[Enregistrement électronique]
Le jeudi 18 avril 1996
[Traduction]
Le vice-président (M. Scott): Je déclare ouverte la séance du Comité permanent des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées.
Nous sommes enchantés d'avoir comme témoin aujourd'hui la Commission canadienne des droits de la personne représentée par son commissaire, Max Yalden, et par son secrétaire général, John Hucker.
Avant de leur céder la parole, je voudrais attirer l'attention des membres du comité et de l'assistance, sur la présence parmi nous de Mme Nin Saphon, de l'Assemblée nationale du Cambodge, qui est vice-présidente de la Commission des droits de la personne de ce pays.
Soyez la bienvenue, madame Saphon, nous espérons que cette séance vous montrera un peu comment les choses se passent ici au Canada.
Je crois savoir que nous avons réservé deux heures pour la présentation du rapport et pour les questions; je vais donc demander d'emblée au commissaire de nous faire son exposé.
M. Maxwell F. Yalden (commissaire, Commission canadienne des droits de la personne): Merci, monsieur le président et membres du comité. Je suis très heureux d'être de retour devant le comité pour vous parler de notre rapport annuel sur les activités de la commission.
[Français]
Mon introduction sera très brève afin de nous laisser tout le temps nécessaire pour répondre aux questions.
[Traduction]
Depuis mai dernier, un nombre important de changements touchant le mandat de la commission se sont produits. Nous sommes très heureux de l'adoption des nouvelles dispositions législatives sur l'équité en matière d'emploi, qui, nous en sommes persuadés, permettront à la commission d'être plus en mesure d'assurer l'égalité d'accès à l'emploi à tous les Canadiens. Notre personnel se prépare pour le jour où les dispositions législatives entreront en vigueur; nous avons bon espoir que le passage du processus de traitement des plaintes et de révision au processus de contrôle se fera sans heurt.
Nous souhaitons que la loi soit promulguée et qu'elle entre en vigueur le plus tôt possible, monsieur le président. Comme vous le savez, la loi n'entrera en vigueur qu'un an après la date de promulgation, date qui n'a pas encore été fixée. La loi a été adoptée au Parlement en décembre dernier. Nous ne voyons pas la nécessité de retarder son entrée en vigueur. Nous souhaitons que le gouvernement amorce sans tarder le processus qui nous permettra d'assumer nos nouvelles responsabilités le plus tôt possible.
J'ajouterai que la nouvelle loi n'imposera aucun fardeau supplémentaire aux employeurs. La plupart d'entre eux continueront à faire ce qu'ils faisaient en vertu de l'ancienne loi.
Un autre changement important survenu en 1995 est l'achèvement de la réorganisation des activités relatives aux plaintes, dont je vous ai parlé lors de ma comparution en mai et auxquelles je fais allusion dans le rapport annuel. Le transfert des enquêteurs des six bureaux régionaux nous a permis de les installer dans des bureaux plus petits ou de nous associer à d'autres organisations; on a pu ainsi, comme nous le souhaitions, faire des économies importantes.
[Français]
Si la transition a causé certains retards dans le traitement des plaintes à l'été, nous croyons que ces problèmes sont maintenant réglés. Une équipe complète d'enquêteurs rattrape le temps perdu à l'administration centrale.
Entre-temps, le personnel des bureaux régionaux, soit trois agents à Montréal et à Toronto et deux à Halifax, Winnipeg, Edmonton et Vancouver, s'adaptent très bien à ses responsabilités dans le domaine de la sensibilisation du public.
Nous continuerons de suivre la situation pour nous assurer que les plaintes soient traitées aussi rapidement que possible.
Lors du dépôt de notre rapport, je déclarais que certaines mesures réclamées depuis un an s'étaient réalisées, mais que d'autres se faisaient attendre. Il va sans dire que la plus importante mesure que nous devions mettre en oeuvre était la présentation de modifications à la Loi canadienne sur les droits de la personne.
[Traduction]
Je sais que j'ai déjà abordé cette question maintes fois dans mon rapport annuel et lors de mes comparutions précédentes devant le comité. Cependant, il serait négligent de ma part de ne pas répéter que nous croyons fermement que ces modifications sont cruciales pour les nombreux Canadiens et Canadiennes qu'elles toucheraient.
Il y a, bien entendu, une question qui a fait les manchettes; c'est l'inclusion de l'orientation sexuelle à titre de motif de distinction illicite. Je ne veux pas m'étendre trop longtemps sur le sujet; les journaux et la télévision en ont suffisamment parlé. Les gens savent ce dont il est question.
Je dirai seulement qu'à notre avis, un amendement de cette nature est indispensable pour harmoniser la loi non seulement avec les décisions des tribunaux, y compris de la Cour suprême du Canada, mais également avec les mesures législatives en vigueur dans sept de nos dix provinces.
L'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Egan et Nesbit, rendu il y a quelques mois, dans lequel les neuf juges s'accordaient pour dire que la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle contrevenait aux droits relatifs à l'égalité énoncés dans la Charte, vient encore renforcer la nécessité d'apporter cette modification à la loi sans tarder.
La controverse soulevée par cette question est d'autant plus inquiétante pour la commission qu'elle a retardé la présentation de modifications toutes aussi importantes, notamment l'inclusion d'une disposition sur des mesures d'adaptation raisonnables pour les personnes handicapées et les minorités religieuses ou autres, de même que la suppression de l'exemption générale en matière de retraite obligatoire.
Ces deux questions font depuis longtemps partie des objections et des revendications de la commission. Elles ont été évoquées dans une mesure législative antérieure, présentée par le gouvernement précédent en 1992, qui est morte au Feuilleton à l'époque. Les Canadiens soucieux d'équité attendent leur concrétisation depuis longtemps.
Nous attendons également la présentation des modifications promises depuis fort longtemps, qui rendraient notre système de protection des droits de la personne plus efficient et plus efficace, comme la création d'un tribunal permanent des droits de la personne, et l'adoption d'une disposition qui renforcerait l'indépendance de la commission en prévoyant qu'elle relève directement du Parlement.
La création d'un tribunal permanent est sans doute encore plus pertinente aujourd'hui, puisque la nouvelle Loi sur l'équité en matière d'emploi, à laquelle je faisais référence tout à l'heure, prévoit la création de tribunaux qui veilleront au respect de la loi.
Nous n'avons aucun doute sur les compétences des juges des tribunaux actuels; néanmoins, le fait qu'ils exercent leurs fonctions à temps partiel étire les procédures et cause des retards inutiles.
[Français]
J'exhorte à nouveau le gouvernement à présenter tout l'ensemble des modifications dans les plus brefs délais. Je suis conscient que le gouvernement a plusieurs autres questions pressantes à traiter. Cependant, aucune modification à la Loi canadienne sur les droits de la personne n'a été apportée depuis plus de dix ans. Il est grand temps que le Canada mette à jour ses dispositions législatives relatives aux droits de la personne afin qu'elles correspondent aux réalités des années 1990.
[Traduction]
Voilà pour ma déclaration liminaire, monsieur le président. Je serai maintenant très heureux de répondre aux questions ou aux commentaires des membres du comité.
Merci.
Le vice-président (M. Scott): Merci beaucoup, monsieur Yalden.
Je donne tout d'abord la parole à M. Bernier, du Bloc.
[Français]
M. Bernier (Mégantic - Compton - Stanstead): C'est toujours un honneur et un privilège de recevoir le commissaire Yalden, président de la Commission canadienne des droits de la personne. Au nom de mes collègues et de l'Opposition, je vous souhaite la bienvenue devant notre comité.
Ce privilège est encore plus grand puisque notre comité est en train d'écrire une page d'histoire car, selon vos propos, monsieur Yalden, il s'agit du dernier rapport que vous déposerez à titre de commissaire. Je ne voudrais point vous obliger à prendre votre retraite, connaissant votre opinion sur la retraite obligatoire, mais c'est un fait que vous arrivez à la fin de votre mandat. Permettez-moi, au nom de mes collègues et en mon nom personnel, de vous rendre hommage pour le travail que vous avez accompli à titre de commissaire des droits de la personne.
J'ai suivi de plus près votre travail à titre de commissaire des droits de la personne, mais aussi votre travail à titre de commissaire aux langues officielles. Venant d'un souverainiste, cela pourrait prendre une connotation particulière, mais sachez que mes paroles sont très sincères.
En tant que citoyen, j'ai suivi d'un peu plus loin vos travaux à ce titre. Votre sens de l'intégrité sans faille m'a toujours impressionné. En votre qualité de commissaire de la Commission canadienne des droits de la personne, vous vous êtes toujours acquitté de votre travail sans complaisance et avec beaucoup de réalisme. On le constate à la lecture de presque toutes les pages de votre rapport. Je me permets de vous rendre hommage à cet égard.
J'aimerais aborder au moins quatre questions, soit la condition des personnes handicapées, l'orientation sexuelle, les droits de la personne au niveau international, et surtout les droits des Canadiens en difficulté à l'extérieur du Canada.
Votre rapport fait état à plusieurs reprises des personnes handicapées et met en relief le rapport que notre comité déposait à la Chambre des communes en décembre concernant la stratégie nationale.
Une de nos principales recommandations - formulée par M. Allmand, si je me souviens bien - était de désigner un responsable politique, soit un ministre ou à tout le moins un secrétaire d'État, pour assurer la coordination de toutes les recommandations touchant les personnes handicapées.
Pourriez-vous nous fournir des précisions sur ce que vous jugez être les priorités pour le législateur en ce qui concerne les personnes handicapées?
M. Yalden: Nous appuyons une loi semblable à l'Americans with Disabilities Act adoptée aux États-Unis, c'est-à-dire une loi globale qui couvrirait tous les aspects touchant les personnes handicapées, dont l'accessibilité, la question de services et l'accessibilité aux procès-verbaux d'un comité comme celui-ci sous forme adaptée aux personnes handicapées visuellement.
J'écrivais récemment à la Chambre pour souligner le fait que les procès-verbaux de plusieurs comités n'étaient pas disponibles sous forme de cassettes ni en braille. Nous serions en faveur d'une loi qui couvrirait le tout. Ce que nous avons actuellement n'est pas mauvais, mais très éparpillé parmi plusieurs ministères et dans les mains de plusieurs fonctionnaires; aucun ministre n'est vraiment en charge.
Tout comme le comité, je crois qu'un ministre ou un secrétaire d'État responsable des questions des personnes handicapées serait fort utile. Les personnes handicapées auraient ainsi leur avocat au sein du cabinet et face au grand public. C'est important au point de vue symbolique, et surtout opérationnel.
Quant aux priorités, du point de vue de la substance, il faut avancer sur tous les fronts à la fois. On ne doit pas donner la priorité à une sorte d'handicap ou à une sorte de mesures pour tenir compte des besoins des handicapés. Il faut tenir compte de l'accessibilité.
Je parlais tout à l'heure de la nécessité d'accommoder les handicapés et de l'importance de modifier la Loi sur les droits de la personne de manière à souligner la responsabilité des employeurs et des fournisseurs de services aux handicapés. Cela veut dire que tous les services du gouvernement fédéral et du secteur privé devraient être disponibles aux handicapés comme ils le sont à tout autre Canadien.
L'accès à l'emploi est aussi très important. Cela touche la possibilité de passer par la porte principale pour entrer dans un bureau et travailler, mais également d'autres questions d'ordre social. En ce qui concerne l'impôt, par exemple, est-ce qu'on doit pénaliser les handicapés quand ils travaillent? Cela a toujours été le cas, car à partir du moment où on commence à travailler, certains bénéfices sont supprimés.
Or, pour un handicapé, la vie est déjà suffisamment difficile. Il lui est déjà terriblement difficile de se rendre au travail chaque jour sans qu'on lui impose des pénalités quand il travaille. La réponse pourrait être longue, mais je crois que l'honorable député comprend ce que je veux dire.
M. Bernier: Oui, très bien.
On a soulevé la question du crédit d'impôt foncier en Chambre dernièrement. Je crois que le ministre viendra la semaine prochaine pour répondre aux questions des membres du comité à ce sujet.
Puisqu'on n'en fait pas état de façon très particulière dans votre rapport, j'aimerais savoir si vous avez eu, au cours de la dernière année, des plaintes au sujet du crédit d'impôt et, si oui, combien.
M. Yalden: Pas que je sache.
M. Bernier: Il n'y a pas eu de plaintes particulières de la part des handicapés?
M. Yalden: Pas sur ce point précis. Il y a eu, au cours des années, beaucoup de représentations des organismes représentant des personnes handicapées, mais on n'a jamais eu de plaintes.
M. Bernier: Je reviendrai au deuxième tour de table pour poser des questions sur l'orientation sexuelle.
Le vice-président (M. Scott): Merci beaucoup, monsieur Bernier.
[Traduction]
Avant de poursuivre, je voudrais apporter une précision. J'ai dit initialement que nous avions deux heures devant nous. En fait, nous devrons lever la séance à 12 h 30; je vous demande donc d'en tenir compte. On s'en tient généralement à une première ronde de questions de 10 minutes chacune, puis à une deuxième ronde de questions de cinq minutes.
Monsieur Strahl.
M. Strahl (Fraser Valley-Est): Merci.
Vous dites que l'une des questions qui ont fait les manchettes est celle de l'orientation sexuelle. C'est une manchette pour le rapport, de même que pour vous, à titre personnel. Vous avez semoncé le gouvernement à ce sujet en lui reprochant son inaction.
Je voudrais vous poser quelques questions concernant l'orientation sexuelle.
L'un de mes collègues, Ian McClelland, a rédigé et fait distribué un article dans lequel il dit qu'au lieu de multiplier les catégories de personnes visées en termes explicites, on ferait peut-être mieux d'éliminer toutes ces catégories. On se conterait d'affirmer que la discrimination est interdite, plutôt que d'ajouter l'orientation sexuelle ou tout autre motif ou catégorie existante. Il pense que ce serait la bonne solution. Qu'est-ce que vous lui répondriez s'il était ici?
M. Yalden: J'ai lu les commentaires de Ian McClelland, qui m'ont paru très intéressants. Je peux dire qu'en un sens, je n'ai pas d'objection formelle contre une telle éventualité. On pourrait déclarer tout simplement qu'il ne doit y avoir aucune discrimination contre quiconque, point final.
S'il était ici et qu'il m'ait posé cette question, je lui répondrais qu'à dire vrai, il risque ainsi d'aller à contre courant de 50 ans d'histoire et d'un ensemble très conséquent de précédents définis par les conventions des Nations Unies, dont le Canada est signataire, et par les mesures législatives de pays étrangers avec lesquels nous entretenons des relations d'amitié sur un pied d'égalité.
Prenons le document de référence le plus fondamental, c'est-à-dire la Charte des Nations Unies de 1945, qui affirme la nécessité de l'observation et du respect universels des droits et libertés fondamentaux de tous sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 fait référence à la race, la couleur, le sexe, la religion, les convictions politiques ou autres, l'origine nationale ou sociale, etc. Évidemment, le Canada est signataire de ces deux documents.
Cette déclaration a été renouvelée et adoptée par la Conférence mondiale sur les droits de la personne, qui s'est tenue à Vienne il y a trois ans, avec l'appui d'environ 150 pays.
La déclaration du Conseil de l'Europe, qui regroupe, comme vous le savez, tous les pays européens, comporte les mêmes dispositions. Il en va de même de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l'OSCE, de l'Organisation de l'unité africaine, de l'Organisation des États américains, etc. La dernière charte nationale dont j'ai eu connaissance est la constitution récemment adoptée par la nouvelle Afrique du Sud; elle reprend la même formulation.
Il y a donc toute une tendance d'opinion et de jurisprudence qui nous incite non seulement à dire de façon générale qu'il ne doit pas y avoir de discrimination, mais également à énoncer les différents motifs spécifiques de discrimination interdits. Ces motifs peuvent varier, évidemment.
M. Strahl: Je ne me prononcerai pas au nom de Ian, mais il vous dirait sans doute que la Charte des Nations Unies a commencé en mentionnant la race, la langue, la religion et quelque chose d'autre - soit quatre catégories - et dès 1950, il y en avait 10; nous en avons 20 aujourd'hui.
Est-ce que nous ne faisons pas fausse route? Va-t-on multiplier les catégories à l'infini? Il vous dirait peut-être que nous avons acquis de la maturité, et que nous n'en sommes plus là.
Comme vous le savez, ce sujet risque de susciter tout un émoi au Parlement au cours des deux ou trois prochaines semaines, comme si quelqu'un lançait une boule puante, lorsqu'on va parler de l'inclusion de certains termes dans la charte.
M. Yalden: J'espère qu'il n'y aura pas de boule puante, monsieur le président. Mais je ne peux rien vous garantir.
J'apprécie les propos de l'honorable député, de même que ceux qu'aurait pu tenir son collègue, M. McClelland.
De façon générale, il n'y a pas prolifération des motifs de discrimination. On en trouve une dizaine ou une douzaine, selon la juridiction. Dans notre pays, certaines provinces en énoncent un peu plus que les autres. On en trouve dix dans la loi fédérale, auxquels les tribunaux ont ajouté un onzième par extrapolation, à savoir l'orientation sexuelle. Certaines provinces en ont une douzaine, d'autres une demi-douzaine, mais ce n'est jamais beaucoup plus que cela.
J'apprécie l'argument du député. J'ai essayé de lui proposer une réponse en me fondant sur l'histoire, les usages internationaux et les usages en vigueur dans les pays amis. Voilà ma réponse.
M. Strahl: Comme vous le dites, l'argument de mon collègue est intéressant. Je n'avais encore jamais entendu les éléments de votre réponse, et je souhaitais avoir votre réaction.
Si le gouvernement accepte d'inclure l'orientation sexuelle dans la Loi sur les droits de la personne, les réactions vont être très vives. Vous le savez, évidemment. Je ne sais pas si cela fera l'effet d'une boule puante, mais les réactions vont être très vives, du moins dans certains milieux.
La Charte des droits interdit la discrimination fondée sur certains facteurs, mais ce principe comporte des exceptions; par exemple, le gouvernement peut pratiquer la discrimination pour atteindre ses objectifs d'équité en matière d'emploi, etc. On tolère un certain degré de discrimination dans des domaines comme celui là.
Va-t-il y avoir un changement? Si je comprends bien, on permet actuellement à certains établissements religieux, comme les écoles privées chrétiennes ou musulmanes, de réserver leurs postes d'enseignement à des gens qui partagent leurs principes. On leur permet donc de faire de la discrimination. Il y a discrimination, puisqu'une école musulmane n'accueillera pas d'enseignants chrétiens, et vice versa.
Que répondez-vous à ceux qui vous disent qu'en incluant l'orientation sexuelle dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, vous allez obliger ceux qui condamnent l'homosexualité à accepter des enseignants homosexuels dans leurs écoles? Est-ce que cela va modifier la situation, ou les choses vont-elles rester ce qu'elles sont, de sorte que lorsque la religion entrera en conflit avec la Loi sur les droits de la personne, on pourra se fonder sur les croyances religieuses pour engager la personne de son choix? Que répondez-vous à cet argument?
M. Yalden: Je voudrais vous donner quelques éléments d'information, monsieur le président.
Je ne suis pas certain que l'interprétation que fait M. Strahl de la loi soit tout à fait exacte. Je ne suis pas certain que d'après la loi, on puisse pratiquer la discrimination sous réserve d'un motif justificatif. D'après l'interprétation que certains font de la loi, il n'y aurait pas discrimination de la part d'un employeur qui aurait un motif de bonne foi pour refuser d'engager quelqu'un. Les tribunaux ont reconnu, il est vrai, qu'une école religieuse pouvait exiger de ses enseignants qu'il pratiquent la même religion. Voilà la jurisprudence. Mais ce n'est qu'une remarque d'ordre général. Je ne conteste pas les propos du député.
Je ne pense pas que l'inclusion des mots «orientation sexuelle» dans la Loi canadienne des droits de la personne irait à l'encontre de cette tendance jurisprudentielle. Cependant, je ne fais pas partie de la Cour suprême du Canada. Peut-être faudrait-il attendre que la Cour suprême soit saisie d'une affaire portant sur cette question.
Il y a une affaire actuellement en cours en Alberta concernant un certain Vriend, qui est homosexuel et qui a été renvoyé d'une école. L'affaire a été plaidée en première instance et devant la Cour d'appel de l'Alberta, qui a déclaré qu'il n'y avait pas lieu de prononcer l'inconstitutionnalité de la loi albertaine sur les droits de la personne, même si elle ne comporte pas les mots «orientation sexuelle». Mais jusqu'à maintenant, l'argument a uniquement porté sur la présence ou l'absence d'une mention à cet effet dans la loi. Les tribunaux ne sont jamais allés au coeur de l'argument soulevé par M. Vriend et ils ne le feront pas tant que la Cour suprême du Canada n'aura pas été saisie d'un appel portant sur le statut de la loi.
Il se pourrait que le jour où la véritable question de fond sera posée... Je ne pense pas que les tribunaux aient jamais eu à déterminer si une école catholique ou d'une autre religion pouvait exclure de son personnel enseignant un homosexuel actif.
Je ne pense pas qu'une modification qui inclurait ces deux mots dans la Loi canadienne des droits de la personne ait pour effet de changer cette situation. Elle confirmerait simplement l'interdiction de toute discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.
En règle générale, quelqu'un qui occupe un emploi dans la fonction publique fédérale ne pourrait être renvoyé pour des motifs d'orientation sexuelle si cette précision figurait dans la loi. Je suis sûr que le député ne l'ignore pas, même si la situation que j'évoque est antérieure à son arrivée à Ottawa. J'étais ici à l'époque où l'on pouvait se faire renvoyer de la fonction publique canadienne parce qu'on était homosexuel. L'inclusion de ces deux mots dans la loi empêcherait que cela se produise. Cela ne se fait déjà plus, de toute façon, car la société a fait quelques progrès dans ce domaine.
Le vice-président (M. Scott): Monsieur Strahl, me permettez-vous de donner maintenant la parole aux libéraux? Je vous la redonnerai lors de la ronde des questions de cinq minutes.
Monsieur MacLellan.
M. MacLellan (Cap-Breton - The Sydneys): Moi aussi, je voudrais dire très sincèrement que j'ai beaucoup apprécié vos interventions devant les divers comités lorsque vous étiez au service de votre pays. Vous avez toujours fait un travail remarquable, non seulement dans le domaine des droits de la personne, mais également dans celui des langues officielles et aussi lorsque vous étiez à l'étranger. Si vous quittez totalement le service du gouvernement, nombreux sont ceux qui vous regretteront. Quant à moi, je tiens à vous remercier très sincèrement pour tout ce que vous avez fait.
J'ai bien des questions à vous poser, car c'est peut-être la dernière occasion qui m'est offerte, à moins que je n'arrive un jour chez vous à l'improviste pendant une fin de semaine. Je voudrais mettre l'accent sur les questions autochtones. À l'émission Morningside du mois dernier, vous avez déclaré qu'à votre avis, le sort réservé à nos Autochtones était le cas le plus flagrant de racisme au Canada. Est-ce là véritablement le fond de votre pensée?
M. Yalden: Tout d'abord, monsieur le président, je voudrais remercier le député pour ses propos très aimables. J'espère que je ne vais pas entièrement disparaître de la scène administrative et que nous aurons l'occasion de nous revoir; j'ajoute qu'il en va de même pour tous les membres de ce comité.
Je réponds sans ambiguïté par l'affirmative à cette question de fond. Comme notre commission, j'ai toujours dit qu'à notre avis, le problème le plus sérieux - et j'ai parfois envie de dire le seul problème sérieux, mais je ne le dirai pas - dans le domaine des droits de la personne au Canada est de loin celui des peuples autochtones.
Cela ne veut pas dire que les Canadiens soient racistes. Cela ne veut pas dire que vous ou moi, ou nos parents ou grands-parents soient coupables de quoi que ce soit. C'est simplement un fait.
Quel que soit le critère considéré, y compris les suicides, le chômage, le manque d'éducation, les normes de logement, l'absence d'eau potable, etc., les Autochtones sont toujours en dernière position. Ce n'est certainement pas le fruit du hasard. Il s'agit d'un fait historique, auquel le Canada doit remédier.
À l'étranger, le Canada jouit d'une excellente réputation en matière de droits de la personne. C'est très bien. La seule ombre au tableau, le seul point négatif, c'est le dossier des peuples autochtones. C'est ce que vous diront les experts du monde entier en matière de droits de la personne. Que s'est-il passé? Pourquoi avons-nous cette catégorie de citoyens, les Autochtones, qui ne partagent pas les droits et privilèges dont jouissent les autres Canadiens?
Au cours des dernières années, non pas uniquement sous le gouvernement actuel, mais également sous le gouvernement précédent, les autorités fédérales et provinciales ont pris conscience de la nécessité d'agir. Il faut faire quelque chose, et ce n'est pas seulement une question d'argent. Nous avons déjà consacré beaucoup d'argent à ce problème, et l'on peut considérer que4 ou 5 milliards de dollars par an constituent un montant important.
Depuis longtemps, ce problème suscite manifestement un malaise chez les Canadiens, mais il me semble qu'il en va différemment des pouvoirs publics face aux questions de l'autonomie gouvernementale, des revendications territoriales, des services sociaux, etc.
Certains développements peuvent susciter de l'optimisme, pour autant qu'on puisse être optimiste dans une activité comme la mienne; c'est le cas de l'accord avec les Nisga'a, de la création du Nunavut, du progrès vers l'autonomie gouvernementale selon des modalités qui me semblent tout à fait axées sur la responsabilité, et des discussions en cours avec l'Assemblée des chefs du Manitoba. On observe aussi des développements dans d'autres dossiers comme ceux de Davis Inlet et du déplacement des Inuit survenu dans les années 1950. Les choses évoluent sur ces différents fronts et je pense que c'est une bonne chose.
Le seul commentaire que je voudrais ajouter est le suivant: nous partons avec un tel retard qu'il est très difficile de progresser, et le problème est si complexe que personne, et surtout pas moi, ne peut prétendre le résoudre. Nous allons tous devoir collaborer et travailler très fort si nous voulons trouver une solution qui soit à la fois satisfaisante pour les autochtones et acceptable par une majorité de Canadiens, et qui soit conforme à la Charte, au Code criminel et au droit à l'autonomie gouvernementale des Autochtones. Nous avons donc du pain sur la planche.
M. MacLellan: Monsieur le président, M. Yalden a dit quelque chose de très important: il ne s'agit pas uniquement de noyer le problème sous les dollars. Je crois que les Affaires indiennes sont l'un des rares ministères qui bénéficient d'une augmentation de crédit cette année, comme c'était le cas l'année dernière. En cette période de réduction des dépenses gouvernementales, peut-on aller chercher des fonds supplémentaires? Vous avez déjà dit que c'était une préoccupation majeure. Ne sommes-nous pas en train de prendre une mauvaise direction? Ne pourrait-on pas nous passer du ministère des Affaires indiennes, par exemple, comme certains l'ont proposé? Ne pourrait-on pas réorienter certains crédits vers d'autres initiatives?
M. Yalden: Monsieur le président, notre commission a déclaré il y a six ans qu'il fallait, à son avis, abolir le ministère des Affaires indiennes, et nous n'avons eu, dans l'intervalle, aucune raison de changer d'avis. Il ne devait pas s'agir d'un geste cavalier, c'est-à-dire de la disparition du poste du ministre et de l'allocation pour sa limousine dans le budget. Nous pensions à une disparition progressive du ministère, qui aurait été remplacé par une nouvelle entité constituant un point de liaison avec les chefs autochtones. Je crois que M. Irwin propose actuellement une solution identique, qu'il est en train de réaliser au Manitoba. Si c'est là le modèle suivi lors des pourparlers et des négociations futures avec les chefs autochtones, on est dans la bonne direction.
Je pense que ce changement ne devrait pas entraîner de coûts supplémentaires, du moins je l'espère. Nous consacrons déjà des montants considérables aux budgets du ministère des Affaires indiennes et du Nord, du ministère de la Santé et d'autres organismes fédéraux, de même qu'aux programmes provinciaux et à l'ensemble des versements aux Autochtones. Ce changement ne devrait pas coûter plus cher. Je pense qu'avec un bon réaménagement, on devrait pouvoir s'en tirer au même prix, voire même économiser un peu d'argent.
Le vice-président (M. Scott): Merci beaucoup, monsieur MacLellan. Je voudrais que les autres puissent également interroger le commissaire, et je cède donc la parole à M. Allmand.
M. Allmand (Notre-Dame-de-Grâce): Merci, monsieur le président.
Je voudrais commencer par appuyer ce que M. MacLellan a dit de M. Yalden. J'ai fait partie du Comité des langues officielles, et dans ce comité, de même que dans d'autres, M. Yalden a toujours fait un travail extraordinaire; je tiens donc à lui rendre hommage.
Monsieur Yalden, je voudrais commencer en indiquant clairement que votre rapport n'est pas uniquement le vôtre. C'est le rapport de toute la commission, et je suppose que les huit commissaires l'ont approuvé unanimement. Est-ce exact?
M. Yalden: Oui, monsieur. Nous sommes six actuellement, mais les cinq autres ont reçu l'ébauche du rapport et ont eu l'occasion de le commenter. Il représente donc effectivement notre point de vue unanime.
M. Allmand: Mon deuxième sujet fait suite à la question soulevée par M. Strahl. Il convient d'affirmer très clairement que la Loi fédérale des droits de la personne ne s'applique qu'aux domaines de juridiction fédérale, à l'exclusion, par conséquent, des problèmes qui se posent dans le domaine de l'enseignement au Canada.
M. Yalden: C'est également exact, monsieur le président, à moins que le problème ne concerne une école située dans une réserve indienne...
M. Allmand: Ou relevant des forces armées.
M. Yalden: ...ou située sur une base de la Défense nationale.
M. Allmand: Oui.
Depuis des années, je suis résolument favorable à l'inclusion de l'orientation sexuelle dans la Loi sur les droits de la personne. Je voudrais cependant vous soumettre les objections formulées par des collègues qui s'y opposent, pour obtenir votre réaction. J'ai moi-même exprimé ma réaction, mais je voudrais que vous exprimiez publiquement la vôtre.
Bon nombre d'entre eux disent qu'une simple modification qui inclurait l'orientation sexuelle dans la loi aurait d'autres conséquences, comme l'octroi d'allocations familiales aux homosexuels et la reconnaissance des mariages entre homosexuels. Je pense personnellement que ces questions doivent être traitées séparément, et je ne vois pas comment elles pourraient découler d'une simple inclusion de ces mots dans la loi.
Que répondez-vous à ces arguments? Par ailleurs, ces mêmes collègues se disent totalement hostiles à toute forme de discrimination à l'encontre des homosexuels ou des lesbiennes, mais ils ne voudraient pas qu'on lui accorde des allocations familiales, ou que les unions entre homosexuels soient reconnues en tant que mariages au Canada. Ils craignent qu'une telle modification ait pour effet... Comment réagissez-vous à cela?
M. Yalden: Je vais essayer tout d'abord de donner une réponse d'ordre général, à savoir que ce qui nous occupe, c'est la discrimination, et uniquement la discrimination. Nous n'avons aucun programme secret. Nous n'avons pas à décider qui est marié et qui ne l'est pas, qui est conjoint et qui ne l'est pas. Nous parlons de discrimination dans l'emploi et dans les services offerts au niveau fédéral, un point, c'est tout.
Sur la question de la discrimination, pour autant que je sache, nous avons le même point de vue que les principales églises. Par exemple, la dernière version du catéchisme de l'Église catholique romaine affirme qu'il faut éviter tout signe de discrimination injuste envers les homosexuels. Ce texte a reçu l'approbation du Saint-Père il y a tout juste quelques mois. Nous sommes d'accord, et c'est bien de cela qu'il est question. Nous ne faisons pas la promotion d'un style de vie particulier; nous n'avons pas à déterminer, comme je l'ai dit tout à l'heure, qui est marié et qui ne l'est pas, et je tiens à l'affirmer publiquement.
Parlons maintenant des avantages. Ce que nous disons à ce propos, c'est que si un avantage est accordé non seulement aux gens mariés, c'est-à-dire à ceux qui sont passés devant le prêtre à l'église ou qui ont reçu un document officiel des autorités civiles, mais également à ceux qui vivent en union libre, donc si un avantage est accordé à un couple hétérosexuel vivant en union libre, il y aura par conséquent discrimination pour motifs d'orientation sexuelle si le même avantage est refusé à un couple de même sexe qui vit le même genre de relation stable à long terme, ces notions pouvant être définies avec précision. Dans la Loi de l'impôt sur le revenu, par exemple, il faut un an de vie commune. Vous me direz que ce détail est discriminatoire vis-à-vis des gens mariés qui obtiennent les avantages en question à partir de la date du mariage, mais je ne pense pas que nous ayons à nous préoccuper de cela aujourd'hui.
Nous disons que si ces avantages, qu'il s'agisse d'un régime dentaire, d'un congé de deuil, ou d'autres choses, si ces avantages donc sont accordés à un couple hétérosexuel vivant en union libre, il convient également de les accorder à deux personnes de même sexe qui vivent une relation analogue. Et il n'est nullement question de savoir qui est marié ou qui ne l'est pas.
M. Allmand: Il y a un autre argument...
Le vice-président (M. Scott): Soyez bref, monsieur Allmand.
M. Allmand: D'accord, je serai très bref; il s'agit d'une question supplémentaire.
L'autre argument consiste à dire que si l'on compare ce changement au niveau fédéral avec ce qui se fait déjà dans un certain nombre de provinces, les détracteurs de la modification disent qu'on ne peut comparer les conséquences au niveau fédéral et au niveau provincial, à cause des domaines de juridiction différents; par exemple, comme je l'ai indiqué, la non-discrimination pour orientation sexuelle dans les provinces s'applique dans le domaine de l'éducation. Au niveau fédéral, elle s'appliquerait dans les transports et dans bien d'autres domaines. Ils disent donc que la compétence fédérale couvre des domaines différents, des domaines de compétence provinciale.
À mon avis, c'est exact, mais les domaines de juridiction sont très clairement définis: il s'agit des transports, des banques, etc. Que répondez-vous à un tel argument?
M. Yalden: Je ne pense pas que cet argument soit très convaincant. Il est vrai, si l'on veut, que les domaines de juridiction sont différents au niveau provincial et au niveau fédéral. Mais il existe des transports de compétence provinciale. Après tout, notre commission s'intéresse au domaine des chemins de fer, car ils franchissent les limites des provinces. Curieusement, nous nous occupons également d'OC Transpo, dont les autobus franchissent une frontière provinciale quand ils se rendent au Québec. Mais nous ne nous intéressons pas à la Commission de transport de Toronto, ni au métro de Montréal. Pourtant, la Commission des transports de Toronto est l'équivalentd'OC Transpo. Donc, au niveau provincial, la loi couvre des domaines que l'on retrouve au niveau fédéral, comme l'emploi et les services.
Les provinces traitent de différents problèmes. Par exemple, elles s'occupent beaucoup de logement. Ce n'est pas notre cas, à moins, encore une fois, qu'on parle de logement sur une base militaire, ou quelque chose de ce genre. Donc, dans les provinces qui ont inclus l'orientation sexuelle parmi les motifs interdits de discrimination, c'est-à-dire toutes les provinces à l'exception de l'Alberta, de Terre-Neuve et l'Île-du-Prince-Édouard, si je me souviens bien, on ne peut pas refuser de louer un appartement ou de vendre une maison à quelqu'un parce qu'il est homosexuel. On ne peut pas lui refuser une chambre d'hôtel, ou un article chez Eaton ou ailleurs. Voilà le genre de choses dont les provinces s'occupent. Dans notre cas, on ne peut pas lui refuser un service bancaire, ni un emploi à Air Canada ou chez Canadian Air Lines, ni bien sûr, dans la fonction publique ou dans les forces armées.
Du reste, ce ne sont pas des hypothèses d'école. Il n'y a pas si longtemps, il était difficile d'entrer dans les forces armées quand on était homosexuel, et le militaire dont on découvrait l'homosexualité en était immédiatement chassé. C'est ce qui se produisait encore il y a quatre ou cinq ans.
M. Allmand: Merci beaucoup.
Le vice-président (M. Scott): Merci, monsieur Allmand.
Je redonne la parole pour cinq minutes à M. Bernier, du Bloc.
[Français]
M. Bernier: Je vais passer outre la question de l'orientation sexuelle puisque les questions de M. Allmand étaient les mêmes que celles que j'aurais souhaité vous adresser. J'ai bien compris vos réponses.
J'ai dit tout à l'heure que je voulais vous parler des droits de la personne au niveau international. Vous n'abordez pas cette question dans votre rapport et je sais que vous pouvez me répondre que cela ne fait pas partie de vos responsabilités.
J'ai mentionné deux exemples concernant la question des droits de la personne et du commerce, dont le comité se préoccupe aussi. On sait que depuis quelques années, on a tendance au niveau international à négliger, au nom du commerce international, les droits de la personne dans plusieurs pays du monde. On pourrait même parler d'un dérapage.
On connaît ces questions-là et je ne vais pas en faire une énumération, mais à Toronto, qui est votre région, monsieur Yalden, on a vu l'autre jour le jeune Kielburger secouer la classe politique du Canada et peut-être aussi les autres pays. À l'âge de 13 ans, il est déjà connu dans le monde et il sera peut-être le prochain commissaire des droits de la personne.
Ce jeune garçon nous rappelait à la réalité en nous parlant d'enfants dont on abuse au niveau du travail, en Asie en particulier. Je suis allé écouter sa conférence à Ottawa. Dans son discours, il ne disait pas que le Canada devait boycotter ces pays-là, mais souhaitait que le Canada se préoccupe des droits de la personne au niveau international, peut-être par le biais du commerce international. Il disait qu'on pourrait prendre des mesures comme l'identification de la provenance des produits et des marchandises et des personnes qui les ont fabriqués.
J'aimerais avoir vos commentaires sur ce problème même si cela ne relève pas de votre compétence. Les droits de la personne préoccupent les Canadiens et les Canadiennes en général, mais les droits de la personne dans les autres pays devraient aussi nous préoccuper. Je suggère donc, comme l'a mentionné Mme Finestone, que notre comité se préoccupe de cette question.
Le deuxième aspect est celui de Canadiens qui sont en difficultés à l'extérieur. Je prends le cas très connu de M. Quân, d'origine vietnamienne, qui est actuellement emprisonné au Vietnam.
Du fait de votre expérience et vos connaissances dans ce domaine, monsieur Yalden, j'aimerais que vous nous disiez ce que vous pensez de ces deux problèmes de droits de la personne au niveau international.
[Traduction]
Le vice-président (M. Scott): Avant de poursuivre, je dois dire que, par respect envers le commissaire, qui est expert dans toutes ces questions, je comprends que nous puissions souhaiter parler de ces choses avec lui, mais je m'estime également obligé de lui permettre, s'il le souhaite, de laisser cette question de côté sans donner l'impression de s'y dérober.
Comme l'a dit M. Bernier, sa question ne relève pas véritablement de notre mandat, et je tenais à ce que tout le monde en soit conscient avant que M. Yalden n'y réponde.
M. Yalden: Monsieur le président, je comparais devant des comités depuis longtemps et j'ai toujours pour principe de ne jamais éluder les questions posées par des députés.
[Français]
Comme dit l'honorable député, cela ne fait pas partie de nos responsabilités. Nous avons cependant de plus en plus de visites de la part de commissions des droits de la personne d'autres pays, surtout depuis le déclin de la guerre froide, alors que s'est développé un intérêt très poussé pour les droits de la personne dans plusieurs pays. Plusieurs commissions des droits de la personne ont été créées. Puisque vous avez parlé du jeune Kielburger, je vous dirai que même en Inde, on a créé une commission des droits de la personne il y a 18 mois ou deux ans, une commission assez efficace présidée par un ancien juge en chef de leur Cour suprême.
Si la Commission des droits de la personne pouvait jouer un rôle au niveau international, ce serait de collaborer avec d'autres commissions semblables à elle ou avec les pays en voie de développement pour les aider à créer des commissions plus indépendantes et plus efficaces, dans des situations parfois très difficiles.
Il est inutile de dire que les problèmes des droits de la personne de l'Inde sont infiniment plus compliqués et plus difficiles que les nôtres, à tous les points de vue.
Je voudrais ensuite parler de commerce relié aux droits de l'homme. Je ne crois pas qu'on devrait créer une opposition entre les deux, car c'est une fausse position. Le Canada est un pays qui favorise les efforts en vue d'un système mondial de libre-échange au sein de l'Organisation mondiale du commerce mondial. Je crois que tous les partis politiques sont d'avis qu'un système de libre commerce à travers le monde est une bonne chose pour tous les pays, qu'ils soient en voie de développement ou développés. Il faut donc travailler à cela.
Personnellement, je ne crois pas que le boycottage permette d'atteindre les buts visés par ceux et celles qui, très sincèrement sans doute, préconisent de telles mesures. Sauf dans le cas de l'Afrique du Sud, que tous les pays du monde ont été unanimes à vouloir boycotter, il n'y a jamais vraiment eu, depuis la guerre, de cas où le boycottage ait réussi à produire quelque changement que ce soit.
Le Canada s'est opposé au boycottage de Cuba, par exemple. Le Canada, depuis des années, s'oppose aux actions de nos amis américains contre Cuba. Je ne crois pas que cela puisse vraiment atteindre l'objectif visé. Cependant, je ne crois pas que le Canada devrait se tenir coi et ne rien dire par peur de perdre des clients. Nous avons des normes et nous devrions faire en sorte que les leaders des autres pays comprennent bien la position du Canada face à des mesures excessives contre des dissidents, à des régimes dans lesquels des enfants travaillent dans des situations inacceptables, à la prostitution des enfants et ainsi de suite.
Je n'ai rien contre l'idée d'identifier les produits que l'on importe, mais je dirai simplement que dans le cas de plusieurs de ces pays, y compris l'Inde, il n'y a qu'un très petit pourcentage de produits provenant du travail des enfants qui sont exportés. Ce n'est pas une façon de régler la question.
Une façon de régler la question de l'emploi des enfants en Inde serait d'aider les Indiens à inscrire dans leurs propres lois que la scolarisation est obligatoire jusqu'à l'âge de 14 ou 15 ans. Si les enfants restent à l'école, ils ne travaillent pas et surtout pas à l'âge de 8, 9 ou 10 ans. Telle est la solution, mais c'est très difficile parce qu'on parle de millions d'enfants. Il n'y a pas assez d'écoles, pas assez d'enseignants.
Si nous sommes logiques avec nous-mêmes, nous devons aider les Indiens à élargir et améliorer leurs réseaux d'écoles pour que les enfants puissent rester à l'école. On pourrait faire cela tout en poursuivant nos échanges commerciaux.
Il y a eu de graves incidents dont les Indiens sont parfaitement conscients. Nous avons discuté avec la Commission des droits de la personne de l'Inde de la possibilité d'échanges entre la Gendarmerie royale et leurs équivalents pour aider à l'entraînement des paramilitaires, qui sont parfois la source de problèmes assez graves de violation des droits de la personne en Inde. Nous pouvons et nous devons travailler avec d'autres pays dans ce sens-là. La simple idée de boycotter le commerce n'est pas suffisante.
J'ajouterai un seul commentaire en guise de conclusion. Nous avons vendu notre blé aux Soviétiques durant les pires moments. J'ai été en poste à Moscou de 1958 à 1960. C'était la guerre froide. On vendait notre blé et il n'était pas question de boycotter. Nos fermiers produisaient ce blé et nous avions besoin d'ouvertures commerciales. Ce n'était pas une faveur que nous leur faisions. C'est une solution beaucoup trop simpliste.
[Traduction]
Le vice-président (M. Scott): Merci, monsieur Bernier.
Nous devons poursuivre, mais je voudrais en profiter pour signaler au comité que M. Yalden reviendra lorsque nous étudierons le budget. Vous pourriez vous joindre à M. McClelland et organiser un party sur ce thème.
Monsieur Strahl.
M. Strahl: Nous attendons l'invitation. Regardez déjà le résultat.
En Colombie-Britannique, l'entente avec les Nisga'a fait les manchettes, et il devrait en être de même au cours de la prochaine campagne électorale provinciale.
Au niveau des principes, l'entente avec les Nisga'a pose pour certains un problème de droit de la personne ou un problème de discrimination. Sur les territoires qui ont été attribués aux Nisga'a, ces derniers vont avoir des pouvoirs très étendus en matière d'administration de la justice, de niveaux d'imposition et dans d'autres domaines. Cependant, si je comprends bien cette entente, les non-Nisga'a qui vivent dans cette région ne pourront pas voter aux élections locales. Autrement dit, ils seront assujettis aux lois et aux mesures fiscales applicables sur le territoire, mais ils ne pourront pas élire le gouvernement qui va administrer ces lois et ces mesures fiscales. N'est-ce pas là un problème ou une pratique discriminatoire?
M. Yalden: Monsieur le président, si les choses sont bien telles que les décrit le député, il pourrait y avoir un problème. Mais cela dépend. Par exemple, sur le territoire du Nunavut, il me semble que tout le monde vote, et c'est sans doute préférable.
Le député parle des personnes vivant sur le territoire en question, qui payent des impôts. Il parle sans doute d'une époque future, lorsqu'il y aura une forme quelconque d'administration ou de gouvernement autochtone et où les habitants devront payer des impôts. Il me semble que si l'on paye des impôts, on doit avoir le droit de voter. C'est là un principe fondamental dans notre pays.
M. Strahl: Ou d'exercer des fonctions officielles.
M. Yalden: Voilà des questions dont il faut discuter.
En toute honnêteté et en toute humilité envers les membres du comité, je dois dire qu'à la commission, nous ne sommes pas habilités à faire des recommandations sur la façon de négocier une entente avec les Autochtones. Ce que nous avons dit, c'est que pendant trop longtemps, les relations avec les Autochtones étaient apparentées au colonialisme, et il faut que cela cesse.
Je crois qu'on est en train de définir actuellement le régime qui devrait s'appliquer dans les territoires bénéficiant d'un certain niveau d'autonomie gouvernementale. Bien des gens s'inquiètent, par exemple, de ce que la charte ne s'y appliquera pas. Nous avons toujours dit que la charte devait s'y appliquer. En ce qui me concerne, je pense également que le Code criminel devrait s'y appliquer, même si on prévoit des dispositions particulières en matière de prononcé de la sentence. L'incarcération pourrait être remplacée par une sentence de nature communautaire. Nous savons qu'il y a trop d'Autochtones en prison, et que le système actuel n'est donc pas satisfaisant. C'est une chose dont nous pouvons être sûrs, mais reste à savoir ce qu'il faut faire.
Il faudrait voir en détail qui va pouvoir voter, et dans quelles circonstances, avant que je puisse me prononcer sur cette question. Il y a des situations dans lesquelles le droit de vote est accordé à des catégories différentes de personnes selon l'enjeu du vote. Par exemple, nous connaissons tous le régime des commissions scolaires de notre pays, qui distingue les écoles séparées des écoles publiques. Certaines personnes vont voter pour les écoles séparées, d'autres vont voter pour les écoles publiques, mais nous payons tous des taxes. Ce n'est peut-être pas la meilleure formule au monde, et je ne prétends pas qu'elle le soit, mais c'est un régime que nous connaissons bien.
Il devrait être possible de résoudre ce problème avec les Autochtones, en particulier ceux qui vivent dans les villes. C'est là un problème considérable que nous avons à résoudre. Personnellement, je ne voudrais pas faire de déclaration catégorique concernant l'entente avec les Nisga'a sur ce point particulier. Il faudrait...
M. Strahl: Si je vous envoie un exemplaire de l'accord, ou du moins de la partie de l'accord qui me préoccupe, est-ce que vous pourrez me dire ce que vous en pensez?
M. Yalden: J'essaierai de le faire, monsieur le président.
M. Strahl: Eh bien, je vous l'enverrai.
M. Yalden: À la commission, nous avons des collaborateurs qui connaissent ces questions mieux que moi. Je vais solliciter leur avis, et je me ferai un plaisir de vous envoyer ma réponse par écrit.
M. Strahl: Moi aussi, j'aurais besoin de l'aide de quelqu'un qui s'y connaisse mieux que moi, et c'est peut-être l'occasion...
M. Yalden: Nous avons échangé des lettres à ce sujet, mais en fait, ce sera un échange entre deux experts qui s'y connaissent mieux que nous.
M. Strahl: Je ne vais pas en discuter lors de notre rencontre de fin de semaine avecM. McClelland et les autres. Nous allons parler d'autre chose...
M. Allmand: Ceux qui n'ont pas la citoyenneté canadienne paient des impôts mais ne votent pas, et cela peut durer pendant 20 ou 30 ans.
M. Yalden: C'est exact. Il y a eu bien des cas semblables. Il fut un temps où les personnes d'origine britannique qui n'avaient pas la citoyenneté canadienne avaient le droit de vote. Il y a autant de règles que d'exceptions...
M. Strahl: Bien sûr, pendant bien des années, les Indiens qui vivaient au Canada n'ont pas eu le droit de vote. C'était évidemment déplorable...
M. Yalden: Cela a été le cas jusqu'en 1960.
M. Strahl: Exactement. Il y a donc eu des situations dont on aurait eu tout lieu de rougir, mais pour moi, c'est simplement une préoccupation. Ce qu'il faudrait éviter, c'est qu'on les remplace par des situations différentes qui, avec le recul, nous paraîtront également déplorables. En tout cas, vous ne pouvez pas vous prononcer davantage tant que je ne vous aurai pas envoyé le document.
M. Yalden: C'est parfait, je serais heureux de le recevoir.
Le vice-président (M. Scott): Merci, monsieur Strahl. Madame Barnes.
Mme Barnes (London-Ouest): Combien de temps m'accordez-vous pour cette première ronde, monsieur le président?
Le vice-président (M. Scott): Vous avez cinq minutes.
Mme Barnes: Ce n'est pas suffisant.
Pour commencer, je voudrais vous remercier à titre personnel pour le travail que vous avez fait. Les rapports de la commission montrent bien tout le dévouement avec lequel vous travaillez. Je voudrais aussi dire brièvement qu'il y a deux ans, j'ai participé à une tribune internationale consacrée aux droits de la personne et aux entités qui sont chargées d'en assurer le respect dans les différents pays. En tant que Canadienne, j'étais très fière que mon pays soit doté, au niveau fédéral, de cette commission à laquelle correspondent, au niveau provincial, d'autres entités. Cela me semble très important, et j'ai parfois l'impression que nous ne sommes pas toujours conscients de la valeur de ces institutions qui sont le reflet de nous-mêmes.
Je dois dire que bon nombre des sujets abordés dans votre rapport me préoccupent, qu'il s'agisse d'équité en matière d'emploi, de parité salariale, des droits des femmes ou des nombreux autres sujets sur lesquels j'aimerais vous interroger.
Malheureusement, à cause d'une expression que j'ai entendue tout à l'heure, je voudrais mettre l'accent sur un sujet, à savoir la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Je voudrais parler des efforts déployés pour informer les Canadiens du rôle que pourrait jouer la commission pour faire passer le message, à savoir qu'il s'agit simplement du droit fondamental à la non-discrimination, et rien de plus, mais rien de moins.
Je sais que vous êtes sur Internet. Je voudrais savoir si vous ne pourriez pas intervenir plus activement pour faire passer le message. Dans ma circonscription, je suis assaillie de questions par des personnes bien intentionnées, qui craignent que ce changement ait pour effet d'autoriser les relations sexuelles avec des mineurs ou de légitimer les sévices sexuels sur des enfants... Je vous demanderais de me dire très précisément si la non-discrimination fondée sur l'orientation sexuelle peut avoir un effet quelconque sur la législation criminelle au Canada.
M. Yalden: Monsieur le président, ma réponse est un non catégorique. On m'a posé cette question à d'innombrables reprises. Je remercie la députée de la poser publiquement. Elle connaît la réponse, mais il n'est pas inutile de la répéter. C'est un non catégorique.
Nous parlons ici de services. Nous parlons emploi, nous parlons d'avantages sociaux, évidemment. Mais les membres du comité savent que de nombreuses institutions offrent ces avantages aux couples de même sexe, sans pour autant approuver tel ou tel style de vie. Si vous le voulez, je pourrai vous fournir une liste de compagnies privées qui offrent ce genre d'avantages.
On y trouve, notamment, le groupe des journaux Sun. Personne n'oserait prétendre que le groupe de journaux Sun est favorable à un style de vie particulier, si j'en juge d'après un éditorial du Calgary Sun, où il était question de moi, et pourtant, ces journaux accordent les avantages en question.
Il faut donc bien faire la distinction. Nous parlons ici de non-discrimination. Si les objections sont d'ordre religieux, j'ai dit que les Églises... Je vous ai cité le catéchisme de l'Église catholique romaine. Le point de vue de l'Église anglicane est le même, celui des Églises unies également. En dehors de la foi chrétienne, le Congrès juif du Canada estime qu'il faudrait modifier la loi pour y conclure l'orientation sexuelle. Donc à mon avis, l'argument d'ordre religieux ne tient pas, même si je suis bien disposé à laisser trancher la question par les autorités dûment constituées.
Je suppose que l'argument moral porte sur la question du style de vie, et certainement pas sur la question de la discrimination. Nous reconnaissons tous qu'il ne doit pas y avoir de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, et c'est uniquement de cela qu'il est question. Il n'y a aucune conséquence pour le Code criminel ni pour certaines pratiques sexuelles qui relèvent du Code criminel.
Mme Barnes: À votre avis, quel est l'état du droit positif au Canada compte tenu de l'arrêt Egan et Nesbit?
M. Yalden: Excusez-moi, j'ai mal compris.
Mme Barnes: Quel est l'état du droit positif au Canada en matière de non-discrimination, compte tenu de l'arrêt Egan et Nesbit rendu en mai dernier?
M. Yalden: Les neuf juges ont déclaré unanimement qu'en vertu des droits relatifs à l'égalité dans la charte, il est inacceptable de faire de la discrimination pour des motifs d'orientation sexuelle. Les membres du comité savent évidemment qu'il s'agissait d'une affaire très compliquée portant pour l'essentiel sur l'inconstitutionnalité du refus d'une prestation pour conjoint, une prestation de la sécurité de la vieillesse, à des hommes qui vivaient une relation stable à long terme assimilable à une union de fait. Dans une décision partagée de cinq voix contre quatre, la cour a dit qu'un tel refus n'était pas inconstitutionnel, que ce type de programme visait un groupe particulier, en l'occurrence des personnes mariées, où, de façon générale, l'épouse ou la conjointe de fait est plus jeune que l'homme et risque de se retrouver en difficulté au cours de la période transitoire de cinq ans; voilà l'objectif de la loi, et il n'est pas inconstitutionnel de refuser un tel avantage aux autres catégories de personnes, notamment aux couples du même sexe. Mais dans le même arrêt, les neuf juges ont dit que toute discrimination pour des motifs d'orientation sexuelle était inacceptable, et en ce qui me concerne, c'est là l'état actuel du droit positif dans notre pays.
Mme Barnes: Je suis bien d'accord. Je me ferai l'avocat du diable en demandant pourquoi, dans ces conditions, faut-il l'inclure dans une loi? À votre avis, pourquoi prendre la peine de faire tout cela si cette disposition se trouve déjà dans les lois du Canada?
M. Yalden: La réponse est très simple: les Canadiens ont le droit d'être au courant de la législation en lisant les lois. Ils ne devraient pas devoir être des experts en procédures, qui consacrent leurs soirées et peut-être leurs fins de semaine à consulter la jurisprudence pour découvrir que la Cour suprême du Canada a rendu telle ou telle décision, ou que la Cour d'appel de l'Ontario a tranché de telle ou telle façon l'affaire de Haig et Birch, ou encore que la Cour d'appel de l'Alberta a rendu une décision différente dans une autre affaire.
Cela devrait se trouver dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, et seul le Parlement peut prendre des mesures à cette fin.
Mme Barnes: Vous avez dit que la majorité des provinces canadiennes appliquent déjà une loi sur les droits de la personne qui influe sur la compétence de ces provinces. L'une des mesures que nous prenons aujourd'hui - en fait, nous n'avons encore rien décidé - risque-t-elle d'accroître les obligations et les droits qui incombent déjà à ces provinces? Ou parle-t-on de choses entièrement différentes?
M. Yalden: Dans un cas, cela se passe au niveau fédéral et, dans l'autre, au niveau provincial. Je le répète, nous traitons du transport interprovincial, par exemple, et les questions de transport sont du ressort de la province.
Mme Barnes: Je vais préciser ma question. Cela engloberait-il le mariage ou l'adoption.
M. Yalden: L'amendement dont on parle souvent, qui vise à ajouter l'expression «orientation sexuelle» à la Loi canadienne sur les droits de la personne n'a rien à voir avec le mariage.
Le vice-président (M. Scott): Et les enfants?
Mme Barnes: Ou l'adoption?
M. Yalden: Non, cela n'a rien à voir avec l'adoption.
Soit dit en passant, même dans les pays où l'on reconnaît ce que l'on appelle parfois les partenariats enregistrés, soit une sorte de relation entre deux personnes du même sexe, l'adoption n'est jamais permise dans ce genre de relation.
Le vice-président (M. Scott): Monsieur Bernier, si vous avez une question qui tient en une phrase...
[Français]
M. Bernier: Je vous ai demandé...
M. Yalden: Je n'ai pas répondu à la question sur les Canadiens à l'extérieur, n'est-ce pas?
M. Bernier: En effet.
M. Yalden: Nous avons évidemment la plus grande sympathie pour tout Canadien ou toute Canadienne qui se trouve en difficultés ou incarcéré dans une situation inacceptable. Mais, de toute évidence, nous n'avons pas juridiction là-dessus. Si j'étais en voyage, en visite dans un pays quelconque et que je savais pertinemment qu'une personne se trouve dans une telle situation, je soulèverais cette question auprès des autorités ou de la commission, s'il y en a une dans ce pays.
De telles représentations devraient normalement venir des autorités publiques, c'est-à-dire du ministère des Affaires étrangères ou du premier ministre en visite. D'ailleurs, ça se fait depuis très longtemps. Même quand j'étais à Moscou, il y a 35 ans, des représentations étaient faites par l'ambassade, par les ministres en visite, voire par des premiers ministres.
[Traduction]
Le vice-président (M. Scott): Monsieur Strahl, une phrase seulement.
M. Strahl: Pour faire suite à votre observation selon laquelle les Canadiens ne devraient pas consacrer leurs soirées ou leurs fins de semaines à la lecture de la jurisprudence pour connaître les lois du pays, je dirai que cela me semble un peu contradictoire avec ce que vous avez affirmé plus tôt, à savoir que si la religion se dresse contre la question de l'orientation sexuelle, il nous suffira d'attendre la décision des tribunaux - attendre que l'affaire soit portée devant la Cour suprême. Faut-il apporter des éclaircissements à ceux qui craignent d'être obligés d'accepter une personne qu'ils ne voulaient pas admettre dans leur école ou leur paroisse pour des raisons religieuses, ou autres? Faut-il préciser cette question ou faudra-t-il attendre là encore la décision des tribunaux?
M. Yalden: En fait, je répondrais par l'affirmative à vos deux questions. Nous savons que, en ce qui concerne notre commission, le droit repose sur deux piliers: d'une part, les lois - et notamment la Loi canadienne sur les droits de la personne - et d'autre part, la jurisprudence des tribunaux supérieurs, de la Cour d'appel fédérale et même, au besoin, de la Cour suprême.
Lorsque nous recevons par exemple des plaintes relatives à un certain motif ou une certaine sorte de handicap, disons, si les tribunaux interviennent et disent que nous ne pouvons pas le faire, eh bien nous cessons de le faire. La loi n'a pas changé, mais les tribunaux ont tranché en disant que nous ne pouvons pas recevoir ce genre de plaintes.
Un bon exemple serait celui des personnes de plus de 65 ans. La commission a reçu des plaintes de nombreuses personnes de plus de 65 ans qui ont été mises de force à la retraite. J'insiste sur le fait qu'elles avaient plus de 65 ans. La Cour suprême a tranché dans deux cas - une affaire en Alberta mettant en cause un professeur, Olive Dickason, et une autre de l'Ontario mettant en cause un autre professeur, M. McKinney - en disant qu'il n'est pas inconstitutionnel d'obliger les gens à prendre leur retraite à 65 ans. Il nous a donc fallu contacter ces personnes qui nous avaient présenté une plainte pour leur dire que nous regrettions de ne rien pouvoir faire pour elles.
Notre commission est tenue de respecter les décisions des tribunaux, au même titre que tout organisme administratif du pays. Peu importe. On ne peut pas y échapper, qu'il s'agisse d'un organisme provincial, fédéral ou autre.
Il se pose alors une question de droit, à savoir ce qui se passerait si l'on modifiait la loi pour y inclure cette expression. À mon avis, sur le plan strictement juridique, cela ne changerait rien, car nous entendons déjà des causes fondées sur l'orientation sexuelle du fait que les tribunaux - et surtout la Cour d'appel de l'Ontario dans une décision n'ayant pas fait l'objet d'un appel de la part du procureur général et qui fait donc désormais jurisprudence - ont déclaré que nous devons agir ainsi, car autrement notre loi serait inconstitutionnelle. C'est donc ce que nous faisons.
La boucle est bouclée: pourquoi faudrait-il apporter une modification à la loi si les choses se passent déjà ainsi? La réponse est celle que j'ai essayé de vous donner. À mon avis, le Parlement doit légiférer dans un domaine important comme celui-ci; cette précision doit se trouver dans la loi et être assez évidente pour que les Canadiens connaissent la teneur de la loi. Toutefois, bien des choses ne figurent pas dans nos lois, qui n'en sont pas moins exécutoires sur le plan juridique en raison des décisions rendues par les tribunaux supérieurs.
M. MacLellan: M. Yalden a parlé des problèmes des Autochtones qui habitent dans les grandes villes. Dans le rapport, il y a une phrase que j'aimerais qu'il nous explique. Elle se trouve à la page 24, où vous dites ceci à la fin du deuxième paragraphe:
- De toute évidence, la pleine autonomie gouvernementale en milieu urbain n'est pas réaliste,
mais il y a bien des façons de permettre aux Autochtones de contribuer davantage au processus
décisionnel communautaire dans le cadre municipal existant.
M. Yalden: Je ne veux pas marcher sur les plates-bandes de la commission royale qui examine ces questions en détail, je n'en doute pas, pas plus que je ne veux m'ingérer dans son travail, mais nous faisions là une sorte d'observation fondée sur le bon sens. Il peut paraître assez évident que, dans la ville de Toronto, disons, il soit impossible d'avoir, outre l'administration de la région métropolitaine, l'administration de Toronto et l'administration de Scarborough, etc., une administration autochtone qui s'occupe de tout. De toute évidence, il va y avoir des services communs assurés par la municipalité. Toutefois, il ne me semble pas inconcevable qu'il y ait par exemple des écoles autochtones, une sorte de commission scolaire autochtone de Toronto, disons, qui soit responsable dans une certaine mesure du programme d'étude de ces écoles, éventuellement sous la surveillance générale de la province, comme le sont les écoles normales. Peut-être aussi que cette surveillance pourrait être moindre, si la commission avait plus d'autonomie...
Il existe d'autres mesures susceptibles de relever d'une administration autochtone même au sein d'une ville. C'est à cela que nous faisions allusion. Toutefois, il est difficile d'envisager une administration totalement distincte comme il pourrait en exister dans une collectivité plus isolée.
Le vice-président (M. Scott): Je vous remercie, monsieur Yalden. Merci également à vous, monsieur MacLellan. M. Yalden a déclaré qu'il ne voulait pas marcher sur les plates-bandes de la commission royale. De toute évidence, le député de la Nouvelle-Écosse n'a pas hésité à le faire à l'égard de son collègue du Nouveau-Brunswick, car c'était également ma question.
Je tiens à vous transmettre les plus sincères salutations de la présidente, ainsi que les remerciements des autres membres du comité qui ont parlé de vos excellents états de service. Pour ma part, je parlerai plus précisément des langues officielles.
Au Nouveau-Brunswick, nous attendons toujours avec hâte la publication du rapport du Commissaire aux langues officielles, qui semble toujours favorable à la seule province du Canada officiellement bilingue. Je tenais à vous le dire.
Sur ce, je vous remercie tous ainsi que le commissaire. Nous avons hâte... On me dit que l'on ne peut pas recomparaître, mais que l'on comparaît de nouveau.
M. Yalden: Non, certainement pas. J'espère que vous ne laissez pas entendre que je reviendrai comme un survenant. Je suis ici et M. Strahl me rappelle que toute rumeur au sujet de ma disparition est prématurée. J'espère quand même être là jusqu'à la fin de l'année et j'ai bien hâte de rencontrer à nouveau le comité.
Le vice-président (M. Scott): Merci beaucoup. Merci à tous.
M. Yalden: Merci.
Le vice-président (M. Scott): La séance est levée.