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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 31 octobre 1996

.1106

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Phinney): Mesdames et messieurs, la séance est ouverte. Je suis certaine que les autres membres sont soit à la Chambre, soit à d'autres réunions et qu'ils se joindront à nous sous peu.

Nous sommes le jeudi 31 octobre et le Comité permanent du patrimoine canadien examine le projet de loi C-32, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur.

Nos premiers témoins sont des membres de la Canadian Library Association. M. John Tooth est président du comité sur le droit d'auteur et M. Paul Whitney est vice-président et président désigné de l'association; il est aussi bibliothécaire en chef de la Burnaby Public Library. C'est bien cela? Vous êtes bien bibliothécaire en chef?

M. Paul Whitney (vice-président et président désigné, Canadian Library Association; bibliothécaire en chef, Burnaby Public Library): C'est exact.

La vice-présidente (Mme Phinney): Nous accueillons également M. Leacy O'Brien, directeur exécutif intérimaire.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Nous sommes prêts à entendre votre exposé. Je crois que nous avons tous lu le mémoire que vous nous avez fait parvenir.

M. Whitney: Merci beaucoup.

D'abord, je devrais peut-être souhaiter aux membres du comité une joyeuse fête de l'Halloween. Je suis tenté au départ de vous demander, comme les enfants le font: «La charité, s'il vous plaît», étant donné que les bibliothécaires estiment qu'on leur doit quelques faveurs. Cependant, cette notion de «charité» ne fait partie ni de nos moeurs ni de nos façons de faire et je ne voudrais absolument pas que vous interprétiez mon intervention comme étant une menace.

Je m'appelle Paul Whitney. Comme l'a dit la vice-présidente, je suis vice-président de la Canadian Library Association (CLA).

Fondée en 1946, la CLA a pour mission de promouvoir, développer et soutenir des services de bibliothèque et d'information au Canada. Elle compte environ 4 000 membres individuels et institutionnels regroupés en cinq divisions, à savoir les bibliothèques collégiales et universitaires, les bibliothèques publiques, les bibliothèques scolaires, ainsi que les bibliothèques spéciales qui incluent les bibliothèques gouvernementales et commerciales. Les membres de la CLA servent plus de 90 p. 100 de la population vivant dans des localités dans tout le Canada, ainsi que diverses institutions partout au pays.

Merci au comité de nous inviter à comparaître aujourd'hui. Merci également au gouvernement et aux divers ministères qui ont fait en sorte d'inviter la CLA à participer à ce long processus de consultation qui a mené à la présentation du projet de loi C-32. Nous sommes ici pour plaider en faveur de l'adoption rapide de cette mesure législative attendue depuis longtemps.

Notre exposé de ce matin comportera deux volets. M. Tooth passera en revue le mémoire de la CLA et fera ressortir les principaux problèmes que nous estimons importants; quant à moi, j'aborderai les préoccupations du milieu bibliothécaire concernant les dispositions du projet de loi C-32 relatives à l'importation parallèle de livres, et je parlerai de plusieurs problèmes touchant les bibliothèques et dont d'autres mémoires et témoignages ont fait mention. Compte tenu des témoignages récents que l'ABRC a présentés au comité, soit l'association qui représente les bibliothèques de recherche au Canada et celles du secteur universitaire du pays, nous ne nous arrêterons pas aux problèmes liés aux prêts entre bibliothèques. Cependant, pour dissiper tous les doutes qu'il pourrait y avoir, permettez-moi de dire que nous appuyons en tous points les positions de ces autres organisations.

Je vais maintenant céder la parole à M. Tooth.

M. John Tooth (président, comité du droit d'auteur, Canadian Library Association): Merci, Paul, bonjour tout le monde. Je suis heureux de vous entretenir pendant quelques instants du droit d'auteur.

La Canadian Library Association tient à vous féliciter pour le processus de consultation mené jusqu'à maintenant, et pour l'élaboration d'un projet de loi qui aborde de nombreux problèmes auxquels les citoyens canadiens accordent aujourd'hui une grande importance. La CLA est en faveur du projet de loi C-32. Même si nous abordons aujourd'hui certains aspects techniques, soulignons d'abord que le projet de loi en soi vise fondamentalement à rétablir un équilibre.

Le gouvernement en a fait connaître l'objectif lorsque la ministre du Patrimoine canadien, Mme Copps, l'a déposé à la Chambre. Voici une citation tirée du hansard du 25 avril:

.1110

Les auteurs des mémoires déposés par la Canadian Library Association, l'Association des bibliothèques de recherche du Canada, le CREPUQ, qui est une association de recteurs et de présidents d'universités au Québec, de même que de l'ASTED, qui est l'organisation nationale française des bibliothèques et l'institution soeur de la CLA, prônent tous les exemptions et réclament l'adoption immédiate du projet de loi C-32.

La CLA croit fermement que le projet de loi C-32 établit un équilibre entre les droits des créateurs et ceux des usagers. Nous reconnaissons que le Canada doit comprendre une communauté culturelle forte, qui touche une rémunération équitable pour l'utilisation de documents protégés par un droit d'auteur. Après tout, les produits des créateurs, c'est ce que nous achetons, utilisons et mettons à la disposition des citoyens canadiens dans nos bibliothèques. Toutefois, nous croyons fermement que les utilisateurs de documents protégés par un droit d'auteur ont le droit d'avoir un accès équitable et raisonnable à ces documents à des fins d'éducation, de recherche, d'étude privée, d'enseignement, ainsi que pour l'avancement et la diffusion des connaissances.

En 1988, le gouvernement fédéral adoptait ce qui constituait une première phase des modifications à la Loi sur le droit d'auteur et promettait d'en venir à une deuxième, laquelle devait porter sur les exemptions accordées aux bibliothèques et aux établissements d'enseignement. Pendant ce temps, la CLA et d'autres groupes d'usagers et de créateurs participaient au comité consultatif du gouvernement fédéral sur l'utilisation, par les bibliothèques, de documents protégés par un droit d'auteur. Le comité a dégagé un consensus quant à l'équilibre approprié entre les droits des usagers et ceux des créateurs. Fondamentalement, cette entente devenait la position officielle de la CLA, que nous avons continué de peaufiner jusqu'à ce jour. Nous sommes déçus de voir que certains éléments de la communauté des créateurs aient choisi de faire un virage à 180 degrés par rapport au consensus dégagé en 1988 - comme vous l'avez entendu dans des témoignages ou lu dans des mémoires qui vous ont été présentés - à un point tel qu'à leur avis, aucune exemption ne devrait être accordée aux utilisateurs de documents protégés par un droit d'auteur.

Le projet de loi C-32 englobe la majorité des exceptions acceptées par voie de consensus en 1988. La CLA est satisfaite des exemptions accordées aux bibliothèques dans le projet de loi C-32. Je pense plus précisément aux dispositions touchant les points suivants: le maintien et la gestion des collections; la reproduction d'un article de périodique en un seul exemplaire; l'ensemble des exemptions prévues par la loi et accordées aux bibliothèques, au nom de leurs usagers, et la défense de la notion d'utilisation équitable; les dommages-intérêts limités concernant l'utilisation, par un client, des photocopieurs de la bibliothèque; la permission donnée à une bibliothèque d'accorder à une autre bibliothèque les mêmes avantages qu'elle s'accorderait à elle-même. Ces exceptions assurent l'équilibre des droits réclamés tant par le gouvernement que par la CLA.

J'aimerais soulever une question technique. L'article 38.2 limite la responsabilité des établissements d'enseignement qui ont conclu une entente avec une société de gestion en matière de reprographie. Nous ne comprenons pas pourquoi cette disposition devrait s'appliquer uniquement aux établissements d'enseignement et non aux bibliothèques qui ont signé une entente semblable. Comme aucun motif logique ne justifie d'exclure les bibliothèques ayant signé une telle entente, nous supposons qu'il s'agit peut-être d'un oubli qui s'est glissé dans la rédaction du projet de loi. Cette disposition concernant les dommages-intérêts limités des bibliothèques encouragera celles-ci à se joindre à des sociétés de gestion, ce qui favoriserait encore davantage l'atteinte des objectifs du gouvernement.

Enfin, j'aimerais faire plusieurs commentaires concernant certains des mémoires et des témoignages qui ont été présentés. Permettez-moi de vous assurer, au départ, que les bibliothèques ne sont pas aussi vilaines que ce qu'on prétend. Les bibliothèques respectent la législation canadienne en matière de droit d'auteur, non seulement parce que nous sommes des institutions et des citoyens respectueux de la loi, mais également parce que nous appuyons la notion de droit d'auteur. Depuis la création, par la loi, de sociétés de gestion du droit d'auteur, soit depuis 1988, des milliers de bibliothèques scolaires, toutes les bibliothèques universitaires, la majorité des bibliothèques collégiales et toutes les bibliothèques fédérales ont négocié des licences de droit d'auteur avec CANCOPY; ces licences permettent aux bibliothèques de reproduire plus de documents que la loi ne le permet, et assurent des millions de dollars de revenus annuels à CANCOPY, revenus qu'elle redistribue à ses membres. Les bibliothèques publiques négocient actuellement avec cet organisme.

On pourrait parfois penser que nous sommes des adversaires des créateurs et de leur société de gestion, mais ce n'est pas le cas. Dans nos négociations avec CANCOPY, nous devons faire preuve de responsabilité, puisque nous utilisons tous l'argent des contribuables. Autrement dit, je vous en prie, ne vous laissez pas décontenancer par des belles paroles et des émotions, mais concentrez-vous plutôt sur les problèmes de fond qui doivent être réglés.

Enfin, même si le mémoire de la CLA ne porte pas sur les usagers ayant des déficiences perceptuelles et sur le fait qu'ils doivent avoir un accès équitable aux ouvrages en braille, aux imprimés en gros caractères et aux livres sonores, nous appuyons en tous points le mémoire de l'Institut national canadien pour les aveugles dans lequel on fait ressortir diverses préoccupations liées aux exemptions proposées et on propose un certain nombre de changements.

Je cède maintenant à nouveau la parole à mon collègue M. Whitney, qui vous parlera de l'importation parallèle de livres.

M. Whitney: Et j'aimerais faire quelques brefs commentaires là-dessus.

Depuis qu'on a annoncé la nouvelle en 1992, les bibliothèques ont dit qu'elles s'opposaient à ce que la loi accorde une protection aux distributeurs exclusifs de livres étrangers sur le marché canadien. Nos préoccupations font écho à celles de la Canadian Booksellers' Association, à savoir que la distribution des livres pose un problème lié au marketing et au service et non un problème de propriété, et que l'inclusion d'une telle disposition dans la Loi sur le droit d'auteur est à la fois inappropriée et inapplicable.

.1115

C'est à se demander même si la protection est nécessaire. J'attire l'attention du comité sur l'exemple donné par l'Association of Canadian Publishers dans son mémoire, au sujet du livre intitulé Every Living Thing, de James Herriot. Le cas cité était en réalité un exemple flagrant d'importation inappropriée. Dans ce cas précis, toutefois, l'éditeur canadien a pu faire retirer les livres du marché. Si l'on en croit les médias, l'éditeur a été indemnisé pour ses pertes de revenus. Et tout cela s'est fait sans la protection qu'on nous dit nécessaire pour assurer précisément ce genre de chose.

Les bibliothèques canadiennes ont toujours été parmi les plus ardents supporters des maisons d'édition et des auteurs canadiens. Et il est ironique de voir que l'importation parallèle de livres fasse l'objet d'une disposition législative au moment même où les bibliothèques canadiennes dépensent plus d'argent au Canada que jamais auparavant, ce qui reflète la grande qualité des livres canadiens et la demande du public pour ces ouvrages, de même que les prix concurrentiels des ouvrages canadiens par rapport aux livres étrangers. En outre, il est ironique de voir que la loi n'est pas encore adoptée au moment où les clients des bibliothèques et des librairies font face à ce que l'on a décrit dans le numéro de novembre du Quill & Quire, le journal du marché du livre au Canada, un «désastre de distribution» avec deux des principaux agents-éditeurs au Canada.

Si le gouvernement décide de conserver les dispositions du projet de loi C-32 concernant l'importation parallèle de livres, la CLA s'inquiète précisément de trois choses.

Premièrement, les bibliothèques veulent s'assurer que les tierces parties - grossistes et librairies, par exemple - qui achètent des livres pour une bibliothèque auront accès aux mêmes exceptions que la bibliothèque elle-même.

Deuxièmement, le paragraphe 45(2), tel que proposé, semble placer les douaniers dans une position impossible, à savoir qu'ils devront décider si l'importateur - une bibliothèque ou une librairie dans ce cas - a le droit d'importer des livres au Canada en se fondant sur le respect, par le distributeur exclusif, des règlements relatifs à l'exécution. Permettez-moi de vous dire que ces questions sont des questions qui s'avèrent fort complexes et très difficiles à comprendre pour quiconque n'est pas dans le milieu des bibliothèques. On suppose, si l'on se fie à la première annonce de Communications Canada, en 1992, au sujet des lignes directrices concernant l'exécution volontaire récemment négociées, que le fardeau de la preuve appartient au distributeur exclusif. Cette question devrait faire l'objet d'une médiation entre les parties - et les associations intéressées, s'il y a lieu. Les Douanes ne devraient avoir aucun rôle à jouer là-dedans.

Troisièmement, nous tenons à exprimer notre déception quant à la position de l'Association of Canadian Publishers qui a fait clairement savoir que les bibliothèques ne devraient pas pouvoir se prévaloir de l'exception concernant la reproduction d'un ouvrage en un seul exemplaire. Cette exception a toujours été reconnue comme étant nécessaire tant par le gouvernement que par les grandes associations d'éditeurs, à la fois dans leur position initiale de négociation sur les lignes directrices relatives à l'exécution présentées en 1992 et dans les lignes directrices négociées cette année sur l'exécution volontaire - et l'Association of Canadian Publishers a adopté ces deux documents.

Le temps nous empêche de procéder à un examen détaillé des motifs qui justifient l'exception de la reproduction d'ouvrages en un seul exemplaire. Qu'il suffise de dire que sans cette exception, les collections des bibliothèques s'affaibliront avec les années. Supprimer l'exception concernant la reproduction d'ouvrages à ce stade-ci modifierait fondamentalement et de manière inacceptable l'impact du projet de loi C-32 sur les bibliothèques.

Dans plusieurs des témoignages et des mémoires qui ont été présentés au comité, on a parlé de l'étude récente intitulée «Photocopying in Public Libraries in Canada», par Françoise Hébert, pour décrire les torts financiers que la reprographie en bibliothèque cause aux auteurs. Je devrais ajouter qu'à titre de président du conseil des administrateurs des grandes bibliothèques publiques en milieu urbain, j'ai agi comme consultant pour cette étude.

Il est important de noter que la première ébauche de l'étude, datée de mai 1996, a été revue de fond en comble. Nous avons remis une version mise à jour au greffier du comité. Et si vous me permettez de faire un peu de publicité, elle sera publiée par la Canadian Library Association avant la fin de l'année. Plus précisément, l'étude prévoit qu'il se fera 11,6 p. 100 moins de photocopies par année à l'aide de ces machines. Le nombre de copies d'articles de journaux est passé de 15,1 p. 100 du total des copies à 7,2 p. 100. Ce sont là des changements importants. Les chiffres cités dans les autres mémoires sont tirés de la première ébauche; nous avons dû nous y astreindre parce que seule cette ébauche était disponible au moment où le mémoire devait être présenté. Je pense donc qu'il est important que le comité reconnaisse que ces chiffres doivent être revus à la lumière de la nouvelle version du texte.

L'étude a été menée conjointement par les responsables des bibliothèques publiques canadiennes et CANCOPY afin de procéder à une évaluation objective des activités de reprographie dans les bibliothèques publiques, et de faciliter l'élaboration d'un contrat de licence concernant les bibliothèques publiques - et je tiens ici à insister sur le mot «conjointement». Les bibliothèques publiques ont travaillé - et continuent de le faire - avec CANCOPY à la conclusion d'un contrat de licence. S'il n'y a pas eu encore d'entente avec les bibliothèques publiques, c'est simplement que CANCOPY a concentré ses efforts sur d'autres secteurs où les ententes comportent des avantages financiers beaucoup plus importants pour les créateurs et les éditeurs qu'elle représente.

.1120

Les bibliothèques se préoccupent des chiffres irréalistes et souvent subjectifs qui sont fournis concernant les reproductions sur leurs machines. Je vous donne comme exemple l'étude de Stevenson Kellogg Ernst & Whinney, intitulée «Developing a Reprography Collective in Canada», publiée il y a dix ans exactement, en octobre 1986. On estimait alors que 110 millions de photocopies de documents publiés étaient effectuées annuellement dans les bibliothèques publiques. Il s'agissait d'une estimation grossière et exagérée, et l'étude actuelle montre que sa marge d'erreur était de 8 contre 1. Pour nous, ce genre de données indique qu'il nous faut continuer d'insister sur la nécessité de recueillir des statistiques à jour, fiables et objectives sur ce qui se passe en réalité.

J'aimerais citer quelques chiffres tirés de l'étude. Chaque année, il se fait sur les photocopieurs des bibliothèques publiques environ 12,9 millions de copies de documents publiés. Cela constitue moins d'un quart de toutes les copies faites sur photocopieur. Le total s'élève à 23,2 p. 100 de documents publiés, c'est-à-dire des documents qui seraient assujettis au projet de loi C-32. Le nombre moyen de pages copiées à la fois, ce que nous appelons une transaction, est de 4,4. On peut alors estimer en gros que 3 millions de travaux publiés sont copiés en partie ou au complet.

En ce qui concerne les bibliothèques publiques, je crois nécessaire de signaler que cela représente moins de 1 p. 100 du total des ouvrages empruntés dans nos établissements. La reprographie n'est pas l'une de nos principales activités, et la raison première pour laquelle nous avons des photocopies, c'est pour protéger les collections. Malheureusement, une certaine partie de nos usagers - Dieu merci, ils sont peu nombreux, mais ils sont quand même là - décident de mutiler les collections, de déchirer les pages, plutôt que de passer du temps à la bibliothèque pour lire les documents. Demandez à n'importe quel bibliothécaire la raison principale pour laquelle on trouve des photocopieurs dans les bibliothèques, et on vous répondra que c'est pour protéger les collections.

Il est temps que l'on sache véritablement quels ouvrages sont reproduits sur ces machines. Parmi toutes les photocopies d'ouvrages publiés faites dans les bibliothèques publiques, 53,7 p. 100 sont reliées à l'éducation institutionnelle. Cela inclut la maternelle jusqu'à la 12e année, ainsi que les établissements d'enseignement postsecondaires, collégiaux et universitaires.

L'exemple typique: une élève de 8e année qui copie une page de journal un samedi parce qu'elle n'a pas accès alors à la bibliothèque de son école. Nous croyons que cette copie, et un pourcentage important du total des copies quantifiées dans l'étude, pourraient se justifier en se fondant sur la notion d'utilisation équitable.

Plusieurs témoins ont parlé de la bibliothèque de référence de l'agglomération de Toronto lorsqu'ils ont traité de la photocopie dans les bibliothèques. Le comité devrait savoir que la bibliothèque de l'agglomération de Toronto, ainsi que d'autres grandes bibliothèques publiques, auront bientôt un accord de licence. À noter également que la bibliothèque publique du Grand Toronto constitue un cas unique au Canada: aucun ouvrage de ses collections en langue anglaise ne peut être prêté. Aucune autre bibliothèque n'est dans cette situation. Il serait incorrect qu'une loi qui aura des répercussions sur 1 500 bibliothèques publiques canadiennes, sur plus de 3 600 établissements comme tels et sur des dizaines de milliers de bibliothèques de tous genres soit rédigée en fonction de l'impression qu'ont eue ces témoins à partir d'un seul établissement.

Certains ont dit que les bibliothèques vont utiliser les exceptions, comme celle qui est proposée à l'article 30.3 sur les photocopieurs libre-service, pour éviter de signer des contrats de licence. Les bibliothèques estiment toujours que les contrats de licence sont complémentaires à la loi et travailleront de concert avec CANCOPY pour conclure des accords équitables. L'article 30.3 est nécessaire, car les bibliothèques ne peuvent contrôler la reproduction qui se fait sur ces machines. Cela ne veut pas nécessairement dire que la reproduction de documents sur des photocopieurs libre-service ne fera pas l'objet de contrats de licence. Les bibliothèques continueront d'être des intermédiaires responsables entre les auteurs et les éditeurs d'une part, et les lecteurs d'autre part, et nous continuerons de respecter le droit d'auteur.

En conclusion, je tiens à offrir mes félicitations au gouvernement pour le dépôt de ce projet de loi qui permet d'atteindre un équilibre entre les besoins des usagers et ceux des titulaires de droits d'auteur.

[Français]

Nous remercions le comité encore une fois et vous souhaitons plein succès dans vos délibérations. Merci.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Phinney): Merci beaucoup.

Monsieur Leroux.

[Français]

M. Leroux (Richmond - Wolfe): Je vous remercie d'abord de votre mémoire. Je voudrais entrer dans le vif du sujet en parlant de reprographies et de photocopieuses. La situation que vous venez de décrire met l'accent sur le sens des responsabilités des bibliothèques, lesquelles reconnaissent non seulement le droit d'auteur, mais aussi la loi et son application et les ententes qu'elles peuvent avoir avec CANCOPY ou les autres collectifs de gestion, comme l'UNEQ.

Ai-je bien compris que vous seriez d'accord pour que la loi vous déclare non responsables des photocopieuses qui se trouvent dans vos murs, que vous seriez d'accord sur ce point de vue qui déresponsabilise votre institution et ne vous rend plus responsables de ce qui se fait avec ces appareils?

.1125

Plusieurs nous disent que cela va contre le bon sens, que les institutions ne soient plus responsables des photocopieuses sur les lieux. En effet, monsieur Whitney, qu'est-ce qui va vous obliger à conclure des ententes quand vous n'êtes pas responsables des reprographies et de vos machines? C'est important. La loi vous ouvre une porte de sortie.

[Traduction]

M. Whitney: Le problème fondamental ici, c'est un problème d'information. Nous acceptons cette responsabilité, et nous faisons un travail de plus en plus efficace en matière d'information du public sur le droit d'auteur.

Ce qui nous préoccupe, ce sont les photocopieurs libre-service. Il est physiquement impossible pour nous d'affecter en tout temps un membre du personnel à la surveillance de la reprographie qui se fait sur ces machines; dans le cas de ma bibliothèque, par exemple, il faudrait y affecter quelqu'un pendant les 73 heures par semaine où elle est ouverte. En collaboration avec CANCOPY et en respectant les lignes directrices qui seront élaborées par le gouvernement, nous pourrions nous assurer d'afficher les renseignements appropriés et faire de notre mieux pour informer le public sur ce qui constitue une enfreinte au droit d'auteur.

Comme les représentants du secteur universitaire l'ont mentionné hier soir, je pense que nous avons été témoins d'une amélioration considérable au chapitre de la sensibilisation à ce problème. C'est maintenant un aspect dont les gens sont beaucoup plus conscients qu'avant.

[Français]

M. Leroux: Monsieur Whitney, je comprends bien tout le sens des responsabilités auquel vos propos font allusion et l'appel que vous lancez en faveur de l'éducation, mais il n'y a rien de magique dans la société. Quand on n'a pas un cadre dans lequel fonctionner où les règles du jeu sont claires, il y a toujours de la déviance. On glisse à gauche, on glisse à droite.

Reconnaissez-vous que le fait que la loi actuelle vous déresponsabilise par rapport à l'utilisation des photocopieuses dans votre propre établissement émet un message qui vous amènera à exercer moins de surveillance sur ces machines? Dans ces périodes de restrictions budgétaires, alors que vous avez moins d'employés, vous pourriez en arriver à vous contenter de veiller à l'entretien des machines et à ne pas exercer de surveillance. De plus, si les négociations se compliquaient, qu'est-ce qui vous amènerait à conclure des ententes puisque la loi ne vous rend pas responsables de ces machines et que, même si vous voulez bien faire de l'éducation, vous ne considérez pas que votre mission première est de vous tenir à côté des photocopieuses pour expliquer à leurs utilisateurs que le droit d'auteur existe?

J'arrive difficilement à voir par quels mécanismes ces opérations peuvent être gérées. Les auteurs ont raison d'être inquiets. Sans tomber dans une bataille de chiffres pour savoir s'il est vrai qu'il y a une telle violation des droits d'auteur, j'essaie de voir comment ces droits d'auteur seront respectés à partir du moment où des machines à reproduire ne seront plus sous la responsabilité de personne. J'essaie de voir comment cela pourrait se faire. Peut-on croire que c'est possible en comptant uniquement sur la bonne volonté, le sens des responsabilités ou le sens du devoir des gens?

[Traduction]

M. Whitney: Pour répondre brièvement à votre question, je dirais oui. Je pense que nous en avons fait la preuve par les négociations que nous avons menées avec CANCOPY jusqu'à maintenant, et qui se poursuivent. Nous allons entamer ces négociations avec la meilleure volonté du monde.

M. Tooth voudra peut-être ajouter quelque chose.

M. Tooth: Oui, j'aimerais peut-être vous dire que j'ai pour responsabilité, entre autres, de négocier des contrats de licence avec CANCOPY au Manitoba. Je représente les écoles et nous négocions des accords. Dans tous les contrats, il est question d'échantillonnage, et CANCOPY insiste beaucoup là-dessus. De fait, on a commencé à faire de l'échantillonnage au Manitoba à l'automne de 1995.

Ainsi, on fait des échantillonnages pour les photocopieurs libre-service installés dans les bibliothèques des écoles afin de savoir quels documents sont reproduits par les enseignants et par les élèves; CANCOPY aussi veut avoir ces renseignements. D'après les résultats que nous avons obtenus, nous sommes en mesure de dire que dans l'ensemble, les enseignants et les élèves semblent respecter la loi. Dans le cas contraire, même si nous ne pouvons pas isoler de cas particuliers, nous savons que nous devons retourner dans les écoles pour y faire un certain travail d'information auprès des enseignants parce qu'ils ne se rendent pas compte qu'ils peuvent reproduire seulement un chapitre d'un livre et non pas un chapitre et demi.

L'échantillonnage nous permet véritablement de recueillir les données de base, données dont se servent ensuite CANCOPY, le ministère de l'Éducation et d'autres personnes pour informer les élèves et les enseignants afin de leur faire comprendre qu'il est illégal de reproduire trois chapitres d'un livre. L'accord signé avec CANCOPY ne permet la reproduction que d'un seul.

[Français]

M. Leroux: Je comprends, mais vous savez qu'il existe des bibliothèques à but lucratif qui ne sont pas dans le milieu de l'éducation proprement dit et dont la mission première n'est pas d'éduquer. Tellement de gens circulent dans les bibliothèques municipales. Elles sont accessibles à un large public. Au fond, elles veulent bien faire des efforts d'éducation, mais elles ne passeront pas leur temps à surveiller les machines.

.1130

Est-ce que ce serait vraiment compliqué pour vous si on retirait l'exception, parce qu'il n'est pas possible qu'une exception vous déresponsabilise par rapport aux reprographies ou aux photocopies? Si on retirait cet amendement, quelles en seraient les conséquences pour vous?

[Traduction]

M. Whitney: Il s'ensuivrait que les bibliothèques se retrouveraient encore dans une situation où ce sont nos usagers qui utilisent le photocopieur et nous ne pouvons pas contrôler directement leurs activités. Tout compte fait, nous ne devrions pas assumer de responsabilité criminelle pour des actes sur lesquels nous n'avons aucun contrôle. C'est la meilleure réponse et la plus brève que je puisse vous donner.

[Français]

M. Leroux: Monsieur Tooth, pour ce qui est d'accepter de négocier avec CANCOPY ou l'UNEQ, peu importe le collectif, cet élément de la loi ne vous fera pas vous retrancher derrière le fait que vous n'en êtes plus responsables pour éviter de négocier? Vous affirmez que malgré cela, vous allez quand même négocier en vous référant à des barèmes et à des expertises déjà établies en termes de chiffres. Vous continuerez de cette façon.

[Traduction]

M. Whitney: C'est exact. M. Tooth a déjà négocié des accords avec CANCOPY. Je participe actuellement à des discussions avec cette organisation et je crois que l'on abordera comme il se doit la question des photocopieurs.

[Français]

M. Leroux: Des ayants droit et des collectifs ont des réserves et pensent que les exceptions contenues dans la loi pourraient rendre caduques, en tout ou en partie, les négociations ou les ententes existantes. C'est pure conjecture de leur part?

[Traduction]

M. Whitney: Oui, je vous comprends. Je crois que l'inquiétude la plus importante des sociétés de gestion et des bibliothèques et la division la plus profonde qui les sépare, c'est l'interprétation de la notion d'utilisation équitable. Comme je l'ai dit, CANCOPY estime que l'article de journal reproduit en un seul exemplaire par l'élève de 8e année qui en a besoin pour ses études ne constitue pas une utilisation équitable. CANCOPY soutiendra que toute reproduction, par définition, est importante et devrait faire l'objet d'un contrat de licence.

Nous n'adopterons pas cette position, et c'est la raison pour laquelle des problèmes se sont posés dans certains secteurs. Dans les bibliothèques universitaires, le contrat de licence est établi en fonction du nombre d'étudiants, et non du nombre de copies qui sont faites.

La proposition qui est sur la table et qui est discutée avec les bibliothèques publiques vise à l'établissement de contrats de licence fondés sur le nombre de machines, et non sur le volume des copies. Je suppose qu'il s'agit là d'une stratégie de négociation qui nous permet d'aplanir nos différences fondamentales concernant certains problèmes et d'en arriver à un accord équitable.

[Français]

M. Leroux: Par rapport aux différentes perceptions et opinions exprimées, j'aimerais vous poser une question fort simple: est-il vrai que les bibliothèques se servent des prêts interbibliothèques pour éviter d'acheter des abonnements?

[Traduction]

M. Whitney: Je ne crois pas que ça soit le cas, et je pense que l'ABRC, l'organisation qui représente les bibliothèques de recherche -

[Français]

M. Leroux: Ce sont des méchantes langues, alors.

[Traduction]

M. Whitney: Je crois que cette position a déjà été fortement défendue auparavant, à savoir que les frais engagés pour les prêts entre bibliothèques - particulièrement en ce qui concerne les dispositions du projet de loi C-32 - et que les copies papier qui sont transmises ainsi, constituent une façon très inefficace de répondre à la demande - surtout si l'on reproduit constamment le même titre - et qu'il est moins cher et plus efficace d'acheter l'ouvrage si la demande est là.

Le prêt entre bibliothèques sert à répondre à des demandes peu fréquentes.

[Français]

M. Leroux: Décrivez-nous concrètement les frais que vous encourez quand cette opération est en cours. Quel type de frais encourez-vous et à quoi faut-il les attribuer?

[Traduction]

M. Whitney: De mémoire, je dirais que les coûts que doivent absorber les bibliothèques de prêt au chapitre des prêts entre bibliothèques pour répondre aux demandes de la population étudiante, c'est-à-dire principalement pour les bibliothèques de recherche - que ces coûts, donc, varient au départ, pour la bibliothèque prêteuse, de 15 $ environ par transaction jusqu'à 35 à 40 $ par transaction pour la bibliothèque qui emprunte le document. Ça, c'est le coût par transaction, et il s'agit là de transactions qui seraient assujetties à la loi.

[Français]

Le président: Merci, monsieur Leroux.

[Traduction]

M. O'Brien (London - Middlesex): J'aimerais poser quelques questions.

.1135

Je suis content d'avoir entendu votre exposé. Dans votre mémoire, vous parlez d'un consensus dégagé en 1988. Y a-t-il des dossiers écrits sur ce consensus, et, le cas échéant, pourriez-vous en faire parvenir un exemplaire au comité?

M. Whitney: Je pense que vous feriez peut-être mieux d'adresser votre demande aux attachés de recherche du comité, dont certains, je crois, ont participé aux discussions.

M. O'Brien: Ce que je demande, c'est un exemplaire écrit du consensus.

M. Whitney: Ce sont là, bien sûr, des documents éphémères. J'espère que vous les considérerez comme tels.

Des voix: Oh, oh.

M. O'Brien: Lorsque nous entamerons d'autres délibérations, ils pourraient nous être utiles.

Vous avez également parlé de certains éléments que les créateurs ont abandonnés - ce sont mes termes - de manière à se dégager de ce consensus. J'aimerais que vous nous précisiez qui sont ces personnes, et quels éléments ils ont abandonnés.

M. Tooth: Par exemple, le comité a entendu un de ces groupes l'autre jour, la Periodical Writers Association of Canada. Ses représentants ont soutenu que les bibliothèques ne devraient avoir droit à aucune exception. Ils ont même cité un chiffre tiré de l'étude sur les bibliothèques publiques dont M. Whitney a parlé - soit que cette exception les priverait de l'indemnisation prévue pour 2,3 millions de transactions.

D'abord, nous n'avons pu retracer un tel chiffre dans l'étude. Ensuite, il y a eu entente dès le départ, à savoir que les réformes de la phase II renfermeraient des dispositions portant sur la notion d'utilisation équitable. En général, les parties étaient d'accord. Mais depuis sept ans ou à peu près, il semble y avoir eu beaucoup d'écarts par rapport à cette position.

M. Whitney: Et j'ajouterais que le Canadian Book Publishers Council et l'ACP se sont prononcés, dans leurs mémoires, assez vigoureusement contre ce que nous considérions être des taux d'exemption relativement faibles.

M. O'Brien: Très bien.

Vous dites dans votre mémoire que vous êtes d'accord au sujet des contrats de licence avec CANCOPY. J'aimerais savoir si des pourparlers sont en cours pour conclure de tels accords.

M. Whitney: Dans le secteur des bibliothèques publiques, oui, de tels pourparlers sont effectivement en cours. Nous devons en effet rencontrer les représentants de CANCOPY la veille de leur comparution devant votre comité. Vous pourrez leur demander comment ça s'est passé. Nous allons essayer de faire en sorte qu'ils soient de bonne humeur.

Le fait est que le secteur des bibliothèques universitaires, la grande majorité des bibliothèques collégiales et les ministères de l'Éducation de tout le pays ont signé des accords. Tous ne sont pas appliqués, mais on y arrive. Les accords que l'on commence à signer avec les gouvernements provinciaux portent sur les bibliothèques spéciales dans les ministères et, de toute évidence, il y en aura aussi sur celles du gouvernement fédéral.

M. Tooth: Par exemple, au Manitoba, nous venons tout juste de signer un nouvel accord avec CANCOPY qui, en réalité, est un ajout à notre accord actuel. Il portera sur les deux prochaines années, soit 1996-1997 et 1997-1998. Nous paierons 2 $ par élève pour que les enseignants aient le droit de photocopier des documents en multiples exemplaires. Seulement au Manitoba, on parle d'une somme de 400 000 $. Je crois que l'accord avec l'Ontario se situe aux alentours de 4 millions de dollars.

Les sommes en cause sont donc ici très importantes. Comme vous pouvez le voir, nous avons déjà 5 millions de dollars provenant de deux provinces.

M. O'Brien: Dernière question. Est-ce qu'on a fixé une date cible pour conclure les accords et pour faire en sorte que tous les accords soient signés et appliqués?

M. Whitney: Pour le secteur des bibliothèques publiques, le seul secteur qui n'est pas actuellement...?

M. O'Brien: Oui.

M. Whitney: Je suis sûr que CANCOPY s'en est fixé une. Moi, je pense - et je serai à la table de négociation - qu'au début du printemps, tout sera réglé. On éprouve quelques problèmes de logistique pour réunir les gens de tout le pays et ainsi de suite, mais nous avons prévu une réunion pour la mi-novembre. Nous espérons vraiment qu'en ayant en main d'autres accords, qui peuvent nous servir d'exemples, le processus de négociation ne traînera pas indéfiniment.

M. O'Brien: Merci, monsieur le président.

Le président: Madame Phinney.

Mme Phinney (Hamilton Mountain): Merci, monsieur le président.

À la page 6 de votre mémoire, vous dites qu'il y aura 11,6 p. 100 moins de photocopies de documents publiés par année. Pour ce qui est des journaux, on passerait de 15,1 p. 100 du total à 7,2 p. 100.

M. Whitney: C'est la différence entre les deux versions de l'étude sur la photocopie. Je voulais seulement vous donner une indication des changements considérables qui ont été apportés à la version révisée, que nous avons remise à votre greffier.

.1140

Mme Phinney: Donc, vous prévoyez cette réduction. Ce sont seulement les chiffres qui diffèrent.

M. Whitney: Non. Nous avons décelé des erreurs de données dans l'étude. La première ébauche était inexacte. La deuxième décrit bien la réalité. Les chiffres ne donnent qu'un aperçu de quelques secteurs qui ont connu des changements considérables.

Mme Phinney: Est-ce que la tendance est à la diminution des photocopies ou non - - le savez-vous?

M. Whitney: Votre question est intéressante. Compte tenu de la croissance globale des bibliothèques, de la construction de nouveaux bâtiments et ainsi de suite - et je connais très bien ce qui se passe dans le secteur des bibliothèques publiques - les chiffres ont augmenté. Mais en ce qui concerne la photocopie dans les établissements où il n'y a pas eu de changement - même édifice, même nombre de photocopieurs, collection de même ampleur et ainsi de suite - au cours des dix dernières années, selon mon système, le volume a diminué de 25 p. 100.

On constate une migration considérable et constante de l'information et des données vers la numérisation. C'est la raison pour laquelle vous allez continuer d'entendre parler de la nécessité et de l'urgence des réformes de la phase III de la législation parce que c'est dans cette direction que le monde entier se dirige.

Mme Phinney: Sur l'affiche que vous mettez au-dessus de vos photocopieurs, est-ce que...? Peut-être pourriez-vous simplement nous décrire l'affiche, après quoi je ferai des commentaires.

M. Whitney: Pour nous, c'est très difficile de conseiller nos usagers à cause de l'incertitude de la loi. Nous pouvons les informer du contenu de la disposition sur l'utilisation équitable. Nous aurions bien aimé que cette disposition soit claire, qu'elle nous permette d'aider nos usagers à voir s'ils enfreignent ou non la loi.

Sur notre affiche, on dit aux gens que la reproduction de documents publiés relève de la Loi sur le droit d'auteur. Nous avons des exemplaires de la loi que nous pouvons mettre à leur disposition - et que Dieu leur vienne en aide si jamais certains décident de la consulter. Mais nous ne sommes pas en mesure de conseiller quelqu'un et de lui dire, dans un cas extrême, que oui, son acte peut faire l'objet d'un litige, qu'il peut faire ceci ou ne peut pas faire cela. Seul l'utilisateur doit prendre cette décision.

Lorsque les contrats de licence seront signés et que des détails précis auront été négociés - par exemple, pas plus que 10 p. 100 d'un ouvrage, un seul article, et le reste - je crois que l'on pourrait intégrer ce genre de renseignements à notre affiche.

M. Tooth: En réalité, les affiches prennent moins d'importance lorsqu'on a conclu un accord avec CANCOPY. Le contrat passé avec CANCOPY stipule ce que l'on peut légalement faire en matière de reprographie. Donc, l'affiche relève presque d'un débat théorique, parce que l'enseignant a le droit en quelque sorte de faire plus ou moins ce qui lui paraît raisonnable en matière de reprographie.

Personne ne pourrait s'offrir le luxe de négocier un accord permettant de reproduire un document au complet. Ce serait ridicule. Mais nous croyons que l'accord que nous avons conclu permet aux utilisateurs des photocopieurs libre-service de reproduire ce qui est considéré comme équitable et raisonnable, un chapitre d'un livre, par exemple, ou 10 p. 100 du livre.

L'affiche en tant que telle est là. Nous avons apposé une affiche sur le photocopieur indiquant que la reprographie est assujettie à la Loi canadienne sur le droit d'auteur; nous faisons également état de l'accord que nous avons conclu avec CANCOPY, lequel nous permet de reproduire 10 p. 100 d'un livre ou un chapitre. L'affiche précise également ce qu'un enseignant peut faire.

C'est donc très explicite. C'est l'un des avantages qu'il y a à conclure un accord, et c'est la raison pour laquelle nous le faisons.

Mme Phinney: Mais ce n'est pas le cas dans les bibliothèques publiques.

M. Tooth: Pas encore.

Mme Phinney: Actuellement, si quelqu'un voulait vous poursuivre en justice parce que vous avez installé un photocopieur, n'auriez-vous pas de la difficulté à défendre le fait que vous avez posé une affiche indiquant qu'il y a certaines règles à respecter en matière de reprographie, alors que vous avez mis le télécopieur à la disposition des usagers? Ne croyez-vous pas que le tribunal dirait probablement que vous auriez dû placer ce photocopieur dans une pièce à l'arrière si vous n'étiez pas en mesure de surveiller ce qui est reproduit?

M. Whitney: Cela nous ramène à dire que nous croyons qu'une bonne partie des activités, en vertu de la loi actuelle, pourraient être défendues en invoquant la notion d'utilisation équitable. Je doute beaucoup que nous nous retrouvions dans une situation où les tribunaux décideraient que les photocopieurs ne doivent pas être mis à la disposition du public. Cela aurait des répercussions énormes pour nous sur le plan opérationnel.

Mme Phinney: Est-ce que quelqu'un a déjà intenté des poursuites contre une bibliothèque?

M. Whitney: Non. On a parlé hier soir du cas de l'atelier de reprographie Laurier, mais pas des bibliothèques.

M. Tooth: On a commencé à mettre des affiches au-dessus des photocopieurs après qu'un tribunal australien eut entendu la cause d'une université où il se faisait beaucoup de photocopies; l'université a été traduite en justice et reconnue coupable. La juge a insisté sur un point particulier, à savoir que s'il y avait eu une affiche au-dessus du photocopieur, son jugement aurait été différent. Une fois cette décision connue, on a commencé à voir des affiches au-dessus des photocopieurs dans le monde entier.

M. Whitney: C'est exact.

M. Tooth: De là vient qu'on ait commencé à apposer des affiches au-dessus des photocopieurs - ce qui est une façon raisonnable d'aider les gens à comprendre.

.1145

Mme Phinney: Plusieurs témoins nous ont dit que les prêts entre bibliothèques évitent aux bibliothèques de devoir s'abonner à des publications. Qu'en pensez-vous?

M. Whitney: Nous n'en croyons absolument rien. Pour revenir aux commentaires que j'ai faits en réponse à une question de M. O'Brien, en réalité, le prêt entre bibliothèques coûte très cher. En venir à utiliser cette formule autrement que d'une manière exceptionnelle aurait des répercussions financières réelles pour nous.

Mme Phinney: Est-ce qu'une bibliothèque facture une autre bibliothèque pour le prêt?

M. Whitney: Les pratiques diffèrent d'une région à l'autre du pays, mais beaucoup ne le font pas.

Mme Phinney: Lorsqu'elle impose des frais, la bibliothèque réalise-t-elle un profit sur la transaction?

M. Whitney: Je ne peux pas vous dire avec certitude si c'est le cas ou non, mais compte tenu de ce que le coût véritable de la transaction même se situe aux alentours de 15 $, je crois que la grande majorité ne font pas de profit.

Mme Phinney: Très bien. Merci.

Le président: Avant de mettre un terme à votre témoignage, j'aimerais vous poser une question. Hier soir, lorsque les représentants du secteur de l'éducation ont comparu, je pense ne pas tellement me tromper en disant qu'ils ont semblé très frustrés par leurs négociations avec CANCOPY. L'un d'eux a dit que sitôt après leurs négociations de deux ans, il sera temps de renouveler l'accord. Ces gens - certains d'entre eux, de toute façon - - semblaient extrêmement frustrés par les tractations difficiles, et ont dit qu'à défaut des exceptions qui seront adoptées dans le nouveau projet de loi, les négociations auraient été très longues. Les exceptions prévues contribuent presque à la mise en place d'un cadre de négociation plus facile.

Vous semblez dire que les négociations avec CANCOPY ont été raisonnablement faciles, si j'interprète bien vos réponses. Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez des négociations?

M. Whitney: Je pense que nous allons tous les deux répondre à la question parce que nous représentons des secteurs différents à la table de négociation avec CANCOPY. Je vais vous parler des négociations préliminaires puisque c'est ce dans quoi nous sommes déjà engagés. Dans trois mois, je vous donnerai peut-être un point de vue quelque peu différent.

Cependant, je crois que nous profitons effectivement du fait que nous abordons les discussions avec CANCOPY en ayant en main d'autres accords dont la négociation est conclue. De toute évidence, plus cela se répétera, grâce à l'effet cumulatif, si vous voulez, plus les deux parties acquerront de la sagesse et des connaissances. Ça rend les choses un peu plus faciles.

M. Tooth: Je négocie des contrats maintenant depuis 1992. Je ne fais que ça.

Le président: Quelle chance!

Des voix: Oh, oh.

M. Tooth: Cela illustre bien où mènent les droits d'auteur et ce que cela peut nous faire... Quand j'ai commencé, j'ai dit à mon supérieur que nous avions besoin d'une personne à mi-temps pour s'occuper de cette question. Bien sûr, on m'a répondu que je pouvais probablement le faire moi-même.

Au cours des trois ou quatre derniers mois, même si nous avons conclu un accord, nous avons négocié une modification à cet accord. Nous travaillons à temps plein là-dessus. Mais nous n'avons pas le temps de travailler à temps plein sur ces contrats. Ils sont extrêmement difficiles à négocier. On discute de chaque terme. On se bat sur des questions de cents, sur les virgules, sur la couleur du papier sur lequel les documents doivent être imprimés, ça n'en finit plus.

Je n'ai pas de solution à proposer. J'aimerais bien pouvoir dire qu'au lieu de recourir à des sociétés de gestion, on pourrait opter pour une autre solution. Je n'ai pas de réponse à cela. Tout ce que je peux dire, c'est que pour l'instant, tant de notre côté que de celui des représentants de CANCOPY, on consacre énormément de travail à ces négociations. Les gens travaillent à temps plein des deux côtés pour régler tous les détails de cette information.

Ça ne finira jamais. Il va toujours falloir recommencer. J'aimerais bien qu'on puisse changer les choses.

J'aimerais ajouter, cependant, que dans tous les accords avec CANCOPY - non pas tous les accords qui ont été conclus au Canada, il faut le dire - dès le début, nous savions qu'il y aurait des exceptions. Dans notre contrat, il y a un article qui dit en gros que le contrat actuel au Manitoba sera renégocié lorsque le gouvernement fédéral adoptera les exceptions. Dès le début, c'était sur la table. On a inséré ce détail à l'accord comme point de repère afin que personne n'oublie que plus tard, nous allions devoir réexaminer les contrats.

.1150

[Français]

M. Leroux: Je pense que c'est important, monsieur le président. Justement hier, on faisait allusion à l'expérience qu'on est en train d'acquérir dans les négociations. L'histoire est récente dans ce domaine-ci. Dans d'autres secteurs de la société, les négociations relatives à d'autres types d'entreprise ou à des conditions de travail existent depuis un certain temps déjà. Mais, par rapport au droit d'auteur, les collectifs de gestion et de négociations sont relativement nouveaux dans notre histoire.

J'ai bien aimé, monsieur Whitney, le commentaire que vous avez fait expliquant qu'il y a une expertise qui se développe. Au fur et à mesure qu'on avance dans la pratique, on met en banque une expertise, et ces négociations vont, à un moment ou à un autre, arriver à bien déterminer les champs, la sémantique, les définitions, etc. J'aime entendre reconnaître par les deux parties qu'il y a dans notre société un devoir de se parler au lieu de se cacher derrière une loi pour ne pas parler à l'autre. J'aime bien entendre cela dans votre bouche.

C'est qu'il y aussi la question qui s'est posée hier par rapport à tous les mécanismes qui peuvent entrer en ligne de compte. Il y a les collectifs de gestion, mais il y a aussi la Commission du droit d'auteur. Ce sont des mécanismes qu'il faut apprendre à développer quand l'expérience est récente. Monsieur Whitney, votre façon de voir les choses à ce sujet me fait plaisir.

[Traduction]

Le président: Votre témoignage a été très intéressant, car il nous permet de voir que le système de vérification conçu avec CANCOPY, les sociétés de gestion et la Commission du droit d'auteur laissent entièrement place à toute la question de la négociation, des délais, et tout le reste. Il est donc à espérer qu'à l'avenir, le processus de négociation soit beaucoup plus facile et rapide, parce que, manifestement, nous souhaitons que vous viviez longtemps.

M. Whitney: Merci.

Le président: Merci d'avoir été avec nous aujourd'hui. Nous l'apprécions beaucoup.

M. Whitney: Merci beaucoup.

.1155

Le président: J'aimerais maintenant accueillir des représentants de l'Institut national canadien pour les aveugles (INCA), M. James Sanders, directeur national des Relations gouvernementales et des services internationaux, Mme Fran Cutler du Conseil national et M. Sean Madsen, bénévole et directeur à la défense des droits du Conseil canadien des aveugles.

Qui veut commencer? Monsieur Sanders?

Mme Fran Cutler (Conseil national, Institut national canadien pour les aveugles): Monsieur le président, je m'appelle Fran Cutler et je suis bénévole auprès de l'Institut national canadien pour les aveugles. Je suis présidente du comité des communications du Conseil national et présidente du National Broadcast Reading Service (la Magnétothèque) que l'on connaît mieux sous le nom de Voiceprint.

Nous apprécions beaucoup la possibilité qui nous est offerte de préciser des points de nos mémoires sur lesquels vous voudrez peut-être vous arrêter. Nous vous sommes reconnaissants, à vous et à vos collègues, de partager la conviction qu'il faut préserver le droit de lire des aveugles et amblyopes canadiens.

Nous ne réclamons rien d'autre qu'un accès égal aux ouvrages écrits du Canada et du monde entier. Ce que nous souhaitons avant tout, c'est vivre une expérience culturelle commune avec nos semblables qui jouissent d'une bonne vue. Et nous tenons à souligner l'appui énorme que nous ont apporté les éditeurs et les auteurs canadiens depuis 90 ans.

Je demanderais maintenant à M. Madsen de dire quelques mots.

M. Sean Madsen (bénévole, Institut national canadien pour les aveugles; directeur à la défense des droits, Conseil canadien des aveugles): Je suis directeur à la défense des droits ou à l'application des lois au Conseil canadien des aveugles, qui est un organisme distinct de l'INCA. Fondé en 1918, l'INCA offre des services de réadaptation et autres aux aveugles. Le Conseil canadien des aveugles, lui, a été fondé dans les années 1940 - nous avons célébré notre 50e anniversaire il y a deux ou trois ans - afin de servir de porte-parole pour les aveugles. Les membres de nos clubs répartis dans tout le pays, ainsi que ceux de notre bureau national, sont tous des aveugles.

Nous sommes ici aujourd'hui pour donner des explications supplémentaires sur les préoccupations que M. Sanders expliquera plus en détail tout à l'heure - non pas nécessairement tous les aspects techniques qu'il soulèvera, et qu'il connaît beaucoup mieux que moi - mais sur le résultat final, question qui préoccupe beaucoup nos membres, à savoir que les documents écrits doivent être disponibles en formats substituts pour les aveugles et les amblyopes. Nous ne pouvons aller dans une librairie pour y acheter des livres, parce que nous sommes aveugles. Nous avons besoin d'accéder autrement à ces ouvrages, et c'est cette préoccupation qui nous amène ici aujourd'hui.

.1200

Mme Cutler: Monsieur Sanders.

[Français]

M. James W. Sanders (directeur national, Relations gouvernementales et services internationaux): Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vais faire mes commentaires en anglais, mais je saurai répondre aux questions en français ou en anglais.

[Traduction]

Nous ne sommes pas avocats, comme l'a dit M. Madsen, et nous ne sommes pas des spécialistes du droit d'auteur. Cependant, je connais suffisamment les détails techniques de l'article 32 pour essayer de répondre à vos questions. Je peux vous dire dès le départ que nous n'avons pas de vaches sacrées et que vous n'avez pas à craindre de nous poser quelque question ou de faire quelque commentaire que ce soit. J'ai déjà rencontré certains d'entre vous et je sais que vous serez très ouverts et très francs avec nous.

Permettez-moi d'abord de vous faire part de notre philosophie et de notre but ultime. Nous croyons que les aveugles auront pleine égalité d'accès à l'information lorsque des documents en formats substituts, par exemple en braille ou sous forme audio, arriveront sur le marché à peu près au même moment et seront offerts presque au même prix que les imprimés. À ce moment-là, les problèmes de droit d'auteur dont nous discutons ici aujourd'hui, et qui font l'objet de l'article 32, perdront toute leur signification.

Autrement dit, les aveugles espèrent qu'un jour ils pourront acheter des documents en braille, sur audiocassette, disquette électronique ou des documents en gros caractères. À ce moment-là, les aveugles de tout le pays jouiront d'une égalité d'accès. Les aveugles espèrent un jour pouvoir payer des redevances comme tous les autres Canadiens.

Monsieur le président, nous utilisons l'expression «format substitut», et il vaudrait peut-être la peine de prendre une minute pour vous expliquer exactement de quoi il s'agit. J'ai avec moi aujourd'hui un rapport que vous connaissez. Il a été publié lundi par Andy Scott, dont le groupe de travail a analysé récemment le rôle que doit jouer le gouvernement fédéral à l'égard des personnes handicapées. Ce rapport a été publié en imprimé normal et en gros caractères peu de temps après. Ironie du sort, j'ai oublié d'apporter la version imprimée, mais j'ai avec moi la disquette électronique de ce rapport, et dans mon autre poche, j'ai la version sur audiocassette. J'ai aussi avec moi la version en braille, qui se compose de deux volumes compte tenu de l'épaisseur du rapport, et je crois savoir que la version en gros caractères sera publiée sous peu. J'ai oublié la copie courante. Ce que j'ai avec moi, c'est ce que nous appelons normalement les formats substituts.

Quand vous entendez parler ou que nous parlons de livres sonores, il s'agit de livres enregistrés sur audiocassette. On peut généralement se les procurer auprès du service de prêt d'une organisation comme la bibliothèque de l'INCA pour les aveugles ou d'un autre établissement semblable; l'audiocassette nous arrive dans un paquet livré par Poste Canada sans frais. Vous n'avez qu'à ouvrir le paquet.

.1205

Ce livre, qui s'intitule Boom, Bust and Echo, rédigé par le professeur Foot, est enregistré sur deux cassettes. Il s'agit d'une cassette de 90 minutes. Cependant, parce que le livre est enregistré sur quatre côtés au lieu de deux comme on le fait normalement, et parce qu'il est enregistré à la moitié de la vitesse normale, cette cassette de 90 minutes contient six heures de texte. Bien sûr, il faut une machine spéciale pour l'écouter. J'ai avec moi ici une machine qui est normalement prêtée aux particuliers par la bibliothèque de l'INCA. Ces machines ne sont pas disponibles sur le marché. Je vais vous faire jouer les dix ou quinze premières secondes juste pour vous donner une idée de l'introduction.

[Présentation audio]

Ça c'est l'introduction normale que l'on entend lorsqu'on écoute un livre sonore.

Monsieur le président, vous avez reçu notre mémoire. J'espère qu'il reflète à la fois l'acuité et le caractère pratique des problèmes que nous avons abordés. Nous croyons que l'article 32 permet de répondre à un engagement de longue date qu'ont pris les gouvernements successifs depuis 1981, à savoir assurer l'égalité d'accès à l'information aux personnes aveugles et à celles qui sont incapables de lire les documents imprimés à cause d'une déficience.

L'article 32, qui permet effectivement à une personne de faire une copie sous format substitut sans enfreindre la Loi sur le droit d'auteur, ne reflète pas en général la réalité de la production. Dans la plupart des cas, les personnes ne produisent pas leur propre livre en braille, par exemple, ou un livre en format substitut, mais demandent à une organisation caritative sans but lucratif de le faire pour elles.

Nous croyons fermement et sincèrement que les changements recommandés au libellé préservent l'intégrité de l'intention du libellé initial, à savoir - j'ai écrit cela parce que nous y croyons fermement - un accès individuel contrôlé à des documents non commerciaux par les membres d'un groupe bien défini.

.1210

C'est probablement le dernier point que nous aimerions soulever avant de répondre aux questions. Nous croyons fermement que le projet de loi offre des garanties tant aux titulaires de droit d'auteur qu'aux producteurs. Son libellé est tel qu'il est possible de procéder à une vérification pour établir si un quelconque producteur, qui est un organisme caritatif, s'est acquitté de ses responsabilités. Nous ne croyons pas qu'il faille nécessairement recourir à un autre mécanisme de protection du droit d'auteur ou à une tierce partie pour appliquer la loi ou en surveiller l'application.

Permettez-moi de mettre un terme à mes commentaires officiels en reprenant la première question que nous avons abordée: actuellement, la seule raison pour laquelle il faut une loi, c'est que le marché n'offre pas de documents ou d'information sur lesquels peuvent compter les aveugles, les amblyopes et les autres personnes incapables de lire les imprimés.

Notre présence ici aujourd'hui vise davantage à répondre aux questions qu'à passer en revue les documents que vous avez tous reçus.

Merci.

[Français]

Le président: Monsieur Leroux.

M. Leroux: D'abord, je vous remercie de votre mémoire. Je suis profondément convaincu que le comité se penchera très sérieusement sur les observations que vous faites, particulièrement sur l'article 32. Je voudrais vous poser une ou deux questions qui vont aussi s'adresser au groupe qui viendra ici après vous, c'est-à-dire la Société canadienne de l'ouïe.

Comme je devrai quitter, je voudrais dire aux gens qui représentent la Société canadienne de l'ouïe, à sa représentante Melanie Sexton, que même si je serai absent, je demeure très attentif à leurs propos. Nous avons pris connaissance de vos mémoires et des revendications que vous y faites.

J'aimerais que vous me parliez, monsieur Sanders ou madame Cutler, de votre expérience avec la SODRAC, des limites de cette expérience de négociation avec la SODRAC. Dans votre mémoire, vous dites qu'il existe une très bonne collaboration entre les auteurs, les ayants droit, etc. J'aimerais que vous nous parliez de cette expérience de négociation avec la SODRAC, de ses limites et faiblesses et de ses lignes de force.

[Traduction]

M. Sanders: La SODRAC et CANCOPY, les deux sociétés de gestion avec lesquelles nous nous sommes associés, ont en général été favorables, plus particulièrement au début, après la mise en place des réformes de la phase I qui ont amené la Loi sur le droit d'auteur en 1989. Dans nos discussions, nous avons toujours tenu compte du fait que nos liens étaient temporaires, soit jusqu'à ce que la phase II soit entreprise - nous croyions au départ qu'elle devait être entreprise en septembre 1989.

Nous entretenons des liens avec les auteurs, les éditeurs et les titulaires de droit d'auteur depuis 1906. Nous avons toujours demandé la permission de produire des documents en formats substituts - en 1906 pour le braille, dans les années 1930 sur disque, et plus récemment, sur audiocassette et sur support électronique. On ne nous a jamais refusé la permission à moins que la reproduction ne soit destinée à des fins commerciales, ce qui signifierait habituellement une reproduction sur audiocassette. Par conséquent, nos relations avec les auteurs et les éditeurs sont excellentes. Non seulement nous leur en sommes redevables, mais nous chérissons ces relations et ne tenons rien pour acquis.

Cependant, la difficulté ne réside pas nécessairement dans la volonté de quiconque de permettre la production de documents en formats substituts pour un usage personnel et non commercial par les personnes incapables de lire des documents imprimés; le problème, ce sont surtout le temps et les efforts qu'il faut mettre pour y arriver.

.1215

Pour certains livres, c'est tout simplement impossible. C'est le cas, par exemple, des anthologies où plus d'un titulaire de droit d'auteur est en cause. Il est tellement difficile de réduire les délais entre la parution du livre imprimé et celle de son format substitut, et, dans une large mesure, de les produire au même coût, que nous croyons que toutes les mesures possibles doivent être prises pour abolir ces obstacles, sans jamais perdre de vue l'intégrité du but visé.

Aux États-Unis, par exemple, le mois dernier, le président Clinton a approuvé une loi élaborée en collaboration avec l'American Association of Publishers, la Bibliothèque du Congrès et des groupes de consommateurs aveugles dans le but d'éliminer complètement la nécessité de donner un avis ou d'obtenir une permission à l'avance. Le projet de loi a été approuvé parce que les documents sont strictement et uniquement destinés aux personnes incapables de lire des imprimés. À ce qu'on nous dit, cette mesure a déjà commencé à avoir des effets très positifs qui permettront de combler le retard de l'information.

[Français]

M. Leroux: Merci, monsieur Sanders. Est-ce que vous avez des rapports avec la Commission du droit d'auteur quant aux aspects que vous venez de décrire, et quelles possibilités vous offre-t-on quant aux mécanismes?

[Traduction]

M. Sanders: Je ne suis pas certain en ce qui concerne la Commission du droit d'auteur, mais nous entretenons des liens avec deux sociétés de gestion de redevances dans la province de Québec et avec CANCOPY pour les services en langue anglaise.

Comme je l'ai dit, nous nous entendons bien. Nous estimions que c'était là une mesure temporaire. Nous devons cependant toujours nous adresser directement aux auteurs et aux éditeurs, aux titulaires de droit d'auteur qui ne sont pas membres de ces sociétés de gestion. De fait, nous avons entrepris les discussions en toute honnêteté il y a de nombreuses années, et nous avons accepté en tous points la recommandation de 1981 énoncée dans le document intitulé Obstacles. Nous avons cherché à supprimer toute étape pouvant ralentir la production et faire augmenter les coûts des documents en braille par rapport à ceux des documents imprimés. Donc, ce ne sont pas nécessairement les sociétés de gestion ou les titulaires de droit d'auteur qui sont en cause. C'est un problème on ne peut plus pratique.

Cela, monsieur le président, ne changera rien à l'intégrité. Les documents seront toujours utilisés à des fins non commerciales par des personnes incapables de lire les imprimés. Cela ne change rien d'autre, sauf notre capacité de nous rapprocher des voyants, qui ont accès aux documents imprimés.

Prenez par exemple la bibliothèque de l'INCA, même si nous ne sommes pas les seuls à offrir ce genre de service. La bibliothèque de l'INCA compte environ 15 000 titres en braille qui peuvent être prêtés à des Canadiens aveugles et environ 15 000 titres sur audiocassette en anglais pour les mêmes fins. La Bibliothèque publique d'Ottawa compte 300 000 titres de documents imprimés pour les habitants de cette ville. L'écart est énorme.

Nous croyons que la technologie va continuer de nous aider à combler l'écart. Nous le croyons, plus particulièrement avec l'arrivée des livres électroniques - il y a un consortium international auquel nous participons avec des éditeurs afin de mettre les documents sur support électronique à la disposition immédiate des personnes aveugles. Comme je l'ai dit, à ce moment-là, nous serons en mesure d'acheter un livre au même prix que tout le monde. Nous croyons que dans moins de cinq ans, probablement, l'éditeur pourra directement assurer une production commerciale plus viable.

Nous faisons partie d'un consortium international qui s'intéresse à la prochaine génération de livres sonores à l'aide de la technologie du CD. Cela se fera probablement dans cinq à dix ans, mais cette possibilité risque d'ouvrir un marché et, par conséquent, de permettre aux organisations caritatives sans but lucratif de produire ces documents et de se positionner sur le marché.

.1220

Avec le braille, même si je ne vois pas le jour où le braille sera viable sur le plan commercial, je ne pouvais pas croire il y a dix ans que je pousserais un bouton et que je produirais un document imprimé et une copie en braille exactement en même temps. Alors, on ne sait jamais.

Dans ma mallette, sous mon fauteuil, j'ai un petit ordinateur portable doté d'un clavier en braille; il est muni d'un système de synthèse de la parole et d'un afficheur braille en mode continu. Aujourd'hui, je peux non seulement produire et envoyer des documents par voie électronique, mais je peux aussi recevoir des documents de l'Internet en texte normal, comme n'importe qui d'autre, et cette machine va en traduire automatiquement le texte pour moi, soit en braille, soit oralement grâce au synthétiseur de parole.

Monsieur le président, je le mentionne parce que nous le croyons vraiment: les mesures adoptées par le gouvernement du Canada, que l'on retrouve dans les modifications à la Loi sur le droit d'auteur, précisées dans l'article 32 du projet de loi, et auxquelles s'ajoutent les changements pratiques que nous proposons, je prétends qu'elles sont véritablement temporaires. Nous sommes heureux de voir que le projet de loi déposé - et nous appuyons cette mesure - stipule clairement que si les documents sont disponibles sur le marché, nous ne devons pas les produire, et nous attendons avec espoir le jour où ils le seront vraiment.

[Français]

M. Leroux: Merci beaucoup, monsieur Sanders, de vos propos éclairants.

Je dois partir, monsieur le président, mais je voudrais dire aux gens qui représentent la Société canadienne de l'ouïe que nous avons pris bonne note des remarques qu'ils ont faites sur l'article 32 quant à l'absence complète de référence aux problèmes de l'ouïe. Je les retiens, monsieur le président, et j'en suis bien conscient. Je les remercie aussi de l'initiation qu'ils nous ont donnée quant à l'utilisation du langage américain par signes.

Alors, merci, monsieur Sanders, madame Cutler, monsieur Madsen.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Leroux.

M. Sanders: Je vous remercie et à la prochaine, j'espère.

[Traduction]

Le président: Monsieur O'Brien.

M. O'Brien: Merci.

D'abord, je tiens à remercier les témoins de leur exposé. Je l'ai trouvé très intéressant. J'ai d'ailleurs eu l'occasion récemment de rencontrer des représentants de l'INCA à mon bureau de circonscription de London afin de comprendre certaines de leurs préoccupations. J'aimerais poursuivre cette démarche avec vous aujourd'hui.

Je pense que vous avez abordé les mêmes problèmes. Ai-je raison de dire que votre principale préoccupation se rapporte à la production d'un exemplaire unique d'un ouvrage en format substitut?

M. Sanders: C'est exact. D'après le libellé du projet de loi, une personne peut, sans enfreindre la Loi sur le droit d'auteur, faire une copie en format substitut si elle en a besoin. La Loi définit également les organisations qui produisent les documents comme des «personnes». Les particuliers ne le font tout simplement pas; à moins d'avoir beaucoup d'expertise et beaucoup d'argent, vous ne produisez pas vos propres copies.

Nous croyons que l'intention est là, mais comme nous l'avons dit dans nos observations, dans la pratique, en raison de la façon dont il faut s'y prendre pour reproduire les documents en format substitut, l'objectif de la loi n'est probablement pas atteint.

M. O'Brien: Je comprends, et j'espère que nous pourrons régler le problème. D'après les souvenirs que j'ai des témoignages que notre comité a déjà entendus... Je crois que l'on peut dire que tout le monde - je pense ici aux témoins - veut faciliter exactement ce dont vous parlez. Au moins, j'espère que tel est le cas.

Cela m'amène à vous poser une question concrète que j'ai posée à mes amis de London. L'INCA veut offrir des exemplaires en formats substituts. Combien d'exemplaires cela représente-t-il? Est-ce un nombre illimité, ou y a-t-il un nombre qui s'impose en pratique?

M. Sanders: Voilà une excellente question.

D'abord, il peut s'agir d'un exemplaire unique, destiné à un étudiant ou à une personne dans une entreprise qui a besoin d'un document précis. Cependant, parce que les documents se font tellement rares, les producteurs comme l'INCA et le Crane Resource Centre pour les aveugles à Vancouver font des copies maîtresses.

.1225

Nous nous assurons que tous les autres producteurs, en fait les producteurs du monde entier, par l'entremise de la base de données de la Bibliothèque nationale du Canada ici à Ottawa... Avant de produire un exemplaire en format substitut, nous faisons d'abord une recherche dans la base de données internationale qui est ici à la Bibliothèque nationale. Une fois que nous avons établi que le livre n'est pas disponible dans ce format, nous le produisons. Peut-être n'en produirons-nous qu'un exemplaire si l'intérêt ou le besoin est limité. Cependant, s'il s'agit d'un livre produit sur audiocassette, comme Boom, Bust, and Echo, qui est très populaire cette année, la bibliothèque de l'INCA en fera normalement 36 copies pour pouvoir les prêter à tout moment.

S'il s'agit d'un livre extrêmement populaire, quand nos ressources le permettent, nous essayons d'en faire quelques copies supplémentaires. Au fur et à mesure que l'intérêt pour l'ouvrage diminue, nous reprenons les cassettes, les effaçons et les utilisons pour produire des copies d'autres livres.

En moyenne, on fait 36 copies pour le prêt à un groupe bien précis. En braille, là encore selon le titre, il peut y avoir de une à cinq copies en circulation.

Est-ce que j'ai bien répondu à la question?

M. O'Brien: Oui.

Mme Cutler: J'ai parlé tout à l'heure de notre désir de partager une expérience culturelle commune avec nos amis voyants. J'aimerais simplement ajouter que lorsqu'un livre comme A Fine Balance par Rohinton Mistry est en lice pour le Booker Prize, l'intérêt pour un tel livre est immense chez les aveugles. Or, ce livre compte 750 pages et il est lu pour l'INCA par un lecteur bénévole. De fait, ce titre a été lu par un homme qui en était à son centième ouvrage et il est maintenant disponible. S'il doit y avoir des négociations sur le droit d'auteur, la production de ce livre sera ralentie. Comme vous pouvez l'imaginer, les aveugles et les amblyopes canadiens s'intéressent de plus en plus à la rapidité de publication des livres sonores.

M. O'Brien: Oui, je comprends très bien cela. Je suis certain que les livres qui nous intéressent, nous qui avons la chance de voir, intéressent aussi les aveugles.

Cela m'amène à poser une deuxième question, pour ma propre gouverne. À votre avis, la période d'attente pour la production de livres en formats substituts ou de livres en braille est-elle acceptable, ou si elle est trop longue?

M. Sanders: M. Madsen voudra peut-être faire des commentaires lui aussi, mais je peux vous dire, d'un point de vue technique, et non pas seulement comme lecteur, que oui, c'est trop long.

Permettez-moi de revenir en arrière. Le magazine Maclean's, avec la permission de Maclean Hunter, est produit sur audiocassette toutes les semaines dans les studios de l'INCA. Pour y arriver, on divise le magazine en sections. On a cinq, six ou sept lecteurs qui lisent des sections simultanément, après quoi le tout est rassemblé sous format audio. Ça prend quand même de dix à quatorze jours ouvrables, sans arrêt, pour lire le magazine, le formater, le mettre sur cassette, l'étiqueter en braille et en gros caractères, mettre les cassettes dans les contenants et les envoyer par la poste sans frais. Je ne sais pas combien on produit de copies de ce magazine, mais il y en a probablement 7 000 par semaine en circulation.

S'il s'agit d'un livre, où nous attendons que l'exemplaire commercial soit disponible, nous achetons entre deux et quatre copies commerciales, et nous dépensons environ 30 000 $ par année pour acheter des livres sur le marché canadien pour les reproduire en braille et sur support audio. Chaque livre est ensuite lu par des bénévoles dans des studios professionnels, surtout à Montréal et à Toronto, en français et en anglais. Ensuite, on en fait une copie maîtresse et on la formate. On établit la bibliographie, on le met sur les rayons et on en fait la publicité par divers moyens. Plus tard, on inscrit les titres dans le catalogue.

Oui, c'est trop long, pour des raisons pratiques. Nous avons la chance pour la première fois dans l'histoire canadienne, en dépit des efforts acharnés de tout le monde, de véritablement combler l'écart en ne suivant pas l'exemple des États-Unis. Le Canada se démarque en ce que ce projet de loi a été conçu bien avant que les États-Unis ne présentent le leur. Cependant, de fait, son objectif est parallèle à celui des États-Unis. Nous avons une chance, et une seule.

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Je m'étais promis de ne pas jouer sur la corde des émotions. La lecture est très importante pour les personnes aveugles. Nous ne sommes pas ici pour représenter les personnes aveugles; nous sommes ici pour vous demander de ne pas seulement chercher à voir ce que vous pouvez faire sur le plan pratique, mais de faire appel aussi à votre coeur pour réaliser quelque chose qui fera véritablement une différence dans la vie des aveugles. Merci.

M. Madsen: Si vous me permettez, j'aimerais dire que moi, je suis ici pour représenter les aveugles. C'est ce que fait le Conseil canadien des aveugles. J'aimerais vous donner deux exemples du genre de besoins qui existent et dont on nous fait part constamment.

Nous avons, par exemple, soit des étudiants au niveau postsecondaire qui, à l'instar de leurs confrères voyants, doivent avoir accès à des manuels scolaires et en ont besoin dans des délais précis, ou encore des gens qui travaillent soit dans des entreprises ou dans bien des cas et de plus en plus souvent aujourd'hui des personnes qui exploitent leur propre entreprise. Nous vivons à l'ère de l'information, il faut donc avoir accès à l'information, et ce, immédiatement.

Quand on est face au genre de retard que Jim Sanders vous a si bien expliqué, les conséquences directes sur la vie des gens qui essaient de faire des études, de diriger une entreprise, de montrer à leur employeur qu'un aveugle est tout aussi productif que n'importe quel autre membre du personnel voyant... Il faut reconnaître que je suis capable de faire un bon travail et que je mérite mon salaire.

Lorsque la personne qui a besoin de l'information l'obtient en retard, on nous en fait part au Conseil canadien des aveugles. On nous demande, en tant qu'organisme de défense des droits des aveugles, de tenter de trouver des solutions qui feront en sorte que les gens pourront éviter ce genre de problèmes.

Je suis ici aujourd'hui pour vous demander d'adopter le genre de modifications à la loi dont Jim Sanders a parlé. Je pense que les avantages pour la société dans son ensemble parlent d'eux-mêmes. Les aveugles vont avoir moins de difficulté à faire des études, moins de difficulté à travailler, à exploiter leur propre entreprise, et ils seront alors en mesure de devenir des éléments plus productifs de la société. J'espère que nous pourrons aussi changer ce que l'on entend par le fait d'être aveugle, non seulement pour les personnes aveugles, mais pour le reste de la population canadienne qui, je pense, croit toujours que la cécité est une situation très limitative pour les gens et que les aveugles sont moins compétents, moins aptes et moins autonomes.

La raison pour laquelle je suis ici - et je suppose que je deviens émotif moi aussi - c'est que je veux vous transmettre le message suivant, soit que les aveugles sont des personnes compétentes. Nous sommes capables d'apporter notre contribution à la société, et avec le genre d'aide que votre comité peut nous fournir en formulant les bonnes recommandations au gouvernement au sujet du projet de loi et des amendements qui peuvent y être apportés, nous pourrons alors exploiter notre plein potentiel en tant que citoyens canadiens égaux. C'est ce que nous voulons plus que tout.

Mme Cutler: C'est le but du comité.

M. O'Brien: Merci. Je peux vous assurer que j'ai le plus grand respect pour ce que vous dites, et j'espère que nous pourrons apporter les améliorations que vous attendez. Je crois que vous parlez ici à des convertis.

Je vais tout simplement finir là-dessus, parce que je crois que M. le président veut poser une question. Je voudrais savoir si vous êtes d'accord pour dire que cela n'est qu'une question de sémantique. Je crois que c'est le cas. Je l'espère, et je suis certain que d'autres membres du comité des deux côtés vont vouloir poursuivre l'étude de cette question avec beaucoup de diligence lorsque nous procéderons à l'examen du projet de loi article par article. Voyez-vous les choses comme cela, ou si c'est simplement une question de sémantique?

.1235

M. Sanders: C'est une question de sémantique, en ce sens qu'une personne peut faire un exemplaire et que deux exemplaires peuvent être faits pour une personne. Oui, c'est une question de sémantique, mais techniquement, cela est très important.

M. O'Brien: Oh oui.

M. Sanders: C'est exact. Tout ce qu'on nous a dit, et nous avons parlé à des experts juridiques, des éditeurs, des titulaires de droit d'auteur... Nous avons accordé le prix pour le livre sonore de l'année il y a deux semaines. Au cours de cet événement, nous avons reconnu la valeur des ouvrages canadiens, le travail des bénévoles qui les lisent, des auteurs et des éditeurs. Ça été un événement incroyable auquel ont assisté des auteurs et des éditeurs, ainsi que nos lecteurs bénévoles. J'ai discuté de la question avec un des auteurs très bien connus que je ne nommerai pas. Cette personne m'a regardé et m'a dit qu'elle serait horrifiée si, pour des raisons d'ordre juridique ou pratique, l'INCA ou toute autre personne devait payer les auteurs pour produire leurs ouvrages en braille.

M. O'Brien: Je suis content d'entendre cela.

Je termine en vous remerciant à nouveau et en vous assurant que je sais que le président sera très sévère à notre endroit et s'assurera que nous ferons preuve de diligence; mais à ce sujet, je serai tout à fait d'accord.

M. Sanders: Merci, monsieur O'Brien.

Le président: Monsieur McTeague.

M. McTeague (Ontario): Merci, monsieur le président.

Je voulais reprendre là où mon collègue M. O'Brien avait laissé.

M. Sanders: Je m'excuse, mais je n'arrive pas à voir votre nom.

M. McTeague: Je suis désolé, je m'appelle Dan McTeague. Je ne suis pas un membre régulier de ce comité, mais je connais ses travaux.

Je suis certainement enchanté par l'exposé et les questions de M. O'Brien. J'espère qu'un jour, M. O'Brien quittera le comité et me permettra d'y siéger. Je blague. C'est lui qui le propose.

Plus sérieusement, toutefois, une de mes préoccupations a trait à votre expérience. Je me demande si vous pourriez me citer un cas où une personne, un organisme ou même le titulaire d'un droit d'auteur vous a refusé, à vous ou à l'INCA, la possibilité de faire une copie en braille ou un de ces livres sonores. Cela est-il arrivé?

M. Sanders: Oui, c'est arrivé, mais nous n'avons pas pu trouver d'exemple précis. J'ai essayé. Cela se produit si rarement. Ces situations ne se présentent que lorsque le titulaire du droit d'auteur a l'intention de produire un document commercial, et les seuls documents de ce genre jusqu'à présent sont des audiocassettes. Dans ce cas, à moins qu'il ne s'agisse d'un manuel scolaire et que le produit commercial ne soit pas disponible, les organismes comme l'INCA attendent que le document commercial soit produit et l'achètent.

Je pourrais peut-être, monsieur le président, vous donner un exemple clair. Bien que la majorité des livres sonores ou parlés disponibles sur la marché soient condensés et aient donc un marché très étroit et limité, on trouve de plus en plus de ces livres qui donnent la version intégrale et qui sont produits par des éditeurs comme Blackstone and Dell. Le prix de vente au détail de ces ouvrages se situe entre 75 et 500 $.

En général, à quelques exceptions près, on ne dépense pas entre 75 et 500 $ pour acheter un livre, alors la bibliothèque de l'INCA et d'autres bibliothèques pour les aveugles dans le monde achètent ces livres et les prêtent. Nous n'avons pas pu trouver d'exemple où on nous a opposé un refus. Le seul motif de refus serait la production de l'ouvrage à des fins commerciales et dans ce cas, nous attendrions que le produit sorte et nous l'achèterions.

M. McTeague: L'INCA paie-t-il actuellement des droits d'auteur?

M. Sanders: Nous avons avec CANCOPY une entente par laquelle nous lui versons chaque année des droits administratifs lui permettant de traiter et d'analyser des demandes de production de documents en formats substituts au nom de leurs auteurs, compositeurs et éditeurs.

.1240

Nous avons une entente analogue avec la SODRAC, au Québec, sauf que les droits sont fixés en fonction du prix de chaque titre ou livre, étant entendu que cet organisme engage des frais administratifs pour repérer le document, le vérifier, l'examiner, l'approuver et nous le renvoyer. Comme je l'ai dit, les coûts ont été en grande partie minimes, mais il reste qu'on produit moins. Il faut aussi tenir compte du temps, des efforts et des étapes à suivre.

M. McTeague: Pouvez-vous me donner une idée du coût en général?

M. Sanders: Nous sommes seuls. La Crane Memorial Library et d'autres intervenants sans but lucratif... Nous ne pouvons pas estimer le coût. Les sociétés de gestion des redevances auraient probablement une meilleure idée, mais nous ne sommes pas en contact avec elles. Je pense que nous versons 1 000 ou 2 000 $ à CANCOPY chaque année et que nous avons donné environ 500 ou 600 $ à la SODRAC l'an dernier.

M. McTeague: Vous ne croyez pas que ce projet de loi aura un effet négatif à cet égard? Vous n'avez pas l'air de vous soucier beaucoup des coûts actuellement.

M. Sanders: C'était une mesure temporaire. Nous ne produisions plus de volumes depuis presque un an avant de conclure cette entente. Jusqu'à présent, le coût direct réel ne nous a pas imposé de fardeau inutile. Autrement dit, nous dépensons simplement moins pour produire des livres.

Je déteste utiliser le mot «bureaucratie» parce que je m'interroge sur son utilité, mais le processus est long et il faut tenir compte des étapes à suivre. De même, nous ne parlons pas de l'an prochain, mais de ce qui se fera dans dix ou cent ans. Nous ignorons ce que l'avenir nous réserve et qui décidera de ce qu'il convient de payer pour qu'un organisme caritatif puisse produire des documents en braille. Cela vaut pour longtemps. Nous croyons fermement, non seulement nous trois, mais aussi ceux que nous représentons, que nous avons l'obligation de prévoir ce qui se passera non pas aujourd'hui, mais dans cent ans.

M. Madsen: J'aimerais poursuivre très brièvement dans la foulée de M. Sanders. Je sais qu'il s'est aventuré en terrain dangereux en parlant de bureaucratie.

Les aveugles que j'entends en tant que bénévole au Conseil canadien des aveugles s'inquiètent, pour les raisons que j'ai déjà expliquées, des retards dans l'obtention des documents. Tout ce qui peut être fait pour réduire ces retards, y compris réinventer la roue chaque fois qu'il faut demander une exemption au paiement du droit d'auteur, expliquer ce qu'est la cécité et préciser que les voyants ne lisent pas le braille, serait certainement utile.

Je ne veux pas user de clichés, mais il est toujours long d'obtenir des exemptions individuelles, même si la démarche est bien comprise et que la permission est toujours accordée. Il faut toujours du personnel, de l'argent et des ressources de la part d'un secteur de bienfaisance de la société qui doit compter sur les dons du public et ne fait pas de profit en vendant des produits.

Évidemment, ceux qui en souffrent au bout du compte sont les aveugles qui attendent les documents. Les retards dans la livraison des documents utilisés à des fins commerciales peuvent leur faire perdre de l'argent. Si l'intéressé essaie de respecter une échéance pour son employeur, les retards peuvent influer négativement sur la façon dont l'employeur juge sa compétence au travail. Dans le secteur de l'enseignement, les retards risquent de faire échouer à un examen ou à un cours.

Ce sont là des exemples extrêmes. Je ne prétends pas qu'ils soient fréquents, mais ils ajoutent de la pression à ceux qui doivent déjà subir les autres effets de la cécité et qui tentent de mener une vie normale. Nous espérons que vous pourrez nous aider à résoudre ces problèmes.

Le président: Une dernière question, monsieur McTeague.

M. McTeague: J'ai terminé, monsieur le président. Je suis certain que nous pourrons aider, à condition bien sûr que M. O'Reilly soit disposé à laisser son siège.

Le président: Avant de conclure, monsieur Madsen, puis-je vous poser une question par curiosité et intérêt? Depuis combien de temps avez-vous ce chien superbe? Est-ce un labrador?

M. Madsen: Oui, c'en est une.

Le président: Comment s'appelle-t-elle?

.1245

M. Madsen: Elle s'appelle Anna. Elle a dix ans et elle est chien-guide depuis huit ans. Encore là, je crois que cela prouve qu'il y a diversité parmi les aveugles. Certains préfèrent les cannes blanches, d'autres les chiens-guides. Chacun fait comme il veut.

Le président: En terminant, monsieur Sanders, vous avez parlé de l'acuité et du caractère pratique des problèmes. Je crois que vous avez fait montre des deux aujourd'hui. Vous nous avez donné, à nous les voyants, accès à votre monde d'éloquence très touchant.

Grâce à votre intelligence remarquable, vous avez tous les trois été extrêmement convaincants. Monsieur Madsen, je ne crois pas que vous ayez à vous soucier de la compétence. Vous en avez clairement fait montre.

Si vous vous souvenez, le groupe de travail pour les Canadiens souffrant de handicaps avait pour thème l'égalité d'accès pour tous les citoyens de notre pays. Je sais que vous étiez tous deux présents lors du lancement. Vous avez démontré pourquoi la réalisation de cet objectif est si importante. Votre témoignage est à la fois très émouvant et très pratique. Je suis certain d'exprimer l'avis de tous les membres en disant que nous en tiendrons certainement compte.

Merci beaucoup.

Mme Cutler: Merci, monsieur le président. Nous avons beaucoup confiance en chacun de vous.

M. Madsen: Merci.

Le président: Il vous faut maintenant réveiller Anna, monsieur Madsen.

.1246

.1254

Le président: J'aimerais présenter Mme Melanie Sexton de la Société canadienne de l'ouïe. Elle parlera de l'endroit où elle peut utiliser des aides visuelles. Je demande donc à tous les membres de s'asseoir sur le côté avec les attachés de recherche.

.1255

Madame Sexton, vous pouvez commencer.

Mme Melanie Sexton (Société canadienne de l'ouïe): Je dois d'abord vous demander si tout le monde m'entend. Je suis sourde profonde, et je n'entends rien d'utile. Cela ne pose pas de problèmes pratiques pour l'instant car j'ai avec moi des interprètes qui me traduiront vos questions.

Le seul problème, c'est que je n'entends pas ma propre voix. J'ai l'habitude de m'adresser à des groupes très nombreux, de sorte que je sais que je peux me faire entendre à distance. L'inconvénient, c'est que je parle parfois un peu trop fort. En parlant dans un micro, je peux faire sursauter les gens.

Si je parle trop fort, n'hésitez pas à me le dire. Vous devrez peut-être me demander d'écrire ce que je veux dire, mais plus probablement, il faudra m'avertir de baisser le ton. N'hésitez pas à me signaler que ma voix est trop forte. Pour m'assurer que vous êtes à l'aise, je vous demande si vous pouvez bien m'entendre. Oui.

Je représente ici la Société canadienne de l'ouïe. Nous sommes un organisme de services sociaux qui dessert les Ontariens ayant des problèmes d'audition.

Je suis ici aujourd'hui pour vous demander de songer à la possibilité d'inclure les gens ayant des déficiences auditives dans la définition, contenue dans le projet de loi C- 32, des personnes ayant des déficiences perceptuelles. Je vais vous fournir des données pour expliquer notre demande. Ce n'est pas très évident.

Les raisons pour lesquelles vous devez inclure les handicapés visuels sont tout à fait claires. Tout le monde peut comprendre la nécessité de traduire un livre en braille. Il est toutefois beaucoup moins facile de comprendre pourquoi les handicapés auditifs voudraient seulement être inclus. Mais je vous assure que nous avons des motifs très réels et importants pour faire une telle demande. Je vais donc vous donner quelques statistiques pour vous expliquer pourquoi je suis ici et pourquoi nous soumettons cette requête.

Quelques données de base pour commencer. Quelqu'un a-t-il une idée du nombre de Canadiens qui souffrent de déficiences auditives et des statistiques dans ce domaine? Risquez une réponse.

M. McTeague: Dix pour cent.

Mme Sexton: Très bien, 10 p. 100. En plein dans le mille.

On estime qu'actuellement, un Canadien sur dix souffre d'une quelconque déficience auditive. On prévoit également qu'à la fin du XXe siècle, la proportion passera à trois sur dix. Pourquoi cette augmentation?

M. McTeague: En raison de l'âge.

Mme Sexton: L'âge de la population qui avance à cause du baby-boom.

M. McTeague: Parce que les gens écoutent de la musique rock.

Mme Sexton: Très bien. La pollution par le bruit. Le simple fait d'écouter de la musique rock à haut volume pendant 20 minutes peut réduire votre acuité auditive de quelques décibels.

M. McTeague: Je sais.

Mme Sexton: C'est vrai. Nous commençons à peine à prendre conscience des dangers de la pollution par le bruit et nous ne faisons que commencer à l'enrayer. Si vous avez des adolescents, vous pouvez les avertir du danger qui les guette. Ce n'est pas le fruit de notre imagination.

Le nombre de personnes ayant des troubles d'audition est considérable. Mais il est important de savoir qui sont ces personnes. Il est insensé de les considérer dans leur ensemble et d'en faire un groupe homogène parce que ceux qu'on classe dans la catégorie des handicapés auditifs ont en fait des besoins fort différents. Voici donc ce que j'appelle la collectivité des handicapés auditifs. On compte dans cette collectivité des gens très différents, qui communiquent par des moyens différents.

En premier lieu, pouvez-vous tous lire ce que je vous montre? Nous avons ici un malentendant souffrant d'une légère perte d'audition; puis, un sourd culturel, bilingue; un sourd oraliste; un malentendant ayant une perte d'audition prononcée; un sourd post- linguistique; et enfin un sourd culturel utilisateur du langage des signes depuis longtemps.

À ce propos, vous avez probablement déjà entendu le terme «malentendant». C'est maintenant le terme reconnu pour désigner quelqu'un souffrant d'un quelconque handicap auditif. Vous connaissez probablement tous l'expression «sourd culturel». Savez-vous ce qu'est un «sourd post-linguistique»? Non. Je vais vous l'expliquer dans un moment.

Si vous regardez ceci, lequel, d'après vous, a le moins perdu d'audition? En termes d'audiologie, lequel entend le moins et lequel entend le plus? Lequel a subi le moins de perte? Lequel entend le mieux?

.1300

Le président: Je dirais que le sourd culturel bilingue a le plus bas niveau.

Mme Sexton: Selon vous, le sourd culturel bilingue entend le mieux?

Le président: Non, le moins bien.

Mme Sexton: Le moins bien?

Le président: Je dirais que le sourd oraliste a le plus haut niveau d'audition.

Mme Sexton: Le sourd oraliste aurait le plus haut niveau? Est-ce vous qui avez dit ça?

Le président: Oui.

Mme Sexton: Regardons d'abord la signification des termes. «Malentendant» désigne quiconque souffre d'une perte d'audition, quelle qu'elle soit. Cette perte peut être très légère, ce qui signifie fondamentalement qu'elle peut causer des difficultés à entendre dans des situations où les bruits de fond sont prononcés. Le malentendant peut par contre souffrir d'une perte très grave et être incapable d'entendre à peu près quoi que ce soit. Je pourrais me considérer comme une malentendante. Ainsi, le terme «malentendant» s'applique à une foule de personnes souffrant d'une perte d'audition à des degrés divers. Au départ, tout dépend de la façon dont les gens veulent être perçus.

Quelqu'un peut-il expliquer ce qu'est un sourd post-linguistique? Celui qui écoute de la musique rock trop forte? En fait, c'est quelqu'un qui a perdu l'usage de l'ouïe au cours de sa vie, après avoir appris à parler normalement.

Vers l'âge de quatre ans, les enfants ont déjà fait normalement l'apprentissage du langage - évidemment, ils ne possèdent pas un vocabulaire complet, mais ils ont déjà assimilé la notion de langage parlé. S'ils deviennent sourds à cet âge, ils se différencient très nettement d'autres enfants qui sont nés sourds ou qui le sont devenus en très bas âge.

Ainsi, les gens qui ont perdu l'ouïe après l'âge d'environ quatre ans ont tendance à s'orienter vers les modes de communication orale. Nombre de personnes comme moi cessent d'entendre dans la vingtaine, la trentaine ou au cours de l'adolescence. C'est plus fréquent que vous ne pourriez le croire. Je me demande si vous connaissez des gens qui ont perdu l'ouïe.

Il arrive qu'à la suite d'opérations, le nerf acoustique soit touché ou sectionné et que des personnes deviennent sourdes. Parfois, des doses massives d'antibiotiques administrées pour d'autres raisons peuvent rendre sourd. Des blessures ou même des virus comme ceux de la grippe peuvent causer une perte d'audition totale.

Donc, si vous deveniez sourds maintenant, vous seriez des sourds post- linguistiques. Vous communiqueriez oralement en français ou en anglais, mais vous ne connaîtriez certainement pas le langage gestuel. Normalement, on ne connaît pas ce langage. Vous voudriez continuer à communiquer en anglais ou en français, mais vous ne pourriez plus entendre.

Comparons cela aux personnes représentées ici: un sourd culturel qui a étudié deux formes de langage et un sourd culturel qui a utilisé le langage gestuel dès le départ. Avez- vous déjà entendu l'expression sourd culturel? Ce sont des personnes qui sont nées sourdes ou avec une déficience auditive assez prononcée et qui ont grandi en utilisant le langage gestuel comme première langue.

Ici au Canada, l'ASL est le principal langage gestuel utilisé en milieu anglophone, et le LSQ est employé en milieu francophone. Il n'y a aucune correspondance entre l'ASL et l'anglais, ou entre le LSQ et le français. Ce sont des formes de langage totalement différentes, mais il se trouve que nous utilisons l'ASL et le LSQ.

La personne qui a appris le langage gestuel dès le départ sera à l'aise pour l'utiliser. Ce sera sa première langue. Apparemment, les bébés nés dans des familles où les parents utilisent ce langage babillent eux aussi en langage gestuel. Maintenant, qu'appelle- t-on un sourd culturel «bilingue»?

M. McTeague: Quelqu'un qui connaît à la fois l'ASL et le LSQ.

Mme Sexton: Pas tout à fait.

M. McTeague: Je devrais faire partie du comité des langues officielles.

Mme Sexton: Le sourd bilingue est celui qui utilise à la fois le langage gestuel et la langue parlée. Dans mon cas, si j'étais née sourde, que je connaissais le langage gestuel et que j'avais appris à parler anglais, je serais sourde bilingue. Par contre, le sourd post-linguistique est né sourd, a grandi en apprenant à parler, mais n'a pas appris du tout le langage gestuel. Il est important de faire cette distinction. J'ai passé assez vite en revue ces notions longues à assimiler, mais elles sont importantes dans la mesure où les malentendants ont des besoins extrêmement différents en matière d'accès à l'information. Par exemple, si vous deveniez sourds aujourd'hui, vos besoins en matière d'accès seraient totalement différents de ceux de la personne qui est née sourde et qui a besoin de l'interprétation gestuelle.

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Le malentendant qui peut se débrouiller au moyen d'un système d'amplification a lui aussi des besoins différents.

Examinons les besoins de ces personnes au chapitre de l'accès et les raisons qui motivent ma présence. D'après vous, quels sont les besoins d'une personne comme moi qui a perdu l'usage de l'ouïe? Je peux maintenant recourir aux interprètes gestuels, mais il m'a fallu de nombreuses années pour y parvenir. Comment pourrais-je communiquer avant de pouvoir faire appel aux interprètes gestuels? Que ferais-je en ce moment si vous vouliez me poser une question et que je ne connaissais pas le langage gestuel?

Le président: Écrire?

Mme Sexton: Vous faire écrire la question? Oui.

Lire sur les lèvres serait extrêmement difficile. Au mieux, cette forme de communication est très ardue. Certains réussissent mieux que d'autres, mais il est très difficile de lire l'anglais sur les lèvres. De toute façon, à peine 25 p. 100 des sons prononcés peuvent être différenciés sur les lèvres, de sorte qu'il faut tout deviner. Si vous écriviez tout, ce serait fantastique, je comprendrais tout, mais le processus serait très lent et laborieux. Comme j'imagine que vous êtes des gens très occupés, la lenteur de la conversation vous lasserait vite.

Une méthode d'interprétation fondamentale pour les personnes dans cette situation est le sous-titrage en temps réel. Vous avez probablement tous vu au Sénat et, je crois, à la Chambre, les interprètes en temps réel qui tapent sur une machine à sténographie tout ce qui se dit. Ils écoutent les sons et les reproduisent phonétiquement. On obtient donc une transcription mot à mot de ce qui est dit. Le texte peut défiler à l'écran devant moi ici même. Si nous disposions ici de cette technologie, tout ce que vous dites serait tapé presque instantanément et reproduit à l'écran pour que je puisse le lire. C'est ce qu'on appelle le sous-titrage en temps réel.

Cette méthode a d'autres applications, en particulier pour la télévision et la vidéo. Si vous disposez d'un téléviseur récent, vous savez qu'il comporte une bande de décodage qui vous permet de voir les sous-titres au bas de l'écran pendant les émissions. Connaissez-vous ce système? Pendant une émission, des sous-titres écrits en noir défilent sur deux lignes au bas de l'écran et reproduisent les paroles. Les sous-titres sont parfois préparés à l'avance, parfois écrits au fur et à mesure. Pour une partie de football ou d'autres émissions semblables, évidemment, les sous-titres sont rédigés simultanément.

Le sous-titrage est un mode de communication ou d'interprétation très important pour les sourds post-linguistiques. Par contre, les sourds culturels doivent recourir à l'interprétation gestuelle. Si j'étais sourde culturelle, il est probable que les sous-titres ne me satisferaient pas. Si quelqu'un ici devait rédiger un compte rendu par écrit, la méthode ne serait probablement pas jugée comme une forme d'accès acceptable.

Si quelqu'un avait appris le langage gestuel comme première langue, pourquoi pourrait-il ne pas juger accessible le sous-titrage en temps réel?

Le président: Parce qu'il n'aurait pas pu apprendre la langue au départ?

Mme Sexton: Parce qu'il se peut qu'il ne comprenne pas du tout l'anglais. Sa première langue est le langage gestuel.

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Pour quelqu'un qui est né sourd et qui n'a pas fait l'acquisition normale de la langue parlée, il est extrêmement difficile de comprendre ne serait-ce que la notion même de langue parlée. Il se peut donc qu'il n'apprenne jamais à comprendre l'anglais. On dit parfois que c'est de l'analphabétisme. En ce qui me concerne, ça n'a rien à voir avec l'analphabétisme; on parle ici de la difficulté d'acquérir une deuxième forme de langage et d'une acquisition selon un concept totalement différent. Si vous deviez apprendre le langage gestuel maintenant, vous auriez probablement énormément de difficultés parce que votre cerveau aurait à fonctionner d'une façon à laquelle il n'est pas habitué. Vous devez devenir très visuels. C'est la même chose pour les malentendants qui sont mis en présence de l'anglais ou du français. Ce n'est pas leur première langue. Ils peuvent éprouver beaucoup de difficultés même avec un anglais assez rudimentaire.

Pour faire le lien avec ma présentation et avec la façon dont elle a rapport avec la révision du projet de loi sur les droits d'auteur, j'estime qu'il faut tenir compte vraiment de trois applications importantes. La première concerne les malentendants culturels. Ceux-ci doivent avoir accès à du matériel traduit en ASL. Certains n'ont pas accès à la forme écrite elle-même. Par conséquent, un bon moyen de rendre l'écrit accessible est de produire un vidéo avec gestes, de demander à un interprète ou à un bénévole de produire un vidéo qui traduit l'écrit en langage gestuel. Comme pour écrire un livre en braille, on pourrait traduire un livre en gestes et l'enregistrer sur vidéo pour les utilisateurs de l'ASL.

Certains peuvent avoir une certaine connaissance de l'anglais, mais pas au point de lire tout le document sous sa forme originale. Ils peuvent avoir besoin d'une version anglaise simplifiée du document et en faire la demande. Quelqu'un traduit les notions complexes en anglais plus simple, plus élémentaire.

Ce sont là deux applications très importantes pour les malentendants culturels.

Certains sourds post-linguistiques ont besoin de la forme écrite. Il peut s'agir du sous-titrage des émissions de télévision. Nombre de vidéos sont actuellement sous-titrés. Les producteurs sont commandités par maintes grandes sociétés et ajoutent eux-mêmes les sous-titres. Lorsque ces sous-titres sont absents, évidemment le vidéo est complètement inaccessible à ceux qui en ont besoin, à moins que nous puissions les ajouter nous-mêmes. C'est donc là une autre application.

Application peut-être plus importante encore pour les sourds post-linguistiques, ceux-ci doivent souvent pouvoir obtenir une transcription de ce qui se déroule devant eux. Il faut pouvoir transcrire les paroles en écrit au moyen de sous-titres simultanés ou d'un compte rendu écrit. Dans le cas d'une bande audio, par exemple, un malentendant a nettement besoin d'un support écrit, d'une transcription de cette bande, pour comprendre exactement ce qui s'y passe. Ce sont les applications pour les personnes qui ont subi des pertes d'audition. C'est pourquoi il nous faut parfois obtenir des documents protégés par des droits d'auteur et les modifier pour une seule personne qui peut avoir besoin d'y avoir accès sous la nouvelle forme et qui n'y aurait pas accès autrement.

J'ai entendu les représentants de l'INCA, et vous savez déjà qu'il est très long et pénible d'obtenir l'autorisation de procéder ainsi dans un cas en particulier. S'il vous faut faire une demande chaque fois, cela demande évidemment beaucoup de temps.

Voilà tout ce que j'avais à dire pour tenter d'expliquer pourquoi les malentendants s'intéressent à la question. Je serai très heureuse de répondre à vos questions.

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Le président: C'était un exposé très intéressant, madame Sexton. Je crois que votre sens de l'humour a vraiment aidé. Vous avez un grand sens de l'humour. Je suis sûr que les membres seront extrêmement désireux de vous poser des questions.

Qui veut commencer? Monsieur O'Brien.

M. O'Brien: Certainement. Merci, monsieur le président.

Tout d'abord, en tant qu'enseignant, j'appuie les commentaires du président. Ce bref exposé était excellent et très instructif pour moi.

J'aimerais aller au coeur de la question et demander quels changements précis doivent être apportés au projet de loi pour répondre aux besoins dont vous avez parlé.

Mme Sexton: Parlez-vous des changements que nous souhaiterions? Essentiellement, nous aimerions que les malentendants soient inclus dans la définition de personnes ayant des troubles perceptuels.

M. O'Brien: Si cela pouvait se faire, compte tenu des améliorations que nous espérons apporter à la suite des témoignages de l'INCA, on répondrait ainsi à toutes vos demandes?

Mme Sexton: Si nous étions inclus dans la définition de personnes ayant des troubles perceptuels... Essentiellement, nous aimerions qu'on reconnaisse que les gens souffrant de déficiences auditives ont des préoccupations et des intérêts très similaires. Nous aimerions être visés par cette définition, et c'est notre seule préoccupation.

M. O'Brien: Très bien, merci.

Le président: Monsieur McTeague.

M. McTeague: Merci. Je dois dire que c'est là un des exposés les plus intéressants que nous ayons eus. Il est rafraîchissant de pouvoir faire preuve d'humour de temps à autre.

Ma question concerne le retrait de l'infraction pour la copie en un seul exemplaire. Êtes-vous en faveur de cela, comme le sont d'autres groupes?

Mme Sexton: De notre point de vue, la plupart des cas où nous avons besoin d'obtenir des documents sont des cas uniques. J'approuve le point de vue de l'INCA. Dans notre situation, je crois que nous pourrions nous contenter d'une seule édition, oui.

M. McTeague: Trouveriez-vous exagéré que la Commission du droit d'auteur en vienne un jour à imposer des redevances pour copies multiples? Je ne peux probablement pas aller plus loin à propos de cette question.

Mme Sexton: Ce serait extrêmement restrictif, oui. Par exemple, j'ai parlé de la nécessité de transposer des livres en vidéos avec langage gestuel. La plupart de ces vidéos seraient utilisés dans des cours d'alphabétisation destinés aux sourds qui apprennent l'anglais. Les budgets sont toujours très limités. Comme on travaille avec des ressources très restreintes, n'importe quel coût causerait certainement un problème sérieux, et je suis sûre que ces coûts seraient prohibitifs dans la plupart des cas.

M. McTeague: Je vais faire une petite digression ici, mais c'est actuellement une question de politique gouvernementale. Il existe un fonds pour la production d'émissions par câble qui permet à de nombreux producteurs d'obtenir des subventions considérables pour la production d'émissions canadiennes. Votre organisme ou ceux que vous représentez ont-ils déjà eu l'occasion de discuter avec la ministre du Patrimoine canadien de la possibilité d'obtenir une aide de ce fonds par le biais du CRTC?

Mme Sexton: Une aide à quelles fins au juste?

M. McTeague: Une aide vous permettant de satisfaire aux critères qui seraient imposés, par exemple, à ceux qui veulent obtenir des sommes du fonds de production par câble pour faire des émissions. Des sous-titres codés ou diverses autres formes de langage gestuel acceptable seraient exigés pour être admissible au financement.

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Mme Sexton: Pourvu que nous disposions de fonds qui nous aideraient à réaliser ce dont nous avons vraiment besoin... En réalité, la transposition de livres en vidéos avec langage gestuel est beaucoup plus prioritaire que l'adjonction de sous-titres à des émissions de télévision ou autres. Si l'on tient compte de cette priorité, alors oui, une telle mesure serait évidemment utile.

M. McTeague: Merci.

M. Peric (Cambridge): Madame Sexton, pouvez-vous nous dire si vous devez payer des redevances lorsqu'une oeuvre est sous-titrée ou transcrite en langage gestuel?

Mme Sexton: Si vous voulez transposer une oeuvre protégée par des droits d'auteur en vidéo avec langage gestuel, oui.

M. Peric: Combien faut-il payer?

Mme Sexton: Je l'ignore.

M. Peric: Quand avez-vous perdu l'ouïe? Comment est-ce arrivé?

Mme Sexton: Comment j'ai perdu l'ouïe? Est-ce bien la question?

M. Peric: Oui.

Mme Sexton: C'est une défaillance génétique que nous avons dans la famille. Personne n'en connaît vraiment la cause ou l'origine. Ma soeur a le même problème. Tout a commencé quand j'avais environ 14 ans. Ma capacité auditive s'est progressivement détériorée jusqu'à ce qu'il y a cinq ans environ, je cesse d'entendre quoi que ce soit d'utile. Je peux encore entendre les bruits très forts - les explosions, les avions à réaction, les scies électriques - mais plus rien d'utile. C'est un des états dont personne ne connaît vraiment l'origine.

M. Peric: Merci.

Le président: Madame Sexton, pouvez-vous nous dire comment fonctionne votre organisme? Traite-t-il avec une société de gestion comme CANCOPY ou non?

Mme Sexton: Actuellement, la SCO ne s'occupe pas beaucoup de ces questions. Nous constituons en fait un groupe de pression qui représente la société dans son ensemble et qui s'intéresse aux questions qui, selon nous, intéressent la population. En ce moment, nous ne produisons pas de bandes vidéo, nous ne reproduisons pas de documents, mais nous connaissons des organismes communautaires qui aimeraient le faire.

Le président: C'est justement la question que j'allais vous poser. Vous avez entendu le témoignage de l'INCA qui a une bibliothèque. Dans votre cas, peut-être pas pour votre organisme mais pour d'autres qui représentent les malentendants, envisageriez- vous à l'avenir de créer une telle bibliothèque si la loi s'y montrait favorable? Combien de personnes croyez-vous que cela toucherait? Combien de personnes ont besoin de ce service?

Mme Sexton: Il est certain que nous aimerions disposer de telles ressources. Des groupes administrent actuellement des programmes d'alphabétisation. Ils produisent leurs propres vidéos avec langage visuel à partir de leur matériel et les utilisent dans leurs programmes d'alphabétisation. En raison des restrictions actuelles, nous ne pouvons transposer les documents existants en vidéos, mais nous aimerions bien pouvoir le faire. Si la loi se montrait favorable, nous saisirions certainement l'occasion parce que ce matériel est très important pour l'alphabétisation.

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Les malentendants culturels disposent de leur propre culture très riche. Bien peu de gens connaissent le contenu de cette culture. Elle comporte ses propres formes d'art, certainement son propre langage, ainsi que son code de conduite. Il n'y a pas assez de contacts entre la culture des malentendants et l'autre. On pourrait encourager la compréhension culturelle entre les deux groupes.

Le président: Vous dites qu'environ 10 p. 100 des Canadiens, soit trois millions, souffrent de déficiences auditives. J'imagine que de ce nombre, certains ont des déficiences modérées, mais combien de personnes seraient touchées par ce que vous vous proposez de faire? Parlons-nous d'environ un million ou de 500 000 au plus?

Mme Sexton: Pour en revenir à la proportion d'une personne sur dix qui souffre d'une quelconque déficience auditive, quatre personnes sur cent souffrent d'une perte d'audition de modérée à grave. Donc, quatre personnes sur cent profiteraient directement de la production de sous-titres, comme dans mon cas, ou de la traduction en ASL. Une personne sur cent, à peu près, tirerait profit de la traduction en ASL.

Le président: C'est donc un nombre assez élevé.

Mme Sexton: C'est un nombre très élevé, et les gens ont tendance à ne pas le remarquer parce que les malentendants sont moins en évidence. Les handicapés visuels sont très visibles, tout comme les personnes en fauteuil roulant, mais parce que la perte d'audition est un handicap supposément caché, bien des gens ne le remarquent pas. On voit parfois des gens parler par signes dans la rue, et cela attire l'attention, mais dans l'ensemble, nous sommes beaucoup plus discrets que les autres handicapés.

Le président: Encore une fois, merci beaucoup. Votre témoignage a été très éloquent et convaincant. Nous vous sommes très reconnaissants de vous être déplacée aujourd'hui.

Mme Sexton: Merci beaucoup de m'en avoir donné l'occasion.

Le président: La séance est levée.

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