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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le vendredi 14 mars 1997

.0916

[Français]

La présidente (Mme Sheila Finestone (Mont-Royal, Lib.)): Bonjour tout le monde. Welcome to everyone. Je m'appelle Sheila Finestone et je suis présidente du Comité permanent des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes et députée de Mont-Royal.

[Traduction]

C'est la dernière de nos six consultations dans les provinces. Nous sommes allés à Vancouver, à Calgary, à Toronto et nous étions hier à Fredericton. Nous sommes ici aujourd'hui pour terminer ce dialogue officiel sur les incidences des compétences fédérales et provinciales en ce qui concerne la protection des renseignements personnels et le droit individuel à la vie privée.

Pour étudier le droit à la vie privée en cette époque de haute technologie, c'est avec enthousiasme que nous sommes de retour en cette belle ville de Montréal.

[Français]

Je vous remercie tous et toutes d'être parmi nous aujourd'hui. Tout au long de nos échanges aux tables rondes à Ottawa pendant l'automne, durant les mois de septembre, octobre et novembre, nous avons reçu des personnes de toutes les couches de la société. Nous avons reçu des gens qui avaient de l'expertise dans les divers secteurs de notre société. Étant donné tout ce qu'on a entendu et lu au sujet des nouvelles technologies de l'information, le comité a décidé de s'intéresser à leurs répercussions sur la vie personnelle des individus, la protection de la vie privée et les droits de la personne.

C'est intéressant parce qu'ici, au Québec, on est en train d'examiner la question de la carte à puce. Cela entre dans les discussions qu'on a entendues sur les sujets qui nous touchent très personnellement. C'est important et je trouve que c'est un moment propice pour examiner cela à la loupe.

[Traduction]

Le comité permanent de la Chambre a adopté une structure différente. Normalement, les témoins sont autour de la table pour présenter leurs exposés. Mais nous avons jugé, compte tenu de l'importance du sujet, qu'il était préférable que chacun puisse se prononcer de façon informelle sur toutes ces questions qui nous touchent à titre tout à fait personnel.

[Français]

La façon de procéder de notre comité est un peu différente. Il est important de tâter le pouls des gens et de connaître quelles sont les valeurs qu'on veut protéger en tant qu'individus, quelles sont les valeurs pancanadiennes nationales sur les questions qui touchent notre vie personnelle, notre âme, notre comportement et nos valeurs.

Les formes envahissantes et changeantes que prend aujourd'hui la technologie nous poussent à nous poser les questions suivantes. Qui me surveille? Qui sait quoi à mon sujet? Dans quelle mesure a-t-on besoin de savoir? Où se situe le point d'équilibre entre les nécessités d'ordre social et économique comme la prévention du crime et de la fraude, les soins de santé et services et les pratiques commerciales, et notre droit de protéger notre vie privée?

.0920

Où est l'équilibre? Cette étude ne pourrait pas mieux tomber, selon moi et le comité, compte tenu des actualités des dernières semaines: le clonage de Dolly, le bébé écossais, les enfants créés accidentellement en Belgique, l'étude de l'Assemblée nationale du Québec sur les cartes à puce et la prétendue vente de renseignements personnels par des fonctionnaires.

On a appris que des fonctionnaires vendaient sur le marché noir des renseignements médicaux, fiscaux et autres pour des sommes variant de 25 $ à 120 $. Y a-t-il des amendes? Comment procède-t-on? Une fois qu'elle est dévoilée, comment peut-on récupérer cette information?

Ce sont des points d'interrogation et c'est intéressant, parce qu'il y avait des coupures de journaux, non seulement dans La Presse ici à Montréal, mais aussi dans le Globe and Mail. À Vancouver, il y avait toute une série de questions sur l'installation de cliniques d'information, un système qui va faire épargner aux hôpitaux 20 millions de dollars. Mais il n'y avait aucune mention d'un protocole de protection de la vie privée.

[Traduction]

Il existe un système étranger très efficace appelé SAMUS, qui est utilisé par B.C. Tel. Il va permettre d'économiser 20 milliards de dollars. C'est très important pour cet hôpital et pour l'ensemble du secteur des services de santé, mais qu'en résulte-t-il pour la vie privée et pour le protocole de protection des renseignements personnels?

Voilà une question qu'on pourra poser au commissaire à la protection de la vie privée du Québec, qui doit arriver d'un instant à l'autre. Que faire de ceux qui portent atteinte à la vie privée des individus et qui vendent ce genre de renseignements? À ce propos, la séance de Vancouver a été très intéressante. Le premier document que nous avons vu était un enregistrement vidéo sur les photos radar.

[Français]

On parlait de la façon de nous protéger à l'égard des vidéos. Je ne sais pas s'ils savaient qu'on venait, mais c'était l'information du jour.

[Traduction]

Il y a eu aussi un article qui devrait tous nous intéresser, dans le quotidien The Gazette. On y parlait d'un professeur d'histoire qui a constaté qu'il pouvait remonter 9 000 ans dans les origines de sa famille, jusqu'à l'homme de Cheddar qui se trouve dans un musée de Londres. On a réussi à retracer l'histoire de cette famille grâce à l'ADN.

[Français]

Cela veut dire qu'il est important qu'on s'y retrouve dans notre évaluation de l'ADN. Si on peut nous retrouver 9 000 ans plus tard, a-t-on le droit de l'examiner de plus près? Doit-on examiner de plus près une certaine protection? Je ne le sais pas, mais on va voir ce que vous en pensez. C'est important, je crois.

[Traduction]

Le droit à la vie privée, comme nous le savons tous, ne vient pas d'une source unique. Il procède du droit international, du droit constitutionnel, de la législation fédérale et provinciale, de la jurisprudence, ainsi que des codes et lignes directrices déontologiques. C'est ce qui s'appelle la «courtepointe du droit à la vie privée».

Au niveau international, plusieurs documents importants sur les droits de la personne comportent des garanties concernant le droit à la vie privée. C'est ce que j'appelle la «Magna Carta de l'humanité». L'un de ces documents est la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, qui compte un Canadien parmi ses auteurs. Je suis très heureux de signaler que John Humphrey a vécu à Montréal, dans ma circonscription. D'après Andy Scott, il serait né au Nouveau-Brunswick; il a donc tout naturellement sa place dans notre monde bilingue et multiculturel. Parmi ces documents figure aussi le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, dont le Canada est l'un des signataires.

[Français]

Il n'existe pas actuellement au Canada de dispositif complet de protection de la vie privée. Le Québec est le seul endroit en Amérique du Nord où les pratiques du secteur privé en matière de renseignements personnels sont convenablement réglementées. En Europe, par exemple, le principe de l'information équitable de l'Union européenne et des pays de l'OCDE s'applique à tous les renseignements personnels, quel que soit leur support ou la forme dans laquelle ils sont accessibles, qu'ils soient recueillis, détenus, utilisés ou distribués par d'autres personnes. En Europe, tout le monde a le droit au respect de la vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

.0925

Il n'y a pas de droits semblables au Canada, bien que les articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui énoncent les garanties juridiques quant au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, ainsi qu'à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies, aient été interprétés par les tribunaux comme s'appliquant à la vie privée. L'exception est le Québec.

[Traduction]

Cependant, il convient de remarquer que les ministères fédéraux de la Justice et de l'Industrie préparent actuellement une structure législative concernant la protection des données, qui devrait être prête d'ici l'an 2000. Cette structure devrait comprendre le code des usages déontologiques de l'Association canadienne de normalisation.

On devrait publier prochainement un document de consultation et j'espère que vous allez demander à le recevoir, que vous y réagirez et que vous le considérerez dans le contexte du respect des droits de la personne et des droits à la vie privée.

La notion de protection de la vie privée correspond à un droit individuel de portée très vaste qui, à mon sens, est désormais reconnu dans le monde entier. C'est un droit très vaste et très ambitieux. C'est un concept universel et pourtant, ce n'est pas un droit inaliénable.

[Français]

Certains experts le définissent comme le droit de disposer d'un espace à soi, d'effectuer des communications privées, de ne pas être surveillé et d'être respecté dans l'intégrité de son corps. Pour le citoyen ordinaire, c'est une question de pouvoir, le pouvoir que chacun exerce sur les renseignements personnels qui le concernent. C'est aussi le droit de demeurer anonyme.

C'est un droit bien fondamental, et la question qui se pose est donc la suivante: quelle est la valeur de la vie privée dans notre société de haute technologie? Il ne fait aucun doute que les nouvelles technologies comportent de grands avantages pour nous tous. Oui, il y a des choses qui sont importantes et qui sont meilleures à cause de cela, mais jusqu'à quel point ces avantages ont-ils pour prix notre vie privée? Ce prix est-il trop élevé? Les compromis sont-ils inévitables?

[Traduction]

Où faut-il fixer la limite? La vie privée est une ressource précieuse. Une fois qu'elle a subi une atteinte, qu'elle soit intentionnelle ou fortuite, et même si on n'en a pas mesuré les conséquences, il est impossible de la rétablir.

[Français]

En tant que membres du Comité permanent des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées, nous adoptons résolument l'angle de l'approche des droits de la personne pour mesurer les effets négatifs ou positifs des nouvelles technologies sur notre droit à la vie privée.

[Traduction]

Les Canadiens n'ont jamais approuvé les intrusions indiscrètes ni les tables d'écoute non autorisées, et c'est ce que traduit notre droit criminel. Est-ce que cette désapprobation s'étend, par exemple, aux caméras vidéo dissimulées sur le lieu de travail, aux banques de données ADN et aux cartes d'identité pour tous les citoyens?

Nous vous avons demandé de venir ici parce que nous avons organisé une série de tables rondes informelles pour prendre le pouls de l'opinion publique canadienne, pour prendre connaissance de l'opinion et des valeurs des Canadiens de façon à pouvoir proposer en toute connaissance de cause une orientation aux ministres du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires sur ces questions.

[Français]

Le comité est conscient que le champ d'analyse de la question de la vie privée et des nouvelles technologies est vaste. C'est pourquoi il a décidé de concentrer son enquête sur ces trois types d'intervention et d'intrusion. Mme Valerie Steeves va nous présenter les éléments sur lesquels on va porter notre attention aujourd'hui. Nous espérons utiliser ces études de cas pour sensibiliser le public aux enjeux.

.0930

Les délibérations du comité sont télévisées. On est sur CPAC et on invite la population du Canada à regarder ces émissions, qui vont commencer ce dimanche. Les tables rondes seront aussi diffusées sur les ondes. Tous ceux qui les regarderont sont invités à déposer leur point de vue auprès de notre greffier. On va essayer de présenter à la Chambre des communes un portrait de la vision des valeurs des Canadiens et des Canadiennes à cet égard. Quand en a-t-on assez? Jusqu'à quel point veut-on que l'État et le secteur privé puissent aller sur cette question? Jusqu'où devons-nous être protégés?

[Traduction]

Nous n'allons pas résoudre tous les problèmes, mais du moins, nous allons écouter ce que vous avez à dire.

Valerie, je voudrais vous demander

[Français]

de nous diriger. Mais avant que nous entreprenions ces démarches, j'aimerais vous présenter M. Wayne Cole, notre greffier; M. Roger Préfontaine, notre greffier adjoint; M. Bill Young, notre recherchiste, qui est analyste à la Bibliothèque du Parlement; et Jean-Yves Durocher, notre conseiller en médias.

Quant aux membres du comité, députés à la Chambre des communes, ils vont se présenter eux-mêmes.

M. Andy Scott (Fredericton - York - Sunbury, Lib.): Je m'appelle Andy Scott et je suis député de Fredericton - York - Sunbury, au Nouveau-Brunswick, et vice-président du comité.

[Traduction]

M. Sarkis Assadourian (Don Valley-Nord, Lib.): Je suis Sarkis Assadourian, député de Don Valley-Nord, à Toronto.

Mme Jean Augustine (Etobicoke - Lakeshore, Lib.): Je suis Jean Augustine, députée d'Etobicoke - Lakeshore.

[Français]

M. John Godfrey (Don Valley-Ouest, Lib.): Je m'appelle John Godfrey et je suis député de Don Valley-Ouest, à Toronto, ville où a vécu et travaillé longtemps John Humphrey.

La présidente: Voilà un homme qui a vraiment partagé sa vie, n'est-ce pas?

M. Maurice Bernier (Mégantic - Compton - Stanstead, BQ): Je m'appelle Maurice Bernier et je suis député de Mégantic - Compton - Stanstead et vice-président du comité. Quand j'entends Mme Finestone nous rappeler l'histoire du type qui s'est trouvé une parenté il y a 9 000 ans, je me dis que, pour un historien, il est intéressant de penser qu'on pourrait être découverts et reconnus dans 9 000 ans. Cependant, les politiciens que nous sommes souhaitent être découverts au cours des neuf prochaines semaines qui vont nous mener à l'élection.

Cela étant dit, je vous souhaite une excellente journée.

La présidente: Merci, Maurice. Vous êtes toujours de bonne humeur et faites des remarques intéressantes.

Valerie, s'il vous plaît.

[Traduction]

Mme Valerie Steeves (animatrice pour le comité): Merci, madame Finestone.

[Français]

La présidente: Excusez-moi. Valerie Steeves est professeure de droit à l'Université d'Ottawa. Elle dirige le Projet sur la technologie et les droits de la personne à l'Université d'Ottawa.

Mme Steeves: Afin de situer nos discussions dans un contexte social et personnel, le comité vous présente trois études de cas portant sur la surveillance vidéo, le dépistage génétique et les cartes à puce.

Comme vous le savez, ces histoires ont pour objet d'illustrer à la fois les avantages et les inconvénients de ces nouvelles technologies. Nous espérons qu'en discutant de l'impact qu'elles ont sur la vie des personnes, nous aurons une meilleure idée de ce que signifie le respect de la vie privée pour les Canadiens et les Canadiennes et de la façon dont nous, la société, pourrons faire la part des choses entre les avantages qu'offrent les nouvelles technologies et le maintien de nos valeurs sociales fondamentales, notamment l'importance que nous accordons à la vie privée.

[Traduction]

Les participants de la séance d'aujourd'hui représentent un vaste secteur de la société canadienne. Dans les différentes régions du pays, nous avons accueilli des représentants de groupes de revendication, de banques et de compagnies d'assurances, d'associations d'affaires, de sociétés d'État et d'organismes de personnes handicapées. Nous avons reçu des enseignants, des fonctionnaires, des chercheurs généticiens, des professionnels de la santé, des groupes de défense des droits de la personne, des organismes multiculturels, des syndicats, des policiers, des avocats, des journalistes, des sociétés de technologie, des compagnies de télécommunications, des câblodiffuseurs et vous.

.0935

[Français]

Pour mieux examiner les diverses perspectives qui s'offrent à nous, nous commencerons par discuter des études de cas en petits groupes. Chaque petit groupe sera animé par des spécialistes du droit à la vie privée et comprendra au moins un membre du comité.

Une fois les études de cas examinées, nous nous retrouverons en séance plénière pour discuter des questions qui ont été soulevées. Pour amorcer la discussion plénière, nous demanderons aux membres du comité de résumer les principaux points soulevés dans leurs groupes respectifs. Nous donnerons ensuite l'occasion aux animateurs de groupes d'ajouter leurs propres observations et préoccupations, et nous ouvrirons le débat à toute l'assemblée.

[Traduction]

Nous souhaitons un échange de points de vue spontané et ouvert entre vous, les participants, les experts et les membres du comité sur la signification de la vie privée à l'ère technologique.

Je suis heureuse de vous présenter les quatre personnes qui vont animer les discussions de groupe.

[Français]

Marie-Claude Prémont est professeure adjointe à la Faculté de droit de l'Université McGill, avocate et ingénieure chimiste. Elle a consulté, dans le cadre d'une collaboration internationale entre la Commission européenne et le Canada, l'utilisation de la carte à puce dans les systèmes de santé. Elle collabore avec le Centre de recherche informatique et du droit de Namur, en Belgique, et consulte pour la province de Québec en ce qui a trait aux banques de données gouvernementales.

Pierrôt Péladeau est actuellement chercheur invité à l'Institut de recherche clinique de Montréal. À ce titre, il collabore à des projets de recherche sur les problèmes éthiques, juridiques et sociaux soulevés par l'utilisation de l'information génétique. Il est aussi vice-président, recherche et développement, chez Progesta Communications Inc., une firme spécialisée en gestion de l'information personnelle qui a notamment aidé plus de 500 organisations à implanter des programmes de protection des renseignements personnels. Il est aussi rédacteur en chef de Privacy Files, une revue professionnelle spécialisée sur toutes les questions soulevées par l'utilisation de renseignements personnels.

[Traduction]

Lewis Eisen est avocat et expert-conseil en informatique; il forme les avocats à l'utilisation d'Internet au Canada et aux États-Unis. Il est l'auteur du Canadian Lawyer's Internet Guide et préside la Canadian Society for the Advancement of Legal Technology.

[Français]

Marie Vallée est analyste sur les questions de politique, de réglementation, de télécommunication, de protection des renseignements personnels et d'autoroute de l'information. Elle travaille à la Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec depuis plus de six ans. Elle est très active quant aux questions de protection des renseignements personnels. Entre autres, elle a participé à la consultation qui a mené à l'adoption de la Loi 68 au Québec. Elle est membre du comité technique de la CSA qui a élaboré le code-type de protection des renseignements personnels. Elle représente les consommateurs devant le CRTC sur les questions de télécommunications.

[Traduction]

Vous avez remarqué que vos macarons comportent un code de couleurs, qui va nous servir à former les groupes de discussion aujourd'hui. Si vous avez un macaron bleu, vous allez rejoindre Marie Vallée et Lewis Eisen. Si vous avez un macaron jaune ou vert, vous allez rencontrer Pierre Péladeau et Marie-Claude Prémont.

Lorsque vous allez rejoindre votre groupe dans un instant, votre animateur va commencer par vous demander dans quel ordre vous voulez aborder les trois études de cas. Ces discussions doivent être assez courtes; les études de cas ne sont qu'un point de départ. Vous pouvez consacrer le temps que vous voulez à chacune d'entre elles, et je vous invite à bien saisir les rapports qui existent entre les trois, pour bien exprimer vos préoccupations concernant les incidences des nouvelles technologies sur votre conception de la vie privée.

.0940

Nous nous retrouverons pour la discussion ouverte à partir de 11 heures. Mais avant de nous répartir en petits groupes, Mme Finestone va prononcer la suspension de la séance officielle. Après cela, si nous réussissons à former rapidement les groupes, nous aurons davantage de temps pour les discussions.

Merci beaucoup.

La présidente: Merci, Valerie.

Normalement, chacun d'entre vous devrait présenter un exposé, ou vous devriez exposer vos points de vue, sous forme d'exposé individuel. J'espère que cette nouvelle formule, que nous expérimentons aujourd'hui, vous intéressera. Elle devrait être profitable à tout le monde.

Merci beaucoup. La séance est suspendue jusqu'à nouvelle convocation de la présidence.

.0941

.1114

La présidente: Je vois que nous avons quorum. La séance peut reprendre.

Nous avons eu une séance très enrichissante. J'ai trouvé très stimulant cet échange entre des personnes bien informées venant de secteurs différents, plutôt que de devoir écouter une succession d'exposés individuels.

[Français]

J'ai pour ma part beaucoup appris et je demanderai aux rapporteurs de nous faire part de la teneur des discussions.

.1115

Je voudrais vous dire que nous avons en main une version abrégée du rapport final de l'évaluation du projet québécois d'expérimentation de la carte-santé à microprocesseur, ainsi qu'un document relatif au projet pilote de carte-santé mené dans la région de Rimouski. Partout au Canada, que ce soit à Vancouver, Calgary, Fredericton ou Toronto, on se pose des questions sur cette carte à puce et sur l'expérience qui se fait à Rimouski. J'invite ceux et celles qui souhaitent obtenir un exemplaire de ces documents à communiquer avec notre greffier, M. Wayne Cole.

[Traduction]

Pour ceux d'entre vous qui souhaitent obtenir ce rapport, j'en ai ici un certain nombre d'exemplaires en anglais et en français. L'évaluation de la carte à puce de l'assurance-maladie du Québec et l'évaluation de l'accès à l'information devraient susciter un grand intérêt parmi tous les gens qui consultent le site Web. Vous pouvez obtenir ce rapport en vous adressant au greffier du comité.

Après la réunion, il y aura une démonstration de la carte d'accès, à l'extérieur de cette salle. Ceux d'entre nous qui ont vu les démonstrations des cartes CANPASS et INSPASS à Vancouver pourront voir, grâce à la démonstration d'aujourd'hui, comment fonctionne la carte d'accès, quel genre de renseignements elle permet d'obtenir et qui peut s'en servir.

Je cède maintenant la parole à Maurice.

[Français]

M. Maurice Bernier: J'ai le plaisir de tenter de faire un résumé très succinct de ce qui a été dit dans notre atelier. Il y a des choses très intéressantes qui en sont ressorties puisqu'on avait parmi nous des gens très intéressés et bien informés sur toute cette question de la vie privée et des nouvelles technologies.

Naturellement, je ne reprendrai pas les propos de chacune des personnes, mais je vais essayer de souligner certains points. Puisque nous aurons une séance plénière dans quelques instants et que tous les participants et participantes sont encore avec nous, ils auront également l'occasion de réagir si j'ai mal rendu certaines choses ou oublié certains éléments.

Bien que nous n'ayons pas fait un examen approfondi des deux études de cas proposées concernant les tests génétiques et la carte intelligente ou la carte à puce, nous avons discuté de toute la question de l'information qui nous concerne comme individus, ce qui est vraiment la base de la discussion quand on fait le lien avec la vie privée. Comme le soulignait Mme Finestone au début de la rencontre, dans le fond, la vraie question est de savoir qui sait quoi à notre sujet, comment cette information est utilisée et comment on peut la contrôler. Notre discussion a donc tourné autour de ces questions.

Le plus grand danger qu'ont identifié tous les participants et qu'il faut éviter à tout prix, c'est qu'il y ait une concentration de toute l'information qui nous concerne comme individus à un seul endroit, auprès d'un seul dépositaire, que ce soit le gouvernement ou l'entreprise privée, ou qu'il existe une seule technologie, une espèce de supercarte qu'on pourrait utiliser à toutes les sauces. On devrait être en mesure d'assurer à un individu qui ne souhaite pas que son dossier circule qu'il n'y a pas de danger que cela se produise et que son dossier soit diffusé n'importe où sur la planète avec l'Internet.

.1120

C'est le premier consensus qui s'est dégagé de cet atelier. On a également dit que le gouvernement devait être un modèle dans ce sens, parce que si on ne peut avoir confiance en ce que nos gouvernements font, on a un problème très sérieux.

L'expérience de Rimouski dans le domaine de la santé, que tout le monde dans cette salle connaît probablement et lors de laquelle on a utilisé la carte intelligente, s'est déroulée pendant quelques années et a donné des résultats très concluants. Nous en avons discuté et nous nous sommes demandé quel était l'élément de base de cette expérience de l'utilisation des nouvelles technologies. Nous avons retenu qu'il fallait d'abord qu'on sache quelle est la nécessité d'introduire une nouvelle technologie et quels sont les buts visés avant de regarder comment cette technologie doit fonctionner. Avant de regarder l'outil comme tel, nous devrions nous demander ce qu'on veut en faire.

Le principe de base de l'expérience de Rimouski, qu'on voudrait retrouver un peu partout, c'est la nécessité de maintenir le lien de confiance qui doit exister entre les consommateurs ou individus et le gouvernement ou quelque institution que ce soit dans les domaines public ou privé. Comment maintenir ce lien de confiance? On établit un certain nombre de principes, avant tout la transparence. L'individu doit comprendre de quoi il s'agit exactement, dans quoi il est en train de s'embarquer et ce qu'on veut faire de cette information.

Le deuxième principe de base est le consentement éclairé. Nous en avons entendu parler pendant toute la semaine et nous sommes revenus de façon très précise sur ce point. Nous avons retenu un aspect intéressant de l'expérience de Rimouski, soit qu'en tout temps, l'individu peut dire qu'il ne veut pas que telle information se retrouve dans son dossier ou qu'il ne veut pas qu'elle soit acheminée à telle personne. Autrement dit, l'individu aurait le pouvoir sur l'information qui circulerait.

Nous avons également discuté des mécanismes de sécurité. Avant d'utiliser telle ou telle technologie, nous devons connaître les moyens qui sont mis à notre disposition pour que l'information soit détenue de façon sécuritaire, sinon nous devrions en trouver.

Nous avons également souligné un autre principe de base dont nous avons tous convenu: l'information qui nous concerne comme individus nous appartient. Les renseignements que détient notre compagnie d'assurance ne lui appartiennent pas, pas plus que ceux que détient le ministère du Revenu à notre sujet ne lui appartiennent. C'est d'abord à nous qu'ils appartiennent, après quoi on pourra apporter toutes les nuances qu'il faut.

On s'entend également sur la nécessité d'une loi ou d'un cadre juridique pour établir ces principes de base. Nous souhaitons avoir un texte juridique sur lequel nous pourrons vraiment nous baser. Avant l'introduction et la mise en place de toute forme de nouvelle technologie, particulièrement dans le secteur privé, nous estimons qu'il est nécessaire d'en faire une évaluation. L'expérience de Rimouski est un bel exemple et démontre que cela peut se faire et se fait dans le domaine public. Nous souhaiterions que le domaine privé agisse également ainsi.

Je terminerai en disant que ce qui retient davantage l'attention de tout le monde, c'est l'absolue nécessité de sensibiliser la population à l'arrivée des nouvelles technologies ainsi qu'à leurs effets et conséquences et de faire en sorte qu'elle soit continuellement bien informée. La sensibilisation et l'information constituent en quelque sorte la clé du succès de l'introduction de toute nouvelle technologie.

.1125

Je m'excuse auprès de ceux et celles dont j'ai mal traduit les interventions. Vous aurez l'occasion tout à l'heure de corriger le tir. Merci beaucoup.

La présidente: Vous avez été assez fidèle, Maurice. La raison pour laquelle nous demandons aux députés d'agir à titre de rapporteurs, c'est pour nous assurer que vous êtes d'accord sur ce que nous rapportons et que vos idées seront fidèlement reflétées dans nos rapports. Si nous avons oublié un élément important, nous vous prions de le soulever au moment des échanges.

[Traduction]

Andy Scott, vous avez animé la discussion à cette table. Voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Andy Scott: Non, j'attends les experts et les interventions des autres participants. Merci.

Le président: Merci. À vous, John Godfrey.

[Français]

M. John Godfrey: C'est la première fois de ma vie que je fais partie d'un groupe bleu. Nous avons parlé de deux choses, soit la surveillance et les cartes à puce. Le groupe bleu était un groupe plutôt philosophique; ses participants étaient de grands obsédés des définitions. Ils voulaient bien définir le problème et même le concept de la vie privée. Mon rapport se fera dans la langue des participants; si l'un d'eux nous a parlé en anglais, je répéterai ses propos en anglais, et vice-versa. Ce sera un méli-mélo typiquement montréalais.

Cinq grands thèmes se sont dégagés: les définitions, les valeurs sociales, les principes, un débat sur les technologies bonnes ou mauvaises et finalement des solutions proposées. Commençons par les définitions.

[Traduction]

Parmi tous les groupes auxquels j'ai participé, je pense que celui-ci était le plus déterminé, au début de la conversation, à établir des distinctions qui me semblent essentielles à notre débat.

On a fait une première distinction entre la vie privée et la confidentialité, la vie privée faisant référence à ce que l'on connaît sur nous, et la confidentialité faisant davantage référence à l'utilisation qui est faite de l'information nous concernant. On a aussi fait remarquer que la vie privée est une notion complexe car elle ne fait pas l'objet d'un droit autonome; elle est souvent associée à d'autres droits mieux reconnus; c'est une sorte de droit associé ou préconditionnel.

La liberté de réunion peut subir un préjudice en cas d'excès de connaissances concernant un individu, par exemple par la surveillance vidéo. Si vous savez que vous êtes dans le champ de caméra de télévision, installée par exemple par la GRC, vous perdez votre anonymat et vous aurez moins tendance à participer à une réunion ou à y prendre la parole. D'où la complexité du problème.

Un troisième élément de complexité tient à la distinction entre vie privée et anonymat - et je dois dire que c'est dans ce groupe qu'on a insisté sur cette distinction. L'anonymat est défini comme la possibilité de participer à certaines activités sans être identifié.

Ainsi, si vous faites un achat dans un magasin autre qu'un dépanneur et que vous payez en espèces, il n'y aura aucune trace électronique de la transaction. En outre, l'anonymat présente une particularité curieuse: c'est presque un droit urbain; il n'existe que dans les collectivités suffisamment grandes pour permettre à l'individu de se perdre dans la foule.

Le groupe a souligné deux autres aspects de l'anonymat. Il existe une forme inversée de l'anonymat, c'est-à-dire l'anonymat de la personne qui contrôle une banque de données - nous ne savons pas qui c'est - ou qui contrôle les caméras - et nous ne savons pas où elles se trouvent ni qui les contrôlent. Voilà donc le côté négatif de l'anonymat.

.1130

En outre, si personne ne sait qui exerce ce contrôle, il peut être une source de déséquilibre social. L'anonymat est différent de la vie privée, mais les deux sont déterminés par les conditions sociales. C'est là un élément que le comité ne peut ignorer.

En ce qui concerne les valeurs sociales, nous avons dit tout d'abord qu'en un sens, le public ignore ces technologies nouvelles et leur potentiel; il ne s'y intéresse pas, et c'est là un problème qu'il va falloir résoudre d'une façon ou d'une autre. Cet état d'ignorance ne peut durer que jusqu'au moment où la confiance des citoyens est ébranlée par un incident comme la vente de données par des fonctionnaires du Québec. À ce moment-là, les gens commencent à exprimer leurs préoccupations publiquement.

Une autre question que j'ai abordée tout à l'heure sous un autre angle, est celle des valeurs collectives auxquelles les atteintes à la vie privée portent préjudice. On a cité l'exemple intéressant de la situation des témoins d'un accident qui poursuivent leur chemin, misant sur le fait que l'accident a été enregistré sur vidéo. On compte donc sur Big Brother ou sur l'agent anonyme qui surveille les écrans vidéo pour faire un travail qu'en tant que citoyen on aurait dû faire soi-même; c'est là une remarque intéressante, que je n'avais pas encore entendue.

Passons maintenant aux principes,

[Français]

la question fondamentale consiste à se demander quel problème on essaie de résoudre par de nouvelles technologies et s'il peut être réglé par d'autres moyens. Je crois que c'est le fardeau de la preuve qu'on invoque, si je puis dire.

Une autre question fondamentale consiste à se demander quelles sont les attentes des gens ordinaires face à la protection de la vie privée. Faut-il régler ces questions avant d'introduire de nouvelles technologies et, si oui, comment peut-on le faire? Les technologies se développent à une vitesse effrayante, tandis que la loi, si je puis ainsi dire, avance à une vitesse plus majestueuse.

[Traduction]

Un troisième principe, dont je pense nous avons beaucoup entendu parler lors de nos déplacements précédents, est celui de l'objectif premier de l'avènement de ces nouvelles technologies; comment empêcher qu'on les utilise à d'autres fins? C'est la notion de fonction dérivée. Ainsi, on reconnaît facilement que la présence de caméras dans les tunnels de Montréal est souhaitable en cas d'accidents, d'inondations, de prises d'otages et pour toutes les diverses et excitantes choses qui peuvent s'y produire, mais comment empêcher qu'on utilise à mauvais escient les renseignements tirés des plaques d'immatriculation et des allées et venues des véhicules?

Passons maintenant au thème suivant, celui des technologies, qu'on a développé davantage lorsqu'on a parlé des cartes à puce. On a dit qu'on était actuellement dans une situation très étrange au sujet de la technique des cartes à puce et de la cueillette de données. Nous sommes au pire moment, parce qu'il y a des systèmes énormes auxquels ont accès des gens que nous ne connaissons pas. Mais on pourra obtenir de l'aide, si nous le souhaitons, de l'aide technologique, grâce à des clés de cryptage, afin que votre carte à puce n'emmagasine pas nécessairement les données, bien qu'elle le puisse. Elle pourrait simplement avoir une clé, qui permet à vous seul d'avoir accès aux données. Bien entendu, la carte à puce a cette double possibilité et il faut décider de l'option que nous choisirons. En gros, les technologies en général et les cartes à puce en particulier sont des outils qui peuvent être utilisés de manière appropriée ou non.

Parfois, cela me rappelle le point de vue de la National Rifle Association - ce ne sont pas les fusils qui tuent, ce sont les gens. Dans ce cas-ci, il y a un peu de vérité dans la neutralité des technologies.

Et je le répète, actuellement, des choses comme les dossiers médicaux sont bien mal tenus, en un sens. Leur sécurité est bien mal assurée. On allume les ordinateurs le matin, et comme cela prend trop de temps de les relancer à chaque consultation, on les laisse allumés, et quiconque passe près du terminal peut consulter le dossier de n'importe qui. On ne sait pas vraiment qui va s'en occuper.

.1135

Encore une fois, il y a des moyens de prévenir les abus, que ce soit par cryptage ou par un meilleur système d'identification de ceux qui ont accès aux renseignements. Mais cela soulève d'autres questions, par exemple la possibilité d'un accès prioritaire dans les cas où la sécurité publique est en jeu. Par exemple, un médecin traumatologue devrait-il pouvoir passer outre votre droit à la vie privée, si vous arrivez, inconscient, sur une civière, à la condition que vous puissiez ultérieurement savoir qui a eu accès à votre dossier, cela bien entendu, si vous avez la chance d'en réchapper?

Finalement, il faut se rappeler qu'on est forcé de trouver des solutions pour répondre à des problèmes. Ainsi, il y a un problème qui se rapporte aux droits fondamentaux de la personne, dans le cas des assistés sociaux au sujet de qui on conserve toutes sortes de renseignements... il n'y a pas de consentement éclairé aux échanges de renseignements. Même si vous avez un certain pouvoir, quels sont vos recours légaux contre cela? Ce recours légal va-t-il se retrouver à l'échelon le plus élevé de la structure légale? S'agit-il d'un droit constitutionnel ou d'un droit conféré par une loi, qui peut être abrogé, outrepassé, contredit par une autre loi? Comment éviter le genre de situation qu'on a au Québec, où il y a d'un côté une Charte des droits à la vie privée, mais à laquelle on peut passer outre simplement pour faire des économies? Pourquoi la charte n'a-t-elle pas pu empêcher la vente frauduleuse de données par des fonctionnaires? Il faut aussi se demander quelles sanctions leur seront imposées, s'il y en a.

Un autre problème à la réglementation est la situation internationale, l'existence d'abris de données, une sorte d'îles Caïman des données, si l'on veut. On peut réussir à réglementer quelque chose sur son propre territoire, mais comment contrôler l'Internet? On a donné l'exemple du service 411 international. On peut retracer n'importe qui dans le monde, si cette personne est dans une base de données ou un annuaire de téléphone. Si l'on veut garder ces données à l'étranger, c'est déjà le cas, comment réglementer la chose? En outre, il y a bien entendu, le problème que pose l'absence de vérification de la validité des données.

De toute évidence, l'éducation est une chose essentielle à la fois pour le public en général et pour tous les autres intervenants. C'est un thème récurrent partout au pays, comme dans l'exposé de M. Bernier.

Deuxièmement, il faut donner un appui aux technologies qui assurent la protection de la vie privée. Cet appui peut se manifester de diverses façons, notamment par des mesures qui encouragent le cryptage, des avantages fiscaux et des sanctions imposées à ceux qui ne veulent pas se conformer.

Troisièmement, il faut des politiques ou des codes dont l'application reviendra aux associations professionnelles. Il régnait toutefois un certain scepticisme dans notre groupe, puisque ces règlements existent déjà, sans pour autant avoir empêché les abus.

La quatrième option est celle de lois qui sont claires, efficaces et applicables. Je pense que toutes ces options sont interreliées sans en exclure aucune autre.

La dernière option me permet de terminer sur une bonne note: il faut des services gouvernementaux qui s'adaptent aux changements technologiques, qui tiennent compte des besoins sociaux et qui incarnent les valeurs mêmes que nous voulons préserver dans une société libre et démocratique.

Merci.

La présidente: Merci beaucoup. Nous avons une discussion sur les fusils, parce que vous avez fait une analogie en parlant de la neutralité réelle ou non des armes à feu. La technologie dont on parle est-elle neutre? Peut-elle être utilisée à bon escient? Avant de décider de sa neutralité, il faut peut-être se demander si c'est ou non un bon outil. La technologie est-elle le meilleur outil? Je pense que c'est la question à se poser. Qu'est-ce qui est neutre et comment s'assurer de cette neutralité?

Sarkis et Jean, vous étiez tous deux à la table. Avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Jean Augustine: Je pense qu'il a fait un excellent travail.

.1140

M. Sarkis Assadourian: Avec l'aide de l'ordinateur, c'est fantastique.

La présidente: Merci beaucoup.

Avant de vous redonner la parole, je dois vous signaler la présence de M. Fortin. Comme vous le savez sans doute tous, il est le responsable de toute l'expérience faite à Rimouski. Je suis persuadée qu'il pourra dire, certainement à l'auditoire, à ceux qui liront le compte rendu et à nous tous, ce qu'il a mis en oeuvre dans le projet pilote pour répondre à certaines de vos inquiétudes. On pourra ensuite se demander si c'est suffisant, constater que c'est bien ou que c'est très bien. Étant donné la liste de questions que vous avez posées, vos réponses seront sans doute très intéressantes.

[Français]

J'aimerais que nous commencions par les commentaires des experts. Je voudrais qu'ils nous fassent part de leurs inquiétudes, de leurs intérêts, de leurs points de vue et des propos qu'ils ont entendus au cours de leurs échanges autour de la table.

Mme Marie-Claude Prémont (Faculté de droit, Université McGill): Plusieurs thèmes très importants ont été soulevés pendant les deux ateliers. J'aimerais me concentrer sur un thème qui a peut-être été moins évident dans les rapports qu'on a livrés. Il s'agit du droit à la vie privée et à la protection des renseignements personnels.

On pourrait croire qu'on participe aujourd'hui à un comité qui s'intéresse aux droits individuels, mais à mon avis, il ne s'agit pas seulement d'un droit individuel. Le droit à la vie privée passe aussi par la protection de certains droits collectifs ou de certains acquis sociaux. C'est d'autant plus évident lorsqu'on parle d'un thème comme celui sur lequel s'est concentré notre groupe, soit le domaine médical. Notre domaine médical est présentement doté d'un système d'assurance qui fonctionne très différemment du domaine de l'assurance privée et qui est basé sur une logique différente. On parle d'une socialisation des coûts de santé qui est au coeur de notre système de santé.

Par exemple, au chapitre de la protection des renseignements personnels dans le domaine de la santé, lesquels sont effectivement sensibles, l'impact de l'implantation d'une technologie comme la carte à puce ou le réseautage de l'information sera tout à fait différent parce qu'il s'insérera dans un système dont la logique est sociale, et non pas individuelle.

Lorsqu'on parle de renseignements personnels, nous sommes portés à penser que c'est un renseignement qu'on détient à notre sujet et auquel nous voulons que personne d'autre n'ait accès. Mais justement, ce n'est pas le cas. Dans le domaine de la santé, le renseignement important est celui que l'on ne détient pas, celui que le médecin a et dont il doit nous informer. Une autre personne que nous détient une information que nous voulons aller chercher pour pouvoir nous maintenir en bonne de santé. Si nous avions un système de santé privé, où notre contribution au régime de santé serait proportionnelle au risque que nous présentons, nous hésiterions peut-être avant d'aller consulter un médecin. Donc, même la génération d'une information de santé est mise en péril. Vous voyez que la problématique de la protection de la vie privée est intimement liée au contexte social dans lequel elle s'insère et à cet aspect fondamental qu'est un droit collectif, le droit de participer, dans ce cas précis, à un régime d'assurance collectivisé.

Le simple message que je voulais livrer ici, c'est de ne pas penser que le droit à la vie privée, contrairement à ce que le terme laisse entendre, surtout en anglais quand on fait allusion à privacy, est seulement un droit individuel. C'est aussi un droit collectif. Il met en cause des acquis sociaux et des droits collectifs dont il est question dans toutes sortes de lois.

.1145

La présidente: Madame Prémont, si, comme on le dit, on est en train de privatiser le régime d'assurance-médicaments, que doit-on faire dans le cas des médicaments qui sont partie intégrante du système de santé de la société, aussi bien dans le sens de la prévention que du traitement?

Mme Prémont: Il faut certainement se rendre compte que tout ceci a des conséquences. Si on prend l'exemple de régime d'assurance-médicaments du Québec qui est mixte puisqu'une partie dépend du système d'assurance sociale et que l'autre partie est privatisée, on s'aperçoit que cela a des conséquences sur la façon dont vous allez vous prévaloir de vos droits d'assuré. Il y a aussi des conséquences pour la gestion des renseignements.

Ce n'est pas unique. On a vécu ce genre de choses dans d'autres domaines, par exemple dans le domaine de l'assurance automobile. Il n'y a donc pas seulement le domaine de la santé. Pourquoi est-on passé, dans nos sociétés, d'un régime d'assurance privé à un régime d'assurance public en matière d'assurance automobile? Il y a des raisons à cela. Il y a un acquis social derrière tout cela. Il y a des conséquences par rapport à la gestion des renseignements personnels. Est-ce que vous allez déclarer ou non que vous avez eu un accident? Est-ce que vous allez hésiter parce que l'assurance sur les dommages matériels peut avoir un impact sur votre prime d'assurance? Par contre, en ce qui concerne vos dommages corporels, vous savez que vous avez droit à une indemnisation et que cela ne va pas provoquer une augmentation de vos cotisations à la Société d'assurance automobile du Québec.

Il faut être conscient que, dans la gestion des renseignements personnels et du droit à la vie privée, la génération même de ces renseignements et leur circulation sont intimement liées. Qu'est-ce qu'il faut faire ensuite? Le débat est ouvert, mais il faut se dire que c'est une question pertinente et que le questionnement sur la protection des renseignements personnels est intimement lié au contexte social dans lequel il s'insère.

La présidente: Merci.

Madame Marie Vallée.

Mme Marie Vallée (Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec): Je remercie M. Godfrey. Je pense qu'il a fait un très bon travail. Je dois cependant vous signaler qu'il y avait énormément d'avocats dans mon groupe, et c'est certainement la raison pour laquelle on a étudié minutieusement les définitions.

Je vais essayer de vous faire part des sentiments que les citoyens consommateurs ressentent par rapport à tout ce qui arrive en matière de développements technologiques et en termes de danger possible pour la protection des renseignements personnels. Quelques sondages ont été faits au Canada et ailleurs. Nous en avons également fait un. Notre préoccupation était de savoir si les gens étaient au courant et s'ils avaient eu une quelconque expérience en cette matière.

Nous n'avons pas été surpris de découvrir que les gens ne savaient pas qu'il y avait autant de données collectées à leur sujet et, d'autre part, qu'ils n'avaient pas eu vraiment beaucoup de mauvaises expériences. Mais il faut dire que les gens, ne sachant pas ce qui se passe, ne sont pas conscients des problèmes posés. Je pense donc que le point qui a été soulevé concernant la nécessité de relever le niveau de connaissance et de faire beaucoup d'éducation est très important.

Par ailleurs, les gens sont de plus en plus habitués à avoir un accès instantané à toute une gamme de services, que ce soit des services rendus par le gouvernement ou par les entreprises privées, à ce qu'on appelle en anglais la convenience. C'est devenu comme une espèce de trade-off. Pour avoir accès rapidement à de l'argent ou à des services, on a laissé beaucoup de technologies envahir nos vies sans vraiment être capables d'en évaluer les conséquences à long terme. Maintenant on se rend compte que l'envahissement est peut-être un peu trop grand.

Comment peut-on faire pour retrouver le contrôle ou tout au moins garder un certain contrôle? Cela reste à définir. Un thème qui circule de plus en plus, c'est le concept de la «boîte à outils», à savoir les outils technologiques, les outils de code de conduite, les outils législatifs qu'on devra utiliser pour régler les différentes parties du problème.

J'aimerais soulever un autre point dont M. Bernier a parlé, qui est le degré de confiance que nous pouvons avoir dans nos gouvernements.

.1150

J'habite au Québec et je me suis longtemps vantée d'habiter dans une juridiction où on avait une très bonne protection des renseignements personnels, à la fois dans le secteur public et dans le secteur privé. Mais j'ai fortement déchanté au printemps dernier, quand j'ai vu le gouvernement du Québec instaurer toute une série de lois qui permettent le croisement des données entre toutes les bases de données gouvernementales.

Je pensais qu'au Québec, on avait deux chartes des droits, la fédérale et la provinciale. Dans la charte provinciale, la protection de la vie privée est expressément mentionnée et pourtant, on a vu notre gouvernement, sous prétexte de poursuivre les fraudeurs et d'épargner des sous, outrepasser complètement ou presque la charte québécoise. Alors, peut-on faire confiance à nos gouvernements pour mettre en place des protections si ensuite, quand ça fait leur affaire, quand ils pensent qu'il peuvent peut-être économiser de l'argent, ils nous disent que la charte des droits ne s'applique pas dans ce cas-là pour telle ou telle raison?

C'est la grande question que je pose actuellement. Je pense qu'une loi qui aurait des principes généraux serait sûrement un bon instrument, sans que l'on se préoccupe du développement rapide ou lent de telle ou telle technologie. Mais, encore une fois, si nos gouvernements ne respectent pas les chartes, à quoi cela sert-il?

[Traduction]

La présidente: Merci beaucoup.

La question du croisement des données nous intéresse certainement depuis quelque temps déjà et nous en avons beaucoup entendu parler pendant nos déplacements. Je suis contente que vous en parliez de nouveau.

[Français]

Pierrôt Péladeau, s'il vous plaît.

M. Pierrôt Péladeau (Progesta Communications Inc.): Merci, madame la présidente.

Je vais traiter de trois points. Premièrement, je vais parler du rapport entre droits humains et technologies de l'information. Deuxièmement, je vais parler du rôle des technologies elles-mêmes. Troisièmement, je vais essayer de solutionner ou tenter de répondre à la question qui a été soulevée il y a quelques minutes.

Étant donné que nous sommes au Comité des droits de la personne, je pense qu'il faut être clair sur les droits humains. Il n'y a pas que la notion du droit à la vie privée ou du non-respect de la vie privée qui est en cause quand on parle de l'utilisation de renseignements personnels ou de technologies de l'information. C'est ce qui vient spontanément à l'esprit. On voit immédiatement la notion de collecte, de stockage et de communication d'information, et donc on se concentre là-dessus.

Je me suis livré à l'exploration du Thesaurus pour trouver quelque 300 termes en matière de droits humains, et j'ai pu faire le lien avec quelque 150 notions de droits humains fondamentaux. D'autre part, au-delà de la collecte, au-delà du stockage, au-delà de la communication possible ou non de l'information, il y a le fait que ces informations servent à prendre des décisions concernant la vie des gens, individuellement ou collectivement. Cette information-là, on la collecte et on l'utilise pour prendre des décisions, avec ou sans notre participation.

Ces décisions concernent le droit à la santé, le droit à l'éducation, le droit au travail, le droit à la sécurité sociale, le droit de vote, etc. On en a identifié quelque 150. Je pense donc qu'il faut centrer, et là je reprends les termes de Marie-Claude Prémont, les enjeux là où sont véritablement les problèmes.

D'ailleurs, et peut-être que cela fait un peu provocateur, je suis en train de rédiger un livre qui va s'appeler précisément Pour en finir avec la vie privée. Je pense en effet qu'il faut qu'on en sorte et qu'on regarde où sont les problèmes, parce que c'est ce que l'on fait spontanément.

Il y a d'autres enjeux. J'ai déjà parlé de quelque 150 enjeux de droits, mais il y a aussi des enjeux de valeurs sociales, des enjeux économiques, évidemment importants, ainsi que des enjeux administratifs qu'il faut également considérer.

Je voudrais juste vous donner l'exemple des questions de santé mentionnées dans notre atelier. Je travaille personnellement dans ce domaine et j'ai eu des entrevues, dans un programme beaucoup plus large, avec 20 responsables de projets de réseautage de l'information concernant la santé. Ces personnes font circuler les informations, et je leur ai demandé quels étaient les problèmes sociaux, juridiques ou éthiques qu'elles avaient rencontrés. Spontanément, on vous répond tout de suite par les mots «confidentialité, protection de la vie privée» et tout le reste. On ne va pas plus loin.

.1155

Actuellement, on connaît les solutions technologiques et juridiques et on peut les appliquer. En général, on les trouve et on les applique.

Quand j'essayais de poursuivre la conversation, au cours de mes entrevues, en insistant sur les véritables problèmes rencontrés, on finissait par me parler de problèmes énormes, que ce soit au niveau organisationnel ou professionnel. Il y avait beaucoup de problèmes entre les patients et les médecins, par exemple, ou des problèmes professionnels entre citoyens, et il s'est avéré que 15 p. 100 des projets étaient en danger à cause de problèmes sociaux, juridiques ou éthiques qui n'étaient pas des enjeux concernant la vie privée. Beaucoup de ces projets ont échoué. Il y en avait un dernièrement au sujet duquel on disait qu'on allait mettre à la poubelle les 100 000 $ investis parce qu'il ne fonctionnait pas.

Il faut donc regarder l'ensemble des enjeux car c'est un enjeu qui doit être global. Comme le soulignait Marie-Claude Prémont plus tôt, la notion de vie privée s'ouvre sur toute une série de questions qui sont peut-être beaucoup plus fondamentales qu'on ne le pense et qu'il faut considérer. Tout ceci est dans le rapport sur les droits humains et la technologie de l'information.

Deuxièmement, je voudrais parler du rôle de la technologie. Il faut savoir que la technologie de l'information consiste uniquement à recueillir des informations et à gérer des dossiers. Il s'agit de gérer les rapports entre les individus et les organisations, les rapports entre les individus eux-mêmes et les rapports entre les organisations elles-mêmes. C'est la technologie qui va permettre ou non, justement par le chiffrement des données, encryption par les règles qu'on va mettre dans les guichets automatiques ou dans les cartes à puce, de dire que telle chose est permise ou pas. Donc, on matérialise dans le matériel et le logiciel un certain nombre de règles, ce qui est beaucoup plus efficace qu'une loi.

On peut toujours adopter des lois ou des règlements qui peuvent accumuler de la poussière sur une tablette, mais quand on a mis des règles dans un guichet automatique ou dans une carte à puce, c'est bien difficile de passer à côté et c'est ce qui fait la grandeur et le danger de cette technologie. En effet, une fois qu'on a mis en place ces infrastructures coûteuses, on ne peut plus changer grand-chose. Ceci n'est cependant plus très vrai maintenant parce qu'on progresse très vite et qu'il va être de plus en plus facile de modifier les règles.

Il y a donc là un enjeu important qui, à mon avis, est fondamentalement un enjeu d'ordre démocratique avant même d'être une question de droit individuel, dans la mesure où les règles qu'on va mettre dans une carte à puce ou un guichet automatique ou ailleurs sur l'inforoute sont des règles qui vont régir nos rapports. Cela s'appelle de la législation.

La loi, dans la société démocratique que nous sommes, doit faire l'objet d'un débat public et être adoptée en connaissance de cause. Les gens doivent pouvoir prendre des décisions.

J'ai peut-être une mauvaise nouvelle à vous apprendre, mes amis les députés. Il me semble qu'auparavant, c'est vous qui preniez les décisions législatives alors que maintenant, les décisions législatives sont prises par des techniciens ou des ingénieurs. Il va peut-être falloir remettre les choses à leur place.

Cela m'amène au troisième point, qui est de savoir qui décide et de quelle façon les décisions sont prises. On a, par exemple, beaucoup parlé du rôle d'organismes comme les Commissariats à l'information et à la protection de la vie privée, et peut-être aussi la Commission canadienne des droits de la personne. On a aussi parlé de réunir des comités d'experts pour discuter des problèmes.

Je pense personnellement qu'il y a là un problème fondamental. Je suis un expert, un technocrate et je pense que j'ai un rôle à jouer, comme tous les experts. Les commissions particulières ont aussi un rôle à jouer, mais les enjeux étant complexes, il ne faut pas les considérer simplement comme des enjeux techniques pour le technicien, pour l'avocat pour un spécialiste en éthique.

Je vois souvent dans les discussions que l'on ramène tout à notre spécialité. Mais c'est un enjeu global, un enjeu qui est complexe et qui met en balance toute une série d'intérêts et de problèmes. Je pense qu'il faut revenir à la notion de jury, c'est-à-dire de simples citoyens auxquels on devrait présenter le projet et leur prouver qu'il a du bon sens.

Il me semble que les élus pourraient jouer ce rôle-là. J'ai participé à quelques commissions parlementaires ces dernières semaines, à Québec et à Ottawa, et je me suis rendu compte que les élus étaient prêts. J'ai constaté, en effet, qu'ils étaient capables de poser les bonnes questions plus facilement et plus rapidement que certains experts. On pourrait donc mettre entre les mains des élus certains projets publics.

.1200

Cela me ramène à la question que Marie Vallée a soulevée. Il m'est aussi arrivé de voir ces mêmes élus adopter des lois totalement inacceptables. Je pense qu'il y a certainement un problème d'éducation des élus, mais aussi la question de formaliser ce type de fonctionnement. Comme je l'ai dit, je pense qu'il y a un rôle pour les élus mais également un rôle pour d'autres types de jury. Cela pourrait être un genre de comité d'audiences publiques ou un comité de sages composé de gens qui seraient des citoyens, aussi bien des contribuables que des consommateurs ou des patients et qui porteraient un jugement sur l'ensemble des enjeux.

Je crois vraiment que, si on ne fait pas cela, on risque d'abandonner l'aspect législatif de la technologie d'information aux ingénieurs et aux experts. Ce serait alors bien triste pour la démocratie. C'est tout ce que j'ai à dire pour l'instant.

[Traduction]

La présidente: J'ai l'impression, Pierrot, que John Humphrey aurait été ravi de vous entendre et comme il est comme trois d'entre nous autour de la table, nous avons choisi ce processus de consultation ouverte. Je pense que c'est fondamentalement ce à quoi vous faites allusion.

Le comité estimait qu'il fallait agir d'une manière inhabituelle. Comme vous savez, ce n'est pas la procédure normale d'un comité permanent de la Chambre. Plutôt que de vous faire venir chacun à votre tour pour témoigner et nous apporter des mémoires - je vous remercie en passant des mémoires que vous avez présentés à l'Assemblée nationale - nous avons estimé que nous serions des législateurs mieux informés si nous assistions à un échange entre des experts ayant des points de vue et des intérêts divers.

Peut-être qu'un jour, monsieur Péladeau, nous adopterons cette formule même pour l'élaboration des lois, parce que nous sommes en train de modifier les procédures législatives à Ottawa; les projets de loi sont envoyés au comité immédiatement après la première lecture, sous forme de Livres blancs.

Vous recevrez le Livre blanc sur les initiatives prises conjointement par le ministre de la Justice et le ministre de l'Industrie, en collaboration avec l'ACNOR.

[Français]

Comment est-ce qu'on dit cela en français?

Une voix: L'ACNOR.

M. Péladeau: L'Association canadienne de normalisation, mieux connue sous le nom de CSA.

La présidente: D'accord, mais c'est le CSA pour moi.

[Traduction]

Vous savez donc que la Loi canadienne sur la normalisation s'y trouvera, mais nous voudrons bien entendu connaître votre point de vue. Le processus a donc évolué et on reconnaît que, sauf tout le respect qu'on doit aux bureaucrates ici, à bien des niveaux, il faut aussi la participation de

[Français]

M. et Mme Tout-le-monde pour qu'on puisse toucher la base. Ce n'est pas parce qu'il y a là plus de gros bon sens, mais plutôt parce que cela aide au gros bon sens.

[Traduction]

Monsieur Eisen.

M. Lewis Eisen (président, Association canadienne pour l'avancement de l'informatique juridique): Merci, madame la présidente. J'avais noté 20 points. Le premier intervenant m'en a pris cinq et Pierrot a très bien traité des 15 autres. Je n'ai rien à ajouter.

La présidente: Cela signifie-t-il qu'il y a un consensus? Êtes-vous tous d'accord où y a-t-il des sujets dont vous voulez discuter?

M. Eisen: Je n'ai plus rien à ajouter. Je participerai à la discussion du groupe, si vous le permettez.

La présidente: Très bien. Merci beaucoup.

[Français]

Vous avez la parole, mesdames et messieurs. Voulez-vous prendre le micro?

[Traduction]

Veuillez vous présenter, pour les besoins du compte rendu.

M. Michel Kabay (directeur de l'éducation, National Computer Security Association): Je suis le directeur de l'éducation de National Computer Security Association, une association américaine. Je vis et je travaille au Canada, je suis un citoyen canadien mais je travaille pour un organisme américain.

J'ai préparé quelques notes sur des questions dont le comité n'a pas traité, pas ce matin, du moins. Je dois mettre en garde le comité: il n'y pas que le gouvernement et les organisations qui portent atteinte à la vie privée. Les discussions habituelles tournent autour de la politique gouvernementale et organisationnelle, et portent parfois sur des actes illégaux ou des actes qui enfreignent cette politique, mais il y a d'autres raisons de se préoccuper. Les criminels et les organisations criminelles veulent tous avoir accès à des données confidentielles. Prenons l'exemple de l'espionnage industriel, et même de l'espionnage international par des étrangers. Cela doit aussi faire partie des préoccupations du comité.

.1205

De l'avis de la plupart des spécialistes de la sécurité informatique, dont je suis, l'état de la sécurité informatique et celle des réseaux est actuellement abominable. En général, les mesures de sécurité sont inexistantes, médiocres, inefficaces ou non appliquées; il est donc difficile de réaliser les voeux que nous formulons au sujet de la protection des renseignements personnels. En l'absence de mesures efficaces en matière de sécurité, la confidentialité est une victime.

Je dirais que le gouvernement du Canada doit envisager une politique nationale sur l'information, qui donnerait un appui de haut niveau à l'amélioration des conditions de sécurité informatique et contribuerait ainsi à protéger les renseignements personnels.

Je voudrais qu'il y ait un soutien de haut niveau pour la sécurité de l'information, comme exigence stratégique, à tous les niveaux d'entreprise sociale, y compris les organisations gouvernementales, les organismes à but non lucratif, le secteur de l'éducation, etc.

Il me semble que nous devrions obtenir un appui assez large, grâce au gouvernement, notamment par des mesures incitatives pour améliorer la recherche effectuée par des fondations privées, portant surtout sur les facteurs humains touchant la sécurité et par conséquent, je le répète, une protection contre l'utilisation non autorisée des systèmes d'information actuels par le personnel autorisé, des gens qui ont accès aux données mais qui enfreignent les règles censées nous protéger.

Il serait raisonnable d'augmenter le recours au droit civil et je fais appel aux professionnels du droit, afin qu'ils trouvent de meilleures méthodes pour punir les organismes qui n'assument pas correctement ce qu'on appelle habituellement leurs responsabilités fiduciaires, pour protéger les renseignements personnels et d'autres, afin qu'on accepte de manière générale qu'on ne peut plus agir de manière irresponsable dans le traitement des données se rapportant à autrui.

Finalement, je voudrais voir un appui des gouvernements à de bons programmes d'éducation. Notre association a été l'une des premières à offrir des programmes d'éducation à tous les cycles du primaire et du secondaire à Montréal. J'ai personnellement eu la responsabilité de modifier le programme de tous les cours d'informatique de l'un des conseils scolaires, pour y traite de considérations éthiques relatives à l'utilisation des ordinateurs et des réseaux.

Nos enfants grandissent sans qu'on leur ait jamais dit ce qu'il convient ou non de faire en traitant avec d'autres personnes dans le cyber espace. Il n'est donc pas surprenant que pour beaucoup d'entre eux, les pirates criminels sont perçus comme les Robins des bois modernes. Ils ne comprennent pas ce qui est en jeu. Ils ne voient pas que de l'autre côté du lien informatique, il y a des personnes.

En terminant, madame la présidente, je propose que le gouvernement envisage très sérieusement de former un groupe de réflexion qui veillera à ce que le gouvernement donne son plein appui à l'amélioration de la sécurité informatique au Canada.

Merci.

La présidente: Merci beaucoup. Je vais donner la parole à mon collègue Andy, mais j'aimerais auparavant ajouter quelque chose.

Au sujet de votre exposé sur les programmes d'éducation, je peux vous dire que j'accueille favorablement vos observations. De nombreux domaines de préoccupation au sujet du respect de la vie privée nous ont été présentés aux tables rondes d'octobre et de novembre, notamment les questions de pornographie, d'actes haineux, de préjugés, d'antisémitisme et de racisme. Nous estimions qu'il faudrait en traiter à une autre occasion, dans le cadre de questions se rapportant à la justice et au Code criminel. J'aimerais toutefois qu'Andy réponde aux autres questions dont vous avez parlé.

M. Andy Scott: Merci beaucoup, madame la présidente.

.1210

Il faut bien noter deux ou trois choses mais je veux d'abord, comme madame la présidente, vous dire que je vois d'un bon oeil votre intervention ainsi que vos avertissements relativement à toute une gamme de questions que nous pourrions examiner.

Il importe de rappeler que ce travail ne se fait pas de manière isolée. Le Comité de la justice et le Comité de l'industrie sont en train de préparer un Livre blanc. Les gens qui participent à ce processus ont d'ailleurs fait partie de notre exercice de cette semaine, partout au Canada.

Ce qui nous intéressait particulièrement, c'est de nous assurer qu'un équilibre est respecté et qu'il ne s'agit pas simplement d'un exercice technique. Les droits de la personne et les valeurs sociales doivent faire partie de l'étude.

Je pense qu'on peut dire que lors de nos audiences préliminaires, visant à fixer les paramètres de nos discussions, les témoins croyaient intuitivement que les Canadiens estimeraient dérangeantes, voire alarmantes certaines des intrusions commises, mais qu'il n'y avait pas eu de levée de boucliers, à cause d'une certaine ignorance quant à ce qui se produisait. Nous avons donc jugé nécessaire d'explorer plus à fond cette question sur le plan des valeurs.

S'il vous semble que notre exercice porte sur les valeurs, sachez que c'est voulu. Nous reconnaissons qu'il y a toutes sortes de questions techniques dont il faudra s'occuper en même temps et nous vous remercions de nous le rappeler.

La présidente: Merci beaucoup.

Est-ce que quelqu'un d'autre veut prendre le micro?

[Français]

Monsieur Melançon, s'il vous plaît.

M. Marcel Melançon (Collège de Chicoutimi): Je suis professeur chercheur en bioéthique au Collège de Chicoutimi et à l'Université du Québec à Chicoutimi. Pour les personnes qui ne sauraient pas où se trouve Chicoutimi, je dirai que c'est une des capitales de notre royaume, qui a été lessivé l'été dernier par le déluge.

Il y a trois points qui me tiennent particulièrement à coeur et je voudrais les souligner brièvement. Le premier, c'est que le législateur devrait protéger d'une façon tout à fait spéciale un type d'information particulière, à savoir l'information génétique des individus, des citoyens et des familles à risques. L'information génétique diffère de l'information médicale courante en ce qu'elle touche d'autres membres de la famille.

En clair et brièvement, disons que je puis consentir au dépistage de mon ADN ou à donner de l'ADN, mais ce faisant, les autres membres de ma famille se trouvent indirectement impliqués sans le savoir ou sans le vouloir.

Il y a un autre élément que j'aimerais souligner après les interventions de Mme Prémont et de Mme Vallée qui, à certains points de vue, étaient complémentaires. On devrait, en vue de la protection de la vie privée, conserver nos acquis sociaux. J'entends par là, pour ne parler que du Québec, la Commission d'accès à l'information. Il ne faudrait pas s'organiser pour que cette commission, d'une façon ou d'une autre, démantelée ou à tout le moins frappée d'impuissance. En d'autres termes, on s'est donné, avec la protection du citoyen, un mécanisme d'autodéfense qu'on devrait préserver et raffermir.

Troisièmement, pendant la tenue de l'atelier, nous avons souligné le modèle pédagogique que devrait suivre ou l'exemple que devrait donner le gouvernement. Un gouvernement ne peut pas se permettre, parce qu'il a été élu par la population, de faire ce que certaines entreprises privées peuvent se permettre, c'est-à-dire croiser des fichiers, etc. Mme Vallée y a fait allusion tout à l'heure. Donc, l'État ne peut pas se permettre de ne pas donner l'exemple en ce qui a trait à la protection de la vie privée même lorsqu'il existe, comme actuellement, la hantise du déficit à combler.

Enfin, je crois qu'un gouvernement, d'une façon ou d'une autre, devrait développer des programmes d'information et d'éducation sur sa propre façon de protéger la vie privée. On fait beaucoup de campagnes, référendaires ou non, beaucoup de campagnes publicitaires. On devrait peut-être en faire aussi pour dire aux gens qu'un formulaire signé par eux ne constitue pas nécessairement un consentement éclairé.

.1215

En terminant, je crois que la seule façon pour un gouvernement de protéger la société qui l'a élu, c'est de ne pas se couper de la base une fois au pouvoir. La seule façon de protéger la société, c'est encore d'assurer la protection de chacun de ces citoyens.

Merci, madame la présidente.

[Traduction]

M. Sarkis Assadourian: Puis-je poser une question? Vous avez parlé de l'ADN. L'ADN, c'est en gros une nouvelle science. En fait, pas tellement nouvelle, puisque cela remonte à deux ou trois décennies, mais tout le monde en parle maintenant. On utilise même l'ADN dans les tribunaux, lors de procès pour meurtre, par exemple.

Il y a quelques semaines, on nous a parlé de clonage. Reprenez-moi si j'ai tort, mais par clonage, on peut obtenir deux individus ayant le même ADN, à moins de les mélanger. Quel genre d'impact est-ce que cela aura sur la technique de l'ADN ou l'étude de l'ADN et de la génétique?

La présidente: Cette question s'adresse à vous.

[Français]

Est-ce que vous avez compris la question?

M. Melançon: Non, je n'ai pas compris.

La présidente: La question porte plus ou moins sur l'apparition de Dolly, car on sait que dorénavant, le même ADN peut habiter deux corps différents. Est-ce que cela aura un impact sur la recherche?

[Traduction]

Voici la question: Est-ce que le fait d'avoir deux individus d'ADN identique aura un impact sur la recherche, par exemple si c'est la mère, la fille ou autre?

M. Sarkis Assadourian: Non, je veux connaître l'impact sur l'identité.

[Français]

M. Melançon: Je crois qu'un généticien, M. Louis Dallaire en l'occurrence, sera davantage en mesure de répondre à cette question.

Pour ma part, je crois que le clonage chez les êtres humains devrait être exclu. Les jumeaux identiques, c'est un phénomène naturel. On a eu en Ontario les cinq jumelles Dionne qui, en fait, étaient cinq clones. Cependant, est-ce qu'on peut recréer en laboratoire des clones, des jumeaux ou des jumelles? Je ne le crois pas. Chez les êtres humains, on devrait fermer la porte immédiatement à l'introduction du processus, je crois. D'ailleurs, le projet de loi C-47, qui est à l'étape de la deuxième lecture, l'interdit formellement.

Maintenant, pour la suite de la question qui est d'ordre proprement scientifique, je m'en référerais, s'il veut bien répondre, au Dr Dallaire.

La présidente: Docteur, je vous en prie.

Dr Louis Dallaire (Département de pédiatrie, Hôpital Sainte-Justine): Je demanderais que la question soit reformulée.

[Traduction]

La présidente: Pourriez-vous reformuler votre question, Sarkis?

M. Sarkis Assadourian: On a récemment utilisé l'ADN pour prouver ou nier quelque chose, lors d'un procès, ou au sujet de la personnalité de quelqu'un. Maintenant, avec le clonage, on pourrait vous cloner, ou me cloner moi ou n'importe qui ici. Il pourrait y avoir deux, trois ou cinq d'entre nous, accusés du même crime ou ayant la même identité, où que nous allions. Quelle incidence cela aura-t-il sur l'utilisation de l'ADN comme outil pour identifier avec certitude quelqu'un?

Dr Dallaire: Je ne comprends pas votre question. Quel impact avons-nous sur l'ADN? Que voulez-vous dire par là?

[Français]

M. Maurice Bernier: Je crois que monsieur veut dire que les recherches sur l'ADN peuvent être très positives, par exemple si c'est utilisé en cour pour identifier les criminels. Mais si on l'utilise pour faire du clonage ou toute autre découverte, est-ce que cela aurait pour effet d'interdire ou d'arrêter...

[Traduction]

M. Sarkis Assadourian: Puis-je apporter une précision, madame la présidente?

On me reprendra si je me trompe, mais on me dit qu'on pourrait assortir l'ADN selon un coefficient de 15 millions à un. Je peux me tromper. J'ai appris cela en suivant le procès Simpson. C'est là que l'on a vraiment entendu parler de toute cette histoire d'ADN. S'il peut exister quelque part un autre Simpson identique, on pourrait soutenir que l'ADN ne permet pas de l'identifier de façon absolue, puisqu'il peut avoir été cloné quelque part dans le monde.

.1220

[Français]

Dr Dallaire: D'accord. Je comprends votre question. Les chances d'avoir deux individus identiques sont de une sur un milliard. Si vous clonez un individu, évidemment l'ADN sera pareil. Vous avez raison jusqu'à un certain point.

Maintenant, on est très loin de cloner des humains. On travaille encore sur les animaux. Pour nous, il n'est pas question de faire de clones humains. J'imagine que les lois, de toute façon, vont nous défendre de tenter de cloner des humains.

La présidente: Le projet de loi C-47 prévoit l'abolition du droit à la recherche dans ce domaine.

Dr Dallaire: Tout à fait. Il y a des recherches qui peuvent se continuer de façon à introduire chez l'animal un gène humain qui pourra par la suite être cloné. On pourrait alors obtenir de l'animal des protéines qui seraient d'origine humaine et pourraient être utilisées par la suite pour le traitement d'une maladie héréditaire. Cela est envisagé et concevable. Cela se fait jusqu'à un certain point avec les bactéries. C'est comme ça que l'insuline est produite d'ailleurs.

La présidente: Madame Lippman.

[Traduction]

Mme Abby Lippman (à titre personnel): Merci, madame la présidente. Je peux ajouter une précision.

Je travaille à l'Université McGill, mais je suis vraiment ici à titre de simple citoyenne; c'est en ces termes qu'un membre de notre groupe a parlé de moi. Je répondrai plus tard à votre question technique.

J'ai beaucoup appris en faisant partie du groupe aujourd'hui. Le simple fait que j'ai beaucoup appris et réfléchi au sujet de la protection de la vie privée me fait vraiment prendre conscience du fait que l'éducation et la discussion publiques sont nécessaires.

Je voudrais proposer que l'on mette en place une structure quelconque en vue d'adapter certains modèles qui sont déjà utilisés ailleurs. Aux États-Unis, il y a un nommé Rick Sglove qui tente actuellement de tenir des audiences publiques sur la technologie, selon les modalités suivantes. On réunit un groupe de simples citoyens et on leur donne un problème dont ils ne connaissent absolument rien, mais on leur donne accès à des experts qui leur disent ce qu'ils ont besoin de savoir. Dans mon esprit, la réglementation correspond de plus en plus à cette idée de tribunal des citoyens, peu importe le nom qu'on leur donne, où des experts servent de personnes ressources, au lieu que ce soit les experts ou des technocrates qui prennent les décisions, parce qu'elles sont trop complexes. Je pense que les gens ordinaires peuvent beaucoup plus facilement aller à l'essentiel. Le modèle a été adapté et il est maintenant largement utilisé dans les pays scandinaves pour des questions scientifiques très compliquées.

Je trouve que le domaine en question s'y prête bien, parce qu'il comporte tellement de ramifications. À titre de citoyenne, je m'inquiète quand j'entends parler d'éducation, parce que cela veut habituellement dire que si je peux seulement apprendre ce que quelqu'un veut m'enseigner, alors je ferai ce que l'on me demande de faire, je comprendrai de quoi il retourne et je serai ravie de la technologie. Je crois donc que l'éducation doit se faire à partir de la base et non à partir du sommet.

Par ailleurs, j'ai beaucoup appris aujourd'hui pour ce qui est de l'utilisation de ces techniques. Quelqu'un a sorti sa carte d'hôtel et quelqu'un d'autre a évoqué toute l'information que l'on pourrait consigner sur la petite bande magnétique de cette carte. Je dois dire que je n'y avais jamais pensé. Je ne voudrais vraiment pas que quelqu'un puisse dire où j'étais aujourd'hui, si j'étais ou non à mon bureau ou ailleurs en utilisant une telle carte.

Ma dernière observation, madame la présidente, porte sur ce que vous avez dit au début. J'étais très contente de vous entendre poser la question de savoir si la technologie est neutre. Je suis de l'école de pensée selon laquelle aucune technologie n'est neutre. Un chercheur canadien bien connu des Maritimes a dit que «la technologie a une valence», ce qui veut dire qu'elle comporte une charge. Le fusil en est un bon exemple. On dit qu'un fusil peut être utilisé pour faire le bien ou le mal. Si je me trouve dans une pièce, en train de me disputer avec quelqu'un, et que je sais qu'un fusil se trouve dans une armoire dans cette pièce, cela change complètement la tonalité de la dispute, même si le fusil ne sort pas de l'armoire. La simple présence du fusil jette un éclairage différent. La simple disponibilité de l'ADN dans une banque de données change la façon dont nous acceptons le témoignage des gens devant les tribunaux. La simple disponibilité de l'ordinateur change notre interaction avec les gens. Je pense qu'il n'y a rien de neutre et c'est pourquoi je veux que de simples citoyens, plus simples que moi-même, discutent de ces choses-là.

Merci de m'avoir permis de venir aujourd'hui.

La présidente: Merci beaucoup. Vous apportez à coup sûr un appui très tangible au point de vue de M. Péladeau.

Oui, monsieur, je vous en prie.

[Français]

Me David Masse (Chait Amyot, avocats): Est-ce que vous avez le temps d'écouter une autre intervention?

La présidente: Nous en avons le temps et nous avons besoin de votre intervention.

Me Masse: Je m'appelle David Masse. Je suis un avocat de Montréal spécialisé en droit commercial et en pratique privée. Je suis également président de l'Association québécoise pour le développement de l'informatique juridique.

.1225

J'ai simplement quelques mots à ajouter. Les nouvelles technologies sont très prometteuses si elles sont bien utilisées. Évidemment, les risques pour la protection de la vie privée sont assez importants et nous en sommes tous très conscients, surtout par rapport au contenu répréhensible sur les réseaux ouverts comme Internet, etc.

Le point que je voudrais signaler, c'est que la technique de communication de données en réseau ouvert est très puissante et très efficace sur le plan économique et permettrait surtout à l'administration publique de rationaliser de façon très importante ses flux d'information. Il n'y a à peu près pas un seul secteur de l'administration publique qui ne pourrait pas bénéficier de façon très importante de l'implantation et de l'utilisation de la technique de communication de données en réseau ouvert.

Songeons à un domaine que je connais très bien, qui est le domaine juridique. Actuellement, à l'échelle du pays, nos tribunaux fonctionnent trop lentement et trop inefficacement. On en vient à ce que les seules personnes dont les intérêts sont bien représentés dans l'administration de la justice sont soit les gens très riches, soit les sociétés commerciales très importantes, soit les gens complètement défavorisés. Nous avons donc une classe moyenne qui n'est absolument pas desservie par le monde juridique à l'heure actuelle.

Le phénomène se produit, en partie du moins, parce que le processus judiciaire est trop lent, beaucoup trop lent, ce qui impose à l'avocat, qui est quand même un professionnel très bien rémunéré, de préparer son dossier à maintes reprises. Si à chacune des reprises, la préparation d'un dossier coûte 2 000 $ et qu'un procès échelonné sur sept ans requiert sept reprises d'un dossier, il est clair que les coûts sont multipliés par sept.

Une des solutions possibles, c'est de dématérialiser la justice de façon à ce que plusieurs processus puissent avoir lieu en même temps et que le dossier, une fois dématérialisé, puisse évoluer entre les mains de plusieurs professionnels simultanément. Cela décuplerait l'efficacité de l'administration de la justice. Ce n'est pas la seule solution, mais c'est un exemple de solution.

La seule façon d'établir une infrastructure de communication de données à grande échelle, c'est-à-dire à l'échelle d'un État, d'une province, d'un pays, c'est d'établir la communication des données en réseau ouvert. Le défaut des réseaux ouverts, c'est évidemment le problème de...

La présidente: Excusez-moi. J'ai peut-être perdu le fil de vos propos, mais j'ai une inquiétude qui porte sur vos dernières remarques. Oui, justice delayed is justice denied. Cela ne peut être remis en question. Mais comment prévoyez-vous communiquer les données à qui de droit? Je n'ai pas saisi l'essence de votre intervention.

Me Masse: C'est parce qu'il y a une distinction à faire entre «ouverture des réseaux» et «ouverture des données». Un réseau ouvert est un moyen de communication un peu comme le réseau de communication des sociétés de téléphone qu'on connaît très bien. C'est un réseau ouvert et efficace. Oubliez la question d'ouverture. C'est un moyen, une technologie de communication qui n'a rien à voir avec les données qui circulent.

Si on implante un réseau ouvert sans faire attention à la sécurité des données, les données sont ouvertes aussi bien que le réseau. La technologie existe, et on en a parlé - le chiffrement des données - pour enrayer ce problème, non seulement pour l'enrayer, mais pour éliminer un risque déjà existant par rapport aux données contenues dans les banques de données très importantes.

Je vois que les gens ont très naturellement et très spontanément des inquiétudes par rapport à la vie privée. Je vois que ces inquiétudes risquent de faire s'élever un obstacle majeur à l'implantation des réseaux ouverts. Donc, si les gens ne cernent pas bien les enjeux des réseaux de communication ouverts, on risque de voir s'élever des objections principalement fondées sur la protection de la vie privée, mais peut-être quand même mal fondées. Ces objections viendraient nous empêcher de profiter de technologies prometteuses pour de mauvaises raisons.

.1230

Ma conclusion, en fin de compte, c'est qu'il faut encourager le législateur à s'entourer d'experts dans le domaine - et il y en a plusieurs qui ont témoigné ici aujourd'hui - de façon à ce que les décisions prises soient les bonnes. Il s'agit de tirer avantage de ce que promettent les réseaux ouverts tout en évitant évidemment de faire face à des problèmes majeurs par rapport à la protection de la vie privée. C'est là, madame la présidente, l'objet de ma réflexion.

La présidente: Je vous remercie et je dois vous avouer que je vais lire attentivement le compte rendu des témoignages. Je vais prendre le vôtre en considération car j'ai encore des interrogations à cet égard. Nous pourrions entrer en contact à un moment donné.

Me Masse: Madame la présidente, j'ai eu l'honneur de donner une conférence à San Francisco à la fin du mois de janvier sur la question de la protection des données dans un réseau ouvert. Pour les gens qui voudraient en prendre connaissance, je vous donne le URL immédiatement; c'est http://chait-amyot.ca/docs/pki.html. En lisant le compte rendu du comité, vous pourrez consulter sur le site Web un document d'environ 50 pages qui va répondre à la plupart de vos questions.

La présidente: Nous vous remercions infiniment.

[Traduction]

Je vois deux mains levées, monsieur.

[Français]

Monsieur...

Une voix: Paul-André Comeau.

La présidente: Non, ce n'est pas M. Comeau.

[Traduction]

Je sais que M. Comeau est ici. Je l'ai vu.

Mme Sunny Handa (présentation individuelle): Madame la présidente, je travaille à la faculté de droit de l'Université McGill, où j'enseigne l'informatique et le droit et la technologie informatique en ce qui concerne le droit d'auteur.

Je voudrais dire pour commencer que je suis d'accord avec David Masse qui a traité des nouvelles technologies dont on entend tellement parler de nos jours. Je pense que le comité doit étudier de façon plus approfondie et mieux comprendre de quoi il retourne dans tout cela. L'infrastructure publique dont David a parlé est une technique nouvelle très importante qui peut offrir des solutions à de nombreux problèmes qui émergent et qui peut nous éviter d'avoir à légiférer. J'ai également écrit sur ce sujet, et il y a très peu de gens au Canada qui connaissent la question à l'heure actuelle; il y en a plus aux États-Unis. C'était mon premier point.

La raison pour laquelle je veux intervenir aujourd'hui, c'est que nous avons parlé de la portée du droit à la vie privée. Nous en avons parlé dans notre groupe et nous avons entendu des experts se prononcer là-dessus, et nous avons également discuté des solutions aux problèmes qui surgissent en matière de protection de la vie privée. Nous avons discuté de codes volontaires, de l'aide technologique au secteur privé pour trouver des solutions à ce problème. Nous avons parlé d'éducation.

Ce que je dis, c'est que nous avons déjà entendu tout cela auparavant. Nous l'avons lu dans le rapport du Comité consultatif sur l'autoroute électronique et dans bien d'autres rapports gouvernementaux. Mais aucun d'entre eux n'a vraiment abordé la question de la portée ou de la nature du droit à la vie privée.

Nous avons entendu Mme Prémont dire qu'il faut équilibrer les choses, qu'il faut mettre dans la balance les droits individuels et les intérêts collectifs. Je ne suis pas certain que ce soit nécessairement ou extrêmement utile. Tous les droits sont relatifs au Canada. Il n'y a pas d'absolu. Nous savons que notre Charte des droits, comporte un contre-poids à l'article 1. Nous savons tous que la liberté de parole peut-être limitée et nous en avons eu un exemple au Québec.

Quelle est donc la portée de ce droit à la vie privée dont on nous rebat les oreilles? Votre comité s'occupe des Droits de la personne. Est-ce donc un droit fondamental de la personne, et qu'est-ce que c'est au juste qu'un droit de la personne? On a parlé de la Déclaration internationale des droits de l'homme. Qu'est-ce que cela veut dire sur le plan de l'application de tout cela devant un tribunal, par exemple? Est-ce optionnel, est-ce un droit facultatif qui peut donner lieu à du resquillage?

.1235

Je ne pense pas que le public veuille nécessairement un droit légiféré que l'on peut ensuite invalider dans l'intérêt public, comme on a vu la Charte invalidée au Québec, dans l'éventualité où cela deviendrait un droit inscrit dans la Charte fédérale, et nous connaissons tous les difficultés qui surgiraient si l'on essayait d'en faire un droit protégé par la Charte.

Un membre du comité peut-il se prononcer là-dessus, d'après ce que vous avez entendu jusqu'à maintenant un peu partout au Canada? Je veux dire, où devrait se situer ce droit, à quelle hauteur faut-il fixer la barre en matière de protection du droit à la vie privée?

Merci.

La présidente: Premièrement, je veux vous remercier beaucoup. Valerie Steeves va répondre à une partie de votre question.

Je peux vous dire qu'en général, et je précise bien qu'il n'y a pas unanimité là-dessus, on reconnaît qu'il faut respecter l'équilibre entre les droits fondamentaux de la personne - la vie privée étant un droit fondamental de la personne - et le droit de la collectivité de se protéger de nombreuses manières et de mettre au point des moyens nouveaux pour traiter des questions de santé, avec toutes les percées que cela implique dans le domaine de la recherche. Il existe donc un juste équilibre, aussi précaire soit-il dans certains cas, entre les droits individuels et collectifs.

Ce que nous avons entendu, et là-dessus, il y a presque unanimité au Canada, c'est que de l'avis de beaucoup d'intervenants, le droit à la vie privée, est le premier des droits de la personne. Ensuite, il faut faire contrepoids à ce droit, mais ce n'est qu'en fonction de paramètres très bien définis que l'on pourrait tronquer le droit de l'individu de décider lui-même qui peut avoir accès à des renseignements personnels.

Vous vouliez ajouter quelque chose au sujet de cette recherche.

Mme Steeves: Oui. À titre d'information, comme M. Scott et Mme Finestone l'ont tous deux dit tout à l'heure, sauf erreur, les travaux de ce comité parlementaire sont à bien des égards complémentaires d'autres initiatives fédérales dans ce domaine.

Je crois que l'une des plus positives est le projet pilote PKI du gouvernement fédéral pour les affaires internes dans l'administration fédérale. On a bon espoir que grâce à l'élaboration de cette banque complexe dotée des sauvegardes et pratiques d'identification voulues, on pourra élaborer un modèle susceptible d'être transposé dans le secteur privé.

L'un des points forts que j'ai constatés, en sillonnant le pays et en suivant les consultations et les travaux du comité, c'est précisément que l'on examine la question sous l'angle des droits de la personne. Industrie Canada se penche sur la participation et les pratiques du secteur privé, ce qui est digne d'intérêt, et la Justice examine la question des crimes haineux et l'application de règles sur le contenu choquant à cette nouvelle technologie des communications.

La perspective des droits de la personne nous permet de discerner l'équilibre entre les valeurs sociales incompatibles. À mon avis, c'est un élément essentiel pour aborder cette technologie de façon efficace.

Je suis certainement d'accord avec Mme Finestone pour dire que le public a fait savoir que cette question est primordiale. Même si ce n'est pas un droit absolu, c'est-à-dire qu'il y a des intérêts contraires qui font contre-poids, les gens veulent vraiment que nous commencions dès maintenant à établir où se situe le juste équilibre, pendant que nous poursuivons ces autres initiatives.

La présidente: Merci. Andy.

M. Andy Scott: Merci, madame la présidente.

La présidente: Excusez-moi, Andy. Je vais poser la question à chacun d'entre vous, afin de répondre à cette question qui nous a été posée et qui est à mon avis tout à fait fondamentale. À votre avis, quelles ont été les principales interventions que vous avez entendues et comment souhaiteriez-vous répondre à cette question?

M. Andy Scott: Eh bien, je voudrais répondre à cette question également, mais je voulais d'abord aborder un autre point qui a été soulevé.

La présidente: Allez-y.

M. Andy Scott: Jusqu'à un certain point, je relève le défi qu'a lancé Mme Lippman de trouver des citoyens encore plus simples qu'elle. Au nom de tous ceux-là, je veux dire que tout au long de la semaine, on nous a parlé d'éducation et du fait que personne ne sait ce qui s'y passe. Il en résulte que les citoyens sont mal placés pour veiller à leurs propres intérêts, parce qu'ils ne savent pas vraiment en quoi consiste leurs intérêts. J'ai donc écouté toute la semaine des interventions en ce sens, j'ai entendu les gens nous parler d'éducation et je prenais conscience qu'il faut que les gens se dotent des outils voulus pour assurer leur propre défense.

Peut-être faudrait-il inverser la proposition et reconnaître - on l'a déjà dit je crois, mais je n'ai pas été suffisamment alerte pour m'en apercevoir plus tôt - que ce qu'il faut faire enfin, c'est de dire aux gens qui savent ce qui se passe dans ce dossier quels sont les souhaits de la population.

.1240

En réalité, je pense que l'on peut dire que nous avons le sentiment très vif que les gens estiment qu'ils font en quelque sorte l'objet d'une violation. J'ignore s'ils savent spécifiquement ou techniquement comment tout cela se fait. Ils ne prennent pas la parole pour le dire avec toute l'intensité requise, parce qu'ils sont intimidés. Ils craignent de paraître ridicules et je vais donc parler en leur nom. La réalité, c'est que le public doit s'armer de confiance et entreprendre d'instruire les gens qui connaissent le dossier pour que ces derniers tiennent compte de leurs valeurs dans tout cela.

Parce qu'en fin de compte, ce n'est pas une question technique. En fin de compte, c'est une question de valeurs fondamentales. C'est peut-être encore moins technique que les questions de droits de la personne. Je suis certain que la plupart des Canadiens ne peuvent même pas traiter avec beaucoup de confiance des droits de la personne. C'est plus intuitif que cela.

Je crois qu'il nous incombe, à titre de législateurs, de puiser dans la sagesse collective des citoyens de notre pays afin de découvrir ce que les gens souhaitent voir dans leur législation. À cet égard, il y a urgence, parce que l'exercice est en train de se déployer de façon anarchique, sans les sauvegardes, les poids et les contre-poids qui, de l'avis des gens, sont nécessaires.

Il n'incombe pas vraiment aux citoyens de comprendre tous les aspects techniques, parce qu'ils n'y parviendront pas. Il incombe à tous ceux qui connaissent les aspects techniques d'accorder une attention particulière à ce que les Canadiens veulent intuitivement et qu'ils essaient d'exprimer quant à ce que les gens devraient pouvoir connaître à leur sujet et ce que leur pays devrait pouvoir faire en la matière.

Je crois qu'il faut en arriver là. Ce sera très difficile, j'en conviens, et je ne suis même pas certain que ce soit réalisable, mais tel est certainement l'objectif. Je suis convaincu que l'enquête en cours est issue des souhaits exprimés par les citoyens plus simples dont il a été question. J'accueille favorablement la suggestion que nous devons veiller à ne pas l'oublier. Je suis particulièrement reconnaissant aux intervenants de m'avoir fait comprendre, contrairement à ce que je pensais, qui a besoin d'être informé à ce sujet.

[Français]

La présidente: Vous voulez intervenir?

Mme Prémont: J'aimerais répondre au commentaire de Sunny. On vient de la même faculté, et Sunny est en train de terminer son doctorat.

La présidente: Je voudrais entendre cet échange. Cela semble très intéressant.

Mme Prémont: Vous verrez que nous favorisons la divergence d'opinions. Sunny est en train de terminer sa thèse de doctorat à la faculté, je crois. Peut-être qu'il l'a déjà terminée.

Si j'ai bien compris l'intervention de Sunny, il nous propose de ne pas perdre notre temps et de sauter par-dessus l'étape de la balance des intérêts divergents, sous prétexte que l'argumentation ayant trait aux droits fondamentaux s'occupe de cela et donc que ce n'est pas à nous de s'en préoccuper.

Je suis tout à fait d'accord avec celui qui me précédait, qui disait qu'il est tout à fait inacceptable de penser qu'on puisse implanter une technologie sans connaître l'impact de cette technologie sur la société.

Mais il faut aussi être conscient qu'il s'agit d'une boucle récursive. Ce n'est pas simplement la technologie qui a un impact sur la société. Il faut examiner comment cette société est structurée, et la structure même de cette société aura une influence sur la façon dont la technologie sera utilisée et sur la façon dont elle aura un impact.

Sunny semblait dire qu'on n'a pas à se préoccuper de la divergence de l'élément droit individuel versus droit collectif. Je suis fondamentalement en désaccord sur ce point de vue, parce que l'équilibre dont il parle est souvent concentré autour de l'argumentation des chartes.

On sait qu'en principe, la charte protège les droits individuels. Cependant, si on analyse l'effet historique de la charte, on se rendra peut-être compte un jour qu'on a manqué le bateau à certains égards en ce qui a trait à la protection des acquis sociaux, qui ne sont peut-être pas totalement protégés strictement par la charte. Autrement dit, la charte ne s'occupe pas de tout et n'est pas la seule à pouvoir nous protéger. On a vraiment besoin d'avoir un débat de fond sur d'autres valeurs sociales qui sont en conflit.

[Traduction]

La présidente: Je pense qu'une loi décrétée par un juge indiquant que la compétence partagée...

[Français]

Pierrôt.

.1245

M. Péladeau: Pour enchaîner avec l'aspect du bilan que les élus font de leur tournée pancanadienne et des consultations qui ont précédé, je suis très heureux que les élus se voient comme des législateurs qui devront

[Traduction]

puise dans la sagesse collective de la population.

[Français]

C'est ce qu'il faut faire. Dans quelques semaines, vous ne serez plus des législateurs à l'écoute. Vous deviendrez des vendeurs de vos visions respectives de ce que doit être la société canadienne ou des solutions que vous apporterez aux problèmes. Dans cette campagne électorale, qui est aussi une campagne de vente de visions, vous serez confrontés à cette question au sein de vos partis et de vos programmes, parce que vous y êtes sensibilisés. Là-dessus, je vous souhaite tous d'être réélus pour qu'on puisse poursuivre le débat plus tard.

Quand on parle d'acquis sociaux, c'en est un, un petit qui n'est pas négligeable, surtout qu'il serait bon qu'on mentionne, dans le cadre des campagnes, l'intérêt de vos partis respectifs pour les questions de vie privée ou les implications de la technologie, mais aussi que l'on dise, lorsqu'on va parler de solutions particulières à des problèmes sociaux, que ces solutions ne doivent pas porter atteinte ou poser problème aux questions technologiques.

Donc, je vous soumets que vous devez répandre la bonne confiance ou la bonne parole au sein de vos équipes respectives. Vous serez confrontés très très concrètement. Il y a toutes sortes de choses dont on discute actuellement au sujet des solutions aux problèmes que nous avons, dont la question de la protection des renseignements personnels et de la vie privée et celle des nouvelles technologies qui seront au coeur des solutions qu'on va mettre de l'avant. Je pense que vous serez rapidement confrontés à cette question de la façon de faire l'équilibre.

La présidente: Je pense que vous avez raison. Il y a la question de l'industrie et de la justice qui s'en viennent, et les grandes industries y sont fortement intéressées.

M. Maurice Bernier: Tenter de résumer en quelques minutes ce qui s'est passé au cours de la semaine, c'est un exploit en soi. Je dis souvent que dans le domaine des droits de la personne comme dans le domaine de la condition des personnes handicapées, puisque notre comité est responsable des deux, s'il y a une chose contre laquelle il faut se prémunir, c'est de tenir pour acquise telle ou telle situation. Autrement dit, il n'y a jamais rien de terminé dans ce domaine-là. C'est peut-être une bonne nouvelle pour les avocats ou ceux qui en discuteront, mais cela risque de durer longtemps encore.

Quand on parle des nouvelles technologies, on constate qu'il existe dans la population en général une espèce de fatalisme. On voit arriver toutes sortes de nouvelles technologies et on pense que cela fait partie de nos vies sur le plan quotidien. Plus souvent qu'autrement, on a le réflexe de se les laisser imposer sans poser de questions, sans se demander exactement où on veut en venir avec toutes ces nouvelles technologies. On a toujours de très bonnes raisons de nous proposer une nouvelle technologie, que ce soit l'efficacité sur le plan économique ou la vitesse de la circulation de l'information ou le fait qu'on va tout connaître, qu'on va avoir toute l'information sur chacun des individus, etc.

Une autre notion que l'on prend pour acquise est le fait que lorsqu'on a une loi ou un organisme de surveillance, c'est comme si, pour plusieurs personnes, le problème était presque réglé, sinon totalement réglé. Cela est dangereux. On n'a qu'a penser à l'exemple qu'a donné Mme Vallée.M. Comeau est ici aujourd'hui et pourrait peut-être nous le répéter.

.1250

Même si on a des lois et des organismes, si on ne demeure pas vigilants, il est toujours tentant pour un gouvernement ou une compagnie d'utiliser une nouvelle technologie pour toutes sortes de raisons.

Je sors de cette brève tournée très enrichissante en me disant qu'il faut, comme M. Péladeau le disait plus tôt, continuer la discussion, se donner des outils et se convaincre de la nécessité d'informer et de sensibiliser nos gens afin qu'ils soient de plus en plus vigilants.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Bernier.

John et ensuite M. Fortin et M. Comeau, j'espère. On va entendre quelques mots de M. John Godfrey. Monsieur Comeau, j'espère que vous allez garder un peu de temps pour nous.

[Traduction]

M. John Godfrey: J'ai été presque tenté d'aller au tableau pour vous faire une démonstration, parce qu'il m'a semblé que l'autre solution était de recourir à une magnifique collection de métaphores sans queue ni tête, mais je pense que je vais plutôt me contenter de cette dernière solution.

Si j'essaie de rassembler ce que j'ai appris pendant la semaine, pas seulement à cette réunion-ci, la première métaphore qui me vient à l'esprit est celle de deux objets en mouvement. Le premier est l'évolution technologique très rapide de tout ce que nous étudions. L'autre est l'évolution de la conscientisation et des valeurs sociales changeantes de notre société, évolution qui se fait à un rythme différent.

Le défi que nous devons relever n'est pas nécessairement de coupler les deux pour que leur vitesse soit la même, mais plutôt de réduire l'écart. C'est là que nous pouvons intervenir à titre d'agent du changement - comme vous le voyez, les métaphores vont bon train - et voilà le défi. Il y a deux vitesses différentes, mais il faut pourtant que nous fassions quelque chose si nous voulons préserver un régime démocratique doté de leviers de contrôle et de participation.

Comme nous sommes en présence d'un modèle très dynamique doté de deux variables à vitesse différente, si l'on peut dire, le problème tient en partie au fait que nous faisons de la photographie et non pas du cinéma, c'est-à-dire que nous prenons un instantané de la situation actuelle en matière de chartes et d'autres lois qui sont adoptées dans d'autres pays, et nous prenons d'autre part un instantané des abus qui se produisent actuellement. La conjoncture actuelle est la pire, compte tenu de la complexité des données auxquelles ne correspond pas une protection satisfaisante. Mais si nous nous efforçons de créer un régime pour l'avenir en nous fondant sur ces instantanés, nous ne tiendrons pas compte du dynamisme des deux éléments qui nous préoccupent, à savoir les valeurs sociales et la technologie.

Il semblerait que la solution soit une sorte de théorie du champ dynamique, si je peux m'exprimer ainsi, qui reconnaîtrait qu'il y a tout un éventail de mécanismes imbriqués qui, en un sens doivent être couronnés par une charte de principes généraux qui s'appliqueront à l'évolution technologique, peu importe dans quel sens elle s'oriente, et qui établiront en quelque sorte des valeurs fondamentales éternelles, afin qu'on ait au moins l'impression d'aller au devant du changement, plutôt que de toujours faire du rattrapage.

Quant à savoir s'il s'agira probablement d'un principe constitutionnel ou si cela va s'insérer ailleurs dans la hiérarchie du droit, c'est à nous d'en débattre, mais il faudra que tous les autres éléments soient en place, par exemple des codes d'association et, bien sûr, les lois provinciales et internationales.

À la fin du compte, cet ensemble de principes doit être inter-relié, logique et dynamique pour que nous puissions tenir tête à l'évolution technologique. Il faut aussi un mécanisme de rétroaction qui nous permettra de surveiller constamment ce qui préoccupe le public et qui tiendra compte des compromis que le public est prêt à accepter...

Je vais m'arrêter là.

La présidente: Merci beaucoup, John.

Je voudrais bien entendre M. Fortin et M. Comeau.

À mon avis, ce que vous avez souligné, c'est que même si le problème prend beaucoup plus d'ampleur que nous ne pouvons contrôler sur le plan technologique, il y a malgré tout des questions fondamentales de morale qui reflètent les valeurs canadiennes. C'est ce que nous essayons de définir.

M. Fortin d'abord, et ensuite M. Comeau.

[Français]

Dr Jean-Paul Fortin (Régie d'assurance-maladie du Québec): Je m'appelle Jean-Paul Fortin et je suis médecin spécialiste en santé publique et professeur au Département de médecine sociale et préventive à l'Université Laval, à Québec. Je travaille à la Direction régionale de santé publique de Québec. Je suis aussi le responsable de l'équipe de recherche qui a développé, implanté et évalué le projet de carte santé à Rimouski.

.1255

D'abord, j'aimerais profiter de l'occasion pour souligner combien la question de la protection de la vie privée est pour moi essentielle. Elle n'est pas uniquement essentielle pour éviter que se passent certaines choses, mais aussi pour permettre que se passent d'autres choses.

Je vais essayer de vous faire une petite démonstration dans la logique que vous avez utilisée pour nous faire travailler ce matin. Donc, je partirai de l'histoire de cas pour arriver à mettre en évidence un certain nombre de principes fondamentaux qui ont animé notre démarche, qui a conduit vers une solution qui semble être acceptée et acceptable par l'ensemble des utilisateurs, tant au niveau du terrain, qu'il s'agisse des professionnels de la santé ou de la population, qu'à celui des organismes responsables au niveau central, des associations et fédérations professionnelles de médecins, de pharmacies, de la Commission d'accès à l'information et de l'ensemble des gens qui étaient impliqués dans le processus.

Je voudrais qu'on voie comment, à partir d'une préoccupation comme celle-là, on peut construire des choses.

Le projet de carte santé a été construit à partir d'un objectif, qui était d'améliorer la qualité des services de santé et la santé des gens. La circulation de l'information était uniquement un moyen. L'objectif était tout à fait autre.

Il est extrêmement important de faire la part des choses et, en particulier, de bien dire que cela ne pouvait servir pour des fins de contrôle. L'objectif était de viser les 95 ou 96 p. 100 de la population qui ne fraudent pas le système de santé.

Je n'ai aucun problème à ce qu'il y ait des contrôles dans nos systèmes, mais quelque part, il y a aussi les 95 ou 96 p. 100 de la population qui ne fraudent pas le système. On cherchait une approche qui améliorerait la santé et qui, en même temps, réduirait aussi les coûts du système de santé.

Notre hypothèse est qu'une meilleure pratique peut réduire les coûts de la santé. On croyait qu'on pouvait réduire les coûts par une bonne pratique, et la condition pour y arriver était de bien connaître ce que j'appelle la nature de la bête.

C'est quoi, la nature de la bête? Un système de santé va bien fonctionner s'il existe une relation de confiance. Quand vous voyez votre médecin, vous devez avoir une relation de confiance avec ce médecin. Vous allez vous-même choisir ce que vous allez lui dire. Autrement, le système ne fonctionnera pas et vos soins ne seront pas nécessairement optimaux.

Il faut aussi qu'il y ait une relation de confiance dans le système entre les professionnels de la santé, et aussi entre les professionnels de la santé et l'État.

L'une des préoccupations majeures des professionnels de la santé du projet de carte santé était de savoir si la carte allait servir à contrôler les pratiques professionnelles. À partir du moment où la réponse a été non, les médecins et la population ont participé à un taux inouï, et cette participation a conduit à des résultats assez impressionnants. Les médecins et les pharmaciens nous confirment que cela diminue les interactions médicamenteuses.

Qu'est-ce que cela veut dire pour nous? Cela veut dire qu'on touche un point qui cause de 16 à 18 p. 100 des hospitalisations au Québec. Quelque part, on pourrait peut-être épargner de l'argent si on avait une stratégie qui permettrait d'améliorer la qualité des services. Pour cela, il faut qu'existe cette confiance.

Au fur et à mesure qu'on avançait, on vérifiait cela. Chaque fois qu'on les réconfortait, on jouait le jeu. C'est pour cela qu'on a pu, en bout de piste, réussir à avoir des solutions qui étaient acceptables et utiles.

C'est pour cela que je dis que la protection peut être un atout pour arriver à une fin qui nous amène à des conclusions intéressantes.

Comment l'a-t-on fait? D'abord, on a cru que c'était important. La population et les professionnels nous ont confirmé que c'était important.

Avant de commencer le projet, on nous regardait toujours avec un petit sourire en disant: «Regardez comme ils sont puristes, ces gens-là. La confidentialité, il ne faut quand même pas en faire un plat». Il y a cinq ans, c'était comme cela en Amérique du Nord.

Aujourd'hui, en Amérique du Nord et en Europe, ceux qui ne se sont pas préoccupés de cette question, dans notre domaine, doivent revenir en arrière et recommencer à faire leurs devoirs. Quelque part, cette réalité-là existe. Donc, on y a cru.

.1300

Deuxièmement, on s'est dit que la stratégie pour y arriver n'était pas uniquement technologique. C'est une stratégie qui doit amener les gens à avoir confiance. Donc, il faut que les gens soient informés; il faut qu'ils puissent parler; il faut qu'il puisse y avoir une écoute et qu'il y ait un dialogue entre les constructeurs du projet et ceux qui ont à vivre avec le projet.

Donc, il y a eu des consultations. Il y a eu une transparence inouïe dans le cheminement du projet. On a associé sur le terrain les citoyens et les professionnels de la santé et, au niveau central, les organismes professionnels et la Commission d'accès à l'information. Je dois dire qu'on s'était imposé au départ de convaincre la Commission d'accès à l'information. On s'est dit: «Le jour où on va convaincre la Commission d'accès à l'information, on aura un atout pour convaincre la population que le projet est acceptable».

Les gens nous regardaient avec un certain sourire, il y a cinq ans. Ils nous disaient de ne pas aller à la Commission d'accès à l'information parce qu'on trouverait là bien plus de problèmes que de solutions, mais on s'est dit que pour nous, c'était important. Je peux vous dire aujourd'hui que cela a été, en rétrospective, l'une de nos idées les plus brillantes. C'est un atout qui nous a aidés à construire des solutions acceptables par la population.

Donc, on a été transparents. On a parlé aux gens et on les a écoutés. On s'est imposé des structures et on a établi des principes de base, des procédures et, à partir de là, on a pu faire un bout de chemin. Le principe de base est le consentement de la population. Pour nous, ce qui est essentiel pour le citoyen, c'est la capacité de dire non, la capacité de refuser qu'une information soit disponible.

Revenez à votre situation. Si demain matin, vous avez une maladie transmise sexuellement, vous allez vouloir choisir à quel médecin vous allez le dire. Il faut que cela puisse continuer. Autrement, on commence la dynamique de cacher des choses, ce qui est même un danger au niveau des soins.

Il faut absolument aller en ce sens. Le consentement, avec des notions de volontariat et le contrôle de l'information par le patient, est un élément extrêmement important. Pour arriver à un consensus, il faut assumer le fardeau de la preuve. Il faut qu'on puisse arriver à convaincre la population de cela. Il faut que la population soit bien informée.

Nos propres citoyens nous ont demandé si cela allait être utilisé par l'employeur et les compagnies d'assurance. Si cela avait été le cas, ils ne se seraient pas embarqués. Il a fallu bâtir cet élément. Au départ, on nous demandait même si cela allait être utilisé pour contrôler notre pratique ou les soins au niveau du système de santé. On leur a répondu que ce serait uniquement pour la gestion des opérations.

Avec le temps, les gens ont cheminé et ont cru, et on a trouvé des solutions acceptables. Aujourd'hui, notre démarche est de proposer une carte à double finalité, une carte d'assurance-maladie à puce qui commencerait à partir de janvier 1998. Avec cette carte, il serait possible de vérifier si le citoyen est admissible au service. On aurait aussi la possibilité d'y inscrire de l'information clinique.

Cependant, on doit reconnaître que les deux finalités ont des caractéristiques propres et qu'elles doivent avoir leurs propres règles du jeu. Qu'est-ce que cela veut dire en pratique? Vous devrez obligatoirement présenter votre carte d'assurance-maladie pour vous identifier, mais vous aurez toujours le droit de consentir ou non à ce qu'on y inscrive votre information clinique. La notion de consentement et de volontariat va pouvoir jouer. Il faut bien cerner les finalités chaque fois qu'on regarde les informations et rendre possible le contrôle de cette information par le patient.

Dans cette logique-là, parler d'une carte multiservice pour demain matin est pour nous inacceptable. J'essaie de convaincre ma mère que si elle a une information santé sur sa carte et que le policier l'arrête parce qu'elle roule trop vite, jamais le policier ne verra l'information qu'il y a sur la carte. Je n'ai pas encore réussi à la convaincre. Donc, si on veut que les cartes soient utilisées à des fins précises, notamment dans la section de la santé où l'information est particulièrement sensible, il n'est pas question d'accepter que cette carte puisse servir à autre chose qu'aux fins auxquelles elle est conçue.

La présidente: Je crois, monsieur Fortin, que vous avez répondu à beaucoup d'inquiétudes qui ont été exprimées lors de nos rencontres dans les autres villes du Canada.

.1305

Le croisement des données d'une seule carte d'identité, malgré toutes les protections voulues, inquiétait tout le monde. Derrière les cartes Visa, American Express, etc., on vous annonce que ces données pourront être croisées et qu'on pourra arriver à bâtir des listes d'information. Les gens ne veulent plus que toutes les informations figurent au même endroit et soient aussi facilement accessibles.

Vos remarques d'aujourd'hui ont soulagé les inquiétudes qui ont été exprimées à cet égard. On a eu une discussion sur le temps, l'énergie et l'argent qu'il faut pour trouver les fraudeurs. Une carte médicale comme la vôtre, bien entourée, assurant l'anonymat dont on a besoin et préservant le droit au consentement, est très importante.

J'aimerais souligner, pour le bénéfice de nos collègues et pour ceux et celles qui sont dans la salle, que M. Fortin a apporté toute la «patente» et que vous pourrez l'utiliser pour voir comment cela pourrait fonctionner.

Y a-t-il d'autres questions?

[Traduction]

M. Sarkis Assadourian: Je voudrais poser une brève question.

Vous avez dit qu'une carte de santé ou n'importe quelle autre carte d'ailleurs ne devrait servir qu'à un but précis. Comment peut-on le garantir? Comment peut-on garantir que la carte sera utilisée uniquement à une seule fin?

[Français]

Dr Fortin: La stratégie qui, à mon avis, est peut-être à la base de la possibilité de le garantir... D'abord, je ne suis pas un expert dans tous les aspects, mais je sais qu'il faut que le débat soit public, ouvert et transparent et que les gens sachent exactement ce qui peut être fait ou non. Je crois que c'est un élément important.

Il faut des règles du jeu, des principes, des gens ou des groupes responsables de certains aspects de ces démarches. Il y a donc des conditions pour y arriver. Il faut aussi que les outils qui existent soient utilisés aux fins pour lesquelles ils ont été conçus. Il faut qu'au moment où les questions se posent, les réponses puissent être données. Ainsi, on va créer progressivement un consensus et les gens nous diront jusqu'où on peut aller avec les outils qu'on a.

[Traduction]

M. Sarkis Assadourian: L'autre chose que je voulais demander, c'est un résumé de ce que nous avons appris cette semaine. Selon moi, les trois choses dont nous avons discuté, c'est-à-dire la surveillance vidéo, les tests génétiques et la carte à puce, peuvent tous être décrits de la même façon. Ce sont des maux nécessaires dans notre société. Ce qu'il faut déterminer, c'est jusqu'où on peut tolérer ces maux. On a besoin de la carte à puce pour vivre. On a besoin de la surveillance vidéo pour vivre. On peut avoir besoin davantage de l'une que de l'autre. Vous pouvez avoir un système de surveillance vidéo chez vous, mais vous pouvez utiliser la carte à puce ou les tests génétiques pour votre santé. Ce qu'il faut savoir, c'est comment on peut contrôler tout cela et à qui on peut faire confiance.

Si vous vous rappelez bien, madame la présidente, quand nous étions en Alberta, tout se fondait sur l'industrie. C'est parce que les renseignements dans les trois cas, seront utilisés par trois groupes. D'abord, il y a le gouvernement, bien sûr, ensuite l'industrie et enfin les particuliers. Dans les trois cas, il faut avoir de bons mécanismes de contrôle et s'assurer que l'information est utilisée aux fins pour lesquelles elle a été obtenue.

C'est la question clé. Nous avons tous besoin de la technologie. Nous nous en servons davantage maintenant que l'année dernière. Nous nous en servirons plus l'année prochaine que cette année. C'est cependant un mal que nous devons contrôler. Nous avons tous besoin de ce même mal, mais nous devons le contrôler.

Voilà mon résumé. J'ai été très bref.

La présidente: Je vous donnerai la parole à nouveau plus tard.

[Français]

Dr Fortin: M. Comeau pourrait sûrement aller plus loin que moi.

[Traduction]

La présidente: Si vous avez terminé vos questions monsieur Fortin, je demanderais à M. Comeau de s'approcher du microphone.

[Français]

Dr Fortin: Je voudrais simplement ajouter un petit élément. Les finalités peuvent être divisées en spécificités. Je veux dire par là que, même dans le secteur de la santé, l'utilisation va varier selon le niveau. S'il s'agit d'une relation entre un patient et un professionnel, le nom est important; au niveau des planificateurs, on n'a pas besoin de noms.

.1310

Donc, selon le niveau et selon l'usage qu'on fait de l'information, il y a des règles qui peuvent s'appliquer: on a accès à un nom ou non, ou encore à un numéro d'identification ou non. Quant aux banques, elles doivent faire des utilisations très spécifiques de cela.

Actuellement, la technologie, notamment dans le cas de la carte à puce, est en train de permettre l'établissement de banques de données anonymes. Les données y sont, mais pas les noms. On n'est pas capable d'identifier la personne à qui cela appartient. La technologie arrive tranquillement avec des solutions, mais il est important de voir que la technologie doit rester dans un contexte beaucoup plus large, dans un processus où les gens vont pouvoir évoluer. Le jour où on arrivera à un consensus collectif sur la solution, on aura fait un bout de chemin.

La présidente: Merci beaucoup.

Monsieur Comeau, s'il vous plaît.

[Traduction]

Jean, dites-nous si vous voulez nous parler de ce que vous avez noté, avant ou après M. Comeau.

Mme Jean Augustine: Je pense pouvoir faire mes commentaires tout de suite et être brève.

J'ai vu la démonstration et cela m'a vraiment impressionnée. On nous a constamment répété que ce n'était pas l'utilisation primaire des renseignements qui était inquiétante, mais plutôt l'utilisation secondaire. Autrement dit, que peut-on faire de ces renseignements une fois que je les aurai fournis et comment pourrais-je les récupérer? M'appartiennent-ils? À qui appartiennent ces renseignements une fois que je les ai fournis?

Selon moi, c'est un point important pour bon nombre des gens que nous avons entendus. Le public a le droit de dire qu'il ne veut pas fournir tel ou tel renseignement et il a le droit de pouvoir contrôler ces renseignements une fois qu'ils ont été fournis. On a donc discuté longuement des rapports de force qui semblaient parfois être en jeu, dans l'obtention de renseignements.

On a aussi longuement discuté des besoins de l'État par opposition aux besoins économiques et financiers et aux besoins des entreprises privées. Il y a une différence entre le niveau de tolérance des particuliers lorsqu'il s'agit de fournir des renseignements à l'État pour le bien public par opposition à leur niveau de tolérance pour l'obtention de renseignements à d'autres fins.

Nous avons beaucoup entendu parler de codes volontaires et du fait que la loi actuelle est plutôt élastique vu qu'elle relève de divers ministères, en ce qui concerne l'application de la justice et du Code criminel. Certains ont aussi exprimé des inquiétudes au sujet des procédures utilisées aux États-Unis en cas de litige pour l'obtention d'information. Ce qui est ressorti à maintes reprises, c'est qu'on ne veut pas nécessairement des lois à ce sujet, mais plutôt des lignes directrices ou une politique claire qui indique comment nous pouvons contrôler qui est propriétaire des renseignements et qui peut en faire quoi. Le fardeau de la preuve devrait revenir à ceux qui font une utilisation secondaire des renseignements, et il faut respecter le droit de propriété des particuliers relativement aux renseignements qui les touchent.

La présidente: Merci beaucoup, madame Augustine.

[Français]

Je crois, monsieur Comeau, que vous êtes arrivé à un bon moment. Pour la plupart, il était réconfortant de savoir que le pouvoir en ce qui a trait à la vérification, à l'accès, etc. était dans leurs propres mains. On a vu une carte faite par la nouvelle compagnie CANPASS, sur laquelle il y avait une inscription semblable. Vous avez non seulement le droit de prendre vous-même la décision de l'utiliser, mais aussi d'accorder ou non l'accès au système. Ce n'est pas seulement votre empreinte digitale ou la forme de votre main qui peut donner accès aux données.

.1315

Y aurait-il possibilité que tout cela puisse être entre les mains de chacun et chacune de nos concitoyens? Comme l'a déjà expliqué M. Fortin, c'est fort important, mais je n'en ai pas encore le contrôle, et je ne sais pas si ce serait une bonne idée que d'en avoir le contrôle. On est en train de mesurer et d'évaluer toutes les données qui nous ont été exprimées. Certains veulent avoir un jury formé de gens ordinaires. J'aimerais avoir votre avis à cet égard en tant que commissaire à l'accès à l'information. On a déjà eu le plaisir d'entendre vos commentaires auparavant.

M. Paul-André Comeau (président, Commission d'accès à l'information du Québec): Je vous remercie, madame la présidente. Je vous présente mes excuses. Je suis venu tôt ce matin, mais j'ai dû disparaître. Je ne répondrai pas à la question qui a été soulevée par M. Bernier, puisqu'il y a une enquête engagée par la Sûreté du Québec sur les événements qui ont fait les manchettes il y a quelques jours.

La présidente: Partout au Canada, monsieur Comeau.

M. Comeau: Voilà. Cependant, je voudrais élargir un tout petit peu le débat et revenir à ce qui me semble être le GBS, le gros bon sens ou, en anglais, the basics. Il y a deux ans et demi, je participais à un séminaire au Département de sciences politiques de l'Université de Montréal, où se trouvait votre collègue d'aujourd'hui, Stéphane Dion. J'avais scandalisé bon nombre d'universitaires en disant qu'il fallait cesser de regarder la technologie pour ce qu'elle est au moment même et plutôt la regarder en fonction de ce qu'est l'homme.

Ma remarque était basée sur un fait qui me semblait évident. À l'époque, Internet était présenté comme le lieu par excellence de la convivialité, le moyen par excellence d'accès à la culture, à l'information, etc., alors qu'Internet était en train de devenir un vaste machin commercial. À ce moment-là, on était tellement branché sur un certain nombre de clichés et de mythes autour d'Internet qu'on oubliait les problèmes majeurs de sécurité, d'authentification, de confidentialité qui, aujourd'hui, sollicitent et interpellent tout le monde.

Je pense qu'il y a un retour très élémentaire à faire. Il y a 15 jours, j'ai lu Aristote sur Internet. Aristote a quand même pondu ses textes il y a quelques millénaires. Ils nous sont parvenus et on s'en sert encore. Est-ce que la technologie signifie que l'homme a changé et que la nature humaine va changer? Je pense qu'il faut être très réaliste et se poser ces questions avant de voir quelles sont les implications fondamentales de la technologie.

Il faut revenir à quelque chose. Vous savez, il y a un commandement qui a été inventé il y a quelques millénaires, qui est très simple: «Tu ne tueras point». Il y a encore des prisons et des polices dans le monde qui s'occupent de cela. La nature humaine ne change pas. Je ne vois pas, depuis les débuts de l'humanité, de changements majeurs. Bien sûr, il y a des raffinements, il y a l'introduction du droit, des chartes, etc., mais les fondements de l'action humaine, du comportement demeurent les mêmes. Il faut revenir à cela et ne pas se laisser entraîner dans un tourbillon où la technologie nous dicte notre réflexion. Je suis un peu inquiet devant cette tendance à vouloir toujours penser en fonction des changements. Bien sûr, les modalités changent, mais les motifs et les finalités de l'action humaine demeurent invariables.

Je voudrais faire une comparaison très simple. Aujourd'hui, les messages, les données sont transmis de façon binaire, avec ou sans fil, par satellite ou autrement. Quelle différence y a-t-il entre cela et le fait qu'autrefois, en Afrique, nos ancêtres, lorsqu'ils sont devenus bipèdes, se servaient du tam-tam pour transmettre les mêmes données? Je pense qu'il faut là aussi revenir sur terre et bien regarder les problèmes en fonction des besoins de l'homme et de ses motivations et non pas en fonction de la technologie elle-même. La technologie est un moyen.

C'est simplement ce que je voulais vous dire. Malheureusement, je ne suis pas plus prêt que cela pour les raisons que vous devinez. Je vous remercie.

La présidente: Monsieur Comeau, mon analyse - et cela ne veut pas dire que j'ai raison - de ce que j'ai entendu depuis le mois de septembre dernier est que, malgré les nouvelles technologies, malgré toutes les contraintes ou le bien-fondé de ceci ou de cela, il y a des valeurs humaines qui sont le fondement même d'une société comme la nôtre et qui sont différentes selon les sociétés dans le monde.

.1320

Ici, au Canada, on se sent liés avec nos concitoyens et on a une responsabilité mutuelle pour le bien-être de nos concitoyens. Les mêmes choses nous lient. Je ne parle pas dans le sens politique, mais de la façon dont on se sent et de notre comportement.

Avec toutes les difficultés qu'on vit, ne devrait-on pas aller au-delà et énoncer un peu une charte de privacy, une charte qui démontrerait qu'en tant qu'êtres humains, on a certains droits à la liberté et au contrôle de soi-même et qu'on a le droit d'être autonomes? Si on le veut, on a le droit d'être présents.

Il s'agit du contrôle sur soi. C'est pour cela que j'ai commencé par cette question. Y en a-t-il d'autres qui aimeraient poser des questions à M. Comeau.

M. Maurice Bernier: Il y aurait tellement de questions ou d'échanges qu'on pourrait avoir avec M. Comeau. Cependant, je voudrais simplement lui dire que plus tôt, ce n'était pas une question que je lui posais, mais un commentaire général que je faisais. Je suis tout à fait d'accord sur ce qu'il vient de dire. Je partage ce point de vue-là à 100 p. 100. La seule chose qu'il faut éviter, c'est de penser qu'un jour cette situation-là sera réglée. Au contraire, l'humain étant ce qu'il est... C'est tout.

La présidente: Monsieur Comeau, je vous ai gardé pour la fin, parce qu'on a un respect énorme pour le rôle que vous jouez et pour votre vision de la société. On l'a déjà mentionné au mois d'octobre ou novembre, et rien n'a changé depuis. Quand M. Fortin nous dit qu'on vous a consulté au sujet de la carte à puce, on se sent en sécurité. Je vous remercie.

M. Comeau: Je vous remercie, madame. Je remercie aussi M. Fortin, parce qu'on a bien travaillé ensemble.

La présidente: Y a-t-il quelqu'un d'autre qui veut s'approcher du micro?

Je veux vous remercier du fond du coeur pour le partage des informations et le temps que vous nous avez accordé. Je vous assure que le comité prend tout cela très au sérieux, dans l'intérêt de nos concitoyens.

[Traduction]

Même si les gens d'affaires ont quelque peu hésité à participer à nos discussions, je tiens à les remercier de leur contribution utile et instructive. Je pense que les gens d'affaires ont compris qu'ils sont aussi des membres individuels de notre société.

Vu que ce sont des droits de la personne, les droits individuels sont toujours un facteur important. Je trouve vraiment merveilleux que nous terminions ici, dans ma ville, et que nous discutions des droits de la personne et de la vie privée. J'espère que nous pourrons trouver une solution quelconque qui nous permettra d'établir une charte ou des lignes directrices pour l'avenir parce que je ne pense pas que nos discussions soient terminées. Ce n'est que le début, et ce que nous avons entendu de tous les participants un peu partout dans le pays, nous a été extrêmement utile.

Je tiens à vous rappeler que vous pouvez communiquer avec nous par l'Internet. Vous pouvez aussi nous faire parvenir un mémoire ou un exposé que nous accueillerons avec grand plaisir. Au début d'avril, nous commencerons à rédiger une première ébauche des pensées et des opinions des Canadiens d'un peu partout dans le pays, et j'espère que nous pourrons déposer ce rapport avant la fin du mois.

Sur ce, la séance est levée.

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