[Enregistrement électronique]
Le mardi 11 juin 1996
[Traduction]
La présidente: Je vois que nous sommes en nombre. Soyez les bienvenus à la troisième table ronde du Comité permanent des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées. Cette série de discussions a pour but de vous aider à examiner attentivement et à cerner certains grands sujets de préoccupation qui ont une incidence sur notre vie ainsi que les répercussions que cela peut avoir sur les droits de la personne et sur le plan juridique.
Dans le cadre des discussions que nous tenons sur les nouvelles technologies, vous participez à notre troisième table ronde, qui est un mécanisme de consultation dont le but est de fixer l'ordre du jour pour l'automne.
Notre première table ronde était consacrée aux nouvelles technologies de communication, c'est-à-dire essentiellement au nouvel âge de l'information, aux défis qu'il comporte, aux perspectives qu'il offre et aux problèmes qui en découlent.
La deuxième table ronde était consacrée aux technologies biomédicales et à l'éthique. Comme l'a dit la semaine dernière un des experts que nous avions invités, ce n'est pas une question de gènes, de science ou de technologie; il s'agit des répercussions sociales, juridiques et morales sur les choix et les valeurs de notre société.
Je rappelle à votre intention, et plus particulièrement à celle des gens qui nous regardent, certaines questions qui ont été examinées de près: l'évolution de la nature du lieu de travail et des droits des travailleurs, l'eugénisme, la génothérapie, la constitution de banques de données sur l'ADN, les essais concernant les maladies traitables, les problèmes de respect de la vie privée, les dossiers médicaux familiaux, la confidentialité, la surveillance des banques de données sur l'ADN, ainsi que les droits des compagnies d'assurance et le système de distribution des soins médicaux. Que dire de la responsabilité et de relations médecin-patient et des risques de se retrouver dans le pétrin? On a parlé de la réaction au fait scientifique, des normes qui doivent servir de guide, de ce qui devrait être préventif, des principes et des motivations, ainsi que de ce qui devrait être proscrit.
La troisième table ronde d'aujourd'hui sera le couronnement de cette phase de nos travaux et les experts vont nous fournir des renseignements supplémentaires sur les cadres législatifs, réglementaires et stratégiques. Je suis très heureuse que vous soyez là aujourd'hui.
Je souhaite la bienvenue au Dr Patricia Baird, qui est médecin et pédiatre spécialiste de la génétique médicale. Elle était chef du département de génétique médicale de l'Université de Colombie-Britannique; elle s'est occupée de services aux familles atteintes de maladies héréditaires et a fait de la recherche en génétique. Ses travaux portent sur la répartition et l'évolution naturelle des malformations congénitales et des maladies héréditaires dans la population, ainsi que sur la bioéthique. Elle a été membre de plusieurs organisations internationales et nationales, à savoir: le Conseil consultatif national des sciences et de la technologie, présidé par le premier ministre; le Conseil de recherches médicales du Canada; le groupe d'experts sur l'éthique de l'Association internationale de pédiatrie et celui de la Fédération internationale de gynécologie et d'obstétrique. Elle a aussi présidé la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, dont la plupart d'entre nous ont suivi les travaux avec beaucoup d'intérêt et qui a présenté son rapport au gouvernement en 1993. Elle a également reçu plusieurs grades honorifiques. C'est avec grand plaisir que je vous la présente. Elle est notre premier témoin.
Voici comment nous allons procéder: nous demanderons à chacun d'entre vous de faire un exposé de cinq minutes, après quoi les membres du comité auront une discussion entièrement libre avec vous. Nous donnerons d'abord la parole aux représentants du parti de l'opposition, c'est-à-dire du Bloc québécois, M. Maurice Bernier qui sera suivi par M. Martin, qui remplace un de nos membres et auquel je souhaite la bienvenue. Ensuite, ce sera le tour des députés libéraux qui décideront eux-mêmes dans quel ordre ils prendront la parole. Enfin, nous aurons une discussion générale libre avec les témoins.
Auriez-vous la bienveillance de commencer, Dr Baird?
Dr Patricia Baird (présidente, Commission royale sur les nouvelles technologies de reproduction): Merci beaucoup.
Avant de commencer, je signale que je suis pédiatre de formation et que par conséquent, je n'ai pas une formation de juriste; en outre, je ne suis pas experte en ce qui concerne les aspects juridiques des droits humains. J'ajouterais également que mes observations seront basées sur l'expérience que j'ai acquise comme membre d'une commission qui a consulté d'innombrables personnes. Nous avons entendu le témoignage de plus de 40 000 personnes au total.
La façon dont des traitements pour la fécondité, des traitements génétiques ou encore des diagnostics sont offerts à la population soulève des problèmes d'éthique et de droits humains. S'il s'agit de techniques non éprouvées, elles devraient être accessibles uniquement dans un contexte expérimental, en divulguant tous les renseignements aux éventuelles participantes et en leur permettant de faire un choix en toute connaissance de cause. C'est que, sur le plan moral, on justifie le fait d'exposer des femmes à des risques inconnus pour obtenir un avantage incertain en disant que l'on recueille des renseignements pour des raisons de sécurité et pour le bien des futures patientes. Mais il existe également des techniques éprouvées dont on sait par expérience qu'elles donnent de bons résultats et que les risques peuvent être gérés.
Si ces techniques sont considérées comme des biens de luxe et ne font pas partie d'un service qui devrait être financé par la société, seules les personnes ayant un revenu suffisamment élevé seront en mesure d'en bénéficier. C'est injuste, étant donné que ces technologies procurent des avantages importants si elles sont utilisées comme il se doit et si elles sont éprouvées. Il est dans l'intérêt de la société et des individus que ces services soient offerts dans le cadre d'un système financé par l'État et que l'on fournisse à la population des renseignements exacts pour lui permettre de décider en toute connaissance de cause s'il convient ou non d'utiliser la technologie.
Il importe toutefois de signaler que le traitement de l'infécondité se pratique de plus en plus en dehors du réseau public, dans des cliniques privées. Ce sont généralement des médecins qui possèdent et exploitent ces cliniques. On constate dès lors que le recours à ces services est plus fréquent si les médecins concernés sont bien placés pour recommander ce genre de traitement. Dans les cliniques privées, les patients paient directement certains services - la fécondation in vitro, par exemple - mais bien d'autres coûts viennent s'y ajouter et dans un pays comme le nôtre, où il existe un système de santé financé par l'État, c'est le reste de la population qui paie la facture.
En outre, en l'absence d'une certaine réglementation, de politiques sociales claires et de l'obligation de rendre des comptes, certains particuliers peuvent actuellement profiter de techniques utilisées de telle façon que les autres sont exploités ou lésés. Par exemple, une femme qui a eu sa ménopause et qui en a les moyens peut acheter l'ovule d'une jeune femme pour se le faire implanter, un couple aisé peut payer la FIV à une mère porteuse ou payer pour le choix du sexe.
La décision d'avoir recours à de telles techniques est souvent considérée comme une décision personnelle. Ce n'est pas vrai. Ce n'est pas le cas, parce que les conséquences touchent d'autres personnes, et pas seulement les futurs parents. Les enfants qui voient le jour de cette façon en subissent les conséquences ainsi que d'autres femmes, les femmes en général, d'autres groupes et la société en général aussi. La façon dont ces techniques sont utilisées peut causer un enracinement des inégalités actuelles.
C'est en raison de ces conséquences que la société a, à mon avis, un motif légitime - et la responsabilité, en fait - de réglementer l'utilisation des techniques génétiques et des techniques de reproduction. L'absence de politique est une politique en soi. C'est alors une forme de processus décisionnel - à savoir le marché - qui s'applique au lieu d'une autre, qui est la réglementation.
Si ceux et celles qui peuvent utiliser les technologies sont les nantis, ils s'arrangeront pour que cela serve leurs intérêts et ils paieront pour ce qu'ils veulent. Pourtant, la possession ou la vente d'une personne n'est pas permise parce que la société est convaincue que ce serait faire fi de la valeur que nous accordons à l'être humain. De même, la vente d'ovules, de sperme, d'embryons ou de tissu foetal a des répercussions sur la conception que l'on se fait de la personne humaine. Le fait d'attribuer une valeur commerciale à la conception et à la grossesse, dans le cadre d'arrangements préalables prévoyant une rémunération, donne une conception sociale indésirable de la reproduction.
Il est évident qu'un usage abusif et discriminatoire des techniques de reproduction et des techniques génétiques et qu'une certaine exploitation sont possibles. Le danger, ce n'est pas tellement que des règlements entravent les décisions d'utiliser ce genre de technique, mais plutôt l'absence d'intervention. Par conséquent, la population serait sans défense face au marché et l'intérêt public ne serait pas défendu. C'est pour cette raison que bien des pays d'Europe ont adopté des lois et des règlements.
Autrefois, la réglementation et le contrôle étaient assumés par une certaine autoréglementation du corps médical. Il est vrai que le contrôle technique et le contrôle de la qualité ainsi que la formation spécialisée ne pouvaient être réglementés que par des praticiens. L'autoréglementation est nécessaire, mais elle n'est pas suffisante.
Au cours de sa tournée à travers le pays, la commission a pu constater qu'un nombre croissant de personnes n'appréciaient pas le fait que cette forme d'autoréglementation soit le seul moyen de s'assurer que les responsables rendent des comptes. La plupart des décisions stratégiques ne sont pas d'ordre médical et le corps médical n'est pas tout ce qu'il y a de mieux équipé pour évaluer les répercussions d'ordre social, moral ou d'autre nature qu'entraîne l'utilisation de ces technologies.
Comme vous le savez peut-être, la commission a fait deux recommandations principales: l'une est que l'on insère dans les lois fédérales des dispositions prévoyant certaines interdictions; la deuxième, c'est que l'on instaure un organisme national chargé d'octroyer des permis et de réglementer le secteur pour défendre les intérêts de la population et obliger les intervenants à rendre des comptes. Cela permettrait de gérer l'utilisation des technologies et faciliterait la prise de conscience et la participation de la population aux choix auxquels nous resterons confrontés.
Cet organisme devrait être indépendant du gouvernement et ses membres devraient provenir de divers secteurs. Le processus devrait être transparent. Il devrait rendre des comptes aux Canadiens en remettant un rapport chaque année au Parlement, et les établissements qui offrent certains services de reproduction ainsi que des services d'ordre génétique devraient être obligés de détenir un permis et de respecter certaines conditions.
En conclusion, j'estime qu'il est très important d'instaurer de tels mécanismes de réglementation sans trop tarder, parce que l'utilisation inéquitable, abusive et discriminatoire de ces technologies va avoir une incidence sur notre société et celle de nos enfants.
Merci.
La présidente: Merci beaucoup, docteur Baird.
David Sutherland a été directeur des services d'informatique et des communications à l'Université Carleton. Il a présidé le comité organisateur du National Capital Freenet et il en est actuellement le président en plus d'être président de son conseil d'administration. Le Freenet est un réseau informatisé de mise en commun de l'information, qui est gratuit, et qui apporte une dimension communautaire non commerciale à l'autoroute électronique. Ce réseau compte plus de 56 000 membres. M. Sutherland fait partie du Comité consultatif sur l'autoroute de l'information du ministre de l'Industrie et est coprésident de son groupe d'étude sur l'accès et les incidences sociales.
Je crois que le rôle de ce groupe d'étude était d'examiner certaines des dimensions humaines de l'autoroute de l'information. Ai-je raison? Bon.
Ce groupe d'étude a notamment examiné les questions suivantes: comment protéger la confidentialité des renseignements personnels sur l'autoroute de l'information tout en respectant le droit de tous à un accès raisonnable à l'information; comment faire un compromis entre la limitation de la diffusion d'informations offensantes comme la littérature haineuse et la pornographie, tout en tenant compte du droit de tous à la liberté d'expression; comment assurer un accès universel et abordable à l'autoroute de l'information tout en faisant disparaître les obstacles à l'exécution du service.
Ce que nous allons vous demander, monsieur Sutherland, c'est si certains obstacles devraient exister, indépendamment de la question de l'accès. Quelles sont les contraintes de la prescription? Ce sera un plaisir de savoir ce que vous en pensez.
M. David Sutherland (directeur, Services d'informatique et des communications, Université Carleton): Merci de m'avoir donné l'occasion de parler.
Je me baserai sur mon expérience avec le National Capital Freenet qui, je le répète, est un service gratuit que nous avons mis sur pied en 1993 pour permettre l'accès à l'Internet à tous les habitants d'Ottawa. Depuis lors, il est devenu le modèle pour bien d'autres projets mis en place dans le pays. Je crois qu'il existe environ 70 projets analogues dans le pays à l'heure actuelle. Mon expérience universitaire et le fait de devoir relever des défis avec certaines des nouvelles technologies utilisées sur le campus universitaire m'ont permis d'acquérir des connaissances intéressantes. Le Comité consultatif sur l'autoroute de l'information dont vous avez parlé a évidemment étudié les questions que vous avez énumérées, les problèmes de confidentialité pour lesquels je compterai sur l'expérience de Bruce Phillips plutôt que sur la mienne. Il est très au courant des travaux du comité. Je lui ai parlé en privé, juste avant de venir ici, et je crois que certaines mesures bien précises ont été prises, peut-être à la suite de certaines des recommandations du comité en la matière.
À propos de la teneur des règlements, je signale qu'on a beaucoup parlé dans les journaux d'abus, si je puis dire, qui ont été commis dans l'utilisation de l'Internet, de son utilisation pour diffuser de l'information d'un goût douteux comme de la littérature haineuse et de la pornographie. Le Comité consultatif sur l'autoroute de l'information a préparé une série de recommandations au sujet du contrôle de ce genre d'information. Il a adopté ce que je considère comme la meilleure solution. Je la recommande. Je suis convaincu que c'est la meilleure formule.
Il n'a pas recommandé d'instaurer un cadre réglementaire spécial. Il a reconnu qu'il existe au Canada des lois qui limitent la liberté de parole et la liberté d'expression. Ces lois s'appliquent aux activités qui se déroulent dans ce contexte.
Il a également recommandé d'établir un programme éducatif pour rappeler aux gens que c'est le contexte dans lequel s'inscrivent leurs comportements. Il a également recommandé que la responsabilité des gens qui acheminent de l'information sur l'Internet soit précisée parce que c'est une question qui n'est pas encore réglée. Les cas de jurisprudence dans ce domaine sont plutôt rares. Pour le moment, tous les responsables de l'acheminement de l'information craignent beaucoup, après mûre réflexion, de se faire entraîner dans de longs procès et d'instaurer par conséquent la jurisprudence à leurs propres frais.
Ils ont recommandé de soutenir les programmes de gens qui, comme Ken McVay, luttent contre la propagation de la littérature haineuse pour que les allégations de ces semeurs de haine ne restent pas sans réponse. Les fournisseurs du service Internet devraient établir un code de déontologie modèle pour fixer un objectif, établir des critères en ce qui concerne la façon de gérer leurs systèmes. Ils ont recommandé d'instaurer un système de plaintes et de développer la technologie de façon à permettre aux gens de s'autocensurer ou aux écoles, par exemple, de restreindre le genre d'information qui pourrait être introduite chez elles. Ils ont également recommandé que l'on mette au point la technologie nécessaire pour aider à remonter à la source de toute information illégale entrée sur l'Internet pour pouvoir demander des comptes aux éventuels responsables d'activités illégales.
Ils ont dit en outre que des accords internationaux pourraient être utiles, parce qu'étant donné qu'il s'agit d'un environnement sans frontières, comme nous avons pu le constater, il n'est pas possible qu'un pays limite les activités de ses citoyens quand l'information se trouve sur un serveur situé en dehors des frontières nationales.
Les accords internationaux pourraient toutefois poser des problèmes. Les normes que nous établirions seraient très différentes de celles des autres pays. Par exemple, à supposer qu'un serveur canadien préconise la démocratie sans entraves et donne des renseignements sur la façon de l'instaurer, cela pourrait très bien ne pas être apprécié de tous les pays du monde.
Je vous signale également que si nous obtenions l'affranchissement des droits d'auteur, nous pourrions mettre Les versets sataniques de Salman Rushdie sur l'Internet. Nous ne trouverions pas cela particulièrement répréhensible ici mais ce serait un terrible affront aux yeux des citoyens de certains autres pays. Par conséquent, il serait extrêmement difficile de conclure des accords internationaux.
Je suis d'accord avec Pierre Mackay qui a déclaré, le 30 avril, qu'il était important de tenir compte des connaissances en informatique, que les gens devaient être au courant des nouvelles technologies et avoir la possibilité d'en profiter. Je crois que nous avons instauré des programmes pour que les Canadiens aient largement la possibilité de participer.
Par conséquent, l'accès et la participation entrent clairement en ligne de compte. En fait, cela fait déjà partie des objectifs du National Capital Freenet. Lorsque nous avons instauré le système, en 1993, nous avons dit qu'il avait notamment pour but d'être une expérience qui apporterait un certain bagage à la population, de faire comprendre à tous les habitants d'Ottawa si possible les avantages que cette nouvelle technologie pouvait comporter pour eux. La question de l'accès universel aux services de télécommunications décourage les législateurs depuis la création des réseaux téléphoniques et elle continuera à revêtir une grande importance à mesure que les technologies progressent. À quel niveau faut-il dire que l'on insistera pour qu'un niveau de service minimum soit disponible dans tout le pays? Je crois que c'est un problème avec lequel les législateurs continueront de se débattre pendant encore un certain temps. Notre rapport contient certaines recommandations sur la façon dont on pourrait procéder.
À mon avis, les services qui sont créés au moyen de nouvelles technologies d'information, je parle des services généraux, doivent tenir compte des besoins particuliers des personnes handicapées. Comme certains témoignages antérieurs l'ont signalé, les personnes handicapées font partie des gens qui devraient bénéficier le plus de la mise au point de ces technologies.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Sutherland.
J'ai le plaisir de vous présenter Marcia Rioux, qui est directrice générale de l'Institut Roeher, l'institut canadien pour l'étude des politiques officielles ayant des répercussions sur les personnes handicapées. Elle est également professeure adjointe de politique sociale à la Faculté des études environnementales de l'Université York. Elle assume plusieurs fonctions consultatives. Elle représente également Inclusion International au Comité international de bioéthique du Projet de séquençage du génome humain - et j'aime ce terme. Pour ceux d'entre nous qui ne connaissent pas ce terme, il a quelque chose à voir avec les gènes. Vous allez nous en parler. Il s'agit d'un projet de l'UNESCO.
Mme Rioux a été directrice de la recherche au sein du Comité consultatif canadien sur la situation de la femme et recherchiste principale à la Commission de réforme du droit du Canada. Elle est spécialisée et elle a publié de nombreux articles et monographies dans des revues politiques et médicales ainsi que dans des publications officielles. Elle a été directrice des recherches dans le cadre d'études sur la pauvreté, le bien-être social, les régimes de rente d'invalidité, la violence et l'agression ainsi que sur l'égalité et la différence.
Nous attendons impatiemment la parution de votre prochain livre qui est intitulé The Equality-Disability Nexus. Je crois que cela nous aidera à examiner le paradoxe auquel nous sommes confrontés en raison de l'évolution qu'entraîne la technologie et, comme je l'ai dit dernièrement, de l'élasticité qu'elle donne à nos objectifs en matière d'égalité.
Nous vous écoutons.
Mme Marcia Rioux (directrice générale, Institut Roeher): Merci beaucoup.
Merci de m'avoir invitée à participer à la discussion d'aujourd'hui. Elle porte sur une question qui est d'un intérêt capital pour les personnes handicapées et le signal que vous émettez en tenant ces trois tables rondes est excessivement important pour elles.
Je vais faire trois observations concernant des domaines où j'estime important d'instaurer une certaine réglementation pour que les droits des personnes handicapées soient respectés.
En premier lieu, j'estime qu'il faut instaurer un certain cadre général et que le cadre des droits de la personne est le principal à utiliser. J'ai plusieurs raisons pour avancer qu'il faut s'arranger pour que la législation concernant les droits humains, tant sur le plan national qu'international, s'applique à l'information génétique.
L'une d'entre elles est qu'il faut empêcher d'une manière générale toute discrimination fondée sur l'invalidité, et cela comprend l'accès à la technologie dont a parlé le Dr Baird ainsi que les conséquences négatives de la technologie pour les personnes handicapées.
La deuxième raison pour instaurer un cadre suprême et un système de protection des droits de la personne, c'est qu'il faut empêcher les intéressés d'invoquer des arguments d'efficacité économique pour justifier la recherche et l'application de la technologie biomédicale. Pour le moment, pas mal de chercheurs actifs dans le domaine de la recherche génétique prétendent qu'il est en fait plus efficace sur le plan économique de prévenir les invalidités que de garder certaines personnes dans la collectivité en leur offrant l'aide dont elles ont besoin pour pouvoir vivre pleinement leur vie.
La troisième raison, c'est qu'il faut garantir et protéger au sein de la population canadienne un respect sous-jacent de la biodiversité. Je ne suis pas certaine que nous savons parfaitement ce que nous faisons avec ce genre de recherche, et j'estime qu'il faut considérer la biodiversité comme un critère de base.
Il ne fait aucun doute que l'information génétique permet de comprendre une série de maladies et d'invalidités héréditaires susceptibles de coûter de l'argent non seulement aux particuliers mais aussi aux institutions, notamment aux systèmes de santé et à l'État, qui ont certaines responsabilités en raison des régimes d'assurance et des prestations auxquelles ont droit les personnes handicapées et les malades.
Cette information peut fournir à ces institutions un système de classement leur permettant de structurer l'affectation des prestations et des droits aux prestations. Je crois que l'on part du principe que les gènes sont la cause de la crise financière actuelle, en partie du moins, et que par conséquent il faut éliminer les affections héréditaires qui font augmenter les coûts.
Je tiens à signaler que le Comité de bioéthique de l'UNESCO dont, comme vous l'avez signalé, je fais partie à titre d'observatrice pour le compte de Inclusion International, a choisi comme principal projet la préparation d'une déclaration internationale sur la protection du génome humain. S'il est important d'établir des règlements voire un cadre réglementaire dans le but d'interdire l'exploitation des gènes par l'intermédiaire de brevets, ce qui est le principal sujet de préoccupation de ce comité, je crains que celui-ci n'ait pas fait grand-chose voire rien du tout pour la protection des droits humains dans le contexte de la recherche génétique et de ses applications. Voici ce que ce comité dit dans la deuxième ébauche de la déclaration internationale qu'il a préparée:
- Les États doivent veiller à instaurer un climat intellectuel et matériel favorable à la recherche
sur le génome humain, pour autant que celle-ci contribue à faire progresser les connaissances et
qu'elle facilite la prévention de l'invalidité et de la maladie.
Vous comprenez bien que les commissions internationales d'éthique délibèrent sans se soucier des répercussions injustes de leurs travaux dont la principale motivation est l'élimination des invalidités.
La présidente: Ces renseignements sont-ils disponibles et pourriez-vous nous envoyer un exemplaire de ce document?
Mme Rioux: Oui.
La présidente: Merci beaucoup. Je crois que cela nous serait très utile à tous, y compris aux autres experts participants qui trouveraient cela intéressant, j'en suis sûre.
Mme Rioux: Le deuxième sujet que je vais aborder - et nous pourrons continuer à discuter plus tard du projet de déclaration de l'UNESCO - , est la nécessité d'établir des règlements et un cadre législatif dans le but d'empêcher la discrimination au niveau de l'accès aux prestations de l'État tant aux prestations sanitaires qu'à celles versées au titre de la sécurité du revenu.
À l'Institut Roeher, nous participons actuellement à un projet de recherche sur les répercussions de la recherche génétique et ses applications dans ces deux secteurs de la politique sociale, pour les personnes handicapées. Nous n'avons pas encore pu terminer nos travaux, mais nous sommes en mesure de relever un certain nombre de domaines où l'on utilise déjà manifestement des tests génétiques qui risquent d'être discriminatoires, surtout à l'égard des personnes handicapées. Il s'agit notamment de l'accès aux soins de santé, de la rationalisation des soins de santé, de la discrimination au niveau de l'assurance, des actions en justice fondées sur une gestation préjudiciable, de l'obligation de l'État de fournir des services sociaux et du refus d'embaucher des personnes ayant un certain patrimoine génétique.
Il existe un certain nombre de cas dans chacun de ces domaines. Je songe en particulier à un jeune homme qui s'appelle Terry Urquhart, dont vous avez probablement entendu parler dans les journaux, et que l'on a refusé d'inscrire sur une liste de candidats à une greffe de poumon parce que l'on sait qu'il souffre du syndrome de Down. Cela s'est passé il y a quelques mois à peine. Il a fallu qu'il révèle publiquement ses problèmes et qu'il recueille pas mal d'appui auprès de la population pour que l'hôpital accepte de l'inscrire sur cette liste.
Il existe plusieurs cas de personnes auxquelles on a refusé l'accès au statut d'immigrant reçu au Canada parce qu'elles sont atteintes d'une maladie héréditaire. Dans plusieurs cas, il s'agissait du syndrome de Down.
Par conséquent, j'estime que sur le plan de la réglementation, il importe de s'assurer que les principes énoncés dans la Loi canadienne sur la santé et dans le contexte du transfert dans le domaine de la santé et le domaine social au Canada, soient suffisamment clairs pour interdire que l'accès à certains programmes de santé et de bien-être social soit refusé dans certains cas en raison du diagnostic de certaines maladies héréditaires, et il faudrait en particulier préciser très clairement ce que signifie la notion d'universalité et s'assurer qu'elle ne sera pas interprétée dans un sens tellement étroit que les provinces risquent de refuser l'accès à ces fonds aux personnes handicapées.
Je signale très rapidement le troisième domaine où j'estime qu'il faut une certaine réglementation; il s'agit de la recherche et des crédits disponibles dans ce domaine. Il est évident que les gènes peuvent nous permettre de connaître des vérités, mais les connaissances génétiques ne constituent qu'un type de vérité parmi tant d'autres; d'ailleurs, la recherche et les connaissances fondées sur le principe que l'invalidité est d'origine génétique est beaucoup trop financée par rapport à la recherche fondée sur l'hypothèse qu'elle est d'origine sociale. Je crois qu'il est important de remédier à ce problème et qu'il faut une certaine réglementation pour mettre un terme à ce déséquilibre. La recherche génétique, qui concerne des domaines très peu connus, ne devrait pas jouer un rôle déterminant dans l'affectation des dépenses importantes qui sont faites dans le domaine de l'invalidité, contrairement à ce qui se passe actuellement.
Merci beaucoup.
La présidente: Merci.
Je donne maintenant la parole à M. Rubin Friedman, directeur de B'nai Brith Canada. Il a occupé de nombreux postes à la fonction publique fédérale, à savoir ceux de directeur du Programme d'appui aux communautés et de participation communautaire au multiculturalisme, de directeur général du Secrétariat de redressement pour les Canadiens japonais, de coordonnateur en chef des politiques au Secrétariat d'État du Canada, de chef de l'élaboration des tests linguistiques français-anglais de la fonction publique.
Je crois qu'il s'est intéressé à toute une série de questions sociales notamment en ce qui concerne la famille et la collectivité, la violence, l'immigration et la citoyenneté, et qu'il est actif depuis longtemps dans le domaine des droits de la personne et des relations interraciales.
Je me réjouis de voir, comme vous tous, ce que M. Friedman a à dire. Il a une formation en linguistique et en phoniatrie, et il s'intéresse beaucoup aux aspects de la technologie qui permettent de recevoir à domicile certains types d'information que nous préférerions voir disparaître.
Monsieur Friedman.
M. Rubin Friedman (directeur, Relations avec le gouvernement, B'nai Brith Canada): Merci, madame la présidente.
Je suis heureux d'avoir l'occasion de vous parler de cette question importante que vous devriez approfondir, à mon avis. Je m'explique.
Nous allons parler tout d'abord de la question de la propagation de la propagande haineuse. C'est un sujet qui préoccupe la Ligue des droits de la personne de B'nai Brith Canada depuis de nombreuses années. À maints égards, l'Internet n'est qu'une technologie de plus, un moyen supplémentaire de diffuser un message qui était auparavant transmis par d'autres modes de communication. D'une certaine façon, nous avons déjà été confrontés et sommes toujours confrontés à la plupart des défis que nous pose l'Internet et d'autres sortes de technologies.
Pour vous donner une idée du problème, j'ai ici trois publications qui ont été importées et qui ont été classées par Revenu Canada dans la catégorie de la propagande haineuse. Nous n'avons pas une idée précise de l'ampleur de ce mouvement, mais de toute évidence, le nombre de documents importés des États-Unis est élevé. Il serait impossible pour Revenu Canada de contrôler tous les documents à la frontière. Avec l'Internet, il faudrait contrôler le flux d'électrons à la frontière, ce qui vous donne une idée de l'ampleur du défi.
La propagande haineuse a pour but de répandre l'idée que certains groupes de personnes ne sont pas des êtres humains, qu'il s'agit d'êtres inférieurs et qu'il est normal qu'ils soient l'objet de la haine d'une société. C'est là son but. Les gens qui répandent la haine sont prêts à avoir recours à tous les moyens disponibles pour arriver à leurs fins. C'est une des raisons pour lesquelles il est difficile de prévoir la forme que prendra la propagande haineuse, parce que les gens sont libres de raconter des mensonges ou de répandre la haine à n'importe quel propos. [Difficultés techniques - Éditeur]
La présidente: Continuez.
M. Friedman: Je ne répéterai pas ce que j'ai déjà dit, mais la diffusion de propagande haineuse sur l'Internet nous préoccupe au même titre que sa transmission par d'autres moyens. Nous constatons que la solution à ce problème est analogue à celle que nous avons envisagée dans d'autres cas, à savoir l'éducation du public, la sensibilisation à la propagande qui existe, le contrôle, l'action communautaire ainsi que la collaboration entre toute une série de personnes et d'organismes dans le but de surveiller les messages de haine diffusés sur l'Internet et de les contrer. Nous avons collaboré à plusieurs reprises avec Ken McVay ainsi qu'avec d'autres organisations pour lutter contre certaines personnes et certains groupes qui utilisent l'Internet.
L'autre possibilité est l'éducation du public. Nous estimons qu'il est absolument nécessaire d'éduquer le public non seulement en ce qui concerne la propagande haineuse mais aussi en ce qui concerne l'Internet. Nous estimons que bien des gens s'inquiètent de voir la haine véhiculée sur l'Internet, ce qui se comprend, sans toutefois connaître suffisamment cette technologie ni la nature des messages transmis pour avoir l'impression de savoir ou que d'autres sachent comment réagir.
L'Internet est international. Par conséquent, nous recommandons vivement la coopération internationale dans ce domaine. Je ne préconise pas le recours à des traités internationaux pour la raison que j'ai exposée précédemment, à savoir que l'attitude adoptée à l'égard d'informations d'un goût douteux varie d'un pays à l'autre. Par conséquent, il faudra bien du temps pour en arriver à ce stade-là. Par contre, les traités constituent la seule solution à longue échéance. Par conséquent, il est important et essentiel de se mettre à en discuter immédiatement. Cette différence d'attitude ne devrait pas nous décourager d'entamer ces discussions, même si cela prend 10, 15 ou 20 ans, sinon il faudrait partir tout simplement du principe qu'il serait impossible que les différents pays s'entendent sur ce sujet voire sur n'importe quel autre, si l'on veut être logique jusqu'au bout. Je ne crois pas que ce soit une attitude constructive.
Enfin, nous estimons qu'il n'est pas encore nécessaire d'établir de nouvelles lois au Canada. Le Canada a un corps de lois qui est assez élaboré pour lutter contre la propagande haineuse, à savoir la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Loi sur les douanes, la Loi sur l'immigration ainsi que certaines dispositions du Code criminel, et plus particulièrement les articles 318 à 320. Ces dispositions précisent ce que les Canadiens pensent de la promotion de la littérature haineuse. Elles tiennent compte de la nécessité de protéger les droits de l'individu tout en protégeant la société contre la force destructrice de la propagande haineuse qui divise l'humanité.
J'estime donc qu'au Canada, les tribunaux et les lois définissent assez bien les valeurs auxquelles nous adhérons. J'estime que notre législation est tellement extraordinaire qu'il faudrait promouvoir cette formule à l'échelle internationale, parce qu'elle permet exactement de résoudre l'énigme de la quadrature du cercle en faisant un juste compromis entre les droits de l'individu, ceux de la société et le droit des groupes minoritaires d'être protégés contre la haine. C'est précisément pour cette raison que j'estime que le Canada devrait promouvoir cette vision, non seulement ici mais aussi à l'étranger.
À l'échelle nationale, je crois que le comité devrait examiner les efforts et les partenariats visant à faire l'éducation du public, que le gouvernement fédéral devrait soutenir par le biais des ministères, par l'intermédiaire du commissaire aux droits de la personne ou par d'autres moyens. Je crois que c'est ce que j'avais à dire pour l'essentiel.
La présidente: Merci beaucoup.
Je vais maintenant donner la parole à M. Bill Black, qui a été membre de la Faculté de droit de l'Université de Colombie-Britannique. Il a enseigné dans le domaine des droits de la personne et du droit constitutionnel. Il a été membre de la commission des droits de la personne de la Colombie-Britannique et a été directeur du Centre de recherche et d'enseignement sur les droits de la personne de l'Université d'Ottawa. Dernièrement, M. Black a été nommé conseiller spécial par le ministre du gouvernement de la Colombie-Britannique qui est responsable des droits de la personne, et son rapport sur les droits de la personne en Colombie-Britannique est paru en décembre 1994.M. Black a assuré des services de consultation et de formation pour un certain nombre de commissions des droits de la personne partout au Canada.
Nous vous écoutons, monsieur Black.
M. William Black (Faculté de droit, Université de Colombie-Britannique): Merci beaucoup. On vous a confié la tâche ingrate d'examiner deux aspects de la nouvelle technologie: l'accès aux avantages de la technologie et la tentative de prévention de certains problèmes qui peuvent être causés par cette technologie. On a principalement parlé aujourd'hui de la prévention de certains maux, et je suis parfaitement d'accord, mais je crois bon de parler un peu de la question de l'accès.
À notre époque, les ordinateurs, les guichets automatiques et autres machines de ce genre font de plus en plus partie de la vie de tous les jours et il me semble qu'il faille se préoccuper non seulement du blocage de l'accès aux nouvelles technologies mais aussi, dans une certaine mesure, du blocage de l'accès aux technologies traditionnelles à cause de l'informatisation. Par exemple, dans le domaine bancaire, il se peut que l'on soit dorénavant obligé d'utiliser une machine alors qu'avant on avait accès à des caissiers et à des caissières. Malgré les avantages que ce changement comporte, c'est une source d'obstacles pour certaines personnes.
Par exemple, les systèmes d'affichage graphique comme Windows sont considérés comme un grand progrès mais si l'on ne peut pas voir l'écran sur lequel on est censé déplacer le curseur, ce n'est plus un progrès mais une régression.
Par conséquent, j'approuve entièrement ce que l'on a dit au cours de la première table ronde, à savoir qu'il est nécessaire d'établir des normes uniformes pour permettre à tout le monde de bénéficier des avantages de cette nouvelle technologie et qu'il faut s'assurer que ces normes et les mécanismes sont transférables, afin que l'accès reste possible avec de nouveaux logiciels.
Il est à mon sens très important de signaler que ce genre d'obstacles touchent les personnes handicapées mais il ne faut pas oublier qu'elles ne sont pas les seules à être dans cette situation. Par exemple, au sein d'une population vieillissante, les personnes âgées se heurtent aux mêmes obstacles que des personnes plus jeunes atteintes d'un handicap.
Le bagage informatique pose un problème. En plus d'essayer d'améliorer la situation à cet égard, il convient peut-être de mettre au point des moyens d'utiliser la technologie sans avoir des connaissances approfondies en informatique. Ces technologies coûtent de l'argent, comme l'a si bien dit le Dr Baird et par conséquent, la pauvreté peut constituer un obstacle en soi.
Je crois que les principes que nous avons établis en ce qui concerne les droits de la personne, surtout depuis 10 ou 15 ans, nous sont utiles dans ce domaine. Le défi ne consistera pas à établir de nouveaux principes mais plutôt à trouver des moyens d'appliquer ceux qui existent à de nouveaux domaines.
Je vais signaler trois possibilités. La première, c'est qu'il faut développer la législation fédérale et son administration. À la suite de ce qui s'est dit dans le cadre des autres tables rondes, une des questions que je voudrais signaler est celle de la confidentialité non seulement dans le secteur public, où elle est couverte par la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais aussi dans le secteur privé.
J'ai autre chose à signaler, qui découle de ce que j'ai dit précédemment: il est nécessaire d'élaborer des normes précises pour donner accès à certaines technologies.
Vous avez entendu parler aujourd'hui, et au cours des séances précédentes, de l'opportunité d'adopter une tactique sectorielle à l'égard de ces problèmes, c'est-à-dire de s'occuper de chaque secteur séparément, ou plutôt une stratégie d'ensemble axée sur les droits de la personne. Je suis entièrement d'accord avec Marcia Rioux lorsqu'elle dit qu'une législation d'ensemble concernant les droits de la personne est absolument essentielle pour combler les lacunes qui existent dans certains mécanismes plus ponctuels et énoncer les normes appliquées à ces autres mécanismes. Je crois toutefois également qu'il est parfois plus utile d'élaborer par exemple des normes d'accès obligatoires spéciales susceptibles de prévenir la discrimination que d'attendre que le logiciel soit sur le marché et que des plaintes soient portées devant la Commission des droits de la personne. Par conséquent, j'estime qu'il faut mettre au point des solutions plus ponctuelles et s'assurer que la Loi canadienne sur les droits de la personne ainsi que d'autres lois analogues aient une portée suffisante pour couvrir tous ces nouveaux domaines.
Certaines raisons ont déjà été signalées. Cette loi s'applique-t-elle à une invalidité présente ou prévue, due au patrimoine génétique? J'espère que oui, mais si l'on a le moindre doute à ce sujet, il faudrait le préciser.
Il faudra peut-être également en étendre l'application à d'autres secteurs d'activité. La Loi sur les droits de la personne couvre-t-elle par exemple actuellement la vente d'un programme d'ordinateur auquel ne peuvent avoir accès les personnes handicapées? S'applique-t-elle à la discrimination fondée sur le sexe dans le contexte de la maternité de substitution et des techniques de reproduction?
Par conséquent la première possibilité est du domaine de la compétence fédérale. La deuxième relève à la fois de la compétence fédérale-provinciale et de la compétence internationale, et il en a déjà été question. J'espère que nous pourrons revenir là-dessus plus tard.
La troisième est qu'il faut adopter des mesures positives pour donner accès. On aura beau avoir toutes les normes et toutes les lois du monde, ce n'est pas cela qui procure la technologie et la formation nécessaires à un pêcheur de Terre-Neuve qui essaie de se recycler dans la technologie de pointe. Ce n'est pas cela qui aide un enfant qui vit dans la pauvreté et qui est défavorisé sur le plan scolaire parce que ses compagnons de classe ont un ordinateur chez eux.
Je voudrais avoir des solutions à tous ces problèmes.
Je voudrais encore faire deux observations qui vous donneront matière à réflexion. La première est que si j'estime qu'une réforme législative mérite d'être envisagée, il est par ailleurs absolument essentiel de coordonner les efforts dans ce domaine. En raison de la nouvelle technologie, la façon dont nous avons agencé la réglementation gouvernementale n'est peut-être plus aussi censée qu'auparavant.
Par conséquent, l'Internet pose des problèmes de confidentialité et de discrimination. Par exemple, le problème de l'identification de la source d'information, dont il a été question précédemment, peut se poser dans les deux cas. Comment peut-on faire en sorte que la Commission canadienne des droits de la personne, le Commissaire à la protection de la vie privée et le CRTC, par exemple, soient tous sur la même longueur d'onde?
Ma deuxième observation est la suivante: le gouvernement fédéral pourrait-il se servir de son pouvoir d'achat pour encourager les progrès dans les domaines, tels que le domaine constitutionnel, où, pour une raison ou une autre, il n'a pas un pouvoir direct de réglementation? Par exemple, pourrait-il faire en sorte que le financement de la technologie soit conditionné à l'accès universel à cette nouvelle technologie? Peut-il se servir de son pouvoir d'achat pour décider de n'acheter que des programmes accessibles? Cela pourrait être un moyen d'obtenir des résultats en dépit du fait que la compétence accordée en la matière par la constitution est strictement limitée.
Merci.
La présidente: Merci beaucoup.
Enfin, avant de passer à l'étape suivante, voici M. Bruce Phillips, auquel je souhaite la bienvenue. M. Phillips est le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada.
Monsieur Phillips, vous avez entendu parler de toutes sortes de préoccupations concernant la vie privée.
Dans le cadre de ses fonctions, M. Phillips est ombudsman spécialisé, et il relève du Parlement. C'est lui qui surveille la cueillette, l'utilisation et la divulgation des renseignements personnels par le gouvernement fédéral et il s'occupe également des demandes de consultation des dossiers faites par les personnes concernées. Par conséquent, il est sur la sellette car il doit essayer de prendre des décisions basées sur ce qui existe, sur ce qui n'existe pas ou sur ce qui devrait exister, et plus particulièrement sur ce qui ne devrait pas exister.
Comme nous le savons tous, je pense, M. Phillips est un journaliste lauréat, dont la carrière a embrassé tous les types de médias, les médias écrits, verbaux et visuels. Il a été ministre responsable des Affaires publiques à l'Ambassade du Canada à Washington.
Monsieur Phillips, nous vous écoutons.
M. Bruce Phillips (commissaire à la Protection de la vie privée du Canada): Merci beaucoup, madame Finestone.
La première chose que j'ai à dire, c'est que je trouve que votre étude tombe à point nommé. En fait, et ce n'est nullement un reproche, il était peut-être grand temps qu'elle ait lieu parce que les répercussions de la technologie sur la société en général sont révolutionnaires. Ce que je vais dire relève maintenant du cliché, mais c'est la première fois que je vois nos parlementaires essayer d'avoir une vue d'ensemble des incidences de tous ces changements sur l'ensemble de la société.
Deuxièmement, je vous suis personnellement extrêmement reconnaissant de m'avoir invité. Étant donné que je suis un mandataire du Parlement, j'estime qu'une de mes fonctions les plus utiles consiste à vous conseiller au sujet des problèmes d'actualité relevant du domaine de la protection de la vie privée. J'espère que vous estimez, vous aussi, que je vous suis utile à l'occasion.
La présidente: J'ai été de cet avis quand nous avons examiné la Loi sur la radiodiffusion ainsi que lorsqu'il a été question du CRTC. Par conséquent, vous êtes effectivement utile.
M. Phillips: Il y a une remarque du Dr Baird qui m'a frappé; elle l'a faite au début de cette audience; elle a dit que notre société n'approuve pas que l'on achète ou que l'on vende des gens.
Je me propose toutefois de vous contredire madame Baird, ne fût-ce que légèrement. Il est un fait que nous achetons et que nous vendons de grands éléments de nous-mêmes. Dans la société contemporaine, la circulation de l'information sur la personne est très intense. Il ne reste pour ainsi dire rien que les milieux d'affaires et l'État ne tiennent pas à savoir sur nous, en tant qu'individus. La science génétique est en train de faire des percées dans les secrets les plus intimes de notre patrimoine génétique et il ne reste pratiquement rien qui ne s'achète ou ne se vende, à part le corps humain proprement dit. Après tout, pourquoi se soucierait-on de l'édifice quand on a retiré tout son argent de la banque?
La présidente: Je citerai vos propos, vous pouvez en être certain.
M. Phillips: Faites-le, je vous en prie.
Dans un certain sens, lorsque j'essaie de déterminer pourquoi cela devient une question d'intérêt public de premier plan, je me dis que c'est parce que la population commence à comprendre, ne fût-ce qu'un tout petit peu, ce qui se passe. Elle n'a actuellement pas la moindre idée de l'identité de ceux qui possèdent des renseignements sur elle, de la façon dont on les utilise et de ceux à qui ils sont divulgués. Elle ne sait pas à qui s'adresser si elle estime que quelque chose ne va pas. La plupart du temps, il n'y a personne à qui s'adresser. Les résultats de certains sondages en témoignent amplement.
Premièrement, on utilise de plus en plus d'ordinateurs au travail et à la maison. On se promène sur le réseau, on fait ses transactions bancaires par téléphone, on paie à l'épicerie avec une carte et on en arrive à comprendre tout doucement, et peut-être de façon fragmentaire ou élémentaire, une partie des incidences qu'ont ces technologies pratiques, puissantes et envahissantes sur la vie privée.
Nous savons qui est l'ennemi, c'est nous. Les Canadiens veulent que l'on fasse quelque chose à ce sujet et ils veulent que le gouvernement considère la question de la protection de la vie privée comme une priorité. Je crois qu'elle présente un certain intérêt pour les parlementaires. D'après tous les sondages qui ont été faits à ce sujet, la très forte majorité de la population voudrait que le Parlement passe à l'action.
Deuxièmement, les gouvernements font une cure d'amaigrissement et j'emploie cette expression de façon très vague, sans essayer de peser mes mots. Du coup, ils essaient, peut-être à raison, de faire disparaître tout ce qui n'est pas efficace et tous les tricheurs du système. Nous assistons à un phénomène d'intégration croissante des bases de données à l'intérieur de la fonction publique et entre les différents gouvernements. On encourage de plus en plus l'usage de cartes portant les empreintes numérisées, des cartes polyvalentes et l'on adopte de plus en plus le principe du système d'identification unique, ce qui pourrait entraîner un transfert massif de pouvoir entre les mains des gens qui contrôlent toute cette technologie.
En outre, pour des raisons d'efficacité, les gouvernements cherchent également des moyens de partager l'exécution des services avec d'autres paliers de gouvernement, avec divers degrés de protection de la vie privée, ainsi qu'avec le secteur privé. Il arrive souvent que dans ce genre d'échange, la vie privée devienne la victime très silencieuse d'un accident mortel. Par exemple - et je ne porte pas un jugement sur le projet proprement dit mais sur une de ses conséquences - , le transfert de notre système de contrôle de la circulation aérienne au secteur privé signifie que les droits à la vie privée d'environ 6 000 fonctionnaires fédéraux, même s'ils sont reconnus par la loi, seront complètement annihilés, de même que la protection conférée par la Loi sur la protection des renseignements personnels. Ce problème serait dû au transfert des millions de renseignements personnels produits par ce système, renseignements actuellement protégés par cette loi, étant sous la garde du ministère des Transports.
Je ne dissocie pas NAVCAN des autres mesures gouvernementales d'austérité. Ce n'est qu'un exemple de la situation à laquelle nous sommes confrontés à l'heure actuelle, et peut-être un des plus impressionnants. Nous devons réfléchir à ces choses-là.
Troisièmement, les entreprises reconnaissent actuellement le pouvoir des renseignements qu'elles détiennent et les risques que ces renseignements soient altérés, manipulés et vendus, généralement à l'insu ou sans le consentement des intéressés, comme en témoignent de récents articles où l'on révélait que des pharmacies vendent à des sociétés pharmaceutiques les listes des médicaments prescrits par les médecins aux malades, en insinuant que cette pratique est très répandue actuellement dans ce milieu. Je ne sais pas, moi, mais il est possible que le dossier de l'un d'entre nous ait déjà été vendu à une société pharmaceutique.
Enfin, dans un autre domaine, on dirait que les gens se préoccupent de plus en plus de leur sécurité, surtout dans les grands centres urbains. L'accroissement de la demande dans le secteur de la sécurité alimente l'invasion de la technologie de la surveillance dans des domaines de notre vie qui étaient considérés autrefois comme étant à l'abri de ce genre d'intrusion. On trouve maintenant des caméras dans les bureaux, dans les magasins, aux coins de rue, dans les toilettes des usines, bref un peu partout. Il existe également à l'heure actuelle des biotechnologies puissantes comme la génétique. Elles ont le pouvoir de guérir, bien sûr, mais aussi celui de nous réduire à l'esclavage. On ne peut s'empêcher de se demander si l'on n'est pas en train de transformer des charrues en épées plutôt que l'inverse.
Par conséquent, nous traversons une période très troublante à cet égard mais, à quelques rares exceptions près, nous n'avons pas encore pris d'initiative à caractère législatif pour essayer de faire face à cette situation nouvelle. Jusqu'à présent, nous avons toujours compté sur les lois fédérales qui permettent un certain contrôle sur la collecte et l'utilisation des renseignements personnels et sur les lois qui existent dans la plupart des provinces, mais pas toutes. Cependant, sauf dans la province de Québec, il n'existe absolument aucune législation s'appliquant au secteur privé, à part les quelques règles imposées aux agences d'évaluation du crédit.
Dans le domaine de la protection des renseignements personnels, il existe dans notre société beaucoup de codes adoptés librement, mais aucun droit légal ni aucun système de contrôle impartial n'y sont rattachés.
À mon avis, une des exceptions importantes à cette règle générale est la réponse du gouvernement aux recommandations du Comité consultatif sur l'autoroute de l'information. C'est ce que j'ai vu de plus encourageant au cours de mes cinq ans et demi de carrière à titre de commissaire à la protection de la vie privée. Dans une allocution prononcée par le ministre de l'Industrie il y a deux semaines à peine, le gouvernement promet de soumettre des projets de cadre législatif pour imposer au secteur privé des règlements concernant la protection des renseignements personnels.
Si le gouvernement fait du bon travail et s'il présente un projet de loi prévoyant un contrôle véritable et impartial, ainsi qu'un système d'exécution et de vérification raisonnable, ce sera un des événements les plus importants dans les annales de la protection de la vie privée au Canada. Sinon, ce sera la pire catastrophe jamais vue dans ce secteur. Par conséquent, tout dépend de la façon dont cela sera fait. Tout ce que je peux dire pour le moment, c'est que je pense que le gouvernement est sur la bonne voie. Je le félicite pour les initiatives qu'il a prises jusqu'à présent.
J'espère bien que, quand il s'y mettra, il ne limitera pas ce projet de loi à l'autoroute de l'information. La question de la protection des renseignements personnels ne se limite pas à la circulation de l'information dans des systèmes électroniques. Elle concerne toutes sortes de domaines comme les applications biomédicales à la vie professionnelle et les systèmes de surveillance. De nos jours, pratiquement aucun aspect de la vie humaine n'échappe à l'influence de la technologie sur la vie privée.
Nous risquons de perdre complètement notre sentiment d'autonomie et du fait même, de sacrifier un droit fondamental de la personne. Je n'irais pas jusqu'à dire que la vie privée n'existe plus mais elle a certainement de la difficulté à survivre.
Notre cadre stratégique actuel protège-t-il suffisamment la vie privée. La réponse est un non catégorique. Il est quasi évident que ce n'est pas le cas, parce que la plupart des formes d'ingérence dans la vie privée qui vous préoccupent et qui ont été signalées aujourd'hui, ainsi qu'au cours des séances précédentes, sont entièrement légales. En bref, le cadre est criblé de trous qui font que la vie privée est beaucoup trop assujettie à bien d'autres intérêts de la société, et surtout à la recherche du profit.
On discute beaucoup au Canada de la forme que pourrait prendre un cadre visant à protéger la vie privée; M. Black a d'ailleurs mentionné quelques démarches possibles. Nous avons tous des opinions à ce sujet. Je vous invite à réfléchir à certaines choses qu'il faut faire, à mon avis, ainsi qu'à une loi-cadre nationale.
Je voudrais qu'à chaque projet de loi présenté à la Chambre des communes, soit annexée une analyse d'incidence analogue aux déclarations qui accompagnent actuellement les projets de loi et qui portent sur les liens qui existent avec la Charte des droits et libertés.
Je souhaite sincèrement que le Parlement appuie davantage des études comme celles qui sont effectuées actuellement par mes services et qui portent sur des questions de portée mondiale, comme celle des technologies de surveillance, par exemple.
Il faut faire davantage pour éduquer le public au sujet de la vie privée et de son importance dans une société démocratique. Je crois que M. Friedman en a parlé. Je dirais qu'un respect décent pour la vie privée est une nécessité absolue dans une société démocratique. Une société ne peut être démocratique sans un certain respect mutuel.
Enfin, il faut élaborer un cadre éthique pour essayer de résoudre les problèmes de protection de la vie privée, et c'est précisément à cela que consiste en grande partie votre tâche.
Par conséquent, armés de ces outils, en commençant par une législation pour essayer d'instaurer ensuite un système visant à améliorer la situation sur les plans de l'éducation et de l'éthique, grâce à un travail analytique approfondi, nous aurons au moins une chance de préserver un droit humain très fondamental.
Merci.
La présidente: Merci beaucoup. Je dois dire que vous avez tous exposé des opinions très sérieuses, qui portent à réfléchir. Je suis sûre que tous mes collègues ont des questions à poser.
[Français]
M. Assadourian a demandé à M. Bernier la permission de commencer les questions. Je vous remercie, monsieur Bernier. Pourquoi n'êtes pas aussi aimable pour une seule autre chose? Pour le reste, on est toujours d'accord.
[Traduction]
M. Bernier (Mégantic - Compton - Stanstead): Je ne peux pas être parfait.
[Français]
La présidente: Mais il y a aussi d'autres choses.
[Traduction]
M. Assadourian (Don Valey-Nord): Merci beaucoup, madame la présidente. Merci beaucoup, monsieur Bernier.
Je dois partir tôt pour assister à une autre réunion de comité, mais je voudrais d'abord profiter de l'occasion pour vous remercier d'être venus.
Monsieur Phillips, ma question porte sur le gouvernement provincial. Je ne sais pas si vous avez lu les nouvelles d'hier, mais je suis sûr que vous le faites généralement. L'OMA, c'est-à-dire l'Association médicale de l'Ontario, a adopté une résolution visant à donner au public un accès limité aux dossiers médicaux de certains médecins. Si le médecin pense que vous êtes dangereux pour la société ou a une autre raison, il ou elle a le droit de communiquer ces renseignements à la police ou à des comités de quartier.
Pensez-vous que ce soit un pas dans la bonne voie? Jusqu'où iriez-vous dans ce domaine? Certaines personnes disent par exemple que l'alcoolisme est héréditaire. Quel compromis feriez-vous et comment contrôleriez-vous cela?
M. Phillips: Je n'irais pas très loin en ce qui concerne tout projet visant à rendre accessibles certains dossiers personnels, à moins qu'un système très élaboré n'ait pas été instauré d'abord.
Oui, j'ai lu cette nouvelle. Cette proposition ressemble à celle qui concerne les personnes qui ont déjà un casier judiciaire. La question de la divulgation publique de renseignements sur les personnes ayant des antécédents criminels fait l'objet d'un débat public animé tous ces temps-ci. On a peut-être souvent de bonnes raisons de le faire, mais il ne faudrait pas que ce soit un système ponctuel où la décision serait prise par une seule personne.
La comparaison la plus proche que je puisse faire est avec un système en vigueur au Manitoba, où il existe un comité communautaire de notification composé d'éminents citoyens de la province ayant une certaine compétence dans ce domaine. Quand la police estime qu'il serait bon de divulguer publiquement certains renseignements sur un individu considéré comme une menace pour la société, l'affaire est soumise à ce comité qui l'examine et prend une décision d'après certains critères.
Je crois que ce système est plus prometteur que le projet qui consiste à confier cette responsabilité à des médecins. Ce serait peut-être souhaitable dans certains cas, mais je pense qu'il faudrait alors prévoir un système adéquat.
La présidente: Est-ce qu'un autre participant a quelque chose à ajouter?
Avez-vous une autre question à poser, monsieur Assadourian?
M. Assadourian: Non, merci.
La présidente: Merci beaucoup.
Monsieur Bernier.
[Français]
M. Bernier: Je remercie d'abord chacun et chacune des participants d'avoir bien voulu accepter de venir discuter avec nous. Nous avons entendu des propos très intéressants concernant la nécessité de réglementer. Vous souhaitez pour la plupart que le gouvernement réglemente tout ce champ des nouvelles technologies, et tout particulièrement l'accès aux nouvelles technologies.
Ma première question porte sur les commentaires de Mme Baird, Mme Rioux et les autres personnes qui ont parlé de la nécessité d'assurer l'accès aux nouvelles technologies, particulièrement dans le domaine médical et pour le bénéfice des personnes handicapées ou âgées.
Je ne voudrais pas vous embarquer dans un débat constitutionnel, mais puisque nous sommes ici pour entendre vos opinions en vue de décisions que devra prendre le gouvernement fédéral - vous me voyez venir avec ma question - , si vous parlez de l'accès aux nouvelles technologies dans le domaine de la santé qui se traduiront nécessairement par des coûts, comme le soulignait Mme Baird, qui devraient être assumés par les gouvernements, selon vous, on se retrouve dans un domaine de compétence provinciale. Comment le gouvernement fédéral peut-il alors intervenir? Jusqu'où peut-il aller? J'aimerais avoir vos commentaires là dessus.
Je poserai également une question relativement aux propos de M. Phillips.
Je crois avoir manqué certaines discussions; c'est la première fois que j'entends une allusion à la protection de la vie privée, surtout dans le domaine de la surveillance. C'est un point très intéressant et j'aimerais vous entendre davantage à cet égard. Lorsque je vous écoutais parler des caméras qui nous surveillent un peu partout, j'ai pensé à ce problème majeur et un exemple m'est venu en tête. Dans la municipalité de Sherbrooke où je vis, on avait installé des caméras pour surveiller les jeunes qui fréquentaient le centre-ville; dès que des dirigeants municipaux se sont rendu compte qu'ils étaient filmés dans certains endroits avec des personnes dont ils auraient préféré qu'on ne sache rien, les caméras ont disparu.
J'aimerais vous entendre parler davantage des conséquences de ce phénomène. Comment pouvons-nous réglementer?
[Traduction]
Dr Baird: Je vais répondre à la première partie de la question et je laisserai à Marcia le soin de répondre à la deuxième.
En fait, vous voulez parler du problème causé par le fait que l'accès entraîne des frais et que la prestation des soins de santé relève de la compétence des provinces alors qu'en fait la façon d'utiliser les nouvelles technologies de reproduction et les technologies génétiques a des répercussions sur l'ensemble de la population et que la plupart des décisions sont d'ordre social et moral. Il me semble que si la façon d'autoriser la technologie varie considérablement d'une province à l'autre, les répercussions ne peuvent pas être contenues en deçà des frontières provinciales.
Par exemple, si en Ontario, on permet à des femmes de 63 ans d'acheter des ovules de jeunes femmes, cela créera un tourisme à caractère reproductif: les femmes qui en ont les moyens iront acheter en Ontario. À supposer que la maternité de substitution rémunérée soit permise au Manitoba, mais pas en Saskatchewan, on n'arrivera pas à confiner les attitudes engendrées de la sorte aux frontières de la province.
Par conséquent, certaines répercussions de l'utilisation des technologies de reproduction ne relèvent pas uniquement du domaine de la santé. Elles relèvent du domaine social et moral et ont par conséquent toutes sortes de retombées à l'extérieur. Je crois donc qu'il est absolument essentiel pour le bien-être des Canadiens d'adopter un système commun relativement harmonisé. Si chaque province n'en fait qu'à sa tête et qu'il existe de grosses différences, je ne vois pas comment on pourra contenir les répercussions néfastes à l'intérieur des frontières d'une seule province. Cela touchera inévitablement d'autres Canadiens.
Marcia, je vais vous laisser répondre à la deuxième partie.
Mme Rioux: Merci.
Je pense que le développement de la biotechnologie entraînera probablement deux sortes de frais.
D'abord il y a les frais d'accès dont vous avez parlé et dans ce cas, il est nécessaire d'éviter qu'il y ait des différences au niveau des incidences sur les personnes handicapées, en particulier si elles sont négatives. Par exemple, des femmes handicapées se sont vu refuser l'accès à certaines nouvelles technologies de reproduction.
Il est particulièrement important d'éviter une certaine forme de ségrégation selon la race, l'origine ethnique, le sexe ou l'invalidité. Il me semble que c'est une question d'éthique et de droit. Ce n'est pas une question qui relève de la compétence des provinces. Pour le moment, on pourrait certainement s'arranger pour que les principes énoncés dans la Loi canadienne sur la santé s'y appliquent et pour que les transferts financiers soient fondés sur l'adhésion à ces cinq principes, comme c'est actuellement le cas. On pourrait en fait s'arranger pour qu'ils s'appliquent.
Je crois que la deuxième conséquence importante correspond au deuxième type de frais dont j'ai parlé, des frais dont on dit souvent qu'ils seront réduits, parce que si on élimine certains types de structures génétiques, on supprimera les frais liés au handicap provenant de la maladie héréditaire en question. Je crois que cela a de graves incidences et qu'il faudrait établir une certaine réglementation pour l'éviter.
J'ai lu dernièrement un article écrit par un monsieur de Madison, au Wisconsin, qui possède un très grand centre génétique. Il y affirme que les frais d'entretien et d'éducation d'un enfant atteint de dystrophie musculaire progressive type Duchenne étaient beaucoup trop élevés, et qu'en fait le coût de la recherche génétique l'était beaucoup moins. C'est sous ce prétexte qu'il poursuit sa recherche génétique et qu'il justifie l'investissement de fonds dans ce type de recherche.
C'est à mon avis une argumentation absolument odieuse sur le plan moral. Je ne suis pas certaine que ce soit une question de compétence. Je crois que c'est une question de morale, de valeurs, de normes et de principes à maintenir à l'échelle nationale et non provinciale, voire à l'échelle internationale.
Dr Baird: Je voudrais ajouter deux ou trois brefs commentaires à propos des frais.
La commission a recommandé d'utiliser les techniques de reproduction en se fondant sur les résultats. Autrement dit, elles ne devraient pas être accessibles sauf si l'on a la preuve qu'elles donnent de bons résultats et qu'elles sont inoffensives. Par exemple, la moitié du temps, on pratique actuellement la FIV au Canada sur les femmes qui font partie de catégories où...
La présidente: Excusez-moi, docteur Baird. Certaines personnes ne savent pas ce qu'est la FIV.
Mme Baird: C'est la fécondation in vitro.
Environ la moitié du temps, on pratique la fécondation in vitro sur des femmes qui font partie de catégories où l'on a des preuves que cela marche, en ce sens que cela leur donne de meilleures chances d'avoir un enfant né vivant. Environ la moitié du temps, on la pratique dans des cas où l'on n'a pas de bonnes preuves qu'elle est efficace. Les coûts de base relèvent souvent du secteur des cliniques privées, mais tous les autres frais supplémentaires, comme l'accroissement du nombre de fausses couches, l'accroissement du nombre de grossesses extra-utérines, les naissances multiples ainsi que toutes les conséquences qui s'ensuivent, sont inévitablement payés par le système public. Par conséquent, pour le moment, les profits sont privatisés et les coûts sont étatisés.
Je crois que si l'on pouvait en arriver à ce que les technologies soient utilisées de façon contrôlée, dans un contexte où il faut rendre des comptes et se fonder sur des résultats, les frais qu'elles entraîneraient pour notre système de santé seraient nettement inférieurs. À mon avis, les interventions qui n'ont pas fait leurs preuves ne devraient être pratiquées qu'à titre expérimental, si elles semblent prometteuses, et elles ne devraient être adoptées dans le système public que si l'on a des preuves de leur efficacité et de leur sécurité. Cela permettrait au système de santé d'économiser beaucoup d'argent à la longue.
[Français]
La présidente: La question supplémentaire que vous posiez au sujet de la surveillance s'adressait-t-elle à Mme Baird ou à M. Black?
M. Bernier: À M. Phillips.
[Traduction]
M. Phillips: Monsieur Bernier, je tiens d'abord à rectifier légèrement l'interprétation que vous faites de mon opinion sur la technologie. Je ne suis pas là pour recommander de réglementer la technologie. Je suis là pour discuter de la façon dont l'information est transmise et utilisée par l'intermédiaire de ces technologies. C'est une distinction importante. En ce qui concerne la surveillance, la question est de savoir en fait dans quelle mesure on est prêt à sacrifier sa liberté personnelle pour profiter des présumés avantages de ce genre de sécurité.
Si l'on plaçait des caméras et des projecteurs dans tous les immeubles résidentiels, dans toutes les cours d'entrée et arrière-cours et dans toutes les rues du Canada, cela ferait certainement diminuer la criminalité. Je suis pas mal sûr que l'on obtiendrait ce résultat, mais je ne pense pas que l'on dormirait beaucoup la nuit. Nous n'apprécierions pas ce genre de surveillance. C'est une question de dosage.
Je ne nie pas que dans certains cas, l'installation de caméras de surveillance dans les rues se justifierait. Je n'en suis toutefois pas tout à fait convaincu, car ces caméras ne filment pas uniquement certaines personnes dans le but de les dissuader de commettre des actes illégaux mais elles filment aussi, à leur insu, une série de personnes dans le cadre de leur vie quotidienne. Ces personnes ne voudraient peut-être pas être photographiées. Il est possible qu'elles s'adonnent à une activité privée dont elles ne souhaitent pas que quelqu'un soit au courant.
Qui contrôle ces images? Quelles garanties ont été fournies que ces images ne seront pas utilisées une deuxième ou une troisième fois?
Je crois qu'il faut réfléchir soigneusement aux concessions que l'on fait par rapport aux avantages obtenus. Il arrive trop souvent que l'on ait recours à ces solutions technologiques soi-disant simples pour essayer de résoudre des problèmes sociaux bien plus compliqués. On se contente d'installer une caméra à tel endroit et de filmer tout le monde.
Je vais vous raconter une histoire. Il y a quelques mois, un homme de Vancouver est allé à un guichet automatique. Il a inséré sa carte, fait sa transaction et est rentré chez lui. Le soir même, alors qu'il regardait la télévision, il a vu sa photo à l'écran avec la mention suivante: «Recherché par la police pour fraude à un guichet automatique». Il n'avait rien fait de semblable. En fait, il s'agissait d'une erreur de la banque. Elle avait oublié de rajuster le système d'enregistrement de la date et de l'heure de la caméra à la suite du changement de l'heure normale à l'heure d'été. Une infraction avait été commise à cette machine ce jour-là, mais il n'en était pas l'auteur. En attendant, on avait dit qu'il était recherché par la police à deux ou trois millions de ses concitoyens. Voilà donc les risques qui découlent d'un tel système.
On pourrait passer beaucoup de temps à parler de surveillance. Je crois qu'il faut examiner la question de très près. Il est possible d'atteindre un niveau de sécurité et de contrôle absolu, à condition de renoncer entièrement à sa liberté.
La présidente: Je me souviens de notre premier voyage en Russie, où nous avons parlé de Boris qui écoutait - de «Big Brother». Cela vous rend pas mal méfiant.
C'est Keith Martin qui posera la question suivante.
M. Martin (Esquimalt - Juan de Fuca): Merci, madame la présidente. Merci à tous d'avoir pris le temps de nous faire bénéficier de vos connaissances.
Je voudrais adresser un commentaire à M. Friedman et poser une question au Dr Baird.
Monsieur Friedman, je suis absolument d'accord avec ce que vous avez dit à propos de la propagande haineuse sur l'Internet. C'est extrêmement inquiétant et ce genre de propagande n'a absolument pas sa place dans notre société. Je crois que mes collègues libéraux vous parleront du formidable projet de loi d'initiative parlementaire de M. Pagtakhan, qui porte sur cette question. L'appui de votre organisation et d'autres groupes serait grandement apprécié, j'en suis sûr.
Si on veut rendre notre société plus tolérante, plus compréhensive et plus compatissante, ne pensez-vous pas que le meilleur moyen d'y arriver serait par le biais de l'éducation des jeunes enfants? L'influence que l'on pourrait avoir très tôt sur l'individu aurait des effets très durables, jusqu'à l'adolescence et l'âge adulte.
Autrement dit, on pourrait modifier légèrement le programme des cours, en commençant par les programmes d'éducation de la prime enfance, pour leur enseigner non seulement les rudiments de la connaissance mais aussi pour leur apprendre à faire preuve de compassion, à se respecter, à respecter les autres et à faire preuve de tolérance et de compréhension, et on pourrait renforcer cette éducation tout au long du processus. Je crois que c'est l'effet que peuvent produire les organisations en exerçant une influence sur le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.
M. Friedman: Nous avons collaboré avec les gouvernements provinciaux et les administrations locales dans le domaine de l'éducation de la population en matière de tolérance, de compréhension mutuelle, et de respect, par exemple. Une des choses à apprendre également aux gens est la façon d'utiliser l'Internet, ce que l'on y trouve et ce que cela signifie, en situant tout dans un contexte. Tout cela doit faire partie du programme scolaire.
Par exemple, nous avons découvert que bien des élèves du secondaire sont au courant des sites où l'on trouve de la propagande haineuse. Comme on l'a déjà signalé, le nombre de sites de ce genre est en réalité très peu élevé. Sur les 15 000 ou 16 000 groupes de discussion qui existent, ceux qui diffusent des messages haineux sont en fait très peu nombreux. Malheureusement, ils arrivent à attirer l'attention. L'information parvient toujours à être diffusée.
C'est pourquoi il est important d'essayer de régler le problème comme vous l'avez préconisé, non seulement par le biais de l'éducation de la prime enfance mais aussi de l'éducation à tous les niveaux. Par conséquent, c'est une solution que nous ne cessons de faire valoir.
M. Martin: Merci.
Dr Baird, il me semble que l'une des principales objections que vous avez faites à propos de la réglementation des nouvelles technologies de reproduction, c'est l'inégalité qui existe au niveau de l'accès à ces technologies, inégalité due principalement à des raisons financières. Autrement dit, les riches pourraient obtenir une FIV, mais pas les pauvres.
Si c'est le cas, nous recommandez-vous de considérer le recours à des technologies de reproduction sûres et efficaces comme des soins de santé essentiels au Canada? Si c'est le cas, il faudra que les soins de ce genre deviennent universels. Comment y arriver, compte tenu de la situation économique actuelle et du fait que, dans tout le pays il y a des gens qui ne reçoivent pas les services de santé essentiels quand ils en ont besoin, comme vous le savez puisque vous êtes médecin praticien? Des gens qui sont inscrits sur une liste d'attente pour une opération à coeur ouvert meurent. En Colombie-Britannique, des personnes âgées qui souffrent beaucoup attendent plus de sept mois, dans 60 p. 100 des cas, pour se faire remplacer une hanche. Des enfants sont transférés des services pédiatriques à des services hospitaliers pour adultes faute de chambres disponibles et faute d'argent.
Comment y arriver, compte tenu de notre situation financière actuelle?
Dr Baird: Je crois qu'il est très important d'utiliser avec sagesse et à bon escient les ressources collectives limitées que nous avons pour le système de santé. Je crois que le système universel de santé, qui est financé par l'État, est un des principaux avantages de la vie au Canada. Chose certaine, les Canadiens nous ont fait savoir clairement et avec fermeté qu'ils veulent qu'on le préserve.
Je crois que nous n'y arriverons que si nous utilisons nos ressources avec sagesse, c'est-à-dire en se fondant sur des résultats. D'après de nombreuses études différentes, on estime que de 30 à80 p. 100 des traitements et des technologies utilisées dans les soins de santé sont inutiles, nuisibles, ou qu'ils n'ont pas été évalués. On est sidéré quand on entend cela pour la première fois et pourtant, c'est un fait. Nous avons largement la possibilité d'évaluer ce que nous faisons dans le système de santé, en se basant sur les résultats.
Beaucoup de Canadiens nous ont dit que pour la plupart des gens, fonder une famille est l'objectif le plus important. C'est primordial. Par conséquent, c'est faire preuve d'un manque de compassion et de compréhension que de considérer l'infécondité comme une chose peu importante, un petit problème qu'il faut surmonter. Notre organisation sociale est donc fondée en grande partie sur les liens réciproques qui existent au sein des familles et sur les générations futures. Les Canadiens nous ont dit très clairement qu'il existait des technologies sûres et efficaces pour aider les gens à atteindre cet objectif, et qu'une société soucieuse du bien de ses membres devrait les offrir.
Si l'on examine convenablement les résultats, j'ai l'impression que certaines technologies axées sur cet objectif devraient être accessibles dans le cadre d'un système financé par l'État. Cela ne voudrait pas dire que tout le monde, sans exception, se prêterait à l'usage de cette technologie. Par exemple, la FIV n'est d'aucune aide aux femmes dont les trompes de Fallope ne sont pas complètement bloquées.
Par conséquent, cela ne signifie pas que tout le monde a accès à tout. Il faut se fier au jugement des médecins, à un diagnostic approprié et avoir recours au traitement qui convient dans un cas précis.
Par exemple, on peut faire des examens tomodensitométriques de la tête, mais on ne le fait pour les personnes qui ne présentent aucun symptôme. On ne le fait pas pour un simple mal de tête. On ne le fait pas quand une personne qui a reçu un coup à la tête ne présente aucun symptôme. On le fait pour les personnes pour lesquelles c'est clairement indiqué.
J'espère que cela vous aide à éclaircir certains problèmes.
M. Martin: Étant donné que je suis médecin moi-même, je comprends parfaitement. Le problème, c'est qu'il y a un décalage. Comme vous le savez, nous n'avons en réalité pas assez d'argent actuellement pour payer ce que nous voulons déjà. Est-ce qu'on va encore y ajouter d'autres projets? C'est aussi simple que cela pour le moment. Plus tard, quand on aura des résultats, et ce n'est pas pour demain ni pour dans six mois. Quand cela arrivera-t-il, compte tenu de notre situation actuelle?
Dr Baird: Je crois que cela s'en vient. Un nombre assez important d'organisations des différentes provinces ainsi que des organisations nationales examinent des résultats. Je crois qu'il existe déjà pas mal de possibilités de faire baisser les coûts en laissant tomber certaines choses ou en utilisant les ressources de façon plus judicieuse. Je songe par exemple à certains règlements qui existent à Ottawa. Toute une série d'autres règlements font leur apparition. Par conséquent, cela s'en vient.
M. Friedman: Je voudrais faire un commentaire qui s'applique à mon avis à la plupart des domaines en question: le problème, c'est que d'une part, le gouvernement fédéral a instauré une norme nationale dans bien des domaines, ce qui est d'ailleurs nécessaire lorsqu'il s'agit de propagande haineuse, d'accès à la technologie ou de protection de la vie privée, mais que d'autre part, les moyens dont il dispose pour le faire sont limités en raison de considérations d'ordre constitutionnel. Il s'agit en fait de déterminer quelles sont au juste les compétences dans le domaine de la prestation des soins de santé ou d'autres types de service. On a parlé d'éducation du public et d'éducation des jeunes enfants mais est-ce le gouvernement fédéral qui doit s'en occuper? L'éducation est normalement du ressort des provinces et des municipalités.
Par conséquent, nous essayons de préconiser une norme nationale qui serait appliquée à l'échelle locale. Il me semble que cela a une incidence sur tout ce dont nous avons parlé.
M. Black: Dans le même ordre d'idées, je dirais que je suis entièrement d'accord qu'il s'agit d'un problème important, qui touche tous ces domaines. Je crois que c'est tout un défi que pose la nouvelle technologie à cet égard. On ne peut même pas s'arrêter aux frontières provinciales. Les frontières avec d'autres pays posent des problèmes analogues. Je crois que c'est pratiquer la politique de l'autruche que de ne pas les examiner.
Il faut à mon avis examiner divers mécanismes. Dans certains domaines, des normes explicites et uniformes régleront le problème. Dans d'autres, le gouvernement fédéral pourra prendre la direction des opérations, pour autant qu'ils relèvent de sa compétence. Par exemple, certains aspects de l'assurance relèvent de sa compétence, et pas d'autres. S'il établit des lignes directrices efficaces dans des domaines où il a compétence, il pourra assumer ce rôle. Dans certains domaines, le gouvernement fédéral peut ouvrir la voie en préconisant une uniformisation de la législation canadienne pour que ce soit volontaire.
Je crois qu'il faut examiner divers mécanismes, mais si l'on prétend que l'on ne peut rien faire en raison de ces problèmes de compétence, aucun contrôle ne sera exercé sur les nouvelles technologies.
M. Phillips: Je voudrais ajouter quelques mots à propos de ce que M. Black a dit au sujet des problèmes d'ordre juridictionnel. En ce qui concerne la protection des renseignements personnels, c'est le gouvernement du Canada qui a compétence dans plusieurs des principaux secteurs qui sont des piliers de l'économie canadienne - les banques, les télécommunications et les transports - , où l'on trouve les plus grands rassembleurs et utilisateurs de renseignements personnels.
Par ailleurs, d'après certains experts, les clauses commerciales de la Constitution confèrent au gouvernement des pouvoirs suffisamment étendus pour pouvoir s'appliquer à d'autres secteurs également, surtout en ce qui concerne la transmission de données par la voie électronique.
Par conséquent, je souscris à l'opinion de M. Black qui a dit qu'il ne faut absolument pas considérer les questions d'ordre juridictionnel comme un obstacle qui nous empêcherait de réaliser des progrès dans ce domaine.
La présidente: Merci.
Monsieur Scott, je crois que c'est votre tour.
M. Scott (Fredericton - York - Sunbury): Merci beaucoup, madame la présidente.
Je tiens à remercier également les différents experts de nous avoir consacré du temps. Je trouve cela fascinant. Je n'ai pas manqué un mot de la discussion, si ce n'est que j'ai eu quelques instants de distraction parce que j'essayais de me demander ce que mon pharmacien pourrait bien faire pour le moment avec mes dossiers.
Des voix: Oh, oh!
M. Scott: C'est remarquable ce qui arrive quand on est politicien et que notre mandat change du tout au tout.
Il y a un autre point que j'ai trouvé assez intéressant. Il concerne ce que M. Phillips a dit, à savoir l'exemple qui indique que l'on pourrait se faire envahir en essayant d'atteindre probablement un autre objectif et que l'on sacrifie en partie sa vie privée pour y arriver. L'exemple cité est celui de la caméra et des projecteurs installés dans tous les coins, dans les moindres recoins du pays. J'ai une remarque intéressante à faire à ce sujet, c'est que la technique utilisée dans cet exemple n'est pas vraiment de pointe. Par conséquent, je parie que dans certains secteurs de la technologie, il se passe actuellement quelque chose d'analogue, sauf qu'il s'agit de technologies de pointe que nous ne connaissons pas. S'il y avait une caméra et des projecteurs dans tous les coins... nous le saurions. Il s'agit d'une technologie visible. Personnellement, je pense qu'il y a probablement quelque chose de ce genre qui se passe actuellement, mais avec une technologie moins évidente.
L'autre remarque que je voulais faire, c'est que - et je suis sûr que M. Manley nous regarde - le projet de loi auquel on a fait allusion ce soir est peut-être le fruit des travaux du Comité consultatif sur l'autoroute de l'information. Par conséquent, je pense que ce comité devrait venir témoigner. Le compte rendu indiquerait... Je ne sais pas où il pourrait intervenir, mais il faudrait considérer cela comme un problème de droits de la personne. Je pense que c'est une des raisons pour lesquelles le comité a jugé nécessaire d'aborder la question.
J'ai trois questions auxquelles je voudrais que vous répondiez, mais je ne sais pas très bien à qui elles s'adressent. Je voudrais que l'on y réponde selon l'urgence, car je crois que tout le monde souscrit plus ou moins à la plupart des choses que l'on est en train de dire. Il faut toutefois faire une certaine évaluation, pour avoir un point de comparaison avec d'autres initiatives ultérieures. Par exemple, on a dit que les Canadiens veulent que nous fassions quelque chose en faveur du respect de la vie privée. Qu'est-ce qui est faisable? Qu'est-ce qui est réalisable?
Quelqu'un a parlé de l'évaluation des technologies que les Américains sont en train de faire, mais pas nous. Est-ce faisable? Faut-il essayer?
Voici une question qui s'adresse à Marcia et probablement aux autres aussi. Si l'on considère la technologie à la fois comme un excellent moyen de créer une certaine égalité, surtout chez les personnes handicapées, et comme un instrument susceptible d'élargir considérablement le fossé qui existe, pas seulement sur le plan physique mais aussi parce que certaines technologies nous feront emprunter une voie qui pourra avoir des conséquences que nous n'imaginons même pas pour elles, je voudrais savoir - et je suppose que ma question est embarrassante - si cela va plus mal ou si cela va mieux? Êtes-vous optimistes ou êtes-vous pessimistes? Convient-il d'être optimiste ou est-ce quelque chose à redouter?
Enfin, en ce qui concerne la propagation de la haine, M. McVay qui nous en a déjà parlé ici, avait des opinions légèrement différentes sur le rôle du gouvernement dans ce domaine. Je suis sûr qu'il ne partageait pas l'opinion de M. Martin sur le projet de loi que bon nombre d'entre nous appuient, compte tenu du fait qu'il a déclaré - et ce n'est pas à moi à le dire, je suppose - qu'il serait peut-être préférable que le gouvernement soutienne les efforts de prévention déployés par ceux et celles qui essaient d'éliminer complètement ce genre d'information au lieu d'utiliser nos pouvoirs pour essayer d'enrayer le flux d'informations négatives. Ce serait d'ailleurs probablement en vain. Je crois avoir assez bien exprimé son opinion.
Puisque j'ai posé mes trois questions, je peux donc arrêter...
La présidente: Vous avez même le droit d'en poser encore une autre après.
M. Phillips: Dans la première question, vous demandiez ce qui est faisable, ce que veulent les Canadiens, je crois.
Ce que les sondages nous indiquent, c'est que les Canadiens veulent le même genre de protection pour leurs renseignements personnels que celle qui existe actuellement dans la plupart des pays industriels du monde, à l'exception des États-Unis et du Canada, à savoir des lois qui interdisent la cueillette de renseignements personnels à l'insu et par conséquent sans le consentement des intéressés, et qui restreignent l'utilisation ultérieure de tels renseignements.
En gros, ce que veulent les Canadiens, c'est la même protection pour leurs renseignements personnels que celle dont ils bénéficient actuellement dans leurs relations avec le gouvernement du Canada. Ce n'est pas difficile à réaliser. Il suffit de vouloir le faire. Il existe des lois de ce genre depuis un certain temps en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne ainsi que dans les autres pays membres de la Communauté européenne. Il en existe aussi maintenant en Nouvelle-Zélande. L'Australie est sur le point d'en adopter.
J'ai autre chose à vous signaler. Dans ce domaine, les considérations d'ordre commercial ont une certaine importance. Le Parlement européen a adopté et donné force de loi à une directive européenne normative sur le transfert de données d'États membres de la Communauté européenne à des pays qui n'en sont pas membres. Cette directive, qui entrera sous peu en vigueur, interdit aux pays membres de la Communauté de communiquer des renseignements aux pays qui, à leur avis, n'assurent pas une protection suffisante de l'information. Cette directive pourrait constituer un obstacle assez important au libre-échange entre les pays situés des deux côtés de l'Atlantique. Il y a déjà eu un ou deux cas de ce genre, que je vais vous exposer, si vous le permettez.
Le cas des chemins de fer allemands est un exemple concret. Les chemins de fer allemands, qui constituent évidemment le principal mode de transport urbain en Allemagne, ont décidé de mettre en oeuvre un système moderne de perception consistant à donner aux utilisateurs habituels une carte magnétique qu'il suffit de frotter en montant dans le train. Ce système génère des centaines de millions de renseignements chaque année. Les chemins de fer n'ont pas trouvé de machines de traitement des données capables, à leur avis, de traiter toute cette information et par conséquent, ils font faire le travail en sous-traitance par une banque américaine ayant une filiale dotée d'un important centre de traitement des données.
Lorsque le commissaire allemand à la protection des renseignements personnels a appris cela, il est intervenu pour dire que les chemins de fer ne pouvaient pas faire cela parce qu'il n'existait pas de garantie suffisante de confidentialité pour toutes ces données éminemment personnelles permettant d'établir un profil, dans le pays où le centre de traitement est situé. Par conséquent, de très longues négociations ont eu lieu entre les autorités allemandes et les Américains concernés, afin d'essayer de mettre au point un type de contrat spécial pour ce genre de transaction.
Nous pourrions avoir le même genre de difficulté ici, étant donné notre situation actuelle sur le plan législatif. J'en ai parlé avec un certain nombre de commissaires européens et je leur ai demandé s'ils estimaient que le Canada est à la hauteur dans ce domaine. La réponse a été un non catégorique, sauf en ce qui concerne la province de Québec.
Par conséquent, nous avons de bonnes raisons d'ordre pratique de faire quelque chose dans ce domaine, outre celle de protéger un droit fondamental de la personne, qui est encore bien plus importante.
La présidente: Je voudrais glisser une question avant que l'on ne réponde à la deuxième partie de la vôtre, Andy.
Vous avez parlé de la privatisation du contrôle de la circulation aérienne. Le gouvernement a-t-il essayé de vérifier auprès de vous si l'on avait ou non le privilège de protéger les renseignements personnels que nous possédions sur ces employés avant leur mutation, et si l'État était obligé de communiquer ces renseignements, qui étaient gardés secrets, au secteur privé?
M. Phillips: Je suis convaincu que cette considération d'ordre moral devait entrer en ligne de compte.
La présidente: Vous en a-t-on parlé?
M. Phillips: Oui.
La présidente: On ne l'a pas fait.
M. Phillips: Non.
La présidente: Merci beaucoup.
M. Phillips: Ma réponse n'est pas tout à fait complète, madame Finestone. D'après les personnes auxquelles j'ai posé la question, j'étais intervenu trop tard dans le processus. Je n'étais pas entièrement satisfait de cette réponse. Je pensais qu'il n'était jamais trop tard et j'ai comparu devant le Comité des transports de la Chambre des communes.
Ensuite, dans certains milieux gouvernementaux, on estime que la bonne solution consiste à établir une loi d'ensemble qui assurerait en temps voulu le même genre de protection aux employés du secteur privé que celle dont bénéficient actuellement les employés de la fonction publique fédérale. C'est une solution qui mérite un certain respect.
Personnellement, je trouve cela très bien. J'estime que c'est une bonne solution, mais nous sommes confrontés à un problème dans l'immédiat et il y en aura d'autres de ce genre à l'avenir. Je ne pense pas que cela aurait posé trop de difficultés pour l'entreprise concernée.
Lorsque la Société des postes est devenue une entreprise à but lucratif, elle a été obligée de respecter la Loi sur la protection des renseignements personnels, et cela fonctionne très bien.
Ce qui est intéressant, c'est que le projet de loi concernant le transport aérien contient une disposition qui oblige les compagnies à appliquer les principes énoncés dans la Loi sur les langues officielles. Par conséquent, si une loi qui s'applique aux institutions fédérales est applicable au secteur privé, je ne vois vraiment pas pourquoi ce ne serait pas aussi facile en ce qui concerne la protection des renseignements personnels. Vous feriez peut-être bien de poser également la question aux personnes que cela préoccupe.
La présidente: Merci.
Allez-y, Andy.
M. Scott: Il y en a pas mal.
Dr Baird: Je voudrais un renseignement ou une précision pour mon édification personnelle. J'avais compris que ce que les pharmaciens envisageaient de vendre, ce sont les listes des médicaments sur ordonnance prescrits habituellement par les médecins, indiquant combien de fois ils prescrivent certaines catégories de médicaments. Je ne pense que l'on ait jamais songé à vendre des renseignements personnels sur les malades. Par conséquent, on ne peut pas parler de divulgation de dossiers personnels. Est-ce exact?
M. Phillips: C'est une explication que j'ai effectivement entendue.
La présidente: Je ne sais pas exactement. Je n'ai pas lu l'article en question.
Mme Rioux: C'est une question difficile que vous me posez là. Je crois que quand nous avons commencé à examiner le problème, quand je me suis mise à me renseigner sur le sujet et que j'ai commencé à siéger au comité de bioéthique de l'UNESCO, j'étais beaucoup plus optimiste qu'à l'heure actuelle. À mon avis, quand on élargit ses connaissances sur la recherche et ses applications dans le domaine de la technologie biomédicale, on ne peut qu'être déprimé si l'on s'intéresse le moindrement aux droits des personnes handicapées.
Je dis cela pour plusieurs raisons. Dans la déclaration universelle dont j'ai parlé - et le Canada a un représentant au comité de bioéthique de l'UNESCO ou plutôt à la commission juridique qui présente le projet de déclaration - , on a accordé à la liberté de recherche la priorité sur les droits des personnes handicapées. Je crois que c'est un problème. C'est un gros problème et je dois dire que dans ce domaine, je ne suis vraiment pas très optimiste.
En fait, on n'y reconnaît pas du tout l'importance ni les avantages de la biodiversité. Dans le projet de déclaration - pas dans tous les travaux de la commission, mais certainement dans ce projet - ainsi que dans une bonne partie des travaux concernant le domaine de la recherche génétique et ses applications, la commission est partie du principe que la prévention est une bonne chose et qu'il s'agit d'une forme de prévention qui ne concerne pas directement les personnes handicapées, qui n'est pas basée non plus sur le sexe ni sur la race mais sur une structure génétique qui entraîne un handicap. Je le répète, à cet égard, j'ai tendance à être très pessimiste.
La question de l'accès à la technologie est très importante. Cependant, quand on parle, comme le fait le Dr Baird, d'accès à la fécondation in vitro, il faut consacrer la même quantité de ressources à l'étude des circonstances environnementales et sociales qui font que les gens ne sont pas capables d'avoir un enfant ou sont stériles, et surtout à celle de la situation économique particulière de ces gens-là ainsi que des conditions dans lesquelles ils vivent. Par conséquent, il ne s'agit pas uniquement d'un problème d'accès, du moins pas pour la fécondation in vitro.
Il faut être prudent dans ces domaines et si l'on veut donner accès, il faut que cet accès soit total, qu'il ne faille pas décider qui pourrait ou non en bénéficier, parce qu'on a dit à bien des femmes handicapées qu'elles n'en bénéficieraient pas. Le fait que l'on parte du principe que les personnes handicapées ne devraient de toute façon pas avoir d'enfants est un gros drame pour elles.
Le souci de prévention qui sous-tend généralement la recherche génétique et ses applications crée une surabondance de crédits pour la recherche biomédicale, surtout pour la recherche génétique. C'est un gros problème compte tenu des compressions budgétaires actuelles et de la crise financière que nous traversons. Comme vous le savez - vous le savez certainement aussi bien que n'importe quel groupement canadien - , on réduit actuellement beaucoup les crédits affectés aux services destinés aux personnes handicapées, à la défense des droits des personnes handicapées et à l'octroi de l'aide nécessaire pour leur permettre de s'intégrer à la société. Par contre, les crédits à la recherche génétique ne sont pas réduits dans une proportion aussi forte. Ce qui se passe en réalité, c'est que l'on nous promet de plus en plus d'arriver à se débarrasser des personnes qui nous coûtent beaucoup d'argent ou d'être en mesure de prédire de 10 à 20 années d'avance si certains gènes rendront certaines personnes improductives.
Par conséquent, je suis optimiste quant à l'utilité que la technologie peut avoir lorsqu'il s'agit de faciliter l'intégration à la société ou d'aider les gens à parler, à lire, à écrire, par exemple. Toutes les aides d'ordre technologique peuvent être utiles. En fait, elles ont une importance critique et contribuent à sortir de leur isolement certaines personnes qui étaient normalement isolées. Pour que ce soit vraiment intéressant pour les personnes handicapées, il est toutefois nécessaire de s'arranger pour que les possibilités d'accès soient prévues dans les crédits au développement de ce genre de technologie, et je ne crois pas que ce soit le cas actuellement. La technologie, même lorsqu'elle est aussi avantageuse que l'ordinatique, que l'accès par ordinateur et que l'informatique, offre des possibilités d'accès et d'utilisation relativement limitées aux personnes handicapées.
La présidente: Russell.
M. MacLellan (Cap Breton - The Sydneys): En ce qui concerne ce que le Dr Baird a dit au sujet des renseignements vendus par les pharmacies, d'après ce que je sais et ce qu'on m'a dit, ces renseignements sont fournis aux sociétés pharmaceutiques pour leur permettre de savoir notamment comment se vendent leurs produits et ce que les gens choisissent. Je ne suis toutefois pas convaincu qu'elles soient les seules à les recevoir. Je ne suis pas persuadé non plus que l'on nous dise tout. À vrai dire, on n'a aucun moyen de savoir vraiment si certains renseignements sur les problèmes de santé ne sont pas vendus aux compagnies d'assurance, par exemple. Les gens ne sont pas vraiment obligés de révéler ces renseignements.
Je m'adresse à vous, monsieur Phillips et je tiens une fois de plus à vous féliciter pour le travail que vous faites et pour toutes les choses que vous essayez de faire, parce qu'elles sont bien nécessaires. Je sais que vous recevez beaucoup de demandes et de commentaires au sujet de la protection des renseignements personnels, surtout en ce qui concerne ces domaines. J'ai l'impression que c'est une question bien plus préoccupante que ne l'imagine la population canadienne. Sincèrement, je ne pense pas que les gens se rendent compte de la gravité du problème. Je ne pense pas qu'on leur donne des renseignements. Dans la plupart des cas, on leur cache volontairement ces renseignements, pour qu'ils ne sachent pas ce qui se passe. Je trouve que c'est préoccupant. Cela se fait à tous les niveaux. On peut dire qu'il existe pour ainsi dire un marché noir des renseignements dans notre pays et personnellement, j'estime que c'est une atteinte aux droits moraux des Canadiens.
Je voulais seulement savoir ce que vous en pensez et peut-être aussi ce qu'en pensent les autres experts.
M. Phillips: Tout d'abord, monsieur MacLellan, je vous suis reconnaissant, ainsi qu'auDr Baird, de m'avoir donné des précisions importantes au sujet de l'affaire des dossiers pharmaceutiques. Nous n'avons aucune preuve que l'on ait utilisé des listes personnelles. On a simplement donné des renseignements sur les habitudes de consommation. Comme vous le dites, l'affaire n'en est toutefois pas réglée pour autant. Par exemple, dans une certaine province, tous les dossiers sur les médicaments prescrits sont sur un réseau courant et l'on craint que cela ne serve à autre chose que prévu.
Comme vous l'avez dit, jusqu'à présent, des quantités énormes de renseignements personnels ont circulé en douce, par le biais de réseaux généralement impénétrables. Grâce aux appels et aux plaintes que nous recevons au bureau, nous avons pas mal d'indications qu'il existe toutes sortes de pratiques dont la population n'est pas très au courant.
La solution à ce problème, c'est évidemment l'adoption de lois uniformes qui obligent les gens à respecter une seule et même norme. Je n'ai aucun doute que s'il existait ici une bonne loi sur la protection des renseignements personnels, une loi qui s'applique à toutes les activités commerciales possibles, les entreprises n'auraient pas de mal à s'y conformer. Et elles le feraient. Elles sont respectueuses de la loi. Par contre, elles profiteraient évidemment de toutes les occasions qui se présentent. C'est pour cela qu'elles sont là.
Personnellement, je n'ai jamais trouvé qu'aucune de ces pratiques soit particulièrement répréhensible. Quand on est en affaires, c'est pour faire des affaires et pour les faire prospérer, et les gens d'affaires utilisent le système dans leur intérêt. S'ils peuvent éviter de respecter certaines normes, ils le feront, un point c'est tout.
Dans le secteur privé, un nombre croissant de personnes considèrent une norme de rendement plus élevée comme un bien. L'Association canadienne du marketing direct qui est une des principales compilatrices et utilisatrices de renseignements personnels, est devenue maintenant un ardent promoteur de l'intervention gouvernementale dans ce secteur. Elle a d'ailleurs instauré un code personnel il y a deux ans, un code que ses membres qui sont consciencieux essaient d'observer, mais ce n'est pas facile parce que cela les désavantage beaucoup par rapport à des concurrents moins scrupuleux.
Je sais que la plupart de mes homologues provinciaux attendent que le gouvernement du Canada montre l'exemple. Je ne crois pas que si le gouvernement du Canada le faisait...
La présidente: Excusez-moi. Monsieur Phillips, si le droit contractuel relève de la compétence des provinces, pourquoi celles-ci attendraient-elles que le gouvernement fédéral ou le gouvernement national passe à l'action? La province de Québec l'a bien fait. Qu'est-ce qui empêcherait la province de l'Ontario, celle de l'Alberta ou n'importe quelle autre, de protéger ses citoyens contre le genre d'atteinte à la vie privée qui a cours actuellement?
M. Phillips: Rien du tout.
La présidente: Vous venez de répondre à M. MacLellan en disant que les provinces attendent une loi fédérale, qui est nécessaire, à mon avis. Je me demande toutefois bien pourquoi elles ne pourraient pas prendre l'initiative elles-mêmes.
M. Phillips: Je ne parle pas des gouvernements provinciaux. Je parle des commissaires provinciaux à la protection de la vie privée, madame Finestone.
La présidente: Excusez-moi. Merci pour l'explication.
M. Phillips: Oui, il existe une différence. Certains commissaires exercent des pressions sur leur gouvernement avec un enthousiasme variable. Personnellement, je suis très enthousiaste.
La présidente: Aviez-vous une autre question à poser, Russell?
M. MacLellan: Je sais que l'on n'a pas beaucoup de temps, mais je voulais parler au Dr Baird de l'autoréglementation de la FIV et d'autres secteurs médicaux, pour savoir comment cela a marché. Combien de temps pense-t-on que cela tiendra?
Dans le même ordre d'idées, je voudrais poser une question à Mme Rioux sur la biodiversité, qui est un sujet qui me préoccupe également. Je voudrais savoir où l'on en est, quels sont les dangers potentiels et combien de temps il faut pour qu'un problème potentiel devienne un véritable problème.
La présidente: Avant que vous ne répondiez, je signale que M. Martin avait une petite question à poser. Nous écouterons ensuite les réponses des experts. Vous saurez pourquoi nous avons tellement de problèmes à essayer de décider quelle démarche nous allons adopter.
Monsieur Martin.
M. Martin: Je m'adresse à Mme Rioux. L'égalité d'accès complète à tout ce que la société a à offrir est une chose qui n'existe pas. Je me demandais si vous pensiez que c'était un droit d'avoir l'égalité d'accès à des technologies de reproduction qui sont efficaces; il y a aussi la question épineuse de savoir si certaines personnes handicapées incapables de s'occuper d'elles-mêmes ont le droit d'avoir des enfants. Dans ce cas, la société aurait un rôle important à jouer dans l'entretien de ces enfants.
La présidente: Si je ne me trompe, vous avez une minute chacun pour récapituler. Je suppose qu'il faudra vous faire revenir quand nous essaierons de décider quelle démarche nous allons adopter à propos de tout cela.
Monsieur Phillips.
M. Phillips: Je crois avoir dit ce que j'avais à dire, madame la présidente. Merci beaucoup. Nous avons désespérément besoin d'une meilleure loi sur la protection des renseignements personnels dans notre pays. Je sais que le gouvernement s'en occupe. Je le félicite. J'espère que le résultat sera bon. Je reviendrais volontiers ici pour vous donner quand vous voulez des détails à ce sujet.
La présidente: Monsieur Black.
M. Black: Tout ce que j'ai à dire, c'est que notre constitution dit que la loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous [Difficultés techniques - Éditeur]... le rôle d'une surveillance permanente à cet égard...
Si l'on pouvait surveiller en permanence les aspects de ces questions concernant les droits de la personne, qui intéressent également d'autres comités, ce serait très utile.
M. Friedman: Je réponds également à votre question. En ce qui concerne les priorités, notre opinion est en gros très semblable à celle de M. McVay, mais nous en sommes arrivés à ce résultat en examinant la question sous l'angle pratique et non sous l'angle idéologique, c'est-à-dire que nous avons examiné la difficulté d'appliquer des lois et règlements concernant l'Internet. Par conséquent, nous pensons qu'il faut également accorder la priorité à l'éducation du public, à la sensibilisation à la nature de la propagande haineuse, à ses origines, afin de contribuer à prôner la tolérance et la compréhension mutuelles chez tous les Canadiens.
Nous pensons toutefois que la sensibilisation à l'Internet nécessite sans doute une double opération. Les jeunes gens ont tendance à savoir ce qu'est l'Internet. Dans ce cas, nous insistons sur la nature de la propagande haineuse et sur le respect mutuel. Quand on a affaire à des personnes plus âgées, il faut également expliquer ce qu'est l'Internet et comment il fonctionne, par exemple. Par conséquent, on a besoin des deux.
Nous persistons à croire qu'il est nécessaire de systématiser, d'expliquer concrètement ce que les lois canadiennes représentent pour nos valeurs et pour leur promotion dans notre société ainsi qu'à l'échelle internationale, en vue de lutter contre l'information haineuse sur l'Internet.
Mme Rioux: On m'a posé deux questions de fond et par conséquent, je ne pourrai pas vraiment y répondre.
En ce qui concerne la biodiversité, je ne pense pas que l'on connaisse déjà les conséquences de la recherche génétique qui est en cours. C'est une des grandes mises en garde que bien des gens commencent à faire. D'après les participants au Projet de séquençage du génome humain, il ne fait aucun doute que dans très peu de temps, on devrait être capable de supprimer certains types de structures génétiques qui existent actuellement. Malheureusement, ces gens-là parlent de prévention par voie d'élimination, ce qui pose beaucoup de problèmes d'ordre moral.
Je ne sais donc pas combien de temps il faudra. On nous promet de gros changements d'ici une vingtaine d'années, et je crois que c'est une question d'une importance absolument critique. Je ne pense pas que l'on ait la moindre idée des conséquences de la suppression de certains gènes du patrimoine génétique.
Un vaste programme de dépistage et d'élimination est actuellement en cours. On fait passer régulièrement des tests de dépistage aux femmes quand elles tombent enceintes et la plupart du temps, on recommande assez fortement à celles qui présentent certains signes de structure génétique délétère de se faire avorter. Par conséquent, cela se fait déjà. Je ne peux pas vous dire combien de temps cela prendra.
Si le système de santé est accessible à la population, il faudrait que tout le monde y ait accès, peu importe que l'on ait un handicap ou non.
Lorsqu'il s'agit de décider qui est incapable de prendre soin de soi et par conséquent de prendre soin d'enfants, il faut être extrêmement prudent. Vu de l'extérieur, il n'est pas toujours absolument évident que telle ou telle personne peut ou ne peut pas prendre soin d'un enfant. Nous sommes conscients des abus dont les enfants sont victimes dans notre pays. Rien n'indique que le problème soit plus fréquent chez les personnes handicapées que chez les autres personnes. Pour le moment, quand on juge pouvoir prendre ce genre de décision, il faut faire pas mal de dépistage dans toutes les couches de la société. Par conséquent, je ne sais pas très bien ce que cette question signifie.
Dans le jugement Ève, la Cour suprême du Canada a statué qu'aucun tribunal ne serait jamais capable de décider qu'une personne atteinte d'une déficience mentale, qui est incapable de donner son consentement, puisse être stérilisée sans son consentement, parce qu'il est absolument impossible d'avoir la moindre idée que ce serait dans l'intérêt bien compris de cette personne ou dans celui de la société. C'est probablement notre meilleur précédent jurisprudentiel dans ce domaine.
M. Sutherland: Parmi les divers sujets que vous avez abordés, la question du contrôle du contenu de l'Internet est un de ceux dont je voudrais parler. N'essayez pas d'adopter un projet de loi visant à réglementer le contenu de l'Internet. Ce sera un échec. Il sera la risée générale, comme le projet de loi concernant la société Exxon, aux États-Unis.
La meilleure protection que l'on puisse assurer en ce qui concerne le contenu passe par l'éducation. Comme M. Friedman l'a dit, il faut changer la mentalité.
Je fais une comparaison avec le changement de mentalité qui s'est fait en ce qui concerne l'alcool au volant. Il a probablement fallu 25 ans pour y arriver au Canada. Ce n'est plus acceptable. Les règlements n'ont pas vraiment d'importance. La loi n'avait pas vraiment d'importance auparavant, ni à l'heure actuelle. C'est maintenant inadmissible sur le plan social. Il faut que cela le devienne pour empêcher les gens de faire ce qu'il ne faut pas.
La présidente: Merci.
Enfin et surtout, c'est au tour du Dr Baird. Je voudrais vous demander de parler, si vous pouvez, des banques de données sur l'ADN. Ou est-ce M. Phillips qui pourrait en parler?
Dr Baird: Je n'ai tout simplement pas le temps, mais j'ai deux commentaires à faire.
Premièrement, on m'a demandé si l'autoréglementation du corps médical suffit. La réponse est non, principalement pour les deux raisons suivantes: la première, c'est qu'elle exclut des perspectives autres que médicales sur des questions qui sont d'ordre social, ce qui ne va pas dans une démocratie; la deuxième, c'est que l'on a déjà fait des essais d'autoréglementation. Il existe des règlements sur les donneurs de sperme et sur l'insémination depuis 1981. Si l'on vérifie ce qui se passe un peu partout dans le pays, on constate qu'ils ne sont pas observés.
Deuxièmement, nous avons beaucoup parlé des risques que comporte une législation sur la protection des renseignements personnels. Je crois qu'il faut en signaler les avantages, en ce sens que les citoyens s'attendent à ce que l'État adopte des politiques visant à protéger leur sécurité, à interdire les médicaments ou les actes médicaux dangereux. Pour savoir ces choses-là, il faut faire des études. Par conséquent, il faut des mesures de protection de la vie privée, mais elles ne doivent pas être strictes à un tel point que des recherches susceptibles de nous permettre d'assurer une sécurité suffisante et d'élaborer d'autres politiques, même en prenant toutes les précautions voulues, ne soient plus possibles.
La présidente: Il nous reste encore deux ou trois minutes.
J'ai entendu quelque chose à propos de la recherche: il ne faut pas être trop sélectif ni trop limitatif mais il faut une certaine sélectivité.
Dr Baird: Quand on possède des renseignements sur quelqu'un, il faut que la vie privée de cette personne soit protégée, mais il faut par ailleurs que la recherche soit possible, en prenant des mesures de précaution suffisantes, afin de pouvoir recueillir des renseignements qui nous permettront d'élaborer des politiques efficaces. Les citoyens s'attendent à ce qu'il existe des politiques visant à interdire les actes médicaux dangereux, à protéger la santé des gens et sans renseignements, on ne peut élaborer de telles politiques.
La présidente: Mesdames et messieurs, je pense que vous comprendrez que nous sommes confrontés à un très gros dilemme. Nous communiquerons probablement avec vous. Je signale aux personnes qui ont suivi la discussion que si elles le désirent, elles peuvent toujours communiquer avec nous pour nous dire quelle démarche elles voudraient nous voir adopter.
Nous aurons peut-être le privilège et le plaisir d'échanger du courrier ou d'avoir des contacts avec vous au cours des prochains mois.
Je vous remercie infiniment et j'espère entendre parler de vous à l'automne.
La séance est levée.