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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 24 octobre 1996

.1106

[Traduction]

La présidente: Je déclare la séance ouverte. Le Comité permanent des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées se réunit pour discuter de la valeur des droits de la personne ainsi que des répercussions de la technologie moderne sur la vie privée.

On se rappellera que le comité envisage d'entreprendre une étude sur la protection de la vie privée au cours des prochains mois et nous examinons aujourd'hui ce sur quoi portera exactement notre étude, parmi les nombreuses questions et préoccupations qui entourent le droit à la vie privée.

Au cours de notre réunion de mardi, les trois intervenants que nous avons entendus ont établi une série de paramètres. Aujourd'hui, au moyen d'une vidéoconférence, nous aurons le plaisir d'entendre deux autres spécialistes en la matière. Nous entendrons Simon Davies, qui était vraiment très dynamique la dernière fois que je l'ai écouté, et Marc Rotenberg.

Je crois qu'il est important que vous sachiez tous les deux que nous sommes un comité permanent de la Chambre. Nous avons avec nous le greffier du comité, Wayne Cole, et aussi deux attachés de recherches qui nous sont prêtés par la division du droit et du gouvernement du Service de recherches de la Bibliothèque du Parlement, Susan Alter et Nancy Holmes. Nous avons le bonheur de compter parmi les membres de notre comité des Libéraux, des membres du Bloc québécois et des Réformistes. Je demanderais aux membres de notre comité de la Chambre des communes de se présenter.

Je m'appelle Sheila Finestone et je suis la présidente du comité.

[Français]

Nous allons commencer avec le vice-président, M. Bernier du Bloc québécois.

M. Bernier (Mégantic - Compton - Stanstead): Je m'appelle Maurice Bernier et je suis vice-président du Comité des droits de la personne et député de Mégantic - Compton - Stanstead, au Québec.

[Traduction]

M. Scott (Fredericton - York - Sunbury): Je m'appelle Andy Scott. Je suis vice-président du comité et député de Fredericton - York - Sunbury, au Nouveau-Brunswick.

La présidente: Oh, excusez-moi, il y a la députée du Parti réformiste, qui se trouve à être leur leader à la Chambre. Allez-y, Deborah.

Mme Grey (Beaver River): Non, elle n'est pas leader à la Chambre.

La présidente: Quel est votre titre?

Mme Grey: C'est Ray Speaker qui est notre leader à la Chambre. Je m'appelle Deborah Grey. Je suis députée réformiste, et je représente une circonscription de l'ouest du Canada, dans le nord de l'Alberta. Le nom de la circonscription est Beaver River. Je suis présidente du caucus et leader parlementaire adjointe.

La présidente: Merci beaucoup, Deborah.

Russell.

M. MacLellan (Cap-Breton - The Sydneys): Je m'appelle Russell MacLellan et je suis député de Cap-Breton - The Sydneys, en Nouvelle-Écosse.

La présidente: Sarkis.

M. Assadourian (Don Valley-Nord): Je m'appelle Sarkis Assadourian, je suis député libéral de la circonscription de Don Valley-Nord.

M. Allmand (Notre-Dame-de-Grâce): Je m'appelle Warren Allmand. Je suis député au Parlement, de la région de Montréal.

M. Assadourian: Et libéral

M. Allmand: Et je suis libéral. Je crois que je le suis.

Des voix: Oh, oh!

M. Allmand: Je l'étais ce matin.

.1110

La présidente: Ce que nous attendons essentiellement de vous, Simon et Marc, c'est que vous nous parliez des besoins auxquels nous devons répondre pour mieux protéger les renseignements personnels en cette ère de banques de données interreliées et de réseaux informatiques. Parmi les questions que notre comité envisage d'étudier, il y a notamment la vie privée et la technologie en milieu de travail, la vie privée et la technologie dans le monde de la consommation, la surveillance des données par le gouvernement, et la surveillance des personnes dans les endroits publics. Nous avons hâte d'entendre lesquels de ces domaines nous devrions examiner, à votre avis. J'ai pensé que je ferais le point à votre intention.

Mardi, les témoins que nous avons entendus nous ont recommandé d'examiner certaines questions relatives aux droits de la personne; le Dr Flaherty nous a notamment recommandé de nous pencher sur les tests génétiques en milieu de travail et d'examiner toute la question sous un angle plus global mettant en cause les aspects sociaux et les droits de la personne, et non pas simplement sous l'angle de la compilation des données ou des mesures de protection.

Ils nous ont également recommandé d'examiner le dépistage des drogues et de l'alcool, les caméras de surveillance en milieu de travail et dans les endroits publics et la protection des données sur l'inforoute, en particulier en ce qui a trait aux transactions commerciales.

En réalité, si nous voulons définir la vie privée, c'est très flou, même si cela figure dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Comment tout cela a-t-il évolué? En quoi consiste le droit à la vie privée et que suppose-t-il dans le contexte du monde technologique moderne? Quelle a été, de façon générale, l'incidence de la technologie sur les droits de la personne et sur la protection de la vie privée?

Je suppose que la dernière question est celle-ci. Si nous sommes d'avis que les limites de la vie privée définissent en grande partie les limites de notre liberté, et si nous croyons que l'on ne devrait pas être forcés de partager les renseignements confidentiels qui nous concernent parce que telle est la marque d'une société libre, que faut-il faire et comment faut-il procéder, d'après votre vaste expérience à titre de spécialistes dans ce domaine, vous qui avez tous les deux défendu des causes et rédigé des articles à ce sujet?

Je crois que nous entendrons d'abord Marc. Je vous demanderais de bien vouloir vous présenter. Certains d'entre nous ont eu le plaisir de vous rencontrer il n'y a pas longtemps, quand vous êtes venu en même temps que les commissaires à la protection de la vie privée.

M. Marc Rotenberg (directeur, Electronic Privacy Information Centre, Washington, D.C.): Merci beaucoup de me donner l'occasion de vous adresser la parole. Je dois d'abord m'excuser. Ce n'est pas par choix que je suis dans une pièce sombre. Même si je suis un défenseur de la vie privée, je préfère travailler en pleine lumière. Je vais donc tenter de vous faire part de mon point de vue.

M. Rotenberg: Je suis directeur d'une organisation de Washington qui s'appelle Electronic Privacy Information Centre. Nous nous sommes donné comme mission d'essayer de comprendre les répercussions de la nouvelle technologie sur le plan de la protection de la vie privée et d'amener le grand public et les décideurs politiques à comprendre ce changement.

Nous avons la conviction que ces technologies peuvent être utilisées de manière à favoriser la liberté, à protéger la vie privée et la liberté garantie par la Constitution, tout comme elles peuvent être utilisées pour intensifier la surveillance, limiter l'autonomie et restreindre les droits individuels. C'est pour nous un objectif central que de viser le premier résultat.

Avant de poursuivre, je signale que nous avons une très bonne collection de documents sur tous les aspects de la protection de la vie privée: dépistage des drogues, protection de la vie privée au travail, encryptage, nouvelles internationales. Ces documents sont disponibles à tous sur Internet à notre adresse sur le Web, qui est epic.org. Si cette documentation pouvait vous être utile dans votre travail, j'en serais ravi.

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Vous vous êtes donné un programme large et, si je peux me permettre de le dire, ambitieux. Ce n'est pas étonnant, en ce sens que la vie privée est un droit très large et très ambitieux, l'affirmation de la liberté personnelle. Le juge Brandeis a déjà dit que le droit à la vie privée est le plus complet de tous les droits et celui auquel un peuple libre est le plus attaché. Mais, bien sûr, c'est très difficile de s'attarder aux détails précis et de comprendre en quoi la vie privée est touchée et quelle est la meilleure technique pour la protéger.

Je pense que l'un des points de repère dans ce domaine consiste d'abord à comprendre que des questions relatives à la vie privée surgissent dès qu'il s'agit de recueillir et d'utiliser des renseignements personnels identifiables, sous quelque forme et pour quelque usage que ce soit. C'est important parce que dans bien des circonstances, je crois qu'il est juste de dire que les nouvelles technologies permettent la compilation, le traitement et l'utilisation de l'information, sans pour autant enfreindre le droit à la vie privée, à moins qu'une personne en particulier ne puisse être identifiée.

On a longtemps pensé que le meilleur moyen de s'attaquer aux problèmes que pose la nouvelle technologie est d'essayer de réglementer la compilation de ces renseignements et d'en régir l'utilisation. La protection des données est généralement perçue comme une tentative du législateur de contrôler l'utilisation et la compilation de renseignements personnels. C'est un objectif important et même vital. Je crois qu'au Canada, dans les diverses provinces et au gouvernement fédéral, les efforts visant à protéger les données ont été fructueux. Il en a été de même en Europe, grâce aux directives visant à harmoniser la législation nationale relativement aux données.

En même temps, il devient clair que l'on peut également utiliser des techniques pour protéger la vie privée. Tout comme les interventions législatives, ces techniques voient le jour à cause du problème que posent la compilation et l'utilisation des renseignements personnels. On peut faire appel à la technique pour limiter ou éliminer la compilation de renseignements personnels et ainsi protéger la vie privée. Dans le domaine des communications, il s'agit de s'assurer que les renseignements personnels peuvent circuler sans risque d'être utilisés sans autorisation ou d'être interceptés par d'autres.

C'est à cause de ces deux éléments que le débat actuel sur l'encryptage et le paiement anonyme ont pris tellement d'ampleur aux États-Unis et ailleurs.

Je suis d'avis qu'au XXIe siècle, le grand défi qui se posera aux tenants du droit à la vie privée sera de réglementer les technologies qui peuvent empiéter sur ce droit, mais surtout, de s'assurer que l'État ne limitera pas la liberté d'utiliser la technologie pour protéger la vie privée.

C'est, je suppose, le message primordial que je veux vous transmettre ce matin. J'espère que votre comité, dans son travail au nom des droits de la personne et de la liberté du citoyen, défendra le droit des gens de se livrer à des communications privées sans risque d'interception par le gouvernement ou par des tierces parties privées. En même temps, j'espère que vous défendrez aussi le droit des gens de communiquer entre eux de façon anonyme, de manière que leurs communications ne puissent être suivies à la trace de façon routinière.

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Cette question se pose avec le plus d'acuité pour le développement de l'Internet car, comme on dit, le béton est en train de prendre. Les pratiques qui sont mises en place aujourd'hui sur l'Internet pour ce qui est du discours, de la vie privée et du commerce électronique seront solidement implantées pour de nombreuses années.

Nous devons obtenir de la part des gouvernements du monde entier l'engagement qu'ils ne s'opposeront pas aux techniques visant à protéger le droit à la vie privée des citoyens. En fait, il faut même que les gouvernements appuient ces techniques. Je sais qu'en Europe, par exemple, l'inventeur de DigiCash, David Chaum, a proposé des méthodes permettant le paiement anonyme et a reçu l'appui du gouvernement européen.

En me faisant le champion de certaines de ces techniques, je dois faire bien attention de ne pas en exagérer la portée. Toute solution, qu'elle soit de nature technique ou législative, sera nécessairement imparfaite en ce qui a trait à la protection de la vie privée.

Une solution qui reconnaît que l'objectif primordial est d'assurer la protection des renseignements permettant d'identifier une personne, que ces renseignements soient consignés au moment d'un achat, par une caméra vidéo ou lors d'une conversation téléphonique, et qui vise, au moyen de procédés législatifs et techniques, à protéger ces renseignements ou, si possible, à en éliminer la compilation, est une solution qui s'oriente dans la bonne voie compte tenu des défis que nous devrons relever au cours du prochain siècle.

La présidente: Marc, je le sais pour vous avoir déjà écouté auparavant, vous êtes toujours extrêmement succinct, et je vous en remercie.

Vous avez assurément soulevé une nouvelle dimension dans ce vaste éventail de domaines parmi lesquels nous devons choisir nos sujets de prédilection. Ce que vous avez évoqué semble cadrer très bien avec un mandat législatif. Je vous remercie d'avoir établi cela.

Je voudrais maintenant donner la parole à votre collègue, Simon Davies, s'il est disponible. Nous vous reviendrons plus tard et mes collègues auront des questions à vous poser, quand nous aurons entendu Simon, et peut-être voudrez-vous faire quelques observations sur ce que Simon aura dit, tout comme ce dernier pourrait d'ailleurs commenter maintenant vos propos.

Nous avons prévu 10 ou 15 minutes pour vous et une période équivalente pour Simon, le tout étant bien sûr suivi des questions.

Simon, êtes-vous là?

M. Simon Davies (directeur général, Privacy International Inc. (U.K.)): Je suis là. M'entendez-vous clairement?

La présidente: Oui, merci beaucoup.

Simon est un autre témoin qui a beaucoup d'esprit, qui est un peu cynique et dont les exposés sont toujours un régal.

Allez-y, Simon; veuillez vous présenter. J'ai pris la peine de dire cela parce qu'on ne l'aurait peut-être pas remarqué.

M. Davies: Je crois que je vais maintenant atténuer quelque peu le ton de mon intervention.

Je suis professeur invité à la London School of Economics. Ma spécialité, c'est la sécurité informatique et les systèmes d'information. Je suis également professeur de droit invité à l'Université d'Essex et je suis directeur d'une organisation qui s'appelle Privacy International, qui est l'homologue de l'organisation EPIC de Marc, c'est-à-dire que nous nous spécialisons dans des campagnes de conscientisation dans divers pays. Nous avons travaillé dans environ 25 pays sur différents sujets, notamment les cartes d'identité, la surveillance militaire, la télévision en circuit fermé, etc.

Premièrement, je veux expliquer la définition telle que je la comprends, ce qui pourrait être utile, et deuxièmement, je voudrais vous parler de certaines tendances que je vois émerger dans le monde.

Je reviens tout juste de COMSEC, la conférence sur la sécurité informatique, où j'ai pris la parole devant plusieurs centaines de spécialistes de la sécurité dans l'industrie, et j'ai donc été mis à rude épreuve quand j'ai essayé de donner cette définition. Mais après avoir travaillé quelques années dans ce domaine, mon opinion est très claire, à savoir que la vie privée est tout à fait une question de relation de pouvoirs entre l'individu et l'État, ou entre l'individu et le monde qui l'entoure, qu'il s'agisse d'organisations, de gouvernements ou d'autres citoyens. C'est un mur virtuel qu'on construit autour de soi, soutenu par des conventions, des lois, des techniques de protection de la vie privée, etc.

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C'est dans cette optique que je perçois la vie privée. Ce n'est pas une interprétation légaliste. En fait, je vais expliquer tout à l'heure pourquoi je crois que le droit peut légitimer la surveillance, tout comme il peut l'arrêter.

Je perçois quatre tendances émergentes dans le monde de la technologie et si le comité pouvait se pencher là-dessus, ce serait magnifique. Le public commence à prendre conscience de la première de ces tendances, nommément la capacité et la variété des techniques d'information qui permettent de faire de la surveillance. Pour le moment, c'est la seule tendance dont le public a pris conscience.

Le comité est bien conscient que la technologie informatique a maintenant une capacité pratiquement illimitée. La capacité d'identifier les gens et de suivre leurs mouvements à la trace est maintenant bien connue. Je ne vais pas vous assommer en vous énumérant les 190 catégories de technologie de surveillance que j'ai identifiées, mais beaucoup sont connues des Canadiens et sont utilisées par leur gouvernement et par des sociétés privées. Il y a d'autres tendances très importantes dont doit tenir compte toute organisation qui se livre à une enquête dans ce dossier.

La deuxième de ces tendances est la convergence. Je ne crois pas que le public comprenne encore très bien l'importance de la convergence des technologies. On pourrait en donner comme exemple la télévision en circuit fermé au Royaume-Uni. Nous avons littéralement des centaines de milliers de caméras dans les endroits publics. Les gens n'y voient pas autre chose que des caméras, alors qu'en fait, celles-ci sont intégrées dans le système de télécommunications, lequel est lui-même relié à l'Internet. Aujourd'hui, nous avons en Grande-Bretagne ce que l'on appelle communément le «cinquième service d'utilité publique».

Cette convergence s'accompagne d'une extraordinaire capacité de mettre les gens sous surveillance, à la fois de masse et individuelle, selon les besoins. Personne ne semble avoir relevé cette tendance, parce qu'elle est complexe, mais il faut néanmoins la mettre en lumière, parce qu'aujourd'hui, chaque technologie peut être greffée, si l'on peut dire, à toutes les autres formes de technologie.

Il n'existe plus d'ordinateur fermé. Même si j'aime à croire que mon Macintosh ne peut pas échanger avec d'autres ordinateurs, à moins que ce ne soient aussi des Macintosh, il n'en demeure pas moins qu'aujourd'hui, toutes les technologies sont en train de fusionner. Nous ne pouvons plus envisager tout cela dans le contexte du début des années 70, alors que chacun avait un ordinateur isolé qui compilait de l'information de façon très fermée. Ce n'est plus le cas. Nous sommes dans un environnement caractérisé par la mise en réseau.

Je suis d'avis que lorsque le public le comprendra, la vie privée deviendra un dossier aussi politique qu'il y a 20 ans.

La troisième tendance, dont j'ai pu entreprendre l'étude seulement ces derniers mois, c'est que la surveillance est devenue un élément intrinsèque, faisant partie intégrante de toute technologie de l'information. C'est lié à ce dont Marc parlait tout à l'heure, la capacité d'utiliser la technologie pour protéger la vie privée. Mais de la façon dont vont les choses en 1996, presque toutes les technologies de l'information sont également des technologies de surveillance. C'est en partie parce que les gouvernements et les organisations privées ne veulent pas laisser filer une occasion de créer de la richesse, de compiler de l'information qui pourrait être utile pour la planification gouvernementale ou pour des opérations policières.

Le problème de la monnaie électronique, par exemple, c'est qu'invariablement, l'opération laisse une trace que l'on peut déceler par une vérification, tandis qu'il y a moyen d'avoir de la monnaie électronique véritablement anonyme. Il y a possibilité de registres médicaux anonymes ou pseudo-anonymes qui pourraient mettre les gens à l'aise quand ils divulguent aux autorités médicales des renseignements sur eux-mêmes. Au lieu de cela, les renseignements sont répertoriés sous le nom de la personne, simplement parce que l'on a toujours procédé de la sorte. On pourrait avoir des systèmes cryptographiques protégeant vraiment les droits individuels. Au lieu de cela, nous avons des gouvernements qui s'en prennent à ces systèmes. La liste est presque infinie; chaque fois qu'on arrive au bout de la liste, on trouve un autre exemple.

La dernière tendance que je vois émerger dans le monde - et il est absolument essentiel que le comité se penche là-dessus - c'est ce que j'appellerais le «pseudo-volontariat». Autrement dit, on lance une technologie dont l'adoption est prétendument volontaire. Par exemple, on crée une carte d'identité pour une raison quelconque, mais ce qui arrive en fin de compte, c'est que la carte elle-même entraîne des coûts si elle n'est pas produite ou si...

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Nous avons actuellement un débat là-dessus au Royaume-Uni. Je suis certain que vous avez des discussions semblables au Canada. Inévitablement, l'adoption de la carte en question, quel que soit le parti qui en a eu l'idée, sera volontaire. Toutefois, le fait de ne pas produire la carte entraînera des coûts extraordinaires, parce que cela sera confié à des entreprises privées. Ces entreprises exigeront que l'on se conforme au système de la carte d'identité, même dans le cas des groupes qui peuvent le moins se permettre d'acheter ladite carte.

Vous déciderez peut-être, si vous adoptez au Canada une carte d'identité, d'en assumer le coût à même le Trésor. En Grande-Bretagne, il y a eu consensus pour en répercuter le coût sur le consommateur, ce qui soulève toute une gamme de problèmes.

Voilà donc, à mes yeux, les tendances que l'on voit émerger dans le monde. Je crois avec optimisme que la question deviendra une très importante préoccupation du public. La prise de conscience du public n'est que partielle pour le moment. À mesure que toute l'idée de la protection de la vie privée fera l'objet d'une réflexion plus approfondie, on verra que cela deviendra une question cruciale.

Je crois que le pendule est allé aussi loin qu'il peut aller en direction de la surveillance et que l'oscillation se fait maintenant en sens inverse. C'est pourquoi les travaux du comité sont d'une telle importance en ce moment-ci.

Je vais m'en tenir là.

La présidente: Simon, je crois que c'est vous qui avez fait part à notre personnel de certaines préoccupations relativement à l'envahissement des disques rigides par le courrier électronique et du fait que dans beaucoup de grandes entreprises, on examine le courrier électronique reçu, ainsi que les messages des boîtes vocales...et aussi la demande faite par l'État de l'Illinois de dresser une liste complète de tous les avortements qui ont eu lieu entre 1970 et 1986, établissant ainsi une liste spéciale des avortements, ce qui a bien sûr des répercussions très sérieuses.

Pourriez-vous nous en dire plus long sur le courrier électronique et sur les comptes privés et sur le droit de l'employeur de surveiller l'employé?

M. Davies: Là-dessus, je cède la parole à Marc, qui connaît mieux la législation pertinente en Amérique du Nord. Je pourrais bien sûr vous dire ce qui se passe en Europe, mais je sais qu'il y a certaines affaires cruciales qui sont pertinentes au Canada.

La présidente: Oui, il me semblait seulement que cela cadrait avec les quatre tendances que vous nous avez décrites, plus précisément la capacité intrinsèque de certaines technologies.

M. Davies: Oui, en ce sens, je pourrais faire quelques observations de portée plus générale. Le problème du courrier électronique et de l'Internet, et je donne ici le point de vue britannique, c'est que le système est utilisé à mauvais escient.

Vous verrez que les gens vont utiliser l'Internet pour y verser des données de plus en plus délicates. Nous avons eu énormément de difficulté à faire comprendre aux gens les risques que cela comporte, mais nous constatons maintenant, par exemple, que les médecins n'hésitent pas à verser des renseignements de nature médicale dans le réseau Internet, sans bien comprendre la vulnérabilité que cela implique.

On assiste donc à tout ce processus de la naissance de l'Internet et de la convergence des réseaux aboutissant, si l'on veut, à une nouvelle génération de télécommunications, et le problème est que la capacité technique et les risques associés à cette technologie de l'information s'accroissent à un rythme beaucoup plus rapide que la compréhension des gens quant aux risques inhérents à cette technologie. Autrement dit, tout va beaucoup trop vite.

Quand on s'entretient avec des gens qui sont au fait des aspects techniques, qui savent au moins comment utiliser la technologie, dans l'ensemble, ils ne comprennent pas les risques énormes qu'ils courent sur le plan de la sécurité et de la protection de la vie privée en entrant des données dans les systèmes. Cela tient à deux facteurs: la progression fulgurante de la technologie et sa puissance extraordinaire, mais aussi le fait que l'on met maintenant sur le marché des logiciels très faciles à utiliser qui vous invitent à lancer d'énormes quantités d'information dans un réseau public, l'Internet, sans pour autant vous avertir des risques qui sont associés à cette démarche.

À la liste que vous avez donnée, j'ajouterais par exemple une multitude de listes qui ont été récemment publiées. Je crois qu'en Floride, plusieurs milliers de patients atteints du sida se sont aperçus que leur dossier est devenu... Je ne dirais pas qu'il a été rendu public, mais en tout cas, le système comporte une brèche qui a permis d'en extraire ces dossiers.

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C'est là un problème général de l'informatisation. Nous avons bien sûr dans notre propre État le problème des permis de conduire, tous les détails consignés sur les permis de conduire étant rendus publics sur l'Internet. Dans notre pays, nous constatons que l'Internet sert à la publication de l'identité des gens qui ont un casier judiciaire. Bon, d'accord, c'est du domaine public, mais le problème est que l'on peut ainsi obtenir le nom de tous les citoyens qui ont un casier judiciaire, ce qui ouvre la porte à une foule de problèmes, notamment les activités de certaines organisations qui s'arrogent le droit de protéger le public.

La présidente: Merci beaucoup.

Marc, peut-être pourriez-vous répondre à cette question tout en répondant à une autre posée par l'un de nos collègues, car nous allons amorcer la période des questions. À moins, chers collègues, que vous ne vouliez entendre ce que Marc a à nous dire sur le sujet précis de la surveillance et du vol, de la surveillance du courrier électronique d'un employé par son employeur.

Marc, est-ce vous qui nous avez donné ce renseignement?

M. Rotenberg: Je ne le crois pas. Je peux dire qu'aux États-Unis, la loi qui régit l'écoute électronique interdit d'intercepter le courrier électronique quand il passe par un fournisseur de services commercial. Par exemple, si vous faites appel à une compagnie qui offre un service de courrier électronique, la loi offre une certaine assurance que vos communications ne seront pas divulguées abusivement. Mais, bien sûr, de nos jours, une grande partie du courrier électronique transite par une organisation, une entreprise, ou même l'Internet, et dans beaucoup de ces cas, il n'y a aucune protection juridique.

Je crois que l'exemple du lieu de travail que vous avez donné, et qui est également à l'étude en vue de la préparation du rapport, est particulièrement important, car il me semble qu'il y a quelques idées fausses qui circulent quant aux droits de l'employé en milieu de travail. J'ai entendu des gens dire, par exemple, que l'ordinateur appartient à l'entreprise et qu'en conséquence, dès qu'un employé se sert de l'ordinateur, il ne peut pas s'attendre à ce que ses communications soient confidentielles. À mon avis, cet argument est faux, du moins à première vue, parce que les employés utilisent couramment d'autres installations comme leurs tiroirs de bureau, leur téléphone, les toilettes, etc., pour des activités qui sont privées et qui sont considérées comme telles, et le fait que ces installations appartiennent à l'employeur ou à l'entreprise n'y change rien.

Chose certaine, l'un des objectifs, pour ce qui est du milieu de travail, c'est d'essayer de comprendre ce qui constitue une attente raisonnable en matière de vie privée. Si quelqu'un a le droit de donner un coup de téléphone à un collègue, en sachant que la conversation téléphonique, sauf dans des cas extraordinaires, est confidentielle, pourquoi la communication devrait-elle être moins confidentielle si la même personne choisit plutôt d'envoyer un message à son collègue par courrier électronique?

Cette question n'a nullement été résolue aux États-Unis. Nous avons eu certaines décisions des tribunaux. Plusieurs de nos États, notamment la Californie, ont tendance à adopter une attitude assez ferme en matière de vie privée. Ce n'est pas le cas d'autres États, notamment le Tennessee. Au niveau fédéral, à l'heure actuelle, il n'y a pas de norme relativement à la vie privée au travail, quoique j'aie travaillé à plusieurs dossiers, depuis 1991, dans lesquels le Congrès essayait d'établir une norme fédérale pour la protection de la vie privée en milieu de travail.

La présidente: Simon, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Davies: Très brièvement. Je voudrais faire une analogie. La loi ne s'embarrasse pas de savoir qui possède l'enveloppe et le papier à lettre. Elle vise seulement les données contenues dans une lettre. Ainsi, la propriété de l'enveloppe et du papier n'est pas pertinente dans la loi qui régit l'interception du courrier. Certains d'entre nous croient qu'il faudrait accorder la même protection au courrier électronique. Le matériel informatique utilisé n'est pas pertinent et nous avons d'ailleurs un précédent en ce sens.

La présidente: Maurice, vous avez la parole.

[Français]

M. Bernier: Je viens d'entendre M. Rotenberg et M. Davies parler de toute cette situation concernant les nouvelles technologies. J'aurais d'abord deux questions à vous poser avant d'aborder d'autres sujets.

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Ma première préoccupation, et on en a discuté cette semaine avec d'autres spécialistes du domaine de la protection de la vie privée, des responsables de commissions de différentes provinces canadiennes, est la nécessité d'informer le citoyen ordinaire de ces nouvelles technologies qui existent et de savoir comment le faire.

Je vais être plus clair dans ma question. Autrement dit, comment un citoyen ordinaire peut-il savoir ce que les entreprises privées ou le gouvernement savent de lui? Comment ce citoyen ordinaire, quel que soit l'endroit où il se trouve, peut-il savoir tout ce que l'on sait de lui et comment peut-il intervenir pour avoir cette information?

La deuxième question est plus spécifique. Vous avez parlé tantôt de différentes techniques et vous avez abordé les questions de surveillance. Ça semble être une priorité pour vous deux, si j'ai bien compris, mais j'aimerais que vous précisiez, pour notre comité, quelles recommandations vous feriez, aussi bien à notre comité qu'à quelque gouvernement que ce soit, en termes d'intervention. Quel type d'intervention pourrait être faite par un gouvernement sur le plan juridique ou réglementaire, et dans quel domaine?

Cette semaine, des spécialistes ont identifié trois domaines et je vous les soumets pour avoir votre réaction: toute la question des tests génétiques exigés en milieu de travail; la question des tests concernant la consommation ou l'utilisation de drogues ou de médicaments; et finalement, etM. Davies en a parlé tantôt, les caméras de surveillance dans les lieux publics. Est-ce que, selon vous, ce sont des domaines prioritaires dans lesquels on devrait intervenir? Si vous pouvez le faire brièvement, j'aimerais que vous nous disiez comment on devrait procéder. Merci.

[Traduction]

La présidente: L'un de vous est-il prêt à répondre?

M. Rotenberg: Je vais commencer.

La réponse à la première question, c'est qu'il n'est pas très facile pour quelqu'un de savoir ce qu'on connaît de lui. Dans certains cas, si une loi établit un droit d'accès, la personne peut s'adresser à une organisation, par exemple une agence d'établissement de crédit, ou encore un établissement médical, pour obtenir copie de son propre dossier. Mais en pratique, il n'existe pas beaucoup de lois de ce genre et le temps et l'effort exigés pour exercer ce droit sont considérables.

Je fais parfois une analogie avec la pratique courante des banques qui fournissent à leurs clients un relevé mensuel indiquant leurs activités bancaires récentes et leur solde. Nous trouvons cela parfaitement normal, mais il est évident que du point de vue de l'information, il est absolument essentiel pour quelqu'un qui s'efforce de gérer ses finances personnelles d'avoir accès à cette information de façon régulière et sans faute.

Ma préférence serait de voir cette pratique adoptée dans beaucoup d'autres domaines: dossiers médicaux, rapports de crédit, etc. Ainsi, les gens pourraient recevoir une copie des renseignements que d'autres possèdent à leur sujet et qui touchent certains aspects de leur vie personnelle. Cela deviendrait une simple formalité n'exigeant aucun effort particulier. Ce serait la bonne façon de s'y prendre et je crois que, grâce à l'Internet, cela deviendra davantage possible au cours des prochaines années.

J'ajouterais une deuxième réponse à la première question. Je dirais que beaucoup d'aspects techniques sont très difficiles à comprendre pour les particuliers. J'ai entendu des gens dire que chacun devrait être mis au courant de ces nouvelles pratiques et de la façon dont les données sont recueillies. Je trouve que c'est presque injuste de demander une chose pareille. Si l'on en faisait autant pour le problème de la pollution créée par l'automobile, par exemple, nous ne pourrions pas raisonnablement nous attendre à ce que les consommateurs deviennent experts en pollution automobile, même si cela est un facteur important dans l'achat et l'utilisation d'une voiture.

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Pour les problèmes de ce genre, il faut une organisation gouvernementale spécialisée, laquelle doit elle-même être supervisée par un organisme indépendant pouvant rendre des jugements au nom du public. Franchement, c'est une lacune aux États-Unis de n'avoir aucune organisation assumant ce rôle.

Pour ce qui est de la deuxième question, relative aux priorités, c'est toujours la question la plus difficile, en raison du nombre élevé de considérations à prendre en compte dans le domaine de la protection de la vie privée. Vous en avez énuméré une demi-douzaine; je pourrais en ajouter 10 ou 12 autres qui semblent tout aussi urgentes.

Pour ma part, je crois qu'il faut essayer de cibler les secteurs où il se produit actuellement le plus de changements, parce que ce sont les domaines en pleine évolution qui auront probablement les plus grandes répercussions. Par exemple, Simon Davies avait raison d'insister sur le problème de l'utilisation croissante de la télévision en circuit fermé à Londres. On pourrait aussi donner l'exemple de la compilation et de l'utilisation de données génétiques, qui est un développement récent susceptible d'avoir de vastes conséquences. Je m'intéresse par ailleurs énormément à tout ce qui touche à l'Internet, car je crois que cela pourrait avoir des effets incalculables.

Ma recommandation est de mettre l'accent sur les problèmes les plus vastes. Ce sont les plus difficiles à résoudre, évidemment, mais c'est là que vos efforts ont le plus de chance de réussir.

La présidente: Merci beaucoup.

Marc, beaucoup d'entre nous se sont posé la question suivante. C'est bien beau que les banques nous fournissent des renseignements aussi détaillés, mais comment savoir ce que fait la banque de cette information, par exemple combien nous dépensons avec notre carte VISA? La banque en fait-elle part à VISA ou aux cartes concurrentes American Express ou Diners Club? Que font les banques de cette information qu'elles possèdent?

M. Rotenberg: Je ne le sais pas exactement, mais je dirais que si vous vous inquiétez de la divulgation de renseignements financiers, votre première cible devrait probablement être les organismes d'établissement de crédit, parce que c'est une industrie qui a été bâtie sur la vente de renseignements financiers personnels. C'est le rapport d'une agence de crédit qui permet de savoir ce qu'il est possible de connaître en fait de données personnelles.

Il est également très difficile de mettre la main sur ce rapport. Il faut payer; ça prend du temps; c'est rempli d'erreurs; ça change constamment. J'aimerais que les agences de crédit mettent ces renseignements à la disposition des consommateurs de façon courante.

La présidente: Merci.

Qui veut prendre la parole en premier de ce côté-ci? J'ai déjà oublié.

[Français]

M. Bernier: M. Davies peut-être?

[Traduction]

La présidente: Monsieur Davies, je vous prie.

M. Davies: Pour ce qui est de la première question, quant à savoir comment un citoyen peut connaître les renseignements que l'on possède à son sujet, trois mécanismes me viennent à l'esprit. Le premier, qui est une solution partielle, est la création de registres de bases de données. C'est très lourd, éphémère et sous-utilisé, mais certains pays, notamment le Royaume-Uni et l'Australie, utilisent des registres de bases de données informatiques.

On procède de la façon suivante. En Australie, par exemple, le commissaire à la protection de la vie privée publie annuellement un épais répertoire renfermant tous les registres publics, le genre de données que ces registres renferment et les catégories de gens qui sont visées par ces banques de données.

La deuxième façon, qui est peut-être plus coûteuse mais assurément plus efficace, consiste à obliger par voie législative certains secteurs de l'industrie et du gouvernement à aviser un citoyen, d'une façon ou d'une autre, que l'on possède des renseignements à son sujet. Parallèlement, la loi prévoit qu'il faut créer un mécanisme permettant d'avoir accès à cette information et de la modifier si elle est inexacte.

Je conviens toutefois que ces deux mécanismes sont sous-utilisés et tout à fait inefficaces, surtout maintenant que nous vivons à l'ère de l'information. On peut dire que nous en sommes à l'aube de l'ère de l'information. Je suis d'accord. Je ne crois pas que le citoyen doive être obligé d'être constamment sur ses gardes car cela deviendra une très lourde responsabilité.

.1150

Il devient clair à mes yeux que le troisième mécanisme est bon. Je veux parler de la création de mécanismes courants pour conscientiser le public, par exemple des discussions publiques sur la protection de la vie privée. Dès qu'une technique de surveillance est controversée, une discussion sur ses répercussions en matière de protection de la vie privée, qui pourrait prendre la forme d'une audience publique comme celle que vous faites en ce moment, permet de conscientiser le grand public.

Les gens qui sont d'esprit curieux cherchent à aller au fond des choses en matière de technologie de l'information. Le tout pourrait être présenté de façon attrayante pour les médias et à coup sûr pour les simples citoyens. Une solution parallèle pourrait consister en des audiences annuelles ou des rapports annuels énonçant ce que l'on propose dans ce domaine, précisant qui sait quoi, comment on acquiert des renseignements personnels et quelle utilisation on en fait.

Ces audiences publiques ont lieu aux frais du gouvernement ou du public, mais j'imagine qu'elles pourraient avoir une énorme influence sur l'opinion publique. Ce sont les trois seuls mécanismes qui me viennent à l'esprit pour conscientiser les gens à ce propos.

Vous avez également demandé quels sont les dossiers clés qui exigent que l'on réglemente. Je conviens avec Marc que la liste pourrait être longue, mais il y a deux choses qu'il ne faut pas perdre de vue. Premièrement, si l'on procède par une réglementation sectorielle, comme les États-Unis semblent regrettablement l'avoir fait, on se trouve à créer une loi visant à protéger les dossiers vidéo, au détriment de problèmes plus complexes et plus globaux que l'on laisse de côté.

Il pourrait être utile de créer par voie législative un mécanisme permettant d'intervenir et de percevoir à l'avance quels dossiers pourraient poser des problèmes. Comme vous le savez, il s'écoule bien des années entre le moment où une loi ou un règlement est conçu et celui où il est adopté et mis en oeuvre. Il est souvent trop tard parce que, comme Marc l'a dit, le béton est pris.

Cela dit, je dirais que sur le plan international, les tests génétiques et les données médicales sont manifestement prioritaires. C'est un domaine très important parce que des données génétiques sont utilisées de manière prétendument volontaire par des gens qui veulent obtenir des rabais de compagnies d'assurance.

En Europe, cela nous pose une foule de problèmes. En tant que consommateurs et de défenseurs de la vie privée, nous ne voulons pas que les compagnies d'assurance puissent obtenir un échantillon d'ADN et des données génétiques. C'est vraiment le commencement de la fin. Je pense que les bases de données médicales, d'assurance et de données génétiques susciteront de vives controverses au cours des dix prochaines années et nous devons nous y attaquer immédiatement partout dans le monde.

La biométrique et l'identification biométrique exigent la compilation de données personnelles sur les caractéristiques physiques, par exemple les empreintes digitales et l'empreinte des mains.

La présidente: Excusez-moi, Simon, parlez-vous des cartes à puce ou des cartes magnétiques?

M. Davies: Ces données pourraient être consignées sur une carte à puce. En fait, le Canada est un pays participant au système INSPASS. En avez-vous entendu parler?

La présidente: Voulez-vous dire l'expérience menée à Rimouski, au Québec?

M. Davies: Non, l'expérience de Rimouski porte sur une carte-santé. Cela soulève d'autres problèmes. Je suis certain que Paul-André Comeau vous en a parlé.

Le système INSPASS est un système de contrôle automatisé de l'immigration et des passeports que l'on met à l'essai aux États-Unis. Le Canada est un pays participant. L'objectif est de faire en sorte qu'un grand nombre de passeports, tout au moins de procédés de vérification des passeports, soient remplacés d'ici dix ans par une empreinte de la main. Cela soulève des questions très graves quant à l'identité des êtres humains, et il faut se pencher sur la question dès maintenant.

La présidente: Merci beaucoup.

Russell.

.1155

M. MacLellan: Merci beaucoup, madame la présidente. Je crois qu'il y a beaucoup de scepticisme quant à la possibilité de contrôler les renseignements personnels recueillis par des sources non autorisées. Les gens qui sont conscients du problème trouvent très préoccupant que personne ne connaisse vraiment l'ampleur des renseignements que l'on possède sur leur compte. Deuxièmement, les gens ne croient pas vraiment qu'il est possible d'empêcher des sources non autorisées de recueillir des renseignements personnels.

Mardi, nous avons entendu Ann Cavoukian nous parler de techniques d'épuration des listes pour protéger la vie privée. Elle a dit que certains renseignements ne sont pas nécessaires et que tout renseignement non nécessaire ne devrait pas être transmis. Cela limiterait quelque peu la quantité d'information non autorisée que des sources non autorisées pourraient posséder sur les gens.

La question qui se pose est celle-ci: comment savoir que l'information est effectivement limitée? Comment le vérifier? Bien sûr qu'il y a des contrôles, mais dans quelle mesure seront-ils efficaces?

On a parlé des banques et de la responsabilité et je voudrais dire à nos témoins - et je les invite également à nous faire part de leurs commentaires là-dessus - que le bilan est très médiocre pour ce qui est d'amener devant la justice les criminels en col blanc. Supposons par exemple qu'un employé d'une banque rogne une fraction de cent sur chaque compte et vole ainsi une somme importante. La banque ne rend même pas public le nom de cette personne. Elle se contente de congédier l'employé et personne ne sait même qu'un crime a été commis.

Il existe des procédures tout à fait fondamentales. Premièrement, nous devons savoir qu'un crime a été commis avant d'envisager de punir l'auteur du crime. Je voudrais que l'on nous donne des idées quant à ce qu'il y aurait lieu de faire. Je pense que nous avons beaucoup de pain sur la planche.

La présidente: Merci. Marc ou Simon, vous pouvez répondre ou poursuivre sur votre lancée. Nous entendrons ensuite Deborah Grey. Allez-y.

M. Rotenberg: Je ne suis pas en désaccord avec vous. C'est un problème particulier dans le domaine de la protection de la vie privée parce que les cas qui attirent le plus d'attention sont ceux dans lesquels les gens reconnaissent sans hésiter qu'un crime a été commis.

On pourrait en donner par exemple le travailleur de la santé de la Floride qui a divulgué le nom de 4 000 patients atteints du sida. Vous et moi comprenons sans peine que cela pose un problème et que la loi doit intervenir. Mais le problème le plus difficile est celui de la tenue à jour du dossier lui-même, je veux dire le fait de recueillir les données. L'organisation en question a-t-elle pris les mesures voulues pour protéger ces renseignements? Existe-t-il de meilleures techniques? Il est peu probable que ces questions puissent être réglées par des sanctions légales; il faut donc trouver d'autres moyens.

Je voudrais aussi revenir sur un deuxième point que vous avez soulevé en ce qui a trait à la perception du public. Je crains que ce ne soit en partie attribuable à la tradition orwellienne, mais les gens se sentent souvent impuissants quand ils sont confrontés à ces nouveaux problèmes mettant en cause la vie privée. Ils ont l'impression que tout cela échappe à leur contrôle. Mais nous avons vu aux États-Unis, au Canada, en Europe et ailleurs dans le monde, surtout ces dernières années, un nombre croissant de groupes de citoyens, de spécialistes et d'universitaires qui protestent publiquement et dans l'arène politique contre les empiétements sur la vie privée que l'on aurait pu éviter. Je suis presque certain qu'au cours des prochaines années, le public sera davantage disposé à accepter les changements et les sauvegardes qui sont nécessaires pour protéger la vie privée.

La présidente: Simon.

M. Davies: Le député a mis le doigt sur un point important, à savoir la confiance du public. À mon sens, il y a deux problèmes fondamentaux. Le premier est que la confiance du public envers les institutions a été fortement ébranlée. Je suis sûr que c'est un problème beaucoup plus vaste et profond que ce que nous permet d'appréhender la discussion d'aujourd'hui. Mais en un sens, c'est également un héritage dont nous devons nous accommoder. Depuis une vingtaine d'années, toutes les vaches sacrées ont été abattues l'une après l'autre. Par conséquent, toute assurance que des protections seront garanties sera accueillie avec cynisme.

.1200

On peut mettre en place des mécanismes. J'ai longuement réfléchi au rôle que pourrait jouer le comité avec l'enquête qu'il entreprend et je suis arrivé à la conclusion que les gens veulent du leadership, ils veulent que l'on s'attaque au dossier avec passion. Les gens ne veulent pas croire qu'il est trop tard et que leur vie privée n'existe plus. Ils ne veulent pas croire qu'il y a un déterminisme technologique qui nous balaie vers le prochain millénaire sans qu'on n'y puisse rien. Je trouve que c'est beaucoup plus fondamental que cela et que la passion des gens pour ce sujet demeure, bien qu'elle soit en grande partie latente. Elle peut être ramenée à la surface, mais cela exige du leadership. C'est ce qui me semble manquer le plus en Europe, le leadership d'institutions capables d'inspirer le public.

C'est ainsi que l'on a bouclé la boucle, puisque cela nous ramène au cynisme et à la méfiance généralisée des gens envers les institutions. Ce sera la question la plus difficile à résoudre pour votre comité et c'est beaucoup plus vaste que la vie privée. Toute initiative de votre part se bute à cette question: le public croira-t-il que ce mécanisme ou cette loi va vraiment fonctionner? Je suis convaincu que le public peut avoir confiance, mais ce qu'il faut, c'est un engagement sérieux, un engagement sur le plan fondamental et philosophique. Il ne s'agit plus d'apporter des retouches ici et là. Cela va beaucoup plus loin.

La présidente: Excusez-moi, Simon. Êtes-vous en train de dire que notre ministre de la Justice et notre ministre de l'Industrie auront beau présenter un plan très complet incluant l'intervention de ce que l'on appelle ici l'Association canadienne de normalisation, qui cherche à protéger l'information dans l'industrie au moyen de ce qui est essentiellement un code d'éthique, le fait est que les droits de la personne vont bien au-delà des aspects économiques et technologiques et que la population serait très sensible à cela si l'on savait lui présenter les choses de la façon appropriée? Si vous parlez de l'industrie...

M. Davies: Oui, absolument. Je crois que l'aspect économique de l'une des tendances qui émergent dans le monde est la banalisation de la vie privée. Autrement dit, la vie privée est devenue à bien des égards une denrée que l'on peut échanger contre de meilleurs services ou produits ou encore une réduction des pénalités. Il y a donc émergence d'un impératif économique.

Pour ma part, je suis d'avis que cela ne constitue qu'une très petite partie de la problématique. Pour ce qui est de l'administration publique, la vie privée doit être perçue non pas comme une composante économique, mais bien comme un droit fondamental de la personne, qui est étroitement lié à la dignité. Je ne peux pas m'empêcher de trouver que l'élément dignité... Je suis allé souvent au Canada et j'ai eu le sentiment que les questions de dignité et d'autonomie sont au coeur même de la psyché canadienne, si je peux me permettre de dire carrément qu'il existe une psyché canadienne. Ce sont deux qualités qui ressortent à mon avis et je crois que la vie privée est un élément central de ces deux qualités. C'est pourquoi tout gouvernement qui interviendrait en faveur de la vie privée serait appuyé par le public.

La présidente: Merci.

Deborah, vous avez la parole.

Mme Grey: Bonjour. Merci d'être présents.

C'est une chose pour nous de discuter ici dans cette salle de ce que veut le public, mais ne perdons pas de vue que nous sommes nous aussi des citoyens. Nous avons beau nous imaginer que nous sommes ici, sur la colline du Parlement, en train de débattre de cette question pour le plus grand bien du public, nous sommes nous aussi des victimes, si je peux utiliser ce terme, au même titre que n'importe qui d'autre. Je continue de recevoir à la maison des coups de téléphone et des lettres de gens qui possèdent des hôtels dans lesquels j'ai séjourné. Ils ont accès à mon adresse et ils me posent toutes sortes de questions ou bien essaient de me vendre des magazines ou autres babioles. Je crois donc que nous devons nous rendre compte que nous sommes tous concernés au premier chef, au niveau personnel.

Il y a quelques instants, Simon, vous nous avez dit que les gouvernements interviennent pour aider les gens, pour leur donner le sentiment que l'on s'occupe de leur intérêt supérieur, et vous avez utilisé le mot «cynisme». Je soupçonne qu'il y a un niveau incroyable de cynisme dans notre pays. Par exemple, notre numéro d'assurance sociale devait être notre protection. C'était notre garantie de vie privée; cela ne devait servir à rien d'autre qu'aux fins prévues. Pourtant, il y a eu d'incroyables fuites ou glissements et voici que l'on peut maintenant transmettre à volonté un numéro d'assurance sociale.

.1205

En ce qui concerne nos libertés et notre droit à la vie privée, dont vous avez parlé tous les deux, je voulais vous interroger, Marc, sur le commentaire que vous avez fait quand vous avez dit que notre défi au XXIe siècle sera en partie de réglementer les technologies, mais surtout de s'assurer que l'État ne limite pas la liberté d'utiliser l'information. Autrement dit, je suis libre, mais quand ma liberté entre en collision avec votre liberté ou vos droits, nous sommes dans un dilemme. Je vous demanderais à tous les deux de commenter cela.

Par exemple, dans le cas de l'Internet, qui donne maintenant une liberté absolue, nous ne pouvons plus revenir en arrière. Nous ne pouvons évidemment pas supprimer l'Internet. Nous sommes dans une ère technologique. Le fait même que nous soyons en train de converser par l'entremise d'un écran de télé illustre de façon éclatante les aspects tellement positifs de la technologie. Mais que peut-on faire, puisque nous ne pouvons pas revenir en arrière et décréter que telle ou telle chose ne peut pas se faire? Est-ce qu'un pays ou une série de pays peuvent mettre en vigueur une législation ou une réglementation qui permettra de résoudre ces problèmes qui surgissent quand nos droits entrent en collision au point que ma liberté empiète sur la vôtre?

M. Rotenberg: Je voudrais d'abord préciser que je ne parlais pas de la liberté d'utiliser l'information, bien que je croie évidemment qu'une telle liberté existe. Je parlais plutôt de la liberté d'utiliser la technologie pour protéger la vie privée. J'ai insisté là-dessus parce qu'à mon sens, cela change de fond en comble notre compréhension des relations entre l'État et le citoyen au chapitre de la technologie et de la vie privée.

Traditionnellement, la relation était celle-ci: l'État protège le citoyen contre la technologie qui risque de menacer sa vie privée. Toutefois, nous avons connu récemment des cas de citoyens qui possédaient des technologies visant à protéger leur vie privée, mais l'État a décrété qu'ils ne devaient pas utiliser cette technologie parce que cela empêchait l'État de faire appliquer la loi ou que cela nuisait à la collecte de renseignements. Aux États-Unis, il y a en ce moment même un débat très animé là-dessus.

Sur la question plus générale que vous avez posée, quant à savoir si un gouvernement ou un groupe de gouvernements peut réglementer tout cela de façon efficace, je ne crois pas que nous ayons réponse à cette question pour le moment. Manifestement, l'une des grandes questions qui se posent aujourd'hui et dont nous n'avons pas parlé, c'est la circulation de matériel pornographique sur l'Internet. Aux États-Unis et dans d'autres pays, on a adopté des lois pour essayer de restreindre la disponibilité de cette information sur l'Internet. Certains disent que les gouvernements ne seront pas capables de réglementer cela de façon efficace parce qu'il y aura toujours moyen de faire circuler cette information sur l'Internet.

Je crois que les gouvernements peuvent en fait obtenir d'excellents résultats, peut-être pas à 100 p. 100, mais peut-être à 98 p. 100, et sont capables de réglementer le tout, surtout s'ils travaillent en collaboration. Cela peut parfois être très efficace et je crois que la directive européenne est un bon effort concerté en vue de protéger la vie privée. Mais cela peut, à l'occasion, poser un problème. Je ne voudrais pas que l'on réglemente par exemple la liberté de parole sur l'Internet, mais cela pourrait arriver.

M. Davies: Le député dit qu'il peut être difficile de réglementer l'utilisation de l'Internet. Je vais vous faire part d'une anecdote qui circule au Royaume-Uni et qui pourrait vous intéresser.

Il est vrai que le gouvernement a éprouvé quelques difficultés à réglementer le contenu de l'Internet, mais il a établi en fin de compte ce que je considère comme un ingénieux régime d'adhésion volontaire. Une organisation qui s'appelle l'Association des fournisseurs de services Internet a été établie avec l'intention de dégager un consensus parmi tous les fournisseurs de services Internet en Grande-Bretagne. Il y en a environ 150 et, avant la création de cet organisme, il n'y avait aucune voie commune. La liberté était véritablement totale quant au genre de données que l'on pouvait faire circuler sur l'Internet et les services que l'on pouvait offrir.

.1210

Comme il y a maintenant un organisme du secteur privé qui regroupe la totalité du secteur, une politique d'adhésion volontaire a été établie. Le premier jalon de cette politique a été l'abolition d'environ 148 groupes de discussion, dont la plupart se préoccupaient de pornographie infantile. Mais en abolissant ces groupes de discussion d'amateurs de pornographie infantile, on a également fait disparaître le site alt.home.sexual, de même que alt.senior.citizen et alt.fetish.feet. On ne s'est pas préoccupé de maintenir l'équilibre, dans la recherche d'une solution rapide à laquelle il serait facultatif d'adhérer. Essentiellement, on a complètement aboli tout ce qui touche de près ou de loin au problème.

Maintenant, la première question qu'il faut se poser, c'est de savoir si le gouvernement a abandonné sa responsabilité de susciter un débat public sur la question, choisissant plutôt de conclure un marché avec le secteur privé. La deuxième question, c'est de savoir jusqu'où il faudrait aller.

J'ai demandé à l'un des agents de police qui s'occupent de faire la liaison avec ce groupe s'il y avait une limite à ce qu'ils étaient prêts à faire en matière de censure. Il m'a répondu qu'il n'y avait aucune limite. Il s'agit en fait d'un consensus entre le législateur ou le gouvernement en place, l'Association des fournisseurs de services sur Internet et les membres. Nous avons donc complètement contourné tout le processus démocratique, mais nous avons également évité toute accusation de censure.

Aux États-Unis et au Canada, la position constitutionnelle n'est pas la même que celle adoptée en Europe, mais c'est ce qui vous attend. Donc, oui, il y a moyen de réglementer. Et non, ce n'est pas nécessairement le meilleur moyen de procéder dans ce cas particulier.

La présidente: Au sujet de toutes ces questions que l'on a abordées en votre présence ici, je voudrais vous demander à tous les deux si, à votre avis, il faut un système de gouvernement démocratique, dans lequel l'individu a sa place dans la société, pour que la vie privée puisse être considérée comme un droit fondamental de la personne. Bien que chacun ait fondamentalement le droit à sa propre intégrité, dignité et autonomie, ce n'est pas nécessairement ce que l'on trouve dans la plupart des pays du monde. Comment peut-on légiférer pour imposer la protection de la vie privée, ou comment pourrait-on jamais se mettre d'accord sur une quelconque définition de la vie privée?

Mme Grey: Excusez-moi, mais je dois bientôt partir, même compte tenu du décalage horaire. Je veux seulement vous remercier. C'est un dossier immense et je tiens à vous féliciter pour le travail que vous faites. Continuez, nous vous en sommes reconnaissants.

M. Davies: Merci.

M. Rotenberg: Merci.

La présidente: Tout va bien, Deborah. Je voulais que vous restiez ici.

Mme Grey: Je sais, mais j'ai un rendez-vous à 12 h 30.

La présidente: Bon, merci.

Vous pourriez peut-être ajouter à cela, mais avant de répondre, si tant est qu'il y ait une réponse à cette question, je signale qu'un autre membre du comité, John Godfrey, vient de se joindre à nous.

John, pourriez-vous d'abord vous présenter et dire ce que vous faites, et ensuite vous pourrez poser des questions.

M. Godfrey (Don Valley-Ouest): Bonjour, je suis député du parti ministériel et je fais tout ce que l'on me demande de faire. C'est la meilleure définition que je puisse donner.

Je voudrais d'abord dire à Simon que je suis prêt à parier que l'un des premiers groupes de discussion à disparaître - je crois que c'était un groupe américain - s'appelait alt.dead.cats, où l'on affichait des plaisanteries sur les chats morts. Je soupçonne que c'était en tête de liste des groupes à abolir en Grande-Bretagne.

M. Davies: Sauf sur la liste des propriétaires de chiens.

M. Godfrey: Ou de souris.

Je voudrais vous parler des caméras de surveillance dans les endroits publics. Je vais me faire l'avocat du diable. Le point de vue dont je vais vous faire part ne représente pas une conviction bien ancrée; il vise seulement à provoquer.

Mon point de vue là-dessus, superficiellement, c'est que quand on se trouve dans un endroit public, on doit s'attendre à ce que quelqu'un puisse vous observer, que ce soit électroniquement, en personne, ou même sous la forme d'un chat vivant. Il y a des précédents dans les trois pays. Je songe à l'affaire James Bulger en Grande-Bretagne, où les meurtriers de ce garçonnet de quatre ans ont été filmés par une caméra de surveillance à l'extérieur. À New York, je songe à l'attentat à la bombe au World Trade Center, le véhicule coupable ayant été filmé par une caméra dans le stationnement. Au Canada, dans ma propre ville de Toronto, il y a eu la fameuse affaire Just Desserts, dans laquelle des caméras de surveillance ont filmé un meurtre dans un restaurant. Dans les trois cas, je pense que l'on peut dire que ce fut une bonne application des caméras de surveillance dans des lieux publics.

En mettant dans la balance le droit à la vie privée et le bien public, surtout quand il s'agit de lieux publics, de lieux que l'on sait être publics - et je crois que tous les endroits en question étaient bel et bien publics - qu'y a-t-il de mal à la présence de ces caméras?

.1215

M. Davies: Je n'accepte pas l'argument selon lequel...

La présidente: Simon, une seconde, je vous prie. J'ai une autre question qui va exactement dans le même sens, mettant en cause la vie privée, le bien public et les lieux publics.

Nous avons au Canada un régime d'assurance-chômage. Il y a des gens qui doivent être payés de façon hebdomadaire, qui sont censés être disponibles pour travailler et chercher du travail. Nous savons maintenant qu'ils se sont promenés partout dans le monde, notamment en Floride, alors qu'ils étaient censés être disponibles pour travailler. Ils sont revenus, ils sont passés aux douanes, ont rempli les formalités et ont déclaré avoir rapporté une cartouche de cigarettes ou quoi que ce soit. Ces cartes de déclaration servent maintenant à vérifier leurs allées et venues, en comparaison des dossiers d'assurance-chômage. On n'a pas dit à ces gens-là que ces cartes pourraient servir à cette fin.

Pourtant, du point de vue de l'information publique et du point de vue financier, nous allons recouvrer de 300 à 500 millions de dollars de ces gens-là.

C'est très important pour les deniers publics. Qu'est-ce que cela veut dire sur le plan des droits de la personne et du droit à la vie privée?

M. Davies: C'est une vaste question.

La présidente: John.

M. Godfrey: Ce sont deux exemples bien étoffés. Je suppose que si vous vouliez en prendre chacun un, ce serait peut-être une façon de vous simplifier la tâche.

M. Davies: Ils concernent tous deux les lieux publics, les droits du public et l'intérêt public. Voyons d'abord la question des caméras de télévision en circuit fermé. Je dois dire que l'affaire du meurtre de James Bulger est utilisée au maximum par les organismes d'application de la loi et l'industrie de la télévision en circuit fermé. En fait, ce n'est pas tout à fait correct.

Il est vrai que Bulger a été filmé par une caméra de télévision en circuit fermé alors qu'il sortait du centre commercial, escorté par deux jeunes garçons de 10 ans, juste avant qu'il soit assassiné. Cela ne veut pas dire que la caméra de télévision en circuit fermé ait joué le moindre rôle dans la condamnation ou même l'arrestation de ces garçons. En fait, les garçons ont avoué le meurtre et c'est après le fait que les images enregistrées par la télévision en circuit fermé ont été récupérées et diffusées par les médias. Je ne crois pas que cela ait même aidé la poursuite, car les garçons ont tout avoué. Mais ce sont des images très frappantes et on en a tiré le maximum.

Le problème que pose l'usage de la télévision en circuit fermé dans les endroits publics, c'est que dans notre pays et de plus en plus partout en Europe - et je soupçonne que c'est aussi le cas au Canada - , l'idée de manipuler les lieux publics pour en tirer le maximum d'information et pour exercer le contrôle social le plus serré possible s'est vraiment répandue, au point que dans les nouveaux environnements urbains, la télévision en circuit fermé est maintenant un élément fixe intégré à l'aménagement urbain. On constate que l'interventionnisme social et la surveillance par télévision en circuit fermé sont devenus synonymes. Cela n'a rien à voir avec les lieux privés et le droit à la vie privée. Nous avons un véritable problème sur les bras, parce que la technologie devient de plus en plus envahissante dans tous les sens, tout cela sous prétexte que l'on peut faire tout ce qu'on veut puisque c'est un endroit public.

On peut en donner comme exemple le fait que dans beaucoup de villes de notre pays, les systèmes de télévision en circuit fermé sont dotés de caméras à infrarouge très puissantes. Cela permet de filmer des gens en train d'uriner dans un parc à 3 heures du matin ou de se livrer à des actes sexuels en plein milieu du parc à 3 heures du matin. Cela se fait régulièrement à King's Lynn, en Grande-Bretagne. C'est une petite ville de 30 000 habitants, perdue au fond du Norfolk, où l'on a installé de 60 à 80 caméras à infrarouge auxquelles rien n'échappe dans toute la ville. C'est devenu essentiellement un système de contrôle de la moralité publique et de l'ordre public.

Cela soulève tout un éventail d'autres questions sur le droit d'utiliser la technologie de cette façon. Il ne s'agit plus simplement d'assurer la survie en imposant la loi et l'ordre. Cela va maintenant beaucoup plus loin. Si l'on permet d'utiliser cette technologie dans les lieux publics et si l'on donne carte blanche aux compagnies et organismes qui mettent au point cette technologie, on constatera que cela deviendra extraordinairement envahissant.

Ce sera envahissant au point que l'on aura, comme c'est déjà le cas en bien des endroits en Grande-Bretagne, un système de surveillance militaire, commandé depuis une centrale, capable de tout voir, quelle que soit la lumière ambiante, grâce à des caméras à infrarouge et à téléobjectif beaucoup plus puissantes que le public peut l'imaginer.

Et puis, bien sûr, il y a la question politique. Cela pose toute la question du pouvoir, du contrôle social. Comme je l'ai dit, on ne peut plus dire simplement que l'on peut faire tout ce qu'on veut dès qu'on est dans un lieu privé. Je suis profondément inquiet au sujet de toutes ces autres ramifications.

.1220

La présidente: John.

M. Godfrey: Merci. Je voudrais entendre ce que Marc a à nous dire là-dessus, car je m'intéresse encore à cette question de l'équilibre des intérêts conflictuels, si l'on veut. Dans le cas de l'attentat à la bombe au World Trade Center, je ne suis pas certain que l'enregistrement ait été utile pour faire identifier ou condamner les coupables. Marc est-il là?

La présidente: Marc, êtes-vous là? La communication est-elle coupée?

Simon, voulez-vous prendre le relais?

M. Davies: Il a peut-être appuyé sur le bouton pour couper le son.

M. Godfrey: C'est très insultant.

Des voix: Oh, oh!

La présidente: Nous allons lui téléphoner. En attendant, Simon, peut-être pourriez-vous prendre le relais et poursuivre la conversation avec John.

M. Godfrey: Le problème, c'est que l'on ne peut tout de même pas soutenir l'argument contraire, qui, je le suppose, exclurait complètement la télévision en circuit fermé. Comment trouver le juste équilibre entre le désir légitime des propriétaires de dépanneur... Ah, voici Marc.

La présidente: Marc, nous vous avons rattrapé.

M. Godfrey: Nous vous avons à l'oeil, grâce à une caméra de surveillance.

Des voix: Oh, oh!

La présidente: Nos deux invités se trouvent dans deux villes différentes, à Londres et à Washington.

Êtes-vous branché, Marc?

M. Rotenberg: Oui, je le suis.

M. Godfrey: Je suppose que le point dont traitait Simon - et nous vous avons vu partir, soulève vraiment la question de savoir comment trouver l'équilibre entre deux objectifs contradictoires, à savoir le droit à la vie privée et un système qui apporte parfois des renseignements utiles pour arrêter les malfaiteurs.

J'ai donné l'exemple de l'attentat du World Trade Center aux États-Unis. On peut citer des dizaines d'exemples de vols dans des dépanneurs où les coupables ont été identifiés et arrêtés grâce à la caméra. Comment trouver le juste équilibre? Simon nous a fait un compte rendu très intéressant sur cette inquiétante réalité des caméras à infrarouge et autres techniques envahissantes. Que pensez-vous de tout cela?

M. Rotenberg: J'essaie d'éviter le mot «équilibre». Je dis cela parce que trop souvent, la vie privée n'est pas prise en compte dans cette équation. À en juger par les exemples que vous donnez de l'utilisation de la télévision en circuit fermé, comme aux États-Unis, où on l'invoque pour justifier l'écoute électronique, tout cela crée presque un environnement où l'on a carte blanche, à cause d'un ou deux exemples où la technologie a aidé à assurer la sécurité publique. On invoque cela pour dire que l'on peut difficilement limiter ou ralentir le déploiement de la technologie. Je trouve que c'est une approche très dangereuse.

Le recours à ces technologies comporte beaucoup de risques qui sont souvent passés sous silence. Je sais, par exemple, pour avoir vu un reportage sur la télévision en circuit fermé, que cela permet bien sûr au service de police de contrôler une bonne part des activités personnelles.

Quand on a vu de près le fonctionnement d'un système de ce genre, comme je l'ai fait moi-même, cela peut changer la perception que l'on peut avoir des capacités réelles de cette technologie. Ces caméras ne se contentent pas de balayer la foule. Si l'on identifie dans la foule une personne que l'on voudrait suivre, la caméra peut opérer un gros plan sur cette personne et la suivre dans ses déplacements. Je pense que cela va beaucoup plus loin que ce que la plupart des gens s'imaginent.

Le droit à la vie privée est menacé de façon critique. Il y a toujours des intérêts contradictoires. Il peut s'agir de la sécurité publique ou encore de l'intérêt économique. Pour le moment, je crois que nous n'avons pas encore accordé suffisamment de poids à l'intérêt de la vie privée. Ma solution est de s'efforcer, dans la mesure du possible, de protéger la vie privée sans pour autant sacrifier la sécurité publique ou l'intérêt économique.

M. Davies: Pourrais-je ajouter quelque chose? J'ai expliqué tout à l'heure que la technologie peut aller très loin si l'on n'y met aucune contrainte. L'étape suivante à laquelle nous serons confrontés, c'est la reconnaissance faciale informatisée. Cette technique en est encore à ses balbutiements, mais avec l'aménagement urbain approprié... Vous vous rappellerez que j'ai parlé d'un aménagement urbain doté d'un système de télévision en circuit fermé et d'une lumière ambiante contrôlée, ce qui permet de mettre en oeuvre un système de reconnaissance faciale informatisé.

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Un ordinateur divise l'image d'un visage en un certain nombre de pixels et d'éléments caractéristiques; à partir des ombres et des reflets d'un visage, on peut créer une image chiffrée, ou encore un chiffre identifiant un visage. Ce chiffre est emmagasiné dans une mémoire d'ordinateur et dès que le même visage est balayé pour la deuxième fois, l'ordinateur va chercher le chiffre correspondant dans la base de données.

Si on ne fait pas attention, on se retrouve dans un dilemme, car le tout peut être automatisé de manière que l'on ne se contente plus d'identifier des visages, mais que l'on peut par exemple surveiller une foule en analysant en continu la densité, le comportement, la vitesse de déplacement de la foule. Si l'on ajoute la reconnaissance des visages, on obtient une foule de possibilités qui empiètent davantage sur la vie privée.

M. Godfrey: J'allais justement poser la question: le principe est-il fondamentalement différent, par rapport à une surveillance exercée par un type armé de jumelles et perché sur un toit qui surveille les gens en bas sur la place, ou encore par un policier ou une personne quelconque qui décide de surveiller de près quelqu'un qui circule dans un lieu public? La différence, assurément, est une question d'efficacité, mais le principe n'est pas fondamentalement différent. Dans un cas comme dans l'autre, la personne est observée parce qu'elle se trouve dans un lieu public.

M. Rotenberg: Je crois qu'il y a une différence importante. Comme David Flaherty l'a écrit, ces systèmes permettent d'exercer une surveillance automatique et continue. Les immeubles, l'infrastructure, les techniques, tout est conçu pour exercer une surveillance générale de l'ensemble de la population, sans se demander s'il y a des raisons de croire qu'une personne en particulier se livre à des activités criminelles. Étant moi-même professeur de droit à temps partiel, j'y vois une négation complète de la prémisse voulant que chacun jouisse de la présomption d'innocence et de l'entière liberté tant qu'il n'y a pas de preuve permettant de croire qu'un geste criminel a été posé.

Dans les exemples que vous avez décrits, que ce soient les jumelles ou une enquête policière, il y a des circonstances qui font surgir des soupçons graves. Par contre, ces techniques permettant d'éplucher toutes les transactions financières ou de surveiller tout le monde par la télévision en circuit fermé traitent les citoyens comme des criminels en puissance et je crois que c'est tout à fait contraire au fondement même de la démocratie constitutionnelle.

La présidente: Que répondez-vous à cela, John?

M. Godfrey: J'ai bien dit que c'était une question hypothétique, visant à provoquer et à obtenir de bonnes réponses, et tel est le résultat obtenu. Je ne suis pas enclin à la paranoïa, mais je dois dire que quand vous présentez les choses sous cet angle, je trouve que c'est très convaincant. Cela inverse le fardeau de la preuve, en un sens.

Je pense que mon collègue Andy veut poursuivre.

La présidente: Oui, Andy, allez-y.

M. Scott: Merci beaucoup. Je voudrais poursuivre dans la même veine. Peut-être que ce n'est pas l'action elle-même qui fait problème, mais plutôt l'efficacité de cette action.

Mon collègue John a évoqué la surveillance exercée par quelqu'un avec des jumelles. Au départ, c'est raisonnablement comparable, mais quand on en arrive au point où on peut le faire avec une efficacité redoutable, c'est là que tout à coup...

C'est un peu la même chose pour la collecte de renseignements. Avant de pouvoir utiliser l'information ainsi recueillie de façon commerciale, peut-être la même information était-elle disponible dans le passé, mais nous n'avions tout simplement pas les outils voulus pour l'organiser et nous en servir de façon utile. On peut donc croire que ce n'est pas le geste lui-même, mais plutôt la technologie que l'on déploie qui constitue un problème.

En fait, je crois que l'un de nos invités a dit tout à l'heure que l'une des quatre tendances est la convergence des technologies. Le type avec des jumelles ne peut pas se brancher sur un ordinateur pour connaître automatiquement mon numéro d'assurance sociale quand il me regarde à travers ses jumelles. Mais cette capacité a été évoquée; on peut maintenant balayer mon visage avec un ordinateur et on obtient cette information. Donc, pris isolément, chacun de ces actes n'est pas nécessairement troublant, mais c'est la capacité de compiler tout cela qui pose un problème.

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La question est alors celle-ci: si vous étiez à notre place et deviez vous attaquer à ce problème, que feriez-vous, sinon peut-être remettre un rapport au Parlement pour dire que nous sommes épouvantés... Je ne sais pas trop d'ailleurs ce que nous allons dire.

Je me dis que peut-être la meilleure chose que l'on puisse faire, c'est de dresser une sorte d'inventaire de tout ce qui nous épouvante, d'attirer l'attention du public là-dessus; ou peut-être pourrions-nous mettre l'accent sur un aspect précis pour le porter à l'attention du public, mais aussi pour le décortiquer comme l'un des éléments du problème. On a laissé entendre mardi que les tests génétiques et leurs répercussions sur la vie privée...

La présidente: L'alcoolisme.

M. Scott: Oui, la drogue et l'alcool. C'est peut-être là-dessus que nous devrions faire porter nos efforts. L'un de vous deux voudrait-il s'avancer à nous donner des conseils, en sus de ce que vous nous avez déjà dit, quant à savoir à quoi nous devrions nous attaquer, ou bien aimeriez-vous nous aider à résoudre le dilemme dans lequel nous serons dès que la télé sera fermée, quant à savoir comment composer avec notre épouvante et passer aux actes?

La présidente: Comme vous pouvez le voir, messieurs, ce ne sera pas une tâche facile. Nous avons autour de cette table des colosses intellectuels qui posent des questions très troublantes et qui changent la question en cours de route. Mais allez-y.

M. Davies: Je voudrais dire deux choses, très brièvement. La première fait suite à l'observation que Marc a faite, à savoir qu'il faut établir de solides bases intellectuelles. Il est vrai que le recours à ces technologies est l'équivalent de l'imposition d'un mandat général s'appliquant à toute la population. C'est sous cet angle qu'il faut voir les choses; c'est très important, et Marc a décrit la situation de façon saisissante. Mais l'affaire ne se limite pas à cette extraordinaire tendance à la convergence des technologies et à la puissance des techniques utilisées. Il y a autre chose aussi.

Je ne m'en rappelle pas personnellement, pour des raisons évidentes, mais autour des années 1840, à Londres, quand on a proposé de créer un service de détectives, il y a eu tout un tollé public, non pas parce que ces agents étaient plus puissants que les simples policiers qui patrouillaient les rues, mais parce qu'ils agissaient dans le plus grand secret, parce qu'ils étaient invisibles et n'avaient de comptes à rendre à personne. C'est vraiment important et le droit européen a intégré ce principe. Le droit européen exige la transparence, et cette transparence offre une petite garantie qu'au moins les gens verront ce qui se passe. Malheureusement, ils doivent parfois faire beaucoup d'efforts pour ce faire.

Il y a un deuxième élément du droit européen qui est très intéressant, à savoir qu'aucune décision à propos d'une personne ne peut être prise purement en fonction d'un processus automatisé. Ce n'est pas simplement une forme de luddisme. C'est parce que les gens, fondamentalement, tiennent à conserver l'élément humain. Ils veulent s'assurer que toute décision touchant la vie d'une personne sera prise par des êtres humains qui exercent leur jugement. Cela nous ramène à la personne qui surveille avec des jumelles.

Quant à savoir comment vous devez vous attaquer à ce problème, je suppose qu'il est tentant de s'attarder à une question précise et que beaucoup d'enquêtes de ce genre ont tenté de le faire. N'est-il pas possible de retourner la proposition? Si l'on sait que des dizaines de questions sont examinées à tout moment par de nombreuses personnes de différentes façons, n'est-il pas possible de se demander globalement comment la vie privée a subi une érosion au point de disparaître presque complètement? Autrement dit, demandez-vous, bon, qu'est-ce qui reste de privé de nos jours? Que reste-t-il en fait d'autonomie? Vous pourriez faire cela au lieu de procéder dans l'autre sens, c'est-à-dire d'examiner telle ou telle technique particulière.

Je commence à désespérer. Il y a maintenant tellement de techniques et tellement de questions sectorielles qu'il est presque impossible d'aborder cela sous cet angle.

Je ne sais trop que vous dire, je réfléchis tout haut.

La présidente: Puisqu'il est question de transparence, de droits individuels, etc., si l'on m'avise à l'avance de l'existence de cette technologie, qui ne cesse de changer et d'évoluer, depuis le micro-processeur jusqu'aux multiples applications, si je sais que les renseignements que vous obtenez à mon sujet serviront à d'autres fins et si je vous fais savoir que vous pouvez vous en servir pour telle ou telle raison, mais pas pour telle autre, ou bien que vous pouvez l'utiliser ou bien que vous ne pouvez pas...

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J'en reviens à la question que je vous ai posée, parce que je ne crois pas que l'on devrait pouvoir agir rétroactivement. Je pense qu'il faut être averti et qu'il faut savoir ce que l'on fait. Si j'avais su que la carte de déclaration de douanes que j'ai remplie permettrait de m'identifier comme une voleuse ou comme quelqu'un qui s'est dérobé à ses obligations ou quoi que ce soit, je l'aurais remplie en sachant pertinemment que le gouvernement aurait ainsi le moyen de me retrouver et de connaître mes allées et venues. Mais si je le sais à l'avance, c'est un processus transparent auquel je participe. Le gouvernement a pris position et a rendu tout cela public. Mais si cela n'est pas public, alors c'est qu'on me surveille et qu'on m'espionne, comme dans les romans policiers.

Voilà comment je vois les choses. Je me demande si vous les voyez sous le même angle, ou bien si c'est trop élémentaire, trop simpliste.

M. Davies: Non, ce n'est certainement pas simpliste. Il y a un problème, n'est-ce pas? La perception du public est que, ma foi, ils savent tout de toute façon; il n'y a aucun espoir; tout ce que je fais laisse des traces qui permettront de me retrouver. On dirait que les gens sont résignés, surtout dans les organisations du secteur public. Les gens baissent les bras et acceptent simplement que leur droit à la vie privée n'existe plus. Je soupçonne fortement que, compte tenu de tout ce que l'on a vu dans le secteur privé, les cartes de clients fidèles, les programmes de primes pour les voyages aériens, etc., les gens supposent maintenant qu'il existe des liens entre un système et un autre, même là où il n'y a aucun lien.

Mais je voudrais revenir à ce que Marc a dit tout à l'heure au sujet de la lourde responsabilité de continuer à encadrer tout cela. C'est vraiment une énorme responsabilité et je pense que la plupart des gens sont beaucoup trop occupés pour s'y intéresser vraiment. C'est pourquoi le thème de la transparence devra peut-être être porté à un niveau beaucoup plus large et plus ésotérique, au lieu d'exiger de chacun qu'il surveille chaque transaction.

La présidente: Dès que je coche une petite case par laquelle je consens à ce que l'on sache ce que j'ai fait et ce que j'ai acheté, cela correspond-il à ce que vous avez en tête? Cela veut dire que j'ai été consultée et que j'ai donc le droit...

C'est comme la liste électorale que nous allons préparer. Nous dressons une liste électorale universelle de tous les citoyens du Canada. Cette liste sera riche de renseignements. Nous avons discuté avec le commissaire à la protection de la vie privée et il a été établi que l'on n'y mettra que les renseignements que l'on a besoin de connaître. Cela veut dire que l'on ne pourra plus nous demander notre numéro de téléphone, parce que ce n'est pas nécessaire. L'État a seulement besoin de savoir que nous existons, que nous sommes en vie, que nous respirons, et que nous sommes citoyens canadiens. Cela suffit pour être sur la liste des électeurs. Quiconque ne veut pas figurer sur la liste des électeurs a le droit de refuser.

J'ai perdu le fil de ma question.

M. Davies: La liste des électeurs est une intéressante question fondamentale.

La présidente: Je parlais plutôt de la fiche de déclaration des douanes que je remplissais.

M. Davies: Oui, mais ma réflexion est plus générale. Dans la plupart des pays, on a traditionnellement recueilli le plus de renseignements possible, poussé par la volonté de ne rater aucune occasion. Vous avez évoqué une case que vous cochez; très souvent, habituellement en fait, il faut cocher pour se retirer du programme. Autrement dit, à moins de cocher la case en question, votre nom sera inclus dans toutes les listes. Dans le monde entier, c'est l'attitude que l'on adopte dans les milieux commerciaux.

Malheureusement, on a affaire, notamment en Grande-Bretagne, à cette tactique vraiment dégueulasse qui consiste à camoufler la case de refus par un agencement de couleurs bizarres. Si, par exemple, vous voulez faire suivre votre courrier d'une adresse à l'autre, vous devez remplir un beau petit formulaire bleu moucheté. Je cherchais la case à cocher pour empêcher mon courrier d'être dirigé dans le circuit commercial. Je suis myope, mais il m'a fallu une trentaine de secondes pour trouver la case. Elle ne ressort pas du tout; tout a été conçu pour qu'elle s'estompe dans le bleu.

Voilà le genre de tactiques qu'il faut dénoncer publiquement et il faut en humilier les auteurs. C'est pourquoi il faut peut-être, dans tout ce débat, inverser la proposition en passant du «retrait» à l'«adhésion». Autrement dit, c'est vous qui décidez à quoi les données personnelles pourront servir; cette décision, ce n'est pas quelqu'un d'autre qui la prend à votre place.

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J'ai digressé quelque peu.

La présidente: Marc, voulez-vous répondre à Andy, qui se disait épouvanté, ou bien était-ce plutôt John?

M. Rotenberg: Oui, je veux répondre directement en faisant une ou deux suggestions, si je peux me le permettre, sur le travail de votre comité. Quand on s'attaque au dossier de la vie privée, il arrive souvent que l'on se sente submergé et que l'on se demande s'il y a quoi que ce soit à faire; on se met à jeter des coups d'oeil furtifs par-dessus l'épaule et l'on devient un peu plus paranoïaque après avoir commencé à étudier la question. J'espère que ce ne sera pas votre cas. Je crois que la meilleure façon de réagir, c'est d'abord de comprendre, autant sous l'angle national canadien que dans une perspective internationale, que la vie privée est un droit établi de longue date.

Comme vous l'avez dit au départ, la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de même que de nombreuses décisions judiciaires et lois canadiennes affirment ce droit. Je pense qu'il est très important, avant même de faire des recommandations, d'établir que vous êtes en terrain solide. Ce n'est nullement être radical ou utopique que de croire qu'il faut protéger ce droit.

Ensuite, il faut identifier les domaines de préoccupation, ce que vous pouvez faire dans un rapport. Beaucoup de témoins experts comparaîtront devant vous et vous feront de nombreuses recommandations. Il peut y avoir des questions qui sont importantes mais que vous n'aurez pas le temps d'aborder, faute de temps ou de ressources. Néanmoins, vous pouvez les mentionner dans votre rapport, faire quelques recommandations préliminaires ou suggestions, et laisser à un autre comité la tâche de les approfondir plus tard.

La partie essentielle est bien sûr la troisième partie du rapport, dans laquelle vous précisez les domaines dans lesquels il est à votre avis possible d'intervenir de façon concrète. Vous pouvez y faire des recommandations sur des changements législatifs, sur les pratiques commerciales, la technologie, l'information du public, peut-être par des conférences ou la publication de brochures. Vous pouvez même proposer plusieurs projets précis en vue d'atteindre un objectif déterminé. À mon avis, c'est absolument essentiel. Franchement, il s'est fait tellement de bon travail au Canada ces dernières années que vous trouverez, j'en suis certain, beaucoup d'informations pertinentes et utiles.

L'autre façon de procéder, c'est-à-dire d'être submergé, ou de dire que c'est trop vaste, ou bien de se restreindre à un tout petit élément sans comprendre l'ensemble, n'est peut-être pas aussi productive. C'est un domaine qui a déjà été beaucoup étudié et qui le sera bien davantage. À bien des égards, la question des droits de la personne va vraiment au coeur du problème de la vie privée; c'est autour de cela que tourne la plus grande partie du débat.

La présidente: Merci. Chers collègues, avez-vous quelque chose à ajouter? Oui, John.

M. Godfrey: Je viens de résoudre le problème de la télévision en circuit fermé, la question de la transparence et de ce que les gens doivent savoir. Il suffit de légiférer pour que toutes les caméras dans les lieux publics soient dotées d'un feu rouge clignotant; ainsi, chacun saurait, même quelqu'un qui se trouve dans un parc au mauvais moment avec la mauvaise personne, que quelqu'un le surveille.

Il y aurait tout un fourmillement de points rouges clignotants et les gens seraient épouvantés. C'est une pensée qui vient de me venir.

La présidente: Donc, essentiellement, si je vous ai bien compris, ce qui ressort de tout cela, c'est que l'on réaffirme que la vie privée est un droit fondamental de la personne fondé sur la valeur de l'individu; deuxièmement, il y a un domaine immense à défricher et il est impossible de tout faire d'un seul coup. Nous devons déblayer le terrain, établir les bases philosophiques, dresser une sorte de toile de fond, après quoi nous pourrons cheminer...

[Français]

Est-ce bien ce que vous avez?

[Traduction]

S'il n'y a pas d'autres questions, il ne me reste qu'à vous remercier. Je sais que vous nous avez donné un numéro de site Web et nous allons consulter ce site sur Internet. Nous allons lire beaucoup de documents, écouter beaucoup de gens et en apprendre énormément. Il se peut fort bien que nous fassions de nouveau appel à vous. S'il y a quoi que ce soit que nous ayons oublié ou s'il y a des conseils dont vous auriez omis de nous faire part, nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous les faire parvenir.

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Chers collègues, cela met donc fin à notre réunion.

Je vous remercie beaucoup, Simon et Marc, de nous avoir consacré de votre temps pour tenir cette deuxième passionnante vidéoconférence. Votre témoignage sera diffusé sur le réseau CPAC; ce sera la première étape pour informer le public sur notre travail. J'espère que les gens écouteront et qu'ils partageront votre colère et votre passion pour ce sujet que vous nous avez aidés à cerner.

Merci beaucoup. Au revoir.

La séance est levée.

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