. Ils s'en estiment chanceux, et cela, tout le monde le comprend. Mais que le gouvernement canadien s'associe à la prolongation injustifiable de notre expropriation - le mot n'est pas trop fort - , qu'il le fasse sous le couvert d'une reconnaissance de nos droits, transforme cette reconnaissance tant attendue en véritable parodie. Cette parodie-là, je vous dis qu'il n'y a pas un artiste dans ce pays, et certainement pas à l'Union des artistes, qui est prêt à l'accepter.

Je puis assurer les membres de ce comité que même sans la présence de ces critères particuliers pour la Commission, le législateur peut dormir tranquille. Nous sommes parfaitement capables de discuter librement avec les radiodiffuseurs. Mais quelque chose me dit qu'ils sauront aussi faire valoir leurs arguments, de toute façon.

.2105

L'ajustement de ces critères aurait le mérite additionnel, à notre sens, de vous éviter que le gouvernement ne soit associé, dans l'esprit des artistes, à une notion aussi indéfendable, en cette fin de XXe siècle, que la fameuse promotion gratuite dont les radiodiffuseurs disent nous faire profiter.

Les radiodiffuseurs aiment tellement cet argument qu'ils l'utilisaient déjà quand les annonceurs de leurs postes de radio ne se donnaient même pas la peine de mentionner le nom de la chanson qu'ils faisaient tourner, et encore moins celui de son interprète. L'argument de la promotion gratuite est illogique. Pourquoi? Parce que les radiodiffuseurs paient déjà des droits d'utilisation aux auteurs-compositeurs.

S'ils font de la promotion gratuite, qu'ils la fassent pour tout le monde. S'ils paient les uns, qu'ils paient aussi les autres. En fait, ce dont il est question, ce sont les liens qui se tissent entre des fournisseurs et des utilisateurs de services, mais à la différence notable que, dans les autres secteurs d'activités commerciales, ces liens n'impliquent d'aucune façon l'expropriation des droits de l'un au profit de l'autre. L'utilisation commerciale de la propriété d'autrui, ça se paie. C'est ça, la normalité. Pourquoi en serait-il autrement dans le cas des artistes?

Et que penser de l'argument selon lequel le paiement de nos droits mettrait en péril la survie du contenu local à la radio? Quand les artistes et les producteurs se sont battus pour la présence du contenu local que constitue la chanson canadienne, les radiodiffuseurs ont crié à la faillite encore une fois: quotas trop élevés, pas assez de bonnes chansons au Canada, fuite assurée des auditeurs, revenus publicitaires à la baisse, faillites, tout y est passé.

Maintenant, ils brandissent devant vous le contenu local en vous disant que sans lui, c'est la faillite assurée et qu'ils ne peuvent donc pas payer ce qui assure leur succès. Mais est-ce que le gouvernement se satisferait de cette logique? Peut-être que certains d'entre vous pensent que si les artistes se sont passés du paiement de leurs droits durant toutes ces années, c'est qu'ils n'en ont pas vraiment besoin.

Quand on écoute une chanson à la radio, la dernière chose qu'on a à l'esprit, ce sont les problèmes financiers du chanteur. C'est normal. On aime sa chanson. On écoute sa chanson. On préfère imaginer que ceux qui nous aident à rêver s'en tirent mieux que nous. Mais la réalité est tout autre. La réalité est que ce métier est dur, émotionnellement et financièrement. On ne compte pas les artistes qui vivent dans l'ombre et parfois même dans la misère.

Pour certains, le succès va durer littéralement le temps d'une chanson, pas plus. Par respect de la dignité de ses membres, l'Union des artistes a toujours refusé de faire du misérabilisme, et ce n'est certainement pas ce soir que je vais commencer à en faire. Mais sachez que nous devons régulièrement prêter une assistance d'urgence à des artistes dont la situation de besoin est carrément scandaleuse. Se poser la question de la nécessité de rémunérer l'utilisation de leurs prestations est proprement incompréhensible.

Quand le succès survient, que ce succès dure un mois, un an ou durant toute une carrière, pourquoi, à la différence de tout autre membre de la société, leur serait-il interdit d'en bénéficier eux aussi?

M'accompagne ce soir ma camarade Marie-Denise Pelletier. C'est une chanteuse populaire, très populaire dans l'ensemble du pays. J'ai demandé à Marie-Denise de venir ici ce soir pour qu'elle vous raconte un peu sa vie de tous les jours, elle qui est l'une des interprètes francophones tournant le plus à la radio.

Mme Marie-Denise Pelletier (chanteuse, membre du conseil d'administration, Union des artistes): Bonsoir, mesdames et messieurs, monsieur le président. Avant de prononcer mon énoncé, j'aimerais vous raconter une chose qui m'est arrivée cet après-midi.

J'étais dans une boutique et je parlais avec la vendeuse. Elle m'a demandé si j'étais ici, à Ottawa, pour donner un spectacle et je lui ai expliqué les raisons pour lesquelles j'étais ici. Je lui ai expliqué que chaque fois que les chansons que j'interprétais passaient à la radio, je n'étais pas payée.

.2110

Si vous aviez vu l'expression sur son visage, vous auriez compris beaucoup de choses. En fait, cette dame était vraiment surprise d'apprendre que je n'étais pas payée. Pour l'ensemble des gens, le droit d'auteur implique aussi le droit de celui qui chante. C'est une évidence pour la plupart des gens. J'en ai parlé à plusieurs personnes et, pour elles, tous ceux qui sont responsables du succès d'une chanson devraient être payés, notamment les interprètes.

Personnellement, je me compte chanceuse, car je peux arriver à vivre assez convenablement. Je vends des disques. Cependant, ce n'est pas le cas de la majorité. La plupart des interprètes ne vendent pas de disques, mais jouent beaucoup à la radio. Quant à moi, comme le disait Serge, j'ai joué énormément depuis 10 ans. S'il y avait eu un droit durant ce temps, j'aurais sûrement été très, très heureuse d'avoir ce petit gain de plus dans mon compte de banque.

Je suis auteur-compositeur-interprète. Donc, je connais le processus créateur de l'écriture et celui de l'interprétation d'une chanson. C'est quelque chose de totalement à part. La preuve, c'est que quand on prend une chanson et que plusieurs personnes la chantent, on a des interprétations complètement différentes.

Donc, il faut reconnaître le processus créateur de l'artiste, de l'interprète. Il faut le reconnaître en soi. Il faut que cela se fasse de façon équitable. On me dit qu'on reconnaît que je suis une créatrice, mais on ne me donne rien qui soit valable pour la valeur de ce je donne. Il y a beaucoup de travail à faire à ce niveau-là.

Nous demandons donc au gouvernement de reconnaître notre contribution en tant qu'interprètes, en tant que créateurs de l'oeuvre. Pour moi, c'est une question de morale avant tout, mais aussi d'équité.

M. Turgeon: Merci, Marie-Denise. Monsieur le président, madame, messieurs du comité, les décisions que va prendre le gouvernement du Canada auront des résonances à l'échelle internationale. Je vous dis qu'une bonne partie du monde entier a les yeux braqués sur le Canada actuellement pour savoir comment il va procéder envers ses créateurs et ses artistes.

C'est la raison pour laquelle j'ai invité Mme Katherine Sand à nous accompagner. Mme Sand est la secrétaire générale de la Fédération internationale des acteurs. L'Union des artistes et nos camarades font partie de cette fédération internationale. C'est une fédération qui regroupe les syndicats qui représentent les artistes-interprètes d'une cinquantaine de pays. Elle est donc très bien placée pour vous dire ce qui se passe à l'échelle du monde entier au niveau de la reconnaissance des droits voisins des artistes-interprètes.

[Traduction]

Mme Katherine Sand (secrétaire générale, Fédération internationale des acteurs): Merci.

Monsieur le président, j'arrive tout juste de Londres et c'est mon premier voyage au Canada. J'ai été stupéfiée d'apprendre en ces quelques jours que les Canadiens sont souvent sous l'illusion que leurs actes ne sont pas pris en considération ailleurs au monde. Je puis vous dire qu'en matière de droits des artistes et de cette loi, rien ne pourrait être plus faux.

À la FIA, nous connaissons très bien les difficultés que pose la réconciliation des traditions du «copyright» et du droit d'auteur puisque nous représentons 73 syndicats d'artistes sur cinq continents, de démocraties en émergence aussi bien que d'Amérique du Nord, d'Europe et des pays asiatiques.

Nos membres ont aussi de l'expérience, après des décennies d'administration réussie des droits d'artistes dans de nombreux pays, pour répondre aux besoins de toutes les parties concernées: les radiodiffuseurs, les consommateurs, les producteurs, les auteurs et enfin les artistes.

[Français]

Aujourd'hui, les coproductions et la distribution internationale des oeuvres sont des réalités croissantes. Il nous faut trouver des solutions pratiques et ingénieuses pour créer des ponts entre les grandes traditions en matière de propriété intellectuelle.

[Traduction]

Nous croyons qu'en raison de son histoire, le Canada a l'occasion unique de tisser des liens entre ces deux grandes traditions qui ouvriront ainsi de nouvelles perspectives pour tous les artistes du monde. En cette matière, les yeux du monde sont définitivement tournés vers le Canada.

Merci.

.2115

[Français]

M. Turgeon: Merci, Katherine. Je pense qu'il ne faut pas oublier cela. C'est en fait une certaine image du Canada qui est en cause ici.

En 1937, les chanteurs travaillaient en direct à la radio pour des cachets pitoyables. Soixante ans plus tard, les radiodiffuseurs calculent l'utilisation des chansons en gratuité ou en pitance. Cela aussi, c'est pitoyable, 13 cents par jour divisés par 100 ou 150 chanteurs et par les musiciens. Sommes-nous vraiment, au Canada, à l'aube du XXIe siècle?

On ne demande ni faveurs ni passe-droits. Ce qu'on demande, c'est tout simplement la reconnaissance de notre droit de propriété et la liberté de négocier librement l'utilisation du bien unique dont nous sommes les auteurs et que nous partageons volontiers avec tout le monde. Le gouvernement a le pouvoir de placer le Canada au rang des pays qui ont reconnu et qui appliquent ces principes élémentaires d'équité et de justice.

Donc, au nom des 5 000 artistes-interprètes francophones du Canada, nous demandons au gouvernement, par votre entremise, la mise en oeuvre immédiate d'un processus conduisant à la reconnaissance des droits sur l'ensemble de nos prestations avant l'an 2002, l'audiovisuel avant l'an 2002, l'abolition du régime d'exceptions ou, à tout le moins, l'ajout d'une disposition qui y ferait obstacle dès lors qu'il existe une société de gestion collective pour négocier, elle, les modalités d'utilisation des oeuvres en question.

Nous avons tous une conscience sociale. Nous demandons le pouvoir, pour les artistes-interprètes, de gérer collectivement l'ensemble des droits qui leur sont reconnus. Nous demandons le retrait de la loi de ce régime particulier consenti aux radiodiffuseurs ou, à tout le moins, un régime qui répond aux critères qui vous ont superbement été élaborés ce matin par nos camarades de l'ADISQ avec qui nous avons travaillé à ce projet.

C'est en 1974, il y a plus de 20 ans, que l'Union des artistes a entrepris sa campagne pour la reconnaissance des droits des artistes-interprètes au Canada. Plus de 20 ans plus tard, aujourd'hui, je vous dis que nous sommes toujours prêts à travailler avec vous à faire de ce projet de loi quelque chose dont tous les artistes canadiens, le gouvernement et les membres de ce comité pourront être fiers. Je vous remercie infiniment.

Le président: Vous me permettrez de dire, monsieur Turgeon, que votre éloquence ne vous trahit jamais. Je vous remercie pour votre présentation, de même que Mme Pelletier et Mme Sand.

Monsieur Plamondon.

M. Plamondon: J'avais un peu la même impression lorsqu'on a déposé le projet de loi en Chambre. Du côté de l'Opposition officielle, on a d'abord eu une réaction de satisfaction en entendant dire que les droits voisins seraient enfin reconnus. J'avais d'ailleurs dit, dans le discours en réponse à la présentation officielle du gouvernement en Chambre, que nous étions satisfaits, mais que nous avions cependant l'impression que c'était comme dire à quelqu'un qu'on lui reconnaissait ses droits, mais en faisant tout pour qu'il ne soit pas payé. C'est un peu cela, le projet de loi.

On peut penser qu'il y a une mauvaise volonté, ce que je ne crois pas parce que je pense que n'importe quel gouvernement, qu'il soit d'une couleur ou d'une autre, cherche toujours, en énonçant un projet de loi, à satisfaire une revendication historique ou un besoin senti de la population, sauf que souvent, il est mal conseillé ou dépose de façon précipitée un projet de loi qui exige beaucoup de bonifications.

.2120

Vous avez très bien cerné et décrit le problème et vous avez bien ciblé les irritants.

Les autres témoins qui sont venus, principalement ceux de l'ADISQ, ce matin, ont très bien décortiqué les amendements acceptables en ce qui a trait aux fameux 1 250 000 $. Comme je l'ai dit plus tôt, une automobile dont tu es propriétaire t'appartient à 100 p. 100; quand tu as un droit d'auteur, il devrait aussi être à toi à 100 p. 100.

Mais quand même, je trouve que la proposition qu'a faite l'ADISQ était fort valable puisqu'elle disait que, pour une période de transition, il fallait accepter de mettre de l'eau dans son vin. De fait, je trouvais qu'elle en mettait pas mal.

Quant à la fameuse liste d'exceptions, vous amenez une idée nouvelle qui n'a pas encore été entendue ici, soit le collectif de gestion. J'aimerais que vous élaboriez un peu là-dessus, si c'est possible. Vous êtes aussi les premiers témoins à nous parler des droits sur le sonore. J'aimerais aussi que vous en parliez de façon un peu plus élaborée.

Je termine là-dessus pour ma première intervention. Les membres du comité ont été impressionnés, ce matin, par les dépositions, surtout celle de l'ADISQ avec ses tableaux. On ne devrait pas manquer de recommander au ministre de modifier le projet de loi dans le sens où l'ADISQ le propose en ce qui a trait aux 1 250 000 $.

Pour ce qui est des exceptions, vous proposez une solution qui m'apparaît fort acceptable. Quant au droit sur le sonore et l'audiovisuel, il faudrait que ce soit inclus également.

Les droits voisins ne s'appliquent qu'aux enregistrements sonores alors que vous voudriez qu'ils s'appliquent également...

M. Turgeon: On demandait que cela s'applique également à l'audiovisuel.

M. Plamondon: En tout cas, vous savez ce que je veux dire.

M. Turgeon: Oui.

M. Plamondon: Je voudrais que vous élaboriez de façon à ce qu'on puisse formuler des amendements en vue de l'incorporer au projet de loi.

M. Turgeon: Dans plusieurs pays du monde, et c'est cela qui est fondamental, on reconnaît les droits des artistes sur l'ensemble de leur champ d'application, sur l'ensemble du champ de leur métier.

Or, le champ de nos métiers, c'est à la fois le sonore et l'audiovisuel, c'est-à-dire tout ce qui passe à la télévision et tout ce qui en découle dans l'audiovisuel, tout ce qui concerne le multimédia. C'est le XXIe siècle qui s'en vient. Cela nous a pris combien d'années? Trente-cinq ans! La Convention de Rome a 35 ans. Combien d'années nous a-t-il fallu pour en arriver finalement à ce projet de loi, si timide soit-il? Dans combien de temps va-t-on s'ajuster à la réalité? C'est cela qui, pour nous, est fondamental.

Je vais demander à Mme Beauchemin d'élaborer en ce qui a trait, par exemple, aux sociétés de gestion, mais avant cela, monsieur Plamondon, je voudrais revenir sur un truc que vous avez dit plus tôt. Parlant de n'importe quel gouvernement et, notamment, du gouvernement libéral, vous avez dit que vous pensiez qu'il n'y avait pas de mauvaise foi. Je suis d'accord avec vous là-dessus: il n'y a pas de mauvaise foi. Je pense qu'il y a une volonté politique qui a été manifestée de la part du gouvernement libéral en voulant reconnaître ce principe du droit voisin. Il n'y a pas de mauvaise foi, mais il y a peut-être une mauvaise compréhension de ce que nous sommes. Il y a peut-être de la mauvaise information qui circule et c'est cela qu'on tend finalement à combler.

Je vous dirai que le gouvernement de ce pays, le Canada, est aujourd'hui cité en exemple pour ce qu'il a fait, notamment avec le Québec, au niveau du statut de l'artiste. C'était une première mondiale que les gouvernements se penchent sur le sort spécifique de leurs artistes. Je fais allusion à la loi sur la situation de l'artiste. Puisqu'on a fait cela, pourquoi en serait-il autrement de la reconnaissance des droits voisins des artistes-interprètes?

Un jour ou l'autre, cela va devoir se faire comme cela se fait dans une cinquantaine d'autres pays. Donc, dis, pourquoi ne pas en profiter? Vous êtes au pouvoir en ce moment. Pourquoi ne pas passer à l'histoire et faire le pas qui reste à faire?

Là-dessus, je cède la parole à madame Beauchemin.

Mme Lucie Beauchemin (consultante, Union des artistes): J'aimerais, à la suite de la petite parenthèse que vous avez ouverte sur les droits en matière sonore, ajouter quelque chose. Cette fameuse distinction entre l'audiovisuel et le sonore crée un problème à tous les niveaux.

.2125

Évidemment, on voulait une reconnaissance de tous nos droits sur toutes nos prestations. En voulant limiter cela au sonore, le législateur a le problème d'essayer de définir ce qui est un enregistrement sonore par rapport à ce qui ne l'est pas. La technologie étant ce qu'elle est actuellement, les oeuvres sonores, même les chansons, sont de plus en plus alliées à de l'image, que ce soit le vidéoclip, que ce soit les nouvelles technologies comme les CD-ROM, où la chanson est accompagnée d'images de la vie de l'artiste ou d'autres contenus imagés.

Cela crée un problème. La définition du sonore telle qu'elle existe actuellement est limitée uniquement au son. Il y a une partie des choses qui ne seront même pas payées aux artistes à cause de cette définition. Donc, il y a déjà un problème.

Pour ce qui est des exceptions et de la gestion du problème, il est évidemment que nous ne voulons pas d'exceptions. C'est clair. Comme vous le disiez, on est propriétaire ou on ne l'est pas. Cependant, il existe déjà un moyen de négocier l'utilisation des oeuvres et ce moyen est la société de gestion collective des droits.

S'il y a un problème particulier qui se pose dans un domaine spécifique, on peut, à la limite, comprendre qu'il y ait une exception s'il n'existe pas de société de gestion collective pour négocier avec l'utilisateur dans ce domaine spécifique.

Cependant, à partir du moment où une société de gestion existe, l'exception n'a plus sa raison d'être puisque la société est un interlocuteur avec lequel l'utilisateur peut négocier l'usage des oeuvres. Je vous rappellerai que, dans des cas bien particuliers, par exemple avec les personnes handicapées, les sociétés existantes font preuve de bon sens, de sens social, de responsabilité, et négocient des ententes qui sont tout à fait raisonnables.

Donc, s'il existe une société de gestion, il ne devrait pas y avoir d'exceptions. Si la société n'existe pas, on peut, à la limite, comprendre l'existence de l'exception jusqu'au moment où une société se crée pour gérer ce domaine-là.

[Traduction]

Le président: Monsieur Abbott.

M. Abbott: J'aimerais aussi vous féliciter de votre exposé. Je crois que j'approche ma quinzième heure de travail aujourd'hui et malgré que je sois unilingue, ce qui est très malheureux, j'ai beaucoup apprécié votre exposé en français, ce qui en dit beaucoup sur sa qualité.

Je veux vous poser une toute petite question car je tiens à ce que vous vous en preniez à ceux d'en face, ce sont tous les responsables.

Des voix: Oh, oh!

M. Abbott: Ma question concerne les exceptions de droits éphémères. Quand un de vos artistes se rend dans une station de radio avec un CD, peut-être accompagné par un agent, il fait jouer certaines plages du CD et la station de radio dit qu'elle aime certaines plages et les transpose sur un support numérique quelconque... Il doit y avoir encore d'autres copies. Avant que ces plages ne soient diffusées, il y aura d'autres copies informatisées, numérisées, etc. Si j'ai bien compris, d'après vous cela mérite une redevance. Pourquoi? En d'autres termes, cette copie n'a pas encore rapporté un sou et n'a pas encore été publiquement diffusée. Pourquoi ce changement ou cette modification de support devrait-il entraîner une redevance?

Mme Beauchemin: Je vais vous répondre très brièvement. Je crois que vous êtes déjà au courant de l'existence au Québec d'une société de gestion qui s'appelle SODRAC. Elle a négocié des ententes.

[Français]

La SODRAC a négocié des ententes qui permettent l'utilisation telle que vous la décrivez, mais dans des conditions contrôlées.

.2130

C'est justement pour cela qu'on parle de la nécessité de faire affaire avec des sociétés de gestion qui, ayant l'expérience d'un domaine particulier, peuvent arriver à des ententes avec les utilisateurs qui tiennent compte de la technologie et des modifications et qui encadrent l'utilisation d'une façon responsable, de façon à ce que chacun y trouve compte.

Cependant, on s'oppose tout à fait à ce qu'on ajoute à la loi une exception qui ne s'y trouve pas, car on trouve qu'il y en a déjà trop. Il faut s'assurer que les sociétés existantes puissent négocier avec les utilisateurs, quels qu'ils soient, une utilisation responsable des oeuvres qui protège les droits de chacun.

[Traduction]

M. Abbott: Nous pourrions donc supposer que la réaction de l'UDA serait assez hostile si le gouvernement décidait de l'ajouter au projet de loi.

[Français]

Mme Beauchemin: Je peux simplement vous dire que nous sommes déjà opposés aux exceptions existantes. On ne peut absolument pas concevoir que le gouvernement en ajoute. On demande déjà qu'il les retire. Donc, je ne vois pas pourquoi on serait d'accord sur l'ajout.

M. Turgeon: S'il y a une chose qui est bien dans ce qui est présenté, c'est ce qu'il n'y a pas.

[Traduction]

Le président: Madame Phinney.

Mme Phinney: Merci, monsieur le président.

Nous avons entendu ce matin, et vous en avez déjà parlé, les représentants de l'ADISQ. De toute évidence ils ont longuement réfléchi à ce qu'ils allaient nous dire. Ils ont proposé un régime qui leur paraît raisonnable. Vous, qu'en pensez-vous?

[Français]

M. Turgeon: Il arrive dans bien des dossiers, et c'est un exemple avec l'ADISQ, que les artistes et les producteurs parlent le même langage et sont du même côté de la table. Nous avons travaillé ensemble à la préparation de nos mémoires respectifs et nous souscrivons totalement à l'analyse qui a été présentée ce matin par l'ADISQ. Nous sommes tout à fait d'accord sur cela.

Cependant, il faut que vous compreniez une chose: les artistes n'ont aucun intérêt à mettre en faillite quelque radiodiffuseur que ce soit. Qu'il soit petit, moyen ou gros, quand un radiodiffuseur disparaît, cela s'est passé entre eux. Pour des raisons d'affaires, c'est un plus gros qui a mangé un plus petit. Ce ne sont jamais les artistes qui ont mis en faillite quelque radiodiffuseur que ce soit et il n'est certainement pas de l'intention de quelque artiste que ce soit de le faire. Il faut bien comprendre cela.

[Traduction]

Mme Phinney: Merci.

J'aimerais poser une question à Katherine Sand. Bienvenue au Canada, en passant.

Mme Sand: Merci.

Mme Phinney: Nous aurions dû prévoir de la neige pour vous.

Mme Sand: Par contre, la pluie ne manque pas. J'y suis habituée.

M. Bélanger: Ne soyons pas aussi hospitaliers. Allons.

Mme Phinney: J'aimerais discuter un peu avec vous des exemptions et vous demander s'il y a des exemptions dans d'autres pays. Quel genre d'exemptions ont-ils? Quels sont les problèmes? Vous avez dit représenter un grand nombre de syndicats dans un grand nombre de pays.

Mme Sand: C'est exact. Nous représentons beaucoup de syndicats. Nous avons une très grande expérience de ces droits.

Bien entendu, les lois prévoient parfois des exemptions. Nous y résistons. Il s'agit d'exceptions pour utilisation raisonnable, qui sont très bien compris par la législation du droit d'auteur et je crois qu'elles sont bien acceptées.

Ce qui est plus problématique c'est quand les exemptions sont poussées parfois à la limite. Votre collègue a fait allusion tout à l'heure aux reproductions éphémères, comme nous les appelons. Comme Lucie l'a expliqué, quand elles sont intégrées à un accord conclu avec une société de gestion, quand il s'agit d'un ensemble convenu d'utilisations, c'est acceptable.

Ce que nous voyons arriver de plus en plus dans les pays européens, ce sont des exceptions qui sont poussées à la limite, utilisées comme excuses pour ne pas payer les artistes. C'est ce que nous contestons. Nous estimons que les exceptions à la loi ont tendance à alimenter la confusion. Comme M. Turgeon l'a dit, ces questions sont négociées quotidiennement de bonne foi entre les organismes d'artistes et les radiodiffuseurs dans le cadre des conventions collectives et des négociations mutuelles.

.2135

Le président: Monsieur Peric.

M. Peric: Merci, monsieur le président. J'ai une série de petites questions à poser à Mme Pelletier et j'aimerais que ses réponses soient courtes car il se fait tard.

Premièrement, quand avez-vous commencé votre carrière?

Mme Pelletier: Il y a environ 15 ans, mais ma carrière dans le disque a commencé il y a 10 ans.

M. Peric: Comment avez-vous commencé? Qui était votre premier contact? Votre agent? Votre compagnie de disques?

Mme Pelletier: Mon premier contact avec l'industrie du disque s'est fait par l'intermédiaire d'un concours qui m'a fait rencontrer les représentants de l'industrie, mais j'ai rencontré mon premier directeur artistique lors d'un concours.

M. Peric: Vous avez donc signé un contrat avec une compagnie de disques et vous avez commencé. N'est-ce pas?

Mme Pelletier: Oui.

M. Peric: Qui était votre compagnie de disques?

Mme Pelletier: Maintenant?

M. Peric: Non, quand vous avez commencé.

Mme Pelletier: À l'époque c'était Kébec-Disque et Trans-Canada.

M. Peric: Pourriez-vous nous décrire quel genre de contrat vous avez signé avec eux?

Le président: Vous ne voulez pas qu'on vous confie des secrets, n'est-ce pas?

M. Peric: Pas des secrets, mais le passé...

Mme Pelletier: Qu'est-ce que vous voulez savoir exactement?

M. Peric: Est-ce que vous avez signé un contrat de droits voisins avec la compagnie - des redevances? Quel était le contrat? Cinquante cinquante?

Mme Pelletier: À l'époque, il y a 10 ans, je ne sais pas exactement quel était le pourcentage... Bien entendu, je touchais un certain pourcentage des ventes. Je ne peux pas vous donner de chiffres parce que c'est très différent d'un artiste à l'autre mais je peux vous dire qu'à l'époque chaque album me rapportait à peu près 50c. C'était pour la chanteuse que j'étais - que je suis.

M. Peric: À l'époque vous aviez un agent. N'est-ce pas?

Mme Pelletier: Oui.

M. Peric: Donc votre agent faisait son travail. Il allait voir les stations de radio et faisait votre promotion. Ou est-ce que c'est une compagnie de disques qui le faisait? Qui le faisait?

Mme Pelletier: Qui le faisait? Un type que nous payons pour ça.

M. Peric: Que vous payez vous-même?

Mme Pelletier: Oui.

M. Peric: Il allait voir les stations de radio, les radiodiffuseurs?

Mme Pelletier: Oui.

M. Peric: Il achetait du temps d'antenne?

Mme Pelletier: Non.

M. Peric: Donc il faisait passer vos chansons gratuitement?

Mme Pelletier: Pardon?

M. Peric: Il faisait passer...

Mme Pelletier: Ma musique, oui. Elle était jouée à la radio, oui.

M. Peric: Gratuitement?

Mme Pelletier: Gratuitement?

M. Peric: Il ne vous faisait pas payer pour ça.

Mme Pelletier: Non!

M. Peric: Très bien.

Une voix: Elle ne les faisait pas payer non plus.

Mme Pelletier: C'est exact, je ne les faisais pas payer non plus.

M. Peric: Pensez-vous que les radiodiffuseurs jouent un rôle vraiment important dans votre carrière?

Mme Pelletier: Oui, tout comme nous jouons un grand rôle dans leur carrière.

M. Peric: C'est mutuel.

Mme Pelletier: Oui. Je crois que les gens écoutent la radio, pas pour la publicité... Pour commencer, c'est parce qu'ils veulent entendre de la musique. Bien entendu, c'est un échange intéressant.

Chaque fois que je chante à la télévision, sur scène, je suis payée et je pense qu'il est tout simplement naturel qu'une station de radio fasse la même chose.

[Français]

C'est une question d'affaires. You know it's just like...

La question ne se pose même pas. Toutes les fois que j'ai à chanter ou à m'exécuter en public, on me paie en tant qu'interprète parce que je suis une artiste. Quand j'interprète une chanson, comme je l'expliquais plus tôt, il y a une part de créativité.

Donc, je ne vois pas pourquoi les radios ne le font pas. Je crois que, depuis plusieurs années, ils ne l'ont pas fait. Ils avaient sûrement leurs raisons, mais aujourd'hui, on demande l'équité. On veut que cela se fasse une fois pour toutes parce que tout le monde le fait sauf eux. Quelle en est la raison? Parce qu'ils nous font de la publicité? Quant à cela, quand on va à la télévision, on nous fait de la publicité aussi.

Avant tout, les artistes sont là, non pas pour entretenir quelque chose, mais bien parce qu'ils ont quelque chose à dire et qu'il y a des gens, au bout de la ligne, qui veulent les entendre. Et ça passe par la radio. Donc, il va de soi qu'ils devraient nous payer pour cela.

.2140

[Traduction]

M. Peric: Je suis d'accord avec vous. Maintenant...

Le président: Deux questions.

Une voix: Deux longues ou quatre petites?

M. Peric: Qui a joué le rôle le plus important dans votre carrière, la compagnie de disques ou la radio?

[Français]

Mme Pelletier: L'un n'est pas vraiment plus important que l'autre. La personne qui joue le rôle le plus important dans ma carrière, c'est moi-même. Ensuite, c'est un travail d'équipe. Quand j'emploie un gars pour faire ma promotion, je le paie. Quand j'emploie un musicien pour participer à mon album, je le paie. Il m'est arrivé quelquefois de jouer le rôle de producteur et je me suis payée en tant qu'interprète, parce que c'est quelque chose de différent. Donc, quand les radios utilisent ma voix et la font passer sur les ondes, normalement, elles doivent payer.

[Traduction]

M. Peric: Pensez-vous que sans la radio vous pourriez connaître plus de succès ou moins de succès?

Mme Pelletier: Je crois que sans nous la radio ne pourrait même pas exister.

M. Peric: Non, ce n'est pas de la radio qu'il s'agit, mais de vous comme artiste.

[Français]

Mme Pelletier: C'est certain que c'est un travail d'équipe, que toutes les choses se rejoignent et qu'on a besoin les uns des autres. Cependant, il faut qu'il y ait une équité quelque part. Et l'équité n'existe pas au niveau de la radiodiffusion. On paie les auteurs. On paie les compositeurs. On paie les éditeurs. On paie pas mal de monde, mais on ne paie pas les interprètes. En tant qu'interprète, je veux être payée.

[Traduction]

M. Peric: Merci.

[Français]

Le président: Mme Pelletier, vous avez bien tenu votre bout.

[Traduction]

Des voix: Oh, oh!

Mme Pelletier: J'aime ce genre de questions. Merci.

M. Peric: Une dernière...

Le président: Un instant.

[Français]

Tout d'abord, on a dépassé l'heure. Je suis disposé à rester plus longtemps parce que je pense que c'est très important. M. Bélanger aimerait poser une question. Y en aurait-il d'autres?

[Traduction]

Très bien, monsieur Peric. Je vais conclure un marché avec vous. Je vais laisser M. Bélanger poser une question et ensuite M. Plamondon. Je vous redonnerai ensuite la parole mais vous aurez intérêt à faire court et gentil.

[Français]

Monsieur Bélanger.

M. Bélanger: Monsieur Turgeon, je voudrais vous féliciter pour votre présentation et vous en remercier. Si c'est possible, j'aimerais obtenir une copie de votre texte. Je vous ai écouté très attentivement et je crois qu'il sera difficile d'y trouver des failles de logique. Personnellement, je tends à pencher de votre côté. Vous décrivez un idéal et il serait louable que, dans le pays, nous penchions collectivement vers cet idéal.

Il n'y a aucun doute dans mon esprit. On n'est pas seulement artistes. On est patineurs de fantaisie parfois. On patine bien et on doit souvent le faire en tant que politiciens parce qu'il y a des désirs contraires qui s'affrontent. On tente parfois de faire la part des choses. On tend vers cet idéal et je pense qu'on devrait, en tant que membres du comité, tendre vers cela également.

J'aimerais vous poser une question, et ce n'est pas une question piège. Je vais la poser à Mme Sand ou à vous, monsieur Turgeon, si vous préférez répondre. En toute franchise, si le projet de loi était adopté tel quel, est-ce que ce serait quand même un petit pas en avant?

M. Turgeon: Je vais laisser Mme Sand répondre aussi. Quant à moi, je vous dirai que si on veut faire les choses, monsieur Bélanger, faisons-les donc comme elles doivent être faites dès le départ. Il y a 50 pays dans le monde qui l'ont fait correctement. Pourquoi le Canada, pays membre du G-7, ne le ferait-il pas lui aussi? Mme Sand, qui a une expérience internationale, peut ajouter à cela.

.2145

[Traduction]

Mme Sand: Pour nous c'est peut-être le droit le plus classique de tous et le principe de son fonctionnement dans les pays européens que je connais le mieux, est si bien fondé et les systèmes de gestion sont si bien huilés que cela ne porte même pas à controverse. Je viens d'un pays - je suis britannique et vous l'avez peut-être deviné par mon accent - qui seulement cette année, en fait cette semaine, a déposé un projet de loi pour légiférer ce droit afin que les artistes jouissent des mêmes droits que leurs collègues dans les autres pays européens. Pour nous ce n'est pas un idéal; c'est une réalité qui depuis de nombreuses années marche très bien dans de nombreux pays.

[Français]

M. Turgeon: C'est bien de sortir de l'Antiquité, monsieur Bélanger, mais on est au XXIe siècle. En cours de route, il ne faudrait pas s'arrêter au Moyen-Âge.

M. Bélanger: Pour l'audiovisuel, je suis convaincu, car il n'y a aucun doute là-dessus.

[Traduction]

Une voix: Pourriez-vous nous envoyer une copie de ce projet de loi?

Mme Sand: Oui.

Le président: Voudriez-vous l'envoyer à la greffière du comité qui veillera à ce que tous les députés en reçoivent une.

Mme Sand: Avec plaisir.

[Français]

Le président: Monsieur Plamondon.

M. Plamondon: À quel pourcentage correspond ce que l'ADISQ a demandé, toujours dans le cadre des 1 250 000 $? À quel pourcentage du chiffre d'affaires, des recettes commerciales de la radio cela correspond-il?

Mme Pelletier: Cela correspond à un peu plus de 1 p. 100, je pense.

M. Plamondon: N'est-ce pas 1,5 p. 100? Un peu moins de 1 p. 100.

M. Turgeon: Cela, pour la matière première qui fait vivre la radio. C'est ce qu'il ne faut pas oublier.

M. Plamondon: C'est ce que j'allais vous dire. J'ai de l'expérience dans plusieurs commerces. J'en possède encore quatre. Je sais que pour le fabricant de meubles, le coût de la matière première est de 25 p. 100. Dans la restauration, cela représente 30 p. 100. Dans le domaine des théâtres d'été, cela représente parfois 50 p. 100. Pour le golf, c'est au moins 30 p. 100. Je ne connais pas de commerces dont la matière première pour fabriquer ou vendre quelque chose représente moins de 20 p. 100.

Pour la matière première de la radiodiffusion, on demande 1,5 p. 100.

M. Turgeon: Absolument.

M. Plamondon: C'est ce qui me surprend lorsqu'on s'inquiète de la survie... Si c'est 1 p. 100 qui manque à un poste de radio, qu'il ferme tout de suite. Il ne survivra jamais.

M. Turgeon: C'est ce qu'on dit. On a parlé plus tôt d'expropriation, mais c'est aussi de l'usurpation. C'est cela qu'il faut voir, c'est cela qui n'est pas tolérable et c'est à cela que notre gouvernement ne doit pas s'associer.

Mme Beauchemin: J'aurais un très bref complément de réponse parce que je pense que cela aidera peut-être à éclairer la lanterne de votre collègue de l'autre côté de la table.

Dans tous les secteurs commerciaux, il faut d'abord regarder ce que sont les coûts de la matière première. Il y a aussi, dans tous les secteurs commerciaux, des relations qui s'établissent entre fournisseurs et utilisateurs de services. L'établissement de ces relations se fait dans un cadre normal où il y a échange de services et échange de paiement, parce qu'il y a un avantage commercial qui doit en découler pour les deux.

Actuellement, le problème est que l'avantage commercial n'est que pour l'utilisateur du service. Qu'il y ait avantage mutuel, on ne demande pas mieux, mais on veut que l'avantage mutuel soit reconnu dans le cadre d'une entente commerciale entre fournisseurs et utilisateurs du service.

Le président: Merci beaucoup. Lorsque sa lanterne sera tout à fait allumée, on va lui permettre une dernière petite question.

[Traduction]

Court et gentil, je vous en prie.

M. Peric: Madame Pelletier, j'espère que vous allez être d'accord avec moi. Si vous l'êtes, dites-moi simplement oui ou non.

[Français]

Le président: Je crois qu'il vous aime bien, madame Pelletier.

M. Turgeon: Oui, on va vous apporter un disque.

[Traduction]

Mme Pelletier: Achetez un nouveau disque.

.2150

M. Peric: À mon avis, tout bon chanteur professionnel qui se respecte peut chanter sans musique. Qu'en pensez-vous?

Mme Pelletier: Est-ce qu'un bon chanteur peut chanter sans musique? Oui, bien entendu.

M. Peric: Dans ce cas, faites-le pour nous.

Des voix: Oh, oh!

[Français]

Mme Pelletier: Elle est bien bonne, celle-là.

M. Turgeon: C'est une bonne question. Avez-vous un contrat à lui soumettre?

Le président: Monsieur Turgeon, avant de terminer la séance, on voudrait vous remercier beaucoup, de même que Mme Pelletier, Mme Sand et Mme Beauchemin, pour votre présentation vraiment éloquente, vraiment intéressante. Vous avez su garder les membres du comité ici jusqu'à 21 h 50. Il fallait le faire.

M. Turgeon: Permettez-moi, en terminant, de vous dire que la journée a été longue pour beaucoup de gens aujourd'hui. J'en conclus que ce soir, les artistes et certains députés vont se coucher à la même heure. En me couchant, j'aurai en tête que mon gouvernement ne sera certainement pas la cause de mes problèmes, mais la solution à mes problèmes.

Je vous remercie.

Le président: La séance est levée

Retourner à la page principale du Comité

;