[Enregistrement électronique]
Le mardi 4 juin 1996
[Traduction]
La présidente: Comme il y a quorum, je déclare ouverte la séance du Comité permanent des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes.
Nous tenons une série de tables rondes sur l'impact qu'ont actuellement ou que pourraient avoir les nouvelles technologies sur les droits de la personne au Canada; nous nous concentrons sur deux importantes catégories de la vaste gamme des technologies qui viennent régulièrement changer la vie des Canadiens. Nous nous interrogerons sur les enjeux qu'elles présentent, les possibilités qu'elles offrent et les dilemmes relativement aux droits de la personne.
Nous débutons aujourd'hui la deuxième table ronde et allons ajouter à l'information que nous avons recueillie lors de notre discussion sur les nouvelles technologies d'information et de communication, laquelle nous a donné un aperçu très intéressant sur le monde du travail et les changements qui y sont inhérents, ainsi que sur la place particulière qu'occupent les personnes handicapées dans ce monde du travail.
Notre but est d'évaluer dans quelle mesure ces nouvelles technologies influent sur la vie privée, les choix et la qualité de vie des Canadiens. Constituent-elles une menace, ou au contraire renforcent-elles les droits de la personne? Quels sont les véritables enjeux?
Nous avons la chance de compter parmi notre panel de spécialistes d'aujourd'hui, des représentants du monde biomédical, des penseurs et des intervenants éminents dans ce domaine. Je tiens à vous dire que nous comptons établir un lien entre nos conclusions et la mesure dans laquelle nos cadres législatifs, réglementaires et stratégiques actuels permettent de protéger et de défendre adéquatement les droits menacés par ces nouvelles technologies. Nous nous nous demanderons également quels changements pourront être apportés à ces cadres pour assurer une meilleure protection des droits humains et si la filière des droits de la personne constitue la meilleure avenue pour procéder à ces changements.
Je suis heureuse de vous présenter les membres de notre panel d'aujourd'hui:
[Français]
en premier lieu, Mme Bartha Knoppers. Madame Knoppers, bonjour et bienvenue parmi nous.
Pendant sa carrière universitaire, Mme Knoppers s'est beaucoup occupée des questions juridiques, éthiques et sociales dans le contexte des politiques de l'État.
Elle enseigne à la Faculté de droit de l'Université de Montréal et est chercheure principale au Centre de recherche en droit public.
Admise au Barreau du Québec en 1985, elle est conseillère juridique auprès de la firme McMaster Meighen.
Elle est actuellement présidente du Comité international d'éthique sur le projet HUGO et membre du Comité international de bioéthique de l'Organisation des Nations unies pour l'UNESCO.
Elle est également membre du comité central du Programme canadien d'analyse et de technologie du génome, dont elle préside le Comité des questions médicales, éthiques, juridiques et sociales, et elle agit à titre de consultante pour Industrie Canada.
L'année dernière, elle est devenue présidente du comité des questions sociales de l'American Society for Human Genetics. Elle a aussi été commissaire à la Commission royale sur les nouvelles technologies de reproduction. Elle a aussi travaillé comme experte auprès des comités de l'Organisation mondiale de la santé, à Genève. Madame, vous êtes la bienvenue. Vous avez obtenu votre doctorat à la Sorbonne, n'est-ce pas?
[Traduction]
En second lieu, j'aimerais vous présenter M. Gregor Wolbring, qui a obtenu un doctorat de l'Institut de biophysique Max Planck en Allemagne pour ses travaux avec le Prix Nobel Hartmut Michel. Il effectue actuellement des travaux postdoctoraux au département de biochimie médicale de l'Université de Calgary, où il est également conférencier invité en matière de réadaptation des handicapés.
M. Wolbring est porte-parole du Conseil canadien des droits des personnes handicapées sur les techniques de reproduction et était l'un des représentants du Conseil sur l'euthanasie dans l'affaire Latimer. Il conseille également plusieurs groupes dans le monde, dont le Réseau d'action des femmes handicapées, que nous appelons DAWN Canada, sur les questions de génétique; les Centres de vie autonome d'Autriche et le Queensland Advocacy Inc. d'Australie.
Nous sommes très heureux de vous accueillir parmi nous, monsieur Wolbring.
Troisièmement, nous avons avec nous Mme Anne Summers, généticienne clinique qui travaille depuis sept ans au Programme génétique de l'Hôpital général de North York. Elle a fait ses études médicales à l'Université de Toronto et a reçu sa formation en pédiatrie et en génétique au Hospital for Sick Children de Toronto.
Les diagnostics prénataux et les tests de dépistage des maladies apparaissant chez l'adulte sont deux domaines d'intérêt de Mme Summers. Dans ces deux domaines, des questions d'éthique se posent continuellement, ce qui se comprend facilement. C'est ce qui l'a amenée à son troisième domaine d'intérêt principal, l'interface entre l'éthique et la génétique.
Mme Summers a été membre et présidente du Comité de bioéthique de l'Association médicale de l'Ontario et est la nouvelle présidente du Comité d'éthique de l'Hôpital général de North York. Ces deux comités ont traité de questions comme l'aide au suicide, les directives données à l'avance, les tests génétiques visant les maladies apparaissant chez l'adulte, l'éthique et l'affectation des ressources, et enfin les tests prénataux.
Il y a ensuite - et je ne présente pas nos spécialistes par ordre de préséance, mais c'est peut-être pour des raisons linguistiques que je procède ainsi - Mme Abby Lippman, professeur et présidente intérimaire du Département d'épidémiologie et de biostatistique de l'Université McGill. En outre, elle enseigne au Département de génétique humaine et d'études sociales en médecine de McGill et
[Français]
au Département de médecine sociale et préventive de l'Université de Montréal.
[Traduction]
Mme Lippman est également coprésidente du Comité de la génétique humaine du Council for Responsible Genetics, basé aux États-Unis.
Ses recherches actuelles se concentrent surtout sur les études féministes appliquées aux techniques génétiques. Elle est également le principal chercheur dans une étude qualitative et participative sur la communication entre les femmes atteintes du cancer du sein, que finance l'Institut national du cancer du Canada. Elle est diplômée de l'Université McGill.
[Français]
Nous avons aussi parmi nous le Dr Marcel Mélançon. M. Mélançon est professeur et chercheur à l'Université du Québec à Chicoutimi et au Collège de Chicoutimi, où j'ai eu le plaisir d'aller à quelques reprises. Son domaine d'expertise est la bioéthique, plus particulièrement appliquée à la génétique humaine. Il dirige une équipe de recherche multidisciplinaire regroupant cinq universités et collèges québécois, ainsi que des experts de la génétique, de la morale, du droit et de la sociologie.
Cette recherche traite des questions juridiques, sociales et éthiques reliées aux techniques biomédicales, en particulier la génétique, comme celles touchant l'information sur les données génétiques des individus et ses effets éventuels pour l'assurance, l'emploi, la discrimination et l'eugénisme.
En plus d'être directeur du Groupe de recherche en génétique et éthique du Québec, M. Mélançon est codirecteur de l'unité de génétique au Réseau de recherche en éthique clinique chez l'humain et directeur du Groupe de bioéthique du Collège de Chicoutimi. M. Mélançon a reçu son doctorat à Fribourg, en Suisse.
[Traduction]
M. Jerry Bickenbach est professeur au département de philosophie et de droit de l'Université Queen's et membre du Barreau de l'Ontario. C'est un expert en matière de handicaps physiques et de politique sociale, qui a notamment écrit et enseigné sur l'éthique biomédicale, sur les politiques de l'État concernant les personnes handicapées, sur le sida comme handicap, sur l'égalité des droits et le handicap physique.
Ses activités de recherche et de consultation diverses incluent une étude sur la participation des handicapés à l'établissement de politiques au Canada, un travail sur la procédure criminelle pour la Commission de réforme du droit du Canada, des conseils auprès du Roeher Institute et du Secrétariat aux personnes handicapées de l'ex-Secrétariat d'État. Il est membre du North American Collaboration Centre for the Revision of the International Classification of Impairments, Disabilities and Handicaps, et siège au conseil d'administration du Conseil de planification sociale du district de Kingston. Il a siégé au Comité sur l'accessibilité de l'Université Queen's et au Comité d'éthique de la Faculté de droit. Il a reçu son doctorat de l'Université de l'Alberta.
Je saurais gré à Mme Knoppers d'amorcer la discussion. Vous pourriez peut-être nous expliquer les problèmes qui risquent de se poser, selon vous, et certains changements et certaines décisions qui influent, de façon positive ou négative, selon le cas, sur notre qualité de vie.
Mme Knoppers: Merci, madame la présidente. Mon objectif est double: d'une part vous informer au sujet de certaines initiatives nationales et internationales visant les nouvelles technologies et le problème d'une éventuelle discrimination et, d'autre part, traiter de certaines questions abordées lors de la troisième table ronde, car elles sont directement liées à un projet de recherche en cours.
Lorsque l'on parle de sensibilisation aux nouvelles technologies, que ce soit dans le domaine de l'information, de la reproduction ou des essais génétiques, il importe de bien comprendre l'expérience passée et d'y réfléchir - non seulement en fonction des événements survenus quant à l'utilisation, à bon ou à mauvais escient, ou abusive, des nouvelles technologies, mais également en vue de formuler différentes approches.
Si l'on considère la façon dont la politique et la législation ont été élaborées par le passé, cela se fait généralement par réaction à des faits scientifiques. Il suffit de voir ce qui s'est passé dans le domaine des greffes d'organes ou même des technologies de reproduction pour comprendre, si l'on prend l'exemple du Canada - et peut-être pas des autres pays - que nous sommes douloureusement en retard et souvent mal préparés. Des progrès scientifiques nous sont présentés comme des faits accomplis auxquels nous devons alors nous adapter en élaborant une politique quelconque.
Dans le domaine de la génétique humaine, on s'efforce aux niveaux international, régional et national, de ne pas se contenter de réagir mais plutôt d'adopter des stratégies proactives, fondées sur des normes et des principes. Permettez-moi de vous citer quelques exemples.
Vous savez sans doute que le Comité d'éthique de l'UNESCO est en train d'élaborer la Déclaration internationale sur la protection du génome humain et des droits de l'homme. De même, au niveau européen, le Conseil de l'Europe rédige actuellement une ébauche de convention sur la bioéthique. HUGO, l'organisation chargé du projet de génome humain, a adopté le 21 mars dernier à Heidelberg un énoncé de principe sur la recherche sur le génome. Cette recherche porte sur les tests de population, en tenant compte des diverses questions d'ordre culturel et des différentes notions du soi, de la génétique, de l'ADN, etc.
Enfin, ici au Canada, notre Comité de l'éthique médicale, du droit et des questions sociales du Programme canadien de génome humain a fait préparer l'an dernier un rapport sur l'un des problèmes qui suscitent actuellement le plus de crainte, voir de problèmes réels dans notre pays, celui de l'assurance. Au fur et à mesure que nous en apprenons davantage non seulement au sujet des maladies classiques dues à un seul gène, mais également au sujet du fait qu'il existe des facteurs génétiques dans la plupart des maladies courantes, toute la question de l'assurance pose un énorme problème.
Le groupe de travail MELSI a demandé à l'industrie de créer un comité spécial pour étudier la démarche canadienne dans ce domaine, car nous vivons dans un pays où l'assurance-maladie est universelle, et qui est donc différent des pays du sud dans la mesure où nous avons déjà l'infrastructure de sécurité sociale ou de soins de santé. C'est quelque chose que nous ne voulons pas perdre, mais l'assurance-vie, l'assurance-invalidité et les autres formes d'assurance sont tout aussi importantes.
Telles sont les initiatives que nous avons mises en oeuvre pour essayer, avant que les technologies génétiques humaines ne soient pleinement intégrées à notre société, de préparer, d'étudier et d'élaborer les normes qui nous guideront en tant que pays, en tant que société et en tant que membre de la communauté internationale.
Dans le cadre du projet de recherche qui nous occupe actuellement au centre, nous examinons la normativité: comment les normes émergent-elles? De concert avec d'autres chercheurs, nous essayons de voir ce qui s'est passé dans l'énergie nucléaire, les communications radio et télévisuelles, et ainsi de suite.
Dans le domaine de la génétique humaine, nous essayons de voir quels sont les instruments qui existent déjà. Pouvons-nous compter sur la fiabilité de la législation actuelle sur les droits de la personne à l'échelle fédérale et provinciale? Faut-il ajouter à la fin de la longue liste de motifs illicites de discrimination quelque chose comme «caractéristiques génétiques», après les handicaps, le sexe, la race, etc.?
Un tel ajout servirait-il à stigmatiser davantage une condition humaine normale, c'est-à-dire une forme quelconque de maladie, dont nous sommes tous porteurs à travers certains gènes nuisibles? L'ajout empêcherait-il l'intégration et la normalisation accrues, si vous voulez, de la maladie et de l'invalidité? Autrement dit, s'agirait-il d'une démarche qui ne contribuerait pas au respect de certains principes éthiques et juridiques?
Devrions-nous ajouter aussi à la législation relative aux droits de la personne la notion de perception? En d'autres termes, au lieu d'ajouter une catégorie de discrimination illicite, faudrait-il préciser que la discrimination comprend la perception et élargir ainsi les catégories de protection que nous offrons?
Certains pays ont emprunté cette voie. Ils ont adopté des lois que je qualifierais de génétiquement spécifiques. Ils procèdent secteur par secteur, en examinant leurs droits en matière d'emploi, d'assurance et de protection de données pour voir comment contrôler, actuellement ou dans l'avenir, l'intégration des informations génétiques.
La législation génétiquement spécifique comporte également un danger, car il peut y avoir des contradictions, et dans un pays comme le nôtre, où les sphères de compétence sont distinctes et nombreuses, les différences entre les provinces peuvent créer des problèmes importants.
Voilà donc les deux démarches que l'on étudie actuellement.
Enfin, en guise de conseil à votre comité, la préoccupation la plus urgente est la protection actuelle, ou l'absence de protection, des dossiers médicaux. Au lieu de se concentrer sur une technologie en tant que telle, concentrez-vous sur le domaine où la plupart des assureurs, des employeurs et des tierces parties, peu importe la législation des droits de la personne limitant la discrimination, pour ainsi dire, obtiennent quand même ces informations pour défavoriser les personnes qui sont porteuses, asymptomatiques ou touchées.
Je vous remercie.
La présidente: Merci beaucoup. Vous avez certainement fixé les paramètres.
Si je peux savoir ce qu'il en est du droit d'auteur visant les gènes ou mon patrimoine génétique, est-ce que je suis seule à disposer de ce droit?
Mme Knoppers: Nous avons également étudié cette question au Canada. Il s'agit de la notion de propriété et de la façon de caractériser non seulement le matériel mais aussi l'information. Faut-il parler de personnes ou de biens ou devrions-nous inventer une nouvelle notion?
La présidente: Merci beaucoup.
[Français]
Chaque personne disposera d'à peu près cinq minutes.
[Traduction]
J'invite maintenant M. Gregor Wolbring à prendre la parole.
M. Gregor Wolbring (Département de biochimie médicale, Université de Calgary): Bonjour, madame la présidente.
Tout d'abord, je pense que nous devons savoir qui sont les principaux bailleurs de fonds de la recherche génétique et qui est derrière la recherche progénétique, c'est-à-dire qui finance ces activités. Traditionnellement, c'est le secteur privé qui contribue le plus à la recherche génétique. S'il le fait, c'est parce qu'il en attend un profit tôt ou tard.
Aux États-Unis, la plupart des sociétés de biotechnologie sont largement financées par les compagnies d'assurance. Les États-Unis sont encore plus fragiles et vulnérables aux abus des compagnies d'assurance que le Canada, mais les Américains sont à l'avant-garde de la recherche génétique et nous ne faisons que suivre.
En abordant la question du point de vue de l'invalidité, nous devons voir comment le développement de la recherche génétique a changé la perception des personnes handicapées. Pendant les cinq premières minutes de mon exposé, je parlerai de deux événements qui se sont produits.
Nous assistons à ce qu'on appelle la médicalisation de l'invalidité, ce qui signifie que, dans l'esprit de bien des gens, invalidité égale maladie. Il s'agit là d'une équation que nous rejetons totalement. Certaines maladies peuvent rendre infirme, mais à mon avis, l'infirmité est une expression d'un déséquilibre de pouvoir entre une minorité et la majorité, qu'il s'agisse d'une femme dans une société dominée par les hommes, d'un musulman dans une société dominée par les chrétiens, ou d'un chrétien dans une société dominée par les musulmans.
Le deuxième phénomène que nous observons est celui de la génétification de la médecine. De plus en plus, à travers les médias et les relations publiques, la population a l'impression que tout est dans nos gènes. Nous ne sommes plus responsables. Les facteurs environnementaux n'existent plus; tout est dans nos gènes.
Le meilleur exemple de ce phénomène est le gène du cancer du sein. Les médias ont fait tout un tapage à ce sujet, mais le gène du cancer du sein n'est responsable que de 2 p. 100 à 5 p. 100 des cas de cancer du sein. Entre 1987 et 1991, les cas de cancer du sein ont augmenté de 10 p. 100 aux États-Unis. De toute évidence, la solution ne réside pas dans la recherche sur les facteurs génétiques du cancer du sein. Elle réside beaucoup plus dans l'étude des facteurs environnementaux et autres.
Actuellement, les médias insistent démesurément sur les gènes et le traitement génétique comme si c'était une panacée. Nous avons des perceptions qui vont bien au-delà de la réalité et nous commençons à accroître les attentes de la population, ce qui est très dangereux à notre avis.
On peut aussi constater que, par définition, le processus d'approbation d'une technologie commence normalement par un petit groupe bénéficiant de l'appui du public, comme dans le cas de la mise au point d'un test génétique pour la maladie de Tay-Sachs, et l'on passe ensuite à un groupe différent qui s'intéresse au syndrome de Down. Ce genre de processus est essentiellement eugénique parce que l'on pointe du doigt un groupe pour un traitement spécial.
L'une des recommandations du rapport de la commission royale était de ne pas utiliser de tests prénataux pour la sélection sexuelle si cela allait entraîner un avortement, car cela va à l'encontre du principe de la vie et de la dignité humaine et à l'encontre des valeurs canadiennes. Cependant, on dit dans le même rapport que l'on peut utiliser des tests prénataux pour détecter des infirmités. Est-ce que je suis différent parce que je porte l'étiquette d'une infirmité? Ne suis-je pas visé par le même principe de la vie et de la dignité humaine? Cela montre tout simplement que nous appliquons ici deux poids deux mesures.
Cela montre aussi que, quand on regarde la destination des fonds consacrés à la recherche génétique, on se rend compte qu'ils ne sont pas utilisés pour les maladies génétiques dites traditionnelles comme la maladie de Huntington, la fibrose kystique, etc. Ils sont utilisés notamment dans la recherche sur les gènes causant l'alcoolisme, la maniaco-dépression, la schizophrénie, le comportement violent, l'orientation sexuelle, etc. Tout cet argent est destiné à la recherche.
Par exemple, où placerions-nous le Xq28, c'est-à-dire la découverte préliminaire d'un gène de l'homosexualité? Serait-ce du côté de la sélection sexuelle, par conséquent interdite, ou du côté de la détection des infirmités, par conséquent permise?
Nous avons ici une technologie qui, de par sa nature, est tout simplement eugénique. On ne peut pas se le permettre, car on ne peut pas tout avoir en même temps. La seule façon de supprimer l'aspect eugénique consiste à permettre uniquement des tests pour les maladies qui sont traitables.
Le syndrome de Down est une des affections pour lesquelles on fait un dépistage couramment, mais il est incurable. Du reste, on ne fait même pas beaucoup de recherche pour trouver un remède. La seule raison pour laquelle il y a dépistage du syndrome de Down, c'est pour l'éviter et actuellement, on y procède même lors du diagnostic de pré-implantation.
Toutes ces technologies posent un véritable dilemme. Toutefois, nous sommes comme en chute libre. L'opinion négative à l'égard des personnes handicapées ne fait que croître mais sans cette opinion négative, la demande technologique n'existerait pas. Si chacun pensait qu'il n'y a aucun inconvénient à ce que quelqu'un soit atteint du syndrome de Down, nous n'aurions pas besoin de cette technologie. C'est donc l'opinion négative à l'égard d'un groupe qui fait croître la demande technologique.
Un peu plus tard, parce que mon temps est presque écoulé, je vous ferai part de certaines affirmations qui vous prouveront que l'avancement du dépistage génétique a déjà entraîné des modifications législatives dans d'autres pays, par exemple.
Merci.
La présidente: Merci beaucoup.
Votre expérience dans les écoles, quand vous parlez aux enfants de 5e et 6e années, m'a bien servie. Les enfants, qui sont très francs et ouverts, posent des questions quand ils vous voient en fauteuil roulant, vous qui n'avez pas de jambes. Ils vous demandent comment vous vous débrouillez, comment vous travaillez et où vous travaillez. Vous répondez à toutes ces questions très franchement car les enfants ont le droit de les poser et d'obtenir une réponse. Ensuite vous leur demandez de deviner ce que vous faites et aucun n'y arrive.
M. Wolbring: En effet. Les enfants ont des idées reçues transmises par les médias et les parents, des stéréotypes très négatifs et c'est pour cela qu'ils ont une idée tout à fait erronée de ce que peuvent faire les personnes handicapées comme moi.
Bien sûr, je ne suis pas une personne handicapée typique. La plupart des personnes handicapées n'ont pas eu autant de chance que moi. J'ai eu des parents qui ont combattu pour faire valoir mes droits avant que je ne puisse le faire moi-même. Beaucoup de personnes handicapées n'ont pas cette chance. Même dans d'autres groupes, également atteints par la thalidomide, on peut voir des différences suivant que les parents ont pu mieux s'en tirer face à l'attitude négative de la société.
En effet, j'essaie de parler aux enfants car ils sont très réceptifs et ouverts d'esprit. Je leur parle pour leur faire reconnaître la différence entre ce qu'ils pensent de moi et ce qu'est la réalité, car cela n'a rien à voir.
J'y parviens très bien.
La présidente: Merci.
Docteur Summers, s'il vous plaît.
Dr Anne Summers (ex-présidente, Comité de bioéthique, Association médicale de l'Ontario): Quant à moi, je vais envisager les choses sous un angle beaucoup plus étroit que les deux premiers intervenants.
Je suis médecin et je m'intéresse vivement aux rapports médecin-patient. Je constate qu'il se produit une révolution génétique générale, si on peut appeler les choses ainsi, mais je vois cette révolution dans un contexte très restreint, du point de vue du médecin et de son patient. Même s'il en est ainsi, j'en tire probablement les mêmes conclusions que les deux intervenants qui m'ont précédée.
Qu'on le veuille ou non, et les gens le savent très bien, la médecine passe de plus en plus par la génétique, il y a une révolution génétique et ce n'est que le début. Nous assistons à l'explosion de la technologie génétique. Jusqu'à maintenant, nous qui sommes dans le domaine, avons réussi à nous en tirer, mais très bientôt nous serons dépassés.
Je voudrais vous parler du counselling que nous devons dispenser à nos patients, afin que vous compreniez la situation.
Pour l'avenir, cela aura peut-être des conséquences mirobolantes. Les gens pourront peut-être assumer la responsabilité de leur propre santé, conscients des facteurs de risque, des modifications à apporter à leur mode de vie et des médicaments qu'il faut prendre. Nous pourrons peut-être arriver à changer leur avenir.
Mais entre-temps, nous sommes en mesure de dépister un grand nombre d'anomalies et les patients veulent subir des tests mais il est un fait qu'il y a trop peu de cas où nous pouvons offrir un traitement. Nous pouvons peut-être prévenir jusqu'à un certain point, mais nous n'avons pas beaucoup de traitements. Ainsi, nous pouvons renseigner les gens sur leurs conditions mais nous sommes plutôt impuissants sur le plan de l'intervention.
Il faut être très prudent dans ce genre de situation. Il faut en tirer des leçons et s'en servir à l'avenir.
Une des maladies dont je m'occupe couramment est la maladie de Huntington. Notre hôpital a une clinique dédiée à cette maladie. C'est une affection neurodégénérative. Le porteur du gène de la maladie de Huntington sera atteint à un moment donné dans sa vie, d'habitude entre 30 et 40 ans, mais la maladie peut se déclarer n'importe quand.
Au fur et à mesure que la maladie progresse, la personne atteinte perd le contrôle de ses mouvements volontaires ou bien il se développe ce que l'on appelle la «chorée», qui se manifeste par d'amples mouvements du corps. Presque invariablement, il y a changement de comportement, ce qui rend les choses très difficiles pour la famille et les amis et souvent il y a déclenchement d'une démence progressive. C'est donc une affection très grave.
Il existe désormais un dépistage très précis pour cette maladie. Nous pouvons prendre un échantillon de sang sur n'importe qui et grâce à un test, nous pouvons lui confirmer s'il est atteint ou non de la maladie de Huntington. Mais nous ne faisons pas cela. Nous ne prenons d'échantillon de sang que sur les sujets où l'on trouve des antécédents de cette maladie dans la famille car autrement ce serait une perte de ressources et nous créerions beaucoup d'angoisse pour rien.
Pour procéder au dépistage, il faut préparer nos patients. Nous ne pouvons pas tout simplement prendre un échantillon de sang et l'envoyer au laboratoire le plus près. Une fois la réponse obtenue, nous ne pouvons pas tout simplement téléphoner au patient et lui dire: «Vous êtes porteur du gène de Huntington. Quel dommage». Il faut préparer le patient à cette nouvelle et s'assurer qu'il comprend ce que cela signifie.
Nous faisons cela en nous entretenant avec chaque patient individuellement. Nous parlons à chacun des questions de génétique, de l'aspect scientifique. Il faut également lui parler de l'aspect psychologique. Les résultats ne sont d'ordre purement scientifique, car ils peuvent changer la vie du patient du tout au tout.
La présidente: Est-ce que vous parlez de la famille, de l'enfant qui naît ou...
Dr Summers: Je parle d'adultes. Nous évitons le dépistage des maladies congénitales chez les enfants à moins d'avoir un traitement ou le moyen de prévenir la maladie.
Il faut donc renseigner les gens sur cette maladie. Il faut qu'ils comprennent les conséquences des résultats obtenus mais il faut être prêts à les appuyer pas seulement au moment de l'obtention des résultats mais à long terme. Nous ne pouvons pas nous borner à dire: «Voilà le résultat. Au revoir». Il faut quelqu'un pour assurer les suivis, pour les aider au moment du déclenchement de la maladie à faire face à la situation et pour les aider à attendre ce déclenchement. Le patient sait que cela va se produire mais il ne sait pas quand. Dans bien des cas, il vaut mieux que les gens le sachent, mais dans d'autres, il vaut mieux pas.
Une des choses qu'il faut éviter, c'est de forcer les gens. Bien des gens viennent à nous et nous disent: «Mon fils et ma fille veulent que je subisse un test parce qu'ils veulent des enfants. Je n'y tiens pas mais je pense que cela les aidera». C'est le patient lui-même qui doit vivre avec le résultat. Le fils ou la file également, mais l'urgence est moindre dans leur cas que dans le cas de la personne qui subit le test. Il faut donc nous assurer qu'ils savent bien à quoi s'en tenir et veiller à ce que personne ne les force à le faire.
Ce qui est encore plus tragique, ce sont ceux qui s'adressent à nous et nous disent: «J'ai essayé d'obtenir une police d'assurance, mais la compagnie refuse de me la vendre à moins que je ne subisse un test et que je ne leur révèle le résultat». Cela revient à ce que disait Mme Knoppers. C'est un aspect très important sur lequel le comité devrait se pencher.
Voilà le genre de préparation qu'il nous faut faire. Nous devons assurer un suivi à long terme. Le test d'ADN dans le cas de ces patients représente l'aspect le moins difficile. C'est probablement celui qui coûte le moins cher également.
Ainsi, on en arrivera à pouvoir dépister le gène du cancer du sein, par exemple, ce que nous pouvons déjà faire jusqu'à un certain point, ainsi que d'autres gènes cancéreux, les gènes d'une maladie de coeur, du diabète - que sais-je encore. Nous aurons tous un gène problématique.
Il faut donc pouvoir préparer les gens à cela, et à long terme, cela ne peut pas se faire au cas par cas.
Voici un des deux points essentiels que je veux signaler. Je pense que la société actuelle n'est absolument pas préparée à cela. Les entretiens que j'ai eus avec mes propres patients me confirment qu'ils sont ignorants de la génétique en général et de leur état de santé en général et je trouve cela renversant. En outre, naïvement, ils ignorent qui a accès aux résultats du dépistage et l'utilisation qu'on peut en faire.
Notre pays doit donc se pencher sur cet aspect-là et il faut commencer à un âge tendre - ne pas se contenter de dire aux gens qu'ils devraient subir des tests de dépistage pour telle ou telle maladie mais leur donner le moyen de décider de subir un test ou non et les rassurer qu'il est tout aussi acceptable de le faire que de ne pas le faire.
Bien des gens se sentent bousculer par la technologie: le test existe et par conséquent il faut le subir. Cela n'a pas lieu d'être. Ce devrait être une question de libre arbitre.
Dans le cas de la maladie de Huntington, nous pensions que 80 p. 100 des gens demanderaient à subir le test dès qu'il fut disponible. En fait, au départ il n'y en a eu que 15 p. 100 et maintenant c'est probablement 25 p. 100. Cela prouve que la vaste majorité des gens ne souhaitent pas subir un test et nous ne devrions pas créer des conditions qui les forcent à le faire.
La présidente: Docteur Summers, je voudrais une précision. Avez-vous dit que les compagnies d'assurance demandaient ou exigeaient ce genre de renseignements?
Dr Summers: Oui, dans certains cas. Certains de mes patients se sont présentés à mon cabinet pour cette raison-là.
Je place au premier rang des questions qui devraient être examinées à l'échelle nationale celle du choix éclairé. Tout dépistage, qu'il s'agisse du dépistage prénatal, dans la tendre enfance ou encore du dépistage des affections qui se manifestent à l'âge adulte, doit se faire par choix éclairé et non par consentement éclairé. Il faut que les renseignements soient fournis à la personne qui demande le dépistage. Il ne s'agit pas ici de protéger le médecin ou le responsable médical. Il s'agit de protéger le patient.
Deuxièmement, il faut bien se garder de forcer les gens. La coercition peut se faire en douce. Un médecin peut estimer que cela aidera le patient. Un membre de la famille peut penser que cela aidera la famille. Ou le mobile peut aussi être plus sinistre. Aux États-Unis, ce peut être un organisme de soins de santé ou un employeur alors qu'au Canada ce peut être une compagnie d'assurance. Il faut donc se garder de créer des conditions qui puissent mettre un patient dans une telle situation.
Troisièmement, et Mme Knoppers nous en a parlé, il y a la question de la confidentialité. C'est une chose que nous tenons à protéger. Nous ne pouvons pas garantir la confidentialité absolue car grâce à divers moyens, diverses personnes ont accès aux dossiers médicaux privés, mais nous disons bien à nos patients que cela peut se produire, de sorte qu'ils sont sensibilisés au fait qu'il peut y avoir violation de leur confidentialité. Encore une fois, il faudrait que tout le monde soit au courant de cela. Ces renseignements privés vont exister mais il se peut qu'on ne veuille pas que d'autres en prennent connaissance.
Il faut garantir aussi un accès égal. Il ne faudrait pas que s'instaure une situation d'élitisme et que les mieux renseignés, les plus instruits puissent s'en prévaloir car il faudrait qu'il y ait une éducation universelle à cet égard. Nous devrions en tout état de cause permettre aux gens de refuser le dépistage en leur garantissant que c'est tout aussi acceptable que de le subir.
Il faudrait s'abstenir de toute discrimination contre ceux dont le résultat est positif dans le cas d'une maladie particulière et contre ceux qui choisissent de ne pas subir le test. Pour chaque nouveau test, il faudrait peser le pour et le contre de l'alternative, le subir ou ne pas le subir.
Quant aux politiques qu'il faudrait envisager selon moi, je préconise que l'histoire familiale ou génétique demeure privée. Je ne suis pas avocate et je ne sais pas comment il faudrait s'y prendre mais je pense que c'est un élément très important. Cet élément est majeur quand il y a coercition mais il ne devrait pas intervenir en médecine.
Notre pays devrait privilégier l'oeuvre éducative à l'avenir. Je ne sais pas comment il faut s'y prendre mais il faudrait intervenir à tous les paliers. Nous disposons de toutes sortes de médias, Internet et d'autres moyens semblables dont il faut nous prévaloir.
En terminant, et je ne sais pas si cela est possible, il serait souhaitable que l'on délimite la responsabilité du médecin à l'égard de son patient, de la famille du patient et de la société en général.
Prenez le cas d'une personne atteinte de la maladie de Huntington et qui serait dans les forces de l'ordre. Il faut qu'elle porte une arme et conduise une voiture. Elle risque de devoir prendre des voitures en chasse à grande vitesse. Quand y a-t-il violation de la confidentialité en signalant son état à son patron? Quand le bien de la société a-t-il préséance? Manifestement, c'est quand il y a risque mais il est très difficile de prévoir quand ce risque va surgir.
Dans d'autres cas, la famille du patient aurait peut-être intérêt à être renseignée mais le patient refuse de révéler son état. Que faire dans de tels cas? La réponse est peut-être déjà toute trouvée mais quant à moi je ne la connais pas.
Merci.
La présidente: Merci beaucoup, docteur Summers. Il me semble que le domaine est très vaste.
Monsieur Mélançon.
[Français]
s'il vous plaît.
M. Marcel Mélançon (directeur, Groupe en génétique et éthique du Québec (Canada)): Je voudrais brièvement souligner quatre points dont certains vont probablement recouper ceux que nous venons d'entendre.
Tout d'abord, il y a en biomédecine un nouveau secteur qui pourrait rendre des personnes ou des catégories de personnes vulnérables, et c'est le domaine de la génétique.
Nous avons absolument besoin de la génétique humaine et je crois que le projet HUGO, Human Genome Organization, est très utile pour faire avancer les connaissances sur notre patrimoine héréditaire et développer des biotechnologies pour intervenir dans le domaine de la santé afin d'éviter la souffrance humaine.
Ce projet sur le génome humain ouvre en quelque sorte l'ère du génodiagnostic, c'est-à-dire les possibilités d'administrer des tests génétiques pour connaître des maladies de plus en plus délicates et communes.
Deuxièmement, la génétique a un aspect inédit par rapport à d'autres secteurs de la médecine. La génétique donne de l'information sur les tiers apparentés, sur la famille nucléaire et la famille étendue, de telle sorte que si vous avez une maladie dans une famille, qu'elle soit récessive comme la fibrose kystique ou dominante comme la maladie de Huntington, dans une proportion variable, tous les autres sont à risque. Il faut veiller à ce que cette information sur autrui reste cantonnée dans des limites raisonnables.
Je viens du Saguenay, où on est allé en cour en 1991 ou 1992, dans l'affaire Audet. Quelqu'un qui était porteur asymptomatique du gène de la maladie de Steinert est décédé dans un banal accident d'automobile, et le juge a refusé l'assurance, parce qu'à la question numéro 29, qui demandait s'il était porteur d'une anomalie physique ou mentale, il avait répondu non. Il n'était pas du tout malade. Son épouse a ouvert le dossier médical, et il y était indiqué qu'il était porteur diagnostiqué, comme son père et son frère, et la compagnie d'assurance a refusé de payer.
Il faut encadrer cet aspect nouveau de la génétique pour éviter d'avoir à gérer a posteriori des situations un peu difficiles.
La troisième caractéristique de la nouvelle génétique, ce sont les projets multicentriques, voire internationaux. Je pense aux États-Unis, où des comités d'éthique - je fais partie de deux ou trois comités - ont à se prononcer sur des projets qui sont financés ailleurs. Même si les données familiales ou personnelles sont codées, il y a des points délicats pour la vie privée et la confidentialité.
Le troisième point, une variante du deuxième, est particulier à la recherche en génétique, et c'est la cueillette, la conservation et la gestion de ces données génétiques sur les individus et la famille. Il faut parfois faire des échanges entre centres de recherche, et ces échanges peuvent créer des difficultés. On se demande s'il ne faudra pas un jour une loi pour protéger les renseignements génétiques, un peu comme la loi belge adoptée il y a deux ans qui interdit aux assureurs l'accès aux tests génétiques.
Il faut apprécier le commissaire à la vie privée du Canada qui a publié un document sur le dépistage génétique et la vie privée, de même que les trois conseils de recherche du Canada qui viennent de publier un document qui renferme un chapitre sur cette question-là.
Le quatrième et dernier point, c'est l'avènement du secteur privé dans la grande recherche autrefois laissée aux hôpitaux ou aux universitaires. On sait que les compagnies pharmaceutiques et parfois même les compagnies d'assurance investissent dans la recherche. Même des professeurs ou des chercheurs universitaires fondent leurs propres compagnies à but lucratif avec des actions, et d'autres compagnies se lancent dans le diagnostic génétique. Ce qui est nouveau, c'est l'intervention du privé.
Dans la mesure où des organismes gouvernementaux comme le Conseil de recherches médicales peuvent avoir un droit de regard sur la recherche qui se fait, il n'y a pas trop de préoccupations à y avoir. Mais si ça passe au secteur privé, surtout à but lucratif, il est possible que la qualité des soins en souffre au profit des finances.
Il est important qu'un organisme comme le Comité des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées se penche, par mesure de prévention, sur tout le domaine de la recherche et de l'intervention génétique pour éviter qu'on ait à gérer a posteriori des situations difficiles.
Avec un peu d'humour, j'ajouterai en terminant qu'il faudrait peut-être que notre société apprenne une nouvelle sorte de solidarité dans la condition humaine, solidarité qui nous apprendrait la modestie génétique puisque nous sommes tous porteurs d'une vingtaine de gènes létaux récessifs. Nous sommes tous imparfaits génétiquement. Nous pourrions apprendre un peu la modestie pour éviter une éventuelle discrimination génétique. Merci, madame.
La présidente: Je vous remercie. J'aimerais reprendre un peu plus tard la question de la maladie de Tay-Sachs dans la région du Saguenay - Lac-Saint-Jean et que vous nous fassiez part de vos suggestions.
[Traduction]
Merci beaucoup.
Nous donnons maintenant la parole à madame Lippman.
Mme Abby Lippman (Département d'épidémiologie, Université McGill): Merci.
Je vais aussi m'efforcer de respecter les limites de temps mais je risque de parler trop vite. Je dois faire une autre mise en garde. Même dans les meilleures conditions, je ne réussis jamais à être aussi claire et concise que ne l'ont été par exemple les autres intervenants. Je vais donc passer d'un point à l'autre pour exprimer ce que j'ai à dire.
Tout d'abord, je trouve tout à fait emballant et important que ce soit ce comité-ci qui se penche sur la question des nouvelles technologies génétiques et de reproduction car je pense qu'il est crucial que ces technologies soient examinées au regard des droits de la personne, de la justice, et des droits des personnes handicapées. Trop souvent cela était examiné hors contexte. Il faut se rappeler constamment que ces technologies vont soulever diverses questions.
Si les droits de la personne visent à redresser des inégalités et s'ils visent à protéger et à promouvoir l'égalité, je vais faire une déclaration plutôt impétueuse mais qui exprime ma conviction, à savoir que les nouvelles technologies génétiques et de reproduction ne peuvent redresser les inégalités car les inégalités n'ont rien à voir avec les gènes. Ainsi, tout le contexte dans lequel vous oeuvrez n'a rien à voir avec les gènes parce que les gènes que j'ai ou que les autres ont ne causent pas les inégalités. L'inégalité vient de la façon dont nous réagissons aux différences qui caractérisent les gens.
Si nous examinons les technologies génétiques et de reproduction dans un contexte de justice et de droits de la personne, nous devons reconnaître que les incapacités et toutes sortes d'autres différences - parce que les différences n'équivalent pas toutes à une incapacité - doivent être considérées comme étant des dimensions de la diversité humaine et comme telles, elles méritent d'être protégées et mises en valeur.
Un des aspects fondamentaux de la justice humaine, selon moi, est la promotion et la protection de la diversité. Je vais vous donner un exemple qui reprend ce qu'a dit Gregor Wolbring à propos du syndrome de Down.
À l'heure actuelle, l'une des principales utilisations des technologies génétiques consiste à déceler le syndrome de Down avant la naissance. Il est tout à fait possible et pas du tout impossible à imaginer que, dans une génération environ, sinon avant, il n'y aura plus d'enfants ayant le syndrome de Down qui naîtront en Amérique du Nord, sauf quelques rares exceptions. Nous pouvons faire passer un test à toutes les femmes enceintes.
Il y a une question que je pose aux généticiens depuis 15 ans. Je n'ai toujours pas obtenu de réponse, mais je vais quand même poser la question. Elle est en deux volets. D'abord, qu'y a-t-il à propos du syndrome de Down qui fait que nous voulons trouver tous les foetus qui sont touchés par ce syndrome pour éviter qu'ils viennent au monde? Je me reporte à ce sujet à la mère d'un jeune adulte ayant le syndrome de Down à qui je parlais des tests prénataux et de ce que ressentent ceux qui ont le syndrome de Down eux-mêmes au sujet de ces tests. Elle m'a dit que plus personne comme son fils ne viendra au monde. Nous devrions tous nous demander si nous voulons habiter un monde où il n'y aura plus de syndrome de Down et, dans l'affirmative, pourquoi?
Ma question suivante a trait à la justice et aux nouvelles technologies génétiques et de reproduction. Parce que nous nous faisons tous une idée très romantique du progrès ou de ce que nous considérons comme le progrès, nous avons tendance à supposer que les dernières technologies sont toujours les meilleures. À mon avis, nous devons éviter de supposer dès le départ que toutes ces technologies sont utiles. Elles ne visent pas toutes à guérir ou à prévenir, mais surtout à dépister.
Nous devrions toujours nous demander ce que signifie utile au juste. Utile pour qui? Utile à quelles fins? Je pense que si nous nous posons ces questions fondamentales, nous pourrons mettre l'utilisation de ces technologies dans le contexte approprié et comprendre comment elles s'insèrent dans la pratique.
Plusieurs personnes ont déjà soulevé la question de la discrimination génétique. Je ne vais pas m'attarder là-dessus sauf pour dire que mes idées se rapprochent beaucoup de celles qu'exprimait récemment une avocate américaine appelée Susan Wolfe dans ses ouvrages. Elle disait que la discrimination génétique offre une perspective trop restreinte en soi pour nous permettre d'envisager l'utilisation des technologies génétiques.
Le problème n'a pas trait uniquement à la discrimination génétique parce que l'on peut utiliser les technologies et les principes de la génétique pour créer et renforcer des rapports de force qui existent déjà. Les technologies elles-mêmes perpétuent la subordination et l'oppression de certains groupes. C'est justement cette notion de discrimination collective qu'une loi qui interdit la discrimination contre A ou B ne peut pas vraiment cerner et je pense donc qu'il faudrait en élargir la portée.
L'autre chose que je voudrais ajouter, c'est que nous avons tendance à croire que nous pouvons mettre au point des sauvegardes pour mettre les gens à l'abri des tests et des torts causés par chaque nouvelle découverte. Pourquoi ne pas simplement prendre un peu de recul et nous demander par quels droits nous voulons commencer et quelle justice et quels droits de la personne nous voulons protéger? Nous pourrions ensuite voir si ces technologies nous permettent de donner cette protection plutôt que le contraire. Autrement dit, si nous avons une technologie quelconque, nous devons voir comment l'utiliser tout en évitant la discrimination. S'il y a déjà de la discrimination, nous devrions nous demander comment la nouvelle technologie peut aider à l'éliminer.
À mon avis, si nous pouvons faire en sorte que les partisans des technologies génétiques prouvent l'utilité de ces dernières au lieu d'essayer de corriger des erreurs pour protéger les gens une fois que la technologie est appliquée, nous aurons peut-être davantage de succès.
Plusieurs ont parlé de la protection de la vie privée. Il y a environ cinq ans, j'assistais à une réunion avec quelqu'un qui n'a pas les mêmes idées que moi sur la plupart des choses parce qu'il croit dans l'utilisation de la haute technologie, mais il a pris la parole à un moment donné pour dire que la vie privée n'existait plus. Selon moi, nous devrions oublier la notion de vie privée et supposer que si quelqu'un sait quelque chose à notre sujet, quelqu'un d'autre le sait sans doute aussi. Il est très difficile de protéger sa vie privée.
Les diplômés de l'Université de Toronto qui sont ici aujourd'hui s'intéressent peut-être tout particulièrement à la protection de la vie privée. L'université a récemment commencé à envoyer des questionnaires à tous les diplômés contenant des questions au sujet de leur état de santé. J'ignore si cette étude se poursuit encore. La trousse contenait aussi une enveloppe dans laquelle les diplômés pouvaient mettre des échantillons de cheveux ou d'ongles d'orteil et un petit document qu'on demandait aux diplômés de signer, disant qu'ils permettaient qu'on utilise ces échantillons à telle ou telle fin. Eh bien, je peux vous dire quelque chose. On peut analyser l'ADN à partir d'échantillons de cheveux et d'ongles d'orteil. On peut déceler toutes sortes de stupéfiants à partir d'échantillons de cheveux.
S'il y en a ici qui ont déjà envoyé ces échantillons, je vous conseille de téléphoner tout de suite à l'université pour demander qu'on vous renvoie vos rognures d'ongles. Ce n'est pas une plaisanterie, parce que c'est le genre de chose qu'on fait à l'heure actuelle.
Nous parlons bien de protéger la vie privée, mais tout le monde est prêt à participer à une étude menée par son alma mater. Peut-être que la protection de la vie privée importe peu. D'après vous, il y a sans doute trois...
La présidente: Ce n'est pas nécessairement le cas, n'est-ce pas?
Mme Lippman: Je ne pense pas qu'on puisse vraiment la garantir maintenant. Je ne le pense vraiment pas.
Si vous voulez vraiment vous concentrer sur quelque chose, les trois secteurs sur lesquels vous voudrez peut-être vous pencher ont trait aux technologies utilisées pour les tests prénataux.
Un problème de ces tests est la réaction qu'ils provoquent.
Le deuxième sujet a déjà été soulevé par le docteur Summers. Certains problèmes ont trait aux tests de susceptibilité. De façon générale, ce qui m'inquiète, c'est que les tests de susceptibilité ne tiennent pas compte de la discrimination individuelle. Ils risquent d'exclure des gens du contrat social et, à mon avis, cela constitue une menace très grave pour la justice sociale.
Le troisième sujet n'est pas tout à fait relié aux deux autres, mais je ne peux pas résister à l'envie de le mentionner à cause de certaines autres délibérations au Parlement qui portent sur le même sujet. Je veux parler des banques de données d'ADN qui permettront d'utiliser certains renseignements d'un secteur à l'autre.
Je vais m'arrêter maintenant parce que je ne sais pas exactement comment terminer. Je vais donc m'arrêter là. Merci beaucoup de m'avoir écoutée.
La présidente: Je vous remercie parce que vous nous avez donné encore matière à réflexion.
Le dernier, mais non le moindre de nos intervenants sera M. Bickenbach.
M. Jerry Bickenbach (département de philosophie, Université Queen's): Merci beaucoup.
Je voudrais parler un peu au comité de certaines recherches auxquelles j'ai participé.
Nous examinons l'intersection, si vous voulez, des découvertes en recherche génétique dans le cadre notamment du Projet génome humain et des détails de la politique sociale actuelle plutôt que les tendances plus générales.
À partir de certaines des idées qui ont déjà été présentées, nous avons identifié assez facilement trois changements sociaux importants et très vastes qu'entraîneraient la promesse des données génétiques et leur prolifération. L'un de ces changements a déjà été mentionné. D'ailleurs, les trois ont tous été mentionnés. L'un des problèmes lorsqu'on parle en dernier, c'est que vous risquez de répéter ce que d'autres ont déjà dit.
Il y a d'abord la médicalisation de l'incapacité. Je vous rappelle que cela consiste à faire en sorte que la personne handicapée elle-même doive assumer le fardeau de son incapacité au lieu de s'attaquer aux conditions sociales et à la réaction de la société, qui sont dans la plupart sinon dans la totalité des cas à la source des désavantages associés à l'incapacité.
En deuxième lieu vient la création de l'information. D'une certaine façon, la génétique humaine n'est pas de la haute technologie. Les programmes de recherche ne sont pas tous à la fine pointe du progrès. Le plus important du point de vue de la politique sociale, c'est l'information créée, qui y aura accès et à quoi elle servira.
Troisièmement, je pense qu'il faut noter que l'eugénique est inévitable. Les découvertes de la génétique humaine ont des conséquences eugéniques inévitables. C'est à notre avantage de les surveiller. J'espère profiter du peu de temps à ma disposition aujourd'hui pour vous donner une idée des solutions législatives qui ont été mises à l'essai et qui ne peuvent pas fonctionner pour diverses raisons. Je vais pour cela me concentrer sur deux d'entre elles. On a déjà parlé ici de certaines autres.
Prenons l'exemple d'une question d'actualité qui revêt énormément d'importance pour l'élaboration de la politique sociale, soit les régimes de gestion des soins de santé. Si l'on se penche sur la question d'accès aux soins de santé et sur les conséquences qu'aura l'information génétique humaine, vous comprendrez presque tout de suite que l'on peut utiliser la prolifération de l'information génétique dans un régime de gestion des soins de santé. Cette information est tout à fait essentielle ou pourrait être considérée comme telle pour la planification stratégique, qui est la raison d'être de tels régimes.
Par exemple, dans un régime de gestion des soins de santé aux États-Unis, qui est, bien sûr, un régime privé, on se sert de l'information génétique pour refuser l'admissibilité aux populations qui manifestent une susceptibilité génétique à des problèmes coûteux, ce qui est donc discriminatoire à l'endroit de ces personnes.
Au Canada aussi, l'information génétique est extrêmement utile pour la planification stratégique, la compression des coûts et toutes sortes d'autres choses auxquelles nous nous intéressons au Canada et ailleurs dans le monde. Ces renseignements seront utilisés et ils seront au détriment de ceux dont le profil génétique est jugé trop coûteux.
Dans le domaine de l'information en général, on a déjà parlé de l'assurance. Le phénomène de l'assurance est certes important. Il existe déjà dans ce domaine une prolifération inévitable d'informations qui pourraient malheureusement ne pas être assujetties aux lois sur la protection de la vie privée ou même aux modifications des lois sur les droits de la personne, soit sur un sujet précis comme celle qu'on a mise à l'essaie aux États-Unis, soit les modifications plus générales.
Cela vient du fait que l'information génétique revêt tellement d'importance pour les planificateurs et pour ceux qui souscrivent de l'assurance que l'on essaiera de l'obtenir et qu'on la réclamera au point que les particuliers perdront presque immédiatement leur liberté d'action à cause de la façon coercitive dont on formulera les demandes. On pourra ou bien se passer d'assurance si l'on refuse de fournir l'information demandée, ou bien obtenir un taux spécial si on la fournit. D'une façon ou d'une autre, il y aura coercition.
Peut-on empêcher cette façon de faire en adoptant des mesures de protection de la vie privée à l'échelon fédéral ou provincial? Ce n'est pas tout à fait clair. Certains arrêtés de la Cour suprême du Canada ont établi dans le cas d'une souscription d'assurance, et je me reporte à un cas appelé Zurich, que même si un assureur fait des distinctions tout à fait injustes à l'endroit des gens, la souscription d'assurance est une activité privilégiée qui l'emporte sur les droits de la personne.
Le président: Et c'est la même chose aussi pour les profits?
Docteur Bickenbach: Apparemment.
Nous avons au Canada un début de jurisprudence, et on peut dire la même chose à propos des États-Unis, qui rendrait les choses très difficiles d'un point de vue constitutionnel si l'on voulait contrôler l'utilisation de cette information grâce à une loi. Je ne sais pas exactement ce que cela peut signifier du point de vue de votre comité, mais cela veut dire que l'on ne pourra pas se contenter de renforcer la Loi sur les droits de la personne.
Pour ce qui est de l'eugénique, il doit être assez clair vu ce qui a été dit jusqu'ici que la réaction la plus appropriée devrait sans doute être une interdiction catégorique dans les cas de conditions génétiques pour lesquelles il n'existe aucune thérapie à l'heure actuelle ou dans un avenir prévisible. Je ne peux concevoir aucune raison qui nous empêche d'interdire catégoriquement toute méthode de sélection avant ou au moment de la conception, sauf qu'une telle interdiction n'aurait aucun résultat.
Le problème, c'est qu'une fois qu'on a ouvert la boîte de Pandore et que l'information est là, il y aura à un moment donné un médecin qui ne recommandera pas le recours à cette information et à qui on intentera des poursuites en l'accusant de ne pas avoir fourni aux parents un mécanisme pour les avertir qu'il pouvait y avoir un problème pour le foetus. Les médecins s'exposeront à des poursuites s'ils n'utilisent pas cette information et la pratique médicale changera. Cela veut dire que le public exigera de plus en plus d'information jusqu'à ce que cela devienne à toutes fins pratiques obligatoire de la fournir et c'est là que survient la difficulté.
La présidente: Merci beaucoup.
Nous commencerons de la façon procédure habituelle. La plupart des comités sont très structurés et ont un emploi du temps très minuté. Nous tenterons d'être un peu moins rigides, mais nous commencerons par M. Bernier. Nous ferons un tour de table pour ceux qui voudraient poser des questions.
[Français]
Monsieur Bernier, à vous la parole.
M. Bernier (Mégantic - Compton - Stanstead): À la suite des propos de M. Bickenbach qui suggérait d'interdire le dépistage dans le cas des maladies incurables, j'ai une première question d'ordre technique. Est-ce que le dépistage que l'on pratique pour la maladie de Huntington ou le syndrome de Down est très précis, très particulier?
Je n'ai aucune formation en ce domaine. Est-ce que ce dépistage se fait à partir d'un test sanguin et sert à détecter une série de maladies ou s'il faut être très pointu? La Dre Summers pourrait peut-être répondre à cette question.
[Traduction]
La présidente: Quelle technologie est utilisée pour faire l'analyse?
Dr Summers: C'est une analyse du sang qui permet de déterminer la présence de la chorée de Huntington. Elle est très spécifique et précise. Elle permet de dépister uniquement la chorée de Huntington. On ne prend pas l'ADN du patient pour effectuer une série d'analyses.
Pour le syndrome de Down, tout dépend de l'analyse utilisée. Un test de dépistage permet d'évaluer le risque qu'un bébé aurait d'avoir le syndrome de Down. L'amniocentèse ou l'échantillonnage de villosités choriales - l'un des examens effractifs - sont exacts à presque100 p. 100 pour ce qui est des risques que le bébé naisse avec le syndrome de Down ou non.
La présidente: Je voudrais ajouter une question dans l'intérêt de notre auditoire, et peut-être surtout dans mon propre intérêt.
Si vous faites cette analyse pour déterminer la présence de la chorée de Huntington, ou si vous faites l'amniocentèse, qui, comme vous l'avez mentionné, est une analyse effractive, vous pouvez effectuer toute une série d'analyses au lieu de chercher simplement à déceler un...
Dr Summers: Un trouble en particulier.
La présidente: Merci, un trouble.
Dr Summers: Normalement, nous ne le faisons pas. Si nous faisons une amniocentèse, tout dépend du...
La présidente: Est-ce que cela dépend de l'hôpital? Y a-t-il un code? Quelle est la procédure?
Dr Summers: Il existe une politique canadienne régissant le diagnostic prénatal. L'amniocentèse nous permet de dépister le syndrome de Down, toutes les anomalies chromosomiques et ce qu'on appelle le spina-bifida, une anomalie du développement de la colonne vertébrale. Nous n'effectuons pas d'analyses généralisées, mais s'il existe des antécédents familiaux d'un trouble particulier, nous pourrions faire une amniocentèse pour cette raison-là. Si nous faisons une analyse du sang pour déterminer la présence de la chorée de Huntington, par exemple, c'est le seul dépistage que nous faisons. Nous ne faisons aucune analyse pour déterminer la présence d'autres maladies.
La présidente: Merci.
Dr Lippman: Puis-je ajouter quelque chose? Je crois que vous devriez vous pencher sur ce qui se produira d'ici un an ou deux, et non pas uniquement sur la situation actuelle. Pour ce qui est des analyses, lors d'une conférence à laquelle j'ai assisté aux États-Unis, il a été question de l'analyse multiplex, méthode qui permet d'effectuer toute une gamme d'analyses en même temps sur un seul échantillon de sang. Cette méthode sera sans doute pratiquée un jour ou l'autre ici.
Dr Summers, je n'ai rien contre l'idée de faire des analyses en raison d'antécédents familiaux, mais il existe quand même des analyses qui sont faites de façon courante. Alors pour répondre à votre question, monsieur, l'exactitude, la spécificité et l'acuité de l'analyse dépend vraiment de ce que l'on veut trouver et des technologies utilisées. Ces deux facteurs varient d'un cas à l'autre. Il est impossible de dire que toutes les analyses sont concluantes à 100 p. 100. Tout dépend des analyses que l'on fait.
L'analyse multiplex est en plein essor et l'on s'attend à l'utiliser beaucoup dans le domaine du diagnostic prénatal.
[Français]
M. Bernier: D'un point de vue plus général, quand un profane comme moi regarde de l'extérieur ce monde de la science, il est préoccupé et a une réaction à deux niveaux. D'une part, je suis fasciné par toutes les découvertes qui se font et je voudrais bien qu'on pousse la recherche le plus possible en vue d'améliorer la condition de l'humanité en général, et surtout des individus.
D'autre part, quand je regarde les conséquences que subissent les individus qui sont soumis à ces expériences, je réagis différemment. Je suis convaincu que si je devais personnellement prendre une décision, ma réaction serait encore différente.
Il est difficile de prendre position face à cette problématique. Je voudrais revenir sur la question du choix éclairé. J'ai trouvé les propos de la Dre Summers concernant la nécessité de faire un choix éclairé et la liberté de choix très intéressants.
J'aimerais revenir à cette question et j'aimerais surtout qu'on se penche sur les enfants dont on a très peu parlé jusqu'ici. Il est facile de concevoir que des adultes aient la liberté de choix et puissent faire des choix éclairés, mais c'est différent dans le cas des enfants.
Il y a quelques semaines, je regardais une émission de Radio-Canada portant sur des opérations effectuées sur des foetus dans le ventre de leur mère sur lesquels avaient été détectées des anomalies. Il était très fascinant de voir tout cela, mais je me demandais quel en serait le résultat. Était-ce fait simplement à des fins de recherche ou si on cherchait vraiment à améliorer la condition de l'enfant?
Il est clair que les enfants ne peuvent nullement donner leur assentiment et que c'est quelqu'un d'autre qui prend la décision pour eux. J'aimerais entendre votre point de vue à cet égard, et surtout sur la question des enfants.
La présidente: Docteure Summers.
Dre Summers: J'aimerais aborder la question de savoir si on peut tout faire une fois qu'on a l'échantillon en main. Il faut se rappeler qu'ici, en Amérique du Nord, nous sommes dans l'ère de l'autonomie individuelle, à tel point que nous sommes passés du consentement éclairé au choix informé. À l'aspect du oui ou du non doit s'ajouter chaque fois l'explication des autres possibilités, des risques, des bénéfices, etc., afin de vraiment laisser à l'individu le choix de dire non, peut-être ou plus tard.
N'oublions pas que l'autonomie individuelle en est rendue à un point tel que les tissus, les morceaux prélevés, le sang en surplus - les déchets comme on les appelait, même dans les textes de loi - , qui étaient auparavant abandonnés et auxquels nous avions un accès facile pour faire de la recherche, puisqu'ils n'étaient plus considérés comme faisant partie de la personne, sont aujourd'hui soumis à la notion de «il faut un consentement pour tout», sinon il y a risque de poursuites, on ne respecte pas l'individu, etc.
Même la recherche pour la santé publique ou pour les fins épidémiologiques est très, très, très limitée. Certaines expériences nous donneront peut-être un jour la possibilité de faire 15 tests à la fois, mais pour le moment, nous nous retrouvons face à un problème presque contraire. On se retrouve avec une multiplicité de formulaires de consentement. C'est un premier point.
En second lieu, trois conseils travaillent en vue d'élaborer de nouvelles directives pour la recherche sur les enfants et essaient de trouver un équilibre entre les besoins des enfants comme population et la nécessité de trouver des remèdes, des traitements, des mesures préventives et des moyens de compréhension. On ne peut pas faire cette recherche sur des adultes ni sur des animaux; les enfants ne sont pas des adultes miniatures. Il faut parfois faire de la recherche sur leurs propres maladies.
Cependant, comme on l'a dit tout à l'heure, en génétique, qui parle au nom des enfants et au nom des générations futures d'enfants? Pour l'instant, nous devons être très sages. Nous ne devons pas, à moins de disposer d'un traitement ou d'une mesure de prévention pour contrer le développement d'une maladie plus tard dans la vie d'un enfant, faire des tests et utiliser des enfants pour acquérir de l'information à d'autres fins.
Il y a deux ou trois semaines, la Cour suprême rendait une interprétation sur le principe du meilleur intérêt de l'enfant. Elle disait que ce sont les intérêts de l'enfant qui priment. Je crois que c'est là que le débat doit commencer.
La présidente: La décision de la Cour suprême a été rendue il y a deux semaines?
Mme Knoppers: C'était au début de mai, relativement à la question de la garde des enfants et l'accès des mères et pères qui doivent déménager pour trouver un emploi.
[Traduction]
La présidente: Avez-vous le nom de ce cas?
Mme Knoppers: Pas avec moi.
La présidente: D'accord. Nous allons le trouver.
Merci.
[Français]
Monsieur Mélançon et docteure Summers.
M. Mélançon: Je crois qu'il y a deux choses relativement aux tests chez les enfants ou les tout jeunes adolescents. Elle parlait des maladies qui apparaissent tardivement, comme la maladie de Huntington pour laquelle il n'y a pas de traitement. À mon avis, dans de tels cas, on devrait laisser les enfants et les tout jeunes adultes tranquilles.
Je songe à l'inquiétude causée aux enfants et surtout aux adolescents qui ont déjà un problème d'identification personnelle, d'adaptation sociale, de sexualité et tout le reste. Ce serait un fardeau de plus d'apprendre qu'ils sont porteurs.
S'il y a un traitement, comme le dit Mme Knoppers, c'est autre chose. Mais quand il s'agit d'une maladie pour laquelle on ne peut rien faire, je crois qu'il vaut mieux dans certains cas respecter le droit de ne pas savoir. On parle du droit de savoir; quelqu'un peut très bien aussi avoir le droit de ne pas savoir. Ça peut être discutable, mais je crois que dans un pays démocratique où des personnes ne sont pas gravement lésées ou en danger, on doit respecter le droit des personnes qui ne veulent pas savoir.
Cela a beaucoup d'impact. Nous venons de terminer une étude auprès de quelque 700 jeunes garçons et jeunes filles de 16 à 19 ans du niveau collégial au Saguenay. On leur demandait entre autres s'ils souhaitaient savoir s'ils étaient porteurs ou non du gène de la fibrose cystique. Puisque c'est une maladie récessive, un porteur n'est jamais malade. Environ 70 p. 100 d'eux souhaitaient le savoir; 85 p. 100 d'eux souhaitaient le savoir pour des questions de reproduction.
On tire donc tire une première conclusion: s'ils veulent le savoir pour des raisons de reproduction, pour décider s'ils auront des enfants, il est inutile de leur faire passer ces tests avant.
Ceux qui ne voulaient pas savoir disaient craindre pour leurs emplois, pour l'assurance, que leur blonde ou leur chum les laisse parce qu'ils ne seraient plus désirables; leur inquiétude était assez importante et se fondait sur des raisons majeures.
Qu'est-ce que ça peut signifier? Lorsqu'il n'y a pas de besoin immédiat, on doit, sauf exception, laisser les tests dans les laboratoires.
[Traduction]
La présidente: Le Dr Summers voulait ajouter quelques mots, après quoi nous passerons à la prochaine question.
Dr Summers: Juste un mot. Je voulais dire que je suis entièrement d'accord avec les propos des autres intervenants en ce qui concerne les analyses effectuées sur les enfants - on ne devrait pas en faire s'il n'existe aucun moyen de traiter, guérir ou prévenir la maladie.
On ne doit pas oublier non plus que les enfants font partie de familles, et parfois il faut changer les règles ou les assouplir, sinon la famille pourrait s'effondrer. Lorsqu'on soigne un patient pour une maladie d'ordre génétique - utilisez le terme que vous voulez - on traite normalement une famille entière, et il importe de s'en souvenir. Je doute fort qu'il y ait des lois régissant ces procédures de toute façon, mais le cas échéant, elles ne devraient pas être si rigides qu'une famille serait exclue des soins de leur enfant.
La présidente: Merci.
Monsieur Scott.
M. Scott (Fredericton - York - Sunbury): Merci, madame la présidente.
Je ne sais pas si je devrais adresser ma question à ce groupe-ci ou à un autre, mais il me semble que mes collègues... Je constate mon ignorance de la matière et je présume que si je consacrais le reste de ma carrière à ce sujet, j'accuserais toujours du retard parce que les progrès se feront trop rapidement. Il faut donc se demander comment nous, en notre capacité de législateurs, pouvons nous acquitter de nos responsabilités. Qui plus est, puisque nous devons rendre des comptes à la population, il faudrait se demander comment nous pouvons répondre aux besoins de nos électeurs qui s'attendent à ce que nous puissions orienter le débat ou être au courant de la situation?
Je ne sais pas si c'est une question de procédure, mais comment pouvons-nous en savoir plus sur les conséquences? Certains ont parlé d'assurance, et disent que les lois dans ce domaine ne sont pas assez modernes. Une compagnie d'assurance a le droit d'avoir beaucoup de renseignements sur ma personne, mais moi aussi j'ai le droit de garder certains renseignements confidentiels. Je suis certain que ce droit a été établi avant que les conséquences ne soient si graves, étant donné l'information qui serait disponible. Mes propos sont-ils logiques? Comment pouvons-nous acquérir la base de connaissance nécessaire?
Tout d'abord, les gens qui oeuvrent dans votre domaine sont-ils d'accord sur la définition de base de connaissance? Comment pouvons-nous l'élargir pour faire en sorte qu'elle puisse nous être utile et qu'elle puisse nous aider à faire des choix éclairés en tant que législateurs, pour ce qui est des conséquences de nos actes ainsi que des lois que nous approuvons ou changeons? Je devrais peut-être poser cette question à un autre groupe, et il est possible que je ne m'exprime pas clairement.
La présidente: Je peux vous dire une chose - vous vous exprimez clairement. Il me semble que cette tâche n'a pas de fin. Je n'aime pas non plus que les compagnies d'assurance s'immiscent là-dedans.
Dr Lippman: Je ne tenterai sûrement pas de répondre à votre question, car je crois que vous êtes aussi pour le faire. Je voudrais juste revenir sur votre remarque comme quoi votre ignorance vous affole. Votre stupéfaction ne devrait pas se limiter aux aspects scientifiques. Encore plus affolante est notre ignorance des effets sociaux des analyses prénatales par exemple que nous effectuons depuis 20 ans, ainsi que des épreuves servant à vérifier la sensibilité aux antibiotiques. Nous ne savons pas vraiment...
Mme Barbara Knoppers a parlé des droits des enfants et du fait qu'ils devraient être au coeur de la question. Je suis encore étonnée qu'on n'a jamais demandé aux enfants nés à la suite de ces procédures s'ils savaient que leur mère avait eu une amniocentèse. Qu'en pensent-ils? Nous ne savons pas si nous créons une mentalité, alors nous devrions obtenir beaucoup de renseignements sur cette expérience sociale.
Il n'y a pas eu de discussion publique sur ces questions non plus, à part la Commission royale. Il n'existait aucune infrastructure qui permettrait aux personnes qui sont dépassés par le sujet d'en discuter, faute de financement.
Pour revenir à votre première question, je crois qu'il faut démystifier le domaine de la génétique. La plupart de nos problèmes ne sont pas d'ordre génétique. Lorsque j'enseigne, je dis à mes étudiants que si nous voulons vraiment améliorer la santé des bébés qui naissent, nous devons éliminer la pauvreté et la violence, plutôt que les gènes, parce que ce sont les causes des problèmes. Ce ne sont pas les gènes.
C'est malheureux. La chorée de Huntington est une condition grave, mais nous ne devons pas nous fixer là-dessus. C'est une maladie très rare, et nous ne devons pas nous fonder sur des cas rares pour formuler des mesures et pour faire des choix.
Revenons à la deuxième partie de ce comité sur les personnes handicapées. Certains d'entre nous ont déjà des incapacités, et certains d'entre nous en aurons avant notre mort. Nous allons tous mourir un jour. La génétique ne va pas prévenir les incapacités ni prévenir la mort. Cela ne répond pas à votre question, mais je crois qu'on devrait toujours retenir cette idée comme toile de fond. On ne peut pas juste faire fermer la porte chaque fois qu'on découvre une nouvelle analyse génétique et croire que le problème est là. La question est beaucoup plus profonde et fondamentale que cela.
La présidente: C'est pour cela que j'ai posé la question à M. Mélançon.
La maladie de Tay-Sachs et courante chez les ressortissants de certains pays. Si nous ne faisions pas le test, les enfants mourraient. Par conséquent, il vaut mieux faire le test et un minimum de prévention pour assurer la santé des enfants. La médaille a toujours un revers.
Je sais que tout le monde veut répondre. Andy, voulez-vous que tout le monde réponde? Je sais que M. Ménard et M. MacLellan ont des questions.
Jean, vouliez-vous dire quelque chose avant de partir? Ensuite, nous entendrons les interventions.
Mme Augustine (Etobicoke - Lakeshore): Madame la présidente, je suis vraiment ravie d'avoir l'occasion d'entendre ces experts dans leurs différents domaines. J'aurais aimé poser plusieurs questions sur certaines maladies dont on dit qu'elles sont courantes dans certains groupes et non pas dans d'autres.
Le lupus en est une. Quelle est l'autre? J'ai oublié. Mais il semble que c'est une maladie courante chez les noirs...
Une voix: Il s'agit de l'anémie falsiforme.
Mme Augustine: Il y a l'anémie falsiforme et plusieurs autres maladies. Je me demande si nous avons intérêt à faire des tests de dépistage de ces maladies et à savoir si on en est porteur, et quelles sont les implications de tout cela.
Cependant, étant donné que je dois aller lutter pour obtenir des emplois pour certains de mes électeurs, je ne peux pas attendre la réponse.
La présidente: Nous allons l'obtenir pour vous au cours des discussions.
Mme Augustine: Merci.
La présidente: Nous commencerons à ce bout-ci de la table. Vous vouliez répondre, allez-y, s'il vous plaît.
M. Bickenbach: J'essaierai de répondre dans le même sens que Abby, et j'ajouterai une chose. Il est très tentant de penser que la question que nous examinons est éminemment technique et requiert des connaissances spécialisées. C'est un piège qu'il faudrait éviter. Ce n'est pas seulement parce que je suis avocat de formation et non pas généticien. Il est important de comprendre que le fondement scientifique de ce phénomène n'est pas tellement compliqué. La technologie n'est pas extraordinaire. Ce qui importe et ce qui est difficile, ce sont les conséquences sociales et morales.
Je pourrais vous raconter l'histoire horrible d'une femme qui a subi l'un de ces tests il y a quelques années. Le test a révélé le syndrome de Down. La femme a demandé à son médecin qu'est-ce que cela signifiait. Ce dernier lui a répondu qu'elle portait un monstre.
Elle a considéré cette réponse comme un conseil scientifique donné par un spécialiste. Ce n'est pas de la science, c'est un préjugé. C'est une réaction bizarre de la part d'une personne qui faisait quelque chose dont elle ne savait pratiquement rien.
Nous devons nous concentrer, et nous sommes qualifiés pour nous concentrer sur les aspects moraux et sociaux de la question. Évidemment, il existe des difficultés juridiques qui sont également techniques, mais ce domaine de spécialisation n'est pas éminemment technique. Nous avons besoin d'une base de connaissances mais nous n'avons pas à nous incliner devant ce genre de jugement.
M. Wolbring: Je pense qu'il est beaucoup moins nécessaire de faire ces tests sur les jeunes adultes ou sur les jeunes enfants que sur les femmes enceintes. Il y a aussi un problème important: nous passons des tests prénataux aux diagnostiques préalables à l'implantation, ce qui nous amène encore plus loin. À ce moment-là, nous n'avons pas à faire face aux problèmes liés à l'avortement et à ses conséquences morales.
Je constate qu'aujourd'hui, on accepte le phénomène. Par exemple, j'ai quelques chiffres à ce sujet. En 1990 au Canada, parmi les femmes qui ont subi le test parce qu'elles pensaient qu'elles portaient un enfant atteint du syndrome de Down, 87 p. 100 ont choisi l'avortement. Pourquoi? Tout simplement parce qu'elles ont estimé que la société n'offrait absolument aucun appui et parce qu'elles étaient tout à fait accablées à l'idée d'avoir un enfant atteint du syndrome de Down. Cela s'est produit chez la plupart des autres.
Si vous vous contentez de subir le test et d'en savoir plus ou moins, vous êtes condamné. Votre voisine dira que c'est de votre faute, parce que vous avez subi un test et vous n'avez pas avorté. Il est impossible de prendre une décision objective à l'abri de toute pression, parce qu'on vit en société. On vit avec ses voisins, sa famille et avec l'appui que la société donne, en payant le traitement par exemple.
Nous ne pouvons pas nous contenter de dire qu'ils ont donné un consentement éclairé ou fait un choix éclairé, parce que cela fait partie de leur éducation et de la façon dont les gens réagiront. C'est un dilemme et c'est déprimant. Nous avons une perception de plus en plus négative de l'invalidité, et pas simplement du syndrome de Down.
J'ai ici le résultat d'un sondage effectué auprès des médecins au Québec. Par exemple, de75 p. 100 à 100 p. 100 des répondants estiment que les cas de trisomie-21, c'est-à-dire le syndrome de Down, ainsi que ceux de la chorée de Huntington et de dystrophie musculaire doivent être avortés. Ce n'est pas tout. En ce qui concerne la fibrose kystique, on a de 66 p. 100 à 75 p. 100 et 59 p. 100 dans le cas du spina bifida. En France, 63 p. 100 des médecins interrogés ont déclaré que les cas de nanisme doivent être avortés. Nous savons maintenant qu'il existe un test de dépistage du nanisme. Dans le cas de l'hémophilie, on obtient 55 p. 100, et dans celui de la réduction d'un membre, dont je souffre moi-même, c'est 48 p. 100.
Nous ne vivons pas dans une société sans préjugés. Ce sont des médecins qui s'expriment ainsi. Comment puis-je faire confiance à un professionnel de la santé qui a ce genre de préjugé?
D'après les médias internationaux, à la suite du rapport de la Commission royale, 27 p. 100 des médecins du Québec pensent qu'il est irresponsable de la part d'un parent de donner naissance à un enfant handicapé. En Angleterre, après la publication du rapport du comité Warnock, qui est l'équivalent anglais du rapport de notre Commission royale, on a modifié la Loi sur l'avortement. Maintenant, on peut avorter d'un enfant handicapé jusqu'au jour de la naissance - les enfants handicapés seulement.
En outre, en 1991, dans l'État de l'Utah, on a réduit l'admissibilité des avortements, mais on a admis le critère de l'invalidité. Dans d'autres pays, comme l'Autriche, il y a ce que nous appelons les indications eugéniques. On peut subir divers traitements en cas d'invalidité. On peut aussi utiliser plusieurs échelles de temps. Les Autrichiens les désignent sous le nom d'indications thérapeutiques; moi je les appelle indications eugéniques.
Tout cela montre que la société est très loin de la possibilité d'un choix éclairé, objectif et totalement libre que si nous permettons que ces tests se poursuivent... Et ce ne sont que des techniques.
Par exemple, Margaret Thompson, ancienne présidente de la Société de génétique du Canada qui a été élaborée de l'Ordre du Canada a déclaré, en tant que témoin de la défense dans le procès relatif à la stérilisation de Leilani Muir en Alberta, pour défendre la commission eugénique et la stérilisation, que nous ne pouvions pas agir autrement à l'époque pour prévenir les problèmes des handicapés mentaux, car nous ne disposions pas des outils que sont les contraceptifs et l'avortement.
Nous n'examinons que des outils différents, qu'il s'agisse des tests prénataux, des diagnostics préalables à l'implantation ou de l'infanticide. En 1972, un bioéthicien nommé Peter Singer a écrit dans son livre, en citant l'exemple de l'hémophilie, qu'il est moralement normal de tuer une personne handicapée atteinte d'hémophilie parce que, à ce moment-là, la mère aura la possibilité de s'occuper d'un autre enfant qui n'est pas handicapé.
De nos jours, on n'a pas besoin de recourir à l'infanticide dans la plupart des cas. On l'utilise pendant les tests prénataux. Dans le cas de la maladie de Huntington, on n'est pas obligé de le faire par la suite. On peut faire des choses avant la naissance. De plus en plus, telle est la tendance que l'on adopte en ce qui concerne les tests: on ne les fait pas sur les personnes qui sont déjà nées; on les fait avant la naissance, ou même avant cela, dans un verre de réactif ou in vitro à l'étape où le foetus n'a que huit cellules. On fait le test sur les cellules, on choisit celle qui est génétiquement propre et saine, et on la réimplante. À ce moment-là, le problème de l'avortement ne se pose même pas.
Ce que je remets en question dans tout cela c'est la perception de certaines formes de vie. Je ne dirai pas que le syndrome de Down est une maladie. C'est plutôt une forme de vie différente, une façon différente de vivre. Assurément, la plupart des personnes atteintes du syndrome de Down ne se perçoivent pas comme étant souffrantes. C'est notre perception à nous, qui avons un certain quotient intellectuel, et qui croyons qu'en deçà d'un certain quotient intellectuel, on doit certainement souffrir. C'est déjà une question de perception.
À l'époque où les victimes de la thalidomide sont nées, il y avait exactement la même perception de nous dans les médias. Nous étions monstrueux, il était impossible que nous vivions, et il valait mieux que l'on nous tue après la naissance, car les tests n'existaient pas à l'époque. C'est la même conception des choses.
Le produit va revenir sur le marché, fort probablement, de telle sorte que vous aurez peut-être un problème un jour, lorsqu'il sera de nouveau légal au Canada, lorsqu'il sera utilisé pour traiter le sida. Toutes ces questions entrent en jeu. La perception a déjà commencé à changer. En tant que mouvement pour la défense des handicapés, nous ne pouvons pas nous permettre les tests parce qu'ils évoluent [Inaudible]
La présidente: Merci beaucoup.
J'ai oublié qui dans le groupe a levé la main. Dr Summers, puis Mme Knoppers.
Dr Summers: Il est difficile de dire quoi que ce soit après la dernière intervention.
Je suis certes d'accord, mais je le vois du point de vue de la famille, lorsqu'une famille choisit d'avoir un diagnostic prénatal... Il y a encore un fort pourcentage de familles en Ontario qui choisissent de ne pas avoir de dépistage ou de test même si elles y sont admissibles. C'est parce qu'elles se disent que même si elles ont un bébé atteint du syndrome de Down elles ne mettront pas fin à leur grossesse, alors elles continuent.
C'est un point très important. Ce n'est pas toute la société qui est en cause. Il y en a un fort pourcentage qui accepte très bien l'idée du handicap. Malheureusement, il y en a d'autres qui ne l'acceptent pas. Il ne faut pas blâmer toute la société.
La situation varie également selon les régions du Canada. À titre d'exemple, un de mes collègues a déménagé à Terre-Neuve récemment. Il est conseiller en génétique. Il constate que dans cette province les gens mettent rarement fin à la grossesse à cause du syndrome de Down. C'est à cause de la façon dont les familles réagissent. Il n'y a pas de problème. Tout le monde est prêt à accepter ce genre de chose. C'est peut-être un phénomène urbain. Je l'ignore.
Pour revenir à votre question portant sur la nécessité de faire connaître la génétique, j'appuie les propos de M. Bickenbach. Les principes scientifiques de base de la génétique sont fort simples. Tous les jours de ma vie, je les enseigne à des gens qui connaissent à peine l'anglais - très souvent, ce n'est pas leur première langue - mais qui les comprennent très bien.
Donc, en ce qui me concerne, ce ne sont pas les principes scientifiques qui sont les plus importants. N'importe qui peut les comprendre. Ce sur quoi nous devons mettre l'accent, comme vous l'avez dit, ce sont les principes moraux et sociaux.
Mme Knoppers: Je voudrais ajouter quelque chose à ce sujet. Je serai brève. L'une des deux principales questions éthiques actuellement est celle que vous avez identifiée, l'éducation, et non pas l'éducation technique, mais l'appréciation de la diversité. Mme Lippman y a fait allusion.
Cependant, la plupart d'entre nous - j'inclus les médecins, les décideurs, etc. - n'ont pas encore fini d'assimiler la théorie des petits pois de Mendel. Il y a un certain rattrapage à faire. Nous ne voulons pas devenir des techniciens, mais nous n'arrivons pas à suivre l'explosion de l'information qui se produit actuellement. Les écoles n'arrivent pas à la suivre.
L'éducation est à la base de tout. Si nous comprenons ce qui se passe, si nous comprenons les choix et les orientations qui s'offrent à nous, nous pouvons agir en connaissance de cause. Nous pouvons faire preuve de plus de discernement.
En outre, il y a ce que j'appelle une forme d'eugénique différente de celle que nous connaissons habituellement, et qui peut être soit positive, soit négative. C'est ce que j'appelle l'eugénique socio-économique. C'est l'ensemble du prétendu libre choix fait par les individus. Leur choix n'est pas si libre parce que l'infrastructure socio-économique pour les handicapés n'existe pas ou est totalement insuffisante. À quel point peut-on faire un libre choix si une fois ce choix exercé la société accorde très peu d'aide et laisse la famille en subir les conséquences?
La présidente: C'est un excellent argument. Mme Lippman, puis ce sera au tour de M. Ménard.
Mme Lippman: Je voulais simplement renforcer ce que disait Mme Knoppers. Je pense que la distinction entre le privé et le public est vraiment artificielle. Elle fait valoir que les choix privés influent sur la politique publique, tout comme la politique publique limite les choix privés qui peuvent être faits. Nous devons considérer, lorsque nous parlons d'un choix éclairé, qu'il y a un contexte; le menu des choix comme le disait Mme Knoppers, est extrêmement limité pour la plupart des gens.
Une femme peut très bien avoir toute l'information nécessaire pour choisir de subir ou non des tests, mais s'il n'y a pas de services de relève, de garderies de jour, d'infrastructure pour l'éducation, de perspective d'emploi pour l'enfant né avec un handicap, a-t-elle vraiment le choix de mettre l'enfant au monde? En apparence, elle fait un choix, mais dans un sens même si l'on ne saurait parler de coercition, elle se conforme peut-être simplement à ce qu'on doit faire pour survivre en 1996.
La présidente: Merci.
[Français]
M. Ménard (Hochelaga - Maisonneuve): Madame la présidente, vous savez que vous êtes mon amie. J'ai cinq questions que je poserai rapidement pour permettre un échange général.
Il y a quelques semaines, on a vécu un débat extrêmement intensif ici, aux Communes. Peut-être avez-vous pu directement ou indirectement en suivre un peu la portée. Le débat portait sur la fin de la discrimination sur la base de l'orientation sexuelle. Nous avons entendu beaucoup de témoins, dont un certain nombre de scientifiques, de pédiatres et de psychiatres qui nous ont fait part de leur expertise.
Évidemment, comme députés, nous nous sommes penchés sur certaines préoccupations que vous avez effleurées. Ma question s'éloigne un peu, mais pas complètement, de nos débats. Selon votre expertise, croyez-vous que l'homosexualité soit quelque chose de génétique? Qu'est-ce que vous pouvez nous en dire comme experts, comme scientifiques? Je ne veux pas rouvrir le débat, mais profiter du fait que nous avons des scientifiques devant nous pour aborder la question.
Ma deuxième question s'adresse surtout au Dr Wolbring, dont le témoignage m'a beaucoup marqué puisqu'il s'est distingué des deux autres à deux niveaux. Si je vous ai bien compris, vous affirmiez que la composante génétique explique très faiblement la genèse de la maladie. Vous avez parlé plus particulièrement du cancer du sein. J'aimerais que vous précisiez ce à quoi vous faisiez allusion.
Vous avez également affirmé que plus il y a de recherche, plus la perception à l'endroit des personnes handicapées est négative. Ces deux affirmations peuvent être extrêmement controversées. Pourriez-vous préciser votre pensée?
Voici deux dernières questions rapides. Je m'intéresse beaucoup à la question du sida et je suis le vice-président du Sous-comité sur le VIH/sida. Les communes vont vivre un débat puisque - je donne un scoop à notre présidente sachant que je peux toujours compter sur sa discrétion - , en septembre prochain, je déposerai un projet de loi visant à forcer, mais de manière très civilisée, les compagnies pharmaceutiques à offrir un accès humanitaire aux médicaments non homologués.
Lorsqu'un médicament n'est pas homologué et que l'on est un malade dit «catastrophé», selon la terminologie de Santé Canada, il y a toute une question d'éthique qui se pose, à savoir si on doit avoir accès non pas à ce médicament, mais à cette drogue de recherche. Je suis pour ma part convaincu que oui. Mais il y a deux courants d'opinions et cela relève aussi du rôle des comités d'éthique et de recherche qui, entre autres aux États-Unis, est institutionnalisé dans la loi.
Il est impensable qu'un médecin prenne lui-même la responsabilité de donner accès à un médicament sur une base compassionnelle en l'absence d'un comité d'éthique, comme c'est le cas ici, au Canada. Je voudrais connaître votre opinion sur l'accès humanitaire à des médicaments non homologués.
Ma dernière question s'adresse à M. Mélançon, qui disait que, de plus en plus, il y avait la mondialisation de la recherche génétique. Si j'ai bien compris, lorsque vous êtes mis en instance de participer à des projets de recherche internationaux, vous vous retrouvez face à des questions de transférabilité des données et de caractère confidentiel. Je ne suis pas sûr d'avoir très bien saisi. Puisque cela me semble important, je voudrais que vous élaboriez sur cet aspect.
La présidente: Pouvez-vous répéter votre dernière question?
M. Ménard: Elle porte sur la transférabilité et la confidentialité des données lors de projets à caractère international.
La présidente: D'accord.
M. Ménard: La question de l'homosexualité est ma préférée.
Dr Lippman: Il n'y a aucune base scientifique.
La présidente: C'est M. Mélançon qui voulait commencer.
M. Ménard: Madame la présidente, on a eu une remarque spontanée de madame qui disait que ce n'était pas scientifique.
Dr Lippman: Selon mon expertise, aucune base génétique n'a été établie; il n'y a pas de lien entre l'homosexualité et la génétique.
M. Ménard: Vous dites donc que l'homosexualité n'est pas génétique.
Dr Lippman: Non, absolument pas.
M. Ménard: C'est environnemental.
Dr Lippman: Ce n'est pas génétique.
M. Ménard: À un examen, vous n'auriez qu'obtenu que la moitié des points.
Dr Lippman: Il n'y a pas de gène de l'homosexualité. On n'est pas gai parce qu'on a hérité du gène de l'homosexualité.
[Traduction]
En ce qui concerne le cancer du sein, si j'ai bien compris c que vous demandez, les liens entre le cancer du sein et les combinaisons ADN peuvent être détectés, mais leur signification exacte, pour beaucoup, reste imprécise. Les raisons de procéder à tests sont également loin d'être pressantes; en effet, même si une femme a des combinaisons ADN liées au cancer du sein, il est difficile de savoir ce qui peut être fait dans son cas. Elle n'aura pas nécessairement le cancer du sein et rien n'indique à coup sûr - tout ce qui en ressort, c'est qu'elle peut présenter un risque plus élevé si elle est issue d'une famille où il y a eu des cancers...
Les interventions possibles sont draconiennes. Une approche pour les femmes qui présentent des combinaisons ADN liées au cancer du sein consiste à procéder à une mastectomie bilatérale, mais même là, il n'y a pas de garantie qu'elles n'auront pas le cancer plus tard. Si ces femmes ne font rien du tout, alors... Nous ne savons pas grand chose actuellement au sujet de ces combinaisons; il est prématuré de chercher à dépister les gènes du cancer du sein pour l'instant.
[Français]
même si les compagnies pharmaceutiques avancent très vite dans la cause, avant le dépistage. Il est bien clair que ce n'est pas vraiment nécessaire.
La présidente: Merci. Monsieur Mélançon
[Traduction]
et ensuite Dr Summers.
[Français]
M. Mélançon: Abby Lippman a en quelque sorte repris le thème de M. Ménard et volé mon scoop. La question de savoir si l'homosexualité a une base génétique en est une que les étudiants, diplômés ou non, ne manquent jamais de poser.
M. Ménard: Ils auraient dû poursuivre des études supérieures.
M. Mélançon: Je suis entièrement d'accord avec la Dr Lippman; il ne semble présentement exister aucun déterminisme génétique, sauf dans le cas de jumeaux identiques où, si l'un est homosexuel, l'autre semble, dans une proportion de 70 ou 75 p. 100, avoir des chances de l'être. Plusieurs causes peuvent intervenir, dont des causes environnementales ou traumatiques. Il ne semble pas exister de base génétique.
Si on identifiait éventuellement ce fameux gène, on se retrouverait avec une conséquence assez importante aux plans éthique, social et même moral et juridique; il n'y aurait aucune responsabilité, car on n'aurait qu'à vivre une condition comme cela.
Quant à l'autre question sur la mondialisation de la recherche, je vais attendre que les autres s'expriment sur votre première question, quitte à ce que j'y revienne, si vous me le permettez.
M. Ménard: Bien sûr.
M. Mélançon: À mon avis, la question des échanges est le plus important des points que j'ai soulevés. Bien qu'ils soient nécessaires, on marche sur des oeufs.
Une voix: Au point de vue juridique?
[Traduction]
Le vice-président (M. Scott): Je pense qu'il y a quelqu'un d'autre.
[Français]
Une voix: Oui, monsieur, mais...
[Traduction]
Le vice-président (M. Scott): Docteur Summers.
Dr Summers: J'aimerais revenir sur deux observations de Mme Lippman. D'abord, je suis prête à admettre que l'homosexualité puisse être génétique, mais ce n'est pas une certitude. Je suis heureuse de constater qu'elle soit convaincue quant à elle. Je dois dire que je ne connais pas très bien les études sur les jumeaux.
La question peut toujours se poser pour ce qui est des jumeaux identiques. Ce serait bien que l'homosexualité soit génétique. À ce moment-là, ce ne serait plus une question de choix et il y aurait moins de discrimination contre les homosexuels. Si c'est un gène qui est en cause, la responsabilité des individus n'est plus la même. Je ne veux cependant pas m'engager dans cette discussion. En ce qui me concerne, la question est loin d'être réglée.
Deuxièmement, en ce qui concerne le dépistage du cancer du sein, je suis bien d'accord sur le fait qu'il ne faut pas commencer à faire subir des tests à tout le monde. Environ 10 p. 100 du cancer du sein est génétique. Nous connaissons quatre gènes qui causent le cancer du sein et nous pouvons en dépister un pour un groupe ethnique en particulier - les juives et les juifs ashkénazes.
Je pense qu'il faut faire attention pour ce qui est des mesures draconiennes. Avant la découverte de ce gène, bien des femmes choisissaient la double mastectomie simplement parce qu'elles étaient issues d'une famille à risque pour le cancer du sein. Le dépistage du cancer du sein pourrait amener un certain nombre à changer d'avis. Il y a donc des avantages et des inconvénients, comme pour n'importe quel autre test disponible actuellement.
Le vice-président (M. Scott): Monsieur Wolbring.
M. Wolbring: Pour répondre aux trois questions, premièrement, en ce qui concerne les gais et les lesbiennes, il y a de la recherche en cours. De toute évidence, certains groupes voudraient bien pouvoir trouver un fondement génétique à l'homosexualité.
Dans la communauté gaie, c'est à peu près 50-50. Comme Anne le disait, le lien génétique pourrait faire tomber les arguments de certains groupes religieux, mais alors l'homosexualité deviendrait une maladie plutôt qu'un style de vie.
Les gais devront renoncer à dire qu'ils ont un style de vie différent et admettre qu'ils ont une maladie, laquelle devra être traitée comme les autres maladies. Un groupe des gais pourrait donc avoir des problèmes si le lien génétique était établi. La façon de réagir des diverses sociétés variera, quant à savoir si ce sera bien ou mal accueilli.
En ce qui concerne le cancer du sein, les gens s'imaginent qu'on a découvert le gène du cancer du sein, qu'on peut envisager un traitement et que le cancer du sein va disparaître. C'est là une idée fausse lancée par les médias et par les agents de relations publiques car d'après mes chiffres, il n'y a que 2 à 5 p. 100 des femmes - Anne parle de 10 p. 100 - qui seraient génétiquement prédisposées au cancer du sein, mais pour les 90 p. 100 restant, le gène n'intervient absolument pas. Il nous reste donc un problème très sérieux.
Si vous prenez l'ensemble des cancers ou une maladie comme la fibrose kystique... elle suscite une grande attention, mais elle ne cause que 500 décès par an aux États-Unis, alors qu'on y compte 400 000 décès liés au tabagisme. La façon dont on perçoit la génétique a tendance à occulter le fait que c'est notre style de vie qui est responsable de la plupart de nos problèmes de santé.
Il en va de même en ce qui concerne le dernier point, l'administration de tests à des fins de recherche. On voit des causes génétiques partout. On s'écarte totalement de la responsabilité personnelle et du style de vie. La plupart des problèmes de santé d'origine génétique ne peuvent pas être traités par la fameuse thérapie génique, qu'on essaye de vendre comme une potion magique.
Seuls les problèmes dus à un gène unique - 3 p. 100 des problèmes génétiques sont dus à un gène unique - pourront faire l'objet d'une thérapie génique. Pour les problèmes polygéniques ou génétiques comportant des éléments environnementaux, la thérapie génique est inopérante. Actuellement, on n'a aucune idée de la façon de traiter ces problèmes.
Donc pendant longtemps encore, on pourrait assister à une augmentation des tests - pour les gais, les lesbiennes, les comportements violents ou autres choses, ce ne sont pas les problèmes qui manquent - mais il n'y aura pas de traitement, ce qui ne laisse qu'une perspective très négative. Dans une société qui n'accepte pas ce genre de choses, la solution terminale est la seule dont nous disposions... avec les tests prénataux; autrement, cela n'a aucun sens.
J'espère avoir répondu à vos trois questions.
Le vice-président (M. Scott): Merci.
Il y a encore deux membres du comité qui voudraient vous poser des questions, mais il nous ne reste plus que 10 minutes. Le Dr Lippman et le Dr Summers veulent intervenir, puis Russell et Glen voudraient poser des questions.
M. Bernier: M. Mélançon a lui aussi une réponde à donner.
Le vice-président (M. Scott): Et M. Mélançon.
Dr Lippman: Je vais faire vite.
Indépendamment de savoir si l'orientation sexuelle est d'origine génétique ou non, il faut savoir que le simple fait de dire que quelque chose est d'origine génétique ne va pas modifier pour autant l'attitude de la société. On peut passer de l'orientation sexuelle à l'alcoolisme. Si quelqu'un découvre un gène de l'alcoolisme, les gens vont-ils pour autant changer d'attitude vis-à-vis des alcooliques?
On en trouve un bon exemple dans le syndrome de Down, qui est manifestement relié à un problème d'ordre génétique. Est-ce que les gens vont changer d'attitude vis-à-vis du syndrome de Down parce qu'il est d'origine génétique, alors qu'autrefois, on croyait, d'après de vieux racontars, que le problème était dû à quelque chose que la mère avait vu pendant la grossesse, et qui s'était imprimé sur l'épiderme?
J'ai l'impression que nous évitons tous votre dernière question sur les moyens thérapeutiques contre le sida, car aucun d'entre nous... Je n'ai pas de réponse à vous donner.
Le vice-président (M. Scott): Dr Summers.
Dr Summers: Je veux dire que tout ce qui est d'ordre génétique ne constitue pas pour autant une maladie. Nous avons de 50 000 à 100 000 gènes dont la plupart fonctionnent très bien et nous en apprendrons sans doute beaucoup plus sur le processus pathologique en découvrant comment se comportent les gènes normaux. On aurait tort de voir dans chaque gène une maladie potentielle, car de toute évidence, ce n'est pas le cas.
Le vice-président (M. Scott): Monsieur Mélançon
[Français]
M. Mélançon: Je crois qu'il est crucial que les échanges dans le domaine de la recherche soient faits aux niveaux intercentres et international. Ils seront ainsi utiles à deux ou trois égards, d'abord en épidémiologie génétique pour connaître la migration des gènes. Il est en outre intéressant de retrouver au Saguenay - Lac-Saint-Jean, dans Charlevoix et à Québec à peu près les mêmes mutations que celles des Français du XVIIe siècle.
Cependant, il y a déjà un codage. Par exemple, on attribue tel numéro à la famille Untel et à chaque individu. Pour faire du bon travail en génétique, il n'est pas nécessaire d'avoir les noms des personnes. Il faudrait rendre anonymes ou dépersonnaliser les données. À mesure que les gènes seront trouvés, les fameuses généalogies familiales seront de moins en moins utiles et on risquera de moins en moins de porter atteinte à la vie privée. Les échanges entre pays ne devraient en aucun cas révéler le code afin d'éviter des conséquences désagréables, comme empêcher qu'une personne du Sud revienne au Québec, au Canada ou ailleurs pour faire des études à moins qu'elle n'ait obtenu l'autorisation de son médecin traitant.
Les échanges sont parfois nécessaires, mais il n'est pas nécessaire de révéler les noms des personnes. J'ai fait partie du comité d'éthique d'une compagnie des États-Unis qui demandait qu'en recherche, les enfants demeurent anonymes. On a refusé, insistant pour dire que c'était absolument nécessaire. Après cinq ou six mois, on nous a informés par lettre que des numéros étaient maintenant utilisés à la place des noms des bébés.
[Traduction]
Le vice-président (M. Scott): Merci.
Monsieur MacLellan.
M. MacLellan (Cap-Breton - The Sydneys): Merci, monsieur le président, et merci à tous.
Tout cela est très utile. Ce que je crains, c'est que les compagnies assurances et pharmaceutiques exercent des pressions excessives qui vont empêcher la recherche d'évoluer comme elle devrait le faire. On va faire une publicité excessive aux résultats de la génétique, alors même qu'ils ne seront pas encore prêts. Les compagnies d'assurance assurent en fonction de probabilités, mais cela ne les autorisent pas à utiliser n'importe quels renseignements, sous prétexte qu'elles facturent leurs services en fonction d'une probabilité.
À votre avis, comment devrions-nous nous définir au cours des prochaines années et quelle orientation devrions-nous prendre. J'aimerais aussi savoir si, comme l'a dit M. Mélançon, il y a un facteur majeur de stress en jeu que nous devrions connaître et si l'on devrait en tenir compte jusqu'à ce que nous ayons l'occasion d'approfondir.
Il a été question de l'existence possible d'un gène qui prédisposerait au crime et à l'activité criminelle. Est-ce que cela a été prouvé?
M. Dickenbach: Je pourrais peut-être vous donner une brève réponse à propos de cette question d'assurance. Il y a un phénomène dans le monde de l'assurance qu'on appelle la sélection adverse où la compagnie d'assurance essaie de se protéger contre la possibilité que certaines personnes qui connaissent d'avance leur sort souscriront à des montants trop élevés tandis que les autres feront l'inverse, c'est-à-dire qu'il y aura sous-assurance. Cette perspective, évidemment, est contrebalancée par ce qu'on pourrait appeler une asymétrie de l'information et on pourrait donc croire qu'il est légitime pour une entreprise, et dans son intérêt d'obtenir un maximum d'information pour palier cette autre anomalie appelée la sélection adverse.
La dynamique de l'industrie est donc telle qu'on cherchera à obtenir l'information et ces probabilités feront l'objet de calculs actuariels en se servant d'un facteur de certitude - si jamais le projet sur le génome humain est mené à bon terme - et on en arrivera un jour à un genre de paradoxe dans ce secteur. Soit que les compagnies d'assurance gardent pour elles toute l'information sans partager avec le consommateur, auquel cas aucun consommateur sain d'esprit n'achètera désormais une police d'assurance parce qu'il ne pourra qu'y perdre ou bien l'information est connue de tous et le phénomène de l'assurance disparaîtra. Comme vous le dites, tout cela n'est basé que sur des probabilités.
On pourra toujours proposer de l'assurance-vie ou de l'assurance-accident, mais le plus bizarre c'est que l'assurance-santé, comme industrie, surtout aux États-Unis, devra être revue en profondeur et corrigée.
J'ai déjà parlé de l'aspect juridique dans notre pays de l'assurance. Il semble que la loi canadienne donne aux compagnies d'assurance le droit, nonobstant les lois sur les droits de la personne, de traiter les gens de façon différente en raison de distinctions non stéréotypées et non irrationnelles. L'âge, le sexe et les prédispositions génétiques seraient certainement du nombre. Il s'agit donc d'un problème difficile, voire très difficile.
Le vice-président (M. Scott): La parole est maintenant à M. Wolbring.
M. Wolbring: Évidemment, on n'a pas encore trouvé de gène qui explique le comportement violent, mais il y a des scientifiques de très grande réputation qui font des recherches dans ce domaine, surtout aux États-Unis, notamment Frederick Goodwin, l'ancien chef du Department of Mental Health des États-Unis.
On fait toute sorte de recherches qui nous sembleraient ridicules. Hitler en aurait été fier. Il cherchait justement à faire le lien entre tout cela: comportement violent, alcoolisme. Nous faisons la même chose, sauf que nous en cherchons la cause génétique. Tout se définit par les gènes. Je crois que c'est dangereux parce que les causes ne se situent pas pour la plupart au niveau génétique. On n'est plus responsable de ses actes: je ne peux pas m'empêcher d'être violent, c'est génétique.
Qu'allons-nous donc faire? Des batailles juridiques - on ne veut même pas y songer. À mon avis, il vaut mieux croire que la violence est une question de responsabilité personnelle et non pas de génétique. Ces gens trouvent toute sorte de fonds pour faire ces recherches. Ils ne font pas tout cela à la maison. Ils doivent trouver des fonds. Certains s'intéressent donc à établir ce genre de lien; sinon, ils ne feraient pas cela pour de l'argent. C'est ça qui fait peur.
[Français]
M. Mélançon: Je crois que la génétique obligera probablement les compagnies d'assurance à changer l'éthique, à apprendre que, même dans des pays capitalistes, l'éthique du profit ne suffit plus et qu'il faut maintenant partager avec l'État et les familles le fardeau lié aux maladies héréditaires.
En d'autres termes, l'éthique du profit, même si ce n'en est pas une, devra être remplacée par l'éthique de la solidarité génétique qui fera de sorte que tout le monde partagera les coûts liés aux maladies héréditaires ou génétiques.
[Traduction]
Le vice-président (M. Scott): Docteur Lippman.
Dr Lippman: Je veux tout simplement faire une autre de mes déclarations à l'emporte pièce concernant, cette fois-ci, la question de la génétique et du crime. Le lien à établir entre les gènes et le crime se trouve au niveau d'un projet social, pas au niveau d'un projet scientifique.
Qui donc est le criminel? Je n'ai pas encore vu de subventions proposées pour une recherche portant sur la génétique de ceux qui polluent l'environnement ou qui ont des comportements qui, de l'avis de certains, sont criminels. Toute cette histoire de liens génétiques par rapport à la violence et au crime trouve son origine dans des motifs d'ordre social, tout comme c'est le cas, à mon avis, pour l'homosexualité.
Le vice-président (M. Scott): Docteur Summers.
Dr Summers: Encore une fois, je dois dire que je ne suis pas tout à fait d'accord. Je ne vois pas l'intérêt d'examiner la composition génétique des criminels. Je conviens qu'il existe probablement des raisons d'ordre social, plutôt que scientifiques, à leur comportement. Cependant, il existe certainement des preuves selon lesquelles les gènes sont responsables des changements de comportement. Ce ne sont pas forcément des changements négatifs; ils sont souvent positifs.
Par exemple, il existe un syndrome qui s'appelle le syndrome de Williams. Les enfants ayant ce syndrome sont très agités. On les reconnaît davantage à leur caractère qu'à leurs traits physiques. Donc, à mon avis, il ne fait aucun doute que certains gènes ont une influence sur le comportement.
J'aime garder l'esprit ouvert. Il y a peut-être certains gènes qui ont tendance à causer des comportements violents. Je ne le sais pas. Mais je ne veux pas exclure cette possibilité.
Dr Lippman: Je tiens à faire une précision. Je n'ai jamais nié - et si je l'ai fait ce n'était pas mon intention - ni aujourd'hui ni auparavant, que les gènes influent sur beaucoup de choses: le comportement, l'apparence, ce que nous mangeons, et bien d'autres variables. Mais je m'oppose à l'idée selon laquelle les gènes soient le seul facteur qu'il faut examiner lorsqu'on essaie de comprendre un problème, mais je n'ai jamais dit que les gènes... Il va de soi que les gènes jouent un certain rôle.
Le vice-président (M. Scott): Monsieur McKinnon.
M. McKinnon (Brandon - Souris): Je suis ravi d'être ici parmi vous aujourd'hui. Je ne suis pas normalement membre de ce comité, mais j'ai enseigné et j'ai étudié un peu la biologie. Mes connaissances limitées me rendent dangereux dans certains de ces domaines. Permettez-moi de souligner aussi que je suis un vrai jumeau, si quelqu'un s'intéresse à faire des recherches là-dessus. Comme vous pouvez le constater, je dois résister à la tentation de faire don d'ongles d'orteil et de cheveux à l'université d'Ottawa.
Je tiens à faire quelques remarques. D'abord, je crois comprendre, d'après ce que j'ai entendu dire, qu'il faut protéger et conserver les méthodes du bon vieux temps, comme on l'a fait jusqu'ici. Il ne faut pas permettre à certains éléments de la société d'administrer des tests obligatoires pour quoi que ce soit. J'espère avoir bien compris.
Pour ce qui est des compagnies d'assurance, je pense que nous avons tous eu des inquiétudes. Les remarques faites par vous tous m'ont beaucoup impressionné.
Ce qui me préoccupe c'est comment garantir le respect de la vie privée à une époque où l'on assiste à la création de toutes sortes de banques de données. J'ai été frappé par la remarque du docteur Lippman, qui a dit qu'à long terme le respect de la vie privée est une cause perdue. Par conséquent, faut-il mettre fin à la création de banques de données où qu'elles soient?
Dr Lippman: Oui. À l'heure actuelle, il n'y pas de raison de garder des échantillons identifiés dans les banques de données de l'ADN. Je sais que le ministère du solliciteur général tient des audiences sur cette question auxquelles plusieurs d'entre nous ont participé, ou ont essayé de le faire. Je ne sais pas exactement où en sont les délibérations, mais certains disent que le commissaire à la Protection de la vie privée du Canada a présenté un rapport au sujet de la création de banques de données de l'ADN.
À mon avis, cette pratique n'est pas nécessaire à ce stade-ci. Les informations au sujet des crimes et des criminels qu'elle est censée nous fournir, peuvent être obtenues autrement. Je pense qu'il est très prématuré de créer des banques de données à des fins médico-légales. Il n'y a pas lieu de conserver des échantillons identifiés à l'heure actuelle.
C'est mon opinion personnelle.
Dr Summers: Là encore, je suis tout à fait d'accord avec vous. Je trouve épouvantable l'idée que le gouvernement est en train de créer une banque de données des criminels. Je n'arrivais pas à le croire.
Toutefois, il y a de bonnes raisons de conserver des échantillons de l'ADN. Par exemple, dans le cas d'une maladie héréditaire, où les membres de la famille voudront peut-être subir des tests à l'avenir et où une personne qui est atteinte de la maladie est sur le point de mourir. Il sera peut-être nécessaire d'avoir un échantillon de son sang afin de pouvoir tester les autres membres de la famille. Il s'agit d'une méthode utilisée couramment pour faire des analyses de l'ADN. Dans un cas comme cela, il est très important de garder des échantillons de l'ADN.
M. McKinnon: Comme des points de repère.
Dr Summers: Pour l'administration de tests.
Vous avez dit que dans le bon vieux temps on n'obligeait pas les gens à faire certaines choses. Je pense, au contraire, que dans le bon vieux temps l'on obligeait les gens à faire certaines choses. Je pense, ou je l'espère du moins, que de plus en plus les médecins demandent aux patients de prendre les décisions eux-mêmes. Mais il est évident - peut-être pas pour tous - que dans le bon vieux temps les médecins nous disaient ce qu'il fallait faire, et que nous l'avons fait. Je pense que nous entrons dans une nouvelle époque où les gens s'occupent eux-mêmes de leur santé. Je trouve cela très positif.
Le vice-président (M. Scott): Est-ce que d'autres aimeraient répondre à la question?
Au nom de la présidente, je tiens à vous remercier tous. La séance de cet après-midi a été fort utile. Je vous assure que je serai en communication avec vous lorsque j'aurai relu les délibérations. Je suis certain que nous allons examiner davantage certains des thèmes qui sont revenus cet après-midi. Merci beaucoup.
La séance est levée.