[Enregistrement électronique]
Le jeudi 28 novembre 1996
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte.
J'ai juste une question d'ordre administratif, monsieur Leblanc, avant de commencer.
[Français]
Nous aurons une réunion mardi après-midi pour le projet de loi Bell Canada. Vous avez présenté une liste de témoins et aucun témoin ne veut venir. Vous pourrez discuter avec le greffier après cela
[Traduction]
et voir si cela vous convient. Si oui, nous passerons au projet de loi.
Je prie les témoins d'excuser notre retard ce matin. Nous souffrons tous de la grève des transports en commun, et je suis l'une des personnes touchées. Excusez-nous donc de vous avoir fait attendre. D'habitude, nous essayons de commencer à l'heure.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, le comité reprend son examen des sciences et de la technologie et du «déficit d'innovation» au Canada.
Je précise à l'intention des témoins que nous avons entamé cette étude il y a déjà plusieurs semaines et que nous avons eu d'excellentes tables rondes. Je vous souhaite la bienvenue à celle- ci.
Nous sommes parvenus au stade où nous cherchons à nous concentrer sur ce qu'il y a lieu de faire. Vous n'êtes pas les derniers témoins que nous entendons, mais ceci est la dernière des tables rondes.
Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir accepté de passer quelques heures avec nous. Comme je l'ai dit aux autres témoins, nous sommes des généralistes qui, par définition, avons une connaissance très superficielle d'un domaine très difficile. Nous essayons de nous frayer un chemin au milieu de toute cette complexité. Nous apprécions vos connaissances expertes et les conseils que vous pourrez nous donner.
Tout le monde n'est pas encore arrivé.
Je veux souhaiter la bienvenue à M. John Baldwin, de Statistique Canada, de même qu'àM. Paul Hough et à M. John Service, du Consortium national des sociétés scientifiques et pédagogiques.
Nous demandons normalement à une personne de chaque groupe de faire un exposé liminaire d'une dizaine de minutes, sans être trop stricts en cas de dépassement, et nous avons ensuite une période de questions. Il y en a généralement pas mal. Si d'autres veulent ajouter quelque chose, il y a quantité d'occasions pour eux de le faire dans le courant des deux heures que nous passons ensemble.
Monsieur Hough, vous pourriez peut-être commencer.
M. Paul Hough (président, Consortium national des sociétés scientifiques et pédagogiques): Merci beaucoup, monsieur le président. Pour me situer un peu, je représente ici le Consortium national des sociétés scientifiques et pédagogiques dont je vous dirai quelques mots. Je suis également directeur exécutif de la Fédération canadienne des sociétés de biologie, qui est une organisation qui rassemble un grand nombre de sociétés dans les domaines de la biologie et de la biomédecine.
M. Service est directeur général de la Société canadienne de psychologie. Il siège avec moi au comité directeur du consortium national.
Le consortium lui-même rassemble près de 25 organisations représentant quelque 50 000 chercheurs et enseignants universitaires de tout le pays. Il est la seule organisation de ce type au Canada. Il recouvre toutes les disciplines universitaires, et compte aussi un nombre important de membres travaillant dans les laboratoires gouvernementaux et le secteur privé. Nous sommes donc les représentants d'une importante population de chercheurs qui se préoccupent de ce qui se passe à l'heure actuelle dans le domaine des sciences.
En tant que président du consortium, j'ai le privilège de vous faire part aujourd'hui de certaines de nos pensées et idées concernant la direction et la capacité de la S-T au Canada. Ce que je vais dire est fondé sur la prémisse que l'innovation et l'application de la technologie sont d'une importance cruciale pour l'économie canadienne, ainsi que l'énonce la stratégie gouvernementale en matière de S-T. À notre avis, cette prémisse appelle un investissement soutenu dans la R-D. Nous formulerons des recommandations précises en vue de la satisfaction de ces besoins réels.
Plusieurs d'entre vous savent déjà que le consortium a travaillé en collaboration très étroite avec l'Association des universités et collèges du Canada, l'AUCC, qui a comparu ici au début de la semaine, et avec l'Association canadienne des professeurs d'université pour élaborer des propositions très précises à l'intention du gouvernement. Ces dernières ont été présentées au Comité des finances de la Chambre des communes, le 22 octobre, à l'occasion d'une comparution conjointe. Je vous invite à prendre connaissance de ce document, intitulé: «Putting Knowledge to Work: Sustaining Canada as an Innovative Society».
Le président: À ce sujet, monsieur Hough, nous travaillons en relation très étroite avec le Comité des finances, échangeant avec M. Peterson les mémoires portant sur les thèmes communs.
M. Hough: Je suis heureux de l'entendre, monsieur.
Pour commencer, je dois dire que la langue anglaise est parfois très imprécise, ainsi que le démontre notre emploi du mot «science». Pour la plupart des gens, cela ne recouvre que les sciences naturelles et physiques et le génie. Cependant, dans mon acception du terme aujourd'hui, j'y englobe aussi les sciences médicales, les sciences sociales et humaines. Toutes ont un rôle important à jouer, à notre sens, en vue de la création et du maintien d'une économie fondée sur le savoir.
Qu'est-ce qu'une économie fondée sur le savoir? Plusieurs des personnes qui ont comparu devant vous ont éprouvé pas mal de difficultés à définir exactement ce qu'est une économie innovante. Il n'y a pas de formule facile, et je n'en ai pas non plus à vous proposer. S'il y en avait une, il serait peut-être plus facile de répondre à certaines des questions que le comité pose.
Cependant, je me propose de revenir un peu en arrière pour considérer certaines des réalités de l'innovation et voir ensuite si nous mettons en oeuvre des mesures propres à établir un meilleur climat ou contexte pour l'innovation.
Le rapport récent du Conference Board «Performance and Potential», publié en 1996, relève plusieurs réalités importantes en ce qui concerne l'innovation en général et le contexte canadien en particulier.
En premier lieu, le savoir sous-tend la technologie et l'innovation. Deuxièmement, un pays développé, et tout le monde conviendra que le Canada en est un, a la capacité d'engendrer, d'acquérir, d'absorber et d'appliquer du savoir. Or, le Canada a un faible niveau d'investissement dans la R-D comparé à nos principaux concurrents, comme un certain nombre de témoins l'ont déjà signalé.
Selon le rapport du Conference Board, auquel nous souscrivons pour l'essentiel, l'innovation recouvre non seulement la R-D, mais aussi l'application et la diffusion du savoir. Le secteur de haute technologie canadien se compare très favorablement aux industries similaires des pays étrangers, mais ce n'est pas le cas de certains des autres secteurs canadiens.
Un facteur important de la diffusion de la technologie et du processus d'innovation est la disponibilité de personnel hautement qualifié. Le Canada possède environ 47 chercheurs travaillant dans la R-D pour 10 000 actifs. Ce chiffre est à comparer à 99 au Japon, 74 aux États-Unis et 58 en Allemagne. À mon avis, cela montre que le Canada ne produit pas suffisamment de personnel hautement qualifié.
Outre les chercheurs, le Canada a besoin pour son économie de l'innovation de travailleurs, de techniciens, de scientifiques et de gestionnaires instruits et possédant les qualifications voulues pour pouvoir comprendre la technologie et l'utiliser efficacement. Le message clé, à notre avis, est que ce qui définit un pays avancé comme le Canada, c'est la création, la dissémination et l'utilisation de connaissances. Ainsi, tous les programmes, politiques et mécanismes envisagés ou retenus doivent renforcer ces aspects liés au savoir. Ce sont réellement des investissements dans l'avenir.
J'aimerais passer en revue certaines des tendances actuelles et formuler ensuite quelques suggestions sur la direction à emprunter.
Cela peut paraître évident, mais l'innovation est depuis longtemps un facteur prépondérant dans les pays industrialisés et le devient virtuellement dans tous les autres aussi. Plusieurs exemples viennent à l'esprit.
Les Canadiens, par exemple, jugent normal de disposer d'une nourriture nutritive et saine, d'énergie à bon marché, de logements solides et faciles à entretenir, de produits durables, de moyens de transport fiables et bon marché, de soins de santé, de médicaments et de traitements à la pointe du progrès, d'une atmosphère et d'une eau propres. En outre, ils peuvent compter sur quantité d'autres choses dans le domaine récréatif, sur des prévisions météorologiques fiables, sur une infrastructure en bon état de marche, sur des systèmes de communication fiables et peu coûteux, et ainsi de suite.
Tout cela exige de la recherche-développement et de l'innovation. Des aspects qui ne sont pas couramment cités dans ce contexte mais qui sont également importants pour les Canadiens sont les connaissances linguistiques, la sensibilité culturelle, la connaissance de l'histoire et du droit qui permettent aux Canadiens et aux entreprises canadiennes de communiquer et de collaborer efficacement avec des entreprises et des personnes à l'étranger. Je dis cela parce que tout le monde ne part pas au même niveau lorsqu'il s'agit de conclure des accords de collaboration.
On présente volontiers l'autoroute de l'information comme une innovation réelle, et elle combine en fait toute une série d'innovations. Elle a certainement modifié la façon dont nous faisons beaucoup de choses, notamment la manière dont nous communiquons avec nos collègues et clients. Mais c'est aussi un outil qui facilite la recherche et qui magnifie les possibilités culturelles. Il ne remplace pas les personnes ni le travail à effectuer. Il faut avoir conscience des effets de la technologie sur la société. C'est là qu'interviennent les sciences sociales, très certainement, lorsqu'il s'agit de modifier les méthodes traditionnelles ou les modes de travail et de vie.
Tout cela pour dire que les attentes ont atteint de nouveaux sommets. Dans le même temps, une mutation fondamentale est intervenue dans la société. Il n'y a pas si longtemps, les biens coûtaient cher et le temps était bon marché. Aujourd'hui, les biens sont bon marché et le temps est coûteux. Le développement du savoir, que ce soit par le biais de la R-D ou par l'application novatrice d'idées, de procédés et de concepts, est une activité à forte intensité de travail. Il est donc perçu comme coûteux, en tout cas par les gouvernements actuels. Mais il faut plutôt, à mon avis, le considérer comme un investissement.
On constate des tendances très nettes au niveau des pouvoirs publics. Face aux contraintes financières, tous les paliers de gouvernement opèrent des coupes claires dans leurs dépenses, escomptant que la réduction de leur déficit conduira, en fin de parcours, à un regain de croissance économique. Les activités scientifiques soutenues directement ou indirectement par l'État ont été une importante cible de ces réductions, car toutes appartiennent à la catégorie des dépenses discrétionnaires. Ces diminutions du soutien donné à la science sont généralement qualifiées de regrettables mais nécessaires, sans que l'on tienne apparemment compte de l'impact ou des effets à long terme sur le potentiel économique du pays.
Je pense pouvoir dire, monsieur, que l'activité scientifique universitaire et gouvernementale a été particulièrement touchée à cet égard.
L'une des réalités de la stratégie S-T est que la science est encore davantage compartimentée à l'intérieur des ministères fédéraux individuels. Vu la diminution d'ensemble des budgets de ces ministères, les activités scientifiques sont réduites aussi vigoureusement que tous les autres postes de dépenses, souvent sans plan apparent qui puisse assurer un certain niveau de continuité ou garantir que les coupures sont réellement dans le meilleur intérêt du pays.
Certains programmes ont été mis en oeuvre ces dernières années pour coordonner les différents secteurs de manière à promouvoir l'innovation, le transfert de technologie et les retombées économiques, par exemple le Réseau national des centres d'excellence. Cependant, même ces programmes sont actuellement sérieusement menacés face à l'impératif suprême des objectifs budgétaires.
Cela ne signifie pas, monsieur le président, que le secteur public soit le seul à subir une baisse des ressources consacrées à la R-D ou à l'innovation. Le secteur privé a, lui aussi, effectué un repli massif pour se concentrer sur ce qu'il appelle ses activités primaires, au détriment des engagements à long terme et en faveur de celles qui promettent une amélioration ponctuelle et immédiate des produits ou procédés.
Cela pose aux chercheurs universitaires le défi - ou plutôt offre l'occasion - de s'associer au secteur privé dans les domaines de recherche qui intéressent ce dernier. Cependant, il n'est pas raisonnable, à mon avis, d'attendre du secteur privé qu'il assume une responsabilité de recherche donnée tout simplement parce que les pouvoirs publics, à n'importe quel palier, disent qu'ils n'ont pas l'argent pour financer telle ou telle recherche.
Le Canada court par conséquent un grand risque de payer des gains à court terme avec la perte d'un potentiel d'innovation exigeant un développement à long terme et offrant de meilleures perspectives de rendement économique.
Ce que je dis, en substance, et en tout cas s'agissant de la stratégie S-T, c'est qu'il manque un élément primordial. Cet élément est une vision d'ensemble et un plan pour concrétiser cette vision. Chacun - les ministères, les universités, les petites entreprises du secteur privé et d'autres - en est réduit à défendre sa part des ressources disponibles, du mieux qu'il peut. Ce n'est pas là une vision de la création d'une société véritablement innovante dans laquelle les différents secteurs jouent tous un rôle important et complémentaire de celui des autres.
Que faut-il donc faire dans cette situation? Il nous paraît évident que le réinvestissement massif dans la science et dans la R-D ne se fera pas à court terme. Cependant, un certain nombre de mesures positives peuvent et doivent être prises par les milieux de la recherche, par les pouvoirs publics et par ce comité. En voici quelques-unes.
Sachant qu'une économie fondée sur le savoir exige des personnels hautement qualifiés et que le financement de la recherche universitaire est un moyen primordial et de faible coût pour construire ce fondement, ainsi que l'a indiqué le Comité des finances de la Chambre des communes dans ses deux derniers rapports, nous exhortons le Comité de l'industrie à ajouter sa voix influente au concert de celles qui réclament des ressources pour les conseils subventionnant la recherche.
À l'intérieur du secteur de la recherche, une approche relativement récente, comme je l'ai indiqué, a été la création des réseaux de centres d'excellence. Ces réseaux joignent les universités et le secteur privé - plus de 600 groupes du secteur privé et groupes non gouvernementaux ont ainsi été mis en liaison dans ces réseaux - en amont du processus d'innovation de telle façon que les deux parties deviennent partenaires dans l'exploitation ultérieure des résultats de recherche. On évite ainsi le syndrome du «pas inventé ici» qui sévit souvent. Nous exhortons le comité à exprimer son appui ferme au maintien de ce programme très important, dans le contexte du volet innovation de son mandat.
Quantité de facteurs influent sur la conduite de la recherche, l'infrastructure n'étant pas le moindre d'entre eux. On a souvent laissé cette infrastructure se détériorer tant dans les universités que dans le secteur public, à tel point qu'il devient toujours plus difficile pour les chercheurs et scientifiques de produire ce que l'on attend d'eux et réaliser ce qu'ils savent pouvoir accomplir.
À titre d'exemple, quantité d'étudiants de troisième cycle travaillent aujourd'hui dans ce pays avec du matériel plus âgé qu'eux-mêmes.
Nous espérons que le comité fera siennes les propositions contenues dans le document «Putting Knowledge to Work», qui préconise un nouveau programme d'infrastructure, dont une large part serait consacrée au renouvellement de l'infrastructure universitaire.
Un aspect important n'a peut-être pas encore été abordé par les témoins précédents. Il s'agit de la fonction de supervision. Les ministères fédéraux sont tenus de produire un plan d'activité détaillé et un document prospectif. Ces documents sont censés exposer en détail les activités et orientations, notamment au chapitre des sciences, à l'intérieur de chaque ministère.
Je sais bien que les ministères présentent ces rapports à des comités parlementaires différents, mais à l'heure actuelle le seul mécanisme de supervision envisageable passe par les comités parlementaires.
J'exhorte donc votre comité à jouer un rôle de supervision, à veiller à ce que les ministères décrivent de façon suffisamment détaillée leurs priorités et leurs objectifs à long terme au chapitre des sciences, indiquent leurs plans pour répondre aux changements de programme et évaluent l'impact cumulatif des coupures et autres changements intervenant dans les divers ministères ayant des activités scientifiques.
Il me semble, monsieur le président, que ce n'est qu'ainsi que nous aurons une vue d'ensemble de ce qui se fait réellement dans les différents ministères.
En conclusion, je dirais qu'en l'absence d'un réinvestissement massif dans la R-D canadienne, des mesures réelles doivent être prises. Nous en avons esquissé un certain nombre. Cela ne pourra se faire que par une collaboration entre les différents secteurs. Vous avez déjà pu le voir d'après les messages très cohérents transmis par l'AUCC, l'ACPU, le consortium et d'autres groupes. En d'autres termes, le monde scientifique commence réellement à accorder ses violons.
Mais il faudra pour concrétiser tout cela un soutien continu aux programmes qui engendrent du personnel hautement qualifié et des idées novatrices, si l'on veut que ce programme stimule l'économie.
J'ai conscience du zèle que l'on met aujourd'hui à soutirer des informations, des idées et toutes sortes d'initiatives aux universités et laboratoires gouvernementaux en vue de la commercialisation et de l'exploitation de la recherche pour le bien de la société. Je n'ai rien contre cela, mais j'ai l'impression qu'on en fait un peu trop.
Le type-même de R-D qu'il faut entreprendre pour engranger les avantages commerciaux à l'avenir est en danger. La source réelle de ces concepts, développements et procédés que l'on exploite aujourd'hui réside dans la recherche plus fondamentale menée par le passé.
Quelqu'un dans le caucus sur la commercialisation de la recherche gouvernementale a fait l'analogie avec les puits de pétrole et les oléoducs. Les oléoducs représentent le transfert de technologie et le flux d'information, mais ce sont les puits de pétrole qui fournissent la matière première qui alimente ces oléoducs.
Si l'on veut que les universités fournissent un flux de pétrole soutenu, il faut les soutenir plus qu'elles ne le sont actuellement.
Merci beaucoup.
Le président: Merci beaucoup de cet exposé, monsieur Hough. Je suis sûr que les membres du comité auront des questions à vous poser.
Je donne maintenant la parole à M. John Baldwin, de Statistique Canada. Vous pourriez peut-être nous faire votre exposé et nous expliquer le travail que vous faites.
M. John Baldwin (directeur, Division des études et analyses micro-économiques, Statistique Canada): Merci beaucoup.
Je suis directeur de la Division de recherche de Statistique Canada. Sa mission première est d'exploiter les grosses quantités de données que possède le ministère dans le contexte des questions de politique gouvernementale.
J'ai été invité aujourd'hui dans le cadre d'une table ronde. Si j'ai bien saisi, il s'agissait pour moi de répondre à vos questions concernant ce travail et ses rapports avec certains des aspects que vous étudiez.
J'ai donc préparé une brève description des études se rapportant à ces questions que nous avons menées au cours des 30 derniers mois. Je vais passer en revue rapidement les sujets que nous avons abordés afin que vous puissiez me poser des questions ultérieurement, si vous le souhaitez.
La recherche porte sur deux domaines différents, mais nettement apparentés. D'une part, nous avons essayé de déterminer les lacunes en matière de statistiques sur les sciences, la technologie et l'innovation. D'autre part, nous avons utilisé des bases de données provenant d'enquêtes longitudinales à échantillon constant d'entreprises pour déterminer la relation entre la technologie et l'innovation et leur réussite.
Je vais commencer par un bref survol des résultats les plus importants. Le premier ensemble de constatations provient d'un ensemble d'enquêtes sur l'innovation et la technologie.
La constatation la plus importante est tirée d'une enquête sur les petites et moyennes entreprises en expansion. J'ai déjà présenté certains de ces résultats au comité il y a deux ans.
Il s'agissait d'une enquête portant de façon générale sur les activités et stratégies des petites et moyennes entreprises, mais en les reliant aux données longitudinales de l'échantillon constant de façon à pouvoir analyser, à toutes fins pratiques, les taux de réussite différents des entreprises en fonction des activités poursuivies.
La constatation principale est que ce n'est pas la stratégie en matière de marketing ou de ressources humaines qui est le facteur le plus important dans la différence de réussite de ces entreprises; ce sont plutôt les différents aspects de l'innovation. Cela souligne bien entendu la grande importance de l'intérêt que votre comité et d'autres portent au processus de l'innovation au Canada.
Des travaux ultérieurs ont cherché à déterminer l'existence de caractéristiques différenciant les entreprises innovatrices - c'est-à-dire celles connaissant la plus grande réussite - des entreprises moins innovatrices. Qu'est-ce qui distingue exactement les entreprises qui paraissent savoir bien s'adapter à ce qui a toujours été, en pratique, un climat innovateur?
Nous avons donc mené une série d'études sur ce sujet. Toutes portaient sur l'importance accordée aux ressources humaines et à la formation dans les différentes entreprises. Nous avons constaté que la politique qui complète le mieux l'innovation, celle qui semble contribuer le plus à la réussite des entreprises innovantes est l'accent mis sur les ressources humaines et les compétences associées aux activités de ces entreprises.
La nature des efforts déployés à cet égard varie selon les industries. Nous vivons manifestement dans un monde complexe. Dans les industries de fabrication, l'accent est mis sur la formation et les aptitudes liées à l'utilisation de machines et d'équipements, ce qui va de soi.
Ailleurs, l'amélioration du capital humain joue aussi un grand rôle, notamment dans les industries de service, mais c'est un type d'amélioration différent. Dans leur cas, il s'agit davantage de mettre au point de nouveaux produits et de trouver de nouvelles façons de travailler, et beaucoup moins de façons de faire tourner des machines.
Nous nous sommes ensuite demandés s'il existe ou non un ensemble plus large de capacités qui différencie les firmes innovantes des firmes non innovantes. Il s'agissait, dans la pratique, de voir si nous pouvions trouver le Graal, c'est-à-dire une façon simple de distinguer entre les firmes innovantes et les firmes non innovantes.
Le résultat est que nous n'avons pas trouvé de critère simple. Dans la pratique, les entreprises innovantes diffèrent des non innovantes par une large diversité de stratégies et d'activités.
Le passage d'un groupe à l'autre exige pratiquement un saut dans une autre dimension. Les compétences humaines sont manifestement le facteur le plus important, mais beaucoup d'autres aptitudes jouent un rôle non négligeable. Les données que nous avons traitées font apparaître des différences au niveau des stratégies financières et d'autres capacités de gestion.
Nous nous sommes tournés ensuite vers les données que nous avons recueillies lors de la première enquête sur l'innovation et la technologie au Canada. Ainsi que vous allez l'entendre, à 11 heures je pense, notre base statistique en matière de sciences suscite quelque inquiétude.
Pendant très longtemps, nous nous sommes contentés d'un petit nombre de statistiques sommaires, dont les dépenses de R-D, bien entendu. Il y a deux ou trois ans, la Division de l'analyse micro- économique, que je dirige, a lancé une nouvelle enquête sur l'utilisation de l'innovation et de la technologie afin de déterminer si nous pouvions recueillir des données sur ce que l'on appelle l'économie innovante, de façon à obtenir une meilleure image de ce qui se passe.
La première partie de cette enquête portait sur l'application de technologies informatiques avancées dans le secteur de la fabrication, la rapidité de leur dissémination et leur impact. Nous avons constaté que le secteur privé avait privilégié les applications informatiques dans les domaines de l'inspection et des communications, par opposition à la fabrication et à l'assemblage. C'est dans ces domaines que la base technologique avait progressé le plus vite. Il est intéressant de noter que les entreprises qui avaient adopté ces technologies étaient celles dont les performances progressaient le plus vite.
Nous avons pu relier les données tirées de cette étude et les données longitudinales sur le rendement des entreprises et usines. Nous avons ainsi découvert que celles qui avaient adopté ces technologies versaient des salaires supérieurs, avaient des salaires en progression plus rapide qu'ailleurs et affichaient le plus gros accroissement de productivité.
Ce qui est particulièrement intéressant, c'est que cette avancée était liée à la mise en oeuvre de ce vaste éventail de technologies d'inspection et de communication, ce que l'on appelle les technologies de fabrication douces, par opposition aux technologies de fabrication dures, soit le contrôle des machines par ordinateur, les robots et autres procédés d'assemblage informatisés.
Nous avons également mis en parallèle nos données sur les ressources humaines, dont je vous ai parlé, et celles sur l'utilisation des technologies. Comme vous le savez sans doute, il y a eu une polarisation des salaires dans notre pays au cours des dix à 15 dernières années, et nous voulions voir si cette polarisation au niveau des usines semblait être associée à la mise en oeuvre de ces nouvelles technologies informatiques.
Nous avons constaté qu'il semble effectivement exister un lien entre l'écart salarial croissant au niveau des usines et le recours aux technologies. Les entreprises utilisant et appliquant ces technologies nouvelles versaient des salaires en hausse, comparées à celles n'introduisant pas les technologies nouvelles à un rythme relativement rapide.
Des travaux plus récents - nous n'en faisons pas état ici car ce sont toujours des résultats préliminaires - cherchent à isoler le rôle du changement technologique et celui de l'exposition à la concurrence internationale dans cette polarisation. En effet, dans le même temps où ces technologies informatiques gagnaient en importance, nous sommes passés dans un monde où le mot «mondialisation» est sur toutes les lèvres et où l'on se demande dans quelle mesure ces polarisations ne résultent pas d'une concurrence mondiale accrue.
Dans le cadre de cette analyse, nous avons examiné également les différences qui existent entre petites et grandes entreprises, tant sur le plan du recours à ces technologies que de l'effet de ces dernières. Nos résultats montrent - et c'est quelque chose que vous savez probablement déjà - que les petites entreprises tendent à utiliser moins fréquemment ces technologies informatiques. Mais il est intéressant de signaler que lorsque nous avons relié ces données aux bases de données longitudinales sur la performance, nous avons constaté que les petites et grandes entreprises ou établissements ont des niveaux de rendement différents lorsqu'ils appliquent ces technologies.
Les grandes entreprises tendent à ne pas connaître d'accroissement significatif de leurs effectifs lorsqu'elles adoptent ces technologies. En fait, ces technologies ne s'accompagnent de pratiquement aucune variation d'effectif alors que, au contraire, les petites entreprises voient leur effectif grandir beaucoup plus fréquemment, bien qu'elles soient dans l'ensemble moins nombreuses à recourir à ces technologies.
Nous avons examiné également les compétences clés dont les entreprises ont dit avoir besoin aux fins de l'adoption des technologies informatiques avancées. L'accent tend à être mis sur les compétences en génie et en gestion de la production, plutôt qu'en R-D. À l'heure actuelle, on met beaucoup l'accent sur la recherche-développement pure.
Or, les entreprises de notre échantillon accordaient manifestement une grande importance aux compétences dans les groupes génie et production. Bien entendu, ces compétences sont également enseignées par les universités, mais c'est un ensemble de compétences différent de celles habituellement associées aux blouses blanches et aux laboratoires de R-D.
Notre secteur manufacturier a connu un ralentissement de productivité au cours des 15 dernières années, du moins comparé à d'autres pays. D'aucuns se sont demandés si cela n'était pas la conséquence de la mise en oeuvre de technologies informatiques. Lorsque nous avons posé cette question aux gestionnaires d'usines, leur réponse était que toutes leurs technologies et leurs applications avaient considérablement accru leur productivité.
Lorsque nous leur avons demandé quels étaient les principaux problèmes au niveau de la mise en oeuvre, ils ont cité de nouveau en première place la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. En outre, ils ont fait état de problèmes organisationnels au sein de leur entreprise. Par ailleurs - et cela est assez intéressant - ils ont signalé un manque de logiciels et de spécialistes capables de mettre au point et de programmer les logiciels qui commandent les machines.
La technologie ne semble pas être incorporée simplement par le biais de machines du fait de la révolution de l'ordinateur; elle est incorporée aussi par le recours à des logiciels appropriés faisant tourner ces machines. Cet élément était clairement perçu comme une entrave majeure par ces entreprises.
Comme je l'ai dit auparavant, cette analyse s'inscrit dans une étude plus vaste de l'innovation au Canada dans laquelle nous considérions non seulement l'application de machines spécifiques, mais aussi la mesure dans laquelle les entreprises canadiennes fabriquaient des produits nouveaux et introduisaient des procédés nouveaux.
Nous avons produit à partir de cette enquête sur l'innovation la première étude - j'ai amené les documents avec moi - qui cherche à déterminer dans quelle mesure le Canada est innovateur. Cette étude fait ressortir la complexité du processus d'innovation. Certaines entreprises canadiennes produisent des premières mondiales au niveau des produits et procédés. Beaucoup ne produisent que des premières canadiennes. Beaucoup d'autres produisent ce que l'on appelle des innovations imitatives - ce qui signifie qu'il ne s'agit ni d'une première mondiale ni d'une première canadienne - mais qui ont manifestement un très gros impact tant sur le plan de la croissance de la productivité et de la croissance des profits que sur la nature des compétences dont ces entreprises ont besoin.
Il ne faut pas oublier, à l'heure où nous parlons d'économie innovante, que l'innovation se déroule de façon complexe. On peut la concevoir comme une pyramide, avec un petit nombre d'entreprises au sommet faisant un travail de pionnier, mais la majorité de la production et de l'emploi est le fait d'entreprises plus proches de la base où, en l'absence de progrès technologiques, les niveaux moyens de bien-être économique ne progressent tout simplement pas.
Donc, nous avons vu apparaître un système d'innovation complexe avec différents niveaux d'innovation. Dans notre première étude, nous avons déterminé l'existence de régimes d'innovation très différents dans ces divers domaines. Les firmes qui réalisent des premières mondiales et celles qui ont un niveau d'innovation très poussé tendent à faire appel davantage aux laboratoires de R-D et aux droits de propriété intellectuelle que les autres.
Cependant, à beaucoup d'autres égards, les groupes se ressemblent tous. Tout ont besoin de travailleurs plus qualifiés par suite de l'innovation. Tous classent de la même façon les diverses entraves: le manque de personnel qualifié, le manque d'information sur les marchés, les normes et règlements gouvernementaux, et le manque de soutien technique. Ainsi donc, si ces entreprises diffèrent effectivement de par le type d'innovation, leurs perceptions des problèmes sont relativement similaires.
Nous avons également examiné de très près les différences entre les régimes d'innovation des grandes et petites entreprises. Les petites tendent à utiliser moins fréquemment la R-D et à produire moins fréquemment des premières mondiales. Elles tendent également à produire moins fréquemment des innovations de toutes catégories.
Mais lorsqu'on regarde de très près la différence entre grandes et petites entreprises, on peut conclure aussi que les petites sont, en fait, plus dynamiques que les grandes. Elles affichent des niveaux plus grands de production et d'innovation par unité d'intrant et par unité d'effort de R-D, ce dernier étant mesuré en pourcentage des heures de travail de R-D.
Il est d'autres différences entre grandes et petites entreprises qui donnent à penser que le travail de R-D plus réduit des petites est un mauvais indicateur du rôle des petites entreprises dans le processus d'innovation. La principale différence est que les petites entreprises tendent à former des réseaux et à s'associer à de grosses firmes. Elles tendent à s'intégrer au processus de R-D des grosses entreprises. Elles utilisent les grosses entreprises pour trouver les idées nouvelles. Il y a une interaction entre ces deux groupes qui profite largement à la population des petites entreprises.
Cela dit, les petites entreprises connaissent effectivement certaines entraves qui les distinguent des grosses. Elles sont plus susceptibles de déplorer un manque d'information sur les technologies et un manque de services techniques externes. En outre, les barrières à la coopération interentreprises tendent à être plus grandes dans leur cas.
Le deuxième ensemble de recherche que...
Le président: Monsieur Baldwin, avant que vous vous lanciez dans le deuxième ensemble, nous avons demandé aux membres de la table ronde de se limiter à une dizaine de minutes, afin de laisser du temps pour les questions.
M. Baldwin: Eh bien, cela couvre les dix premières minutes.
Le président: C'est la seule raison pour laquelle je vous ai interrompu, monsieur. Encore une fois, j'apprécie votre recherche et j'ai les documents.
La cloche va retentir vers 10 h 30 et sonnera pendant une demi-heure. Je veux simplement m'assurer que les députés ont le temps de dialoguer avec vous, car le sujet les intéresse. C'est la seule raison pour laquelle je vous ai interrompu.
M. Baldwin: Très bien.
Le président: D'accord? Je suis désolé.
M. Baldwin: C'était un bon moment pour m'arrêter.
Le président: Je vous remercie.
Monsieur Broadmore, allez-vous faire un exposé?
M. Peter Broadmore (vice-président, relations gouvernementales, Association canadienne de la technologie de l'information): Oui.
Le président: Je vous demande simplement de nous donner la possibilité de participer à la discussion.
M. Broadmore: Absolument.
Bonjour à tous. Je me nomme Peter Broadmore. Je suis le vice- président chargé des relations gouvernementales de l'ACTI, l'Association canadienne de la technologie de l'information. Je suis accompagné de Norine Heselton, qui est notre vice-présidente chargée des politiques.
L'association que nous représentons, avec les associations affiliées au niveau provincial, regroupe aujourd'hui quelque 1 200 entreprises, couvrant tout l'éventail de l'industrie informatique. Nos membres sont actifs dans tout l'éventail des activités commerciales rendues possibles par la convergence de la technologie des télécommunications et de l'informatique. Ce sont donc des entreprises de téléphone et de télécommunications, des fournisseurs de services de réseau, des fabricants de matériel informatique et télématique, des concepteurs de logiciels et des intégrateurs de systèmes. Nos membres ont des noms que tout un chacun connaît, tel Bell, Nortel, IBM, Digital, etc.
Collectivement, ces entreprises engendrent environ 70 p. 100 des quelque 53 milliards de dollars que cette industrie contribue aujourd'hui au PIB canadien. Elles effectuent également pour environ 2,5 milliards de dollars de recherche-développement chaque année, et exportent pour plus de 14 milliards de dollars.
Ainsi que vous venez de l'entendre - et je suis sûr qu'on vous l'avait déjà dit lors de vos audiences, tournées et tables rondes précédentes - l'industrie que nous représentons est maintenant la plus importante du monde. D'ici la fin du siècle, elle aura - il y a des différences compréhensibles dans les estimations selon ce que l'on englobe et n'englobe pas dans le secteur - un chiffre d'affaires annuel de 1 billion de dollars U.S. C'est l'estimation la plus courante.
Évidemment, le Canada n'est qu'un joueur de relativement petite envergure sur le marché mondial de la TI, tout en étant de taille non négligeable. Profitant de notre force traditionnelle dans des domaines tels que les télécommunications, des entreprises canadiennes comme Nortel, Newbridge et Mitel ont su se tailler un créneau remarquable dans ce très gros marché.
Ils sont rejoints par nos concepteurs de logiciels de plus en plus performants, une grappe d'intégrateurs de systèmes de niveau mondial, et un groupe extrêmement capable de jeunes entrepreneurs qui sillonnent aujourd'hui les frontières du cyberespace à la recherche de nouveaux champs d'application de leur créativité et de leur innovation.
Je ne m'attarderai pas sur ces succès, ni sur nos contributions économiques. Je suis sûr que d'autres l'ont fait, et il est inutile de répéter.
J'ajouterais, cependant, que l'ACTI a rédigé un certain nombre de rapports ces dernières années sur des aspects tels que l'effet de valorisation, qui traite de l'impact sur l'économie d'ensemble, et un autre sur la société du savoir, qui dépeint notre vision des perspectives économiques du Canada, etc. Je me ferai un plaisir de vous envoyer ces études, si cela vous intéresse.
Ce que j'aimerais faire ce matin, c'est me concentrer sur deux gros problèmes inquiétants qui jettent le doute sur notre capacité à maintenir les taux de croissance plutôt spectaculaires que nous avons affichés au cours des cinq à dix dernières années.
La question cinq de votre mandat concerne directement le premier problème, à savoir dans quelle mesure les établissements d'enseignement canadiens répondent aux besoins de ressources humaines des industries de haute technologie.
Comme on l'a déjà dit ce matin - et je suis sûr que beaucoup d'autres témoins vous l'ont dit aussi - la qualité des diplômés dans les disciplines dans lesquelles nous recrutons le plus va de simplement bonne à tout à fait supérieure. Malheureusement, nous n'en produisons pas suffisamment. Dans les disciplines telles que les mathématiques, les sciences informatiques et le génie logiciel, l'offre est très loin de satisfaire à la demande.
Le Conseil des ressources humaines de logiciel - je représente notre association à son conseil d'administration - a récemment mené une étude démontrant que littéralement des milliers - je pense que le chiffre cité était de 30 000 - d'emplois hautement qualifiés dans le domaine des logiciels pourraient être créés si les spécialistes voulus étaient disponibles. Ce n'est pas à dire que ces emplois sont là, vacants, mais si les spécialistes étaient disponibles, ce nombre d'emplois pourrait être créé pour exploiter les possibilités dont l'existence est déjà établie.
Non seulement ne produisons-nous pas en quantité suffisante les diplômés dont nous avons besoin au Canada, mais nos membres me disent qu'ils sont confrontés de plus en plus à la concurrence de recruteurs étrangers, principalement américains, qui connaissent la valeur des produits de nos universités et collèges.
On a fait état tout à l'heure de l'étude récente du Conference Board qui confirme que le taux de rotation des travailleurs hautement qualifiés se situe entre 30 et 50 p. 100, beaucoup de ces spécialistes partant pour un climat plus chaud, une fiscalité plus douce et des salaires plus importants. Cela est certainement conforme à l'expérience de nos membres.
Je ne sais pas si vous lisez de temps en temps le Report on Business Magazine, mais dans notre industrie la méthode de recrutement privilégiée sont les salons de l'emploi de haute technologie. Si vous regardez les emplois offerts dans ces salons, vous en verrez autant annoncés pour Omaha, Atlanta, Ogden dans l'État de l'Utah et la Silicon Valley qu'il y en a pour Montréal, Toronto ou le Canada Atlantique.
J'ajoute que les pratiques qui commencent à avoir cours en matière de recrutement sont révélatrices du problème qui se pose à nous. Non seulement les recruteurs étrangers offrent-ils des salaires supérieurs à ceux que les firmes canadiennes peuvent habituellement verser, mais ils offrent des primes d'engagement qui évoquent davantage le monde des sports que celui des logiciels.
À titre d'anecdote, on m'a parlé d'un cas il y a une semaine et demie environ où l'un de nos membres de Vancouver perdait des employés qu'il avait formés pendant deux ans. Ce sont des ingénieurs de logiciel diplômés qui ont passé deux ans en formation dans cette entreprise et qui ont été débauchés par des concurrents des États de Washington et de l'Oregon, à des salaires de 25 à 30 p. 100 supérieurs et avec une prime de signature de 50 000 $. Cela vous donne une idée du genre de rémunération qui a cours.
Un nombre croissant de nos entreprises, face à cette évolution, nous disent que la principale entrave à leur croissance est la disponibilité de spécialistes, ce qui rejoint ce qui a été dit ce matin.
Je suis tombé récemment sur un sondage qui pourrait donner à penser que cette fuite des cerveaux dont je parle est plus imaginaire que réelle. Le sondage portait sur quelque 65 PDG, je crois, qui ont dit ne pas souffrir de pillage; les recruteurs étrangers ne viendraient pas piller dans les rangs de leurs cadres moyens et supérieurs.
C'est peut-être vrai, mais j'estime que c'est considérer le problème par le mauvais bout de la lorgnette. Ce n'est pas à ce niveau que les pilleurs font des ravages. Ils s'en prennent à notre souche, à nos jeunes diplômés à la sortie des universités qui ne trouvent pas d'emplois dans ce pays qui soient aussi bien rémunérés qu'ils le voudraient et qui sont des proies très attrayantes pour les firmes étrangères.
Permettez-moi de passer au deuxième problème, car d'autres que moi vous ont sans doute déjà suffisamment parlé de celui-ci. Permettez-moi d'attirer votre attention sur quelque chose de totalement différent, mais qui va engendrer des pressions encore plus fortes sur la pénurie de spécialistes dans notre pays au cours des 36 prochains mois.
Je veux parler du problème de l'an 2000, le changement de millénaire. Je suis sûr que ce problème aussi a déjà été évoqué ici. Habituellement, lorsque j'en parle, j'obtiens en réaction des hochements de tête entendus.
Effectivement, la plupart des gens dans notre industrie connaissent bien le problème. Mais pour vous rafraîchir la mémoire, il est dû à la manière dont les logiciels codaient traditionnellement l'année et la date. Habituellement, c'est un champ à deux chiffres: 96 pour 1996, 97 pour 1997 et ainsi de suite.
Initialement, c'était parce que la mémoire coûtait cher et que c'était une façon d'économiser de la mémoire. Ce n'est plus aujourd'hui un problème, mais énormément de logiciels utilisant un code à deux chiffres sont encore en service. Tout va très bien jusqu'à ce que l'on arrive à l'an 2000, auquel moment le système va interpréter 00 non pas comme signifiant 2000, mais comme signifiant 1900, ou même 1600 ou n'importe quel autre début de centenaire.
Le résultat est que l'on verra probablement de graves défaillances de systèmes, des pannes ou, pire encore, des erreurs de calcul insidieuses qui n'apparaîtront que beaucoup plus tard.
Ce problème n'est d'ailleurs pas seulement celui des logiciels. Des codes de dates sont souvent intégrés dans les matériels eux-mêmes, par exemple le code BIOS enregistré en mémoire morte dans les ordinateurs personnels.
C'est un problème majeur. Cependant, je vais vous donner tout de suite la bonne nouvelle: il n'est pas difficile de le régler. Il suffit de trouver toutes les variables dépendantes de la date dans un système ou une base de données utilisant un code à deux chiffres, les retravailler selon un mode à quatre chiffres et tester le système. C'est un processus simple. La difficulté, c'est le volume.
Lors d'une conférence au Royaume-Uni le mois dernier, quelqu'un a dit que régler ce problème était un peu comme poser du papier peint. C'est très facile à faire. Il suffit de coller le papier au mur. Le problème, c'est qu'il faut tapisser le monde entier en l'espace de 36 mois environ.
Un système typique comporte plus de dix millions de lignes de codes qui tous doivent être vérifiés, changés et testés, plus ou moins ligne par ligne. Il existe divers produits automatisés qui vous aident à faire ce travail sur des plates-formes données et avec des types spécifiques de logiciel. Mais il n'y a pas de solution miracle qui règle le problème universellement, en appuyant sur un bouton ou en glissant un joli petit logiciel dans une fente et que l'on peut oublier ensuite.
Le résultat est, dans un cas type, un coût de conversion de 3 à 5 millions de dollars pour un portefeuille de logiciel relativement standard.
À l'échelle mondiale, le Gartner Group a estimé le coût de ce travail entre 300 milliards et 600 milliards de dollars US.
Nous n'avons pas de chiffres fiables sur la part canadienne de ce montant, mais nous l'estimons entre 35 et 50 milliards de dollars. Pour vous donner une idée, c'est environ le chiffre d'affaires total de notre industrie pour un an. Ce n'est pas un problème insignifiant.
En outre, il faut bien voir que c'est là un déplacement de frais. Autrement dit, ce ne sont pas des dépenses déjà prévues dans les budgets. C'est de l'argent qui devra être prélevé sur d'autres budgets, de l'argent qui ne sera pas consacré à la R-D, de l'argent qui ne sera pas consacré à l'acquisition de nouvelles technologies ou la mise au point de nouvelles applications de logiciel, ce qui me ramène à la pénurie de spécialistes.
Vous avez peut-être remarqué hier un article du Globe and Mail parlant des emplois qui seront créés par suite du problème de l'an 2000. Il y a un envers à cette médaille, c'est la pénurie de main- d'oeuvre.
L'un de nos membres a annoncé récemment, je pense que c'était la semaine dernière, qu'il allait créer 500 emplois nouveaux rien qu'à Montréal, uniquement pour le projet de l'an 2000. Ce sont 500 informaticiens qui seront prélevés sur le flux ordinaire pour travailler à ce processus et à ce problème très simple.
Bien que ce soit un problème crucial dans toutes les organisations que nous avons examinées, les compétences requises ne seront plus nécessaires une fois ce travail terminé. Une fois la conversion effectuée, vous n'aurez plus besoin de ces gens. Les qualifications requises sont rudimentaires, élémentaires, et se situent bien souvent dans des disciplines et des langues informatiques obsolètes.
Si les projets de l'an 2000 ne sont pas de haut niveau, les compétences dont nous aurons besoin au cours de la prochaine décennie sont de haut niveau, des compétences dans des domaines tels que le développement de logiciels orientés-objets, la création de clients-serveurs et la gestion de réseaux. Les concepteurs d'interfaces graphique-utilisateur seront encore plus recherchés qu'ils ne le sont aujourd'hui.
Au lieu de faire un travail qui leur permettra d'acquérir ces compétences nouvelles dont nous aurons besoin dès le début du prochain millénaire, les programmeurs et concepteurs de logiciels seront attelés à la tâche fastidieuse qu'est le remaniement des logiciels existants. Aussi vital que soit ce travail, le problème de l'an 2000 ne fera qu'exacerber la pénurie actuelle de main- d'oeuvre.
Indépendamment du problème de main-d'oeuvre, qui est formidable - je vais résumer mon propos pour prendre moins de temps et permettre une discussion - c'est un problème économique pour toutes les entreprises. Notez bien que j'ai dit problème économique, et pas problème technique. Il y a certes une dimension technique, mais les entreprises qui ne régleront pas le problème auront du mal à survivre. Je peux vous dire carrément que des entreprises vont fermer leurs portes.
Une prévision que j'ai entendue il y a une semaine environ, émanant de l'Electronic Banking Economics Society, indique que le nombre des faillites va augmenter de 3 à 5 p. 100 comme résultat direct du coût de réparation de la «bogue» de l'an 2000.
Avec seulement 150 fins de semaine restantes, car c'est exactement le temps dont nous disposons pour remanier et tester les systèmes - n'oubliez pas que vous ne pouvez tester les systèmes pendant qu'ils sont en service, vous devez le faire à l'arrêt - nous allons littéralement manquer de temps. Beaucoup d'organisations qui ne se sont pas encore attaquées au problème risquent de s'apercevoir qu'il est déjà trop tard pour trouver une solution à 100 p. 100 d'ici l'an 2000.
Paradoxalement, il semble, du moins aux États-Unis, que moins d'un tiers de toutes les entreprises ont commencé à s'attaquer au problème, un autre tiers se demandent encore quoi faire, et un autre tiers n'ont même pas encore commencé. Nous n'avons pas de chiffres équivalents pour le Canada, mais je ne pense pas que la situation y soit très différente.
L'une des questions que vous pourriez vous poser, et que vous pourriez poser à vos collègues de la Chambre et à la fonction publique, est de savoir quel est le programme d'action du gouvernement fédéral à cet égard.
Je crois savoir que, à l'heure actuelle, moins de la moitié de tous les ministères et organismes fédéraux ont même seulement désigné des responsables de ce travail, sans parler d'un plan ou de l'affectation de ressources et de budgets à cette tâche. On me dit qu'à l'heure actuelle, moins de 50 personnes travaillent à ce problème dans toute la fonction publique fédérale.
D'autres pays avancent beaucoup plus rapidement. Aux États- Unis, un comité interministériel spécial a été mis sur pied. En Grande-Bretagne, un grand groupe de travail a été mis sur pied, avec la participation tant du ministère du Commerce et de l'Industrie que des associations professionnelles et de grandes entreprises informatiques. Il est parrainé par nul autre que le vice-premier ministre,M. Heseltine, et M. Taylor, le ministre du Commerce et de l'Industrie. En Australie, un groupe de travail mixte public-privé s'est mis à la tâche.
Si cela relève de la compétence de votre comité, il vaudrait la peine d'explorer une approche similaire ici, au Canada. L'ACTI elle-même travaille déjà à une campagne de sensibilisation pour porter le problème à l'attention des dirigeants et décideurs, particulièrement dans le secteur très vulnérable des PME, mais nous n'avons pas les ressources voulues pour faire ce travail seuls.
Permettez-moi de conclure avec deux ou trois recommandations très précises.
Une initiative conjointe des secteurs privé-public me paraît indispensable. Il faut agir vite et de concert. Des fonctionnaires d'Industrie Canada et du Conseil du Trésor travaillent déjà avec nous là-dessus, mais nous avons besoins de renfort. Il faut également accélérer le processus d'attribution de marché pour acquérir les services et mettre en oeuvre les solutions requises pour régler le problème de l'an 2000.
Je vais m'en tenir là pour que nous puissions passer à la période de questions. Je vous remercie de cette occasion d'aborder tous ces sujets avec vous. Je sais que tous ne relèvent pas de votre mandat, mais je pense qu'ils sont importants pour situer, en quelque sorte, les questions que vous vous posez. Je vous remercie.
Le président: Merci beaucoup.
Pour ce qui est du dernier problème, vous avez raison. Nous le connaissons dans ses grandes lignes, mais nous devons en souligner l'urgence et j'apprécie votre témoignage car il nous permettra d'insister auprès des ministres.
[Français]
Monsieur Leblanc, voulez-vous commencer les questions? Nous avons 20 minutes.
[Traduction]
Nous allons nous laisser dix minutes pour faire le trajet, si bien que nous partirons à 10 h 20. Le vote est à 10 h 30.
[Français]
M. Leblanc (Longueuil): Bien sûr, on parle beaucoup de partenariat entre les entreprises, les universités et les centres de recherche. C'est une excellente chose. On a compris que c'était nécessaire de le faire et on le fait de plus en plus.
Est-ce qu'on ne devrait pas aussi le faire de plus en plus avec les autres pays, puisque nous sommes de plus en plus liés avec eux? La libre circulation des biens et des services et l'ouverture des marchés internationaux vont nous amener à nous ajuster. On le fait déjà, mais est-ce qu'on ne devrait pas le faire davantage, c'est-à-dire établir plus de partenariats avec les autres pays, les autres centres de recherche et les autres universités dans le monde entier?
[Traduction]
M. Hough: Monsieur le président, je suis pleinement d'accord avec votre collègue, à savoir qu'il faut intensifier l'interaction à l'échelle internationale, non seulement entre universités, mais aussi entre instituts et entreprises privées, etc.
Cela se fait. Cela se fait surtout par le biais de connaissances et d'un savoir-faire individuels, car pour participer à des collaborations internationales, il faut apporter un savoir- faire reconnu. Sinon, on ne vous invite pas.
Beaucoup de chercheurs individuels et de groupes canadiens sont invités à participer à des collaborations internationales dans quantité de domaines. Je dois dire, cependant, qu'ils ont beaucoup de mal à continuer, car les moyens permettant de rassembler ces gens pour planifier, organiser et réaliser ces travaux coopératifs ont pratiquement disparu à l'échelle du gouvernement fédéral. Le Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie a supprimé son fonds international, par exemple. La plupart des ministères disposaient de quelques ressources pour encourager les gens à participer aux collaborations internationales. Ces crédits n'existent plus.
Je ne me souviens plus de la nature exacte de la conférence, mais il y avait une conférence internationale à Washington, il y a six mois environ, à laquelle des Canadiens éminents étaient invités. Les Canadiens ont dû répondre aux organisateurs qu'ils ne pourraient venir parce qu'ils n'avaient pas obtenu les crédits. La National Academy of Sciences a rappelé disant: «Nous paierons les frais des Canadiens, parce que nous tenons à ce qu'ils viennent, mais sachez que tous les autres délégués, de tous les autres pays - le Brésil, l'Inde, Singapour etc. - assument eux-mêmes leurs dépenses».
C'est un réel problème.
[Français]
Le président: Une autre question, monsieur Leblanc?
M. Leblanc: M. Broadmore disait tantôt que beaucoup de nos gens qualifiés n'arrivaient pas à se trouver un emploi ici mais qu'on manquait beaucoup de gens qualifiés. Alors, j'aimerais qu'il m'éclaire un petit peu sur les deux positions.
[Traduction]
M. Broadmore: Désolé, mon écouteur ne fonctionne pas et je n'ai pas saisi la question. Me demandiez-vous d'établir la distinction entre travailleurs qualifiés et compétences de travail?
[Français]
M. Leblanc: Non, non. Vous avez dit clairement que nous manquions de spécialistes, et tout le monde est d'accord avec vous. En même temps, vous avez dit que les gens spécialisés avaient beaucoup de difficulté à se trouver des emplois. Vous avez dit cela en deux phrases différentes et je les ai notées. Est-ce parce que les gens ne sont pas qualifiés dans les bons domaines? Est-ce que c'est mal synchronisé? J'aimerais que vous précisiez ce que vous voulez dire par là.
[Traduction]
M. Broadmore: Je vais essayer de vous répondre par une anecdote, si je puis.
L'un de nos membres exploite un très grand laboratoire de logiciels, ici au Canada. L'année dernière, il a soumissionné sur un projet qui aurait créé environ 300 emplois au Canada, et il s'agissait d'emplois hautement qualifiés et bien rémunérés, assortis d'un salaire situé entre 80 000 $ et 150 000 $, pour vous donner une idée. Pour ce genre de postes, vous recherchez habituellement des titulaires de maîtrise ou de doctorat.
Il a dû renoncer au projet et donc à créer des emplois, simplement parce qu'il ne trouvait pas les spécialistes dont il avait besoin pour ce travail.
Ce n'est pas tant une pénurie générale de main-d'oeuvre que nous avons que certaines lacunes ponctuelles très sérieuses. Dans certaines disciplines, vous devez littéralement payer des salaires fantastiques pour obtenir quelqu'un, et dans d'autres la pénurie est moins grande, mais il y a un manque de concordance entre l'offre et la demande.
Lorsque je parle du pillage effectué par les recruteurs étrangers, il s'agit de ce que j'appellerais presque les ouvriers de l'informatique, c'est-à-dire les programmeurs, gestionnaires de projet, analystes de logiciel etc. - des gens très qualifiés mais non hautement spécialisés.
Vous avez donc là deux problèmes distincts mais apparentés: une pénurie aiguë dans certains domaines clés et une concurrence générale, si vous voulez, pour les informaticiens hautement qualifiés mais généralistes du développement des logiciels et de la programmation.
J'ajoute que cela est dû en partie aux différences d'échelle salariale. On estime, par exemple, qu'un programmeur est payé 20 p. 100 de plus au Canada qu'en Inde et encore 20 p. 100 de plus aux États-Unis. Nous allons assister à un rééquilibrage des salaires. En gros, les salaires des techniciens en logiciel vont augmenter dans notre pays.
Le président: Madame Bakopanos, soyez la bienvenue au comité.
Mme Bakopanos (Saint-Denis): Merci beaucoup, monsieur le président.
J'ai deux questions. La première s'adresse à M. Broadmore.
Je suis étonnée. C'est la première fois que j'entends parler du problème de l'an 2000. Mais ma question porte sur un autre domaine qui m'intéresse, l'immigration, puisque je préside le Comité de l'immigration et de la citoyenneté de la Chambre des communes.
D'aucuns prétendent que les immigrants enlèvent des emplois aux Canadiens. Dans votre exposé, vous avez dit exactement l'inverse, à savoir qu'il faut mettre en place des procédures d'immigration rapide dans les spécialités où il y a pénurie aiguë. Comment peut-on concilier l'opinion publique et notre besoin d'immigrants qualifiés et que peut faire le gouvernement pour attirer davantage de travailleurs étrangers qualifiés?
M. Broadmore: Un certain nombre de nos membres ont découvert qu'il existe dans le monde quelques poches de spécialistes auxquelles ils aimeraient avoir accès. Deux pays en particulier sont les plus souvent cités - l'Inde et l'Ukraine - où l'on trouve des spécialistes en logiciels très bien formés et très qualifiés qui adoreraient venir travailler au Canada.
Ce qui se passe, dans certains cas, c'est que nos entreprises exportent, en fait, le travail. Je ne sais pas si cela enlève du travail aux Canadiens ou non. En tout cas, cela revient à exporter du travail qui devrait plutôt être fait ici, à mon avis. Ces entreprises disent qu'il serait beaucoup plus simple d'accélérer la procédure d'immigration au Canada de ces spécialistes pour remédier à la pénurie dans ces domaines.
Je ne sais pas trop comment faire comprendre cela à l'opinion publique. Il y a sans doute un travail d'éducation à faire, pour expliquer au public que les qualifications que nous recherchons n'existent tout simplement pas ici. Le recyclage n'est d'ailleurs pas nécessairement la bonne solution. Vous ne pouvez toujours prendre un programmeur ayant des compétences vieilles de 20 ans et le transformer en programmeur sur Java, en programmeur sur C++, en réalisateur de site Internet ou quelque chose du genre. Parfois, la capacité voulue n'existe tout simplement pas.
Désolé, je ne voulais pas répondre si longuement.
Mme Bakopanos: Je vous remercie.
Ai-je droit à une deuxième question?
Le président: Ce sera la dernière.
Mme Bakopanos: Je vous remercie; je vous suis reconnaissante.
Collègues, j'apprécie vraiment votre générosité, puisque je ne suis pas membre régulier du comité.
Mon autre question s'adresse à M. Baldwin, de Statistique Canada.
J'ai beaucoup de petites entreprises dans ma circonscription qui s'occupaient de fabrication, et certaines sont toujours actives dans ce secteur, et l'un de leurs plus gros problèmes est précisément celui que vous avez indiqué, le fait que pour acheter du matériel de haute technologie, qui n'est souvent même pas fabriqué au Canada, ils doivent s'adresser outre-mer. L'une, en particulier, a dû acheter des machines en Allemagne et le propriétaire a dû envoyer son fils suivre une formation en Allemagne pour apprendre à utiliser ce matériel.
Que devrait faire le gouvernement sur le plan de la mise au point du matériel dont les entreprises de fabrication ont besoin ici, au Canada? Vous avez déjà couvert le sujet de la main-d'oeuvre qualifiée. Je m'intéresse plutôt à l'autre aspect du problème.
M. Baldwin: Certaines des données que nous avons à ce sujet portent sur la mesure dans laquelle les petites, moyennes et grandes entreprises éprouvent des problèmes différents, de façon générale, lorsqu'il s'agit d'adapter du matériel de source canadienne par opposition aux sources étrangères. Nous leur avons posé cette question dans le cadre de l'enquête sur la technologie. Nous leur avons demandé quels étaient leurs problèmes lorsqu'ils achètent du matériel canadien par opposition à du matériel étranger et nous n'avons guère trouvé de différence. Autrement dit, les problèmes que vous avez évoqués - trouver les machines adéquates et trouver le personnel pour les faire fonctionner - semblaient très similaires, quelle que soit la source.
Le problème que vous avez cité existe donc aussi dans le cas des machines canadiennes. Simplement, le processus de mise en place de ces machines dans les usines est très difficile. Il y a des difficultés au niveau de l'information, du financement, du recrutement des techniciens voulus et de la formation.
Je ne peux donc vous répondre directement sur ce qu'il faudrait faire pour que davantage de ce matériel soit fabriqué au Canada, mais je peux répondre indirectement à la question de savoir si les problèmes que rencontrent les entreprises sont sensiblement différents selon la source du matériel et s'il faut des politiques gouvernementales pour y remédier. Nos résultats préliminaires indiquent que non, les problèmes sont de nature générale. Si vous avez des programmes portant sur ces problèmes d'information et d'acquisition technologique, ils conviendront dans les deux cas.
Mme Bakopanos: Je vous remercie.
Le président: Monsieur Shepherd, juste une question peut-être pendant le temps qu'il nous reste, car j'aimerais en poser une moi aussi.
M. Shepherd (Durham): Vous parlez du problème de la fuite des cerveaux vers les États-Unis, de ce que j'appellerais l'effet siphon, et vous pensez qu'une solution éventuelle serait une augmentation des salaires au Canada. Et si ce n'était pas la bonne analyse? Et si l'effet siphon se poursuivait parce que les entreprises de la Silicon Valley ou d'ailleurs continuent à s'enrichir et ont les moyens de payer des salaires de plus en plus élevés? Le gouvernement devrait-il intervenir pour empêcher ces départs? Nous pourrions dire que, vu que les contribuables canadiens ont payé 8 000 $ par an pour chaque année d'études postsecondaires effectuées par l'intéressé, il faut rembourser cette somme ou quelque chose du genre. Peut-on faire quelque chose pour freiner cet exode de main-d'oeuvre?
M. Broadmore: Je ne préconiserais certainement pas des entraves. Je crois sincèrement que nos industries canadiennes peuvent soutenir la concurrence. Nous ne pouvons toujours concurrencer le climat, mais nous pouvons concurrencer les dollars. Je pense que la plupart de nos entreprises commencent à se rendre compte qu'elles doivent payer plus, particulièrement dans ces spécialités où il y a pénurie aiguë. Pas mal de nos membres nous ont dit ces derniers mois qu'ils changent totalement de politique en matière de rémunération. Je ne recommanderais certainement pas d'ériger des barrières artificielles ou des entraves pour empêcher les diplômés de partir. Je pense que ce ne serait dans l'intérêt de personne. Je ne suis même pas sûr que l'ALENA nous permette de le faire.
M. Shepherd: Nous pourrions trouver un moyen. Je respecte ce que vous dites au sujet du libre jeu du marché. Mais je me demande - car nous continuons à investir notre propre main-d'oeuvre dans l'innovation à l'étranger - si les Canadiens pourront être compétitifs. Il arrive un moment où il se crée une certaine inertie.
Pensez-vous que les profits non redistribués de ces entreprises canadiennes sont suffisants pour leur permettre d'augmenter les salaires et d'être compétitives à l'échelle mondiale?
M. Broadmore: Nous ne pourrons peut-être pas soutenir la concurrence dans tous les domaines d'activité. On verra sans doute intervenir, au fil du temps, une sélection naturelle qui déterminera qui survit et qui périt. J'ai l'impression que nos entreprises de logiciels - par exemple Corel, Hummingbird et Delrina - s'en tireront très bien et continueront à prospérer. Même chose pour nos sociétés de télécommunications. Il y aura peut- être un réalignement dans certains autres domaines, mais c'est là le jeu normal de la concurrence aujourd'hui.
Un autre aspect qui n'est pas clair encore, c'est l'impact de la convergence sur ce que l'on appelle l'autoroute de l'information, sur le plan de la création de fonctions nouvelles et des qualifications nouvelles qui seront requises pour les assurer. Les choses évoluent si rapidement qu'il est difficile pour nous de seulement faire des prévisions. Il y a des tâches aujourd'hui qui n'existaient pas il y a dix ans - les administrateurs de réseaux locaux et de réseaux étendus etc. Comment former des gens pour des fonctions qui n'ont pas encore été inventées? J'ai l'impression que la meilleure chose à faire est de créer davantage de places dans nos universités dans ces domaines critiques de la science et de la technologie, d'engendrer une demande, si vous voulez, à l'intérieur du système de façon à rendre ces emplois plus attrayants, car franchement je pense que les informaticiens sont encore considérés comme des gens un peu bizarres par beaucoup de nos jeunes. Ces derniers doivent réaliser que les informaticiens ne sont pas des types avec 14 stylos dans leurs poches et une règle à calcul à la ceinture. Ils gagnent beaucoup d'argent et gagnent très bien leur vie.
Le président: Je signale que le vote a été retardé de dix minutes, si bien que nous pouvons poursuivre maintenant jusqu'à 10 h 30. Si d'autres membres n'ont pu poser leurs questions par manque de temps, ils peuvent se lancer.
Monsieur Hough aimerait intervenir. Vous avez la parole.
M. Hough: Je voulais indiquer que dans toutes les études que j'ai vues sur ce qui incite les gens à s'exiler, l'argent n'est normalement pas le principal facteur. Il joue peut-être un rôle dans certains de ces domaines. Mais je pense que cela prouve aussi que la qualité des diplômés que produisent nos établissements, qu'il s'agisse d'universités ou de collèges, est de tout premier ordre. C'est cela que recherchent les recruteurs étrangers. Si le gouvernement peut faire quelque chose, c'est peut-être surtout promouvoir une meilleure interaction entre les établissements d'enseignement et le secteur privé afin que ces diplômés puissent voir que des emplois réels les attendent chez nous, qu'ils sachent qu'il y a des perspectives au Canada dans les disciplines qu'ils ont choisies.
Je ne pense pas que ce soit seulement une question d'argent. C'est une question de possibilités, d'installations de recherche et d'infrastructure; c'est tout un ensemble. Je suis d'accord avecM. Broadmore pour dire que la solution n'est pas de dresser des obstacles à la mobilité.
Le président: Je vous remercie. Monsieur Regan.
M. Regan (Halifax-Ouest): Ma question est en rapport avec cela. Je pense qu'il est vrai que l'on ne peut dresser des obstacles, en partie à cause de l'ALENA, mais quelles incitations à rester pourrions-nous donner, par opposition aux incitations à partir? Quelles sortes d'incitations à rester proposeriez-vous? Vous avez donné une réponse partielle, mais vous pouvez peut-être me donner quelques autres idées.
M. Hough: Je pense, en reconnaissant qu'il faut augmenter le nombre de spécialistes dans des domaines particuliers. La situation va évoluer. Ainsi que M. Broadmore l'a dit, il y a des fonctions aujourd'hui qui ne figuraient même pas sur la liste il y a dix ans. Un titulaire de doctorat en sciences naturelles sortant demain, par exemple, sera probablement inadapté dans trois ou quatre ans, sinon avant, sans un recyclage, sans l'acquisition d'une expérience nouvelle.
Encore une fois, les établissements que je connais cherchent réellement à produire des diplômés qui peuvent s'adapter, qui peuvent changer, peuvent contribuer à l'économie. Ils doivent avoir la formation générale voulue pour être en mesure de le faire. Encore une fois, si les étudiants savent où se situent les perspectives d'emploi, cela leur est utile. C'est pourquoi l'une des propositions que nous avons faites au Comité des finances recommande ce que nous appelons les programmes de transition, qui incitent les étudiants à travailler dans le secteur privé ou dans d'autres secteurs en dehors du monde universitaire avant de terminer leur diplôme. On peut envisager diverses mesures d'encouragement pour cela.
Le président: Nous allons continuer encore un peu, si les membres du comité sont d'accord.
Madame Brown.
Mme Brown (Oakville - Milton): Je vous remercie, monsieur le président. Ceci est un casse-tête, et l'on nous donne sans cesse de nouvelles pièces à ajouter. J'aimerais appliquer à cette discussion deux questions que l'on se pose dans d'autres domaines problématiques de notre politique gouvernementale.
La première question est de savoir s'il y a assez d'argent dans le système pour résoudre certains de ces problèmes? Nous nous sommes posé la question relativement au système de soins de santé et nous avons effectué beaucoup d'analyses sur cette base. L'autre question est de savoir qui fait quoi.
Prenons certains des problèmes que vous avez soulevés. Il y a pénurie de main-d'oeuvre pour occuper les emplois qui sont soit disponibles soit seraient créés s'il y avait quelqu'un pour les occuper. D'autres pays viennent piller notre main-d'oeuvre.
Le gouvernement devrait-il, par exemple, offrir davantage de bourses et de soutiens financiers aux étudiants, en échange de leur engagement à travailler au Canada pendant un certain nombre d'années après la fin de leurs études?
Est-ce le gouvernement qui devrait faire cela, ou bien serait- ce le secteur privé, puisqu'il a déjà identifié ce besoin, en offrant des bourses aux sujets brillants à la sortie de l'école secondaire ou du premier cycle universitaire, en disant: «Nous finançons la suite de vos études, nous payons tout et en retour vous vous engagez à travailler pour nous pendant cinq ans»?
La question est de savoir qui fait quoi? Incombe-t-il au gouvernement de faire cela ou bien le secteur privé devrait-il le faire lui-même, et cela serait-il efficace? L'autre question était de savoir... Eh bien, commençons peut-être par la réponse à la première.
Le président: Ce sera la dernière intervention. Si vous voulez voir figurer vos questions rhétoriques au procès-verbal, vous pouvez les poser maintenant, mais ensuite nous n'aurons plus qu'une seule intervention.
Mme Brown: Non, ça va. Écoutons les réponses.
Le président: Bien. Allez-y.
M. Broadmore: La manière dont la formation se déroule dans bon nombre de ces emplois exotiques et hautement spécialisés des logiciels et de l'informatique constitue en fait un processus conjoint. Nombre de nos membres ont recours aujourd'hui aux programmes alternance travail-études offerts par un certain nombre d'universités dans les disciplines qui nous intéressent, et c'est un moyen de sélection, en quelque sorte. Les étudiants viennent travailler pour un trimestre...
Mme Brown: Pardonnez-moi de vous interrompre, mais je sais cela. Je vous demande ceci: pensez-vous que le secteur privé paiera pour obtenir les travailleurs qu'il veut, ayant le niveau d'éducation qu'il veut?
M. Broadmore: Mais c'est justement ce qu'il fait, comme je dis, car lorsque ces étudiants viennent en stage pour un trimestre, ils acquièrent une formation.
Mme Brown: Oui, bien entendu.
M. Broadmore: Souvent, les grandes compagnies investissent 25 000 $, 30 000 $ ou 50 000 $ dans la formation, sur une période de trois à cinq ans. Cette formation a lieu conjointement avec les études théoriques.
M. Regan: Mais vous ne leur offrez rien pour les fixer après cela.
M. Broadmore: Non. Il n'y a pas de garantie que l'étudiant ou le diplômé revienne travailler plus tard dans cette compagnie, et cela n'a pas non plus lieu d'être. Il me semble que la liberté de mouvement, la mobilité, est un principe fondamental.
Le président: Quelqu'un d'autre souhaite-t-il intervenir là- dessus? Monsieur Service, je vous prie.
M. John Service (président suppléant, Consortium national des sociétés scientifiques et pédagogiques): Les pouvoirs publics ont fait cela par le passé, dans le domaine de la santé. Ils payaient des psychiatres, des psychologues et d'autres spécialistes pour aller travailler dans les régions rurales. C'est une idée intéressante qu'un étudiant à la sortie de la 12e année obtienne une bourse pendant un certain nombre d'années et s'engage à travailler pendant cinq ans pour une compagnie donnée. Cela semble avoir fonctionné dans le secteur de la santé. Je ne vois pas pourquoi cela ne marcherait pas dans le secteur privé.
Mme Brown: C'est l'exemple auquel je songeais. C'est ainsi que nous avons desservi les localités du Nord pendant longtemps. Les étudiants qui n'avaient pas les moyens de faire les études qu'ils voulaient étaient financés par une fondation, ou peut-être quelque subvention du gouvernement, et ils passaient leurs cinq premières années de travail dans le Nord.
M. Service: Exactement, et ils pouvaient toujours racheter leur obligation s'ils le voulaient. Un montant de rachat était toujours spécifié s'ils préféraient la mobilité.
Mme Brown: C'est juste. La question est donc de savoir si le gouvernement devrait faire cela pour le secteur de la haute technologie, pour le doter d'effectifs suffisants, ou bien si le secteur privé devrait recourir à ce mécanisme? S'il y a une possibilité de rachat permettant aux diplômés de se désengager, il me semble que le secteur pourrait y songer également.
Comme M. Hough l'a indiqué, il y a un manque de crédits publics partout et si l'impératif premier est l'acquisition de savoir, il me semble que nous devrions investir notre argent dans les laboratoires gouvernementaux et les laboratoires universitaires. Mais le résultat net, qui est la main-d'oeuvre - il me semble que si le secteur privé la veut, il devrait lui aussi mettre de l'argent.
Le président: Il nous reste environ dix minutes et demie et les gens commencent à trépigner un peu.
Monsieur Baldwin, si vous pouvez répondre très rapidement, est-ce là un domaine bien documenté, ou bien sommes-nous en quelque sorte à la lisière? Diriez-vous que la question de l'innovation au Canada fait l'objet d'un haut degré de consensus ou d'un haut degré de recherche, ou bien votre travail est-il tout à fait nouveau?
M. Baldwin: Je pense que c'est le tout début du processus. C'est ma réponse rapide.
Le président: Merci beaucoup.
Je suis désolé. C'est cela, la vie de parlementaire. Nous nous asseyons pour une bonne conversation, et quelqu'un se met à sonner les cloches et nous devons partir en courant. Merci beaucoup. J'espère que vous comprendrez que notre départ abrupt ne reflète pas un manque d'intérêt pour ce que vous aviez à nous dire.
Je reviens sur la remarque de M. Broadmore. Je pense que la question de l'immigration est très importante aussi. Nous pouvons soulever ces questions avec nos ministres sans l'inscrire dans le rapport. Je sais combien il a été difficile d'attirer l'attention des gens là-dessus.
Merci beaucoup. Le comité reprend la séance à 11 h 30 pour la dernière table ronde, avec d'autres témoins.
Merci beaucoup. La séance est suspendue.
Le président: Nous commençons avec un petit peu de retard, comme nous le savons tous, etM. Howard Alper, qui est ici parmi nous aujourd'hui, doit nous quitter à 12 h 10. Je vais l'inviter à nous faire un exposé d'une dizaine de minutes. En règle générale, nous attendons d'avoir entendu tout le monde avant de passer aux questions, mais je vérifierai auprès des membres du comité dès qu'il aura terminé. Si les députés ont des questions pour M. Alper, ce sera l'occasion de les poser.
La table ronde en cours sera notre dernière. Nous poursuivons le travail que nous avons entamé ce matin. Nous n'en sommes pas encore à la conclusion de nos travaux, mais cette table ronde sera la dernière dans la série. Nous vous sommes reconnaissants à tous trois d'être venus nous rencontrer ici aujourd'hui. Je tiens, au nom du comité, à m'excuser auprès de vous pour l'interruption de notre réunion qui a été amenée par les travaux de la Chambre. Ainsi va notre vie. Nous commençons donc avec un léger retard.
En règle générale, nous demandons aux témoins qui viennent nous rencontrer de faire une brève déclaration liminaire. Une fois qu'ils ont terminé, les députés ont l'occasion de poser des questions. Je vous encouragerais à faire votre déclaration liminaire dans cette optique afin que les députés puissent poser des questions. Vous constaterez que les membres du comité sont très intéressés par ce que vous avez à dire, alors il ne vous est pas nécessaire de tout couvrir dans le cadre de votre exposé.
M. Alper, je vous invite à vous présenter et à donner le coup d'envoi à la table ronde. Merci.
M. Howard Alper (président, Collectif en faveur des sciences et de la technologie): Merci beaucoup.
Je suis ici aujourd'hui en tant que représentant du Collectif en faveur des sciences et de la technologie. Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir ainsi donné l'occasion d'exposer nos vues sur les questions auxquelles s'intéresse le comité permanent.
Le CFSC a été créé l'an dernier. Il réunit 20 - et cela passera bientôt à 22 - associations et sociétés désireuses de s'exprimer au gouvernement d'une seule et même voix. Un plan d'action a été élaboré en novembre 1995. Celui-ci comportait différents éléments, dont les suivants.
Tout d'abord, une réponse au document intitulé Science and Technology for the New Century. La réaction à notre document d'organismes et de ministères gouvernementaux, comme par exemple le ministère des Finances, Ressources naturelles Canada, le caucus parlementaire sur l'éducation supérieure, le CNRC, etc., a été très favorable, tout comme l'ont été les commentaires faits par la presse, y compris, par exemple, Research Money et University Affairs.
Un autre volet est l'examen de moyens de renforcer les synergies entre l'industrie et la recherche gouvernementale ou savante. Un comité comprenant des représentants industriels au niveau vice-président de la R-D, des secteurs pharmaceutique, minier et micro-électronique, ainsi que des représentants d'université et de gouvernements, est en train d'examiner des stratégies visant à améliorer la synergie entre les différents groupes.
Le troisième élément est l'analyse de la participation du Canada à la recherche internationale et l'élaboration d'un modèle pour une participation interorganisme.
Je devrais vous dire que mes propres antécédents sont ceux de chimiste. J'avais un groupe de recherche composé de 19 étudiants diplômés et boursiers de recherches post-doctorales. Notre recherche visait l'élaboration de processus susceptibles d'intéresser les secteurs pétrochimique, pharmaceutique et chimique.
Je vais maintenant aborder les questions qui occupent le comité. Tout d'abord, en ce qui concerne les industries et les technologies critiques qui vont créer des possibilités pour l'économie canadienne jusque dans le XXIe siècle, nous croyons que comptent parmi les industries et technologies qui sont ou seront importantes pour le Canada l'industrie et les procédés pharmaceutiques créateurs de soins et de produits pour traiter le cancer, les accidents vasculaires cérébraux et d'autres maladies cardio-vasculaires, la douleur et la dystrophie musculaire. Nous nous appuyons principalement sur la chimie organique et la biotechnologie pour la découverte et l'élaboration de nouveaux médicaments.
La biotechnologie jouera également un rôle important dans le domaine des technologies agricoles. Le génie et la diagnostique biomédicale continueront de s'élargir. Le génie informatique est une force majeure au Canada, et le développement technologique se développe à un rythme très rapide. La réglementation imposée aux industries régira considérablement les développements technologiques dans le secteur environnemental. Enfin, le secteur automobile, qui joue un rôle important dans l'économie canadienne continuera d'exiger des travaux de recherche sur différentes pièces automobiles, par exemple les jantes, qui exigent des compétences spécialisées dans les domaines de la science des matériaux, de la physique et de la chimie.
La deuxième question est celle de savoir quel est le rôle du gouvernement dans la promotion des technologies naissantes? À quelques exceptions près, l'industrie fait trop peu de recherches au Canada. Or, il est essentiel pour l'industrie qu'elle nourrisse la créativité et l'innovation de façon à être concurrentielle à l'échelle mondiale. Le gouvernement devrait fournir un milieu favorable à l'épanouissement de la recherche. C'est ce que fait dans une certaine mesure le PARI et d'autres programmes qui intéressent tout particulièrement les PME.
Troisièmement, quels empêchements bloquent la voie aux technologies émergentes? Plusieurs questions interviennent ici, notamment le défi pour l'industrie, et tout particulièrement les PME, en matière de gestion de la croissance et de maintien d'un avantage concurrentiel grâce à la R-D. Un autre aspect est celui des sociétés dites spin-off, dont la création s'appuie largement, mais non pas exclusivement, sur la recherche universitaire. Les réseaux de centres d'excellence (RCE) ont tout particulièrement réussi sur ce plan. Le problème est que, souvent, l'entrepreneurship et la commercialisation - ou leur mauvaise gestion - sont une entrave à la réussite commerciale des technologies naissantes.
Deux autres points encore. La recherche universités-industries contribue énormément à l'élaboration de nouvelles technologies grâce aux retombées et à d'autres applications. Même si la plupart des universités sont flexibles en ce qui concerne la gestion de la propriété intellectuelle, certaines d'entre elles sont très rigides à cet égard, ce qui amène des pertes de possibilités d'interaction avec le secteur privé.
Enfin, la S-T au Canada, que ce soit dans l'industrie, au gouvernement, ou dans les universités, doit fonctionner selon une base internationale. La collaboration internationale peut ajouter de la valeur réelle au développement technologique canadien. Malheureusement, une conséquence non intentionnelle des récentes coupures budgétaires imposées aux ministères gouvernementaux a, dans bien trop de cas, amené un désinvestissement dans le cadre de programmes internationaux. Ce problème mérite qu'on s'y attaque de façon urgente.
Une autre question est celle de savoir quelles mesures doivent être prises pour promouvoir un climat favorable à la S-T. Le gouvernement devrait appuyer le continuum de la recherche, de la recherche fondamentale à la recherche appliquée. Le mot clé est «l'excellence», quelle que soit la catégorie de recherche envisagée. Les organismes gouvernementaux et les conseils subventionnaires doivent fixer des priorités d'affectation réfléchies, ce afin d'assurer des dépenses responsables.
Cinquièmement, dans quelle mesure les institutions canadiennes satisfont-elles les besoins en matière de compétences de la technologie de pointe? L'infrastructure de la recherche au Canada se détériore à un rythme alarmant depuis trois à cinq ans. Il est critique que le gouvernement prévoie des fonds en vue de la modernisation des laboratoires de recherche, de l'achat de matériel et de l'exploitation et de l'entretien, ce afin que les universités puissent mener à bien de la recherche d'avant-garde, à un niveau compétitif par rapport aux travaux effectués dans au moins certains des pays industrialisés du monde.
Il y a une grave pénurie de personnel dans certains domaines, comme par exemple la technologie de l'information. À l'heure actuelle, l'industrie embauche de nombreux étrangers pour obtenir les compétences dont elle a besoin. Les universités doivent être plus novatrices dans l'élaboration de programmes de diplômes spéciaux et autres, ce afin d'accélérer la formation d'ingénieurs en logiciel.
Enfin, je pense que les étudiants universitaires, quel que soit leur domaine de spécialisation, que ce soit la sociologie, le génie mécanique ou autre chose, devraient être tenus de prendre un cours de gestion, d'entrepreneurship et de commercialisation d'un semestre. Cela est critique pour la préparation des étudiants pour le marché.
La dernière question est celle de savoir comment le Parlement peut obtenir du gouvernement qu'il suive une stratégie en matière de S-T qui soit axée sur les résultats et quel genre de données devraient être compilées afin de contrôler la progression de la stratégie en matière de S-T? Il importe de mener régulièrement des examens externes de la S-T dans les universités, du gouvernement et dans l'industrie. Devraient compter parmi les données recueillies relativement aux activités de S-T des universités et du gouvernement, publications, brevets, subventions, contrats et création de sociétés dites spin-off, tout cela dans un contexte international et pas uniquement par rapport à un point de référence canadien.
En ce qui concerne l'industrie, il importe de déterminer les dépenses réelles en R-D. Cela se fait bien sûr déjà, mais, trop souvent, on intègre sous la rubrique «Recherche», des activités qui n'en sont pas, comme par exemple des essais cliniques. D'autre part, il serait également utile de contrôler le taux de roulement de la croissance ainsi que les sources de revenu - pénétration sur les marchés régionaux, nationaux ou internationaux. La création nette de richesse est bien évidemment plus bénéfique lorsqu'elle comprend des ventes internationales.
Le président: Merci.
Y a-t-il tout de suite des questions pour M. Alper?
[Français]
Monsieur Leblanc.
M. Leblanc: Tout à l'heure, vous avez parlé de l'industrie pharmaceutique. On sait que les produits pharmaceutiques demandent beaucoup de recherche. Les changements à la loi permettent de protéger les brevets pendant une vingtaine d'années. Croyez-vous que les règles actuelles qui concernent les brevets ou la recherche sur les produits pharmaceutiques sont correctes? C'est ma première question.
Deuxièmement, on a parlé ce matin de la collaboration internationale avec les centres de recherche et les entreprises des autres pays. Pourriez-vous élaborer sur la façon d'avoir plus de partenariats entre les universités étrangères et canadiennes et les entreprises canadiennes et étrangères? Comment pourrait-on développer davantage de partenariats avec les autres pays?
[Traduction]
M. Alper: En ce qui concerne votre première question, concernant la protection conférée aux brevets et à l'industrie pharmaceutique, je pense qu'il est essentiel de maintenir cette protection de 20 ans, ce afin de veiller à ce que la R-D se poursuive au moins au même rythme que celui qu'elle connaît à l'heure actuelle. Vous connaissez bien sûr les coûts phénoménaux qui interviennent entre le moment où un médicament est découvert et sa mise en marché. Je pense qu'il est très important que, pour cet investissement, l'industrie bénéficie d'une telle protection dans le temps de ses brevets, ne serait-ce que pour être concurrentielle, à nouveau, à l'échelle internationale, et pas uniquement dans le contexte canadien.
En ce qui concerne les affaires internationales, les organes subventionnaires, comme par exemple le CRSNG et le ministère des Affaires étrangères, ont réduit ou supprimé leur soutien aux programmes internationaux. Je pense qu'il est très important pour nous d'établir des liens avec d'autres unités, entre universités ou entre l'industrie et des universités, avec des pays, surtout industrialisés, de l'Asie Pacifique et de l'Europe, qui ont des intérêts bien cernés, car dans certains domaines, le secteur pharmaceutique ou la science des matériaux, par exemple, où le Royaume-Uni est un leader, pour donner un exemple précis, ou le secteur pharmaceutique, où la Suisse, les États-Unis et le Japon jouent un rôle prépondérant... l'on peut beaucoup tirer d'initiatives en coparticipation et, partant, ajouter de la valeur à la qualité, ainsi qu'à la quantité, des travaux de recherche effectués chez nous.
[Français]
M. Leblanc: Je sais que le gouvernement fédéral a décidé de ne plus contribuer à la fusion nucléaire tokamak. Je trouve cela épouvantable, parce que c'est un projet international auquel le Japon, les États-Unis et l'Europe participent. Le Canada fournit 1 p. 100 des sommes d'argent pour ce grand projet international et il récolte 100 p. 100 de retombées scientifiques. Je trouve épouvantable que le gouvernement se retire puisqu'il ne dépensait que 7 millions de dollars par année et que les retombées fiscales étaient même supérieures à 7 millions de dollars par année. J'aimerais avoir votre opinion franche à ce sujet.
[Traduction]
M. Alper: La question que vous soulevez compte parmi plusieurs exemples, dans différents domaines, où le Canada... et pas seulement le Canada, mais d'autres pays, comme le Royaume-Uni... Lorsque les compressions budgétaires ont été imposées au Royaume- Uni, par exemple, sa contribution à l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire a sérieusement reculé.
Il faut fixer ses priorités. Je reconnais cela. Mais il me faut admettre que le projet dont il est question ici renferme un potentiel économique appréciable pour le pays.
Le président: Walt.
M. Lastewka (St. Catharines): J'aurais deux petites questions à poser, monsieur le président.
Au troisième point, vous avez mentionné que les réseaux de centres d'excellence ont particulièrement bien réussi. Je ne suis pas certain de comprendre ce que vous voulez dire lorsque vous déclarez que le problème est que, souvent, l'entrepreneurship et la commercialisation sont une entrave à la réussite commerciale.
M. Alper: Cela s'inscrit dans le contexte que voici. Entre la découverte ou l'invention de quelque chose de nouveau et la création d'une société dite spin-off, l'ensemble de compétences requises pour l'entrepreneurship et la commercialisation est différent de l'ensemble de connaissances nécessaires pour la découverte et l'élaboration. Il est donc essentiel que ces nouvelles compagnies forgent des alliances avec des individus qui possèdent ces différents ensembles de compétences.
M. Lastewka: Ma deuxième question rejoint un peu ce que disait M. Leblanc. Vous avez mentionné le désinvestissement dans les programmes internationaux. J'aimerais traiter cela comme un problème qui demande qu'on intervienne et vous poser la question suivante: sur la scène internationale, dans quels domaines devrait- on réinvestir, parmi ceux que l'on a perdus... ou quelles devraient être les priorités en matière d'investissement dans les programmes internationaux?
M. Alper: Je songe aux programmes bilatéraux que nous avons eus avec certains pays. Cela devrait être rétabli du côté universitaire.
Je pense également que la collaboration universités-industries à l'échelle internationale - il n'y avait aucun programme du genre en tant que tel - devrait être rehaussée. Je peux vous dire, par exemple, que je siège au conseil consultatif technique de Samsung, en Corée, et à celui de Dow, aux États-Unis. Au lieu qu'ils travaillent avec des universités aux États-Unis ou au Japon, je pense qu'il faudrait qu'ils soient sensibilisés à la valeur que le Canada peut apporter à leur entreprise de recherche, et vice- versa.
M. Lastewka: Par exemple, nous avons les réseaux de centres d'excellence, qui ont des liens très étroits avec les universités... avec l'université dominante, qui est en relation avec de nombreuses universités à l'échelle du pays. Peut-on étendre cela au niveau international?
M. Alper: Définitivement.
M. Lastewka: L'orientation pourrait demeurer, avec la participation et des intervenants et des universités.
M. Alper: Tout à fait.
Le président: Monsieur Alper, merci beaucoup d'être venu et de nous avoir fait votre présentation. Nous apprécions beaucoup votre participation.
J'aimerais maintenant passer aux deux autres témoins et en revenir à la formule de table ronde plus traditionnelle. Je vous inviterai à faire vos exposés, après quoi nous passerons aux questions. Lors de la période des questions, vous pourrez intervenir si les questions vous concernent.
Pourquoi ne pas commencer par M. Gault?
M. Fred Gault (directeur, Projet de remaniement des sciences et de la technologie, Statistique Canada): Merci, monsieur le président. Je m'appelle Fred Gault, et je représente Statistique Canada. À l'heure actuelle, je dirige le Projet de remaniement des sciences et de la technologie, qui fait des choses qui s'inscrivent tout à fait dans ce qu'examine le comité.
Statistique Canada élabore actuellement un programme de mesure des activités scientifiques et technologiques à travers tous les secteurs de l'économie. Ce programme est financé par Industrie Canada et constitue l'un des principaux résultats de l'examen des politiques fédérales en matière de sciences et de technologie. Dans votre perspective, il marque un pas vers le suivi des progrès de la stratégie fédérale annoncée en mars de cette année. J'aimerais faire ressortir comment les produits du programme peuvent être utilisés à cette fin et répondre aux questions énoncées dans le sixième paragraphe de votre mandat, notamment quels genres de données peuvent être recueillies pour contrôler le progrès réalisé dans le cadre de la stratégie de S-T.
Vous avez devant vous deux documents. L'un est une version plus détaillée de la présentation que je vais faire. L'autre est une liste de projets que nous entreprenons. Cela vous aidera à me poser des questions plus pointues, si vous le désirez. Le descriptif du programme vous donnera peut-être par ailleurs certains éléments d'information relativement aux autres questions que vous soulevez. Il n'est donc pas nécessaire de nous arrêter à la question six.
Pour assurer le suivi des progrès de la stratégie en matière de sciences et de technologie, il faut répondre à quatre questions. Les questions sont peut-être importantes, mais les réponses sont encore plus intéressantes, et elles se trouvent dans le document qui, je l'espère, vous a été distribué. Il s'agit de questions simples. Quel montant le gouvernement fédéral consacre-t-il à la S- T? Où dépense-t-il ses ressources S-T? Pour quelles fins dépense-t- il ses ressources S-T? Que reçoit-il en retour pour ses dépenses S- T? Voilà les quatre questions. Comme je l'ai dit, il s'agit de questions relativement simples, mais les réponses le sont moins. Dans le document qui vous été fourni, vous trouverez certains chiffres sur les dépenses en matière de S-T. Ce sont ces chiffres, ajoutés aux dépenses fiscales, qui ont soulevé des questions sur ce qu'obtenait le gouvernement pour ces 6 et quelque milliards de dollars en S-T, ce qui a donné lieu à l'examen des politiques fédérales en matière de sciences et de technologie, diffusé en mars.
J'aimerais dire en passant que ces chiffres, et même celui de ce que le gouvernement dépense en matière de S-T, ne sont pas faciles à calculer. Ils proviennent, bien sûr, d'une enquête menée par Statistique Canada, sans quoi je ne serais pas ici devant vous aujourd'hui. Nous avons demandé à chaque ministère et organisme fédéral de nous donner son budget en matière de sciences et de technologie. Ce n'est pas là chose facile, car toute personne avisée doit prendre toutes les dépenses de programme et décider si tel dollar correspond à la mission ou à la science et à la technologie. Cela signifie qu'il faut avoir certaines connaissances. Les gens de mon équipe, qui sont assis au fond de la salle, se demandent comment cela va évoluer, comment l'on pourra maintenir la qualité des réponses.
Une fois que nous avons une réponse à la question sur les dépenses en matière de sciences et de technologie, nous posons une question plus difficile. S'agit-il de R-D ou bien d'une activité scientifique connexe?
Cela exige un peu plus de réflexion. À Statistique Canada, c'est assez simple. Nous faisons des enquêtes. C'est une activité scientifique connexe. Par conséquent, près de 97 p. 100 de notre budget sont alloués aux activités scientifiques connexes ou ASC, le reste allant à la R-D.
La dernière question est donc la suivante: s'agit-il de sciences naturelles et de génie, ou bien de sciences sociales et humaines? Si vous oeuvrez dans le secteur de la santé, vous ferez un peu des deux, ce qui vient compliquer encore davantage le tableau.
Une fois obtenues les réponses à toutes ces questions, nous les publions, et c'est alors que vous voyez les résultats et que vous faites des observations à la Chambre des communes.
Le message que j'aimerais vous communiquer est qu'au Canada nous n'avons pas un budget des sciences qui soit clair et net. Ce n'est pas comme lorsque M. Clinton se lève et parle du budget des sciences ou lorsque le chancelier Kohl se prononce sur la chose. Ici, on découvre le budget des sciences après coup, et cela soulève la question de savoir comment l'on fixe les priorités en matière de dépenses, par exemple.
Nous oeuvrons à l'amélioration de la qualité et de l'opportunité de nos réponses, et nous avons en la matière le soutien du comité des SMA en matière de sciences, ce qui est une très bonne chose.
Permettez-moi de passer maintenant à la question suivante. Où le gouvernement fédéral dépense-t-il ses ressources en matière de S-T? Une fois que l'on a fait tout ce travail pour déterminer ce qui est un dollar S-T et ce qui est un élément humain de S-T, il est relativement facile de déterminer à quoi sont consacrées ces ressources. Nous pouvons le faire à l'intérieur du gouvernement fédéral, étant donné que nous savons où se trouvent les laboratoires, et nous pouvons le faire relativement aux subventions et aux contrats relevant du gouvernement fédéral. Cet aspect-là est facile.
Le débat sur la question de savoir à quoi sont consacrées les dépenses de S-T est un petit peu plus intéressant, mais l'on peut de façon générale répondre à la question. Pour quelles fins le gouvernement fédéral dépense-t-il ses ressources? C'est une question intéressante du point de vue priorités. Nous avons élargi l'enquête fédérale cette année pour demander aux ministères de répartir leurs dépenses dans, je pense, 12 catégories. Les résultats se trouvent résumés dans le tableau contenu dans le document que vous avez devant vous.
C'est un petit peu comme remplir une déclaration d'impôt: une fois que vous avez compris comment répondre - et il faut un peu de temps pour y parvenir... alors nous sommes en mesure de dire dans les documents que nous publions combien d'argent est consacré aux télécommunications, pas seulement à Industrie Canada ou au ministère du Patrimoine, mais également au ministère de l'Environnement et dans d'autres encore.
Une fois que vous avez déterminé à quoi le gouvernement fédéral consacre ses ressources en S-T, alors vous pouvez commencer à réfléchir à la question de savoir si, en tant que parlementaires, c'est ainsi que vous voulez les choses. C'est là la première étape en vue d'un débat sur les priorités.
Qu'obtenez-vous pour ces quelque 6 milliards de dollars? C'est là une question intéressante, et il nous faudra quelque temps avant de pouvoir vous fournir une réponse complète. Nous ne le pourrons d'ailleurs jamais, mais nous pourrons au moins faire quelques pas dans cette direction.
Le président: Vous essayez.
M. Gault: Tout à fait: nous essayons, grâce à Industrie Canada, qui nous finance, et espérons que cela continue.
Les réponses à la question doivent bien sûr être interprétées dans le contexte de la stratégie fédérale, des objectifs, des activités de base et des sept principes opérationnels sur lesquels la stratégie est fondée.
À partir de l'enquête fédérale, comme je viens de l'expliquer, et armés de la liste d'objectifs, nous pouvons parler de là où va l'argent. Mais cette année, nous avons ajouté à l'enquête non seulement l'ensemble des objectifs, mais également trois annexes. L'une porte sur les ressources financières et humaines dans les laboratoires; une autre sur l'utilisation des instruments de propriété intellectuelle - brevets, droits d'auteur, marques de commerce - et les recettes qui en sont tirées; et la troisième concerne la nature et le nombre d'alliances conclues par les ministères fédéraux.
Les réponses à chacune de ces questions nous renseignent sur l'appui accordé au mandat du ministère; sur la façon dont les instruments de propriété intellectuelle sont utilisés en vue du transfert de technologies, ce qui peut être un objectif du gouvernement; et sur la question de savoir si les alliances formées permettent au gouvernement de retirer les avantages de ces partenariats.
Ces questions font partie de l'enquête fédérale. Nous nous penchons également sur les recettes fiscales cédées, mais permettez-moi de vous entretenir davantage du tableau d'ensemble de la science et de la technologie. J'aimerais aller au-delà de ce dont j'ai traité jusqu'ici pour aborder, en plus de la recherche et du développement, l'invention, l'innovation - qui est la première utilisation commerciale de l'invention - , et, enfin, la diffusion de nouvelles technologies et idées partout dans l'économie. Tous ces aspects sont extrêmement importants si nous voulons répondre à une quelconque des autres questions sur lesquelles vous vous interrogez dans le cadre de votre mandat.
Nous menons une enquête pour mesurer les activités innovatrices d'entreprises oeuvrant dans le secteur des services. Cette enquête est en train d'être mise à l'essai sur le terrain en ce moment même. Elle nous donnera une idée des activités d'innovation qui sont en cours dans un secteur qui est un moteur de l'économie.
Certains d'entre vous sont en train d'examiner le petit livret que nous publions et qui contient des faits et des chiffres sur l'économie canadienne. Regardez où se trouvent les emplois. Je pense que le tableau pertinent est à la page 14. Parcourez la colonne de droite. Vous verrez qu'il y a une augmentation de 12 p. 100 pour la rubrique Services communautaires, commerciaux et personnels. Il s'agit en fait de services commerciaux. C'est là qu'il y a croissance. Voilà pourquoi nous voulons savoir quelles activités innovatrices sont en cours dans ce secteur.
Nous allons également interroger les gens au sujet de l'impact des programmes gouvernementaux. Encore une fois, cela nous aidera à répondre à certaines de vos questions, tout particulièrement à celle de savoir ce que cet investissement rapporte au gouvernement.
En plus de faire cela et d'examiner la réglementation mise en place en vue d'assurer une certaine stabilité aux entreprises, nous nous penchons sur la R-D en matière de logiciels, ce qu'a mentionné M. Alper, sur la biotechnologie, ce qu'il a également mentionné, et sur la réduction et le contrôle de la pollution.
En outre, nous prévoyons analyser l'utilisation de la biotechnologie dans le secteur manufacturier au Canada. La biotechnologie est censée transformer le monde. Eh bien, est-elle en train de transformer le Canada? Qui est actif dans ce domaine? Qui s'en sert? Nous devrions pouvoir vous fournir des réponses à ces questions d'ici environ six mois.
Nous nous penchons sur la propriété intellectuelle ainsi que sur le commerce des marchandises. Vous êtes préoccupés par le déficit commercial. Notre document vous donne peut-être une vue d'ensemble trop simplifiée, mais je me ferai un plaisir de revenir là-dessus lors de la période des questions.
Nous sommes en train de préparer un cadre en vue de faire en sorte que ces nouveaux indicateurs que nous essayons d'intégrer soient plus faciles à comprendre, de dresser un tableau des activités en matière de science et de technologie au Canada et d'appuyer le débat que vous voudrez peut-être avoir au Parlement.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup de nous avoir fait un exposé si clair. Je suis certain que nous aurons tous beaucoup de questions pour vous, y compris sur vos observations au sujet du rapport de l'OCDE.
Monsieur McLean, vous nous venez de la Fédération internationale des instituts des hautes études. Vous pourriez peut- être nous faire vos remarques liminaires, après quoi nous pourrons discuter.
M. Robert McLean (directeur exécutif, Fédération internationale des instituts de hautes études): Merci, monsieur le président.
Je m'appelle Rob McLean. Je suis directeur exécutif de la FIIHE, qui est un réseau d'institutions de recherche scientifique d'environ 25 pays, qui collaborent à l'intégration des connaissances de pointe aux dossiers d'intérêt mondial, tels le changement climatique et le développement du tiers monde. Comptent parmi les membres de la FIIHE nombre des institutions de premier rang en recherche sur la science et la technologie et les politiques d'innovation d'autres pays.
Je suis également président d'une jeune entreprise qui élabore des services spécialisés d'Internet à l'intention des entreprises virtuelles.
Tout cela signifie que j'ai un pied fermement planté dans une tour d'ivoire et l'autre dans ce que l'on pourrait considérer comme étant le secteur de notre société qui connaît l'évolution la plus rapide, ce qui fait que j'ai une vie fort intéressante.
J'aimerais vous soumettre que si nous voulons nous renseigner au sujet du déficit d'innovation, il nous faut poser une autre question encore, qui vient s'ajouter à celles qui relèvent de votre mandat relativement à l'examen des sciences et de la technologie.
Pour illustrer ce que je veux dire, j'aimerais établir deux distinctions très nettes. La première intervient entre la science et la technologie et le système d'innovation. Si vous regardez le document que je vous ai fait distribuer, vous verrez, au bas de la première page, un diagramme fort simple dans lequel je tente de bien cerner ce à quoi je songe lorsque je réfléchis au système d'innovation.
Je sais que, dans le cadre de vos discussions antérieures, divers intervenants ont parlé du système national d'innovation. Je le vois comme un système au sein duquel les sociétés, les entreprises et les groupes sont au centre, et qui vient appuyer cette activité de création de richesse ce qui se passe dans l'infrastructure des sciences et de la technologie, au gouvernement, dans le système éducatif, dans l'interaction entre les syndicats et cette partie de la société, dans les localités, dans le secteur financier et dans d'autres organisations de gens d'affaires.
Il s'agit, bien sûr, d'un diagramme fort simplifié pour décrire une réalité très complexe, mais il m'aide au moins à illustrer un certain nombre de choses, notamment que la science et la technologie ne sont qu'un élément du système d'innovation et que la création de richesse grâce à l'innovation suppose une interaction entre toutes les composantes. Troisièmement, je pense qu'il est clair qu'un tel système ne peut être aussi fort et aussi efficace que ne l'est son maillon le plus faible.
La deuxième distinction clé que j'aimerais faire se situe entre les programmes fédéraux et les institutions et le Canada dans son ensemble. Ce que je tiens à souligner ici c'est qu'il n'existe au Canada qu'un seul système d'innovation. Il n'y a pas un système d'innovation fédéral et un système d'innovation ontarien ou québécois, etc.
L'on peut constater qu'il y a des effets locaux. Je sais qu'un témoin antérieur a parlé de l'importance d'examiner les systèmes d'innovation locaux et régionaux, et je suis du même avis. Mais la structure et le fonctionnement du système d'innovation canadien n'ont pas grand-chose à voir avec la façon dont nous avons structuré nos organisations gouvernementales.
L'on peut résumer la différence entre ces deux perspectives, entre la S-T d'un côté et le système d'innovation de l'autre, et entre le gouvernement fédéral et ses programmes et institutions et le Canada dans son ensemble, en posant deux questions connexes mais distinctes. La première est la suivante: que faut-il faire pour renforcer le système d'innovation du Canada? La deuxième question est celle-ci: que devrait faire le gouvernement fédéral pour renforcer la science et la technologie au Canada? J'arguerais que la deuxième question découle de la première, qui est plus générale. En effet, comment faire pour renforcer le système d'innovation du Canada?
Lorsqu'on regarde le rapport publié le printemps dernier, Science and Technology for the New Century, on trouve ambiguë la question dont il traite. Si vous lisez la première moitié du rapport, celui-ci dit clairement que ce sur quoi il nous faut nous pencher c'est le système d'innovation. La deuxième moitié du rapport, en un sens la partie qui traite des plans d'action, est beaucoup plus directement axée sur la science et la technologie fédérales. La conclusion que j'en tire est qu'il nous reste toujours à trouver une réponse à la question de savoir ce qui doit être fait pour renforcer le système d'innovation du Canada, car nous n'en avons pas jusqu'ici traité de façon exhaustive.
Je pense que c'est la bonne question. Je pense qu'il est important que le comité n'estompe pas la distinction entre ces deux questions. Elles sont toutes les deux importantes, toutes les deux valides, mais elles sont différentes. J'aimerais également souligner que si le comité ne s'attarde pas sur la question de savoir comment nous y prendre pour renforcer le système d'innovation canadien dans son ensemble, j'ignore qui d'autre pourra poser cette question ou être en mesure de chercher les réponses.
En ce qui concerne le renforcement du système d'innovation canadien, je pense qu'il y a deux principaux défis à relever, et ils ressortent clairement de mon petit diagramme. Premièrement, comment renforcer les différentes composantes du système: comment renforcer les universités, comment renforcer les institutions de recherche, comment renforcer l'interaction du gouvernement fédéral à l'intérieur du système, comment renforcer les organisations d'entrepreneurs et leurs réseaux de collaboration?
Je pense que le deuxième défi est celui de savoir comment faire pour augmenter la collaboration entre les différentes composantes du système, car c'est cette collaboration entre des composantes toujours plus fortes qui est le fondement même de l'amélioration de notre capacité, en tant que société, de créer de la richesse. Ici, l'on parle de collaboration entre les entreprises et les universités, de collaboration entre les universités et les laboratoires gouvernementaux, etc.
Étant donné ces deux défis, trois principales tâches reviennent au gouvernement fédéral, et je vais en traiter brièvement.
Premièrement, le gouvernement fédéral a un rôle très important à jouer pour rassembler les organisations qui doivent collaborer au sein de ce système d'innovation en vue de la réalisation de certains objectifs.
J'aimerais vous donner un exemple précis pour illustrer cela. Je maintiens depuis longtemps que le Canada devrait se fixer comme objectif d'accaparer 20 p. 100 du marché mondial en matière de logiciels éducatifs multimédias. Ailleurs, j'ai esquissé, dans le détail, les raisons pour lesquelles je pense qu'il s'agit là d'un objectif réaliste pour le Canada et pourquoi ce serait dans notre intérêt, non seulement dans le contexte de la valeur économique d'une telle part de marché, mais également compte tenu de ce que cela ferait en ce qui concerne notre système éducatif ainsi que notre capacité de faire, dans notre société, ce que nous appelons «un apprentissage continu».
Pour que le Canada obtienne 20 p. 100 du marché mondial en logiciels éducatifs multimédias, il faudrait une importante collaboration entre les organisations du secteur public qui font partie du système éducatif, les pouvoirs publics, des sociétés privées oeuvrant dans de nombreux secteurs, englobant les télécommunications, la conception de logiciels, l'industrie de production de films et de vidéos, etc. Il est clair que les gouvernements fédéral, provinciaux et locaux devront intervenir.
Ce n'est pas une question de domaine de compétence, car les logiciels éducatifs multimédias relèvent d'une zone très grise et comportent en fait des aspects qui pourraient être considérés soit comme fédéraux, soit comme provinciaux. Néanmoins, la réalité est que la réalisation de cet objectif de 20 p. 100 du marché mondial serait dans l'intérêt de nous tous. Il me semble que seul le gouvernement fédéral est en mesure, en un sens, d'inviter les gens à participer à l'élaboration de la stratégie de collaboration qui serait nécessaire pour réaliser cet objectif.
Je pense que des possibilités semblables existent dans de nombreux autres secteurs de notre économie.
Un deuxième rôle clé pour le gouvernement fédéral, selon moi, serait de veiller à ce que le niveau d'investissement dans le système d'innovation dans son ensemble soit suffisant pour l'avenir. Ici encore, l'on peut faire une distinction entre deux questions différentes. Fred vient de traiter de la question du niveau d'investissement du gouvernement fédéral dans la science et la technologie, et c'est là une question tout à fait appropriée et importante, mais je pense qu'il nous faut, en plus, veiller à ce qu'existent les bons véhicules, ce pour s'assurer que l'investissement total dans le système d'innovation, qui va au-delà de la science et de la technologie et au-delà du gouvernement fédéral, augmente au lieu de baisser. Il me semble qu'il est question, pour le gouvernement fédéral, d'utiliser ses pouvoirs fiscaux pour appuyer ses propres dépenses, ces 6 milliards de dollars, de façon à attirer davantage d'investissements du secteur privé dans le système d'innovation dans son entier.
Je vais maintenant faire quelques brefs commentaires au sujet de la dimension internationale. Je pense qu'il existe d'importantes possibilités, que l'on voudra peut-être aborder dans le cadre de la discussion, et qu'il y aurait moyen de faire en sorte d'augmenter notre participation internationale. En guise d'apéritif, l'on voudra peut-être réfléchir à l'incidence que cela aurait si nous créions un véhicule grâce auquel augmenter de façon dramatique le niveau de collaboration en matière de recherche dans les Amériques. Si cela vous intéresse, nous pourrons y revenir lors de la période des questions.
Le troisième rôle clé du gouvernement fédéral est, je pense, de renforcer ce que j'appellerai les différents «mécanismes de gouvernance» qui déterminent, collectivement, l'évolution du système d'innovation du Canada d'ici à un moment donné dans l'avenir. Lorsque vous songez à un système d'innovation dans son ensemble, c'est beaucoup trop complexe pour qu'un quelconque organisme au gouvernement soit en mesure de donner au système son orientation. Il s'y passe de trop nombreuses choses. Ce que peut néanmoins faire un gouvernement c'est veiller à ce que tous les mécanismes requis soient en place pour s'assurer qu'il y a une évolution opportune du système entier en vue de son renforcement dans le temps.
Si nous regardons ce qui se passe dans le monde, il ressort que ce qu'il faut pour que ce soit possible c'est un ensemble d'institutions, d'organismes - ce que j'appelle les «mécanismes de gouvernance» - qui influencent la façon dont le système d'innovation va évoluer d'un état donné aujourd'hui à un autre état dans l'avenir.
J'ai fourni une courte liste initiale de certains de ces mécanismes. Vous y trouverez des mécanismes qui offrent des conseils au gouvernement en matière de sciences et de technologie ou de politiques d'innovation, des choses comme ce qui avait autrefois pour nom le CCNST et qui a été rebaptisé Comité consultatif sur la statistique des sciences et de la technologie. Vous y trouverez des mécanismes de coordination de politiques d'innovation ou de sciences et de technologie au sein d'un même palier de gouvernement. Vous y trouverez également des mécanismes de coordination, entre différents paliers de gouvernement, de politique en matière de science et de technologie ou d'innovation.
Vous y trouverez également des organisations qui sont en définitive des centres d'excellence sur les plans recherche et connaissances en matière de sciences et de technologie et de politiques d'innovation. Vous y trouverez les académies et les sociétés scientifiques, qui jouent divers rôles dans le domaine de la science et de la technologie et de l'innovation. Il s'y trouve également des organisations de recherche axée sur les technologies du futur, dont le meilleur exemple - et nous regrettons beaucoup son départ - était l'Office of Technology Assessment, aux États- Unis. C'était là l'une des organisations les plus en avant au monde dans ce domaine.
Vous y trouverez également les conseils subventionnaires qui, de par la façon dont ils distribuent leurs fonds, ont une incidence énorme sur ce qui se passe dans le cadre du système d'innovation dans son ensemble. Vous y trouverez également des organisations d'adoption de normes technologiques, des associations institutionnelles et de gens d'affaires de différents types, des laboratoires du gouvernement, etc.
Le principal et plus important message que j'aimerais vous transmettre aujourd'hui est le suivant: si je regarde cette liste et si je regarde ce que je sais... Je ne prétends pas connaître aussi bien que je le devrais le cas de ces institutions dans d'autres pays, mais vu les voyages que j'ai pu faire - et je me suis rendu dans 26 pays au cours des deux ou trois dernières années dans le cadre de mes activités à la FIIHE - d'après cette liste, le seul mécanisme au Canada qui fonctionne selon moi à un niveau de compétence égal à celui des organisations qui sont les chefs de file dans les autres pays est celui des conseils subventionnaires.
J'arguerais - et il s'agit d'une question fort sérieuse - qu'en ce qui concerne tous les autres aspects, comparativement à ces autres types d'organismes ou d'institutions, nous accusons du retard par rapport à nos meilleurs concurrents. Cela est dû au fait que le mécanisme n'a jamais existé au Canada, qu'il a existé et qu'il n'existe plus, ou bien qu'il existe mais qu'il n'a pas été aussi bon que les meilleurs exemples qui existent ailleurs dans le monde.
Je ne prétends pas qu'un quelconque autre pays ait atteint la perfection, mais je dis que, dans l'ensemble, nos mécanismes de gouvernance pour le système national d'innovation ne sont pas aussi solides qu'il le faudrait.
Cela m'amène à une question au sujet de laquelle le Parlement a, je pense, un rôle critique à jouer. Je soumettrai respectueusement au comité qu'un examen critique des mécanismes de gouvernance du système d'innovation canadien serait une tâche tout à fait indiquée pour un organe parlementaire, et pas forcément tout simplement pour le gouvernement du jour. J'arguerai également qu'un organe parlementaire devrait assumer la responsabilité en ce qui concerne la surveillance de l'exécution des améliorations nécessaires.
Je pense que ce genre de question se situe au-dessus de la politique partisane, au-dessus de la politique constitutionnelle, et que c'est précisément le genre de rôle que le Parlement peut jouer, dans ses meilleurs jours.
Je vous remercie de l'occasion qui m'a été donnée de vous exposer cette perspective et j'espère pouvoir participer à la discussion.
Le président: Formidable. Merci beaucoup, monsieur McLean. Vous nous avez fourni un excellent aperçu.
Si je suis ma liste, la parole est d'abord à M. Regan.
M. Regan: Merci, monsieur le président.
Ma question s'adresse à M. McLean.
En ce qui concerne les deux derniers points que vous avez soulevés, je vous inviterai à nous expliquer pourquoi vous pensez que nos institutions qui oeuvrent dans le domaine de la science et de la technologie ne suivent pas le rythme ou ne sont pas aussi fortes que celles d'autres pays. Que se passe-t-il ailleurs qui ne se passe pas ici? Que faisons-nous de travers et que réussissent ces institutions? Est-ce toute une variété de choses selon l'institution, ou bien y a-t-il un fil conducteur?
Deuxièmement, lorsque vous parlez de charger un organe parlementaire d'examiner les mécanismes de gouvernance, songez-vous à un type particulier d'organe parlementaire? Enfin, en quoi ce type d'organe auquel vous songez est-il l'intervenant indiqué pour jouer ce rôle?
M. McLean: Merci, monsieur Regan.
En ce qui concerne la première partie de votre question, je dirais que la réponse est dans un certain sens différente pour chaque type d'institution. Il n'y a pas une raison unique pour laquelle nous n'avons pas, par exemple, d'institution de recherche sur les politiques en matière de technologie équivalente à la SPRU, au Royaume-Uni, ou à MERIT, en Europe. Nous en avons de bonnes. Nous avons CPROST en Colombie-Britannique, PRIME à Ottawa, CIRST à Montréal, ainsi que d'autres chercheurs éparpillés ailleurs.
Mais ce que nous n'avons pas fait - et ce qu'a fait la Communauté européenne - c'est utiliser des travaux de recherche sous contrat en matière de politiques scientifiques et de technologie comme moyen d'établir la capacité et la base de revenu nécessaire à ces institutions de recherche afin qu'elles ne soient pas tout simplement des organismes universitaires; elles s'occupent également directement de fournir des conseils sur les politiques, en vertu de contrats qu'elles doivent exécuter.
C'est là un exemple bien précis. Les réponses seraient différentes pour les autres domaines.
Je soulignerai qu'il y a eu des coupures de fonds aux niveaux fédéral et provincial pour certains organismes qui faisaient partie des mécanismes de gouvernance et qui n'existent plus. Je songe, notamment, au Conseil du premier ministre de l'Ontario, avec lequel j'ai travaillé pendant quelques années, ainsi qu'au Conseil de sciences et au Conseil économique, si l'on remonte un petit peu en arrière.
Il importe que nous examinions cette question, car toute une gamme de stratégies est en fait nécessaire si nous voulons renforcer ces institutions.
Quant à la deuxième partie de votre question, aucune autre entité au Canada, me semble-t-il, ne pourrait avoir la même vue d'ensemble que le Parlement. Je recommande que ce soit le Parlement tout simplement parce que j'estime que cela doit se situer au- dessus des questions partisanes. Je recommanderai que cela soit maintenu à un niveau où il est question de développer et d'alimenter des institutions sur une période de temps relativement longue. Il faut que cela se fasse en dehors du cycle électoral et des pressions quotidiennes, car l'établissement, l'alimentation et le développement d'institutions de ce genre demandent un certain temps.
Je n'ai pas les compétences requises pour pouvoir recommander, de façon précise, quel organe parlementaire devrait entreprendre ce travail. Je me contenterai de dire qu'alors que nous examinons les défis de demain, j'espère que nous pourrons être créatifs dans l'adaptation des mécanismes parlementaires, ce de façon à nous occuper des questions qui se posent d'une façon différente de celle établie par la tradition.
M. Regan: J'aurais encore une autre question, qui s'adresse à vous deux.
Quelle stratégie le gouvernement du Canada devrait-il, selon vous, suivre pour encourager les jeunes gens à étudier la technologie de l'information ou des disciplines telle la biotechnologie, l'informatique, le génie informatique - tous domaines qui sont si importants pour l'innovation? Quelle devrait être notre stratégie? Devrait-on s'appuyer sur des incitations? Et comment faire pour garder ces jeunes gens ici, une fois qu'ils ont obtenu leur diplôme?
M. McLean: De façon générale, nous ne faisons pas un mauvais travail en ce qui concerne la sensibilisation du public à la science et l'encouragement de la science dans le cadre du système éducatif. En un sens, l'on aurait du mal à imaginer une meilleure stratégie pour encourager les jeunes gens à reconnaître les possibilités qui existent du côté de la technologie de l'information que d'avoir une situation où tous les annonceurs de nouvelles au Canada et tous les annonceurs de CBC Radio donnent l'adresse web et l'adresse pour le courrier électronique de leur institution. C'est cela qui se passe.
Quant à votre deuxième question - comment faire pour les garder ici - il y a un fossé plus grand entre les résultats actuels et ce qu'il nous faudrait faire. Encore une fois, je ne pense pas qu'il y ait de réponse simple. Je reviendrai à l'exemple que j'ai donné tout à l'heure: il nous faut avoir pour objectif d'obtenir 20 p. 100 du marché mondial en matière de logiciels éducatifs multimédias. Là encore, ce n'est qu'un exemple parmi beaucoup.
Si nous avions cela comme objectif explicite, et si une part importante de la société reconnaissait que c'était là notre objectif collectif et qu'il y a là-dedans un rôle et pour le secteur privé et pour les gouvernements fédéral et provinciaux, alors il me semble que les gens reconnaîtraient forcément les possibilités que cela renferme et se trouveraient une place dans ce contexte.
M. Gault: Il est quelque peu difficile pour un serviteur du gouvernement de fournir de tels conseils au gouvernement. Par conséquent, si vous me permettez, je répondrai en tant que citoyen.
Si l'on veut inciter les jeunes gens à travailler dans ces secteurs, alors il faut créer des héros, des modèles parmi les entrepreneurs et les savants canadiens. Je songe notamment à nos gagnants de prix Nobel. J'imagine qu'il y a beaucoup de gens dans la rue qui ne pourraient pas vous nommer un seul gagnant de prix Nobel ou un seul entrepreneur canadien dont ils sauraient les réalisations.
Songez, pour faire contraste, aux ingénieurs victoriens qui ont construit les paquebots et les chemins de fer. Vous pourriez sans doute en nommer tout de suite, à brûle-pourpoint.
Le président: Notre ministre des Finances.
Des voix: Oh, oh!
M. Gault: Bonne réponse. Je ne peux rien répondre à cela.
Nous avons peut-être d'autres possibilités plus pratiques... peut-être pas plus pratiques... mais néanmoins envisageables. Nous perdons un grand nombre de nos concepteurs de circuits intégrés en faveur de notre voisin du sud, et l'une des raisons à cela est que nous n'avons pas ici au Canada d'installations importantes de fabrication de micropuces. Nous avons la capacité de fabriquer ce genre de choses, mais nous n'avons pas les chaînes de production et tout le reste.
Cela préoccupe certainement le ministre de l'Industrie, qui n'est pas, que je sache, un ingénieur victorien.
Si nous disposions d'une certaine infrastructure, nous pourrions peut-être garder les gens ici.
Voilà les seules observations que j'aurais à faire au comité là-dessus.
[Français]
M. Leblanc: Monsieur McLean, vous recommandez que le gouvernement ou le Parlement prenne charge des grandes orientations techniques et scientifiques.
Par exemple, en Allemagne, il y a un grand conseil de la technique et de la science composé majoritairement de gens de l'entreprise privée. Ils ont pour mandat de recommander au gouvernement et à tous les intervenants dans le domaine de la technique et de la science les budgets et les orientations à long terme.
Ne croyez-vous pas qu'il serait préférable qu'on ait ce genre de conseil indépendant du gouvernement? Le gouvernement, bien sûr, siégerait au conseil, mais ce sont en majorité des gens d'affaires qui siègent à ce grand conseil de la technique et de la science.
[Traduction]
M. McLean: Monsieur Leblanc, je conviens qu'un groupe dominé par le secteur privé, tel que celui que vous venez de décrire, serait un élément critique de ce que je tente d'exposer comme étant l'ensemble des mécanismes de gouvernance nécessaires pour asseoir un système national d'innovation. En fait, c'est la première chose sur ma liste. Un organisme indépendant chargé de fournir des conseils sur la science et la technologie ou les politiques en matière d'innovation est un élément essentiel des mécanismes de gestion.
Pour être bien clair, le rôle que je recommandais pour le Parlement n'était pas de fixer l'orientation du système national d'innovation, car je ne pense pas qu'il y ait un seul organisme qui puisse, à lui seul, faire cela. Le rôle que pourrait jouer le Parlement serait celui de veiller à ce que soient bien en place tous les mécanismes nécessaires à l'évolution à bon escient du système national d'innovation.
La question à poser, tandis que vous êtes assis ici, est en vérité la suivante: «Notre mécanisme de coordination des politiques en matière d'innovation et de sciences entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux est-il adéquat et fait-il le travail qu'il est censé faire?» Vous ne pourriez pas, aujourd'hui, arriver à une conclusion autre que la suivante: le mécanisme n'est pas adéquat et il ne fait pas le travail qu'il est censé faire, car le Conseil des ministres des sciences et de la technologie ne s'est pas réuni depuis des années.
Le Parlement pourrait demander si nous avons à l'heure actuelle au Canada un bassin de compétences suffisant dans nos institutions de recherche en matière de politiques d'innovation et de science et de technologie, de façon non seulement à fournir ce dont nous avons besoin ici mais également à aller chercher de l'activité ailleurs. La conclusion à laquelle il vous faudrait arriver est la suivante: non, nous n'avons pas encore un bassin de compétences suffisant.
Nous avons de bonnes bases à partir desquelles construire. Nous avons certaines forces du côté du CIRST à Montréal, de CPROST à Vancouver, de PRIME à Ottawa et de quelques éléments de l'Université de Toronto, pour vous donner quelques exemples, mais en tant que pays, nous n'avons pas encore créé la masse critique de compétences qui nous permettrait d'être un exportateur net de conseils et de renseignements sur les politiques en matière de sciences et de technologie et d'innovation.
Le rôle que j'entreverrais donc pour le comité ici réuni serait celui de poser des questions au sujet de l'existence de ces différents éléments et des mesures à prendre pour les renforcer. C'est l'interaction totale entre les différents éléments des mécanismes de gouvernance qui permettra selon moi au système d'innovation de devenir plus fort et plus dynamique et d'avancer.
[Français]
M. Leblanc: Oui, mais vous ne croyez pas qu'il y a quand même un danger étant donné les changements technologiques très rapides? Vous ne croyez pas que les gens les plus concernés, les entrepreneurs eux-mêmes, seraient les mieux placés pour décider dans quelle voie nos institutions scientifiques et techniques devraient aller?
Le gouvernement est toujours très lent à réagir pour toutes sortes de raisons que je reconnais, mais les entreprises, elles, voient vraiment les besoins immédiats. Les changements technologiques sont très rapides. L'entreprise privée devrait avoir son mot à dire et le pouvoir de faire réagir le gouvernement le plus rapidement possible. Il me semble que ce serait essentiel dans un monde de marchés très ouverts et de technologies qui évoluent très rapidement.
[Traduction]
M. McLean: Encore une fois, monsieur Leblanc, je suis tout à fait d'accord avec vous là-dessus, mais je vois les choses d'un point de vue légèrement différent.
Dans un système d'innovation qui fonctionne comme il se doit, toutes les décisions que vous mentionnez seraient prises par les entrepreneurs. Mais en même temps, pour que les entrepreneurs aient la capacité de faire certains de ces choix, pour qu'ils aient accès à certains types de compétences technologiques, et pour qu'ils puissent trouver des mécanismes qui leur permettent d'accéder plus facilement aux ressources d'un autre pays, il faudra que l'on ait créé un système d'ensemble qui assure toutes ces bases.
À mon sens, la création d'un tel système ne sera pas l'affaire d'un seul gouvernement, tentant de fournir toutes les réponses, car ce serait chose impossible. Il s'agira plutôt de veiller à ce que soient mis en place tous les éléments nécessaires afin que le système dans son ensemble puisse évoluer d'une façon qui soit constructive.
Le président: Allez-y, monsieur Lastewka.
M. Lastewka: Merci, monsieur le président.
J'aimerais commencer par poser une question à M. Gault.
Vous avez expliqué dans le détail la question qui va être posée à tous les ministères et vous avez parlé de cette enquête, mais je n'ai rien entendu - et vous pourrez peut-être nous fournir quelques renseignements là-dessus - quant au délai à prévoir avant que l'étude ne soit terminée et que ses résultats ne soient mis à la disposition des membres du comité.
M. Gault: Merci.
Il s'agit d'une enquête annuelle, que l'on réalise depuis les années 1950. Nous en publions chaque année les résultats dans une publication de Statistique Canada, et dès que nous obtenons les résultats, nous les insérons dans notre bulletin de service.
Cette année, comme je vous l'ai déjà dit, nous disposons de renseignements supplémentaires. Pour ce qui est des objectifs et de ce sur quoi vous consacrez votre argent, nous devrions disposer de ces données-là, et de toutes les autres que nous compilons depuis des années relativement aux dépenses que vous faites, d'ici le début de l'année 1997, et nous mettrons cela à la disposition du comité. Nous nous efforçons de produire notre rapport en même temps que sort le budget.
Il faudra peut-être aux ministères un certain temps pour s'adapter aux trois annexes que j'ai mentionnées, portant sur les laboratoires fédéraux, la propriété intellectuelle et les alliances. Je ne les promettrai pas dans les mêmes délais.
M. Lastewka: J'apprécie le travail qui est en train d'être fait en vue de s'attaquer au problème de différentes façons pour s'assurer que les renseignements obtenus sont utilisables. C'est là un élément critique. Merci beaucoup pour cela.
J'aimerais maintenant poser quelques questions à M. McLean.
Pendant un petit moment, lorsque le comité entendait des témoins, j'ai parlé du mécanisme ou du système d'innovation, etc., et je pense m'y être quelque peu perdu. J'ai trouvé très rafraîchissant le rapport que vous nous avez présenté ce matin.
Nous avons en place un système. Je ne suis pas certain que les gens soient nombreux à le comprendre. Je ne suis pas certain que les gens soient nombreux à savoir que nous fonctionnons à l'intérieur de ce système et qu'il nous faut y apporter certaines améliorations. Voilà pourquoi les gens disent souvent qu'il nous faut améliorer le système, mais il n'est pas si simple que cela de connaître le système dans le détail.
Vous avez parlé de renforcer les différentes composantes du système, et j'ai maintes fois entendu cela déjà.
Pourriez-vous nous expliquer dans quelle mesure le système d'innovation est bien compris et quelles composantes il importerait de renforcer? J'essaie d'être plus précis. Quel est le maillon faible dans le système?
M. McLean: Vous avez tout à fait raison de dire qu'il nous faut mieux comprendre le système.
Nous sommes quelque peu désavantagés au Canada, car ce n'est que tout récemment que nous avons commencé à reconnaître que le système existe et à essayer de comprendre comment il fonctionne.
Certains de nos concurrents internationaux ont un avantage, car ils s'efforcent de le comprendre depuis plus longtemps que nous. En Europe, surtout, l'on fait de la recherche sérieuse sur les systèmes d'innovation depuis près de 15 ans. Il s'y trouve donc une bien meilleure compréhension de la dynamique des systèmes et un bien plus grand bassin de compétences dans lequel puiser.
Je ne pense pas que je puisse aujourd'hui prendre un quelconque élément de notre système d'innovation et dire: «Aha! Voilà quel est le problème. Réparez cela et vous n'aurez plus de problème». La réalité est que des changements s'opèrent dans toutes les composantes du système. Cela est en partie le fait de réductions des coûts, et en partie le fait de la technologie. Cela résulte de toute une série de choses.
Ce qui est important, c'est que nous créions un processus grâce auquel demander aux présidents d'université où sera leur université dans dix ans, et pendant ces dix ans, quels changements vont amener une situation où l'université, en tant que composante du système d'innovation, va être d'autant plus forte et d'autant plus intégrée aux autres éléments du système, avec lesquels elle entretiendra des rapports de coopération.
Certaines de ces questions ont en fait été posées aux institutions fédérales dans le cadre de l'examen de la science et de la technologie, et il se fait beaucoup de travail au fur et à mesure que les gens s'efforcent de reconnaître la nécessité d'ouvrir leurs laboratoires et d'inviter d'autres personnes à venir utiliser ces installations et à négocier davantage d'ententes de collaboration. Il y a donc des changements qui s'opèrent.
Mon principal message est qu'il nous faut davantage nous concentrer sur notre tâche collective en vue du renforcement du système.
Ma recommandation pour le gouvernement fédéral serait que l'on crée davantage d'endroits où les représentants des institutions elles-mêmes pourront se retrouver et élaborer des stratégies collectives ou conjointes, ou encore combiner leurs stratégies avec les plans établis par d'autres éléments du système. Ce n'est que grâce à ce genre d'interaction directe que nous pourrons assurer cette progression. En tout cas, c'en est un élément clé.
Le gouvernement fédéral peut créer des incitations qui obligent, en un sens, les institutions à collaborer, et je pense que ce serait une bonne chose. Je recommanderais en tout cas qu'une part plus importante des budgets totaux en matière de sciences et de technologie soit allouée d'une façon telle que, pour obtenir du financement, une institution soit obligée de donner des preuves de son degré de collaboration avec d'autres composantes du système. Je ne veux pas dire qu'il faudrait que ce soit une collaboration à 100 p. 100. Il s'agit de déterminer, de façon judicieuse, au cas par cas, ce qu'il faudrait faire de plus par rapport à ce qu'il y a déjà.
Ce sont des stratégies de ce genre qui vont faire progresser tout le système.
M. Lastewka: J'aimerais revenir sur la question des domaines où le gouvernement a encore du travail à faire.
Nous avons entendu témoin après témoin nous parler de la pénurie d'ingénieurs en électricité, en logiciels et autres. Si nous comprenions notre système d'innovation dans son ensemble, nos mécanismes de rétroaction ou de travail en collaboration nous auraient avertis de cela, au lieu qu'on reçoive tout d'un coup un message du genre: «Surprise, surprise! Il nous manque 40 000 ingénieurs».
Nous utilisons comme excuse que la plupart d'entre eux vont aux États-Unis, mais avec une collaboration entre les universités, les entreprises et les sociétés d'ingénieurs, nous aurions dû être en mesure d'éviter ce problème. Aujourd'hui, on va essayer de le réparer avec un pansement. Comment allons-nous produire en l'espace de 12 mois des «ingénieurs instantanés?» C'est une impossibilité.
On nous a dit ce matin que la façon de nous y prendre serait d'apporter le travail à des ingénieurs dans d'autres pays. Est-ce que ce sont le manque de compréhension de notre système d'innovation du début à la fin et le mécanisme de rétroaction qui commence à nous renvoyer des messages qui nous créent des problèmes? Comment pouvons-nous corriger les problèmes si nous ne parvenons pas à les comprendre réellement?
M. McLean: Cela fait partie du problème.
Je ne recommanderais certainement pas que l'on prenne les dix prochaines années pour étudier le système national d'innovation avant de faire quelque chose. Je recommanderais néanmoins que dans le contexte des stratégies de base que nous adopterons, non seulement nous appuyions Fred Gault et le travail de son groupe, destiné à amener une meilleure compréhension de la science et de la technologie, mais également que nous allions au-delà de cela - et je sais que cela est à l'examen à l'heure actuelle - pour veiller à ce que nous ayons en place les indicateurs de rendement nécessaires à chaque niveau et pour le système dans son ensemble.
Il nous faut également comprendre quels sont les indicateurs de rendement pour les différentes composantes du système pris dans son ensemble, et les surveiller. Je conviens tout à fait qu'une partie de ce que nous faisons c'est payer le prix de ne pas avoir investi suffisamment dans les systèmes de mesure requis pour guider l'évolution du système.
Il est important de reconnaître que les renseignements nécessaires ne se résument pas aux renseignements destinés au gouvernement. L'un des rôles critiques du gouvernement et «l'avantage concurrentiel du gouvernement», pour reprendre une expression de Peter Nicholson, réside dans la distribution au système de renseignements susceptibles d'aider les entrepreneurs à prendre des décisions, d'aider les présidents d'université à prendre des décisions, d'aider les étudiants à prendre des décisions au sujet de leur carrière, etc. Il s'agit là d'une fonction critique du gouvernement, qui exige et qui mérite qu'on y investisse, encore une fois parce que personne d'autre ne peut le faire, ni ne le fera.
Le président: M. Gault aimerait répondre à la même question.
M. Gault: Ce que vous dites est très intéressant.
Nous vous avons présenté le document portant sur le système d'information pour la science et la technologie. Nous avons entre autres entrepris d'essayer de comprendre le système d'innovation dans ce pays et de vous fournir suffisamment de renseignements pour que vous puissiez en parler en connaissance de cause.
Bien simplement, nous examinons les caractéristiques des composantes - et Rob McLean vous a ce matin présenté une démarche axée sur des systèmes - mais nous nous penchons également sur les mouvements entre les différentes composantes du système, mouvements que nous mesurons comme nous le pouvons: co-publication, co- brevetage et, partant, invention, mesures de coopération, arrangements contractuels, etc. Ce processus commencera à faire ressortir les fissures et les problèmes et les trous où il ne se passe rien, soit le problème que vous venez précisément d'évoquer.
M. Lastewka: J'apprécie beaucoup le fait que vous abordiez le système de mesure de différentes façons, mais la question que je vous poserai alors est la suivante: les intervenants dans notre système d'innovation participent-ils au travail de mesure? Y ont- ils contribué?
M. Gault: Ils y contribuent de deux façons. Au niveau le plus élémentaire, ils répondent à nos questionnaires, s'il s'agit d'un sondage. D'autre part, ils font en vérité le travail, ils publient les mémoires, ils les rédigent en collaboration avec des gens d'autres institutions, et nous récupérons tout cela par l'intermédiaire d'autres bases de données. Nous ne les embêtons pas pour ce genre de choses.
Sur un tout autre niveau, il y a une semaine, j'ai entretenu le Conference Board, un groupe de gestionnaires de recherche, de ce problème en particulier. Ils s'y intéressent de très près car ils savent qu'ils ne peuvent pas financer ni réaliser toute la recherche préconcurrentielle qui est nécessaire pour lancer de nouveaux produits. Ils voulaient savoir quelles mesures étaient en place pour examiner précisément ce genre de choses.
Nous consultons donc quiconque s'intéresse à ce genre d'entreprise, afin que les mesures soient utiles.
M. McLean: Puis-je me prononcer là-dessus également?
J'appuie fermement les orientations que suit Fred Gault. Il nous faut cependant reconnaître que dans un certain sens, dans un contexte international, nous avons du rattrapage à faire. Il nous faut veiller à ce que des ressources suffisantes y soient consacrées, et pas seulement au niveau gouvernemental.
Je conviens par ailleurs qu'il est critique de trouver de nouveaux mécanismes en vue d'amener les institutions, l'industrie, etc., à participer plus étroitement, afin qu'il ne s'agisse pas tout simplement de notre mesure du rendement de quelqu'un d'autre, mais plutôt d'un engagement commun à l'égard de ce que montrent ces mesures et de ce que nous allons faire si nous n'aimons pas ce qu'elles nous révèlent.
Le président: Merci beaucoup.
J'aimerais, moi, vous poser une dernière question. Il me faut revenir sur les observations faites par M. Gault relativement à l'étude de l'OCDE, car à mon sens, c'était là l'une des bases qui ont influencé la façon dont nous avons structuré notre travail, même si ce n'était pas de façon formelle.
Pourriez-vous m'aider un petit peu en me disant quelles étaient ses forces et ses faiblesses?
M. Gault: Je ne pense pas pouvoir faire cela très rapidement. Cependant, si cela peut vous être utile, je me ferai un plaisir de rédiger une petite note là-dessus.
Le président: Ce sera parfait. Ce serait vraiment très utile.
M. Gault: Très bien. Je le ferai.
Le président: Le comité a beaucoup apprécié les propos que vous lui avez tenus aujourd'hui. Vous et les témoins précédents, qui représentaient Statistique Canada, faites du travail extrêmement important, que nous apprécions.
Le chemin que nous avons emprunté est fort long et notre objet, en tant que parlementaires, pour revenir sur ce que disait M. McLean, est de faire progresser le débat, de l'alimenter et de veiller à ce qu'il soit mieux compris de tous. Les gens qui font le travail dans les domaines de la science et de la technologie pensent qu'ils ont un auditoire très intéressé, non seulement au niveau politique, mais également au niveau du grand public.
Merci encore d'être venus et d'avoir passé du temps avec nous.
Le comité va interrompre ses travaux jusqu'à mardi après-midi. Mardi après-midi, à 15 h 30, dans la pièce 269 de l'édifice de l'Ouest, nous allons examiner un amendement à un projet de loi qui a été appelé le projet de loi sur Bell Canada.
Il n'y aura pas de témoins, seulement des représentants du ministère, qui viendront nous expliquer tout cela. S'il en est parmi vous qui avez des questions ou désirez une séance de breffage avant la réunion, vous pourriez peut-être vous adresser à M. Bodnar. Il semblerait néanmoins que ce soit assez simple.
Je tenais tout simplement à vous en avertir. Cela va donc avoir lieu mardi après-midi. Le comité directeur se réunit quant à lui mardi matin à 9 h 30, pour se pencher sur nos travaux en cours dans ce dossier et dans d'autres, et nous en discuterons l'après- midi avec le comité plénier.
Y a-t-il des questions sur la façon de procéder?
M. Lastewka: Monsieur le président, étant donné que nous abordons nos dernières semaines de travaux avant Noël, y a-t-il un calendrier de réunions couvrant les deux prochaines semaines?
Le président: J'aimerais en discuter avec le comité directeur, mais en attendant, je demanderai aux députés de rester libre pour les heures de réunion habituelles. Si cela ne vous ennuie pas, nous verrons tout cela par la suite. Nous espérons pouvoir vous dire ce qu'il en sera dès mardi prochain, dans l'après-midi.
M. Lastewka: Très bien.
Le président: Merci beaucoup, et merci encore aux témoins.
La séance est levée.