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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 2 mai 1996

.0914

[Traduction]

La présidente: La séance est ouverte.

Bonjour. Je m'excuse de vous avoir retardés. Je sais gré à tout le monde d'avoir été à l'heure.

[Français]

surtout le Parti réformiste et le Bloc québécois. Cela me fait grand plaisir de vous voir, madame Arsenault. Je sais qu'on avait déjà prévu une rencontre dans mon bureau et qu'il a fallu l'annuler, mais je suis très heureux qu'on se rencontre ici autour de la table.

.0915

[Traduction]

Puisque nous avons le quorum, permettez-moi de vous présenter les membres du Conseil des Canadiens avec déficiences, Mme Diane Richler, M. Angelo Nikias et Mme Francine Arsenault, qui va présenter les membres de la délégation et son organisation.

Vous disposez de trente minutes. À vous de décider si vous voulez consacrer tout ce temps à votre exposé ou si vous voulez vous en tenir à quelque chose de plus bref. Chacun de vous peut prendre la parole.

Chaque député a cinq minutes pour poser ses questions. Mais nous essayons de faire preuve de suffisamment de souplesse pour que les témoins puissent répondre.

Veuillez commencer.

Dr Raffath Sayeed (premier vice-président, Association canadienne pour l'intégration communautaire): Madame la présidente, je m'appelle Raffath Sayeed. Je suis le premier vice-président de l'Association canadienne pour l'intégration communautaire. Je suis heureux d'être ici avec mes collègues du Conseil des Canadiens avec déficiences, que vous avez déjà présentés.

Permettez-moi de vous présenter la vice-présidente de notre association, Diane Richler.

La présidente: Je m'excuse.

M. Sayeed: Je vous en prie. J'ai compris que vous aviez un petit problème.

La présidente: Oui.

M. Sayeed: Cela fait 22 ans que je suis Canadien, je suis médecin, j'ai un enfant handicapé et j'étais un porte-parole communautaire lorsque j'ai commencé, il y a 20 ans, dans une petite localité de l'ouest du Canada.

Notre association est bien connue et donc je ne m'y arrêterai pas. Vous avez communiqué avec nous, vous avez entendu parler de notre association. Nous sommes une fédération qui regroupe10 associations provinciales et 2 associations territoriales composées de 400 associations locales. Nous avons environ 40 000 membres qui ont un handicap mental, et nous avons parmi eux des parents, des professionnels et des gens qui défendent les droits de ces handicapés.

Notre association souhaite créer une société qui ne fait pas que tolérer un groupe identifié comme différent, mais qui s'est transformée et qui reconnaît la diversité comme une source de force.

Le virage entrepris par notre association, qui est passée d'un modèle d'appui aux handicapés à un modèle de droits de la personne, nous a forcé à investir la majorité de nos ressources dans l'amélioration des systèmes et le changement de la société. Lorsque nous mettions l'accent sur le changement de la personne, nous tentions de mettre en place et d'améliorer des services spéciaux et distincts, comptant sur la charité, la pitié, la sympathie et des considérations spéciales.

Une approche axée sur les droits de la personne signifie que nous ne pouvons pas faire la promotion des droits des personnes handicapées aux dépens de ceux d'autres personnes. Cela signifie changer la société afin que les personnes handicapées soient bien accueillies, et ce, sans exclure qui que ce soit pour d'autres raisons. Nous ne pouvons pas lutter pour la justice, l'égalité et l'inclusion des personnes handicapées ainsi que pour une société qui accepte la diversité, sans reconnaître que nous devons également lutter pour l'égalité sur le plan de la race, de l'origine nationale ou ethnique, de la couleur, de la religion, du sexe, de l'orientation sexuelle et de la tendance politique.

Les amendements que nous vous présentons sont surtout d'ordre technique et ne portent que sur la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Nous vous exhortons à les considérer, de même que les autres amendements que nous apporterons à la Loi canadienne sur les droits de la personne, comme le symbole de notre engagement à la protection des droits de la personne dans leur ensemble.

Comme membre de la société, nous sommes bouleversés et dégoûtés par les déclarations fanatiques que nous avons entendues ces derniers jours. Nous avons même entendu des soi-disant dirigeants dans nos propres localités faire des déclarations de ce genre. Pourtant, nous ne comprenons comment on a pu faire pour que les systèmes et structures que nous avons créés au Canada, y compris dans le milieu de travail, soient conçus pour exclure ceux qui sont différents.

Les politiques et les lois que nous avons mises en place ont été conçues à l'époque où la famille et le rôle de ses membres étaient clairement définis. Aujourd'hui, la composition des familles et les rôles que nous y jouons sont très complexes. Nous entendons beaucoup de lamentations sur le fait qu'il y a désintégration de la famille traditionnelle, et pourtant, nous devons reconnaître que de nombreux changements ont profité aux femmes, aux enfants et à l'ensemble de la société.

On perçoit la famille comme une force constructive parce qu'elle joue un rôle important dans le maintien du tissu moral et social de notre société. Cependant, si c'est la diversité des structures et des compositions familiales qui remplit le mieux ce rôle, qu'avons-nous à craindre? Si les politiques et les lois qui touchent la famille sont conçues pour soutenir toutes les formes de familles, sans préférence pour une forme ou une autre, qu'avons-nous alors à craindre?

.0920

Il ne s'agit pas ici de droits spéciaux. Il s'agit du droit de vivre dans un foyer, de manger dans un restaurant, d'avoir un emploi, de se promener dans les rues sans crainte. Ceux qui ne le savent pas parlent alors de droits spéciaux. Est-ce trop demander de pouvoir avoir un emploi ou un appartement?

Après avoir réfléchi au débat qui fait rage depuis quelques jours, je suis frappée par le fait que certaines personnes dans notre pays ont essentiellement peur de la différence. Le fait que ces personnes veulent reléguer les Noirs à l'arrière-boutique ou congédier les homosexuels et les lesbiennes démontre qu'il nous faut des lois pour protéger les droits de ceux qui sont différents. C'est à cause de ces personnes qu'il nous faut des lois comme la Charte canadienne des droits de la personne.

Je suis ici aussi en ma qualité de Canadien qui comprend la discrimination à bien des niveaux comme je l'ai déjà mentionné. Mon fils a été classé handicapé et s'est vu au début refuser des services aussi fondamentaux que l'orthophonie. On était également sur le point de le mettre dans une salle de classe spéciale, où il aurait été privé d'une éducation normale et équitable.

En ma qualité de commissaire principal de la Commission des droits de la personne de l'Alberta, j'aimerais vous donner un exemple simple. C'est une histoire vécue. J'ai rencontré une femme et nous avons discuté. Elle m'a raconté qu'après plusieurs années de mariage hétérosexuel, elle a compris qu'elle était lesbienne. Son mari l'a mise en demeure de renoncer à tous ses droits sur sa petite fille, sinon il la traînerait devant les tribunaux et il révélerait à son employeur, le gouvernement de l'Alberta, ses préférences sexuelles. Elle avait une belle carrière dans un ministère qui traitait de questions juridiques et elle estimait qu'elle perdrait alors toute possibilité d'avancement et risquait même d'être congédiée.

Cette femme a fini par obtenir de voir son enfant sous supervision, mais sans obligation légale. Elle a abandonné sa profession parce qu'elle vivait dans la crainte constante du scandale et avait l'impression que l'incompréhension régnait dans son ministère. Elle a suivi des cours et cherché un emploi dans autre domaine, moins hostile aux lesbiennes.

J'ai des quantités d'exemples, mais je ne vais pas m'attarder sur cette question.

Comme médecin au Canada, je sais qu'il y a des préjugés à l'égard des aînés. J'en ai la preuve peut-être plus souvent que certains de mes collègues ne souhaitent le reconnaître.

Tout cela se fait dans le but d'en obtenir le plus possible pour notre argent. À une époque où l'on parle toujours de «contrainte budgétaire», je suis terrifiée à l'idée de la société que nous créons.

Bien que vous souhaitiez peut-être considérer que ces d'exclusions ne sont pas reliées à la question à l'étude, soit les droits des homosexuels et des lesbiennes, je suis ici pour vous dire que les raisons de ces exclusions sont les mêmes.

Je ne veux pas de sympathie, de pitié ou de charité pour mon fils. Je veux qu'il vive dans un pays où ses droits et les droits de tous nos enfants sont respectés et protégés, quelle que soit leur différence. J'ai toujours pensé que le Canada était un tel pays.

Grâce à l'Association canadienne d'intégration communautaire, j'ai participé à plusieurs initiatives internationales. Je suis constamment impressionné par la réputation que le Canada s'est acquise dans le reste du sur le plan de la protection et de la promotion des droits de la personne. On fait appel à nous comme spécialistes dans ce domaine. De plus en plus, des organismes internationaux tels que la Banque interaméricaine de développement et l'Organisation des États américains reconnaissent que le développement économique exige une assise démocratique, un système de valeurs pour assurer sa survie. En fait, l'équité est un élément préalable à la démocratie et au développement économique et social.

Le point de vue et l'expérience du Canada en matière de droits de la personne revêtent beaucoup de valeur pour les organismes et les pays qui cherchent à implanter une réforme durable. Bien que nous ayons lieu d'être fiers de notre performance dans le domaine des droits de la personne, je n'ai pas la naïveté de penser que certaines personnes ou certains groupes ne contesteront pas ces droits. Je suis toutefois persuadée que des mécanismes comme la Loi sur les droits de la personne peuvent servir à protéger ces droits.

Par la grâce de Dieu - et de mes parents - je suis une personne privilégiée. Je ne suis pas défavorisé sur le plan économique et social. Je ne vais pas perdre mon emploi à cause de ma couleur, de mon sexe, de mon âge, de ma nationalité, de mon handicap ou de mon orientation sexuelle, et pourtant, certains de vos collègues, qui occupent des postes de direction, tels que les premiers ministres provinciaux, me qualifient de membre d'un groupe d'intérêts spéciaux.

.0925

Si je fais partie d'un groupe d'intérêts spéciaux parce que je recherche l'équité pour tous, alors je suis fière de cette étiquette, mais je pense que de tels commentaires démontrent un manque profond de sympathie pour tous ceux qui sont vulnérables et qui se voient refuser leur droit à la citoyenneté dans une société libre et démocratique, dans le plus grand pays du monde.

J'espère que vous réaffirmerez ce que je considère comme un aspect qui définit notre pays - le respect de la diversité, la protection des faibles, la protection des droits de la personne - en adoptant ces amendements essentiellement techniques et en présentant ensuite un ensemble plus global d'amendements à la Loi sur les droits de la personne.

Enfin, nous vous exhortons à faire ce que vous pensez être juste. Ainsi, vous ferez ce qui doit être fait dans le pays qui a donné au monde, il y a environ 50 ans, la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies.

Mme Diane Richler a quelques commentaires à faire aussi. Merci.

La présidente: Avant de céder le micro à Diane, permettez-moi de vous dire, docteur Sayeed, que vous nous avez fait un exposé des plus émouvants. Je pense que nous apprécions tous sincèrement votre contribution sur les plans privés et publics dans ce domaine.

Je pense qu'il n'est que juste de vous dire à tous les quatre, que lors de sa présence ici hier soir, le ministre a précisé que nous aurions d'ici le milieu ou la fin du mois de mai 1996, cet ensemble d'amendements. Il sera donc intéressant de voir ce que l'on ajoutera.

Je vous en prie, Diane.

Mme Diane Richler (vice-présidente, Association canadienne pour l'intégration communautaire): Vous avez anticipé sur l'une de nos recommandations, mais nous y reviendrons.

La présidente: Excellent. C'est le ministre qui l'a fait.

Mme Richler: Quelle bonne nouvelle.

Des représentants de notre association ont comparu devant le comité à de nombreuses reprises. Nous avons toujours tenté de présenter des propositions constructives et précises pour ce qui est de fournir des appuis et des services aux personnes handicapées. Toutefois aujourd'hui, nous sommes ici pour parler d'une question beaucoup plus fondamentale. À notre avis, ce projet de loi n'a rien à voir avec l'homosexualité. Ce projet de loi porte sur les droits de la personne et sur nos croyances fondamentales comme Canadiens.

Par le passé, nous vous avons raconté de nombreuses histoires personnelles. En général, j'ai tenté, comme membre de l'association, de faire preuve d'une grande objectivité dans mes exposés, mais j'espère qu'aujourd'hui, vous me permettrez d'abandonner mon objectivité habituelle pour vous parler de ma propre expérience.

La semaine dernière était célébré l'anniversaire de l'Holocauste que les juifs et les non-juifs dans le monde entier se rappellent avec douleur. Comme juive grandissant au Canada, dans la circonscription de Mme Finestone, immédiatement après la Deuxième Guerre mondiale, j'avais constamment sous les yeux les extrêmes où peuvent nous mener le non-respect des droits de la personne. Cette réalité me frappe encore lorsque je rencontre mes amis qui n'ont plus de parents, dont les enfants n'ont pas de grands-parents, qui ont perdu soeurs, frères, cousins, tantes et oncles, parce que l'on a empiété sur leurs droits.

En pensant à l'Holocauste, je me souviens aussi que les Nazis ne visaient pas uniquement les Juifs. Il y avait deux autres groupes de victimes choisies - les homosexuels et les lesbiennes, et les personnes handicapées. Je me présente donc devant vous aujourd'hui profondément convaincue du lien entre les droits de la personne de tous les groupes menacés.

Je suis très fière de faire partie d'un organisme qui reconnaît que les droits de la personne d'un groupe ne signifient rien si d'autres groupes sont menacés. Si nous ne protégeons pas toutes les personnes de la discrimination, nous sommes tous menacés et nous sommes également tous coupables.

À de nombreuses reprises par le passé, j'ai cité votre comité en exemple parce qu'il était capable de s'élever au-dessus de la partisanerie politique pour défendre des principes et de valeurs de portée générale. J'espère que vous maintiendrez cette tradition.

J'aimerais vous présenter les quatre recommandations suivantes au nom de notre association:

.0930

Je pense que vous nous avez déjà assurés de l'adoption de la recommandation suivante.

Voilà nos recommandations. Je vais maintenant céder le micro à la Coalition.

Mme Francine Arsenault (présidente, Conseil des Canadiens avec déficiences): Merci beaucoup.

J'ai toujours eu pour rôle au Conseil de donner une dimension humaine aux questions à l'ordre du jour. Il vous sera peut-être utile de savoir que je tire ma compétence du fait que j'ai eu la polio à l'âge de huit mois et que j'ai une maladie de coeur depuis l'âge de huit ans. À cause de cela, je pense m'être prévalue de tous les systèmes offerts aux Canadiens. J'ai tout utilisé, des prothèses au fauteuil roulant en passant par les béquilles. À l'école, j'ai été placée dans des classes spéciales et des classes normales. J'ai tout connu.

J'ai une idée assez claire de ce qu'est la discrimination à l'égard des personnes handicapées, mais je dois reconnaître qu'à cause de ma famille, de ma localité, j'ai rarement été victime de discrimination au Canada. J'aime à penser que c'est parce que le peuple canadien pense aux défavorisés et tente de mettre en place une société égale. Je pense que l'étape que franchit actuellement le gouvernement canadien avec cet amendement sur l'orientation sexuelle s'insère dans cette lutte pour l'égalité des droits.

Depuis plus de 20 ans, le Conseil travaille pour donner aux personnes handicapées la possibilité d'apporter leur contribution à leurs communautés plutôt que d'être pour elles un fardeau.

Ma famille m'a toujours dit qu'il y avait des choses que je ne pouvais pas faire, mais que j'étais capable de faire bien des choses. Elle m'a également dit que si elle pouvait travailler avec la communauté, elle pourrait mettre en place les éléments qui me permettraient d'en faire autant ou plus que quiconque. J'aime à penser que c'est ce qui s'est produit.

Lorsque je me rends dans d'autres pays comme porte-parole des personnes handicapées - je travaille à l'Université Queen's et je me rends en Asie et dans les Antilles - on me dit toujours que les Canadiens travaillent très fort pour aider les groupes défavorisés à participer à la vie communautaire. Je leur réponds qu'il est vrai que notre feuille de route est louable, mais que cela ne s'est pas fait sans efforts de tous les intéressés.

Je pense qu'il y a lieu de vous féliciter d'adopter ce projet de loi - et nous recommandons que vous adoptiez les recommandations qui vous ont été présentées sur l'orientation sexuelle - mais je sais que la communauté a fait des efforts pour rendre cela possible. J'aimerais dire que plus vous l'adopterez rapidement, mieux cela vaudra.

Dans ma localité, on a tendance à penser que les handicapés sont asexués, qu'il y a... on n'aime pas penser au fait qu'on peut avoir une vie sexuelle même si on est handicapé. Il y a pourtant, chez les handicapés, des homosexuels, des lesbiennes ainsi que des hétérosexuels. C'est la même chose que dans tous les autres milieux. De nombreuses personnes de notre milieu ont lutté ferme pour faire adopter ces modifications à la loi sur les droits de la personne, pour faire adopter ces recommandations. Je recommande fortement l'adoption de ces modifications et je me réjouirai si elles étaient adoptées. J'aimerais également dire que j'espère que les autres propositions de modifications seront présentées très rapidement. Je suis heureuse d'entendre Mme Finestone dire que ces modifications devraient être présentées à la Chambre avant le mois de mai. Je demanderais...

La présidente: Ce n'est pas avant mai, mais nous l'espérons, d'ici la fin mai.

Mme Arsenault: Avant la fin mai.

Je vous exhorte à le faire le plus rapidement possible. Nous travaillons à cela depuis plus de10 ans. En 1986, nous avons commencé cette campagne pour faire modifier le Code.

Je ne pense pas avoir quelque chose à ajouter à ce qu'ont dit mes collègues. J'aimerais toutefois demander au président sortant de notre comité des droits de la personne de souligner quelques-unes des questions qui entourent l'obligation de faire place aux handicapés, car c'est là un domaine que les personnes handicapées veulent tout particulièrement voir traiter la prochaine fois.

Angelo, je vous cède la parole.

.0935

La présidente: Certainement, Angelo, nous voulons entendre ce que vous avez à dire. Toutefois, j'aimerais vous rappeler que vous disposez d'une période de 30 minutes, que je suis prête à prolonger de quelques minutes. Par ailleurs, il y a des députés qui souhaitent poser quelques questions. En ce moment, nous nous concentrons sur la non-discrimination, ce qui est fondamental. Les autres questions que vous souhaitez soulever sont également très importantes, mais elles ne sont pas à l'ordre du jour pour l'instant.

Monsieur Nikias, je vous en prie.

M. Angelo Nikias (président sortant, Comité des droits de la personne, Conseil des Canadiens avec déficiences): Comme vous me le conseiller, madame la présidente, je serai très bref.

Tout d'abord, je veux me joindre à mes collègues pour vous dire à quel point j'apprécie et j'appuie les amendements que nous étudions aujourd'hui. En fait, nous considérons la protection de l'orientation sexuelle comme un droit fondamental de la personne et une question d'égalité.

Je suis également très heureux de vous entendre dire que le ministre de la Justice nous a damé le pion. C'est ce que j'ai entendu de plus encourageant aujourd'hui, car cet engagement d'inclure dans la Loi canadienne sur les droits de la personne l'obligation de faire place aux handicapés remonte maintenant à 10 ans et a été pris, entre autres, par l'actuel ministre de la Justice et le premier ministre. Vu cette longue attente, vous comprendrez peut-être que nous ayons quelques doutes...

La présidente: Attendons de voir ce qui sera présenté et nous pourrons alors parler de doutes ou d'approbations. J'aimerais que nous nous en tenions à la question de l'orientation sexuelle et de ce que vous pensez de l'amendement dont nous sommes saisis.

M. Nikias: J'aimerais faire valoir deux choses. Tout d'abord en ce qui concerne l'obligation de faire place aux handicapés, je vous renvoie à un mémoire que nous avons présenté le 24 mai 1994. En ce qui concerne la question que vous soulevée, celle de l'orientation sexuelle, je ne peux rien ajouter. Nous appuyons tout à fait cette modification.

La présidente: Merci beaucoup.

[Français]

Monsieur Bernier, s'il vous plaît.

M. Bernier (Mégantic - Compton - Stanstead): Madame la présidente, je sais que le temps file et que d'autres collègues vont vouloir faire des commentaires et poser des questions. Je vais essayer d'être le plus bref possible. J'aimerais d'abord remercier nos témoins d'avoir accepté de venir présenter leurs points de vue en ce qui a trait au projet de loi C-33.

Je ferai un bref commentaire d'ordre général. Vous avez raison de soulever l'importance d'appuyer les droits de la personne en général, toutes catégories confondues. Lorsqu'on observe la façon dont l'humanité fonctionne sur cette planète, on constate que tant les droits de la personne que les droits démocratiques en général sont fragiles et qu'on ne peut les tenir pour acquis. Donc, ce n'est pas un dossier qu'on peut régler une fois pour toutes. Il faut toujours y revenir, et ce sera comme cela tant et aussi longtemps qu'il y aura des humains sur cette planète.

Je voudrais insister sur une déclaration que vous avez faite concernant les droits de la personne. Dans le dossier qui nous préoccupe actuellement, bien sûr, on veut accorder un statut identique à une catégorie de personnes, les gays et les lesbiennes, mais les droits de la personne sont le fondement même de ce projet de loi. Le projet de loi veut faire en sorte que tout individu de notre société soit traité de façon équitable.

On a mentionné les changements futurs dont le ministre a parlé hier. Nous allons suivre ce dossier-là de très près. Vous connaissez mon intérêt personnel pour tout ce qui concerne le monde des personnes handicapées.

Je voudrais revenir sur la question de la famille. Vous y avez fait référence, docteur Sayeed. Croyez-vous utile que, dans le préambule du projet de loi, on fasse référence à cette notion de famille? Vous avez dit que la famille prenait différentes formes aujourd'hui. Croyez-vous qu'en tant que législateurs, nous devrions définir la notion de famille?

.0940

Mme Richler: Comme association, nous n'avons aucun problème quant à l'inclusion de cette référence dans le projet de loi. Pour nous, la famille est très importante et la reconnaissance de la diversité de la famille est aussi très importante. Nous avons souvent vu les difficultés qu'éprouve une famille à accepter la présence d'un handicap chez l'un de ses membres ou à reconnaître l'homosexualité d'un autre. Donc, pour nous, la famille est une structure de la société et, comme notre communauté, elle doit reconnaître la diversité.

[Traduction]

M. Sayeed: Tout ce que vous pourrez faire en faveur de la diversité de la famille mettra fin au malentendu qui existe actuellement dans la société. Nous ne pouvons pas faire marche arrière. Nous vivons aujourd'hui. C'est comme souhaiter revenir à l'époque des carrosses. La société a évolué, la famille a évolué. Il existe différentes sortes de familles.

La présidente: Madame Augustine.

Je remarque que le député réformiste est parti.

M. Sayeed: Le député s'est excusé auprès de moi. Il m'a dit qu'il ne partait pas à cause de notre exposé. Il avait déjà un engagement.

La présidente: Oui, je pense qu'il reviendra. Je viens de recevoir une note me disant que l'autre député doit rencontrer les médias.

Mme Augustine (Etobicoke - Lakeshore): Bonjour.

Je suis vraiment très heureuse de vous voir, Dr Sayeed. À chaque fois que je vous entends, je me dis qu'on devrait vous placer en haut de la plus haute colline afin que vous puissiez clamer ces mêmes propos tous les jours, car cela reflète bien ce que sont les Canadiens. C'est le genre de message qu'il nous faut transmettre, non pas uniquement entre nous, mais au monde entier. Vous résumez si bien l'idée de ce que sont les Canadiens et du rôle important que nous avons à jouer.

J'aimerais vous poser deux brèves questions. D'abord celle-ci. À votre avis, quels avantages y a-t-il à présenter les modifications sur l'orientation sexuelle séparément? Quels avantages ou inconvénients y voyez-vous?

Deuxièmement, je voudrais vous ramener à toute cette question avec laquelle nous semblons être aux prises dans nos propos, celle des droits spéciaux; c'est-à-dire qu'il n'est pas nécessaire d'intervenir, parce qu'en vertu de la charte, nous possédons tous les mêmes droits et qu'en en précisant certains, on crée des droits spéciaux.

Pourriez-vous répondre à ces deux questions.

M. Nikias: Ce que nous recherchons, c'est la protection complète des droits de la personne. Nous n'avons pas choisi de faire une distinction en ce qui concerne l'orientation sexuelle. Nous avons toujours appuyé un certain nombre d'initiatives dans le domaine des droits de la personne. Je ne vois pas ce que je peux vous dire d'autre.

Quant aux intérêts spéciaux, nous y avons réfléchi. C'est une question d'égalité. C'est un principe fondamental dans la société canadienne. Nous ne considérons certes pas qu'il s'agit d'un traitement spécial.

M. Sayeed: Le plus gros mensonge dans notre société aujourd'hui, c'est cette idée qu'en accordant quelque chose à un autre groupe, à un groupe vulnérable, on lui confère ainsi un droit spécial qui amoindrira les droits d'un autre groupe. Malheureusement, les médias ont perpétué cette idée. Les médias ne contredisent pas suffisamment ce mensonge et nos dirigeants le perpétuent.

.0945

Il n'est pas question de droit spécial. J'ai plein d'histoires, d'histoires vraies, mais je ne vais pas vous les raconter. Toutefois, je peux vous dire que j'ai vu, rencontré des personnes qui se sont fait mettre à la porte de restaurants. Il ne s'agissait même pas d'homosexuels. Deux femmes qui se tenaient par la main ont été mises à la porte parce que le propriétaire a prétendu qu'elles étaient lesbiennes... Il n'y avait pas de recours, rien à faire. Donc, il ne s'agit pas d'un droit spécial. Nous parlons du droit de s'asseoir, de vivre, de manger et de parler avec vous tous.

Encore une fois, je ne représente pas un groupe d'intérêts spéciaux, mais je veux bien qu'on me qualifie -

La présidente: Vous êtes une personne spéciale.

Oui, Andy.

M. Scott (Fredericton - York - Sunbury): Je dois saisir l'occasion pour signaler la présence de Noël Kinsella, que cette question intéresse tout particulièrement. Nous habitons le même quartier et je pense que nous avons une même vision de ces questions. Je tenais donc à souligner sa présence ici.

J'aimerais également vous expliquer pourquoi je pense que cet amendement est important. En préparant la liste des témoins qui allaient comparaître devant le comité, il était important pour nous tous d'être obligés d'envisager cette question sous tous les angles. Il y a des aspects fondamentaux ici qui vont bien au-delà des motifs de discrimination. En fait, si nous pouvions trouver une raison d'identifier tout le monde pour une raison ou pour une autre afin que tout le monde soit visé par ces dispositions, je pense que l'on pourrait régler le problème. En effet, à un moment ou à un autre, nous sommes tous probablement vulnérables pour une raison quelconque. Il y a des citations très connues qui me viennent immédiatement à l'esprit pour me le rappeler.

En tout cas, je voudrais me joindre à Jean et à d'autres personnes qui vous ont remerciés d'avoir donné un visage humain à la question. Je connais les préoccupations que vous avez exprimées. Je pense que cela facilite notre travail, car vous donnez un visage humain à bon nombre de questions qui en ont bien besoin. Je suis sûr que si la grande majorité des Canadiens entendaient les histoires que l'on nous a racontées hier soir et que l'on va nous raconter aujourd'hui, ils comprendraient. Ce n'est qu'à partir du moment où nous parlons de ces fantômes qui vont nous envahir si nous faisons ce genre de choses que nous commençons à perdre de vue ces préoccupations.

Il n'y a peut-être pas lieu de répondre, mais j'apprécie beaucoup le fait que vous soyez ici.

Je reconnais que la présidente est également sensible à la présence de M. Kinsella.

La présidente: J'ai pensé qu'il serait important que nous ayons la liste des intervenants d'aujourd'hui. Étant donné que vous alliez parler de lui, j'ai pensé qu'il n'était pas nécessaire de le faire une deuxième fois.

M. Scott: Je pense que vous comprenez tous ce que cela signifie, et la présidente est de retour.

La présidente: Désolée. En réalité, c'est Andy qui préside. J'ai dit que cette audience du comité est très informelle et différente.

Y avait-il une question en suspens?

M. Scott: Non, je pense que nous avons mis fin à mes petits radotages.

La présidente: D'autres collègues ont-ils des questions à poser?

Des voix: Non.

La présidente: Je tiens à remercier les témoins. Avez-vous quelque chose à dire pour terminer?

M. Sayeed: Je suis très choqué par le terme «groupe d'intérêts spéciaux». Il y a deux week-ends, un groupe d'environ 75 personnes a publié une annonce dans le Calgary Herald pour réagir à un amendement déposé à l'Assemblée législative de l'Alberta. L'annonce disait clairement qu'il y a une province au Canada où l'on bafoue les droits de la personne, et qu'il s'agit de l'Alberta. Parmi les membres du groupe, il y avait la Chambre de commerce de Calgary, Centraide, la section provinciale du Congrès du travail du Canada, et des citoyens ordinaires. Pourtant, nos dirigeants nous ont qualifiés de groupes d'intérêts spéciaux et dit que nous n'étions pas des Albertains normaux. Si la Chambre de commerce de Calgary ne représente pas des Albertains normaux, je ne sais pas qui est normal dans notre province.

.0950

J'exhorte les dirigeants que vous êtes à contester ce mensonge, qui consiste à parler de «droits spéciaux» ou «d'intérêts spéciaux». Nous voulons une société qui aime et soigne ses citoyens avec gentillesse et compassion...

La présidente: Et égalité.

M. Sayeed: ...et égalité.

La présidente: Avec des droits.

M. Sayeed: Exactement, merci.

La présidente: M. McClelland vous a indiqué qu'il devait partir, et il est revenu.

Cher collègue, vous vouliez poser la question du lien possible entre l'article 16 et l'amendement. J'allais poser cette question pour vous, mais vous voulez sans doute la poser vous-même.

M. McClelland (Edmonton Sud-Ouest): Merci, madame la présidente.

En guise d'introduction, je dirais que certains Canadiens craignent que ce projet de loi ait des effets inattendus. Cette crainte est fondée et elle doit être examinée. Il m'incombe d'exprimer cette vision des choses.

L'une des préoccupations qui a été exprimée est que la modification de la Loi canadienne sur les droits de la personne pour y inclure l'orientation sexuelle mènera inévitablement à l'action positive. Bien que la grande majorité des Canadiens soient absolument opposés à toute forme de discrimination, bon nombre de Canadiens sont tout aussi opposés à l'action positive. D'une manière générale, pouvez-vous parler du lien entre l'action positive et l'inclusion de l'orientation sexuelle?

Mme Richler: Nous pensons que l'une des raisons de l'inclusion de l'orientation sexuelle avant bien d'autres changements que l'on se propose d'apporter à la Loi canadienne sur les droits de la personne est que la jurisprudence au Canada a déjà indiqué que l'orientation sexuelle doit être intégrée à la loi. C'est pour cela que l'on demande au gouvernement du Canada de faire concorder ces lois avec la jurisprudence canadienne. Ce changement n'aura aucun effet sur la situation actuelle des Canadiens; il va simplement reprendre la jurisprudence dans la loi pour que l'on puisse s'y référer au lieu d'être obligé de recourir constamment aux tribunaux.

Je pense que c'est une erreur de dire que la protection juridique n'existe pas déjà. Actuellement, il est très compliqué de recourir aux tribunaux au lieu de se référer simplement à la loi. Les gens n'aiment peut-être pas la jurisprudence, mais au Canada, ça fait partie du droit.

M. McClelland: Sauf votre respect, il existe une très grande différence entre la protection juridique et la possibilité, fût-elle mince, qu'au cours d'un futur recensement, on vous demande votre orientation sexuelle pour déterminer si un employeur régi par le gouvernement fédéral a un nombre suffisant d'employés ayant une certaine orientation sexuelle.

La présidente: Monsieur McClelland, je pense que le ministre a traité de cette question hypothétique très clairement, très fermement et sans équivoque. Une fois de plus, il s'agit d'un préjugé qui semble n'avoir aucun rapport avec ce projet de loi. Vous pouvez continuer à poser cette question, mais les témoins représentant divers groupes, et non pas seulement le ministre, ont répété à maintes occasions que ce lien n'existe pas et qu'il n'est pas possible dans le cadre actuel de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Maintenant, vous parlez de Statistique Canada.

.0955

M. McClelland: Sauf votre respect, madame la présidente, j'ai demandé aux témoins d'en parler parce que c'est un sujet qui les concerne. Les témoins ici présents sont capables de répondre, et s'ils décident de ne pas le faire, je comprendrai.

M. Sayeed: Je répondrai volontiers, madame la présidente.

Tout d'abord, l'action positive est un terme américain qui, pour une raison que j'ignore, est utilisé couramment au Canada. Nous ne parlons pas d'action positive. Au Canada, nous parlons d'équité en matière d'emploi. Mais je préférerais un autre terme, à savoir la possibilité d'emploi.

À mon avis, rien dans cette loi ne va empêcher que l'on embauche le meilleur candidat à un emploi. Nous voulons simplement nous assurer que le meilleur candidat est embauché, peu importe s'il est handicapé ou s'il a une orientation sexuelle différente. Rien n'empêche les employeurs de chercher le meilleur candidat pour le poste. Une fois de plus, je pense qu'il s'agit là d'un mythe qui est répandu par des gens qui ne connaissent pas la vraie intention du projet de loi.

Je pense qu'Angelo veut dire quelque chose.

M. Nikias: Je ne sais pas ce qu'a dit le ministre, malheureusement, mais je pense que cet amendement vise à protéger les gens contre la discrimination. À mon avis, c'est tout à fait normal.

Si vous parlez d'action positive dans le domaine de l'emploi, dans le cas des personnes handicapées et autres, nous savons par expérience et d'après les statistiques, qu'il y a eu des cas d'injustice par le passé. En tant que société, nous avons adopté une politique d'équité en matière d'emploi pour corriger certaines de ces injustices. C'est là le choix politique que nous avons fait à cet égard.

Pour ce qui est des effets imprévus, je ne peux pas spéculer. Mais j'appuie le principe selon lequel on ne devrait pas être victime de discrimination dans le domaine de l'emploi ou dans n'importe quel autre domaine à cause de ce qu'on est. Je pense que c'est là l'objet du projet de loi.

M. Sayeed: Une fois de plus, je vous remercie de nous avoir donné l'occasion de comparaître. C'est une bonne chose. J'apprécie vos questions qui témoignent de votre intérêt et de votre volonté de nous aider. Nous n'avons rien à ajouter.

La présidente: Merci pour les éclaircissements.

Monsieur McClelland, je suis désolée de vous avoir interrompu. Êtes-vous satisfait de la réponse? Avez-vous obtenu toutes les informations que vous vouliez?

M. McClelland: Oui.

La présidente: Merci beaucoup.

.1000

Je souhaite la bienvenue à l'Association nationale des femmes et du droit, représentée par MMmes Shelagh Day et Terry Drummond. Vous avez la parole.

Mme Terry Drummond (porte-parole, Association nationale des femmes et du droit): L'Association nationale des femmes et du droit, ou ANFD, est extrêmement heureuse de l'intention du gouvernement de modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne pour y inclure l'orientation sexuelle comme motif illicite de discrimination. Cette promesse a été faite successivement par plusieurs gouvernements, y compris les Libéraux, depuis la fin des années 1970. C'est grâce au gouvernement actuel que cette promesse sera finalement tenue pour nous tous et en particulier pour le très grand nombre de lesbiennes et de gais qui font face à la discrimination tous les jours de leur vie.

L'Association nationale des femmes et du droit est une organisation nationale sans but lucratif, vouée à la promotion des femmes par l'éducation juridique, la recherche et l'appel à la réforme du droit. Depuis 1977, l'ANFD exhorte activement le gouvernement à modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne pour interdire la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Huit provinces et territoires l'ont déjà fait dans leur législation: le Québec, le Manitoba, le Yukon, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, la Colombie-Britannique, la Saskatchewan et l'Ontario ont déjà des lois sur les droits de la personne qui interdisent la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. En proposant cette loi, le gouvernement fédéral donne un exemple important à toutes les autres provinces qui n'ont pas encore assuré la protection de leurs citoyens dans les domaines de compétence provinciale.

Il est tout aussi essentiel que le gouvernement fédéral veille à ce qu'aucun citoyen canadien ne soit victime de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle dans les domaines de l'emploi, de l'hébergement et de l'accès aux services régis par le fédéral. On ne peut le faire qu'en intégrant ce motif à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

L'orientation sexuelle est l'un des motifs de discrimination interdits dans la Charte canadienne des droits et libertés. Cela découle d'une décision unanime rendue en 1995 par la Cour suprême du Canada en 1995, dans l'affaire Egan et Nesbit contre la reine. Même si la Loi canadienne sur les droits de la personne ne prévoit rien à ce sujet, la Cour d'appel de l'Ontario a estimé, dans l'affaire Haig contre le Canada, que cette loi protège le citoyen contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Par conséquent, l'ajout de l'orientation sexuelle dans la Loi canadienne sur les droits de la personne n'apportera aucun changement important à l'état du droit sur cette question.

.1005

Cependant, en l'ajoutant à la liste des motifs illicites, le gouvernement canadien indiquera clairement aux Canadiens et à d'autres que toutes les personnes doivent jouir des mêmes droits, et que ces droits ne doivent pas être réservés uniquement à une certaine partie de la population.

Qui plus est, cela renforce le principe selon lequel la lettre de la loi doit en refléter l'esprit.

Notre gouvernement a souligné à maintes reprises l'importance de l'universalité des droits de la personne dans le cadre de ses activités à l'échelle internationale. L'universalité signifie que tous les droits des êtres humains doivent être également protégés contre la discrimination, que les lois canadiennes doivent accorder le même respect et la même dignité à tous les Canadiens. Il est temps que la législation canadienne en matière de droits de la personne reflète cette croyance.

La politique officielle du Parti libéral interdit la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle depuis 1978, année où le parti a adopté une résolution demandant que la Constitution interdise ce genre de discrimination. La modification de la Loi canadienne sur les droits de la personne à cet effet était aussi l'une des promesses de M. Chrétien pendant la dernière campagne fédérale.

Enfin, en octobre 1994, un sondage Angus Reid a montré que 81 p. 100 des Canadiens croient que la discrimination contre les homosexuels et les lesbiennes est mauvaise. Il est important que nous combattions la discrimination historique et reconnaissions dans la loi le fait que les Canadiens croient à la protection des droits fondamentaux pour tout le monde.

Ensemble, le Parti libéral, le gouvernement canadien, la Commission canadienne des droits de la personne, tous les groupes canadiens voués à la recherche de l'égalité des droits, et la grande majorité de la population appuient le gouvernement dans cette réforme législative qui arrive à point nommé.

Cela va enfin mettre les lois canadiennes en conformité avec les principes du droit international, de la jurisprudence et de la dignité humaine, et l'ANFD veut veiller, dans la mesure de ses possibilités, à assurer l'adoption de cet amendement important afin que l'universalité des droits de la personne soit protégée au Canada.

Je vous remercie.

Mme Shelagh Day (porte-parole, Association nationale des femmes et du droit): Nous sommes ici ce matin pour parler d'une question de principe, une question portant sur les droits fondamentaux et le fait qu'ils appartiennent à tout le monde.

Il y a environ 50 ans, nous avons adopté la Déclaration universelle des droits de l'homme, et cette déclaration stipule que tous les êtres humains sont nés libres et égaux en dignité et en droits. La déclaration de Vienne, qui date de seulement quelques années, stipule que toute personne a des droits et des libertés fondamentales sans distinction d'aucune sorte, et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont le Canada est signataire, stipule que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit à la protection de la loi sans discrimination.

Il s'agit là de normes que le Canada s'est engagé à respecter depuis des années dans diverses instances internationales, et qu'il s'est efforcé de préserver également dans le droit national. Actuellement, nous avons l'obligation, sur le plan constitutionnel qu'international, de nous conformer à cette norme, et nous ne pouvons le faire qu'en étendant la protection aux lesbiennes et aux homosexuels canadiens.

Je vais vous rappeler, comme l'a fait Diane Richler tout à l'heure, l'histoire du mouvement de défense des droits de la personne depuis 50 ans. C'est à cause de l'holocauste qui a eu lieu pendant la Deuxième Guerre mondiale que nous avons commencé à établir des normes et à reconnaître des droits pour tout le monde. Comme l'a dit Diane tout à l'heure, l'holocauste visait les juifs. Mais les lesbiennes et les homosexuels, les personnes handicapées, les communistes, les gitans et les minorités ethniques ont été emprisonnés et assassinés par les Nazis. Cependant, on a commencé par les priver progressivement de leurs droits avant de les isoler, de leur enlever leurs emplois, de les priver des services publics, de les enfermer dans des ghettos et, enfin, de les faire disparaître et de les massacrer.

.1010

Je pense qu'il s'agit là d'une leçon, et nous ne devons jamais oublier comment ce processus fonctionne ni le risque qu'il y a à considérer certains groupes comme «les autres, pas nous», des groupes qui peuvent être stigmatisés, séparés de nous, marginalisés, et auxquels on peut appliquer, en matière de droits, des normes différentes par rapport au reste de la société. Malheureusement, en ce qui concerne les lesbiennes et les homosexuels, c'est encore là la situation dans laquelle nous nous trouvons à l'échelle fédérale, et ce, jusqu'à ce que nous mettions notre loi sur les droits de la personne en conformité avec notre Constitution et nos engagements internationaux.

Les tribunaux canadiens ont établi le fait que les homosexuels et les lesbiennes sont victimes de diverses formes d'oppression et de discrimination dans notre pays. On ne saurait le contester ici. C'est un fait. Par conséquent, la protection de ces groupes est urgente, et nous aurions dû le faire depuis longtemps.

Rien ne justifie l'absence de protection d'un groupe qui est stigmatisé, détesté ou craint. C'est justement pour cette raison qu'un tel groupe a tant besoin de cette protection.

Je voudrais aussi vous parler un peu de l'autonomie sexuelle des femmes. Il est également très important que nous examinions cette question du point de vue des femmes.

Lors de la quatrième conférence mondiale sur les femmes, tenue à Beijing en septembre dernier, la question des droits sexuels des femmes a été très importante. Elle a suscité beaucoup de controverses et de discussions. Il est intéressant de voir que cette question a revêtu une telle importance pour les délégués venus du monde entier.

Lorsque les pays représentés ont rédigé la version finale de leur programme d'action, ils ont adopté un nouveau langage, et ils disent maintenant que les droits humains des femmes comprennent leur droit de contrôler leur sexualité et de décider librement et de façon responsable de questions connexes, y compris la santé sexuelle et reproductive, sans contrainte, discrimination ni violence. Je pense qu'il est important de comprendre que ce n'est que tout récemment dans notre histoire que l'on a reconnu que les femmes étaient des êtres humains autonomes.

Ce n'est qu'au cours de ce siècle que l'on a reconnu que les femmes avaient une personnalité juridique, qu'elles avaient le droit d'être des êtres humains indépendants, de travailler de façon indépendante, d'être propriétaires, de voter, de participer à la vie publique. Le fondement minimal de cette autonomie pour les femmes est le droit de contrôler leur propre sexualité.

La sexualité féminine a été considérée comme une propriété. On a estimé qu'elle appartenait aux hommes. On a estimé que ce n'était pas aux femmes de la contrôler. Le droit des femmes de décider de leur propre sexualité et de leur propre rôle en matière de reproduction est une condition préalable à l'égalité des femmes. Cela signifie que les femmes doivent avoir la capacité de choisir de vivre et d'avoir des relations sexuelles avec des hommes ou de vivre et d'avoir des relations sexuelles avec des femmes, si elles le désirent. Voilà ce que signifie le droit à l'autonomie sexuelle. Il s'agit du droit de choisir librement sa sexualité, comme on le dit dans le programme d'action - sans contrainte, discrimination ni violence. Par conséquent, vous devez examiner la question très importante de l'égalité des femmes au Canada, et vous devez l'examiner dans ce cadre.

.1015

Je voudrais aussi revenir sur certaines observations de l'Association canadienne pour l'intégration communautaire. Je regrette beaucoup de voir dans le préambule de cet amendement une allusion à l'importance de la famille comme fondement de la société canadienne. Ce qui me trouble, c'est qu'on semble penser à un certain type de famille, alors qu'il faut reconnaître la diversité des familles. Nous n'avons pas besoin d'une hiérarchie des familles fondée sur une conception partiale de la vie familiale.

La présidente: Madame Day, je pense que vous avez mal compris l'intention et l'orientation du projet de loi. Je vous invite à le relire.

M. Robinson (Burnaby - Kingsway): Un rappel au Règlement. Sauf le grand respect que je dois à la présidente, je dirais qu'elle peut ne pas partager la position du témoin, mais que le témoin peut aussi présenter son témoignage, et le comité l'examinera par la suite.

Mme Day: Permettez-moi de répéter ce que j'ai dit. Je me demande, comme bien des gens, dans quelle mesure ce projet de loi représente un engagement en faveur de l'égalité des lesbiennes et des homosexuels. Si nous sommes en train de dire que nous donnons d'une main et que nous avons des réserves dans l'autre main parce que nous défendons toujours la famille traditionnelle... et le terme «famille traditionnelle» est utilisé non pas dans le préambule de la loi mais dans le document d'information que le gouvernement a publié pour expliquer cette loi. Nous estimons que «la famille traditionnelle» signifie une famille hétérosexuelle avec des enfants.

Si nous sommes honnêtes, si nous croyons vraiment à l'égalité des lesbiennes et des homosexuels, nous ne pouvons pas établir de hiérarchie et indiquer quel est le type de famille idéal dans la société. Nous devons respecter honnêtement toutes les formes de familles et reconnaître franchement qu'au Canada aujourd'hui, il existe de nombreuses formes de familles, et que les gens prennent soin les uns des autres dans bon nombre de circonstances différentes.

En outre, il semble y avoir des nuances dans le document qui a été publié sur la question des avantages sociaux. Une fois de plus, si nous sommes honnêtes en parlant de l'égalité des lesbiennes et des homosexuels au Canada, nous devons nous pencher clairement sur la question de la distribution des avantages sociaux au Canada.

Il est absurde de distribuer des prestations en fonction des personnes avec lesquelles on a des relations sexuelles. La distribution des prestations est fondée sur des raisons valables: parce que les gens ont des enfants à leur charge; parce qu'ils ont d'autres personnes à leur charge, notamment des parents ou des personnes âgées; parce qu'ils ont contribué à un certain régime de prestations. Actuellement, il n'est pas très raisonnable de distribuer des prestations gouvernementales en fonction des relations sexuelles.

À notre avis, il est dommage que le gouvernement continue à affirmer devant les tribunaux que les lesbiennes et les homosexuels ne devraient pas bénéficier des régimes de prestations, et que seuls les couples hétérosexuels doivent en profiter. Par conséquent, je vous encourage à prendre très au sérieux l'esprit de cet amendement et à ne pas donner d'une main ce qu'on reprend de l'autre. Nous devons réfléchir sérieusement sur la signification de l'égalité légale pour les lesbiennes et les homosexuels, être honnêtes à cet égard et éviter de donner un appui nuancé.

Une ambiance particulièrement tendue entoure cet amendement. En tant que lesbienne et témoin dans ce comité, je n'ai pas l'impression qu'on l'appuie entièrement et de bon coeur, quand je vois certains documents qui ont été publiés par le gouvernement, quand je vois le premier ministre décider qu'il y aura un vote libre au Parlement et quand je vois la position prise par le Parti réformiste du Canada.

.1020

Ici, nous voyons des positions très contradictoires. D'une part, M. Ringma, du Parti réformiste, fait une déclaration carrément discriminatoire. Ensuite, il s'excuse et dit qu'il s'est trompé. Mais son parti vote unanimement en faveur de sa position originale, qui consiste à permettre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

Le Parti libéral, qui a proposé cet amendement - et nous lui en sommes très reconnaissants - a cependant fait quelques déclarations qui semblent ne pas l'appuyer entièrement, et il a maintenant décidé d'autoriser un vote libre, ce qui indique inévitablement aux Canadiens qu'il ne s'agit toujours pas d'une question de droit, mais d'une question de conscience à laquelle chacun peut répondre comme il l'entend. Les Canadiens se sentiront libres d'en faire autant. Ils penseront qu'ils peuvent croire ou ne pas croire à la protection de l'orientation sexuelle dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, même si cette protection existe, et la respecter ou non. Ce n'est pas un bon message à communiquer. À l'instar de ceux qui nous ont précédés, nous vous demandons de révoquer la décision relative au vote libre.

La présidente: Je dois vous informer qu'il vous reste sept minutes pour permettre aux députés de vous poser des questions.

Mme Day: Enfin, j'aimerais vous présenter nos recommandations. Premièrement, j'espère que vous allez recommander que l'amendement soit adopté. En fait, l'orientation sexuelle doit être incluse dans l'article relatif à l'action positive, qui figure dans le projet de loi parrainé par le sénateur Kinsella. Il y a une bonne raison à cela.

Nous pensons que le vote libre doit être révoqué.

Nous recommandons que la diversité des familles canadiennes soit reconnue et respectée par le gouvernement dans ses politiques, et nous pensons que le comité doit l'examiner comme une question relative aux droits de l'homme.

Nous devons examiner très sérieusement les principes selon lesquels nous distribuons les prestations. M. Rock a dit qu'il voulait le faire. Cela n'a pas été fait et cela mérite de l'attention.

Enfin, quand les nouveaux amendements seront proposés, il faudra consulter de nouveau les groupes voués à la recherche de l'égalité. Ces mesures sont proposées depuis cinq ans, et il faut revoir beaucoup de choses, très attentivement, avant l'adoption des amendements.

Je vous remercie.

[Français]

La présidente: Monsieur Ménard.

M. Ménard (Hochelaga - Maisonneuve): Votre confiance et votre lucidité face au système parlementaire sont très stimulantes. D'entrée de jeu, j'aimerais vous dire que je suis d'accord avec vous qu'un dossier de ce caractère devrait faire l'objet d'un vote de parti. Le Bloc québécois a voté unanimement en faveur de ce projet de loi.

J'ai déposé, il y a quelques semaines, un projet de loi visant à modifier une soixantaine de lois fédérales pour y inclure une définition homosexiste. Il s'agissait de modifier la définition de la Loi de l'impôt sur le revenu, de la Loi sur la faillite, etc.

Il y a trois choses que je souhaiterais comprendre dans votre exposé. Vous souhaitez que nous ajoutions un nouvel article s'inspirant de ce qu'a lui-même proposé le sénateur Kinsella, qui était d'ailleurs avec nous il y a quelques instants. Je ne sais pas s'il nous a quittés. Vous semblez être claire sur la nécessité d'avoir des dispositions explicites sur la promotion de certains programmes sociaux et d'éducation. J'aimerais vous entendre à nouveau là-dessus.

J'ai moins bien compris votre position là-dessus. C'est un débat que nous devrons aussi résoudre à ce comité. Doit-on ou non avoir à l'intérieur même du préambule une définition de la famille? J'ai interrogé hier le ministre. A priori, je croyais qu'il fallait ajouter une espèce d'aliéna où on aurait fait allusion aux multiples variantes de la famille, ou une expression juridique qui ferait très clairement allusion au fait que la famille est une réalité plurielle, et non une réalité univoque au sens où on l'entend traditionnellement.

J'aimerais que vous précisiez très clairement votre position là-dessus.

.1025

Quant à la nécessité de revoir les prestations et la distribution des différents avantages sociaux, dites-nous clairement la forme, l'expression juridique que cela devrait prendre dans cette loi.

Évidemment, on souscrit à ce principe. Comme je vous le disais, j'ai déposé un projet de loi qui a été défait, mais il n'en demeure pas moins qu'on sait très bien maintenant, dans l'appareil fédéral, combien il y a de lois et quelle est la portée de chacune des lois qui comportent une définition hétérosexiste. Cela comprend des réalités aussi diverses que le Code criminel, les taxes, la Loi sur la faillite, etc.

[Traduction]

Mme Day: Permettez-moi de commencer par le commencement. Si je propose que nous suivions le projet de loi du sénateur Kinsella, qui prévoit l'orientation sexuelle à l'article 16, c'est parce que le principe de l'équité en matière d'emploi, ou le principe de l'article 16, consiste essentiellement à reconnaître qu'il existe un type de discrimination qui est souvent enraciné dans les systèmes, et il faut prendre des mesures pour supprimer ce genre de discrimination enracinée.

Par conséquent, cet article ne traite pas simplement du droit individuel de porter plainte, mais plutôt des obstacles systémiques qui peuvent exister dans le domaine de l'emploi, par exemple. Il est clair que ce genre d'obstacles existe en milieu de travail au Canada en ce qui concerne l'orientation sexuelle.

M. McClelland a demandé si Statistique Canada n'allait pas commencer à faire des recensements et à compter le nombre d'homosexuels et de lesbiennes pour voir s'ils sont représentés dans la main-d'oeuvre. Je pense que cette éventualité est peu probable, car cela ne fait pas partie des revendications des lesbiennes et des homosexuels. La question ne porte pas sur la représentation dans la main-d'oeuvre, mais sur l'environnement qui existe en milieu de travail, sur les régimes de prestations et sur l'égalité d'accès à ces régimes pour les lesbiennes et les homosexuels.

Il y a des tas de mesures positives qu'on pourrait prendre dans les milieux de travail au Canada pour que les lesbiennes et les homosexuels s'y sentent mieux à leur place. Si cela était intégré à l'article 16, il deviendrait clair que des mesures de ce genre, qui favoriseraient l'éclosion d'un climat positif dans les milieux de travail, ont été incluses dans le projet de loi. Je pense que nous devrions le faire. Il me semble que le bon sens nous dit de reconnaître comment fonctionne la discrimination et ce qu'on peut faire pour la contrer.

Pour ce qui est de la deuxième question, au sujet du libellé du préambule visant à reconnaître la diversité des familles, j'y souscris entièrement. Il me semble qu'autrement, comme je l'ai dit, ce préambule serait en fait signifier qu'en parlant de famille on se réfère à la famille, hétérosexuelle, et que, par conséquent, cela contredit le contenu du présent amendement, c'est-à-dire qu'on ne reconnaît pas les formes de familles qui en fait existent au Canada. Il ne s'agit pas tout simplement de savoir s'il est question de familles homosexuelles et lesbiennes; c'est qu'il y a de nombreuses autres formes de familles. Il y a de nombreuses possibilités.

Je pense que c'est quelque chose de très important à faire. Voilà en fait un projet de loi dont l'objectif est de supprimer la discrimination, qui vise à mieux nous faire comprendre comment la discrimination se manifeste au Canada. Je pense que le préambule mérite une certaine attention.

[Français]

M. Ménard: Vous soulevez ce qui, pour moi, sera l'essentiel des débats que nous aurons. Je crois que vous êtes avocate de profession, et je vous en félicite.

Votre association s'est-elle penchée sur un libellé précis qui, selon la jurisprudence qui a été portée à votre attention ou selon l'expertise dont vous disposez à l'interne, pourrait nous mettre à l'abri de toute espèce d'interprétation restrictive?

Je sais qu'il y a deux courants de pensée. Il y a, d'un côté, ceux qui disent que lorsque l'on définit, on limite, et de l'autre, ceux qui disent que si on ne définit pas, on s'expose à ce que l'on perpétue des pratiques discriminatoires à l'avenir. Il faut trouver la bonne expression.

.1030

Avez-vous eu la possibilité de vous pencher sur cette question avec des avocats, des avocates, des gens qui connaissent peut-être un peu plus les termes qui font jurisprudence? Avez-vous une expression particulière à nous proposer?

[Traduction]

Mme Day: Je n'ai pas de libellé précis à proposer pour l'instant, mais je suis disposée à consulter d'autres personnes et à vous en fournir un très rapidement.

Nous savons que les tribunaux vont s'appuyer sur des formules comme celle-ci pour interpréter ce que recouvre ce droit, et par conséquent c'est important. C'est ici une question de définition. Elle a son importance. J'estime donc qu'il faudrait lui accorder une certaine attention et qu'il faut vraiment intégrer le principe de la diversité.

Pour ce qui est de votre troisième point, au sujet des avantages sociaux, je trouve encore là important - et il faudrait que je voie si on devrait inclure cela dans le préambule ou dans le corps de l'amendement - qu'il soit clair que cet amendement s'applique bel et bien aux avantages sociaux. Il s'y applique d'ailleurs déjà, puisque des poursuites sur ces questions sont déjà intentées devant les tribunaux, et je pense qu'il faut que nous établissions bien clairement dans l'amendement que ces avantages sociaux font partie des droits, en tant que services publics et conditions d'emploi, des lesbiennes et des homosexuelles.

[Français]

M. Ménard: Vous dites que cela fait partie des avantages sociaux.

La présidente: Monsieur Ménard, excusez-moi. Cela fait presque sept minutes et demie que vous...

M. Ménard: Mais c'est la meilleure question que j'ai jamais posée, madame la présidente!

La présidente: D'accord, allez-y, mais n'oubliez que vous me la devez.

M. Ménard: Je vous dois une Cherry Blossom. Quand vous dites que c'est déjà inclus, vous faites référence au fait que la Commission canadienne des droits de la personne a déjà accueilli des plaintes basées sur l'orientation sexuelle et que certains tribunaux du pays ont rendu des jugements qui ont forcé des employeurs, des municipalités ou des corps publics à donner des avantages sociaux à des gays et des lesbiennes qui ont vécu la discrimination. C'est pour cela que vous dites que c'est déjà inclus. J'espère que mon collègue Robinson est d'accord sur ce que je dis.

La présidente: Je vais demander à M. Robinson de vous suivre. S'il a des clarifications à apporter, il sera en mesure de le faire lui-même.

M. Ménard: Oui, c'est un avocat.

La présidente: Est-ce que je vous ai aidé?

M. Ménard: Vous m'aidez toujours, madame la présidente.

[Traduction]

La présidente: Svend, en fait je vais vous accorder la parole après.

M. Ménard: Monsieur Robinson, s'il vous plaît, aidez-moi.

M. Robinson: J'aimerais avoir des précisions sur ces deux mêmes points.

La présidente: Vous pouvez poursuivre sur ces points.

M. Robinson: C'est ce que je voulais faire, oui.

Il y a deux points sur lesquels j'aimerais obtenir des précisions.

D'abord, en ce qui a trait au préambule et à l'affirmation, le gouvernement reconnaissant et affirmant l'importance de la famille comme fondement de la société canadienne. Hier, quand le ministre de la Justice a comparu, je lui ai demandé instamment avec toute la conviction dont je suis capable, de confirmer que cette reconnaissance et cette affirmation du gouvernement incluaient les familles lesbiennes et homosexuelles. Il a décliné cette invitation. Il n'a pas dit qu'on n'incluait pas les familles homosexuelles et lesbiennes, mais il n'était pas disposé à affirmer qu'on les incluait. Je veux donc être bien clair...

La présidente: Il n'était pas disposé, si j'ai bien compris, monsieur Robinson, à définir le mot «famille», c'est tout. Il a reconnu l'existence de toutes sortes de familles. Est-ce bien...

M. Robinson: C'est ce que je souhaitais qu'il fasse, mais en fait, il ne l'a pas fait. Ce n'était pas qu'une simple question de définition. Je l'ai prié non pas de définir le mot «famille» mais simplement de dire clairement que «famille» incluait les familles homosexuelles et lesbiennes.

La présidente: Oui, c'est vrai.

M. Robinson: En fait, j'ai même fourni l'exemple qu'avait proposé la présidente, d'un couple de lesbiennes avec trois enfants, mais il n'a pas accepté ma proposition de les inclure.

Qu'on me permette donc de dire bien clairement qu'idéalement, j'estime que pour éviter toute ambiguïté, il serait souhaitable d'indiquer clairement que le mot «famille» inclut les familles homosexuelles et lesbiennes.

L'inquiétude que j'ai est aussi de nature politique, à savoir que pour l'instant c'est ouvert. Le mot «famille» n'est en aucune façon restrictif. Par exemple, certains proposent que nous y ajoutions le qualificatif de «traditionnelle». J'espère bien que mes collègues du Parti libéral rejetteront cette tentative visant à réduire la portée de la définition. Je trouverais très préoccupant qu'on ajoute cette mention.

Sinon, l'inquiétude que j'aurais, je pense, c'est que si un amendement était proposé pour dire que, oui, le mot «famille» inclut explicitement les familles homosexuelles et lesbiennes, alors qu'il pourrait être interprété de façon à inclure ce sens, et que cet amendement soit rejeté, alors les tribunaux pourraient considérer ce rejet comme un signe donné par le comité - je vois Mme Day indiquer qu'elle partage cette opinion - puisque les tribunaux vont tenir compte des travaux des comités parlementaires et du Parlement. Les tribunaux pourraient aussi, en tenant compte du rejet d'un amendement de cette nature, se dire que le Parlement avait été invité à inclure explicitement les familles homosexuelles et lesbiennes et qu'il ne l'a pas fait.

.1035

Je le signale donc. Évidemment, je reconnais entièrement que les familles devraient inclure... mais c'est là une considération éminemment politique que, j'en suis persuadé, tous les membres du comité, et notamment mon bon ami M. Ménard, doivent reconnaître comme un élément à prendre en compte.

L'autre question au sujet des avantages sociaux, si je tiens compte de l'avertissement de la présidence au sujet de ces avantages sociaux, c'était... et j'aimerais que Mme Day confirme si j'ai bien compris ce que dit la loi à ce sujet. Je ne pratique pas depuis longtemps. Dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Egan et Nesbit, je crois savoir que la majorité des juges, à 5 voix contre 4, le juge Sopinka ayant tranché, ont jugé sur cette question précise que la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle incluait la discrimination contre les couples d'homosexuels ou de lesbiennes en fonction de leurs relations. Ils ont ajouté qu'en l'occurrence, la loi contestée était discriminatoire. Il se sont appuyés sur l'article 1. J'en déduis que l'ajout de l'orientation sexuelle dans la Loi canadienne sur les droits de la personne au nombre des motifs explicites de discrimination, vous serez d'accord avec moi et avec Max Yalden, le président de la Commission, pour dire qu'un tel ajout met le fardeau de la preuve sur ceux qui tentent de justifier la discrimination ou le refus d'accorder des avantages sociaux aux conjoints de même sexe.

Mme Day: Oui, je suis d'accord, et je suis d'accord avec vous sur ce que dit la loi. Ce qui me préoccupe, c'est le message que me semblent transmettre les documents que le gouvernement a fait circuler et, bien sûr, sa façon d'agir, quand il donne à entendre que c'est une question que nous ne sommes peut-être pas vraiment prêts à aborder, d'où bien sûr le genre de décision rendue par le juge Sopinka et la Cour suprême du Canada. À mon avis, le gouvernement a tort d'agir ainsi quand il propose un amendement qui est censé assurer l'égalité aux lesbiennes et aux homosexuels au Canada. C'est ce que je tenais à dire.

J'aimerais aussi apporter une précision. Bien qu'on pense souvent que je suis avocate, je ne le suis pas.

La présidente: Je me dois, je pense, d'accorder une question au côté gouvernemental, si cela vous semble acceptable, parce que nous avons vraiment dépassé le temps qui nous était accordé.

M. MacLellan (Cap-Breton - The Sydneys): Merci beaucoup, madame la présidente.

Je souhaite la bienvenue aux témoins, et tout particulièrement à Shelagh Day. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec elle à de nombreuses reprises et de correspondre avec elle sur la question des droits de la personne. Mme Day n'est peut-être pas avocate, madame la présidente, mais on ne s'en rend pas compte, à moins qu'elle ne le précise. J'estime qu'elle est en matière de droits de la personne l'un des porte-parole les plus éloquents et les plus compétents au Canada. J'aime toujours m'entretenir avec elle, parce qu'elle connaît si bien la question et qu'elle sait l'analyser.

J'aimerais simplement revenir sur deux ou trois choses qu'a mentionnées Mme Day, D'abord, au sujet du vote libre. Au départ, comme elle, je pensais qu'il ne fallait peut-être pas recourir au vote libre, que ce n'était peut-être pas la bonne façon de s'y prendre. Toutefois, après réflexion, je dois dire que j'ai en quelque sorte changé d'idée, parce que j'estime qu'il est important que les gens puissent afficher leurs convictions. Je tiens personnellement à savoir ce que les gens pensent, ce que pensent mes collègues et la Chambre des communes. Je pense qu'un vote libre me permettra mieux que tout autre moyen de le savoir.

Pour ce qui est de la famille, comme l'ont dit M. Robinson et la présidente, le ministre n'a pas défini le mot «famille». Il ne le définira pas. La documentation peut mentionner certaines choses, mais le fait demeure que le ministre ici, à propos de ce projet de loi - qui me semble important et qui, du point de vue du droit, a certainement plus de poids que certaines publications du ministère - a effectivement dit qu'il ne va pas définir le mot «famille».

Il est important de le mentionner, parce que dans cette question de droits de la personne, d'orientation sexuelle et de discrimination, il faut faire preuve d'une certaine empathie et d'ouverture d'esprit. Je pense que Mme Day a parlé avec beaucoup d'éloquence et de justesse de l'intolérance subie dans le passé, pourtant nous n'avons pas à proprement parler de définition de l'intolérance.

.1040

Le fait est que nous devons évoluer. Je pense que la présentation de cet amendement constitue déjà un grand pas en avant. Comme on l'a mentionné, d'autres gouvernements s'y étaient déjà essayé, mais sans résultat. Ils étaient allés jusqu'à un certain point mais pas au-delà. Franchement, je pense que, dans le cas présent, les choses se sont déroulées de façon très appropriée. On a soulevé beaucoup de questions que, je pense, nous pourrons aborder et étudier, peut-être au cours de la prochaine étape, qui, selon ce qu'a dit la présidence, devrait être entamée d'ici la fin du mois.

Pour ce qui est des avantages sociaux, le ministre a aussi dit que les choses suivaient leur cours, que cet amendement n'allait pas modifier les avantages sociaux et que la loi ne serait changée en aucune manière. Les poursuites devant les tribunaux continueront, la jurisprudence continuera - comme cela s'est fait - et je pense que c'est important.

J'invite le témoin à se prononcer sur l'une ou l'autre des choses que j'ai dites, et j'aimerais aussi qu'elle place les choses dans leur contexte et nous renseigne en ce qui a trait à un certain point. C'est à propos de quelque chose qu'a dit le ministre et qui a été soulevé hier par le Parti réformiste au sujet de l'affaire Egan et Nesbit, et du fait que l'exclusion se trouvait à l'article 1 de la Charte. Il s'agit de savoir si nous voulons ou non que des questions et des affaires relatives aux avantages sociaux soient exclues par l'article 1 de la Charte ou si nous ne devrions pas aller plus loin et avoir une meilleure définition. Mme Day pourrait-elle nous dire ce qu'elle en pense?

La présidente: Certainement.

Mme Day: D'abord, merci pour vos bonnes paroles.

Je pense que le ministre a tout à fait raison de ne pas définir le mot «famille». Ce n'est pas quelque chose que nous souhaitons. En fait, en définissant le mot «famille», on laisserait certainement quelqu'un de côté, et c'est pourquoi nous n'en voulons pas.

Ce que je tiens à dire relève de tout autre chose. Ce qu'il faut, c'est clairement reconnaître qu'il existe un bon nombre de différents types de familles. Il existe diverses formes de familles.

Je pense que la difficulté que pose le libellé actuel du préambule tient au fait qu'on semble dire qu'il existe «la famille», et qu'il existe une sorte de famille que nous reconnaissons. On ne dit pas qu'il existe diverses formes de familles. Par exemple, on pourrait facilement dire que le gouvernement reconnaît et affirme l'importance de diverses formes de familles. On pourrait facilement le dire, mais cela ne signifie pas qu'il devrait y avoir une définition. Je suis tout à fait d'accord avec vous là-dessus.

Pour ce qui est de la deuxième question au sujet des avantages sociaux, je pense que nous sommes tous d'accord sur ce que dit la législation. Les questions d'avantages sociaux sont déjà couvertes.

Mais il y a une autre question. Quelle position le gouvernement prend-il face à ces poursuites devant les tribunaux? En fait, il s'oppose constamment à l'octroi d'avantages sociaux aux homosexuels et aux lesbiennes et il le fait depuis dix ans, depuis que des poursuites de ce genre ont été intentées, et nous avons obtenu le peu que nous avons réussi à obtenir jusqu'à maintenant simplement parce que les tribunaux ont dit qu'il serait discriminatoire de ne pas nous l'accorder.

C'est donc aussi une question de responsabilité gouvernementale, surtout maintenant, au moment où l'on présente cet amendement et que le gouvernement fédéral amende sa propre loi pour dire: «Bon, est-ce que cela ne modifie pas la position que nous défendons sur ces questions d'avantages sociaux?» En fait, le gouvernement devrait examiner son propre comportement devant les tribunaux en ce qui a trait à ces questions d'avantages sociaux.

Troisièmement, je pense qu'il y a vraiment tout lieu pour le gouvernement de ne pas se désintéresser de cette question des avantages sociaux et qu'il devrait plutôt l'envisager de façon responsable et approfondie et se demander si les avantages sociaux ne sont pas accordés en fonction d'éléments qui montrent que l'on semble maintenant reconnaître comment sont vraiment constituées les familles, comment les gens vivent vraiment, et quelles sont les personnes à charge que nous voulons les aider à faire vivre.

M. MacLellan: Un mot, si vous le permettez. Le problème que pose la définition de la famille, cependant, madame la présidente, c'est que dès qu'il en est question, on commence à la définir.

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La présidente: C'est discriminatoire.

M. MacLellan: On commence à la définir, et c'est là le problème. C'est le problème que pose tout qualificatif: en y recourant nous nous orientons en fait vers une définition.

Mme Day: Et le problème, c'est que nous nous orientons nous aussi vers une définition en mentionnant simplement le mot «famille»...

M. MacLellan: Non, ce n'est pas une définition.

Mme Day: ...surtout si l'on parle de «famille traditionnelle».

M. MacLellan: Oui.

Mme Day: C'est le pétrin dans lequel nous nous trouvons.

M. MacLellan: Nous ne parlons pas de «famille traditionnelle».

Mme Day: Je pense que nous pouvons régler facilement la question en parlant de «diverses formes» ou de «diversité des familles», par exemple.

La présidente: Merci. C'était un échange très éclairant et je suis sûre qu'il en sera à nouveau question au cours du débat.

Nous allons maintenant entendre un exposé très professionnel présenté au nom de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada.

Merci pour le mémoire et votre page de présentation.

M. Steve Hindle (président, Institut professionnel de la fonction publique du Canada): Nous vous avons remis une liste des témoins. Je vais les présenter, mais la liste que nous vous avons remise n'est pas bilingue. Je m'en excuse auprès du comité. Toutefois, les autres documents, l'allocution et le mémoire même sont présentés dans les deux langues officielles. Veuillez nous excuser pour cette omission.

Je tiens à vous remercier d'avoir donné à l'Institut professionnel l'occasion de vous entretenir de cette question d'orientation sexuelle, qui est d'un grand intérêt pour nos membres.

Permettez-moi également de vous présenter Hélène Paris, attachée de recherche auprès de l'institut professionnel, et Stuart Hall, président du sous-comité de l'Institut sur l'orientation sexuelle.

L'insertion de l'orientation sexuelle comme motif de discrimination illicite dans la Loi canadienne sur les droits de la personne se fait attendre depuis longtemps. La Commission canadienne des droits de la personne a réclamé cette modification. Les comités parlementaires l'ont recommandée à maintes reprises et les gouvernements fédéraux au pouvoir au cours de la dernière décennie l'ont promise. En fait, depuis 1985, sept ministres de la Justice n'ont pas su tenir leur promesse de modifier la loi pour y inclure l'orientation sexuelle.

Si les Canadiens ont pu bénéficier d'une protection accrue contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, ce n'est pas en raison d'une réforme législative, mais bien grâce aux causes qui se sont retrouvées devant les tribunaux.

L'Institut espère que le Parlement appuiera les efforts déployés pour mettre un terme à la discrimination envers les gais, les lesbiennes et les bisexuels, en leur accordant le droit d'être reconnus, protégés et de tirer avantage de la législation au même titre que les autres Canadiens. Nous croyons que le présent mémoire vous aidera à prendre une décision éclairée.

L'Institut professionnel de la fonction publique du Canada a été fondé en 1920 en vue de protéger les intérêts des fonctionnaires scientifiques et professionnels. L'un de ses buts principaux est de protéger les droits reconnus à ses membres dans les conventions collectives, les lois, la common law et les coutumes. L'Institut cherche par la représentation collective et individuelle à améliorer les conditions de travail de tous ses membres.

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L'Institut reconnaît que les gais, les lesbiennes et les bisexuels forment une minorité importante de ses membres. Il appuie une définition non discriminatoire de «conjoint de droit commun» lorsqu'une telle définition a comme conséquence de nier des avantages sociaux pour des raisons d'orientation sexuelle.

En 1990, l'Institut a réussi à négocier la suppression de l'expression «du sexe opposé» dans la définition de «conjoint de fait» figurant dans la convention collective de l'une de ses unités de négociation - les greffiers législatifs du Sénat du Canada. Cette réussite, qui fera date, assure, entre autres, aux employés qui vivent des relations homosexuelles les congés pour obligations familiales et ceux pour décès. Je souligne qu'à l'annexe A de notre mémoire figure une liste des mesures prises par l'Institut en faveur de ses membres gais, lesbiennes et bisexuels.

La présidente: Vous arrivez au bon moment, parce que c'est la question à l'étude. Je suis très heureuse que vous nous ayez fourni cela.

[Français]

Monsieur Ménard, à prime abord, cela répondra à vos questions.

[Traduction]

M. Hindle: Au cours de notre assemblée générale annuelle de 1993, les délégués ont clairement voté en faveur d'un appui réitéré aux résolutions relatives à l'équité en matière d'emploi, à la tolérance zéro face à la discrimination et aux avantages égaux pour les gais et les lesbiennes. La résolution de 1993 portant sur les avantages égaux pour les gais et les lesbiennes nous habilite à faire les présentes représentations.

L'institut professionnel appuie inlassablement les membres qui déposent des griefs en matière de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. La Commission des relations de travail dans la fonction publique a récemment entendu un grief relatif au refus opposé à un membre de l'Institut à la suite d'une demande de congé pour décès liée à la mort de son conjoint du même sexe. Un extrait de cette décision figure à l'annexe B de notre mémoire. L'arbitre a accepté le grief en expliquant clairement dans ses motifs le lien à faire entre la Loi canadienne sur les droits de la personne et les conventions collectives.

L'arbitre y précise qu'à ce titre, elle se doit d'appliquer le droit du pays aux dispositions pertinentes de la convention collective pour déterminer si celles-ci, en l'occurrence la définition de «conjoint de droit commun», respectent la loi et la jurisprudence. Elle trace les grandes lignes de ses motifs en ces termes:

Dans le cas en l'espèce, l'arbitre déterminé que la définition de «conjoint de droit commun» figurant dans la convention collective allait à l'encontre non seulement de la loi et de la jurisprudence, mais aussi d'un autre article de la convention. De fait, l'article 44 de la convention dispose qu'il ne doit pas y avoir de discrimination à l'égard d'un employé du fait de son orientation sexuelle.

L'insertion de l'orientation sexuelle comme motif de discrimination illicite dans la Loi canadienne sur les droits de la personne faciliterait la négociation d'une définition non discriminatoire de «conjoint» dans toutes nos conventions collectives. Un grief comme celui dont on a parlé deviendrait par le fait même inutile dans l'avenir.

L'autre point d'importance soulevé par l'arbitre met en lumière la primauté sur les lois fédérales de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Par exemple, la Cour suprême du Canada a reconnu que la législation en matière de droits de la personne prévaudra si une loi est muette sur un point particulier ou si elle est en conflit avec elle. De même, une loi sera déclarée inopérante si elle est discriminatoire.

Grâce à la modification de la Loi canadienne sur les droits de la personne en vue d'y inclure l'orientation sexuelle en tant que motif de discrimination illicite, on s'assurerait de la non-discrimination des lois, des politiques et des directives fédérales. Par exemple, si cette protection législative n'est pas accordée, rien n'empêchera le gouvernement fédéral d'abolir la directive qu'il a émise en 1995 pour accorder les congés liés à l'emploi à ses employés gais, lesbiennes ou bisexuels.

Les Canadiens ne devraient pas à avoir à s'en remettre aux décisions rendues par les tribunaux pour être au fait de la loi qui s'applique; ils devraient pouvoir se reporter au texte de loi lui-même. Une modification qui assurerait des droits égaux aux gais, aux lesbiennes et aux bisexuels aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne loi fournirait des directives claires aux tribunaux et éviterait des jugements contradictoires comme celui de février 1996 rendu par la Cour d'appel de l'Alberta dans Vriend c. l'Alberta et celui de la Cour d'appel de l'Ontario dans Haig and Birch c. le Canada.

.1055

L'insertion de l'orientation sexuelle comme motif de discrimination illicite permettrait aussi de mieux harmoniser la loi et la Charte canadienne des droits et libertés. L'an dernier, la Cour suprême du Canada a tranché, dans l'affaire Egan-Nesbit c. le Canada, que la Charte canadienne des droits et libertés doit se lire comme si l'orientation sexuelle était un motif de discrimination illicite. La cour a aussi déclaré que le refus de reconnaître les conjoints de même sexe était discriminatoire en vertu de l'article 15 de la Charte. La Cour a toutefois décidé de ne pas se prononcer immédiatement sur la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Selon elle, cette loi est justifiée parce que le gouvernement a le droit d'adopter une démarche étatiste pour rendre ses lois conformes à la Charte.

À la lumière de cette décision rendue par la plus haute cour de justice de notre pays, il est évident que le Parlement se doit de modifier ses lois pour les rendre conformes à la Charte et pour assurer l'égalité devant la loi de tous les Canadiens, y compris, les gais, les lesbiennes et les bisexuels. Cette décision signifie que les lois canadiennes qui ne reconnaissent pas les conjoints de même sexe sont discriminatoires et susceptibles de contestation judiciaire.

Il reste à savoir si le Parlement reconnaîtra le droit des gais, des lesbiennes et des bisexuels à l'égalité ou s'il choisira de dépenser des millions de dollars appartenant aux contribuables pour défendre des lois injustes. Le Parlement prendra ses responsabilités en éliminant toute discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ou les tribunaux continueront de façon ponctuelle de rendre inopérantes les lois discriminatoires. La deuxième option ne peut être retenue qu'à grands frais pour les gouvernements, les entreprises, les commissions des droits de la personne, les gais, les lesbiennes, les bisexuels et les organismes, comme le nôtre, qui défendent les droits de ces trois derniers groupes.

Le fait de modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne pour y inclure l'orientation sexuelle démontrerait sans équivoque que la société canadienne ne tolère pas la discrimination à l'encontre d'un groupe de personnes en particulier.. La société canadienne s'efforce de reconnaître comme il se doit tous ceux qui lui apportent leur contribution. Nous sommes fiers de nous dire citoyens d'un pays tolérant et juste et, malgré tout, les croyances personnelles justifient à nos yeux la discrimination envers les autres. Nous ne tentons pas de promouvoir un mode de vie particulier, mais bien plutôt d'assurer la protection de tous les Canadiens sans différenciation.

À la Conférence mondiale des Nations Unies sur les droits de la personne en 1993, le Canada s'est fait le défenseur d'une protection internationale pour les gais, les lesbiennes et les bisexuels. De fait, le Canada accorde le statut de réfugié et un lieu d'asile aux personnes persécutées pour avoir été perçue comme gais, lesbiennes ou bisexuels. Citoyenneté et Immigration Canada a donné comme directive à ses missions à l'étranger d'évaluer sur le fond les demandes de parrainage de conjoint de même sexe et, si une relation stable existe, d'accorder un visa d'ordre humanitaire ou de compassion. Pourtant, le Canada ne fournit pas à ses propres citoyens gais, lesbiennes ou bisexuels les mêmes droits qu'aux hétérosexuels. En ne mettant pas un terme à la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, le Canada prouve qu'il a deux poids deux mesures: une règle appliquée à l'extérieur de ses frontières, l'autre à ses propres citoyens.

L'an dernier, le gouvernement libéral a modifié le Code criminel en vue de protéger les droits des citoyens sans égard à leur orientation sexuelle. Cette notion sera bientôt un facteur reconnu dans l'imposition de la peine pour crimes haineux. Le gouvernement a promis, dans son discours du Trône de 1994, de modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne pour y inclure l'orientation sexuelle. Le ministre de la Justice a promis, à maintes reprises, d'apporter cette modification. Tout récemment, le premier ministre Jean Chrétien a promis de déposer, avant les prochaines élections, un projet de loi pour interdire la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Il est grand temps que le Parlement respecte ses promesses et modifie la loi pour y inclure l'orientation sexuelle.

L'Institut professionnel appuie fermement le projet de loi C-33 tel que présenté. La modification proposée ne fournira pas aux gais, aux lesbiennes et aux bisexuels des privilèges spéciaux, mais bien plutôt une protection législative contre toute discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Elle leur permettra donc de se prévaloir des mêmes mesures de réparation dont disposent tous les autres Canadiens. La modification proposée reconnaît purement et simplement que les gais, les lesbiennes et les bisexuels ne méritent pas de se faire harceler, de faire l'objet d'une discrimination ou d'être privés des avantages liés à un emploi en raison de leur orientation sexuelle. C'est, somme toute, une question de reconnaissance, d'équité, de droits de la personne et d'égalité.

Merci.

Peut-être qu'avant que nous ne passions aux questions, madame la présidente, Stuart Hall pourrait dire quelques mots.

M. Stuart Hall (président, Sous-comité de l'orientation sexuelle, Institut professionnel de la fonction publique du Canada): Merci. Je voudrais simplement ajouter quelques mots à propos du vote libre.

À titre de syndicat fédéral, nous représentons des fonctionnaires fédéraux. Nous estimons donc que ce projet de loi est très important pour nous dans un sens très pratique. Ce qui nous inquiète, c'est ce qui risque de se produire si ce projet de loi n'est pas adopté. Qu'est-ce que cela signifie pour nous qui sommes tenus de représenter équitablement nos membres gais et lesbiennes? Certes, les tribunaux devront réexaminer la question et réinterpréter les choses si le Parlement rejetait cet amendement.

.1100

Les tribunaux ont déclaré qu'il était inacceptable de ne pas inclure l'orientation sexuelle dans la Loi sur les droits de la personne, qui découle de l'article 15 de la Charte. Si le Parlement n'adopte pas ce projet de loi, cela doit-il signifier pour les tribunaux qu'ils se sont trompés dans leur interprétation de la Charte, qu'il n'est en fait pas nécessaire de protéger les gais et les lesbiennes dans la Loi sur les droits de la personne?

D'après moi, l'alternative est la suivante: soit les gais et les lesbiennes sont protégés au sein de la fonction publique fédérale, soit ils ne le sont pas. Il est donc essentiel que ce projet de loi soit adopté.

La présidente: Merci.

Madame Paris, voulez-vous dire quelque chose? Merci.

[Français]

C'est maintenant au tour de M. Bernier. Allez-y.

M. Bernier: Je remercie les représentants de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada d'être venus témoigner. Comme ils l'ont mentionné, ils sont intéressés au premier chef par ce projet de loi puisqu'il concerne de façon très particulière les institutions fédérales.

Vous êtes les mieux placés pour nous dire quelle est actuellement la situation dans la fonction publique fédérale en regard de la discrimination faites aux gays et lesbiennes.

Quel genre de plaintes recevez-vous actuellement? Quelle est la réalité?

[Traduction]

M. Hindle: La réalité est que la fonction publique fédérale est un milieu de travail très divers et que la façon dont on est traité au travail dépend beaucoup de l'endroit où on travaille et des gens avec qui on travaille. Il y a beaucoup de fonctionnaires fédéraux qui comprennent le problème et qui non seulement tolèrent la situation mais encore la jugent parfaitement acceptable. L'orientation sexuelle de leurs collègues de travail leur importe peu.

Malheureusement, il y a toujours des gens à la fonction publique qui interprètent une convention collective au sens littéral - qui s'attachent littéralement aux mots - et, que ce soit intentionnel ou non, qui utiliseront des pratiques discriminatoires en refusant un congé de décès à quelqu'un dont le partenaire vient de mourir. Cela se produit malheureusement, même si le Conseil du Trésor a émis une directive l'année dernière, demandant aux ministères d'appliquer les conventions comme si «du sexe opposé» ne figurait pas dans la définition de «conjoint de fait».

C'est donc encore très inégal. La situation s'est améliorée mais nous aimerions que toute la question soit réglée dans nos conventions collectives et que le milieu de travail devienne beaucoup plus...

[Français]

M. Bernier: J'aimerais que vous nous disiez s'il existe actuellement des individus qui se sont vu refuser de l'avancement, qui ont été congédiés ou qui se sont vu refuser un emploi à cause de leur orientation sexuelle.

J'aimerais que vous identifiiez les ministères ou agences avec lesquels vous éprouvez des difficultés particulières en regard de la discrimination.

[Traduction]

M. Hall: Je sais qu'un certain nombre de griefs ont été présentés. Un en particulier par quelqu'un qui faisait partie d'une équipe d'environ dix personnes et qui a été la seule personne mise à pied lorsqu'il y a eu des compressions de personnel. Il avait eu d'excellentes évaluations de rendement tout au long de sa carrière dans ce service. Il a du courrier électronique homophobe que lui a adressé son supérieur, qui a pris la décision de le mettre à pied. Il a fait un grief. C'est donc une question qui est tout à fait d'actualité pour nous.

[Français]

M. Bernier: De quel ministère s'agit-il?

[Traduction]

M. Hall: Le grief ne concerne pas l'IPFP mais l'Alliance de la fonction publique. Je crois qu'il s'agissait du ministère des Transports.

M. Hindle: Quant à votre autre question à propos des ministères qui sont pires que les autres, c'est difficile à dire. On pourrait dire plutôt que dans certaines parties de certains ministères, c'est pire qu'ailleurs, et ce n'est pas tellement le ministère lui-même qu'il faut pointer du doigt mais plutôt les gens qui travaillent là, qu'il s'agisse de gestionnaires, de superviseurs ou d'autres employés.

.1105

C'est là que commence la discrimination - dans les unités de travail, dans les relations quotidiennes, dans la façon dont sont traités les gens. Si vous vous trouvez dans un milieu de travail où les gens sont très compréhensifs et se moquent pas mal que vous soyez hétérosexuel, gai ou lesbienne, tout ce qui leur importe c'est la façon dont vous faites votre travail et dont vous vous comportez vis-à-vis d'eux... Il me serait donc difficile de féliciter ou de critiquer un ministère en particulier.

[Français]

M. Bernier: Mon intention n'est pas d'entreprendre une chasse aux sorcières contre un ministère en particulier ou contre des gestionnaires de la fonction publique. Cependant, vous comprendrez que tous les membres du comité sont intéressés à connaître la situation réelle vécue actuellement et celle qui sera vécue après l'adoption de ce projet de loi. Que se passe-t-il vraiment dans les ministères et agences du gouvernement fédéral? Nous aimerions que vous nous informiez régulièrement de cette situation, aujourd'hui et à l'avenir.

[Traduction]

M. Hindle: S'il devient évident qu'un ministère ou une division spéciale d'un ministère semble pire que les autres, il est évident que puisque vous nous y invitez, nous vous le signalerons.

La présidente: Monsieur Robinson.

M. Robinson: Je tiens tout d'abord à remercier beaucoup les témoins de leur exposé et à leur dire que j'apprécie beaucoup l'appui qu'ils ont apporté à leurs employés sur la colline du Parlement. Comme le sait probablement M. Hindle, j'ai présenté à la Commission canadienne des droits de la personne une plainte de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle pour le compte d'employés de la Bibliothèque du Parlement, de la Chambre des communes et du Sénat. Je voulais simplement déclarer publiquement que l'Institut professionnel a toujours appuyé ses employés. D'ailleurs, tous les syndicats représentés sur la colline du Parlement, y compris celui qui représente les gardes de sécurité, appuient sans réserve leurs membres gais et lesbiennes. Je vous remercie de l'exemple que vous donnez.

J'aurais une ou deux questions à vous poser suite aux questions de mon ami M. Bernier. Tout d'abord, à propos des avantages sociaux. On ne semble pas trop certain que l'inclusion des termes «orientation sexuelle» dans la Loi canadienne sur les droits de la personne facilitera en fait à vos membres et aux autres fonctionnaires fédéraux gais et lesbiennes l'accès aux avantages sociaux. Ce que vous êtes en train de dire au comité, si je vous ai bien compris, c'est que la réponse est sans équivoque affirmative, que l'inclusion déjà implicite d'orientation sexuelle suite à la décision de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Haig et Birch a facilité la reconnaissance du droit aux avantages sociaux de vos membres. Est-ce bien cela?

M. Hindle: C'est tout à fait cela. Nous nous sommes heurtés à une certaine résistance à la table des négociations lorsque nous avons voulu donner une définition non discriminatoire de conjoint de fait. C'est normalement la façon dont nous nous y prendrions pour éliminer la discrimination dans les conventions collectives.

Le message qui nous vient d'en face, des fonctionnaires du Conseil du Trésor, est qu'il s'agit là d'une décision politique; ils attendent des ordres, ils ne veulent pas se prononcer. Quelqu'un de plus haut placé que les gestionnaires et les négociateurs du Conseil du Trésor doit décider que c'est la façon dont nous procéderons.

M. Robinson: Afin que les choses soient très claires, je dirai qu'il y a des gens, même parmi ceux qui appuient le projet de loi, qui affirment que cela ne permettra pas d'élargir les avantages sociaux. Vous négociez au nom de fonctionnaires et vous dites au comité que cela vous aidera à négocier des avantages et à reconnaître les différentes formes de relations de vos employés et que cela vous a d'ailleurs déjà aidé.

L'autre problème, c'est qu'avec les décisions contradictoires de la Cour d'appel de l'Alberta dans l'affaire Vriend et de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Haig et Birch... et je vous signale une erreur dans le mémoire. Vous dites que la décision Haig et Birch a été négative; elle a en fait été positive. C'est à la page 5 de votre mémoire.

La présidente: J'ai vu cela; je viens de le lire.

M. Robinson: Je voulais simplement le signaler.

En tout cas, on peut espérer mais il n'est pas certain, tant qu'il n'y aura pas de loi du Parlement, que la Loi canadienne des droits de la personne inclura l'orientation sexuelle. En ajoutant cela, nous allons faciliter une reconnaissance plus large de l'égalité dont doivent jouir vos membres gais et lesbiennes, n'est-ce pas?

M. Hindle: C'est exact et c'est exactement cela - il s'agit d'une reconnaissance plus large. Il ne s'agit pas de négocier de nouveaux avantages. Ce sont des avantages auxquels ils devraient avoir droit et auxquels, à notre avis, ils ont droit. Dans un certain nombre de cas, ils cotisent déjà au régime sans obtenir les mêmes avantages que les hétérosexuels.

.1110

M. Robinson: Sans ces mots, qu'il s'agisse du libellé actuel tel qu'interprété par les tribunaux ou de l'ajout de ces mots grâce au projet de loi, vous risqueriez de ne pas avoir suffisamment d'arguments devant un tribunal d'arbitrage. N'est-ce pas?

M. Hindle: Ce serait en effet plus difficile.

La présidente: J'aimerais un éclaircissement. Si l'on inclut les termes «orientation sexuelle» à l'article 2 du projet de loi tel qu'il est actuellement libellé, cela permettra de clarifier toutes les zones grises actuellement en négociation. Est-ce exact?

M. Hindle: Oui. Cela clarifierait quelque chose qui est actuellement très ambigu.

La présidente: Merci beaucoup.

M. Robinson: Une dernière question. À propos de la primauté, vous soulevez une question importante. J'ai interrogé le ministre hier à ce sujet. Vous dites que la Cour suprême du Canada a reconnu que la loi sur les droits de la personne prévaudra. Je me demandais si vous pourriez aider le comité à ce sujet. Savez-vous de quelle décision il s'agissait?

M. Hall: Je suis désolé. Quelle est la référence?

M. Robinson: À la page 4 de votre mémoire, vous déclarez que la Cour suprême du Canada a reconnu que la loi sur les droits de la personne prévaudra lorsqu'une autre loi ne précise pas les choses ou contredit la loi sur les droits sur la personne.

Je me demandais si vous pouviez nous donner immédiatement cette référence.

M. Hindle: Je crois qu'en fait, vous trouverez cela dans un certain nombre de jugements. Le plus récent serait celui qui a été rendu dans l'affaire Yarrow par la Commission des relations de travail dans la fonction publique; il s'agit du grief dont nous parlons dans notre mémoire et dont nous avons cité un extrait. Je crois que cela se trouve à l'annexe B du mémoire.

M. Hall: Il y a un autre cas. J'oublie le nom mais je vais le retrouver.

M. Robinson: Pourriez-vous le donner au greffier du comité?

La présidente: Mme Paris a cette citation ici.

Mme Hélène Paris (attachée de recherche, Institut professionnel de la fonction publique du Canada): C'est simplement parce que c'est à l'annexe B. C'est un extrait de la décision Yarrow.

M. Hindle: Mais il y a une autre décision. M. Hall a dit qu'il fournirait la référence au comité pour cet après-midi.

M. MacLellan: J'ai simplement une question. En réponse à M. Robinson, M. Hindle a dit que cela permettrait de clarifier certaines zones grises. Je me demandais si vous aviez quelques exemples à nous donner de ces zones grises.

M. Hindle: Cela préciserait que l'orientation sexuelle est un motif interdit de discrimination. Il ne serait plus nécessaire d'interpréter la loi de cette façon. Ce serait précisé clairement. On pourrait alors juger si les actes ou les décisions en milieu de travail sont ou non discriminatoires de ce point de vue.

M. Kirkby (Prince Albert - Churchill River): Que l'on interprète la loi sur les droits de la personne comme incluant «orientation sexuelle» ou qu'on l'ajoute de façon explicite ces mots, le résultat sera le même devant les tribunaux. Les tribunaux prendront les mêmes décisions. N'est-ce pas?

M. Hindle: Le résultat serait le même mais quelqu'un qui consulterait de la loi sans être au courant des décisions des tribunaux ne le saurait pas.

M. Kirkby: Vous êtes donc en train de dire qu'il est important que ces mots soient explicitement inclus dans la loi pour que tout le monde soit au courant mais que cela ne changera pas les droits ni les décisions des tribunaux.

M. Hindle: Cela a en fait deux avantages. C'est important pour informer la population, comme vous le dites - extrêmement important. Mais c'est également pour le Parlement l'occasion de déclarer explicitement que cela doit être inclus et de ne pas s'en remettre à l'interprétation des tribunaux.

.1115

La présidente: Monsieur McClelland, avez-vous une question?

M. McClelland: Non, madame la présidente, mais je vous remercie. Je prie les témoins et les membres du comité de m'excuser d'avoir été absent.

La présidente: Merci de cette excellente documentation. Je sais que ce sera utile au comité. Merci beaucoup de votre exposé.

Les témoins suivants voudraient-ils s'approcher? Il s'agit de la Société canadienne du sida...

Monsieur Armstrong, auriez-vous la bonté de céder votre tour à M. Ford, le chef de la police d'Ottawa? Nous sommes en retard et il a un autre rendez-vous. Je ne sais pas quel est votre programme. Avez-vous le temps d'attendre encore 20 minutes ou une demi-heure.

M. Russell Armstrong (directeur général, Société canadienne du sida): Je sais qu'il est difficile d'obtenir que les chefs de police parlent de cette question. Je ne suis pas convaincu que ses obligations soient plus importantes que les miennes, mais...

La présidente: Je n'ai pas dit que c'était plus important. Je vous ai simplement demandé si cela vous était possible.

M. Armstrong: Je lui céderai mon tour pour qu'il fasse son exposé.

La présidente: Je vous remercie beaucoup. Ce n'est pas du tout une question d'importance, juste de disponibilité.

Merci. Chef Ford, voulez-vous commencer et nous présenter les gens qui vous accompagnent?

Chef Brian J. Ford (Service de la police régionale d'Ottawa-Carleton): Tout d'abord, permettez-moi de vous remercier, madame la présidente, de nous permettre de comparaître aujourd'hui devant votre comité. Nous apprécions beaucoup ce geste. Je veux aussi remercierM. Armstong.

La présidente: C'est lui qu'il faut remercier tout d'abord.

Le chef Ford: Le Service de police régionale d'Ottawa-Carleton vous remercie de lui permettre de vous soumettre un mémoire au sujet du projet de loi C-33, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne.

.1120

Je suis aujourd'hui avec deux de mes agents du Service de police régionale d'Ottawa-Carleton, le sergent Dan Dunlop, qui a présidé à la création de la Section des crimes tendancieux en 1992 et qui est actuellement détaché au Centre canadien pour les relations interraciales de la police, et le sergent Bruce Watts, qui est actuellement responsable de la Section des crimes tendancieux. À ce titre, il participe très activement aux enquêtes sur les crimes haineux et il fournit des informations au sujet de leurs effets.

Mes propos porteront sur le problème de la haine et de la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Mon service et moi-même appuyons en effet l'amendement proposé à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Interdire la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle correspond aux pratiques que nous avons adoptées au Service de police régionale d'Ottawa-Carleton. En fait, je crois fermement que cet amendement aidera non seulement notre service mais également les services de police de tout le pays à lutter contre la discrimination, l'intolérance et la haine qui contribuent à la criminalité dans notre société.

En particulier, pour ce qui est de la police, nous nous efforçons de dénoncer toute intolérance et tout sectarisme. En tant que leaders communautaires et de personnes ayant un rôle de modèles, les policiers tiennent absolument à lutter contre le crime et l'escalade du crime dans notre région.

Jusqu'à récemment, les réactions aux crimes haineux et tendancieux, dont nous avons chaque jour des exemples dans tout le pays, ne venaient pas des procureurs de la Couronne, du gouvernement ou, même de la police au Canada. Elles venaient plutôt initialement des communautés les plus touchées.

C'est en effet la population visée qui est le mieux placée pour connaître la fréquence et la gravité des problèmes de violence, de vandalisme et de harcèlement.

Il y a encore cinq ans, il n'était pas du tout inhabituel pour la police de considérer que les crimes haineux n'existaient pas parce qu'ils n'étaient pas prévus au Code criminel. Les services de police et les administrations de tout le pays ont maintenant reconnu que l'on peut faire l'objet de crimes haineux ou tendancieux à cause de son orientation, qu'elle soit réelle ou imaginaire. Il y a un certain nombre d'exemples ici même à Ottawa que je pourrais vous citer de personnes qui ont été la cible d'un crime pour cause d'orientation sexuelle, réelle ou non.

Un jeune homme a été balancé du pont entre Ottawa et Hull parce que ceux qui ont commis ce crime ont cru qu'il était gai. En fait, il ne l'était pas, mais c'est un excellent exemple du genre et de la gravité des crimes dont nous parlons. Il y a des crimes moins graves qui consistent à endommager ce qui appartient à autrui. Il y a des tas d'exemples. Je vous ai donné celui-ci parce que c'est le plus flagrant que nous ayons connu ici à Ottawa-Carleton.

On sait aussi que le nombre de crimes haineux connus au Canada ne représente qu'une petite fraction du nombre d'incidents qui se produisent réellement. Il n'est pas surprenant que ce soit simplement ces dernières années que la police est passée de méthodes réactives à des méthodes plus interactives pour tenter de lutter contre le crime. Les partenariats avec les communautés concernées ont mis le service de police régionale d'Ottawa-Carleton à l'avant-garde de la solution à apporter au problème des crimes haineux et tendancieux au Canada.

Le message est clair. Les villes peuvent investir maintenant pour prévenir le crime ou payer plus tard.

Certains, dans notre société, sont victimes de crimes simplement parce qu'ils sont la cible de la haine. Certains haïssent les gais, les juifs, les personnes handicapées, les minorités visibles et les femmes, et ils concrétisent cette haine dans des actes criminels. Les groupes organisés manifestent leur haine dans leurs discours et leurs actes.

La police d'Ottawa-Carleton juge que les crimes haineux font mal à tout le monde. Comme l'intolérance et la discrimination. Outre la victime, le crime haineux et la discrimination touchent directement l'ensemble du groupe ciblé et la société en général. Le crime haineux et la discrimination ne se produisent pas en vase clos.

Aussi, les crimes haineux sont-ils les plus faciles à prévenir. La haine et la discrimination sont, à mon avis, des comportements appris qui peuvent, je crois, être éliminés par l'information et par des règles sociales strictes interdisant les préjugés, l'intolérance et la discrimination.

Nous savons que si les autorités locales ne font rien contre les crimes haineux, les problèmes continueront, les dommages commenceront et il n'y aura pas de solution.

Il est temps que nos institutions s'inquiètent de la violence et de la discrimination à l'égard des gais.

Pourquoi les gais et les lesbiennes sont-ils des cibles? D'après un chercheur américain, c'est parce qu'ils sont loin d'être membres à part entière de la société. Malgré la discrimination assez répandue contre les gais et les lesbiennes en matière d'emploi et de logement, seuls quelques États, et dans notre cas beaucoup de provinces, ont des lois sur les droits civils pour interdire cette discrimination. Les homosexuels peuvent facilement faire l'objet de discrimination. Sachant que les gais et les lesbiennes sont des parias, ceux qui les attaquent ont l'impression d'agir au nom de la société en les punissant pour un comportement qui en fait des parias.

.1125

La Section des crimes tendancieux du Service de police régionale d'Ottawa-Carleton a été créée en 1992 lorsque la police, de concert avec des citoyens de la région, a décidé de prendre des mesures sévères et efficaces pour lutter contre le problème du crime haineux dans la capitale nationale. Cette section a un mandat qui comporte trois éléments distincts: enquête, éducation et renseignements.

Entre janvier 1993 et décembre 1994, la Section des crimes tendancieux a été saisie de 387 cas, dont 346 infractions et 105 inculpations. En 1995, la Section a traité 230...

La présidente: Je suppose que vous voulez dire infractions criminelles.

Le chef Ford: Oui, j'ai dit «infractions criminelles».

La présidente: Je voulais que ce soit bien clair.

Le chef Ford: Oui, 346 infractions criminelles et 148 inculpations sur ces 346 infractions criminelles.

En 1995, la section a traité 238 cas, dont 188 étaient des infractions criminelles qui ont mené à 63 inculpations. Il est intéressant de noter que 29 de ces cas portaient sur l'orientation sexuelle.

Le comité de liaison de la police d'Ottawa-Carleton pour les lesbiennes-gais, bisexuels et transsexuels et la section du crime tendancieux ont applaudi, et j'ajouterai fortement appuyé, les dispositions sur le crime haineux contenues dans le projet de loi C-41.

Pour le moment, les représentants des citoyens et la police s'inquiètent beaucoup de ce que l'on ne rapporte pas beaucoup d'incidents tendancieux. Beaucoup de crimes motivés par la haine ne sont pas rapportés à la police parce que les victimes ont peur. Quelle que soit la victime, cela refroidit toujours la communauté ciblée.

Si les leaders communautaires peuvent donner l'exemple en fixant certaines normes, celles-ci seront respectées par la population. Une communauté qui dénonce le sectarisme sera moins dangereuse pour ceux qui sont attaqués par des gens sectaires et ne les accueillera pas aussi bien. La création de la section des crimes tendancieux a permis de dénoncer beaucoup de crimes haineux. Cela a donné l'occasion à des leaders communautaires comme le maire, les policiers et certains responsables de condamner la haine.

L'ancien procureur général des États-Unis Richard Thornburgh a déclaré un jour:

Une réaction ferme et dynamique de la police face aux crimes haineux dirigés contre les gais et les lesbiennes permet d'atteindre deux objectifs très précis. D'une part, faire comprendre aux gens que les citoyens gais et lesbiennes sont des éléments précieux de notre société. D'autre part, dire aux gais et aux lesbiennes qu'ils doivent rapporter tout incident et que ceux-ci seront pris au sérieux.

Le plus gros obstacle auquel font face les communautés visées par les crimes haineux et tendancieux est l'intolérance. Beaucoup, sinon la plupart, des victimes ne rapportent pas les incidents, par crainte d'être mal traitées par les hôpitaux, la police et les tribunaux. Si les institutions et les organisations locales montrent davantage que la situation les préoccupe, elles contribueront à freiner le cycle de la violence, du harcèlement et de la discrimination inspiré par la haine.

En conclusion, je dirai que, jusqu'en 1989, Ottawa avait à peu près évité la réalité de la violence contre les gais et les lesbiennes. Si l'expérience récente nous a appris quelque chose, c'est que les prestataires de services et les groupes locaux nécessitant ces services doivent constamment se consulter, échanger des idées et s'informer. La sécurité dans les rues, dans les parcs et dans les maisons profite à tout le monde. La discrimination, l'intolérance et la haine doivent être condamnées. Nous protégeons tous les citoyens tous les jours, quelle que soit leur orientation sexuelle.

La présidente: Merci. Je veux simplement vous signaler qu'alors que j'étais ministre du Multiculturalisme, j'ai constaté que vous aviez une très bonne réputation. Nous avons été très heureux de travailler avec vous dans le cadre des initiatives sur les relations raciales que nous avons prises, et vous êtes certainement une des sections qui réussit le mieux. Je tenais à vous le dire. Publiquement.

Le chef Ford: Merci.

.1130

[Français]

M. Ménard: C'est certainement un témoignage très apprécié par les membres de ce comité. Je suis député d'Hochelaga - Maisonneuve, une circonscription de l'est de Montréal contiguë au village gai. Imaginez-vous qu'il y a actuellement à Montréal un projet de formation reconnu par la SPCUM. Les policiers reçoivent maintenant des cours de sociologie, de psychologie et de statistiques. Il reçoivent une formation assez complète et assez intéressante.

Dans le passé, on n'abordait aucunement la question de la réalité homosexuelle. L'initiative est celle d'un policier, M. Sarrazin. À Montréal, depuis deux ans, on donne aux policiers une formation afin de les sensibiliser à la réalité homosexuelle dans l'exercice de leurs fonctions.

Je sais que vous avez créé une unité sur les crimes haineux. Comment en êtes-vous venus à acquérir cette sensibilité que vous avez vous-mêmes? Vous semblez très ouverts à la réalité homosexuelle. Avez-vous poussé votre sensibilité jusqu'à vous interroger sur la formation? Autour de la table, on est tous d'accord pour dire que l'une des façons d'enrayer l'intolérance est de donner de l'information. La façon privilégiée de donner de l'information est d'intervenir dans les processus d'éducation et de formation.

Comment faut-il dispenser la formation aux policiers, lesquels ont un rôle très particulier, parmi ceux qui sont investis de l'autorité, pour enrayer l'intolérance?

[Traduction]

Le chef Ford: Avant de demander au sergent Watts, qui s'occupe de cela, de répondre, je dois dire que je suis favorable à la formation et à la sensibilisation nécessaires des policiers. Cela entre dans notre mandat.

Je vais maintenant laisser le sergent Watts répondre.

Sergent suppléant Bruce Watts (Section du crime tendancieux, Service de la police régionale d'Ottawa-Carleton): L'éducation est certainement l'un des éléments clé qui permet à nos agents de devenir plus efficaces au service de la population. N'oubliez pas qu'ils sont eux-mêmes issus de cette population et qu'ils peuvent avoir les mêmes préjugés et les mêmes conceptions erronées que cette population. Il est donc essentiel que nous les aidions dans cette formation afin qu'ils puissent mieux servir l'ensemble de la collectivité.

[Français]

M. Ménard: Vous avez dit quelque chose de très intéressant. Vous avez dit qu'avant l'adoption du projet de loi C-64, qui institue le concept de «crime haineux» dans le Code criminel, comme le revendiquaient un certain nombre de groupes dans la société, dont la communauté gaie, la police considérait qu'il n'y avait pas de crimes haineux. Je ne sais pas si l'interprétation vous a été fidèle, mais j'ai retenu de ce que vous avez dit que la police considérait qu'il n'y avait pas de crimes haineux parce que les crimes haineux n'existaient pas dans le Code criminel.

La présidente: Que veut dire «crime haineux»?

M. Ménard: Hate crimes.

La présidente: Ah! haineux.

M. Ménard: Donc, vous nous invitez à constater aujourd'hui que pendant une longue période, sur le plan des corps policiers comme sur le plan statistique, nous avons sous-évalué l'ampleur de cette réalité-là.

C'est pour cela qu'à toutes fins pratiques, aujourd'hui, certaines personnes ont l'impression qu'il n'y a pas de violence caractérisée à l'endroit des gays. Certains de nos collègues en Chambre - vous me permettrez, au nom de la charité chrétienne, de tenir leurs noms secret - se plaisent à dire que la violence est uniformément généralisée et qu'elle affecte également tous les groupes de la société.

Si j'ai bien compris votre témoignage, vous nous invitez à considérer qu'il y a des types de violence très particuliers, que tous ne subissent pas le même coefficient de violence et qu'il existe une violence très spécifique et très caractérisée à l'endroit des gays.

[Traduction]

Le chef Ford: Absolument. Il existe manifestement une violence contre les gais et les lesbiennes à cause de leur orientation sexuelle, ou dans certains cas, comme dans le cas que j'ai signalé, à cause de l'orientation sexuelle qu'on leur prête.

Il y de nombreux cas où des victimes sont choisies parce qu'elles sont gaies, puis elles font l'objet d'actes de violence. Quelqu'un leur vole leur sac et, par la suite, pénètre dans leur domicile pour les agresser, comme dans le cas de ces deux partenaires masculins, qui ont failli en mourir.

.1135

Des femmes son également désignées comme victimes parce qu'elles sont des femmes. D'autres individus le sont parce qu'ils sont membres de minorités visibles ou parce qu'ils sont noirs.

Je vais laisser le sergent Dunlop vous donner des précisions, car il s'occupe de ce dossier.

Sergent Dan Dunlop (Centre canadien pour les relations interraciales de la police, Service régional de la police d'Ottawa-Carleton): Tout d'abord, actuellement, les crimes haineux ne sont considérés qu'au niveau régional. Les services de police sont, avec quelques groupes communautaires, les seuls organismes qui compilent des statistiques sur les crimes haineux et les crimes dus à des préjugés.

Encore une fois, il s'agit d'une situation régionale, et compte tenu de la façon dont les rapports sont comptabilisés au niveau régional, il est très difficile de déterminer la motivation de l'auteur du crime à partir des rapports qui nous sont soumis. Nous pouvons vous dire combien il y a eu d'agressions, de meurtres et de vols au cours d'une année, mais il est très difficile de savoir combien de ces crimes sont dus à un préjugé concernant la race, la religion, l'origine ethnique ou l'orientation sexuelle, à moins que l'information n'ait été recueillie par le policier chargé d'intervenir. Voilà l'un des problèmes auxquels nous faisons face.

Jusqu'à maintenant, il n'y a jamais eu de compilation des données statistiques au niveau national. Julian Roberts, de l'Université d'Ottawa, vient de publier un rapport sur les crimes haineux au Canada et sur la façon dont ces crimes sont traités; l'une de ses principales recommandations est la constitution d'une base de données nationale pour recueillir toutes les statistiques pertinentes.

[Français]

M. Ménard: Quelque chose me fait extrêmement plaisir. Il y a quelques semaines, à la demande de certains groupes communautaires, je suis allé donner une conférence et j'ai constaté qu'à Montréal, dans certains postes de police que je fréquente à l'occasion, toujours sur invitation, il y a des policiers qui se définissent maintenant ouvertement comme des gays. Pour moi, c'est un signe de grand progrès dans une société où le milieu policier, à un certain moment - excusez-moi, car je sais que ce n'est sûrement pas le cas chez vous - , avait la réputation d'être un peu macho. Je sais que tout cela change et que nous sommes maintenant en présence d'une nouvelle génération de policiers qui sont formés et qui ont une sensibilité extrêmement grande.

Ma question est indiscrète, mais je la pose quand même. Avez-vous, dans vos services, des gens qui se définissent ouvertement comme gays et êtes-vous d'accord avec moi que le jour où cela se fera dans des endroits comme le milieu policier, nous serons vraiment dans une société qui aura accompli de très grands pas, ce dont nous aurons tout lieu de nous réjouir de part et d'autre?

[Traduction]

La présidente: Cela dépend de la façon dont vous définissez le terme «macho». J'ai vu des hommes qui se déclarent gais se livrer à des activités «macho».

Le chef Ford: Nous avons quelques agents qui se sont dits ouvertement gais ou lesbiennes, et, de notre point de vue, il est important de soutenir ce genre d'initiative pour permettre aux gens d'affirmer leur orientation sexuelle. L'un d'entre eux vient d'être promu au sein de notre service.

Notre service de police doit être ouvert aux différences, car après tout, c'est la seule façon, à mon avis, d'intervenir auprès d'une communauté caractérisée par la différence. Les gens de la communauté viennent d'horizons très divers, et si nous voulons nous intégrer à cette communauté...

À mon avis, la police et les citoyens ne font qu'un. Nous faisons partie de la communauté. Nous ne pouvons pas faire le travail à nous seuls, et il ne faut pas qu'une partie de la communauté ait l'impression d'être isolée par rapport aux services que nous assurons. Chacun doit avoir un sentiment d'appartenance à la communauté. Par conséquent, nous devons également en faire intégralement partie. Il faut que notre organisme soit le reflet de la communauté.

M. Ménard: Bravo!

La présidente: Puis-je vous poser une brève question? Pouvez-vous nous assurer que vos opinions, vos principes et vos politiques vont perdurer à la fin de votre mandat?

Le chef Ford: Oui, ils vont perdurer, car nous les intégrons dans les procédures établies par le conseil des commissaires, et à la fin de mon mandat, nous en serons sans doute directement responsables. Par ailleurs, les mêmes principes sont intégrés dans la formation continue des officiers de police et nous veillons à renforcer les comportements positifs au sein du service de façon que chacun sache que ce genre de comportement positif est récompensé. Tout cela vise à assurer la pérennité du service que l'on souhaite pour l'avenir. Il ne faut pas construire pour détruire par la suite, mais au contraire pour que l'édifice dure.

.1140

D'un point de vue policier, les politiques évoluent considérablement. Nous avons modifié notre façon d'agir en partenariat avec la communauté. Tout retour en arrière susciterait une vive réaction de la communauté, à cause de ses attentes, qui ont augmenté depuis quelques années. Notre nouvelle façon d'agir doit être intégrée à nos politiques.

La présidente: En toute franchise, il n'est jamais facile de faire évoluer les perspectives culturelles au sein d'un organisme. Moi qui ai travaillé avec l'Association des chefs de police pendant un certain nombre d'années, je dois dire que vous nous apportez ici une véritable bouffée d'air frais.

J'espère non seulement que cette nouvelle mentalité va s'ancrer dans l'évolution des cultures au sein de votre organisme, mais aussi que cet amendement au projet de loi vous sera utile sur ce point. J'aimerais savoir si, à votre avis, il va avoir un effet quelconque sur le personnel et sur son mode d'action.

Le chef Ford: Je suis persuadé qu'il va avoir un effet. Il va servir de point de repère dans l'établissement de liens plus forts entre les services de police et les différents éléments de la communauté, dans le cadre de mesures législatives et du leadership proposé par le gouvernement dans ce domaine. Cette nouvelle mesure aura un effet certain sur l'évolution des services de police, car c'est le gouvernement qui montre l'exemple. Elle va donner aux services de police qui, pour une raison ou une autre, font preuve de réticence, l'occasion d'évoluer et d'emboîter le pas.

Je dois dire que cette nouvelle démarche est soutenue par un certain nombre d'autres chefs de police. Je pense au chef Vincent MacDonald d'Halifax, au nouveau chef Doug McNally d'Edmonton et à l'ancien chef de Calgary, Gerry Borbridge. Il y en a d'autres, mais j'hésite à les nommer, car je crains d'en oublier. Vince MacDonald a été président de l'Association canadienne des chefs de police. Il y a un certain nombre d'autres chefs en Ontario qui favorisent le changement vers des services à vocation communautaire.

La présidente: Merci.

Monsieur McClelland.

M. McClelland: Merci.

J'aimerais savoir s'il existe des statistiques qui donneraient une indication du nombre de crimes haineux qui ont été enregistrés. Je remarque avec intérêt qu'en ce qui concerne l'acceptation de tout ce qui touche à l'homosexualité dans les sondages, plus les personnes interrogées sont jeunes et plus elles font preuve d'ouverture. Plus on avance en âge et plus l'attitude devient rigide. Il n'y a rien d'anormal à cela, c'est un processus d'évolution naturel.

Je voudrais savoir s'il existe des statistiques indiquant l'âge des personnes condamnées pour des crimes haineux ou pour des actes de violence gratuite, pour voir si elles font partie d'un groupe social précis, comme celui des «baby boomers». Est-ce que cette information existe?

Sgt. Dunlop: Il existe une étude consacrée aux actes délictueux commis par les jeunes. Le Bureau des services aux jeunes d'Ottawa-Carleton a fait une étude il y a quatre ans. Il faudrait vérifier les chiffres, mais je crois qu'environ 70 p. 100 des actes délictueux avaient un rapport quelconque avec la race, la religion, l'origine ethnique ou l'orientation sexuelle. Une bonne partie de ces actes n'ont pas été déclarés. Je pourrais essayer de retrouver ce rapport et de vous le communiquer.

M. McClelland: Avez-vous une idée du groupe d'âge des jeunes en question?

Sgt. Dunlop: Ce sont des adolescents.

M. McClelland: Je me souviens d'avoir abordé ce sujet avec le chef McNally. Le service de police d'Edmonton applique depuis longtemps un programme de relations avec la communauté, qui s'est avéré extrêmement efficace et dont les habitants d'Edmonton sont très fiers. Le chef McNally a déclaré, à un moment donné, qu'il existait dans sa ville un groupe d'environ 200 personnes qui empêchaient tout le monde de dormir la nuit. Ce sont toujours les mêmes. J'ai aussi entendu dire qu'en prenant de l'âge, ces jeunes s'assagissent, qu'après un certain temps, quand ils atteignent la fin de la vingtaine, ces jeunes qui ont passé leur vie à enfreindre la loi font une prise de conscience et se lassent de la délinquance. Est-ce vrai?

.1145

Le chef Ford: De nombreuses études montrent qu'à partir d'un certain âge, la participation à la criminalité active diminue. Mais on trouve de nombreux cas où des gens ne s'impliquent pas directement dans des activités violentes mais en font néanmoins la promotion par le recrutement et la propagande haineuse envers certains groupes. De cette façon, ils recrutent des jeunes, les endoctrinent et les poussent à passer à l'acte. Ils font la promotion de la violence. Ils ne pratiquent plus de façon aussi active qu'avant, sans doute parce qu'ils sont trop vieux et qu'ils risqueraient de succomber eux-mêmes à certaines de leurs victimes en puissance. Quand ils atteignent 50 ans, ils ont moins tendance à s'impliquer dans des actes de violence. Mais ils restent actifs dans la propagande haineuse.

M. McClelland: Sharon a évoqué le fait qu'il existe dans votre district des bandes de jeunes qui attaquent les passants simplement parce qu'ils portent des vêtements d'une couleur particulière. Ils s'appellent, je crois, le gang pourpre. Ils décident qu'ils vont rouer de coups la première personne rencontrée qui portera des vêtements pourpres; on a du mal à concevoir un tel comportement.

Sgt. Dunlop: Nous abordons ici le domaine des bandes de jeunes, de leur dynamique et de leur comportement violent. Ce sujet va un peu au-delà de celui qui nous occupe aujourd'hui. Les bandes de jeunes s'attribuent un territoire géographique et donnent des significations particulières à certaines couleurs.

Ce qu'il est important de dire, pour répondre à votre dernière question, c'est que la police est bien souvent le dernier élément qui intervient dans une situation donnée. Il faut un seuil de criminalité très élevé avant que la police puisse intervenir dans une situation où les préjugés et l'intolérance ont engendré la haine, qui a elle-même provoqué un incident criminel. Par exemple, le fait de lancer des insultes racistes à quelqu'un dans la rue n'est pas considéré comme une infraction criminelle, à moins que des menaces de mort aient été proférées.

Le niveau élevé de ce seuil de criminalité est une source de frustration pour bien des policiers. Il faut beaucoup d'interaction sociale et d'engagement communautaire pour résoudre les problèmes d'interférence et d'ignorance dans un contexte de diversité de la population; nous devons donc les aborder tous ensemble et ne pas miser uniquement sur la police.

La présidente: Monsieur Maloney.

M. Maloney (Erie): Chef Ford, vous vous prononcez de façon générale en faveur de cette mesure législative. Pouvez-vous nous dire aujourd'hui si les policiers qui relèvent de votre commandement partagent votre point de vue? Est-ce que l'Association des chefs de police et l'Association de la police canadienne le partagent également?

Le chef Ford: Je représente ici mon point de vue et celui de mon organisation, mais je suis accompagné par deux policiers de première ligne. Je pense que la grande majorité des policiers de première ligne de mon service sont effectivement favorables à cette mesure législative.

J'ai consulté l'Association canadienne des chefs de police, qui n'a pas pris position, mais je peux vous dire que bien qu'elle ne se soit pas prononcée officiellement sur ce projet de loi, elle préconise la tolérance zéro en matière de haine et de discrimination. Le thème de notre conférence de cette année est le crime cybernétique, dont l'une des principales manifestations est la propagande haineuse sur le réseau Internet. C'est un des sujets que nous abordons actuellement. Je peux donc vous dire que l'Association appuie effectivement ce projet de loi, compte tenu de l'action qu'elle mène régulièrement contre la criminalité fondée sur la haine ou les préjugés.

La présidente: Svend.

M. Robinson: Avant de poser mes questions, je voudrais me joindre à Mme Finestone pour vous féliciter d'avoir donné l'exemple sur cette question non seulement au Canada mais également au niveau international. Je sais que le sergent Dunlop et d'autres policiers ont eu une action très positive, notamment dans ma propre ville de Vancouver, que j'ai l'honneur de représenter.

.1150

J'ajoute à titre personnel que je suis très heureux de voir ici aujourd'hui mon ancien adjoint David Pepper aux côtés du chef Ford, car il a lui aussi manifesté un grand sens de l'initiative au sujet de cette question. Je suis sûr que les témoins en conviendront, et je suis très heureux de le voir occuper ce poste.

Je vais vous poser mes trois questions d'un coup, puis vous pourrez y répondre.

La première question concerne les listes. Certaines personnes, parmi lesquelles figurent des députés, considèrent que nous n'avons pas besoin de listes, qu'il est inutile d'énumérer les groupes visés par les crimes haineux ou par la discrimination, qu'il suffit d'une interdiction globale de la discrimination. Pourriez-vous expliquer aux membres du comité, et en particulier aux deux collègues assis à ma droite qui partagent ce point de vue, pourquoi il est important de désigner précisément les groupes de victimes, que ce soit les Juifs victimes d'agressions antisémites, les gais ou les lesbiennes, ou les Noirs? Pourquoi est-il essentiel de désigner ces groupes?

Ma deuxième question concerne la non-déclaration des actes de violence. Vous dites dans votre mémoire que l'une des principales raisons pour lesquelles les victimes ne portent pas plainte, c'est la crainte de devoir affronter des services hospitaliers, policiers ou judiciaires peu respectueux. Pourriez-vous nous donner des précisions à ce sujet, car je pense que ce que craignent également les victimes, c'est de devoir révéler leur orientation sexuelle s'ils l'ont toujours tenue secrète, notamment vis-à-vis de leur famille ou de leur employeur. J'aimerais que vous nous apportiez quelques précisions, puisque vous intervenez en première ligne dans ce genre de situation. Ne pensez-vous pas que des personnes qui n'ont jamais révélé leur homosexualité et qui sont victimes de violence homophobe puissent redouter qu'une plainte ne porte atteinte à leurs relations avec leur famille ou à leur emploi, en particulier si elles n'ont pas la protection d'une législation sur les droits de la personne?

Ma dernière question est la suivante: on a dit - et c'est notamment le cas du député réformiste Paul Forseth, de New Westminster - Burnaby, que la violence homophobe est le fait d'un sous-groupe marginalisé qui s'en prend à un autre sous-groupe marginalisé. Il parle en particulier des «skinheads». Pouvez-vous nous dire d'où provient la violence homophobe et reconnaissez-vous qu'il ne s'agit pas uniquement de marginaux et de «skinheads»? Pouvez-vous me parler de ces individus qui sortent en bande et qui agressent des gais ou des lesbiennes, ou des personnes qu'ils prennent pour des gais ou des lesbiennes, comme l'a si bien dit le chef Ford?

La présidente: Sauf votre respect, je voudrais vous demander, de même qu'à vos subordonnés, de répondre aussi succinctement que possible à ces questions très vastes, auxquelles on pourrait consacrer toute une fin de semaine de débat.

M. Dunlop: Je vais essayer de répondre dans le format du Reader's Digest.

Tout d'abord, il est important d'identifier les groupes de victimes, même si c'est encore très difficile de le faire actuellement. Les États-Unis le font depuis un certain temps. Il est important de les identifier, car où qu'on aille en Amérique du Nord, les trois principaux groupes de victimes sont, dans l'ordre, les Noirs, les Juifs et les homosexuels. C'est une constante. Où qu'on aille en Amérique du Nord, ce sont les trois principaux groupes de victimes de crimes haineux.

Par ailleurs, la police est au service de l'ensemble de la communauté. Il est important de reconnaître que nous ne sommes pas au service des groupes d'intérêts particuliers. Nous faisons aussi enquête sur des incidents dont des Blancs sont victimes. Nous faisons enquête sur tous les incidents où il est question de race, de religion, d'origine ethnique ou d'orientation sexuelle. Mais les trois groupes le plus souvent visés sont les homosexuels, les Noirs et les Juifs.

En ce qui concerne la deuxième question sur l'attitude des victimes, il faut se soucier ici de ce qu'éprouve la victime. C'est un élément très important dans le cas d'un crime haineux. Une agression ayant un motif haineux est un acte très grave. C'est presque comme une agression sexuelle.

Il y a dans le Code criminel des dispositions qui permettent la constitution d'unités de police spécialisées, par exemple en matière d'agression. Nous avons un service spécialisé dans les agressions sexuelles. Nous parlons ici d'une agression liée à la personnalité de la victime; ce n'est pas simplement une agression physique; la personne agressée subit aussi un préjudice psychologique.

Nous constatons que les victimes ne portent pas toujours plainte. Il est très difficile de les convaincre de se déclarer, car elles craignent d'être victimes une seconde fois, surtout parce qu'elles pensent que leur cas ne sera pas pris au sérieux. Dans certaines communautés, comme chez les gais, les gens craignent de perdre leur emploi si leur orientation sexuelle est divulguée. C'est une question tout à fait personnelle pour bien du monde, et nous devons en être conscients, aussi bien dans les services de police que dans l'ensemble de la communauté.

Pour répondre à votre troisième question, on ne peut pas parler seulement des «skinheads», de ces jeunes qui portent le crâne rasé et des bottes militaires. Dans le domaine des crimes haineux, on a surtout affaire à une somme énorme d'ignorance et d'intolérance face à la diversité de la société. Il est très important de reconnaître que des crimes haineux se produisent à l'intérieur même des familles, que certaines personnes deviennent victimes parce que leur fils est gai ou que leur nièce est lesbienne; il existe des conflits entre voisins qui sont fondés sur des différences de race, de religion, d'origine ethnique, etc. Des conflits interraciaux peuvent parfois se produire.

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Il est donc important de reconnaître que malgré tous les articles à sensation consacrés au mouvement suprémaciste blanc, celui-ci ne représente que 5 à 10 p. 100 des crimes haineux qui nous sont soumis. Tous les autres se produisent dans les cours d'école, dans la rue, entre voisins ou entre membres d'une même famille. Il est très important d'en être bien conscient.

La présidente: Merci. Votre réponse était très succincte.

Mme Hayes (Port Moody - Coquitlam): Notre journal local évoquait récemment la dernière promotion de l'Académie de police de Vancouver, et je crois que les femmes représentaient plus de la moitié de cette promotion. Je crois aussi, mais je n'en suis pas sûr, qu'elles étaient pour la plupart membres de minorités visibles. En tout cas, les hommes de race blanche étaient en minorité. On a sans doute voulu ainsi répondre au souci de mieux refléter la communauté, dont vous parliez tout à l'heure. Dans notre région, nous avons beaucoup de membres des minorités visibles et beaucoup de Néo-Canadiens.

Dans votre service, est-ce que les politiques d'embauche traduisent le souci d'équité en matière d'emploi? Quelles sont vos dernières statistiques de recrutement et pensez-vous recruter à l'avenir des membres de la communauté homosexuelle?

Le chef Ford: Nous avons en Ontario une loi sur l'équité en matière d'emploi mais surtout, je crois à titre personnel à l'équité en matière d'emploi, et c'est aussi le cas de la municipalité régionale d'Ottawa-Carleton. Dans les statistiques des trois ou quatre dernières années, vous trouvez vraisemblablement une proportion d'environ 50 p. 100 de femmes parmi les nouvelles recrues et environ 25 p. 100 de membres des minorités visibles, le reste étant constitué d'hommes de race blanche.

Cela correspond à peu près à la composition de la population que nous desservons. Les minorités visibles représentent environ 12 p. 100 de la population d'Ottawa-Carleton. Elles sont sur-représentées parmi nos nouvelles recrues, car nous avons voulu augmenter la proportion des femmes et des minorités visibles dans nos effectifs. En effet, nous accusions un sérieux retard à cet égard.

En ce qui concerne les homosexuels, nous avons des gais et des lesbiennes parmi nos policiers. Nous ne les avons pas ciblés au titre de l'équité en matière d'emploi, mais nous avons fait paraître des annonces de recrutement dans les magazines de la communauté gaie et lesbienne d'Ottawa-Carleton pour inviter les membres des groupes les plus divers à se joindre à notre service de police.

Je suis tout à fait convaincu que nous devons faire preuve d'ouverture pour que notre organisme reflète tous les aspects de la communauté que nous desservons.

La situation est plus difficile actuellement, car nous ne faisons plus de recrutement depuis un an. Mais l'année précédente, nous avons engagé environ 80 personnes, et lorsque le recrutement va reprendre en Ontario et en particulier dans la région d'Ottawa-Carleton, nous veillerons toujours à ce qu'il soit le reflet de la communauté.

La présidente: Je vous remercie de votre exposé. Nous sommes rassurés de savoir que ceux qui doivent appliquer la loi la comprennent aussi bien. J'espère que cela vaut pour tous les membres des forces policières, comme il semblerait que ce soit le cas.

J'invite maintenant M. Russell Armstrong à venir prendre place à la table des témoins. Je le remercie tout particulièrement d'avoir bien voulu comparaître devant le comité.

Je vous prie de bien vouloir vous présenter ainsi que l'organisme que vous représentez ici aujourd'hui.

.1200

M. Armstrong: Je vous remercie, madame la présidente. Je suis le directeur administratif de la Société canadienne du sida. Les opinions que je vais exprimer ce matin sont partagées par le Canadian HIV-AIDS Legal Network avec lequel nous participons à un projet d'étude portant sur les questions juridiques et éthiques que soulève le VIH-sida et notamment sur la question prioritaire du lien éventuel entre la discrimination exercée à l'endroit des lesbiennes et des gais et la propagation du VIH.

Je m'attends à ce que l'angle sous lequel je vais aborder ce matin les modifications proposées à la Loi canadienne sur les droits de la personne se distingue de celui qui vous a été présenté par les autres témoins. Mon exposé s'inspirera en effet de l'exploration faite par la Harvard School of Public Health des conséquences pour la santé des violations des droits de la personne. Au Canada, l'évolution du dossier VIH/sida illustre bien le lien qui existe entre les droits de la personne et la santé non seulement de certains membres de la société canadienne, mais de l'ensemble de celle-ci.

Avant de vous entretenir spécifiquement du sujet à l'étude, permettez-moi de dire quelques mots au sujet des deux organismes que je viens de mentionner.

Pour ceux d'entre vous qui l'ignoraient, la Société canadienne du SIDA est une coalition nationale regroupant des organismes communautaires de lutte contre le sida qui met en oeuvre plus de 100 programmes et projets d'intervention auprès des sidéens. Nos membres sont répartis dans tout le Canada. Je vous rappelle que ces organismes communautaires constituent au Canada la première ligne d'intervention dans ce domaine. Ils mettent en oeuvre une vaste gamme de programmes de soutien et de programmes de prévention et d'éducation. Ils viennent aussi quotidiennement en aide aux personnes atteintes du VIH/sida mais ce qui importe encore davantage à mon sens, c'est qu'ils mènent leur action au sein même des groupes à risque, parmi lesquels on a compté jusqu'ici en grand nombre les gais et les lesbiennes.

J'ai mentionné le Canadian HIV-AIDS Legal Network. Ce réseau national se compose d'avocats et d'analystes de la politique juridique et joue le rôle de centre d'information national sur les questions juridiques liées au VIH/sida. Par l'intermédiaire d'un bulletin d'information faisant le point sur l'évolution de ces questions à l'échelle nationale et internationale, le centre favorise la discussion sur les questions juridiques et éthiques du jour.

Le projet conjoint auquel j'ai fait allusion plus tôt et auquel participent ces deux organismes a été mis en oeuvre l'an dernier. Dans le cadre de la première phase du projet, on a procédé à une consultation nationale auprès de citoyens et de groupes oeuvrant dans le domaine de la lutte contre le VIH-sida. J'attire votre attention sur le fait que la question du lien entre la discrimination exercée à l'endroit des gais et des lesbiennes et le succès des efforts déployés pour lutter contre la propagation du VIH-sida au Canada a été jugée la question prioritaire sur laquelle devait se pencher le projet.

Permettez-moi de vous donner quelques exemples des questions dont l'importance a été soulignée lors des discussions nationales ainsi que des questions examinées dans le cadre de ce projet. Il y a d'abord la question primordiale du refus des écoles de fournir de l'information positive au sujet de la sexualité, y compris de la sexualité des gais et des lesbiennes. En l'absence de cette information, les jeunes gais et lesbiennes voient leur éveil sexuel brimé par un milieu hostile et difficile. C'est à ce milieu que nous devons attribuer les comportements risqués qu'adoptent les jeunes au Canada et qui favorisent la propagation du VIH. Une statistique qui souligne le fait de façon dramatique...

La présidente: Excusez-moi, monsieur Armstrong, je crois avoir raté quelque chose. Avez-vous dit que les écoles hésitaient à identifier...?

M. Armstrong: Non, je disais que le programme scolaire ne comprend pas d'information sur la sexualité, y compris de l'information...

La présidente: Je vois, il s'agissait du programme scolaire. Je vous remercie.

M. Armstrong: Pour illustrer ce que je viens de dire au sujet du rôle du milieu hostile dans lequel vivent les jeunes gais et lesbiennes en ce qui touche à la propagation du VIH/sida, permettez-moi de signaler que Le laboratoire canadien de lutte contre la maladie qui étudie l'évolution de l'épidémie de VIH a constaté au cours des dernières années une baisse de l'âge moyen de ceux qui contractent le VIH. Nous étudions minutieusement ces données qui, à notre avis, s'expliqueraient par le climat préjudiciable dans lequel les jeunes prennent conscience de leur éveil sexuel.

Le projet se penche également sur les graves problèmes juridiques et sociaux auxquels sont confrontés ceux qui s'occupent d'un partenaire atteint du VIH-sida du fait que la société refuse de reconnaître la valeur des relations entre personnes du même sexe. À titre d'exemple, on refuse aux compagnons de sidéens le droit d'être à leur chevet à l'hôpital ou de prendre des décisions quant au traitement qui leur est administré. Qui plus est, la loi ne reconnaît pas souvent au compagnon d'un sidéen le droit de prendre des décisions touchant sa succession.

.1205

Le projet aborde aussi la question plus générale des conséquences pour les gais et les lesbiennes du rejet par la société de leur sexualité. Nous savons en particulier que ce rejet a un énorme effet préjudiciable pour l'estime de soi des gais et des lesbiennes et qu'on peut lui attribuer des choix nocifs en matière de relations sexuelles.

L'an dernier, la Société canadienne du sida, dans le cadre de sa semaine annuelle de sensibilisation au sida qui a lieu en octobre, a décidé d'insister dans ses activités sur le sida, l'homophobie et la discrimination exercée à l'endroit des gais et des lesbiennes. Les documents préparés pour cette semaine faisaient un lien très explicite entre la nécessité de lutter contre la discrimination exercée à l'endroit des gais et des lesbiennes dans le cadre d'une stratégie efficace visant à enrayer l'épidémie de VIH au Canada.

La semaine de sensibilisation avait pour objectif en insistant sur le sida et l'homophobie d'amener les gens à faire preuve de plus de compassion et d'humanité à l'égard des gais ainsi qu'à l'égard de tous ceux qui sont atteints du VIH-sida au Canada. En concevant les activités de cette semaine, nous avons constaté que l'homophobie et le sida sont tellement liés dans l'esprit de nombreux Canadiens que leurs réactions aux sidéens sont souvent indissociables de leurs réactions à l'égard de l'homosexualité.

Ces perceptions et attitudes négatives au sujet des homosexuels en général constituent l'obstacle le plus important à une stratégie canadienne de lutte contre le sida fondée sur la compassion.

À titre d'exemple, mon travail au sein de la Société canadienne du sida m'a amené depuis deux ans à collaborer avec la commission Krever. Nous avons présenté à la commission des preuves établissant que de nombreux hauts fonctionnaires et dirigeants politiques de diverses provinces ont une perception négative des gais et des lesbiennes du Canada. On peut attribuer à cet état de fait la façon dont on a fait face à l'épidémie du VIH/sida au début des années 80. Qu'il me soit permis ici de rappeler l'interprétation qui a été donnée à l'infection de l'approvisionnement en sang par le VIH.

Je crois vous avoir exposé de façon assez explicite les raisons qui portent la Société canadienne du sida à s'intéresser aux amendements proposés à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La présidente: Vous nous avez exposé trois raisons principales, n'est-ce pas, monsieur Armstrong?

M. Armstrong: Oui, et ces raisons soulignent le lien...

J'aimerais vous citer un extrait d'un document d'orientation publié par Santé Canada et dans lequel le ministère énonce les principaux éléments de la deuxième phase de la stratégie nationale de lutte contre le sida. À notre avis, ce passage fait ressortir le fait qu'il faut s'attaquer à la discrimination exercée en particulier à l'endroit des gais et des lesbiennes si l'on veut enrayer de façon efficace la propagation du VIH au Canada.

La présidente: Ne pensez-vous pas que le VIH et le sida ont amené les jeunes à modifier de façon importante leur comportement sexuel?

M. Armstrong: Je conviens qu'on a constaté de grands changements dans les comportements des jeunes depuis la propagation ces dix dernières années de l'épidémie VIH, mais nous constatons que la maladie continue de faire des ravages dans certains groupes de notre société, et en particulier chez les jeunes gais. Nous en déduisons qu'il faut attribuer la situation au milieu dont ils sont issus. Bon nombre d'étudiants du secondaire n'ont pas accès à de l'information qui présente la sexualité homosexuelle de façon positive.

.1210

La présidente: Je sais que je devrais laisser mes collègues poser des questions, mais je veux simplement souligner le fait que je n'ai pas l'impression que le problème se pose vraiment parmi les étudiants du secondaire. À écouter mes propres petits-enfants et les jeunes gens qui m'entourent, j'ai plutôt l'impression que le problème de l'accès à l'information se pose à l'extérieur des écoles secondaires. J'aimerais cependant savoir ce que vous en pensez.

M. Armstrong: Permettez-moi de conclure mon exposé et je répondrai ensuite à la question que vous posez. La société canadienne du sida et la Canadian HIV-AIDS Legal Network sont d'avis qu'il est grand temps que cet amendement soit adopté. La société canadienne du sida le réclame d'ailleurs depuis 1986.

Il se peut cependant que les conséquences pratiques et juridiques de l'amendement soient limitées en ce qui touche au VIH et au sida. En l'adoptant, le gouvernement fait cependant preuve de grand leadership. Il souligne le fait que la tolérance, en particulier la tolérance à l'égard des lesbiennes et des gais, constitue l'une des plus importantes valeurs sociales au Canada. À mon avis, l'amendement contribuera à susciter un climat qui fera en sorte que les gens s'estimeront suffisamment pour prendre des décisions saines au sujet de leur sexualité et qui leur permettra d'obtenir les soins dont ils ont besoin pour vivre des vies plus longues et plus stables.

Cela met fin à mon exposé. Je suis maintenant prêt à vos questions.

La présidente: Je vous remercie beaucoup.

[Français]

Monsieur Ménard.

M. Ménard: Vous savez qu'en général, j'ai une grande sensibilité, mais une sensibilité peut-être plus particulière pour la question du sida. J'ai souvent eu l'occasion, toujours avec un plaisir renouvelé, de travailler avec la Société canadienne du sida, qui est le principal porte-parole du Canada anglais sur le sida, voire même pour le Québec, puisque les Québécois sont représentés au conseil d'administration.

L'un des grands mérites de la Société canadienne du sida est de nous avoir bien fait voir, au cours des dernières années, qu'entre le moment où le premier cas de sida a été diagnostiqué, en 1979, et le moment où ce comité-ci tient ses audiences, l'épidémie de sida n'a pas régressé. Au contraire, l'épidémie de sida progresse et vous prévoyez que le nombre de personnes atteintes va doubler d'ici l'an 2000. C'est une donnée de base que les membres du comité devront garder à l'esprit.

Cela nous invite à nous questionner sur la situation de cette maladie. Nous en sommes même rendus à une période où nous devons nous employer à faire en sorte que le sida, qui était une maladie mortelle, devienne une maladie chronique.

Il y a un paradoxe dans ce que vous avez dit et il est important de le situer en lien avec la discrimination. Nous vivons avec le sida depuis 1979, depuis bientôt deux décennies, et nous déployons des efforts collectifs. À Genève, nous avons eu le plaisir de rencontrer celui qui administre le programme international sur le sida. Il nous a bien fait voir que nos petits-enfants - peut-être pas les miens, mais les vôtres, madame la présidente - vont aussi devoir vivre avec le sida. Le sida va faire partie de la réalité collective des sociétés durant les prochaines années.

Comment se fait-il que dans la société, bien que nous connaissions les modes de transmission et que nous ayons un certain nombre de médicaments non curatifs, il y ait toujours des gens qui ne s'aiment pas assez pour se protéger?

Quels liens faites-vous entre la discrimination et le fait qu'il y ait des gens qui ne s'aiment pas assez pour se protéger et que l'épidémie continue à progresser au Canada et ailleurs?

À l'instant où l'on se parle, la Thaïlande, où Mme Augustine et moi-même sommes allés, est le pays le plus infecté par cette maladie. Dans certains pays, la courbe est vraiment exponentielle. Donc, faites-nous voir clairement, pour que ce soit rapporté clairement dans notre rapport, les liens entre la mission de la Société canadienne du sida et la discrimination que l'on peut vivre au quotidien.

La présidente: C'est une très bonne question.

[Traduction]

M. Armstrong: Je reviens au passage du document de Santé Canada. Nous pouvons évidemment recommander ou déconseiller certaines pratiques sexuelles, mais il ne faut pas oublier que les décisions prises dans ce domaine s'inscrivent dans un climat qui renforce certaines valeurs et qui nous renseigne sur l'opinion qu'on se fait de certaines personnes. Ce que nous avons constaté dans le cadre de notre travail auprès des personnes atteintes du VIH et du sida, c'est que la discrimination et l'intolérance, qu'elles se manifestent à l'égard des gais et des lesbiennes ou des femmes et des personnes handicapées, constituent un obstacle à la dissémination d'information au sujet de la maladie et découragent les gens d'adopter des comportements susceptibles de protéger leur propre santé ainsi que la santé de la société en général.

.1215

[Français]

La présidente: Une autre question, monsieur Ménard?

M. Ménard: Je crois que c'est important qu'on en fasse clairement état dans notre rapport.

Je sais que vous avez eu l'occasion de vous promener à travers le Canada. Certains membres de votre société m'ont dit que - je le dis avec beaucoup de prudence, pour ne pas heurter qui que ce soit et vous comprendrez qu'il n'y a pas de propos malicieux dans ce que je vais dire car vous savez très bien que je suis incapable de malice - , dans le fond, il y a un clivage entre les sociétés rurales et les communautés urbaines et qu'il y a un certain travail de rattrapage à faire dans certaines collectivités, particulièrement dans les communautés rurales où on est encore dans l'incapacité de faire face au problème.

Au Canada, dans certaines régions, la première difficulté est toujours de s'identifier comme homosexuel, parce que s'identifier, c'est prêter le flanc à des stigmates extrêmement nombreux. Par contre, dans une ville comme Montréal, c'est à peu près impossible de ne pas être en contact avec quelqu'un qui connaît un homosexuel.

On m'a dit, et cela a des répercussions sur la façon dont se vit le militantisme dans certaines collectivités, que dans certaines régions au Canada, on avait une difficulté terrible simplement à nommer les choses, à les exprimer, à mettre des mots derrière des réalités.

Comment votre société et ce comité-ci pourraient-ils agir? Quelles actions nous suggérez-vous pour qu'on soit capable, avant même de soigner les individus, de faire la promotion de certaines réalités? Ce serait le premier pas à franchir en termes de sensibilité.

Partagez-vous mon analyse, d'après les propos qui m'ont été rapportés, à savoir que dans certaines régions rurales au Canada - on m'a parlé un petit peu de Terre-Neuve, mais davantage de l'Ouest - , on a une difficulté terrible à juste identifier les choses?

[Traduction]

M. Armstrong: Oui, vous avez certainement raison, monsieur Ménard. Au Canada, il est plus difficile en milieu rural de parler non seulement de sexualité, mais aussi du VIH et du sida. Or, il y a un lien entre la façon dont on gère le problème du VIH et du sida dans les milieux ruraux et la réaction que suscite l'homosexualité.

Comme je l'ai dit dans mon exposé, la modification de la Loi canadienne des droits de la personne auxquels sont assujettis les organismes fédéraux n'aidera peut-être pas beaucoup sur le plan juridique les gens qui vivent en milieu rural au Canada, mais par ce geste, le gouvernement fédéral montre clairement que la tolérance est une valeur qui est chère à la société canadienne. Il appuie aussi de cette façon les efforts continus que nous déployons pour susciter des changements sociaux dans tous les domaines au Canada, notamment en ce qui touche la réaction que suscite l'homosexualité de manière à ce qu'on puisse lutter de façon efficace au Canada contre le VIH et le sida.

La présidente: Monsieur McClelland.

M. McClelland: Je vous remercie, madame la présidente.

Compte tenu du nombre de témoins que nous devons entendre, je me demande si la présidence et les autres membres du comité pourraient limiter leurs interventions. Cela nous permettrait de rattraper notre retard. J'ai moi-même beaucoup de questions à poser. J'essaierai cependant d'être bref.

La présidente: Nous allons rattraper notre retard pendant la pause-déjeuner.

M. McClelland: Très bien.

Pour faire suite à ce que disait tantôt madame la présidente, j'estime que j'ai le devoir et la responsabilité à titre de parent et de grand-parent de renseigner mes enfants et mes petits-enfants au sujet du sida. Il est possible de contracter le sida, qu'on soit hétérosexuel ou homosexuel. L'usage des drogues peut aussi mener au sida. J'estime donc qu'il m'incombe comme parent de communiquer ce renseignement à mes enfants. Je sais que ce que je dis ne se rapportera pas directement au projet de loi, mais je pense que notre société devrait attacher beaucoup d'importance à la responsabilité des parents.

Je ne sais pas si les jeunes lisent toujours les brochures d'information qui leur sont destinées. Je sais bien qu'on doit rejoindre tout le monde, mais je n'ai jamais vu dans une revue un message qui me soit adressé. Je n'ai jamais vu de message qui insiste sur la responsabilité des parents. La plupart des parents n'ont jamais été aux prises avec le problème ou ils n'y réfléchissent tout simplement pas.

.1220

Je sais que le défi est de taille, mais il faudrait qu'on puisse faire comprendre aux parents qu'il leur incombe de protéger leurs enfants des dangers comme celui-ci auxquels ils pourraient être exposés. Êtes-vous d'accord avec moi ou ce que je vous dis vous semble-t-il ridicule ou si évident que...?

M. Armstrong: Je crois que tous les parents et les grands-parents canadiens devraient avoir accès à de l'information sur le VIH/sida et que cette information devrait être adaptée à leurs besoins.

Nos moyens d'intervention sont limités. Comme nos ressources sont aussi limitées, nous avons dû cibler les groupes et les particuliers que nous jugeons...[Difficulté technique - Éditeur]

M. McClelland: Comme je veux être bref, je vais maintenant passer à un autre sujet. Le sida a d'abord frappé le milieu homosexuel, mais il touche aussi maintenant le milieu hétérosexuel. Si l'on fait abstraction des cas de sida dus à la consommation de drogues, peut-on maintenant dire que la maladie est aussi répandue chez les gais que chez les hétérosexuels?

M. Armstrong: Non, pas encore. Nous disposons de statistiques nationales assez fiables sur le nombre de cas de sida. Nous savons combien de personnes diagnostiquées séropositives 15 ans plus tôt sont mortes du sida. Les gais représentent encore 80 p. 100 de ce nombre bien que cette proportion diminue.

Le gouvernement fédéral a commencé l'an dernier seulement à recueillir des statistiques à l'échelle nationale sur les cas de séropositivité. Le nombre de séropositifs se situerait à près de 50 000. Bien que la proportion de gais parmi les séropositifs diminuent, ceux-ci représentent encore 65 ou 70 p. 100 des cas.

M. McClelland: Madame la présidente, cela m'amène au projet de loi à l'étude. Je sais qu'au début de l'épidémie de sida, bien des travailleurs du domaine médical - les conducteurs d'ambulance, les pompiers et les travailleurs hospitaliers - craignaient de contracter la maladie. On avait dressé une liste des personnes atteintes du sida à leur intention. Le recours à des mesures prophylactiques a-t-elle permis d'atténuer cette crainte? Le problème continue-t-il de se poser?

M. Armstrong: Nous avons mis beaucoup de temps à trouver des moyens de faire face à ces craintes qui existent toujours. J'ai pu le constater l'an dernier lorsque j'ai participé à un colloque national auquel participaient également des représentants des divers groupes d'intervention d'urgence. Les travailleurs du domaine continuent non seulement d'avoir peur du VIH, mais aussi de ceux qu'on présume être séropositifs.

M. McClelland: Je me demande ce que la loi changera à cet égard. J'ai l'impression que... Je sais que le temps qui m'est imparti est presque écoulé.

La présidente: Ce sera votre dernière question.

M. McClelland: Voici en quoi le projet de loi changera la situation. Les travailleurs de première ligne, à tort ou à raison, ne pourront plus identifier les personnes à risque. Dans ce cas, il me semble qu'ils devraient considérer chaque cas connu potentiellement dangereux de sorte que le problème ne devrait pas se poser, sauf s'il s'agit évidemment d'une crainte irrationnelle.

Je sais qu'il est impossible de répondre à la question et que je n'aurais pas dû la poser.

La présidente: Je voyais mal comment vous alliez vous sortir de cette impasse...

M. McClelland: Je m'excuse.

M. Armstrong: Je crois que vous soulevez une question distincte.

La présidente: Monsieur Robinson, revenons à la question à l'étude.

M. Robinson: Je tiens à remercier M. Armstrong...

La présidente: Excusez-moi de vous interrompre. Je vous signale que la pause-déjeuner aura lieu dès que M. Robinson aura fini de poser ses questions. Elle durera 25 minutes. Je vous remercie.

.1225

M. Robinson: Je serai bref. J'aimerais remercier M. Armstrong et la Société canadienne du sida pour le travail qu'ils accomplissent.

Au sujet de l'importance et de la pertinence de ce projet de loi, je me souviens d'une lettre qui m'avait été envoyée par Kevin Brown, l'un des fondateurs dans les années 80 de la British Columbia Persons with AIDS Society. C'était peu après que j'aie reconnu publiquement mon homosexualité. Il m'a dit qu'il était important que les gens victimes du VIH ou du sida n'aient pas à combattre, en plus du VIH, le virus de l'homophobie et de la haine.

Je me souviens encore de ses mots, et je crois que c'est une autre raison qui justifie l'adoption de cet amendement.

J'aurais plusieurs questions à vous poser, mais je me contenterai d'en poser une seule puisque nous manquons de temps. L'un des membres de ce comité, Mme Hayes, a soutenu lors du débat sur ce projet de loi que le lobby gai est très puissant. Elle donne comme preuve de ses dires que les fonds accordés pour la recherche sur le sida dépassent de beaucoup les fonds alloués à la recherche sur les maladies du coeur ou sur le cancer du sein.

Mme Hayes vient de revenir. Je voulais poser la question en sa présence.

Pensez-vous vraiment que le fait que 43 millions de dollars par année aient été affectés à la mise en oeuvre de la stratégie de lutte contre le sida - stratégie dont le renouvellement n'a pas encore été confirmé - et qu'une somme moins importante soit réservée à la recherche sur le cancer du sein et les maladies du coeur témoignent de la grande puissance politique du lobby des militants gais? Qu'en pensez-vous? Je crois que les membres du comité devraient connaître votre réaction à cet argument.

M. Armstrong: Mme Hayes et moi-même avons déjà discuté de cette question. Je ne pense pas que les sommes allouées aux recherches sur une maladie doivent être nécessairement fonction du nombre de personnes qui en sont atteintes. Beaucoup de facteurs influent sur la décision prise par un gouvernement d'affecter X somme à la recherche sur une maladie et Y somme à la recherche sur une autre.

Il ne fait aucun doute que cette question est très importante pour la communauté gaie, qui s'est prononcée à son sujet au niveau national; la stratégie nationale sur le sida existe maintenant depuis bientôt 10 ans, et au cours de cette période, deux élections générales ont porté au pouvoir des gouvernements qui ont soutenu cette démarche.

Je pense que son importance va bien au-delà des groupes de lobbying particuliers. C'est une priorité que partagent tous les Canadiens.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Armstrong. Je tiens à vous remercier tous d'avoir retardé votre exposé. Si vous avez des faits ou des chiffres qui méritent de figurer dans nos délibérations, je veillerai volontiers à ce qu'ils soient annexés aux documents que vous avez apportés aujourd'hui.

[Français]

M. Bernier: J'aurais une question à vous poser.

La présidente: Un petit moment.

[Traduction]

Je voudrais signaler au comité que le Dr Ian Kroll est ici. D'après l'horaire, son exposé était prévu à midi. Je prévois une pause déjeuner, malgré notre léger retard, parce que le Dr Kroll a préparé des diapositives qu'il veut nous montrer.

Vous pouvez poser une courte question, puis nous installerons le matériel de projection.

[Français]

M. Bernier: Ma question a trait à l'horaire, madame la présidente. Mon collègue m'a fait remarquer que nous allons avoir de sérieux problèmes d'horaire cet après-midi. Je ne sais pas si vous me suivez.

La présidente: Oui, mais je vais être très sévère cet après-midi.

M. Bernier: Au-delà du fait que vous allez être sévère, madame la présidente, on commence à 16 h 30 ou à 15 heures, selon l'avis qu'on consulte. Il y a confusion.

Le greffier du Comité: Il y a des fautes de frappe dans la version française. On devrait lire13 h 30, 14 h 30 et 15 heures.

M. Bernier: On recommence à 15 heures?

Le greffier: Non.

[Traduction]

La présidente: Reportez-vous à l'horrible côté anglais et vous y trouverez les heures exactes. Nous avons fait une erreur du côté français.

[Français]

M. Bernier: Vous croyez, madame la présidente, que c'est... On continue pendant la période des questions?

[Traduction]

La présidente: Je ne voudrais pas rajouter à la confusion.

M. McClelland: Je regarde l'horloge.

La présidente: Monsieur Armstrong, un instant, s'il vous plaît.

[Français]

Monsieur Bernier, voulez-vous lui poser une question?

.1230

M. Bernier: On veut assister à la période des questions.

La présidente: Non. J'ai été très claire et nette là-dessus: on ne sera pas présents à la période des questions.

M. Ménard: Nous, nous serons là. Nous sommes l'Opposition officielle et nous posons des questions.

M. Bernier: J'ai une question à poser et j'irai bientôt.

La présidente: On poursuivra quand même.

M. Ménard: Ce n'est pas ce qu'on a décidé hier.

La présidente: Oui, monsieur. Cela a été accepté à la suite de notre discussion d'hier. J'ai dit qu'on serait ensemble pour le petit déjeuner, le déjeuner et le dîner et qu'on n'irait pas à la période des questions. Nous siégeons jusqu'à 22 h 30.

M. Ménard: Cela n'a pas de bon sens de ne pas aller à la période des questions. On est au Parlement.

[Traduction]

La présidente: Il y a bien des comités qui ne s'interrompent pas pour la Période des questions. Que se passe-t-il lorsqu'un comité voyage?

[Français]

M. Ménard: Dans tous les comités auxquels j'ai participé, on nous permettait toujours d'aller à la période des questions.

La présidente: Vous n'avez pas assez d'expérience. Vous êtes très jeune. Vous ne serez pas là pour la période des questions.

M. Ménard: Je vais y aller. La période des questions est importante. Il faut respecter cela.

[Traduction]

La présidente: La séance est suspendue.

.1231

.1254

Le vice-président (M. Scott): La séance reprend.

Notre témoin suivant est le Dr Ian Kroll. Il intervient à titre personnel.

Le Dr Kroll a un document qui a été distribué aux membres du comité. Sans plus attendre, je vous donne la parole, docteur Kroll.

.1255

[Français]

Dr Ian Kroll (médecin, Université de Calgary): Bonjour, mesdames et messieurs. Je m'appelle Ian Kroll. Je suis médecin et je viens de Calgary. Je fais de la pédiatrie à l'Université de Calgary et je suis invité ici aujourd'hui pour présenter notre recherche.

Cette présentation sera en anglais seulement, mais si vous avez des questions, je ferai de mon mieux pour y répondre.

[Traduction]

Je m'appelle Ian Kroll. Je suis médecin. J'ai un permis du Conseil médical du Canada et je pratique la psychiatrie à l'Université de Calgary.

On m'a demandé de faire un exposé sur notre ouvrage de recherche, qui est intitulé The Dynamics of Sexual Orientation & Adolescent Suicide. Il s'agit d'un projet universitaire conjoint de l'Université de Calgary et de l'Université de l'Alberta à Edmonton.

L'exposé devrait prendre entre 30 et 40 minutes. Je ne vais pas entrer dans tous les détails, faute de temps, mais j'ai demandé à ce que vous receviez tous un exemplaire du document. Vous remarquerez qu'il comporte, à la fin, une longue liste de références.

Voici les sujets abordés dans cette recherche. Nous avons considéré le suicide chez les adolescents par rapport à l'orientation sexuelle, nous avons fait un historique de l'orientation sexuelle, puis nous essayons de définir ce qu'est l'orientation sexuelle à partir des études biologiques, génétiques et d'analyses des rapports familiaux, puis nous présentons une perspective éthique pour nous demander comment il se fait qu'un tel phénomène existe dans notre société.

Par ailleurs, nous avons examiné les préjugés dans la recherche et les études, et nous avons adopté une perspective de développement, c'est-à-dire que nous avons essayé de voir ce que cela signifie d'être gai dans une société hétérosexuelle. À la fin de la recherche, nous étudions les recommandations faites au cours des 25 dernières années et nous les réitérons.

En ce qui concerne le suicide chez les adolescents, même si nous vivons dans l'un des meilleurs pays du monde, nous avons également les taux de suicide les plus élevés; chaque année, plus de 16 000 ans de vie adolescente disparaissent.

Je dois dire, à ma courte honte, que c'est dans ma propre province que nous avons le taux de suicide le plus élevé chez les adolescents par rapport à l'ensemble des provinces canadiennes. Il est actuellement huit fois plus élevé qu'il y a 40 ans. Le taux le plus élevé concerne les jeunes de 0 à14 ans; viennent ensuite ceux de 15 à 24 ans. On dénombre sept suicides d'homme pour un suicide de femme.

Pour mettre les choses en perspective, après les accidents de voiture, ce sont les suicides auxquels on peut attribuer le plus grand nombre de morts chez les adolescents au Canada. En fait, le nombre de morts par suicide est sans doute beaucoup plus élevé puisqu'on pense que 15 p. 100 de toutes les morts accidentelles, des homicides ou des morts pour cause inconnue sont vraiment des cas de suicides.

Ce sont surtout les jeunes hommes qui se suicident et ils se donnent le plus souvent la mort soit avec une arme à feu, soit en se pendant.

Qu'est-ce que tout cela a à voir avec l'orientation sexuelle?

Un nombre croissant d'études examine quel est le lien entre les suicides à l'adolescence et l'orientation sexuelle. On sait que les adolescents qui sont attirés par des personnes de leur propre sexe ont tendance à tenter de se suicider dans une proportion deux ou trois fois plus élevée que les adolescents hétérosexuels du même âge et que 30 p. 100 des jeunes qui se suicident chaque année étaient homosexuels.

Des recherches menées sur le sujet à Calgary dans l'ensemble de la population ont conclu que c'est plutôt dans une proportion de 60 p. 100 que les jeunes suicidés étaient homosexuels, ce qui revient à dire que le nombre de suicides chez ce groupe est de 13,3 fois plus élevé que chez la population hétérosexuelle.

Cela nous amène évidemment à nous demander à quels facteurs on peut attribuer le fait que les adolescents homosexuels sont tellement plus à risque de chercher à se suicider et de mener leur projet à terme?

Nous devrions peut-être d'abord nous pencher sur les termes que nous utilisons. Toute l'information dont nous disposons n'a pas la même importance.

Lorsque nous pensons à l'homosexualité, nous pensons à des gestes sexuels. Lorsque nous pensons à l'hétérosexualité, nous pensons à l'amour, aux relations, à l'engagement envers une personne et aux valeurs familiales. Or, les deux termes devraient signifier la même chose.

Au lieu de parler d'homosexualité, peut-être vaudrait-il mieux parler de l'amour pour les personnes du même sexe puisque c'est d'amour qu'il s'agit. Ainsi, les grands amoureux, Roméo et Juliette, Antoine et Cléopâtre, Alexandre le Grand et son général Hephaestion, constituent tous des représentations de l'amour et c'est ce dont il s'agit lorsqu'on parle d'orientation sexuelle. Comme le terme «orientation sexuelle» est celui qu'on connaît, c'est celui qu'on continuera sans doute à utiliser. Je vous rappelle cependant que ce dont il s'agit est un concept qui va bien au-delà de l'acte sexuel.

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Beaucoup de mythes sont véhiculés dans notre société au sujet de l'homosexualité, et je dois admettre qu'ils ont été créés en partie par les membres de ma propre profession, soit les psychiatres.

Voici une diapositive qui montre Charles Socarides, l'un de ceux qui soutient le plus ardemment que l'homosexualité est un état pathologique. Il faut s'interroger au sujet des motifs des gens qui essaient de nuire aux autres plutôt que de les aider à mener des vies saines et productives. Charles Socarides a un fils Richard qui est ouvertement gai et qui est suffisamment équilibré pour être chargé de faire la liaison entre le ministre américain du Travail et la Maison-Blanche. Cela nous amène encore à nous demander pourquoi certains insistent sur l'existence d'un état pathologique au lieu du bien-être des gens.

Permettez-moi maintenant de vous parler de certains stéréotypes parce qu'avant de parler de l'homosexualité, je crois qu'il importe de préciser ce que l'homosexualité n'est pas.

Un stéréotype veut que tous les homosexuels soient des travestis. Ces stéréotypes peuvent vous sembler farfelus, mais ils sont véhiculés tous les jours dans les médias de sorte que bien des gens y croient. Or, la plupart des travestis sont hétérosexuels et ce comportement revêt pour eux un caractère érotique. Quatre-vingt-dix-huit p. 100 des travestis sont hétérosexuels et non pas homosexuels.

Un autre mythe veut que tous les homosexuels adoptent des comportements contraires aux gens de leur sexe, ce qui signifierait que tous les petits garçons veulent faire ce que font les filles et vice versa. Or, ce genre de comportement n'a rien à voir avec l'orientation sexuelle elle-même. En fait, seulement 25 p. 100 des gais adultes sont manifestement efféminés.

Un autre stéréotype veut que les homosexuels détestent les gens du sexe opposé. C'est absolument ridicule. En fait, 14 à 19 p. 100 de ceux qui se disent homosexuels ont à un certain moment épousé une femme souvent pour répondre aux attentes de la société.

Autre stéréotype: Les homosexuels sont des femmes dans des corps d'hommes ou des hommes dans des corps de femmes. Il s'agirait dans ce cas-là non pas d'homosexualité mais de transsexualité, un phénomène tout à fait distinct à l'idéologie différente.

Autre mythe: celui selon lequel l'homosexualité équivaut à la promiscuité. Nous comprenons tous les difficultés liées à la prostitution, à sa clientèle, etc. C'est un phénomène qu'on retrouve chez les hétérosexuels, et pourtant nous ne définissons pas cette communauté en fonction des prostitués et de leurs clients. Dans le cas des homosexuels, cependant, nous avons tendance à généraliser. Or, d'après moi, il est important de faire les distinctions qui s'imposent: la promiscuité ne caractérise pas une collectivité dans son ensemble mais plutôt un individu.

Dernier stéréotype: le sida est une maladie d'homosexuels. Dans vos discussions précédentes, il a été souligné que l'incidence du sida est en fait à la baisse chez les gais et lesbiennes. Chez celles-ci, elle est très faible. De plus, même si le taux continue d'être très élevé parmi les populations homosexuelles, le rattrapage chez les hétérosexuels se fait à grands pas puisque ceux-ci n'ont pas l'impression de courir un danger. On continue de croire que le sida est une maladie d'homosexuels.

Autre mythe encore: homosexualité égale pédophilie. Or, la pédophilie est très largement un phénomène hétérosexuel, ce que reconnaissent d'ailleurs diverses études scientifiques depuis des décennies. En réalité, la pédophilie est beaucoup moins probable chez l'homosexuel, qui craint la réprobation du public.

Pour ce qui est de l'importance relative du phénomène de l'homosexualité, je ne vous citerai que des chiffres fort conservateurs. Au moins un million ou deux millions de Canadiens sont homosexuels. Le chiffre est extrêmement conservateur. En réalité, il y en a peut-être 2,5 fois plus.

Donc, un petit nombre de Canadiens sont homosexuels. Alors, pourquoi s'en inquiéter? Il faut s'en inquiéter puisque ces gens sont des Canadiens qui font partie de familles. Pour ce qui est du nombre de Canadiens qui comptent dans leurs familles une personne homosexuelle, le chiffre passe à 7 millions de personnes environ au Canada. Encore ici, ce chiffre est fort conservateur. En réalité, il se peut que le nombre de personnes concernées soit de 2 à 2,5 fois supérieur.

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J'aimerais bien avoir une baguette indicatrice puisque, à titre de psychiatre, je peux difficilement faire un exposé sans consacrer une acétate à Freud. Je tenais à signaler que, en dépit de ce que nous croyons aujourd'hui, il y a eu par le passé des gens qui ne partageaient pas nos vues. Freud est souvent mal cité. Je me permets de le citer, au sujet de l'homosexualité.

Mesdames et messieurs, c'était il y a 61 ans.

Plus près de nous maintenant, pour contrer l'idée que nous avons que nos croyances ont toujours existé, nous oublions souvent de nous demander quelles étaient les croyances des premiers habitants de notre pays. Pour les Autochtones de l'Amérique du Nord, le fait d'avoir un enfant issu de deux esprits était considéré comme une grande bénédiction et je cite un texte à cet effet:

Chose intéressante, cette façon de voir les choses qu'avait la population autochtone avant l'arrivée des Européens en Amérique du Nord semble être confirmée par nos études en biologie, à savoir que l'orientation sexuelle est davantage le reflet de la personnalité innée. Il ressort des études actuelles que des différences structurelles se manifestent durant la période de développement du cerveau et contribuent au comportement sexuel. Certaines des différences de structure du cerveau ont rapport à sa latéralisation - c'est-à-dire le mode d'utilisation par les hommes et par les femmes de l'hémisphère gauche ou de l'hémisphère droit du cerveau. La latéralisation détermine notamment la préférence manuelle. Chez les hommes homosexuels, nous constatons une plus grande proportion de gauchers. Si je parle des hommes, c'est que le phénomène est plus fréquent dans les études portant sur les hommes. Pour les hommes homosexuels, on constate également une augmentation des capacités verbales et certaines différences de capacités spatio-visuelles.

En bref, toutes ces fonctions se manifestent très tôt dans le développement du cerveau, soit entre la huitième et la sixième semaines de gestation. Ainsi, de deux à quatre mois après la conception, de tels processus sont déjà en marche. C'est bien avant que n'intervienne le libre arbitre.

Les études sur la famille et la génétique démontrent qu'il existe une plus forte incidence de l'homosexualité chez certaines familles. Dans certaines études plus approfondies, on s'est penché sur des modes particuliers de transmission génétique. L'image que je vous montre maintenant illustre que les familles qui comptent des frères homosexuels risquent davantage... ou plutôt sont davantage susceptibles - j'allais moi-même employer une expression qui relève de la pathologie sociale - de connaître l'homosexualité chez les cousins maternels et les oncles maternels. Autrement dit, la transmission se fait par le côté maternel de la famille, probablement sur le chromosome X. Autrement dit, c'est l'orientation sexuelle qui serait héréditaire et non pas l'orientation homosexuelle.

Cette image contredit également une croyance populaire répandue autrefois selon laquelle les hommes gais engendrent des enfants gais. En réalité, c'est le contraire qui se produit. Plus de90 p. 100 des enfants de gais deviennent des hétérosexuels et le risque que le garçon ou la fille d'un homosexuel le devienne n'est pas plus élevé que pour la population en général. Ces données correspondent aux résultats de l'étude précédente.

En résumé, il existe des études sur la famille, sur les chromosomes, sur la normalité, sur le cerveau et sur les capacités cognitives. Encore là, les différences se manifestent avant la naissance de l'enfant. Ainsi, parmi les chercheurs, personne ne pense que l'orientation sexuelle est muable, quelles qu'en soient les causes. Elle ne peut être changée. L'orientation sexuelle se manifeste et elle fait partie de l'individu avant même qu'il ne puisse exercer son libre arbitre.

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Sur le plan du développement, l'enfant franchit plusieurs étapes avant d'en arriver à être à l'aise avec lui-même ou d'aboutir à une piètre opinion de lui-même et à un sentiment de désespoir. Comme nous l'avons déjà dit, le substrat d'une orientation sexuelle donnée, qu'il s'agisse de l'hétérosexualité ou de l'homosexualité, est déjà là lorsque l'enfant naît.

À mesure que l'enfant avance dans la vie, il grandit dans un milieu où il existe un préjugé favorable à l'hétérosexualité, soit un milieu où aucune place n'est accordée à la personne homosexuelle, ou encore dans un milieu homophobe, soit un milieu où la haine de l'homosexuel est attisée ouvertement. L'enfant intègre les valeurs qui sont véhiculées dans son entourage et se juge d'après les normes qu'il a appris à connaître - soit le préjugé favorable à l'hétérosexualité, soit l'homophobie. Il finit par se mépriser profondément et se dévaloriser.

Ainsi, la société impose-t-elle à ces enfants des obstacles créés par l'homme à chaque étape de leur développement. Je tiens à souligner qu'il s'agit d'entraves qui sont créés par la société; elles ne sont pas innées. Lorsque les enfants évoluent dans un bon environnement, ils ne connaissent pas de telles difficultés.

C'est au moment de l'adolescence que les vraies difficultés commencent, et pour diverses raisons. Pour l'adolescent, la famille, les pairs et l'école prennent une grande importance. C'est également l'âge des changements hormonaux et des béguins. Pensez à votre première histoire d'amour. Imaginez-vous dans une situation où tout le monde vous prend pour un malade, un dégoûtant, un affreux, quelqu'un qui mériterait d'être exécuté. Ce n'est alors plus du tout la même chose.

À cause de ce genre d'expériences, les jeunes se constituent ce que j'appelle un vrai moi et un faux moi. Ils se bardent d'une carapace ou d'une enveloppe externe qui leur permet d'interagir avec le monde en faisant semblant d'être comme tout le monde mais, dans leur for intérieur ils savent très bien qu'ils sont gais. S'ils agissent de la sorte, c'est de peur d'être rejetés par leur famille, leurs pairs et parce que les modèles de comportement valorisants sont rares.

Dans le monde extérieur, il n'y a personne comme eux, ni à l'école, ni dans la famille, ni dans leur milieu. Ils doivent se débrouiller tout seuls et ils n'ont ni la force, ni le soutien nécessaire. À cause de cela, il se peut qu'ils nourrissent des sentiments de désespoir par rapport à l'avenir, à cause du rejet et de la haine qu'ils ont ressentis.

Dans cette illustration, vous voyez l'extraterrestre en conversation avec un terrien. À bien des égards, les adolescents gais ont l'impression de venir d'une autre planète. Cependant, contrairement à ce qu'on voit ici, ils ont très souvent le sentiment de ne pas être acceptés, et par conséquent, il se peut qu'ils continuent de faire preuve de discrétion. Lorsque l'adolescent homosexuel a l'impression d'être dans un monde tyrannique et oppressif, il risque d'agir comme tout adolescent le ferait dans la même situation. Il risque de se tourner vers l'alcool et la drogue.

De nombreux ados gais sortent avec des jeunes de l'autre sexe pour prouver leur hétérosexualité. Le problème de la grossesse est d'ailleurs considérable parmi les adolescents gais. Les adolescentes apprennent souvent de la société ou de leurs familles qu'il serait très mal vu d'être enceintes, mais qu'il le serait encore davantage d'être lesbiennes. Ainsi, elles peuvent être tentées de tomber enceintes pour prouver qu'elles sont comme tout le monde. Voilà un remède à l'homosexualité que nous ne recommandons pas.

Les jeunes peuvent être tentés d'adopter un comportement hétérosexuel pour être comme les autres. Porté à l'excès, ce comportement peut déboucher sur la haine de tout ce qui leur ressemble. Nous aboutissons alors à la violence faite aux gais.

Il se peut également qu'ils adoptent une position de retrait. En gagnant beaucoup de poids, par exemple, ils peuvent être en mesure d'éviter des fréquentations en prétextant que personne n'a le goût de fréquenter une personne obèse. Il se peut également qu'ils se retirent dans des passe-temps, des sports ou des activités intellectuelles qui leur permettent d'éviter d'assumer leur orientation sexuelle.

Nous en sommes maintenant au culte du héros. Lorsque l'adolescent s'accroche à quelqu'un ou à quelque chose, il lui arrive souvent de s'accrocher très fort. Nous connaissons tous le phénomène Kurt Cobain. Cependant, la presse nous parle rarement des textes écrits par Kurt Cobain sur l'agonie et la solitude et tous ces thèmes qui vont droit au coeur des jeunes. Ce qu'on ne dit jamais, par contre, c'est que cet homme était lui-même mal à l'aise par rapport à son orientation sexuelle.

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Les jeunes cherchent à s'identifier à quelque chose. Dans le cas de Kurt Cobain, certains parmi vous ne savent peut-être pas que c'est un homme qui a fini par se suicider. C'est un modèle que nous laissons à nos adolescents parce que nous n'en avons pas de meilleurs.

Certains adolescents peuvent par ailleurs décider de ne pas se laisser impressionner par les obstacles et de vivre leur homosexualité, advienne que pourra. C'est peut-être un grand pas dans la bonne direction, mais compte tenu des appuis précaires dont disposent ces adolescents, ils risquent de brûler bien des ponts.

Sur le plan du travail scolaire, certains résultats de recherches faites à Calgary portent sur les répercussions profondes de l'orientation sexuelle sur le rendement scolaire. Il en ressort que pour un certain nombre d'adolescents, la citation suivante est fort opportune:

Dans le cadre de ma pratique, je rencontre des adolescents qui me disent que tout ce qu'ils font dans leur milieu familial, dans leur collectivité, dans leur église, ne sert à rien, ne vaut rien puisque, dans la presse, ils se font dire qu'ils sont malades et qu'ils n'ont pas leur place.

Autrement dit, ces adolescents baissent souvent les bras parce qu'ils ne se sentent pas acceptés dans notre société. Nous ne leur faisons pas de place. Voilà le message que nous donnons à nos enfants.

Par conséquent, l'adolescent devient déprimé. Il se sent tout à fait désarmé et impuissant face à toute cette réprobation qui l'entoure quotidiennement dans notre société. On qualifierait d'écrits haineux tous ces messages s'il s'agissait d'une autre question. Ces jeunes ont l'impression de ne pas avoir leur place. Ils se sentent tout seuls.

Dans de telles circonstances, il se peut que l'adolescent n'envisage qu'une seule des trois possibilités suivantes.

La première consiste à accepter son orientation homosexuelle. Pourtant, si c'était si simple, il l'aurait fait depuis longtemps. Pour ce faire, l'adolescent a besoin de marge de manoeuvre. Il doit se sentir accepté quelque part pour pouvoir prendre une décision qui risque de mettre en péril des amitiés, des rapports familiaux et des situations dont il n'a pas la maîtrise. L'adolescent n'est pas autonome sur le plan financier et il ne bénéficie pas de services sociaux sur lesquels s'appuyer.

En deuxième lieu, il peut cacher son orientation homosexuelle ou la nier. C'est ce que choisissent de faire de nombreux adolescents gais. Souvent, ils créent des liens avec une personne de l'autre sexe. Malheureusement, les couples ainsi formés risquent d'être malheureux, le partenaire n'étant pas en mesure d'aimer l'autre comme ce dernier le souhaite. Divers problèmes en découlent: alcoolisme, dépression, dysthymie, recherche d'une affection que le partenaire gai n'est pas en mesure de donner pouvant même déboucher sur la maladie chronique de l'autre partenaire.

La troisième possibilité, qui guette l'adolescent qui a le sentiment d'être dans une situation sans issue, est celle du suicide, comme seule porte de sortie. Malheureusement, elle est trop fréquente.

L'ironie de tout cela c'est que, paradoxalement, on inflige cette douleur et cette souffrance aux jeunes que la société est censée protéger, sous prétexte d'empêcher la propagation de l'homosexualité ou de traiter les homosexuels. Or, comme nous le savons tous, l'homosexualité ne peut être propagée, pas plus qu'elle peut être altérée ou traitée.

Sachant donc ce qui arrive quand l'orientation sexuelle n'est pas reconnue comme partie intégrante de l'être humain et sachant qu'il est tout à fait possible d'éviter le glissement vers le suicide, la toxicomanie, l'alcoolisme, etc., on en est arrivé aux recommandations suivantes au cours des 25 dernières années. Elles ne sont pas nouvelles; elles sont contenues dans les écrits des chercheurs.

Tout d'abord, pour ce qui est des jeunes, ils ont tous besoin d'avoir l'occasion de se constituer une image d'eux-mêmes et une identité qui soit valorisante, d'où la nécessité de modèles de comportement valorisants, qui sont rares aujourd'hui dans une société où bien des gens craignent de perdre leur emploi s'ils font état de leur homosexualité.

Ces jeunes doivent également être reconnus dans toutes les institutions sociales. Ils doivent avoir leur place à l'école ou dans leur milieu; ils doivent se faire dire que leur apport est nécessaire et souhaitable. Leur valeur et leur égalité comme citoyen doivent être reconnues chez eux. Sans cela, ils n'ont pas leur place.

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De plus, il faut que le système juridique leur accorde une protection véritable et qu'ils sachent qu'ils seront également protégés dans leur milieu. Ainsi, l'égalité voudra dire quelque chose pour eux et ils auront de l'espoir pour l'avenir.

De la même manière, les difficultés des jeunes gais sont vécues par leur famille. De nombreuses familles sont aux prises avec les jugements que portent sur elles leurs voisins ou leur groupe religieux, etc. Ces gens ont souvent l'impression d'être injustement laissés à eux-mêmes, de manquer de soutien.

Il nous faut donc favoriser des modèles parentaux valables et une bonne information. Nous devons donner aux parents l'assurance que l'orientation sexuelle de leur enfant est acceptable.

Nous devons également sensibiliser les parents à leurs responsabilités à l'égard de tous leurs enfants. Bien souvent, lorsque des enfants révèlent leur homosexualité à leur famille, ils sont agressés physiquement ou sexuellement, ou encore mis à la porte sans moyen de subsistance, sauf le trafic de drogue ou la prostitution. Quel gaspillage d'enfants!

Pour ce qui est des médias, ils ont ce pouvoir incroyable d'unir les gens et de favoriser la bonne entente ou encore de les diviser et de semer la crainte et la méfiance. Nous oublions souvent qui sont les victimes de nos paroles. Je puis vous dire, d'après mon expérience, que lorsque l'intégrité de ces jeunes est menacée dans les médias, lorsque quelque chose se produit dans notre assemblée législative de l'Alberta ou lorsqu'une personnalité fait un commentaire quelconque, les jeunes sont à l'écoute. Ils finissent par se demander si la vie vaut la peine d'être vécue. Nous devons en être conscients.

Pour ce qui est des services d'aide professionnelle - c'est-à-dire toute une gamme de services sociaux, des gens comme moi - nous devons avoir une idée très claire de notre rôle puisque, désormais, nous disposons d'énoncés de politique très clairs de l'Académie américaine de pédiatrie et de l'Association américaine de médecine. Selon ces deux organismes, toute tentative de transformer un enfant homosexuel en enfant hétérosexuel est considérée comme une faute professionnelle.

Notre objectif consiste à faire en sorte que l'enfant comprenne son orientation sexuelle et sa place dans le monde et qu'il en vienne à les accepter. Ainsi, que nos croyances personnelles coïncident ou non avec cette éthique professionnelle, nous avons la responsabilité professionnelle de veiller à ce que ces enfants bénéficient du traitement et du soutien dont ils ont besoin.

Bon nombre des recommandations contenues dans les écrits scientifiques s'adressent également aux législateurs, et c'est pourquoi je vous en fais part. En voici une contenue dans le New England Journal of Medicine, selon laquelle aucune étude scientifique ne justifie un traitement inéquitable des personnes homosexuelles ou leur exclusion d'un groupe.

Selon de nombreux auteurs, puisque nous parlons d'un groupe très marginalisé dont les membres risquent beaucoup en divulguant leur orientation, les gouvernements doivent jouer un rôle de chef de file en préconisant des changements, en informant la population, sans quoi les gens continueront à véhiculer leurs croyances actuelles. Par exemple, on peut difficilement dire quelle aurait été l'issue d'un vote tenu au sujet des droits des Juifs en Allemagne durant l'holocauste. Mais les gouvernements se doivent de jouer un rôle de chef de file.

Cela dit, j'aimerais résumer en vous laissant sur quatre considérations.

Tout d'abord, on ne choisit pas son orientation sexuelle; elle est innée. Elle est déterminée avant la naissance, dès les tout premiers stades du développement, bien avant que n'intervienne le libre arbitre.

Deuxièmement, c'est plutôt d'amour qu'il faut parler que de sexualité. Nous avons toujours tendance à mélanger les deux. Ces enfants veulent être en mesure de contribuer à la société, etc. et nous ravalons tout à la dimension de l'acte sexuel.

Troisièmement, les conséquences de ce qui précède sont très profondes. Le libre arbitre a quelque chose à voir avec l'orientation sexuelle, mais ce choix est nôtre. Allons-nous choisir de permettre à ces enfants de s'intégrer à notre société pour qu'ils deviennent les chefs de file de demain, ou bien allons-nous leur dire que rien ne va changer et ne leur laisser comme issue que le suicide? Autrement dit, notre façon d'agir va influer sur l'avenir de ces enfants et, dans cette mesure, nous avons une responsabilité à assumer et un silence complice à briser.

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En quatrième lieu, souvenons-nous que toutes les sociétés n'ont pas pensé de la même façon que nous. Comme je vous l'ai déjà signalé, les premiers habitants de notre pays considéraient comme une grande bénédiction le fait d'avoir un enfant issu de deux esprits.

Cela dit, j'aimerais, en terminant, vous laisser sur une citation d'Erik Erikson, un homme qui a beaucoup contribué à notre compréhension du développement normal de l'enfant. Il a déclaré ce qui suit:

Y a-t-il des questions?

Le vice-président (M. Scott): Tout d'abord, merci beaucoup. Vous êtes à 11 secondes près, et je croyais qu'il valait la peine de le signaler.

Avons-nous besoin...?

Dr Kroll: Non, probablement pas, mais j'ai une autre série de diapositives si nécessaire.

Le vice-président (M. Scott): Lumière, s'il vous plaît.

Et pour nous éclairer, justement, nous allons passer à M. Ménard.

[Français]

M. Ménard: J'ai été très impressionné par votre présentation. Au début, j'avais mal compris l'interprétation. Je pensais que vous étiez psychiatre, mais je vois que vous êtes pédiatre. Je ne me trompe pas en disant que vous travaillez auprès des jeunes, n'est-ce pas? D'accord.

J'aimerais discuter de trois choses avec vous, mais pas de l'aspect technique du projet de loi. Ce qui vous intéresse, dans le fond, c'est de voir comment, dans un premier temps, les gens peuvent accepter leur homosexualité et, dans un deuxième temps, comment les sociétés peuvent accepter les homosexuels.

Je voudrais demander à la présidence et au greffier s'il est possible que nous obtenions une copie de vos diapositives et que nous puissions conserver ce matériel. Je ne sais pas si c'est quelque chose de possible, mais je souhaite que ce soit appelé à une très large diffusion.

Depuis trois ans, dans ce Parlement, je me suis beaucoup intéressé à la question de l'homosexualité, et vous le savez, mais jamais nous n'avons eu eu quelque chose d'aussi cohérent et d'aussi intéressant, à la fois sur le plan des statistiques, sur le plan de l'anthropologie et sur le plan de l'étiologie.

J'aurais trois questions à vous poser. La première est plutôt d'ordre psychanalytique. Vous affirmez que l'homosexualité est prédéterminée dans les gènes, que ce n'est pas un choix. Le choix, c'est de la vivre. Le choix, c'est l'espace de liberté que l'on donne aux individus dans la société.

Je suis assez d'accord sur cela. Je crois en mon for intérieur que l'homosexualité n'est pas un choix, jusqu'à un certain point. Je vais vous donner mon propre exemple. Je suis curieux de savoir ce que vous en pensez.

J'ai un frère jumeau identique. Donc, nous sommes homozygotes et nous sommes censés avoir le même bagage héréditaire. Moi, je suis très homosexuel et lui est très hétérosexuel, et il n'y a pas de changement prévisible pour les prochaines années.

Comment expliqueriez-vous ce phénomène? Ne doit-on pas plutôt considérer que l'homosexualité est une combinaison de facteurs génétiques et de facteurs sociaux d'égale importance?

J'aurai d'autres questions plus tard.

[Traduction]

Dr Kroll: Permettez-moi de répondre à ces questions l'une après l'autre. Autrement, je risque de patauger quelque peu.

Le vice-président (M. Scott): Docteur Kroll, pouvez-vous s'il vous plaît répondre à la question au sujet de vos titres professionnels? Je m'excuse de ne pas l'avoir signalé, mais je crois que la chose est importante pour tout le monde.

Dr Kroll: D'accord. Et de quelle question s'agissait-il?

Le vice-président (M. Scott): De celle qui portait sur vos antécédents, de manière à ce que nous puissions établir...

Dr Kroll: Je suis médecin. J'ai mon permis du Conseil médical du Canada. Je suis en dernière année de résidence à l'Université de Calgary. Je vais commencer à pratiquer dans quelques mois.

Ce sujet en est un qui m'intéresse tout particulièrement. J'ai effectué ma recherche avec l'Université de Calgary et l'Université de l'Alberta et je suis en rapport avec les jeunes par le truchement du Programme sur la sexualité humaine et du Programme Woods, deux programme pour les jeunes à Calgary, auxquels participe le docteur Gary Sanders à Calgary.

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Votre première question portait sur la prédétermination. Encore ici, il s'agit d'un domaine où nous étudions sur une foule de nouvelles données et, malheureusement, bon nombre d'études en matière de sexualité humaine continuent d'être faites sous l'angle de la pathologie. Ce que nous étudions, ce n'est pas l'homosexualité. Nous cherchons plutôt à comprendre la sexualité humaine.

J'ai assisté le mois de mai dernier, à Miami, à une conférence où il était évidemment question de ce vieux débat au sujet de ce qui est acquis et de ce qui est inné, mais où on s'entendait par contre pour dire que l'orientation sexuelle n'est pas une question de choix. Cette idée est clairement acceptée partout. Il semble exister un facteur génétique ou développemental extrêmement puissant, sur lequel des expériences très précoces peuvent influer. En termes analytiques, ce serait à une étape bien antérieure à celle du triangle oedipien, de sorte que les théories du genre ne tiennent pas. Nous en sommes à une compréhension tout à fait nouvelle de la sexualité humaine.

Pour ce qui est de votre question au sujet des jumeaux, j'étudie la symétrie dans la préférence manuelle des jumeaux, puisque l'on constate une plus forte orientation sexuelle chez un jumeau que chez l'autre. Pour les jumeaux identiques, on constate également de façon générale que si un jumeau est gai, par exemple, le deuxième aura beaucoup plus tendance à l'être également.

D'après ce que je comprends et sans que l'on puisse tirer des conclusions puisque ce domaine n'a été que peu étudié, il semble exister chez les jumeaux des différences dans ce que nous appelons le développement symétrique. Le phénomène est comparable à celui des ouragans, dont le sens de rotation n'est pas le même, selon l'hémisphère terrestre. Dans le cas des jumeaux, ce phénomène de symétrie peut déterminer si un enfant sera gaucher ou droitier, homosexuel ou hétérosexuel, ou s'il aura des capacités spatio-visuelles ou des capacités verbales.

[Français]

M. Ménard: Sans vouloir abuser, j'aurais une dernière question. C'est tellement rare qu'on reçoit des gens qui parlent à la fois des considérations sociologiques, anthropologiques et étiologiques que nous devons abuser un peu du témoin.

Ma compréhension de l'homosexualité a toujours été la suivante. Dans la vie, certains choisissent de la vivre ou pas, mais cela n'a rien à voir avec leur identité. Ce qui fonde l'homosexualité, c'est le désir. Je ne sais pas comment on explique le désir et je ne sais pas si vous avez fait de la recherche sur le désir.

J'ai souvent l'occasion de faire des discours et je dis toujours aux gens que dans une société, il y a des gens qui vont se découvrir homosexuels. On le sait quand on est homosexuel et je pense même que les parents le savent aussi. Le clivage se fait entre ceux qui choisissent de la vivre ou pas, mais ce qui fonde l'homosexualité, c'est le désir.

Une personne qui est attirée par quelqu'un du même sexe peut ne pas vivre son homosexualité, mais elle sera quand même homosexuelle. Elle ne sera pas gay ni activiste, mais c'est d'abord au niveau du désir que l'homosexualité existe. Croyez-vous que ce discours-là mérite d'être repris? Avez-vous vous-même étudié la formation du désir et de l'attirance?

[Traduction]

Le vice-président (M. Scott): Merci, monsieur Ménard.

Dr Kroll: Tout d'abord, si nous connaissions les causes du désir et de l'attirance chez l'homosexuel, nous en saurions autant pour l'hétérosexuel. Il s'agit d'un domaine d'étude très vaste à l'heure actuelle.

Pour répondre à votre question, il arrive malheureusement trop souvent, comme je l'ai dit au cours de mon exposé, que l'orientation sexuelle soit ravalée au rang d'un acte sexuel. Cette définition de l'orientation sexuelle n'est pas la bonne, même si c'est sur elle que nous fondons nos statistiques. «Avez-vous eu des rapports sexuels avec une personne de votre sexe au cours de la dernière année?», demandons-nous, puisque nous avons là une réponse facile à mesurer. Ce qui cloche, c'est que nous parlons de l'expérience vécue par un être humain qui est attiré par une personne du même sexe ou de l'autre sexe en ramenant cette expérience à un comportement.

.1335

Or, toute personne peut exercer son libre arbitre par rapport à ce qu'elle fait, par rapport à son comportement. Par exemple, de nombreux hétérosexuels restent célibataires. De nombreux homosexuels le restent également. Ils font des choix de comportement. Ce qu'ils sont par essence ne peut être changé. Le fait qu'une personne soit hétérosexuelle ou homosexuelle ne peut être changé. Ce qui peut être changé, c'est la façon dont elle vit cet état.

Voilà qui a, comme je l'ai déjà souligné, d'immenses conséquences.

Vous avez parlé du moment où une personne comprend qu'elle est différente des autres. Souvent, une personne sait qu'elle est différente des autres toute sa vie. Quand on connaît des familles qui ont un enfant gai, de très bonnes familles, elles disent avoir toujours su que leur petit garçon ou leur petite fille était différent des autres enfants, qu'ils ont toujours eu cette impression.

Cela correspond à ce que nous constatons maintenant à propos de l'orientation sexuelle, soit que l'on se rend compte très tôt qu'on est différent des autres, probablement dès l'âge de trois ans et certainement avant l'âge de cinq ans.

Quand l'enfant fréquente l'école et voit la réaction de ses pairs et des éducateurs, comme il ne se sent pas en sécurité, il devient de plus en plus marginalisé.

Quant à savoir si cet enfant aura les appuis nécessaires pour pouvoir faire face à ces réactions au moment de son adolescence et pouvoir dire que ce serait sans doute très difficile, mais qu'il va pouvoir s'en sortir, ou s'il dira plutôt qu'il ne peut pas affronter tout cela et qu'il va plutôt faire un pas en arrière et vivre une vie hétérosexuelle ou simplement abandonner la partie... Il faut pour cela que l'enfant puisse s'appuyer sur les expériences positives qu'il a eues jusqu'ici. Malheureusement, pour bon nombre d'adolescents, ces expériences positives ne représentent pas grand-chose parce que c'est leur nature même qu'on attaque.

J'espère que cela répond à votre question au sujet de la volonté.

[Français]

M. Ménard: J'espère qu'on aura une copie des diapositives, monsieur le président. Je vous le demande formellement.

[Traduction]

Mme Hayes: J'ai vu le mot «muable» sur une des diapositives. Je connais mieux le mot «immuable». Est-ce la même chose? Si je ne m'abuse, vous dites «muable» sur la diapositive. Est-ce que cela peut-être changé ou non? Vous pourriez peut-être m'expliquer la différence entre «immuable» et «muable».

Dr Kroll: Il faudrait que je vérifie sur la diapositive, mais je pense qu'elle disait qu'aucun d'entre nous ne croit que l'orientation sexuelle est muable. La signification dépend de l'endroit où l'on met le négatif dans la phrase.

Ce qu'il faut retenir ici, c'est que cette citation vient de la conférence de la American Psychiatric Association tenue à Miami en 1995. Il y avait eu un débat entre le Dr Byne et d'autres médecins, dont certains disaient que le plus important était les facteurs biologiques, alors que d'autres disaient que l'environnement était plus important. L'affirmation avait été faite parce que, souvent, les scientifiques évoluent dans un monde très différent parce que nos études sont examinées par d'autres et que, si de nouvelles idées font surface, nous devons les examiner attentivement et que les choses évoluent constamment. C'est en partie pour cela qu'on accomplit les progrès scientifiques.

Le Dr Byne et ses collègues se posent souvent des questions sur ce qui se passe. Cependant, ils 'entendent sur un point: peu importe si cela vient d'influences environnementales dans la plus tendre enfance ou de facteurs génétiques ou d'une combinaison des deux, l'orientation sexuelle n'est pas une question de choix.

Je devrais peut-être préciser que d'après les derniers renseignements que nous possédons sur l'orientation sexuelle, les choses que nous pouvons examiner maintenant ne sont rien par comparaison à ce qu'on ne sait pas encore. Nous examinons un facteur chez l'individu alors que le cerveau de cet individu s'est peut-être développé d'une façon différente qui pourrait lui permettre d'avoir une perspective très vaste et de contribuer de façon très créatrice à notre société. Pourtant, nous ne nous intéressons qu'à l'orientation sexuelle.

De toute façon, nous sommes convaincus que l'orientation sexuelle n'est pas une question de choix et que, même si l'on peut changer le comportement sexuel, les conséquences d'un tel changement sont graves et le sentiment qu'on a de sa propre identité ne peut pas être changé.

.1340

Mme Hayes: Vous avez mentionné l'American Academy of Pediatrics et signalé que, d'après l'association, un médecin commet une faute professionnelle en conseillant à quelqu'un de changer son orientation sexuelle. Pouvez-vous nous en dire plus long et expliquer surtout ce qui arriverait si quelqu'un conseillait activement...

Si je ne m'abuse, un groupe dissident s'est formé justement pour s'occuper de ceux qui veulent changer leur orientation sexuelle. D'après l'American Academy of Pediatrics, commettrait-on un acte illégal en aidant quelqu'un qui demande une telle chose?

Dr Kroll: L'American Medical Association et l'American Academy of Pediatrics ont toutes deux recommandé fortement que toute tentative de changer l'orientation sexuelle soit considérée comme une faute professionnelle. Cela vous montre les progrès accomplis par ma profession.

C'est peut-être parce que nous sommes plus près des données scientifiques. J'en vois moi-même les résultats tous les jours. Je vois les adolescents qui viennent nous voir et qui ont des problèmes à cause de cela. Au début, ils nous disent: «Je ne veux pas être gai, je dois être hétérosexuel. Rendez-moi hétérosexuel.» Ils veulent à tout prix se conformer à la société. Ils ne veulent pas être ostracisés, rejetés ou sans avenir. Ils veulent pouvoir faire partie de la société et y contribuer.

Je vois les familles qui doivent faire face aux conséquences d'avoir vu leur enfant se tirer une balle dans la tête et qui se sentiront coupables toute leur vie de n'avoir pas été là pour lui et de n'avoir même pas su ce qui se passait. Il ne s'agit pas d'un groupe marginal, mais de nos enfants.

La probabilité que nous accepterons cet enfant, qu'il soit gai ou hétérosexuel, déterminera dans une large mesure si cet enfant pourra dire à quelqu'un comme moi si je suis son père, ou comme vous, si vous êtes sa mère, qu'il est peut-être gai. Bien sûr, si vous n'êtes pas prêt à l'entendre, il ne dira rien.

D'après la dernière étude faite à Calgary, plus un environnement est homophobe, c'est-à-dire plus la famille est inflexible et condamne l'homosexualité, plus les chances sont faibles que l'enfant révélera son orientation sexuelle et plus elles sont élevées qu'il se suicidera.

Le vice-président (M. Scott): Merci beaucoup, madame Hayes et docteur Kroll.

Madame Augustine.

Mme Augustine: Je voudrais dire à quel point j'ai aimé votre exposé et ai été impressionnée par les recherches que vous avez faites et les 300 références et plus que vous nous avez fournies. Je voudrais savoir si vous êtes au courant d'études qui pourraient réfuter vos conclusions. Existe-t-il des études qui nient les arguments que vous nous avez présentés aujourd'hui?

Dr Kroll: Il y a, bien sûr, des groupes de la société, surtout dans la société américaine et le groupe de l'Oregon, où l'on donne toutes sortes de stéréotypes pour les homosexuels. Ces groupes distribuent leur documentation au public. J'espère, pour ma part, que nous vivons dans une société un peu mieux renseignée et capable de comprendre que ce sont des mensonges.

Quant aux textes scientifiques eux-mêmes, à ma connaissance, il n'y a pas de bonnes études qui réfutent ce que je vous ai dit. La plupart des études récentes ne font que confirmer davantage ces divers facteurs.

J'ai mentionné quelques fois une étude faite à Calgary. L'un des problèmes d'études de ce genre, c'est que ce sont souvent des étrangers qui posent des questions aux gens à propos de leurs pratiques sexuelles. C'est comme si je posais des questions à n'importe lequel d'entre vous ici au sujet de vos pratiques sexuelles. Bien entendu, vous allez hésiter à me répondre. Les auteurs de cette étude ont contourné le problème en garantissant l'anonymat des réponses, en posant des questions par ordinateur et en reliant le tout à la santé mentale.

.1345

Après avoir rassemblé toutes les données, les auteurs ont examiné la question de l'orientation sexuelle, par exemple, dans les cas de dépression, de tentatives de suicide, et ainsi de suite. Leurs conclusions sont encore plus concluantes que celles que je vous ai données aujourd'hui. Les adolescents qui se considéraient comme gais, mais qui refusaient de l'accepter avaient de très fortes tendances à la dépression; bon nombre de ces adolescents étaient aussi déprimés que quelqu'un qui aurait perdu son conjoint moins de six mois auparavant. Cela montre à quel point ils étaient déprimés. La proportion de gais chez ceux qui avaient essayé de se suicider était de 60 p. 100 et, d'après l'étude, la probabilité que ces adolescents tentent de se suicider semble être 13,3 fois plus élevée que la normale pour les hétérosexuels.

Le vice-président (M. Scott): Mme Finestone voudrait poser une question.

Mme Finestone (Mont-Royal): Je dois dire que votre exposé était très intéressant. Je pourrais vous poser toutes sortes de questions, mais il y en a une qui est vraiment fondamentale, soit celle de l'orientation biologique à partir de la naissance ou du moment où l'on comprend sa propre nature, que ce soit à la naissance et immédiatement après, peu importe comment vous définissez ce moment. Dois-je comprendre que les sept millions de familles canadiennes ou les deux millions plus quinze fois ce nombre d'homosexuels possible dans notre société sont déterminés comme tels biologiquement? C'est ma première question.

Deuxièmement, quand deux personnes décident d'avoir une liaison amoureuse qui comporte de l'affection qui dépasse la simple expression sexuelle, les deux partenaires ont-ils au départ cette même orientation sexuelle dont vous avez parlé ou s'agit-il d'un comportement appris pour l'un d'eux?

Vous nous avez parlé d'une définition biologique. Je ne suis pas tout à fait certaine de comprendre quelles sont les conséquences de ces définitions sur l'ensemble du secteur de notre société que nous voulons protéger et mettre à l'abri de la discrimination pour qu'il soit considéré comme l'égal des autres dans notre société.

Le Dr Kroll: Je ne suis pas certain d'avoir tout à fait compris la question.

Mme Finestone: Vous nous avez donné toutes les raisons biologiques pour lesquelles ces personnes, dès le plus jeune âge, avant ou après la naissance, ont des tendances ou des mécanismes internes qui déterminent leur orientation sexuelle. N'est-ce pas exact? N'est-ce pas ce que vous avez fait?

Dr Kroll: Oui.

Mme Finestone: Mes questions découlent de cela. Toutes les personnes qui ont une liaison avec une personne du même sexe ont-elles la même raison biologique pour ce mode de vie particulier?

Dr Kroll: Les auteurs de This Hour Has 22 Minutes ont fait un sketch dans lequel un journaliste disait que, pendant sa jeunesse, il avait simplement décidé d'abandonner tout ce qui voulait dire quelque chose pour la société. Il avait décidé de se joindre à un groupe en marge de la société que tout le monde déteste et méprise. Il avait décidé de risquer sa famille, ses amis, son emploi, et tout le reste.

Je pense que nous devons à un moment donné avoir le bon sens de nous demander pourquoi une personne risquerait tout cela pour connaître une chose qui devient une expérience positive pour elle. Par exemple, j'ai parlé de certains des couples historiques comme Roméo et Juliette ou Antoine et Cléopâtre. Ce sont des sentiments très profonds et très forts. Vous n'avez qu'à penser à votre première histoire d'amour. Vous êtes en amour par-dessus la tête...

Mme Finestone: C'est un lointain souvenir, mais continuez.

Dr Kroll: Vous n'êtes pas obligée de nous en parler, mais pensez-y un peu.

M. Ménard: Je veux les détails.

Des voix: Oh, oh!

Dr Kroll: Ce sont d'expériences de ce genre que nous parlons et du fait qu'on nie aux gens la possibilité de connaître ces choses merveilleuses et qu'on les force au lieu à connaître des expériences négatives. Autrement dit, pour ceux ici qui ont déjà été en amour, ce sentiment est le même, que quelqu'un ait une orientation hétérosexuelle ou homosexuelle. C'est de cela que nous parlons.

.1350

Mme Finestone: Ce n'était pas ma question. Je voulais savoir si ce sentiment d'amour, c'est-à-dire le grand coup que l'on ressent, est le même pour une liaison hétérosexuelle- hétérosexuelle, une liaison homosexuelle-hétérosexuelle et une liaison homosexuelle- homosexuelle au moment du contact et de la rencontre. Est-ce parce que vous avez des mécanismes biologiques internes particuliers que vous ressentez de l'attachement et de l'amour envers une autre personne? Cette autre personne doit-elle avoir les mêmes mécanismes biologiques?

Dr Kroll: Nous pourrions peut-être...

Mme Finestone: J'ai du mal à accepter que tout vienne de facteurs biologiques, mais c'est peut-être à cause de mon ignorance. C'est pour cela que ce que vous dites m'intéresse.

Dr Kroll: Ce que je dis a trait à la façon dont une personne en voit une autre. Par exemple, que l'objet de ses désirs soit hétérosexuel ou homosexuel, si l'on trouve quelqu'un d'autre attirant, le coeur bat plus fort, n'est-ce pas? Si vous jetez un coup d'oeil aux revues de mode, vous verrez qu'un pourcentage élevé de ceux que l'on considère comme des stéréotypes de l'homme hétérosexuel sont en réalité homosexuels, mais les femmes les trouvent très attirants. Cela veut dire que ces femmes sont hétérosexuelles. Elles sont attirées par les hommes.

Dans le cas d'une liaison homosexuelle, vous avez une personne qui est attirée par une personne du même sexe pour des raisons qui vont plus loin que le sexe. Ce sont les mêmes raisons pour lesquelles, par exemple, quelqu'un ici va trouver une autre personne...

Mme Finestone: Le sexe de la personne entre-t-il vraiment en ligne de compte? C'est ce que je veux savoir.

Le vice-président (M. Scott): Je pense que cela nous amène à la fin de cette partie de nos délibérations. Merci beaucoup de votre exposé, docteur Kroll, et merci à tout le monde pour les questions. Cela a été très instructif.

Je vais maintenant céder le fauteuil à Mme Finestone et inviter le prochain témoin, Gerald Vandezande, à s'avancer.

La présidente: Excusez-moi, docteur Kroll, mais nous avez-vous laissé plusieurs exemplaires de votre document?

Dr Kroll: J'en ai donné des exemplaires à M. Cole, qui doit faire faire des photocopies pour tout le monde.

La présidente: Très bien, merci.

Monsieur Vandezande, comme vous nous avez écoutés pendant de nombreuses heures, je suis certaine que vous avez entendu des choses intéressantes. Je vous remercie d'avoir été si patient. Allez-y.

M. Gerald Vandezande (directeur national des Affaires publiques, Citoyens pour la justice publique): Merci, madame la présidente et membres du comité. J'admire la patience que vous manifestez en écoutant tous ces arguments et votre capacité de digérer tous ces renseignements.

La présidente: Ce n'est pas toujours le cas.

M. Vandezande: J'ai trouvé le dernier exposé extrêmement utile et instructif.

Citoyens pour la justice publique est un organisme indépendant, national, non sectaire et oecuménique financé entièrement par les droits d'adhésion de ses membres et par des dons. Il travaille en étroite collaboration avec diverses églises chrétiennes et d'autres communautés religieuses pour l'élaboration des politiques publiques. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de témoigner devant votre comité pour exprimer nos opinions en matière de justice publique.

.1355

Je tiens tout d'abord à dire que, lorsque je témoigne devant un groupe comme le vôtre, j'essaie de me mettre à votre place ou à celle du ministre chargé d'élaborer une politique publique qui se reflétera dans une loi.

Notre association appuie en principe l'amendement proposé par le gouvernement à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cet amendement interdira avec raison la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle à l'endroit de personnes employées par le gouvernement fédéral ou des entreprises régies par le gouvernement fédéral.

Nous avons cependant des questions importantes à poser sur le sujet.

D'abord, il y a les conséquences possibles de cet amendement historique et de l'effet que cela pourrait avoir pour la définition établie du mariage.

Deuxièmement, il y a les conséquences pour les avantages pour les conjoints.

Troisièmement, et c'est aussi très important, il y a la nécessité d'accorder les mêmes avantages à des personnes vivant dans une union de type différent et caractérisée par un engagement mutuel.

Nous soulevons cette troisième question dans le contexte du communiqué de presse du 23 avril dans lequel le ministre disait qu'il n'y a rien dans le projet de loi qui porte sur les avantages sociaux. Qui plus est, dans le document du ministère de la Justice déposé en même temps que le projet de loi C-33, on mentionne à maintes reprises, au moins trois fois, que le projet de loi ne porte pas sur les avantages sociaux. Nous voulons donc parler de cette question.

Notre association croit dans le principe biblique de la justice publique pour tous. Nous croyons que tous les Canadiens de tous les groupes de notre société doivent avoir le droit d'être également protégés par la loi, comme le stipule la Charte canadienne des droits et libertés. Une justice égale pour tous est le fondement d'une société démocratique et pluraliste qui respecte tous les citoyens de toutes les communautés.

Citoyens pour la justice publique a toujours soutenu qu'un pluralisme basé sur de bons principes et la non-discrimination veut dire aussi que l'État reconnaît que les membres de groupes différents ont des convictions, des valeurs et des opinions différentes. Cela veut dire que tous ont le droit et la liberté devant la loi d'avoir un mode de vie différent, peu importe si nous ne sommes pas d'accord pour des raisons religieuses ou idéologiques avec les valeurs ou les modes de vie différents de nos voisins.

Notre association a toujours affirmé que la justice publique pour tous les membres de tous les groupes de la société doit se faire conformément à la loi canadienne et à une politique publique qui protège tout le monde également et ne pratique de discrimination contre personne. Tous les Canadiens, y compris les minorités, ont droit à l'égalité devant la loi, y compris un accès structural et un traitement public équitable relativement à la protection et aux avantages offerts par la loi sans aucune discrimination fondée sur des critères sans importance comme l'origine raciale, nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge, une incapacité mentale ou physique ou l'orientation sexuelle.

Notre association croit que les lois et les politiques du Canada doivent respecter les droits de tous les Canadiens, sans exception, lorsqu'il s'agit de la fourniture de biens, de services, d'installation ou d'accès, ou encore lorsqu'il s'agit d'emploi et d'autres questions connexes.

Notre association reconnaît aussi que les exceptions prévues à l'article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, relativement aux droits des employeurs de pratiquer dans certains cas une «discrimination» découlant d'exigences professionnelles justifiées doivent être maintenues. Par exemple, les organismes politiques et religieux doivent continuer d'avoir le droit aux yeux de la loi d'établir des normes d'emploi et d'adhésion basées sur leurs engagements respectifs et leur vision de la vie pour protéger leur propre identité et leur intégrité.

Cependant, le gouvernement doit faire bien davantage que protéger les gais et lesbiennes du Canada de la discrimination liée à leur droit à l'emploi et à leur fourniture de biens et de services. Le gouvernement doit protéger de façon proactive les droits de la personne.

Les droits aux yeux de la loi et le statut des partenaires gais et lesbiennes qui vivent dans un couple engagé et qui acceptent une responsabilité mutuelle pour le bien-être de l'autre partenaire continuent de faire l'objet d'un grand débat public et de plusieurs actions en justice, ce qui coûte très cher. Le Parlement doit se pencher sur la revendication par ces citoyens de leurs droits à l'égalité aux yeux de la loi, y compris les prestations régulières de pension et de santé, les avantages fiscaux et autres avantages offerts normalement aux couples hétérosexuels.

Le gouvernement accorde certains avantages financiers aux unions hétérosexuelles parce que le gouvernement considère ces unions engagées à long terme, qui appellent entre autres choses la cohabitation et l'interdépendance socio-économique, comme avantageuses pour la société sur le plan socio-économique. Notre association considère que d'autres unions où il existe le même engagement mutuel et la même interdépendance socio-économique méritent un traitement égal aux yeux de la loi. Toutes les unions, que ce soit entre des partenaires gais ou hétérosexuels, entre des amis ou même entre des parents, devraient donner droit aux mêmes avantages relatifs à la pension, à la santé, à l'impôt, etc., que pour les couples mariés, pourvu que les partenaires aient enregistrés officiellement une déclaration publique d'engagement mutuel auprès des autorités officielles.

.1400

Par conséquent, notre association préconise l'élaboration de définitions appropriées dans la loi pour différentes unions sociales, qui seraient chacune considérées également aux yeux de la loi et aux fins de l'impôt et dans le cadre de droits et d'obligations bien définis.

Nous avons proposé, par exemple, la création d'une nouvelle catégorie d'union aux yeux de la loi appelée «union domestique enregistrée», qui serait accessible aux couples hétérosexuels et homosexuels et qui serait l'équivalent juridique du mariage. Nous élaborons cette notion à l'annexe A.

Cette définition juridique devrait respecter publiquement la nature particulière de diverses unions sociales, telles que le mariage, l'union domestique et le ménage. Le Parlement devrait favoriser la responsabilité mutuelle et la redevabilité publique en modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et les autres lois et politiques du gouvernement fédéral qui régissent les droits à l'égalité de tous les Canadiens. La reconnaissance publique de ces différentes unions sociales devrait être accompagnée des définitions juridiques appropriées donnant en même temps les droits et les responsabilités, de même que les avantages et les obligations des conjoints et partenaires dans un mariage, une union domestique enregistrée ou un ménage.

Notre association incite donc le Parlement à faire deux choses. D'abord, il devrait immédiatement entreprendre des études approfondies, de concert avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, pour déterminer quels droits et avantages relatifs à la pension, à la santé, à l'impôt et autres régimes sont maintenant offerts aux couples mariés et de fait, aux familles et autres.

Deuxièmement, il devrait tenir des audiences publiques pour déterminer quels droits et avantages devraient être offerts aux couples mariés et de fait, aux familles, aux partenaires domestiques et autres à cause de leurs engagements mutuels et de leur interdépendance socio-économique.

Ces études devraient être entreprises en vue de proposer des options de politique publique possibles qui refléteront l'engagement du Canada envers la dignité humaine, le respect mutuel, la responsabilité mutuelle, l'équité économique, la justice sociale et la justice fiscale pour tous les citoyens et résidents permanents. La justice veut dire justice pour tous; ce n'est pas «juste pour nous».

Merci.

La présidente: Merci. Vous pourriez peut-être nous dire ce que vous savez des unions domestiques suédoises. Il me semble que le ministre a mentionné les unions domestiques à l'occasion de quelques interventions et en réponse à quelques questions posées par les membres du comité, mais je ne me rappelle pas exactement ce qu'il a dit à propos des unions domestiques dans le contexte canadien. Qu'est-ce que c'était?

M. Vandezande: Je n'étais pas ici quand le ministre a témoigné. Je ne connais pas très bien le modèle suédois.

Ce que nous voulons, c'est que l'on reconnaisse les droits et les besoins des couples engagés de lesbiennes et de gais et qu'on le fasse de façon équitable. À l'heure actuelle...

La présidente: En allant plus loin que la définition de «conjoint»?

M. Vandezande: ...la seule façon d'y parvenir semble être de demander aux tribunaux d'élargir la définition d'un mariage, c'est-à-dire d'une union historique et bien établie qui a jusqu'ici été définie surtout comme étant une union hétérosexuelle.

Le problème pour les tribunaux est donc de voir comment on peut relier les revendications d'un couple homosexuel, c'est-à-dire de partenaires gais ou lesbiennes et cette interprétation du mariage. Les tribunaux ne se sont pas mis d'accord là-dessus.

Ce que nous proposons, c'est qu'en plus de la définition établie du mariage, on ait aussi une définition d'une union domestique enregistrée, qui pourrait s'appliquer aux yeux de la loi et de la politique publique aussi bien à des couples hétérosexuels qu'à des unions homosexuelles, et à laquelle seraient rattachés les mêmes droits et responsabilités et les mêmes avantages et obligations qu'au mariage pour qu'il n'y ait aucune discrimination devant la loi ou dans la politique publique à l'égard des droits que les personnes enregistrées soit sous la définition d'un mariage, soit sous la définition d'une union domestique enregistrée, peuvent avoir à certains privilèges, droits, prestations, devoirs, obligations et responsabilités prévus par la politique publique. Tous seraient traités de la même façon, mais il y aurait plusieurs catégories.

.1405

J'en suis venu à cette conclusion après un sondage que l'association a mené auprès de tous ses membres et de diverses consultations auxquelles assistaient des personnes gaies, sauf pour deux séances. Une chose intéressante que nous avons constatée lors de ces consultations, c'est que certains couples gais insistaient pour se décrire comme «mari et femme», alors que certains couples hétérosexuels disaient «nous ne voulons pas être considérés comme mari et femme, mais simplement comme partenaires».

Après avoir discuté avec ces personnes et d'autres de la façon la plus équitable de prévoir dans la politique publique le droit égal aux avantages sociaux et autres, nous en sommes venus à la conclusion qu'il serait peut-être utile de créer une autre catégorie qui pourrait s'appliquer également tant aux couples hétérosexuels qu'aux couples homosexuels et qui leur donnerait les mêmes avantages, mais pour laquelle les partenaires devraient accepter d'enregistrer officiellement leur engagement mutuel, de la même façon qu'on enregistre un mariage, pour que le gouvernement et les autres organismes aient une preuve officielle de l'enregistrement de l'union et de la volonté des partenaires d'être mutuellement responsables du bien-être de l'autre et de la nécessité de prévoir dans la loi le droit aux mêmes prestations pour ces couples qu'aux couples mariés.

Je sais qu'il existe des formes différentes d'unions domestiques en Europe et dans certains États américains. Je vais d'abord être négatif. Nous ne préconisons pas le genre de modèle où les unions se forment et se défont du jour au lendemain. J'en ai discuté avec certains membres de la communauté gaie et ils ne sont pas d'accord non plus. Il devrait y avoir un acte d'engagement officiel quelconque qui indique que les membres de l'union sont des partenaires. Cela pourrait se faire à l'hôtel de ville ou ailleurs. Sur le plan positif, conformément à l'esprit et à la lettre de la Charte et de la Loi sur les droits de la personne, nous favorisons un traitement égal aux yeux de la loi et de la politique publique pour qu'il n'y ait aucune discrimination dans la prestation, non seulement de biens et services, mais aussi des avantages qui découlent de la loi fédérale.

La présidente: Merci.

[Français]

M. Bernier: Je remercie M. Vandezande de sa présentation fort originale. J'ai un certain nombre de questions à lui poser. Si j'ai bien compris, lorsqu'il fait référence à ce nouveau concept de partenariat domestique, ou domestic partnership, il reconnaît en même temps la nécessité de régler de façon séparée le dossier de la discrimination. Est-ce exact?

Autrement dit, la suggestion que vous faites peut être une solution lorsqu'on prend en considération l'aspect des bénéfices économiques dont certains individus veulent profiter. Vous êtes d'accord, je pense, que la question de la discrimination qui fait l'objet de ce projet de loi est différente de la suggestion que vous faites. Ai-je bien compris votre présentation?

[Traduction]

M. Vandezande: Vous avez raison. Nous préconisons sans équivoque qu'une fois pour toutes on mette fin à toute discrimination à l'endroit des gais et des lesbiennes en raison de leur orientation sexuelle. Ainsi, nous appuyons cet amendement. Cet amendement ne porte toutefois que sur l'emploi et la fourniture de biens et de services.

Je suis arrivé plus tôt ce matin délibérément parce que je voulais entendre les autres exposés. La question des avantages sociaux a été soulevée à plusieurs reprises. Le ministre de la Justice, M. Rock, ne cesse de le répéter et cela est repris dans les documents et autres communiqués rendus publics le 29: le gouvernement n'a nullement l'intention de se prononcer sur la question d'offrir des avantages sociaux aux couples de même sexe, comme on les appelle.

.1410

Je suis d'accord avec les témoins qui m'ont précédé. Les avantages sociaux ne devraient pas être conférés en raison d'une relation sexuelle mais plutôt en raison d'un engagement social entre deux personnes. À mon avis, si tout était ramené à une relation sexuelle, on éprouverait de graves difficultés dans la formulation d'une politique publique à long terme.

Outre l'urgence de faire figurer dans la loi ce qui a déjà été affirmé par les tribunaux, à savoir qu'il faut mettre un terme à toute discrimination en matière d'emploi et de fourniture de biens et services, il faut, et c'est incontournable, reconnaître ce qui est évident, c'est-à-dire cette revendication d'un traitement égal sur le plan des avantages sociaux.

On a constaté une discordance des décisions judiciaires et des vues contradictoires. Cette discordance s'explique notamment du fait qu'en vertu de certaines lois, la Loi sur la sécurité de la vieillesse par exemple, certains avantages ne sont conférés qu'aux gens qui sont mariés, suivant la définition traditionnelle du mariage. Soucieux de traiter équitablement certaines réalités sociales et conscients de la nécessité de reconnaître les diverses relations qui existent, nous prétendons que dans sa politique publique, le gouvernement doit modifier ses lois et envisager de définir une catégorie supplémentaire d'ayants droit en ce qui concerne les avantages sociaux. Le conflit social à ce propos va durer tant que les tribunaux continueront de rendre des décisions contradictoires.

Quand toute cette question a commencé à être discutée, nous avons comparu devant le comité et c'était en 1984 ou 1985. Le débat dure donc depuis 10 ou 12 ans et il ne s'est pas toujours déroulé dans un climat positif. Selon nous, la façon la plus responsable de réagir dans ce cas-ci serait de définir une catégorie juridique supplémentaire, ou deux, pour que deux personnes qui se sont engagées l'une envers l'autre, sur le plan sexuel ou autrement, bénéficient d'un traitement égal sur le plan de la fiscalité et des autres avantages sociaux, et ce sans changer la définition du mariage.

Nous croyons que du point de vue de la justice publique, ce serait là une façon responsable de traiter les gens également, équitablement, sans que l'on se montre plus favorable à l'endroit d'une conviction ou d'un mode de vie en particulier. Selon nous, la loi doit reconnaître certaines réalités et partant, les droits de ceux qui vivent dans ces réalités. L'objectif de la loi n'est pas de promouvoir ou de sanctionner une conviction ou un mode de vie particulier. L'objectif de la loi est de veiller à donner à tous les citoyens, quels que soient leur religion, leur orientation sexuelle ou leurs autres attributs, la possibilité d'appartenir en toute égalité à une société pluraliste et démocratique sans avoir à renoncer à leurs opinions, leurs valeurs ou leurs convictions religieuses.

[Français]

M. Bernier: Cela me satisfait. Mais je voudrais continuer, si vous me le permettez, madame la présidente.

Mme la présidente a mentionné tantôt que le ministre de la Justice avait déjà fait référence à ce concept. Je ne pense pas qu'il en ait discuté devant ce comité en regard de ce projet de loi, mais je crois qu'il avait comparu, l'an dernier, au Comité des droits de la personne. Je ne sais pas si certains collègues étaient présents, mais il avait fait référence à ce concept précisément.

Je crois cependant que dans le contexte de la loi actuelle, le ministre tient vraiment à distinguer la question de la discrimination de celle des droits économiques accordés à des individus. Si on se réfère au droit économique, vous avez raison de dire que des collègues du Parlement sont inquiets, mais c'est la réalité.

Le commissaire Yalden l'a répété aussi. Il est clair qu'il faudra s'occuper de cette question des droits économiques et la régler. La suggestion que vous faites en ce sens m'apparaît très intéressante.

Je voudrais revenir sur le projet de loi qui nous préoccupe et avoir votre opinion concernant le préambule et la référence à la famille. Je ne sais pas si votre organisme s'est déjà prononcé là-dessus.

.1415

Le ministre, hier, n'a pas voulu définir la famille. Il nous a expliqué pour quelle raison il n'a pas voulu reconnaître qu'un couple homosexuel avec des enfants forme une famille. Il n'a pas dit que ce n'était pas une famille, mais il n'a pas voulu le reconnaître explicitement. Quelle est donc votre conception de la famille, et vous apparaît-il utile qu'on la définisse?

[Traduction]

M. Vandezande: Merci.

Pour commencer, je voudrais répondre en posant une question aux membres du comité. On ne peut pas affirmer en lisant le projet de loi C-33 que le préambule sera intégré au préambule de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je me pose donc la question. Si l'intention n'est pas...

La présidente: Non, ce ne sera pas le cas. La reconnaissance judiciaire ne sera pas incluse dans le projet de loi.

M. Vandezande: Juste. Je me pose une autre question concernant les conséquences que cela aura en droit. En effet, si cela ne fait pas partie du préambule de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l'effet sera insignifiant, voire nul, en droit.

Deuxièmement, j'ai écouté attentivement la discussion de ce matin. Je ne pense pas qu'il soit opportun que le Parlement essaie de définir ce qu'est la «famille».

Je n'ai pas consulté mes collègues ni les membres du conseil d'administration.

Permettez-moi de vous donner un exemple personnel. D'aucuns estiment que ma femme, Wyn, et moi-même, qui avons adopté deux enfants, ne formons pas une famille parce que nos deux enfants sont adoptés. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. Il y a une foule de façons de définir ce qu'est une famille.

La présidente: En d'autres termes, les liens du sang ne sont pas nécessairement ce qui forme une famille, n'est-ce pas?

M. Vandezande: C'est cela. Si l'on s'en tient strictement à ce critère, on s'expose à toutes sortes de difficultés. Personnellement, du point de vue de la justice publique, j'estime que le Parlement devrait définir les choses à partir de ce qui existe, de la réalité.

J'ai des amis qui vivent une relation lesbienne et les enfants de l'une d'entre elles font partie de ce ménage. Je le considère comme une famille. D'autres ne sont pas de cet avis. J'ai un ami qui vit avec un autre ami, et ils sont tous les deux homosexuels. Les enfants de l'un d'entre eux vivent avec eux. Je considère également qu'ils forment une famille.

Certains d'entre eux appartiennent à nos églises, où ils sont accueillis chaleureusement, même s'il y a certaines personnes qui ont du mal à les accepter. Je crois fermement que Dieu veut accepter tous et chacun, que l'église devrait inviter tous et chacun et que l'État devrait protéger tout le monde. C'est une de mes convictions les plus profondes.

Dans un préambule, en essayant de définir toutes les formes de famille, en essayant de prendre une décision plus ou moins arbitraire quant à ce qui constitue une famille, on se prive de la souplesse tout à fait pertinente dont les politiques comme les magistrats doivent disposer pour évaluer comment il convient le mieux de rendre justice aux relations les plus diverses.

Je sais bien que ce point de vue ne fait pas l'unanimité chez certaines gens d'Église, mais je tiens à dire qu'il faut se rappeler qu'une grande variété de relations familiales a existé au cours de l'histoire, comme en témoigne l'Ancien Testament. On ne trouve nulle part de définition rigide de ce qu'est une famille ou de ce qu'elle devrait être. Les Écritures et l'Évangile invitent chacun à demeurer fidèle et à accepter la responsabilité d'un bien-être mutuel.

Je reviens à votre question concernant la famille. Même s'il est bon d'en proclamer l'importance, je préférerais y lire notre engagement envers les principes de justice, d'équité, de responsabilité mutuelle et de justice économique. Pour moi, cela est beaucoup plus éloquent que de dire «nous proclamons l'importance de la famille». Je souhaite de tout coeur que nos programmes sociaux aillent dans ce sens.

La présidente: Nous avons beaucoup dépassé le temps alloué.

Sharon, vouliez-vous poser une question?

Mme Hayes: En fait, j'ai raté le gros de l'exposé, malheureusement, car j'ai été retenue à l'extérieur de la salle.

Je voudrais faire une remarque concernant ce que vous venez de dire, mais j'aimerais revenir à une autre question un peu plus tard.

.1420

Si je ne m'abuse, la «famille» est définie dans certaines lois comme la Loi de l'impôt sur le revenu. Quand vous dites que le Parlement devrait s'abstenir de définir ce qu'est la «famille», vous oubliez que c'est déjà fait.

M. Vandezande: Juste. Je comprends cela. Les remarques portaient sur l'opportunité de définir dans ce préambule en particulier ce qui constitue une famille.

Je reconnais que le Parlement a le droit et parfois l'obligation, étant donné certaines nécessités juridiques, de définir ce qui constitue une famille et je n'y vois pas d'inconvénient. S'agissant de la Loi sur les droits de la personne, il est important de ne pas tomber dans le piège - sans connotation péjorative - d'une définition que l'on pourrait être amené à regretter dans six mois ou dans six ans.

Par exemple, dans notre religion, il fut un temps où les enfants adoptés ne pouvaient pas être baptisés. Les idées ont changé mais pour cela, il a fallu que les gens soient touchés par la grâce.

La présidente: Audrey.

Mme McLaughlin (Yukon): Je voudrais vous poser trois questions sur les partenariats domestiques, que je ne désapprouve absolument pas. Je pense que par là on pourrait contourner les autres difficultés dont vous avez parlé.

Comme vous le savez, cette notion a été discutée dans les assemblées législatives provinciales à propos des avantages sociaux accordés aux couples de même sexe, avantage qui, je m'empresse d'ajouter, sont déjà accordés au Yukon. Nous sommes donc à l'avant-garde par rapport au reste du Canada, qui, c'est ce que nous souhaitons, nous rattrapera...

M. Vandezande: C'est peut-être au Yukon que nous devrions aller.

Mme McLaughlin: Une des questions, et je ne sais pas ce que vous en pensez, parce qu'une des critiques - je présume que vous incluriez dans cela les ménages formés de conjoints de fait...

M. Vandezande: S'ils le souhaitent.

Mme McLaughlin: ...un homme et une femme, s'ils le souhaitent... Il faudrait qu'il y ait une déclaration officielle, un papier qui soit signé. Comme vous le savez, les détracteurs de cette idée vous demanderont où cela s'arrêtera. Va-t-on inclure une adulte, une jeune femme, qui vit avec sa mère? Comment résoudre cette difficulté? Comment empêcher que les choses ne dépassent les bornes, parce qu'après tout il s'agit bien d'un ménage dans le cas que j'ai cité, mais est-ce une famille? Est-ce un partenariat domestique? Avez-vous fait des recherches là-dessus?

M. Vandezande: Pour ma part, je préconise trois définitions. D'une part, celle du mariage, que l'on connaît actuellement, en vertu de la législation traditionnelle, c'est-à-dire un couple hétérosexuel uniquement. Deuxièmement, un partenariat domestique, dont pourraient se réclamer des couples hétérosexuels et homosexuels. Ensuite, ce que j'appellerais un «ménage», c'est-à-dire deux amis, une mère et son fils, deux soeurs, ou n'importe quelle personne qui déciderait d'accepter la responsabilité d'un ménage - le partage des ressources et des revenus, l'achat ou la location d'un logement commun - c'est-à-dire deux personnes qui ne seraient pas dans une relation de mariage, ni dans un partenariat, mais formeraient tout simplement un ménage. C'est ainsi que la loi pourrait faire les distinctions et les différences qui s'imposent et accorder des avantages sociaux suivant les catégories définies.

Si je ne m'abuse, cela se fait déjà en Europe de l'Ouest, surtout en matière de politique sociale. Ainsi, on échappe au carcan de «l'épouse à la maison» et aux vérifications quant à savoir si vous vivez avec quelqu'un. Par conséquent, quiconque voudra avoir accès à certains avantages familiaux, maritaux ou de partenariat, devra déclarer ses couleurs. Dès lors, il y aura droit, mais on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Il faudra faire un choix: il faudra être prêt à accepter certaines responsabilités et certaines obligations afin de bénéficier de certains droits et privilèges, et vice versa.

La présidente: Jean.

Mme Augustine: Madame la présidente, je ne sais pas dans quelle catégorie vous mettriez ma question.

J'ai regardé votre mémoire et j'ai écouté votre exposé. J'ai participé au débat avec mes propres collègues et j'ai écouté ce qu'avaient à dire les membres du Parti réformiste et les autres... Pouvez-vous nous dire si vous pensez qu'il serait opportun d'aller au-delà de la prudence politique actuellement? Nous essayons de faire comprendre à nos collègues ce que représente la discrimination, son impact, nous essayons de leur faire voir le problème sous cet angle.

.1425

S'il y a tant de discussions, une telle polarisation et un si gros différend, c'est, à mon avis, parce que - pour reprendre une expression que j'ai entendue si souvent, et hier soir notamment - l'ouverture des digues va entraîner un flot de bouleversements dans la société, qui n'est pas encore prête à y faire face, malgré les ententes internationales que nous avons signées concernant les droits de la personne, en dépit de notre Charte, de nos codes, en dépit du fait que certaines provinces ont déjà inclus cette modification dans leur législation. La discussion porte sur des choses comme vos recommandations, et des gens comme Sharon et d'autres ne sont pas prêts à se rallier à vous.

Quant à moi, j'ai fait campagne pour plusieurs choses. Comment peut-on décider qu'en mai 1996 le moment est propice pour faire accepter quelque chose? Ensuite, comment peut-on empêcher la marée... c'est-à-dire le ressac, le retour en arrière: celui qui, ayant combattu, en sort vivant, pour combattre de nouveau.

Comprenez-vous ce que j'essaie d'exprimer?

La présidente: C'est comme en toute chose: c'est une question de minutage.

M. Vandezande: Vous me demandez si on devrait aller au-delà de toute prudence politique, mais je vous demanderai à mon tour ce qu'est la prudence politique. À mon avis, la prudence politique, c'est accepter la responsabilité d'ouvrir la voie, ce que notre nation mérite et ce à quoi elle a droit, de sorte que les citoyens, quelles que soient les relations qu'ils vivent, les structures où ils se trouvent, comprennent véritablement ce que c'est qu'un mode de vie de qualité, un véritable sens de la communauté, un tissu social tendu sur le respect mutuel, la responsabilité mutuelle et le renforcement des valeurs fondamentales qui nous tiennent à coeur.

À défaut de montrer cette voie-là, d'autres le feront. Le Parlement et les assemblées législatives, les médias surtout... Je ne pense pas que les médias aient fait du bon travail dans ce cas-ci, car ils ont tendance à éviter les questions plus profondes et de portée plus vaste, et, quand ils en parlent, c'est pour en souligner l'aspect discordant plutôt que pour favoriser le dialogue.

Voilà pourquoi nous préconisons la création d'un comité spécial de la Chambre et du Sénat qui tâcherait de voir où en est l'opinion publique canadienne sur cette question, comme cela a été fait pour l'euthanasie.

Mais il faut aller plus loin. Il faut trouver des solutions de rechange nouvelles, dépasser les catégories traditionnelles et confronter la réalité à coeur ouvert. Il faut répéter l'expérience des tables rondes que nous avons eues avec le Comité des finances, où on se demandait comment on pouvait régler le problème du déficit et de la dette. Comment donc aborder cette question en dehors des voies officielles?

Pour ce qui est de l'ouverture des digues, je vous dirai que c'est précisément ce que l'on fait quand on refuse de faire les choses de façon responsable. Je m'explique: si vous ne donnez pas aux citoyens l'impression qu'ils participent au processus, qu'ils ont le droit d'influencer le cours des choses par leur intervention, ils vont se décourager et feront cavalier seul.

En outre, il faut que les gens comprennent que, parce que l'on change une loi, en l'occurrence la Loi canadienne sur les droits de la personne...

Même si je n'en crois pas un mot, disons un instant, en théorie uniquement, que la protection de l'orientation homosexuelle soit néfaste. Ne pas en parler ouvertement, au sein des Églises ou dans le grand public, c'est véritablement une invitation au conflit social qui débouche - et j'hésite à le dire - sur ce qu'un député a fait l'autre jour. J'ai trouvé cela très regrettable, parce que cela abaisse le niveau du débat.

Par ailleurs, je n'ai pas été très édifié quand le parti ministériel s'est emparé de la chose pour l'exploiter.

Quant à moi, je m'en sers comme d'un exemple. On doit éviter d'exploiter la faiblesse des autres en témoignant d'un esprit sectaire. Il faut plutôt se demander comment on peut s'aider mutuellement à bâtir ensemble un avenir plus prometteur, dans un esprit de respect mutuel. Il y a des politiciens dans la collectivité...

.1430

Mme Augustine: Mais c'est la réalité de la vie politique.

La présidente: Monsieur Vandezande, madame Augustine, il serait facile de prolonger la discussion avec tous ceux qui sont venus témoigner ici; je suis navrée, mais le temps nous manque.

Voulez-vous ajouter une dernière chose? Nous allons nous en tenir là.

M. Vandezande: Heureusement que vous ne m'avez pas minuté.

Des voix: Oh, oh!

La présidente: Je vais vous minuter, car dans deux secondes je donnerai un coup de marteau. Allez-y, je vous en prie.

M. Vandezande: J'espère sincèrement que le comité va se pencher sur la question des avantages sociaux avec le sérieux qu'elle mérite. D'après ce que j'ai entendu dire ce matin, d'après ce que le ministre a dit aux Canadiens... il y a trois ans, il y a deux ans, il y a un an, il se penchait sur la question de l'interdépendance socio-économique. Vous ne pouvez plus attendre. Vous devez vous occuper de cette question. Vous devez vous en occuper également dans le contexte de la réforme des programmes sociaux, de l'assurance-chômage, de l'aide sociale, etc. Si vous ne le faites pas, la question va revenir vous hanter, vous allez devoir prendre une décision en catastrophe et vous aurez encore des esprits échauffés.

J'espère que nous n'aurons pas à attendre aussi longtemps que 12 années, comme dans le cas de l'inclusion de l'orientation sexuelle dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Toutefois, s'il faut être patient, prenons alors le temps d'engager un dialogue à coeur ouvert, une franche discussion. Acceptons de reconnaître certaines différences et trouvons le moyen de traiter équitablement les droits et les responsabilités de tous les Canadiens sur le plan de la justice publique. Merci.

La présidente: Merci beaucoup.

Je vais demander au représentant du groupe Dignité Canada, M. Joseph Brabant, de s'avancer. Laissons d'abord à M. Vandezande le temps de ramasser ses affaires.

Nous accueillons M. Joseph Brabant, président national du groupe Dignité Canada, et du groupe Intégrité, Ronald Chaplin, qui en est membre.

M. Joseph Brabant (président national, Dignité Canada): Madame la présidente, si vous le voulez bien, Ronald parlera en premier, et j'ajouterai quelques remarques.

La présidente: Permettez-moi de signaler la présence de Mme McLaughlin. Je suis très heureuse de vous voir ici. Excusez-moi de ne pas vous avoir présentée avant.

Allez-y.

[Français]

M. Ron Chaplin (membre d'Intégrité): Merci, madame la présidente, et merci à tous de m'avoir invité à comparaître devant ce comité aujourd'hui.

[Traduction]

Je m'appelle Ron Chaplin et je suis membre du groupe Intégrité, l'association des anglicans gais et lesbiennes. Aujourd'hui, je souhaiterais livrer aux membres du comité deux brefs messages.

Tout d'abord, dans bien des cas, les gens s'opposent à ce projet de loi parce qu'ils estiment qu'il ne s'agit pas d'une question fondamentale de droits de la personne, mais d'une question de moralité publique. Je suis venu aujourd'hui affirmer que l'Église anglicane du Canada comprend la distinction entre ces deux approches.

L'Église anglicane du Canada est engagée actuellement dans un débat à l'échelle nationale, débat qui porte sur la moralité de l'homosexualité et la légitimité des relations homosexuelles. Les interprétations traditionnelles des Écritures sont repensées. Les doctrines traditionnelles de l'Église sont réexaminées à la lumière des nouvelles découvertes scientifiques et de la nouvelle interprétation que nous avons désormais de la véritable nature de l'homosexualité.

Cela étant dit, la question n'est pas tranchée, et aucun des enseignements traditionnels de l'Église sur cette question n'a changé.

Toutefois, permettez-moi de vous lire un extrait d'une déclaration de la Maison épiscopale. Puisque cette déclaration émane de la Maison épiscopale, il s'agit d'une déclaration publique, faisant autorité, où sont affirmés les enseignements officiels de l'Église anglicane du Canada, et je cite:

.1435

Cette déclaration remonte à 1978, et nous qui sommes de l'Église anglicane nous félicitons que 18 ans plus tard le gouvernement se rende finalement à nos revendications.

La communauté gaie et lesbienne demande tout simplement au gouvernement du Canada qu'il mette fin à l'homophobie parrainée par l'État, rien de plus, rien de moins. Pour ma part, j'ai fait l'expérience de cette homophobie, et cela m'a atteint personnellement, au plus profond de moi-même.

Lors des audiences de la Commission Krever, qui enquêtait sur le sang contaminé par le VIH, j'ai été renversé par un témoignage en particulier: en 1983 et 1984, le gouvernement du Canada a tout fait pour garder dans l'ignorance les gais en refusant délibérément de les renseigner sur les précautions à prendre en matière de relations sexuelles. On a pu constater couramment à l'époque que des brochures étaient systématiquement saisies à la frontière pour être ensuite détruites. J'ai contracté le VIH en 1984 et je suis fermement convaincu que si le gouvernement du Canada n'avait pas adopté une attitude homophobie aussi flagrante, je ne serais pas sidéen aujourd'hui.

Merci beaucoup.

La présidente: Merci, monsieur Chaplin.

M. Brabant: Bonjour, madame la présidente, et mesdames et messieurs. Je m'appelle Joe Brabant et je suis président national de Dignité Canada, une congrégation de gais et de lesbiennes catholiques. Nous vivons un moment historique et prophétique dans l'histoire de notre pays, et je suis très heureux de pouvoir être présent aujourd'hui et vous adresser la parole. Je suis également très honoré d'être accompagné par mon ami, Ron Chaplin, dont je partage la foi, et qui a parlé si éloquemment de la nécessité de ce projet de loi.

Parce que certaines personnes estiment que l'on ne peut pas être à la fois gai et catholique, notamment les autorités de notre Église, permettez-moi de vous parler un peu du groupe Dignité afin de présenter la question sous un angle différent. L'organisation Dignité a été fondée en 1969, au lendemain des émeutes de Stonewall. Les émeutes de Stonewall sont sans doute l'aube de ce que l'on peut appeler la révolution gaie et lesbienne, qui se poursuit du reste.

Vous trouverez dans le dépliant que j'ai apporté un bref historique de notre communauté spirituelle. Nous décrivons également les intérêts de Dignité, c'est-à-dire notre oeuvre spirituelle et pastorale, notre programme éducatif, notre programme social, qui vise essentiellement à apporter de l'aide aux malades et aux démunis. Nous oeuvrons également dans deux autres secteurs, soit la condition féminine dans notre société et l'octroi de bourses qui sont décernées à nos membres.

À propos des femmes, je pense qu'on comprend facilement qu'on ne peut pas dissocier la question des gais et des lesbiennes du fait que les hommes ont bénéficié très longtemps d'une position prépondérante dans la société, ce qui a infligé bien des plaies à notre culture. Même si le groupe Dignité est formé à 80 p. 100 d'hommes et à 20 p. 100 de femmes, nous nous employons à faire valoir les préoccupations féministes au sein de notre organisation.

Le groupe Dignité est constitué en société en vertu d'une charte fédérale. Notre administration centrale est située à Ottawa. De Vancouver à Halifax, nous avons dix sections déjà constituées, et cinq autres le seront, si bien qu'il se peut fort bien qu'il y en ait une près de chez vous. Nous avons déjà des sections à St. John's, Terre-Neuve, à Hamilton, à Windsor et à Sudbury, en Ontario, et à Prince George, en Colombie-Britannique.

En plus de notre oeuvre locale et nationale, nous travaillons avec d'autres groupes spirituels catholiques de gais et lesbiennes qui se trouvent aux États-Unis, dans les pays du Commonwealth britannique, en Europe et en Afrique. Quand il s'agit de libération, ce ne sont pas seulement les patriotes qui sortent de l'ombre. On a pu vérifier cela récemment. Je suis heureux d'annoncer que Dignité Canada travaille avec Dignité États-Unis, notre organisation soeur aux États-Unis, pour aider à constituer des groupes de gais et de lesbiennes catholiques en Pologne, et en Afrique du Sud tout récemment.

Notre communauté a une foi et une mission, et nous nous félicitons que ce projet de loi promis de longue date soit sur le point d'être adopté. Pour les gais et les lesbiennes catholiques, il ne s'agit pas d'ajouter seulement deux mots à un texte adopté par le Parlement. Il s'agit d'une question de justice fondamentale, de respect de la part de la collectivité, et de dignité humaine. Ce sont là des préoccupations pour tous les croyants, quelle que soit leur orientation sexuelle. Quelle que soit leur condition, tous les Canadiens doivent se montrer justes, et ce projet de loi nous rappelle ce qu'est la société idéale, la société qui traite tous les hommes et toutes les femmes équitablement.

.1440

On voit une meilleure communauté canadienne poindre à l'horizon - ou se dessiner, comme nous aimons à le dire, au-delà de l'arc-en-ciel - une communauté où chacun est libéré des anciens préjugés et se sent accueilli en égal au sein de la famille canadienne.

Avant tout, il s'agit ici d'une occasion pour le Canada de réaliser son énorme potentiel.

Je constate que dans le préambule du projet de loi C-33 on dit: «Attendu que le gouvernement du Canada proclame la dignité et la valeur de tous les individus.» Il s'agit effectivement d'un des grands objectifs de cette formidable démocratie qu'est la nôtre. Cela me rappelle également une déclaration du père John McNeill, jésuite, et l'un des fondateurs du groupe Dignité. Il a dit:

Il y a des années, comme jeune soldat, j'ai eu l'occasion d'écouter ce que Sa Majesté la Reine avait à dire à un groupe de nouveaux Canadiens, des Canadiens à qui l'on venait de conférer la citoyenneté. C'était en Colombie-Britannique, si je me souviens bien. Sa Majesté leur a rappelé qu'il n'est de véritable liberté que quand chacun est libre. En effet, que votre voisin ne soit pas libre, et voilà que vous n'êtes pas totalement libre.

Nous savons que nous ne pouvons pas bâtir notre bonheur sur le malheur des autres. Je tenais à le dire parce que c'est quelque chose que j'ai souvent entendu de la bouche de ma grand-mère, qui insistait beaucoup là-dessus. L'adoption du projet de loi à l'étude, qui, nous l'espérons, se produira d'ici quelques jours, sera un cadeau pour tous les Canadiens. De par sa nature même, le projet de loi proclame que nous avons choisi d'oeuvrer pour la justice pour tous. Le monde et le Canada ont fait beaucoup de progrès depuis que les gais étaient marqués de triangles roses et obligés d'endurer propos et gestes d'une haine innommable de la part de leurs concitoyens et de l'État.

Nous avons un pacte sacré avec des victimes innocentes, dont certaines vivent encore aujourd'hui et dont les appels à la justice n'ont jamais trouvé de réponse. Il est plus que temps d'agir. Il y a déjà assez eu de victimes comme cela.

Le projet de loi proclame que ni l'ignorance ni la haine ne sont des valeurs canadiennes. Mes chers amis, nous savons, au plus profond de nous-mêmes, dans notre coeur, ce que la justice exige de nous tous.

Que Dieu vous garde, et merci de m'avoir permis de venir vous rencontrer aujourd'hui.

La présidente: Merci beaucoup pour cet exposé très émouvant, où vous n'avez pas manqué de souligner l'importance de bâtir notre bonheur dans la justice, la dignité et le respect des droits. Je comprends ce que vous disait votre grand-mère.

[Français]

M. Bernier: Je voudrais d'abord vous remercier d'avoir accepté de venir témoigner devant notre comité en ce qui concerne ce projet de loi. Votre témoignage, comme la présidente l'a souligné, dépasse largement l'objet de ce projet de loi, et toute l'émotion ressentie lors de vos témoignages, celui de M. Chaplin comme celui de M. Brabant, nous rappelle cette réalité à laquelle nous faisons face au-delà du projet de loi. Il y a des personnes qui sont affectées par les décisions que l'on prend et surtout par celles que l'on ne prend pas.

.1445

C'est ce que je retiens de votre témoignage. Je voudrais ajouter que l'Opposition officielle appuie à l'unanimité le projet de loi du gouvernement. Nous le faisons parce que nous partageons les objectifs de ce projet de loi et que nous sommes particulièrement conscients des conséquences épouvantables que vivent les hommes et les femmes qui subissent ce genre de discrimination ou d'autres préjudices découlant de ce genre de situation.

Je vous remercie encore une fois de votre témoignage qui nous a rappelé cette triste réalité.

Je terminerai en vous posant une question plutôt terre à terre. Je crois avoir compris que vous avez un chapitre à Montréal, et vous avez énuméré un certain nombre de villes où vous allez vous implanter bientôt. Est-ce que votre association est implantée dans le Québec rural?

[Traduction]

M. Brabant: Nous sommes en train de recréer une section à Sherbrooke. J'ajouterai à cela que Montréal est une des villes énumérées dans notre brochure; nous avons par ailleurs deux sections à Montréal. Comme vous pouvez le constater, nous n'échappons pas à la réalité canadienne. Nous avons Dignité Montréal et Dignity Montreal, qui sont les deux branches linguistiques d'une même section.

Nous savons aussi tenir compte des particularités politiques dans la façon de structurer notre organisation. Ainsi, notre organisation nationale comporte deux régions: la région de l'Ouest, c'est-à-dire tout ce qui est à l'ouest de Kenora, et la région de l'Est. Dans la région de l'Ouest, les sections sont complètement autonomes et n'ont de comptes à rendre qu'à l'administration centrale. Dans la région de l'Est, cependant, nous insistons sur la coordination bilingue, et nous avons un coordonnateur bilingue pour cette région.

Une des premières sections de Dignité au Canada, voire aux États-Unis, a été créée à Montréal. C'est toujours une de nos sections les plus solides et les plus dévouées à la cause.

[Français]

M. Chaplin: Je voudrais remercier tous les députés du Bloc québécois d'avoir appuyé ce projet de loi.

[Traduction]

La présidente: Monsieur McClelland.

M. McClelland: Après vous avoir posé ma question je me dirai que peut-être je n'aurais jamais dû la poser, mais j'essaierai de le faire avec le plus de ménagement possible. Si vous choisissez de ne pas y répondre, je comprendrai.

Les membres du comité ont reçu récemment une communication de la Conférence des évêques catholiques du Canada, et j'ai été frappé par le fait assez ironique que, comme chacun le sait - la chose est d'ailleurs bien documentée - le clergé catholique a connu ces derniers temps des hauts et des bas, c'est le moins qu'on puisse dire. Il m'a semblé que ces bas étaient peut-être attribuables au fait que le clergé refuse de reconnaître la réalité telle qu'elle existe chez nous. Croyez-vous que le pape se laissera influencer par la mesure proposée?

Des voix: Ah, ah!

M. McClelland: Je comprends la gravité de la question, mais la situation est assez ironique... Il vaut toujours mieux régler les problèmes au grand jour que de faire semblant qu'ils n'existent pas. Voilà dans quel contexte il faut comprendre mes propos. Je tiens à ce qu'ils soient perçus comme sérieux et constructifs.

La présidente: Chacun sait que vos questions, monsieur, sont empreintes d'une grande sensibilité et témoignent de beaucoup de réflexion. C'est aussi le cas de la question que vous venez de poser, et je vous en remercie.

M. Brabant: Je serai heureux d'y répondre.

La présidente: Nous vous écoutons.

M. Brabant: Le catholicisme ressemble plus au judaïsme que n'importe quelle autre foi. Dans les deux cas, c'est une culture qu'on embrasse.

La présidente: Nous pourrons y revenir plus tard.

Des voix: Ah, ah!

M. Brabant: Que voulez-vous? Je le crois sincèrement. Vous savez naturellement que nous avons maintenant une synagogue juive gaie à Ottawa.

.1450

Cependant, la question que vous posez concerne la papauté, et partant la structure de notre Église. Vous savez, j'ai passé 33 ans dans les forces armées, ayant pris ma retraite l'an dernier seulement - retraite honorable, si je peux me permettre d'ajouter cela - , et j'en suis venu à reconnaître la merveille qu'est l'Église catholique telle qu'elle est structurée. L'Église catholique a survécu pendant très, très longtemps parce qu'elle a justement cette structure romaine incomparable qu'elle a héritée de l'empire romain.

Le catholicisme a toutefois ceci de particulier, et c'est sans doute sa caractéristique la moins connue, qu'il accorde à chaque catholique la liberté de conscience. En dernière analyse, donc, quand un catholique doit régler une question, qu'il s'agisse de moralité ou de droit, il doit écouter le Dieu qui se trouve en lui.

Les papes se sont succédé à la tête de l'Église. Les lois de l'Église ont changé. L'histoire de l'Église catholique est faite de changements. Les dirigeants ecclésiastiques ont beau dire: «C'est ainsi; c'est ce que Dieu veut, et il en a toujours été ainsi», la vérité est tout autre. Vous n'auriez qu'à aller étudier la théologie catholique ou l'histoire du catholicisme pendant un an pour vous rendre compte que ce que nous avons aujourd'hui ne ressemble en rien à ce que nous avions au tout début. Notre religion a évolué. Le changement est inévitable.

Je vous donne deux exemples.

Autrefois, l'usure était un des péchés les plus graves que pouvait commettre un catholique. Or, l'usure est aujourd'hui le fondement de notre système économique au Canada, et l'Église, qui a lutté contre l'usure, est peut-être un des plus importants propriétaires de terres et de biens. Nous avons une expression dans l'Église: «Plus riche que Dieu, c'est le Vatican.» C'est qu'il y a eu un changement.

Étant donné qu'il a été question des Juifs, le pape Jean XXIII, pape d'une charité et d'une humanité incomparables, nous a déjà qualifiés de Sémites. Il nous rappelait ainsi nos origines. Il nous rappelait aussi ce que l'Église avait fait à d'autres. Le cantonnement dans des ghettos, c'est quelque chose que l'Église a imposé à des personnes innocentes, mais de nos jours aucune personne saine d'esprit ne se réclamerait de ce concept.

L'Église change.

L'Église changera-t-elle? Oui, elle changera. Il y a 120 ans, le mot «homosexualité» n'existait pas. On a pourtant réussi à le faire entrer dans la Bible.

Je vous cite un cas où nous avons eu un rôle à jouer. Il y a de cela environ deux ans, les évêques américains ont décidé de publier une nouvelle Bible. Certains s'imaginent qu'il y a une seule Bible, mais il y en a des milliers, et chacun y va de son coup de pinceau. Les évêques américains ont décidé, pour une raison quelconque, qu'il ne fallait pas utiliser le mot «homosexuel» dans le récit de Sodome et Gomorrhe. Le message n'était pas clair. Ils ont donc décidé de parler d'«homosexuels pratiquants». Les homosexuels pratiquants ont donc été ajoutés à la liste de ceux qui n'iraient pas au ciel.

Dignity, notre organisation soeur aux États-Unis, a réuni des théologiens et leur a dit: «Examinez cette question et allez en parler à l'Église.» Quand ils ont examiné les faits - et ils sont allés voir les évêques américains - , ils sont arrivés à la conclusion que ce changement qualitatif au texte original n'était aucunement fondé.

D'abord, il n'était même pas question d'orientation sexuelle dans le récit de Sodome - il était question du manque d'hospitalité - , et il était curieux qu'ont ait ajouté le terme «pratiquant» à un bout de phrase qui ne se trouvait pas dans l'original.

Il est intéressant de noter que, quand on le leur a signalé, les évêques américains ont décidé de rayer cette mention. Ainsi, une petite organisation comme la nôtre, où nous ne sommes que 2 000, a réussi à faire réécrire la Bible aux États-Unis. Cela vous montre...

Malheureusement, il a fallu plus de temps ailleurs, mais c'est presque chose faite.

Mme McLaughlin: J'ai beaucoup aimé votre exposé. Vous venez toutefois de jeter par-dessus bord toutes les bonnes blagues que racontent mes amis catholiques sur le sujet de la culpabilité, mais j'ai quand même une question sur une note un peu plus sérieuse.

Étant donné que vous représentez un groupe oecuménique, croyez-vous que le projet de loi à l'étude est une question de moralité ou de droits de la personne?

M. Brabant: Il s'agit uniquement d'une question de droits de la personne. Jamais Dignité n'a considéré les questions de ce genre comme relevant de la moralité. C'est que nous savons au fond de nos coeurs ce qui est bien et ce qui est mal.

Sauf tout le respect que je dois aux députés qui siègent au Parlement canadien, vous n'avez pas le monopole de la vérité. Les gais sont libres dans leur coeur. Ils sont nés comme cela. Leur sexualité leur vient de Dieu, comme c'est le cas pour nous tous.

Il ne s'agit pas d'une question de législation. Tout ce que nous voulons, c'est que les législateurs éliminent certaines des injustices auxquelles nous faisons face dans notre société pour que nous puissions tous être qui nous sommes appelés à être.

.1455

J'ai passé 33 ans dans les Forces armées canadiennes. Je sais ce que c'est que d'être hétéro. J'inviterais n'importe qui dans la salle ici à essayer de vivre comme une personne gaie pendant un an pour voir ce qui se produirait.

La présidente: Ayant entendu des représentants des forces armées à un autre moment de nos audiences non discriminatoires, je suis en mesure de comprendre ce que vous dites.

M. Chaplin: J'ajouterai simplement que mon exposé avait expressément pour objet de dire que l'Église anglicane du Canada comprend qu'il s'agit d'une question, non pas de moralité publique, mais de droits de la personne.

La présidente: Y a-t-il des questions de ce côté-ci de la table?

M. MacLellan: Je veux simplement dire comme je suis reconnaissant à ces messieurs d'être venus témoigner devant nous. Je connais M. Chaplin depuis déjà un certain temps, et je crois qu'il est extrêmement important que nous ayons pu entendre son témoignage et son exposé aujourd'hui.

Je veux demander à ces messieurs, à l'un ou à l'autre ou aux deux, quel est le soutien qu'ils obtiennent de l'Église. Comme nous le savons, l'Église catholique et l'Église anglicane sont en train de modifier leurs grands principes et leur dogme. L'effort nécessaire peut se comparer à celui qu'il faut pour faire changer le Queen Mary de cap. Cela prend du temps.

Je crois que vous avez dit, monsieur Chaplin, que cela prend du temps.

Quel soutien vous et les autres gais et lesbiennes recevez-vous des Églises? Je crois vous avoir entendu dire que la situation s'améliore, mais s'améliore-t-elle assez vite? Arrive-t-on vraiment à s'attaquer au problème et à donner aux gens le réconfort et l'amitié dont ils ont besoin de la part de l'Église? J'aimerais savoir ce que vous en pensez, l'un ou l'autre.

M. Chaplin: J'aime bien me décrire comme quelqu'un qui est un chrétien ouvertement pédé depuis plus de 17 ans maintenant, et je dois vous dire que j'en suis peu à peu venu à adopter le rôle du guérillero. Je me retrouve souvent dans des assemblées où je ne suis pas particulièrement bienvenu, où je dis des choses que les gens ne veulent pas particulièrement entendre et où j'aborde des questions dont les gens en règle générale ne veulent pas entendre parler.

Je vous donne une idée des tactiques que j'emploie dans mon rôle de guérillero. Auparavant, la seule Église avec laquelle j'avais des liens était l'Église unie du Canada. J'étais d'ailleurs membre de la congrégation de l'Église unie de la rue Bloor, à Toronto, celle-là même qui a forcé l'Église unie à discuter du dossier de l'ordination de ministres ouvertement gais, et nous avons eu gain de cause. Ceux qui connaissent mes antécédents me demandent ce que je fais aujourd'hui comme membre de l'Église anglicane. Je leur dis: c'est simple, ce n'est pas encore chose faite à l'Église anglicane.

Je suis ravi du processus qui est en cours à l'Église anglicane du Canada. C'est un processus douloureux et déchirant, qui se poursuit de paroisse en paroisse et de diocèse en diocèse. C'est toute l'Église qui participe à cette discussion et ce dialogue. Le processus est douloureusement lent pour ceux d'entre nous qui appartiennent à la communauté des gais et des lesbiennes.

J'applique maintenant la même tactique et je n'ai que des mots d'encouragement de la part de mon évêque, qui m'incite à poursuivre mes efforts pour gagner les gens du diocèse à la cause.

M. Brabant: Je pourrais peut-être ajouter quelque chose ici pour faire la part des choses. Une journaliste m'a interrogé avant-hier sur le fait que les catholiques soit en accord ou en désaccord sur cette question. Je voulais simplement lui faire remarquer que, même si elle réunissait tous les catholiques qui sont d'accord avec le pape sur tout, elle ne pourrait pas remplir cette salle.

Voilà toutefois ce qui est merveilleux dans notre Église. Le mot «catholique» signifie que nous sommes universels et que nous avons une multitude de points de vue différents.

Pour répondre de façon précise à votre question, Dignité a été fondée par un prêtre. Nous comptons des prêtres parmi nos membres. En outre, l'Église catholique a quelque chose dont elle n'aime pas qu'on parle, mais je vais le dire au grand jour. Elle a ce qu'on appelle un «ministère secret», et tout le monde est au courant de son existence. C'est ce qui permet à l'Église catholique de dire à certaines personnes: nous ne pouvons pas vous aider, mais allez voir le père Un tel ou la soeur Une telle, et nous ferons notre possible; l'évêque viendra parler à votre groupe, mais n'en dites pas un mot. Cela se produit régulièrement. À Ottawa, par exemple, nous avons cinq ou six prêtres catholiques qui nous aident, et c'est la même chose dans tout le Canada.

Nous avons donc beaucoup de prêtres qui nous aident. Ce n'est pas là le problème.

Ce que vous voyez à la télévision, ce n'est pas l'Église catholique. L'Église catholique, ce sont les coeurs et les âmes des gens de ce pays, des gens qui ne sont pas tellement différents de vous.

.1500

La présidente: Merci beaucoup. La discussion a été très intéressante. Je vous souhaite bonne santé et bon succès dans vos entreprises. Merci.

Nous accueillons maintenant Judith Wiley, de la YWCA du Canada. Avez-vous des remarques liminaires ou un exposé préliminaire à nous présenter?

Mme Judith Wiley (administratrice générale, YWCA du Canada): Oui, j'en ai un.

La présidente: Merci. Nous vous écoutons.

Mme Wiley: Merci, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité, de m'avoir donné l'occasion de venir vous faire part aujourd'hui de mon appui au projet de loi visant à modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne afin d'y inclure l'orientation sexuelle comme motif de discrimination interdit par la loi. Je n'ai pas de mémoire comme tel, mais je serais heureuse de vous remettre un exemplaire de mes notes.

Si vous vous demandez ce que la YWCA du Canada peut avoir à dire sur ce sujet, c'est peut-être que vous ne savez pas que, d'après notre énoncé de mission, nous devons être la voix de l'égalité, une voix forte à l'appui des femmes. Étant donné que notre organisation est souvent décrite comme une organisation féminine crédible qui s'inscrit dans le courant dominant, nous avons pensé qu'il était important de déclarer publiquement notre appui pour ce projet de loi.

Nous oeuvrons depuis plus de 100 ans au Canada afin de promouvoir l'égalité pour les femmes et de favoriser l'amélioration des conditions de vie des femmes et de leurs familles par divers moyens d'action ciblant la population comme telle. Nous avons 45 associations membres, qui s'occupent de questions d'action sociale et d'éducation dans plus de 200 localités, offrant des services de garde, des logements, des refuges et d'autres types de résidences, des services de formation professionnelle et des programmes visant à promouvoir la santé et le mieux-être, etc.

Pour la YWCA, cette question concerne manifestement et uniquement les droits de la personne, et j'ajouterai que c'est une question qui aurait dû être réglée il y a longtemps. La YWCA appuie publiquement la modification proposée depuis au moins 1985, quand le sous-comité en a fait la recommandation pour la première fois. Nous félicitons le gouvernement d'avoir joué un rôle de chef de file pour ce qui est de faire avancer le dossier, et nous remercions tous les députés qui se sont prononcés pour la modification proposée.

Étant donné le travail que nous faisons pour éliminer le sexisme et le racisme, nous savons qu'il existe un besoin très clair de nommer les types d'oppression qui continuent de se manifester et aussi de nommer et d'énumérer les types d'oppression qui ne doivent pas être tolérés. Tant que, dans notre société, nous n'aurons pas changé en profondeur la façon dont nous vivons ensemble et tant que les suppositions courantes en fonction desquelles on détermine qui a le pouvoir et qui a accès aux ressources n'auront pas changé, nous n'avons d'autre choix que d'énumérer dans notre Loi sur les droits de la personne les types d'oppression qui doivent être interdits.

Voilà essentiellement le message que nous voulons livrer au comité. C'est un message d'appui à la modification proposée, et je serai heureuse de répondre aux questions que vous voudrez poser.

La présidente: Merci beaucoup, madame Wiley. Je crois que la YWCA a fait oeuvre de pionnier à biens des égards en ce qui concerne les mesures destinées à favoriser l'égalité et a aussi permis à bien des femmes de réorienter et de refaire leur vie, et je suis très heureuse que vous soyez venue nous rencontrer.

.1505

[Français]

Monsieur Ménard.

M. Ménard: Je n'abuserai pas du temps du comité puisque je crois que votre exposé a été clair. Il y a un YMCA dans mon quartier, sur la rue Hochelaga près de Aird, qui offre des services sportifs, bien sûr. Il y a une piscine où je vais moi-même à l'occasion, des cours pour mes concitoyens, et aussi un programme d'aide aux détenus, un programme de travaux communautaires. Je sais que lorsque vous parlez d'égalité et de réhabilitation, c'est parce que vous avez vous-même, à l'intérieur de vos structures, travaillé à offrir des services aux gens qui, à un moment ou à un autre, ont connu des difficultés dans la vie ou des revers de fortune.

Seriez-vous disponible dans quelques semaines? Nous travaillons tous ensemble main dans la main et ceci est évidemment très hypothétique. Si nous avions devant nous, dans quelques semaines, un projet de loi visant à reconnaître les conjoints de même sexe, est-ce que vous souhaiteriez à nouveau être entendu? Est-ce que vous souhaiteriez apporter votre concours à une loi de cette nature, étant entendu que nous discutons aujourd'hui de mettre fin à des pratiques discriminatoires que vous nous invitez à nommer, puisque vous nous dites que nous ne pouvons pas mettre à fin à la pression si on n'est pas capable de dire les choses? C'est le cas d'un certain nombre d'entre nous, pas de tout le monde. Vous comprenez que ce n'est pas un discours qui est porté par tous autour de la table.

Mais inévitablement, dans un certain nombre d'années ou de mois, il va falloir franchir un autre pas qui est de reconnaître les homosexuels dans leurs relations affectives. Je parle bien sûr de la reconnaissance des conjoints de même sexe. Pour le cas où ça arrivera, est-ce qu'on aura le plaisir de vous entendre avec des propos aussi soutenants et réconfortants?

[Traduction]

Mme Wiley: Sans doute que oui. D'après ce que j'en sais, le projet de loi ne traite pas des questions que vous avez soulevées et ne pourrait traiter de ces questions. Quand une autre mesure législative aura été proposée pour traiter des questions juridiques, dont vous parlez dans votre question, si j'ai bien compris, je crois que la YWCA se prononcerait effectivement en faveur de la mesure.

Je le répète, dans le travail que nous faisons pour éliminer le sexisme et le racisme, nous cherchons à assurer le partage des ressources et à veiller à ce que nous ayons tous le même accès aux ressources de notre société. Nous cherchons à mettre fin à l'oppression et à l'exclusion. J'ai donc l'impression que, si une mesure de ce genre était proposée qui nous paraîtrait acceptable, nous l'appuierions.

La YWCA du Canada accorde à ses employés les mêmes avantages pour leur conjoint du même sexe que pour un conjoint de l'autre sexe, et, quand il s'agit de services de soutien ou d'aide à la famille, bon nombre de nos associations membres dans les différentes régions du pays, sinon toutes, appliquent une définition très vaste de ce qui constitue la famille.

Je suis heureuse de vous entendre dire que vous appuyez la YWCA et que vous aimez bien nos programmes.

La présidente: Il y en a un dans son quartier et il y en a plusieurs autres dans la ville comme telle.

Mme Wiley: Je serais très surprise que tout le monde n'en ait pas un dans son quartier.

La présidente: Monsieur McClelland.

M. McClelland: Je tiens seulement à vous remercier pour le témoignage que vous nous avez présenté ici aujourd'hui.

La présidente: Il semble, madame, que votre Y est connu dans le monde entier pour le rôle qu'il joue en faveur de l'égalité et de l'équité. Nous vous sommes reconnaissants de l'appui que vous apportez au projet de loi. Merci.

Mme Wiley: Merci beaucoup de m'avoir invitée, et bonne chance.

.1510

La présidente: Mesdames et messieurs, nous avons l'honneur d'accueillir le groupe B'nai Brith et le Congrès juif canadien.

Le Mouvement canadien pour les droits de la personne sera là à 19h30. Il nous a appelés pour nous demander de témoigner plus tard.

[Français]

Ça va?

M. Ménard: Calmez-vous. Je vous sens un peu nerveuse.

La présidente: Je ne me sens jamais nerveuse devant eux.

[Traduction]

Auriez-vous l'obligeance de vous présenter? Je crois savoir que vos exposés sont complémentaires.

M. Eric Vernon (directeur, Comité du droit et de l'action sociale, Congrès juif canadien): C'est juste. Merci, madame la présidente.

Je m'appelle Eric Vernon et je suis directeur du Bureau d'action sociale d'Ottawa du Congrès juif canadien, qui est l'organisation représentative de la communauté juive du Canada, laquelle compte 360 000 membres. C'est non sans fierté que je souligne la participation de longue date de l'honorable présidente du comité aux activités de l'organisation que je représente.

Étant donné que nous sommes ici dans le mode accéléré, le projet de loi prenant en fait des allures de TGV, notre principale dirigeante n'a pas pu se joindre à moi aujourd'hui, mais au nom de la présidente du Congrès juif canadien, Goldie Hershon, je tiens à vous remercier de nous avoir invités à témoigner aujourd'hui devant votre comité pour vous faire part de notre appui au projet de loi C-33.

Pour nous, il y a un avantage à ce que le projet de loi ait été mis sur la voie rapide: il deviendra loi au Canada sans retard indu. Il y a longtemps que nous attendons cette modification, et nous félicitons le gouvernement d'avoir respecté son engagement d'inclure l'orientation sexuelle au nombre des motifs de discrimination interdits par la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Je tiens à vous dire dès le départ que je suis ici aujourd'hui pour vous parler de pensions, d'avantages sociaux ou de mariages. Je suis ici aujourd'hui pour vous parler des dispositions à prendre pour que tous les membres de notre société civile soient pleinement égaux, de la protection en droit des droits humains fondamentaux et de la volonté exprimée par une société solide et humanitaire de soulager la douleur et l'angoisse causées par la discrimination fondée sur l'identification à une minorité.

Malheureusement, les Juifs ont une expérience considérable à cet égard, tant dans les annales de l'histoire que dans le Canada moderne. Il n'y a pas plus d'une génération de cela, personne ne voulait d'un jeune avocat fraîchement diplômé du nom de Bora Laskin, parce qu'il était Juif.

Dès progrès considérables ont été faits pour ce qui est de venir à bout de certains de ces obstacles systémiques dans notre société canadienne, même si nous devons continuer à être vigilants afin de contrer les effets corrosifs de la discrimination et de l'intolérance. On ne saurait nier que la qualité de la société dont nos enfants hériteront demain dépendra de la détermination et de la volonté politique que nous manifestons aujourd'hui pour ce qui est de bâtir un Canada fondé sur la compassion et la diversité.

Il s'est produit bien des choses dans les années qui se sont écoulées depuis que la Loi canadienne sur les droits de la personne est entrée en vigueur en 1978, et l'adoption de la Charte des droits et libertés est une de nos plus grandes réalisations. Notre interprétation des concepts relatifs aux droits de la personne a considérablement évolué, et, bien entendu, plusieurs provinces et territoires ont inclus l'orientation sexuelle au nombre des motifs de discrimination interdits dans leurs lois respectives en matière de droits de la personne.

Le comité parlementaire sur les droits à l'égalité a recommandé dans son rapport de 1985, intitulé Égalité pour tous, que la loi fédérale soit aussi modifiée en ce sens. Comme nous le savons tous, les tribunaux ont, dans l'intervalle, pris l'initiative d'établir les grandes orientations dans ce domaine important.

Quand on discute de questions comme celles-là, les gens demandent souvent pourquoi il est même nécessaire d'avoir une liste de motifs de discrimination interdits et pourquoi, par ailleurs, il faudrait y inclure l'orientation sexuelle, mais pas le fait d'être gaucher, par exemple, ou le fait d'être grand ou petit. Je soutiens que la liste que l'on trouve aux articles 2 et 3 de la nouvelle LCDP, conformément à ce qui est proposé dans le projet de loi C-33, est nécessaire et exacte justement parce qu'elle ne laisse aucune place à l'inclusion de motifs capricieux ou futiles et qu'elle énumère les groupes minoritaires vulnérables qui ont traditionnellement été victimes de divers types de discrimination, y compris des formes de discrimination interdites par la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il est évident, à mon avis, que l'orientation sexuelle est une de ces formes de discrimination.

C'est en 1992 que le Congrès juif canadien a pris position pour la première fois en faveur d'une modification qui serait apportée à la LCDP afin d'interdire la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. À chacune des étapes du processus qui a mené à cette prise de position, la discussion a porté sur le contexte crucial de la question, conformément à l'objectif de la Loi canadienne sur les droits de la personne de promouvoir l'égalité des chances pour tous les Canadiens.

Il était entendu que la modification proposée n'avait rien à voir avec la promotion d'une orientation sexuelle en particulier et tout à voir avec l'affirmation d'une protection par voie législative du droit des Canadiens de ne pas être victimes de discrimination en raison de leur orientation sexuelle. C'est ainsi que nous avons reconnu que l'orientation sexuelle d'une personne ne devrait pas être considérée comme un facteur quand il s'agit de déterminer sa capacité d'accomplir les fonctions d'un poste ou de lui assurer l'accès aux services offerts à d'autres.

.1515

Les Canadiens ont engagé un nouvel auto-examen afin de déterminer quelle est la nature de notre société et quelles sont les valeurs qui nous unissent. Il se trouverait très peu de Canadiens, je l'espère, pour s'opposer à l'affirmation selon laquelle la notion d'égalité et le droit de tous les Canadiens de participer pleinement à la société est un principe bien établi de notre société canadienne.

Nous reconnaissons que les gouvernements ne peuvent pas et ne devraient pas changer les modalités par la voie législative, mais ils peuvent réglementer les comportements discriminatoires et devraient le faire. La protection législative et les recours juridiques offerts par la Loi canadienne sur les droits de la personne sont des outils critiques dans cette lutte contre la discrimination, et il est temps que le Parlement canadien exerce sa compétence et qu'il agisse rapidement afin d'inclure l'orientation sexuelle au nombre des motifs de discrimination interdits par la loi.

Le Congrès juif canadien appuie le projet de loi C-33. La justice l'exige, et nous recommandons qu'il soit rapidement adopté et qu'il devienne loi.

Merci. Après que M. Friedman vous aura adressé la parole, je serai heureux de répondre à toutes les questions que vous voudrez poser au sujet des questions que j'ai abordées.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Vernon.

Monsieur Friedman, vous avez la parole.

[Français]

M. Rubin Friedman (directeur des relations avec le gouvernement, B'Nai Brith Canada): Merci, madame la présidente. Je m'adresse à vous au nom de l'organisme B'Nai Brith Canada, un organisme établi au Canada depuis 125 ans qui a combattu tout au long de son histoire pour les droits de la personne.

[Traduction]

Depuis déjà un certain nombre d'années, B'Nai Brith Canada réclame une modification de la Loi canadienne sur les droits de la personne pour qu'elle reconnaisse les droits fondamentaux de tous les Canadiens et pour qu'elle assure à tous les Canadiens, y compris les gais et les lesbiennes, une égalité d'accès dans des domaines tels que l'emploi et le logement. Au nom de B'Nai Brith Canada, de son président, Brian Morris, et de son vice-président directeur, Frank Dimant, je viens vous demander d'adopter sans plus tarder le projet de loi C-33.

M. Vernon a décrit certains des problèmes historiques auxquels ont été confrontés dans le passé les Juifs. Certaines attitudes et certains incidents antisémites montrent que ce passé n'est pas complètement révolu. Le compte annuel d'incidents antisémites en 1995 a montré une augmentation de 12,1 p. 100 par rapport à 1994. Des événements récents montrent que les Juifs au Canada ont des raisons de craindre pour leur sécurité, chose inimaginable il y a 15 ou 20 ans. Il se pose aux centres communautaires juifs et aux synagogues des problèmes de sécurité qui étaient jusqu'à présent impensables.

Tout cela pour vous dire que B'Nai Brith, ses membres et la communauté juive canadienne connaissent très bien cette notion de discrimination et ce sentiment d'assiégé - ce sentiment de ne pouvoir ouvertement dire qui on est en public. Nous exhortons en conséquence le gouvernement à remplir sa promesse et à adopter au plus vite cette modification de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Nous savons que les tribunaux incluent déjà l'orientation sexuelle dans nombre de leurs interprétations de la loi. Et d'ailleurs, comme M. Vernon l'a mentionné, plusieurs provinces ont déjà inclus l'orientation sexuelle comme motif interdit de discrimination. Néanmoins, il est crucial que le Parlement canadien fixe des normes nationales et indique ce que l'ensemble de la population canadienne considère comme essentiel au niveau de la protection des droits de toutes les minorités du pays.

Je vous remercie de nous avoir invités.

[Français]

Je serai heureux de répondre à toutes les questions que vous aurez à me poser à la suite de ma présentation. Merci beaucoup.

La présidente: Je vous remercie.

.1520

[Traduction]

J'ai une question à vous poser. Nous avons entendu le chef de la police d'Ottawa et nous avons discuté de cette question de listes, de chiffres et de groupes visés. Je me suis demandé pendant cette discussion: comment se fait-il que B'nai Brith puisse répertorier ces incidents antisémites et que la police, elle, soit dans l'incapacité de répertorier et d'enregistrer les incidents liés à l'homophobie? Pourtant, la protection de toutes les minorités est inhérente à toute société civile et démocratique. C'est probablement un des tests révélateurs.

Je suis heureuse que vous ayez évoqué l'incident de Calgary, car le terrorisme et le fondamentalisme, tout comme l'antisémitisme et toute forme de haine, n'ont absolument aucune place au Canada, et tout ce que nous pouvons faire pour assurer la sécurité de nos citoyens, pour prévenir toute forme de discrimination, est vital.

Devrait-on créer une sorte de registre où seraient répertoriés tous ces incidents afin de pouvoir en mesurer le degré réel de danger?

M. Friedman: Le Congrès juif canadien et la Ligue des droits de la personne de B'Nai Brith participent à un groupe qui étudie la possibilité de mettre en place un réseau national qui veillerait à ce que toutes les formes de crimes haineux soient répertoriées et enregistrées d'une manière uniforme et standardisée.

En fait, je suis surpris qu'Ottawa ne soit pas au courant. Je crois qu'il y a quelques statistiques pour la région d'Ottawa-Carleton liées au critère de religion, au critère d'orientation sexuelle et au critère de race ou de couleur. J'ai vu de telles statistiques. D'après ces statistiques, les groupes principalement visés étaient, dans l'ordre, les Noirs, les gais et les lesbiennes, et les Juifs.

La présidente: Oui. Je ne veux pas mal vous renseigner. Nous en avons été informés, et j'ai simplement omis de poser la question. Je me demandais s'il était possible de chiffrer ces renseignements. Il a semblé indiquer qu'il n'avait pas les moyens... J'ai peut-être mal compris, mais chiffrer... non pas que ces chiffres aient une très grosse importance, mais en ce qui me concerne, un seul incident de ce genre est déjà un incident de trop.

M. Friedman: Je crois que le problème, avant tout, en est un d'uniformisation afin que les mêmes méthodes soient utilisées partout. Sans cela, comparer les statistiques s'avère très difficile.

M. Vernon: Je tiens simplement à ajouter une ou deux petites choses. Une partie du problème, c'est l'auto-identification. Je crois que les agressions à caractère homophobe ne sont pas toujours signalées à cause, malheureusement, du stigmate de l'orientation sexuelle. Ce facteur rend les choses encore plus complexes.

Cependant, je crois bon de rappeler que le gouvernement a eu raison d'inclure l'orientation sexuelle dans le projet de loi C-41. L'article concerné dans ce projet de loi prévoyait des peines accrues pour les crimes haineux et incluait les crimes motivés par l'orientation sexuelle des victimes. Cela fait partie désormais de la loi et du régime de peines, et nous espérons que les procureurs de la Couronne et les juges en tiendront compte.

La présidente: Merci.

[Français]

Monsieur Ménard ou monsieur Bernier?

M. Ménard: Ce sera moi, madame la présidente, parce que vos amis sont mes amis.

Je vous souhaite la bienvenue. Je constate que votre témoignage s'inscrit dans la continuité de ceux que nous avons entendus ce matin. C'est un plaisir de constater que vous nous invitez, non seulement à être solidaires de ce projet de loi, mais également à être diligents et à l'adopter avec célérité.

Quant à cette adoption, deux questions continuent à se poser à ce comité. Depuis l'interprétation donnée par les tribunaux, la Loi canadienne sur les droits de la personne est inconstitutionnelle et ce, depuis l'arrêt Haig and Birch rendu en 1992. Elle doit se lire comme si nous y avions déjà inclus l'orientation sexuelle.

Tout cela se rapporte, bien sûr, à l'article 15 de la Charte canadienne des droits de la personne, lequel prévoit l'égalité de traitement pour tous. Celui-ci est entré en vigueur en 1985 à la suite de travaux auxquels la présidente de ce comité a été très étroitement associée, ce dont elle n'est pas peu fière, sur le plan politique.

.1525

Les deux questions que nous devons nous poser à ce comité sont les suivantes: croyons-nous que, dans le préambule, la définition... Le préambule n'est pas une disposition opératoire du projet de loi. C'est une clause interprétative sur laquelle, comme vous le savez, les tribunaux auront probablement à se prononcer, comme sur tout article interprétatif. Croyez-vous qu'à cet égard il faille donner, dans le préambule, une définition plus explicite de la famille? Si c'est le cas, est-ce que votre association s'est arrêtée à une définition qu'elle souhaiterait suggérer à ce comité?

Voici l'objet de ma deuxième question. Nous tous qui sommes réunis autour de cette table comprenons que l'étape actuelle consiste à mettre un terme à des pratiques discriminatoires en raison de l'orientation sexuelle. Bien sûr, la Commission canadienne des droits de la personne a reçu des plaintes au sujet de la discrimination appliquée à l'orientation sexuelle, au cours des 10 dernières années, et a même constitué des tribunaux à cet égard.

Il est arrivé que l'un ou l'autre des tribunaux de ce pays ait accordé, par une décision isolée et parcellaire, des avantages à des conjoints de même sexe.

Dans les faits, le gouvernement n'a pas reconnu intégralement la notion de conjoints de même sexe et, sachez-le, le projet de loi que j'ai déposé a été battu.

Donc, la deuxième question que je vous adresse est la suivante: nous invitez-vous, dans un avenir plus ou moins rapproché - que nous n'avons pas à préciser ici - , dans la foulée de nos travaux, à légiférer et à faire pression sur ce gouvernement pour qu'il reconnaisse éventuellement les conjoints de même sexe?

M. Friedman: Pour ma part, je pense que l'important en ce qui a trait au préambule et à la loi comme telle est d'établir des normes, même si des cours et des tribunaux ont déjà, jusqu'à un certain point, inclus l'orientation sexuelle dans les motifs inacceptables de discrimination.

En ce qui concerne les principes que vous avez exposés à propos de la définition de la famille, je dois vous avouer que nous ne nous y sommes pas tellement arrêtés. Je n'ai donc pas de suggestions à faire en ce moment. En vue de l'avenir, je crois que ces questions devront être étudiées afin que tout le monde comprenne exactement quelles seront les implications de la loi que vous allez modifier aujourd'hui - pas aujourd'hui mais...

M. Ménard: ...dans les prochains jours.

M. Friedman: ...dans un avenir assez rapproché, espérons-le, et dans tous les autres domaines, pas seulement dans ceux de l'emploi et du logement.

Merci.

[Traduction]

La présidente: Eric, voulez-vous ajouter quelque chose à cette analyse de la place et du rôle du préambule dans ce projet de loi?

M. Vernon: Une toute petite remarque, madame la présidente. Je crois que pour le moment il est peut-être judicieux de laisser ce caractère vague au mot «famille». Cela permet une plus grande interprétation. Ce terme est ainsi plus générique que si nous essayions de définir avec précision ce que nous entendons dans le contexte législatif actuel.

Quant à notre définition de la notion de famille ou à notre position concernant les conjoints de même sexe, il s'agit de questions très complexes, bien entendu, qui nous font beaucoup réfléchir. Pour le moment, nous n'avons pas de position particulière à vous proposer, mais nous continuons à suivre cette question dans le contexte du débat public.

La présidente: Merci.

Monsieur McClelland.

M. McClelland: Je vous remercie infiniment de votre témoignage. J'ai deux questions à vous poser et j'essaierai de commencer par la plus courte.

Je déduis de votre témoignage qu'en ce qui vous concerne cette loi vise exclusivement les problèmes de discrimination. Elle n'aborde pas les problèmes d'équité en matière d'emploi, pas plus qu'elle ne reconnaît l'éventualité d'autres problèmes. Si elle le faisait, votre approche resterait-elle analogue? Je parle au nom de ceux et celles qui se sentent menacés et qui s'opposent à ce projet de loi parce qu'ils craignent qu'il n'aboutisse inévitablement à ce résultat.

M. Friedman: J'aimerais répondre à cette question par un commentaire que M. Ringma pourrait avoir fait à un moment donné.

Des voix: Oh, oh!

.1530

M. Friedman: Votre question est hypothétique.

Pour revenir à votre premier point, je crois qu'il importe de rappeler que chaque fois qu'on aborde des questions comme celle de l'équité en matière d'emploi, il faut avoir des statistiques pour démontrer que tel ou tel groupe est désavantagé par rapport à d'autres. Or, étant donné que beaucoup de personnes cachent leur orientation sexuelle et peuvent en fait occuper des postes très élevés dans la hiérarchie, il peut être très difficile de démontrer que ces personnes ont été désavantagées pour cette raison. La démonstration est difficile à faire.

M. Vernon: J'aimerais simplement ajouter qu'à partir du moment où on accepte votre prémisse initiale, à savoir que ce projet de loi vise exclusivement la discrimination, le reste de votre question devient futile.

M. McClelland: La question plus difficile concerne certaines considérations évoquées il y a une ou deux semaines par Bernie Farber. L'émission d'Elwy Yost, Saturday Night at the Movies, était consacrée à la discrimination et aux préjugés. Émission de très grande classe, à mon avis. Émission extraordinaire. Le film de la première partie était intitulé, sauf erreur, Crossfire. C'était un film de 1946. C'était un film sur les homosexuels, mais comme on ne pouvait pas parler d'homosexuels à l'époque, ils en ont fait un film sur l'antisémitisme.

Au cours de la conversation, Bernie Farber a lié la nécessité de lier la lutte contre la discrimination pour orientation sexuelle - j'espère que je m'explique bien, sinon, excusez-moi - à l'antisémitisme et au négationnisme, à la négation de l'Holocauste, qui représente peut-être la plus grosse menace pour notre société d'aujourd'hui: la négation de l'histoire ou la réinvention de l'histoire, une révision édulcorée de l'histoire pour la rendre moins détestable. J'ai trouvé ses commentaires très profonds et très intéressants, car je suis persuadé que ceux qui ont des préjugés ou qui font de la discrimination trouveront toujours des raisons à leurs préjugés ou à leur discrimination contre n'importe qui. Ils choisissent une cible. Je sais qu'historiquement ces cibles ont toujours été les groupes minoritaires.

Pourriez-vous développer un peu la question? J'espère ne pas avoir paraphrasé Bernie Farber incorrectement.

M. Vernon: Monsieur McClelland, en tant que collègue de Bernie, je peux vous affirmer qu'il a fait énormément de recherches très importantes sur ces questions.

Je dirais deux choses. Pour commencer, il ne faut pas oublier, en liant l'Holocauste à ces questions, que ceux qui portaient l'étoile jaune dans les camps étaient aussi avec des gens qui portaient le triangle rose dans ces mêmes camps.

Nous savons que la discrimination commence parfois de manière anodine. Mais comme Bernie le dit souvent, il y a une gradation de la discrimination, et le degré final, comme nous le savons, c'est Auschwitz. L'important, c'est notre place dans cette gradation, et le moment où il faut intervenir pour empêcher sa progression.

Le racisme, pour utiliser une autre métaphore, est une mauvaise herbe qui revêt différentes formes. Je crois qu'il importe de comprendre que toute minorité vulnérable est une menace pour toute la société canadienne. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous sommes tout particulièrement favorables à cet amendement, car nous comprenons la douleur et l'angoisse qui accompagnent les souffrances de la discrimination éprouvées par un groupe minoritaire.

M. Friedman: Je tiens simplement à ajouter un tout petit commentaire. Je n'ai pas vu cette émission, mais, personnellement, je n'établirais pas de lien direct entre l'Holocauste et les questions dont nous discutons ici aujourd'hui. Cependant, je suis moi aussi fermement convaincu qu'à partir du moment où une minorité est victime de discrimination il est inévitable que d'autres suivent. Stephen Scheinberg, l'ancien président national de la Ligue des droits de la personne et le vice-président actuel de B'Nai Brith, a dit qu'aux États-Unis à l'heure actuelle les gais et les lesbiennes sont comme les canaris dans les mines de charbon, car ils sont le groupe le plus vulnérable. C'est à eux qu'on s'attaque en premier, et il est indispensable de suivre de très près l'évolution du phénomène.

.1535

Matt McKay a été arrêté et inculpé à Winnipeg en 1991 pour avoir tabassé à mort un homme de 48 ans simplement parce qu'il pensait qu'il était gai. Matt McKay est le même individu qu'on voit dans les vidéos de l'enquête sur l'affaire de la Somalie dire: «Pas encore cassé assez de nègres.» Il a aussi tatouée sur la poitrine la croix celtique, symbole de la suprématie blanche et de l'antisémitisme de nombre de groupes racistes blancs. Il est donc évident qu'il y a multiplication des groupes visés une fois que cela commence.

La présidente: Madame Augustine.

Mme Augustine: Il reste toujours une question que j'ai posée de plusieurs manières différentes, car à mon avis elle est au coeur de la décision que nous devrons prendre quand nous voterons à la Chambre. En accroissant la sensibilisation, l'information du public, l'acceptation de l'orientation sexuelle, ne sommes-nous pas en conflit avec les croyances religieuses traditionnelles juives?

M. Ménard: Excellente question.

M. Friedman: Notre réponse est identique.

La présidente: Jean, vous auriez dû me poser cette question. Je vous aurais donné la réponse.

M. Vernon: Je crois que la réponse que j'ai donnée à M. Ménard s'applique dans ce cas. Il s'agit de questions très complexes, qui ne se prêtent pas à des réponses faciles. Nous ne sommes pas des érudits rabbiniques. Je crois qu'il serait préférable de poser la question à quelqu'un qui a une connaissance plus profonde de ces questions.

M. Friedman: J'ajouterais à cette évidence qu'il y a toutes sortes d'opinions parmi ceux qui se considèrent comme Juifs. Il nous serait très difficile de vous donner une réponse, parce qu'il n'y en a pas qu'une.

Mme Augustine: Cela me ramène au problème auquel nous sommes confrontés. Il y a ceux d'entre nous qui considèrent que c'est purement une question de justice et de discrimination et ceux qui considèrent qu'elle englobe toute une série d'autres questions morales et qui fondent leur opinion sur des croyances religieuses et morales. C'est à ce niveau que se situe le débat, qui se transforme en partie de ping-pong.

M. Vernon: Madame Augustine, permettez-moi de reprendre ce qui a déjà été dit un peu plus tôt en réponse à une question de Mme McLaughlin, à savoir que nous considérons que c'est strictement une question de droits de la personne. Nous préférons la limiter au domaine exclusif de la discrimination. C'est notre réponse à priori.

M. Friedman: Et je l'appuie.

La présidente: Monsieur Robinson.

M. Robinson: Madame la présidente, je m'excuse de mon retard. J'arrive directement de la Chambre et je suis très content de pouvoir au moins participer à la fin de votre audience.

Je souhaite également dire, et je suis persuadé que d'autres l'ont déjà dit, que le congrès et B'Nai Brith sont sur la ligne de front de ce combat depuis de nombreuses années. Je me souviens d'avoir travaillé avec ma collègue, Sheila Finestone, en 1985 comme membre du comité sur les droits à l'égalité. Je sais que M. Vernon est un vétéran de ces combats. Je ne connais pas personnellementM. Friedman, mais je sais qu'il a été...

.1540

La présidente: Il travaillait dans les coulisses pour Héritage Canada.

M. Robinson: Je tenais simplement à dire combien j'estime le rôle de premier plan joué depuis des années par B'Nai Brith et le congrès dans ce domaine.

J'ai deux questions à poser. Si elles l'ont déjà été, dites-le-moi simplement, et je lirai la transcription.

Pour commencer, il y a cette question de parallèle. Je dois avouer que mettre en parallèle ce problème avec l'Holocauste me trouble personnellement. À mon avis, c'est inapproprié.

Quand je considère certains des arguments utilisés dans ce domaine... Je regarde comment on se sert des enfants. Les enfants sont les biens les plus précieux et les plus vulnérables de notre communauté.

Pendant longtemps, les antisémites ont prétendu que les Juifs convertiraient nos enfants. Ils prétendaient qu'ils prendraient nos enfants pour les convertir ou que des Gitans les enlèveraient. Bien entendu, ils prétendent aussi que les gais veulent séduire leurs enfants. Ils n'hésitent pas à se servir des enfants pour faire passer leur message.

Les gens font le lien avec la pédophilie. Aujourd'hui, encore une fois, c'est à peine croyable, un autre député du Parti réformiste, Dave Chatters, a suggéré d'interdire la présence de gais dans nos écoles. Chaque député de ce parti a voté contre cet amendement, y compris M. McClelland, et certains d'entre eux établissent ces liens. Certains députés libéraux établissent les mêmes liens. Nos cris «honteux» s'appliquent indifféremment à tous les partis.

Je voulais vous demander si vous considérez comme important de nommer ceux qui doivent être protégés par la législation sur les droits de la personne. Encore une fois, la question vous a peut-être déjà été posée. C'est l'argument de M. McClelland et de certains autres. Ils disent qu'il n'est pas nécessaire de citer des groupes ou des catégories, qu'il suffit simplement d'interdire la discrimination. C'est leur approche préférée.

Étant donné ceux qui historiquement ont été victimes de discrimination - je vous rappelle que ces trois catégories de personnes se sont toutes retrouvées à Auschwitz - et étant donné que certaines sont plus victimes de discrimination, y compris la discrimination fondée sur la race, pourquoi est-il important de nommer ces groupes?

M. Vernon: Monsieur Robinson, j'y ai fait allusion dans ma déclaration, mais je me ferai un plaisir de résumer rapidement mes arguments. Nous entendons des gens se demander pour quelle raison les gens aux yeux bleus ne figurent pas sur cette liste, ou ceux qui appartiennent à telle ou telle catégorie.

Tout d'abord, j'ai dit tout à l'heure qu'il était important d'avoir une liste pour s'assurer que ne soient pas incluses des catégories pour des raisons futiles ou capricieuses. Il importe de n'inclure que les groupes qui historiquement ont été victimes de toutes sortes de discrimination, et tout particulièrement du genre de discrimination visée par la Loi canadienne sur les droits de la personne.

J'appuie cette proposition. Il importe qu'il y ait une liste qui énumère ces catégories. C'est la raison pour laquelle nous insistons pour que l'orientation sexuelle soit incluse dans cette liste.

M. Robinson: Une autre petite question.

M. Friedman: Je voulais simplement ajouter une petite chose. Ces catégories ne doivent pas correspondre à des groupes spécifiques. Elles doivent correspondre à des dimensions, et non pas à des groupes. Orientation sexuelle ne signifie pas gai et lesbienne; cela signifie orientation sexuelle. Religion ne signifie pas Juif. Cela signifie religion.

En d'autres termes, ces catégories que nous proposons doivent être très générales. Même les catégories elles-mêmes couvrent pratiquement tout le monde. Quant au sexe, tout le monde en a un. Nous ne proposons pas d'opposer les femmes aux hommes ou les hommes aux femmes ou les gais aux autres. La loi est très générale.

Si dans la réalité - et c'est notre ferme conviction - certains groupes sont des cibles privilégiées et si c'est ainsi que le monde se définit - semble-t-il - c'est alors tout simplement une constatation de ce qui se passe actuellement dans le monde. Ce ne sont pas les catégories elles-mêmes.

M. Robinson: Simplement une autre question. Je crois que lors de la dernière conférence nationale, les rabbins du judaïsme réformé des États-Unis ont accepté d'admettre et de célébrer les relations de couples de gais et de lesbiennes. Qu'en est-il au Canada?

M. Vernon: Cela nous ramène sur le territoire que nous avons abordé tout à l'heure avecMme Augustine. C'est un problème très complexe. Nous ne sommes pas vraiment les mieux placés pour en parler. Je me ferais un plaisir de vous fournir certains renseignements plus tard. Je crois qu'il serait préférable...

M. Robinson: Une simple question de fait: cette décision a-t-elle eu une incidence au Canada?

.1545

M. Friedman: Les déclarations des écoles rabbiniques n'engagent pas les individus. Même aux États-Unis la déclaration d'une association n'engage pas les membres de cette association. C'est une directive, une déclaration de principe. Je ne pourrais donc pas vous répondre. Il faudrait que nous fassions un sondage auprès des rabbins réformés du Canada pour le savoir.

M. Robinson: Est-ce que certains rabbins réformés au Canada, que vous sachiez...

M. Friedman: Je ne pourrais pas vous répondre, je m'excuse. Je ne sais pas.

La présidente: Je vous remercie tous les deux, ainsi que vos organismes respectifs. Vous jouez un rôle de premier plan depuis des années, et nous continuerons à compter sur vos conseils avisés.

Notre témoin suivant est le Dr Brian Hodges. Qui représentez-vous, docteur Hodges?

Le professeur Brian Hodges (Département de psychiatrie, Université de Toronto): Je représente l'Université de Toronto.

M. McClelland: Madame la présidente, je tiens à dire que si jamais une séance de comité aurait dû être télévisée, c'est celle-ci.

La présidente: J'en ai fait la demande. Il y avait tellement de témoignages intéressants...

Docteur Hodges, je vous en prie.

M. Hodges: Merci, madame la présidente. Je suis honoré de me présenter devant vous aujourd'hui en ma capacité de psychiatre et de professeur de psychiatrie de l'Université de Toronto. Je suis très honoré.

Pendant tout ce débat nous avons entendu beaucoup de discours théoriques et d'opinions personnelles sur ce qui est bon pour les particuliers, bon pour les familles et bon pour la société. Par contre, pratiquement rien n'a été dit sur la recherche empirique pour rendre le débat plus informatif, et je forme l'espoir cet après-midi...

La présidente: Docteur Hodges, pendant ce débat nous n'avons pas entendu beaucoup de discours théoriques. Nous avons entendu des opinions très sincères et très convaincues qui nous ont beaucoup éclairés. Poursuivez, je vous en prie.

M. Hodges: Madame la présidente, je vous remercie de cette rectification. J'aurais peut-être dû dire que de mon point de vue il serait utile d'ajouter quelques informations relevant du domaine médical.

M. McClelland: Docteur Hodges, elle nous traite tous de la même manière. Elle nous rappelle tous à l'ordre.

Des voix: Oh, oh!

M. Hodges: Non, je vous remercie d'avoir fait cette rectification.

Madame la présidente, à cet instant même, quelque part au Canada, un jeune envisage de se suicider, un adolescent qui, peut-être à sa grande honte, vient d'admettre la réalité de son homosexualité. La vérité choquante c'est que 30 p. 100 des jeunes qui se suicident aujourd'hui sont des gais ou des lesbiennes. Le psychiatre que je suis en est horrifié. Je dois me demander si nous ne pouvons pas l'éviter, si nous ne pouvons pas aider ces jeunes. Mais, bien entendu, pour pouvoir les aider, il faudrait qu'ils avouent leur homosexualité, et c'est là qu'est le problème.

Madame la présidente, dans la majorité des cas ils ne viennent pas nous demander notre aide. Les recherches montrent que le temps moyen entre la reconnaissance de sa propre orientation sexuelle et son admission est de 4,6 ans. La vérité, c'est que dans de nombreux cas les gens ne peuvent divulguer leur homosexualité, car ils risquent de perdre leurs amis, leur famille, leur emploi ou toute chance de promotion.

Mais il y a plus. Je peux vous montrer une étude récente que j'ai apportée qui dit que la victimisation des lesbiennes et des gais est devenue dans les faits la forme la plus commune de discrimination et d'agression. La majorité des lesbiennes et des gais interrogés ont été victimes d'une forme ou d'une autre de harcèlement, et près de 40 p. 100 d'entre eux ont été physiquement agressés. Pour ces adolescents, les perspectives sont sombres. Malgré cela, et c'est assez remarquable, certains finissent par avouer leur homosexualité à leur famille et à leurs amis. D'autres cependant s'adressent aux hôpitaux et aux cliniques.

.1550

J'aimerais vous parler du cas d'un de ces jeunes. Je travaillais au service d'urgence quand j'ai rencontré une jeune fille de 15 ans. Elle avait été victime d'une surdose et avait été retrouvée dans la rue par des travailleurs sociaux de Toronto qui s'occupent des jeunes. Elle avait dit à sa mère qu'elle était lesbienne deux semaines avant. Sa mère avait hurlé, l'avait traitée d'aberration et de malade perverse. Cette jeune fille a fui son foyer de la banlieue d'Halifax et s'est retrouvée dans les rues de Toronto. Dans ces rues elle a rencontré la drogue, bien entendu, mais surtout elle y était arrivée avec son désespoir de vivre.

Cette jeune fille n'est pas seule. Des recherches nous apprennent que 10 p. 100 des jeunes lesbiennes et des jeunes gais qui le disent à leur famille sont rejetés par celle-ci. Ils doivent fuir leur foyer.

Madame la présidente, entre 20 et 40 p. 100 des jeunes qui sont aujourd'hui à la rue sont homosexuels. Mais cette jeune fille est venue nous voir. Beaucoup d'entre vous se demandent peut-être ce que nous, les professionnels de la santé, pouvons faire quand ces gens viennent à nous. J'ai entendu dans des débats récents que mes collègues et moi-même devrions essayer de changer leur orientation sexuelle. C'est un point sur lequel en tant que praticien je tiens à être très clair.

Ni l'association américaine ni l'association canadienne des psychiatres, pas plus que l'Organisation mondiale de la santé, ne classent l'homosexualité comme une maladie. Il est évident que sans maladie il n'y a rien à traiter. Même quand les scientifiques ont essayé autrefois de la traiter, ils ont échoué. J'ai apporté certaines de ces études avec moi. Il n'existe aucune preuve de recherche empirique disant qu'il est possible de changer l'orientation sexuelle.

Madame la présidente, la recherche scientifique médicale nous apprend que l'orientation sexuelle est immuable. Ce n'est pas un choix. C'est une réalité dans chaque culture, dans chaque société et à tous les niveaux socio-économiques. D'après les statistiques les plus conservatrices, nous savons qu'au moins un million d'hommes et de femmes au Canada sont gais ou lesbiennes.

Peut-être que je m'intéresse trop à la maladie. C'est une tendance chez les médecins. Nous ne cessons de nous répéter l'importance de la prévention et de la prophylaxie. Ce sont des termes très importants à l'heure actuelle. Permettez-moi de vous dire, à vous tous qui examinez ce projet de loi, que c'est une des plus grandes chances que nous ayons eues depuis fort longtemps de sensibiliser nos concitoyens à l'importance de la santé et du bien-être.

La recherche nous apprend que la maladie, les maladies mentales, la morbidité et le suicide sont beaucoup moins fréquents chez les individus qui ont un sens fort de leur propre estime, qui ont du travail et qui sont soutenus par des liens amoureux et affectifs.

Je tiens également à vous donner un exemple clinique. Je travaille avec deux patients dont la vie a pris un tournant tragique. L'un est une femme et l'autre est un homme. Ils ont tous les deux de bons emplois; l'une est comptable et l'autre avocat. Ils sont tous les deux tenus en très grande estime par leurs employeurs et vivent tous deux depuis plus de cinq ans des relations homosexuelles affectives et amoureuses.

Cette année, ils ont tous deux été frappés par la tragédie. Leurs partenaires sont tombés malades, l'un atteint du cancer et l'autre du sida. Ils ont tous deux ressenti de la colère, de l'accablement, et du remords. Ils avaient du mal à dormir, ils ont perdu du poids et ils pleuraient à l'occasion, mais ils ont continué à travailler du mieux qu'ils pouvaient et à mener leur vie habituelle, même s'ils avaient du mal à se concentrer et à éviter de pleurer au travail.

La femme est allée voir ses employeurs pour leur dire quelle tragédie l'affligeait. Ils lui ont accordé du temps pour aller visiter sa partenaire à l'hôpital et l'ont aidée à trouver du counselling. Ses collègues avaient pour elle des sourires et des mots d'encouragement.

Pour sa part, l'homme avait vu un collègue très performant privé d'une promotion et plus tard forcé de quitter l'entreprise parce qu'il était gai. En fait, étant donné que mon patient faisait partie des cadres supérieurs et qu'il avait été témoin de toutes les discussions précédant le renvoi de son collègue, discussions qui comportaient énormément de remarques haineuses, chaque jour au travail, il craignait d'être découvert.

Il devait composer avec le fait que son partenaire se mourait, mais il ne pouvait en parler à personne. Il n'allait jamais à l'hôpital au cours des longues journées où il était au travail. Il inventait des histoires à l'intention de ses collègues qui lui demandaient pourquoi il avait l'air fatigué ou déprimé.

Madame la présidente, mes deux patients ont maintenant perdu leurs partenaires. J'ai essayé de les soutenir du mieux que j'ai pu. Cela a été très douloureux pour eux, et ils continueront de ressentir tristesse et solitude.

.1555

La femme a eu deux semaines de congé et est maintenant de retour au travail. Elle a, sur son bureau, une photo de sa partenaire décédée.

L'homme s'est enfoncé dans la dépression. Il est en congé de maladie depuis plusieurs mois, et je fais de mon mieux pour traiter sa dépression, mais il n'a aucun appui. Il estime ne pas pouvoir s'ouvrir à sa famille. J'ai dû écrire à ses employeurs une lettre très voilée, dans laquelle j'expliquais en termes vagues qu'il souffrait d'une grave dépression, mais que je ne pouvais en préciser ni la cause ni la nature. Je ne sais pas s'il sera en mesure de retourner travailler, car il a trop peur que son entourage découvre qu'il est homosexuel.

Je demanderais aux membres du comité de réfléchir à ce qui suit: pour assurer la santé, le bien-être et la stabilité sociale, les politiques et les professionnels de la santé doivent collaborer. Je me charge de la santé et du bien-être des citoyens, alors que vous, vous vous chargez de la santé et du bien-être de la société.

J'ai dit au début qu'il y avait quelque part au pays un jeune homme ou une jeune fille qui envisage de se suicider. Si cette personne arrive à mon service d'urgence, je ferai tout ce que je peux. Je recourrai à tous les moyens à ma disposition pour traiter une surdose, pour suturer des lacérations, pour empêcher la mort, si possible, et, un peu plus tard, j'essaierai, grâce à la psychothérapie, de faire naître l'espoir, voire même l'estime de soi. Mais il faut intervenir avant la surdose, la pendaison, le coup de fusil fatal, le licenciement. Ça, c'est votre travail.

Vous pouvez rejoindre ce jeune homme ou cette jeune fille bien avant moi. Cette mesure législative transmettre à tous les Canadiens le message qu'il est acceptable d'être homosexuel ou lesbienne; que les homosexuels peuvent aspirer à des carrières, même au gouvernement fédéral, à des promotions, à la propriété, à l'ouverture et à l'honnêteté. Membres du comité, cela sera beaucoup plus efficace que mon lavage d'estomac ou mes sutures.

Mais les gens vont se demander, comme ils l'ont fait continuellement au cours des débats d'aujourd'hui, si ce changement mineur à la Loi canadienne sur les droits de la personne va vraiment accomplir tout cela. Est-il vraiment nécessaire d'ajouter l'orientation sexuelle à cette liste de plus en plus longue? Ne pouvons-nous pas laisser tomber les listes et affirmer tout simplement que la discrimination est répréhensible?

En tant que médecin, j'ai passé des années à étudier des listes de maladies. J'aimerais pouvoir dire que tous les médecins devraient parcourir le monde et éliminer toutes les maladies et toutes les souffrances, quelles qu'elles soient, mais si aucune liste n'est parfaite ou exhaustive, je ne peux pas plus éradiquer la maladie de façon abstraite et nébuleuse que la société, par l'entremise de ses tribunaux et de ses institutions, ne peut éliminer une discrimination indéfinie et anonyme.

Pour la cerner, pour la quantifier et, au bout du compte, pour la prévenir, comme la maladie, il faut dire clairement contre qui et pour quels motifs s'exerce cette discrimination. La liste est donc importante et, à l'heure actuelle, comporte une omission flagrante.

Je suis ici à titre de médecin et de psychiatre pour vous dire, dans la perspective de la santé et du bien-être, que nous ne pouvons rester inactifs alors que le taux de suicide de ces jeunes homosexuels est trois fois plus élevé que celui des autres jeunes. Nous ne pouvons pas attendre qu'un nuage de tolérance enveloppe le pays, alors que des milliers de gais et de lesbiennes sont forcés de quitter leur foyer parce qu'ils ont été honnêtes avec leur famille, ce qui a pour effet de les livrer à la drogue, à la prostitution et au désespoir. Nous ne pouvons pas continuer de fermer les yeux lorsque des gais et des lesbiennes sont harcelés, battus, mis à la porte ou jetés sur le pavé.

Hier, j'ai trouvé dans la Loi électorale du Canada une citation remarquable, qui remonte au tournant du siècle, soit: «Les femmes, les imbéciles, les fous et les criminels n'ont pas le droit de voter.» Cela figurait dans notre loi électorale. À la même époque, il y avait sur les plages du Canada des panneaux qui disaient: «Interdit aux Juifs». Il y avait aussi des annonces pour des emplois, que l'on peut encore lire aujourd'hui, qui disaient: «Irlandais s'abstenir».

La suppression de ces formes de discrimination au Canada a amélioré notre santé sociale et économique. La plupart des provinces, bon nombre d'industries privées et les tribunaux reconnaissent déjà qu'il est valable de mettre fin à la discrimination dont souffrent les homosexuels et les lesbiennes.

Je sais qu'un jour ou l'autre le Canada le fera, mais pour la santé et le bien-être de tous les citoyens du pays, il faut le faire maintenant. Nous avons déjà trop attendu.

Le vice-président (M. Scott): Merci beaucoup, docteur Hodges. Pour respecter la tradition de neutralité de la présidence, je vais...

.1600

Je n'ai pas entendu les présentations. Vous a-t-on demandé de décliner, aux fins du compte rendu, vos titres et qualités, ou vos antécédents, etc.?

M. Hodges: Oui. Étant donné les délais très courts, je ne peux affirmer représenter complètement l'opinion du Département de psychiatrie de l'Université de Toronto. Cela dit, je suis professeur au Département de psychiatrie de la Faculté de médecine de l'Université de Toronto.

Le vice-président (M. Scott): Merci beaucoup.

[Français]

Monsieur Bernier.

M. Bernier: Merci, monsieur Hodges, d'être venu nous présenter votre point de vue qui est très intéressant et qui va dans le sens de ce que le Dr Kroll nous a dit, il y a quelques instants.

Personnellement, j'ai manqué une partie de l'intervention du Dr Kroll, en particulier celle qui portait sur l'incidence du suicide chez les jeunes. Mon collègue m'a fait part des chiffres mentionnés par le Dr Kroll et que vous avez repris pour l'essentiel. Ces chiffres me renversent.

J'ai toujours cru que sur le nombre de jeunes qui se suicidaient, plusieurs le faisaient parce qu'ils étaient dans l'impossibilité de vivre ou d'accepter leur homosexualité. Je ne pensais pas, toutefois, que cette proportion pouvait être aussi élevée.

Vous soulignez que la décision que nous sommes en train de prendre en tant que législateurs va bien au-delà de l'application des amendements qu'on apporte à la Loi sur les droits de la personne. Vous dites, finalement, que par l'adoption de cette loi, nous allons adresser un message à l'ensemble de la société canadienne, et peut-être de façon plus particulière à nos jeunes, à savoir que dans notre société, nous avons l'intention de ne tolérer aucune forme de discrimination. Conséquemment, toute personne, peu importe ses choix personnels, sera considérée comme un individu à part entière et acceptée.

Je vous remercie au nom de l'Opposition officielle de ce témoignage. Nous allons en prendre bonne note. Merci beaucoup.

[Traduction]

M. Hodges: Merci de vos commentaires.

En tant que professionnel de la santé, je pense que si l'on peut atténuer ou supprimer un facteur qui débouche sur la mort, l'invalidité ou la maladie mentale, la société en général ne s'en porte que mieux.

M. McClelland: Merci beaucoup de votre témoignage.

Je n'ai pas été particulièrement surpris de vous entendre dire que 30 p. 100 des suicides chez les jeunes mettent en cause des homosexuels et des lesbiennes confrontés à la crainte d'être rejetés par leurs parents. Cependant, je me demande dans quelle mesure la consommation de drogue chez ces jeunes a un lien direct avec ce problème précis. Avez-vous des données quantitatives à ce sujet?

En outre, je me demande s'il y a un lien entre ce problème et certaines des paroles de la musique de Kurt Cobain et toute cette sous-culture. Je songe à ce jeune homme qui s'est suicidé à St-Albert il y a environ deux ans. Ses parents ont mené dans tout le Canada une croisade qui n'a rien donné, mais je crois qu'ils ont comparu devant notre comité. Cette tragédie était liée à la sexualité de leur fils, à la musique et à la consommation de drogue. Il s'agit là d'une combinaison fatale.

Auriez-vous l'obligeance de nous en dire plus long?

M. Hodges: Ce phénomène a été étudié. L'adolescence est souvent une période où surgissent des problèmes de comportement qui se traduisent par la consommation d'alcool ou de drogue, la promiscuité sexuelle, etc.

.1605

Il existe un groupe de jeunes chez qui ces facteurs sont rassemblés. Chose intéressante, les jeunes homosexuels ne se retrouvent pas dans ce groupe. Ils consomment peut-être de l'alcool ou de la drogue, ou se livrent peut-être à la prostitution, mais ils ne font pas partie de ce groupe central qui est considéré comme le plus perturbé et qui est souvent composé de jeunes au comportement anti-social, ayant des démêlés avec la justice, etc.

Parmi les jeunes homosexuels qui ont fait l'objet d'études, la consommation d'alcool et de drogue sont l'un des facteurs susceptibles d'avoir mené au suicide, mais sans qu'il y ait pour autant de corrélation ferme. Un grand nombre de jeunes homosexuels ou lesbiennes qui se suicident ne vivent pas dans la rue. Ce ne sont pas des jeunes de la rue et ils ne font pas partie dans cette sous-culture.

Au sujet des paroles de ce musicien incitant au suicide, il est vrai que les adolescents sont influencés par leurs idoles, par les forces sociales. On le voit dans le nord du Canada avec ces suicides ou ces tentatives de suicide en série dans une collectivité où un jeune va en imiter un autre, qui en imitera un troisième.

Ce qui est intéressant au sujet des jeunes homosexuels, c'est qu'ils sont souvent très isolés. En raison de leur orientation sexuelle, ils ne s'identifient pas à un groupe. En fait, d'après les ouvrages spécialisés, cette capacité de s'identifier positivement à un groupe pourrait empêcher le suicide. Il y en aurait sans doute moins.

M. McClelland: Dans ce cas-là, j'ai une courte supplémentaire.

Si je me souviens bien, d'autres témoins ont établi un lien avec l'incapacité des parents d'accepter cette réalité. Les parents veulent souvent changer un comportement qu'il est impossible de changer, ce qui provoque encore davantage de problèmes avec leurs enfants. C'est un facteur important dans l'ostracisation de la jeunesse. Il semble que cela soit assez commun. Le refus des parents d'accepter cette réalité est sans doute un facteur primordial.

Êtes-vous d'accord avec cette affirmation? Si c'est le cas, avez-vous des suggestions pour remédier au problème?

M. Hodges: Il y a un article intéressant dans un des livres sur la politique gouvernementale concernant l'homosexualité. Dans le cadre d'études, on a examiné quels facteurs seraient susceptibles d'atténuer la discrimination dans ce domaine et d'améliorer la situation. Le facteur le plus susceptible de donner lieu à une attitude ouverte et tolérante au sujet de l'orientation sexuelle est le fait d'avoir un parent, un ami ou un collègue de travail qui est homosexuel ou lesbienne.

L'effet le plus marquant de cette mesure sera de permettre à un plus grand nombre d'homosexuels et de lesbiennes d'être plus ouverts. En contrepartie, cela permettra à davantage de Canadiens d'être conscients de leur existence et confortables en leur présence. De toute façon, ils sont partout, en milieu de travail, dans les écoles, dans les foyers.

Le problème est plus aigu dans un foyer où la famille n'est pas préparée à cette réalité et n'a jamais envisagé cette possibilité. Cette révélation est complètement inattendue. Elle provoque un choc pour les parents. Ces derniers ne savent comment réagir, et ils ne peuvent compter ni sur la loi, ni sur la collectivité, ni sur la compréhension de leur milieu social pour se dire que, finalement, ce n'est peut-être pas si grave. Que c'est une réalité à laquelle la famille devra s'adapter et qu'il faudra l'accepter. Que leur fils ou leur fille continuera à être comme avant et pourra trouver du travail, mener une vie intéressante, avoir une famille, etc.

M. Robinson: Je remercie le Dr Hodges de son éloquent témoignage cet après-midi. Je remercie les Drs Hodges et Kroll pour l'excellent travail et le leadership dont ils font preuve en tant que professionnels sur la ligne de front de cette très importante bataille.

J'ai une question au sujet de vos associations professionnelles, soit l'Association des psychiatres du Canada et l'Association médicale canadienne. Savez-vous si ces associations ont pris position au sujet de l'importance de la Loi sur les droits de la personne, et plus particulièrement sur la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle?

M. Hodges: Je suis désolé, mais je n'en sais rien.

Au sujet de ce que j'ai mentionné, à savoir comment comprendre l'homosexualité et s'il y a lieu de la traiter ou non, nos associations ont adopté les lignes directrices de l'Association de psychiatrie américaine, selon lesquelles toute tentative de la part d'un psychiatre de traiter qui que ce soit dans le but de modifier son orientation sexuelle doit être considérée comme une atteinte à l'éthique.

Des travaux sont également en cours pour publier des ouvrages sur la façon de travailler avec des homosexuels ou des lesbiennes qui ont des problèmes dans la vie, sans pour autant essayer de les convertir à l'hétérosexualité.

Oui, on s'attache à trouver des façons de soutenir ces personnes.

La Société canadienne de pédiatrie a une liste de lignes directrices sur la façon d'accueillir, de traiter et d'appuyer les jeunes homosexuels ou lesbiennes qui vont chez le médecin afin de les aider à développer leur estime de soi et leur sens de l'identité. Je ne suis toutefois pas en mesure de vous dire quelle est la position officielle de la Société à ce sujet.

.1610

M. Robinson: Vous pouvez peut-être vous en enquérir.

M. Hodges: Volontiers.

M. Robinson: Il serait utile de consigner au compte rendu sa position à ce sujet.

M. Hodges: Absolument. Merci.

M. Robinson: Vous avez parlé de la Société canadienne de pédiatrie. J'ai fait distribuer à tous les membres du comité une étude - je crois que le greffier l'a distribuée - qui a été publiée en 1994 dans une revue américaine de pédiatrie, intitulée Pediatrics. Je suis sûr que vous la connaissez. Le titre relatif à l'étude était: «Les homosexuels, des agresseurs sexuels?» On y avait recensé 269 cas d'abus sexuels contre des enfants au Colorado. Sur ces 269 cas, deux délinquants ont été identifiés comme gai ou lesbienne.

M. Hodges: Oui.

M. Robinson: Dans 82 p. 100 des cas, soit 222, le présumé délinquant était le partenaire hétérosexuel d'un parent proche de l'enfant. Comme nous le savons, certains essayent encore d'établir un lien douloureux, destructeur et malhonnête entre la pédophilie et l'homosexualité. Cette étude montre sans contredit que cette allégation est fausse. En vous fondant sur votre expérience professionnelle, avez-vous des raisons de croire que la situation serait différente au Canada?

M. Hodges: Non, pas du tout. L'un des arguments les plus odieux que l'on puisse avancer, c'est qu'il existe un lien entre la pédophilie et l'orientation sexuelle.

Récemment, on m'a fait remarquer qu'il existe un parallèle intéressant avec le mouvement des droits civils des Noirs aux États-Unis. On a laissé entendre à l'origine que les Noirs avaient des pulsions sexuelles débridées et qu'ils étaient coupables d'agression sur les femmes et les enfants. Il semble que cette idée que des groupes marginaux s'en prennent aux plus vulnérables de la société revient chaque fois que la discrimination... C'est l'un des arguments les plus convaincants auxquels on a recours.

J'ai étudié attentivement les ouvrages spécialisés et outre cette étude, de multiples autres montrent toutes qu'il n'y a pas plus d'homosexuels que d'hétérosexuels parmi les agresseurs d'enfants. Je suis tout à fait à l'aise avec cette notion et tous mes collègues psychiatres vous diront que cela est accepté dans nos manuels et dans nos ouvrages spécialisés. Cela est clairement compris.

M. Robinson: Monsieur le président, j'aimerais poser une dernière question.

Les gens oublient parfois que les jeunes gais, lesbiennes et bisexuels contribuent sans doute les seuls membres d'un groupe minoritaire qui ne peuvent compter sur leur propre famille et sur des institutions qui, traditionnellement, les auraient pris sous leur aile et les auraient aidés, comme l'Église. Lorsqu'on y pense, un jeune noir peut à tout le moins compter sur le soutien de sa famille. Même chose pour le jeune juif ou le jeune handicapé... ils peuvent au moins compter sur l'amour et le soutien de leur famille.

L'une des plus grandes peurs de certains gais, lesbiennes ou bisexuels, c'est bien sûr que leur famille soit au courant. Lorsqu'ils entendent leurs parents faire parfois des commentaires homophobes, lorsqu'ils entendent les dirigeants politiques dénoncer comme immoral et contre nature le comportement des gais et des lesbiennes, lorsqu'ils entendent les dirigeants religieux les traiter de pêcheurs, quel effet cela leur fait-il? Quelle répercussion cela a-t-il pour un jeune? Docteur Hodges, d'après votre expérience médicale, qu'est-ce que cela fait à un enfant de ne pouvoir ni se confier à ses parents ou à sa famille ni compter sur leur appui?

M. Hodges: L'amour et l'appui de la famille, comme on le dit souvent, est le fondement d'un développement sain et de la stabilité sociale. Les relations empreintes d'amour et de respect mutuel sont la base de l'estime de soi, du succès et de l'identité personnelle.

J'ai relu ce matin une étude portant sur les relations familiales face à la discrimination. La famille peut être le plus important bouclier contre le traitement abusif ou la discrimination. Comme nous le savons tous, lorsque nous sommes jeunes et en difficulté, nous nous tournons d'instinct vers notre famille.

Selon moi, c'est l'un des facteurs qui est directement lié au fait que de nombreux gais et lesbiennes sont désespérés, se suicident, quittent le foyer familial, fuguent ou vivent dans la rue. Ils sentent - on le leur a fait sentir - qu'ils ne peuvent pas aller chercher auprès de leurs parents l'aide dont ils ont besoin pour surmonter tous les problèmes communs à l'ensemble des jeunes. En outre, ils ont ce fardeau additionnel de devoir grandir avec une identité différente qui est considérée comme moins valable par leurs amis, leurs pairs, leurs professeurs et leur entourage de façon générale.

M. Robinson: Merci beaucoup.

Le vice-président (M. Scott): Merci, monsieur Hodges. Merci, monsieur Robinson.

.1615

Monsieur MacLellan.

M. MacLellan: Merci, docteur. Cela a été fort intéressant et fort utile.

Avez-vous dit que l'Association américaine de psychiatrie ne considérait pas comme faute professionnelle toute tentative de vouloir modifier la personnalité d'un adolescent ou d'une adolescente?

M. Hodges: Voici précisément ce qui est dit:

M. MacLellan: Très bien. Que se passe-t-il si un psychiatre essaie de modifier la sexualité? Quel est le point de vue de l'Association canadienne de psychiatrie à cet égard? Considère-t-on que c'est là une faute professionnelle?

M. Hodges: Il y a un débat sur la façon de considérer les personnes qui pratiquent cela. Je vais vous donner l'exemple d'un membre de l'Association américaine de psychologie, un organisme soeur de l'Association américaine de psychiatrie. Il s'agit d'un homme qui est devenu très célèbre pour avoir écrit des thèses fondées sur ce modèle, en se fondant sur des résultats et des conclusions de recherches faux. Ce psychologue, qui est souvent cité par des personnes et qui laisse entendre qu'il est possible de modifier l'orientation sexuelle, a été invité à quitter l'association en raison des lacunes d'ordre méthodologique et éthique de ses travaux.

Je ne prétends pas qu'il n'existe pas un noyau de psychiatres membres de l'association qui demeurent convaincus que c'est une erreur. Il s'agit d'un très petit groupe qui fait périodiquement connaître son opinion. Un grand nombre de ces psychiatres fondent leurs arguments sur des travaux psychodynamiques et non sur des recherches empiriques.

Je pense qu'on irait trop loin en disant qu'à ce stade-ci, cela est considéré comme une faute professionnelle, mais compte tenu de la déclaration sans ambiguïté de l'APA, cela n'est certes pas considéré comme une pratique acceptable.

M. MacLellan: Vous avez dit qu'on vous demande parfois, à vous et à d'autres psychiatres, d'essayer de modifier la sexualité de jeunes patients. Qui vous demande de faire cela? Les parents?

M. Hodges: Il est vrai que, assez souvent, les parents viennent nous consulter accompagnés d'un jeune qui, dans la plupart des cas, a reconnu qu'il est homosexuel et qui s'en est ouvert à sa famille. Les parents nous expliquent qu'un malheur est arrivé et nous supplient de guérir l'enfant pour que tout redevienne comme avant. Oui, c'est vrai, nous avons des demandes de la part des familles.

Il y a aussi des groupes dans notre société qui souhaitent que les psychiatres, en tant que membres du corps médical, s'attachent à changer ce comportement qui est perçu comme une maladie. Ils souhaitent que nous fassions des recherches pour trouver le gène de l'homosexualité et le supprimer. Ils voudraient que nous puissions effacer le tort psychologique qui a été causé à leur enfant. Il y a donc des demandes qui émanent parfois de groupes sociaux.

Je pense que nous avons toujours été clairs dans notre réponse, que nous nous adressions à un père ou à une mère au service d'urgence ou dans une clinique ou à un groupe social quelconque. Nous avons toujours dit qu'il n'existait aucune preuve que l'orientation sexuelle puisse être changée et qu'en fait, c'est une caractéristique humaine immuable que l'on retrouve dans toutes les sociétés et toutes les cultures. En fait, on causerait beaucoup de tort aux jeunes en question en leur disant qu'ils ne sont pas normaux, qu'ils sont malades et qu'il faut intervenir. Il est beaucoup plus utile de discuter avec eux pour voir de quelle façon cela influe sur leur vie et celle de la famille. Il faut envisager avec eux des moyens de continuer à avoir des rapports axés sur le soutien mutuel et leur ouvrir la voie à une carrière et à des objectifs d'avenir.

M. MacLellan: Je voudrais revenir sur ce qu'a dit le docteur Kroll, soit que l'homosexualité prend forme dès que le bébé prend forme. Ce n'est pas quelque chose que l'on apprend. Ce n'est pas un acquis. Je voulais savoir ce que vous en pensez. Bien sûr, d'aucuns disent qu'il faut surveiller les fréquentations de ses enfants parce qu'ils risquent de l'attraper ou qu'on ne peut les laisser prendre des cours de ballet parce qu'ils deviendront homosexuels. Ce genre de commentaires m'offusquent, et je voudrais que vous nous disiez officiellement ce que vous en pensez.

M. Hodges: La question du développement de l'orientation sexuelle, comme le développement de toute notre identité, est incroyablement complexe. Cela commence avant la conception, se poursuit pendant la conception et tout au long de la vie utérine, ainsi que les premières années d'enfance. De nombreux facteurs entrent en ligne de compte. Un grand nombre sont d'ordre biologique, et nous en apprenons davantage à ce sujet. D'autres sont d'ordre environnemental et sociologique et, encore là, nous apprenons de plus en plus. Cependant, nous savons que l'orientation sexuelle est immuable dès le bas âge.

.1620

Je pense que nous devrions revenir à l'objet de la mesure et au débat d'aujourd'hui, qui ne porte pas sur les causes de l'orientation sexuelle. Le fait est qu'il y a un groupe constant dans toutes les sociétés, dans toutes les cultures, composé de gais et de lesbiennes. Le fait est également qu'ils font l'objet de discrimination, peu importe comment ils sont devenus ce qu'ils sont. Je pense que l'objet de la mesure à l'étude est d'empêcher cette discrimination, de communiquer le message qu'il est répréhensible de faire de la discrimination et qu'il est intolérable que les homosexuels soient plus nombreux à se suicider, à perdre leur emploi ou à licenciés.

Je pense que si nous nous lançons dans le débat médico-biologique au sujet des causes de l'homosexualité, nous perdons de vue qu'il s'agit là d'une question de respect des droits de la personne et que ce changement législatif renforcera la société en général.

Le vice-président (M. Scott): Merci beaucoup.

Madame Augustine.

Mme Augustine: Merci, monsieur le président.

Ma question a plus ou moins été rendue inutile par votre dernière intervention. J'allais vous demander de nous inviter à retourner à l'objet du projet de loi. Je me demande si, dans tout ce débat... Tout à l'heure, vous avez cité un passage sur le droit de vote et vous avez mentionné la situation des Noirs et des autres groupes sociaux. Après avoir réfléchi à tout ce que j'ai entendu, je constate que les progrès ont été lents. Il faut vraiment avancer à petits pas, monter une marche à la fois, faire tomber une brique et ensuite une autre pour espérer qu'enfin tout le mur s'écroule.

Je me demande si nous devrions uniquement envisager une modification permettant d'ajouter l'orientation sexuelle à la liste des motifs qui ne sauraient justifier la discrimination. Tous les autres aspects de la discussion, les aspects moraux, éthiques, les droits et autres, devraient-ils faire partie du débat? J'ai peut-être tendance à m'enfermer strictement dans le champs du projet de loi, mais j'estime que ces autres discussions doivent être reportées à un autre jour, à un autre moment et peut-être donner lieu à d'autres amendements nécessaires.

Je voudrais savoir comment vous pouvez séparer cette question des grands enjeux que sont la justice, l'égalité et l'équité dans la société canadienne, somme toute des idéaux auxquels nous aspirons.

M. Hodges: En tant que psychiatre, je connais bien les ouvrages portant sur les relations et les familles ainsi que sur toutes les questions connexes que cela appelle. Peu importe comment on définit une relation, tous les ouvrages spécialisés montrent qu'une relation axée sur le soutien mutuel, une relation empreinte de compassion est bonne pour l'estime de soi, la capacité de se soucier d'autrui et de contribuer à la société. À long terme, j'estime que nous devons créer un milieu qui favorise cela.

Le projet de modification de la Loi canadienne sur les droits de la personne, cependant, ne concerne pas vraiment le sexe, le mariage et les relations personnelles. Ce sera pour une autre fois, je pense; c'est une question importante et je tiens vraiment à ce qu'on en discute un jour, mais ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui. Il est question de discrimination. Il est question de la façon dont la discrimination blesse les gens sur le plan physique, mental et psychologique, en plus de nuire à leur capacité de vivre une vie heureuse et de faire une contribution à la société. Voter en faveur de cette mesure, je pense, équivaut vraiment à dire seulement qu'il est mal de faire de la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, point final.

Mme Augustine: Merci.

Le vice-président (M. Scott): Merci beaucoup, madame Augustine.

Avant de remercier le témoin, je tiens à formuler une demande ou à poser une question. Lorsque le chef de la police d'Ottawa a comparu plus tôt, il a parlé de l'incidence - et pour votre gouverne, je tiens à préciser que je parle maintenant seulement de la question de discrimination - des actes violents fondés sur un préjugé quelconque, ou des crimes inspirés par la haine. Environ la moitié - je pense qu'il a parlé de 29 cas sur 63 - des accusations portées en 1995, je pense, étaient reliées à l'orientation sexuelle. Il me semble que quelqu'un a dû déjà effectuer des recherches dont les résultats montrent s'il y a corrélation ou non, s'il existe des indices d'une discrimination plus répandue. Il s'agit en l'occurrence de violence perpétrée contre quelqu'un en raison de son orientation sexuelle ou de ce qu'on pense être son orientation sexuelle.

.1625

Ma question est très simple. A-t-on fait des recherches qui démontrent dans quelle mesure cela témoigne d'un problème de discrimination plus répandu?

M. Hodges: Oui. Un autre aspect de la psychiatrie, que je n'ai pas abordé du tout, est le travail auprès de criminels affligés de ce qu'on appelle une personnalité anti-sociale - la personne dénuée de conscience qui blesse, maltraite et manipule d'autres personnes.

Nous sommes en rapport avec des personnes de ce genre et je peux vous dire que, lorsque quelqu'un estime qu'il n'y a rien de mal à battre, maltraiter ou agresser un certain type de personne, dans bien des cas, peu lui importe la raison de sa haine. Nous avons déjà entendu l'argument du canari, à savoir que les gais et les lesbiennes constituent souvent l'un des groupes les plus vulnérables de notre société en ce moment.

Je dois cependant vous dire que j'ai déjà entendu des gens proférer des menaces. Lorsqu'ils commencent à parler de la haine qu'ils ressentent ou du fait qu'ils doivent tuer, blesser ou agresser quelqu'un, bien souvent, ils ne spécifient pas de qui il s'agit. Lorsque des gais ou lesbiennes sont agressés, les agresseurs pourraient tout aussi probablement s'attaquer à d'autres membres de la société à cause d'autres différences, de leur appartenance à d'autres groupes et pour toutes sortes d'autres raisons.

Le vice-président (M. Scott): Merci beaucoup, monsieur Hodges. Vous nous avez beaucoup aidé.

M. Hodges: Merci.

Le vice-président (M. Scott): J'invite notre témoin suivant, David Hallman, responsable des programmes de l'Église unie du Canada, à s'approcher.

Monsieur Hallman, j'ai remarqué que vous attendiez depuis quelque temps. Je suppose que c'est à cause de votre intérêt pour notre discussion et non parce que nous vous avons fait attendre. Veuillez vous présenter brièvement et faire votre exposé.

M. David Hallman (responsable des programmes, Église unie du Canada): Merci. Je m'appelle David Hallman. Je fais partie du personnel du Conseil général national de l'Église unie du Canada et je fais également partie du personnel du Conseil mondial des églises. Je suis responsable des diverses questions liées à la justice sociale et à l'environnement.

Je représente aujourd'hui notre modératrice, Marion Best, qui n'a pas venu venir. J'ai fait circuler en son nom un communiqué de presse dans lequel elle accueille favorablement la présentation de cette mesure législative et indique que l'Église unie du Canada se réjouit de cette initiative, en partie parce que depuis 20 ans maintenant, nous préconisons l'inclusion de l'orientation sexuelle dans la Loi sur les droits de la personne.

Je suis personnellement heureux aussi de représenter l'Église unie, car étant l'un des plus anciens membres du personnel du Conseil national de l'Église unie, j'ai fait partie du comité qui a adopté cette politique en 1976.

Nous estimons opportun que l'Église unie du Canada soit représentée parmi les témoins d'aujourd'hui, car nous sommes passés par toutes les controverses que vous essayez de résoudre en examinant ce projet de loi et dans vos délibérations. Certaines de nos expériences peuvent vous aider à sortir des dilemmes dans lesquels vous êtes pris.

Nous sommes ici pour témoigner du fait que les débats de cette nature sur l'orientation sexuelle peuvent se dérouler dans un contexte de respect pour les points de vue divergents. L'intégrité peut y régner seulement si l'on est prêt à écouter les histoires vécues et les expériences des gais et des lesbiennes, qui font l'objet des discussions. Ces débats peuvent mener à des décisions fondées sur des principes, motivés par la justice et l'amour, ce qui mènera à une société beaucoup englobante. Lorsqu'une communauté a pris cette décision de devenir plus englobante, elle peut progresser et mieux promouvoir la cicatrisation, le mieux être et la santé de ses membres.

C'est l'expérience que nous avons vécue et nous espérons que la société canadienne dans son ensemble pourra s'enrichir et croître vers une plus grande intégrité en adoptant cette mesure législative, et nous espérons aussi que les gais et les lesbiennes pourront en conséquence vivre moins dans la peur qu'ils ne l'ont fait jusqu'à maintenant.

.1630

Je vais vous donner quelques détails sur l'expérience que nous avons vécue en ce qui concerne la question de l'orientation sexuelle.

J'ai mentionné que nous avons adopté pour la première fois en 1976 une politique selon laquelle l'orientation sexuelle devrait être incluse comme motif de distinction illicite dans la loi sur les droits de la personne. Cette politique a été adoptée dans le contexte d'un examen du Code des droits de l'homme de l'Ontario à ce moment-là.

L'année suivante, en 1977, lorsqu'on discutait du projet de loi sur les droits de la personne, nous avons réaffirmé cette position et recommandé au gouvernement fédéral d'y inclure l'orientation sexuelle.

Le mémoire que nous avons alors présenté parlait également d'autres aspects qui méritaient d'après nous d'avoir leur place dans le projet de loi, notamment des questions concernant les personnes handicapées. Nous avons hâte que le gouvernement examine certains de ces autres aspects de la loi dans un avenir rapproché.

En ce qui concerne la protection des gais et des lesbiennes contre la discrimination, il a toujours régné au sein de l'Église unie du Canada, le plus important groupe de religion protestante au Canada, un fort consensus en faveur d'une telle mesure.

Nous croyons, dans notre Église, que nous devons vivre notre foi de façon très active en vue d'assurer de bien-être de toutes les créatures de Dieu. Une telle foi nous amène à nous efforcer de résoudre des problèmes de justice sociale, de réforme économique, de pauvreté et de droits de la personne, et c'est dans ce contexte que nos membres ont abordé la question de la discrimination faite à l'endroit des gais et des lesbiennes; il ne nous a pas été difficile du tout d'accepter l'importance de protéger les gais et les lesbiennes.

Cela ne signifie pas qu'il y a unanimité complète parmi les membres de l'Église unie sur cette question, mais en ce qui concerne l'inclusion de l'orientation sexuelle dans la loi sur les droits de la personne, il y a eu très peu de débats ou de divergences d'opinions.

La controverse a été beaucoup plus grande dans l'Église unie au sujet de l'ordination de gais et de lesbiennes ou de leur nomination comme ministre du culte. C'était plus qu'une simple question d'admissibilité à un emploi. C'était plutôt une question de point de vue quant à ce qui constitue une direction spirituelle appropriée dans l'Église.

Après 10 ans d'un débat très intense - un débat très difficile et très pénible - au sein de l'Église unie pendant les années 1980, l'Église est arrivée à la conclusion, en 1988, que l'orientation sexuelle ne devrait pas constituer un obstacle à l'ordination ou à la nomination comme ministre du culte, qu'il fallait évaluer et juger les gais et les lesbiennes à partir des mêmes critères que ceux utilisés pour toutes les autres personnes afin de déterminer leur aptitude à devenir ministres du culte. Cette position a été réaffirmée en 1990.

L'adoption d'une telle politique ne signifie pas automatiquement que la situation est maintenant facile pour les gais et les lesbiennes, ni qu'il n'y plus de débat sur la question. Mais il est évident qu'au cours des dernières années, depuis l'adoption de cette politique, nous avons vécu une période de cicatrisation au sein de l'Église.

Nous éprouvons un plus grand sentiment d'intégrité et d'enrichissement dans la vie de l'Église du fait que les gais et les lesbiennes ont plus de liberté, se sentent plus en sécurité et peuvent participer pleinement à la vie de l'Église. On se sent davantage capable de passer à d'autres préoccupations très importantes en matière de justice sociale, au lieu d'être obsédé par cette question.

À titre d'employeur, l'Église unie du Canada compte également parmi le nombre croissant d'organisations publiques et privées qui accorde maintenant les mêmes prestations de maladie aux couples du même sexe. Comme plusieurs de ces autres organisations, nous avons constaté que le ciel ne nous est pas tombé sur la tête.

J'aimerais maintenant attirer votre attention sur la brochure orange, car je tiens à vous parler du fondement théologique de notre appui à l'inclusion de l'orientation sexuelle dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je veux ainsi souligner que notre appui à ce projet de loi ne vient pas seulement du fait que nous avons toujours fait la promotion des droits de la personne, mais qu'il découle plutôt de la façon dont nous comprenons notre théologie, notre spiritualité et notre éthique.

Il est important de le souligner, car une grande partie de l'opposition à ce projet de loi comporte des connotations religieuses et est associée à des arguments de nature religieuse. Nous tenons à bien montrer que ces points de vue ne sont pas les seuls points de vue religieux que peuvent avoir des croyants.

L'appui de l'Élise unie au projet de loi est solidement fondé sur notre théologie, notre spiritualité et notre foi.

Si vous passez aux pages 8 et 9, vous verrez que ce rapport résume les conclusions d'une importante étude sur la sexualité humaine dans les années 1980. Cette partie examine les opinions concernant l'orientation sexuelle. Je tiens à ce que vous comprenez bien que c'est écrit dans le contexte de la foi chrétienne.

.1635

a) Nous affirmons que nous acceptons tous les être humains comme des personnes créées à l'image de Dieu, quelle que soit leur orientation sexuelle. Toutes les recherches des sociologues et l'expérience de la grande majorité des hommes et des femmes, tant hétérosexuel qu'homosexuel, permettent d'affirmer que l'orientation sexuelle n'est pas tant une question de choix qu'un aspect donné de l'identité d'une personne résultant probablement d'une interaction complexe de facteurs génétiques et environnementaux. Nous avons entendu les témoins du secteur médical l'exprimer aujourd'hui.

b) Nous affirmons que le salut de tous vient par la grâce que nous obtenons par la foi et que tous ceux qui croient au Christ sont acceptés comme membres de plein droit de l'Église chrétienne, quelle que soit leur orientation sexuelle. Nous reconnaissons que l'Église a encouragé, pardonné et toléré le rejet et la persécution des homosexuels dans la société et dans l'Église, et nous invitons l'Église à s'en repentir.

c) Nous affirmons que l'Église est appelée à amorcer et à encourager la communication et la discussion des questions de sexualité avec les croyants homosexuels afin d'accroître la communion et la compréhension entre les croyants, et de faire diminuer les craintes et l'hostilité. En connaissant mieux les questions d'orientation sexuelle, l'Église pourra profiter de la contribution de la collectivité homosexuelle, qui s'efforce d'articuler sa propre histoire, de comprendre la sexualité et ses rapports avec l'Église élargie dans la société.

Le point d) porte directement sur la question dont est saisi votre comité.

d) Nous affirmons que les membres de l'Église, individuellement et collectivement, sont tenus de devenir plus conscients de la discrimination à l'endroit des homosexuels, de prendre des mesures pour faire en sorte qu'ils jouissent de tous leurs droits civils et humains dans la société, de travailler à mettre fin à toutes les formes de discrimination contre eux, et d'aider personnellement les victimes d'une telle discrimination.

En mars 1977, le département de l'Église dans la société de la Division de la mission au Canada a adopté la résolution suivante:

e) Nous affirmons qu'au moment d'amorcer le dialogue entre ses membres hétérosexuels et homosexuels, l'Église doit reconnaître les risques auxquels s'exposent les homosexuels sur le plan personnel et professionnel en répondant à son invitation.

f) Nous affirmons que tous les membres du clergé, qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels, doivent étudier et comprendre la sexualité et les divers modes de vie à la lumière de l'Évangile.

Ces énoncés articulent le processus et les luttes qu'a traversées l'Église unie, ainsi que les résultats de ces luttes. La discussion se poursuit, mais nous avons pu progresser, parce que nous étions disposés à prendre des décisions au sujet des droits de la personne et de notre propre vie ensemble, en tant que collectivité. Nous encourageons votre comité à appuyer solidement le projet de loi afin que nous puissions aussi progresser en tant que société canadienne.

Je termine en exprimant au nom de l'Église unie nos remerciements au comité, au gouvernement, au premier ministre et en particulier au ministre de la Justice, l'hon. Allan Rock, pour avoir présenté cette mesure législative. Nous espérons qu'elle sera adoptée rapidement et qu'on remédiera ainsi à une omission injustifiable dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le vice-président (M. Scott): Merci beaucoup, monsieur Hallman. Monsieur Bernier.

[Français]

M. Bernier: Monsieur le président, d'abord je voudrais remercier le Dr Hallman d'avoir accepté de venir nous rencontrer sur un aussi bref avis. Naturellement, comme je l'ai déjà dit à quelques occasions et comme je le répète, l'Opposition officielle appuie l'adoption de cette mesure du gouvernement. Nous sommes donc très heureux des propos tenus par M. Hallman, surtout dans ses références au document produit par les représentants de l'Église unie.

Je voudrais lui poser une question à propos du préambule du projet de loi et sur la notion de famille. J'aimerais connaître l'opinion de M. Hallman concernant l'opportunité de faire allusion à la notion de famille dans le préambule du projet de loi. J'aimerais également savoir si son organisation s'est donné une position claire touchant la nécessité de définir le type de famille auquel le préambule du projet de loi fait référence.

.1640

[Traduction]

M. Hallman: J'ai mentionné que nos discussions se poursuivaient au sein de l'Église. C'est l'un des sujets dont nous continuons de discuter et sur lequel nous ne sommes pas encore arrivés à une conclusion particulière.

Nous n'avons pas de définition spécifique de la famille. L'Église unie du Canada voit la famille comme un élément extrêmement important dans la vie de la collectivité, dans le développement des enfants et dans la vie de la société dans son ensemble. Nous reconnaissons cependant que la famille peut prendre bien des formes différentes. Justement, l'un de nos documents ressources destiné à aider les congrégations apporte un appui aux familles. Le titre de ce document est «Toutes sortes de familles». Cela montre que nous comprenons qu'il existe de nombreux types de familles différents.

Je comprends les raisons pour lesquelles on en parle dans le préambule du projet de loi. Nous ne sommes pas en mesure de vous aider à trouver une définition plus précise, parce que nous continuons encore de discuter de cette question au sein de notre Église. Et le fait que nous continuons d'en discuter dans notre Église montre bien, je pense, qu'à notre avis, la définition n'est plus ce qu'elle a été traditionnellement et que nous devons être disposés à envisager différentes possibilités, dans le langage que nous utiliserons, en permettant à l'esprit de Dieu de nous guider pour nous amener à mieux comprendre ce que ce terme peut signifier. Nous pensons que cette signification doit changer, qu'elle va changer, mais nous ne sommes pas en mesure pour l'instant d'arriver à un consensus sur une définition spécifique.

Le vice-président (M. Scott): Monsieur Breitkreuz.

M. Breitkreuz (Yorkton - Melville): Merci beaucoup, monsieur le vice-président.

L'une des préoccupations dont on nous fait part concerne la définition de la «famille» dont vous venez de nous parler. Pensez-vous qu'il faut proposer un amendement à cette mesure législative, à cette modification qui sera apportée à la Loi canadienne sur les droits de la personne, afin d'exprimer certaines de ces préoccupations? Pensez-vous qu'il faut imposer des limites à ce que pourrait être le résultat final? Les gens conviennent en effet qu'il ne doit pas y avoir de discrimination, mais ils craignent que cette mesure législative mène à des modifications dans bien d'autres domaines - une redéfinition complète du terme «famille», de sorte que les avantages accordés aux conjoints iraient à une foule de gens - et cela pourrait nous mener à des résultats que nous préférons éviter.

M. Hallman: Non, je ne pense pas qu'il faille essayer de faire cela dans cette mesure législative. Comme je l'ai dit, l'Église unie a changé sa propre politique de manière à accorder les mêmes avantages aux couples du même sexe. L'Église a également fait parvenir au gouvernement fédéral une pétition soutenant qu'il faut modifier la disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu qui impose des restrictions dans le cas des pensions, afin qu'un conjoint d'un couple du même sexe ait droit à la pension de son conjoint. Nous nous dirigeons donc vers un élargissement de la portée de la définition, mais nous ne pensons pas que cette mesure législative soit le bon endroit pour le faire.

M. Breitkreuz: L'inclusion de l'orientation sexuelle pourrait-elle mener à la conclusion que les couples du même sexe font l'objet de discrimination parce qu'on ne leur permet pas de se marier?

M. Hallman: Je ne pense pas que l'inclusion de l'orientation sexuelle dans ce projet de loi amènera les gens à tirer une telle conclusion. Je pense que les gais et les lesbiennes se disent déjà qu'ils font l'objet de diverses formes de discrimination systémique. Je ne pense pas que l'inclusion de l'expression «orientation sexuelle» dans ce projet de loi contribue à les amener à une telle conclusion. Une telle modification leur offre une protection contre le genre de discrimination dont ils ont fait l'objet en matière d'emploi, d'accès à des installations et à des services - les domaines dont traite la Loi sur les droits de la personne.

M. Breitkreuz: Je demande précisément si vous craignez ou non que cette modification puisse mener à des mariages entre personnes du même sexe, ainsi qu'à une acceptation totale de ces couples, en même temps qu'on leur accordera tous les avantages que cela peut comporter.

M. Hallman: Non.

M. Breitkreuz: Vous n'avez pas de telles craintes?

M. Hallman: Non, nous n'avons aucune crainte à ce sujet. Vous en parlez comme d'une pente dangereuse sur laquelle on risque de s'engager et qui nous conduirait à un abîme terrible.

.1645

À notre avis, cette mesure législative est très importante pour protéger certaines personnes contre la discrimination qu'elles subissent et continuent de subir. Nous pensons que notre société se dirige vers une meilleure compréhension de la diversité de ses membres. En fait, au sein de l'Église unie, même si nous n'avons pas encore adopté de politique quant aux unions de personnes du même sexe, certaines de nos Églises ont demandé, et on leur a fourni des exemples de services liturgiques qu'on pourrait utiliser pour célébrer de telles unions.

L'Église n'a pas adopté de position à ce sujet, mais elle a répondu aux demandes d'appui présentées par certaines congrégations au nom de leurs membres. Cela montre que nous nous débattons toujours avec cette question, mais que nous nous dirigeons tout de même vers une plus grande ouverture à une portée plus large de la définition de «famille».

M. Breitkreuz: Cela semble contredire quelque peu ce qui est écrit dans vos documents, selon lesquels le mariage chrétien est l'union d'un homme et d'une femme qui se donnent l'un à l'autre et ont pleinement l'intention de s'y engager pour la vie. Je me demande si vos paroles ne contredisent pas vos textes.

M. Hallman: Le mariage chrétien, tel qu'il est défini actuellement, est en effet l'union de partenaires de sexe opposé. C'est ainsi que le mariage chrétien est compris par l'Église. C'est ainsi que la loi le comprend également.

Notre Église essaie de comprendre et d'appuyer les personnes du même sexe qui s'engagent également l'un envers l'autre dans des relations à long terme, et réfléchit pour trouver des moyens de les appuyer. Cela n'équivaut pas au mariage pour l'instant, et c'est pourquoi on en discute encore tellement au sein de l'Église.

Nous reconnaissons que des relations de cette nature sont importantes et que si notre société veut appuyer et reconnaître les couples de même sexe qui s'engagent dans des relations à long terme, nous ne devrions pas le faire en imposant toutes sortes de restrictions, mais plutôt en essayant de les aider par les moyens à notre disposition. Notre Église s'efforce donc de trouver les meilleurs moyens d'apporter un tel appui.

Mme McLaughlin: Comme vous représentez une organisation oecuménique, une confession religieuse, estimez-vous que cette modification qu'on propose est une question de moralité ou une question de droits de la personne?

M. Hallman: À notre avis, c'est une question de droits de la personne.

Mme McLaughlin: Si cette mesure législative avait été en vigueur au moment où l'Église discutait de l'ordination des gais et des lesbiennes, pensez-vous que les choses auraient tourné autrement, en 1988?

M. Hallman: La loi aurait donné un appui supplémentaire à la décision que l'Église a fini par prendre. Même à cette époque, l'Église avait déjà eu pour politique depuis une dizaine d'années d'exercer des pressions pour qu'on inclue l'orientation sexuelle dans la législation sur les droits de la personne, et un certain nombre de provinces l'avaient déjà fait.

Cela aurait donc fait comprendre à la société en général que les gens doivent être respectés en dépit de leurs différences, qu'il faut les protéger contre la discrimination et les intégrer le plus possible.

Dans notre cas, la question d'intégrer les gais et les lesbiennes comportait l'idée de leur donner la possibilité d'occuper des postes de direction dans l'Église et notre décision de le faire aura contribué, nous l'espérons, à amener la société en général à envisager d'autres moyens d'accroître la participation et l'intégration de ces personnes. Maintenant, la Loi canadienne sur les droits de la personne reflète également cette idée.

Mme Finestone: J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt et j'ai suivi pendant des années l'évolution de l'Église et de sa vision d'elle-même. En fait, je me souviens que vos collègues et vous avez comparu devant nous en 1984. C'était au tout début des discussions que vous avez tenues au sein de l'Église et je vois qu'il y a eu beaucoup de progrès depuis.

Il vous a fallu aussi une décennie de discussions, car vous veniez à peine d'aborder cet aspect des changements dans votre église. Avez-vous eu recours au vote à chaque étape du processus? Comment êtes-vous parvenus au consensus nécessaire dans le cadre de votre Église?

.1650

M. Hallman: On pourrait qualifier le processus décisionnel dans l'Église unie du Canada de processus démocratique modifié, guidé par le Saint-Esprit.

Des voix: Oh, oh!

M. Hallman: Dans la cadre du processus suivi, des représentants des congrégations locales élisent certains de leurs membres qui assistent à une conférence régionale où l'on discute de certaines questions. Des représentants de ces conférences régionales sont ensuite élus au conseil général, qui se réunit tous les deux ou trois ans. C'est là que l'on discute de notre position.

Dans un sens, c'est un processus démocratique où ceux qui prennent les décisions sont élus par les congrégations locales. Ces dernières ont également la possibilité d'envoyer des pétitions et des résolutions dont on peut discuter aux échelons supérieurs.

Nous avons constaté que notre processus pour en arriver à un consensus était très interactif. On a présenté à un moment donné un document de travail qui a fait ensuite l'objet d'un débat et a été modifié au niveau du conseil général, puis renvoyé aux congrégations pour qu'on en discute pendant les deux années suivantes. Un document encore plus peaufiné a été retourné au conseil général suivant. Ce va-et-vient s'est poursuivi jusqu'en 1988, où nous avons été en mesure de prendre une décision de principe sur la question de l'ordination. Cette décision a également précipité certaines réactions. On en a encore discuté pendant deux ans pour enfin réaffirmer la décision en 1990.

Il y a donc beaucoup de contacts avec les congrégations locales qui ont la possibilité de faire connaître leurs opinions. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas beaucoup de débats et qu'il n'y a souvent pas de consensus entre les diverses congrégations au sujet des questions discutées, mais il y a certainement une possibilité d'échanges.

La démocratie devient un peu plus modifiée et le Saint-Esprit plus actif en ce sens que les représentants des congrégations aux réunions du conseil général national ne sont pas tenus légalement de refléter l'opinion de leur congrégation locale et de voter exactement dans le même sens. Le conseil général étudie les questions dont il est saisi dans le cadre d'échanges souvent très intenses au cours desquels les participants s'écoutent les uns les autres et apprennent ensemble. À la fin d'une période de discussions et de débats intenses qui durent deux semaines, on prend souvent des décisions qui n'auraient pas été évidentes au début. Nous croyons qu'une évolution se produit dans le cadre de cet apprentissage commun.

Mme Finestone: Je peux tirer la conclusion suivante, peut-être, en réponse à une question de Mme McLaughlin. Lorsqu'elle vous a demandé s'il s'agit à votre avis d'une question de droit plutôt que d'une question morale, vous avez répondu très catégoriquement qu'il s'agissait d'un droit. Les questions dont vous avez discuté ne se limitaient pas à la reconnaissance du droit à la non-discrimination, car vous avez parlé aussi de reconnaître ce qui découle de ce droit. Est-ce juste?

M. Hallman: Oui. Ce serait interactif aussi. Chose certaine, ces questions que sont l'orientation sexuelle et la sexualité humaine comportent généralement de vastes dimensions morales, éthiques et spirituelles. Pour ce qui est de l'inclusion de l'orientation sexuelle dans la loi, nous y voyons nettement une question relative aux droits de la personne. En tout cas, ce n'est pas ce qui nous a préoccupés au cours des 15 dernières années. Nous nous sommes intéressés à une question beaucoup plus vaste.

Mme Finestone: Non, mais l'on a affirmé la reconnaissance fondamentale du droit qu'ont les gens d'être perçus comme égaux et de ne subir aucune discrimination, mais plutôt d'être inclus dans la totalité des mesures de protection.

M. Hallman: C'est exact.

Mme Finestone: Merci.

Le vice-président (M. Scott): Merci beaucoup, monsieur Hallman. C'était un plaisir que de vous entendre, je vous l'assure. J'ignore à quelle fréquence l'on débat de façon positive ou constructive la question de l'ordination au sein de l'Église, mais ce débat a sûrement fait avancer la compréhension qu'on a de ces choses chez moi. Je ne l'oublierai jamais.

Vous êtes peut-être comme les députés fédéraux; il est rare qu'on vous téléphone pour vous complimenter. Moi, je le fais.

M. Hallman: Merci beaucoup.

Le vice-président (M. Scott): Madame la présidente.

.1655

[Français]

La présidente: C'est avec grand plaisir que nous accueillons M. Maurice Champagne.

Nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation si rapidement et à si court avis. Je sais que vous avez joué un rôle important dans l'évolution de la question de la sexualité et de l'orientation sexuelle, rôle qui s'est traduit par des changements ou l'inclusion de ces notions dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Le Québec fut la première province canadienne à reconnaître le droit des personnes à la protection, quelle que soit leur orientation sexuelle.

Selon notre procédure, nous vous accorderons une trentaine de minutes pour vos remarques. À vous la parole.

M. Maurice Champagne (témoigne à titre personnel): Merci, madame la présidente.

[Traduction]

Je veux dire quelques mots en anglais, simplement par courtoisie, mais le fait est que je suis issu d'un pays français. Je préfère vous parler en français parce que je crois que le sujet de cette intervention est si délicat et si complexe que je m'exprimerai mieux si je parle français.

J'imagine que vous avez reçu le texte en français.

[Français]

J'ai le plaisir de connaître Mme la présidente depuis plusieurs années, ayant déjà comparu devant ce Comité permanent des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées. Je me souviens entre autres du temps où les personnes handicapées n'avaient pas droit de cité dans ce pays ni dans les provinces, et ne pouvaient pas avoir accès au transport. Je me rappelle la grave crise sur les droits des malades qui avait été provoquée en 1982 par la grève dans le milieu de la santé au Québec, chose à laquelle je me suis toujours particulièrement opposé.

Nous avions organisé une marche du silence et fait appel à de nombreuses personnalités, dont Sheila qui était venue se joindre à notre groupe.

La présidente: Oui, je m'étais jointe à vous.

M. Champagne: Permettez-moi tout d'abord de résumer mon témoignage et de vous dire pourquoi je viens aujourd'hui témoigner devant vous sur cette cause humaine majeure qui, à mon avis, assigne au Parlement canadien le devoir d'adopter le projet de loi C-33 modifiant l'article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui complète la Charte canadienne des droits et libertés et qui, par conséquent, joue un rôle de premier plan dans la Constitution de ce pays.

On parle donc d'ajouter l'orientation sexuelle comme motif de discrimination interdite. Comme le soulignait la présidente, le Québec fut, en 1975, la première province à adopter une charte des droits à laquelle elle inscrivait, en 1977, l'orientation sexuelle. J'eus la délicate tâche de superviser le dossier à la Commission des droits de la personne et d'acheminer à l'Assemblée nationale les recommandations pertinentes.

.1700

Je suis devant vous d'abord pour des raisons d'ordre éthique. Il n'y a pas de droits, qu'ils soient dans les chartes ou non, que l'on puisse reconnaître comme droits qui n'aient d'abord été des valeurs.

Le domaine des droits est essentiellement fondé sur des valeurs, des valeurs qui sont le plus universelles possible. J'ai beaucoup milité dans le domaine des droits, mais j'agis beaucoup aujourd'hui à titre d'expert-conseil en éthique, ce qui me paraît être un aboutissement normal.

En deuxième lieu, je suis ici pour vous rappeler une distinction majeure relevant de la compétence précise du domaine des droits.

Le projet de loi C-33 ne vous demande pas de vous prononcer sur la valeur de l'homosexualité comme choix personnel ou comme valeur sociale. Il vous demande de vous prononcer sur la valeur fondamentale de l'égalité des personnes devant la loi. Il vous demande de protéger les personnes homosexuelles de la discrimination en tant qu'êtres humains, en tant que personnes ayant le même droit que les personnes hétérosexuelles d'être respectées, notamment dans leur intégrité.

Je reviendrai sur cette question qui, à mon avis, est la principale question et j'émettrai beaucoup de critiques sur le préambule, qui traite de la famille et qui tend un piège pour le Parlement, l'amenant dans des questions juridiques qui pourraient devenir extrêmement compliquées. Heureusement, les tribunaux n'accordent pas beaucoup d'importance aux préambules. Certaines écoles de droit ne s'y arrêtent même pas.

En troisième lieu, je suis ici pour... Permettez-moi de m'éloigner de mon texte que je dois modifier à la suite du vote libre sur le projet de loi C-33 qui a été tenu ce matin.

Ce matin, j'ai eu honte d'être de ce pays. Ce vote libre est scandaleux pour le Canada, pour la justice et pour le progrès de la civilisation. En soi, le vote libre est discriminatoire parce qu'il accorde un traitement spécial à une mesure et que les élus du peuple, mandataires de la volonté collective, sont foncièrement responsables de donner l'exemple.

Le vote libre c'est la consécration au sein du Parlement d'une fragmentation, d'une distinction qui est par essence discriminatoire.

Le vote libre donne raison à l'opposition non officielle incarnée notamment dans la malheureuse position du député Bob Ringma. Je m'excuse de devoir le nommer.

En quatrième lieu, je suis ici à titre de citoyen ayant le droit d'être pleinement informé de l'action des parlements afin de m'aider à avoir une opinion éclairée des questions fondamentales de droits, de valeurs, d'enjeux sociaux et d'éthique.

Si le débat sur le projet de loi C-33 est à la fois si pauvre, si pernicieux et si faux que son préambule semble vouloir s'excuser - c'est pourquoi on y rappelle la définition de la famille - , c'est que les parlements de tout le pays, y compris celui de l'Assemblée nationale du Québec qui reconnaît depuis 20 ans déjà l'orientation sexuelle, manquent à leur devoir à titre de mandataires de la volonté collective, c'est-à-dire leur devoir de favoriser et susciter l'expression des connaissances et des opinions au sein de la population.

.1705

Je suis scandalisé que les détenteurs de connaissances dans nos universités et corporations professionnelles n'aient à peu près aucune contribution à faire sur cette question éminemment importante qui représente un des plus grands changements dans l'histoire de l'humanité. Les universitaires et les intellectuels se mouillent encore moins que les parlements.

Le débat social qui se tient au Québec et au Canada sur les droits des personnes homosexuelles et la relation entre homosexualité et hétérosexualité est une véritable risée dont l'ampleur n'est proportionnelle qu'à l'importance extrême de cet enjeu de civilisation. Peut-être est-ce ainsi parce qu'en ce pays - il faut bien l'appeler comme cela - l'hypocrite political correctness a plus de poids que l'expression même des valeurs. On ne veut plus parler des vraies choses parce qu'il faut bien paraître. On ne sait plus quand il faut dire oui ou non à telle valeur. La political correctness est devenue une mode affreuse.

En cinquième lieu, je suis ici pour vous inviter à assumer désormais ce devoir qui vous a jusqu'ici échappé, et qui vous échappe encore aujourd'hui. Vous vous prononcerez aujourd'hui sur la protection des personnes homosexuelles, quant à leur égalité devant la loi. Aucun lien juridique n'existe entre ceci et la vie des partenaires homosexuels ou leur rôle dans des familles. La question n'a qu'une portée sociale et si elle peut à l'avenir avoir un poids sur d'autres aspects de la reconnaissance des personnes homosexuelles, ce serait un poids social, mais certainement pas un poids juridique.

Par respect, je ne citerai pas le grand juriste, dont plusieurs collègues sont par ailleurs juges dans nos tribunaux, qui vous tiendrait les mêmes propos que les miens. Vous devrez vous prononcer sur le couple homosexuel et sur le couple hétérosexuel. À ce moment surgiront toutes sortes de dimensions et de questions, bien qu'un principe fondamental au niveau du couple demeurera celui de reconnaître ce que vivent des adultes consentants entre eux.

Nous aurons un grand débat à faire sur la valeur de l'hétérosexualité, de l'homosexualité et du rapport culture-nature. Le couple hétérosexuel a quelque chose d'inscrit dans la nature. Le couple homosexuel est au fond une décision culturelle, une assomption particulière de la nature. Personne sur la planète ne peut vous dire où le comportement homosexuel prend ses origines. Est-il inné ou acquis? Personne ne vous dira quoi que ce soit de sérieux là-dessus.

En ce pays, on devrait cesser de confondre le couple et la famille, ce à quoi les religions nous ont hélas habitués. Je dis souvent en blague qu'au Québec, la famille était un petit wagon accroché à l'immense locomotive qu'était le couple. Vous vous imaginez ce qui est arrivé quand le couple a déraillé.

.1710

Il n'y a pas d'éclatement de la famille en ce pays, mais il y a l'éclatement des rapports homme-femme! Ça, oui! Il y a l'éclatement du couple qui est la cause de l'éclatement de la famille. Sinon, il n'y a pas d'éclatement. Les gens croient profondément à la famille, à différents types de famille, et on pourra y revenir, parce que j'ai entendu certaines de vos questions tantôt. Le problème de la famille, c'est le problème du couple, le problème des rapports homme-femme dans cette société.

Si demain on cessait de confondre le couple et la famille, vous auriez à vous prononcer sur la «parentalité» sexuelle. Voilà le troisième problème. Aujourd'hui nous parlons des personnes, demain il faudra parler des couples et après-demain il faudra parler de la «parentalité». Cela est infiniment plus complexe, en termes de droit et de culture, parce que là nous ne sommes plus au niveau des rapports entre adultes consentants. Nous sommes au niveau des rapports entre des adultes confrontés à une notion de droit fondamentale, dans ce pays en particulier où nous avons une avance considérable par rapport à beaucoup d'autres pays dans le monde, à savoir l'intérêt supérieur de l'enfant.

Personnellement, je ne sais pas s'il est dans l'intérêt de l'enfant d'avoir des parents qui ont fait le choix de la discrimination, en préférant un sexe plutôt que l'autre. Je ne le sais pas et je pense que personne ne le sait, mais il faut en parler. Je pourrais soulever encore de nombreuses questions. Est-ce que les liens sexuels sont plus importants que les liens du sang? Et la question ne se pose pas simplement par rapport aux personnes homosexuelles ou hétérosexuelles.

Je connais des groupes féminins qui refusent d'accorder des droits aux couples homosexuels. Ils se demandent pourquoi on accorderait des droits fondés sur des liens sexuels alors qu'on ne les accorde pas, dans les régimes de retraite par exemple, à des personnes qui auraient simplement des liens familiaux, comme un frère et une soeur ou deux vieux amis qui demanderaient à l'État ou à un régime d'assurance de faire un partage de rentes ou de profiter de tels ou tels avantages sociaux.

La question est énorme et c'est pour cela que je suis scandalisé d'être dans un pays où nous avons instauré le mensonge sur l'homosexualité. Je me demande ce qui va arriver à une société qui se ment et à un Parlement qui se ment, comme nous en avons eu la preuve hier, lors du vote libre. En tout cas, ils ne sont pas du tout dignes des droits de l'homme. Nous nous mentons collectivement d'un bout à l'autre de ce pays sur les grands enjeux éthiques de la société canadienne.

Dans ce contexte, j'insiste pour dire que ce sont les parlements, comme mandataires de la volonté collective, et non les tribunaux, qui ont à faire les choix dans les grands enjeux éthiques, notamment l'avortement. Évidemment, le sort de l'avortement a été réglé par l'acharnement et les convictions du Dr Morgantaler. La victoire du Dr Morgantaler est en quelque sorte la victoire des jurés contre les tribunaux et contre les juges. D'ailleurs, j'ai toujours dit que l'avortement n'était pas un droit mais plutôt une mesure d'exception légitimée par le droit des femmes de contrôler leurs grossesses.

Il y a des nuances majeures à faire quand on parle des droits, et on a l'air de s'en foutre, même dans les universités!

Donc, l'avortement, l'euthanasie, le suicide assisté, le suicide non assisté, les nouvelles technologies de reproduction, l'homosexualité, et j'ajoute, parce que l'actualité est assez vigoureuse là-dessus, les droits des peuples et des nations qui forment ce pays d'un bout à l'autre, tout cela ne regarde pas les tribunaux.

.1715

Je suis sûr que l'honorable juge en chef Lamer vous dirait la même chose si on lui posait la question.

Une charte, c'est intéressant. Cela a permis aux pouvoirs politiques de se dégager de beaucoup de responsabilités devant les tribunaux, au point que j'ai constaté, d'ailleurs, qu'il y a souvent une inversion des rôles et des pouvoirs qui sont à la source de notre démocratie. Le pouvoir judiciaire est en train de déposséder le pouvoir politique et les parlementaires. C'est autre chose, mais je crois qu'il faut en débattre aussi dans cette question.

Enfin, je suis devant vous pour vous rappeler une distinction majeure. Je pense que j'ai dépassé le temps qui m'était alloué, madame la présidente.

La présidente: Oui, mais votre discours est tellement passionnant que nous vous laissons encore cinq minutes.

M. Champagne: Vous êtes bien généreuse. Je vais essayer quand même d'abréger.

En sixième lieu, je suis devant vous pour vous rappeler une distinction majeure, absolument fondamentale, mais qu'hélas on ne fait que trop rarement en droit. Hier, j'ai passé une partie de la journée au téléphone avec des juristes pour vérifier une deuxième fois les choses. Je ne savais d'ailleurs pas encore que je venais ici. Je l'ai su seulement hier à 19 heures.

Les juristes me disent que c'est une distinction majeure, mais elle est tellement évidente pour le monde juridique! C'est la distinction qui est capitale pour disposer du projet de loi C-33.

Il y a 20 ans, quand j'ai été chargé de superviser le dossier de l'inscription de l'orientation sexuelle dans la Charte québécoise, à la Commission des droits de la personne, j'étais tout à fait conscient qu'il y avait, dans les droits, deux mondes, deux orientations, deux champs majeurs.

Le premier champ, que j'appelle le niveau primaire de l'intervention dans le domaine des droits, est précisément celui de la lutte contre la discrimination en fonction de cet objectif très large qui est l'égalité de tous devant la loi. Mais c'est l'égalité devant la loi qui est importante pour les personnes, quelles qu'elles soient.

Le deuxième niveau, qui est beaucoup plus difficile et que j'appelle le niveau secondaire, est le niveau de la promotion des droits comme valeurs sociales. Le projet de loi C-33 est strictement sur le premier champ. Pour le monde judiciaire, c'est une distinction fondamentale. Ne soyez pas inquiets, vous n'avez pas besoin de préambule car ils connaissent leur métier et ne considéreront jamais la disposition qui touche la protection contre la discrimination comme une valeur sociale. C'est autre chose.

Ce n'est pas pour rien, d'ailleurs, que dans les chartes, il y a des hiérarchies de droits, des droits fondamentaux et des sections sur la discrimination. D'ailleurs, il y a des différences dangereuses.

Si j'étais juriste et juge, je serais très ennuyé d'avoir à me prononcer sur la question de l'homosexualité, compte tenu du vocabulaire qu'on trouve dans la Charte canadienne des droits et libertés, dans la Loi canadienne et dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, par exemple. Je vous signale cela parce qu'il y a des problèmes énormes.

Il faut donc bien distinguer ces deux niveaux de droit avant de disposer du projet de loi.

Je voudrais faire quelques remarques pour terminer. Ma première remarque porte sur le préambule du projet de loi, compte tenu de ce que je viens de dire à propos de cette distinction fondamentale que les juristes font automatiquement, mais dont ils ne parlent pas.

Les juristes, souvent, ne parlent pas assez. C'est une règle du droit. Cela a des avantages, parfois, de ne pas parler suffisamment. Personnellement, je parle trop, et c'est la raison pour laquelle je ne suis pas juriste, mais j'ai passé ma vie avec eux.

Je considère comme une erreur grave le paragraphe du préambule dans lequel le Canada reconnaît et proclame l'importance de la famille. La première réaction que j'ai eue en lisant le projet, c'est que cela ne paraissait pas franc.

.1720

Je pense qu'ils sont mal à l'aise devant la question de l'homosexualité. C'est comme un agnostique qui dirait qu'il croit en toutes les formes de divinité alors que d'autres ne croient qu'en Dieu.

D'abord, les préambules n'ont pas d'importance du point de vue juridique. Ce qui est grave, ce n'est pas simplement de mal paraître, mais plutôt le fait que vous introduisez dans un projet de loi une disposition qui invite le monde juridique à confondre le premier niveau dont j'ai parlé tantôt, c'est-à-dire la lutte contre la discrimination, et les deuxième et troisième niveaux, où on aura à parler de protection non plus simplement des personnes homosexuelles, mais du couple et de la «parentalité».

Cela me paraît extrêmement grave. Mon plus grand souhait est que vous consultiez les juristes là-dessus. J'avais d'ailleurs demandé que l'on confie à de bons juristes la rédaction de ce projet de loi. Cela me paraît fondamental, car il y a là une erreur que je trouve énorme.

En conclusion, je vous dirai simplement que nul ne détient la vérité sur cette question comme sur toutes les grandes questions de droits et de valeurs.

Je crois que la position la plus authentique qui pourrait être celle d'un parlement devrait être que ce n'est pas parce qu'on a le pouvoir politique qu'on doit toujours paraître sûr de soi.

Ce ne sont pas les grands intellectuels qui m'ont le plus marqué dans la vie et qui continuent de me marquer ou les grands professionnels; ce sont surtout ceux qui ont le sens de l'inquiétude intellectuelle et qui ne possèdent pas la vérité.

Je crois que c'est à ce niveau-là que le débat se situe et que nous en avons pour de longues années à cheminer. Je répète que personne, sur cette planète, ne peut conclure en termes d'éthique, de droit ou de connaissances scientifiques sur ce qu'est l'homosexualité par rapport à l'hétérosexualité.

Mon dernier mot sera de souhaiter, madame la présidente, que notre société soit plus franche sur cette question-là et, comme je l'ai déjà dit, que le Parlement assume pour l'avenir son devoir en matière d'information et de connaissances.

Je vous dis et vous répète que ces grandes questions d'éthique ne sont pas de la responsabilité des tribunaux. Il n'appartient pas à neuf juges, si brillants soient-ils ou soient-elles - ça tombe sous le sens commun - , de décider de questions aussi fondamentales pour un pays entier.

La décision appartient à la collectivité. En démocratie, les droits de l'homme appartiennent au peuple et vous en êtes les mandataires. Mais, pour que le peuple puisse s'exprimer autrement qu'à travers des sondages ridicules où il va fournir à des questions simplistes des réponses discriminatoires, il faut que les parlements exigent qu'on appelle les détenteurs de la connaissance, qui sont dans les universités, dans le monde du droit, dans les organismes de droit, dans les écoles, dans le monde de la presse et qui sont des privilégiés, à s'exprimer et à engager sur la place publique un débat sain, honnête, réel et vrai sur ces questions extraordinaires sur le plan humain.

Je vous remercie.

La présidente: Merci, monsieur Champagne. Vous avez certainement mis beaucoup de questions sur le tapis. Je pense que vous connaissez le premier intervenant, M. Ménard.

M. Ménard: Je veux m'excuser auprès de M. Champagne. Je voudrais vous dire que l'on débat, à la Chambre, d'un projet de loi sur l'assurance-emploi qui est celui de ma collègue, la députée de Mercier, et que nous sommes appelés à nous exprimer à tour de rôle. Je vous prie donc de m'excuser d'avoir manqué le début de votre intervention.

.1725

J'ai pris connaissance de votre mémoire et en ai discuté avec mon collègue. J'ai trouvé très stimulante la partie de la présentation à laquelle j'ai eu le plaisir d'assister.

Vous avez raison d'être indigné. Je pense que pour faire de la politique, il faut avoir le goût de la connaissance et le sens de l'inquiétude. J'ajouterais qu'il faut aussi quelquefois avoir la possibilité de s'indigner. Quand on fait de la politique, on peut avoir des motivations diverses, mais il me semble qu'il faut avoir en commun le goût de changer les choses et surtout celui de tendre vers une société où les individus sont égaux entre eux.

Je crois avoir compris que vous trouvez que nous n'appelons pas les choses par leur nom et que nous sommes, à quelque niveau que ce soit, des tartuffes. Je sais que vous trouvez que certains le sont plus que d'autres et je vous suis reconnaissant de ne pas avoir les avoir nommés. Comme je suis assez indigné du fait que ce gouvernement n'a pas eu le courage d'appeler un vote de parti là-dessus, je souhaiterais vous entendre à nouveau à ce sujet.

J'aurai aussi deux autres questions, madame la présidente, parce qu'on n'a pas tous les jours le plaisir de côtoyer des gens qui ont des vues sur l'éthique et les valeurs.

M. Champagne: Je vais rapidement redire ce que j'ai dit au début de mon intervention, qui est dans le texte d'ailleurs.

Le vote libre, c'est pour moi l'instauration de la discrimination parce que ce vote libre appelle les individus à voter de façon distincte sur une question qui doit être claire et présentée franchement. Je sais bien qu'il y a des gens qui ont soutenu, pour justifier le vote libre, qu'il fallait respecter les convictions morales, etc.

Mais je ne suis pas dans une société, je crois, où la morale est prépondérante. Qu'est-ce que la morale? J'ai ma morale. Vous avez la vôtre. L'Église catholique a la sienne. Dans le monde religieux, il y a deux mondes au sein de la catholicité par rapport à l'homosexualité. Je vous avoue que je suis catholique anglican. Je crois qu'il n'y a pas beaucoup de souverainistes qui sont catholiques anglicans au Québec. Je suis catholique anglican parce que je crois que cette religion est plus ouverte, plus libérale, moins autoritaire, moins autocratique et moins papale, qu'elle repose sur les communautés et qu'elle a un immense respect des hommes et des femmes, de l'égalité entre les hommes et les femmes et aussi un plus grand respect de la question homosexuelle.

Nous ne sommes plus à un moment où les théories ou les approches morales doivent contredire le droit. On a progressé en Occident et dans le monde depuis la Déclaration universelle. Ce n'est pas toujours évident mais on a quand même fait des progrès avec les droits, n'est-ce pas. On est en train de parler de plus en plus d'éthique. Le vote libre sur ce sujet m'a fait honte et m'a rendu honteux de ce pays. Je l'ai dit au début, mais vous n'étiez peut-être pas là.

Comme les jeux se font en deuxième lecture dans nos moeurs parlementaires, on ne va sûrement pas changer la chose en troisième lecture. À mon avis, c'est une grave erreur, beaucoup plus grave que la TPS.

M. Ménard: Permettez-moi une courte question, madame la présidente.

Vous savez qu'il y a une leçon derrière ce que dit notre témoin. Je suis tout à fait d'accord.

D'autre part, on a l'obligation, en politique, de transmettre un message clair quand on a la chance de représenter des gens. Cela ne veut pas dire que l'on détient la vérité, vous avez raison. Ce serait terriblement prétentieux pour l'un d'entre nous de prétendre détenir la vérité. Mais lorsqu'on vote librement sur une question, on indique à la population qu'on considère que ce n'est pas, d'abord et avant tout, une question de droit. Si je comprends bien votre message, au-delà de toute autre considération, la question est surtout de mettre fin à la discrimination. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'autres postulats qui s'enchaînent, dont la reconnaissance des conjoints de même sexe. D'ailleurs, on y vient.

M. Champagne: Oui, c'est autre chose.

.1730

M. Ménard: Mais ce n'est pas la question que je veux vous poser. Nous avons entendu des psychiatres depuis le début de nos audiences. On n'a pas eu beaucoup d'avocats et ça s'est plutôt bien passé, je dois vous dire, mais on a eu pas mal de psychiatres, de gens du domaine médical. Nous avons même entendu des Églises, certaines plus attachantes que d'autres, mais toutes prétendent travailler pour l'Éternel.

Ce que je veux vous dire, c'est qu'il y a deux courants d'opinion dans ce comité. Il y a ceux qui disent, s'agissant du préambule, qu'il faut ne pas définir, parce que si on ne définit pas, ce ne sera pas restrictif. Il y a aussi ceux qui disent qu'il faut définir, parce qu'en se donnant une couverture juridique, on se mettra à l'abri face à des situations ultérieures de discrimination potentielle.

Dois-je comprendre que vous nous invitez à abolir le préambule? Vous dites qu'il y a quelque chose d'un peu mal élevé dans le fait de reconnaître l'homosexualité et qu'on veut tout de suite se donner une espèce de condom intellectuel en proclamant la suprématie de la famille, si je comprends bien votre point de vue.

M. Champagne: Je pense avoir exprimé cela clairement tantôt. Le projet de loi C-33 vous amène à vous prononcer en droit et aussi sur les droits. Je fais une distinction entre «les droits» et «le droit». Je dis souvent que les juristes ont essayé de récupérer le domaine des droits. C'est pour cela que ça va très mal, d'ailleurs. C'est une simplification terrible.

Donc, en droit et en droits, votre responsabilité est de reconnaître que les personnes homosexuelles de ce pays ont le droit d'être traitées dans la loi sur un pied d'égalité avec tous les autres citoyens, notamment quant à leur intégrité.

Je parle de franchise, et vous me permettrez d'ouvrir une parenthèse. On ne peut tout de même pas prétendre que la civilisation ou les civilisations hétérosexuelles, au Canada et ailleurs dans le monde, nous ont enseigné la vertu et le respect de la personne. Je ne crois pas que ce sont les personnes homosexuelles qui ont inventé le viol des femmes et la violence contre les femmes et, pourtant, c'est une des choses les plus honteuses dans toutes les civilisations de la planète.

Il faut tout de même être honnête et franc sur ce plan-là. Comment peut-on prétendre que les personnes hétérosexuelles... En fait, quand on méprise les personnes homosexuelles, c'est qu'on pense que les personnes hétérosexuelles sont meilleures, ou plus normales, comme on dit. C'est la fameuse question de la «normalité». Non.

Je ferme cette parenthèse pour dire que pour moi, il est clair que ce projet de loi vise la discrimination et que vous n'avez pas à parler de la famille, parce que là vous invitez le monde judiciaire et juridique à rompre avec une interprétation classique, qui est celle de tous les juristes.

Vous dites qu'il n'y a pas beaucoup de juristes qui sont venus aujourd'hui. C'est regrettable. Je pense que vous auriez eu surtout besoin de juristes, beaucoup plus que de moralistes. C'est strictement une question de droit et je vous répète: faites une consultation auprès des plus grands juristes de ce pays et des juges et ils vous diront que pour eux, il n'y a aucun lien juridique entre la notion de discrimination, la protection des personnes homosexuelles contre la discrimination et la reconnaissance de l'homosexualité comme valeur au niveau du couple ou de la «parentalité».

La présidente: Croyez-vous que cela va nuire au but visé?

M. Champagne: Eh bien, oui. Si vous gardez ce préambule avec la famille...

M. Ménard: On va l'abolir.

M. Champagne: D'abord, cela paraît faux, à mon avis.

M. Bernier: Exactement.

M. Champagne: Ça paraît faux. Je ne veux pas dire des mots pas gentils, mais quand j'ai lu cela, je me suis dit que c'était hypocrite de se servir ainsi de la famille. On sait qu'on n'a pas trop de respect pour la famille. J'ai passé des années de ma vie à essayer de faire adopter une politique familiale au Québec, ce que le Canada n'a toujours pas.

.1735

M. Ménard: Puis-je vous poser une dernière question?

C'est en lisant un texte sur la famille dans la revue Critères que j'ai d'abord entendu parler de vous. Ce comité doit peut-être envisager d'abolir ce préambule sur la famille, éliminant ainsi toute distinction.

En tant qu'homosexuel, je peux vous dire que j'essaie dans ma vie publique et dans mes discours de m'inclure dans une famille. Je dis aux gens que, quant à moi, il n'y a pas de biogénèse. Je suis issu d'une famille, une famille que j'ai aimée, que je continue à aimer et qui m'aime aussi. N'a-t-on pas intérêt à faire des liens avec la famille dans la promotion du discours des droits de la personne?

Je vais définir ce qu'est pour moi une famille. C'est un endroit où des gens s'aiment, se secourent et se protègent. À partir du moment où on a ces trois éléments, on a une famille, n'en déplaise à mes amis du Parti réformiste. Entre les deux, tout est possible.

Je ne suis pas convaincu que nous n'y ayons pas intérêt, comme ceux qui veulent vraiment faire la promotion active des droits des homosexuels. Je suis d'accord avec vous que nous sommes en présence d'un dossier où on parle de droits. Il serait dangereux d'amener nos concitoyens à avoir une idée un peu éthérée, un peu évanescente...

Il y a des liens à faire avec la famille. Peut-être doit-on s'exposer à se faire reprocher de se retrouver avec une interprétation où l'on réfère automatiquement à la famille traditionnelle. Ce ne serait pas à notre avantage. Je ne suis toujours pas convaincu qu'il n'y a pas de liens à faire avec la famille. J'aimerais connaître votre point de vue.

[Traduction]

La présidente: Voulez-vous m'excuser un instant, je vous prie? Il s'agit d'une discussion très sérieuse, mais votre temps est écoulé.

Je sais que c'est l'un des sujets qui préoccupent le parti réformiste, et nous en débattons aussi au sein de notre propre parti. Je me demande si ceux qui attendent leur tour pour venir témoigner se montreront patients. J'aimerais que cette discussion s'élargisse un peu plus, je vous demanderais... je suis si fatiguée, je...

Écoutez, j'ai commencé à 7 h 45 ce matin, je ne peux plus prononcer les noms... Auriez-vous l'obligeance de dire ce que vous avez à dire?

[Français]

M. Champagne: Pour gagner du temps, vous aimeriez peut-être poser plusieurs questions auxquelles je donnerais une seule réponse.

La présidente: Il aimerait ajouter un élément à la question.

[Traduction]

La présidente: C'est sur le même sujet.

M. McClelland: Oui, tout d'abord, je...

La présidente: Ce n'est qu'une prolongation pour vous, et ensuite vous aurez droit à votre tour.

M. McClelland: Tout d'abord, je tiens à dire que je vois aujourd'hui où Réal a acquis son talent oratoire. Je trouve tout à fait remarquable que vous ayez réussi à accaparer notre attention si longtemps et à parler avec autant de passion.

Un groupe d'églises de Toronto s'est réuni... et dans la rubrique déontologique du Ottawa Citizen récemment, on a soulevé l'idée d'un partenariat familial enregistré. Aux termes de ce partenariat, le droit aux avantages sociaux normalement réservés à une famille serait fondé sur la dépendance mutuelle au sein de tout couple, et la relation sexuelle n'aurait aucune pertinence.

Dans cet article, on disait aussi que cela obligerait les gens des deux côtés de ce débat à mettre un peu d'eau dans leur vin. Ainsi, les personnes qui se sentent les plus menacées par les relations homosexuelles comprendraient qu'il y a de nombreux types de familles différents, des familles avec un père, un fils, une mère, un frère ou peu importe; cela obligerait aussi les défenseurs de l'homosexualité à mettre de l'eau dans leur vin, et ce serait une bonne solution que de ne pas mentionner le mot «mariage» pour désigner une relation homosexuelle. On pourrait remplacer ce terme par le «partenariat familial enregistré», qui aurait alors une valeur juridique.

Auriez-vous l'obligeance de nous dire ce que vous en pensez.

[Français]

M. Champagne: Je ne voudrais pas m'étendre sur cette question puisque cela peut nous mener très loin. On entre dans des approches sociologiques de la famille.

.1740

Je désire réitérer qu'il ne faut pas mêler, sur le plan du droit comme sur le plan des valeurs, la question de la protection et de la discrimination et la question des couples et des familles, indépendamment de la problématique homosexuelle.

Monsieur Ménard, vous avez une belle conception de la famille: des gens qui s'aiment, qui se protègent, etc. Un grand spécialiste de la famille écrivait toutefois que le lieu le plus dangereux dans la société, c'était justement la chambre à coucher des parents. C'est là qu'il se commettait le plus d'homicides, disaient les statistiques.

Je dis cela à peine en blague. Idéalement, une famille devrait être ce que vous dites, mais une famille pour moi, d'un point de vue technique, c'est le groupe parents-enfants. Ils vivent ensemble pour s'aimer, bien sûr, mais dans ce pays du couple, on doit faire cette distinction.

M. Bernier: C'est ça.

M. Champagne: C'est pourquoi, lorsque je parle de la question des personnes hétérosexuelles ou des personnes homosexuelles, je considère avant tout ces gens-là comme des personnes, des êtres humains dans leur intégrité, puis je les considère les deux dans une relation de couple et, finalement, je les considère dans une relation de famille.

Il est d'ailleurs dommage que même le Code civil du Québec soit, à mon avis, complètement dépassé. On l'a révisé et il se base encore sur une famille fondée sur le couple et le mariage.

Que voulez-vous, c'est ridicule. La réalité familiale se reflète dans le groupe parents-enfants: le parent unique, les deux parents, le parent plan.

Revenons le plus possible aux grandes familles. Je pourrais vous en dire long sur les problèmes de la famille qui sont dus au fait que nos familles sont si petites. Il n'y a rien de pire qu'une famille qui ne compte qu'un seul enfant; avec deux enfants ça commence à être mieux, avec trois c'est encore mieux, puis avec quatre ça commence à être possible.

Je dis cela à peine en blague. Je porte à votre attention certains éléments de ce qui se passe dans le monde, tout particulièrement dans les pays qu'on dits les plus «progressistes» au monde, dont les pays nordiques.

La Suède, la Norvège et le Danemark ont légiféré en vue de reconnaître les droits conjugaux et le mariage des personnes homosexuelles et de leur accorder des avantages sociaux. Ils ont toutefois alors interdit l'adoption et la fécondation in vitro. Peut-être ont-ils procédé trop rapidement et mêlé les choses. Cela s'est produit entre 1993 et 1994.

L'autre disposition, la plus récente et la plus progressiste au monde, est celle de l'État de New York. C'était en novembre 1995, je crois. Je me souviens que les médias avaient fait gorge chaude du fait que le même jour, l'Angleterre prenait une position rétrograde et New York prenait une position dite progressiste. On reconnaissait aux personnes homosexuelles le droit d'adopter l'enfant dont ils étaient le parent.

Vous trouvez cela progressiste, le droit d'adopter un enfant parce qu'on est un homosexuel? C'est ridicule. Il n'y a aucun progrès là-dedans. Ça va de soi que les personnes homosexuelles peuvent adopter l'enfant dont ils sont le père ou dont leur conjoint a été le père ou la mère dans une union précédente.

Au cours d'une année où j'ai fait nombre de relations d'aide - ce que certaines personnes pompeuses appellent de la thérapie - , 60 p. 100 des couples que j'ai rencontrés étaient là parce que l'un des conjoints avait décidé à 30, 40 ou 50 ans de vivre son homosexualité et de ne plus vivre étouffé.

La présidente: Merci.

[Traduction]

Avez-vous d'autres questions?

M. McClelland: Non. Merci.

[Français]

M. Robinson: J'aimerais préciser que la Colombie-Britannique a légiféré bien avant New York et que ce ne sont pas seulement les couples qui peuvent adopter leurs propres enfants, mais aussi les couples gays, les lesbiennes et les individus.

M. Champagne: Oui, et c'est un autre paysage juridique.

M. Robinson: Oui.

[Traduction]

La présidente: Y a-t-il des interventions de ce côté-ci?

[Français]

M. Ménard: Il faut abolir le préambule, tout au moins le deuxième paragraphe.

.1745

M. Champagne: Je trouve que, eu égard au texte précis que nous avons déjà, c'est à récrire par de bons juristes, en simplifiant énormément. Le vocabulaire est déjà inscrit dans la Déclaration, dans la Loi canadienne, mais on l'a reformulé inutilement. Nous devons absolument abolir la question sur la famille. Ce préambule sur la famille va provoquer les difficultés qu'invoquaient précisément les adversaires du projet.

M. Ménard: Partagez-vous, à titre spéculatif, mon analyse selon laquelle le gouvernement l'a inclus afin de rallier, dans une perspective parlementaire, les gens qui pourraient justement y voir une atteinte à la sacro-sainte famille? Comprenez-vous qu'au-delà du texte juridique, il y ait une stratégie politique dans cette référence au préambule?

M. Champagne: Oui, mais c'est une stratégie qui n'est pas du tout habile, qui n'est pas franche et qui donne des armes aux adversaires.

La présidente: C'est ce qu'on disait au moment où le projet de loi a été imprimé.

[Traduction]

D'autres questions?

M. McClelland: Madame la présidente, très rapidement, parce que je sais...et étant donné que les autres n'ont pas...

Mme Augustine: C'était seulement parce qu'on manquait de temps.

M. McClelland: Oui, parce qu'on manquait de temps. Je serai très bref.

La présidente: J'ai seulement une question à poser. Est-ce que Mme Landolt de REAL Women est dans la pièce? Est-ce que John Polanyi est ici?

Mme Diane Watts (recherchiste, REAL Women of Canada): Je représente REAL Women.

M. McClelland: C'est parfait. J'ai terminé.

La présidente: Monsieur Champagne, si vous voulez bien rester, je crois que vous aimerez entendre M. Polanyi, qui parlera tout de suite après l'exposé de REAL Women. Vous devriez vous présenter. Vous êtes du même coin.

M. Champagne: Merci.

M. Ménard: Merci beaucoup.

La présidente: Merci, merci, merci.

John Polanyi, voulez-vous tous les deux prendre quelques instants pour faire connaissance? Je pense que ça en vaut la peine.

Bienvenue, madame Watts. Pardonnez-nous, nous faisons attendre tout le monde un peu, mais il ne s'agit pas exactement d'une question facile. Avez-vous un exposé ou des observations liminaires à faire?

Mme Watts: Oui.

Je tiens à vous remercier d'avoir invité REAL Women of Canada à témoigner aujourd'hui. Étant donné que nous avons reçu votre invitation il y a 24 heures à peine, notre conseillère juridique et vice-présidente nationale, Mme Gwen Landolt, n'a malheureusement pas pu venir.

.1750

Tout d'abord, je tiens à énoncer respectueusement notre objection au processus antidémocratique dont la Chambre des communes se sert pour précipiter l'adoption de cette modification, sans donner assez de temps à tous les Canadiens pour se faire entendre. Cela témoigne d'un manque de respect pour le processus démocratique et pour les vues des Canadiens sur une question complexe qui pourrait avoir de graves conséquences dans notre pays.

Les audiences n'ont pas été annoncées publiquement, et on n'a pas donné assez de temps aux groupes pour se préparer et prendre des dispositions pour venir à Ottawa. Cela révèle aussi une capitulation devant les pressions exercées par les groupes d'intérêts spéciaux ainsi que le mépris pour le régime parlementaire.

La modification qu'on propose à la Loi canadienne sur les droits de la personne et qui vise à protéger les Canadiens contre toute discrimination fondée sur l'orientation sexuelle est une question morale complexe. Il ne s'agit pas d'une question de droits de la personne, comme le font valoir les militants qui se disent homosexuels. Même dans la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations unies, de 1948, où l'on énonce les normes internationales en matière de protection des droits de l'homme, on ne mentionne pas l'orientation sexuelle comme un droit garanti. Cette déclaration mentionne précisément la famille naturelle, qui est décrite dans le document comme étant «la cellule fondamentale de la société»; vous trouverez cela à l'article 16.3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

À la Conférence des femmes de Beijing, en 1995, les femmes du monde ont rejeté l'inclusion du terme «orientation sexuelle» dans le programme d'action des Nations unies. Ce rejet a été universel.

Nous croyons que les gens qui se disent homosexuels ou lesbiennes ne constituent pas une classe sociale qui a besoin de protection parce qu'ils ne sont unis que par certaines pratiques qui les définissent et les distinguent des autres. Cependant, ils avancent qu'en raison de leur comportement, ils ne sont pas différents des Noirs ou des femmes.

Cependant, l'ethnicité et le sexe n'ont rien à voir avec le comportement ou les désirs, parce que ce sont des réalités immuables, neutres sur le plan moral, et ce sont des caractéristiques propres. Ce sont des réalités immuables, ce qui veut dire qu'elles ne changent pas, alors que les comportements changent. Le comportement ou la conduite de ceux qui appartiennent à des groupes protégés selon le sexe, la race ou le patrimoine, n'a rien à voir avec l'identification. Les préférences sexuelles, les modes de vie ou les comportements sont les seules caractéristiques qui unissent ceux qui se disent homosexuels ou lesbiennes.

Nous croyons que si l'on donne force de loi à cette modification que propose M. Rock, notre société subira des changements fondamentaux. C'est ce que nous concluons étant donné que cette expression qui n'est pas définie, «orientation sexuelle» et qu'on retrouve dans la loi, selon Max Yalden, président de la Commission canadienne des droits de la personne, conduira à un élargissement de la définition des concepts d'«état civil» ou de «conjoint», et que l'on inclura ainsi les couples de personnes qui se disent homosexuels ou lesbiennes.

On peut s'attendre à ce qu'on essaie de contourner le problème en plaçant dans la loi deM. Rock, dans le préambule ou ailleurs, une disposition disant que la modification ne changera en rien la définition de «conjoint» ou d'«état civil». Cependant, il se trouvera inévitablement un tribunal qui invalidera la disposition de M. Rock ou lui prêtera un sens différent, et qui dira que cela a été écrit avant que cette loi entre en vigueur. Ainsi, l'objectif de M. Rock et des groupes d'intérêts spéciaux qui le soutiennent sera réalisé.

Chose certaine, l'adjonction des mots «orientation sexuelle» n'est pas que symbolique. Les tribunaux ontariens ont interprété cette expression qui figure dans le Code des droits de la personne de l'Ontario en disant que les couples de personnes qui se déclarent homosexuelles ou lesbiennes ont le droit d'adopter des enfants et de toucher des prestations familiales, même si le code mentionne expressément les couples de personnes de sexe opposé. On prête aux lois toutes sortes de significations qui n'étaient pas prévues par le législateur.

Si l'on modifie la Loi canadienne sur les droits de la personne pour ajouter à la loi fédérale l'expression «orientation sexuelle», il faudra modifier plus de 50 lois, si l'on en croit notre conseillère juridique et nos organisations. Il faudra entre autres modifier la Loi de l'impôt sur le revenu qui autorisera le versement de prestations de retraite aux personnes qui se disent membres d'un couple homosexuel, la Loi sur l'immigration, qui autorisera les personnes qui se disent homosexuelles à parrainer la venue de leurs partenaires au Canada, et il faudra changer la politique sur les réfugiés pour les personnes qui se disent homosexuelles; il y aura aussi des pratiques spéciales de recrutement et des quotas d'emploi pour les personnes qui se disent homosexuelles aux termes de la Loi sur l'équité en matière d'emploi.

.1755

Cette modification pourrait également créer des difficultés d'ordre juridique à titre collectif pour les Églises ou à titre individuel pour les chrétiens, les musulmans ou tout autre croyant qui pense que l'homosexualité est un péché, selon ce que lui enseigne sa religion. Cela tient au fait que le Code criminel interdit toute attaque verbale contre certains groupes désignés et la liste de ces groupes désignés sera allongée pour inclure les personnes homosexuelles. Les Églises et les croyants devront alors défendre leurs déclarations publiques sur cette question devant les tribunaux.

Il convient de souligner le fait que la modification qu'on propose ne figure pas dans le Livre rouge du Parti libéral ou dans le discours du Trône de 1994 ni de 1995. Selon le sondage Gallup de mai 1992, 61 p. 100 des Canadiens s'opposent expressément à la reconnaissance juridique des relations homosexuelles. C'est donc une mesure impopulaire parmi les Canadiens. Dans un sondage Angus Reid de 1994, 67 p. 100 des Canadiens s'opposaient à l'avènement de prestations particulières pour les couples du même sexe. Lorsque de telles questions incluent la famille, ce sont des pourcentages encore plus élevés de Canadiens qui s'opposent à tout changement à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Cette modification fait suite aux demandes de groupes d'intérêts spéciaux, de militants qui se disent homosexuels, et des médias, et non des contribuables. On sait très bien que c'est une mesure impopulaire parmi les Canadiens.

Étant donné qu'on a précipité le processus, nous n'avons pas pu vous préparer un mémoire complet, je vous citerai donc des informations qui apparaissaient dans un mémoire que nous avons présenté au comité du Sénat chargé d'étudier le projet de loi S-2.

Étant donné que notre organisation se préoccupe vivement de la famille naturelle, qui est à notre avis le fondement de la société, REAL Women a de graves inquiétudes quant aux effets à long terme du projet de loi C-33. Nous tenons cependant à déclarer d'emblée que les membres de notre organisation s'opposent à toute discrimination injuste.

Cependant, le projet de loi C-33 va beaucoup plus loin que ce qui semble être son objet à première vue, à savoir accorder l'égalité aux personnes qui se disent homosexuelles. Ce projet de loi conduira à des changements fondamentaux dans notre société, changements que n'ont pas prévus les législateurs. C'est ce que croit notre organisation, et c'est ce qui inquiète de nombreux Canadiens.

Max Yalden, président de la Commission canadienne des droits de la personne, a affirmé que ces changements pourraient avoir pour effet d'élargir la définition des termes «état civil» et «conjoint». Les récents jugements des tribunaux relatifs à la Charte des droits indiquent que l'inclusion de cette expression n'est pas que symbolique; cet ajout a déjà conduit à des changements au niveau de la Cour provinciale de l'Ontario qui a donné aux couples homosexuels le droit d'adopter des enfants. De nombreux Canadiens s'en inquiètent.

Dans l'affaire Vriend, le juge en chef McClung écrivait:

Nous sommes en présence de décisions politiques qui doivent être prises par les parlements et qui sont prises à la place par les tribunaux, et nous nous inquiétons du grand nombre de conflits qui pourraient en découler. Il appartient au Parlement, et non aux tribunaux, de définir «famille» «état civil». Nous croyons cependant que ce sont les tribunaux qui vont déterminer le sens de ces mots si l'on ajoute à la Loi canadienne sur les droits de la personne cette expression non définie qu'est «orientation sexuelle».

Il convient de signaler que les contestations judiciaires visant à modifier les définitions des termes «conjoint» et «état civil» sont inévitables étant donné que l'article 91.26 de la Loi constitutionnelle dit que le mariage et le divorce sont des questions de compétence fédérale. Certains vous diront que cette loi ne va pas en ce sens, mais beaucoup d'autres vous diront le contraire.

.1800

Au cours du débat constitutionnel de 1982, le premier ministre Jean Chrétien, qui était alors ministre de la Justice, a déclaré:

On remarque que la Commission des droits de la personne du Québec a dit que les mots «orientation sexuelle» incluaient «toutes les tendances ou orientations que prend la sexualité de quelqu'un, ce qui comprend les comportements issus de cela».

Lors d'une conférence sur la sexologie qui a eu lieu à Guelph, en Ontario, le docteur Sharon Satterfield a déclaré:

En bref, même si le Code criminel, par exemple, est censé protéger les enfants contre les prédateurs sexuels adultes, cette protection pourrait être annulée par les tribunaux si des pédophiles font valoir que les mots «orientation sexuelle», qui ne sont pas définis dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, comprennent leur orientation particulière et qu'on leur nie par conséquent leur orientation, c'est-à-dire, le droit d'avoir des rapports sexuels avec des enfants. Il faut tenir compte de ces faits.

Traditionnellement, les tribunaux et les autorités chargées de faire respecter les droits civiques se sont conformés à trois critères pour accorder un statut de protection spéciale aux minorités défavorisées. Ces critères sont: la discrimination d'ordre économique, éducatif, ou culturel; les caractéristiques collectives immuables; et l'impuissance politique. Selon les informations que nous avons - et nous avons des chiffres que nous aurions pu vous remettre si l'on nous avait donné assez de temps - nous pensons qu'aucune de ces catégories ne s'applique aux homosexuels au Canada, ou aux personnes qui se disent homosexuelles.

Si l'on en croit cette recherche, les ménages homosexuels ont des revenus plus élevés que la moyenne. Ils sont très instruits et jouissent d'un statut plus élevé que la moyenne des Canadiens. Si vous voulez ces renseignements, nous vous les ferons parvenir. Nous disposons également de données selon lesquelles, selon des sondages récents, les personnes qui se disent homosexuelles, même si elles ne représentent qu'entre 1 p. 100 et 3 p. 100 de la population, sont très scolarisées et nanties.

Donc, encore là, il faut en conclure, au sujet de cet article sur l'identification des groupes défavorisés, que l'ethnicité et le sexe sont différents des comportements ou des désirs parce qu'il s'agit de caractéristiques immuables, neutres sur le plan moral et distinctes. Le comportement ou la conduite de ceux qui appartiennent à un groupe protégé en raison du sexe, de la race ou du patrimoine n'a rien à voir avec l'identification. Les préférences sexuelles ou le mode de vie ou le comportement sont les caractéristiques qui unissent les homosexuels, par opposition aux caractéristiques immuables, neutres sur le plan moral et distinctes. C'est ce qui inquiète les Canadiens. Ce n'est pas neutre sur le plan moral. C'est une question morale.

Il est évident que les militants homosexuels qui réclament une reconnaissance et une protection particulières constituent un groupe d'intérêt spécial puissant qui se sert de ses moyens financiers considérables et de son influence politique pour bénéficier des revendications légitimes d'autres groupes. L'on confond ici les droits véritables. Il convient de noter qu'exclure l'orientation sexuelle de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne prive pas les homosexuels ou les personnes qui se disent homosexuelles de leur droit constitutionnel. Nous croyons que tous les Canadiens doivent être égaux devant la loi.

.1805

Exclure l'orientation sexuelle de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne constitue pas un acte discriminatoire à l'endroit des homosexuels pour leurs pratiques sexuelles, étant donné qu'ils jouissent déjà de tous les autres droits fondamentaux des Canadiens, et qu'ils sont en fait beaucoup plus avantagés sur le plan économique, éducatif, politique et culturel que la plupart des Canadiens.

Ceux qui se disent homosexuels ne sont pas victimes d'un traitement injuste. En fait, ce qu'ils réclament, c'est un traitement privilégié en réclamant agressivement un statut de protection spécial qui est tout à fait injustifié.

En conclusion, nous tenons à dire que la modification à la Loi canadienne sur les droits de la personne par la simple adjonction de ces mots qui ne sont pas définis, «orientation sexuelle», aura des conséquences encore inimaginables. En outre, toute cette question est très complexe et présente des ramifications qui dépassent de loin la fameuse «solution simple» qui consiste à assurer l'égalité aux homosexuels ou aux personnes qui s'identifient comme telles.

Ici, une étude mesurée et en profondeur de toute la question est essentielle. Malheureusement, ce processus établi où l'on ne réserve qu'une seule journée pour les consultations publiques témoigne d'un manque de respect pour les vues du public canadien et pour le régime parlementaire.

Nous recommandons que le Comité permanent des droits de la personne propose le retrait du projet de loi C-33 en raison de ses conséquences sociales et politiques imprévisibles, ou que le Comité permanent des droits de la personne recommande que toute étude de ce projet de loi soit différée tant que l'on n'aura pas tenu de consultations publiques exhaustives sur ce projet de loi.

Avant de passer aux questions, j'aimerais vous dire quelques mots au sujet de notre organisation.

La présidente: Je tiens à vous informer qu'il vous reste environ sept minutes.

Mme Watts: C'est bien. Merci.

Realistic, Equal, Active, and for Life Women of Canada est une organisation non partisane et interconfessionnelle de femmes indépendantes, qui a obtenu sa charte fédérale en 1983. Ses membres sont issues de toutes les couches de la société, des milieux professionnels, sociaux et économiques les plus divers. Certaines travaillent à l'extérieur, d'autres à la maison, et d'autres encore font les deux.

Nous représentons un vaste éventail de Canadiennes qui se préoccupent vivement de ce problème. Nous faisons la promotion de l'égalité pour les femmes, d'où le «E» dans notre acronyme, REAL. L'un de nos objectifs consiste à soutenir les politiques qui favorisent l'égalité des chances pour les femmes en matière d'éducation, d'emploi et de retraite.

Nous croyons que la famille, qui subit aujourd'hui de graves tensions, est la cellule la plus importante de la société canadienne. Notre définition de la famille, c'est deux personnes ou plus qui vivent ensemble et qui sont liées par le sang, le mariage ou l'adoption.

La présidente: Donc, si j'ai deux enfants adoptés et qu'ils épousent des personnes adoptées, ils ne forment plus une famille en se mariant. C'est ce que vous venez de dire?

Mme Watts: On définit la famille comme deux personnes ou plus vivant ensemble et liées par le sang, le mariage ou l'adoption. Si deux personnes se marient, elles forment l'embryon d'une famille.

La présidente: Et disons qu'elles ont adopté deux enfants.

Mme Watts: Vous voulez dire deux enfants d'une même famille?

La présidente: Je dis qu'elles adoptent deux enfants. Peu m'importe d'où ils viennent... Je ne sais pas d'où ces enfants adoptés viennent.

Mme Watts: Ces personnes ont donc adopté deux enfants.

La présidente: C'est exact.

Mme Watts: Étaient-ils de familles différentes?

La présidente: Oui, bien sûr. Je crois qu'ils sont de deux familles distinctes. Où est donc la différence? Ce sont des enfants adoptés. En conséquence, ils ne forment plus une famille, selon... Je veux savoir si c'est bien ce que vous venez de me dire.

M. McClelland: Elle a parlé d'adoption, madame la présidente, et... allez-y.

Mme Watts: Notre définition de la famille, c'est deux personnes ou plus vivant ensemble et liées par le sang, le mariage ou l'adoption. Donc si elles vivent ensemble et sont liées par l'adoption, elles forment une famille. C'est notre définition de la famille.

La présidente: D'accord.

Mme Watts: Pensiez-vous que, à notre avis, les parents qui adoptent des enfants n'ont pas...

La présidente: Je ne sais pas. Je crois que je vous ai mal comprise.

Mme Watts: Vous pensez vraiment cela? C'est assez intéressant.

La présidente: Non, je ne pense pas ça du tout. Cela n'a rien à voir non plus avec le projet de loi dont nous sommes saisis.

[Français]

Une question?

M. Ménard: Par honnêteté à votre égard et puisque c'est la première fois que nous nous rencontrons, j'aimerais préciser deux choses à mon sujet.

.1810

Premièrement, je suis le député d'Hochelaga - Maisonneuve, une circonscription de l'est de Montréal au Québec et deuxièmement, je suis homosexuel, ouvertement avoué et très heureux de l'être et très bien dans ma peau.

J'avoue qu'il y a longtemps que j'avais entendu un discours comme celui que vous avez tenu. Vous avez évidemment le droit de le tenir. J'irais même jusqu'à reconnaître qu'en démocratie ça représente un courant d'opinion.

Il y a deux choses que je ne peux pas comprendre dans ce que vous avez dit et j'aimerais qu'on échange là-dessus. Cet après-midi, on a eu deux témoins qui sont des gens professionnels, des gens qui gagnent bien leur vie, des gens, pour ce que j'en ai compris, qui sont impliqués dans leur communauté. L'un d'entre eux était pédiatre. Donc, il intervient auprès des enfants. Il est un universitaire de formation, un homme qui, je le comprends, a fait un travail très impliqué. L'autre était psychiatre à Toronto, pour ce que j'en ai compris. Les deux sont venus nous dire une chose. Je voudrais connaître votre opinion là-dessus.

Il y a présentement, à l'instant où on se parle, en 1996, des jeunes au Canada qui découvrent leur homosexualité. On pourrait avoir une discussion sur ce qui fait qu'on est homosexuel, mais partons du principe que ça existe.

Il y a des jeunes qui découvrent leur homosexualité. Trente pour cent d'entre eux se suicident parce qu'ils sont dans un environnement ou dans une société où il y a des éléments hostiles à ce qu'ils sont. Cette prémisse ne vient pas de ce comité ni de celui qui vous parle, mais de deux professionnels qui gagnent leur vie avec la réalité que je vous exprime.

J'ai deux questions à ce sujet. Croyez-vous que dans la vie, il existe de la discrimination? Croyez-vous qu'il y a des jeunes qui peuvent à ce point sentir qu'ils n'ont pas leur place dans la société qu'ils se suicident, ou croyez-vous que les témoins qui nous ont fait part de ces faits sont des gens qui n'ont pas toute leur raison et qui seraient venus devant ce comité pour framer et nous dire des choses qui seraient fausses?

[Traduction]

Mme Watts: Je pense que c'est une très bonne chose qu'il y ait des divergences d'opinions au sein des professions. Je ne crois pas qu'il y ait une seule explication au fait que les jeunes gens se suicident. Toutes sortes de choses peuvent survenir. On choisit ici d'expliquer cela par le statut de victime de la personne qui s'identifie comme homosexuelle. Ce pourrait être autre chose. Ce pourrait être la difficulté de s'accepter comme tel. Ce pourrait être la culpabilité. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles ces jeunes gens se suicident.

[Français]

M. Ménard: Oui, c'est tout à fait ça. Je crois que vous êtes une femme ouverte, une femme qui a le goût de servir dans sa communauté, qui veut participer au processus démocratique. Est-ce que vous seriez à l'un ou l'autre de ces moments-là, dans un avenir qu'on ne définira pas aujourd'hui, disponible pour regarder avec moi le vidéo et l'information que ce comité a eu le plaisir de s'approprier?

Je soumets à votre analyse deux faits. On peut, dans la vie, ne pas être d'accord sur la reconnaissance des homosexuels. C'est un point de vue qui existe et qui n'est pas le mien. Vous le comprenez. Cependant, je crois que l'honnêteté la plus élémentaire nous amène à reconnaître que dans la société où nous vivons, en 1996, il y a des jeunes qui se suicident quand ils découvrent qu'ils sont homosexuels. Cette information nous a été donnée par deux professionnels. Dans la société de 1996, il y a des conditions telles autour d'eux qu'ils en viennent à se suicider.

Ne me dites pas que ça peut être pour autre chose. Bien sûr, ça peut être parce qu'ils ont un ongle incarné ou parce que leur père ne leur a pas donné une BMW. Ce que des professionnels sont venus nous dire, c'est que des jeunes se suicident parce qu'il y a de l'intolérance et qu'on n'accepte pas, dans le milieu où ils sont, qu'ils soient homosexuels. C'est ce que je vous dis.

Vous croyez peut-être que tout ça n'est pas fondé, mais si vous avez le goût d'avoir plus d'information, mettez-vous en contact avec des gens qui peuvent vous réconcilier avec ça. Pour le reste, c'est une question de valeurs. Ça vous appartient et je n'essayerai pas de vous convaincre qu'en tant qu'individu homosexuel, mes valeurs sont supérieures aux vôtres.

Monsieur McClelland, je vous sens un peu tendu et j'aimerais pouvoir adresser ma question au témoin en toute quiétude et en tout respect pour ce que nous sommes mutuellement.

.1815

Je n'essaierai pas de vous convaincre de la supériorité de mes valeurs. Je n'essaierai pas de vous convaincre de la supériorité de mon mode de vie. Je veux terminer mon exposé en vous disant que moi, je suis heureux et bien dans ma peau et que s'il y avait une pilule qui me permettrait de devenir hétérosexuel, je ne la prendrais pas parce que je pense qu'on peut être homosexuel et bien dans sa peau. J'aimerais que vous pensiez à ça. Admettez-vous qu'il peut y avoir des gens qui sont homosexuels, qui ont une sexualité dans laquelle ils se réalisent et qui sont bien dans leur peau? Est-ce que vous admettez cette possibilité?

[Traduction]

Mme Watts: J'aimerais en revenir à votre question précédente au sujet des psychiatres. Ils ont parfaitement le droit de donner une explication sociologique au suicide des jeunes garçons, mais pour certains, si cette loi conduit à la promotion de l'homosexualité, on pourrait assister à une augmentation du nombre de jeunes garçons qui se suicideront. C'est une autre préoccupation.

La présidente: Garçons et filles.

[Français]

M. Ménard: Je n'ai plus d'autres questions, madame la présidente. Merci.

[Traduction]

La présidente: Monsieur McClelland

M. McClelland: Tout d'abord, je vous remercie beaucoup d'être venues aujourd'hui. J'aimerais savoir si votre organisation pourrait soutenir ce projet de loi si l'on vous donnait l'assurance ou si vous aviez la conviction qu'il s'agit ici exclusivement de prévenir la discrimination.

Mme Watts: Eh bien, comment définissez-vous le mot «discrimination»? Allons-nous avoir une société qui ne fait aucune distinction entre les groupes de personnes ou les familles? Nous valorisons la famille au plus haut point. Nous croyons que la famille est essentielle à la stabilité de la société. Si nous nivelons tout au nom de l'égalité et ne faisons pas de distinctions qui nous aideront à promouvoir la famille, nous allons nuire à la société, parce que l'avenir de notre société, à notre avis, repose sur la force de la famille. De nombreux Canadiens croient cela.

Nous pensons qu'il ne doit pas y avoir de discrimination injuste. Nous sommes contre le fait qu'on batte des gens pour des raisons quelconques, qu'il s'agisse de la couleur de leurs yeux, de leur comportement ou du comportement qu'on leur prête. Nous sommes contre la violence.

M. McClelland: J'aimerais alors une clarification. Devant des témoins qui vous ont précédés, j'ai fait valoir les préoccupations des gens qui se sentent menacés par cette loi, précisément par les changements que vous avez mentionnés. S'il était possible - je ne dis pas du tout que c'est le cas, mais si c'était possible - de modifier ce projet de loi en y ajoutant une définition de l'orientation sexuelle ou en limitant l'orientation sexuelle afin d'apaiser les préoccupations de certaines personnes au sujet des mesures d'équité en matière d'emploi ou d'action positive qui pourraient résulter de cette loi, demeureriez-vous contre l'ajout de l'orientation sexuelle à la liste des catégories protégées en vertu de la Loi sur les droits de la personne.

Mme Watts: Je crois que ça prendrait beaucoup de temps, et à la vitesse à laquelle on précipite ce processus, je crois que c'est tout à fait impossible.

M. McClelland: Je conviens avec vous que ce n'est pas possible. Je comprends qu'il s'agit d'un cas hypothétique.

Mme Watts: Nous avons expliqué les objections que nous avons à l'expression «orientation sexuelle». C'est trop vague et ça peut comprendre toutes sortes de choses; les tribunaux risquent de l'interpréter à leur façon, ce qui créera de nouvelles dissensions dans le pays, dissensions qui s'ajoutent aux autres.

M. McClelland: Pour plus de clarté, je crois vous avoir entendu dire que la pédophilie pouvait être classée comme orientation sexuelle. Je veux être absolument certain que vous n'insinuez pas que la pédophilie est propre à l'homosexualité ou à l'hétérosexualité. La pédophilie est une chose qui existe en soi.

Mme Watts: Il y a des pédophiles qui sont attirés par des enfants de leur propre sexe et d'autres qui sont attirés par les deux.

M. McClelland: Oui. Donc, cela n'a rien à voir...

Mme Watts: Quelqu'un qui est attiré par une personne du même sexe pourrait prétendre avoir cette orientation sexuelle. Ce que nous craignons, c'est que l'on puisse inclure la pédophilie dans l'orientation sexuelle.

M. McClelland: Je comprends, je vous remercie beaucoup.

.1820

[Français]

M. Ménard: J'invoque le Règlement, madame la présidente. Il faut rappeler un fait que le témoin doit savoir. À l'instant où on se parle, la pédophilie est du domaine de la criminalité et nous devrions peut-être offrir à REAL Women of Canada un exemplaire du Code criminel. Cela leur permettrait de constater que personne ne peut, en toute intelligence et en toute connaissance de cause, faire un lien entre l'orientation sexuelle et la pédophilie. Je trouve ça très malhonnête à la fois du député du Parti réformiste de poser cette question et du témoin de faire un rapprochement comme celui-là.

[Traduction]

La présidente: Merci beaucoup, ce n'était pas vraiment un rappel au règlement.

Mme Watts: Nous parlions de l'orientation transsexuelle. Il y a bon nombre de gens qui craignent que cela soit inclus.

[Français]

M. Ménard: Cela s'appelle de l'ignorance, madame.

[Traduction]

Mme Watts: Non, il s'agit d'une préoccupation profonde à l'égard de ce qui se passe dans la société et de ce que l'on peut lire dans les journaux tous les jours.

Récemment, quelqu'un qui a été trouvé coupable de pédophilie a voulu prétendre que c'était son orientation sexuelle. Il s'agit d'une préoccupation légitime.

[Français]

M. Ménard: Madame, est-ce que vous savez...

[Traduction]

La présidente: Le fait est qu'il a commis un acte criminel. C'est ce que l'on veut dire ici. C'est là la question. Je pense que nous allons passer à autre chose. Ça ne fait pas partie de la discussion.

[Français]

M. Ménard: Mais oui, mais oui.

[Traduction]

Mme Watts: Il a identifié sa pédophilie comme étant une orientation sexuelle.

M. McClelland: Madame la présidente, aux fins du compte rendu, permettez-moi de préciser que ce n'est pas ce que j'ai voulu laisser entendre. Je voulais tout simplement préciser qu'il s'agissait strictement d'une infraction au Code criminel. Cela n'avait rien à voir avec cela.

La présidente: Je pense que nous l'avons compris.

M. McClelland: Mon collègue, je pense, ne l'a pas compris.

[Français]

La présidente: Monsieur Ménard, vous n'avez pas compris que M. McClelland a dit ça?

M. Ménard: Ce n'est pas ce que j'avais compris. J'avais plutôt compris qu'il faisait un rapprochement, mais enfin, je suis heureux que vous fassiez la nuance.

[Traduction]

M. McClelland: Absolument pas.

Mme Watts: Nous devrions souligner qu'il y a une controverse au sein de la sois-disant communauté homosexuelle. Dans les journaux homosexuels qui sont en vente à Ottawa, on peut lire qu'il y a une controverse au sein de cette communauté à savoir si la pédophilie est une bonne...

[Français]

M. Ménard: Est-ce que je peux vous demander quels sont vos contacts avec la communauté homosexuelle? Je suis membre de cette communauté-là et je fréquente pas mal sa littérature et les endroits qui sont à sa disposition, toujours dans les limites permises par ma morale, et je n'ai jamais entendu dire que des gens revendiquaient que l'homosexualité devait être associée à la pédophilie. La pédophilie est quelque chose de criminel. Pourquoi est-ce criminel? Quelle est la différence entre la pédophilie et l'homosexualité? Ce soir, si je couche avec un homme, je veux coucher avec un homme qui va consentir à dormir avec moi et qui va être un adulte. La pédophilie est criminelle parce qu'il y a une relation d'exploitation. Aucune personne qui a le moindrement les idées claires ne peut dire que le fait d'avoir une relation sexuelle avec un enfant de 13 ans n'est pas une relation d'exploitation. C'est la différence entre l'homosexualité et la pédophilie.

Je vous mets au défi de nous trouver quelqu'un dans la littérature scientifique ou autre qui a suggéré que la pédophilie faisait partie de l'orientation sexuelle. Il faut que vous compreniez la différence.

[Traduction]

Mme Watts: Eh bien, je vous ferai parvenir l'article...

La présidente: Merci beaucoup.

Mme Watts: ...écrit par des gens qui s'identifient à cette communauté et qui appuient la pédophilie.

La présidente: Nous allons passer à Andy Scott. Madame Watts, l'intervenant est maintenant M. Scott.

M. Scott: Merci beaucoup. J'aimerais approfondir la question. Je voudrais vraiment comprendre la position, alors je fais appel à votre patience. Nous pouvons peut-être commencer par aller vraiment au fond de la question.

À votre avis, devrais-je pouvoir relever M. Ménard de ses fonctions parce que je sais qu'il est homosexuel?

Mme Watts: Notre position est la suivante: s'il n'y a aucun incident qui empêche une personne de bien faire son travail, alors cette personne ne devrait pas être relevée de ses fonctions en raison d'actes privés. Une personne a droit à sa vie privée.

M. Scott: Donc, nous tentons de protéger les circonstances... Un mot que j'ai souvent entendu aujourd'hui est le mot «crainte». Tous ceux qui ont comparu ici ont parlé de crainte. Les parents craignent pour leurs enfants. Les enfants parlent de crainte...

Mme Watts: Eh bien, je n'ai pas parlé de crainte; j'ai parlé de préoccupation.

M. Scott: J'y arrive. J'essaie vraiment... L'une des choses qui m'a frappé est le fait que l'une des craintes, c'est qu'une personne ne puisse...

Par exemple, si une personne est battue, elle ne peut dire à la police qu'elle a été battue parce que son agresseur croyait qu'il était homosexuel. En effet cette personne craint perdre son travail si l'employeur apprend qu'elle est homosexuelle. Nous tentons donc de prendre des mesures en vue de faire disparaître quelque peu cette crainte. La crainte dont on nous a parlé est réelle.

.1825

Je vous ai posé la question pour savoir si, comme nous, vous souhaitez éliminer la crainte de la perte d'emploi qui permettrait alors... Je sais que vous pensez que cela va peut-être plus loin, mais je tente ici de cerner l'élément fondamental de ce que nous voulons faire. J'essaie de savoir si nous sommes d'accord sur ce point.

Mme Watts: Voulez-vous dire que vous essayez de légiférer l'élimination de la crainte de la perte d'emploi?

M. Scott: Je tente de minimiser cette crainte, je suppose. La crainte, c'est une mauvaise chose...

Mme Watts: On ne peut pas éliminer cette crainte en légiférant.

M. Scott: On peut la minimiser.

Mme Watts: Si les gens ont peur, leur peur peut être rationnelle et suscitée par quelque chose de réel, ou elle peut être irrationnelle. Je ne pense pas que l'on puisse éliminer la crainte en légiférant.

M. Scott: Je n'ai pas peur de perdre mon emploi parce que je suis protestant, car cela n'arriverait pas. Je ne pourrais pas perdre mon emploi parce que je suis protestant car je suis protégé par cette loi. Ce que nous tentons de faire, c'est de déterminer si nous devrions ou non offrir cette même protection à M. Ménard.

Des témoins qui ont comparu devant notre comité ont dit qu'ils avaient peur de raconter à la police ce qui leur était arrivé car ils craignaient pour leur emploi. Une femme de la Défense nationale a comparu devant notre comité hier. Elle a perdu son emploi en raison de son orientation sexuelle.

Donc, j'essaie en fait de déterminer en toute honnêteté si nous sommes d'accord, comme vous le dites... Je suis heureux de vous entendre dire qu'une personne ne devrait pas perdre son emploi en raison de son orientation sexuelle.

Mme Watts: Non, j'ai dit en raison d'actes commis en privé, pourvu que ces actes ne nuisent pas à son travail.

M. Scott: Très bien. Merci, madame la présidente.

La présidente: Il n'y a pas d'autres intervenants. Bill.

M. Graham (Rosedale): Très rapidement, j'ai quelques questions à poser, madame la présidente. Merci.

Vous avez dit que vous étiez préoccupée par la vitesse à laquelle on est en train d'examiner ce projet de loi. Vous savez, naturellement, que cette question a fait l'objet d'un rapport de tous les partis en 1985. Cette question a été étudiée en profondeur par le Parlement à l'époque. Le saviez-vous? Est-ce que REAL Women of Canada a comparu devant ce comité?

Mme Watts: Je pense que nous y avons participé, oui.

M. Graham: Vous avez participé au processus, n'est-ce pas?

Mme Watts: Oui.

M. Graham: N'avez-vous pas comparu devant le Sénat?

Mme Watts: Oui.

M. Graham: Vous savez que ces documents sont à la disposition des députés de la Chambre des communes, qui fait partie du Parlement du Canada.

Mme Watts: Nous trouvons plutôt étrange que l'on nous ait téléphoné à 16 h 30 en nous demandant de comparaître le lendemain à 17 heures. Nous trouvons cela plutôt inhabituel.

Cela ne nous est jamais arrivé auparavant. Nous avons comparu devant de nombreux comités et nous avons toujours pu téléphoner à notre avocat, prendre le temps de préparer un mémoire et en faire des copies pour distribuer aux membres du comité. Nous devons faire de la recherche lorsque nous préparons un mémoire parce que chaque projet de loi est différent. L'approche doit être différente.

Les temps changent et les circonstances politiques changent. Nous devons réagir à cela. Nous avons trouvé très étrange que l'on nous téléphone à 16 h 30 pour nous demander de comparaître à17 heures le lendemain. Par conséquent, notre avocat n'est pas ici.

M. Graham: C'est malheureux, mais c'est essentiellement là le problème. Ce n'est pas qu'on ne vous a pas donné l'occasion de présenter votre mémoire. En fait, le mémoire que vous avez présenté est en grande partie identique à celui que vous avez présenté au Sénat il y a quelques semaines.

Mme Watts: À notre avis, la hâte à adopter ce projet de loi traduit un certain mépris pour les Canadiens et le processus parlementaire.

M. Graham: Mais vous avez participé au processus à plusieurs occasions auparavant.

Mme Watts: Oui.

M. Graham: Merci.

J'aimerais revenir sur la question de la possibilité que le terme «orientation sexuelle» puisse être utilisé pour justifier un comportement criminel et par conséquent empêcher qu'une personne puisse être poursuivie pour un comportement criminel et trouvée coupable.

Je sais qu'il y a de nombreux types de défense que l'on peut invoquer pour se défendre contre une accusation de la Couronne, mais est-ce que REAL Women, ou votre avocat, avec toute la recherche que vous avez faite sur la question - vous avez considérablement insisté là-dessus - a déjà trouvé un cas au Canada où un criminel ait réussi à justifier son acte criminel de façon à ne pas être trouvé coupable en invoquant d'autres motifs de non-discrimination dont il est question dans la loi, notamment la race, la religion ou tout autre motif qui est énuméré dans la loi à l'heure actuelle? Je parle d'un cas où quelqu'un aurait invoqué le code des droits de la personne.

Mme Watts: Nous sommes préoccupés face à l'avenir. Nous nous tournons vers l'avenir, et nous sommes préoccupés...

.1830

M. Graham: Je vous demande, avec toute la recherche juridique que vous avez faite au sein de votre organisme, si vous avez déjà trouvé un cas où quelqu'un avait réussi à invoquer avec succès la Loi canadienne sur les droits de la personne comme défense contre une accusation criminelle?

Mme Watts: Nous craignons que quelqu'un utilise ce terme vague pour modifier le Code criminel et faire accepter ce que l'on considère comme un acte criminel aujourd'hui, en disant qu'il s'agit tout simplement d'une autre orientation sexuelle.

M. Graham: Et vous ne craignez pas que quelqu'un puisse faire valoir le même argument en disant que sa religion accepte le cannibalisme? Avec un peu d'imagination, est-ce que vous ne pensez pas que quelqu'un pourrait invoquer une telle défense? N'est-ce pas tout aussi exagéré? Cela pourrait arriver.

Mme Watts: Je ne connais pas l'avenir. Nous sommes tout simplement préoccupés par cette question.

Une voix: Je suis un de ces cas. Je suis un de ces cas dont vous avez parlé. J'ai été acquitté d'une accusation criminelle, nommément de méfait public, en invoquant comme défense ma religion.

La présidente: S'il vous plaît.

M. Graham: Merci.

La présidente: Merci beaucoup, madame Watts. Nous vous avons alloué beaucoup plus de temps que prévu. Je vous remercie de votre participation.

Une voix: Le dernier témoin a eu 50 minutes.

La présidente: Oui, et j'ai fait remarquer au tout début que c'était une personne très spéciale et un cas particulier. C'était l'un des rares représentants du Québec, et il était important de l'entendre.

Nous allons suspendre la séance et faire une pause repas de 15 minutes. Nous avons un retard d'environ 45 minutes, et je m'en excuse auprès des témoins qui sont déjà ici. J'espère que cela ne vous dérange pas trop.

.1832

.1907

La présidente: Nous allons reprendre la séance.

Les documents que vous allez recevoir ne proviennent pas de notre prochain témoin,M. Polanyi. Je voulais tout simplement le préciser pour que vous sachiez que ce ne sont pas ces documents que nous allons suivre.

Monsieur Polanyi, nous sommes vraiment très honorés de votre présence ici.

Les membres de notre comité savent que M. Polanyi a reçu le prix Nobel, mais ceux qui nous écoutent ne le savent peut-être pas. C'est un grand honneur pour le Canada.

Nous sommes très heureux que vous ayez trouvé le temps de venir écouter et que vous ayez fait ce voyage spécial pour comparaître devant notre comité. Je vous souhaite la bienvenue, et je vous remercie de votre patience.

Avez-vous une déclaration liminaire, monsieur Polanyi?

M. John Polanyi (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup, madame la présidente.

Je pense que tout le monde autour de cette table fait preuve d'une grande patience. Vous travaillez de très longues heures, et je viens ici en tant que citoyen vous en remercier et aussi témoigner du fait que beaucoup de gens s'intéressent à ce projet de loi et, comme vous pourrez le constater dans mes observations, sont fort enthousiastes au sujet du projet de loi.

Je ne suis pas ici en tant qu'expert. Je dois vous dire que j'ai déjà participé aux débats sur les droits de la personne. Je suis membre fondateur de deux comités qui s'intéressent aux droits de la personne, et j'aimerais profiter de l'occasion pour mentionner leur existence.

Il y a d'abord le comité des droits de la personne de la Société royale du Canada, et le second est un comité de citoyens canadiens qui sont des scientifiques et des savants, et ce comité s'appelle le Comité canadien des savants et scientifiques. En fait, j'ai la liste de ses membres ici, et je suis présentement le président de ce groupe.

Il ne conviendrait peut-être pas pour moi de vous distribuer cette liste, car ces organismes, le comité de la Société royale du Canada et le Comité canadien des savants et scientifiques, se préoccupent des violations graves aux droits de la personne - emprisonnement, torture et autres horreurs du genre - mais c'est en sensibilisant les gens aux violations des droits de la personne de façon générale que nous pouvons espérer éliminer les graves violations à la source.

.1910

À ma honte, je dois dire que je n'ai jamais auparavant défendu les droits des homosexuels et des lesbiennes qui nous préoccupent tous ici dans cette salle, mais j'aimerais faire quelques observations en tant que témoin inexpert.

Tout d'abord, nous sommes tous conscients ici que les idées évoluent et que les attitudes changent, et c'est dans le contexte de cette évolution et de ce changement que se déroulent vos débats importants. Nous sommes tous impatients d'aider à orienter ce changement dans le sens d'une amélioration.

L'établissement de règles de conduite - et c'est ce qu'est la Loi canadienne sur les droits de la personne - est un pas dans cette direction. L'établissement de règles est rarement la première étape, et la mesure dont vous êtes saisis, le projet de loi C-33, arrive assez tard dans l'évolution d'attitudes plus civilisées à l'égard des droits des homosexuels et des lesbiennes.

Le projet de loi C-33, inutile de vous le dire, interdirait officiellement la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. J'ai écrit quelques questions que j'ai à l'esprit et que d'autres observateurs de ces événements ont à l'esprit.

La première qui semble être pertinente est la suivante: Quelle est l'attitude du public face à ce genre d'initiative? Ma réponse à cette question est la suivante: Qui parmi nous considérerait la discrimination à l'égard des homosexuels et des lesbiennes comme étant acceptable? Personne - ou, en fait très peu de gens, disons. Au cours des 20 dernières années, une province après l'autre, à commencer, comme nous l'avons entendu cet après-midi, par la province de Québec, a officiellement interdit une telle discrimination.

Ce que cela signifie, c'est qu'à l'heure actuelle 90 p. 100 de la population canadienne est déjà protégée contre ce genre de discrimination en ce sens que ce sont les provinces qui offrent une telle protection.

Cela m'amène à la question suivante: Quelles circonstances donquichottesques nous amènent aujourd'hui en tant que pays à débattre une question qui a déjà fait l'objet d'un débat et qui a déjà été tranchée il y a une ou deux décennies dans les diverses provinces et dans les territoires? Est-ce qu'il convient même que le gouvernement fédéral se joigne au mouvement après coup?

Tout ce que je peux dire, c'est qu'il vaut mieux qu'il se joigne au mouvement après coup que pas du tout. Les rouages de la politique ne fonctionneraient certainement pas bien si nous étions incapables de nous entendre ensemble sur une question qui a fait l'unanimité séparément.

Qu'y a-t-il à débattre? Pourquoi ne pourrions-nous pas inclure dans une loi qui exige le respect de la dignité de tous le respect à l'égard des homosexuels et des lesbiennes?

Eh bien, certains disent que la loi ne fera pas changer les mentalités. Je leur réponds qu'il faut alors laisser la loi changer les comportements et on peut s'attendre que les mentalités changeront par la suite.

Certains disent ou pensent que l'homosexualité est un choix - un choix qui, à leur avis, est contre nature. Ils diraient qu'on ne peut comparer l'homosexualité au fait d'être noir, femme ou vieux - toutes choses que les gens ne peuvent pas changer. Ceux qui disent cela - nous en avons entendu ici cet après-midi - parlent de façon irréfléchie. Être homosexuel, ce n'est pas essentiellement un choix, et ce n'est certainement pas contre nature. Et même si c'était un choix, qu'est-ce que cela pourrait bien faire?

.1915

La religion est un choix. Certaines doctrines de certaines religions nous consternent et me consternent, mais je respecte les droits des gens de choisir leur religion, et j'appuie la Loi sur les droits de la personne qui reconnaît leurs droits.

Certains pensent que l'interdiction de la discrimination fera en sorte qu'on accordera toutes sortes d'avantages, et c'est ce à quoi on a fait allusion cet après-midi - des avantages, pour être plus précis, comme l'assurance-santé, ou les pensions accordées aux couples de même sexe. Et ça pourrait être le cas. Personnellement, je pense qu'on devrait leur accorder de tels avantages, mais c'est une autre question et, si j'ai bien compris, cela relève d'autres compétences. En fait, la question de la pension est, je pense, actuellement devant les tribunaux au Québec, 20 ans après que cette province eut adopté une loi comme celle que nous sommes en train de débattre ici aujourd'hui.

À ceux qui invoquent ce genre d'argument dont je viens de parler - c'est-à-dire que le fait de protéger les homosexuels et les lesbiennes contre la discrimination pourrait avoir plus tard d'autres conséquences, je réponds que la crainte de faire une chose qui est bien parce que cela pourrait par la suite nous persuader de la sagesse d'en faire une autre n'est pas un argument valable et que c'est un obstacle dans notre évolution vers des pratiques plus civilisées, le genre même d'évolution que votre comité est censé encourager.

Je vais tenter d'être bref, alors permettez-moi de dire en terminant qu'il y a un groupe d'honnêtes gens décents que nous avons entendu cet après-midi, qui considèrent que le fait de reconnaître d'autres orientations sexuelles, d'autres styles de vie, c'est une menace pour la famille. Tout ce que je veux dire...

La présidente: Monsieur Polanyi, il y avait tout simplement une question de... vous êtes docteur en quoi?

M. Polanyi: Oui... Dans divers domaines, mais je travaille surtout dans les domaines de la chimie et de la physique, non pas en médecine.

[Français]

M. Ménard: Nous avons cru que vous étiez avocat. Imaginez à quel point vous êtes polyvalent dans votre expression.

[Traduction]

M. Polanyi: Un instant, s'il vous plaît.

M. Ménard: Nous pensons que vous êtes avocat.

M. Polanyi: Je suis sourd dans deux langues différentes, c'est pourquoi je porte ce...

Des voix: Oh, oh!

M. Polanyi: J'allais tout simplement conclure mes observations en faisant allusion à ceux qui, cet après-midi, ont dit craindre qu'en reconnaissant d'autres orientations sexuelles, nous allions créer une menace pour la famille. Tout ce que je peux dire, c'est qu'à mon avis - je pense qu'ici je parle également au nom de ma famille - c'est exactement le contraire. C'est dans la mesure où nous pouvons apprécier la valeur des différents désirs, priorités et styles de vie de chacun que nous serons en mesure d'avoir des familles heureuses. Si la famille nucléaire - dont il est question ici - tente de s'isoler de la famille humaine au sens plus général, c'est la famille nucléaire qui sera détruite. Le projet de loi à l'étude n'est pas une menace pour la famille. Il fait plutôt partie des valeurs de la plupart des familles.

.1920

Je conclurai par une seule phrase: à mon avis, ce dont il est question ici va au coeur même des préoccupations de votre comité, c'est-à-dire assurer le respect pour l'humanité qui est présente en nous tous, peu importe l'âge, la couleur, la race, la religion, le sexe ou l'orientation sexuelle. Je termine donc là-dessus. Je vous remercie, madame la présidente.

La présidente: Je vous remercie beaucoup de votre exposé.

[Français]

Monsieur Bernier.

M. Bernier: Je remercie le Dr Polanyi d'avoir accepté de venir témoigner devant notre comité. Je suis en accord sur vos propos et je m'en réjouis hautement. Il est rafraîchissant de vous entendre nous rappeler des vérités fondamentales.

Pour vous, le projet de loi qui est devant nous n'a rien à voir avec une question morale, mais constitue bel et bien une question de droit. Est-ce que je peux vous prêter cette affirmation?

[Traduction]

M. Polanyi: Ce n'est pas une question morale au sens où l'on juge le style de vie des homosexuels ou des lesbiennes. C'est une question morale pour ce qui est d'interdire que l'on exerce des représailles à leur égard ou qu'on les persécute.

[Français]

M. Bernier: Merci.

[Traduction]

La présidente: Ian.

Je voulais vous appeler Russ, mais je sais que vous n'êtes pas Russ. Je dois me réorienter.

M. McClelland: Merci beaucoup de votre excellent exposé, monsieur Polanyi. Nonobstant vos observations et celles de bon nombre des témoins que nous avons entendus hier et aujourd'hui, il y a toujours une très grande partie de la population canadienne qui se sent menacée par ce projet de loi. Peu importe que les préoccupations de ceux qui sont pour ou de ceux qui sont contre soient valables ou non. Ces préoccupations sont réelles et on doit en tenir compte.

J'ai demandé au ministre de la Justice, qui a dit que mes préoccupations n'étaient pas fondées, s'il était possible d'amender le projet de loi de façon à dissiper les craintes de ceux qui estiment que le projet de loi pourrait d'une certaine façon ouvrir les vannes à toute sorte de conséquences non intentionnelles, tout en reconnaissant que cela ne sera ne sera peut-être pas nécessaire... mais si en fait cela pouvait faire en sorte que ceux qui se sentent menacés puissent appuyer le projet de loi en raison de ses aspects positifs, c'est-à-dire qu'il empêcherait la discrimination et, ce qui est encore plus important, parce que cela unirait les Canadiens dans un but commun qui consiste à ne pas faire de discrimination à l'égard de qui que ce soit pour quelque raison que ce soit, y compris à l'égard des homosexuels, à votre avis, est-ce que cela vaudrait la peine?

.1925

Cela étant dit, le ministre de la Justice dit que ce serait une perte de temps.

M. Polanyi: Monsieur McClelland, c'est une question très générale que vous me posez. D'après ce que je connais du document, je ne sais pas comment il faudrait le modifier pour dissiper de telles craintes. Je suis habitué au fait, comme on l'a dit ici, que les gens craignent le changement et je suis donc fort impressionné par l'appui considérable au pays à l'égard de ce genre de projet de loi. Je pense que l'appui est impressionnant.

Je ne sais pas quel chiffre utiliser, mais il y a peut-être 20 p. 100 de la population qui craint que cela ait des conséquences terribles pour l'avenir du Canada. Je ne sais pas s'il est possible d'amender ce projet de loi pour dissiper leurs craintes. Je pense qu'il faut leur parler des changements qui sont survenus au fil des ans, car ce sont habituellement des gens de mon âge ou plus âgés. Ces changements de mentalité sont énormes et ils n'ont pas amené la destruction dans leur sillage.

Les changements auxquels je songe ont produit une société plus tolérante, plus modérée, plus généreuse et plus bienveillante, en reconnaissant les uns après les autres les divers droits de la personne, ce qui est loin d'accorder le droit de violer la loi ou de faire du mal aux gens.

M. McClelland: Merci beaucoup.

La présidente: Svend.

M. Robinson: Je tiens moi aussi à remercier M. Polanyi d'être venu comparaître devant le comité. C'est une personne pour qui j'ai énormément de respect.

Je tiens à dire également jusqu'à quel point il est encourageant, certainement pour moi en tant qu'homosexuel, d'entendre la sagesse et le leadership de M. Polanyi sur la question. Cela me rappelle ce qu'a dit Martin Luther King lorsqu'il a parlé de l'histoire de la lutte pour la justice et l'égalité des Noirs en Amérique. Il a dit que lorsqu'on écrira l'histoire de cette lutte, ce n'est pas la haine de nos ennemis, mais le silence de nos amis qui sera le plus frappant. Je tiens à vous remercier d'avoir aidé à briser ce silence et d'avoir parlé avec autant d'éloquence.

Mon collègue M. McClelland a parlé de la possibilité d'atténuer les craintes des gens en amendant le projet de loi. L'une des craintes dont parle M. McClelland n'en est pas une qu'il a fait lui-même valoir personnellement, je pense. C'est certainement une crainte que bon nombre de ses collègues ont fait valoir, mais il ne l'a pas fait lui-même. Il s'agit du lien entre la pédophilie et l'orientation sexuelle. Certains laissent entendre qu'à moins de définir l'orientation sexuelle, il se pourrait que cela comprenne la pédophilie. Nous avons entendu cette crainte qui a été exprimée par des témoins précédents.

Je voulais tout simplement souligner que les mots «orientation sexuelle» ne sont pas nouveaux en jurisprudence. Ces mots existent dans les lois du Québec depuis 1977. Ils existent dans d'autres pays d'Amérique, d'Europe, et ailleurs, depuis 25 ans. Jamais, ne serait-ce qu'une seule fois, où que ce soit dans le monde, a-t-on laissé entendre que l'orientation sexuelle pouvait comprendre des activités illégales, et aucun tribunal dans le monde n'a confirmé une telle chose.

Il est à mon avis ridicule de laisser entendre que nous devrions répondre à une telle crainte irrationnelle. M. McClelland et d'autres qui sont dans une position de leadership comme lui devraient plutôt dire qu'il s'agit d'un mensonge haineux. M. McClelland devrait éduquer ses collègues. M. McClelland devrait m'aider à éduquer les députés libéraux du Parlement comme Tom Wappel qui encore aujourd'hui a distribué des documents haineux dans lequel on établissait ce même lien.

.1930

Je suis donc heureux et honoré que vous soyez ici devant notre comité pour aider à éclairer non seulement les députés membres de notre comité mais également le public à cet égard.

Ma seule question concerne la famille. Encore une fois, on laisse entendre que nous devrions peut-être dire clairement que nous parlons, comme certains témoins l'ont dit, de la «famille traditionnelle». Je ne suis pas certain de ce que signifie l'expression «la famille traditionnelle».

La famille qui est sans doute la plus connue au monde est celle de Matthew et Marilla Cuthbert. Eh bien, ils étaient frère et soeur. Ils ne se sont jamais mariés. Ils ont adopté un enfant qui s'appelait Anne - Anne Shirley. Anne Shirley est en fait également connue sous le nom d'Anne des Pignons verts. C'est sans doute la famille canadienne la plus connue dans le monde.

Ce qui est assez intéressant, c'est que le frère, Matthew, est décédé. Après son décès, l'amie de Marilla, Rachel, est venue vivre avec la famille et elles ont adopté des jumeaux. C'était une famille affectueuse, généreuse, engagée. Ce n'était pas une famille selon la définition de certaines personnes, mais je dirais que c'est l'une des familles qui devrait être reconnue dans la société canadienne.

J'ai bien aimé vos dernières remarques à ce sujet et peut-être pourriez-vous donner suite à ce qu'on vient de dire sur la nécessité de célébrer la diversité des familles au Canada plutôt que de la considérer comme une menace.

M. Polanyi: J'apprécie certainement les changements bénéfiques que j'ai connus dans ma vie, non seulement au niveau des droits de la personne, mais aussi pour ce qui est de nouer des liens avec des gens d'autres pays, et ainsi de suite. Je suis de la mentalité qui chérit ce genre de choses.

En ce qui concerne la famille, j'ai assisté à de nombreux changements au cours de ma vie. Je ne pourrais répéter mot pour mot votre définition de la famille, mais vous l'avez très bien exprimée.

C'est une définition que les gens en général accepteront, parce qu'il n'est plus nécessaire de faire bénir les partenaires du foyer par une église ou un tribunal si leur volonté de s'engager est sincère. On le reconnaît non seulement dans le langage courant, mais aussi dans la loi, pour autant que je sache. Ce qu'on appelle l'union de fait figure maintenant sur la formule de déclaration de revenus aux fins d'impôt. C'est tout un progrès, et on ne peut arrêter le progrès; cela m'amène à répondre à votre autre remarque.

Sans vouloir lire dans vos pensées, je crois pouvoir dire que je suis tout aussi perplexe que vous devant la crainte que suscite chez certaines gens un projet de loi très civilisé, très opportun, qu'on attendait depuis longtemps et dont nous sommes ici pour discuter. Certains croient que, dès qu'il sera adopté, le monde perdra tout bon sens et deviendra fou. Si tous les projets de loi étaient examinés sous cet angle, si chaque mot en était scruté à la loupe pour déceler toute possibilité de déformation ou d'abus, il vaudrait mieux ne pas légiférer du tout. En fait, plus personne ne pourrait ouvrir la bouche. Il ne faut pas s'arrêter à cela.

M. Robinson: Merci.

La présidente: Merci.

Russell MacLellan, suivi de Jean; cela mettra fin à la séance.

M. MacLellan: Merci beaucoup, madame la présidente.

Je vous souhaite la bienvenue, messieurs. Merci d'être venus ce soir.

Bon nombre de gais et de lesbiennes sont considérés comme des membres précieux et brillants de la communauté scientifique. Heureusement, laissée à elle-même, la communauté scientifique ne s'adonne pas à la discrimination; toutefois, de temps à autre, dans l'administration et dans certains organismes, il existe des pratiques discriminatoires. Connaissez-vous des cas de scientifiques des plus compétents qui ont fait l'objet de discrimination en raison de leur orientation sexuelle?

.1935

M. Polanyi: Mon expérience scientifique se limite aux laboratoires universitaires où ce type de discrimination est inexistante, du moins depuis quelques dizaines d'années. J'imagine que c'était courant à l'époque de mon père. J'estime que nous avons réalisé d'énormes progrès en très peu de temps et que nous pourrons aller encore plus loin à l'avenir.

M. MacLellan: Merci.

La présidente: Merci. Jean Augustine, vous avez la parole.

M. Robinson: Madame la présidente, si je peux me permettre une brève intervention...M. MacLellan vient de poser une question sur les scientifiques. Je tiens à signaler que Alan Turing, l'un des physiciens les plus doués, celui qui a déchiffré le code allemand pendant la Seconde Guerre mondiale, a fini par se suicider au milieu des années 50 en raison de la discrimination qu'il a dû subir dans son propre pays à titre d'homme gai.

La présidente: Merci.

M. Polanyi: Madame la présidente, j'aurais dû vous en parler, parce que Alan Turing a été l'un de mes bons amis. J'aurais dû penser à lui.

La présidente: Merci beaucoup. Jean.

Mme Augustine: Madame la présidente, vous savez que je jongle avec toutes sortes de considérations depuis le début de notre séance; j'ai écouté attentivement les arguments qui ont été avancés par les différents témoins. Mais je suis maintenant certaine d'une chose... et je tiens à souhaiter la bienvenue au Dr Polanyi et à le remercier d'être là. C'est l'un des esprits les plus brillants du Canada.

Vous avez été précédé par d'autres éminents Canadiens, et nous avons discuté de droits de la personne et de nos engagements à l'échelle du pays. Nous avons signé de nombreux traités internationaux. Nous avons aussi abordé la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que la Loi canadienne sur les droits de la personne qui vise à amender le projet de loi dont nous sommes saisis.

L'argument m'apparaît clair. Lorsque je lis le projet de loi, il me semble évident qu'on parle de discrimination. Il a été prouvé que des personnes font l'objet de discrimination en raison de leur orientation sexuelle. Des sondages récents montrent que la majorité des Canadiens ne tolèrent pas et ne toléreront pas ou n'appuieront pas des changements qui permettraient la discrimination pour quelque motif que ce soit. C'est ce qu'on fait valoir d'une part.

D'autre part, d'aucuns estiment que ce projet de loi ne porte pas tant sur la Loi sur les droits de la personne que sur la moralité et la religion. Il me semble que cela... Après avoir examiné le projet de loi et écouté la discussion que nous avons eue aujourd'hui, je vois mal comment on pourrait prétendre que le projet de loi entraînera l'octroi de droits particuliers aux gais et aux lesbiennes.

Nous avons aussi un document de travail ou cahier d'information contenant des questions et des réponses. Le ministre est venu témoigner hier; il nous a garanti qu'il n'y aurait pas de changements aux lois fédérales découlant de la modification de la Loi sur les droits de la personne. Dans le document, les questions sont posées de façon très explicite; on demande si ce projet de loi conférera des droits spéciaux, et la réponse est non. Cette modification n'entraînera-t-elle pas l'octroi d'avantages aux partenaires de même sexe? La réponse est encore non. Ce cahier d'information décrit très clairement l'intention du législateur dans cette mesure législative.

Il me semble donc qu'une bonne part de la discussion... et lorsque vous vous demandez de quoi on débat, je suis d'accord avec vous. C'est aussi la question que je me pose comme membre de ce comité. Quel est le sujet du débat? De mon point de vue, ce n'est qu'une modification à la Loi sur les droits de la personne.

M. Polanyi: J'ai dit en passant que, lorsque les gens affirment que des changements modestes et civilisés dans notre façon de penser et notre comportement pourraient mener à d'autres mesures, on peut concevoir que c'est possible, mais chacune de ces mesures sera débattue par les citoyens, les gouvernements, les législateurs, etc.

.1940

Par conséquent, refuser d'adopter cette mesure qui est tout à fait indiquée sous prétexte que cela pourrait nous inciter à prendre plus tard d'autres mesures n'est qu'une preuve de lâcheté. Je suis prêt à reconnaître que d'autres changements pourraient découler de celui-ci, mais nous en garderons le contrôle. C'est en agissant que l'on peut apprendre et grandir.

Nous ne pouvons refuser d'agir simplement parce que ça pourrait nous mener à voir le monde autrement et à prendre d'autres mesures.

Mme Augustine: Si je peux me le permettre, j'aimerais terminer en faisant une brève observation.

La présidente: Une seule, je vous prie.

Mme Augustine: J'ai participé à plusieurs discussions et débats sur les mesures que nous tenons maintenant pour acquises. En 1977, il y a eu un débat sur le libellé de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je me souviens de toute la discussion sur l'article 15 de la Charte des droits et libertés, en 1982. Je me souviens aussi de tout le débat qui a commencé en 1986 et qui se poursuit encore concernant l'équité en matière d'emploi et la Loi sur le multiculturalisme.

Au bout du compte, les Canadiens ont fait ce qu'ils devaient faire. Ces lois sont maintenant la fierté de notre pays et de notre nation. J'espère qu'à la fin de ce débat-ci, les Canadiens estimeront que leur pays s'en porte mieux.

La présidente: Merci beaucoup.

Docteur Polanyi, je vous remercie beaucoup d'être venu témoigner et d'avoir contribué à nos travaux sur ce changement à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

M. Polanyi: Merci de m'avoir invité.

La présidente: J'invite maintenant les représentants de la Evangelical Fellowship of Canada à bien vouloir prendre place. Je souhaite la bienvenue à monsieur Bruce Clemenger, à madame Danielle Shaw et à monsieur Robert Nadeau. Merci de votre patience.

M. Bruce Clemenger (directeur, Affaires nationales, Evangelical Fellowship of Canada): Merci de votre patience à vous.

C'est tout un défi à relever que de témoigner après quelqu'un de l'envergure de M. Polanyi. Notre approche sera quelque peu différente de la sienne.

La Evangelical Fellowship of Canada est une association nationale d'évangélistes protestants. Nous comptons parmi nos membres 28 groupes et églises individuelles, des organisations confessionnelles et des particuliers. La Evangelical Fellowship a été fondée en 1964. Un de nos objectifs est de représenter les membres auprès du Parlement, des tribunaux et d'autres organismes gouvernementaux.

Nous faisons la promotion de la valeur et de la dignité de chaque être humain. Nous avons tous été créés à l'image de Dieu. Nous croyons aussi que le mariage entre un homme et une femme est la seule forme acceptable d'intimité sexuelle. Par conséquent, les membres de notre association estiment que l'homosexualité est mal. Toutefois, nous estimons aussi que personne ne devrait faire l'objet de discrimination arbitraire en raison de caractéristiques personnelles sans pertinence.

Nous craignons que cette modification à la loi ne fasse pas que protéger certains membres de notre société contre la discrimination dans les domaines de l'emploi et de la prestation de services gouvernementaux. Nous craignons que cette modification mène à la redéfinition de certains termes, tels que «état matrimonial» et «situation de famille» contenus dans la loi, et des termes tels que «conjoint» contenus dans d'autres lois fédérales.

Mme Danielle Shaw (Evangelical Fellowship of Canada): Lorsque la cour d'appel de l'Ontario a rendu la décision Haig en 1992, elle avait dû se pencher sur une question délicate: devrait-on accorder aux gays et aux lesbiennes un recours lorsqu'on leur refuse l'accès à un emploi, à l'avancement et à la formation professionnelle alors que le Parlement, lui, n'a pas encore accordé de recours de ce genre? Le tribunal a répondu à cette question. Il a répondu par l'affirmative et, en conséquence, le motif de l'orientation sexuelle a été ajouté à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

L'arrêt Haig pose toutefois un problème, en ce sens qu'il n'établit pas les paramètres du droit à l'égalité conféré par la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Commission canadienne des droits de la personne estime donc que de ne pas accorder aux conjoints de même sexe les mêmes avantages matrimoniaux constituerait une forme de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

.1945

Jusqu'à présent, les tribunaux canadiens ont confirmé le droit du législateur d'exclure les couples de même sexe de la définition de «conjoint» contenue dans la législation fédérale et des programmes d'avantages sociaux. La Cour suprême du Canada a jugé à la majorité, dans l'affaire Egan, que l'exclusion des couples de même sexe de la définition prévue par la Loi sur la sécurité de la vieillesse ne violait pas la Charte des droits et liberté.

M. Clemenger: La Loi canadienne sur les droits de la personne s'applique à toute loi relevant de la compétence législative du Parlement. Elle s'applique donc autant aux activités gouvernementales que privées. Voici comment la Cour suprême du Canada a décrit la Loi sur les droits de la personne:

Compte tenu de la nature quasi constitutionnelle de la Loi canadienne sur les droits de la personne, les conséquences possibles de toute modification à cette loi doivent être pesées attentivement. Ainsi, La Loi canadienne sur les droits de la personne s'applique aux communications téléphoniques incitant à la haine ou au mépris. La loi ne définit pas le concept du mépris; toutefois, les tribunaux l'ont interprété comme décrivant un processus mental selon lequel l'autre est considéré comme étant inférieur.

Nous vous demandons: «Est-ce qu'une personne religieuse ou toute autre personne motivée par sa conscience morale qui, en raison de ses croyances ou de sa conscience, maintient publiquement que l'homosexualité est péché se rendrait coupable d'incitation au mépris pour les homosexuels?» Comment peut-on concilier la liberté de conscience et de religion de ceux qui s'opposent moralement au mode de vie homosexuel avec le souhait des homosexuels de ne pas faire l'objet de mépris en raison de leur style de vie?

La complexité de la loi transparaissait dans le projet de loi C-108, les modifications à la loi proposées par l'honorable Kim Campbell, alors ministre de la Justice, en 1992. Lorsqu'elle a proposé l'inclusion de l'orientation sexuelle dans la loi, la ministre de la Justice a reconnu qu'il faudrait confirmer que les unions étaient formées de conjoints de sexe opposé. Elle avait aussi prévu des exemptions pour le recrutement par des organisations religieuses et prévu des limites semblables à celles prévues à l'article 1 de la Charte.

Le projet de loi C-33 modifiera simplement la Loi canadienne sur les droits de la personne par l'adjonction de deux mots - «Orientation sexuelle» aux articles 2 et 3, sans qu'il y ait d'amendement corrélatif qui protégerait la société contre des conséquences sociales indésirables.

Mme Shaw: L'EFC craint qu'une modification officielle à la loi ne mène de facto à une redéfinition des termes «état matrimonial» et «situation de famille» contenue dans la loi. Au cours des dernières années, deux ministres de la Justice et le président de la Commission canadienne des droits de la personne ont interprété différemment les effets de ce changement.

L'EFC a toujours été d'avis que si l'on ne décrit pas et ne limite pas explicitement la portée de cette modification, elle pourrait résulter en une redéfinition des termes «état matrimonial», «situation de famille» et «conjoint» de la loi. Nous nous opposons fermement à toute violation semblable du caractère sacré du mariage et de l'état matrimonial.

Dans l'affaire Mossop, la Cour suprême du Canada a jugé que l'exclusion de l'orientation sexuelle des motifs de discrimination prouvait que le gouvernement n'avait pas l'intention d'accorder aux couples de même sexe le statut de famille. Toutefois, le tribunal a aussi déclaré que, si le motif de l'orientation sexuelle avait été ajouté à la loi, comme l'a été le motif de la situation familiale dans les années 80, le résultat aurait pu être tout autre.

Après l'inclusion de l'orientation sexuelle au Code des droits de la personne de l'Ontario, une commission d'enquête de l'Ontario a jugé, dans l'affaire Leshner c. la Couronne (Ontario) (1992), qu'en définissant la famille comme étant constituée de deux conjoints de sexe opposé, le Code des droits de la personne était discriminatoire.

Nous nous demandons donc si on n'en viendra pas à la même conclusion par suite de l'adoption de cette modification à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Si l'orientation sexuelle est incluse à la loi, elle doit s'accompagner d'une définition de l'état matrimonial et de la situation familiale fondée sur la présence de conjoints de sexe opposé afin que l'intention du Parlement soit bien claire. La modification devrait aussi contenir une disposition semblable à l'article 1 de la Charte afin que les objectifs politiques du Parlement ne soient pas minés.

Dans l'arrêt Egan c. le Canada, le juge Sopinka a déclaré ceci:

L'article 1 de la Charte prévoit des freins et des contrepoids pour les cas où il y a conflit entre les différents intérêts de la société, contrairement à la Loi sur les droits de la personne. Lorsque la Commission canadienne des droits de la personne juge une pratique discriminatoire aux termes de la loi, rien ne permet de déterminer les objectifs politiques qui sous-tendent cette loi.

.1950

M. Clemenger: Nous craignons que la modification à la loi entraîne sinon expressément, du moins de facto, une redéfinition du concept de conjoint et l'octroi d'avantages aux couples constitués de conjoints de même sexe. Le ministre de la Justice Allan Rock a déclaré que cela ne se produira pas. La question des avantages est une question distincte qui fait déjà l'objet de contestations aux termes de la Charte.

Toutefois, le président de la Commission canadienne des droits de la personne a déclaré ceci:

Si le président de la Commission des droits de la personne, l'organisme à qui on a confié l'administration de la loi, estime que cette modification à la loi canadienne sur les droits de la personne signifie qu'on pourra accorder des avantages sociaux aux conjoints de même sexe, comment le ministre de la Justice peut-il être convaincu que son projet de loi n'aura pas cet effet?

Si des gens ayant noué d'autres sortes de relations devaient se faire accorder des avantages, le Parlement devrait se pencher sur cette question. Nous estimons que la redéfinition des concepts de conjoints, d'état matrimonial et de situation familiale n'est pas la bonne façon d'accorder les avantages à ces personnes se trouvant dans d'autres genres de relations.

Mme Shaw: Nous sommes d'avis que l'inclusion de l'orientation sexuelle dans la loi sur les droits de la personnes et dans la législation fédérale en général menace la définition du mariage. On a déjà remis en question la constitutionnalité de la définition du mariage. Compte tenu de la portée de la loi, avec l'inclusion de l'orientation sexuelle, il sera encore plus difficile de s'en tenir à la définition actuelle du mariage prévu par la common law.

La définition du mariage et du conjoint fondée sur l'opposition des sexes reflète une tradition de longue date de la common law canadienne et anglaise et du droit européen qui limitent le statut matrimonial et de conjoints aux membres de couples hétérosexuels. Cette définition est aussi conforme à la définition du terme «conjoint» qu'on retrouve dans plus de 50 lois fédérales et dans des centaines de lois provinciales au pays. Toute modification législative qui toucherait cette définition ne doit pas être prise à la légère mais plutôt avec la plus grande prudence.

M. Clemenger: Nous craignons aussi que le refus de définir le terme «orientation sexuelle» ait des résultats imprévus tant au niveau des groupes que des activités qui seront protégées par cette définition. Les définitions qui ont été offertes sont plutôt troublantes et indiquent bien la complexité du problème.

Dans une lettre à l'EFC, je ministre de la justice Allan Rock a déclaré ceci:

Or, en mai 1995, un des trois juges de la Cour d'appel de l'Ontario a jugé que l'interdiction qui frappe les relations anales entre mineurs équivaut à un demi de leur expression sexuelle. En assimilant l'expression sexuelle à l'orientation sexuelle, les tribunaux ont ainsi légalisé un comportement sexuel qui, auparavant, enfreignait le Code criminel.

Qu'est-ce qui est protégé par l'orientation sexuelle? Est-ce les tempéraments ou l'inclination de chacun ou toutes formes d'expression découlant du tempérament ou de l'inclination de chacun? S'il s'agit d'expression, cela comprend-il tout comportement ou style de vie? Est-ce cela le genre de protection qu'on envisageait lorsqu'on a dressé la liste des motifs de la Charte et des Codes des droits de la personne? La Charte et les Codes des droits de la personne visent à protéger les gens contre tout traitement injuste en raison de ce qu'ils sont plutôt que de ce qu'ils font. Avec une définition juridique précise de l'orientation sexuelle, on éviterait les contestations judiciaires qui pourraient découler d'une définition plus vague du terme que ce dont le législateur avait l'intention.

Mme Shaw: L'EFC sait qu'il existe différents genres de relations qui ne sont pas actuellement reconnus par les lois fédérales et les programmes d'avantages sociaux. Pour éliminer certaines injustices des programmes d'avantages sociaux, et en l'absence d'autres catégories, on a élargi les catégories existantes telles celles de l'état matrimonial et du conjoint.

Le mariage et la famille se sont vu accorder un statut particulier qui prévoit des responsabilités, des privilèges et des avantages en raison du fait que le mariage et la famille offrent aux hommes et aux femmes une relation stable et fondée sur un engagement dans le cadre de laquelle ils peuvent faire des enfants, les élever et les aimer. En modifiant la loi canadienne sur les droits de la personne avant d'avoir mené un examen exhaustif de tous les régimes actuels d'avantages sociaux et des relations dont dépendent les personnes à charge et sans avoir prévu les définitions qui s'imposent, on pourrait très bien, ultimement, redéfinir les concepts de conjoint et de mariage.

L'EFC réclame qu'on définisse clairement l'état matrimonial en fonction des relations hétérosexuelles seulement; qu'on prévoie des exemptions pour les organisations religieuses qui pourraient être touchées par la loi canadienne sur les droits de la personne; qu'on limite les droits à l'égalité comme dans la Charte, et qu'on définisse précisément l'orientation sexuelle. Sinon, ce sera pour le Parlement un refus d'assumer ses responsabilités en évitant de répondre aux questions les plus délicates et en laissant aux tribunaux le soin d'établir ses politiques.

.1955

M. Robert Nadeau (Evangelical Fellowship of Canada): J'aimerais ajouter une chose. Nous vous présenterons des mémoires exhaustifs qui vous permettront de mieux suivre notre argumentation. Mais je crois pouvoir résumer notre position fondamentale en 30 secondes.

Nous nous opposons à la discrimination contre les homosexuels en matière d'emploi et de prestations de biens et de services, des domaines où l'orientation sexuelle n'est pas pertinente. Nous ne croyons pas que les homosexuels devraient être relégués à l'arrière boutique. Nous ne sommes pas ici pour nous opposer à la modification proposée.

Nous sommes ici pour vous dire qu'il faut prévoir des mesures de protection contre les conséquences indésirables de l'utilisation par les tribunaux d'un terme mal défini pour redéfinir l'état matrimonial, la situation de famille et le statut de conjoint.

Nous vous avons cité des cas où cela s'est déjà fait. Dans les provinces, cela s'est fait. Le terme «orientation sexuelle» a été ajouté au Code des droits de la personne de l'Ontario il y a environ10 ans.

À l'époque, la Evangelical Fellowship of Canada avait fait valoir que cela pourrait mener à l'adoption d'enfants par des couples homosexuels et à l'enseignement de l'homosexualité et de modes de vie de ce genre dans les écoles. On nous a dit à l'époque que nous exagérions et que cela ne se produirait jamais.

L'histoire nous a donné raison: c'est précisément ce qui s'est passé. La Cour suprême du Canada même, dans l'affaire Mossop, a jugé que, si l'orientation sexuelle avait été incluse dans la Loi sur les droits de la personne au moment où elle a entendu la cause Mossop, elle aurait rendu une toute autre décision. Si vous lisez le jugement du juge en chef Lamer, vous verrez qu'il laisse entendre qu'il aurait rendu un tout autre jugement, et qu'il aurait jugé que les familles comprennent les couples homosexuels.

Nous vous exhortons donc à adopter de bonnes modifications. Si le gouvernement n'a pas menti lorsqu'il a dit que son intention était seulement de protéger les homosexuels contre la discrimination, que risque-t-il à définir plus précisément l'état matrimonial, l'état de conjoint et le mariage dans cette loi? Il apaiserait ainsi de nombreux Canadiens qui craignent que ce projet de loi n'aille trop loin.

La présidente: Merci, monsieur Nadeau.

Monsieur Ménard.

[Français]

M. Ménard: Nous sommes en présence de deux avocats. Vous avez des préoccupations quant à la portée réelle de la loi que nous étudions en comité.

Vous avez commencé votre exposé en disant que les pratiques homosexuelles était néfastes. Vous craignez que l'un ou l'autre des tribunaux de ce pays institutionnalise et reconnaisse un mode de vie que vous qualifiez d'alternatif.

C'est dur pour nous, parlementaires, qui avons à coeur de nous assurer qu'aucune pratique discriminatoire ne survivra à ce changement de siècle, parce que c'est de ça que nous parlons.

Avant d'aborder les points techniques juridiques, j'aimerais vous demander sur quoi vous vous basez pour dire que l'homosexualité est une pratique néfaste. Sur vos connaissances? Sur vos relations antérieures à titre individuel? Sur des fantasmes refoulés?

Votre déclaration devant notre comité ne relève pas du droit ni de la loi, mais bien de l'appréciation morale. J'aimerais qu'à partir de votre expérience personnelle, de vos contacts ou de vos fantasmes, vous nous disiez pourquoi l'homosexualité n'est pas une pratique acceptable.

.2000

[Traduction]

M. Nadeau: Même si je suis avocat, je vais tenter de répondre à votre question, si je peux me le permettre. La Evangelical Fellowship of Canada est une association représentant 29 groupes évangéliques protestants. Ces groupes et organisations religieux chrétiens représentent près de deux millions de Canadiens.

Il y a 29 groupes et bon nombre d'églises. Les églises évangéliques du pays ont adopté des préceptes moraux qui prévoient entre autres que l'homosexualité est mal. Toutefois, je vous signale si je peux me le permettre que cette remarque ne fait que deux lignes sur les 600 lignes de notre exposé. Nous avons cru plus que raisonnable de vous dire que nous représentons des organisations et groupes religieux.

Vous serez certainement d'accord avec moi pour dire que, dans une société pluraliste et dans une démocratie constitutionnelle, toutes sortes d'associations représentent différentes perspectives, différents systèmes de valeur et différentes visions du monde. Nous représentons près de deux millions de Canadiens qui sont membres d'églises qui estiment que l'homosexualité est mal.

Mais ce n'est pas ce sur quoi devrait porter notre discussion. Nous ne sommes pas ici pour prêcher au sujet de la moralité de l'homosexualité. Nous sommes ici pour vous dire que, du point de vue de l'intérêt public, ce projet de loi nous préoccupe, même si nos croyances religieuses ou celles de ceux que nous représentons font que nous croyons que l'homosexualité est mal. Cette croyance ne s'inscrit pas dans le vide, elle est fondée sur les enseignements historiques de l'église chrétienne qui remontent à des centaines d'années.

Mais ce n'est pas pour cela que nous sommes ici. Vous faites partie de l'organe législatif. Voilà pourquoi nous avons consacré 99 p. 100 de notre déclaration à...

[Français]

M. Ménard: Votre conclusion est erronée parce que votre prémisse est fausse. Vous ne pouvez pas nous dire au départ, pour apprécier une loi comme celle-là, que l'homosexualité est quelque chose de néfaste.

Vous ne pouvez dans un même temps dire que l'homosexualité est néfaste et souhaiter qu'il n'y ait pas de discrimination sur cette base-là, ou bien les mots n'ont pas de sens. Cependant, je respecte votre opinion.

Comment réagiriez-vous si je vous disais que la religion est perverse? On part d'un terme générique, l'homosexualité ou la religion, et on dit que c'est pervers. Je peux vous dire que je n'ai pas la même religion que vous. Je peux vous dire ce qu'est pour moi, la religion, c'est quelqu'un qui croit à des mystères, quelqu'un qui voit des problèmes là où il y a des mystères, quelqu'un de superstitieux.

Dans ma religion, il y a des principes moraux dont nous ne discuterons pas ici. Je suis d'accord avec vous. Nous sommes des législateurs. Nous voulons mettre fin à des pratiques discriminatoires. Chacun d'entre nous a des exemples de gens qui, parce qu'ils se définissent homosexuels ou qu'ils ont, selon un rapport d'extériorité, l'air homosexuel, vivent des pratiques discriminatoires.

Vous vous présentez devant nous aujourd'hui en disant que vous êtes contre la discrimination C'est tout à votre honneur. Alors, pourquoi ne pas admettre que l'homosexualité peut être un mode de vie librement consenti? Le ministre de la Justice se lève en Chambre et dit: «Je suis marié depuis 13 ans, je suis content d'être marié et je suis hétérosexuel», mais ce projet de loi qu'il présente en tant qu'hétérosexuel, en tant que ministre qui a une voix publique, ne va pas l'empêcher de vivre son hétérosexualité.

Pourquoi ne pourrait-on pas admettre, dans ces pays, qu'il peut y avoir une communauté homosexuelle bien dans sa peau, qui accepte de vivre son homosexualité et que l'on retrouve dans différents secteurs de la société, et une communauté hétérosexuelle qui a le droit de vivre différentes manifestations dans la façon dont elle envisage de fonder une famille?

Pourquoi faudrait-il que, dans votre prémisse, l'homosexualité soit quelque chose de néfaste? Vous est-il déjà arrivé de rencontrer dans votre parcours de vie des homosexuels qui soient heureux, bien dans leur peau et contents d'être engagés dans l'un ou l'autre des secteurs d'activité?

[Traduction]

M. Nadeau: Puisque vous nous demandez pourquoi nous estimions que l'homosexualité est mal, je vous répondrai en bref que...

Si vous le permettez, j'aimerais passer à autre chose, car ce n'est pas l'objet de notre exposé. La raison en est simple. Il s'agit de l'enseignement moral de notre Église, de la foi chrétienne. C'est l'enseignement moral traditionnel, classique et orthodoxe de l'Église.

.2005

Nous ne sommes pas ici pour parler de théologie. Nous sommes ici pour parler de nos lois et de la discrimination. L'Église chrétienne affirme la dignité et l'humanité de tous les êtres humains.

[Français]

M. Ménard: Donc, nous allons discuter de la loi. Sauf le respect que je vous dois, c'est un peu court comme argument, mais je respecte le fait que vous ne vouliez pas en discuter avec nous.

En 1992, dans l'Armée canadienne, un officier a dit à son supérieur qu'il était homosexuel. Ce supérieur l'a congédié. L'officier en question, M. Haig, a voulu déposer une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne, plainte qui a été jugée irrecevable. La Commission canadienne des droits de la personne, en 1992, a conseillé à cet officier qui avait été congédié des Forces armées canadiennes parce qu'il était homosexuel d'en appeler devant un tribunal de droit commun.

Vous êtes avocat et vous saisissez la différence entre les tribunaux administratifs et les tribunaux de droit commun. Cela s'est rendu jusqu'à la Cour d'appel de l'Ontario. Cette dernière a dit qu'en vertu de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, l'article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne était déclaré inconstitutionnel parce qu'il n'assurait pas aux homosexuels l'égalité de traitement. C'est la généalogie de l'affaire Haig.

Croyez-vous que nous devons avoir dans la Charte des dispositions prévoyant l'égalité de traitement pour tous?

[Traduction]

M. Clemenger: Oui, nous sommes convaincus qu'il faut prévoir dans la loi certaines garanties de traitement équitable.

Voici un autre exemple. En Alberta, un moniteur de laboratoire qui ne cachait pas son homosexualité a perdu le poste qu'il occupait dans une école des beaux-arts libérale chrétienne. Il s'agit de l'affaire Vriend.

Ce monsieur a alors pensé qu'il faisait l'objet de discrimination en raison de son orientation sexuelle. Il a essayé d'interjeter appel auprès des commissions des droits de la personne. L'orientation sexuelle n'était pas prévue dans la loi sur la protection des droits de la personne, il a donc porté plainte devant un tribunal. Au tribunal de première instance, le juge Russell a estimé que cette loi était discriminatoire du fait qu'elle ne prévoyait pas l'orientation sexuelle et la Cour d'appel de l'Alberta a renversé cette décision.

Pour revenir à ce que nous disions plus tôt, vous avez soulevé le cas de Haig; nous de notre côté invoquons l'affaire Vriend. Comment peut-on protéger des personnes contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, tout en permettant à un établissement chrétien, disons, qui épouse des valeurs morales bien précises en matière d'homosexualité, de conserver son intégrité dans ses méthodes de recrutement? C'est sur ce plan que nous essayons de trouver un juste équilibre.

M. McClelland: Je vous remercie de votre excellent exposé. La journée a été longue mais votre témoignage est très précieux.

J'ai trois questions à vous poser. Si vous le permettez, je vais les poser en même temps et vous y répondrez comme bon vous semble.

À l'origine de cette mesure se trouve la prévention de la discrimination. Tout le monde ou presque s'entend à dire que le gouvernement fédéral risque de donner son aval à l'homosexualité, ce qui n'est peut-être pas prévu au départ, mais parallèlement, il faut affirmer la dignité de tous sans porter de jugement moral. C'est parce que nous parlons de loi par opposition à la religion. Il faut toutefois être conscients des deux éléments de l'équation.

Je sais que c'est difficile, que tout le monde est fatigué et commence à perdre patience. Toutefois, j'aimerais que vous répondiez à une question pour moi.

Si les gens naissent... On ne se réveille pas un beau matin en se disant que l'on va être homosexuel; on naît homosexuel ou lesbienne. Si l'on est ainsi dès la naissance, comment peut-on, même sous prétexte de principes moraux, justifier le fait que ces personnes soient traitées différemment des autres?

En second lieu, si les amendements dont vous avez parlé étaient apportés à ce projet de loi, l'appuieriez-vous afin d'éviter toute discrimination, laquelle existe et nous le savons? En tout cas moi j'en suis conscient et la grande majorité des Canadiens sont du même avis. La preuve en est irréfutable.

.2010

Voici ma troisième question. Un regroupement d'Églises chrétiennes dans la région de Toronto a vu le jour dernièrement. Selon un article paru sous la rubrique de la morale dans The Ottawa Citizen dernièrement, afin de combler en partie cette lacune, on pourrait utiliser l'expression «partenariat domestique enregistré» pour reconnaître la situation de deux personnes qui vivent ensemble. On ne tiendrait plus du tout de compte du sexe. Tous les couples vivant sous le même toit - dont les relations sexuelles ne nous concernent pas - en vertu d'une entente contractuelle seraient reconnus officiellement.

J'ai posé beaucoup de questions différentes. Madame la présidente, je compte sur votre indulgence pour permettre aux témoins d'y répondre.

La présidente: Nous ferons preuve d'indulgence à condition que les réponses soient un peu plus courtes.

M. Clemenger: En ce qui concerne l'idée du partenariat domestique enregistré, je dois avouer qu'au moins une des Églises membres de notre groupe a appuyé ce principe dans une certaine mesure. C'est pourquoi, dans nos commentaires et dans notre mémoire, comme vous pourrez le voir, nous rappelons que bon nombre de gens soutiennent qu'il existe d'autres types de relations qui méritent la même protection et qu'il ne faudrait peut-être pas les définir en fonction de l'activité sexuelle proprement dite, mais plutôt d'une dépendance réciproque, d'un serment, d'une dépendance économique et autre chose du même genre.

Au sein de notre confrérie, cette question a été largement débattue. Nos membres ne s'entendent pas sur la question de savoir si les mêmes avantages doivent être accordés ou non aux autres sortes de couples.

Certains soutiennent qu'ils doivent avoir droit à quelques avantages. D'autres par contre estiment qu'il faut les traiter entièrement sur un pied d'égalité, mais en utilisant une autre définition.

Nous aimerions nous pencher davantage sur ces possibilités. Nous remarquons que le ministre de la Justice, il y a au moins un an et demi, a dit que c'était une possibilité et a promis de tenir des consultations à ce sujet. Dans les lettres que nous lui avons adressées, nous lui disons que ces consultations doivent avoir lieu au préalable et c'est également ce que nous vous demandons instamment de faire.

Si l'on peut s'entendre pour créer une autre catégorie sous la désignation «partenaire» ou «ménage enregistré» qui aurait droit à certains avantages ou une certaine protection, il faut le décider en premier lieu et inclure ensuite cette nouvelle catégorie dans la Loi canadienne des droits de la personne de façon à ne plus insister uniquement sur l'état civil, la situation familiale ou le conjoint.

La présidente: Veuillez m'excuser. J'aimerais obtenir une explication. Autrement dit, si ces pondérations ne sont pas prises en compte, vous allez jusqu'à dire qu'il ne faut accorder aucune protection des droits de la personne ou contre la discrimination tant que vous n'aurez pas obtenu tous les autres éléments. Est-ce bien ce que vous venez de nous dire?

M. Nadeau: Non. Ce que nous disons, c'est que nous sommes d'accord avec le ministre de la Justice sur ce point. Le projet de loi traite précisément de la discrimination dans l'emploi, ou dans la fourniture de biens et services. Nous ne contestons pas cela.

La présidente: Acceptez-vous le principe?

M. Nadeau: Nous acceptons...

La présidente: Je vous ai posé une question. Acceptez-vous ce principe?

M. Nadeau: Oui, nous acceptons ce principe avec une réserve toutefois, ce qui m'apparaît tout à fait normal.

La présidente: C'est pourquoi je vous ai posé cette question.

M. Nadeau: Très bien.

La présidente: C'est uniquement sous certaines réserves. Autrement dit, vous êtes disposés à faire preuve de discrimination si aucune de ces réserves n'est prise en compte. C'est bien ce que vous avez dit?

M. Nadeau: Non, je regrette.

La présidente: Que voulez-vous dire exactement?

M. Nadeau: Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Je vais essayer de répéter. C'est sans doute de ma faute. La journée a été longue. Je vais essayer d'être un peu plus clair.

Ce que nous disons, c'est qu'il nous est possible d'appuyer ce projet de loi car nous approuvons le principe de la non-discrimination en milieu de travail, pour la fourniture de biens et services dans les secteurs assujettis à la réglementation fédérale, mais nous ne sommes pas prêts à approuver le projet de loi s'il risque d'en découler - je crois que nous avons des arguments valables qui penchent en ce sens - une redéfinition du statut familial, du statut de conjoint et de l'état civil. C'est bien clair?

M. Robinson: Merci. Je voulais simplement obtenir un éclaircissement avant de poser une ou deux questions. Je voudrais une précision au sujet d'une question mentionnée dans une lettre de souscription de fonds envoyée par un certain M. Brian Stiller. Je ne sais pas s'il est toujours directeur général de la confrérie. L'est-il?

M. Nadeau: Oui.

M. Robinson: En vue de recueillir des fonds, M. Stiller a envoyé une lettre intitulée «Protéger les valeurs familiales». Dans cette lettre il est question de la décision prise par l'association américaine des psychiatres en vue de supprimer l'homosexualité en tant que terme médical de sa liste d'anomalies. Voici ce qu'on déclare dans la lettre:

.2015

M. Nadeau: Permettez-moi de répondre à cette question. J'aimerais savoir à quand remonte cette publication. Je pense qu'elle date d'assez longtemps.

M. Robinson: D'il y a un an et demi.

M. Nadeau: Les études entreprises tout de suite après le vote... Sauf erreur, le vote de l'association américaine des psychiatres a eu lieu dans les années 1970, n'est-ce pas?

M. Robinson: C'était en 1973.

M. Nadeau: C'est exact. Toute de suite après il y a eu une enquête. Cela ne date pas d'hier et vous nous prenez par surprise en soulevant cette question, mais il y a bien sept ou huit ans que j'ai eu l'occasion de voir ces enquêtes.

M. Robinson: Vous pourriez peut-être nous renseigner sur ce point, car d'après ce que nous a dit un psychiatre, qui a comparu plus tôt devant notre comité, cette déclaration est sans fondement et il n'y a eu aucun sondage effectué auprès des psychiatres à ce sujet. Si vous êtes au courant, j'aimerais que vous m'en informiez. Vous pourriez peut-être communiquer les renseignements au greffier.

M. Nadeau: Je m'engage à le faire.

M. Robinson: Merci d'avance.

J'essaie de comprendre quelle est votre position.

Madame la présidente, les témoins disent qu'ils approuvent le principe de la non-discrimination en matière d'emploi. Nous allons entendre sous peu le témoignage de la Conférence des évêques catholiques. Ces derniers demandent instamment au comité de modifier le projet de loi afin d'autoriser les employeurs à rajouter à la liste des exigences professionnelles justifiées la non-pratique d'une activité homosexuelle. Autrement dit, on peut être homosexuel mais si on ne pratique pas cette activité, on se conforme aux exigences professionnelles justifiées.

Approuvez-vous cette suggestion des évêques catholiques?

M. Nadeau: Il faut poser la question aux évêques catholiques. À notre avis, toute discrimination arbitraire fondée sur l'orientation sexuelle d'une personne, lorsque celle-ci n'a rien à voir avec l'emploi, devrait être interdite. Il peut exister un rapport toutefois. M. Clemenger a parlé plus tôt du Collège chrétien en Alberta où il était tout à fait normal pour ce genre d'établissement que les employés adoptent un mode de vie chrétien particulier. Dans ce cas c'est pertinent.

M. Robinson: Cela reste à voir. M. Vriend était un moniteur de laboratoire admiré et respecté de tous. Je ne vois pas en quoi son orientation sexuelle pouvait influer sur son aptitude à faire son travail de moniteur de laboratoire.

Permettez-moi de vous poser la question suivante. Autrement dit, d'après vous, les personnes homosexuelles qui se livrent à des activités homosexuelles ont droit à une protection en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

M. Nadeau: Ce qu'ils font en privé n'a rien à voir avec leur emploi dans un magasin de chaussures, si je peux citer cet exemple, ou leur emploi au gouvernement fédéral. Ces personnes ne doivent pas faire l'objet de discrimination en raison de leurs activités privées.

M. Robinson: Dans les secteurs du ressort fédéral, par conséquent, vous ne voyez rien à redire à interdire qu'une personne soit licenciée pour cette raison, à moins qu'elle ne constitue une exigence professionnelle justifiée.

M. Nadeau: Bien sûr, vous et moi savons à quel point ces exigences peuvent être vagues et sujettes à interprétation. Il faudrait préciser ce que nous entendons par ce principe.

M. Robinson: Très bien. C'est exactement ce que précise la loi actuelle sur les droits de la personne.

La présidente: C'est précisément ce que je voulais dire.

M. Robinson: C'est précisément ce que stipule la loi canadienne actuelle sur les droits de la personne. Au moins deux de vos membres, qui sont avocats, et peut-être même le troisième le savent. La Loi canadienne sur les droits de la personne stipule clairement que si l'on peut prouver qu'il s'agit d'une exigence professionnelle justifiée, en fait il est possible de faire preuve de discrimination tout en respectant la loi.

Il y a de nombreux exemples. L'Église catholique en est un. Elle ne recrute pas de femmes prêtres et pourtant, c'est un principe de longue date de l'Église. Les églises membres de votre confrérie sont dans le même cas à l'égard des pasteurs, par exemple, et de l'établissement de certains critères en matière de comportement. Il s'agit là aussi d'une exigence professionnelle justifiée. C'est clairement prévu dans la loi.

La présidente: Veuillez conclure, je vous prie.

M. Robinson: Voici ma question. À supposer que les exigences professionnelles justifiées soient déjà visées dans la Loi canadienne sur les droits de la personne et que nous y ajoutions l'orientation sexuelle, et que celle-ci s'applique uniquement, comme vous l'avez dit, à l'emploi, au logement et à la fourniture de biens et services, où est le problème?

M. Nadeau: Je regrette, mais vous déformez nos propos. Nous avons dit que, à première vue, c'est tout ce que prévoit cette loi. En réalité, et la conséquence prévisible - à ce titre, nous avons cité la décision Mossop et de la déclaration de Max Yalden - est que cette loi et ces principes serviront à modifier la définition de la situation conjugale, de la situation de famille, de l'état matrimonial et peut-être même du mariage. Voilà ce qui nous inquiète.

M. Robinson: En matière d'emploi, d'accès aux services et au logement, si c'est prévu dans le projet de loi, vous l'acceptez.

.2020

M. Nadeau: Oui. En conséquence, si vous pouvez y inclure ces garanties en matière de définition, à savoir que l'état matrimonial s'applique uniquement aux couples dont les conjoints sont de sexe opposé, à la situation de famille, etc...

M. Robinson: Voilà un revirement spectaculaire de la position de la confrérie évangélique.

La présidente: Vous nous avez fait clairement comprendre les conséquences éventuelles qui vous paraissent peu souhaitables, et je vous remercie d'avoir attiré notre attention sur les points qui vous semblent importants lors de l'étude de ce projet de loi. Vos renseignements nous ont beaucoup intéressés. Merci beaucoup.

Nous entendrons maintenant le témoignage de la Focus on the Family Association.

Monsieur Jim Sclater, nous vous écoutons.

M. Jim Sclater (vice-président, Politique publique, Focus on the Family (Canada) Association): Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs. J'ai appris aujourd'hui ce que peut être la vie de nombreux députés, car j'ai dû me lever aux aurores et traverser le pays pour venir ici, ayant été informé hier seulement vers 15h30 que nous avions été acceptés - ce qui explique sans doute pourquoi mon nom n'est pas inscrit d'avance comme celui d'autres témoins.

La présidente: D'où venez-vous, monsieur Sclater?

M. Sclater: De Vancouver, où se trouve le siège social de notre association Focus on the Family.

La présidente: Merci beaucoup de votre présence.

M. Sclater: Merci de nous avoir invités.

L'association Focus on the Family est un organisme privé sans but lucratif ayant pour mandat de renseigner et renforcer les familles canadiennes en encourageant et appuyant l'union permanente d'un homme et d'une femme dans le mariage, et en aidant les parents, y compris les chefs de famille monoparentale, à créer un milieu sain et sûr où élever leurs enfants. En tant qu'association chrétienne, nous mettons l'accent sur une approche de la famille qui est compatible avec la foi chrétienne historique et biblique.

Je suis ici également parce que je suis à la fois mari, père de famille et grand-père. L'érosion de la famille dans notre société est une question qui me préoccupe vivement. Je suis très inquiet, à vrai dire, de voir que l'Église n'a rien fait pour s'attaquer à ces problèmes, même dans ses propres rangs. Je suis peut-être encore plus atterré par la dérive morale de bon nombre de gouvernements de notre pays dans des dossiers aussi fondamentaux pour notre société. Toutes ces questions m'inquiètent au plus haut point.

Je dois vous dire que j'ai entendu d'autres témoins et certains membres du comité citer des statistiques incroyables qui n'ont rien à voir avec tout ce que j'ai lu au sujet de la cellule familiale. Je me souviens d'avoir participé à une émission de radio à Vancouver à une époque. Pendant la pause publicitaire, l'hôtesse s'est tournée vers moi pour me dire que plus personne ne vivait dans une véritable cellule familiale de nos jours. Je pense qu'elle était tout à fait sincère en disant cela. Lorsque je lui ai cité les statistiques, elle a été véritablement choquée.

Je ne les ai pas toutes sous la main. J'ai rassemblé ce que j'ai pu et je les ai fourrées dans ma mallette, et suis rentré chez moi très tard dans la soirée pour prendre le premier avion le lendemain matin.

Certaines remarques qui ont été faites ici m'inquiètent profondément. Qu'il s'agisse des membres de notre société ou de nos représentants élus, tout le monde semble poursuivre des objectifs contradictoires. Nous appliquons une politique qu'on pourrait qualifier de tolérance zéro à l'égard du harcèlement sexuel dans notre société. Parallèlement, nous avalisons toutes sortes d'orientations et de manifestations d'ordre sexuel. Un heurt est inévitable entre ces deux politiques, et d'ailleurs cela s'est déjà produit dans certains cas.

Ce qui nous préoccupe essentiellement, et ce dont je voudrais parler aujourd'hui, c'est la défense de la famille. Nous n'avons pas de jolies petites photos et clôtures dont parlent si souvent, dans les revues, ceux qui cherchent à dénigrer la famille. Nous croyons en la famille et dans les valeurs dont nous avons parlé tout à l'heure. J'ai déjà dit que nous voulons affermir la cellule familiale et le mariage, les unions hétérosexuelles, entre un homme et une femme et leurs enfants naturels ou adoptifs.

Nous ne sommes pas assez naïfs pour ne pas être au courant des nombreux changements qui surviennent dans la famille. Si ma femme décédait, je serais veuf. Notre famille ne cesserait pas d'exister. Toutefois, c'est ce qu'on essaie de nous faire croire. Cet argument me paraît tout à fait artificiel et ennuyeux. Selon nous, on ne peut pas abandonner une valeur qui existe depuis l'origine des temps et qui est bien ancrée dans notre société. Comme je l'ai demandé au Sénat il y a deux semaines environ, où sont les sociologues et les spécialistes qui étudient la condition humaine? Où sont-ils? Où sont les autres experts qui pourraient comparaître devant votre comité?

.2025

Certains d'entre nous se font les défenseurs de la famille. Ce n'est pas que nous soyons d'éminents sociologues, mais nous lisons ce qui se publie et qui ne laisse pas de gravement nous inquiéter.

Il y a des situations où la discrimination est justifiée. La Charte autorise la discrimination pour des motifs raisonnables, de sorte même que le Comité des droits de la personne, ou les commissions qui se déplacent dans tout le pays ne considèrent pas que rien ne justifie aucune catégorie de discrimination. Ce pays adhère à quelques principes fondamentaux, dont certains liés à la vérité - dont parlait tout à l'heure la Confrérie évangélique du Canada qui est révélée tout au long des siècles par le christianisme. D'autres principes, telle la tolérance, sont devenus prépondérants dans notre pays, et la tolérance est certes admirable si elle a des fondements moraux, si elle s'articule sur la vérité révélée et si elle a un message à nous transmettre.

On ne peut donc s'empêcher de qualifier, dans une société, les groupes et les individus, parce que c'est essentiel à la manière dont fonctionne une société. Je pourrais vous donner quelques exemples, mais le temps presse.

Le mariage et la famille sont des institutions fondamentales pour tous les groupes, de quelque origine qu'ils soient, qui sont venus dans ce pays pour y construire leur avenir. Par nos interventions devant les tribunaux - interventions qui ont été nombreuses et que je n'énumérerai pas - nous nous sommes associés à des groupes d'autres religions, d'autres origines, dont les représentants des Hindous, des Sikhs, des musulmans, des catholiques et des évangéliques. Avec eux nous pensons que la défense des droits des homosexuels - ceux qui se disent «des gais» - débouche sur une dévaluation systématique du mariage hétérosexuel et de la famille dans la société.

Il suffit de lire les journaux pour s'en convaincre. Si vous lisez entre les lignes, vous vous rendez compte que... Je lisais aujourd'hui dans l'avion un article du médecin psychiatre qui a consacré 17 ans de sa vie à étudier ce phénomène qui, en tant que professionnel, le préoccupe beaucoup.

Je peux vous assurer - aucun d'entre vous ne me contredira sur ce point, je pense - que pas plus tard que la semaine prochaine, si ce projet de loi est adopté mardi comme prévu, vous recevrez d'un certain bord des demandes - certes, ces gens ont le droit de faire ces demandes - d'égalité dans le mariage, dans la famille, dans le statut conjugal, dans les droits et privilèges d'immigration, et des demandes de modification ou dispositions du Code criminel où le terme «conjoint» est mentionné51 fois.

On ne s'en tiendra pas là. Il serait naïf de penser que le Comité des droits de la personne, ou une commission, ou le ministère de la Justice pourrait apporter cette modification fondamentale sans que toutes sortes de conséquences ne s'ensuivent. C'est une réalité fondamentale que tous nous devrions bien comprendre.

Ceux qui réclament l'inclusion, dans la loi, de l'orientation sexuelle invoquent l'égalité et les droits fondamentaux; ils disent qu'il est grand temps d'accorder aux homosexuels tous leurs droits, ainsi que l'égalité dans des institutions comme le mariage et le statut familial. Cette loi, me direz-vous, ne porte que sur l'emploi, et le ministre de la Justice affirme qu'elle ne concernera qu'un dixième des travailleurs.

La Confrérie évangélique du Canada a invoqué d'excellents arguments à cet égard, mais je n'ai pas le temps de m'arrêter là-dessus.

Mais qu'y a-t-il, à notre époque où vacillent tant de notions comme l'identité nationale, l'unité et le patrimoine, qu'y a-t-il qui justifie le démantèlement de convictions religieuses et morales qui sont le fruit de millénaires de sagesse? Qu'est-ce que cette année 1996 a de particulier pour justifier que l'on abatte les barrières sociales et morales imposées, tout au long de l'histoire des hommes, à l'expression de leur sexualité, barrières que nous devons à des millénaires d'enseignement de la morale et de la philosophie? Qu'est-ce qui justifie cela? Et pourquoi maintenant?

Nous devons nous demander comment ce comité, comment le Parlement, comment le ministre de la Justice peuvent s'engager solennellement à ce que cette mesure ne se répercute pas sur le mariage et la famille? Cette question les dépasse. Ce à quoi nous sommes confrontés - et aucun d'entre vous n'en disconviendra, je pense - c'est que les tribunaux vont examiner ce qui a été décidé par ce comité et par ce Parlement. Ce sont eux qui trancheront. Comme le faisait remarquer la Confrérie évangélique, nous avons comparu avec elle à plusieurs reprises devant les tribunaux.

Je sais que je m'adresse aux représentants élus du peuple canadien, mais je les mets au défi de faire ce qui serait leur devoir en l'occurrence, et de ne pas référer ce projet de loi tel quel au Parlement, pour laisser ensuite les tribunaux décider de questions comme ils l'ont déjà fait au cours des dernières années.

.2030

Si le gouvernement considère que ce projet de loi devrait être adopté, lui paraît-il également de son devoir d'essayer de protéger les mariages hétérosexuels? Comment procédera-t-il? Je dis que ce sera aux tribunaux d'en décider: Comment protégeront-ils la religion?

Nous savons qu'elle est garantie dans la Charte, et même dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Comment croire alors M. Rock et autres, peut-être même parmi les membres de ce comité, qui soutiennent que nos lois actuelles contre la pédophilie, par exemple, freineront l'essor de cette orientation ou préférence sexuelle, alors qu'en fait nous assistons à un changement des lois au Parlement - c'est là son travail - et dans les tribunaux? Les dernières années ont vu la contagion s'étendre comme une traînée de poudre.

Même si l'on pouvait garantir une telle interdiction, nous aimerions savoir si ceux qui réclament l'inclusion de la non-discrimination pour l'orientation sexuelle veulent voir «l'affirmation de leur famille», citation empruntée à la Coalition du 9 décembre qui s'est entretenue, il y a quelques années, à Vancouver avec M. Rock. Comment pourrait-on nier cela si cette modification est adoptée?

Je peux vous citer d'autres exemples, mais de nos jours on risque, quand on comparaît devant un comité comme celui-ci, voire devant les médias, de se faire traiter de propagateur de haine. Voilà qui me paraît singulier, car je me fais parfois traiter ainsi pour avoir cité des passages tirés d'ouvrages publiés par la communauté homosexuelle elle-même.

Je vais vous citer un exemple d'un cas qui s'est produit à Toronto, où un grand groupe appelé National Leather Association International avait organisé un séminaire sur le sujet - je cite «Valeurs familiales: Élever les enfants dans un milieu sadomasochiste». Le porte-parole de ce groupe avait souligné l'importance, pour lui, de venir parler de la famille. Si l'on me répond que les sadomasochistes ne représentent qu'une petite minorité nous rappelons au comité que les homosexuels ne constituent que 2 ou 3 p. 100 de notre population.

Je voudrais mentionner en passant un point qui, je le sais, prête à controverse...

M. Robinson: Un rappel au Règlement, monsieur le président: le témoin a mentionné le sadomasochisme. J'espère qu'il n'entend pas montrer qu'il s'agit là d'une pratique exclusivement homosexuelle et qu'il reconnaît...

M. Sclater: Certainement pas. Vous savez certainement, Svend, que je ne parle ici que de préférences sexuelles qui n'ont rien à voir, en soi, avec l'homosexualité.

M. Robinson: Je vous en sais gré.

M. Sclater: Je parle de la manifestation de ces pratiques.

Ce n'est un secret pour personne ici, et certainement pas pour la profession médicale, que tout mode de vie sexuelle autre que la chasteté et la monogamie s'accompagne de traumatismes médicaux, affectifs et spirituels, parfois même de catastrophes. Ce n'est certainement pas le monopole des homosexuels.

Bien que dans notre culture on s'efforce de faire accroire le mythe selon lequel il est jouissif d'obéir à d'autres pulsions sexuelles, il suffit de lire les manuels de pratique sûre de la sexualité, publiés par les homosexuels eux-mêmes ou par nos propres instances civiques - à Vancouver, par exemple - pour constater combien cette soi-disant liberté sexuelle engendre de terreur.

N'essayez pas non plus de nous faire accroire que la liberté de choix, en la matière, ne nous impose pas à tous une charge très lourde. C'est un fait que même nos adversaires ne nient pas, en réclamant même une augmentation du financement pour leur protection et leur santé, et une augmentation également des fonds consacrés à la recherche pour la guérison des maladies transmises sexuellement, le sida. Sous toutes ses formes, la liberté sexuelle est une entreprise très onéreuse, et ce n'est pas sans bonnes justifications que la société a toujours imposé des limites, des tabous, des usages et même des lois pour brider la sexualité humaine et limiter les ravages qu'elle peut causer. Nous devrions, en la matière, écouter la voix de la raison en songeant à notre santé non seulement physique, mais également mentale et affective. Comment en sommes-nous venus à ce que nos gouvernements, nos commissions et comités des droits de la personne fassent abstraction de tous les témoignages accumulés contre la permissivité en matière de pratiques alternatives de la sexualité?

Focus on the Family considère que les droits des individus ou des minorités ne devraient pas l'emporter sur toutes les normes ou autres lois. Notre Charte des droits et libertés affirme la suprématie de Dieu et la primauté du droit. On nous rétorquera que ce sont là des termes flous et symboliques - ce qui est exact - mais si flous et si symboliques soient-ils, ils n'en affirment pas moins la réalité d'une notion supérieure à celle de la simple préférence et de l'affirmation des droits individuels.

Dans une société civilisée, nul, certes, ne devrait être l'objet de haine ou d'abus, mais on ne saurait bannir par la loi les objections morales et le désir de protéger la famille et le mariage sans avoir à expier cela très chèrement. C'est un joyau précieux que produit une société que l'histoire a imprégné de moralité, et le mariage entre sexes opposés peut être l'expression humaine la plus élevée de l'amour et du dévouement. La vie familiale forge le caractère, elle produit des hommes et des femmes qui savent remettre à plus tard la satisfaction de leurs besoins divers au nom d'un bien qui les dépasse, et protéger de l'exploitation les plus faibles.

.2035

De récentes études des sciences sociales ont montré que les enfants, pour s'épanouir, ont besoin de la stabilité familiale, d'un père et d'une mère, du sentiment de sécurité qui naît de la fidélité, et de permanence dans les relations. C'est là, mesdames et messieurs, un fait prouvé par les sciences sociales et dont beaucoup d'entre vous ont dû prendre connaissance, car on trouve même des articles là-dessus dans les journaux ordinaires.

Cet argument ne plaide pas en faveur d'un abandon des normes, et pourtant certaines d'entre elles s'effilochent. Nous nous sommes peut-être fourvoyés, mais pas encore complètement égarés.

En conclusion, je dirai que bien que la justice essaye encore de trouver sa place à cette Loi canadienne sur les droits de la personne c'est une force explosive, tant symbolique que législative, que tient entre ses mains ce comité avec ce projet de loi qu'il s'apprête à renvoyer, pour vote, à la Chambre. C'est de la dynamite que nous avons là.

Il revient à votre comité et au Parlement tout entier de juger si le prix à payer sera trop élevé. Il ne suffit pas de dire qu'on discute depuis des années, car le débat d'aujourd'hui diffère considérablement de celui que nous avions la semaine dernière, et certainement de celui de l'an dernier. Gardez bien présent à l'esprit ce qu'affirmait la December 9 Coalition - pour ne citer qu'une seule organisation - à savoir que ce n'était pas la tolérance qu'elle revendiquait, mais l'entrée à tous égards dans le monde. C'est devant cette pression que nous en sommes arrivés là. Qui d'entre nous, qui d'entre vous saurait nous assurer que cette même pression ne nous forcera pas au-delà de ce que cette loi, nous a-t-on dit, est censée faire?

D'aucuns disent que la moralité ne se légifère pas, mais nous continuons à soutenir que toute loi est l'expression d'une moralité. De plus en plus, dans notre pays, les lois sur les droits de la personne reflètent ce que notre société pense de la moralité.

Le désir d'assurer un surcroît de protection contre la discrimination découle peut-être de la compassion et d'une aspiration à l'égalité de tous les Canadiens, mais il n'est pas défendable qu'il amène à leur perte des institutions essentielles à la vie de notre pays et de la majorité de ses citoyens.

Comme je le disais devant le Sénat, où sont les spécialistes d'autres disciplines qui pourraient nous montrer les ramifications de cette loi? Nous sommes à la croisée des chemins, et c'est là une décision capitale qui influera sur notre société pour le reste de notre existence. Je vous exhorte, au nom des Canadiens et des générations qui nous succéderont, au nom des mères et pères, et de leurs jeunes enfants, de ne pas inscrire au code suprême des droits de la personne de notre pays une façon de vivre sa sexualité, qui n'est même pas précisée, et qui ne concerne qu'entre 3 p. 100 et 5 p. 100 environ de notre population. N'entrouvrez pas la porte de nos écoles à ce fait de société, qui d'ores et déjà se répand. Ne le laissez pas mettre le pied dans la porte. N'éloignez pas des homosexuels l'aide que beaucoup d'entre eux pourraient trouver s'ils voulaient tourner le dos à ce mode de vie. N'éloignez pas de ceux qui veulent retourner dans le giron de la société la main qui pourrait se tendre pour venir à leur aide.

Songez au mal que vous allez infliger à notre pays, à son avenir et faites au moins deux recommandations: l'une, que les termes du préambule, qui n'ont pas force réelle de loi, soient placés dans la loi même. Si M. Rock ou son comité savent ce que ce langage veut dire, qu'ils lui accordent tout au moins la place d'honneur.

En second lieu et en conclusion, recommandez tout au moins que l'orientation sexuelle soit définie, afin que nous sachions de quoi il retourne. Mais je vous exhorte à ne pas en charger la Chambre, ce qui serait un moyen de confier aux tribunaux le soin de commencer à saper nos institutions fondamentales.

Je vous remercie, madame la présidente.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Sclater.

Russell MacLellan, vous avez la parole.

M. MacLellan: Oh, merci. Vous me prenez à l'improviste.

La présidente: Je voulais simplement vous réveiller, vous me sembliez un peu assoupi.

M. MacLellan: Monsieur Sclater, j'apprécie votre témoignage, ainsi que la peine que vous vous êtes donnée pour comparaître devant nous ce soir.

Vous disiez qu'on ne peut légiférer en matière de moralité, mais je ne pense pas que c'est ce que nous faisons ici: nous légiférons en matière de droits de la personne.

Vous soutenez également que ce projet de loi débouche sur l'écroulement de la famille, mais je ne suis pas d'accord avec vous sur ce point. Je me demande ce qui vous amène à cette conclusion et en quoi ce projet de loi pourrait y contribuer.

M. Sclater: Je vous remercie de votre question. J'avais parlé brièvement, en passant, des exigences des homosexuels, mais mes remarques, rappelez-vous, ne se limitaient pas à ces derniers. J'entends par là le terme non défini de «orientation sexuelle» et, si cet amendement est adopté, nous pouvons nous attendre à ce que ces exigences, la semaine prochaine, n'en sortent que renforcées.

.2040

Je prétends donc qu'ils ne s'arrêteront pas en si bon chemin, parce qu'ils nous ont fait savoir, en termes clairs, qu'ils veulent se tailler leur place dans la famille, dans le mariage. Une affaire sera portée sous peu devant le tribunal, l'an prochain peut-être, qui servira de précédent sur la manière dont l'Ontario traite l'orientation sexuelle dans sa Loi sur les droits de la personne.

C'est là le genre de pressions qui va se faire sentir, et la réalité à laquelle nous serons confrontés, à maintes reprises, devant les tribunaux.

M. MacLellan: En réalité il n'y a pas de lien entre les deux. Les gens pensent peut-être que si nous adoptons ce projet de loi d'autres en découleront, mais il n'y aura pas de loi corrélative à celle-ci, à moins qu'une nouvelle mesure ne soit prise en ce sens.

Cet amendement en soi ne confère aucun droit nouveau sinon celui de s'opposer à toute discrimination, en matière d'emploi, pour orientation sexuelle.

M. Sclater: Permettez-moi de vous faire remarquer, comme je l'ai déjà fait abondamment, que ce sera aux tribunaux d'en décider, et non au législateur.

La présidente: Les tribunaux sont d'ores et déjà saisis de plusieurs affaires, monsieur Sclater; ils l'étaient avant même que ce projet de loi n'ait été déposé, et je pense que vous le savez.

M. Sclater: Effectivement, je le sais, et c'est pourquoi je soutiens que nous ne devrions pas, sachant où en sont les choses, ouvrir toutes grandes les portes.

La présidente: Cette modification qui n'est qu'une protection contre la discrimination, ne changera rien aux affaires dont sont saisis les tribunaux, n'est-ce pas, monsieur MacLellan?

M. MacLellan: C'est exact. Les tribunaux examineront les cas qui leur sont soumis et leurs décisions - dans l'exemple que vous mentionnez, par exemple, celui des prestations à un couple de même sexe - seront prises quoi qu'il advienne de ce projet.

Ce n'est pas là-dessus que porte ce projet de loi, qui ne traite pas non plus de mariages entre gens de même sexe, ce qui relève, bien entendu, des tribunaux provinciaux. Depuis l'adoption, en Ontario, de la loi provinciale, cette question n'a pas fait l'objet d'un tollé général. La même mention se trouve d'ailleurs dans la Loi sur les droits de la personne de la Colombie-Britannique, mais ce n'est pas de cela que nous traitons ici.

En Colombie-Britannique, nous sommes près d'avoir une loi nous interdisant de parler de ces questions, en vertu de la Loi sur les droits de la personne. Je ne crois pas que ce soit là un progrès.

M. Robinson: C'est absolument faux.

M. MacLellan: Ce n'est pas ainsi que je comprends les choses, monsieur Sclater, mais je vais laisser aux autres le soin d'en discuter.

Vous mentionnez la famille, et je pense que je suis d'accord, c'est une institution en danger, et c'est pourquoi nous proclamons, dans le préambule, son importance. Le témoin qui vous a précédé mentionnait également l'affaire Mossop, en particulier le jugement du juge Lamer, à la page 542, si je ne me trompe, où il a donné des opinions qui n'étaient pas à la base de sa décision ou de la décision qu'il rédigeait pour le compte d'autres, c'était des opinions personnelles et il invoquait une éventualité.

Il y a également, à la page 546, un passage très important du juge LaForest où il décrit sa conception de la famille, conception que vous jugerez sans doute fort encourageante.

M. Sclater: Ce que nous trouvons décourageant, c'est que le cas Mossop n'a été décidé qu'à une faible majorité, et de même les avis étaient divisés sur l'affaire Egan. Comme le disait le témoin précédent, nous entrevoyons là l'ultime levée de toute barrière.

Quand on pense qu'il s'agit là de juges, que le cas s'applique directement ou non, c'est là un message symbolique très puissant. Ce que nous aurions voulu, c'est qu'on réfléchisse davantage aux conséquences, qu'on fasse appel à des sociologues, à des connaisseurs de la condition humaine. Pour que le public canadien comprenne vraiment de quoi il s'agit, il aurait fallu y consacrer plus de temps pour connaître tous les éléments.

M. MacLellan: Certes, mais l'autre partie avance également des arguments sur la condition humaine. L'une des raisons pour lesquelles nous voulons adopter ce projet de loi, en toute franchise, même si vous ne reconnaissez pas avec nous que nous n'accordons pas de nouveaux droits, c'est que les gens ont le droit de voir dans la loi quelle est l'intention réelle. Ils ne devraient pas attendre cela des décisions des tribunaux.

.2045

Nous avons également de nos jours dans notre pays et en grand nombre, des jeunes gens, hommes et femmes, qui se suicident à cause de leur vie sexuelle. Le taux de suicide, chez les homosexuels et les lesbiennes, est de deux ou de trois fois plus élevé que pour le reste de la population. Ces jeunes méritent également que l'on fasse preuve de compréhension envers eux et leurs droits, et de compassion, et il nous est possible de le faire sans porter pour autant atteinte à la famille, ou sans saper ce qui constitue la vie familiale dans notre pays.

La présidente: Je vous remercie. Monsieur Bernier.

[Français]

M. Bernier: Monsieur Sclater, vous dites que vous êtes préoccupé par l'avenir de la famille et c'est très bien. Je pense qu'en faisant cette affirmation, vous allez avoir l'appui de tout le monde ici, autour de la table, et probablement de toutes les personnes dans la salle. Il n'y a personne ici qui n'a pas de préoccupation pour la famille.

On a dit à plusieurs reprises que ce projet de loi n'avait rien à voir avec les mariages homosexuels et les bénéfices accordés aux homosexuels. Mais tenons pour acquis qu'une fois la loi adoptée, dès le lendemain matin ou la semaine suivante, plusieurs homosexuels demandent le droit de se marier et d'obtenir des bénéfices. Tenons cela pour acquis.

Si j'ai bien compris, vous avez dot plus tôt qu'il n'y avait que 3 ou 4 p. 100 d'homosexuels. Est-ce exact? C'est bien ce que vous avez dit?

[Traduction]

M. Sclater: C'est exact.

[Français]

M. Bernier: Donc, s'il n'y a que 3 ou 4 p. 100 d'homosexuels, comme vous dites, et en supposant que ces 3 ou 4 p. 100 d'homosexuels demandent tous en même temps de se marier et d'obtenir des bénéfices, comment cela influencera-t-il les 97 ou 95 p. 100 qui vont vouloir continuer de vivre leur vie hétérosexuelle? Vous, personnellement, allez-vous changer d'attitude par rapport au mariage si demain on décide d'accorder à deux hommes ou à deux femmes le droit de se marier? Expliquez-moi cela. J'aimerais comprendre.

[Traduction]

M. Sclater: J'ai essayé d'expliquer cela dans mon mémoire, mais je vous remercie de me poser cette question, afin que je puisse tirer cela au clair. La présidente du comité du Sénat a demandé, en fait, comment cela pourrait influer sur sa famille, car elle est mariée depuis 30 ans et ses enfants sont élevés. Je lui ai dit que je n'en savais rien, je ne connaissais pas sa famille; il doit y avoir des petits-enfants. En tant que grand-père je lui ai dit combien j'étais inquiet d'avoir des petits-enfants qui vont à l'école, l'un d'entre eux va déjà à l'école maternelle.

Vous comprenez tous, je l'espère, que ceci aura une influence dans les écoles, que ce sera enseigné. La Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfance sera invoquée pour autoriser les homosexuels et autres à venir parler de leur choix.

Voilà qui m'inquiète vraiment, pas en raison du fait qu'il s'agit d'homosexuels, mais parce qu'il est sociologiquement et psychologiquement erroné de parler de sexualité à de jeunes enfants. On perturbe ainsi leur évolution, et j'aurais aimé qu'on ait fait appel à des spécialistes pour venir en parler ici.

L'autre action qu'une telle mesure aura, c'est de dénigrer le mariage comme étant propre à des hétérosexuels qui s'unissent pour s'engager à passer ensemble le reste de leur vie - je sais qu'ils ne respectent pas toujours leurs voeux - pour l'amour de leurs enfants. Ce qui manque ici, et je voudrais le souligner, ce sont les enfants. Le pivot de la famille, ce sont les enfants, et des couples peuvent certes se constituer, se marier ou pour d'autres raisons, mais je n'appellerais pas cela une famille, parce que la famille est fondée sur le fait d'avoir et d'élever des enfants.

Il y a bien des façons de concevoir les enfants, et je sais où on les trouve dans notre société, mais où sont ceux qui se pencheront sur les problèmes que connaîtront ces existences? Nombreux sont ceux qui ont affirmé combien l'enfant a besoin d'un père et d'une mère afin de parvenir à son plein épanouissement.

La présidente: Ian McClelland, vous avez la parole.

Nous avons déjà dépassé le temps qui vous est alloué et nous avons encore deux groupes de témoins. Ce comité doit lever la séance à 10 heures pile, et nous devons entendre un groupe qui risque de manquer son avion.

M. McClelland: Je vous remercie d'être venu témoigner devant ce comité et nous exposer votre point de vue, qui est fort intéressant. Au nom des membres du comité, je vous en remercie.

.2050

M. Robinson: Je crois que vous devriez parler pour vous-même.

M. McClelland: Bon, je veux bien, disons donc, la plupart des membres du comité.

Nous avons entendu tout à l'heure un spécialiste nous dire que 30 p. 100 environ des suicides de jeunes sont liés à la sexualité. J'espère que je répète correctement ce qu'il a dit. Le fait est que les jeunes de cet âge sont très vulnérables, et qu'il y a toutes sortes de raisons de ne pas se sentir bien dans sa peau. Ces jeunes sont membres de familles nucléaires traditionnelles, mais ils ont des penchants homosexuels, et ont l'impression de ne pas être bien acceptés en tant que tels.

C'est une question qui m'intéresse vivement, car je crois à la vérité de ces statistiques. Pourquoi seraient-elles faussées? Comment réussirons-nous à sauver, ne fut-ce qu'une seule vie, si nous n'adoptons pas une attitude de tolérance à l'égard de la sexualité des jeunes, si en tant que société nous leur forçons la main?

M. Sclater: Le témoin dont vous parlez - et que je n'ai pas entendu - a avancé là un argument très puissant. J'invoquais le même, mais sous un autre angle, à savoir que les enfants, pendant un certain temps, devraient être laissés en paix. Mais des voix se font entendre de toutes parts qui veulent s'introduire à l'école des plus petites classes - parfois même au jardin d'enfants - pour parler de sexualité et de toutes les pratiques sexuelles qui existent chez les êtres humains. Je crois que c'est là un procédé qui trouble les enfants et qui est très perturbant.

À l'approche de l'adolescence, il y a peu de jeunes qui n'aient pris alors conscience de leur sexualité et le problème se pose alors différemment. Ce qu'il nous faut, ce sont des familles stables, basées sur des couples hétérosexuels, des collectivités stables qui comprennent comment ces questions devraient se régler. L'approbation ne résout pas le problème.

M. McClelland: Je ne proposais même pas l'approbation, je propose simplement la sensibilisation. Nous avons entendu comme témoins des familles d'enfants homosexuels, des familles qui n'arrivaient pas à accepter ce fait et causaient ainsi de terribles souffrances à leurs enfants.

Ce sont là des tragédies, de terribles épreuves...

M. Sclater: Certainement.

M. McClelland: ...qui s'abattent sur les êtres humains. C'est là le problème auquel nous sommes confrontés, et ce qui me perturbe, parce que je reconnais la valeur... et le fait que votre plaidoirie est animée de bonnes intentions, mais comment protégeons-nous ces jeunes?

M. Sclater: Il n'y a pas de réponses faciles, mais je peux vous assurer que vous ne vous y prenez pas de la bonne manière.

La présidente: Vous avez une minute environ pour résumer votre réponse, monsieur Sclater.

M. Sclater: Je voulais simplement dire que ce qui s'impose dans notre vie en communauté, c'est la compassion. N'est-il pas surprenant, quand on parle de ces questions, de se faire accuser de semer la haine? Ce n'est pas du tout là mon attitude, j'ai eu des amis qui étaient homosexuels, je connais des homosexuels dans la vie publique et dans les médias, et je ne ressens envers eux aucune haine. Comme je suis un être humain, je sais qu'ils ne sont pas parfaits et je n'admire pas tout ce qu'ils font, mais je ne suis pas dénué de compassion.

Comme je le disais dans mon exposé, une des raisons pour lesquelles je vous demande de ne pas déposer ce projet de loi devant le Parlement, et ensuite devant les tribunaux, c'est pour le bien de ceux qui se trouvent dans ce genre de situation difficile, et auxquels il ne suffit pas d'entendre qu'il est acceptable d'être homosexuel et de vivre ce genre de vie. Ce n'est pas là la solution, mais je n'ai pas de solution toute faite.

M. McClelland: Je ne vous demandais pas de réponse facile non plus. Je ne voulais pas être péjoratif, comprenez-le bien.

M. Sclater: Je le comprends.

Il appartient aux conseillers, aux familles et à tout le monde de considérer ces gens comme membres de la race humaine et de trouver une solution pour eux. Beaucoup de jeunes garçons, c'est connu, passent par une crise d'identité sexuelle. Ce que je dis, c'est qu'il faut éviter d'enseigner dans les écoles qu'il n'y a rien de mal à être gai, parce que beaucoup voudront essayer. Je m'en inquiète. Je ne pense pas que ce soit indiqué.

M. McClelland: Merci beaucoup.

M. Sclater: J'ai quand même préparé un mémoire, madame la présidente. Je ne sais pas quelle est la façon de le distribuer.

La présidente: Nous allons nous en charger, merci.

Monsieur Robinson.

M. Robinson: Je vous remercie de votre mémoire.

La présidente: Monsieur Robinson, vous avez exactement - je ne plaisante pas - trois minutes, vous et votre collègue, pour les questions et les réponses.

.2055

M. Robinson: J'ai seulement une observation. M. Sclater parle de la possibilité d'enseigner aux enfants qu'il n'y a rien de mal à être gai. J'ai des publications de Focus on the Family; ces gens ne parlent pas des enfants de la première et de la deuxième années, ils se plaignent de ce qu'il y ait de l'éducation sexuelle en 11 et 12e années.

J'espère que nous disons aux enfants qui s'interrogent au sujet de leur orientation sexuelle, aux jeunes qui sont gais, lesbiennes, bisexuels, qu'il n'y a rien de mal à être gai. J'espère que nous leur enseignons qu'il n'y a rien de mal à être soi-même. J'espère que nous les traitons avec amour, que nous leur manifestons de la compassion et que nous les acceptons. J'espère que nous ne leur disons pas qu'ils sont anormaux, immoraux, comme les qualifient ces publications.

Comme mon temps est limité, je vais poser deux questions à M. Sclater. Il peut peut-être y répondre. Ces publications prétendent que les homosexuels et les gais «choisissent» leur mode de vie. Je cite un dénommé Brad Hayton - soit dit en passant, ceci a été envoyé par le président deFocus on the Family, Geoffrey Still - selon lequel «ce n'est pas parce que quelqu'un choisit un certain mode de vie que la société est obligée d'accepter son comportement». Nous avons entendu des témoignages, des témoignages très convaincants, portant que ce sont là des bêtises, que les gens ne choisissent pas un mode de vie.

Je crois vous avoir entendu dire que vous êtes hétérosexuel. Je vous demande si vous croyez sérieusement qu'à un certain moment dans votre vie vous vous êtes levé et en mangeant vos Wheaties au petit déjeuner vous vous êtes dit: «Je vais être hétérosexuel plutôt qu'homosexuel»? Pensez-vous vraiment avoir choisi votre orientation sexuelle?

Ce qui est tout aussi important, c'est que vous parlez de la possibilité pour les gens de mettre fin à ce mode de vie homosexuel - et je continue de m'interroger au sujet de ce que vous appelez un mode de vie. Je suppose que, de la même façon, vous pensez que les gens peuvent adopter le mode de vie homosexuel. Si vous pouvez choisir de l'abandonner, vous pouvez choisir de l'adopter.

J'aimerais que M. Sclater précise sa pensée à ce sujet. Estime-t-il vraiment que quelqu'un peut choisir son orientation sexuelle? C'est ma première question.

M. Sclater: Je sais que je dois répondre de façon très brève. Il y a bien des sortes de sexualité et bien des catégories d'homosexuels. Il est difficile d'en parler comme s'ils étaient tous semblables. Certains la choisissent, d'autres pas.

M. Robinson: Certains choisissent leur orientation sexuelle?

M. Sclater: L'homosexualité. Nous le savons. Certains jeunes hommes se livrent à des expériences sexuelles. J'en ai connu. Il ont opté pour une certaine façon de vivre parce que c'était ce qui leur était possible à l'époque.

M. Robinson: J'estime pour ma part...

La présidente: Votre question suivante, s'il vous plaît, Svend. Je pense que vos vues sont fondamentalement différentes, tant pour ce qui est de la perception que de la réalité.

M. Robinson: Très bien.

M. Ménard: Vous voulez poser vos deux questions?

M. Robinson: J'y vais de ma deuxième.

Vos publications à Focus on the Family parlent de droits spéciaux. J'aimerais avoir une précision à ce sujet, monsieur Sclater. Vous dites qu'il est important de protéger la religion et les croyances religieuses. Je suppose que vous ne voudriez pas que des gens puissent être congédiés ou jetés sur le pavé à cause de leurs conditions religieuses. C'est juste?

M. Sclater: Oui

M. Robinson: Dans ce cas, pour commencer, vous démentez une de vos déclarations antérieures portant «qu'en créant des droits minoritaires spéciaux pour des groupes selon le comportement ou les croyances on incite plusieurs groupes à réclamer des droits spéciaux». Je ne pense pas que vous faisiez allusion aux croyances religieuses dans cette déclaration.

Vous dites donc que nous pouvons supprimer la religion de la Loi canadienne actuelle sur les droits de la personne. Oui, parce qu'en incluant la religion, nous accordons des droits spéciaux à des groupes qui ne veulent pas être l'objet de discrimination à cause de leurs croyances religieuses. Je suppose que vous seriez d'accord pour dire que c'est la conclusion logique de votre raisonnement. C'est le cas?

M. Sclater: Non, je ne dirais pas que c'est la conclusion logique, de la façon dont vous l'amenez. Je dirais que la religion est une façon pour les gens de s'identifier et un moyen de rechercher la vérité et la moralité. C'est très différent.

M. Robinson: Êtes-vous né avec une certaine croyance religieuse, monsieur Sclater?

M. Sclater: Certains sont nés dans une certaine croyance, comme nous le savons.

M. Robinson: Êtes-vous né avec une croyance religieuse? Est-ce une de vos caractéristiques immuables?

M. Sclater: Bien sûr que non. C'est un sujet qui a été examiné à fond, comme vous le savez, Svend.

M. Robinson: Examinez-le de nouveau. Je pense que cela pourrait être intéressant pour le comité.

La présidente: Pas en prenant le temps du comité.

M. Sclater: Comme nous le savons tous, la religion est marginalisée dans notre société précisément pour cette raison. Elle est marginalisée à cause de ce que vous dites. Nous nous en inquiétons beaucoup, parce que, selon nous, la religion est une caractéristique fondamentale de la plupart des Canadiens.

La présidente: À l'ordre!

Je vais devoir vous demander d'examiner le sujet à fond à l'extérieur.

Des voix: Oh, Oh!

La présidente: La discussion a été fascinante. Je ne suis d'accord avec ni l'un ni l'autre pour certaines choses; nous pouvons tous être d'accord avec tous les deux pour d'autres. L'important est qu'il y ait pu avoir échange de vues. Nous aimerions bien avoir plus de temps, parce que nous savons que ce sont là des questions difficiles. Même avec plus de temps, nous ne parviendrions peut-être pas à résoudre la question, parce que nos vues sont très fermes d'un côté comme de l'autre. Il reste qu'il est important de les exprimer.

Je vous remercie beaucoup d'être venu nous faire connaître les vôtres.

.2100

M. Sclater: Merci beaucoup pour la façon charitable dont cette discussion a été menée et pour l'occasion qui nous a été donnée.

La présidente: Merci encore une fois de votre témoignage.

Il y a eu un changement dans l'ordre des témoins. Les témoins de la Conférence des évêques catholiques du Canada acceptent de bonne grâce que ceux du Mouvement canadien pour les droits de la personne passent avant eux parce que ces derniers doivent prendre un avion. Le dernier groupe sera donc celui de la Conférence des évêques catholiques du Canada.

Vous avez la parole. Si vous voulez bien commencer par vous présenter.

M. Richard Silver (directeur, Mouvement canadien pour les droits de la personne): Je m'appelle Richard Silver.

M. George Marsland (directeur, Mouvement canadien pour les droits de la personne): Je m'appelle George Marsland. Nous sommes tous les deux directeurs du Mouvement canadien pour les droits de la personne.

M. Silver: Honorables députés, et après avoir entendu les deux députés, comme je suis moi-même gai, je sens tout le poids de ma responsabilité.

La présidente: Vous pouvez imaginer comment nos autres pauvres députés se sentent.

M. Silver: Oui.

Je suis né il y a 47 ans à Edmonton, en Alberta, de parents juifs canadiens de la deuxième génération. Mes grands-parents étaient venus au Canada pour échapper à la discrimination, pour que leurs enfants puissent vivre dans un pays qui accordait des droits égaux à tous ses citoyens. Je suis ici pour vous dire, 100 ans après leur arrivée au pays, que je désire recevoir la protection de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

J'ai connu la haine pour la première fois à l'âge de cinq ans. J'ai été battu par mes voisins, des voisins du même âge que moi, à qui les parents et l'Église avaient dit que j'avais tué Jésus-Christ. J'ignorais qui était Jésus-Christ, et on m'avait dit que la violence était inacceptable. Heureusement, Vatican II et l'Église ont travaillé très fort pour changer ces croyances et attitudes.

Alors, oui, mes amis - de cet autre groupe - les croyances peuvent changer au sein d'une Église, et cela peut encore se produire.

J'en gardé des séquelles. Heureusement, les membres de ma famille m'ont appuyé et m'ont enseigné à être fier d'être Juif. Quand je leur ai dit que j'étais homosexuel, ils m'ont encore appuyé, parce qu'ils savaient ce qu'était la discrimination. Tous les membres de ma famille avaient aussi leurs propres séquelles. Contrairement à plusieurs jeunes homosexuels, j'avais de la compassion et de l'amour, et je n'ai pas dû choisir le suicide. Comme on l'a dit un peu plus tôt aujourd'hui, trois suicides adolescents sur dix sont causés par le conflit entourant l'orientation sexuelle.

J'exhorte les Canadiens à être prudents lors des débats. Il ne faut pas oublier que nous sommes votre famille - vos fils, vos filles, vos parents, vos voisins, vos amis. Mais nous sommes, d'abord et avant tout, vos concitoyens. Nous habitons chaque coin du Canada. Nous sommes partout. Nous sommes de toutes les couleurs, de toutes les religions et de toutes les races.

Je comparais aujourd'hui à titre de membre fondateur du Mouvement canadien pour les droits de la personne. C'est un groupe d'hommes et de femmes voués à l'enchâssement de l'égalité fondamentale pour la communauté gaie et lesbienne dans le tissu social et législatif ainsi que dans les coeurs et dans les esprits de tous les Canadiens. Nous demandons aux députés et à la population canadienne d'utiliser un langage prudent; faites attention aux belles paroles; sensibilisez la population et écoutez. Sinon, le coût que notre communauté devra payer sera un surcroît de harcèlement des homosexuels et de suicides adolescents, mais ce sera vraiment le Canada qui paiera la note, un pays à la recherche d'une nouvelle sensibilité. Nous vous demandons, les députés parlementaires, de servir d'exemples à tous les Canadiens.

La clé, c'est l'éducation. Aujourd'hui, vous êtes cette clé-là. Les commentaires faits parM. Ringma au début de la semaine prouvent qu'il faut des lois et des programmes de sensibilisation pour qu'aucun Canadien ne soit relégué dans l'arrière-boutique.

Merci.

La présidente: Merci, monsieur Silver. Monsieur Marsland.

M. Marsland: Je voudrais brièvement faire l'historique du Mouvement canadien pour les droits de la personne. Nous sommes voués à l'enchâssement de l'égalité fondamentale pour la communauté gaie et lesbienne dans le tissu social et législatif du Canada. À notre avis, l'obtention de cette égalité aura une incidence sur la protection des droits de tous les Canadiens à l'avenir; que ces questions sont d'une importance primordiale.

.2105

Nous voulons vous transmettre deux messages aujourd'hui. Tout d'abord, faites la bonne chose. La discrimination basée sur l'orientation sexuelle devrait être interdite, parce qu'il s'agit simplement de la bonne chose à faire. Il est bien évident que les gais et les lesbiennes du Canada ne sont pas protégés en vertu de la Loi sur les droits de la personne. Les gais et lesbiennes sont vraiment les seuls Canadiens à ne pas pouvoir compter sur la Loi canadienne pour les protéger contre la discrimination. En tant que législateurs, vous avez l'occasion de mettre fin à la discrimination dont souffrent les gais et lesbiennes canadiens chaque jour dans les domaines du logement et de l'emploi.

Mesdames et messieurs, nous vivons une situation de gagnants et perdants législatifs. Nous ne sommes pas en train de revendiquer des droits spéciaux. Les gais et lesbiennes canadiens veulent seulement avoir les mêmes protections juridiques que tout autre citoyen. Comme l'a dit Max Yalden de la Commission des droits de la personne, «le but de la Loi sur les droits de la personne est de protéger tout le monde sans distinction.»

Les temps ont changé. Le gouvernement est à la remorque de l'opinion publique, des tribunaux et dans bon nombre de cas, de certains partis politiques. Comme vous le savez, 81 p. 100 des Canadiens interrogés par Angus Reid se sont dits dérangés par la discrimination contre les gais ou lesbiennes dans le milieu de travail. Oui, il s'agit peut-être d'une petite minorité de personnes, mais c'est justement pour cela qu'elles sont victimes de discrimination. Selon les statistiques, 12 p. 100 de la population seraient homosexuels.

Même si vos opinions religieuses personnelles peuvent aller à l'encontre de certains aspects de ce projet de loi, en tant que députés, il vous incombe d'établir ce qui est dans l'intérêt public. Il n'est pas dans l'intérêt de la population que les gais et lesbiennes du Canada soient encore obligés de contester pour faire reconnaître leurs droits, alors que le Parlement a une obligation évidente d'agir pour assurer leur égalité.

C'est à vous, mesdames et messieurs, de faire preuve de courage et de leadership pour mettre fin à la discrimination, au nom de tous les Canadiens et Canadiennes.

Comme mon collègue vous l'a dit avant moi, nous vous faisons une demande spéciale. En tant que députés veillant à l'intérêt public, nous croyons que cet intérêt serait le mieux servi par un débat raisonné et objectif. Les observations incendiaires de part et d'autre ne feront que nuire au débat.

Les commentaires des députés peuvent souvent être mal interprétés comme étant des appuis à l'homophobie, ce qui a pour conséquence la violence envers les individus - hommes, femmes, gais, lesbiennes et enfants. Dans les faits, il arrive que ces attaques visent des gens qui ne sont ni des lesbiennes ni des gais. Parfois ce sont des gens qu'on perçoit comme tels. Il faut donc faire très attention.

S'il vous plaît, nous vous prions et vous demandons de bien peser vos mots et de songer à la sécurité de tous les Canadiens et les Canadiennes en abordant ces questions.

Merci.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Marsland. Honnêtement, si tous les gens de toutes les religions et d'opinions différentes surveillaient leurs propos, je crois que nous vivrions dans un monde meilleur, de façon générale.

[Français]

Monsieur Bernier.

M. Bernier: Je voudrais d'abord remercier les représentants du Mouvement canadien pour les droits de la personne d'être venus témoigner devant nous, même s'ils risquent encore de manquer leur avion pour retourner à Toronto.

Je vous remercie également pour le travail que vous faites dans votre communauté. Ce travail, selon moi, est indispensable et vous méritez tout notre appui.

Vous avez dit, monsieur Marsland, que vous souhaitiez que les parlementaires mettent fin à la discrimination en adoptant ce projet de loi. Nous souhaitons, nous de l'Opposition officielle, que l'on procède le plus rapidement possible à l'adoption de cette loi.

Vous avez entendu, comme nous, plusieurs personnes qui craignent que le projet de loi, une fois adopté, n'ouvre la porte à toutes sortes de demandes et de répercussions. Puisque vous êtes de l'Ontario, de Toronto, il y a déjà chez vous, dans la Charte ontarienne des droits et libertés, une disposition pour interdire la discrimination sur la base de l'orientation sexuelle, mais vous avez vécu, l'an passé ou il y a deux ans, une campagne épouvantable pour faire reconnaître vos droits comme couples et vos droits économiques. Croyez-vous que le projet de loi dont nous sommes saisis va automatiquement régler tous les problèmes des communautés gaies et lesbiennes?

[Traduction]

M. Marsland: Certainement pas. Un seul texte législatif ne prescrit pas les attitudes du public. Comme l'a dit mon collègue, il faut qu'il y ait beaucoup d'éducation.

C'est tout simplement - rien de plus, rien de moins - une question d'égalité de protection. Cela revient tout simplement à cela.

.2110

M. Bernier: Merci.

M. Silver: Pardon, madame la présidente, mais après l'adoption de ce projet de loi, nous espérons que vous allez aider à éduquer le public pour qu'on puisse continuer dans la même voie.

La présidente: D'après le communiqué que vous nous avez remis, je crois que vous avez de graves inquiétudes à propos du langage et des belles paroles.

Monsieur Epp.

M. Epp (Elk Island): Premièrement, j'aimerais une précision. Vous avez utilisé le chiffre12 p. 100. C'était par rapport à quoi?

M. Marsland: Il y a des rapports variables quant au pourcentage de la population que la communauté des sociologues perçoit comme étant peut-être des personnes lesbiennes, gaies ou bisexuelles. Le chiffre que j'ai donné était de 12 p. 100.

M. Epp: Je me posais la question, parce que j'avais entendu 12 p. 100, mais je ne savais pas exactement par rapport à quoi.

M. Marsland: Donc, bien que ce soit une minorité, c'est une minorité qui pourrait se chiffrer à 1,7 million de Canadiens.

M. Epp: C'est bien.

Je vais vous poser une question très difficile. Je ne crois pas que vous pourrez y répondre. Contre quels groupes croyez-vous que nous devrions faire de la discrimination?

M. Silver: Aucun.

M. Epp: Que faites-vous, d'abord, de cette loi dotée d'une liste, et disons que l'un d'entre nous n'appartient à aucun des groupes sur cette liste? Est-ce que cela voudrait dire, implicitement, que la discrimination serait juste à leur égard?

M. Marsland: La réponse est non. Il est certain qu'en débattant et en définissant les lois, en tentant d'inclure tous les groupes en détail et en faisant une liste exhaustive, on peut laisser la voie libre à l'inclusion et à l'exclusion. C'est pour cela qu'il faut faire très attention au langage.

M. Epp: Qu'arriverait-il, d'après vous, s'il y avait tout simplement une loi disant qu'il est inacceptable de faire de la discrimination contre des gens pour des raisons de traits distinctifs personnels? Est-ce que vous l'accepteriez?

M. Marsland: C'est ce que fait la Loi sur les droits de la personne. Elle est fondée sur une liste de ces traits distinctifs. La discrimination est interdite pour ces motifs. Donc cela existe.

M. Epp: Vous voyez, j'ai un petit problème, parce que nous avons déjà une longue liste. Je ne crois pas qu'il y ait de gens parmi nous qui seraient contre les points sur cette liste. Je vous appuie pour ce qui est de ne pas faire de discrimination contre les gens en raison de la race, de la nationalité ou de l'ethnie.

En passant, je viens d'Allemagne. Je suis le revers de la médaille. Enfin, je n'en suis pas venu moi-même; je suis Canadien de naissance. Pouvez-vous vous imaginer ce que c'était que d'avoir six ans en 1945, d'appartenir à une ethnie et d'avoir des amis dont les oncles dans la marine et les forces armées ont été abattus par les Allemands?

Suis-je en faveur de la discrimination? Évidemment pas. Personne ne serait en faveur d'elle, ni pour des raisons de race, ni de sexe, ni d'âge ni d'orientation sexuelle. Je ne crois pas qu'on devrait pouvoir battre une personne à cause de ses croyances religieuses ou de son orientation sexuelle, comme vous avez dit. Nous sommes tous protégés contre cela au Canada.

Si on vous a battu, vous avez quand même porté plainte et est-ce que vous avez réussi?

M. Marsland: Malheureusement, monsieur, nous ne sommes pas du tout protégés parce que cela se passe quand même. Des gens se font battre tous les jours. On aimerait tous croire que ce n'est pas le cas, mais nous savons tous que ce n'est pas vrai. Voilà la partie tragique de tout ce scénario.

La présidente: Par ailleurs, monsieur Epp, je crois qu'il est important de savoir que, même pendant les années 1950, on faisait preuve de discrimination contre les Chinois et d'autres immigrants qui entraient au pays ou qui y vivaient déjà. Notre pays avait beaucoup de préjugés. Je suis Juive et je peux vous donner une longue liste d'exemples de discrimination au Québec, à Montréal, dans ma cour, quoi. Nous avons besoin de cette loi. Nous avons besoin de listes précises.

M. Epp: Peut-être dans l'est du pays. Je suis né dans l'Ouest et c'est là que j'ai été élevé.

M. Silver: Moi aussi, à Edmonton.

M. Robinson: La discrimination existe aussi dans l'Ouest, Ken.

M. Epp: Non, mais où j'étais...

La présidente: Ah, parce qu'il n'y a pas de discrimination contre les Sikhs et d'autres? Vous vous rappelez toute cette histoire de chapeaux...

M. Epp: Je dis tout simplement que je ne sache pas qu'il y ait de discrimination outrancière chez moi.

M. Robinson: Demandez aux Sino-Canadiens; ils n'avaient pas le droit de vote... ou aux Autochtones.

M. Epp: Et c'est mal, n'est-ce pas? C'est mal.

M. Silver: Monsieur Epp, vous avez bien dit que vous avez été victime de discrimination pendant votre jeunesse.

M. Epp: Pas terriblement, mais, après tout, c'était difficile, pas vrai?

La présidente: Oui, ce l'était.

M. Epp: Je me faisais battre, mais surtout parce que j'étais gros.

Des voix: Oh! Oh!

M. Epp: Je l'étais. Enfant, j'étais gros. Vous savez, il n'y a rien sur la liste qui protège les gros. On est donc maintenant justifié de battre les petits gros.

.2115

Là où je veux en venir, quand je dis que c'est mauvais d'avoir une liste et d'ajouter encore un groupe à la liste - et ces gens-là devraient avoir ces droits de toute façon, et ils les ont parce qu'ils sont Canadiens - par définition, tous ceux qui ne se retrouvent pas sur la liste sont donc exclus... En réalité, on n'aura jamais fini de dresser cette liste avant que chaque Canadien n'y retrouve son nom. Pourquoi n'ajoutons-nous pas tout simplement à la liste le mot «Canadiens»? C'est pour cela que je voulais savoir si vous trouveriez cela satisfaisant.

M. Silver: Non.

M. Epp: J'ai une autre question. C'est un amendement à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Quels autres modifications ou changements faudrait-il apporter aux autres lois canadiennes à votre avis?

M. Silver: Je vais d'abord aborder votre première question. En pratique, que vous le croyez ou non, au moment où on se parle la communauté gaie et lesbienne est victime de discrimination. Vous n'avez qu'à voir quelles causes sont entendues par les commissions ontarienne et canadienne des droits de la personne pour constater que la discrimination existe.

Je suis de l'Ouest, je suis gai, je suis Juif - et j'étais gros.

M. Epp: Et comment avez-vous perdu tout ce poids? Il faudra qu'on en cause.

M. Silver: Je pesais 260 livres, un moment donné, pendant mon enfance.

Oui, il y a beaucoup de discrimination et il en existe toujours. Nous pouvons y porter remède. Je suis sûr que vous subissez de la discrimination parce que vous êtes réformiste.

M. Epp: Vous m'en direz tant.

La présidente: C'est vrai.

Mme Augustine: Bien mérité.

Des voix: Oh, oh!

M. Epp: Madame la présidente, j'aimerais interrompre tout de suite, parce qu'à l'heure actuelle, nous avons un bon exemple de cela. Elle dit, «bien mérité». J'aimerais inviter les députés libéraux à réfléchir à ce qu'ils font lorsqu'ils nous mettent tous dans le même panier avec les caractéristiques qu'ils ont attribuées à certains d'entre nous. C'est peut-être faux. Il se peut qu'il y ait des membres du Parti réformiste qui ne méritent pas votre...

M. McClelland: Mépris.

M. Epp: Oui, mépris.

M. Robinson: Cela aurait été bien qu'un ou deux d'entre vous votent pour l'égalité hier.

M. Epp: Je pense que nous avons déjà l'égalité.

M. Ménard: Nous avons besoin d'exemples.

M. Epp: Je m'oppose complètement à ce projet de loi.

La présidente: Nous avons deux témoins ici. Revenons à nos moutons, s'il vous plaît.

Il vous reste deux minutes. Je veux entendre le prochain groupe.

La séance sera levée à 22 heures, comme vous le savez tous, selon le Règlement de la Chambre et selon le...

M. Epp: D'accord. Permettez à quelqu'un d'autre de poser des questions. J'apprécie cette occasion.

Merci beaucoup.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Epp. Monsieur Robinson.

M. Robinson: Vu que la séance va être levée bientôt, je veux simplement remercier les témoins pour leur présentation. Je pense que c'était très convaincant - et ce n'est pas surprenant de ma part. Je pense que les exemples que vous avez donnés ont été très utiles au comité.

Je voulais faire remarquer aussi - ce n'est pas vraiment une question mais plutôt un commentaire, et vous voulez peut-être faire un commentaire là-dessus - que lorsque M. Epp dit que ces droits existent de toute façon, et c'est ce qu'il a dit, que ces droits existent de toute façon - en fait, il y a encore des personnes au Canada aujourd'hui qui sont en position d'influence et de pouvoir et qui disent que nous devons pouvoir licencier des gens pour le simple fait qu'ils sont gais ou lesbiennes.

En fait, aujourd'hui même, Dave Chatters, un membre du Parti réformiste au Parlement - et je ne dis pas que tout le monde est d'accord avec cela - a dit qu'on pouvait faire de la discrimination contre les gais et les lesbiennes...

M. Epp: Avez-vous lu son communiqué de presse, Svend?

M. Robinson: Est-ce que d'autres excuses ont été présentées?

M. Epp: Non.

M. Robinson: Oh, il est difficile de se tenir au courant de toutes les excuses.

M. Epp: Sa déclaration entière est dans le communiqué de presse. La SRC lui a coupé la parole en plein milieu d'une phrase.

M. Robinson: Si vous le permettez, M. Chatters a dit très clairement qu'il pensait, par exemple, que dans les écoles, les personnes homosexuelles devraient être l'objet de discrimination. Il ne l'a pas nié.

La présidente: Monsieur Robinson, s'il vous plaît, ne vous écartez pas du sujet.

M. Robinson: La question que je me posais est la suivante. Quand vous avez des personnes en position de leadership politique qui disent que les affaires sont les affaires et que vous devriez pouvoir mettre les gens dans l'arrière-boutique ou les renvoyer en raison de leur orientation sexuelle...

La présidente: Monsieur Robinson, je vais vous couper la parole tout de suite.

M. Robinson: ...comment répondez-vous à cet argument?

M. Marsland: Vous, monsieur, avez la confiance du public. Vous êtes là pour représenter les intérêts de tous les Canadiens. S'il vous plaît, faites-le.

M. McClelland: Madame la présidente, puis-je faire un commentaire?

Je veux vous complimenter au sujet de votre communiqué de presse. Nous avons reçu beaucoup de mémoires au comité, et presque tous ont été sérieux et de grande qualité. Le vôtre est exceptionnel car je pense qu'il met réellement l'accent sur la nécessité de jeter des ponts entre les solitudes et de s'étendre.

Je voulais que cela figure au compte rendu, et je vous remercie énormément.

M. Marsland: J'aimerais ajouter un dernier commentaire pour le compte rendu. Je me considère comme quelqu'un de chrétien, moral, et éthique. Je suis aussi homosexuel. Ces choses ne s'excluent pas mutuellement.

M. Silver: Exactement.

Merci beaucoup, madame la présidente.

.2120

La présidente: Merci beaucoup, bon retour, messieurs.

Je tiens à rappeler aux membres du comité que selon les décisions prises par le comité, à22 heures, nous devons commencer notre étude article par article, et en avoir terminé à 23 h 30.

[Français]

M. Ménard: Si nous procédons article par article, ça va. J'ai mes trois articles.

La présidente: Je l'espère.

M. Ménard: Ce sont quand même des témoins importants.

[Traduction]

Nous entendrons maintenant les témoins de la Conférence des évêques catholiques du Canada.

Je vous invite à commencer, et vous pourriez peut-être d'abord vous présenter.

Le révérend père Douglas Crosby (secrétaire général, Conférence des évêques catholiques du Canada): Je suis le père Douglas Crosby, et je suis le secrétaire général de la Conférence des évêques catholiques du Canada. Je suis accompagné de Jennifer Leddy, une avocate de la Conférence.

[Français]

et je vous présente aussi le père Gilles Langevin, un théologien jésuite qui travaille avec nous.

[Traduction]

Merci beaucoup de nous avoir trouvé une place pour que nous puissions témoigner ce soir.

La présidente: Je tiens à vous remercier de votre patience et de la courtoisie dont vous avez fait preuve en permettant à cet autre groupe de témoigner avant vous. Nous vous en savons gré. Vous serez notre dernier groupe de témoins, mais certainement pas le moindre. Nous avons tous très hâte d'entendre ce que vous avez à nous dire.

Le père Crosby: C'est bien d'avoir le dernier mot.

Des voix: Oh, oh!

[Français]

M. Ménard: Il y aura des questions par la suite.

[Traduction]

Le père Crosby: Nous avions espéré que les évêques qui sont membres du comité exécutif seraient ici; malheureusement, les délais étaient trop serrés, et les audiences auront lieu pendant une trop courte période pour que ce soit possible. Le texte que nous allons vous soumettre a été signé par l'archevêque Francis Spence, président de la Conférence des évêques catholiques du Canada. Il bénéficie du soutien unanime des membres de l'exécutif.

Nous allons maintenant faire notre exposé.

La Conférence des évêques catholiques du Canada saisit l'occasion de participer à ce débat autour de la modification proposée à la Loi canadienne sur les droits de la personne étant donné qu'il en découle des conséquences tant au plan social qu'au plan individuel. La CECC a été fondée il y a plus de 50 ans; elle est l'assemblée de tous les évêques catholiques du Canada. Les évêques de75 diocèses catholiques ont la charge pastorale d'approximativement 12,5 millions de catholiques à travers le Canada. De plus, la Conférence a joué un rôle actif dans les grands débats de société en rappelant les implications morales, philosophiques et spirituelles d'un bon nombre de sujets.

Comme pasteurs, nous désirons participer au débat public d'une façon constructive et contribuer à trouver une solution, qui respecte autant que possible les préoccupations légitimes des Canadiens et des Canadiennes qui ont opté pour l'une ou l'autre position sur une question aussi controversée et complexe. Avec le gouvernement, nous partageons le désir de protéger les individus contre toute discrimination injustice ou arbitraire, en particulier ceux qui, dans notre société, ont été marginalisés. Avec beaucoup de Canadiens et Canadiennes, nous partageons également les inquiétudes sérieuses concernant cet amendement qui pourrait éventuellement miner l'institution du mariage. En conséquence, nous pouvons appuyer le projet de loi C-33 dans la mesure où il empêche toute discrimination injuste et satisfait les conditions établies dans ce texte, au paragraphe intitulé «Bien commun».

Ces inquiétudes et les principes de l'enseignement de l'Église sur lesquels elles reposent, ont été soulignés dans une lettre au Premier ministre du Canada le 16 avril 1996 et sont davantage explicités dans la suite de ce texte. Nous sommes déçus de constater que le gouvernement a fait relativement peu d'efforts pour répondre à nos préoccupations, ainsi qu'à celles d'un grand nombre de Canadiens et de Canadiennes de bonne volonté à travers le pays.

.2125

[Français]

Le révérend père Gilles Langevin (théologien, Conférence des évêques catholiques du Canada): Au début de cet exposé, je voudrais présenter certains principes de l'enseignement de l'Église catholique sur ces questions que nous débattons.

Je dois dire aussi que, dans la perspective catholique, ces principes relèvent autant du droit naturel ou de la loi naturelle que de perspectives proprement religieuses. C'est le propre de la théologie catholique, comme aussi de la pensée anglicane, que d'être très près des considérations de la raison et pas simplement des décisions ou des choses présentées par le mouvement religieux.

J'aimerais souligner un premier élément qui va de soi, mais qu'il est bon de rappeler. Le respect de la dignité de la personne humaine est au coeur de l'enseignement de l'Église. Celle-ci a, en effet, la ferme conviction que tout être humain, sans exception, est créé unique, à l'image et à la ressemblance de Dieu. Il y a bien des choses dans l'histoire des deux derniers millénaires qui viennent montrer le souci de l'Église pour les personnes, qu'elles soient handicapées ou en difficulté quelconque, cela en dépit des bavures qui sont arrivées.

Deuxièmement, pour ce qui est du comportement sexuel, on peut dire que l'Église catholique a toujours enseigné que l'expression sexuelle de l'amour trouve place uniquement dans le mariage, entre un homme et une femme qui sont ouverts à la transmission de la vie. C'est pourquoi l'Église, tout en affirmant la dignité des personnes homosexuelles, considère les actes homosexuels comme étant moralement inacceptables. En conséquence, l'Église fait une distinction qui semble souvent ignorée du grand public entre tendance ou inclination et acte.

Terminons cet exposé sommaire en disant que l'Église catholique préconise et défend les droits humains fondamentaux de chaque personne et reconnaît que toute personne a le droit d'être traitée avec dignité et respect.

[Traduction]

Mme Jennifer Leddy (avocate, Conférence des évêques catholiques du Canada): Cependant, l'Église ne peut reconnaître comme faisant partie des droits humains fondamentaux l'accomplissement d'actes moralement répréhensibles. Il n'en demeure pas moins que l'Église a le devoir de s'opposer à la discrimination chaque fois que l'orientation ou l'activité sexuelle d'une personne ne peut raisonnablement être considérée comme pertinente.

Autrement dit, l'Église est contre toute discrimination injuste ou arbitraire. Bien que certaines personnes perçoivent dans le concept de «discrimination injuste» une certaine contradiction, la plupart des personnes autour de cette table savent aussi que l'article I de la Charte reconnaît que la discrimination ou la restriction des droits est permise quand elle peut être justifiée dans le cadre d'une société libre et démocratique. Ainsi, tous nos droits en vertu de la Charte sont sujets à des limites raisonnables. Devant les tribunaux, on parle souvent dans ce contexte de «discrimination justifiable».

C'est dans ce contexte, contexte de la société dans laquelle nous vivons, que l'Église croit qu'il est très approprié de faire une distinction entre les couples hétérosexuels et les partenaires homosexuels à cause de l'importante et unique contribution que fait un couple hétérosexuel à l'avenir de la société. En conséquence, l'Église est d'accord avec la majorité des juges de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Egan.

Comme vous le savez, quatre des juges qui ont entendu cette cause, dans un jugement écrit par M. le juge LaForest, ont soutenu que la définition de conjoint dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse, réservée aux personnes de sexe opposé, n'était pas discriminatoire. Il s'agit d'une distinction, mais non de discrimination. La distinction était pertinente, en l'occurrence, aux objectifs de la loi, c'est-à-dire: d'appuyer les couples mariés ou vivant une union conjugale à cause de leur capacité unique de procréer, et que la plupart des enfants sont nés de telles relations et ont grandi dans le cadre de ces unités familiales. De plus, ce sont les seules entités qui utilisent leurs ressources de façon habituelle et continue pour le soin des enfants.

Ce groupe de quatre juges a aussi estimé qu'il n'y avait rien d'arbitraire dans la distinction établie dans la cause Egan, car aucun autre «couple» ou partenaire exclu - qu'il s'agisse de parents, frères et soeurs, enfants adultes, etc. - n'a la capacité de respecter les objectifs sociaux de la loi. Nous avons donc pensé qu'il était important d'expliquer la position de l'Église dans le contexte de notre système juridique.

.2130

[Français]

Le père Langevin: C'est peut-être le moment de souligner comment, à nos yeux, le mariage est à la fois institution sociale et sacrement. C'est l'institution de base sur laquelle s'érige la société et c'est aussi, dans la tradition chrétienne, un sacrement avec ce que cela suppose de sérieux dans le comportement.

Le mariage joue un rôle social essentiel dans la stabilité de la famille et il manifeste la participation des hommes et des femmes à la création. M. le juge La Forest disait, dans le jugement de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Egan:

Qu'il suffise de dire que le mariage est depuis des temps immémoriaux fermement enraciné dans notre tradition juridique, qui elle-même est le reflet de traditions philosophiques et religieuses.

Ce ne sont pas uniquement des traditions religieuses. Ce sont des traditions philosophiques de l'Occident et même de l'Orient.

Soulignons ici que l'Église condamne - je pense qu'il est bon de le dire dès le début et fermement - toute utilisation abusive de son enseignement qui justifierait l'usage de la violence ou qui porterait préjudice aux personnes homosexuelles. Il y a évidemment des faits troublants qui sont dans l'esprit d'à peu près tous ceux qui sont ici, mais ce n'est pas en vertu de l'enseignement de l'Église catholique et des autres que des actes regrettables et condamnables sont perpétrés. Il y a des gens déréglés et malades dans tous les groupes humains. Nous en avons probablement autant que les autres.

[Traduction]

Le père Crosby: En étudiant le projet de loi C-33, nous avons gardé à l'esprit les critères que nous rappelait récemment M. le cardinal Basil Hume, archevêque de Westminster, dans le but d'évaluer les propositions législatives de cette nature.

Trois questions. Premièrement, existe-t-il des raisons valables pour estimer que l'institution du mariage et la famille pourraient être, en fait, minées par une modification de la loi? Deuxièmement, le rejet par la société d'un projet de modification de la loi serait-il plus dommageable au bien commun que l'acceptation d'une modification? Troisièmement, l'orientation ou l'activité d'une personne constitue-t-elle, dans des circonstances spécifiques, une raison suffisante et valable pour traiter cette personne d'une manière différente à tous égards des autres citoyens?

Mme Leddy: Pour traiter tout d'abord de l'institution du mariage - existe-t-il des raisons valables pour estimer que l'institution du mariage pourrait être et serait en fait minée par une modification de la loi - nous sommes inquiets face à l'amendement proposé, car nous craignons qu'un tel amendement facilite les revendications de bénéfices sociaux aux partenaires de même sexe, ce qui pourrait remettre en question la définition du statut marital, du statut de famille, du mariage et de conjoint. L'amendement proposé dépasse les droits individuels, car la base pour la plupart des avantages et autres privilèges pour le «couple» est le mariage ou le statut de conjoint. Cela a du moins été le cas jusqu'ici.

Pour avoir droit aux avantages sociaux, les partenaires de même sexe s'attaquent aux définitions qui limitent le sens du mot conjoint à une personne de sexe opposé, et l'interdiction de la discrimination sur la base de l'orientation sexuelle peut leur permettre d'évoquer cette question.

Bien que les personnes qui appuient l'amendement, y compris le ministre de la Justice et un certain nombre de membres de ce comité, peuvent avoir raison en affirmant que l'intention est simplement d'interdire la discrimination, l'expérience a montré qu'il pourrait avoir pour effet de faire reconnaître socialement la relation homosexuelle ou de changer la définition de la famille, du conjoint ou du mariage. Tel fut le résultat d'un amendement similaire au Code des droits de la personne de l'Ontario il y a dix ans, par lequel des avantages sociaux ont été accordés à des partenaires de même sexe comme «conjoints» parce que la définition de statut marital dans le code a été jugée discriminatoire, sur la base de la définition du conjoint de droit commun réservée à deux personnes de sexe opposé.

.2135

Le père Crosby: Nous craignons qu'une redéfinition majeure du terme de conjoint et de statut marital soit en train de se faire d'une façon indirecte par le truchement d'initiatives valables qui consistent à protéger des individus qui ont souffert historiquement de discrimination injuste.

S'il doit y avoir une nouvelle configuration sociale aussi massive et un changement de politique, cela ne devrait se produire qu'après une vaste consultation. La définition qu'on donne de tout temps au mariage, au statut marital et à celui de conjoint est d'une extrême importance pour beaucoup de Canadiens et de Canadiennes. On ne peut pas simplement constater avec indifférence de telles inquiétudes, car l'expérience a montré qu'elles ont une base rationnelle. Ceux qui s'opposaient à ces changements à la loi de l'Ontario il y a dix ans étaient considérés comme alarmistes, pourtant leurs prédictions se sont réalisées.

Mme Leddy: Au début de cet exposé, le père Crosby a dit que les évêques veulent contribuer de façon constructive au débat et y participer vraiment. Il a déclaré aussi que nous, c'est-à-dire les évêques, pourrons appuyer le projet de loi C-33 dans la mesure où ce dernier empêche toute discrimination injuste et respecte les conditions établies dans ce texte, au paragraphe Bien commun.

Nous passons maintenant à l'étude de ces amendements. Nous espérons de tout coeur que nous pourrons nous y tenir. Nous ne prétendons pas que c'est une question de tout ou rien; ou bien il n'y a pas de discrimination ou bien on n'accepte pas les amendements. Nous aimerions avoir l'occasion de parler de ces amendements. C'est la raison pour laquelle les évêques voulaient comparaître devant le comité.

Je me réfère ici au paragraphe portant sur le bien commun. Afin de respecter le bien commun, qui est beaucoup plus que la somme des biens individuels, les composantes suivantes devraient être ajoutées au projet de loi.

Tout d'abord, les définitions de «statut marital» et de «statut familial» qui sont restreintes aux couples hétérosexuels, comme on l'a affirmé dans l'affaire Egan, à cause de leur rôle irremplaçable dans la procréation et l'éducation des enfants sur lesquels l'avenir de la société repose. Nous savons que le préambule du projet de loi C-33 prétend reconnaître ce rôle important. Nous sommes heureux de voir ce préambule, mais à notre avis il ne va pas assez loin, car il ignore ce que M. le juge LaForest a écrit au nom des trois autres juges dans l'arrêt Egan: «Du fait de son importance, le mariage peut à bon droit être considéré comme primordial pour la stabilité et le bien-être de la famille...»

Notre deuxième suggestion, et je n'aime pas utiliser le terme «harmonisation» cette semaine, vise à harmoniser la Loi canadienne sur les droits de la personne avec la Charte des droits et libertés. Il devrait y avoir une clause semblable à la section 1 dans la Charte des droits et libertés afin que l'histoire et les objectifs sociaux de la législation soient pris en considération en déterminant si certaines politiques sont discriminatoires ou injustes. Cela permettrait à la population de comprendre clairement les objectifs d'une loi, et tous les secteurs de la sociétés pourraient donc avoir l'impression qu'on a tenu compte de leurs opinions.

Notre troisième recommandation est que les pratiques d'enseignement et d'embauche des institutions religieuses soient protégées, comme c'est le cas dans la plupart des codes provinciaux des droits de la personne.

On servirait davantage le droit commun si, avant de faire tout amendement, il y avait une étude en profondeur sur l'origine et l'objectif des bénéfices. Je crois qu'on a abordé ce sujet dans une question posée à un témoin précédent.

S'il est approprié que d'autres catégories de relations reçoivent des bénéfices, il doit y avoir une autre façon plus directe de le faire que par une redéfinition ou une extrapolation des termes tels que celui du statut marital, qui ont une longue histoire dans notre société et notre culture. Comme nous l'avons mentionné dans une lettre au Premier ministre du Canada, il serait important que cette étude examine la question des bénéfices, à savoir: Pourrait-on les étendre aux autres catégories tels les frères et les soeurs, les parents et enfants adultes, les partenaires du même sexe, et les amis, de façon à ne pas accorder une reconnaissance sociale aux partenaires de même sexe tout en réservant un appui spécial aux couples mariés. Nous espérons avoir l'occasion de discuter de cette question.

.2140

Le père Crosby: Nous sommes d'avis que les questions entourant ce projet de loi sont importantes et justifieraient des audiences publiques. Nous sommes confiants qu'elles pourraient se dérouler d'une façon réfléchie, constructive et respectueuse.

Notre désir de préserver l'institution du mariage ne doit pas être interprété comme une discrimination injuste à l'endroit des personnes homosexuelles et utilisé comme prétexte pour s'en prendre à elles. Quoique nous ne puissions accepter les actes homosexuels, nous reconnaissons aux personnes homosexuelles le droit d'être traitées avec dignité et respect. De plus, nous n'ignorons pas les efforts pénibles et courageux que certains déploient pour accueillir et mettre en pratique l'enseignement de l'Église sur cette question très personnelle.

La présidente: Merci beaucoup, mon père.

Selon les règles que nous avons établies, nous disposons de 20 minutes. Je suis disposée à prolonger la discussion de quelques minutes mais pas plus. Essayez donc de poser des questions courtes et évitez les longs préambules. Merci.

[Français]

M. Ménard: J'ai quatre questions et je vais essayer de les formuler le plus clairement possible. Je sais bien que nous sommes en présence de témoins qui ont, par le passé, affiché une conscience sociale assez prononcée et je n'oublierai pas la prise de position que la Conférence a prise s'agissant de la pauvreté.

Je suis un petit peu déçu du document que j'ai devant moi, parce qu'il m'apparaît faire oeuvre de dilution. On est contre la discrimination, bien sûr, mais vous y mettez à ce point des conditions que cela semble nous éloigner de l'essentiel. Je voudrais essayer de détailler mon point de vue par quelques exemples concrets.

À la page 2 de votre mémoire, et je voudrais qu'on se comprenne bien là-dessus, vous dites que l'Église:

Peut-on comprendre qu'une personne qui est homosexuelle ne doit pas vivre son homosexualité et qu'à partir du moment où elle ne la vit pas, elle est morale? Il me semble que c'est la compréhension que nous devrions avoir de cette affirmation. Vous comprendrez que cela me semble un peu discutable, pour le moins. En tout cas, je lis bien le paragraphe.

Quelle distinction faites-vous entre l'acte et la tendance?

Le père Langevin: Je dirais que la distinction n'est pas récente et exprime la pensée catholique sur ce point-là. Quant à l'effet de notre discussion de ce soir, je mettrais cela un peu de côté.

M. Ménard: Je ne comprends pas la distinction; veuillez me l'expliquer.

Le père Langevin: Je ne suis ni médecin ni psychiatre, mais je connais des gens qui ont des tendances homosexuelles certaines et qui, pourtant, ne les exercent pas. Je ne dis pas qu'elles sont tenues de le faire, mais puisque vous me demandez ce que cela veut dire, je vous dirai que lorsqu'il y a une inclination...

Il y a des gens qui naissent, à cause de l'hérédité, avec une tendance à boire. Je connais personnellement des gens dont on peut être certain qu'ils portent des gènes qui les portent à boire. Cela ne les justifie pas de boire. Ils peuvent vouloir contrer cela. Je n'insisterai pas beaucoup là-dessus pour les fins de notre discussion, puisqu'on s'interroge aujourd'hui sur les conséquences, dans la vie sociale, d'un amendement qui ne comporte pas certaines nuances.

Comme l'a dit le père Crosby, nous acceptons le principe de la non-discrimination. Nous aimerions qu'il soit assorti de nuances de sorte qu'on ne pourra pas en abuser et qu'on n'accordera pas à tous les couples le même standing.

.2145

M. Ménard: Permettez-moi d'enchaîner avec ma deuxième question. J'aurais le goût qu'on revienne à cette nuance-là, mais nous sommes tous frères et gentils entre nous et j'accepte que ce n'est peut-être pas le moment d'en discuter. Mais vous me permettrez, en tout respect, de ne pas être d'accord.

Deuxièmement, vous souhaitez un renforcement du préambule. Si je comprends bien, vous souhaitez que soit inscrite dans le préambule une allusion très directe à la notion de mariage et non pas à la notion de famille. Ai-je bien compris?

Cela me donne l'occasion aussi de préciser la notion de famille. Je ne sais pas comment les membres de votre conférence la décrivent, mais suis-je bien le fils de mon temps quand je dis que beaucoup de familles ne passent pas par le mariage? N'y a-t-il pas là un danger de divorce, et sur le plan des concepts et sur le plan de la réalité, qui ne joue pas en faveur des objectifs que vous poursuivez?

Dans ma communauté, qui est Hochelaga - Maisonneuve, il y a des gens qui ont toutes les caractéristiques d'une famille. Ils s'aiment, ils se protègent, ils se secourent. Mais je ne suis pas sûr que cela ait nécessairement pris la forme d'un mariage devant Dieu et les hommes. Je voudrais que vous m'expliquiez la réconciliation que je dois faire entre les deux.

[Traduction]

Mme Leddy: Nous ne demandons pas qu'on renforce le préambule mais qu'on inclue une définition de l'état civil. C'est l'une des choses que nous demandons. Il ne s'agit pas de changer le préambule, mais de définir le terme dans la loi.

Les demandes de prestations présentées aux tribunaux se sont fondées sur la définition de l'état civil. C'est pourquoi nous voulons qu'on définisse le terme. Comme nous l'avons signalé, M. le juge LaForest a écrit que le mariage est primordial pour la stabilité et le bien-être de la famille.

[Français]

M. Ménard: J'aimerais bien comprendre. Vous souhaitez donc qu'il y ait des définitions juridiques, mais qui ne soient pas dans le préambule. Donc, cela suppose, si nous retenons vos amendements, l'ajout d'articles. C'est bien ce que vous souhaitez?

[Traduction]

Mme Leddy: Oui, c'est exact, comme définition semblable à ce qu'on a fait dans le cas du projet de loi C-108 il y a quelques années.

[Français]

M. Ménard: Mon temps n'est pas expiré. Je pense pouvoir poser mes deux autres questions.

[Traduction]

La présidente: Vous avez six minutes.

[Français]

M. Ménard: Ah, madame la présidente! Ce sont des témoins importants qui ont le goût de dialoguer et qui représentent 12 millions de personnes. C'est plus de gens que vous en représenterez jamais dans votre vie.

M. Robinson: Ils veulent dialoguer avec tout le monde.

La présidente: D'accord, vous avez...

M. Ménard: Bon, je vais me taire. D'accord, madame la présidente, je comprends. Quand je dois me taire, je me tais. C'est notre philosophie. Donc, je cède la parole à mes collègues du Parti réformiste, qui vont certainement trouver là les voies naturelles de...

La présidente: Monsieur Ménard, je vous ai accordé le temps de poser une toute petite question, mais...

M. Ménard: Madame la présidente, je veux formuler un voeu, a wish. Je suis, comme sans doute bien des gens, préoccupé par le sentiment religieux. Je crois qu'il existe, dans la vie, un sentiment religieux. Je crois cependant que l'Église et la Conférence des évêques catholique existent par la voie des hommes, parce que des gens s'y engagent. Je vous respecte, mais je ne crois pas que les homosexuels en général dans la société canadienne vont se sentir attirés par le discours que vous tenez. Je sais que ce n'est pas le but de notre propos ce soir, mais l'Église catholique ne va pas devenir attrayante en disant aux homosexuels: «Ne vivez pas ce que vous êtes, refoulez ce que vous êtes; si vous le refoulez, vous n'aurez pas de problème moral».

En toute honnêteté, je dois vous dire que ce discours-là est passéiste et qu'à mon point de vue, il ne représente pas la Parole de Dieu. Si Dieu est miséricordieux, comme vous pensez qu'Il l'est, je ne crois pas qu'il fasse ce genre de distinction. Un désir, c'est un désir. L'amour, c'est l'amour. Je ne crois pas que vous devriez, comme porte-parole des Saintes Écritures, faire les distinctions que vous nous proposez ce soir.

Je sais, madame la présidente, que c'est là un élément de débat, mais je voulais quand même m'exprimer.

La présidente: Monsieur McClelland.

[Traduction]

M. Robinson: Allait-il répondre?

La présidente: Non. Monsieur McClelland, vous avez la parole.

[Français]

M. Ménard: Laissez-les répondre un peu, madame la présidente.

La présidente: Ils vont répondre en temps et lieu. Vous allez voir.

M. Ménard: Ah, que vous êtes confiante.

La présidente: On ne peut éviter de répondre à un témoignage comme le vôtre.

.2150

[Traduction]

M. McClelland: Merci beaucoup, madame la présidente. J'aimerais aussi remercier les témoins d'avoir accepté de comparaître à une heure si tardive.

Des représentants de Dignité Canada ont comparu plus tôt aujourd'hui. J'ai posé une question de la façon la plus délicate et la plus réfléchie possible sur la possibilité de nier l'existence de l'orientation sexuelle et les problèmes qu'une telle position aurait pu créer pour l'Église. Nous avons parlé du phénomène de la dénégation dans un contexte beaucoup plus large, mais peut-être que vous trouverez la discussion intéressante. En ayant parlé dans le contexte de l'Église, ce serait un manque de courtoisie de ma part de ne pas vous signaler que nous avons discuté de ces questions. Notre échange d'idées sera consigné au compte rendu, dont on peut vous faire parvenir un exemplaire. Ce n'était pas toute une affaire, mais peut-être que la discussion vous intéressera.

Je dois vous dire en toute franchise que je cherche désespérément à trouver une raison de voter en faveur de ce projet de loi, car il y a beaucoup d'autres sentiments dont il faut tenir compte. Le projet de loi a une énorme importance symbolique pour la communauté gaie et lesbienne, et par conséquent pour la population canadienne dans son ensemble. Je veux voter en faveur de cette mesure, mais je dois comprendre aussi que c'est ma responsabilité de représenter les millions de Canadiens qui sont très inquiets de cet amendement. Il faut les représenter aussi avec dignité et honneur.

Tout ce que je peux vous dire, c'est que quand on commencera l'étude article par article, je ferai de mon mieux pour convaincre tous mes collègues de la valeur de ce projet de loi pour le Canada. Mais je dois vous avouer que j'ai très peu d'espoir d'y réussir.

C'était précisément pour ces raisons que j'ai demandé hier au ministre de la Justice si l'on accepterait des amendements. Il a répondu que les amendements n'étaient pas nécessaires, et que dans la rédaction d'un projet de loi il ne faut rien inclure qui ne soit pas absolument nécessaire. Dans sa grande sagesse, il estime qu'il n'y a rien dans ce projet de loi qui justifie nos préoccupations. J'espère qu'au cours des 24 ou 48 heures à venir, nous pourrons convaincre le ministre et le gouvernement du contraire. Pour ma part, je m'engage à essayer de le faire.

Mme Leddy: L'un des arguments que nous avons entendus et que vous avez sans doute entendus est qu'il n'y a rien dans ce projet de loi qui redéfinisse expressément le mariage ou qui menace intentionnellement ou ouvertement la définition d'un conjoint, de l'état civil ou de la situation de famille, et que le ministère de la Justice n'envisage d'apporter aucune modification à d'autres lois. Cela est vrai jusqu'à un certain point, car ce sont les tribunaux qui le feront. Sous sa forme actuelle, ce projet de loi permettra aux tribunaux de le faire plus facilement.

C'est ce qui s'est passé en Ontario, et nous aimerions faire de même. À ce moment-là, les gens disaient exactement ce que vous dites, en citant le ministre: Ne vous inquiétez pas, il ne s'agit que de discrimination en matière d'emploi et d'un sens d'équité. Bien des gens peuvent répondre à cela, c'est assez compréhensible. Mais les préoccupations exprimées à l'époque se sont avérées.

Je pense que vous pouvez comprendre pourquoi nous, comme bien d'autres organisations, sommes un petit peu craintifs face à ces garanties aujourd'hui. Nous ne sommes pas tout à fait prêts à accepter sans réserve les garanties données de bonne foi par le ministère de la Justice et les tenants du projet de loi. Nous sommes un tout petit peu préoccupés par cela.

La présidente: Monsieur Robinson.

.2155

M. Robinson: Comme le temps est limité, je vais changer quelque peu l'orientation de mes questions. Je voulais lire aux fins du compte rendu une lettre qui a été envoyée au Vancouver Sun par un prêtre catholique qui vient d'une des plus grandes paroisses de ma communauté, dans la région de Richmond. Il emploie des paroles très émouvantes, puissantes et éloquentes quant à l'impact de l'homophobie sur un jeune homme de sa paroisse. Je demanderais la permission du comité de l'ajouter en annexe, ou devrais-je la lire?

La présidente: Vous pouvez la lire.

M. Robinson: Si vous me permettez un peu plus de temps, car j'ai quelques questions, je lirai la lettre aux fins du compte rendu. La lettre a été écrite par un prêtre catholique à Richmond. Elle se lit comme suit:

Cette lettre est signée par le père Norman Birch de Richmond.

C'est dans ce contexte-là que j'aimerais poser mes questions, madame la présidente. J'aimerais une précision. D'abord, la Conférence des évêques catholiques du Canada croit-elle que les employeurs sous juridiction fédérale devraient pouvoir exiger, comme véritable qualification professionnelle, que les candidats ne se livrent pas à des activités homosexuelles?

Le père Crosby: Vous citez un texte de l'archevêque Exner à Vancouver. Quelqu'un nous a donné le texte lorsque nous sommes arrivés. C'est une déclaration qu'il a faite, ou du moins on prétend qu'il l'aurait faite. Nous ne l'avons pas vue ni en avons discuté avec lui, donc nous préférons parler de notre approche vis-à-vis de cette question.

M. Robinson: Eh bien, soyons clairs.

Le père Crosby: En un sens, c'est la position de la Conférence des évêques catholiques du Canada.

M. Robinson: L'archevêque Exner dit qu'il faut permettre aux employeurs régis par le gouvernement fédéral d'insister pour que leurs employés ne se livrent pas à des activités homosexuelles, et que s'ils ne respectent pas cette consigne, les employeurs doivent avoir le droit de les congédier. Voilà ce qu'il dit. Donc, selon l'évêque Exner, il faut exiger qu'un commis de banque, un agent de bord qui travaille pour une ligne aérienne ou un employé de la Bibliothèque du Parlement prête un serment de chasteté. Sinon, toujours selon l'évêque Exner, l'employeur fédéral peut congédier la personne. Vous dites que vous n'êtes pas forcément d'accord.

Le père Crosby: Notre position est énoncée clairement dans la section de notre mémoire intitulé Bien commun. Nous demandons une protection pour ce qui est des pratiques d'enseignement et de l'embauche, comme on a cherché à le faire dans le projet de loi C-108. Voilà la position que nous essayons de présenter ici...

M. Robinson: Il ne s'agit pas de la position de l'archevêque Exner?

Le père Crosby: Je vous dis que la position approuvée par l'archevêque Spence et l'exécutif est ce que nous vous présentons. Nous n'avons pas participé du tout à la rédaction du texte dont vous parlez. Il s'agit d'une déclaration, mais j'ignore à qui elle s'adresse.

M. Robinson: Il s'agit d'une déclaration présentée à ce comité qui porte sur le projet de loi C-33. Quoi qu'il en soit, vous dites qu'elle ne représente pas votre position. Je vous en suis reconnaissant.

Permettez-moi de vous poser une autre question concernant une autre position prise par la Congregation for the Doctrine of the Faith. Connaissez-vous ce groupe? Connaissez-vous sa lettre de 1992?

On retrouve un certain nombre de déclarations dans cette lettre? En voici une: «Il y a certains domaines où il ne s'agit pas d'une discrimination injuste.» Comme Mme Leddy a parlé de la discrimination injuste, j'essaie de comprendre où vous voulez en venir. Un des exemples mentionnés est celui de l'embauche d'enseignants et d'entraîneurs. Selon la Congregation for the Doctrine of the Faith, il est acceptable de faire de la discrimination contre les gais et les lesbiennes dans les domaines de l'enseignement et de l'entraînement. Est-ce bien la position de la Conférence des évêques catholiques du Canada?

.2200

Le père Crosby: Je dirais que la Conférence des évêques catholiques du Canada aurait une telle position non seulement en ce qui concerne les gais et les lesbiennes, mais également en ce qui concerne toute personne qui se livre à des activités qui vont à l'encontre des principes moraux de l'Église.

M. Robinson: Y compris les gais et les lesbiennes.

Le père Crosby: Y compris les gais et les lesbiennes pour ce qui est de leurs activités.

M. Robinson: Bon. Vous dites que vous permettriez le congédiement des enseignants ou des entraîneurs s'ils se livrent à des activités homosexuelles dans l'intimité de leur foyer. C'est ce que vous avez dit. Sauf le respect que je vous dois, mon père, c'est bien votre position, n'est-ce pas?

La présidente: Ne harcelez pas le témoin.

Le père Crosby: Il faudrait que ça se fasse publiquement. Si cela se passe en privé, qui sait?

M. Robinson: Autrement dit, si les gens n'en entendent pas parler, c'est très bien.

Le père Crosby: Si c'est de notoriété publique, et si cela a une incidence sur l'école, sur ses principes moraux et sur l'enseignement qui y est dispensé, c'est inquiétant.

M. Robinson: Et il est acceptable de congédier quelqu'un pour cette raison.

Le père Crosby: Je pense que c'est la pratique de l'Église dans le cas de couples hétérosexuels qui vivent en union de fait, ce qui n'est pas conforme aux principes moraux de l'Église.

M. Robinson: Donc il est acceptable de congédier des enseignants et des entraîneurs...

Le père Crosby: Il faut être très...

M. Robinson: ...s'ils se livrent à des activités homosexuelles. C'est ce que vous avez dit.

Mme Leddy: Monsieur Robinson, je pense que le père Crosby parle des enseignants dans une école catholique romaine.

M. Robinson: Ce n'est pas ce qui est écrit ici.

Mme Leddy: Mais c'est ce dont il parle: des enseignants dans un contexte catholique romain.

La religion catholique romaine est dure. Si un couple hétérosexuel n'est pas marié et que l'un d'entre eux enseigne dans une école catholique romaine, ils sont censés respecter la doctrine de l'Église catholique quelle que soit leur orientation.

M. Robinson: Dans sa lettre, la congrégation ne fait pas allusion aux écoles catholiques.

Le père Crosby: Pourquoi ce groupe discuterait-il des écoles autres que catholiques?

M. Robinson: Permettez-moi de vous donner un autre exemple. On fait allusion également au recrutement militaire. Que je sache, il n'y a pas d'armée catholique.

La présidente: Monsieur Robinson, je pense que vous avez...

M. Robinson: Ma dernière question porte sur une autre remarque qui figure dans la même lettre. La lettre se lit comme suit:

Je tiens à dire aux membres du comité que cette déclaration est choquante et injurieuse. On dit dans cette lettre qu'il est compréhensible que les gais soient victimes de violence s'ils osent revendiquer une loi qui protège un comportement «que personne n'a le moindre droit de pratiquer». Je veux savoir s'il s'agit de la position de la Conférence des évêques catholiques du Canada.

Mme Leddy: Comme vous le savez très bien, monsieur Robinson, vous avez sous les yeux la position de la Conférence des évêques catholiques du Canada. Il est un peu troublant pour des citoyens de comparaître devant le comité pour y présenter un point de vue raisonné, rationnel et, nous l'espérons, bien réfléchi. Nous essayons d'être constructifs et de parler du projet de loi dont le comité est saisi. Nous essayons de tenir compte des préoccupations importantes que vous et votre groupe ont défendues avec tant d'énergie, ainsi que de celles qui ont été défendues par d'autres.

.2205

Vous êtes un défenseur des droits de l'homme, et je vous demande de nous écouter et de nous permettre de faire une contribution constructive au débat.

Quant aux autres témoins qui nous ont précédés, nous vous avons donné un mémoire qui a fait l'objet de beaucoup de réflexion. Nous voulons participer à vos travaux, mais nous ne voulons pas participer à cet exercice, que je ne saurais pas très bien qualifier.

Il nous inquiète énormément, et il est mal à propos qu'un député ne nous permette pas de contribuer au débat.

Mais nous voulons vraiment nous en tenir au projet de loi.

La présidente: Sauf votre respect, nous vous avons écoutés pendant 40 minutes, et il y a eu une discussion. La dernière question soulevée est très délicate, et compte tenu du projet de loi dont nous sommes saisis, elle est pertinente.

Je m'excuse si vous avez l'impression d'être harcelés par les questions. Il ne faut pas oublier que notre collègue fait preuve d'une attitude très combative, car il travaille très dur pour s'assurer que l'on tient compte de ces questions importantes et qu'on lui donne des réponses raisonnables. Nous avons reçu copie d'un document, et je pense qu'il a le droit de poser des questions là-dessus. Nous avons tous reçu copie de ce document.

M. Robinson: Je tiens à faire une précision. Le document que j'ai cité, et qui a été signé par l'évêque Exner, où il dit que les employeurs qui relèvent du gouvernement fédéral doivent pouvoir exiger la non-pratique des activités homosexuelles comme exigence professionnelle normale, est, je crois, un document présenté par un membre de l'association qui témoigne devant le comité. Il est donc normal que je demande des précisions à cet égard.

[Français]

Le père Langevin: Est-ce que je pourrais...?

[Traduction]

La présidente: Je pense que nous allons passer au projet de loi.

M. Graham: La question dont nous discutons est extrêmement complexe, et je vous assure que je considère votre position avec un certain scepticisme. Permettez-moi de vous dire cela au départ. Cependant, mon attitude est tempérée par le fait que même si je ne suis pas catholique moi-même, j'ai deux petits-enfants qui ont été baptisés dans la foi catholique récemment. Donc je me rapproche un peu de la sphère de l'Église.

Mon problème est le suivant. J'ai vu l'Église évoluer... Je sais que vous adoptez aujourd'hui, devant le comité, une position très délicate. Vous dites qu'on ne veut pas voir des gens être victimes de discrimination ou de distinctions qui ne sont pas justifiées par des considérations sociales... lesquelles sont peut-être plus importantes que l'individu, si je puis dire.

Cependant, nous subissons tous de profonds changements sociologiques au cours de notre histoire. Il y a 20 ans à peine, l'Église a déclaré que l'homosexualité - non pas l'acte homosexuel, mais l'homosexualité comme telle - était un péché mortel. Je crois que, depuis, elle a dit que le fait d'être homosexuel était tolérable, mais, comme l'a dit mon collègue, M. Ménard, que l'acte physique était inacceptable. Il y a donc eu un changement dans la position de l'Église.

J'ai deux objections à la position que vous nous présentez aujourd'hui. Pour commencer, vous dites que le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui aura des répercussions sur l'institution du mariage. Ce n'est pas son but; cette mesure s'applique à l'embauche et aux autres pratiques visées par les lois fédérales. Mon collègue, M. Robinson, l'a très bien dit. Cela veut-il dire qu'une banque peut congédier un employé parce qu'il est homosexuel? L'archevêque de Vancouver serait peut-être de cet avis. Je trouverais inquiétant que les évêques catholiques partagent cette opinion.

Selon moi, ce projet de loi ne va pas plus loin. Mais vous avez laissé entendre qu'il nous conduisait vers la destruction de l'institution du mariage. J'aimerais explorer davantage cette question avec vous. Je voudrais savoir pourquoi vous êtes de cet avis.

Du temps où j'enseignais le droit, on a parlé de reconnaître les enfants illégitimes. L'Église et la justice ont dit que cela détruirait l'institution du mariage. C'était ainsi dans le droit civil et dans le common law. Pendant longtemps, pendant des siècles, c'est ce que nous avons cru. C'est une idée qui ne tient plus.

L'Église catholique estime-t-elle qu'il ne faudrait pas reconnaître les enfants illégitimes parce que cela détruirait l'institution du mariage?

Quelle est la position de l'Église catholique au sujet des unions de fait?

.2210

Si les relations en dehors des liens sacrés du mariage vont détruire l'institution du mariage, l'Église catholique va-t-elle les condamner au lieu d'accepter le principe de droit civil voulant que deux personnes hétérosexuelles qui vivent ensemble pendant une certaine période ont les mêmes droits que les conjoints mariés? Si l'Église n'accepte pas ce principe, elle doit reconnaître qu'elle veut retourner en arrière et qu'il faut se débarrasser des unions de fait.

Cependant, si l'Église est prête à reconnaître les unions de fait, quelle est, selon elle, la différence entre une union de fait entre deux personnes hétérosexuelles et deux personnes homosexuelles? Je ne parle pas de la moralité de l'acte physique, car je sais que l'Église le juge répréhensible, et je respecte sa position, mais en quoi cela contribue-t-il à la destruction des autres mariages? En quoi la discrimination, le fait de rendre la vie de certaines personnes inconfortable et difficile, va-t-elle promouvoir et préserver l'institution du mariage que vous dites vouloir protéger quand on sait que les conjoints d'une union de fait sont pleinement reconnus par le droit civil?

Voilà où je vois une objection en ce qui concerne la position de l'Église. C'est un très sérieux problème que nous allons devoir résoudre. Et je sais que l'Église s'y attaque elle-même.

Je ne critique personne. J'essaie seulement de comprendre. Je pense que nous voulons tous comprendre. Ce sont des questions très troublantes et très importantes que nous nous efforçons de résoudre ensemble.

[Français]

Le père Langevin: Je dirais que cela rejoint des préoccupations de beaucoup de membres du comité.

Il faut prendre nos amendements comme étant l'essentiel de ce que nous venons de dire. On ne fait pas ici le procès - je ne dis pas cela de façon offensive, j'espère - de l'attitude de l'Église catholique face à l'homosexualité. De façon plus précise, face au projet d'amendement, nous suggérons ces modifications mineures, somme toute, et je dirais que c'est de cela qu'il s'agit.

Nous avons tous le souci de défendre les personnes homosexuelles. Je l'ai personnellement très à coeur, autant que beaucoup d'autres qui sont ici. Mais notre principal souci, dans tout cela, est que tous les couples ne soient pas considérés comme semblables, comme pareils. Nous croyons que ce couple privilégié qu'est le couple marié, avec une famille ou ordonné à une famille, étant donné son rôle dans la société, a le droit d'être protégé de quelque façon et ne doit pas être assimilé à n'importe quel autre groupe, d'autant plus que cette institution, qui est au coeur même de la société, est en grand danger à notre époque. Ce n'est pas ici le lieu de parler des problèmes du divorce et de la monoparentalité.

La présidente: Il y a des problèmes de violence dans les familles supposément traditionnelles et bien établies.

Le père Langevin: Je suis tout à fait d'accord avec vous, mais on ne peut pas dire que c'est l'essence même du mariage qui conduit à cela. On parle d'une institution et non de comportements individuels à l'intérieur d'une institution.

Nous avons voulu, de façon positive et constructive, présenter des vues que nous n'imposons pas comme des dogmes à qui que ce soit, des vues qui tiennent compte du caractère spécial et privilégié de la famille et du mariage, ce qui est quand même au point de départ. Si nous sommes tous ici, c'est parce que nous sommes le fruit d'un mariage et d'une famille. C'est un couple spécial que le couple marié.

.2215

Donc, sans béatifier la chose, il reste que les préoccupations qui sont à l'oeuvre ici viennent manifester le souci que le mariage, qui a déjà beaucoup de difficulté, ne soit pas mis encore plus en difficulté par une espèce d'égalisation des couples, d'autant plus qu'il y a bien d'autres moyens d'assurer le bien-être des autres types de couples, comme on l'a dit dans le mémoire. Il n'est pas nécessaire de les assimiler aux couples mariés et de revenir sur la définition du mariage ou du statut matrimonial ou marital.

Je pense, en toute bonne foi, que notre texte et notre position ont quelque chose de très positif. C'est de bonne foi et dans un grand sentiment de sincérité que nous vous les présentons. Merci.

La présidente: Père Langevin, madame Leddy et Father Crosby, je reconnais que vous avez un grand coeur et une volonté d'améliorer la société dans votre propre vision des choses. On vous remercie pour le travail acharné que vous avez accompli et pour les paroles que vous avez prononcées ici. Merci bien pour votre patience.

M. Ménard: Je suggère qu'on fasse une pause de cinq minutes.

[Traduction]

La présidente: Mesdames et messieurs, nous commencerons l'étude de l'article 1 à votre retour, dans cinq minutes.

.2216

.2231

Article 1

La présidente: Les fonctionnaires du ministère de la Justice sont là pour nous aider.

Avez-vous des observations à faire au sujet de l'article 1?

[Français]

M. Ménard: Madame la présidente, pour le bénéfice de tous, j'aimerais préciser que j'ai eu de l'information un peu plus tôt. Hier, le ministre s'était engagé, pour notre meilleure compréhension, à déposer des documents et nous misions sur ces documents pour obtenir des exemples toujours actuels de discrimination.

Je comprends que le gouvernement a procédé avec des documents antérieurs et que nous allons les obtenir dans les prochains jours. Les fonctionnaires travaillent à faire un état de la situation et nous allons avoir ces documents dans les prochains jours.

La présidente: J'aimerais demander aux fonctionnaires de se présenter. Les membres du comité en feront autant.

M. Ménard: Nous connaissons juste le secrétaire parlementaire.

La présidente: Je sais. On va demander aux fonctionnaires qui n'ont pas leur nom devant eux de se présenter.

[Traduction]

M. Stephen Sharzer (avocat général, Section des droits de la personne, ministère de la Justice): Stephen Sharzer.

M. John Scratch (avocat général principal, Section des droits de la personne, ministère de la Justice): John Scratch.

M. Jim Hendry (conseiller juridique, Section des droits de la personne, ministère de la Justice): Jim Hendry.

[Français]

M. Ménard: Mon interprétation est-elle bonne?

[Traduction]

La présidente: Vous avez entendu la question et l'éclaircissement qu'on vous demande au sujet de l'engagement pris par le ministre de la Justice.

M. Scratch: Hier, le ministre a dit que nous apporterions certains documents demandés parM. Ménard. Nous avons passé la majeure partie de la journée à réunir ces documents.

.2235

Nous avons remis certains documents au greffier. M. Ménard a raison: nous avons apporté des rapports dont le rapport du comité parlementaire de 1985 intitulé L'égalité ça presse, ainsi que les témoignages présentés à ce comité. Mais nous sommes en train de préparer d'autres documents à votre intention.

Certains des documents que nous avons examinés aujourd'hui sont des lettres qui ont été adressées au ministre. Nous n'avons pas pu les apporter, afin de protéger leur caractère confidentiel, et nous essayons de résumer sous une forme lisible et acceptable les cas de discrimination qui y sont décrits. Nous espérons pouvoir vous les remettre demain, en anglais et en français.

J'espère que vous serez patients avec nous. C'est beaucoup de travail, et nous essayons de faire de notre mieux.

La présidente: Merci beaucoup.

[Français]

Cela vous satisfait-il?

M. Ménard: Je suis très heureux.

La présidente: Merci.

[Traduction]

M. McClelland: J'invoque le Règlement, madame la présidente. Puis-je demander que tous les votes soient faits par appel nominal?

La présidente: Oui, certainement.

M. Robinson: J'ai seulement un ou deux éclaircissements à demander.

De toute évidence, ce projet de loi s'applique dans les domaines de la compétence du gouvernement fédéral. Quand le ministre a comparu hier soir devant le comité, je lui ai demandé s'il s'appliquerait aux 3 000 employés de la colline du Parlement. Il m'a affirmé que oui.

Il y a trois employeurs, le Sénat, la Chambre des communes et la Bibliothèque du Parlement, et j'aimerais donc avoir quelques précisions à ce sujet.

M. Scratch: Le mieux serait sans doute de demander ces précisions à la Commission canadienne des droits de la personne. Stephen me dit qu'elle a pris position, et nous ne sommes pas certains...

Si j'ai bien compris, le ministre a dit hier qu'il pensait que les valeurs incluses dans ce projet de loi devaient s'appliquer aux employés de la Colline du Parlement.

M. Robinson: Je sais que ces valeurs devraient s'appliquer. La question n'est pas de savoir si elles devraient s'appliquer, monsieur Scratch. Vous êtes les conseillers du ministre. Je vous demande si ce projet de loi s'applique aux 3 000 employés qui travaillent sur la Colline du Parlement?

M. Scratch: Pourriez-vous m'accorder un instant?

M. Graham: Le Parlement devrait certainement être régi par cette loi.

M. Robinson: C'est à espérer, mais j'aimerais qu'on me le précise, monsieur Graham.

Une voix: Il est certain que vous êtes nouveau ici, Svend.

La présidente: Monsieur Scratch, cela ne s'applique-t-il pas en vertu de l'équité en matière d'emploi?

M. Scratch: Dans la mesure où le Parlement peut s'assujettir à cette loi, effectivement, cela s'applique à la Colline du Parlement.

La présidente: Merci beaucoup.

M. Robinson: Une autre question, si vous me le permettez, madame la présidente.

La présidente: Je serai indulgente.

M. Robinson: Certains ont proposé que les dispositions sur lesquelles nous allons voter dans l'article 1, aussi bien que dans d'autres articles du projet de loi, devraient être assujetties à un régime semblable aux dispositions de l'actuel article 1 de la Charte. Encore une fois, c'est une question que j'ai posée au ministre, mais j'aimerais avoir des précisions de la part de M. Scratch ou d'autres témoins, ou même du secrétaire parlementaire, s'il veut nous éclairer à ce sujet.

Quels arguments ont été présentés afin de justifier l'insertion dans la Loi canadienne sur les droits de la personne d'une disposition semblable à l'actuel article 1 de la Charte, et quelles sont les préoccupations qui ont été soulevées à ce sujet?

M. Scratch: Le ministre a dit hier qu'une disposition semblable était à l'étude pour l'ensemble de modifications qu'il espérait proposer.

Comme il l'a signalé hier, certaines préoccupations ont été exprimées à ce sujet et au sujet des conséquences qui pourraient en découler. Je ne peux que vous répéter qu'il a affirmé que cette disposition fait l'objet d'un examen sérieux, tout comme les préoccupations qui ont été exprimées, et que pour le moment aucune décision n'a été prise.

M. Robinson: Bien entendu, cela pourrait avoir une incidence très négative sur cet article tel qu'il est adopté.

.2240

La présidente: Monsieur Robinson, je pense que le ministre vous a déjà donné une réponse. Il faudra entendre le prochain ensemble d'amendements. Cela n'a pas de rapport avec le sujet dont nous parlons. Je vous rappelle aussi que vous n'avez pas le droit de vote dans ce comité. Vous êtes présent à titre d'observateur.

Les articles 1 et 2 sont adoptés par 8 voix contre 2

La présidente: Le préambule est-il adopté?

M. McClelland: Non.

[Français]

M. Ménard: Oui.

[Traduction]

M. Robinson: J'ai une question à poser au sujet du deuxième paragraphe du préambule, où le gouvernement reconnaît et proclame l'importance de la famille comme fondement de la société canadienne. À titre d'éclaircissement, je voudrais demander au secrétaire parlementaire ou aux témoins de confirmer que rien...

La présidente: Excusez-moi, il y a un rappel au Règlement.

M. Graham: J'invoque le Règlement, ou c'est peut-être plutôt une question. Je ne vous ai pas entendue mettre l'article 3 en délibération. Si nous n'avons pas encore adopté l'article 3, nous ne pouvons pas commencer à parler du préambule.

La présidente: Y a-t-il un article 3?

M. Graham: Oh, excusez-moi.

La présidente: Bill, peut-être que dans la prochaine version nous aurons un article 3, mais apparemment celle-ci n'en a pas.

M. Epp: Vous autres, les Libéraux, vous voulez travailler toute la nuit. C'est ce qui se passe.

M. Graham: Excusez-moi. J'ai mal lu le chiffre. Excusez-moi de vous avoir interrompu. Merci, madame la présidente.

La présidente: Le préambule est-il adopté?

M. Robinson: Je veux simplement obtenir un éclaircissement au sujet de la reconnaissance de la proclamation de l'importance de la famille comme fondement de la société canadienne. Afin d'être sûr à ce sujet, je voudrais que les témoins m'assurent que rien dans ces mots n'empêche l'inclusion des familles gaies et lesbiennes.

M. Scratch: Monsieur Robinson, je ne peux que répéter ce qu'a dit le ministre hier, à savoir qu'il estime que l'objet de ce projet de loi est d'interdire la discrimination dans les domaines de l'emploi et de l'offre de biens et services. La question de l'état civil et de la situation de famille n'y est pas abordée.

M. Robinson: Je ne pose pas une question au sujet de la situation de famille. Je veux simplement qu'on m'assure que rien dans ce paragraphe du préambule n'empêche l'inclusion des familles gaies et lesbiennes.

La présidente: Cela n'a pas de rapport avec le sujet. Mais c'est vous le fonctionnaire.

M. Scratch: Comme l'ont expliqué de nombreux témoins, il existe bien des définitions de la famille, mais rien dans ce projet de loi n'en traite. Il s'agit simplement d'interdire la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

M. Robinson: Alors ces autres définitions sont comprises. Merci, madame la présidente.

La présidente: Comme vous le savez, cela comprendrait les homosexuels, les hétérosexuels et les bisexuels.

M. Robinson: Est-ce que cela comprendrait les familles homosexuelles, hétérosexuelles et bisexuelles?

La présidente: Non.

M. Robinson: Merci, madame la présidente.

M. Epp: Que le procès-verbal indique clairement...

M. Robinson: La présidente m'a aidé de très bonne grâce sur ce point.

La présidente: Non, pardonnez-moi, j'ai dit «des individus». Vous avez oublié que j'ai dit «des individus».

M. MacLellan: Madame la présidente, on ne peut rien ajouter à ce qui est dit dans le préambule, et le préambule, lui, doit être considéré isolément.

M. Robinson: J'accepte l'interprétation très réfléchie de la présidente.

La présidente: Je me suis trompée, et je la retire.

[Français]

M. Ménard: J'aurais trois choses, madame la présidente. Premièrement, je veux bien m'assurer que j'ai compris le ministre lorsqu'il a dit hier que l'interprétation qui avait été faite à ce jour de la jurisprudence était que la famille protégeait les homosexuels, les hétérosexuels et les bisexuels. Il s'est exprimé clairement en ce sens-là.

.2245

Deuxièmement, il y a trois ans, j'étais nouveau député et j'étais euphorique. Lors de la première réunion, nous avons obtenu un document du ministère de la Justice...

M. Robinson: L'euphorie est vite disparue!

M. Ménard: Cela dépend des dossiers, mais quand vous êtes là, je m'enflamme.

Des voix: Oh, oh!

M. Ménard: ...qui nous permettait d'obtenir l'information sur toutes les causes pendantes devant les tribunaux qui impliquaient les droits de la personne. Nous avons fait une bonne utilisation de ce document.

Ce serait peut-être intéressant - je ne sais pas si j'abuse de l'information que pourrait nous donner le ministère - d'avoir un document sur la jurisprudence ayant trait à tous les jugements qui ont été rendus sur la notion de la famille. Au ministère de la Justice, avez-vous cette information et accepteriez-vous de la partager avec nous?

[Traduction]

Une voix: Eh bien, voilà, les assurances du ministre ne comptent pour rien.

M. Scratch: Je peux vérifier. Je ne suis pas au courant du document auquel vous faites référence - nous avons certainement les jugements - mais je vais vérifier pour savoir s'il y a un tel document.

[Français]

M. Ménard: Je pose ma troisième question au secrétaire parlementaire, parce que je veux qu'il ait l'occasion d'échanger avec nous. C'est trop beau, dans la vie, d'être secrétaire parlementaire.

Le préambule n'a pas une disposition opératoire. Il est essentiellement interprétatif. Cela veut dire que, comme dans un certain nombre de lois, il n'est pas partie intégrante du projet de loi. Ce n'est pas une disposition opératoire, mais les tribunaux, dans des cas de litige ou de doute, pourront s'en servir comme référence, mais non pas littéralement. Aurais-je pu finalement être avocat dans la vie?

[Traduction]

M. McClelland: Eh bien, il a certainement la parole facile.

[Français]

M. Ménard: L'important n'est pas de savoir comment parler, mais de savoir comment voter.

[Traduction]

M. Kirkby: Il est possible que les tribunaux examinent le projet de loi, mais le préambule reconnaît tout simplement l'importance de la famille dans la société canadienne; il ne change pas du tout la définition. C'est tout simplement un projet de loi qui interdit la discrimination dans le domaine de l'emploi et de l'offre de biens et de services.

[Français]

La présidente: Puis-je continuer, monsieur?

M. Ménard: C'est une bonne question, madame la présidente. Oui, vous êtes ici chez vous.

[Traduction]

La présidente: Le préambule est-il adopté?

Des voix: Adopté.

M. McClelland: Non.

M. Epp: C'est trop ambigu; rien n'y est défini.

M. McClelland: Nous allons voter contre, à moins que les députés ne veulent autre chose.

M. Bernier: Un vote libre! Je propose un vote libre.

La présidente: Le titre est-il adopté?

Des voix: Adopté.

Une voix: Nous vous accordons le titre.

[Français]

M. Bernier: On a terminé, si je comprends bien, madame la présidente?

La présidente: Non, on n'a pas terminé. Il y a deux autres questions.

M. Bernier: D'accord. J'aurais une question sur l'entrée en vigueur de la loi.

La présidente: Pouvez-vous attendre qu'on ait terminé le projet de loi?

M. Bernier: Oui.

[Traduction]

La présidente: Le projet de loi est-il adopté?

Des voix: Non.

M. McClelland: Je demande un vote par appel nominal, s'il vous plaît.

La présidente: Un vote par appel nominal. Ce n'est pas la même mise aux voix. Voulez-vous que nous demandions la mise aux voix encore une fois?

M. McClelland: Oui.

La motion est adoptée par 8 voix contre 1

La présidente: Dois-je présenter le projet de loi à la Chambre?

M. Epp: Non.

Des voix: Oui.

.2250

[Français]

La présidente: Monsieur Bernier, vous avez une question?

M. Bernier: En ce qui a trait à l'entrée en vigueur de la loi, j'aimerais demander au secrétaire parlementaire si le gouvernement a l'intention de faire en sorte que cette loi entre en vigueur immédiatement après son adoption à la Chambre des communes. Autrement dit, prévoit-on des délais?

[Traduction]

M. Kirkby: Le projet de loi entrera en vigueur une fois qu'il aura reçu la sanction royale.

M. Epp: Ce qui va arriver avant que les Canadiens aient l'occasion...

[Français]

M. Bernier: Sans délai?

[Traduction]

Sans délai.

M. Epp: Oui, il ne faut pas que les Canadiens aient l'occasion d'avoir leur mot à dire. Il faut le faire avaler à la Chambre.

M. Kirkby: Je dirais plutôt «dans les meilleurs délais».

M. Epp: C'est ça la démocratie des Libéraux.

La présidente: Merci, tout le monde. La séance est levée.

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