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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 24 octobre 1996

.1106

[Français]

Le président: À l'ordre! Je déclare ouverte la séance du 24 octobre pour entendre des témoins par rapport à l'étude du projet de loi C-32, An Act to amend the Copyright Act.

Aujourd'hui, nous allons entendre d'abord l'ACTRA, l'Alliance des artistes canadiens du cinéma, de la télévision et de la radio, représentée par M. Alexander Crawley, le président.

[Traduction]

Monsieur Crawley, vous avez la parole.

[Français]

M. Alexander Crawley (président, Alliance des artistes canadiens du cinéma, de la télévision et de la radio (ACTRA): Merci bien, monsieur le président. Bonjour.

[Traduction]

Mesdames et messieurs, nous vous remercions de cette occasion que nous vous donnez de vous faire part des préoccupations importantes que nous avons au sujet du projet de loi.

Le fait que l'emplacement des audiences change constamment semble être une métaphore pour indiquer la difficulté de s'y retrouver dans la Loi sur le droit d'auteur. C'est un peu comme un labyrinthe. Je suis quand même heureux que nous soyons tous ici.

Outre le mémoire écrit qu'elle vous a soumis le 31 août 1996, l'ACTRA souhaite faire les observations supplémentaires suivantes au comité parlementaire chargé d'examiner le projet de loi C-32.

L'ACTRA, l'Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists, représente les artistes-interprètes et les journalistes de la radiodiffusion professionnelle qui travaillent à leur compte au Canada tant dans les médias d'enregistrement que dans les médias de radiodiffusion en direct, principalement en anglais, et ce, depuis 50 ans.

Pendant tout ce temps, nous avons travaillé avec les divers gouvernements et organismes publics qui se sont succédé afin de promouvoir l'adoption de politiques gouvernementales et de mesures législatives destinées à appuyer le développement culturel et économique sans lequel aucun pays ne peut atteindre une certaine maturité et un certain respect.

Nous considérons que le projet de loi C-32, à condition qu'il soit modifié pour réaliser l'équilibre voulu par le législateur entre l'intérêt des titulaires de droits d'auteur et les créateurs d'une part et celui des diverses catégories d'utilisateurs d'autre part, nous permettrait d'avancer avec confiance dans la voie du soutien structurel nécessaire à notre développement culturel et économique.

L'ACTRA appuie la position de l'Union des artistes selon laquelle les exceptions à l'application des mesures destinées à protéger les droits ne devraient être utilisées que rarement et uniquement quand il n'existe pas de mécanismes acceptables pour permettre aux titulaires de droits d'auteur et à certaines catégories d'utilisateurs de s'entendre.

Or, le projet de loi C-32 semble accorder une place privilégiée aux exceptions qu'il propose et considérer la protection des droits à la lumière des besoins des utilisateurs. Nous croyons pour notre part que l'objet de la loi devrait être exactement l'inverse, à savoir que les exceptions ne puissent être utilisées qu'en dernier recours et qu'elles doivent faire l'objet de négociations collectives entre les utilisateurs et les artistes-interprètes.

Le processus d'élaboration de la législation à cet égard se fonde sur des principes d'équité, et ce, depuis le début. La notion d'équité et de rémunération équitable qui se retrouve dans la Convention de Rome est facile à comprendre, mais elle se trouve gravement compromise par le projet de loi à l'étude. La rémunération devrait être équitable eu égard à l'utilisation qui est faite des prestations, et les montants dérisoires qui seraient payés par la majorité des radiodiffuseurs pour l'utilisation des prestations enregistrées ne peuvent pas en toute honnêteté être qualifiés d'équitables.

Naturellement, nous parlons ici du projet de loi tel qu'il est énoncé. Nous avons confiance que vous y apporterez les modifications nécessaires.

Nous sommes d'avis que, quand un droit est consacré par la loi, il est inacceptable d'obliger le titulaire du droit à subventionner ni plus ni moins les arts de la culture et de la radiodiffusion. Les artistes-interprètes ont répondu, il y a de cela près de 40 ans, à tous les arguments que soulèvent aujourd'hui les radiodiffuseurs canadiens, et nous ne considérons pas qu'ils sont plus valables aujourd'hui qu'ils ne l'étaient à ce moment-là.

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Nous approuvons donc entièrement la position de l'ADISQ en ce qui concerne l'importance des paiements au titre du droit d'auteur que les radiodiffuseurs verseraient aux artistes-interprètes et aux producteurs de phonogrammes. Soit dit en passant, les radiodiffuseurs trouvent aussi leur compte dans ce projet de loi, puisque l'article 21 prévoit des mesures de protection à leur endroit.

Plusieurs des groupes qui sont intervenus dans le processus ont donné à entendre au comité que l'introduction de droits pour les artistes-interprètes constitue un obstacle à l'utilisation des oeuvres en question. À ce propos, nous tenons à vous rappeler que les droits des artistes-interprètes existent depuis longtemps et sont consacrés par la loi dans 52 pays différents, notamment dans les pays de l'Union européenne, sans que les industries culturelles de ces pays en aient subi le moindre effet délétère. En outre, nous considérons que la protection des droits des artistes-interprètes permet l'épanouissement du talent, qui peut ainsi apporter sa contribution importante au dynamisme et à la croissance des industries du spectacle.

Nous devons aussi faire remarquer qu'il n'est pas logique de n'avoir pas inclus dans les droits voisins les droits des artistes-interprètes à l'égard de leurs oeuvres audiovisuelles. Nous connaissons bien les considérations collectives qui sont à l'origine de cette omission, et nous travaillons diligemment avec les organisations qui représentent nos collègues artistes dans le monde entier pour que cette anomalie historique soit reconnue et qu'elle soit corrigée. Encore là, nous tenons à préciser que les artistes-interprètes ont des droits sur les oeuvres audiovisuelles depuis un grand nombre d'années dans bien des pays, y compris dans tous les pays membres de l'Union européenne.

À cet égard, nous appuyons entièrement ce que dit la Conférence canadienne des arts dans son mémoire, et plus particulièrement ce qu'elle dit au sujet de la copie pour usage privé et de la redevance sur les cassettes vierges. Nous reconnaissons que l'inclusion d'une redevance sur les cassettes vierges est un important premier pas, mais nous considérons qu'il faut de toute urgence imposer une redevance sur les cassettes audiovisuelles vierges. Nous vous exhortons à inclure une mesure en ce sens.

Les industries qui foisonnent autour des nouvelles technologies de communication militent en faveur d'une législation en matière de droits qui permet à divers types d'information, y compris aux oeuvres artistiques, de circuler entre les différents pays. Le processus d'élaboration de traités internationaux est actuellement aux prises avec les questions complexes qui découlent en partie des progrès réalisés dans la technologie des communications. Nous n'avons aucun doute que votre comité, de même que ceux qui vous suivront, verra le dossier du droit d'auteur lui revenir - je peux déjà lire la joie sur vos visages à cette annonce - dès que des progrès auront été faits à l'échelle internationale. Nous voudrions que le Canada joue un rôle de chef de file à l'échelle internationale afin de promouvoir les importants principes que consacre ce projet de loi ainsi que, de manière générale, dans la négociation de traités.

Cela dit, nous tenterons de vous faire quelques suggestions d'ordre pratique afin de corriger le projet de loi C-32 pour qu'il puisse répondre à son objectif, qui, bien qu'il soit provisoire, n'en est pas moins très nécessaire. Parlons tout d'abord de la nécessité de passer aussitôt à l'action.

L'ACTRA tient à rappeler au comité que les artistes-interprètes attendent depuis déjà bien trop longtemps des mesures concrètes sur les droits des artistes-interprètes. Ces droits doivent absolument être reconnus par la loi pour que les artistes-interprètes et les organisations qui les représentent puissent tenter d'obtenir une rémunération juste dans les ententes qu'ils négocient. Nous vous exhortons donc à prendre toutes les mesures voulues pour que le projet de loi entre en vigueur au plus tard au début du printemps 1997. Les artistes-interprètes attendent depuis déjà assez longtemps.

Deuxièmement, la réforme doit se poursuivre de façon permanente. L'ACTRA voit d'un bon oeil l'introduction des droits des artistes-interprètes. Nous devons toutefois bien insister sur le fait qu'en appuyant le projet de loi C-32 nous partons du principe que le projet de loi est un pas dans la bonne voie, mais qu'il ne s'agit que d'un premier pas qui devra bientôt être suivi d'autres mesures. La société de l'information ne relève plus du domaine de la futurologie - elle est déjà là.

Chacun sait que les progrès technologiques dans la production, la diffusion, l'entreposage et la reproduction d'oeuvres audio et audiovisuelles présentent un défi pour le législateur qui cherche à assurer aux créateurs de ces oeuvres la protection qui est au coeur même de la Loi sur le droit d'auteur. Bien que nous soyons d'accord pour dire que l'application rigoureuse de la notion de neutralité technologique devrait permettre de prolonger la durée de vie utile des mesures législatives qui seront adoptées, l'ACTRA se réjouit de ce que le gouvernement fédéral reconnaisse que son projet de loi C-32 ne vise pas à répondre à toutes les questions soulevées par l'avènement de ce que nous appelons l'autoroute de l'information.

Nous proposons que le gouvernement établisse un processus de révision permanente afin qu'il soit possible d'élaborer les modifications nécessaires et de les consacrer dans la Loi sur le droit d'auteur au fur et à mesure que le besoin s'en fera sentir. Il y aurait peut-être lieu d'officialiser la chose et de prévoir l'examen automatique de la loi.

C'est quelque chose qui se fait déjà. Nous avons modifié la loi pour permettre la conclusion de l'ALENA et de l'Accord de libre-échange, et il n'y a pas de raison pour que cela ne puisse pas se faire de nouveau. Si j'en parle, c'est que, comme vous le savez, le sujet n'est pas considéré comme étant, mettons, particulièrement accrocheur sur le plan politique, et nous craignons qu'il ne soit relégué aux oubliettes à moins qu'un mécanisme ne soit prévu dans la loi pour que les chefs politiques soient plus ou moins obligés de prendre au sérieux leurs responsabilités à cet égard.

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Vous savez aussi bien que quiconque, et sans doute mieux que quiconque, qu'il faut du temps pour bien comprendre les conséquences de certains choix qui sont faits dans le domaine de la réglementation de la propriété intellectuelle. Ceux qui seront chargés à l'avenir de cette réglementation pourraient avoir besoin d'un cadre pour que nous ayons l'assurance qu'ils voudront bien se colleter avec ces questions de façon permanente.

Enfin - et c'est vraiment là ce qui constitue le noyau de notre mémoire - , il y a la question de l'application des droits des artistes-interprètes. L'ACTRA a indiqué dans le mémoire qu'elle a fait parvenir au comité que le projet de loi C-32 ne prévoit pas de mécanisme convenable pour assurer l'application des droits contractuels. Les mécanismes d'application existants sont insuffisants à cause des dépenses et des retards qu'entraînent les poursuites au civil, de sorte qu'il faudrait un mécanisme d'application pratique.

Avant de terminer, j'aimerais vous parler d'une histoire type qui illustre bien ce point. Il y a une dizaine d'années environ, ici même à Ottawa, il y avait une société appelée Crawley Films, qui n'existe plus aujourd'hui. Je m'empresse d'ajouter qu'à l'époque dont je parle cette société ne relevait pas de ma famille.

Crawley Films produisait une série de films d'animation pour enfants et a versé tous les droits aux artistes ainsi que la rémunération et autres rétributions pendant cinq ans. La société a payé le compositeur de la musique, et on a commercialisé le produit. Toutefois, sans informer les artistes-interprètes ni notre organisation, l'ACTRA, la société a décidé de vendre ce produit à un radiodiffuseur canadien bien connu qui est sur le point d'établir un réseau au pays - pour ne pas le nommer - pour une période de dix ans, comme elle était libre de le faire et comme si les droits avaient été cédés pour dix ans.

Au bout de cinq ans nous avons constaté qu'une vingtaine d'artistes n'avaient pas touché leur cachet, et nous avons naturellement communiqué avec le radiodiffuseur. Il nous a fait valoir qu'il n'avait aucune entente juridique avec nous. Nous n'étions protégés que par des obligations contractuelles envers le producteur qui, hélas, n'existait plus.

Il existe, naturellement, un recours en droit civil, mais il était clair que pour percevoir ces quelque 140 000$ à distribuer à une vingtaine de personnes, et étant donné la façon dont les choses fonctionnent dans notre pays sur le plan commercial et administratif pour les entrepreneurs privés comme nous, il nous aurait fallu intenter des poursuites individuelles pour recouvrer 2 000$ ou 7 000$ au nom de chacun des intéressés. Comme vous le savez - certains d'entre vous sont probablement juristes en plus d'être politiciens - nous ne pouvons pas nous permettre de dépenser 10 000$ pour en toucher 2 000$. C'est le coeur même du problème. Je pourrais vous parler d'autres cas encore.

C'est pourquoi il nous faut un mécanisme de mise en application qui incite les radiodiffuseurs, en tant que catégorie d'utilisateurs types, à s'assurer d'obtenir l'autorisation d'utiliser les droits, à s'assurer qu'ils ne sont pas déjà autrement cédés, avant d'entreprendre d'exploiter les oeuvres.

À notre avis, la Commission du droit d'auteur doit être tenue d'entendre les réclamations des artistes-interprètes et de leurs sociétés d'une manière sommaire relativement aux infractions relatives aux droits des artistes-interprètes en vertu de la partie VII. Autrement dit, la loi doit avoir un peu de mordant pour atteindre son objectif, qui consiste à protéger les titulaires de droits. Un artiste-interprète, ou l'organisation qui le ou la représente, serait ainsi en mesure de déposer une simple plainte sous la forme prescrite, et la commission aurait les ressources voulues pour faire enquête, établir les faits et ordonner le versement d'une indemnisation.

En outre, le tribunal doit avoir le pouvoir statutaire de rendre une injonction quand cela s'impose et d'agir à titre de fiduciaire des montants dus à la suite de toute ordonnance. Autrement dit, le tribunal devrait agir comme une agence unique de mise en application afin d'éviter la confusion et la multiplication des procédures juridiques.

L'ACTRA propose donc d'amender la partie IV du projet de loi C-32 de manière que la Commission du droit d'auteur ait le pouvoir statutaire d'autoriser des recours ainsi que le dispose le nouveau libellé proposé pour le paragraphe 34(1) du projet de loi, qui se lit comme suit:

Comme c'est courant dans le cas d'une nouvelle loi, il faudra prendre des règlements afin que les procédures sommaires soient prises rapidement et équitablement. Par conséquent, si un utilisateur final, comme un radiodiffuseur, a l'intention de radiodiffuser, de distribuer ou d'utiliser autrement une production à l'égard de laquelle il existe une demande de rémunération en suspens, l'utilisateur final ne doit pas être en mesure d'exploiter l'oeuvre sans d'abord s'acquitter des obligations en question.

Encore là, nous ne sommes pas ici pour entraver la distribution ni l'utilisation. Nous voulons simplement nous assurer que les utilisations qui sont faites sont adéquatement autorisées et que les utilisateurs ont tout intérêt à respecter leurs obligations contractuelles.

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Bref, mesdames et messieurs, l'ACTRA est consciente des problèmes auxquels sont confrontés les législateurs qui doivent concilier divers intérêts. Les artistes-interprètes ont toujours été disposés à négocier des modalités justes et équitables pour la prestation de leurs services. En fait, le Canada s'est fait le chef de file dans ce domaine lorsqu'il a présenté la Loi sur le statut de l'artiste, grâce à laquelle des ententes négociées engagent les parties dans des rapports exécutoires et qui assure la présence de normes professionnelles strictes dans le secteur qui, il faut le reconnaître, est le moteur de cette «économie du savoir» que tous attendent le siècle prochain.

Nous espérons sincèrement que le projet de loi C-32 pourra renforcer l'appui structurel dont ont besoin les artistes pour travailler. L'ACTRA est disposée à discuter de la question avec les législateurs, avec vous à titre individuel, avec le gouvernement et tous ses représentants pour modifier le projet de loi et appuyer son application en temps opportun.

En date du 24 octobre 1996.

Merci beaucoup. Je suis disposé à répondre à vos questions.

Le président: Merci, monsieur Crawley. Monsieur Leroux.

[Français]

M. Leroux (Richmond - Wolfe): Merci, monsieur Crawley, pour votre mémoire et votre intervention. Je pense que le comité souhaite lui aussi, par ses travaux, être très actif et faire en sorte que le projet de loi soit mené à bon terme. Notre souhait, je le crois, c'est que ce projet de loi tant attendu soit effectivement adopté en Chambre et mis en application.

J'aurais quelques questions à la suite de vos commentaires. Mais dites-moi d'abord si vous êtes d'accord avec les gens qui jugent que l'approche de ce projet de loi, laquelle autorise tant d'exceptions pour les ayants droit, interprètes et autres, dans des champs aussi importants que l'éducation, les bibliothèques, les archives, etc., émet un message négatif et de non-responsabilité par rapport à la reconnaissance des droits et à l'exigence de négocier avec les collectifs de gestion et les représentants. Donc, un double message serait émis, celui de déresponsabiliser la reconnaissance des ayants droit et celle de la négociation. Est-ce que vous êtes d'accord sur cette analyse du projet de loi?

M. Crawley: Bien sûr, nous sommes complètement d'accord là-dessus.

[Traduction]

Il est évident que les exceptions - il suffit de penser à la définition du terme - doivent justement être des exceptions. Malheureusement, le projet de loi semble favoriser les utilisateurs plutôt que jouer son rôle principal, soit protéger les créateurs d'oeuvres qui ont une valeur et assurer que ces oeuvres auront en fait une valeur.

Un des rôles importants que joue une mesure législative - et que joue également le leadership politique - c'est de sensibiliser le public à l'importance et à la portée d'une question qui fait l'objet d'une mesure législative. Dans le cas qui nous occupe, il est évident qu'il importe que le public comprenne ce que représentent la propriété intellectuelle ainsi que tous les secteurs qui nous touchent, de la production à la distribution à la vente au détail. Le public doit comprendre qu'une loi sur les droits existe afin d'assurer la croissance et l'épanouissement du secteur.

Comme le député l'a dit, nous avons des sociétés de gestion qui sont prêtes à reconnaître leurs responsabilités sociales et à conclure des ententes avec les établissements d'enseignement et les bibliothèques. Nous sommes conscients du fait qu'il est bon de conserver une copie des oeuvres et des choses de ce genre, mais nous notons un manque de respect fondamental pour le fait que nous sommes les propriétaires de ces oeuvres et, dans le cas des artistes-interprètes, de nos corps, de nos voix et de nos images.

Si nous avons bien compris, la Loi sur le droit d'auteur vise à protéger les oeuvres et à créer un encouragement économique pour les artistes de diverses catégories pour qu'ils créent des oeuvres, des oeuvres de valeur. Nous croyons vraiment qu'il existe un déséquilibre. Je crois que c'est attribuable en partie à une certaine perspective culturelle, à une réorganisation inappropriée du gouvernement sous le régime des Conservateurs de Mulroney, une réorganisation qui a été maintenue par le gouvernement actuel; cette réorganisation a réparti les responsabilités pour ces questions entre le ministère de l'Industrie, l'ancien ministère de la Consommation et des Affaires commerciales et le ministère du Patrimoine, qui s'appelait jadis, et c'était plus approprié, le ministère des Communications. Nous préférions l'ancien système, et nous espérons que nos chefs politiques auront la sagesse d'y retourner un jour.

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Je crois que c'est là d'où vient ce parti pris. Le ministère de la Consommation et des Affaires commerciales a toujours été responsable des besoins des utilisateurs, comme les consommateurs, ou, comme nous les appelons, les «citoyens». La répartition des responsabilités entre les deux ministères a créé un déséquilibre qui est reflété dans cette mesure législative.

Nous avons été très heureux d'apprendre que le Comité du patrimoine étudie de très près la question. Nous espérons que vous pourrez remettre les pendules à l'heure, pour que cette mesure législative atteigne l'objectif visé. Je crois que vous reconnaissez tous que le rôle fondamental d'une loi sur le droit d'auteur est de protéger les artistes.

[Français]

M. Leroux: Pour poursuivre dans le même sens, monsieur Crawley, tout à l'heure, vous avez quand même entrouvert la porte à la possibilité d'accepter des exceptions, en disant qu'il se pouvait, dans des cas exceptionnels - vous avez utilisé le mot «exceptionnels» - , qu'on puisse faire une exception. J'aurais aimé que vous me donniez un exemple concret d'un tel cas exceptionnel.

[Traduction]

M. Crawley: Prenons l'exemple des copies de conservation, sur lesquelles les associations pour la protection du patrimoine et d'autres, qui représentent un sous-élément du secteur culturel, ont formulé des recommandations. Il est évident qu'un artiste, dans quelque secteur que ce soit, serait conscient de l'importance, surtout s'il oeuvre dans les médias électroniques, d'assurer la conservation d'une copie de son oeuvre, car il ne faut pas oublier que même les CD-Rom s'usent un jour. Évidemment, il faut préserver nos premières oeuvres.

Par exemple, à titre de vice-président d'une autre organisation qui vous a présenté un mémoire écrit, l'Alliance for Canada's Audio-Visual Heritage, je peux vous assurer que nous avons des trésors culturels au Canada qui sont en train de disparaître. Ils s'écroulent littéralement physiquement parce que la question des droits les caractérisant n'a pas été réglée. Évidemment, si l'on veut clarifier ces droits, il faut s'inspirer de lois modernes.

Je suis convaincu que l'on pourrait communiquer avec les créateurs pour les convaincre, ce qui ne devrait pas être difficile, qu'à titre de détenteurs de droits ils doivent assurer la conservation d'une copie. Ils ne s'attendraient pas à une rémunération économique pour la conservation de cette copie.

De la même façon, nous voulons que nos créations comme artistes canadiens soient accessibles aux Canadiens, tout particulièrement aux jeunes Canadiens, par l'entremise du système d'enseignement. Nous reconnaissons qu'il est dans notre intérêt qu'ils connaissent nos oeuvres, nos talents et notre vécu.

Nous avons toujours été disposés, par exemple comme écrivains par l'entremise d'ententes CANCOPY, à en venir à une entente raisonnable avec les établissements d'enseignement pour la diffusion appropriée de nos oeuvres. Mais nous demander simplement de leur donner carte blanche, de dire que dorénavant il ne leur en coûtera rien pour utiliser nos oeuvres, et n'oubliez pas qu'il s'agit maintenant d'un format numérique - et, comme vous le savez pertinemment, cela veut dire qu'il est possible de faire des copies parfaites - non, c'est beaucoup trop demander.

Pourquoi un jeune irait-il acheter par exemple une copie d'un film canadien qu'il a trouvé intéressant et qui est disponible à la bibliothèque de son école sur disque laser alors que tout ce qu'il a à faire, c'est d'apporter le disque à la maison, de le glisser dans l'appareil d'enregistrement pertinent et d'avoir une copie gratuite? Il faut tenir compte de tous ces facteurs - les copies uniques pour un usage personnel et toutes les choses qui font partie traditionnellement du régime de droit d'auteur.

Évidemment, nous allons reconnaître ces principes par l'entremise de nos sociétés de gestion en organisant ou concluant des ententes appropriées. Si vous étudiez nos antécédents, nous existons depuis déjà 54 ans, je crois que vous constaterez que nous avons toujours été disposés à faire des pieds et des mains comme groupe d'artistes pour promouvoir l'épanouissement culturel au Canada. Ces efforts incluent certainement l'éducation et la préservation. Il s'agit là de deux exemples de ce genre d'ententes.

Cependant, nous enlever ce droit d'entrée de jeu n'est pas vraiment la façon de procéder. C'est un signe, tout compte fait, de manque de respect à l'égard des créateurs.

Nous avons été présents lors d'autres réunions du comité et nous avons constaté que les députés semblent partager notre opinion car ils reconnaissent que des principes fort importants sont en jeu. Nous espérons que l'on apportera des améliorations au projet de loi et qu'on resserrera la portée des exceptions.

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[Français]

M. Leroux: Vous avez parlé plus tôt de l'idée d'une révision permanente. On sait qu'entre 1924-1925 et 1985, ce fut le néant. On n'a rien révisé. Maintenant, on a mis en branle le processus d'une deuxième phase. Dans cette deuxième phase, le contenu du projet de loi prévoit déjà un mandat de réouverture dans cinq ans. Est-ce que vous proposez que cette réouverture prévue dans le projet de loi soit intégrée à une sorte de procédé permanent de révision et modifiée dans cette perspective plutôt que de découler d'un simple mandat de cinq ans?

[Traduction]

M. Crawley: Je tiens à vous remercier de m'avoir appris cela. J'apprends toujours quelque chose lorsque je viens sur la colline du Parlement. Je dois avouer que je n'ai pas vraiment fait mon devoir. Je ne savais pas que ces mécanismes existaient.

Je suis un artiste-interprète indépendant, et je ne prétends pas être expert en la matière. Je suis cependant rassuré d'apprendre qu'on en a tenu compte dans le projet de loi.

J'espère qu'il ne faudra pas attendre cinq ans. Nous nous attendons à ce qu'une entente internationale soit conclue, peut-être d'ici à 12 mois. Nous voudrons peut-être modifier en conséquence le projet de loi. J'espère que le projet de loi ne nous empêcherait pas d'apporter ces modifications à ce moment-là.

Je suis rassuré d'apprendre qu'on prévoit un examen automatique. Merci beaucoup.

[Français]

Le président: Monsieur Arseneault.

[Traduction]

M. Arseneault (Restigouche - Chaleur): Merci, monsieur le président.

Bienvenue, monsieur Crawley. Votre exposé était fort intéressant.

J'aimerais apporter quelques précisions. Lorsque vous écoutez les témoins, selon qu'il s'agisse de créateurs ou d'utilisateurs, ils ont des opinions bien différentes. Mais les deux groupes s'entendent pour dire que le projet de loi est à l'avantage de l'autre partie. Les créateurs disent que le projet de loi est à l'avantage des utilisateurs, et ces derniers disent qu'il est à l'avantage des créateurs. Il faut faire la part des choses.

Vous avez dit que le projet de loi dans son libellé actuel n'est pas équitable envers tous et que vous espérez que le comité rétablira l'équilibre nécessaire. Vous avez signalé que deux secteurs vous inquiètent tout particulièrement. Le premier est celui des exceptions. Les créateurs nous ont fait part de leurs inquiétudes à cet égard. Les utilisateurs s'inquiètent aussi de ces exceptions.

Nous parlons ici des droits des artistes-interprètes. Voilà une décision très importante de la part du Canada. C'est une décision et une mesure qu'on aurait dû prendre il y a déjà plusieurs années. D'autres pays ont une longueur d'avance sur le Canada en ce qui a trait aux droits des artistes-interprètes, comme vous l'avez indiqué. Est-ce que les autres pays qui ont adopté des mesures législatives à l'égard des droits des artistes-interprètes ont prévu également des exceptions? N'y a-t-il aucune exception? Pouvez-vous nous donner de plus amples détails?

M. Crawley: Oui. Je ne peux pas vous donner de renseignements très techniques, quoique je sois accompagné aujourd'hui de quelqu'un qui accompagnait l'Union des artistes l'autre jour. Cette personne pourra peut-être vous donner de plus amples renseignements.

Il y a des exceptions. Toute une série de mécanismes ont été mis sur pied. Certains pensent que le concept simple des droits voisins s'applique de la même façon dans chaque pays. Évidemment, il y a plusieurs façons d'aborder la question. Il y a des exceptions, parce que les artistes...

Le président: Monsieur Crawley, puis-je vous interrompre? Si Mme Sand veut dire quelques mots, qu'elle n'hésite pas à le faire.

M. Crawley: Je lui céderai la parole dans une minute. En fait, il est heureux que Katherine soit avec moi aujourd'hui, car elle représente quelque 70 organisations d'artistes-interprètes de toutes les régions du monde. Nous nous intéressons tous à ces questions.

Je la laisserai vous donner de plus amples détails, mais je crois que pratiquement dans toutes les régions du monde les artistes ont été disposés à reconnaître qu'ils veulent que leurs oeuvres soient appréciées par des gens de toutes les couches de la société, grâce à des applications pédagogiques, comme je l'ai signalé dans ma dernière réponse.

Il y a donc des exceptions. Ce n'est pas un point sans couture. On s'attaque au problème. On pense à tous les aspects. Les législateurs de toutes les régions du monde essaient de s'assurer, en cette ère de l'information, que les renseignements pourront circuler entre les régions.

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Il y a des exceptions. Nous ne nous attendons pas vraiment à ce que l'on élimine toutes les exceptions prévues dans le projet de loi, mais notre analyse révèle qu'on accorde une importance démesurée aux exceptions, un peu comme si celles-ci avaient eu la priorité lors de l'élaboration de la politique et puis qu'on avait en second lieu pensé aux protections. Je crois que cette situation est attribuable au niveau où la responsabilité se trouve au gouvernement. C'est une question qu'évidemment nous ne pourrons pas régler au sein de ce comité. Cependant, je crois que vous pouvez changer les choses en apportant des modifications au projet de loi.

Katherine pourra peut-être vous parler du contexte international.

Mme Katherine Sand (secrétaire générale, Fédération internationale des acteurs): Ce projet de loi, nous l'espérons, permettra au Canada de reprendre le temps perdu et de devenir signataire de la Convention de Rome, qui est un mécanisme très important de protection des droits des artistes-interprètes, même si cette convention existe depuis longtemps - depuis plus longtemps que moi, puisqu'elle a été rédigée il y a 36 ans. Il ne s'agit évidemment pas d'une mesure législative d'avant-garde; cependant, elle prévoit des principes importants, et nous sommes heureux que le Canada ait décidé de les appliquer; elle reconnaît également des droits très importants.

Pour ce qui est des exceptions, je crois que Sandy a répondu très clairement à la question précédente; évidemment, certains États pourraient dans des circonstances particulières prévoir des exceptions limitées - encore une fois, cela est enchâssé dans la Convention de Rome. Sandy les a énumérées, en fait; il n'a pas besoin de moi à cet égard. Cependant, l'usage par un particulier, évidemment, n'est qu'un des aspects abordés.

De plus, il ne faut pas oublier l'utilisation de brefs extraits dans les reportages d'actualité. C'est une question qui mérite d'être étudiée à nouveau, puisque l'utilisation par les médias de documents protégés par le droit d'auteur est quelque peu différente maintenant. Il ne faut pas oublier l'impact de la technologie numérique.

L'autre question, évidemment, est celle des mesures touchant l'enregistrement éphémère par les organismes de radiodiffusion. Des mesures ont été prévues dans ce sens dans votre projet de loi. C'est une question qui nous intéresse tout particulièrement, compte tenu des nouvelles technologies. Nous croyons qu'il pourrait y avoir abus si l'exception est trop vague et trop générale.

Des exceptions sont également prévues pour l'enseignement et la recherche scientifiques. Je crois qu'il faut tenir compte de ces principes, mais ils ne devraient pas former la pierre angulaire de la mesure législative. Comme Sandy l'a signalé, nous voulons d'abord et avant tout que les exceptions soient justement des exceptions, et que les artistes-interprètes et les utilisateurs s'entendent pour négocier la portée de ces exceptions d'une façon qui ne diminue pas la protection assurée par la loi.

M. Arseneault: Je ne crois pas qu'il existe une exception sur les enregistrements éphémères en soi dans le projet de loi. Pensez-vous qu'il en existe une?

Mme Sand: Non, je m'excuse. C'est une chose que l'on cherche à obtenir.

M. Crawley: Les radiodiffuseurs veulent obtenir cette exception. Si j'ai bien compris, pour ce qui est de la radio, les intéressés veulent transférer l'oeuvre sur un disque rigide, et des choses de ce genre. À titre de législateurs d'expérience, vous devez savoir que vous ne pouvez pas prévoir toutes les éventualités dans une loi. C'est le principe général qu'il faut protéger.

Nous sommes tous des adultes. Les artistes sont des adultes. Vous avez entendu les opinions de gens qui s'expriment très bien. M. Turgeon l'autre jour s'est exprimé avec beaucoup de conviction. Nous sommes d'accord avec pratiquement tout ce qu'il a dit. Nous voulons être réalistes. Nous n'allons pas obtenir tout ce que nous voulons dans ce projet de loi. Cependant, ce type d'utilisateur, le radiodiffuseur - qui obtient également lui aussi certains droits et qui a de bien meilleures ressources que nous pour faire valoir sa position, il faut le reconnaître - devrait admettre que ce qu'il cherche à obtenir est une protection juridique, alors qu'il existe un processus parfaitement adéquat pour lui permettre de négocier de tels avantages.

Nous n'essayons pas d'empêcher les radiodiffuseurs d'utiliser nos oeuvres. Nous demandons simplement, pour la première fois, que le gouvernement se penche sur l'anomalie qui existe, car le radiodiffuseur oeuvre dans un secteur fort rentable, en dépit de quelques années de vaches maigres, et cette rentabilité est attribuable dans une large mesure à notre travail. Les radiodiffuseurs vendent de la publicité pour les périodes pendant lesquelles nos oeuvres, nos créations, sont présentées. Parfait. C'est une question de promotion. Nous comprenons. Il y a des années qu'on nous chante la même chanson.

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Je me souviens que notre propre radiodiffuseur public s'était adressé à l'ACTRA il y a quelques années, nous expliquant qu'il avait eu l'occasion de radiodiffuser une émission au Japon par l'entremise de NHK. Les représentants du radiodiffuseur étaient très heureux. Malheureusement, ils nous ont dit qu'ils ne pourraient pas nous payer, mais que c'était quand même magnifique et que c'était une chance sans pareille pour nos carrières parce qu'une série d'émissions qu'on avait faite il y a dix ans allait être radiodiffusée au Japon! N'était-ce pas merveilleux?

C'est un signe de manque de respect flagrant. Tout le monde sait que l'objectif fondamental des artistes n'est pas de nature commerciale. Cependant, on se sert souvent de cette arme contre nous. C'est pourquoi nous mettons sur pied des organisations solides qui ont pour but de réparer ces torts.

Pour ce qui est de l'exception pour les enregistrements éphémères, nous sommes d'avis que nous sommes tous des adultes au Canada et qu'il n'est pas nécessaire de prévoir une mesure dans ce sens. Nous sommes des adultes. Nous nous occupons de nos artistes. Nous comprenons. Nous n'empêcherons pas le radiodiffuseur de se servir de nos créations. Nous négocierons quelque chose avec lui pour que les coûts ne soient pas exorbitants.

M. Arseneault: Monsieur Crawley, je sais que j'ai peu de temps...

M. Crawley: Je m'excuse. J'ai la langue assez bien pendue.

M. Arseneault: ...mais pour ce qui est des exceptions, je crois que vous avez expliqué votre position très clairement.

Un autre aspect important, c'est le recours à la Commission du droit d'auteur comme mécanisme d'application de la loi et des règlements. Est-ce que d'autres pays procèdent souvent de la même façon? Quel avantage présente cette façon de procéder?

M. Crawley: Tout d'abord, j'aimerais demander à Katherine de penser à cette question, même si je ne m'attends pas à ce qu'elle soit une experte sur les règlements canadiens en matière de droit d'auteur.

Nous sommes très fiers du travail que fait la commission, soit dit en passant. Nous croyons que grâce à cette loi la commission assumera, comme ce devrait être le cas d'ailleurs, de plus grandes responsabilités, car les règlements sur la propriété intellectuelle deviendront de plus en plus complexes. La commission aura donc besoin de ressources accrues pour s'acquitter de sa tâche.

Toutefois, nous revendiquons ce guichet unique, comme nous l'appelons dans notre mémoire, à cause des particularités que mon étude de cas avec la Crawley Films et Teddy Ruxspin tente d'illustrer. Le Canada est le chef de fil en ce qui concerne l'équilibre à atteindre entre les droits contractuels, d'une part, et les droits de propriété intellectuelle des artistes, d'autre part. En cela, nous avons emboîté le pas au Québec, qui, dès les années quatre-vingt, a entériné le statut de l'artiste. Le gouvernement fédéral juge enfin opportun de déposer son modèle, mais nous n'avons pas encore réussi à convaincre les gouvernements provinciaux autres que le Québec à reconnaître leurs responsabilités dans ce secteur.

Cela rend donc extrêmement difficile la mise vigueur dans les provinces de nos contrats négociés volontairement. Tant que les provinces n'auront pas reconnu le bien-fondé du développement culturel et n'auront pas institué une loi sur le statut de l'artiste, nous n'avons aucun moyen pratique de faire appliquer nos droits. Nous demandons donc au gouvernement fédéral de protéger nos droits de propriété intellectuelle, pour que nous puissions enfin nous tourner vers quelqu'un.

Soit dit en passant, cela ne grèvera pas énormément les ressources de la Commission du droit d'auteur. Toutefois, cela réussira à envoyer un message très clair aux CanWest et Global du Canada, pour leur faire comprendre qu'ils ne pourront plus épargner quelques centaines de milliers de dollars à nos dépens. C'est une façon de les inciter à nous payer, pour que nous n'ayons pas à avoir recours à la Commission du droit d'auteur, puisque les contrats établiront clairement l'obligation de payer.

Le simple fait d'instituer ce mécanisme servirait d'incitatif. D'ailleurs, j'espère que nos amis les radiodiffuseurs n'y auront pas recours à tout coup...

M. Arseneault: Mais une fois que la loi sera adoptée, cela pourrait servir à faire reconnaître les droits des artistes-interprètes.

M. Crawley: Pas nécessairement.

J'aimerais bien en parler plus longuement avec vous, peut-être une autre fois.

Le président: Monsieur Peric.

M. Peric (Cambridge): Merci, monsieur le président.

Monsieur Crawley, quel est le revenu moyen des 10 000 membres de votre organisme? Je sais qu'il y a sans doute certains artistes qui crèvent de faim.

M. Crawley: Je vais tenter de répondre. Les chiffres n'ont pas beaucoup de sens, mais le revenu moyen de nos membres est de 11 000$ par année. Nos membres se font également connaître dans d'autres provinces, lorsqu'ils donnent, par exemple, des spectacles musicaux en direct; nous avons souvent les mêmes membres. Ce chiffre ne représente pas vraiment la réalité, parce que beaucoup d'entre eux gagnent beaucoup moins, et seuls quelques-uns d'entre eux gagnent beaucoup plus. Il est toujours possible de vivre de ses revenus professionnels comme artiste canadien, mais aucun d'entre eux ne deviendra Crésus, je vous l'assure.

Onze mille dollars par année, cela ne suffit certainement pas à élever une famille.

.1145

M. Peric: Une entreprise peut-elle embaucher l'artiste à temps plein et le rémunérer comme employé à temps plein pour qu'il crée et interprète ses oeuvres pour les bénéfices des radiodiffuseurs?

M. Crawley: Non. Il nous faut évidemment reconnaître au départ que c'est nous qui choisissons la façon dont nos carrières s'orientent. Nous sommes nos propres patrons. Nous avons choisi de nous réunir en sachant fort bien que nous représentons des travailleurs autonomes qui se font concurrence les uns les autres pour chaque emploi.

Rien n'inciterait donc un artiste-interprète à devenir employé d'une entreprise, puisque aucun emploi ne dure plus de deux ou trois ans tout au plus.

M. Peric: Pourrais-je être embauché pour un certain laps de temps, comme deux ou trois semaines, pour créer une oeuvre spécifique pour un radiodiffuseur contre rémunération?

M. Crawley: Oui. Si vous voulez avoir des professionnels d'expérience, vous ne pouvez éviter de reconnaître leurs droits comme travailleurs autonomes. Pour les petites productions, il se peut qu'il se fasse de l'embauche hors syndicat, et, dans ces cas-là, on ne fait qu'embaucher des artistes, enregistrer leurs spectacles, puis les rémunérer. Il suffit alors au producteur d'exploiter le travail comme il l'entend, sans aucun recours de la part de l'artiste. Vous comprenez que les artistes-interprètes professionnels n'aiment pas ce genre de travail.

M. Peric: Est-ce que les artistes peuvent percevoir des redevances dans ces cas-là?

M. Crawley: Non, et c'est là que le bât blesse. Voilà pourquoi ce type d'entente est reléguée aux productions de peu d'envergure, comme les activités commerciales locales ou la programmation d'information pour une fin spécifique pour le bénéfice d'une petite entreprise, par exemple. Nous essayons de faire comprendre qu'il est vraiment peu rentable de payer un acteur aussi peu que 200$ par jour pour remplir ses obligations.

Dans un cas comme celui-là, il n'y a aucune redevance de payée, car le produit a une longévité très limitée, bien moindre que la durée prévue au contrat initial. Mais si un artiste ne cherche pas à se faire protéger par un accord négocié, il est sûr qu'il ne percevra aucune autre redevance ultérieure. C'est un fait.

M. Peric: Merci.

Le président: Monsieur McTeague.

M. McTeague (Ontario): Monsieur le président, je serai bref, car nous n'avons pas beaucoup de temps.

Il est rare que je me permette de poser des questions lorsque les exposés sont à ce point bien menés. J'espère que cela ne vous montera pas à la tête.

Je voudrais reprendre ce que disait M. Arseneault au sujet de la Commission du droit d'auteur, à laquelle vous voudriez donner des pouvoirs quasi judiciaires d'application de vos droits, notamment. Cela va-t-il empêcher d'autres créateurs de former une commission semblable? Ou pensez-vous qu'à l'intérieur de cette même commission d'autres créateurs pourraient se voir accorder les mêmes droits ou les mêmes privilèges, ne serait-ce que pour être plus expéditifs, comme vous l'avez dit vous-même?

M. Crawley: Notre suggestion vise un cas particulier. J'ai essayé de vous expliquer rapidement pourquoi nous avions besoin d'un mécanisme d'application qui découragerait les utilisateurs d'exploiter injustement les artistes ou d'enfreindre leur droit d'auteur. Je crois que certaines catégories de détenteurs de droits sont déjà suffisamment protégées par la loi actuelle ou par le projet de loi. Je ne sais pas s'il est nécessaire d'ajouter d'autres responsabilités encore à celles qu'a déjà la commission. Celle-ci jouit déjà d'un statut quasi judiciaire. Elle établit les tâches, notamment, pour nos compositeurs et nos auteurs.

Mais je n'oserais prétendre parler au nom des autres créateurs, puisque tout le monde en veut plus, n'est-ce pas?

M. McTeague: Je m'inquiète de la possibilité que d'autres créateurs veuillent obtenir la même chose. Ils seraient en droit de se demander ce qui distingue les artistes-interprètes.

M. Crawley: Mais ils sont déjà protégés. Laissez-moi vous l'expliquer et revenir à mon étude de cas, c'est-à-dire à ma série de films d'animation.

Dès qu'il a été découvert que la Crawley Films - je déteste me mettre ainsi en valeur, mais c'est ainsi que cela s'appelle - avait vendu la série à un radiodiffuseur sans faire respecter les droits, au moment où la période suivante commençait, le radiodiffuseur a immédiatement reconnu qu'ils devaient rémunérer le compositeur de la partition originale, Brian Huggett, qui fait partie de la famille Huggett, ce que vous savez peut-être.

.1150

Il n'a jamais été question pour lui d'intenter des poursuites. Les radiodiffuseurs savaient qu'il aurait eu gain de cause, car il était protégé par la Loi sur le droit d'auteur. Les radiodiffuseurs se sont simplement entendus avec lui et l'ont rémunéré.

Mais, par ailleurs, ils savaient également que la loi ne prévoyait rien pour nous permettre de recouvrer les 140 000$ en question. Ils se sont dégagés de cette responsabilité. J'imagine que si j'avais été à leur place j'aurais été assez futé pour faire la même chose. Il faut donc que la loi constitue un incitatif. C'est une notion qui ne vous est pas inconnue, n'est-ce pas?

Je ne voudrais pas embrouiller la chose en parlant des «autres créateurs», comme lorsque je parle des auteurs ou des compositeurs. Nous croyons que ces autres créateurs sont bien protégés par la Convention de Berne. Nous ne voudrions pas non plus que certains de leurs droits leur soient retirés. Mais il ne faut pas oublier qu'ils ont toujours été mieux traités que les artistes-interprètes dans la législation moderne.

M. McTeague: S'agissant de droits, l'une des pratiques qui me semblent être courantes dans l'industrie, c'est le droit ou la nécessité de céder son droit. Je sais que l'article 19 du projet de loi suggère de donner 50 p. 100 à l'artiste-interprète même.

Pensez-vous que le projet de loi soit suffisamment musclé et empêche d'enlever par cession les 50 p. 100 de rémunération qui devraient être versés à ceux qui en ont véritablement besoin et pour qui le projet de loi a été conçu?

M. Crawley: Je ne pense pas qu'il revienne à une loi de s'assurer que les artistes-interprètes s'organisent en société de gestion de façon à faire imposer leurs droits. Notre objectif ultime - peut-être y arriverons-nous dans quelques décennies, ou peut-être avant - c'est d'établir comme droit inaliénable le droit à une rémunération équitable au titre de la Loi sur le droit d'auteur. Ces mots ne se trouvent pas dans le projet de loi, et nous comprenons bien pourquoi. Nous sommes sensibles à la «realpolitik».

Dans la mesure où le projet de loi établit que ces paiements doivent être faits et qu'ils doivent être divisés également entre les artistes-interprètes et le producteur, je crois que nous avons suffisamment de maturité pour convenir d'un mécanisme qui soit rentable. D'abord, si vous élargissez la portée des dispositions et exigez plus de 13c. par jour pour nous tous, comme l'a si éloquemment suggéré M. Turgeon l'autre soir, nous trouverons bien une façon de faire en sorte qu'aucun artiste-interprète ne soit lésé. Nous l'avons fait jusqu'à maintenant, et nous continuerons à le faire.

[Français]

Le président: Monsieur Leroux, je vous laisse le temps de poser une dernière question.

M. Leroux: Une dernière question et demie?

Le président: Mais oui.

M. Leroux: Si je comprends bien, selon l'exemple que vous avez donné par rapport au Japon, le producteur, avant d'avoir le droit d'aller distribuer ailleurs, doit régler les droits d'auteur sur place. C'est un peu ce que vous dites. Avant d'avoir le droit d'exporter ou de distribuer à l'extérieur, on règle ici les droits d'auteur pour éviter cela.

Dans les mécanismes de recours que vous vous donnez, vous dites que pour la perception des droits d'auteur, il faudrait reconnaître l'exclusivité du droit de percevoir les redevances. De plus, vous ajoutez un outil qui vous apparaît... En tout cas, ma question porte sur cet outil des injonctions. Vous demandez qu'un pouvoir d'injonction vous soit conféré contre les diffuseurs et les distributeurs. Pour vous, ce moyen d'injonction est-il le seul qui existe? Est-ce un moyen nécessaire ou essentiel dans la situation qui prévaut actuellement?

[Traduction]

M. Crawley: C'est le problème classique des tierces parties auxquelles se heurtent les artistes-interprètes. Il est inévitable qu'une oeuvre change de main au cours de sa «durée de conservation», si j'ose dire, pour utiliser un terme mécaniste pour décrire une oeuvre d'art. Nous avons besoin d'une structure qui nous permette de faire valoir nos droits qui résident dans cette oeuvre.

Nous considérons que le projet de loi est un pas dans la bonne direction, puisqu'il rattache les obligations contractuelles à l'oeuvre, du moins en théorie. Mais nous aimerions y voir également rattaché le pouvoir d'injonction, en espérant ne pas avoir à y recourir très souvent, ne serait-ce que pour faire comprendre très clairement aux tierces parties qu'elles devraient s'assurer qu'il n'y a aucune obligation contractuelle afférente à l'oeuvre avant de l'exploiter.

Katherine Sand voudra peut-être ajouter quelque chose, elle qui a une vaste connaissance du domaine.

Mme Sand: Comme vous l'avez dit, on pourrait décider comme solution d'accorder aux artistes-interprètes le droit exclusif sur leurs prestations. Faute de cela, ce que vous proposez me semble être une mesure logique et efficace qui permettra de donner un véritable sens à nos droits dans la loi.

.1155

Comme l'a dit mon collègue, le problème se pose de plus en plus dans notre domaine. Il existe actuellement des chaînes de distribution qui sont extrêmement complexes, et la proposition d'injonction est censée nous donner le temps d'établir si les droits ont bien été définis et si, le cas échéant, ils ne l'ont pas été en cours de route. C'est essentiel.

Évidemment, dans le monde de l'enregistrement numérique, une fois l'oeuvre radiodiffusée, vous ne pouvez rien après coup, et il est possible que l'oeuvre ait déjà été copiée ou retransmise. C'est alors beaucoup trop tard.

Ce que nous proposons n'a rien de révolutionnaire, mais c'est une simple façon de rendre la loi plus efficace. Cela me semble aussi une solution pratique.

[Français]

M. Leroux: Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Avant de vous laisser aller, monsieur Crawley, j'aimerais vous demander brièvement votre réaction.

M. Arseneault vous a posé une question au sujet des exceptions, et a précisé que nombre de témoins nous ont affirmé ne vouloir aucune exception; mais vous-même, vous comprenez qu'il est nécessaire d'avoir une forme ou une autre d'exception. Mais vous dites également, en même temps, que nous devrions vous laisser négocier vous-mêmes vos ententes avec les radiodiffuseurs et, à l'occasion, avec d'autres autorités, par le truchement d'un système de gestion.

Pourrait-on avoir une combinaison des deux? Concevez-vous l'exception comme un filet de sécurité? Dans la mesure où vous avez une société de gestion, ne pourrait-on pas maintenir l'exception, de sorte que si vous avez recours à la société de gestion, l'exception peut s'appliquer? En termes pratiques, qu'envisagez-vous?

M. Crawley: En cela, nous souscrivons à ce qu'a proposé l'Union des artistes. Mais vous l'avez expliqué beaucoup mieux que moi: les exceptions constituent le filet de sécurité, et pas l'inverse. Vous pourriez également préciser que, dans la mesure où diverses catégories de détenteurs de droits s'organisent en société de gestion dans le but de protéger leurs droits, aucune exception n'est nécessaire, et les ententes peuvent être négociées.

Nous constituons une société suffisamment structurée, de sorte que, si les négociations échouent, il existe diverses mesures de médiation et d'arbitrage auxquelles on peut avoir recours au besoin. Mais je ne crois pas que cela sera nécessaire. Nous préférerions que l'on reconnaisse que les exceptions devraient se limiter aux cas où il est difficile d'identifier les détenteurs de droits ou aux cas où il n'existe aucune société de gestion dans le secteur en question.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Crawley et madame Sand, d'avoir comparu. Vous avez grandement éclairé nos discussions, et nous vous en remercions.

M. Crawley: Merci beaucoup. N'hésitez pas à communiquer avec nous aux adresses qui se trouvent au début du mémoire ni à communiquer avec nous par courrier électronique, si vous désirez avoir des précisions.

.1200

Le président: Nous accueillons maintenant le Committee of Major Legal Publishers. Bienvenue à M. Glen Bloom, d'Osler Hoskin and Harcourt; à Mme Geralyn Christmas, vice-présidente, rédaction, Canada Law Book Inc.; à Mme Ruth Epstein, directrice de l'édition, Butterworths Canada Ltd.; à M. Yvon Blais, Les éditions Yvon Blais Inc.; et à Mme Laura Wright, Carswell (Thompson Professional Publishing).

Monsieur Bloom, vous avez la parole.

M. Glen A. Bloom (Committee of Major Legal Publishers): Merci de nous avoir invités à discuter des dispositions du projet de loi C-32 qui préoccupent le Committee of Major Legal Publishers.

Notre comité est composé de quatre grands éditeurs d'ouvrages juridiques qui se font une concurrence féroce sur le marché canadien des publications juridiques: Butterworths, CCH Canadian, Carswell (Thompson Professional Publishing) et Canada Law Book. Tous les membres de notre comité publient de l'information juridique et technique hautement spécialisée destinée aux avocats, aux bibliothèques de droit et aux gouvernements. Afin d'offrir à la population un accès accru à ces publications, les membres de notre comité ont adhéré à CANCOPY.

Le mémoire de notre comité a été entériné par d'autres éditeurs qui ne sont pas membres de notre groupe: Les éditions Yvon Blais Inc., de Montréal - et dont la présence de son président, Yvon Blais, est une preuve de son appui - Western Legal Publications Ltd., de Vancouver, et la Maritime Law Book Company, de Fredericton.

Notre comité souscrit de façon générale au projet de loi et reconnaît que dans certains cas il faut établir des exceptions. Toutefois, nous croyons que le libellé de certaines des exceptions devrait faire l'objet d'amendements, afin de préciser l'objectif politique et de protéger les intérêts légitimes des créateurs.

Au cours de notre exposé, nous vous signalerons les deux grandes préoccupations qui se trouvent dans le mémoire de notre comité, et nous conclurons en vous expliquant ce que nous pensons de la demande que vous a faite la Fédération des professions juridiques du Canada de créer une exception supplémentaire.

Pour vous aider à mieux nous comprendre, nous allons d'abord décrire les publications des membres de notre comité: ce sont des comptes rendus d'arrêts; des lois codifiées et annotées; des recueils, des manuels, des bulletins, des revues et d'autres publications du même genre; et des produits électroniques tels que des CD-Rom et certains services en direct. Outre ces publications, nos membres offrent des services de photocopie express des recueils de jurisprudence.

Pour préparer et publier des recueils de jurisprudence, il faut une grande expérience et une grande compétence. Geralyn Christmas, de Canada Law Book, vous expliquera comment cela se fait.

Mme Geralyn M. Christmas (Committee of Major Legal Publishers): Merci beaucoup, monsieur Bloom.

C'est une démarche assez complexe. Nous publions pour des marchés qui peuvent ne compter que 250 abonnés payants. Nous concluons des ententes avec les tribunaux de tout le Canada, qui nous fournissent des copies papier de tous leurs arrêts, moyennant certains frais.

La maison d'édition ouvre un dossier informatisé de tous les arrêts, pour savoir ce qu'elle a reçu exactement. Des avocats de la maison étudient chaque arrêt, notent les restrictions de publication et déterminent lequel de nos réviseurs externes de recueils de jurisprudence, dont la plupart sont des universitaires ou des avocats de pratique, devrait étudier le jugement en vue d'une publication éventuelle dans l'une de nos séries de recueils de jurisprudence.

Un membre de notre conseil de révision de l'extérieur de la maison d'édition examine l'arrêt, décide s'il doit être publié conformément à certaines lignes directrices et choisit celui qui devrait faire un sommaire du cas, c'est-à-dire faire une brève description du dossier et le classer. C'est en se fondant sur ses propres connaissances juridiques que l'intéressé fait ce choix.

Les arrêts choisis, c'est-à-dire les causes qui seront publiées, sont révisés par notre propre personnel de révision. Les causes et les renvois aux lois sont vérifiés et augmentés. Les citations sont vérifiées, et le jugement est révisé. S'il semble y avoir des inexactitudes - et il y en a parfois - on communique avec le personnel judiciaire. Les juges sont des gens très occupés, vous savez.

.1205

Le rédacteur de l'extérieur rédige les sommaires, assure la classification de l'affaire et retourne le document à Canada Law Book aux fins d'édition. Nous assurons la composition, la correction d'épreuves, la révision et la compilation. De plus, nous préparons les index qui seront insérés dans le document, puis nous nous occupons de l'impression, de la reliure et de la distribution.

Nous faisons la promotion des recueils de jurisprudence dans le secteur juridique et nous nous assurons que le marché est conscient de l'existence des renseignements juridiques.

M. Bloom: Les lois du Canada, comme vous le savez, peuvent être obtenues de diverses sources, y compris le site Web du ministère de la Justice, quoiqu'elles ne soient pas toujours codifiées. Très souvent, la seule source de lois codifiées du Canada - par exemple le Code criminel ou la Loi sur l'impôt sur le revenu - sont les documents compilés et publiés par les membres du comité.

Comme nous l'avons signalé dans notre mémoire, le marché canadien des éditions juridiques est petit et fragmenté. La demande de la part des avocats et du public en matière de publications juridiques spécialisées est aussi importante au Canada qu'aux États-Unis, mais le marché canadien est de la taille du marché qu'on retrouve dans l'État de l'Ohio.

J'aimerais parler maintenant de deux questions qui revêtent une importance toute particulière pour nous. Tout d'abord, la définition du terme «bibliothèque». Le comité appuie la proposition de ne faire bénéficier des exceptions que les bibliothèques à but non lucratif. C'est une bonne proposition. Cependant, une bibliothèque à but lucratif, qui a des centres à but lucratif ou qui est contrôlée par une ou plusieurs entreprises commerciales, devrait partager ses profits au chapitre des oeuvres protégées par des droits d'auteur avec les auteurs et les maisons d'édition.

Nous craignons que la définition de «bibliothèque, musée ou service d'archives» ne comporte une lacune importante. Il se pourrait qu'une bibliothèque mise sur pied comme société à but non lucratif contrôlée par ses actionnaires, mais pas simplement par un actionnaire, soit incluse dans cette définition et puisse bénéficier de l'exception réservée aux bibliothèques. Permettez-moi de vous donner un exemple.

Des avocats actionnaires qui pratiquent le droit de façon lucrative mettent sur pied une bibliothèque comme entreprise à but non lucratif. Pour faciliter le partage des ressources documentaires et remettre à chaque avocat actionnaire des photocopies de documents juridiques, la bibliothèque pourrait s'inspirer des exceptions prévues dans le projet de loi C-32. Cela aurait un impact certain sur le nombre d'abonnements aux publications juridiques, et les avocats pourraient se servir de documents protégés par des droits d'auteur sans partager les profits réalisés avec les auteurs et les éditeurs.

Bref, nous recommandons un amendement à la définition de «bibliothèque, musée ou service d'archives» afin d'exclure de telles bibliothèques et de n'inclure que la bibliothèque qui est véritablement une entité à but non lucratif dans un milieu à but non lucratif.

Notre deuxième grande préoccupation touche les services de livraison de documents. Tout récemment, nombre de bibliothèques ont commencé à offrir des services de livraison de documents à but lucratif pour les publications juridiques à un prix plus élevé que ce qu'il n'en coûte pour copier les documents; dans certains cas ces services livrent directement concurrence aux services de photocopie offerts par les membres du comité. Ces services sont actuellement offerts par des bibliothèques contrôlées par des avocats qui pratiquent le droit à but lucratif, comme la bibliothèque de la County of York Law Association, la bibliothèque du Barreau du Haut-Canada et les bibliothèques des facultés de droit. Ces bibliothèques ne partagent pas leurs revenus avec les auteurs et les éditeurs.

Dans notre mémoire nous proposons un amendement à l'article 30.2 afin d'inclure les services de livraison de documents qui offrent des copies à un prix ne dépassant pas le coût direct associé à la copie et à la fourniture du document. Évidemment, cette exception se limiterait, tout au moins à notre avis, aux vraies bibliothèques à but non lucratif.

Nous vous encourageons également à étudier de très près les autres recommandations que nous avons formulées dans notre mémoire. Nous n'avons pas l'intention d'en parler dans notre commentaire liminaire, mais nous serions disposés à répondre à vos questions.

J'aimerais passer à la deuxième question qui nous intéresse tout particulièrement: une exception pour les avocats. Comme vous le savez, la Fédération des professions juridiques du Canada a demandé une exception afin que les avocats soient autorisés à faire des copies de publications juridiques. La fédération dit qu'il s'agit là simplement d'une façon d'assurer l'accès aux documents juridiques. Nous nous opposons carrément à cette proposition.

.1210

Comme nous l'avons déjà indiqué, les membres du comité distribuent des renseignements juridiques de nature technique dans toutes les régions du Canada sous format papier et électronique. Ils ne se sont jamais opposés à ce que les avocats fassent des copies de renseignements juridiques s'ils désirent les remettre au tribunal. En fait, l'accès aux renseignements juridiques disponibles dans les publications du comité ne devrait pas devenir pour les avocats un droit de copier des documents juridiques.

Les avocats et les bibliothèques juridiques qui ne veulent pas s'abonner aux publications juridiques des membres du comité, mais qui veulent obtenir des copies d'extraits de ces publications, pourraient le faire légalement par l'entremise d'une entité qui a un permis de reproduction par reprographie comme CANCOPY ou par l'entremise des services de photocopie offerts par les membres du comité.

Si l'on acceptait la recommandation de la Fédération des professions juridiques du Canada, on mettrait en péril la survie d'un marché concurrentiel et viable pour les publications juridiques au Canada. Les services de livraison de documents ont déjà entraîné une baisse marquée du nombre d'abonnements aux recueils de jurisprudence au Canada.

De plus, nous craignons que si l'on accepte l'exception demandée par la fédération le Canada ne se soustraie aux engagements qu'il a pris comme signataire de l'article 2 de la Convention de Berne.

Nous recommandons au gouvernement et à tous les partis intéressés de se pencher sur la question d'une exception pour les avocats lors de l'étude du droit d'auteur de la Couronne à l'étape trois du processus d'examen du droit d'auteur.

Nous sommes maintenant disposés à répondre à vos questions sur notre exposé liminaire ou notre mémoire.

Le président: Merci, monsieur Bloom. Monsieur Leroux.

[Français]

M. Leroux: Merci de votre présence et du mémoire que vous avez présenté. Je pense que les indications quant aux amendements que vous proposez et aux arguments que vous développez en rapport avec votre projet sont assez claires. L'approche adoptée permet des exceptions dont le nombre est considérable. Des gens et des regroupements nous ont dit tout à l'heure que les exceptions constituaient un signal très difficile à interpréter pour l'ensemble des grands secteurs comme les bibliothèques, les musées, les archives, et instauraient une espèce de déresponsabilisation par rapport à la reconnaissance des droits d'auteur et de la négociation.

Vous dites quand même, dans votre projet, qu'il est possible de reconnaître des exceptions si elles sont bien identifiées. Vous dites entre autres que dans le cas des bibliothèques, il y a la Loi du droit d'auteur au Royaume-Uni qui demande à la personne de remplir une fiche pour affirmer que c'est à des fins privées, d'étude ou de recherche. L'exception contenue dans le projet de loi dit qu'il peut se présenter des cas où, puisqu'il n'y a pas de réglementation, personne ne peut décider, sinon la personne qui reconnaît elle-même que c'est à des fins d'étude. On accorde alors le bénéfice du doute à cette dernière.

Est-ce que ce seul exemple vous amène à croire que l'ensemble des exceptions devient une jungle très difficile à gérer et que, à toutes fins utiles, beaucoup d'exceptions sont inapplicables, parce qu'elles seront très difficiles à suivre, dans le champ des bibliothèque entre autres? L'exemple que vous donniez par rapport au droit d'auteur au Royaume-Uni n'ouvre-t-il pas la porte à la production d'une paperasserie énorme? Cela devient une affaire de gestion de papiers. Pouvez-vous m'expliquer comment on peut appliquer l'exemple du Royaume-Uni sans que cela devienne une affaire administrative incroyable?

[Traduction]

M. Bloom: Au Royaume-Uni, lorsque des photocopies sont vendues aux clients de la bibliothèque, cette dernière doit tenir des dossiers pour ses états financiers.

Les documents exigés par les règlements britanniques pourraient simplement être ajoutés à un reçu que préparerait la bibliothèque. Nous croyons que les pratiques britanniques sont efficaces. Certainement, dans bien des cas, nous ne voulons pas ajouter un fardeau de paperasserie à la bibliothèque, mais nous croyons que les procédures établies dans les lois britanniques sont une solution pratique qui assure la protection que nous cherchons à obtenir pour les éditeurs.

[Français]

M. Leroux: Pour changer complètement de sujet, dans votre document, vous dites que le projet de loi peut avoir un effet négatif, et vous utilisez le mot «majeur», et un impact économique sur la stabilité financière.

Êtes-vous capable de nous décrire et de nous quantifier cet effet du projet de loi et de nous dire ce que vous qualifiez de majeur en ce qui a trait à la rentabilité et, selon votre expression, à la stabilité financière?

.1215

[Traduction]

M. Bloom: Je pourrais peut-être demander à Geralyn Christmas de répondre. Elle a des statistiques qui pourraient vous intéresser en ce qui a trait à ces publications.

Mme Christmas: Canada Law Book publie des recueils de jurisprudence depuis 1898. Une de nos publications s'intitule Canadian Patent Reporter, la seule série qui porte sur la jurisprudence en matière de propriété intellectuelle. En 1984, nous avions 340 abonnés. Aujourd'hui nous n'en avons plus que 258. Cela ne veut pas dire qu'il y a moins d'avocats qui pratiquent le droit dans le secteur de la propriété intellectuelle, parce que ce n'est pas le cas. Cette diminution est attribuable au fait que les gens se procurent leurs renseignements ailleurs, et une de ces nouvelles sources est certainement les services de photocopie.

Pour vous donner un exemple, je pourrais vous dire que si trois de ces quelque 250 abonnés décidaient d'annuler leur abonnement et d'obtenir les renseignements d'une autre source - par exemple un service de livraison de documents - je perdrais 2 p. 100 de mon revenu annuel pour ce titre. C'est quand même un pourcentage assez important, et mes coûts n'ont pas changé.

[Français]

M. Leroux: Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Monsieur Peric.

M. Peric: Je n'ai pas de questions.

Le président: Monsieur McTeague.

M. McTeague: Merci, monsieur le président.

Si le patient est malade, il va demander des conseils aux médecins, et dans le cas qui nous occupe vous êtes les médecins.

J'aimerais vous demander de plus amples renseignements sur votre définition de «bibliothèque». Puisque vous n'acceptez pas la définition prévue dans le projet de loi, parce qu'on ne mentionne pas le facteur profit, comment voudriez-vous modifier la définition? Quel libellé vous conviendrait?

M. Bloom: C'est une question plutôt technique, et j'espère que nous avons présenté la solution technique dans notre mémoire. Tout ce qu'il faut, en fait, c'est une petite modification qui précise qu'une bibliothèque est une entité à but non lucratif qui n'est pas contrôlée par une ou plusieurs entités à but lucratif. Par exemple, s'il s'agit d'une bibliothèque d'un barreau ou d'une bibliothèque privée établie comme société à but non lucratif par un groupe de cabinets d'avocats, il n'y a pas une entité unique qui contrôle la bibliothèque. Il y a un groupe d'entités qui exploitent ce service à but lucratif. Il s'agit d'un amendement plutôt simple, qui s'inspire de la loi australienne. Nous en parlons d'ailleurs dans notre mémoire.

M. McTeague: Parmi les membres de votre comité, y a-t-il vraiment de la concurrence, disons, pour les informations relatives aux brevets que vous décriviez tout à l'heure? Est-ce que Carswell et CCL font la même chose?

M. Bloom: Je donnerais peut-être simplement à Carswell et à Butterworths leur exemplaire de la Loi sur le droit d'auteur, et je demanderais à Laura Wright, de Carswell, de répondre à la question.

Mme Laura Wright (Committee of Major Legal Publishers): Telle était la loi au moment où on l'a publiée. C'est un domaine dans lequel nous sommes en concurrence directe avec Butterworths. Une autre codification de la loi est disponible sur le marché. En ce qui concerne l'exemple que Geralyn a mentionné en parlant des brevets, j'allais dire que Carswell a tenté de pénétrer le marché avec un recueil de jurisprudence concurrent, mais nous avons abandonné parce que nous n'arrivions pas à obtenir assez d'abonnements pour que le projet soit rentable.

M. McTeague: À votre avis, qu'adviendra-t-il de votre secteur dans un an ou deux, du point de vue financier, si ce projet de loi est adopté sans modification? Autrement dit, qu'arrivera-t-il si ce projet de loi est adopté sans les deux propositions d'amendements que vous avez présentées aujourd'hui? Serez-vous à quatre ou à cinq ici? Donnez-moi une idée des répercussions financières.

M. Bloom: Permettez-moi d'abord d'indiquer que ces maisons d'édition sont en concurrence. Certaines sont privées. Par conséquent, les informations financières ne sont pas très accessibles. Je demanderai à Ruth Epstein, de Butterworths, de répondre à la question de façon générale.

.1220

Mme Ruth Epstein (Committee of Major Legal Publishers): Globalement, nous assistons à une diminution de tous nos produits d'abonnement. Je ne veux pas exagérer en disant que c'est entièrement à cause de la photocopie - ce n'est évidemment pas le cas - cependant, nos abonnés nous disent directement et très franchement qu'ils interrompent leurs abonnements parce qu'ils photocopient nos publications à la bibliothèque, ou qu'ils ramènent le nombre de leurs abonnements de trois à un. C'est une situation généralisée non seulement pour les recueils de jurisprudence, mais aussi pour les traités, etc.

Pour ce qui est des répercussions financières, comme Glen l'a dit, c'est un domaine que nous ne voulons pas aborder. Néanmoins, il s'agit d'un changement important dans nos activités.

M. McTeague: J'ai une dernière question à poser, si vous le permettez, monsieur le président. Je voulais demander si les facultés de droit en général font preuve de diligence, du moins en ce qui concerne les étudiants en droit, quant à l'observation des pratiques relatives au droit d'auteur telles qu'elles existent maintenant. Ce domaine est-il également très important pour vous?

M. Bloom: Je répondrai d'après mon expérience personnelle comme professeur de droit d'auteur à l'Université d'Ottawa. J'ai demandé la permission de tous les auteurs que j'ai cités dans mon recueil de jurisprudence. De plus, l'université a versé des redevances à CANCOPY, mais Geralyn peut vous donner une réponse plus globale.

M. McTeague: Je constate que le professeur Finnie vous a bien enseigné.

Des voix: Oh, oh!

Mme Christmas: Si vous permettez, à l'instar de beaucoup d'autres éditeurs d'ouvrages juridiques, nous avons reconnu que les facultés de droit utilisent des extraits de nos ouvrages dans les documents destinés aux étudiants. Nous avons demandé qu'elles obtiennent d'abord notre permission, mais nous ne les avons jamais fait payer. À titre d'exemple, la faculté de droit Osgoode Hall de Toronto n'a jamais demandé notre permission pour publier des extraits de nos ouvrages dans ses recueils de jurisprudence.

Autre exemple, nous constituons nos bases de données sur un service d'accès en ligne aux informations appelé Quicklaw, mis au point par les Systèmes QL. Les étudiants en droit y ont accès gratuitement; on leur donne un mot de passe gratuit. En examinant la documentation que je reçois en tant que titulaire du droit d'auteur, j'ai constaté qu'un étudiant de la Colombie-Britannique consacrait beaucoup trop de temps à nos publications en droit du travail, et j'ai demandé que l'on fasse une enquête. Nous avons constaté qu'il avait décidé de faire son stage dans un cabinet spécialisé en droit du travail et qu'il serait très pratique pour lui de télécharger tout le contenu de tous nos documents et de l'emporter avec lui. Par conséquent, il y a un problème dans les facultés de droit, et je pense que ces dernières devraient déployer plus d'efforts pour éduquer leurs étudiants sur les réalités du droit d'auteur.

M. McTeague: Je vous remercie.

Le président: Monsieur Arseneault.

M. Arseneault: Je voudrais parler également des répercussions financières. En ce qui concerne les pertes, d'autres témoins représentant les industries et les artistes ont évoqué les pertes qu'ils peuvent subir à cause des cassettes vierges, par exemple. Il y a 44 millions de cassettes vierges au pays. On estime que près de 39 millions de ces cassettes sont utilisées pour copier de la musique, ce qui représenterait une perte. Cette affirmation semble être fondée sur des statistiques. Avez-vous des informations ou des études qui indiqueraient le montant des pertes que subit votre secteur à cause des services de livraison des documents ou de la piraterie? Avez-vous des chiffres à ce sujet?

Mme Wright: Nous n'avons jamais fait d'étude officielle pour déterminer si le manque à gagner que nous avons subi ces dernières années est directement attribuable aux services de photocopie. Étant donné que nous avons des liens très étroits avec notre marché, nous savons que cela se produit. Étant donné que notre travail consiste à livrer des informations, nous sommes très conscients de la diminution de nos listes et nous suivons de près ce phénomène. Cela ne concerne pas seulement les recueils de jurisprudence. Cela concerne aussi bon nombre de nos services d'indexation des arrêts et bien des services de mise à jour sur feuillets mobiles, où des auteurs externes analysent et commentent le droit. En fait, cela se passe dans tout le secteur. À notre avis, afin de protéger le secteur, nous devons prendre des mesures pour essayer de contrôler, ou au moins, pour être en mesure de mieux surveiller ce qui se passe sur le marché et fournir les services habituels.

.1225

Le président: Madame Christmas, voulez-vous ajouter quelque chose?

Mme Christmas: Oui, si vous permettez. D'autre part, nous avons quelques données relatives aux recettes de certains services de livraison de documents.

La bibliothèque du Palais de justice de Vancouver déclare dans ses états financiers de 1994 si je ne m'abuse, que la photocopie lui a rapporté près de 600 000$. Nous ne savons pas ce qu'elle photocopie, sauf que, dans cette bibliothèque, il y a essentiellement nos produits. Ce montant comprend les recettes provenant des photocopieuses autonomes, mais il ne comprend pas les recettes du service de livraison des documents.

Le Barreau du Haut-Canada estime qu'en 1994, il a photocopié environ 105 000 pages. Nous ignorons ce que cela représente financièrement, car leurs tarifs varient selon le mode de livraison.

M. Arseneault: Très bien. Merci beaucoup.

[Français]

Le président: Avez-vous d'autres questions, monsieur Leroux?

M. Leroux: Je voudrais vous demander si vous partagez l'avis donné par certains groupes, à savoir que tout l'aspect des exceptions va entraîner une augmentation des querelles et des recours judiciaires.

[Traduction]

M. Bloom: Je voudrais répondre à la question. D'après les témoignages que vous avez reçus, vous constatez que personne n'est probablement content. Ni les créateurs, ni les utilisateurs. C'est probablement une bonne chose. Cela signifie sans doute qu'il y a un certain équilibre et qu'il vous faut faire un peu de rafistolage pour répondre aux préoccupations des groupes qui ont comparu devant vous. Aucun projet de loi ne fera l'unanimité.

[Français]

M. Leroux: Est-ce que vous répondez par l'affirmative, que dans la situation actuelle... Ai-je besoin de me faire représenter par un avocat?

[Traduction]

M. Bloom: Je ne suis pas forcément objectif. Je suis avocat et je réponds à ce titre.

M. Bélanger (Ottawa - Vanier): Autrefois, la Chambre des communes avait un président qui était haï des deux côtés de la Chambre. Il n'était pas pour autant un bon président. Évidemment, ce n'est pas le cas du président actuel.

Je suis simplement curieux, mais comment réagiriez-vous à la proposition - eh bien, aucun groupe n'a présenté de proposition officielle, mais tous les témoins ont donné les indications - selon laquelle il faut imposer à toutes les bibliothèques des frais de photocopie par page; disons par exemple 1c. la page ou la copie; cela réglerait-il tous les problèmes de droits d'auteur? Que pensez-vous de cette proposition?

M. Bloom: C'est une question facile. Comme nous l'avons indiqué au début, chacun de nous est membre de CANCOPY, l'association qui s'occupe de la reprographie. CANCOPY est chargée d'administrer collectivement les droits de reprographie, de conclure des ententes avec les usagers afin de déterminer, selon la situation de l'usager et la nature de l'usage, le tarif par page, par exemple. Cela doit être fait sur le marché. Cela permet de protéger CANCOPY, l'usager et le grand public, dans la mesure où la Commission du droit d'auteur est l'organe suprême de supervision et d'arbitrage qui, en cas de différents, veille à ce que les redevances soient justes et raisonnables. C'est probablement un bon compromis.

M. Bélanger: Vous préféreriez donc laisser le marché fixer le montant des redevances?

M. Bloom: Oui.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Bloom.

M. Bloom: Monsieur le président, si vous me le permettez, j'aimerais conclure avec une observation. Yvon Blais s'est joint à nous et nous a raconté une histoire assez intéressante. Au Québec, ce sont les éditions Yvon Blais qui publient le plus grand nombre de titres juridiques. Yvon a une expérience que certains membres du comité n'ont pas. Même si les membres du comité destinent leurs publications hautement techniques et spécialisées surtout aux avocats et aux bibliothèques juridiques, les éditions Yvon Blais ont une expérience supérieure dans la mesure où leurs publications s'adressent plus généralement au public.

[Français]

M. Yvon Blais (Les éditions Yvon Blais inc., Committee of Major Legal Publishers): Contrairement aux autres membres du comité ici, je représente les intérêts d'une petite société dont je suis le propriétaire, qui a - et je n'ai pas honte de le dire - un chiffre d'affaires d'environ 4 millions de dollars par année et qui emploie 50 personnes.

.1230

Ce que vous avez entendu aujourd'hui, je le subis présentement. La photocopie et l'usurpation des droits d'auteur fait en sorte que les auteurs potentiels résistent à l'idée d'écrire, de développer le droit et font plutôt de la consultation. C'est comme le principe Hygrade: moins il y en a, moins on peut en fournir. Tout le mécanisme de production d'un livre, on le paie afin de le revendre, pour faire un revenu afin d'en produire d'autres. On essaie tous les marchés.

J'ai, à l'occasion du renouvellement du Code civil au Québec, préparé un petit code de poche de 1 600 pages contenant les lois qui intéressent la majorité des consommateurs et des citoyens. Nous l'avons mis en vente libre un peu partout, partout où l'on pouvait. On en a même vendu plusieurs dizaine de milliers de copies au Club Price. Cela a été pour nous une occasion intéressante de voir s'il y avait un marché secondaire en dehors des avocats. Il y en a peut-être un, mais il faut être capable de le financer.

Le Barreau de Montréal prépare un service payant de photocopie destiné à ses membres pour augmenter ses revenus à même nos volumes. En plus, ce sont des volumes qu'on leur donne, parce qu'ils nous ont dit qu'ils n'avaient pas les moyens de les acheter. Cela devient un peu ridicule.

Je ne veux pas ramener cela à des préoccupations mesquines, mais selon mon expérience, on produit de moins en moins de grands volumes de droit qui font évoluer la théorie. Ce n'est certainement pas au bénéfice de la population en général. Je pense qu'il faut arriver à un certain équilibre. Mais quand les avocats nous disent qu'ils n'ont pas les moyens...

M. Leroux: Ce que vous voulez dire, c'est que vous donnez votre livre et qu'ils le photocopie en abondance pour le revendre et faire de l'argent.

M. Blais: C'est ce qu'ils prévoient faire. Il y a une société de la Couronne qui le fait depuis des années. Elle photocopie nos livres.

M. Leroux: Cela entre dans la partie du mémoire où vous dites qu'il y a un impact majeur?

M. Blais: Très important, si on permet cela. Si, à un moment donné, toutes les bibliothèques, y compris la bibliothèque de la Faculté de droit de l'Université de Montréal, avaient des photocopieurs qui fonctionnaient sur deux quarts de travail, 16 heures par jour... Il y a là un non-sens. Ce sont des livres qui sont protégés par un droit d'auteur. Il y a quelqu'un qui les a écrits. Il faut contrôler cet aspect-là.

Le président: C'est assez ironique qu'il y ait des professeurs de droit qui violent le droit d'auteur.

M. Blais: Oui.

Le président: C'est la loi.

Une voix: [Inaudible - Éditeur]

M. Leroux: Il se vend 20$. Évidemment, si vous en prenez des dizaines de milliers...

M. Bélanger: Il y a une contradiction en soi: un livre de poche de 500 pages!

M. Leroux: Il faut de grandes poches.

Le président: En tout cas, monsieur Blais, je vous félicite pour le fonctionnement de votre marketing. J'ai été bien longtemps sur votre liste d'envoi et je recevais vos listes régulièrement. Je sais que vous essayez d'étendre le champ de vos activités.

M. Blais: Il faut travailler fort pour maintenir les emplois et notre chiffre d'affaires.

Le président: Est-ce qu'il y a des questions pour M. Blais avant qu'on termine?

M. Leroux: Excellent témoignage.

Le président: Oui, votre témoignage a été très éloquent.

Thank you very much, Mr. Bloom and colleagues. Merci beaucoup, monsieur Blais, d'avoir comparu devant nous aujourd'hui.

[Traduction]

M. Bloom: Merci.

.1234

.1238

Le président: Nous reprenons nos travaux.

[Français]

J'aimerais souhaiter la bienvenue à la Société des auteurs, recherchistes, documentalistes et compositeurs, à l'Association québécoise des auteurs dramatiques et à l'Union des écrivaines et écrivains québécois. Représentent ces organismes M. Robert Gurik, président de l'AQAD; M. Pierre Lavoie, directeur général de l'UNEQ; Mme Rose-Marie Lafrance, directrice du service des droits de l'UNEQ; et M. Yves Légaré, directeur général de la SARDeC.

M. Robert Gurik (président de l'Association québécoise des auteurs dramatiques): Les trois associations signataires du présent mémoire représentent plus de 1 700 auteurs de l'audiovisuel, du théâtre et de la littérature. En fait, elles sont à la base même de la Loi sur le droit d'auteur. Ce sont des auteurs, en premier lieu, qui ont été reconnus.

Elles sont aussi des syndicats professionnels accrédités au fédéral comme au provincial en vertu des lois sur le statut de l'artiste, et deux d'entre elles agissent également à titre de sociétés de gestion de droits.

.1240

L'Association des auteurs dramatiques a été fondée le 10 décembre 1990. Elle a un membership de 80 à 125 membres qui représentent l'ensemble de la profession dramaturgique au Québec.

La Société des auteurs, recherchistes, documentalistes et compositeurs, la SARDeC, créée en 1949, représente les recherchistes, documentalistes et compositeurs, les créateurs de l'audiovisuel et signataires de l'entente collective avec Radio-Canada, l'Office national du film, Radio-Québec, l'Association des producteurs de film et de télévision du Québec et TV5.

L'Union des écrivaines et écrivains du Québec, fondée en 1977, regroupe quelque 950 membres, poètes, romanciers, essayistes, auteurs d'oeuvres dramatiques, auteurs de littérature jeunesse, auteurs d'ouvrages scientifiques et pratiques et auteurs de manuels scolaires.

Le développement technologique a multiplié les différentes exploitations des oeuvres et, plus souvent qu'autrement, favorisé le piratage. Les créateurs ont ainsi réclamé à cor et à cri la révision de la loi pour obtenir l'encadrement juridique nécessaire pour contrôler les utilisations non autorisées et non rémunérées de leurs oeuvres.

Malheureusement, le projet de loi C-32 ne répond pas aux revendications des créateurs et artistes. Il introduit de nouveaux droits, mais de façon fort partielle et incomplète. L'introduction d'un régime de droits voisins n'est que justice pour les artistes, mais le législateur limite à une somme symbolique les droits payés par les radiodiffuseurs. De plus, les droits voisins auraient dû faire l'objet d'une partie distincte du projet de loi de façon à empêcher toute confusion avec le droit d'auteur.

Le projet de loi C-32 traite d'un droit de location sur les programmes d'ordinateur et les enregistrements sonores, à l'article 2.5, mais reste muet sur la location d'autres types d'oeuvres, tels les livres, les disques optiques et autres. Il s'agit là d'une lacune importante lorsqu'on constate l'étendue de cette pratique dans les autres secteurs.

Les dispositions en matière de copie privée excluent les auteurs de l'audiovisuel, même si l'enregistrement domestique des oeuvres audiovisuelles nuit à la vente, à la location ou à la rediffusion des oeuvres et nuit par conséquent aux revenus de nos auteurs qui devront s'en remettre à un hypothétique phase III pour obtenir satisfaction.

La Loi sur le droit d'auteur constitue l'assise juridique sur laquelle s'appuient les créateurs de tous les secteurs. C'est un outil de développement fondamental. Il est déplorable que le législateur ait choisi délibérément de ne pas répondre à l'ensemble des besoins exprimés, donnant ainsi l'impression que certains secteurs ne méritent pas protection.

Le projet de loi tient davantage du rapiéçage que de la révision globale. Notre pays tarde à se doter d'une loi moderne, apte à répondre aux défis du XXIe siècle, et accuse un retard de plus en plus grand sur nombre de pays européens.

M. Pierre Lavoie (directeur général, Union des écrivaines et écrivains québécois): Je vais poursuivre, monsieur le président. Des exceptions dangereuses: Aux omissions s'ajoutent les exceptions qui affaiblissent la position des auteurs et constituent un net recul par rapport à la situation existante. Pour nos membres, il aurait été assurément préférable que le législateur s'abstienne de réviser la loi. En fait, les exceptions dénaturent la Loi sur le droit d'auteur, qui n'a plus pour objectif la protection des oeuvres, puisque les droits des usagers priment désormais sur ceux des créateurs.

Le droit d'auteur est un droit de propriété que le législateur a en quelque sorte exproprié manu militari sans compenser les auteurs. C'est aussi un droit inclus dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et un outil de développement culturel. C'est enfin l'assise de la rémunération des auteurs et de l'industrie culturelle. Plus le législateur, selon nous, introduit d'exceptions à la loi, plus il réduit la rémunération des créateurs et la rentabilité de l'industrie.

En présentant les exceptions comme le résultat d'une recherche d'équilibre entre les ayants droit et les utilisateurs, le législateur confond à tort la Loi sur le droit d'auteur avec une loi de protection du consommateur, oubliant que les consommateurs impliqués ne sont pas des individus mais des institutions publiques pour la plupart. Le projet de loi renforce indûment la position des utilisateurs. À la négociation entre les parties, il préfère l'imposition de conditions défavorables aux créateurs et cautionne ainsi les pratiques illégales des institutions publiques qui ont tardé à régulariser leur situation auprès des ayants droit.

Le législateur confond accès aux oeuvres et gratuité. Les auteurs souhaitent que leurs oeuvres soient utilisées et veulent en tirer profit. Les maisons d'enseignement réclament l'expropriation des auteurs. Pourtant, les droits d'auteur ne représentent qu'une partie du coût de la reproduction - papier, photocopieur, etc. Les maisons d'enseignement témoignent de plus de respect à l'égard des autres droits de propriété qu'à l'égard de la propriété intellectuelle.

.1245

L'introduction de nouvelles exceptions balaie aussi du revers de la main tous les efforts entrepris ces dernières années par les sociétés d'auteurs pour régulariser les conditions d'utilisation des oeuvres. En regroupant les ayants droit, les sociétés de gestion ont facilité le respect de la loi et mis à la disposition des utilisateurs, des répertoires suffisamment considérables pour répondre à leurs besoins.

En 1988, le législateur avalisait en quelque sorte les efforts de regroupement des sociétés de gestion en les mettant à l'abri de la loi de la concurrence. Il avait aussi mis en place les mécanismes de régulation nécessaires pour favoriser la libre négociation en instaurant la Commission du droit d'auteur pour arbitrer les différends.

Les sociétés de gestion canadiennes n'ont pas abusé des avantages conférés par la révision de 1988 et rien ne justifie l'insertion de 15 pages de nouvelles exceptions. Les droits de reprographie versés à l'UNEQ et à CANCOPY sont d'ailleurs parmi les plus bas des pays industrialisés. Les nouvelles exceptions ne feront qu'empirer la situation.

La révision de la loi devait servir à réaffirmer l'importance de la propriété intellectuelle et non à en scléroser l'application. Le projet de loi n'a pas tenu compte de l'existence d'ententes entre ayants droit et utilisateurs, ni de l'économie de ces ententes. Plutôt que de favoriser la libre négociation, il établit des règles, au mieux futiles, au pire dévastatrices, qui constitueront un carcan avec lequel les parties devront composer. Le législateur ne remédie à rien. Il introduit une kyrielle de nouveaux problèmes.

Le mémoire fait ensuite un survol des principales exceptions et souligne leur imprécision, leur lourdeur administrative, leur caractère inapproprié. Il détaille les effets de certaines d'entre elles sur les ententes existantes.

M. Yves Légaré (directeur général, Société des auteurs, recherchistes, documentalistes et compositeurs): En résumé, si nous devons qualifier l'impact de ces exceptions, leur ajout, à notre avis, paralysera le développement des sociétés de gestion, multipliera les querelles d'interprétation et les recours devant les tribunaux et nous obligera à mener des batailles d'arrière-garde plutôt que de nous attaquer au défi de l'autoroute de l'information.

L'approche du législateur vient interférer inutilement dans les négociations entre utilisateurs et titulaires de droits et déséquilibre le rapport de forces au détriment des créateurs. Cette approche entraînera une judiciarisation des relations entre ayants droit et utilisateurs.

L'avenir s'annonce mal. L'avènement de l'autoroute de l'information entraînera une multiplication des utilisations. Le législateur a été d'une rare lenteur à réagir aux transformations technologiques et, lorsqu'il agit, il ne livre pas toute la marchandise. Plutôt que de sanctionner les usages illicites, il les légalise.

En s'inspirant des lois américaine, britannique ou australienne, le projet de loi a fait fi de nos problèmes de développement culturel et des particularités de notre marché. En rognant nos sources de revenu, le législateur favorisera la concurrence étrangère au détriment de l'industrie nationale.

Le projet de loi place le gouvernement dans une position contestable. Les exceptions sont en faveur d'institutions publiques financées par divers gouvernements. En expropriant les auteurs d'une partie de leurs droits, on réduit certes les coûts, mais on introduit aussi une nouvelle forme de contribution obligatoire pour ces derniers. L'État fait ainsi une ponction déguisée dans les poches des créateurs.

Enfin, ce projet de loi dénote une absence de vision culturelle. Nous assistons depuis quelques années à la mise à mal de tous les instruments qui ont contribué à notre essor culturel. Les coupures dans les budgets des institutions menacent notre capacité de produire. Le développement de l'autoroute de l'information et la multiplication des canaux interpellent toute notre structure réglementaire et font fi d'une concurrence accrue des produits culturels étrangers.

S'ajoute à tout cela une révision de la Loi sur le droit d'auteur qui est davantage reliée à l'expropriation des auteurs qu'à la sauvegarde de leurs droits. Les auteurs qui espéraient que la révision de la Loi sur le droit d'auteur réaffirmerait l'importance de leur apport en les protégeant adéquatement ont donc eu tort.

Je vous remercie.

Le président: Monsieur Leroux.

M. Leroux: D'abord, merci d'avoir soumis ce mémoire et surtout de rappeler à ce comité l'objectif fondamental que devrait viser le projet de loi sur le droit d'auteur et de nous rappeler, en fin de compte, que des aspects majeurs de ce projet de loi auront pour effet de dénaturer l'essence même de ce que veut dire un droit d'auteur, un ayant droit, la reconnaissance de la juste part qui revient à l'auteur et de son droit fondamental de faire reconnaître la propriété de son oeuvre.

.1250

Dès le dépôt de la loi, l'Opposition officielle s'est réjouie du fait qu'elle empruntait le bon chemin, tant réclamé par beaucoup de gens, en introduisant le principe des droits voisins.

Par ailleurs, on s'est tout de suite aperçu que là où le projet de loi constituait un recul majeur, c'était en ce qui a trait au volet des droits d'auteur. On y retrouve en effet tout à coup une explosion d'exceptions qui a pour résultat d'exproprier carrément, dans certains secteurs de la société, la reconnaissance des droits d'auteur, notamment dans le monde de l'éducation, des bibliothèques, des archives, etc.

Nous avons affirmé que ce projet de loi lançait un message fort négatif dans la société concernant la reconnaissance du droit d'auteur et surtout entraînait, à notre avis, une déresponsabilisation par rapport à la reconnaissance des droits d'auteur et aussi à la reconnaissance de la négociation avec les collectifs de gestion.

J'aimerais profiter de l'occasion qui nous est donnée pour pénétrer dans les aspects concrets des exceptions contenues dans le projet de loi, puisque vous avez fait un travail assez considérable et précis en ce qui concerne les exceptions. J'aimerais que vous nous présentiez des cas d'exceptions dangereuses et que vous les commentiez.

L'objectif que nous visons, c'est de faire adopter ce projet de loi en Chambre, mais il ne peut pas l'être à n'importe quelle condition. Il ne peut pas l'être à tout prix. Il faut faire en sorte qu'il puisse redonner... On entend souvent dire que les droits d'auteur étaient mieux reconnus et mieux définis avant le projet de loi. Il faut en arriver à ce que justice soit rendue au droit d'auteur et que ce droit soit reconnu. Il faut trouver des avenues pour ce faire.

J'aimerais donc que, ce matin, vous nous indiquiez comment on pourrait atteindre l'objectif de l'adoption du projet de loi concurremment avec les objectifs fondamentaux du respect des droits d'auteur. J'aimerais qu'on y travaille concrètement, maintenant.

Un autre point que j'aimerais toucher, c'est la spécificité clairement définie des champs respectifs du droit d'auteur et des droits voisins dans le libellé, dont vous avez parlé. Il y a eu, selon vous, un glissement dans les termes qui a rendu le libellé moins clair. Or, on sait que c'est fondamental. On a dit que s'il y avait des droits voisins, il ne fallait pas qu'ils empiètent sur les droits d'auteur. J'aimerais aussi qu'on puisse voir comment on peut y arriver concrètement dans le projet de loi.

M. Légaré: Votre question est assez vaste. Notre position, pour ce qui est des exceptions que nous avons analysées, n'est pas que ces libellés peuvent être modifiés, améliorés, etc.

Pour nous - et vous avez parlé de message - , tous ces ajouts envoient premièrement un message dangereux. Rappelons-nous que la loi actuelle ne prévoit que peu d'exceptions, pour fins d'étude et de recherches privées. Malgré ce nombre limité d'exceptions prévu dans la loi, plusieurs institutions s'en sont servi pour pirater les oeuvres pendant des années et il a fallu corriger le tir à coups d'études, d'analyses et même de poing sur la table.

Le message est donc dangereux en soi. Si on examine certaines exceptions en détail, et on l'a illustré dans notre mémoire, il y en a qui mettent en péril des ententes existantes.

Le message émis, c'est que la Loi sur le droit d'auteur est difficile à gérer et qu'il faut donc que le législateur prévoie tout plein d'exceptions. Ce que la pratique démontre, c'est que lorsque utilisateurs et ayants droit s'assoient à la même table, ils peuvent couvrir l'ensemble des besoins, l'ensemble des utilisations et déterminer eux-mêmes ce qui fera l'objet d'une exception au paiement, et non pas une exception à la loi versus un paiement.

Si nous nous arrêtons à certaines exceptions, par exemple la transcription d'un poème au tableau noir, il va de soi qu'aucune société de gestion n'a jamais pensé à réclamer un paiement à une institution d'enseignement pour l'écriture d'un poème au tableau noir.

Pourtant, lorsqu'on parle d'exceptions concernant la photocopie multiple, certains articles du projet de loi ouvrent la porte à des risques et dangers menaçant des ententes qui existent déjà, des ententes qui rapportent quelques millions de dollars par année à la communauté des auteurs.

.1255

Nous vous disons de laisser les parties régler ces choses. Il n'est pas dans notre intention de vous dire aujourd'hui que telle exception, si vous en changiez le libellé, pourrait passer. Nous pensons qu'elles sont en soi inacceptables et qu'en plus, même les exceptions qui semblent les plus anodines, au-delà du message négatif qu'elles vont donner, pourront donner lieu à des interprétations, à des querelles et à des poursuites.

Plutôt que d'enrichir les auteurs, cette loi va enrichir des avocats qui vont se pencher sur les possibilités nouvellement offertes aux maisons d'enseignement, aux archives et aux bibliothèques.

M. Leroux: Je posais la question parce que vous parliez d'ententes déjà existantes. Est-ce que le projet de loi actuel aurait comme impact de mettre en danger l'entente entre le ministère de l'Éducation et l'UNEQ, entre la Fédération des cégeps et l'UNEQ en reprographie, entre les universités et l'UNEQ, entre CANCOPY et l'UNEQ et, pour la reprographie, avec le gouvernement fédéral, pour l'utilisation des oeuvres, et entre l'Association des auteurs dramatiques et le ministère de l'Éducation? Est-ce que, selon vous, les ententes avec la SODRAC et le ministère de l'Éducation, les ententes qui existent ailleurs en Ontario, au Manitoba et en Alberta, seraient rendues caduques par le projet de loi?

Mme Rose-Marie Lafrance (directrice du service des droits, Union des écrivaines et écrivains québécois): L'UNEQ croit que les exceptions telles que libellées dans le projet de loi ouvrent la porte à plein d'interprétations qui vont permettre de rendre caducs de grands pans de nos ententes existantes avec le milieu de l'éducation et aussi sur la question des revues de presse.

Prenons le seul exemple de l'entente que CANCOPY et l'UNEQ ont conjointement avec le gouvernement fédéral. Le projet de loi dit qu'on permet maintenant de faire des photocopies d'articles à des fins de revues de presse. Or, une partie de cette entente porte uniquement sur les articles qui, jour après jour, sont découpés et photocopiés à des milliers d'exemplaires au gouvernement fédéral. Donc, déjà là, ce serait une perte des 500 000$ que nous touchons actuellement par cette entente, qui n'est pas une de nos ententes principales.

Du côté de l'éducation, les exceptions telles que libellées font en sorte que, finalement, tout ce qui se fait dans les maisons d'enseignement n'est plus assujetti au paiement de droits d'auteur.

À l'article 29.4, paragraphe (2), on parle de photocopies en vue d'un exercice scolaire, d'un examen ou d'un contrôle exercé dans les locaux de l'établissement. Qu'est-ce qui peut se faire d'autre dans une maison d'enseignement que des examens, des exercices scolaires et des contrôles? Est-ce que tout ce qu'on fait dans une salle de cours n'est pas en vue d'être contrôlé un jour, en vue de passer des examens ou en vue d'un exercice scolaire? On pourrait interpréter ce seul passage du projet de loi comme étant une permission de mettre des dizaines d'articles dans un recueil de textes sans qu'on ait à payer de droits, puisque ce serait à des fins d'examen et d'exercices scolaires.

À cet égard, les ententes actuelles de l'UNEQ avec le milieu de l'éducation représentent environ 2 millions de dollars par année.

M. Gurik: L'entente que l'Association québécoise des auteurs dramatiques vient de signer avec le ministère de l'Éducation du Québec, de la même façon, prévoit le paiement des droits d'auteur pour toute représentation partielle ou complète d'oeuvres dramatiques pour des fins de services éducatifs et d'activités parascolaires donnés dans les établissements d'enseignement. L'interprétation de cette nouvelle rédaction que vous faites des exceptions met en danger cet accord qu'on vient de signer.

M. Leroux: On retrouve dans les exceptions celles qui sont «pour des fins pédagogiques». Cela met carrément en danger...

M. Gurik: Exactement. L'interprétation peut être large ou restrictive, mais cette exception met directement nos accords en danger.

M. Légaré: Par exemple, à la page 21 de notre mémoire, nous parlons du paragraphe 30.3(1). Cette disposition dit:

30.3. (1) Un établissement d'enseignement...

M. Leroux: Est-ce que cela se trouve dans votre résumé?

M. Légaré: Oui, à la page 9.

M. Leroux: Dans les exceptions dangereuses?

M. Légaré: Oui.

M. Leroux: Vous les avez classés par article?

M. Légaré: Oui. Donc, on dit:

30.3. (1) Un établissement d'enseignement, une bibliothèque, un musée ou un service d'archives ne viole pas le droit d'auteur dans le cas où:

a) une oeuvre imprimée est reproduite au moyen d'une machine à reprographier;

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«Au moyen d'une machine à reprographier», c'est déjà assez large.

b) la machine a été installée dans leurs locaux par eux ou avec leur autorisation à l'usage des enseignants ou élèves ou du personnel des établissements d'enseignement ou des usagers...

Si je suis représentant d'une maison d'enseignement et que je lis cet article, l'Union des écrivains va avoir une côte très raide à remonter pour prouver que la copie multiple et les copies doivent être payées en tant que telles. On sait que dans certaines maisons d'enseignement où il n'y a même pas de centre de reprographie, il y a des machines à reprographier qui sont disponibles.

Ce qui est dangereux, comme je vous le disais, c'est d'avoir «encarcané» nos droits dans un projet de loi de ce genre. Au fond, qu'est-ce que la Loi sur le droit d'auteur? C'est une loi qui amortit le risque pris par le créateur. L'auteur est seul chez lui et rédige une pièce de théâtre sur une page blanche sans savoir, au cours de la nuit ou des deux ans qu'il va y consacrer, si elle va marcher, si elle sera jouée une fois et qu'il en tirera 10$, ou si elle sera jouée pendant 20 ans.

Si ça marche, comment le risque qu'il a couru peut-il être amoindri ou payant? Par la Loi sur le droit d'auteur qui empêche tout un chacun de lui voler son travail. Lorsque nous négocions, nous essayons de le faire en fonction des différentes utilisations et de l'évaluation du risque. Est-ce qu'il est risqué de permettre la transcription gratuite sur un tableau noir? Non.

Si on s'aperçoit à l'usage, dans deux ou trois ans, qu'effectivement c'était risqué car le tableau noir a été considéré comme un écran cathodique, on pourra se retourner et négocier avec les utilisateurs. On peut s'asseoir avec eux et leur dire que, désormais, parce qu'ils ont mal interprété le droit qu'ils avaient et que cette utilisation qui paraissait anodine à l'origine est devenue la règle, ils devront assumer certains coûts. Mais si vous introduisez un tel cas dans une loi, à la vitesse où le législateur révise cette loi, il est fort possible qu'on cerne un problème et que nous soyons toujours aux prises avec ce problème dans 20 ans.

M. Leroux: Le projet de loi contient un mandat de révision après cinq ans. Il y a tout de même un mécanisme. Mais cela ne change pas le fond du problème.

Monsieur Gurik, prenons l'exemple concret d'un cégep qui veut monter une de vos pièces de théâtre. Actuellement, il doit quand même entrer en communication avec vous pour respecter le droit d'auteur, pour obtenir une autorisation et établir un tarif, selon qu'il s'agit d'un exercice pédagogique ou d'une représentation. Dans le projet de loi actuel, est-ce qu'on pourrait dire qu'un cégep ou une école secondaire pourrait prendre une pièce de Robert Gurik et la monter sans être obligé de vous appeler?

M. Gurik: Oui, s'il la montait à des fins pédagogiques. Il pourrait interpréter le libellé en se disant qu'il veut la monter en vue de la faire étudier en classe par des élèves, alors que normalement, cette chose est payée.

En fin de compte, c'est presque une double imposition pour un citoyen qui est auteur. On lui demande, en tant que citoyen, de soutenir le système d'éducation par ses impôts et de le soutenir aussi, en tant qu'auteur, par un don obligatoire. C'est presque une sorte de discrimination. C'est une double imposition.

Actuellement, lorsqu'une de mes pièces est interprétée à des fins pédagogiques, que ce soit pour un examen ou autre chose, à partir du moment où vous l'employez comme support à l'éducation, mon travail est payé parce que c'est mon travail. C'est normal. Ce n'est pas le travail d'un autre, mais le mien. Donc, il est payé en vertu de l'accord qu'on a conclu avec le ministère de l'Éducation. Cette exception met en danger ce paiement.

M. Leroux: On comprend clairement à partir de ce cas concret.

Un certain nombre d'organismes ont des préoccupations à caractère plus social ou humanitaire. Est-ce qu'une entente comme celle-là viendrait aussi mettre en péril l'entente entre la SODRAC et l'Institut national canadien pour les aveugles, entre autres? Les gens se préoccupent de ces aspects, pas seulement les organismes du domaine de l'éducation, mais aussi d'autres types d'organismes.

Deuxièmement, j'aimerais que vous m'informiez de la façon dont fonctionne cette entente. Est-ce qu'actuellement, cette entente est satisfaisante? Donnez-nous un exemple illustrant que la libre négociation permet à certaines choses de fonctionner, choses que le projet de loi viendrait compromettre. En avez-vous des exemples?

M. Légaré: La SODRAC serait mieux en mesure de répondre que nous. Il est certain que la SODRAC, lorsqu'elle négocie avec des organismes à des fins charitables, négocie pour des montants qui sont parfois plus symboliques qu'autre chose. Ce qu'on en sait, c'est que ces montants symboliques permettent de reproduire pour les personnes ayant des déficiences perceptuelles un grand nombre d'oeuvres.

Donc, nous sommes capables de nous adapter, de nous ajuster en fonction de l'utilisateur et des utilisations faites par cet utilisateur. C'est toujours aussi en fonction d'un marché potentiel. Il est évident que plus l'utilisation est fabuleuse, plus ce marché est important, parce que c'est lui qui concurrence directement le produit culturel, livre ou pièce de théâtre, etc., alors que dans le cas de marchés qui n'ont pas de valeur commerciale, nous allons nous ajuster.

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Nous sommes parfaitement capables d'établir des tarifs variables et, si ces tarifs sont ridicules, la Commission du droit d'auteur peut fort bien se pencher sur eux et les remettre en question.

M. Leroux: Vous faites appel au mécanisme de responsabilisation de vos connaissances plutôt qu'à l'inverse.

Je reviendrai plus tard sur les domaines des droits voisins et du droit d'auteur.

Mme Lafrance: Je voudrais simplement ajouter un point quant à notre capacité, dont Yves a parlé, de nous adapter aux demandes des usagers ou à leurs besoins. Si on revoit l'historique des ententes sur la reprographie au Québec, on constate que l'UNEQ a fait énormément de modifications à sa façon de fonctionner pour simplifier les ententes au maximum, pour répondre aux besoins des usagers.

Ne serait-ce qu'au niveau des déclarations de photocopie, on demandait au départ une déclaration à la pièce. Maintenant, d'un commun accord avec les maisons d'enseignement, on a décidé de laisser tomber cette exigence et de la simplifier afin de rendre l'entente la plus souple possible du point de vue administratif. On fait des sondages et on s'entend sur des montants forfaitaires.

C'est la même chose pour la question des répertoires. Les maisons d'enseignement ne voulaient plus de listes d'oeuvres. On a donc laissé tomber cette façon de fonctionner et maintenant, on fonctionne par listes d'exclusion.

Donc, on est tout à fait capables de négocier des ententes qui répondent à la fois aux besoins des créateurs et à ceux des usagers. Sur ce plan, on vient justement de signer une entente avec les universités québécoises, qui repose sur un partenariat réel entre usagers d'oeuvres protégées et titulaires de droits.

On s'est entendus pour freiner la photocopie illégale et pour se rencontrer régulièrement pour poursuivre les ententes. Je pense que cette approche-là est très novatrice.

Donc, il ne faudrait pas, avec une projet de loi comme celui-ci, venir remettre en cause nos efforts et nos tentatives pour innover dans le secteur de la gestion collective.

Le président: Monsieur Bélanger.

M. Bélanger: Je dois reconnaître que c'est très clair et très bien présenté. Je vais plutôt poser des questions de nature philosophique, seulement pour savoir exactement jusqu'à quel point vous êtes intransigeants ou flexibles.

Je pose des questions sans connaître les réponses, bien qu'on me dise que c'est très dangereux pour un politicien. Mais je le fais quand même.

J'imagine que cela n'arrive pas souvent, mais est-ce qu'il arrive tout de même qu'un auteur refuse à quelqu'un l'utilisation de son oeuvre, quelle qu'elle soit?

M. Gurik: Cela existe dans le sens où... N'oubliez pas qu'il y a un droit économique de rattaché à l'oeuvre ainsi qu'un droit moral. Je prends l'exemple d'une pièce de théâtre, exemple que je connais. Si j'ai une pièce de théâtre et que, soudain, elle est montée, interprétée et lue d'une façon fascisante alors que je suis contre le fascisme, mon droit moral est attaqué. Je peux refuser dans l'optique qu'on va dénaturer mon texte, même si on en respecte les mots. On va dénaturer l'objet de mon texte et, à ce moment-là, je peux refuser que ma pièce soit jouée. Il y a un droit moral de rattaché à chaque oeuvre.

M. Légaré: Généralement, cela ne se pose pas pour le genre d'utilisateurs que les exceptions couvrent. C'est-à-dire qu'il peut fort bien arriver qu'un auteur refuse à un producteur de faire un film à partir de son roman. Cependant, lorsque nous parlons des exceptions couvertes par la loi, on parle souvent de petits droits. L'oeuvre est imprimée, elle existe et on parle d'en faire une photocopie. Pour l'auteur, c'est un petit droit. Par contre, si on voulait la publier, c'est le droit de l'auteur de choisir son éditeur, par exemple, NRF ou Gallimard plutôt que Belfond, qui serait en cause. Donc, le refus ne se pose pas généralement pour le genre de droits couverts par la loi.

M. Bélanger: Parlons donc de ce petit droit. Est-ce que la Commission du droit d'auteur peut, elle, obliger l'auteur, dans le cas de ces petits droits, à vendre son droit, si je peux utiliser cette expression? Est-ce que la Commission du droit d'auteur a cette autorité présentement? Je ne le crois pas.

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M. Légaré: À ma connaissance, non. Cependant, comme je vous le disais, pour ces auteurs qui refuseraient... C'est-à-dire que ce que veut l'auteur, s'il publie, c'est rejoindre un public. De ce public, il espère pouvoir toucher quelque revenu. Normalement, il est conscient qu'une représentation dans un grand théâtre paie plus qu'une représentation dans un petit théâtre de province et qu'une photocopie d'une page de son livre lui rapportera moins que la vente de son livre.

Donc, le problème se pose vraiment en termes de paiement et d'adéquation de ce paiement avec l'utilisation. Parfois, effectivement, l'utilisation peut être gratuite, quand l'auteur y consent par l'intermédiaire de sa société de gestion, pour une utilisation précise.

M. Bélanger: Est-ce que vous partagez le principe qui semble sous-tendre le projet de loi, à savoir qu'il y ait en fin de compte une différence de droits entre les droits d'auteur et les droits voisins? Pour les droits voisins, on ne peut refuser l'utilisation; ce que le projet de loi offre, c'est une compensation. Est-ce que vous êtes d'accord sur cette nuance, qui est plus qu'une nuance, avec cette différence marquée entre les droits d'auteur et les droits voisins?

M. Légaré: Il est sûr que, pour l'auteur, le droit d'autoriser ou d'interdire sera toujours quelque chose d'essentiel en tant que tel. Comme je vous le disais, son application est reliée à certains types d'utilisation. Mais, pour nous, le droit d'autoriser ou d'interdire est effectivement incontournable.

M. Bélanger: Est-ce que vous croyez que les artistes-interprètes voudraient également avoir ce droit?

M. Légaré: Nous ne nous sommes pas prononcés sur le droit voisin en soi, sauf pour dire que nous sommes contents qu'il soit inséré dans le projet de loi. Il n'est que juste et légitime que les artistes-interprètes soient rémunérés pour une prestation.

Sur les mécanismes d'application, je pense que, généralement, les gens de l'Union des artistes feront leurs propres revendications là-dessus.

Il est sûr que l'artiste-interprète ne peut pas empêcher une oeuvre de circuler. Sa prestation en tant que telle ne fait pas qu'il sera, par exemple, le seul comédien à jouer tel rôle. Une oeuvre va toujours continuer à être exploitée, nonobstant l'artiste-interprète. Mais sa prestation à lui en tant que telle lui appartient, bien sûr.

M. Gurik: Et les idées qu'il transporte ne sont pas forcément les siennes, alors que les idées que rédige un auteur sont les siennes.

M. Bélanger: De ce point de vue, le projet de loi semble vous convenir.

M. Légaré: Nous pensons que l'introduction des droits voisins, tel que cela a été fait, va peut-être causer des problèmes de bon voisinage. Il aurait été préférable de faire du droit voisin quelque chose de plus distinct du droit d'auteur. Donc, ce sont des problèmes de bon voisinage que vous allez occasionner, de cette façon-là.

M. Bélanger: Voici une question hypothétique. Encore une fois, c'est le genre de questions qui peuvent être dangereuses, pas seulement pour celui à qui on les pose, mais pour celui qui les pose. Que diriez-vous d'une disposition du projet de loi qui préciserait que les exceptions ont force de loi pendant une période de temps déterminée, mettons cinq ou dix ans, et qu'ensuite elles ne seront plus en vigueur? Autrement dit, il y aurait une période de cinq ou dix ans pendant laquelle des ententes pourraient être négociées partout, comme c'est le cas actuellement. Est-ce que votre réaction serait la même?

M. Légaré: Non. Dans l'ancienne Loi sur le droit d'auteur, beaucoup d'utilisations étaient interdites. Malgré ces interdictions, il a fallu parfois jusqu'à 20 ans pour en arriver à quelque chose. Il a fallu 20 ans, avec une base juridique solide, pour que nous nous regroupions, que nous nous organisions, que nous puissions être assez articulés et forts pour négocier avec des institutions publiques dont les moyens dépassaient largement les nôtres. C'est pour cela qu'une des questions qui revient souvent, celle de l'équilibre, m'a toujours paru un peu fallacieuse.

Donc, s'il a parfois fallu des années pour s'organiser et que la situation n'est pas encore réglée, et que nous leur accordons pendant cinq ans la possibilité de tout faire, pensez-vous que dans cinq ans, nous nous trouverons en meilleure position?

L'autre chose que je n'arrive pas à comprendre de la part du législateur, c'est que généralement, le législateur intervient quand il a été démontré que les parties sont incapables de s'entendre, quand les parties se garrochent des poursuites de tous côtés. Il réglemente alors ou régule les pratiques. À ce que je sache, jusqu'à présent, il n'y a pas eu entre les maisons d'enseignement et les ayants droit des querelles sans fin qui ont abouti devant les tribunaux. Ce que la pratique démontre, c'est que lorsque les maisons d'enseignement font preuve de bonne volonté, lorsqu'il y a aussi une volonté politique de régler une situation, elles s'assoient avec les ayants droit et finissent par encadrer les utilisations et payer.

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Donc, voilà ce que démontre la pratique. Le législateur arrive avec un cadre qui ne correspond pas à cette pratique, ce qui m'étonnera toujours parce qu'on affirme de plus en plus que l'État doit se garder d'intervenir inutilement.

Ici ce sont des auteurs qui interviennent. Je me demande si c'est parce qu'il s'agit d'un droit de propriété intellectuelle qu'il est moins valorisé. Est-ce parce que ce sont des auteurs qui n'ont pas l'habitude de monter aux barricades? Je ne vois pas pourquoi le législateur régule des pratiques de la sorte.

M. Bélanger: Voilà qui est clair. Merci, monsieur le président.

Le président: Monsieur Leroux.

M. Leroux: Je suis heureux de connaître votre avis, parce qu'il est surprenant de voir à quel point, au cours des dernières décennies, le message des gouvernements a été de dire aux parties de s'entendre. L'État n'a pas toujours à intervenir dans les négociations. On lance ce message dans à peu près tous les secteurs. Ici, nous avons un projet de loi dans lequel l'intervention du gouvernement est complète dans de grands secteurs névralgiques. C'est, en effet, très surprenant.

Pour poursuivre dans la foulée de mon collègue, je cherche à voir comment on pourrait faire en sorte que ce projet de loi soit satisfaisant et atteigne ses objectifs.

Je reviendrai aux principes des collectifs de gestion. Ce qu'on aimerait, c'est que toutes les exceptions soient extirpées du projet de loi et qu'on revienne à des positions où sont reconnus les collectifs de gestion et la négociation. C'est du moins notre position à nous et l'objectif que nous aimerions atteindre. Si on n'arrivait pas à convaincre le gouvernement d'extirper toutes les exceptions du projet de loi, que diriez-vous d'un amendement voulant que les exceptions s'appliquent là où il n'y a pas de collectif de gestion? Lorsqu'il y a un collectif de gestion, c'est lui qui aurait priorité.

M. Légaré: Cela me semble difficilement applicable. Il ne faut pas oublier que les usages ne sont pas figés. Il y a quelques années, les photocopieurs n'existaient pas et il n'y avait donc pas de photocopie et de sociétés de gestion pour couvrir ces usages. Vous dites qu'il n'y a pas de droit sauf lorsqu'il existe une société de gestion. Peut-être cette dernière n'existe-t-elle pas encore. La pratique de l'utilisation peut être en cours d'élaboration, ce qui voudrait dire qu'il faudrait réclamer un droit qui n'existe pas. Une société de gestion se crée pour réclamer un droit qui n'existe pas. Cela me semble une logique inversée.

Au fond, même à l'heure actuelle, il y a des possibilités. Si les sociétés de gestion n'existent pas, elles n'iront pas percevoir pour les utilisations. Généralement, si ces utilisations sont anodines ou ne représentent pas un certain volume, il n'y a pas lieu de créer une société de gestion. Si on parle en termes d'affaires, il faut un volume suffisant pour créer une société de gestion. Si le volume devient important et dangereux pour la survie de l'industrie, une société de gestion se créera.

Donc, c'est inverser la logique, à mon point de vue. Le droit d'auteur existe. Dans ses applications, il va varier selon les utilisations. Ce que nous demandions au législateur - parce que le droit voisin, que nous appuyons, ne procure rien aux auteurs que nous représentons - concernait les copies privées de matériel audiovisuel, ce que vous ne nous avez pas donné.

À tout le moins, nous demandions qu'on se mette à jour, qu'on fasse en sorte que, si l'autoroute de l'information permet des utilisations non couvertes, nous soyons protégés. Or, il n'y a rien à cet égard. Vous réglez le passé alors que nous étions déjà en train de le régler. Depuis 15 ans, les sociétés essaient de s'organiser, de se regrouper, de faire en sorte que les écoles n'aient à s'adresser qu'à un endroit pour obtenir un droit plutôt que d'avoir à appeler 2 000 auteurs, éditeurs ou producteurs. Donc, on se regroupait. Ces efforts de 15 années, comment les concrétisez-vous? En réglant le passé et en ajoutant des exceptions. Quant à l'avenir, on l'oublie.

Il y a des dispositions concernant les dommages et intérêts, qui sont intéressantes. Peut-être la question des dommages limités aurait-elle été une voie à explorer.

M. Leroux: En parlant d'avenir, je reprends le commentaire que j'ai fait au comité et aux collègues. Il y a dans la loi un mandat de réouverture dans cinq ans. Donc, dans cinq ans, la loi devra être révisée. Cela ne correspond pas nécessairement à une phase III, parce qu'on nous a répondu que cela ne correspondrait pas nécessairement à la phase III.

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Toutefois, mon inquiétude, c'est que d'ici cinq ans, plein de gens engagés dans le domaine des nouvelles technologies cherchent comment se glisser parmi les exceptions. Cela ouvre la porte à des exceptions que je qualifierais, dans l'esprit de vos sous-titres, de dangereuses, pour tout ce qui ne se trouve pas dans le projet de loi actuellement et qui concerne les technologies modernes et les nouvelles technologies. Cela risque de donner le temps à des gens de préparer leur lobbying et d'apprendre comment devenir une exception. C'est une préoccupation que nous avons et que je voulais partager avec vous par rapport à cette perspective qu'ouvre ce projet de loi.

Le président: Monsieur Légaré, vous avez un commentaire?

M. Légaré: Oui. Face aux nouvelles technologies, face à l'autoroute de l'information, je pense que tout le monde est d'accord pour dire que ce qui sera important, c'est le développement des contenus en tant que tels. D'ailleurs, on cite dans notre mémoire le précédent ministre du Patrimoine canadien qui, comme d'autres, voyait que le contenu était important.

La pérennité du contenu s'appuie en bonne partie sur la Loi sur le droit d'auteur. Dans la mesure où cette loi ne sera pas revitalisée et évincera les auteurs de leurs droits, qui se chargera de fournir ce contenu? Nous proviendra-t-il d'autres pays?

L'erreur fondamentale de cette approche constituée d'exceptions est de se baser sur des lois américaine, anglaise ou autres. Nous n'avons pas le même marché. Lorsque les Américains publient un livre, ils ont un public potentiel de 60 ou 230 millions de lecteurs. Au Canada, il est de 30 millions de lecteurs. Et si on distingue le marché francophone et le marché anglophone, c'est sept millions d'un côté et une vingtaine de millions de l'autre. Nous n'avons pas le même marché. Nous sommes donc obligés de nous assurer que tous les marchés seront bien exploités et bien encadrés.

Les Américains peuvent se permettre de donner à des écoles certains livres, de permettre la photocopie, parce que, de toute façon, leur marché leur assure la survie. Les chiffres de l'UNESCO montrent d'ailleurs que tout pays de moins de 30 millions d'habitants a de la difficulté à faire survivre sa culture. Cette loi nous rend les choses encore plus difficiles. Vous nous bloquez nos marchés. Vous faites en sorte que le risque assumé par le créateur devienne trop grand.

Le président: Monsieur Arseneault.

M. Arseneault: J'ai une question brève que j'adresserais plutôt à monsieur Leroux. Est-ce que j'ai bien compris que le Bloc québécois est contre toutes les exceptions sans exception?

M. Leroux: L'opposition, vous la connaissez. Si vous le permettez, on va...

M. Arseneault: Eh bien, il semble que...

M. Leroux: Monsieur le président, est-ce qu'on ouvre un débat?

Le président: Plus tard. Nous allons nous arrêter là.

Monsieur Gurik, monsieur Légaré, monsieur Lavoie, madame Lafrance, votre témoignage a été très clair. Il n'y a pas moyen de s'y tromper: cela a été très clair, très éloquent. Madame Lafrance, vous nous avez donné l'exemple de votre contrat avec le gouvernement fédéral. Selon votre interprétation de la loi, celle-ci vous ferait perdre 500 000 $. Ce sont des choses que nous allons certainement suivre et vérifier. Nous vous remercions d'être venus.

Je voulais apporter une légère nuance. Les gens qui ont parlé des exceptions ont dit qu'il y en avait une quinzaine de pages. Je ne prends pas parti; je ne fais que suivre ce qui a été dit. Ce qu'il faut reconnaître, c'est qu'il existait déjà des exceptions qu'on a seulement modifiées. Il y a cinq ou six pages qui on trait à des exceptions qui existent dans la loi actuelle. Mais je vous concède que beaucoup d'exceptions ont été ajoutées.

M. Leroux: Treize?

Le président: Pardon?

M. Leroux: Treize ou 15? Vous avez dit 15.

Le président: Non, non. Là-dedans, il y a cinq pages qui ont trait à des exceptions déjà existantes, qu'on cherche à modifier. C'est une nuance que j'apporte.

En tout cas, nous vous remercions beaucoup d'avoir comparu devant nous et d'avoir expliqué votre point de vue avec beaucoup de clarté et beaucoup d'éloquence. Merci beaucoup d'être venus.

M. Légaré: Merci.

Le président: La séance est levée.

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